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ENCYCLOPEDIE:
ou
DICTIONNAIRE RAISONNE
DES SCIENCES,
DES ARTS ET DES METIERS;
PAR UNE SOCIETE DE GENS DE LETTRES.
Mis en ordre & publié par M, DIDEROT; & quant a la
Partie MatHfmatique , parM. DALEMBERT.
Tantiim feriesjunéturaque pollet ,
Tantian de medio fumptis accedit honoris! Honants
fdition exactement conforme a celle de PELLET, in-quarto:
TOME PREMIER.
A LAUSANNE ET A BERNE;
Chez les Socititks TypoGRAPHIQUES
M DCC. LXXXILA CAG A883DiscouRs
PRELIMINAIRE
DES EDIZEURS.
PENCYCLOPEDIE que nous préfentons au Public, eft, comme for
“ titre Pannonce , ’'Ouvrage d’une focieté de gens de Lettres. Nous
ctoirions pouvoir affurer , fi nous n’étions pas du nombre, qu’ils font
tous avantageufement connus, ou dignes de I'étre. Mais fans vouloir
pfévenir un jugement qu’it n’appartient qu’aux favans de porter, il eft
au moins de notre devoir d’écarter avant toutes chofes objection la
plus capable de nuire au fuccés d'une fi grande entreprife. Nous décla.
rons donc que nous n’avons point eu la témérité de nous charger feuls
d'un poids ii, fupérieur & nos forces, & que notre fonction d’Editeurs
confifte principalement a mettre en ordre des matériaux dont la partie
Ja plus confidérable nous a été enti¢rement fournie. Nous avions fait
expreffément la méme déclaration dans le corps du Profpedus ; mais
elle auroit peut-étre di fe trouver ala téte. Par cette precaution, nous
eu(lions apparemment répondu d’avance 4 une foule de gens du monde ,
& méme a quelques gens de Lettres, qui nous ont demandé comment
deux perfonnes pouvoient traiter de toutes les fciences & de tous les
arts, & qui néanimoins avoient jeté fans doute les yeux fur le Profpedtus,
puifqu’ils ont bien voulu I’honorer de leurs éloges. Ainfi, le feul moyen
dempéther fans retour leur objection de reparoitre , c’eft d’employer,
comme nous faifons ick, les premieres lignes de notre Ouvrage a la
détruire. Ce début eft donc uniquement deftiné a ceux de nos lecteurs
qui ne jugeront pas a propos d’aller plus loin : nous devons aux autres
un détail beaucoup plus étendu fur l’exécution de 'ENCYCLOPEDIE :
ils le trouveront dans la fuite de ce Difcours, aveclesnoms de chacun
de nos collegues; mais ce detail fi important par fa nature & par famae
tiere , demande & étre précédé de quelques réflexions philofophiques.
L’oUVRAGE dont nons donnons aujourd’hui le premier volume, a
deux objets: comme Encyclopédie , il doit expofer , autant qu’il eft
poffible , ordre & l’enchainement des connoiflances humaines :-com-
me Dictionnaire raifonnd des Sciences , des Arts ۤ des Metiers , il doit
| contenir fur chaque fclence & fur chaque art , foit libéral , foic mécha-
| nique, les principes généraux qui en font la bafe, & les détails les plus
| effentiels quien font le corps.& la fubftance. Ces deux points de vues
‘ Tome I. aP DIscOuRS PRELIMINAIRE
@ Encyclopédie & de Diétionnaire raifonné., formeront donc le plant
& la divifion de notre Difcours préliminaire. Nous allons les envifage’
Jes fuivre l'un aprés l'autre , & rendre compte des moyens par lefquels
on a taché de fatisfaire 4 ce double objet.
Pour peu’ qu’on ait réfiéchi fur la liaifon que: les découvertes ont
entrelles, il eft facile de s’appercevoir que les fciences & les arts fe
prétent miutuellement des fecours, & qu'il y a par conféquent une
chaine qui les unit. Mais s’il eft fouvent difficile de réduire a un petit
nombre de regles ou de notions générales, chaque fcience on chaque ~
art en particulier, il ne l’eft pas moins de renfermer en un fyftéme qui
foit un, les branches infiniment varices de la fcience humaine.
Le premier pas que nous ayions 4 faire dans cette recherche, ef
dexaminer, qu’on nous permette ce terme, la généalogie & Ia filiae
tion de nos connoiffances, les caufes qui ont di les faire naitre , & les
caracteres qui les diftinguent; en unmot, de remonter jufqu’a Porigine
& a la génération de nos idées. Indépendamment des fecours que nous
tirerons de cet examen, pour l’énumeration encyclopédique des {cien-
ces & des arts; il ne fauroit étre déplacé & Ja téte d’un Ouvrage tel que
celui-ci.
On peut divifer toutes nos connoiffances en directes & en réfiéchies.
Les directes font celles que nous recevons immédiatement fans aucune
operation de notre volonté, qui trouvant ouvertes, fi. on peut parler
ainfi, toutes les portes de notre ame, y entrent fans réfiftance & fans
effort. Les connoiffances réfiéchies font celles que l’efprit acqniert en
operant fur les directes , en les uniffant & en les combinant.
Toutes nos connoiffances directes fe réduifent a celles que nous re«
cevons pat les fens; d’ou il s’enfuit que c’eft a nos fenfations que nous
devons toutes’nos idées. Ce principe des premiers philofophes a été
Jong-tems regardé comme un axiome par les Scholaftiques; pour qu’ils
Jui fiffent cet honneur, il fuffifoic qu'il fat ancien, & ils auroient defen-
du avec Ia méme chaleur les formes {ubftantielles ou les qualités occul-
tes. Aufli cette vérité fut-elle traitée a la renaiflance de la philofophie ,
comme les opinions abfurdes dont on auroit dé la diftinguer; on la
profcrivit avec elles, parce que rien n’eft fi dangereux pour le vrai, &
ne Pexpofe tant 4 étre méconnu, que Falliage ou le voifinage de ler-
reur. Le fyftéme des idées innées , féduifant a plufieurs égards, & plus
frappant peut-étre parce qu’il étoit moins connu , a fuccedé a l'axiome
des Scholaftiques; & aprés avoir long-tems régné , il conferve encore
quelques partifans; tant la vérité a de peine a reprendre fa place,
quand les préjugés ou le fophifine l'en ont chaffée. Enfin depuis affez
peu de tems on convient prefque généralement que les anciens avoient
raifon; & ce n’eft pas la feule queltion fur laquelle nous commengons
A nous rapprocher d’eux.
| Rien weft plus inconteftable que l’exiftence de nos fenfations; ainft
| four prouver qu’elles font le principe de toutes nos connoiflances, il
' fuffic de démonteer qu’elles peuvent l’étres car en bonne philofophic ,DES EDITEURE ay
tute dédudtion quia pour bafe des faits ou des vétités reconttes , ef
préferable a ce qui n’eft appuyé que fur deshypothefes, méme ingé«
higufes.
Pourquoi fuppofer que nous ayions d’avance des notions puremeng
intelletuelles, fi nous n’avons befoin pour les formet , que de réfice
chir fur nos fenfations? Le detail ot nous allons entrer, fera voir que
tes notions n’ont point en effet d’autre origine.
La premiere chofe que nos fenfations nous apptennent , & qui méme
ren eft pas dittinguée, c’eft notre exiftence; d’ott il s’enfuit que nos
premieres idées réfléchies doivent tomber fur nous, ceft-a-dire , fur
ce principe penfant qui conftitue notre nature, & qui n’eft point difféa
rent de nous-mémes. La feconde connoillance que nous devons a nos
fenfations , eft Pexittence des objets extérieurs, parmi lefquels notre
Propre corps doit étre compris , puifqu’il nous eft, pourainfi dire, exe
térieur, méme avant que nous ayions démélé la natute du principe
qui penfe en nous. Ces objets innombrables produifent fur nous un effet
fi puiffant, fi continu, & qui nous unit tellement a eux , qu’aprés un
premier inftant of nos idées réfléchies nous rappellent en nous-mémes,
, nous fommes forces d’en fortir par les fenfations qui nous alliegent de
toutes parts , & qui.nous arrachent a la folitude ou nous refterions fans
J elle. La multiplicité de ces fenfations , accord que nous remarquons
/ dais Teur temoignage , les nuances que nous y obfervons , les affections
nvolontaires qu’elles nous font éprouver , compazées avec la détermis
nation volontaire qui préfide @ nos idées réfléchies , & qui n’opere que
fur nos fenfattons mémes; tout cela forme en nous un penchant infurs
montable 4 affurer V'exiftence des objets auxquels hous rapportons ces
fenfations, & qui nous paroiffent en étre la caufe: penchant que bien
..des philofophes ont regardé comme l’ouvrage d’un Etre fuperieur , &
comme argument le plus convaincant de Pexiftence de ces objets, En}
effet, n’y ayant aucun rapport entre chaque fenfation & l’objet qui l'ova
éafionne, ou du moins augquel nous la rapportons, il ne paroit pas qu’on,
uiffe trouver , par le raifonnement, de paffage poffible de Puna Pautrey
il n’y a qu'une efpece d'inftind., plus far que Ja raifon méme, qui puilfe
nous forcera franchit un fi grand intervalle; & cet infting eft fi vif en
nous, que quand on fuppoferoit pour un moment qu'il fubfiftat, pens
ganc que les objets extérieurs feroient anéantis , ces mémes objets res
produits tout-a-coup ne pourroient augmenter fa force. Jugeons dong
fans balancer, que nos fenfations ont en effet hors de nous ta cavfe que
nous leur fuppofons, puifque l'effet qui peut réfulter de Vexiftence
réelle de cette caufe, ne fauroit différer en aucune maniere de cclut
que nous éprouvons; & n’imitons point ces philofophes dont parle
Montagne , qui, interrogés fur le principe des actions humaines , cher!
Lchkent encore s'il y a des hommes. Loin de vouloir répandre des nua-
ges fur une vérité reconnue des Sceptiques mémes lorfqu’ils ne difpu«
tent pas, laiffons aux Métaphyficiens éclairés le foin d’en développer
Te principe : eft & eux a déterminer, s'il eft polfible, quelle grada
aij