Anna braillé ène shot
By Dor Georges
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Book preview
Anna braillé ène shot - Dor Georges
Georges Dor
Anna braillé ène shot
(Elle a beaucoup pleuré)
Essai sur le langage parlé des Québécois
Table
Prologue
Ah ! moé toé là !
1 Que ch’te oueille donc ouère !
2 Suis-je ou ne suis-je pas ?
3 In principio erat verbum
4 Dinzannées soéxante
5 Qui s’instruit s’enrichit
6 La charrue avant les bœufs…
7 — Ch’t’assez tanné ! — Moé avec. — Quosqu’on fa ? — On fa dur ! — Ma’z’en !
8 Dès leur entrée à l’école, enseignez-leur à parler !
9 La charrue devant les bœufs
10 Le problème, c’est nous
11 La langue de la télé
12 La langue de nos bouffons
Épilogue
Ah ! moé, toé là !
C.P. 60149, succ. Saint-Denis,
Montréal (Québec) H2J 4E1
Téléphone : 514 680-8905
Télécopieur : 514 680-8906
www.michelbrule.com
Maquette de la couverture, mise en page et conversion en ePub : Jimmy Gagné, Studio C1C4
Illustration : Olivier Lasser
Correction : Élaine Parisien
Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.
Première édition, Lanctôt éditeur, 1996
© Georges Dor, Les éditions Michel Brûlé, 2011
Dépôt légal — 2011
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN : 978-2-89485-512-6
Du même auteur
Éternelles saisons, poèmes, Trois-Rivières, chez l’auteur, 1955.
La mémoire innocente, poèmes, Québec, Éditions de l’Aube, 1957.
Portes closes, poèmes, Montréal, Éditions de l’Aube, 1959.
Chante-pleure, poèmes, Montréal, Éditions Atys, 1961.
Poèmes et chansons I, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1968 ;
Montréal, Éditions Leméac-L’Hexagone, 1970.
Je chante-pleure encore, poème, Montréal, Éditions Emmanuel, 1969.
Poèmes et chansons II, Montréal, Éditions Leméac-L’Hexagone, 1971.
Poèmes et chansons III, Montréal, Éditions Leméac-L’Hexagone, 1972.
D’aussi loin que l’amour nous vienne, roman, Montréal, Éditions Leméac, 1974.
Après l’enfance, roman, Montréal, Éditions Leméac, 1975.
Le Québec aux Québécois et le paradis à la fin de vos jours, poèmes,
Montréal, Éditions Leméac-L’Hexagone, 1976.
Si tu savais…, essai biographique sur la chansons, suivi des textes et partitions de 19 chansons, Éditions de l’Homme, Montréal, 1977.
Poèmes et chansons IV, Montréal, Éditions Leméac-L’Hexagone, 1980.
Cinq chansons dans la vie d’un peintre, texte de présentation des œuvres
du peintre Claude Le Sauteur, Montréal, Éditions Art Global, 1981.
Du sang bleu dans les veines, théâtre, Montréal, Éditions Leméac, 1981.
Les Moineau chez les Pinson, théâtre, Montréal, Éditions Leméac, 1982.
Pays de villages, légendes accompagnant les dessins du peintre Pierre Henry, Montréal, Éditions du Trécarré, 1986.
Je vous salue, Marcel-Marie, roman, Montréal,
Éditions Québec\Amérique, 1989.
Il neige, amour…, roman, Montréal, Éditions Québec\Amérique, 1990.
Dolorès, roman, Montréal, Éditions Québec\Amérique, 1992.
Le fils de l’Irlandais, roman, Montréal, Éditions Québec\Amérique, 1995.
Ta mé tu là ?, essai, Montréal, Lanctôt éditeur, 1997.
Les qui qui et les que que ou Le français torturé à la télé, essai,
Montréal, Lanctôt éditeur, 1998.
Chu ben comme chu, essai, Montréal, Lanctôt éditeur, 2001.
« Tout homme qui se tient debout
Est le plus beau des monuments. »
À la mémoire de mon père
et pour l’avenir de mes petits-enfants.
Prologue
Ah ! moé toé là !
J’étais enfant dans mon village quand j’ai entendu pour la première fois cette expression : « Ah ! moé toé là ! » C’était par un beau jour d’automne, peut-être un jour de l’été indien, dans les années trente ; un adolescent, excédé, venait de lancer sur un ton rageur cette locution interjective à un copain qui l’agaçait depuis un bon moment, dans la cour de récréation de la petite école de Saint-Germain-de-Grantham.
Sans le savoir alors, je venais d’apprendre la quintessence du langage canadien-français, de ma langue maternelle, c’est-à-dire non seulement la langue de ma mère, mais celle que j’entendais autour de moi, rumeur familière et enveloppante tissant la toile d’araignée dont nul n’arrive ensuite à se dépêtrer totalement : le parler des mononques et des matantes, des grands-pères et des grands-mères, des voisins et voisines, celui aussi des compagnons de jeu, langage qui nous habite ensuite jusque dans les replis de l’âme.
Malgré les efforts que j’ai faits tout au long de ma vie pour apprendre à parler convenablement, à exprimer aussi clairement que possible une idée, je bafouille toujours, moi aussi, et je m’empêtre ; construire verbalement une phrase correcte reste pour moi un travail, et non une chose naturelle.
Car je porte en moi et me souviens encore des mots entendus dans mon tout jeune âge. Comment oublier les tournures de phrase acrobatiques, les approximations, l’inarticulation et le balbutiement qui ont bercé notre enfance, surtout si elle a été enchantée comme la mienne ? J’entends toujours les sons : Anna… inna… a m’a… y m’a… y va… a va… toé tou… moé tou… itou… quossé tu dis ?… quosqu’a fa là ?… quosse tu fas icite toé?… quosqu’a veut, elle ?… quosqu’a chante là ?… ouin ben de même… chu ben moé tou… chu t’assez content… enoueille, enoueille… su’l’voisin… j’ara donc dû… en té cas… ou bedon… Ah ! toé mèque ch’t’attrape… et ainsi de suite.
Tous ne parlaient pas aussi mal, mais l’ensemble de la langue familière était bien ce magma d’expressions confuses, de mots tronqués et marmonnés que j’entends encore chaque jour. Peut-être tout cela était-il un peu plus doux, plus pudique que maintenant, car c’était en d’autre temps, à la campagne ; les êtres étaient plus naïfs, moins arrogants, moins prétentieux et moins vulgaires, il me semble. Mais ils avaient tout autant de mal à s’exprimer.
Le Petit Robert donne la définition suivante du mot interjection : « Mot invariable pouvant être employé isolément pour traduire une attitude affective du sujet parlant. »
Cette simple définition de l’interjection me semble illustrer parfaitement l’histoire de mon peuple et celle de son langage, qui se confondent étrangement. J’ai déjà écrit que nous étions des « conquis contents ». La langue déglinguée que nous parlons le prouve abondamment.
Inque à ouère on oué ben.
Je prie d’abord les intellectuels québécois de bien vouloir comprendre que mes observations ne les concernent évidemment pas, eux, phénix des hôtes de ces bois. Non, étant un démocrate, je parlerai ici du peuple, dont mon père était et dont je suis, des serfs attachés à la glèbe de leur ignorance, de la masse, de la majorité qui élit les députés et ministres, du premier au dernier, au provincial et au fédéral. (Le langage de l’actuel premier ministre du Canada, Jean Chrétien, illustre assez bien ce dont je vais vous entretenir.) Et si, parmi ceux qu’on appelle le « monde ordinaire »,
quelques-uns devaient me lire, qu’ils ne prennent pas mes observations en mauvaise part ; qu’ils ne croient surtout pas que je veux leur servir une leçon et qu’ils n’imaginent pas non plus que je me soustrais à mes propres conclusions ni que je me moque ou me crois supérieur à eux.
Je ne me soustrais ni ne m’abstrais d’eux, car je suis du peuple moi aussi ; mais ayant passé depuis déjà un bon moment la soixantaine, je ne veux plus m’abstenir de dire à quel point je suis triste, pour moi et pour eux, de notre pauvreté de langage, de notre indigence même en ce domaine.
Su quel bord que té ? Chu su c’bord-là.
Une infinie tristesse m’incite à écrire ce livre. Une grande lassitude aussi, celle d’entendre sans cesse bredouiller et mâchonner une langue informe, invertébrée, dérivé incompréhensible de la langue française. Je ne suis pas sûr que des gens du peuple ne regrettent pas eux-mêmes, de temps à autre, cette pauvreté-là. Je suis certain, en tout cas, qu’ils en souffrent, consciemment ou non, et je voudrais faire une ou deux suggestions susceptibles d’aider à l’amélioration de notre langue parlée. Je ne serais d’ailleurs pas étonné qu’à la question « T’sé veux dire ? » si quelqu’un répondait « Non », il
s’entendrait rétorquer : « Moé non plus ! »
Mais revenons à la définition du Petit Robert de l’interjection : « Mot invariable pouvant être employé isolément pour traduire une attitude affective du sujet parlant. »
Cela ne définit-il pas les Québécois que nous sommes devenus ? N’avons-nous pas été historiquement assez « invariables » et assez « isolés », limités dans notre existence et dans notre langage au labeur quotidien, à la chose quotidienne, au nécessaire et aux nécessités ?
— Passe-moé l’pain.
— Oùsque tu vas ?
— Farme la porte !
— M’a g’y aller t’à l’heure.
— A veut pu me ouère.
N’avons-nous pas été assez emprisonnés dans nos « attitudes affectives » de sujets parlants, utilisant des verbes boiteux, des adjectifs aveugles et des compléments muets, et n’est-ce pas cela que révèle en fin de compte notre langue coutumière, aussi bien dans ses structures bâtardes que dans son