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Orgueil Et Honneur:  La Bataille Pour La Saxe
Orgueil Et Honneur:  La Bataille Pour La Saxe
Orgueil Et Honneur:  La Bataille Pour La Saxe
Ebook401 pages4 hours

Orgueil Et Honneur: La Bataille Pour La Saxe

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About this ebook

Pareilles à une tempête de sang, les armées de Charlemagne ravagent l'Europe médiévale, laissant dévastation et misère dans leur sillage. Elles soumettent le royaume des Lombards, battent le duché de Bavière, et menacent les Maures à l'ouest et le pape de Rome au sud.Mais Charlemagne a des plans encore plus ambitieux : il convoite les territoires saxons au nord. Les Saxons organisent une résistance féroce et inattendue. Quand les troupes de Charlemagne détruisent le sanctuaire d'Irminsul, le saint des saints des Saxons, une lutte à mort s'ensuit. Sous la direction du légendaire duc Widukind, les Saxons se battent sauvagement pendant des décennies pour leurs croyances et leur indépendance. Et ils auront leur revanche...Orgueil et honneur transporte le lecteur en plein cœur de cette période du Haut Moyen Âge enveloppée de légende. Dans son roman historique, Nathaniel Burns tisse une tapisserie à la fois riche et sombre de l'une des périodes charnières de l'Europe médiévale. Ses descriptions historiquement exactes, riches en détails authentiques, refont vivre devant vos yeux ce monde de conflits.Allez, attisez le feu dans la cheminée, approchez votre fauteuil et plongez-vous dans ce merveilleux roman historique plein d'intrigues royales, de guerriers et de batailles d'une Europe révolue.
LanguageFrançais
Release dateDec 12, 2014
ISBN9781633390119
Orgueil Et Honneur:  La Bataille Pour La Saxe

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    Orgueil Et Honneur - Nathaniel Burns

    Lectures ?

    1

    En l'an 772

    STURM SUIVIT LE SERVITEUR le long de l’étroit passage de pierre. Les tapisseries accrochées au mur étaient toutes estompées. Elles étaient usées. Leurs couleurs avaient pâli. Elles étaient vieilles, peut-être aussi vieilles que le château de Worms lui-même. Elles représentaient toutes diverses scènes du royaume des Francs.

    Il y avait une odeur persistante de moisi dans l'air. Elle rappelait les pluies récentes. On sentait aussi l’humidité, et même si l’on était au début de l'été, Sturm pouvait sentir un courant d’air dans le passage.

    Ses lourdes bottes résonnèrent sur les dalles en pierre usées. Il s’arrêta finalement devant de lourdes portes en chêne. Il avait reçu des nouvelles au cours de l'hiver sur la mauvaise santé de la reine Bertrade, et que des médecins s’occupaient d’elle, mais il n’avait pas réalisé que sa maladie la confinait dans sa chambre.

    Il se souvenait d’elle comme d'une femme vénérable, capable de tenir sa place dans la cour d'un homme. Elle avait été une force par elle-même, ne craignant personne, pas même la colère de son mari. Pépin avait eu de la chance de l’épouser. Elle lui avait donné de bons fils et maîtrisait la politique, à la différence de Pépin. Il avait impitoyablement lancé ses armées, sans se soucier des vies ni du coût pour tous ceux qui ne s’étaient pas volontiers conformés aux coutumes des Francs.

    Après la mort de Pépin, Bertrade avait astucieusement pris les rênes du royaume des Francs en mains. Elle avait imposé sa volonté à ses deux fils, Charles et Carloman, et avait attiré Tassilon, duc de Bavière, Didier, roi des Lombards et le Saint-Père de Rome sous son envoûtement politique.

    Le serviteur s’arrêta et lui fit signe d'attendre. Il ouvrit les portes et annonça :

    — L'abbé de Fulda, Votre Majesté.

    Sturm pâlit un instant, assailli par l'air malsain de la chambre. Pas surprenant que la reine ne se remettait pas : personne ne pouvait vivre dans de telles conditions. Il entra dans la pièce faiblement éclairée. Il laissa son regard errer dans l’obscurité. Il regarda avec dédain les rideaux fermés. C'était une belle journée, le printemps venait juste de céder la place à l'été, et pourtant la chambre recélait une ambiance de mort.

    Son regard se dirigea vers la vieille reine, assise sur une chaise rembourrée. Il s'avança et s’agenouilla devant elle :

    —Votre Majesté, vous m'avez demandé de venir, me voici.

    La reine s’ajusta légèrement sur son siège, et répondit :

    — Sturm, fidèle serviteur, je vous remercie d'être venu. Pardonnez-moi de ne pas me lever pour vous recevoir.

    — Mon pardon vous est inutile, Votre Majesté, répondit-il humblement, en se levant.

    Il parcourut son visage familier. Pendant des années, il avait connu ses pensées et avait soutenu ses causes, même quand d'autres l'avaient abandonnée.

    Ses yeux, maintenant ajustés à la pénombre, lui permirent de distinguer davantage les traits de la femme. Elle avait les yeux enfoncés dans leurs orbites, sans doute à cause de sa longue maladie. Son visage gardait encore des traces de son ancienne beauté, mais les rides creusées par l’âge et le chagrin marquaient ses traits expressifs. Ses yeux brûlaient pourtant toujours avec détermination. Les Francs n’avaient pas perdu la reine qu'il avait toujours connue.

    — Ah ! l'abbé émerge de ses sombres forêts, comme un ours de son hibernation, dit une voix familière sur le côté, et au signal de son roi, il vient servir.

    Sturm se tourna dans la direction de la voix. Il vit le conseiller de la reine assis dans l'alcôve.

    — Ah ! Itherius ! toujours un bon mot à la bouche, répondit-il en guise de salutation.

    — Votre mission sacrée parmi ces païens à la tête dure doit vous priver de vos préoccupations mondaines, poursuivit Itherius, alors que Sturm dévisageait le vieil homme.

    Il avait aussi considérablement vieilli pendant l'hiver et avait les traits tirés. Après la mort du roi, le bruit avait couru que la reine l’avait pris dans son lit ; mais c’en était resté là. Néanmoins, en les regardant, il ne pouvait pas ne pas se demander s’il n’y avait pas eu une part de vérité derrière cette rumeur.

    — Je pense que je suis plus au courant des affaires du monde en dehors des murs de ce château que vous, mon vieil ami, car je suis toujours actif dans le royaume.

    — Alors vous avez entendu dire que Sa Majesté et moi avons été bannis, répondit l'homme, bougeant légèrement sur son siège.

    — Bannis ?  reprit Sturm, incrédule.

    Il se tourna vers la reine, la questionnant du regard.

    La reine secoua un peu la tête et fit un geste de dédain envers son conseiller, avant de répondre : — Pas tout à fait bannis, Sturm, mais Charles en veut à toute personne qui vient me voir sans son consentement.

    — Cela se comprend. Vous avez été malade et vous devriez concentrer votre force sur votre santé, pas sur les affaires de la cour.

    La frêle reine soupira, et d’un mouvement faible de la main, elle l'invita à s'asseoir à côté d'elle. Un léger sourire orna ses lèvres quand elle entendit le cliquetis de la cotte de mailles sous la soutane de l'abbé. Elle le dévisagea d’un regard critique :

    — Sturm, vous êtes plus guerrier qu'abbé. Vous portez même votre armure quand vous venez me voir, ici, dans la chambre d'une femme.

    — Pardonnez-moi, Votre Majesté. Je ne voulais pas attendre que les frères et les serviteurs déchargent les chariots et élèvent les tentes. Votre ordre me semblait urgent.

    — Je ne donne plus d’ordre, mon ami, je me contente de demander, dit-elle doucement, d'une voix empreinte d'amertume.

    Puis elle se tourna vers le coin de sa chambre.

    —  Adélaïde ! appela-t-elle, et Sturm regarda la vieille fille se diriger vers elle. Allez nous chercher du vin !

    — Certainement, Votre Majesté, répondit la femme, et elle sortit de la chambre.

    La reine se tourna vers lui, et il lui demanda :

    — Vous n'avez pas de dame d'honneur ?

    Elle rejeta la question avec un geste de dédain avant de reprendre avec condescendance :

    — Il y a des choses encombrantes à mon âge : attendre l'amour, comparer les chevaliers et les nobles. Que savent-ils de la dureté de la vie, des faiblesses des hommes ? Nous risquons nos vies en couche pour que les hommes puissent se vanter de leurs fils. Mais même nos enfants ne nous écoutent pas.

    — Et le jeune roi ? demanda Sturm.

    — Vous voulez dire le fou, répondit-elle avec véhémence. Il est trop tard dans la saison pour assiéger ces païens. Mais il ne veut pas entendre raison, il est aussi têtu que son père.

    — Et que sa mère, pensa l'abbé.

    Il se tourna vers la porte, alors qu’Adélaïde revenait avec un pichet et des gobelets. Elle mélangea de l'eau au vin. Sturm fronça les sourcils.

    —  Mes médecins ont déclaré que le vin est trop fort pour mes entrailles malades, expliqua la reine en prenant son gobelet d'Adélaïde. Le vin doit donc être dilué.

    Adelaïde tendit un gobelet de vin non dilué à Sturm. Il l’accepta et la remercia. Elle donna aussi un gobelet à Itherius avant de retourner dans son coin, où elle se remit à ce qui semblait être de la broderie.

    Sturm but à petites gorgées. Le silence s'alourdissait dans la salle. Il regarda plus attentivement la reine puis la pièce, avant de demander :

    — Pourquoi est-ce si sombre ici ? Vous pourriez certainement ouvrir les rideaux et profiter de la vue depuis votre balcon.

    La reine reposa son gobelet et répondit amèrement :

    — Mes yeux ne tolèrent plus la lumière du soleil, mon ami.

    — Mais ils doivent bien aérer votre chambre, ce n’est pas bon pour vous de rester dans un tel air vicié.

    La reine regarda vers la porte pendant un moment, puis reprit :

    — Je ne quitte plus ces pièces.

    Sturm la regarda avec incrédulité. Il se tourna vers Itherius pour en recevoir la confirmation. Le vieil homme acquiesça de la tête.

    — Et maintenant, à votre tour vous allez m'abandonner, parce que je suis devenue impuissante, murmura la reine.

    — Dieu m’en garde ! répondit aussitôt Sturm. Vous avez accompli vos devoirs pour le royaume des Francs aux côtés de votre Roi. Mais un moment vient où le pouvoir et les responsabilités du royaume doivent être transmis, il n'y a pas de honte à cela.

    — Et quand le roi agit avec folie ! Quand il ne veut pas me parler de ses plans !

    — Je ne pense pas qu'il veule entrer en guerre contre les Saxons, répliqua Sturm en essayant  d'apaiser la reine.

    — Alors pourquoi rassembler les légions ? Elles ne sont pas unies ! Jusqu'à récemment, elles se battaient les unes contre les autres. Et pourtant, il attend d’elles qu’elles fassent front commun contre ces païens.

    Sturm allait répondre, mais la reine l’interrompit de la main. Elle poursuivit :

    — Je sais que vous voulez me libérer de mes doutes, mais c’est impossible. Soyez franc avec moi, Sturm : ce que j'ai fait pour préserver la tranquillité du royaume et la paix avec Didier et le Saint-Père de Rome, était-ce à tort ? était-ce mal ?

    Sturm réfléchit un instant puis secoua la tête.

    — Ni mal ni mauvais, Votre Majesté. Didier n’a pas tenu sa parole et a fait pression sur le Saint-Père et...

    Sturm fit une pause, puis reprit fermement :

    — Et une mère a sous-estimé son fils.

    — En d'autres termes, je me suis trompée, conclut Bertrade.

    — Si vous aviez agi différemment, le royaume se serait divisé et des batailles s’en seraient ensuivies. Didier était fort, allié au duc de Bavière, et le pape était indécis. Vous avez fait ce qui était bien, ce qui était bon. Il n'y a pas de honte à ignorer ce que l'avenir nous réserve. Qui sur cette terre connaît l’avenir ?

    — Vous voulez me réconforter, je sais, mais quand même, j'aurais dû mieux comprendre mon fils. C'est presque comme si la malédiction mérovingienne tombait aussi sur ma famille. Cette sensualité moque même la dignité royale, et la mort de Carloman...

    La voix de Bertrade s'éteignit dans le silence.

    — Le jeune roi joue avec les rois, les chevaliers et les femmes. Il ne connait rien à la gouvernance ni à la guerre. Et pourtant, il cavale bêtement partout, interrompit Itherius, irrité.

    Il s’arrêta au milieu de sa phrase, et s’ajusta légèrement sur sa chaise alors que Sturm le fixait du regard.

    — Chasser Himiltrude était de son devoir de roi. Elle avait peut-être été sa compagne d'enfance et la mère de Pépin, mais elle n'est pas reine, argumenta Sturm.

    — C'est vrai, mais c’était indigne d’un homme d'État de répudier la fille de Didier et de faire annuler leur mariage. Et maintenant, parce que le pape n’a pas dissous le mariage, le roi lombard est devenu un ennemi mortel, protesta Itherius, assis sur le bout de son siège. Charles ne se soucie pas des conséquences de ses actes. En répudiant Désirée, il a aussi brisé la loi de Dieu. Et il a fait de cette Souabe Hildegarde sa femme, et pendant qu’elle porte son premier-né, il gambade et couche avec cette Gerwinde. Bientôt elle sera grosse aussi...

    La reine mit court à la diatribe d’Itherius :

    — Je suis aux prises avec ce péché et la culpabilité. C’est moi qui lui ai imposé la fille affreuse de Didier. Mais je devais le faire pour essayer de préserver le royaume, pour maintenir la paix. Et Charles n'est pas du genre à sauver les apparences.

    — J'ai peut-être été loin de la cour, mais je n'étais pas tout à fait sans nouvelles, commença Sturm, les obligeant à le regarder.

    Il poursuivit avec fermeté : lorsque vous êtes éloigné des événements quotidiens, ils sont plus clairs et vous pouvez faire le tri entre ce qui est important et futile. Charles a bien fait de renvoyer Désirée à son père. Elle n’était pas faite pour lui, et leur union n'aurait pas nécessairement garanti l'amitié des Lombards et leur fidélité aux traités. Aurait-il dû plutôt la laisser devenir une entrave pour lui ? Cet homme, si débordant de vie, devrait-il être obligé de vivre une imposture pour sauver les apparences ? Non, c'était bien une décision sage et saine.

    — Des paroles étranges venant de l'abbé de Fulda ! Le mariage n’est-il donc pas sacré pour vous ? railla Itherius, se redressant sur son siège.

    Sturm fixa l’ancien du regard et répondit fermement :

    — En tant qu’abbé de Fulda, je célèbre le saint sacrement du mariage. Je suis conscient que Charles est aux prises avec le péché et la culpabilité, et que son amour pour les femmes obscurcit ​​son jugement. Mais je sais aussi que notre Seigneur Jésus-Christ est mort sur la Croix pour purifier de la culpabilité et du péché ceux qui le servent et servent la sainte Église. Quand Charles prendra l'épée que Dieu lui a donnée et combattra les païens, quand il vaincra les Saxons tenaces et les fera se convertir, Dieu lui pardonnera ses péchés et ses jouissances, car il n'est qu'un homme.

    — Même lorsque la mort... se mit à contester Itherius. Mais il s'arrêta et regarda la reine.

    Bertrade se pencha en avant, fixant Sturm du regard. Ignorant la remarque de Itherius, elle insista :

    — Toute culpabilité, même celle de la mort de Carloman ?

    — Si Charles est coupable de la mort de son frère, ce dont je doute, alors le Christ notre Seigneur l’absoudra, s’il combat les païens au nom de la sainte Église.

    — Vous ne croyez pas qu'il soit coupable ? interrogea la reine, étonnée.

    — Non, Votre Majesté. Ce ne sont que des rumeurs, des ragots que des individus sans racines chuchotent par ennui et ignorance. Cela n’a pas de poids.

    — Pourtant, Charles était prêt à faire la guerre contre Carloman, son propre frère, pour l'amour du ciel ! C'est pourquoi d'autres croient que le roi est coupable, pas seulement les gens errant dans les rues, déclara Itherius avec fermeté.

    — Qui êtes-vous pour juger, Itherius ? Avez-vous la preuve de sa culpabilité, de son implication ? N'est-ce pas assez pour vous qu’une guerre entre frères nous ait été épargnée, que Charles ait uni le royaume ?

    — Alors pourquoi poursuit-il Gerberge et ses fils ? contesta Itherius.

    — Gerberge ne s'est pas mise sous sa protection, ni ses fils, les neveux-mêmes de Charles, comme elle aurait pu le faire. En fuyant avec eux au-delà des Alpes sur le mauvais conseil de Didier et d’Otker, elle les a tous transformés en pions dans le jeu politique du roi lombard.

    — Cela parait si différent quand vous le dites de cette façon, Sturm, se lamenta la reine. Je suis entourée de tant de confusion et de doute, mon ami. Vous me réconfortez et vous me donnez de l'espoir dans les actions de Charles.

    Itherius prit la parole, la voix assombrie par le doute :

    — Et si Charles dirigeait l’armée qu’il a assemblée ici, contre les Lombards, au lieu de marcher contre les païens ? Que ferons-nous s’il a l'intention de faire tomber son épée sur les chrétiens au lieu des païens comme le désire le Saint-Père lui-même ?

    — L’ordre que nous avons reçu à Fulda était de préparer des provisions pour trois mois. N’est-ce pas un signe suffisant qu’il ne s’agira que d'une courte campagne d'été ? Charles nous a demandé de nous rassembler ici, plutôt qu'à Genève ou près de la frontière des Alpes. Pourquoi ferait-il une chose pareille s'il préparait une guerre contre les Lombards ? À moins que vous ne souhaitiez une telle guerre vous-même ? répliqua Sturm avec âpreté. Le roi est peut-être jeune, mais il n'est ni stupide ni sans conseiller. Il ne serait pas assez stupide pour diriger les troupes et les notables du royaume jadis commandés par Carloman contre sa veuve et leurs fils. Je dis que nous devrions attendre et voir ce qu'il a l’intention de faire. Et puis si nécessaire, nous l'aiderons à choisir la bonne voie.

    — Aider quelqu'un qui refuse toute aide déjà offerte, si plein de lui-même qu’il pense qu’en dépit de son jeune âge, il possède l'expérience et la sagesse d'un ancien, ajouta Itherius avec moquerie.

    La reine leva de nouveau la main pour faire taire les deux hommes. Elle déclara :

    — C’est comme le dit Itherius : Charles ne demandera pas d'aide. Il a rejeté mon avis et celui de son entourage. Mais vous pouvez essayer si vous le voulez, Sturm, vos paroles ont toujours eu du poids pour ce garçon. Mais il nous a mis à l'écart du jeu, parce que nous avons fait obstacle à ses désirs. Chaque notable de son royaume n'est qu'un pion sur l’échiquier de sa gouvernance, qu’il peut déplacer à son gré. Je sais que vous avez de bonnes intentions, mon ami. Mais tant que ses mains ne seront pas ensanglantées par la bataille, il en aura soif. J'espère seulement que les pertes seront minimes pour les Francs, et qu’il apprendra vite sa leçon.

    Itherius et la reine sont tous deux de bons politiciens, mais ils connaissent peu de choses à la guerre, pensa Sturm en se levant pour reposer son gobelet sur le plateau. En vétéran qu'il était, Sturm pouvait deviner l'objectif de l'ordre reçu. La campagne ne pouvait que viser les Saxons, puisque de Worms, on pouvait facilement atteindre la frontière du nord en quelques jours.

    Il se tourna vers les occupants de la pièce, puis s’inclina devant la reine.

    — Ma dame Reine, permettez-moi de vous quitter, je vous prie, il est temps que je rejoigne les autres cavaliers.

    — Certes, Sturm, car je vous ai retenu de vos fonctions assez longtemps. Adelaïde, s'il vous plaît, reconduisez l'abbé à la porte.

    La vieille fille se leva à nouveau de sa chaise pour l'accompagner.

    2

    STURM FRANCHIT LES PORTES DU CHÂTEAU. Il respira profondément l'air frais, en attendant que le page lui amène son cheval. Le jeune homme se hâta vers lui avec son fidèle coursier, tout en laissant à l'abbé le temps de réfléchir au moment qu'il venait de passer avec la reine et son conseiller.

    L’évaluation de Bertrade était juste. Le jeune roi Charles était loin de l'enfant qu’il avait été. Jeune prince, il avait cherché conseil auprès de lui et de bien d'autres. Facile à vivre, toujours prêt à apprendre et à jouer, il avait capturé beaucoup de cœurs, étant l'ami de tout le monde et venant en aide à tous.

    Mais c’était avant que la couronne ne soit placée sur sa tête. Depuis, l'homme s’était réveillé en lui : celui qui planifiait avec un but, qui était vigoureux et prenait des décisions rapides. Il était infatigable à la chasse, à la pratique des armes et sur le terrain, à la poursuite de ses ennemis. Aucun danger ne semblait trop grand pour son courage inébranlable. Ce jeune roi surmontait la faim et la soif. Il était imbattable au combat et ennemi impitoyable. Il pouvait être silencieux si nécessaire, mais il avait aussi l’esprit noble et une attitude simple, presque comme un paysan franc, tout en restant le roi.

    L'instrument de Dieu, pensa Sturm, un outil étrange, appelé pourtant à régner à une telle époque.

    Le jeune page arriva enfin avec son cheval. Il le tint pour aider l'abbé à monter. La cotte de maille pesante et encombrante exigea un plus grand effort de l'homme lourd. Il réussit finalement à se hisser sur la solide monture. Il remercia le jeune homme de son aide, puis tourna son cheval vers le portail et le poussa au trot.

    L'abbé s'arrêta un instant sur les remparts du château et respira profondément l'air frais venant des champs et des forêts. Devant la petite ville, un peu à l'ouest de ses maisons en pierre, s’étirait le Champ de mai où les comtes et les seigneurs de l'empire franc, appelés par le roi à combattre, avaient érigé leur camp.

    Des fanions colorés flottaient au vent. Les recrues de chaque comte et seigneur étaient rassemblées en factions. Itherius avait eu raison de penser que l'armée n’était pas unie.

    En arrivant, il avait semblé préférable de choisir un emplacement pour installer le camp, mais du château, on pouvait clairement voir que les hommes étaient divisés.

    Sturm poussa de nouveau son cheval au trot et se dirigea vers ses compagnons. Une odeur de fumée, de viandes grillées et de pain fraîchement cuit au four remplit l'air. Il s'approcha du camp. On entendait le cliquetis répétitif de marteaux sur le fer. Les forgerons et les ferronniers fabriquaient des armures pour ceux qui en avaient besoin.

    Avec l'afflux soudain de personnes dans la région, les marchands et les commerçants de la ville avaient profité au mieux de l'occasion. Beaucoup d'entre eux s'étaient installés à proximité du camp et étaient à pied d'œuvre. Ils vendaient leurs marchandises ou réparaient de l'équipement endommagé ou cassé.

    Le bruit et les conversations augmentèrent de volume. L'abbé ralentit son cheval au pas. Les gens s’écartaient pour le laisser passer. À l'occasion, il entendait tel ou tel guerrier chuchoter aux autres :

    — L'abbé de Fulda, un puissant champion du Seigneur !

    Il secoua simplement la tête. Ecclésiastique, il était pourtant aussi humain qu’eux. Son seul avantage était son expérience au combat. Mais il n’était plus au printemps de la vie et n'était plus aussi agile que les jeunes chevaliers.

    Il regarda les marchandises sur les étales : des étriers, des éperons savamment incrustés d'argent pour tenter tout chevalier ou noble ; des selles, toutes sortes de harnais, et assez de fruits et de pains frais, attachés à des perches, pour tenter même le plus frugal.

    Des guerriers et des chevaliers de domaines auparavant opposés se bousculaient et plaisantaient, testant leurs compétences avec les armes ou les chevaux. Des foules se formaient autour de ces chamailleries pour échanger des opinions animées sur ceux qu'elles jugeaient les meilleurs. L’atmosphère ressemblait plus à celle d'un tournoi qu’à la préparation à la guerre.

    On lançait et on acceptait des défis, on montrait ses aptitudes, à la grande joie des femmes et des enfants émerveillés par ​​leurs héros. Sturm arrêta son cheval et regarda deux adversaires en lutte. Les deux étaient en excellente forme. Chacun anticipait les mouvements de l'autre, manifestant les habiletés nécessaires à la bataille.

    Sturm incita son cheval à avancer. Il souhaitait se rendre à la forge. Son cheval avait besoin de fers, et certains de ses frères devaient faire réparer leur armure ou leur l'équipement. Il chercha du regard les groupes se formant ça et là. Il y vit des nobles, cherchant à acheter des haches ou des épées pour leurs guerriers. On marchandait sur les prix avec entrain, et beaucoup retournaient dans leurs tentes avec leurs achats. Des soldats et des serviteurs étaient assis à des tables en bois brut. Certains levaient des chopes alors que d'autres, à la cuillère, buvaient leur bouillon dans des bols en terre. Les cris aigus des femmes étreintes par de rudes hommes se mélangeaient au beuglement des ivrognes.

    Il entendait plus d’un cri grossier ou moqueur, des jurons grivois et des plaisanteries de mauvais goût, mais son visage ne montrait aucune émotion. Il avança lentement dans la foule.

    Sturm arrêta son cheval et jeta un coup d’œil à la boue sous les pattes de la bête. Il décida qu'il valait mieux rester à cheval. Un apprenti forgeron s'approcha de lui pour prendre sa monture. Il secoua la tête, tandis que le jeune homme allait se saisir des rênes.

    — Où est ton maître ? demanda-t-il au jeune homme.

    Ce dernier montra du doigt un homme imposant.

    — Appelle-le, s'il te plaît.

    Le garçon fit oui de la tête et se dirigea vers l'homme, qui regarda d'abord le garçon puis l'abbé. Il leva la main en guise de salutation avant de s’avancer vers lui.

    — Père Sturm ! salua l'homme chaleureusement, une fois arrivé assez près pour se faire entendre par-dessus la foule.

    — Philippe ! répondit Sturm aussi chaleureusement. J'aurais dû savoir que vous étiez là.

    — Le roi nous a demandé d’avancer avec l'artillerie. La plupart de mes hommes sont capables de brandir une épée, si nécessaire.

    — Je suis sûr qu’il s’intéresse plus à leurs dons de forgeron qu’à leur combat.

    — Oui, ça se peut bien. Mais ça leur fera pas de mal de s’ensanglanter les mains dans la bataille. Alors mon père, qu’est-ce que je peux faire pour vous aujourd’hui ?

    — Vous allez voir que l'armure de certains de mes hommes a besoin d’être réparée et renforcée. Alors si vous voulez bien, amenez avec vous un ou deux de vos assistants. Je vous invite à vous joindre à nous pour le dîner.

    — Merci, je vais vous en envoyer, hocha fermement de la tête l’homme robuste, avant de s’éloigner.

    Sturm poursuivit sa route. Il arriva devant une foule dense de spectateurs, qui le forcèrent à freiner sa monture. Il se leva sur sa selle pour regarder par-dessus la foule, curieux de la raison de leur rassemblement.

    Son regard se posa sur la forme étrange d'un homme, assis sur une souche. Il était presque incroyablement mince et grand, le visage étroit, noble, dominé par un puissant nez busqué. Ses yeux gris avaient l’air moqueur. Ses lèvres, sévères et minces, étaient à moitié cachées sous une moustache blonde tombante. Ses longs cheveux blonds s’agitaient dans la brise. Il était vêtu d'un justaucorps en cuir, simple, dépourvu de toute décoration, tout comme ses jambières délacées.

    Il tenait dans ses bras une harpe de taille remarquable. Il en pinçait agilement les cordes de ses longs doigts fins et chantait d'une voix douce et sonore qui toucha l'abbé. La chanson était sur Hildebrande obligée, par l’acte de défi de son fils, de tuer son seul descendant. Ce n'était pas un air chrétien que les moines pouvaient chanter, mais les versets durs et familiers, et la force d’exécution du ménestrel émurent profondément Sturm.

    La chanson terminée, l'abbé lança une pièce d'or par-dessus les têtes vers le chanteur, mais la maigre créature l’ignora et la laissa dans l'herbe. Le regard qu'il jeta au clerc était empreint à la fois de fierté et de mépris silencieux.

    Mais avant que Sturm ne puisse réagir avec colère au comportement impertinent de l'homme, des rires et des cris s’élevèrent soudain autour de lui. Il fut dégoûté un instant par la réaction méprisable de la foule, mais réussit à maitriser son humeur quand il regarda dans la même direction qu’elle.

    Secouant la tête, un sourire se forma sur ses lèvres quand il aperçut une grosse boule de fourrure s’approcher du groupe. De loin, on ne pouvait voir que des jambes trapues. C’est seulement quand l'homme arriva assez proche que l’on put faire la distinction entre le marchand et ses fourrures.

    — Fourrures, peaux ! Achetez mes belles fourrures ! Loup, lièvre ou renard ! Loutre et martre, même notre Roi Charles n’en a pas de meilleures ! Fourrures ! Peaux ! Achetez mes belles fourrures !

    La voix profonde de l'homme était inattendue, vu sa petite taille rondelette. Mais l'abbé la connaissait très bien.

    — Dis-moi, marchand, pourquoi j’aurais besoin de peaux pour une campagne d'été ? lança l'un des soldats d’un air moqueur. Je pourrais pas la porter pendant la bataille.

    — Ah, mon bon monsieur ! Elles sont pas seulement pour porter, mais pour vous faire un bon lit.

    — Un bon lit, hein ? Je vais avoir tellement chaud en été sous tes peaux que mes os vont fondre. Et j'ai pas besoin de finir en petit ventru comme toi, je pourrais plus brandir mon épée.

    Le marchand plissa légèrement ses petits yeux larmoyants, tout en parcourant la foule d’un regard rapide et malicieux. Une fois que son regard tomba sur l'abbé, il écarquilla à nouveau les yeux, mais répondit à l'homme :

    — Mon pauvre idiot, le froid de l'automne vous saisira avant votre retour !

    L'homme poursuivit son chemin à travers la foule, trainant des pieds sous le poids de ses peaux et  criant :

    — Des peaux ! Ah, les belles peaux ! Mon bon seigneur ! Achetez mes peaux de loutre, de martre, de lièvre et de renard ! Les mêmes que le roi porte !

    Poussé de-ci de-là, l’homme essaya de s’incliner devant l’auguste figure de l’abbé, mais il trébucha et roula à terre, au grand amusement de la foule. Cependant, avec une rapidité surprenante, il se remit debout sur ses courtes jambes, ses fourrures ayant à peine bougé.

    Sturm étouffa l'envie de se joindre au rire, alors que Frère Franciscus, le plus adroit et le plus animé de tous ses moines, se frayait soigneusement un chemin vers lui. Affectueusement connu des frères sous le nom de Frère Bedaine, auquel la cuisine du monastère devait fournir des rations supplémentaires, il semblait avoir encore grossi en son absence. C’était un homme astucieux qui savait jouer son rôle à la perfection. C’est pourquoi Sturm l'avait envoyé vers le nord, au pays des Saxons.

    — Les peaux, les belles peaux ! Grand seigneur, la sainte Église est riche. Achetez mes peaux de loutre et de martre ! Vous pouvez vous le permettre, très honorable abbé, même si vous ne prenez qu’un dixième de mes fourrures comme dîme !

    Les spectateurs récompensèrent ses paroles d’une autre série de rires bruyants.

    Jouant avec le sarcasme, Sturm examina d’abord les peaux offertes, puis lui dit :

    — Ce que l'homme a dit est vrai, je ne pourrai pas me servir de si belles peaux pendant la guerre.

    Frère Franciscus était sur ​​le point de prendre la parole. Sturm reprit :

    — Mais le monastère pourrait utiliser de nouvelles peaux ; apporte donc un dixième de ton stock sous ma tente, et tu recevras le double en or.

    — Merci grand seigneur, je vous les livrerai à votre tente.

    Sur ce, Sturm éloigna son cheval de la foule et, au lieu de se diriger directement vers le campement de ses frères, il s’avança vers celui du roi.

    Les tentes rayées de rouge, de jaune et de bleu brillaient au soleil couchant. Contrairement à l’arrangement désordonné des commerçants, des artisans et des ouvriers, le campement du roi témoignait de la stricte discipline d'une armée habituée à suivre des ordres. Les recrues de chacun des domaines royaux avaient leurs zones assignées, avec leurs chariots rangés derrière les tentes.

    Au-delà des tentes, on avait construit à l’aide de poteaux et de cordes des enceintes sommaires pour les chevaux, les vaches et les bœufs. Des hommes armés gardaient les enceintes clôturées. La fumée des feux des sentinelles montait de divers endroits.

    Sturm s’avança dans le camp et

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