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INTRODUCTION 4

Dans quelle mesure la presse féminine maghrébine met-


elle en lumière la condition discriminatoire des femmes
dans ces pays ?

Partie 1 : Etre une femme au Maghreb 6

I- Coutumes et droit islamique 7


a) Les codes fondateurs de la condition féminine 7
b) Islam et perpétuation des traditions 9

II- Participer à la vie économique et culturelle 12


a) Les femmes sur le marché de l’emploi 12
b) Des responsabilités à l’échelle nationale 13

III- L’éternel combat 15


a) Féminisme et prise de parole 15
b) Des avancées conséquentes 17

Partie 2 : Comment s’adapte la presse ? 20

I- Les titres fondateurs 21


a) Les débuts dans la presse écrite 21
b) Fonctionnement du marché 23
c) Contenu : entre tradition et modernisation 26
d) Le lectorat 28

II- Nouveaux supports, nouveau public 31


a) Comment attirer les nouvelles générations 31
b) Des moyens parfois limités 34

III- Le rôle endossé par la presse féminine 36


a) Proximité 36
b) Défense des droits 37
c) Construction de l’image de la femme 38

Partie 3 : Etude de cas 40

De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite


sœur Yasmina (ou comment passer du succès à l’échec ?)

I- Amina : un cas particulier 42


a) Une publication internationale pour un lectorat local 42
b) Le mensuel féminin africain de référence 45

II- Du roman-photo au magazine de proximité 48


a) Une ligne éditoriale reposant sur des bases solides 48
b) Les femmes mises à l’honneur sans militantisme ni artifices 50

III- Yasmina, le “coup d’essai” 52


a) Diversité du lectorat et de ses attentes 52
b) Une prise de parole (trop ?) engagée 54

CONCLUSION 56

Index des titres 58

Sources documentaires et bibliographie 61


4

Il était une fois le marché de l’information. Divisé en de nombreux secteurs, il devait


répondre à certaines règles éthiques afin de constituer une source fiable pour les populations.
Aujourd’hui encore, dans beaucoup de pays, ces règles ne sont pas appliquées. Elles ne sont
pas totalement transgressées non plus. Le classement mondial de la liberté de la presse 2007
par Reporters sans frontières a révélé qu’hormis les 14 pays d’Europe à la tête du classement,
aucun continent n’était épargné par la censure ou la violence à l’égard des journalistes. Et cela
ne touche pas uniquement la presse générale : alors que trop de gens ont tendance à croire que
parmi tous ses artifices, il n’y a pas matière à juger du caractère éthique de la presse féminine,
on oublie qu’elle peut être une véritable source d’information dans les pays où la condition de
la femme est critique.

C’est le cas au Maghreb, où l’égalité hommes-femmes n’est pas acquise même si


nombre d’efforts sont faits dans ce sens, surtout depuis la décolonisation. L’évolution des
mœurs en Tunisie, au Maroc et en Algérie, bien que présentant des similitudes évidentes
(notamment du fait d’une religion commune, l’Islam), n’en est pas au même stade. En outre,
dans la conscience collective, la région apparaît souvent plus proche de l’Europe que du reste
de l’Afrique. Or, c’est ce même continent africain où l’institution de presse est en crise - parce
qu’en retard sur le reste du monde -, qui se bat pour que ses agences ne subissent pas le
formatage informationnel des grandes puissances occidentales. Aucune multinationale de
l’information n’est donc à l’ordre du jour sur le continent. À partir de là, il est facile de se
rendre compte des différences culturelles qui opposent le Nord et le Sud. Dans les pays
colonisés de cette seconde partie de l’hémisphère, la « résistance à l’acculturation
européenne a conforté le rôle traditionnel des femmes qui apparaissait comme le gardien de
l’identité menacée »1. Ainsi, le professeur Samuel Huntington, auteur du Choc des
civilisations, sépare fondamentalement le Maghreb de la France et du reste de l’Occident. En
admettant qu’il ait raison et que la région rejoigne l’ensemble de l’Afrique sur certains points
et ne se laisse pas influencer par les pays les plus développés, il reste indéniable que les liens,
notamment culturels, se multiplient toujours plus entre les deux rives. On parle d’ailleurs
aujourd’hui d’Union pour la Méditerranée (UPM). Et l’exemple de la presse féminine, dont
nombre de titres sont importés, va dans le même sens: c’est en effet grâce au développement
de celle-ci que les Maghrébines se sont vues en grande partie éduquées à la mode. Mais les

1
GOLDMANN Annie. « Entre tradition et modernité », Les combats des femmes (XXe siècle), p.126
5

vêtements ne sont pas forcément indicateurs d’un progrès ; la tendance des marques touche
aussi les femmes voilées, qu’elles le soient par conviction ou non. Or, comme l’a si bien écrit,
en 1975, l’UNFA (Union Nationale de la Femme Algérienne) dans le numéro 44 de sa revue
El djazaïria, il faut « qu’on juge du progrès d’un pays à la condition qui est faite à la
femme ». De fait, à l’époque, la femme se relevait à peine de toutes les idées négatives la
concernant – dues à une mauvaise interprétation du Coran- qui, en se répandant, l’avaient
amputée de nombre de ses droits pourtant reconnus depuis longtemps.

Entre les combats avancés de la femme en Algérie et au Maroc et les acquis menacés à
tout moment de régression en Tunisie, il ne fait aucun doute que la presse féminine nationale
présente certaines spécificités culturelles dans son fond et/ou dans sa forme. La principale
problématique qui se pose alors est la suivante :
Dans quelle mesure cette presse met-elle en lumière la condition discriminatoire de la femme
dans ces pays ?
La seule démarche possible pour tenter d’y répondre, au vu de la quasi-absence de réflexions
structurées dans le domaine, est la démarche de théorisation. Il est donc primordial d’établir,
avant toute réflexion, une présentation structurée des informations sur le contexte,
l’historique, les acteurs, etc. Ma première partie sera donc consacrée à la condition de la
femme au Maghreb : le carcan religieux et moral dans lequel elle vit, le rôle qu’elle occupe
dans l’espace public et les moyens qu’elle se donne pour être l’égal de l’homme dans tous les
domaines. Après avoir fait le tour de la question féminine, c’est à la façon dont s’adaptent les
supports de presse que je m’intéresserai. Avec tout d’abord un point sur les premiers titres
destinés à la femme et le secteur qu’ils ont fait naître, je poursuivrai sur le marché actuel des
magazines féminins et les moyens qu’il met en œuvre pour attirer une nouvelle clientèle, pour
finir avec les divergences de contenu que l’on peut y trouver. Ma troisième partie pourra ainsi
être consacrée à une étude de cas. En comparant deux revues féminines, l’une noire et l’autre
maghrébine, du même fondateur, j’étudierai leurs spécificités afin de mieux comprendre
comment la première peut être un succès auprès de la population qu’elle vise, et la seconde un
échec, et cela en restant au sein d’un même continent, l’Afrique, et de sa diaspora.

Chaque partie apporte des éléments qui viennent construire et/ou appuyer ma
réflexion, permettant ainsi l’analyse d’un sujet qui n’a pas encore reçu, à mon avis, toute
l’attention qu’il méritait.
Être une femme au Maghreb 6

Partie 1

ÊTRE UNE FEMME AU MAGHREB

Le statut des femmes dans les trois pays du Maghreb central (Maroc,
Algérie, Tunisie) est en plein bouleversement. L’émancipation de ces
dernières ne se fait pas au même rythme, d’autant plus que les traditions
sont, de manière quasi-systématique, renforcées par la religion.
Être une femme au Maghreb 7

I- Coutumes et droit islamique

a) Les codes fondateurs de la condition féminine

Le fonctionnement des sociétés maghrébines repose avant tout sur le patriarcat. Aussi,
il n’y a pas si longtemps, les femmes ne sortaient-elles pas de la sphère domestique : leur rôle,
du moins celui socialement valorisé, étant d’assurer une descendance à leur époux, et de
maintenir ainsi la structure familiale. Mudawana au Maroc, Code de la famille en Algérie et
Code du statut personnel en Tunisie, sont autant de textes légiférant sur le droit des femmes à
des degrés plus ou moins avancés.

La Mudawana fait partie des fondements politiques et juridiques de la société


islamique, établis lorsque le prophète Mahomet fonda la première communauté musulmane
qui allait servir de référence durant toute la suite de l’Histoire. Ces fondements se substituent
aux anciennes coutumes du monde arabe et sont toujours en vigueur pour la plupart, après
quelques révisions. Par exemple, la polygamie, interdite en Tunisie et en Algérie, reste
autorisée au Maroc, même si à présent il faut le consentement de la première femme. Il arrive
que certains hommes parviennent à contourner cette loi par des pots-de-vin, mais pour que
l’épouse ne se retrouve pas dans une situation précaire dans ce cas, ou dans celui d’un
divorce, son mari lui remet une dot lors de leur mariage, qui devient dès lors son patrimoine
inaliénable. Par contre, si elle avoue n’être plus vierge, la future mariée verra le montant de sa
dot baisser. Alors que la femme se voit ici considérée comme un être inférieur, Janvier 2004
l’a rendue égale à l’homme en matière de droit, ou presque. En effet, suite au consentement
du roi Mohammed VI, un nouveau code de la famille a pu être adopté par le Parlement. Ce
sont onze points de réforme qui viennent renforcer la convention sur « l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes », signée en 1993. L’Etat marocain avait, à
cette époque, émis des réserves et la convention était loin d’être respectée puisque le code
pénal lui-même prévoyait des sanctions discriminatoires à l’égard des femmes. Aujourd’hui,
ces dernières ne sont plus soumises à l’obéissance envers leur mari, et peuvent demander le
divorce ainsi que la répartition des biens si un contrat a été établi avant le mariage.
Le Code de la famille algérien est le plus récent, puisqu’il a été décrété par
l’Assemblée populaire nationale le 9 juin 1984. Comme pour le Maroc, ce code, qui
Être une femme au Maghreb 8

officialise l’infériorité de la femme, a été révisé le 27 février 2005, faisant ainsi avancer les
droits des Algériennes. Les féministes auraient voulu sa suppression totale, mais c’était
compter sans l’opposition des islamistes et des conservateurs, pour qui les éléments de la
Charia (loi musulmane originelle) qu’inclut ce texte sont immuables. Les amendements ont
pu être apportés « conformément à l’esprit des Droits de l’Homme et de la Charia » (dixit le
président Abdelaziz Bouteflika). En effet, depuis que ceux qui rendaient la justice dans le
monde musulman se sont rendus compte que la Charia ne suffisait pas, il est de coutume de
la faire évoluer selon plusieurs méthodes : la logique, le libre-arbitre, le consensus et le
respect de l’ordre public. Du coup, tandis qu’au Maroc, la femme n’a plus besoin de tuteur
(wali) pour se marier, en Algérie il reste obligatoire, même s’il est choisi par la femme. Pour
Mme Chérifa Kheddar, présidente d’une association féministe, cette réforme « met encore
plus en lumière la condescendance à [leur] égard »1. D’un autre côté, la femme algérienne se
voit supprimer l’interdiction d’épouser un non-musulman, ce qui n’est pas encore d’actualité
chez les Marocains. Pour ce qui est du divorce, du statut du couple et de la répartition des
biens, les deux pays suivent à présent les mêmes règles.
En Tunisie, le Code du statut personnel (CSP) est entré en vigueur le 13 août 1956,
faisant de la femme une citoyenne à part entière, quelques mois après l’indépendance. C’est
ainsi que, grâce à l’ancien président Habib Bourguiba, la répudiation et la polygamie furent
interdites, le divorce légiféré et l’âge minimal pour le mariage fixé. Avant 1956, la seule
législation existante était puisée dans la Charia, « ensemble de lois islamiques tirées du Coran
et des hadith (récits des paroles du prophète) […] et élaborées au cours des deux siècles qui
ont suivi la mort de Mahomet »2. Aussi les dignitaires religieux se sont-ils opposés à certaines
dispositions de ce code contraires au Coran, selon eux. Mais ayant prévu cette réaction,
Bourguiba parvint, après quelques remaniements au sein des experts religieux, à éviter tout
affrontement. Voté avant même la rédaction de la constitution, le CSP donna aux femmes un
meilleur statut que celui des Françaises à la même époque. Par exemple, l’avortement et la
pilule contraceptive ont été autorisés dès 1957. Dès que la constitution fut promulguée, la
femme eut accès à l’éducation au même titre que l’homme. « Contrairement à ses consœurs
occidentales, la femme tunisienne a donc obtenu tout à la fois : l'indépendance de son pays,
l'accès à l'éducation et les droits d'être humain et de citoyenne »3. Depuis, jamais remis en

1
KRISTIANASEN Wendy. Contre le code de la famille, Le Monde diplomatique, avril 2006, p.8
2
COOPER Phillip. La femme tunisienne, Insight Guide : Tunisia, Bibliothèque du voyageur, 2003,
p.73
3
BEN HASSINE Oum Kalthoum. La condition de la femme de la Tunisie indépendante,
www.afkaronline.org, avril 2006
Être une femme au Maghreb 9

cause, le CSP s’est vu renforcé par plusieurs amendements comme la participation de la mère
à la gestion des affaires des enfants, ou son droit à leur transmettre patronyme et nationalité.
Mais le code ne saurait être parfait, avec l’existence de la dot et le problème de la virginité qui
continue de se poser.
Ainsi, seule la Tunisie a réussi à rompre avec les codes issus de l’Islam. Et pourtant,
elle compte parmi les sociétés arabo-islamiques qui ne reconnaissent pas tout à fait l’égalité
en droits des femmes et des hommes. Car même en dehors de la période de colonisation, la
région maghrébine a continué à s’identifier à la communauté musulmane, l’Islam agissant
comme un « ciment social »4.

b) Islam et perpétuation des traditions

Le Coran est La Parole de Dieu transmise aux hommes par le Prophète. La Charia en a
codifié les textes respectifs et c’est sur elle que sont fondées toutes les structures des sociétés
musulmanes. Mais ce sont justement les interprétations traditionnelles des textes qui posent
problème.
L’image de la femme maghrébine que les non musulmans ont en tête est celle d’une
femme soumise, passive et sans droits. Les fondamentalistes, au contraire, la jugent
dangereuse et source de division de la communauté. Ainsi, bien que le Coran considère les
femmes comme des êtres humains à part entière, le discours islamique les réduit à une
fonction, dépendant bien souvent du sexe opposé. Il s’avère par exemple que, d’après la
Charia, est accordée aux hommes la part double d’un héritage par rapport à celle des
femmes. Cette question de « l’égalité entre les sexes renvoie à un débat sur les racines
culturelles du droit et sur le degré d’émancipation de la règle juridique par rapport à la loi
divine »5. Le roi du Maroc étant ainsi à la fois chef d’Etat et chef religieux, il ordonne aux
Musulmanes d’observer les rites islamiques, et prévoit une amende en cas de réfraction. Bref,
entre religion, juridiction et tradition, il y aura toujours des interférences. A titre d’exemple,
un « plan pour l’intégration des femmes dans le développement », fut proposé en 1999 par le
premier ministre Abderrahman Youssoufi. Un débat public s’est alors ouvert et deux camps se
sont formés : les militantes des droits de la femme contre les islamistes et leurs alliés
conservateurs. La contre-manifestation que firent ces derniers à Casablanca, dépassa
largement les effectifs des manifestations de soutien au plan. Dénonçant la pro-

4
HARBI Mohammed. Une vie debout, tome 1, 1945-1962, La découverte, 2001, p.117
5
ROLLINDE Marguerite. Maghreb : quelles stratégies féministes à l’œuvre ?,
http://www.resistingwomen.net, septembre 2007
Être une femme au Maghreb 10

occidentalisation et l’anti-Islam, elle eu pour effet le retrait du projet. Ce dernier, s’opposant à


la Charia, aurait rompu tout consensus social. De fait, la législation marocaine s’inspire
directement de la Charia, avec une lecture à dominance littérale, parce que contrairement à la
Tunisie, le pays n’a pas subi l’influence libérale des Turcs. En Algérie, « la politique
française d’occupation [a] fait se replier sur lui-même le mouvement d’ouverture qui aurait
dû aller dans le même sens que celui de la Tunisie, l’histoire étant presque similaire pour les
deux pays »6.
Concernant le plaisir charnel, le mariage est la seule forme légale et admise par l’Islam
de contrat sexuel ou de cohabitation. D’ailleurs, il demeure le but de l’existence de la femme.
Les versets coraniques condamnent l’union libre et instaurent des prescriptions dans un but
éducatif. Ces règles sont formelles, à tel point que dans un magazine féminin marocain bien
connu, on peut lire le témoignage d’une jeune femme souffrant de problèmes sexuels, qui
s’est vue répondre par sa gynécologue : « ce n’[est] pas bien d’avoir des relations
extraconjugales, […] il valait mieux attendre d’être marié[e] »7. En Algérie aussi, il est
difficile de s’affranchir du carcan moral et religieux: même jeunes, les hommes sont tenus,
lors d’une sortie avec une fille, de tout lui payer, ce qui ne peut que favoriser l’amputation de
nombre de ses droits. Pourtant, elles sont de plus en plus à vouloir acquérir une certaine
autonomie. Et d’après le Coran, ce n’est qu’à travers la législation du mariage qu’elles
pourront s’épanouir. Depuis l’origine, le Texte « lui donna la parole quant au choix de son
avenir, la dota de biens pour son indépendance matérielle, lui ouvrit la voie au savoir, la
responsabilisa dans le noyau familial et social, il la para du plus grand respect en tant
qu’épouse et mère »6. De fait, la loi islamique sauvegarde les droits des femmes avant et après
le mariage. Elles ont le droit de conserver tout ce qu’elles possèdent déjà et ce qu’on va leur
offrir, ainsi qu’un revenu pour leur propre sécurité. Une aide financière leur est également
garantie avant, pendant et après le mariage, sans égard à leur richesse personnelle. Cette aide
constitue un avantage financier sur l’homme, bien qu’équilibrée par la moindre part d'héritage
qui leur revient. Malheureusement, il y a encore aujourd'hui un fossé qui sépare l'idéal de la
réalité, surtout lorsque le texte est mal interprété ou simplement mis en application
littéralement par une justice peu instruite. Par exemple, l’idée que les femmes n’avaient pas
besoin de savoir lire ou écrire (idée qui s’est imposée au cours des siècles) n’est pas fondée

6
BEHI Jélila. Conférence. « Statut de la femme musulmane au Maghreb », octobre 2003
7
JEBBOR Myriam. C’est mon histoire. « J’ai été vaginique durant des années », Femmes du Maroc,
n°141, septembre 2007, p.99
Être une femme au Maghreb 11

puisque au moins une des femmes du Prophète est connue pour sa maîtrise de la lecture et de
l’écriture. Même si cette question est encore sujet à polémique pour certains, on peut supposer
qu’« en se modernisant, le religieux qui encadre et structure la société, va se rétrécir pour
devenir une affaire privée »8. On peut citer le voile en exemple : au-delà du signe religieux, il
représente aujourd’hui, pour la majorité des habitants du Maghreb, une simple valeur qui fait
émerger l’individu et non la religion (voir photo ci-dessous). Car l’influence politique et
culturelle de l’espace européen poursuivra toujours une partie de la population, au grand
damne du mouvement islamiste qui fait tout pour réinvestir les valeurs conservatrices.

Aziza Bakali, parlementaire, Parti de la Justice et du Développement

8
JANJAR Mohamed. Débat. « Sommes-nous une société “religieuse”? », Femmes du Maroc, n°145,
janvier 2008, p.36
Être une femme au Maghreb 12

II- Participer à la vie économique et culturelle

Si la société maghrébine commence à admettre que la femme fait partie intégrante du


système, on peut se demander quel est le rôle de cette composante féminine et de quoi elle est
capable face au « sexe fort » dans sa mission au service de la patrie.

a) Les femmes sur le marché de l’emploi

L’arrivée en masse des femmes sur le marché du travail vaut à ces dernières une
situation souvent précaire, avec des horaires lourds et des droits bafoués. Cette discrimination
est particulièrement manifeste dans le domaine du journalisme. La liberté d'expression, soit la
liberté de la presse dans notre cas, est la préoccupation majeure de tous ceux et celles qui se
vouent à ce métier. Entre autres, ils revendiquent : « l'accès à l'information, la disponibilité et
la transparence des sources, […] la transparence et la régulation du marché publicitaire, les
droits basiques des travailleurs et travailleuses dans ce secteur, la censure, la protection de
la loi contre les violations de la liberté d'exercice, contre les sanctions démesurées à
l'encontre des journalistes et des médias, etc. »9. Ne pouvant se détacher de ce combat
d’ensemble, la femme journaliste, bien que victime des inégalités dues à son statut de “sexe
faible”, se voit griller la priorité par les problèmes que l’entreprise média rencontre au
Maghreb. De toute façon, même s’il y a de plus en plus de journalistes femmes dans les
rédactions, les médias demeurent un pouvoir globalement masculin10. Et la femme a tout
intérêt à miser davantage sur la formation, pour avoir les mêmes droits que l’homme au
travail, que sur la revendication pure et dure. Car il va de soit que les journalistes compétents
et/ou réputés peuvent négocier de meilleures conditions chez les journaux concurrents. Le
problème, c’est que si les femmes sont plus ou moins parvenues à l’émancipation dans le
monde du travail, ce n’est pas pour autant que le reste suit. La femme est toujours tenue de se
sacrifier pour ses enfants ou son mari lorsqu’elle est à la maison, et c’est elle qui prend en
charge toutes les tâches ménagères. Par conséquent, plus la femme gagne d’argent, plus elle
se sent libre. Or, bien qu’il soit prouvé qu’elle excelle dans des domaines pourtant réservés

9
Pr.NAJI Jamal Eddine. Etude de l’Unesco. « Le vécu professionnel de la femme journaliste dans les
cinq pays du Maghreb », décembre 2006
10
Voir chiffres en annexe : Annexe n°1 p.4
Être une femme au Maghreb 13

aux hommes, son salaire est bien souvent réduit (moins 15 à 40% que celui des hommes),
même en Tunisie où a pourtant été votée depuis 1985, une loi sur le salaire égal. Et plus la
catégorie socioprofessionnelle est basse, plus la différence des salaires est importante. Dans
cette ambiance misogyne, le père laisse pourtant ses filles aller travailler, à cause de la
pauvreté. Les habitudes n’évoluent donc pas forcément parce que la société évolue, mais
parce qu’elle est en crise. Par ailleurs, de plus en plus de filles reçoivent une formation et
peuvent se retrouver magistrates, médecins ou encore enseignantes. En 2004 en Algérie,
17,5% des salariés seulement étaient des femmes. Malgré tout, même en Tunisie où les
femmes ont le droit à l’instruction autant que les hommes depuis 1958, le champ du travail est
surtout peuplé de femmes célibataires, veuves ou divorcées. Cette émancipation sexuelle est
mal vue, le mariage devant rester ce pour quoi vit chaque femme. Aussi le harcèlement sexuel
sur les lieux du travail reste-t-il une pratique courante. Dans les campagnes marocaines et
algériennes cependant, l’accès à l’éducation n’est pas aussi généralisé : 80% des femmes sont
encore analphabètes. Du coup, la plupart sont ouvrières ou agricultrices, quand elles ne restent
pas cloîtrées à la maison.

b) Des responsabilités à l’échelle nationale

« La femme se voit confier des missions importantes au service de l’économie pour en


consolider les assises, tout en participant avec ferveur dans l’action initiée pour la tirer vers
le haut »11. Ainsi, la Marocaine Nawal el-Moutawakil, médaille d’or au 400 m haies aux Jeux
olympiques de 1984, est entrée au gouvernement, en 1997, comme ministre de la Jeunesse et
des Sports. Cette modernisation, qui a vraiment commencé avec les années 1950, évolue plus
vite que le rapport des sexes et peut mener à des situations grotesques : jusqu’en 2004 au
Maroc, et 2005 en Algérie, une femme ministre qui avait l’intention de se marier devait
d’abord demander l’autorisation à son père ou à son frère. Cela dit, les femmes ont beau avoir
intégré la politique, elles ne sont pas pour autant nombreuses dans ce milieu12. À tel point que
des systèmes de quotas ont été mis en place pour la participation des femmes à l’Assemblée
nationale. Selon l’Union interparlementaire, moins de 4% des membres des Parlements dans
le monde musulman sont des femmes, alors que ce chiffre s’élève à près de 14% sur
l’ensemble de la planète. En outre, la représentation féminine au Maroc a reculé de quatre
places en cinq ans au sein des instances législatives dans le monde arabe. Mais il semble qu’à

11
K.Amna. Dossier. « La femme tunisienne et les défis à venir », Femme, n°131, mars-avril-mai
2004, p.17
12
Voir chiffres en annexe : Annexe n°1 p.5
Être une femme au Maghreb 14

terme, la réussite des femmes dans le secteur privé puisse interférer sur la situation. Elles sont
en effet de plus en plus nombreuses à diriger des entreprises (10 000 en Tunisie en 2004) et à
s’assumer financièrement, ce qui “légitimerait” leur participation politique. En attendant,
heureusement que la politique n’est pas le seul domaine où la femme peut avoir des
responsabilités nationales. Pour exemple, le cas de Béatrice Beloubad, interviewée par
Femmes du Maroc en 2007 : elle dirige depuis neuf ans le Bureau National de SOS Villages
d’Enfants Maroc, a procédé à l’ouverture de deux nouveaux villages et contribue ainsi
activement au développement durable de son pays. Comme elle, chaque femme devrait
pouvoir agir pour affermir son rôle dans l’histoire de la société. A priori donc, certaines y
parviennent, qui font partie de l’élite intellectuelle musulmane, avec beaucoup de volonté. En
Tunisie, le Président Ben Ali a lui-même mis en avant ce rôle primordial dans un discours
prononcé en 1992, conformément aux réformes de Bourguiba, premier président de l’Etat
tunisien, sur l’intégration de la femme dans la société. Toute son action fut en effet soutenue
par des femmes, notamment par l’UNFT (Union nationale des femmes tunisiennes), qui
contribua et contribue encore à la réussite des échéances politiques. Au Maroc, l’Institution
Royale s’est ouverte aux compétences féminines, par la nomination en 2001 d’une femme
conseillère auprès du Roi, ainsi que d’une représentante du Maroc à l’UNESCO. La région du
Maghreb veille en effet à ce que la femme soit présente au sein des organisations
internationales13. « Pour cette nouvelle génération de femmes éduquées, diplômées,
urbanisées et sensibles aux mutations socio-économiques, l’Islam ne doit pas être un carcan,
mais au contraire l’instrument d’un changement »14.

13
Voir chiffres en annexe : Annexe n°1 p.7
14
FOURMONT-DAINVILLE Guillaume et CLOT Ziyad. Société civile : Femmes d’Islam -
opprimées et résistantes, La vie des idées, mars 2004
Être une femme au Maghreb 15

III- L’éternel combat

Ces mutations dans tous les secteurs, la femme ne se contente pas de les subir. Elle va
chercher à les consolider pour en faire des acquis, car ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra jouer un
rôle important dans l’histoire de son pays. Agir pour l’avenir reste en effet le seul mode de
développement efficace pour une société.

a) Féminisme et prise de parole

Si les femmes, aussi bien que les hommes veulent réussir, il faut pour cela que le
regard porté sur elles change. Ce n’est pas une question de temps, car cela fait longtemps
qu’elles ont prouvé leur force et leur courage. Durant la guerre de libération de l’Algérie par
exemple, les femmes ont activement participé aux combats. Aujourd’hui encore, elles
manifestent leur engagement politique, mais essentiellement par des biais détournés. De
nombreuses ONG à vocation sociale, humanitaire, économique ou politique sont créées, leur
rôle allant croissant, dans la sphère privée notamment, où les rapports hommes/femmes se
voient bousculés. Ces femmes, pour la plupart, tentent aussi de moderniser l’Islam, mais ce
n’est qu’un acteur secondaire dans l’évolution de leur statut au sein de la sphère publique.
Pourtant, si une grande part de l’évolution des pays maghrébins repose sur la femme, la
religion musulmane y est bien pour quelque chose. La politique étant trop souvent liée à cette
religion, le seul moyen pour une société civile de s’ouvrir consiste en l’émancipation du genre
féminin. C’est la colonisation notamment qui a fait prendre conscience aux femmes
maghrébines que leur statut régressait. Et grâce à leur participation à l’indépendance, elles ont
pu, légitimement, affirmer les droits qui les valorisaient. Au Maroc comme en Algérie, c’est à
cause du désaccord sur le contenu du code de la famille qu’a émergé le mouvement féministe.
Lorsqu’en 1984, un code autorisant polygamie et répudiation est promulgué, les féministes
vivent un échec qu’elles ne pourront rattraper avant des années, faute de visibilité dans un
contexte de guerre civile. Mais une chose est sûre, cela pose leur cause comme spécifique ;
cause refusant désormais d’être dissoute dans les luttes nationales qui l’englobent, comme
l’avaient été les précédents mouvements pour les droits des femmes.
Les mouvements féministes peuvent être ainsi définis : « position politique qui
consiste à voir les grandes questions qui interpellent la société à travers les intérêts
Être une femme au Maghreb 16

stratégiques des femmes. C’est aussi une option pour la transformation (par la réflexion, la
production artistique ou intellectuelle et par l’action organisée) de la société dans le sens de
l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est donc un choix de progrès […] qui englobe des
prises de position par rapport aux questions de l’égalité, du respect des droits de l’homme et
de la démocratie »15. La première revendication du mouvement féministe reviendra à l’égalité
des sexes, dans la mesure où « les situations des hommes et des femmes ne sont pas le produit
d’un destin biologique mais sont d’abord des construits sociaux »16. La sphère familiale est la
première organisation sociale qu’il faut changer si l’on veut un jour faire reconnaître la
femme comme un individu à part entière dans le monde politique. Mais pour se faire
entendre, le mouvement doit raisonnablement agir au sein de l’Etat, ce qui le rend dépendant
et par conséquent moins libre que si la sphère publique lui avait été ouverte. Surtout lorsqu’il
n’y a pas de femme membre du gouvernement et suffisamment crédible pour porter sa voix.
Et tandis qu’en Tunisie, le planning familial faisait légaliser l’avortement pour les femmes
ayant cinq enfants (1953), d’autres associations militantes se créaient indépendamment des
Etats pour faire abroger le Code de la famille en Algérie ou réformer la Mudawana au Maroc.
Afin d’inscrire leurs revendications dans l’Histoire, les féministes se basent sur une relecture
de l’Islam, devenant ainsi les ennemies jurées des Islamistes. La première association
féministe qui a vu le jour au Maroc est l’Association Démocratique des Femmes du Maroc
(ADFM) en 1985. En Algérie, c’est l’Union Nationale des Femmes Algériennes (UNFA) qui
va lutter sourdement contre le pouvoir pendant des années. Toutes mènent des campagnes
dans leur pays respectif et certaines vont même jusqu’à créer des revues informatives
concernant les droits des femmes. La revue Kalima par exemple, malgré une durée de vie
limitée (de 1986 à 1989), a joué un rôle très important dans l’émergence d’une conscience
féministe au Maroc, tout comme le mensuel 8 Mars paru dès 1983.
Lors de la décolonisation, seul le président tunisien Bourguiba a soutenu les femmes
de son pays dans leur démarche : en promulguant le Code du Statut Personnel après
l’indépendance, il fit preuve d’une attitude révolutionnaire qui allait dans le sens de l’égalité
des sexes. Ce code était en effet le premier à interdire la polygamie et à autoriser le divorce.
En Algérie par contre, on était encore bien loin de tout cela: jusqu’aux années 1990, certaines
femmes qui, pour exprimer leur opinion, ne portaient pas le voile, risquaient la mort. Pour ce

15
NACIRI Rabéa. Rapport. « Le mouvement des femmes au Maroc », 50 ans de développement
humain au Maroc et perspectives 2025, 26 janvier 2006
16
KERGOAT Danielle. Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe, Dictionnaire critique
du féminisme, PUF, novembre 2000, p. 35
Être une femme au Maghreb 17

qui est du Maroc, on a pu le voir précédemment (cf. I- b), la première fois que les femmes ont
pu manifester dans la rue, fut en l’an 2000. Et cela s’est soldé par un échec cuisant face aux
Islamistes. Il est donc clair que comparée à ses voisins, la Tunisie constitue une exception et
même un modèle à suivre. Mais si la femme a réussi à s’émanciper, c’est parce que sa cause
coïncidait avec la volonté qu’avaient certains hommes de moderniser leur pays. Ils ont en
effet travaillé d’arrache-pied avec les féministes avant même l’indépendance, et y sont pour
beaucoup dans le statut actuel de la Tunisienne. Du même coup, les associations
indépendantes de femmes ont très peu d’influence sur le pouvoir. C’est le cas de l’Association
Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) qui, depuis 1989, n’a qu’un seul credo : les
droits de la femme sont « inscrits dans les droits de l’homme ».
Aujourd’hui, les féministes sont encore là, mais leur présence sur le terrain politique
n’est pas toujours manifeste. Lors des élections législatives marocaines de 2007, les
citoyennes n’ont pas pu compter sur ces dernières pour faire un état des lieux et les aider dans
leur vote. Dommage, quand on sait que les très rares femmes en tête de liste peuvent avoir
une chance de faire partie du prochain Parlement, et qu’avoir des femmes élues à tous les
niveaux, est une opportunité stratégique à ne surtout pas laisser passer.

b) Des avancées conséquentes

« En 2004, le Maroc a procédé à une réforme spectaculaire de son code de la famille


(Mudawana), devenant ainsi le second pays du monde arabe, après la Tunisie, à avoir adopté
des mesures en faveur des femmes. A l’initiative d’un puissant mouvement populaire, avec
l’appui de Mohammed VI, les femmes ont obtenu une plus grande égalité »17. Par exemple,
elles peuvent, comme les hommes, demander le divorce pour des « raisons de discorde », sans
autres explications. La procédure est par conséquent beaucoup plus rapide (6 mois), car avant
cela pouvait prendre entre dix et quinze ans. Le combat des féministes portant ses fruits, il
accentue par la même occasion le désir d’émancipation, même si les réformes mettent
quelques années avant d’être appliquées. Au Maroc comme en Algérie, un ministère délégué
à la condition féminine a vu le jour, montrant ainsi la conscientisation du problème.
L’initiative est importante, mais l’efficacité de ce ministère reste limitée en l’absence de réelle
autonomie. Ainsi, le gouvernement dénonce le Code de la famille, mais ne prend aucune
mesure. Pourtant, la constitution algérienne reconnaît l’égalité des sexes ; elle devrait donc

17
KRISTIANASEN Wendy. Femmes, le droit au divorce s’installe, Le Monde diplomatique, août
2007, p.10
Être une femme au Maghreb 18

être appliquée.
Quoi qu’il en soit, le climat est propice au changement. Il l’est d’autant plus depuis
l’Année Internationale de la Femme (1975), qui célèbre le symbole « des luttes et des acquis
des femmes en tant que partie intégrante des masses exploitées »18. Quant à la journée du 8
mars, elle permet à la femme, qu’elle soit algérienne, tunisienne ou marocaine, de continuer
son combat pour acquérir une citoyenneté sans discrimination ni ségrégation, afin de pouvoir
exercer librement ses droits dans les domaines civils, politiques, économiques et culturels.
C’est dans ce cadre qu’est paru le numéro spécial de la revue Femme de l’UNFT (Union
Nationale des Femmes Tunisiennes) avec un dossier consacré aux acquis de la femme. Ceux-
ci sont décortiqués à travers le Code du Statut Personnel, code le plus innovant du Maghreb
(contenant notamment une loi autorisant le divorce sans raison avérée). Mais cela n’empêche
pas que l’on puisse encore assister, en Tunisie, au non-respect de la loi, découlant d’une
habitude culturelle toujours inscrite dans les mentalités. Et cela a toujours existé : lorsque
Bourguiba a « condamné publiquement un grand notable Tunisois, Kebayar Darghouth, pour
mariages fréquents et successifs avec une préférence pour des épousées beaucoup plus
jeunes, l’intéressé n’a pas craint de répondre qu’il n’avait transgressé aucune des lois
religieuses, et que sa situation et son tempérament lui permettaient d’user de ses droits »19.
Reste que la Tunisie fait montre d’exemple dans l’amélioration de la condition féminine ; elle
est un des seuls pays musulmans à avoir poussé aussi loin égalité, émancipation, et même
laïcité.

Mais alors qu’à la fin des années 70, on pouvait lire l’effarement des journaux
féministes quant à la vague d’occidentalisation qui habillait les femmes, on peut voir
aujourd’hui s’opérer un retour au voile bien que son port ne soit plus imposé depuis les
années 60. En effet, la femme moderne maghrébine, bien qu’elle soit d’une autre aire
culturelle et géographique, est souvent assimilée à sa congénère européenne. Or, le 11
septembre a marqué un rupture et celles qui cherchaient leur dynamique culturelle à travers
les traditions se sont tournées de nouveau vers l’Islam -à même de les défendre contre les
agressions extérieures- pour revenir à une authenticité mythique. Aussi ne peut-on pas parler
de régression, car ce sont souvent les femmes, elles-mêmes, qui revendiquent le port du voile.
Par ailleurs, c’est à travers l’espace musulman européen, que l’espace démocratique va

18
M. BOUDJEDIR. Courrier de la revue. « A propos de l’Année Internationale de la Femme », El
djazaïria, n°44, p.3
19
BEHI Jélila. Conférence. « Statut de la femme musulmane au Maghreb », octobre 2003
Être une femme au Maghreb 19

permettre d’enfanter un modèle pour l’Islam, modèle fortement compromis pour l’Algérie, si
l’on en croit les associations féministes, désillusionnées.
Concernant l’éducation, qui est le premier facteur conduisant au progrès social, la
Tunisie est encore une fois en avance sur ses voisins20. L’instruction y est gratuite et ouverte à
tous, et permet aux jeunes femmes de connaître une vie meilleure que celle de leurs mères. Au
Maroc, les progrès sont plus lents : dans les écoles, les filles sont encore presque trois fois
moins nombreuses que les garçons, et le monde rural reste très en retrait. Pourtant, voilà
maintenant cinquante ans que les pouvoirs publics ont commencé à faire bouger les choses
dans le domaine éducatif, rendant possible « l’émergence d’une élite instruite et
économiquement active qui se positionnera, à partir de la moitié de la décennie 80, en tant
que groupes revendiquant l’égalité entre hommes et femmes dans toutes les sphères et, plus
particulièrement, dans la sphère familiale »21. Quant aux Algériennes, elles étaient 60,1% à
savoir lire et écrire en août 2007, ce qui explique leur présence en nombre dans la fonction
publique et la magistrature, entre autres.

L’avenir nous dira ce que la femme a pu réaliser parmi autant de défis au service de la
patrie. Mais si la lutte n’est pas terminée, il serait trop facile de rendre l’Islam seul
responsable. On assiste déjà peu à peu à une réintégration prometteuse de l’espace
public ; dehors, ce n’est plus la prostituée mais la travailleuse, qui a réussi à s’extraire
du foyer patriarcal. Et même si parfois les remarques fusent face à des bras dénudés ou
à des jambes “moulées” dans un jean, les hommes finiront bien par s’y faire.

20
Voir données statistiques en annexe : Annexe n°1 p.6
21
NACIRI Rabéa. Introduction de l’étude « Le mouvement des femmes au Maroc », janvier 2006
Comment s’adapte la presse 20

Partie 2

COMMENT S’ADAPTE LA
PRESSE ?
Ce n’est que depuis peu que la presse féminine se développe notablement au
Maghreb, à cause de difficultés financières et d’une organisation obsolète,
mais aussi parce que la liberté de la presse ne date que des années 1990, du
moins d’après les textes. Reste que l’on peut être sûr que depuis le premier
numéro, cette presse s’attache à faire évoluer le statut de ses lectrices.
Comment s’adapte la presse 21

I- Les titres fondateurs

D’abord partisane et militante, puis indépendante et professionnelle, la presse féminine


a mis du temps avant de faire l’unanimité.

a) Les débuts dans la presse écrite

Les journaux féminins hebdomadaires, périodiques et mensuels sont un acquis


incontournable dans l'évolution de la presse maghrébine. Lancé en novembre 1983 par la
section féminine de l’OADP (ancêtre du Parti Socialiste Unifié marocain), le mensuel
marocain 8 Mars a pour sa part constitué une petite révolution. Posant la question de la
femme sur un plan politique, il se positionnait comme un journal féministe et a servi de point
de départ pour maintes organisations féminines. Mais son manque de professionnalisme
(aucun vrai journaliste dans l’équipe) a raccourci inévitablement sa durée de vie, même si sur
un tirage de 15 000 exemplaires, il revendiquait 10 000 ventes. En Algérie, le mensuel El
Djazaïria né en 1971 existe toujours, peut-être est-ce parce qu’il a longtemps incarné le
discours du régime. Edité par l’UNFA, il souligne toute nouvelle évolution du statut des
femmes en mettant un point d’honneur à faire réfléchir le lecteur sur ce qu’il reste à
entreprendre pour une égalité hommes/femmes. Rien de subversif, au contraire, le journal
cherche plutôt à modérer les femmes qui voudraient s’émanciper un peu trop : « il serait
dangereux, comme on a tendance à le faire très souvent, de confondre modernité et
déculturation. […] la véritable émancipation passe nécessairement par la conservation de
l’identité nationale »1. Femme est, si l’on veut, la version tunisienne de El Djazaïria, et est
édité par l’UNFT depuis 1961. Après quelques difficultés à sa création liées à des facteurs
humains, matériels, financiers et techniques, elle continue de servir la femme tunisienne où
qu’elle soit. Le cœur de la revue étant, dans les deux pays, l’information sur les activités de
l’Union. Auparavant, la Tunisienne, a été défendue durant cinq ans par Leïla, première revue
féministe à voir le jour en 1936. Briser l’enfermement des femmes dans la tradition était son
principal objectif, et avec l’aide des associations créées à la même époque, elle est parvenue à
élever la voix des femmes au même rang que celle des partisans du droit musulman en
matière familiale.

1
HAMMOUCHE A. « Emancipation et mystification », El Djazaïria, n°79, p11
Comment s’adapte la presse 22

En Algérie, dès lors que le nouveau code de l’information fut adopté, c’est-à-dire le 19
mars 1990, soit un an après la liberté d’expression, trois revues féminines ont pu voir le jour :
Nissa, Ounoutha et Hawa. Toutes les trois proposent essentiellement des articles sur l’art et la
société. Et alors que c’est au Maroc que la presse féminine a mis le plus de temps à se
développer (on peut citer le cas de Farah Magazine, créé en 1989 et remplacé par un tabloïd
au bout de trois ans, faute de maturité du marché), c’est dans ce même pays qu’il y a,
aujourd’hui, un foisonnement du genre. « Nissa Al Maghrib, Femmes du Maroc, Citadine,
Parade, Yasmina et quelques autres titres n’ont rien à envier à nos DS, Marie-Claire ou Elle.
Des simples conseils maquillages du moment au dossier de fond sur la réforme de la
Mudawana (code de la famille), ces magazines n’hésitent pas à traiter des sujets délicats sans
frilosité particulière »2. Nés en 1995, Femmes du Maroc et Citadine sont les pionniers d’un
genre pas encore en vogue à l’époque. Face à cette modernité assumée d’une concurrence
toute neuve, les revues vieilles de plus de quarante ans prennent une nouvelle forme. Ainsi, en
Tunisie, juste après la parution du 60e numéro de Mères Echos dans une édition
particulièrement soignée par l’association des mères tunisiennes, Femme a fait l’objet d’une
refonte pour son 131e numéro: modification de la couverture, plus de rubriques consacrées à
la femme et à la famille et une date de parution moins espacée (tous les 2 mois) :

2
NAJIOUTI Najibe. « Marocaines jusqu’au bout des faux ongles », www.iut.u-
bordeaux3.fr/actumedias/archives, 2004
Comment s’adapte la presse 23

b) Fonctionnement du marché

Le secteur de la presse magazine ciblant les femmes afro-européennes est florissant.


Ainsi, plusieurs titres sortent chaque mois en kiosque et même si l’on constate quelques
« flops », ceux-ci sont rapidement oubliés, aussitôt remplacés par de nouveaux titres. Le plus
ancien est Amina qui a plus de 30 ans (cf. Partie 3) : avec « un tirage de plus de 78 000
exemplaires en moyenne sur la période 2006-2007 »3, et une publication sur quatre continents
(Afrique, Europe, Amérique du Nord et Australie), la revue devance largement ses
concurrents dont la diffusion, bien que non vérifiée, apparaît bien moindre. Cependant, les
titres de la presse féminine maghrébine sont de plus en plus nombreux à être aujourd’hui
contrôlés par l’OJD (organisme de justification de la diffusion) et ceci sans minimum de
diffusion. D’autant plus que les magazines maghrébins, souvent francophones, sont pour la
plupart également présents en France. C’est cette diffusion certifiée OJD dont se servent les
éditeurs pour bâtir leurs tarifs de publicité. Il y a bien sûr une distinction claire entre la
diffusion en France et la diffusion à l’étranger, la valeur accordée par le marché publicitaire
n’étant pas la même.

3
BLANC Marjolaine. « Féminins afros : désert sur le web », www.lewebmulticulturel.fr, 23 octobre
2007
Comment s’adapte la presse 24

La preuve avec la revue marocaine Ousra Magazine,


parue en 2001, et « boycotté[e] pendant deux ans et demi
par quelques annonceurs pour avoir décidé de présenter, au
moins deux fois par an, une série lingerie »4. D’autre part,
l’Oréal, groupe phare dans l’ethno-cosmétique, a mené une
étude de marché auprès des femmes afro-antillaises ; en
2003, celles-ci auraient dépensé trois fois plus que les
Françaises en produits de beauté. Voilà pourquoi l’Oréal et
ses filiales achètent des espaces publicitaires dans la presse
ethnique. Et c’est comme cela qu’à l’intérieur de Gazelle,
« le magazine de la femme maghrébine » (même s’il n’est
distribué qu’en France), on retrouve des placards
publicitaires en quadrichromie. Quant au magazine
Citadine, s’il a réussi à concurrencer Femmes du Maroc,
c’est presque uniquement grâce aux grandes marques de
cosmétiques qui achètent bon nombre de ses pages. 2007
marque un tournant dans les investissements publicitaires.
D’après l’organisme de veille spécialisé SIGMA, ils ont
augmenté de 17% en un an pour la presse algérienne, ce
secteur regroupant ainsi plus de 36% des investissements
publicitaires sur tous les médias audiovisuels. La presse magazine hebdomadaire, bien que
beaucoup moins prisée que les quotidiens, bénéficie cependant de 6% des recettes, et cela
promet d’aller grandissant. De fait, si un annonceur décide d’investir dans un magazine en
particulier, c’est qu’il est sûr de son coup : au Maroc, les vingt annonceurs dominants
s’accaparent à eux seuls 90% de ce marché publicitaire. Ils deviennent alors la seule source,
ou presque, de financement du journal. L’organisation de ce dernier doit donc se faire en
prenant en compte ces données. Les groupes de presse qui ont plusieurs publications peuvent
se permettre de les gérer en ce sens. Ainsi, chez Femmes du Maroc, « les ventes d’espaces
publicitaires de l’ensemble des titres du groupe [sont] coiffées par une régie ad hoc, au sein
de laquelle deux directeurs officie[nt]. L’un pour la relation avec les agences de pub, l’autre

4
L.B. « Pour oublier ses “misères” », La Gazette du Maroc, n°390, 18 octobre 2004
Comment s’adapte la presse 25

pour les annonceurs directs mais également le hors-média »5.


Quant aux revues qui ne parviennent pas à vivre de la publicité, soit elles sont vouées
à l’échec (les charges du papier et de l’impression étant très élevées), soit elles sont soutenues
par « de puissants groupes économiques qui représentent en quelque sorte des lobbies
cherchant à avoir de l’influence sur l’opinion publique »6. On comprend mieux ainsi la
différence existant entre liberté de la presse en France et liberté de la presse au Maghreb, qui
certes est dans les textes, mais seulement partiellement respectée. En effet, un grand nombre
de journalistes n’ont aucun contrat avec leur employeur et travaillent en free lance, sur une
ligne éditoriale établie de A à Z, et sans concession, par le rédacteur en chef ou le chef de
publication lui-même. Les groupes d’édition, de leur côté, se comptent encore sur les doigts
de la main pour ce qui est de la presse magazine féminine. Pourtant, une fois qu’ils ont
émergé, on peut être assuré de la bonne continuation de leurs petits protégés (pas comme en
France où les grands actionnaires comme Lagardère ont tendance à vouloir trop s’éparpiller et
à sortir des nouveautés, telle Isa, éditée par Hachette Filipacchi Médias, qui a dû s’arrêter
après le 90ème numéro, malgré son succès). Au Maroc, où le secteur ne se composait que de
trois ou quatre grands titres il n’y a pas si longtemps, les nouvelles recrues fleurissent. Le
leader, Caractères, existe et se démarque depuis 1990 grâce à sa vocation internationale7. En
effet, le groupe diffuse, entre autres, le célèbre francophone Femmes du Maroc, imprimé en
Espagne, et tiré à 22 229 exemplaires par mois (20 000 en ce début d’année). Son pendant
arabe, Nissae Min al Maghrib, fait partie de la génération montante avec 37 029 exemplaires
écoulés en un mois. Quant au mensuel Citadine, également imprimé en Espagne et dont le
premier numéro est paru un mois plus tôt que son concurrent, il est édité par le groupe Lilas,
dont 25% du capital est géré par le groupe français de presse spécialisée Practice, et est tiré à
20 000 exemplaires (chiffres de l’OJD, année 2005). En tant que challenger, le groupe a aussi
sorti sa version arabe du magazine. Comme lui, Amazones Presse (qui édite Ousra Magazine)
est une SARL au capital de 1,2 million de dirhams, basée à Casablanca. Seule différence : elle
est totalement inconnue au-delà des frontières (aucun site internet à son actif !). Les liens avec
l’Europe semblent donc indispensables pour avoir une certaine notoriété, et notamment une
notoriété exportable. Et même si les féminins arabophones se développent et connaissent un
succès grandissant, la majorité restent en langue française, et ceci est valable pour la presse

5
JEMAÂ Mohamed. « Le groupe Caractères se réorganise et enrichit la liste de ses publications »,
www.lavieeco.com, 15 mai 2006
6
Syndicat national de la presse marocaine. Rapport sur la liberté de la presse au Maroc, SITE
OFFICIEL DU SYNDICAT NATIONAL DE LA PRESSE MAROCAINE, mai 2006/mai 2007
7
Voir historique en annexe : Annexe 2, p.9
Comment s’adapte la presse 26

écrite en général, malgré ce que pourraient nous faire penser les nombreux titres en arabe. A
l’intérieur des terres, des distributeurs, travaillant pour les différents groupes d’édition, se
chargent de faire le tour des kiosquiers qui touchent une marge de bénéfice sur tous les
journaux et magazines. De Sapress (qui table sur 8000 points de vente au Maroc) à
Sochepress (qui n’en compte que 3 600), ils subissent directement le surcoût des charges que
connaissent les éditeurs.

c) Contenu : entre tradition et modernisation

« Abstinence : le terme a pris à la fois un sacré coup de vieux et pas une ride : il sonne
aussi désuet que toujours délicieusement bizarre, donc branché. Quand on pense
« abstinence », on pense d’emblée à des décennies reculées […]. On pense à grand-mère qui
découvrait le sexe un soir de l’été 1947 et abandonnait les parties de jambes en l’air avec le
décès de son mari […]. Aujourd’hui, rien n’a changé »8. Voilà le genre d’articles que l’on
peut lire dans un féminin maghrébin “classique”. Mais si les sujets délicats semblent être
traités sans aucune censure (les femmes maghrébines aussi regardent la série américaine Sex
and the City !), le tabou est là : la libération sexuelle reste mal vue par la société (et par la
religion). Preuve à l’appui, dans tout le Maroc on ne compte que cinq sexologues.
Heureusement, avec la nouvelle génération d’adolescentes, les choses évoluent : il est rare
aujourd’hui de trouver une femme vierge le jour son mariage. Et les magazines féminins ne
sont pas les seuls à aborder le sujet : le journal marocain très controversé Telquel, a mené, en
septembre 2004, une enquête intitulée « Marocains, comment faites-vous l’amour ? »9. Mais
le problème de la virginité reste un véritable phénomène de société dans ces pays où l’Islam
impose sa loi. Même en France, la polémique a eu lieu à la fin du mois de mai dernier parce
qu’un Musulman avait annulé son mariage le jour J lorsqu’il a découvert que sa femme n’était
plus vierge et qu’elle lui avait menti. Un journaliste de Femmes du Maroc a d’ailleurs révélé
dans une interview que la rédaction n’avait pas toujours eu la vie facile quand elle abordait de
telles questions religieuses dans sa ligne éditoriale : « durant plusieurs années, le mot
"islamiste" était également banni de nos colonnes »10. En effet, d’après le rapport sur la
liberté de la presse au Maroc de mai 2007, « le spectre de l’interventionnisme guette tous les
types de presse écrite -partisane et non partisane- ». Mais cela est toujours mieux que la

8
SENOUSSI Malak. Et si on en parlait. « No Sex : Grave Docteur ? », Femmes du Maroc, n°141,
septembre 2007, p.86
9
Voir article en annexe : Annexe 3, p.11-12-13
10
TAJIOUTI Najibe. « Marocaines jusqu’au bout des faux ongles », www.iut.u-bordeaux3.fr, 2005
Comment s’adapte la presse 27

censure pure et dure dont on usait autrefois ; la revue marocaine Kalima, née en 1986, n’a
survécu que quatre ans à cause de la censure.
La femme maghrébine d’aujourd’hui possède plusieurs facettes : en plus d’être mère et
épouse, c’est aussi une travailleuse. Dans le domaine privé, elle a acquis une certaine
émancipation, grâce à laquelle elle peut à présent s’accorder de petits plaisirs. Cette évolution
se ressent dans le contenu qu’offre la presse féminine11. Le mensuel Dzeriet, nouveau en
Algérie depuis 2004, a le mérite d’être un condensé contemporain de toutes les revues qui ont
pu exister jusque-là dans le pays : beauté, gastronomie, mode… tous les ingrédients sont
réunis pour un moment de détente. Après des écrits engagés, mais trop rares, au temps de la
colonisation, le ton a définitivement changé. La concurrence étant plus rude, les magazines
rivalisent d’idées pour se démarquer. Tout en conservant un côté militant, ils présentent des
dizaines de pages mode et beauté. C’est ainsi, par exemple, qu’est né l’évènement de mode
Caftan, incontournable dans le monde arabe de la haute couture. Tous les ans depuis son
lancement par Femmes du Maroc (il y a 12 ans), les plus grands créateurs y offrent un show
autour de l’habit traditionnel, savamment modernisé pour lancer les tendances de l’année.
Toutes ces paillettes ne font pourtant pas oublier aux organisateurs que le pays n’a pas évolué

partout au même rythme. Notamment concernant l’analphabétisme des petites filles. C’est
pourquoi depuis maintenant huit ans, Caftan reverse une partie de ses recettes au CSSF
(comité de soutien de scolarisation des filles rurales). L’événement est, bien entendu,

11
Voir article en annexe : Annexe 4, p.15
Comment s’adapte la presse 28

médiatisé dans les pages du magazine et fait ainsi cohabiter tradition et modernité.
Une autre façon de moderniser ses pages est d’utiliser la langue arabe. Jusque-là
réservé à une élite, le tunisien Femme a opté pour cette formule rédactionnelle qui consiste à
accompagner les articles soit par des résumés en français et en anglais si l’article est en arabe,
soit en arabe et en anglais si l’article est en français. Par la même occasion, la revue tire un
trait sur son traditionnel militantisme patriotique pour jouer davantage la carte de la
proximité. Mais celle-ci est abordée sous un angle plutôt obtus. Dans le 79ème numéro de
l’algérien El djazaïria, un article consacré à l’émancipation des femmes se révèle être
extrêmement moralisateur. Dès le titre, on est prévenu : « Emancipation et mystification ». La
journaliste y critique l’occidentalisation que son pays est en train de vivre à cause des
magazines étrangers que lisent les Algériennes. Elle pense en effet que ceux-ci enferment la
femme dans des clichés et l’empêchent de s’émanciper réellement. Et pourtant, le cliché de la
femme qui s’occupe des tâches ménagères, c’est bien par la presse du pays qu’il est véhiculé.
Selon l’ancienneté des revues, on oscille donc entre le désir de modernité qui passe par
les “artifices” venus de l’Occident, et le désir de modernisation qui passe par la conservation
d’une identité nationale (et, paradoxalement, qui dit identité dit attachement aux traditions),
mise en avant dès que l’occasion se présente. Et si c’est cela qui fait le contenu des magazines
depuis longtemps, c’est aussi ce qui explique le mieux la raison pour laquelle ces pays ne
parviennent pas à évoluer suffisamment pour que la femme soit l’entière égale de l’homme.
Autre chose : la publicité, de plus en plus présente aujourd’hui, reste, pour ce type de presse,
un moyen comme un autre de subvenir à ses besoins. Ainsi, les pages de réclame ne doivent
pas, selon l’éthique journalistique, interférer avec le contenu éditorial en place.

d) Le lectorat

Le premier facteur à prendre en compte concernant les lecteurs de ces magazines, est
l’alphabétisation des populations. Or, l’analphabétisme étant beaucoup plus répandu chez les
femmes que chez les hommes, cela réduit considérablement le public. Par ailleurs, au sein des
femmes instruites qu’il reste, moins de la moitié lit le français. À titre comparatif, ces deux
graphiques12 illustrent l’état du marché de la presse féminine au Maroc, avec d’un côté les
titres en arabe, et de l’autre les titres en français :

12
ABDUL-LATIF Rola. Rapport analytique. « Recherche à l’appui des médias indépendants au
Maroc », Inter Media, août 2007
Comment s’adapte la presse 29

Avant l’indépendance, qu’on vive au Maroc, en Algérie ou en Tunisie, la presse


féminine militante était rare, et par conséquent très prisée. Même en étant une fille de la
campagne profonde (donc plus susceptible d’être analphabète), on cherchait l’accès à ces
journaux, pour en faire une lecture de groupe et rester informée -face à la censure de la radio
et de la télévision- sur le sort du pays. Puis, l’indépendance a permis l’émergence de titres
moins virulents mais toujours militants, destinés à une élite féminine, puisque quasiment tous
écrits en français. Aujourd’hui, la profusion et la diversité entraînent un élargissement de cette
cible : « des femmes arabophones et francophones, âgées de 18 à 45 ans, actives, instruites et
appartenant dans la plupart des cas à une catégorie socioprofessionnelle élevée ».13 Voici les
chiffres d’une étude datant de 2005, sur le lectorat du magazine tunisien Nuance, tiré à 10 000
exemplaires: 31% de ses lectrices ont entre 20 et 29 ans, un quart ont entre 29 et 40 ans, et
19% entre 40 et 49 ans. Mariées pour la plupart, près de la moitié de ces lectrices sont des
cadres, suivies des professions libérales. Les moins de vingt ans et les plus de cinquante ans
ne sont pas pour autant exclues, nous le verrons plus tard. En résumé, et pour élargir aux
autres magazines du même acabit au Maroc et en Algérie, la lectrice type de presse féminine
équivaut à celle que l’on considère comme une femme moderne au Maghreb : active, avec un
revenu confortable, et donc indépendante même si en couple. C’est ainsi que Femmes du

13
MABROUK Sonia. « Maghreb : boom de la presse féminine », www.jeuneafrique.com, 3 septembre
2006
Comment s’adapte la presse 30

Maroc, présent dans tout le Maghreb, définit sa cible : « femmes actives, francophones,
modernes, de plus de 30 ans, de CSP A, B+ »14. Mais qu’en est-il des motivations des femmes
qui achètent ces magazines ? Voici quelques avis de lecteurs (eh oui, même certains hommes
s’y intéressent !) : selon Leïla, 40 ans, secrétaire de rédaction, « il arrive très souvent qu’une
femme achète un féminin parce qu’elle l’a feuilleté dans le kiosque et qu’elle a trouvé quelque
part dans une page un modèle de Djellaba qu’elle a aimé... »15. Pour Malika, 30 ans,
fonctionnaire, la lecture se fait par conviction personnelle : « J’étais une lectrice assidue de
Femmes du Maroc depuis sa parution, mais depuis que je suis maman j’ai opté pour Famille
actuelle »12. De son côté, Hicham Smyej, 33 ans, rédacteur en chef d’un magazine pour
homme, reste persuadé que le « produit » ne cible pas les femmes qui veulent s’informer
réellement.

14
www.caracteresmediagroup.com/nos-titres/femmes-du-maroc
15
L’avis des lecteurs sur « La presse féminine au Maroc », La Gazette du Maroc, n°390, 18 octobre
2004
Comment s’adapte la presse 31

II- Nouveaux supports, nouveau public

Dès le milieu des années 90, il y a eu comme une nouvelle liberté de la presse, qui
s’est ressentie surtout au Maroc, avec des magazines féminins comme Citadine, qui osait
parler de sujets tabous. En remplaçant ainsi la presse victime de la censure, avec pour modèles
les Femme actuelle et Marie-Claire que l’on connaît bien, de tels titres ont oublié d’être bon
marché et d’englober toutes les femmes du pays dans lequel ils sont diffusés.

a) Comment attirer les nouvelles générations ?

En réagissant comme le groupe Caractères, qui a créé en


2000 une nouvelle revue ouverte à un large public. Nissaa Min
al Maghrib a en effet le mérite d’exister en arabe et en français,
d’être très axée sur la mode et donc d’être accessible aux
éventuelles illettrées (les photos, tout le monde peut les
regarder), et ceci tout en gardant une part aux sujets politiques
ou économiques, qui ont quand même participé au succès de sa
grande sœur, Femmes du Maroc. Résultat : Nissaa est un des
magazines les plus lus au Maroc. Et le numéro qui l’a lancé
pour de bon, n’était autre qu’un numéro spécial mode sur les
Djellabas.
Si le nombre des lecteurs de
Nissa dépasse largement
celui de Femmes du Maroc
pourtant plus ancien, c’est
donc avant tout pour des
raisons de langue, comme
on peut le voir dans ce
tableau16 :

16
ABDUL-LATIF Rola. Rapport analytique. « Recherche à l’appui des médias indépendants au
Maroc », Inter Media, août 2007
Comment s’adapte la presse 32

Même en France, on s’intéresse à la presse maghrébine, puisque le groupe Hachette


Filipacchi Médias lui-même, a lancé en mai 2006 un Elle oriental, dans les deux langues.
L’implication internationale se ressent dans le contenu de cette presse et participe ainsi à
l’émancipation de la femme maghrébine. Et même un homme ne pourra pas dire le contraire.
En effet, Othman, 35 ans et employé de banque au Maroc, se permet de souligner cette
évidence sur un forum: « la presse générale ne peut pas remplacer la presse dite féminine
parce que les femmes sont les mieux placées pour traiter de leurs problèmes et de leurs
occupations »17.
En bref, on vise maintenant une cible plus jeune, avec des sujets qui parlent, quelque
soit la catégorie socioprofessionnelle ; people, mode et beauté mettent désormais K.O. ces
femmes inconnues qui témoignaient de leur engagement dans leur communauté respective.
Certains journaux restent cependant plus conservateurs que d’autres, selon l’avancée
culturelle de la région où ils voient le jour. C’est le cas de Missilia, sorti en Algérie en 2005.
Parmi ses nombreuses rubriques, « Femme active » retrace les combats de femmes qui ont
réussi dans la vie. Et par “réussir”, on entend parvenir au même niveau (ou presque) que les
hommes, en particulier dans le domaine professionnel. Le thème même de cette rubrique
prouve que certaines mentalités n’ont pas changé, du moins qu’elles n’ont pas voulu ou ne
sont pas parvenues à franchir le pas que les autres magazines ont franchi : celui de
l’occidentalisation. Même si les rubriques mode et beauté sont là, Missilia est significatif du
retard qu’a l’Algérie sur ses voisins. Après avoir entendu trop longtemps que « l’Algérie,
c’[était] la France », la population fait tout pour conserver sa propre identité. Ces féminins ont
au moins le mérite de ne pas oublier les inégalités subies par les femmes de leur pays, pendant
que les autres, eux, cherchent à faire des bénéfices.
Et aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, il est d’autant plus facile de se faire
connaître. Ainsi, les magazines présents sur le net s’ouvrent, par le même biais, aux femmes
maghrébines présentes dans d’autres pays. Pour le moment, il n’y a pas foule, mais l’on
remarque de nombreux sites en cours de construction ces derniers temps, comme celui
d’Ousra Magazine. Il est en effet temps pour la presse féminine du Maghreb de se mettre à la
page, si elle veut être crédible. Malheureusement, certains magazines se contentent d’avoir un
site internet “histoire de”, mais ne font rien pour le rendre attrayant… si bien qu’il n’y a
même pas de publicité ! Une simple copie en PDF de ses pages et/ou de ses articles suffit pour
eux à constituer un site. Ils n’ont pas encore appris à profiter des opportunités qu’offre ce

17
L’avis des lecteurs sur « La presse féminine au Maroc », La Gazette du Maroc, n°390, 18 octobre
2004
Comment s’adapte la presse 33

nouveau média, ni même intégré le fait que ce n’est pas le même public qui se rend sur le
web. Le site du magazine algérien Missilia, en plus de ne présenter aucun intérêt, n’est même
pas capable de présenter sa couverture en bonne définition :

Or, Internet étant majoritairement utilisé par les 15-24 ans, cible plus jeune que celle
des magazines papier, une adaptation de la part des médias est nécessaire à la culture du
zapping qui caractérise cette génération. Cette adaptation, certains sites y parviennent tout de
même, haut la main, par « un rapprochement plus profond du lecteur vers une meilleure
interactivité (courrier, forum, sondage…) et dans le sens de la proximité dans les sujets
traités, dans la variété des services rendus, dans le style de la mise en forme de l’information
pour des lecteurs pressés qui lisent de moins en moins »18. Mais ceux-là sont souvent des
magazines qui n’existent qu’en ligne19. Femmes de Tunisie n’en fait pourtant pas partie
(depuis fin 2007, il accompagne le nouvel hebdomadaire L’expression) et gère son site avec
beaucoup d’intelligence en allant jusqu’à prévoir une page pour les annonceurs qui s’y
rendraient et faire ainsi accroître ses bénéfices :

18
NAJAR Ridha et NAJI Jamal Eddine. « Les TIC : de nouvelles opportunités pour les médias au
Maghreb », Etude-manuel de l’UNESCO et de l’ISESCO, Tunis, octobre 2005
19
Voir exemple de site en annexe : Annexe 5, p.17
Comment s’adapte la presse 34

Avec sa charte graphique noire, bleue et blanche très classe en page d’accueil, et l’offre d’un
service riche et diversifié, Femmes de Tunisie joue dans la cour des grands et apporte une
nouvelle fois la preuve que la presse magazine francophone est de meilleure qualité que sa
consœur arabophone.

b) Des moyens parfois limités

De fait, même si elle vend moins, la langue française attire davantage les annonceurs,
de par la catégorie socioprofessionnelle des gens qui la lisent. Et sans cet important apport
financier, les féminins arabophones ont des durées de vie assez limitées, étant donné la
lourdeur des charges du papier et de l’impression qui pèse sur leur budget. En ajoutant à cela
la crise de la lecture et les difficultés de la distribution, on aboutit soit à des licenciements
lorsqu’il s’agit de groupes de presse, soit directement à l’interruption de la diffusion lorsqu’il
s’agit de titres indépendants. Et alors qu’Internet pourrait en sauver certains grâce à des coûts
de fabrication bien moindres, une « réticence culturelle » les en empêche ; sans la capacité
d’usage du français qui est la langue prédominante au Maghreb dans ce nouveau média, les
nouvelles technologies ne peuvent être maîtrisées (sans compter qu’il faut disposer pour cela
d’un équipement à jour).
Pour sauver la presse féminine maghrébine, le français devrait-il être davantage
présent au cours de la formation journalistique voire même au cours de la scolarisation de
Comment s’adapte la presse 35

chacun ? Si oui, la réponse demeure paradoxale, au vu de l’amoindrissement continu du


lectorat francophone dans ces pays. Pendant que Femmes du Maroc voit s’égrener son public,
les autres féminins francophones, eux, le cherchent : « racheté par le groupe Caractères en
2005, Parade n'a pas encore trouvé son lectorat et plafonne à 6000 exemplaires par mois. Le
magazine voulait conquérir les jeunes lectrices entre 20 et 30 ans, toutes celles qui, faute de
trouver escarpin à leur pied, se rabattait sur le magazine de leurs mamans, Femmes du
Maroc »20. Mais le milieu étant en perpétuel renouvellement, la culture du zapping prend le
dessus : les jeunes préfèrent tout essayer, d’autant plus qu’avec la nouvelle donne des
contenus axés mode, les affinités pour tel ou tel magazine sont rendues plus difficiles.
Les féminins arabophones ont donc toutes leurs chances en tant que concurrents, et
c’est d’ailleurs pour cette raison que certains osent débuter et persistent avec peu de moyens :
« mannequins débutantes, shopping dans les franchises du Maârif21 qui rechignent à prêter
les fringues et pénurie de photographes professionnels spécialisés sur le marché. Ces
publications restent à la traîne en matière de mode, suiveuses plutôt que novatrices »16. Le
bénévolat est souvent l’un des moyens qui fait tourner une revue, mais le cercle vicieux est
là : pour survivre, il faut des revenus, et comme on ne peut pas compter sur la publicité, on
vend à des prix quelque peu élevés. Du coup, cela réfrène la cible qui n’achète pas ou peu.

20
HAMDANI Hassan. « La presse féminine marocaine est en plein essor », TelQuel, 9 mars 2007
21
Le Maârif est un quartier commerçant de Casablanca
Comment s’adapte la presse 36

III- Le rôle endossé par la presse féminine

On l’a vu, le métier de journaliste au féminin a de multiples facettes. Mais il appartient


à la rédaction de choisir si elle veut offrir un catalogue publicitaire au contenu léger ou avoir
un véritable rôle sur les évènements.

A) Proximité

Edité par le groupe La Gazette du Maroc, Lalla Fatima mise sur la proximité : des
conseils pratiques sur les relations de couple aux discussions amicales avec des personnalités
en passant par tout ce qui touche à la santé et à la beauté, le magazine s’adapte au mode de vie
et aux préoccupations de Madame tout le monde. Mais la finalité première du directeur du
groupe, Kamal Lahlou, c’est de lutter contre « l’envahissement de la presse étrangère » avec
une revue à la portée de tous, dans tous les sens du terme. Car ceux qui, comme Lalla Fatima,
cherchent à se rapprocher de leur lectorat, marquent par là-même leur opposition au haut de
gamme. Ce qui ne signifie pas qu’ils font l’impasse sur les sujets politiques ou économiques.
Seulement, ces derniers sont traités de manière moins élitiste, permettant ainsi aux femmes de
se sentir concernées, comme au temps du féminisme militant. À présent, cette page est
tournée, même Femmes de Tunisie l’affirme : « le féminisme farouche [est] devenu
parfaitement obsolète » 22 et, de toute façon, les derniers magazines féminins ne peuvent
supplanter ceux qui ont permis à la femme de faire avancer ses droits. Aujourd’hui, le tout est
de pouvoir s’identifier aux personnalités féminines présentées en exemple. On parle alors de
féminisme moderne, un féminisme qui s’inscrit dans une continuité, un féminisme presque
intrinsèque à la presse féminine du Maghreb.
D’autres revues se montrent plus rebelles et abordent des sujets dits tabous, pour faire
venir à elles les lectrices qui en ont assez d’entendre parler des problèmes de leur mère. Le
tunisien Femmes et Réalités se targue ainsi d’être « le magazine qui aborde tout sans tabous ».
Et même s’il est mondain parce qu’il cible essentiellement des femmes de tête, son regard
novateur sur la société fait de lui le magazine de proximité, de la femme moderne certes, mais
de proximité tout de même. La force du genre réside dans la décision de ne plus présenter la

22
SANHAJI Rym. « The L word. Tout ce que je sais d’elles d’un simple regard », Femmes de Tunisie,
décembre 2007, p. 39
Comment s’adapte la presse 37

femme comme une victime. Ceci, Ousra Magazine l’a bien compris : tant pis s’il ne séduit
pas le plus grand nombre, tant qu’il est support d’évasion et vecteur d’audace, les lecteurs les
plus fidèles continueront de s’y retrouver. L’Algérie, toujours un peu à la traîne, édite un
hebdomadaire qui, loin d’être rebelle, permet pourtant à la femme de se libérer de la pression
qui pèse sur elle et dont elle ne peut parler à personne, au risque d’être mal vue. Il s’appelle
Nouvelles confidences et recèle de témoignages en tout genre: divorces, histoires de cœur,
problèmes de santé…

B) défense des droits

L’un des principaux acquis des femmes au Maghreb est la percée de la presse féminine
sur la scène médiatique. Depuis le début, cette dernière suit leur émancipation de près. « Il
m’arrive très souvent de lire la presse féminine marocaine pour être au courant de l’évolution
de la situation de la femme au Maroc qui y est plus détaillée que dans la presse dite
générale »23. Ce que cette jeune journaliste de 23 ans soulève ici, c’est le fait que la presse
féminine du Maroc, mais aussi d’Algérie et de Tunisie, a toujours agi pour les femmes, au
nom des femmes et avec les femmes. Du moins, elle a pris le pli : après les premières revues
militantes telles 8 Mars, qui ont servi la participation des femmes dans la vie politique et
professionnelle, le premier numéro de Femmes du Maroc, paru quelques dizaines d’années
plus tard, arborait en gros titre un sujet sur la Mudawana, tandis que Citadine tentait d’en faire
autant. Avec quelques pages mode et beauté en plus et un support en papier glacé, c’est ainsi
que les nouveaux journaux féministes parviennent à se fondre dans le paysage très hétérogène
de la presse féminine. Mais le secret de leur réussite durable, c’est d’avoir fait évoluer la
condition de la femme concrètement, sans qu’aucun de leurs successeurs ne puissent leur ôter
ce mérite. En effet, le 10 octobre 2004, ce militantisme l’a emporté lorsque le Maroc a
annoncé une réforme spectaculaire de son code de la famille. Et le meilleur reste à venir ; tant
que le pouvoir n’aura pas la mainmise sur ce média, il pourra faire avancer les choses. Ainsi,
le numéro 141 de Femmes du Maroc propose un débat de sept pages sur l’avortement en cas
de « viols, inceste et autres violences », entre une juriste, une gynécologue, des membres
d’associations féminines, une sociologue, une députée et une militante des droits humains.
Avec autant de participants, il est clair que la journaliste a pour but de faire agir dans ce
domaine, et elle le fait avec beaucoup d’application en citant les articles du Code Pénal

23
L’avis des lecteurs sur « La presse féminine au Maroc », La Gazette du Maroc, n°390, 18 octobre
2004
Comment s’adapte la presse 38

concernés. Les pions sont posés, il ne reste pus qu’à trouver les mains qui les feront avancer.
« On peut dire que FDM joue le même rôle que celui de Elle dans les années soixante. À cette
époque, la femme française ne pouvait pas ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de
son époux, elle ne pouvait non plus se faire avorter ni choisir librement la vie qu’elle voulait
mener. Elle essayait de la libérer de tous ses jougs »24.
Les Algériennes ont encore un peu de retard en la matière : lorsque cinq associations
féminines s’unissent pour lancer un féminin gratuit lors du 50e anniversaire de la guerre de
Libération, cela s’accompagne d’une conférence de presse, d’une campagne de sensibilisation
et, ultérieurement, d’une conférence nationale sur l’égalité hommes/femmes. Tout cet attirail
a pour but de soutenir la campagne de lutte contre le Code de la famille. En effet, Féminin
plurielles retrace le combat des femmes dans la libération de leur pays et récapitule les
(infimes) amendements du Code de la famille afin de stimuler ses lectrices face à la
discrimination. Toujours est-il que la gratuité de cette nouvelle revue fera taire les mauvaises
langues pour qui le militantisme féministe se réduit à une stratégie commerciale.

C) Construction de l’image de la femme

L’image de la femme moderne véhiculée dans la plus grande partie de la presse


féminine, ne reflète pourtant pas celle des Maghrébines, pour qui les contraintes demeurent.
Elle transmet la culture occidentale d’une certaine société de consommation. En effet,
lorsqu’elle n’est pas en train d’évoquer le Code de la famille ou la scolarisation des filles en
milieu rural, cette presse fourmille de pages mode et beauté, inspirées de nos magazines ; un
nouveau point de pression pour les femmes dont la valeur dépend aussi de ces critères mis en
page. Et pour les jeunes filles qui lisent ces magazines, cela devient un modèle à suivre, c’est-
à-dire qu’elles vont construire leur identité autour d’images de femmes parfaites qui n’ont rien
à voir avec la réalité de leur pays (ni d’aucun d’ailleurs !), et ceci, qu’elles soient voilées ou
non. Les marques aussi entrent dans cette culture de l’apparence, et toutes les publicités qui
font le “beurre” de la presse féminine ont leur part de responsabilité. Et, tandis que celle-ci
s’est démocratisée, les marques en ont fait autant, le tout devenant ainsi « un laisser passer
pour un monde exemplaire de rêves et d'illusions »25. Pour l’UNFA, les responsables sont tout
trouvés : « plus la femme joue le jeu que lui suggèrent les magazines féminins étrangers qui
24
Aïcha Zaïmi Sakhri pour Et-Tayeb Houdaïfa dans « Femmes du Maroc, bientôt dix ans aux côtés
des femmes », www.lavieeco.com, 8 juillet 2005
25
MAP. « La presse féminine: un laisser passer pour un monde de rêves et d'illusions »,
www.avmaroc.com, 8 mars 2006
Comment s’adapte la presse 39

jouissent d’une audience bien assise en Algérie (Elle, Femme pratique, Femme
d’aujourd’hui…) et plus elle est aliénée et subit les clichés et les lieux communs qui rendent
sa libération impossible »26. Elle a tort sur un point : les magazines étrangers n’ont jamais
réussi à convaincre vraiment les Maghrébines, car elles ne s’y reconnaissaient pas. En
revanche, ils ont fortement influencé le contenu de la presse féminine quand elle s’est
développée dans le pays, et c’est cette dernière qui, aujourd’hui, incite plus ou moins son
public à rentrer dans une “norme”, et une norme nettement occidentalisée. Les Tunisiennes
ont en effet pu lire, dans le numéro de décembre de Femmes de Tunisie, la « liste de choses à
faire » de l’héroïne de leur nouvelle mensuelle. En voici un extrait particulièrement
interpellant : « 12- Arrêter de fumer et de dire des gros mots parce que c’est réservé aux mecs
ou bien le faire en cachette ! 13- Sortir avec un mec bien c’est-à-dire qui a le QI d’une poule,
enfoiré affectif mais riche et branché. L’homme parfait quoi ! 14- Regarder les clips sur les
chaînes arabes et suivre de très près l’évolution des looks des starlettes libanaises pour s’en
inspirer et développer des sujets de conversations avec les autres ». De toute façon, sans
même le vouloir, les pays du Nord de l’Afrique s’intègrent au mode de vie occidental :
alimentation, habillement, contact avec les émigrés… la presse est loin d’être la seule
médiatrice du phénomène.

Une grande diversité de titres pour une multitude de points de vue sur une société en
pleine révolution, voilà comment se traduit, aujourd’hui, l’engouement pour une
nouvelle presse féminine au Maghreb. « En général, la presse française est en déclin
tandis que la presse arabe témoigne d'une croissance positive. L'avenir est entre les mains
des journaux arabes »27.

26
HAMMOUCHE A. « Emancipation et mystification », El djazaïria, n°79, p.10
27
Directeur commercial d'une agence de distribution à Casablanca in Rapport analytique. « Recherche
à l’appui des médias indépendants au Maroc », Inter Media, août 2007
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 40

Partie 3

De la naissance du magazine

Amina à celle de sa petite


sœur Yasmina

(ou Comment passer du

succès à l’échec ?)
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 41

Il serait difficile de disserter des heures sur la presse féminine occidentale ;


chacun sait de quoi elle retourne et connaît la place que prend la publicité dans ce type
de publications. Et même en dehors des pages publicitaires qui tendent à imposer un
modèle de beauté à travers des mannequins filiformes, le contenu du magazine lui-même
véhicule cette image de la femme parfaite, impossible à atteindre. Des exceptions
subsistent au sein des lignes éditoriales les plus engagées, mais les contenus restent
globalement très axés sur la beauté physique. Comparer cette presse, qui cible les filles
de la mondialistion, à celle du Maghreb où la gent féminine constitue encore le coeur de
l’évolution sociale, serait peu pertinent. Alors que la comparer à celle lue par la femme
noire africaine, originaire d’un pays pauvre, et qui vit sur le même continent que la
Maghrébine, est d’autant plus intéressant que l’on rapproche rarement le Maghreb du
reste de l’Afrique, considéré comme plus reculé (bien que ces pays aient tous reçu
l’influence des Blancs à une époque ou à une autre). Certains aspects de la culture afro
la positionne en amont de notre culture occidentale (par exemple, au Gabon, la parité au
gouvernement est complètement respectée depuis que le président actuel est en place,
soit depuis 1967), ce qui va à l’encontre même de l’idée que le Maghreb serait plus
développé que les autres régions du continent. Les femmes y sont très différentes : tandis
que les Arabes restent relativement soumises à cause de leur religion, les Noires sont
extrêmement volontaires et ambitieuses, ce qui est clairement reflété par toutes les
couvertures d’Amina, le magazine de la femme africaine, sur lesquelles on voit
exclusivement des femmes noires, connues ou pas, mais qui ont réussi. Un tel entrain
n’apparaît pas à la Une de Biba, ni même de Elle, où figurent essentiellement des
célébrités internationales ; “valeurs” universelles qui apporteraient peu d’intérêt à une
étude sur la presse communautaire, et ne nécessitent pas d’être approfondies à l’écrit,
chacun étant capable de se forger sa propre opinion sur un support qu’il côtoie tous les
jours. Alors que la presse africaine, peu connue du grand public (rares sont les études
qui existent dans ce domaine), demande à être comparée, car les féminins d’une seule et
même région ne peuvent servir de référent sur un continent aussi vaste et hétérogène
que l’Afrique. Le contexte culturel qui entoure les publications doit donc être évoqué,
mais cela ne suffit pas : l’espace qui entoure cette même culture gagne aussi à être connu
afin de mieux comprendre la spécificité du fonctionnement de l’organe de presse étudié.
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 42

Monsieur de Breteuil, directeur de publication, a accepté de me rencontrer pour


parler de deux revues dont il est le père. La première, Amina, fait un tabac auprès des
Noires Africaines francophones, tandis que la seconde, Yasmina, qui visait les femmes
maghrébines, a cessé d’exister depuis presque cinq ans.

I- Amina : un cas particulier

Amina s’adresse à la femme africaine et compte 36 années d’existence. Avec environ


100 000 tirages par mois, son succès est incontestable et nous allons à présent voir à quoi elle
le doit.

a) Une publication internationale pour un lectorat local

Présente sur tous les continents où vivent des communautés noires, Amina ne s’est pas
toujours appelée ainsi, excepté au Sénégal, l’endroit où elle a vu le jour. À l’époque, on
pouvait lui attribuer huit titres en plus de l’original, pour autant d’éditions locales africaines:
Noisy au Congo, Diassé en Centrafrique et au Tchad, mais aussi Awoura, Akouavi, Wife,
Mwasi, Poco et Akoua2. Aujourd’hui, la principale zone de diffusion d’Amina demeure
l’Afrique noire francophone (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon,
Mali, Mauritanie, Niger, RCA, Sénégal, Tchad et Congo), regroupant presque 64% des
tirages. Elle est dorénavant suivie de près par l’Europe (France, Belgique, Suisse, Italie et
Portugual) et ses territoires d’Outre-mer (Guyane, Antilles, Mayotte, Réunion), et s’étend
jusqu’au Canada et aux Etats-Unis, ainsi qu’à d’autres pays d’Afrique non noirs. Une telle
diversité de cultures oblige le magazine à avoir plusieurs éditions avec un tronc commun à
chacune, et des pages spécifiques. C’est ainsi que sont conçues les éditions Afrique,
Gabon/Cameroun et Antilles (lancée dans les années 90), tandis que l’édition Europe (la plus
dense) ajoute à ses propres pages celles de l’édition Antilles, la culture entre métropole et
Outre-mer étant plus proche qu’entre le continent africain et sa diaspora. La diffusion
n’intègre pas le Maghreb car les femmes n’y sont pas Noires et ne rentrer dans la cible, du fait
de leur civilisation particulière issue de l’Islam. Cependant, si le lectorat d’Amina se compose
essentiellement de femmes noires, il comprend aussi les personnes ayant un quelconque lien
avec ces femmes, tel un mari (africain ou européen blanc) ou un proche. Dans tous les cas, il
s’agit d’une personne essayant de comprendre une culture à laquelle elle est confrontée au
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 43

quotidien. Le lectorat est donc très large, à 15% masculin, et s’il est demeure possible que
quelques Maghrébines en fassent partie, ce sont les plus noires d’entre elles.
Avec une vocation de « porte-parole de l’émancipation et du progrès social des
femmes africaines »1, Amina englobe donc toutes les communautés noires francophones
(suffisamment représentatives) de la planète. Or, son siège étant situé à Paris depuis 1975,
l’avion fait partie intégrante du processus d’approvisionnement des différents pays. C’est
ainsi que le magazine fut, à une époque, publié en papier bible, afin de voyager dans de
meilleures conditions. Et ce n’est qu’en s’ouvrant au public antillais puis européen qu’Amina
a pu être éditée en 51 grammes quadri (= couleur), comme la plupart des magazines, avec un
prix toujours raisonnable de deux euros, sans quoi elle aurait pu dire adieu à son succès. Parce
qu’il s’est rendu compte que la femme était l’avenir de l’Afrique, Michel de Breteuil lui a
concocté ce magazine afin qu’elle ait toujours connaissance des possibilités qui s’offrent à
elle. La particularité de l’Africaine est en effet facilement exploitable puisqu’elle veut réussir
et s’en donne les moyens. Après avoir mené de brillantes études, elle va se démener pour
trouver un stage à l’étranger. Si elle en obtient un, aux Etats-Unis par exemple, elle ne va pas
s’arrêter là : au bout d’un an, elle en trouvera un autre dans un pays différent pour accumuler
toujours plus de savoir et d’expérience. Sempiternellement, la femme noire cherche à mieux
faire, ne se reposant jamais sur ses acquis. En voici la preuve, avec l’une des nombreuses
anecdotes que M. de Breteuil semble collectionner : une habitante de Côte d’Ivoire veut
devenir pharmacienne. Pour cela, elle fait de longues études, jusqu’à obtenir son diplôme et
posséder sa pharmacie. Une fois établie, elle entreprend d’être médecin, pour “compléter” sa
formation. Cela rallonge ses études, mais pouvoir donner des consultations dans un cabinet
situé juste au-dessus de sa pharmacie, est infiniment plus satisfaisant pour elle. Si une telle
ambition caractérise les femmes africaines, c’est parce que leur société est différente de la
nôtre : avec ses nombreux frères et sœurs une femme peut confier ses enfants et partir sans
complexe, sachant qu’elle restera ouverte à un échange des rôles par la suite si cela s’avère
nécessaire. Cette grande liberté pour travailler offre une multitude de possibilités,
impensables en Europe du fait des liens qu’entretient le modèle de la famille classique. Autre
exemple de M. de Breteuil à l’appui : alors qu’on aurait tendance à penser qu’une
Congolaise, en épousant un Européen, pourra profiter de la vie à son aise, cette dernière, une
fois arrivée au pays, pourra très bien décider de s’engager dans l’armée. Mais pas à
n’importe quelle place : elle choisira d’être pilote, et non pas d’avion, mais d’hélicoptère.

1
« Amina », www.africapole.com, 2002
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 44

Après cinq ans, elle continuera sa progression. Devenue pilote pour une société
internationale de pétrole, elle n’hésitera pas à passer quinze jours à l’étranger pour ne
revenir que les quinze suivants en Europe et repartir aussitôt ailleurs, nourrir les besoins
pétroliers de la planète. Pour résumer, un des points qu’ont en commun les Africaines et qui
les fait souvent aboutir à de brillantes carrières, est la débrouillardise. D’où le ton énergique
(et non compatissant, cf. traits rouges) qu’a choisi la rédactrice en chef d’Amina, Assiatou
Bah Diallo, pour répondre au courrier des lecteurs venu des quatre coins du monde :
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 45

Cette page de magazine apporte la preuve que nul n’est laissé de côté au sein du public
d’Amina (cf. cercles jaunes), alors même que celle-ci est passée de plusieurs éditions locales à
une seule, internationale.

B) Le mensuel féminin africain de référence

C’est dès 1972, avec la conférence mondiale de Mexico sur la femme à l’horizon,
qu’Amina a germé dans l’esprit de ses créateurs. En effet, lors de la toute première
conférence, les Etats africains n’étaient représentés que par des hommes, à l’exception d’une
ou deux ministres quelconques, qu’on avait placées là pour “représenter” les femmes du
continent. La revue a donc plusieurs dizaines d’années d’expérience, chose rare au sein des
médias d’origine africaine. Car même au Maghreb, aucun magazine féminin ne peut
témoigner d’une telle durée, à moins d’être l’œuvre d’une association militante. Par ailleurs,
ce magazine atypique ne se contente pas de toucher un public qui se limiterait à une classe
sociale : « au Gabon et au Cameroun, une femme sur deux se dit lectrice d’Amina et à
Abidjan, c’est le premier magazine panafricain lu par les garçons et les filles âgés de 15 à 24
ans. Et le succès est le même pour la version Antilles »2. En effet, dès les débuts de la revue
au Sénégal, le courrier des lecteurs, nommé à l’époque « le courrier d’Amina », était déjà
envahi par des jeunes ayant entre 14 et 30 ans, dont bon nombre de garçons. Le courrier est de
toute évidence indispensable dans une publication qui se veut être un guide de l’existence. Et
ce qui fait d’Amina une référence en la matière, c’est la façon dont elle traite les sujets du
quotidien sans jamais être directive. Voici un exemple puisé dans l’un de ses premiers
numéros, l’année de sa naissance ; l’article explique comment être une bonne maîtresse de
maison en commençant par énumérer les différents critères de jugement. Après la cuisine, la
propreté et l’amour du travail, la liste continue avec la bonne humeur, la prévoyance, etc.,
jusqu’à déboucher sur un emploi du temps pour la semaine :

2
MARSAUD Olivia. L’incontournable Amina. http://beaute.afrik.com, 1er avril 2003
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 46

Amina n°5, mars 1972


De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 47

Si le magazine ne veut pas dicter à la femme ce qu’elle doit faire en prodiguant de tels
conseils, il doit tout de même être conscient du rôle presque indispensable qu’il joue dans la
vie de ses lectrices. Ce qu’il a bien compris puisqu’il pense aussi à entretenir leur beauté : en
effet, les trois quarts des pages publicitaires qu’il vend aux annonceurs proposent des produits
de beauté spécialement conçus pour les Noires. En voici un exemple :

Au départ, seules quatre voire cinq pages occupaient l’espace publicitaire des éditions locales.
Depuis les années 1980, elles représentent environ 20% du magazine ! Ainsi, avec la publicité
comme alliée, Amina n’a eu aucun mal (dans tous les sens du terme) à contrer ses quelques
concurrents et à s’imposer comme le féminin africain de référence. Et depuis 1983, son titre
s’est enrichi de cinq mots significatifs : « le magazine de la femme ».
Premier en termes de ventes et doyen sur le marché, sa réputation solide tient surtout à
la longue expérience de son directeur, Michel de Breteuil. Ce dernier a vécu 20 ans en
Afrique où il a publié des quotidiens en tout genre, dont certains ont eu une durée de vie
notable. Puis, il a créé des mensuels et bimensuels en France, spécialisés en agriculture ou
autres domaines professionnels, avant de lancer, avec la SAPEF (Société Africaine de
Publicité et d’Edition Fusionnées depuis 1933), celui pour lequel il allait se donner corps et
âme.
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 48

II- Du roman-photo au magazine de proximité

A) Une ligne éditoriale reposant sur des bases solides

A l’origine, Amina était un roman-photo en noir et blanc de 32 pages, traitant des


relations entre nurses et médecins dans un hôpital. Si le père de la revue était sûr de son coup
lors du lancement, c’est parce qu’il avait déjà édité plusieurs romans-photos, achetés au
Kenya, et entre sportif, comique et histoires de mœurs, le dernier thème battait tous les
records. En devenant un féminin à part entière, Amina gagne quelques 33 pages ainsi qu’une
couverture montrant des visages de femmes et faisant office de sommaire, avec seulement
deux titres, au commencement : l’interview du mois et le « roman-film », dont l’héroïne n’est
autre qu’Amina, jeune infirmière en quête d’amour. Enrichi de son sous-titre significatif, « le
magazine de la femme » (suivi de la nationalité, à l’époque des éditions locales) dévoile ainsi
son ambition. Cette transformation est une étape importante : « Amina représente vraiment la
femme noire et acquiert véritablement le statut de magazine féminin »3. Dès le cinquième
numéro, la ligne éditoriale est tracée : un édito rédigé par le directeur de publication Simon
Kiba (pour le Sénégal), puis des articles (dont une interview) illustrant le statut précurseur des
Africaines, une rubrique intitulée « le billet du mois » pour accompagner le courrier des
lecteurs (avec des lettres toujours plus nombreuses), et les incontournables santé-beauté-
coiffure et même « foyer » pour finir sur une note plus légère. Inscrit naturellement entre ces
pages, on retrouve le roman-photo, toujours suivi ou précédé d’un article traitant d’un
problème lié à la femme (qu’il s’agisse de polygamie, de dot ou même de régime diététique).
Enfin, une nouvelle mensuelle ouvre la voie à l’éternel horoscope de dernière page. Mais ce
n’est qu’à partir du dixième numéro que le sommaire apparaît. Pas toujours clair, et parfois
même erroné (en me reportant à une page annonçant un certain article, je m’aperçois que
celui-ci n’existe pas), il est la preuve que la force d’Amina réside dans son contenu et non
dans sa forme. En effet, malgré des titres différents, les mêmes rubriques se démarquent,
notamment celle consacrée, chaque mois, à ce qui se passe chez les femmes des autres pays
d’Afrique Noire francophone. De l’article de fond sur la jeunesse camerounaise et la musique,
à l’interview de Christiane Kouadio autour du club des secrétaires de Côte d’Ivoire, en

3
« Amina », www.africapole.com, 2002
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 49

passant par un sujet sur le sport féminin au Togo, tout est là pour que des réseaux se créent au
sein de la communauté.
L’expérience grandissant, la maquette du magazine s’améliore. Cela perturbe quelque
peu la ligne éditoriale, par exemple avec l’arrêt soudain, mais bref, du courrier d’Amina, qui
reviendra finalement sous un autre nom : « Notre courrier ». Avec cet intitulé globalisant, on
imagine que la fusion des éditions locales africaines est en bonne voie -d’autant plus que le
siège de la revue, après trois ans au Sénégal (l’un des rares pays d’Afrique épargné par les
régimes autoritaires) prend racine à Paris, permettant ainsi la modernisation du journal- . Par
ailleurs, le sommaire devient enfin un élément déterminant ; certains titres récurrents sont
dorénavant classés en rubriques, tandis que les autres s’organisent autour de grandes lignes.
C’est entre autres grâce à l’arrivée d’une rédactrice en chef, Assiatou Diallo, que le
changement s’opère. Diplômée d'Etudes Supérieures à l'Université Georgetown à
Washington, c’est depuis la Guinée qu’elle travaille avec le magazine féminin. Sa
connaissance de la population féminine africaine -après des voyages à travers le monde et
grâce à un mari ex-journaliste-reporter, actuellement président du principal parti guinéen- lui
vaut d’écrire tous les éditoriaux d’Amina (voir ci-dessous). Plus de 100 pages, des articles
divers et variés, mais toujours classés en domaines, une importante équipe de rédaction avec
des correspondants permanents à l’étranger et une couverture qui prend sa forme définitive
après une dernière retouche en 1996 : le magazine mûrit, tandis que son public se décuple en

Amina n°458-juin 2008 Amina n°442-février 2007


De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 50

s’étendant aux plus jeunes.

B) Les femmes mises à l’honneur sans militantisme ni artifices

Michel de Breteuil a édité toutes sortes de journaux bien avant Amina, mais s’il s’est
davantage investi pour ce dernier, c’est à cause de son « matériel humain intéressant ». Sa
formule composée presque uniquement d’interviews est unique : Amina ne raconte pas
d’histoires mais informe. Il reste toutefois le roman-photo, sa base, qui continue d’être fourni
par une société extérieure, l’équipe de rédaction n’ayant pas de temps à lui consacrer. Il
nécessiterait en effet d’être retravaillé, selon le directeur de publication, afin d’en faire
quelque chose de plus violent qui fasse réagir et se questionner le lectorat. Amina est en effet
censé précéder et accompagner l’évolution des mentalités. Or, ses romans-photos au ton
faussement revendicatif voire moralisateur sont plus un divertissement qu’autre chose pour
celui qui les lit. Ce n’est donc qu’en donnant la parole à des femmes noires, qu’il fait
découvrir les possibilités s’offrant à ses jeunes lectrices. Ces simples informations contribuent
à les faire bouger pour réussir. Dans tous les cas, on ne s’intéresse pas à des personnalités
mais à des femmes qui agissent pour réaliser leurs ambitions : de la ministre à la membre
d’association, de la député à l’inconnue politique en passant par la maire du village, les
moindres rôles de l’Africaine, dans tous les milieux socio-professionnels, sont valorisés. D’où
la principale différence d’Amina parmi ses concurrents : sa couverture, qui ne met jamais en
scène de mannequins et permet ainsi à toutes ses lectrices de pouvoir s’identifier. Car c’est
aussi un magazine de proximité : il aide à résoudre toutes sortes de problèmes, notamment
ceux posés par l’intégration des Noirs en Europe, sans aucun jugement. En se positionnant
ainsi, Amina reflète le portrait de l’Africaine traditionnelle qui se désenclave pour devenir une
femme moderne. Les rubriques santé-beauté leur offrant du temps à consacrer à leur corps,
bien qu’occupant seulement 15% de ces pages, apportent ce qu’il faut en terme de contenu
pour ne pas faire du mensuel un féminin militant. D’ailleurs, ce dernier a même tenté
l’expérience de la bimensualité. En revenant tous les quinze jours, il espérait se rapprocher
davantage de son public qui aurait pris l’habitude de l’attendre de pied ferme chez le
marchand de journaux. Au bout d’un an, l’idée fut abandonnée. Si le prix de l’avion n’était
pas très élevé pour la distribution, les problèmes d’horaires qu’il engendrait ont empêché le
bon déroulement de la bimensualité : certains numéros se retrouvaient en place pendant 18
jours alors que les suivants ne disposaient plus que de 12 jours sur les étals. Les ventes étaient
inégales d’un numéro à l’autre, ce qui ne pouvait convenir à la bonne transmission des
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 51

revendications féminines sur la transformation de la société africaine.


Le magazine, qui « s’intéresse de près aux évènements féminins mondiaux, comme par
exemple la conférence de Pékin organisée par l’ONU en septembre 95, qui traite des
problèmes que la femme rencontre partout dans le monde et des solutions susceptibles d’aller
plus en avant vers l’égalité »4, n’en oublie pas pour autant les problèmes de la vie courante.
De tout ce qui tracasse les Africaines, dans le domaine du juridique, éducatif, économique5,
etc. aucun problème n’échappe à Amina, qui les aborde avec le plus de sérieux possible. Pages
mode à l’appui : à ses débuts, la rubrique intitulée « Ivoire Mode » ne présentait que des
photos. De courtes présentations sont apparues par la suite pour les accompagner, jusqu’à
aujourd’hui où les photos ne sont plus là que pour soutenir les articles.
En positionnant le magazine en féminin d’information, M. de Breteuil et son équipe
contribuent véritablement à l’activité foisonnante des femmes africaines. Mais il ne faudrait
pas oublier que cela fonctionne parce que la réalisation de ses ambitions personnelles fait
partie de la culture noire africaine.

4
« Amina », www.africapole.com, 2002
5
Voir article en annexe : Annexe 6, p.19
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 52

III- Yasmina, le “coup d’essai”

A l’origine de Yasmina, un constat : aucun organe de presse ne permet aux


nombreuses femmes originaires du Maghreb qui vivent en Europe de se créer des réseaux
d’une rive à l’autre.

A) Diversité du lectorat et de ses attentes

De la Maghrébine à la femme arabe en général, la cible de Yasmina s’étend de chaque


côté de la Méditerranée, jusqu’au Québec. Mais en voulant leur donner la parole comme il
l’avait fait pour les femmes noires, le concepteur du magazine a omis un détail important :
leur culture est très différente. Avec l’Islam comme religion, elles ont appris à accepter
beaucoup de choses, sans chercher à les faire changer. À part celles qui vivent dans un milieu
aisé et aspirent à rentrer dans le “moule” européen, les Maghrébines n’ont donc pas une
volonté sans borne de réussir ; elles ne se sentent pas encore toutes libres de prendre la parole,
soit parce que cela leur fait peur, soit parce qu’il ne leur viendrait même pas à l’esprit de la
prendre. L’important pour ces femmes aujourd’hui est de pouvoir être indépendantes, aussi
bien économiquement que politiquement, et qu’importe le poste qu’elles occupent, pourvu
qu’il leur permette de faire vivre leur famille. Yasmina ne peut donc en aucun cas se baser sur
un archétype de la femme, ce qui rend difficile la couverture de la cible. Et ce, tant
mentalement que géographiquement parlant : avec la difficulté d’implantation du magazine en
Tunisie, par exemple, il était impossible d’en faire un journal populaire. Le pays achète en
effet très peu de titres à l’international, pour des raisons de coûts. De même, il n’est pas aisé
pour un journal étranger de pénétrer en Algérie. Au Maroc, c’est parfaitement envisageable,
mais il faut faire face à une rude concurrence au Nord du pays, et à l’ignorance du lectorat au
Sud, où les mentalités sont très différentes. Alors, pour se faire connaître, Yasmina a voulu
intégrer le secteur associatif en ajoutant à sa ligne éditoriale une rubrique informant sur
l’action des associations socioculturelles. Mais grâce à la diversité d’âges, de lieux de vie, de
métiers et de considérations sur la culture islamique de son lectorat, le bouche-à-oreille a
fonctionné tout naturellement et avec une rapidité sans faille. Avec 30 000 exemplaires
vendus à son lancement le 1er octobre 2002, « le magazine de la femme maghrébine » a atteint
son niveau de diffusion définitif dès le deuxième numéro. Au bout d’un peu plus d’un an, il a
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 53

dû s’arrêter, malgré de gros efforts pour faire décoller les ventes ; en mêlant la légèreté des
rubriques mode et beauté ou bien des photos de jolies filles en couverture, à un ton nettement
plus engagé que celui d’Amina, il a dû éparpiller ses lectrices au lieu de les rassembler.
Cette oscillation permanente entre implication dans la modernité et adhésion aux
traditions menait parfois à des situations surprenantes, comme l’atteste cette juxtaposition de
deux photos de mode que tout oppose :

Il est clair que socialement et affectivement, les Maghrébines appartiennent à deux univers. Et
les soi disantes différences qui les séparent, c’est justement ce que la rédactrice en chef, Nadia
Khouri-Dagher, a voulu gommer. Et ce, en faisant de Yasmina un magazine résolument
militant. Mais passer d’un article sur une chanteuse au mode de vie occidental au témoignage
d’une femme qui a dû payer pour obtenir le divorce après un mariage forcé, n’est-ce pas, au
contraire, montrer que ces différences sont réelles ?
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 54

B) Une prise de parole (trop ?) engagée

« Je refuse de me voir dicter ce que je dois dire », « Je lutte pour la démocratie et


pour l’émancipation effective de la femme », « J’ai voulu dire la violence coloniale, mais
aussi celle de la tradition arabo-musulmane à l’égard des femmes », « Je me suis toujours
battue pour faire mieux que les garçons ! », « Je tuerais mon mari s’il osait se risquer à la
polygamie ! », « La femme doit non seulement prouver ses compétences, mais également se
faire respecter »…6 Toutes ces paroles émanent de la bouche de femmes révoltées, qui ont
connu des expériences plus ou moins difficiles et veulent en parler, de toutes leurs forces. Car
pour trouver des Maghrébines qui ont des choses à dire, il faut s’attendre à ce qu’elles soient
militantes, les autres n’étant pas habituées à pousser leur voix quand on leur donne la parole.
Le problème qui se présente alors est le suivant : les lectrices ne s’identifient pas
suffisamment à ces femmes, dont l’histoire les effraie le plus souvent. Bien sûr, ce n’est pas le
cas de celles qui appartiennent à la même génération de révoltées ; les lettres que recevait
Yasmina chaque mois n’étaient que remerciements et récits d’expériences similaires à celles
des interviewées. Tout ce que leurs mère et grands-mères avaient subi sans rien dire,
appartenait au passé, à l’époque où les femmes étaient soumises, jusque dans leur métier. On
pouvait ainsi voir défiler au sein de la revue des témoignages d’avocates, de mannequins, de
chanteuses, de sociologues, de fondatrices d’associations… Quelle que fût leur profession, ces
femmes répondaient au but que s’était fixé la rédactrice en chef : faire de Yasmina « le centre
d’un immense réseau solidaire ». Selon Nadia Khouri-Dagher en effet, fonctionner par
réseaux a toujours permis de faire avancer, doucement mais sûrement, la révolution féministe.
D’où le choix de faire figurer systématiquement les coordonnées des invitées à la fin de
chaque article. Cette multitude de témoignages de femmes, tel un « cri d’amour malheureux
des Franco-maghrébines envers la France »7, était pourtant révélatrice d’une chose : ces
militantes n’étaient toujours pas satisfaites de la condition réservée aux femmes dans leur
pays, et la pensée selon laquelle la France est un pays de grande liberté demeurait palpable
dans leur discours. Comment Yasmina pouvait-elle alors faire évoluer le statut de son lectorat
situé en France si la seule forme journalistique retenue abordait des problèmes de société
propres aux régions du Sud ? Et quand même ils étaient communs aux deux rives, comment
expliquer qu’un magazine maghrébin se voulant populaire, ne soit pas édité en langue

6
Yasmina n°3 et 5, décembre 2002 et février 2003
7
Mme Khouri-Dagher pour Le Monde, in Yasmina, « Elle »militant des femmes maghrébines, 18
octobre 2002
De la naissance du magazine Amina à celle de sa petite sœur Yasmina 55

arabe ? Finalement, le statut de Yasmina s’apparentait à celui des journaux féministes des
années 1980, avec des pages loisirs en plus : elle abordait des sujets sensibles touchant à la
femme ou à la religion en élevant la voix féminine au même rang que celle des journalistes
militantes de Elle ou Marie-Claire à leurs débuts. Les Maghrébines vivant en France,
pouvaient donc très bien se retrouver dans ses pages, au même titre que les autochtones, au
détail près que le paysage médiatique environnant avait mis le militantisme de côté depuis un
certain temps. Les propos engagés de leurs congénères avaient donc de quoi les étonner. Sans
doute était-ce cette peur inconsciente de voir régresser, en quelque sorte, leur condition dans
un pays ayant déjà réglé le sort de la femme, qui a réfréné les intentions d’achat de Yasmina.

La recette qui a fait le succès d’Amina, n’a pu et ne pourra sans doute jamais être
adapté à la presse maghrébine. Tant que les acteurs seront incomparables, c’est-à-dire
tant que les militantes maghrébines auront d’autres messages à faire passer que ceux de
l’espoir et de la victoire, le résultat s’en ressentira. Yasmina ressemblait davantage à un
coup d’essai pour tenter de créer une nouvelle branche au sein de la presse féminine
ethnique, qu’à une conviction selon laquelle il faut donner la parole aux Maghrébines
(aucun effort n’avait d’ailleurs était fait sur la maquette, quasi-similaire à celle
d’Amina).
56

La presse féminine a fait son nid sur la scène médiatique maghrébine et compte bien y
voir grandir sa progéniture. S’étant toujours mobilisée en faveur de l’émancipation de la
femme et du renforcement de son rôle majeur dans la société, elle a dû franchir de nombreux
obstacles sur son parcours : manque de moyens, censure, concurrence étrangère… Dire
qu’elle en est sortie indemne serait exagéré, même si ses titres sont plus nombreux qu’hier, en
particulier au Maroc. De fait, en s’imposant une ligne éditoriale en parfaite symbiose avec
l’actualité des femmes, les magazines militants ont pu profiter des acquis de ces dernières,
acquis consolidés et exaltés par leurs soins. L’indissolubilité de ces deux acteurs a notamment
suscité l’intérêt de chercheurs marocains qui ont tenté de définir, à travers une étude sur
« L'image de la femme dans le discours médiatique marocain », « les caractéristiques de cette
relation dialectique fondée sur le rejet de tous les discours réducteurs de la femme, sans
réussir pour autant à leur trouver un discours propre à elles sur les tribunes médiatiques1 ».
Les féminins qui ne sont pas nés au temps du féminisme militant subissent en effet
l’influence d’une presse déjà bien installée, aux environs de la région : celle de l’Europe et
celle de l’Afrique. Les magazines destinés aux Occidentales, eux, s’attachent plus à la forme
qu’au contenu, et leur considération s’en ressent : ils appartiennent au domaine du
divertissement, du passe-temps ; alors que les magazines lus par la jeune génération africaine,
et qui utilisent des supports en papier journal, sont de véritables accompagnateurs du
quotidien, presque des guides de vie. Dans une situation intermédiaire (ni complètement en
retard, ni encore vraiment développée), les magazines maghrébins tentent, par leur forme, de
ressembler à leurs confrères occidentaux, ce qui fait que le contenu a du mal à ne pas être
artificiel, excepté lorsqu’il est purement militant, et par là spécifique à l’évolution de la
société au Maghreb. Mais dans les deux cas, la condition discriminatoire de la femme est mise
en lumière, soit par le reflet exact ou annonciateur de sa situation et des évolutions la
concernant, soit par les freins culturels, sociaux et politiques qui empêchent cette presse d’être
l’instrument le plus adapté à la recherche du bonheur de ses lectrices.
D’un autre côté, un contenu que l’on doit uniquement à la culture du pays risque de
moins intéresser, puisqu’il maintient la femme enfermée dans le contexte de son évolution. Il
suffit de citer l’échec de Yasmina pour comprendre que seules les revues plus ouvertes et
donc plus modernes peuvent fonctionner. Ainsi, Islamic Girl, un féminin originaire des Etats-
Unis, a de grandes chances de durer, son contenu étant nettement moins “islamiste” que s’il
avait été créé dans un pays majoritairement musulman. Combiner une particularité culturelle à

1
La presse féminine : un laisser-passer pour un monde de rêves et d’illusions. MAP 8 mars 2006
57

des préoccupations féminines universelles, voilà une preuve d’évolution. De la même façon,
les féminins arabophones sont promis à un bel avenir au Maghreb, puisqu’en s’adaptant ainsi
à la jeunesse de tous les milieux sociaux, ils mettent de côté l’exclusivité des Femmes du
Maroc et autres Citadine, qui, de par leur prix et la langue qu’ils utilisent, sont réservés à une
élite.
Dans les sociétés où le problème de la place de la femme ne se pose plus, comme la
France, le marché de la presse féminine, très encombré mais dynamique, fonctionne
différemment : en effet, selon l’OJD, « les titres haut de gamme se portent mieux que les
titres plus grand public ». Et pendant ce temps, à l’autre bout du monde, des femmes se
battent pour sauver l’unique magazine féminin qui leur reste. En Afghanistan, Roz a près de
60 000 lectrices fidèles et est menacé de disparaître à tout moment, comme les autres titres
l’ont fait avant lui. Mais c’est pour ne pas laisser les Afghanes sombrer dans l’oubli que ses
journalistes bravent le danger auquel elles sont exposées chaque jour en rejetant publiquement
le fondamentalisme qui fait régresser leur condition et entrave la liberté d’expression.
Avec une porte ouverte sur l’Union européenne, la communauté maghrébine a toutes
les cartes en main pour donner à sa presse féminine une dimension autre que celle du
militantisme, et c’est ce qu’elle est destinée à faire si le secteur continue sa croissance.
58

Index des titres

A
Akoua2, 42
Akouavi, 42
Amina, 23-40-41-42-43-44-45-46-47-48-49-50-51-53-55
Awoura, 42

B
Biba, 41

C
Citadine, 22-24-25-29-31-37

D
Diassé, 42
DS, 22
Dzeriet, 27

E
El djazaïra, 21-28
Elle, 22-38-39-41
Elle oriental, 32

F
Famille actuelle, 30
Farah Magazine, 22
Féminin plurielles, 38
Femme, 18-21-22-28
Femme actuelle, 29-31
Femme d’aujourd’hui, 39
Femme pratique, 39
Femmes de Tunisie, 33-34-36-39
Femmes du Maroc, 22-24-25-26-27-29-30-31-35-37-38
Femmes et Réalités, 36

G
Gazelle, 24

H
59

Hawa, 22

I
Isa, 25

K
Kalima, 16-27

L
Lalla Fatima, 29-36
Leïla, 21
L’expression, 33

M
Marie-Claire, 22-31
8 Mars, 16-21-37
Mères Echos, 22
Missilia, 32-33
Mwasi, 42

N
Nissa, 22
Nissaa Min al Maghrib, 22-25-29-31
Noisy, 42
Nouvelles confidences, 37
Nuance

O
Ounoutha, 22
Ousra Magazine, 24-25-32-37

P
Parade, 22-35
Poco, 42

S
Sayidati, 29

T
TelQuel, 26
60

W
Wife, 42

Y
Yasmina, 22-40-42-52-53-54-55

Z
Zahrat Al Khalij, 29
61

Bibliographie et sources documentaires

Périodiques
El djazaïria n°44 (1974) et n°79 (1977)
Amina (Sénégal) n°3 à 18 – décembre 1972 à décembre 1974
Amina n°122 à 143 – janvier 1983 à octobre 1984 / n°442 – février 2007, n°456 – avril 2008
et n°458 – juin 2008
Yasmina n°3 – décembre 2002 et n°5 – février 2003
Jeune Afrique n°2429 – du 29 juillet au 4 août 2007
Femme n°131 – mars avril mai 2004
Dzeriet mars 2006
Ousra magazine n°71 – septembre 2007
Femmes du Maroc n°141 – septembre 2007 et n°145 – janvier 2008
Femmes de Tunisie décembre 2007 et février 2008

Livres
L’état de la presse en Afrique. Rapport 2005 / éd Mediane Aramimedia Sarl. Août 2005, 160
pages
COTE Marc. L’Algérie / collection U
GOLDMANN Annie. Les combats des femmes. XXe siècle
Le grand guide de la Tunisie / éd Gallimard.
Le grand guide du Maroc / éd Gallimard
SCHIMMEL Annemarie. Mon âme est une femme

Sites Internet
www.ojd.com
caracteresmediagroup.com
www.maghreb-online.8k.com
www.citadine-magazine.com
www.dziriya.net
www.dzeriet-mag.com
www.femmesdetunisie.com
www.realites.com.tn

Articles
Lawrence of Cyberiasss. Seules les musulmanes persécutées intéressent l’Occident.
www.beurfm.net/forum 28 février 2006
Hijab. wikipedia.org 20 avril 2008
PONSY Valentine. Tunisie, histoire de femmes. www.france5.fr/programmes/articles/actu-
societe 28 mars 2006
FOURMONT-DAINVILLE Guillaume et CLOT Ziyad. Société civile : Femmes d’Islam -
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62

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BEN HASSINE Oum Kalthoum. La condition de la femme de la Tunisie indépendante : les
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PROFESSION : JOURNALIME MAGHREBIN AU FEMININ. Vécu professionnel de la
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marocaine, Site officiel du syndicat national de la presse marocaine mai 2006/mai 2007
RECHERCHE À L’APPUI DES MÉDIAS INDÉPENDANTS AU MAROC. Rapport
analytique d’Inter Media par Rola ABDUL-LATIF, août 2007

Interview de Michel de Breteuil


Sup de Pub – Groupe INSEEC Mémoire de Master 1 – Conception rédaction

Marie-Sophie Brunet de Sairigné

La presse féminine au Maghreb

ANNEXES

15 Juillet 2008 Tuteur : Brigitte Feltz


2

Sommaire

Annexe n°1 : La femme tunisienne en chiffres 3

Annexe n°2 : Historique du groupe Caractères 8

Annexe n°3 : Enquête. Marocains, Comment faites-vous l’amour ? 10

Annexe n°4 : Radioscopie. La presse féminine au Maroc à travers


Citadine et Femmes du Maroc 14

Annexe n°5 : Dziriya, magazine en ligne 16

Annexe n°6 : Enquête. Ménagères face à l’envolée des prix 18


3

ANNEXE n°1
La femme tunisienne en chiffres
Source : www.tunisie.com
4
5
6
7
8

ANNEXE n°2
Historique du groupe Caractères
Source : caracteresmediagroup.com
9
10

ANNEXE n°3
Enquête. Marocains, comment
faites-vous l’amour ?
Source : www.telquel-online.com
11
12
13
14

ANNEXE n°4
Radioscopie. La presse féminine
au Maroc à travers Citadine et
FDM
Source : Maroc Hebdo International n°349- du 5 au 11 décembre 98
15
16

ANNEXE n°5
Dziriya, magazine en ligne
Source : dziriya.net
17
18

ANNEXE n°6
Enquête. Ménagères face à
l’envolée des prix
Source : Amina n°456 avril 2008
19

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