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Dia Linn - III - Le Livre de Wyatt (Díoltas)
Dia Linn - III - Le Livre de Wyatt (Díoltas)
Dia Linn - III - Le Livre de Wyatt (Díoltas)
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Dia Linn - III - Le Livre de Wyatt (Díoltas)

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About this ebook

À l'aube de la guerre de Sécession, Wyatt décide d'aller récupérer la mine d'or volée par Liam. Le frère d'Eileen est également bien décidé à honorer la díoltas celte, et à venger le meurtre de sa sœur...

Il s'engage alors sur les pistes de l'Ouest, celles des trappeurs, des Indiens et des hors-la-loi, rejoignant un convoi de pionniers à destination du Colorado. Avec son ami Edmond, le vieux marin qui s’est institué son protecteur, et sa femme Kinta, la belle Indienne choctaw, il pénètre dans les grandes plaines sauvages.
Wyatt y croise d’étranges personnages, y lie de nouvelles et puissantes amitiés, jusqu’aux mines d’or de Pikes Peak où, dit-on, il suffit de se baisser pour devenir millionnaire.
Lorsque le convoi des pionniers atteint le territoire du Colorado, c’est plutôt la violence, l’avidité et la colère des Cheyennes qu’ils y trouvent ! Mais aussi l’or, la fortune pour laquelle Eileen a été tuée sur les rives du Mississippi.

Le village de Dearfield sera le théâtre des retrouvailles de Wyatt et de son frère adoptif, Liam. Des retrouvailles qui ne pourront s'achever que dans le sang...

Díoltas – vengeance en gaélique – est donc le Livre de Wyatt, le troisième tome de la saga "Dia Linn". Lorsque les Colts répondent aux poignards, avant que les États-Unis s'enfoncent dans la guerre la plus sanglante de leur histoire...

LanguageFrançais
Release dateJun 14, 2014
ISBN9782370111555
Dia Linn - III - Le Livre de Wyatt (Díoltas)
Author

Marie-Pierre Bardou

Née en Afrique équatoriale dans une famille d’oiseaux migrateurs, Marie-Pierre Bardou a gardé de ses voyages précoces le goût des départs, même en imagination. Elle teste un peu tous les genres – poésie, nouvelle… - mais c’est avec le roman qu’elle peut, réellement, se laisser « embarquer ». Grande admiratrice du génie fiévreux d’un Dostoïevski ou de l’implacable plume d’un Ross Mc Donald ou d’un Liam O’ Flaherty, elle adore les romans historiques et les thrillers. C’est le plus souvent dans les drames familiaux qu’elle puise sa propre inspiration. Elle a une prédilection pour les grasses matinées et les séries TV, et de temps en temps se laisse séduire par quelques chutes libres – mais toujours avec un parachute. Sinon, son bureau ou son canapé seront les endroits où vous la trouverez la plupart du temps. L’avantage étant qu’ils sont dans la même pièce, pour une très agréable économie de mouvement.

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    Dia Linn - III - Le Livre de Wyatt (Díoltas) - Marie-Pierre Bardou

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    DIA LINN

    3 : LE LIVRE DE WYATT

    Díoltas

    Marie-Pierre BARDOU

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2014 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2014. Collection Littérature. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-155-5

    Résumé des tomes précédents

    Irlande, décembre 1847.

    Eileen O’Callaghan et son jeune frère Wyatt sont presque les seuls survivants de leur clan.

    La Grande Famine a tué la mère, Barbra, le père, Padaig, et quasiment toute la fratrie. Le frère aîné, Aïdan, et son frère de lait Liam se sont révoltés contre la domination anglaise : Aïdan a été exilé en Australie et Liam s’est enfui à Dublin pour rejoindre les Jeunes Irlandais et fomenter la révolution. Le jeune homme, qui a repris le nom de sa mère, O’Brien, abandonne ainsi la jeune Eileen après une unique nuit ensemble.

    Eileen et Wyatt laissent derrière eux un secret de famille qui est resté sans explications : un ancien litige opposait Padaig à sa belle-mère, Brigid, persuadée qu’il était coupable de la mort de sa fille. Padaig avait en effet été accusé d’être responsable, dans leur jeunesse, de la mort de son frère jumeau, Connor. Brigid, la mère de Barbra et également femme de tête aux pouvoirs de sorcière, révélera l’histoire à Eileen qui a hérité de ses dons : rêves prémonitoires, intuition surdéveloppée, capacités à lire dans le cœur des hommes… À la mort du père de Connor et de Padaig, leur mère a pris le voile et a légué leur fortune à leur dernier fils. Padaig a enterré le magot qui aurait pu sauver sa famille, les condamnant inexorablement : Wyatt découvre l’argent après la mort de leur père, mais Roisin, la fiancée d’Aïdan qui porte son enfant, disparaît avec leur fortune.

    Eileen et Wyatt s’enfuient donc à bord du Morning Drew, un clipper à destination de New York. À bord, Wyatt fait la connaissance d’Edmond, un marin français qui devient vite un ami très utile, s’instituant mentor et protecteur du jeune Irlandais. Eileen a également un champion, pour le moment peu efficace : un chiot, cadeau de Finbar le gomaleau, et rejeton d’un des derniers irish wolfhound, les chiens-loups irlandais qui ont presque disparu des terres d’Erin. En grandissant, Fian deviendra un gardien précieux.

    Dérouté, le Morning Drew essuie une terrible tempête, et les survivants ne doivent leur salut qu’à l’intervention d’un navire négrier où Désirée de Rocheclaire prend les deux jeunes Irlandais sous son aile. Cette belle Créole, héritière d’une puissante famille, les chaperonne à leur arrivée à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Une nouvelle vie commence pour nos rescapés…

    Tandis que Wyatt devient pilote à bord des steamers sillonnant le Mississippi, Eileen conclut un pacte avec leur protectrice : enceinte de Liam, elle confie ses jumeaux à Désirée qui ne peut avoir d’enfants et recherche des héritiers. Neal et Neve seront donc les enfants adoptifs des Rocheclaire et hériteront de l’Éléonore, la grande plantation familiale.

    Eileen devient la maîtresse d’un tricheur notoire, Jonathan Padding, et tous deux écument les steamboats dans des parties de poker aussi dangereuses qu’excitantes, où les dons particuliers d’Eileen constituent de précieux atouts.

    Mais elle apprend que Liam est lui aussi aux États-Unis, parti en quête des Irlandais exilés pour les convaincre de rejoindre la toute nouvelle Fraternité feniane. Eileen se met à la recherche de son amour perdu…

    Elle le trouvera, sans savoir que cela causera sa perte. Lors d’une partie de poker au cours de laquelle un certain Brian Turner met en jeu sa mine d’or, Jonathan est pris en flagrant délit de triche par Liam et abattu sur-le-champ. Eileen gagne la partie, et l’acte de possession de la mine, mais Liam la tue en cherchant à le lui voler.

    Le livre d’Eileen s’achève ainsi, en août 1859, sur les rives boueuses du Mississippi, avec la mort d’une jeune Irlandaise qui n’avait pas su écouter ses visions…

    Et s’ouvre maintenant le livre de Wyatt.

    Préface

    « Come from Alabama

    With my banjo on my knee,

    I'm going to Louisiana,

    My true love for to see.

    Je viens de l’Alabama

    Mon banjo est avec moi

    Je vais en Louisiane

    Mon amour je vais revoir.

    Oh, Susanna,

    Oh don't you cry for me,

    For I come from Alabama,

    With my banjo on my knee.

    Oh, Susanna,

    Oh ne pleure pas pour moi,

    Car je viens de l’Alabama

    Mon banjo est sur mon genou.

    It rained all night

    The day I left

    The weather it was dry

    The sun so hot,

    I froze to death

    Susanna, don't you cry.

    Oh, Susanna…

    Il a plu la nuit

    Quand je m’en allais.

    Le temps est sec là-bas,

    Le soleil si chaud,

    Je m’y suis gelé.

    Susanna, ne pleure pas.

    Oh, Susanna…

    I had a dream the other night,

    When everything was still,

    I thought I saw Susanna,

    A coming down the hill.

    Oh, Susanna…

    J’ai fait un rêve l’autre nuit

    Quand tout était tranquille

    J’ai cru voir ma Susanna,

    Qui descendait la colline.

    Oh, Susanna…

    The buckwheat cake,

    Was in her mouth,

    The tear was

    In her eye,

    Says I, I’m coming from the south,

    Susanna, don't you cry.

    Oh, Susanna…

    La larme à l’œil

    Et à la bouche

    Le gâteau de blé noir

    Je lui ai dit "Je viens du sud

    Susanna ne pleure pas".

    Oh, Susanna… »I

    Personnages

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    Prologue

    La main était plutôt minable.

    Cyan regardait ses cartes sans vraiment les voir. Un deux de trèfle, un valet de cœur, un cinq de carreau. Sur la table, une dame de pique et un trois de même couleur. Autrement dit, pas de quoi miser.

    Elle misa quand même, relançant d’une voix tranquille après l’annonce de son adversaire. Ils n’étaient plus que deux assis autour de la table. Les sept autres joueurs avaient sauté l’un après l’autre, s’accrochant désespérément à leur jeu quitte à y laisser toute leur cave. Elle savait qu’elle était l’attraction de la salle, et que sa seule présence électrisait ces joueurs pour la plupart médiocres. Ils pourraient raconter ensuite qu’ils avaient affronté Cyanure… Quelle gloire !

    Celui qui lui faisait face était bon. Du moins, il possédait un véritable talent de mathématicien, capable de donner les probabilités en temps réel et d’évaluer ses possibilités de gain avec une précision de machine. Pour le reste, il était minable. Aucun panache, aucune prise de risque, un visage qui trahissait ses mains presque à coup sûr… et, surtout, cette faille propre aux perdants, soit l’incapacité totale à gérer les tilts.

    Elle sentait le regard de l’homme sur elle tandis qu’il réfléchissait, pour décider quelle attitude adopter après sa relance. Cyan en était sûre : il savait qu’elle avait une mauvaise main. Il essayait juste de comprendre pourquoi elle ne s’était pas couchée en sauvant le monticule avantageux de jetons qui s’amoncelaient à son niveau, sur le tapis.

    Quel nul. Elle releva la tête, plantant ses yeux verts dans ceux, sombres et interrogatifs, du petit homme noir qui lui faisait face à l’autre bout de la table. Il semblait à la torture. Elle bluffait, il en était convaincu, mais jusqu’où irait-elle ? Elle ne pouvait pas risquer tous ses gains avec la main misérable qu’il savait qu’elle avait.

    C’était pourtant ce qu’elle avait décidé de faire. Perdre, puis regagner point par point tout ce qu’elle avait laissé à son adversaire. N’avait-il pas encore compris ? Pour gagner, le plus important est de savoir perdre.

    Mais non, bien sûr qu’il ne le savait pas. Se mettre en danger était le seul moyen, pour elle, de ne pas mourir d’ennui.

    Autour d’eux, le monde n’existait pas. La salle feutrée, reconstitution minutieuse d’un club anglais du XXIe siècle, était pourtant encombrée d’une petite foule de joueurs et d’observateurs, la plupart habillés avec recherche, un verre à la main. Les murs en lambris, le beau parquet ciré décoré de tapis persans hors de prix, les lumières douces… Ces lumières trouvaient parfois un diamant sur lequel ricocher, au cou d’une femme, ou une chevalière en or sur laquelle se mirer. Les murmures, les bruits de pas étouffés par les tapis, les mouvements discrets de ceux qui ne quittaient pas du regard les derniers joueurs en lice ne la troublaient pas : il y avait longtemps qu’elle avait appris à compartimenter son esprit et ses pensées, à les canaliser dans un seul faisceau. Mais là, elle s’ennuyait profondément…

    L’homme à la peau sombre finit par relancer, sûr de sa main et du coup de bluff de son adversaire. Elle pouvait presque sentir son tremblement intérieur, sa certitude mêlée de doute et d’exaspération. La river lui donna un as de cœur. Elle sourit.

    Au moment où elle allait annoncer son tapis – et perdre, très probablement –, la carte qu’elle venait de recevoir se troubla sous ses yeux incrédules. La figure rouge se transforma lentement, remplacée par le visage de son frère. Cyan ferma les yeux. Connor marchait dans des allées alourdies de pluie et balayées par un vent glacé. Elle reconnut sans effort les rues de Dublin, des ruelles nocturnes où son frère s’enfonçait presque en courant, affolé, perdu, pourchassé. Une ombre était à ses trousses, qu’elle ne parvenait pas à distinguer. Homme, ou femme ? Grande, mince, la silhouette en pardessus se rapprochait dangereusement de Connor et elle vit luire dans sa main la lame d’un poignard.

    Cyan se leva d’un bond, renversant ses cartes, sa pile de jetons, sa chaise. Sans même entendre les protestations furieuses du croupier, de son adversaire et des spectateurs, elle courut vers la porte de sortie, un sentiment d’urgence lui broyant la poitrine. La nuit de Londres happa la fine silhouette vêtue de cuir et l’engloutit avec voracité.

    Chapitre 1

    « Mon cœur est rempli de joie quand je vous vois ici, comme les ruisseaux qui se gonflent d’eau quand la neige fond au printemps ; et je suis aussi content que les poneys quand l’herbe fraîche apparaît au début de l’année…

    Jamais mon peuple n’a, le premier, lâché une flèche ou tiré au pistolet sur les Blancs. Il y a eu des accrochages sur la ligne qui nous sépare, mes jeunes guerriers ont dansé la danse de la guerre. Mais nous ne l’avons pas commencée. C’est vous qui avez envoyé le premier soldat et nous avons envoyé le second. Il y a deux ans, j’arrivais par cette route, sur la piste du bison, afin que mes femmes et mes enfants eussent les joues rondes et le corps chaud. Mais les soldats ont tiré sur nous, et depuis ce temps, il y a eu un bruit comme celui de l’orage, et nous n’avons su quel chemin prendre…

    Nous n’avons pas davantage été faits pour pleurer une fois seuls. Les soldats habillés de bleus et les Utes sortirent de la nuit alors noire et paisible et firent des feux de camp de nos huttes. En guise de gibier, ils massacrèrent mes braves, et les guerriers de la tribu coupèrent leurs cheveux pour les morts. Cela se passait au Texas. Ils firent entrer la tristesse dans nos camps et nous les avons poursuivis comme attaquent les bisons mâles pour protéger leurs femelles. Nous les avons trouvés, nous les avons tués et leurs scalps pendent dans nos huttes.

    Les Comanches ne sont pas faibles et aveugles comme des chiots de sept jours. Ils sont forts et ont la vue longue comme des chevaux adultes. Ils ont pris leur route et l’ont suivie. Les femmes blanches ont pleuré et nos femmes ont ri.

    Mais il y a des choses que vous m’avez dites et que je n’aime pas. Elles ne sont pas douces comme le sucre, mais amères comme la courge. Vous dites que vous voulez nous mettre dans une réserve, nous construire des maisons et des postes médicaux. Je n’en veux pas. Je suis né dans la prairie où le vent soufflait librement et il n’y avait rien pour briser la lumière du soleil. Je suis né là où il n’y avait pas de clôture, où tout respirait librement. Je veux mourir là-bas et non entre des murs. Je connais chaque ruisseau et chaque bois entre le Rio Grande et l’Arkansas, j’ai chassé et vécu dans ce pays. J’ai vécu comme mes pères avant moi, et, comme eux, j’ai vécu heureux.

    Quand j’étais à Washington, le Père Vénérable m’a dit que toute la terre des Comanches était nôtre et que personne ne nous empêcherait d’y vivre. Alors, pourquoi nous demandez-vous de quitter les rivières et le soleil et le vent pour aller vivre dans des maisons ? Ne nous demandez pas d’abandonner le bison pour le mouton. Les jeunes hommes ont entendu parler de tout cela et ils sont tristes et fâchés…

    Si les Texans étaient restés en dehors de mon pays, la paix aurait pu régner. Mais là où vous dites que nous devons vivre maintenant, c’est trop petit. Les Texans ont pris les endroits où poussait l’herbe la plus épaisse et où le bois était le meilleur.

    Aurions-nous gardé cela que nous aurions peut-être fait ce que vous nous demandez. Mais il est trop tard. L’homme blanc a pris le pays que nous aimons et nous ne souhaitons plus qu’errer sur les prairies jusqu’à notre mort. »II

    Chapitre 2

    Il perdit le compte après la cinquième heure de la nuit. Allongé à même le sol, avec juste une mince couverture entre son corps et la terre battue, Wyatt regardait le plafond voûté que formaient les joncs tressés. Le corps chaud de Kinta reposait tout contre lui, son bras en travers de son ventre. Il déplaça doucement le bras de sa compagne et se leva.

    L’air frais de la nuit, juste avant l’aube, lui fit du bien. Il alla sur le débarcadère pour s’y asseoir et attendre le jour. Fian était là ; assis comme de coutume le plus près possible de l’eau, totalement immobile. Les Indiens en avaient peur, maintenant. Non pas qu’il fût dangereux ou menaçant : il ne faisait que ça, rester assis sur le débarcadère, à attendre. Il maigrissait à vue d’œil, ne se nourrissant plus. La grande silhouette décharnée du chien, qui se découpait jour et nuit sur les eaux boueuses du fleuve, formait un tableau d’une immense tristesse. Les Choctaws faisaient un long détour pour passer loin de lui, détournaient la tête lorsqu’ils le voyaient, et ne parlaient jamais du chien qui attendait la mort. Ils le considéraient déjà comme un esprit.

    Wyatt s’assit tout près du wolfhound, les jambes pendantes dans le vide au-dessus de l’eau. Il posa sa main sur les épaules devenues osseuses de l’immense bête, dont le pelage était rêche et sale.

    — Fian, mon vieux. Elle te manque, n’est-ce pas ?

    Le chien ne sembla même pas remarquer sa présence, ni sa voix ni son contact. Statue de pierre et de chagrin, les grands yeux noirs restaient fixés sur le Mississippi, comme s’il espérait encore qu’Eileen en sorte et le rende à la vie. Mais le corps de sa maîtresse reposait maintenant dans le petit cimetière catholique de La Nouvelle-Orléans, à côté de Jo.

    Wyatt laissa retomber sa main, écrasé par le découragement. Il ne pourrait pas sauver Fian, qui pourtant guérissait bien de sa blessure. Pourrait-il se sauver lui-même ?

    Il regarda le soleil se lever lentement, dans sa majesté tranquille, derrière les collines qui longeaient le fleuve. Il l’avait tant aimé, son fleuve ; sa vie libre et trépidante, ses aubes calmes et trompeuses, sa fausse langueur de fils du Sud ! Mais le Mississippi lui était devenu étranger et semblait maintenant le rejeter. Ce qu’il trouvait magique quelques mois auparavant n’était plus que des eaux sales et lourdes, qui charriaient leurs boues puantes jusqu’au delta.

    Lorsqu’il avait retrouvé le corps de sa sœur sur la berge du fleuve, elle venait juste de mourir. Elle semblait dormir, allongée sur la terre boueuse qui salissait sa chemise blanche, les longues boucles rousses collées autour de son visage comme un casque de guerrière. N’étaient le sang qui maculait son ventre et la terre sous son corps, il lui avait semblé qu’en touchant son épaule les yeux verts de sa sœur se seraient ouverts. Et elle lui aurait souri.

    Mais il savait que ce n’était qu’une douce illusion. Bien qu’encore chaude, la peau d’Eileen avait déjà la blancheur des linceuls.

    Les jours suivants lui avaient paru nappés d’un brouillard opaque et oppressant, irréel. L’enterrement, les condoléances, la mise en terre, les jumeaux et Désirée, tout lui semblait tiré d’un mauvais songe. Le père Nicolas avait conduit la cérémonie, veillant à ce que les vieux rites irlandais soient respectés.

    Il avait ensuite passé beaucoup de temps à veiller Fian, trouvant dans ce rôle une sorte d’apaisement provisoire : le chien était grièvement blessé au flanc, le poignard de l’agresseur s’était insinué loin dans les chairs de l’animal. Mais il avait survécu, grâce à ses soins patients. Il l’avait nourri et abreuvé de force, jusqu’à ce que le chien puisse se lever et recouvrer son autonomie. Mais alors, Fian avait refusé de s’alimenter.

    Il vivait dans la maison d’Eileen lorsqu’Edmond avait débarqué, réapparaissant enfin après des semaines de silence. Son vieil ami avait disparu plusieurs jours avant le drame pour, avoua-t-il, « tâter le bonheur ». Soit quelques semaines de roucoulades avec une belle dont Wyatt n’apprit rien d’autre que le prénom, Ombeline.

    Edmond n’avais pas perdu de temps en condoléances ou effusions de tristesse. Il aimait beaucoup la jeune Irlandaise, lui vouant une sorte de culte tendre et respectueux, et Wyatt savait parfaitement qu’il se sentait affreusement coupable de ne pas avoir été présent – ni lors de « l’accident » d’Eileen ni à son enterrement. Edmond, fidèle à lui-même, s’était contenté d’agir.

    Lorsqu’il était entré dans la maison d’Eileen, Edmond amenait avec lui deux matelots, les tirant derrière lui presque de force. Trois semaines peut-être après la mort de la jeune femme, Wyatt avait erré dans les couloirs déserts, cherchant dans les modestes affaires de sa sœur celles qu’il voudrait conserver. Il les avait rassemblées au salon, sur la grande table près de la cheminée : ses vêtements, quelques livres, les rares bijoux auxquels elle tenait si peu, ne ressemblant en cela à aucune des femmes qu’il connaissait… En fait, après avoir fait le tri, seuls trois objets la symbolisaient : la croix de saint Patrick de leur père, le couteau qu’elle avait apporté d’Irlande et la photographie que Désirée avait prise d’elle et des jumeaux lors de la fête de leur baptême – la seule image qui existait d’elle –… et c’était tout. Une photo, une arme et une croix, voilà ce qu’il restait d’Eileen O’Callaghan, les enfants mis à part. Les robes et les colifichets de sa sœur iraient à Marie-Laure, sa camériste, qu’il avait émancipée selon ses désirs. Il donnerait la croix de Padaig à Neve, ainsi que ses autres bijoux. Son couteau était pour Neal.

    Empruntés, les deux marins avaient trituré leur béret et gardé les yeux fixés sur leurs pieds en lui parlant. Ils venaient lui raconter ce qu’ils avaient vu, sur le pont du Belle Île. Ce qu’ils n’avaient pas raconté à la police chargée de l’enquête, par peur des complications.

    — On n’a pas parlé, nous autres, parce qu’on voulait pas d’ennuis avec la milice. Mais z’êtes un pilote, et un bon. Vous avez le droit d’être au jus.

    — Au jus de quoi, Tom ?

    Le matelot refusait de le regarder en face, ce qui l’agaçait prodigieusement. Bon sang, il était pilote, pas Dieu le Père ! Il marchait encore pieds nus dans la boue dix années plus tôt et ne risquait pas d’oublier d’où il venait !

    — Vot’ sœur, là, la jolie Eileen…

    — On l’a vue, comme qui dirait, juste avant son grand plongeon, avait enchaîné Peter, venant à la rescousse.

    Il ne le regardait pas non plus. Wyatt avait frissonné, comme s’il sentait un vetch passer dans la pièce.

    — Vous l’avez vue tomber à l’eau ? Vous avez reconnu son assassin ?

    Comme les deux hommes hésitaient, il avait soudain eu envie de prendre la tête de l’un pour taper sur celle du second, ou de les secouer jusqu’à ce que des sons quelconques en sortent.

    — Répondez-moi, matelots ! Vous aurez une récompense, si vous me…

    — On veut pas de récompense, pilote. Et on veut rien avoir à faire avec la milice.

    — Je ne vous citerai pas, c’est promis. Maintenant, parlez ! Vous avez vu son agresseur ?

    Le dénommé Tom avait enfin relevé la tête et l’avait regardé bien en face.

    — L’Irlandais, le grand maigre qu’était avec votre sœur et son gars pendant la partie qu’a mal tourné. C’est lui qu’on a vu.

    — Vous êtes sûrs ? Vous l’avez vraiment reconnu ?

    — Il était à deux mètres de nous, pilote, on pouvait pas le rater. Vot’sœur, on l’a vue sortir de sa cabine comme une furie, en chemise et en cheveux, avec du sang qui dégoulinait par terre. Elle s’est penchée sur la rambarde et elle a crié vot’nom.

    — Et le gars, l’Irlandais, il est sorti derrière elle et l’a poussée d’un seul coup par-dessus bord, enchaîna Peter. Il avait un couteau à la main, qu’avait du sang dessus, un long couteau comme les Écossais les aiment. Il a disparu aussi sec et on a sonné l’alarme.

    — Mais vous n’avez rien dit de tout ça. Vous ne l’avez pas dénoncé.

    Les deux hommes avaient à nouveau baissé la tête. Edmond n’intervenait pas, silencieux et immobile au fond de la pièce. L’enquête n’avait pas donné grand-chose, surtout parce que Liam, appelé pour être interrogé, était introuvable depuis ce moment-là. Il s’était évaporé.

    Et les doutes du garçon avaient trouvé leur réponse : c’était bien son frère adoptif qui avait poignardé Eileen et l’avait jetée dans le fleuve. Wyatt n’avait pas retrouvé l’acte de propriété de la mine de Brian Turner dans les affaires de sa sœur, sur le bateau. Ce fait l’avait mis sur la voie, il en avait juste la confirmation.

    Les deux marins étaient repartis sans un mot de plus, en refusant toute récompense – mais en refusant aussi de témoigner officiellement. Wyatt n’avait pas insisté.

    Edmond était resté, s’installant provisoirement dans la petite maison déserte. Il avait patiemment poussé son protégé dans la direction qu’il souhaitait.

    Eileen était alors morte depuis quatre mois. Chacun s’apprêtait à célébrer le réveillon. L’année 1859 approchait de son terme ; et la joie, les festivités, la douce excitation des festins et des cadeaux de Noël aggravaient ses sentiments de solitude et d’écrasement.

    Tout était devenu trop compliqué, trop confus, trop douloureux. Wyatt avait mis en vente la petite maison de sa sœur sur les conseils d’Edmond, pris la photo, le couteau et la croix de Padaig, et il était parti retrouver Kinta.

    Celle qu’il pensait ne jamais pouvoir séduire, qu’il considérait comme une sorte d’idole lointaine et inatteignable, était devenue sa femme sans que personne y trouvât à redire. Les Choctaws l’avaient accepté sans broncher, ils s’étaient installés dans la maison que le père de Kinta avait fait construire en prévision du mariage de sa fille et ils s’étaient unis officiellement selon les rites tribaux : Wyatt s’était contenté de jeter aux pieds de sa belle-mère quelques colliers en perles de verre, et un pagne devant ceux de son beau-père. Ils s’étaient baissés pour prendre les cadeaux, acceptant de ce fait le mariage de leur fille. Pas d’autre cérémonie. Ce mariage ne valait rien aux yeux des Blancs, mais cela n’avait aucune importance. Kinta était sa femme et elle le resterait. Dans ses bras, enfin, il avait pu pleurer.

    Ses pieds nus frôlaient l’eau sombre. Wyatt regardait le rivage, en face, qui émergeait lentement des brumes matinales. La respiration de Fian à ses côtés était lourde, sifflante. Un couple de hérons glissait avec grâce au-dessus des eaux, à la recherche des proies qui nourriraient leur famille.

    Toute sa vie, Wyatt l’avait passée aux côtés de sa sœur. À la mort de Barbra, c’était elle qui était devenue sa mère, puis sa protectrice, son guide, son mentor. Il savait, bien qu’ils n’en aient jamais parlé ensemble, qu’Eileen avait tué pour lui. C’était bien pour son frère qu’elle avait quitté son pays, qu’elle avait empoisonné la jeune Naoise, la nourrice des Dixley. Pour lui, également, qu’elle avait négocié avec Désirée sa place de mousse en échange de l’adoption des jumeaux. Elle avait un don, elle était belle, elle avait un courage que rien ne semblait pouvoir abattre. Elle avait aussi mené une carrière, éphémère mais fructueuse, de joueuse de poker, quand le jeu était absolument interdit aux femmes. Et pourtant, quelque part, elle était toujours restée un peu enfantine, innocente, simple. Comme si ses actions n’atteignaient jamais vraiment le centre de son être, son essence. Elle était… intacte. Et surtout, elle lui avait permis, à lui, de le rester aussi.

    Car après les années terribles de la Grande Famine et l’anéantissement des O’Callaghan, il n’y avait eu dans la vie de Wyatt que

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