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Impression : TORI
11, rue Dubrunfaut, 75012 Paris
Commission paritaire : 61699 Téléphone : 01 43 46 92 92
Sommaire Septembre 1999 N° 199
Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris
Ce numéro a été dirigé par Alain Ménissier, orthophoniste
LES ACTIVITÉS
LOGICO-MATHÉMATIQUES
1
1. Compétences arithmétiques : une aide à l’évaluation et à l’action pédagogique 81
Françoise Duquesne, CNEFEI, Suresnes
2. L’UDN 2 : un instrument révisé pour des évaluations plus fines 91
Claire Meljac, psychologue, Paris
3. Utilisation du jeu de stratégie « Quarto » comme stimulus développemental
du fonctionnement cognitif. Application chez un enfant présentant
un syndrome de Williams Beuren (S.W.B.) 101
Pascale Op de Beeck, logopède, Kain (Belgique)
153
2
Michel FAYOL
(*) LAPSCO/CNRS
Université Blaise Pascal
34 avenue Carnot
63037 Clermont Ferrand cedex
3
être surpris de la diversité. Elle ne pouvait être réduite qu'en donnant la parole
aux chercheurs, mais la publication aurait alors perdu en réalisme ce qu'elle
aurait gagné en cohérence. Acceptons donc la variété des points de vue en sou-
haitant qu'elle aiguise l'esprit critique. Après tout, l'essentiel est sans doute que
les lecteurs trouvent ici des raisons de poursuivre leur quête d'informations en
découvrant des approches nouvelles qui suscitent leur curiosité.
Ce numéro s'organise autour de trois grands axes.
En premier, Alain Ménissier dresse un bilan de l'évolution des systèmes
numériques écrits. En s'inspirant largement de la littérature, il met ainsi à la dis-
position des lecteurs peu informés un document simple, clair qui permet de
mieux saisir la nature de certaines difficultés d'apprentissage. Vient ensuite un
article de Valérie Camos, qui présente de manière très pertinente les problèmes
soulevés par le dénombrement. Pour cela, elle fait référence à des conceptions
théoriques qui ont en quelque sorte impulsé la recherche sur ce thème au cours
des 20 dernières années. Ces deux premières contributions ont une tonalité
essentiellement théorique. Elles offrent des synthèses utiles plus que des
exemples de cas ou des réflexions à partir de pratiques.
La deuxième partie regroupe six contributions partageant le même souci
d'aborder le problème des difficultés rencontrées par les enfants au cours de
l'apprentissage. Trois d'entre elles rapportent des études empiriques et visent à
rechercher des critères de diagnostic (tel enfant est-il dyscalculique ou non ?).
Deux autres exposent des épreuves destinées précisément à aider le praticien à
poser un tel diagnostic. Jean-Paul Fisher s'attache à montrer que les connais-
sances mobilisées par les élèves en difficultés ne diffèrent pas de celles qui sont
mises en œuvre par les « normaux ». En revanche, les premiers sont handicapés
lorsque le mode de réponse est verbal. Rémi Brissiaud rapporte des données en
faveur d'une typologie des dysfonctionnements en calcul. Il distingue entre ceux
qui présentent des difficultés de mise en relation entre concepts numériques de
la vie quotidienne et concepts numériques de la vie scolaire, lesquels, selon lui,
ne présentent pas de déficience, et ceux qui ont un défaut de codage spatial du
résultat du comptage, défaut qui serait associé à la « vraie dyscalculie ».
C. Marinthe et al. font état de données empiriques montrant l'existence d'une
forte corrélation entre performances à des épreuves neuropsychologiques pas-
sées à l'âge de 5 ans et réussite à des épreuves arithmétiques réalisées un an plus
tard. Ce résultat soulève le problème des relations qu'entretiennent ces deux
familles d'habiletés et oblige à rechercher des composantes neuropsycholo-
giques sous-jacentes aux capacités arithmétiques, mais qui, évidemment, ne sau-
raient rendre compte à elles seules des performances arithmétiques.
4
Françoise Duquesne présente un outil d'évaluation des compétences numériques
(ECPN) destiné à des enfants en difficulté d'apprentissage en mathématiques.
Claire Meljac, elle, évoque la nouvelle version de l'UDN (UDN 2), laquelle
comporte des améliorations portant sur l'éventail des épreuves, l'étalonnage et
l'empan des âges concernés. Pascale Op de Beeck fait état de l'utilisation d'un
jeu de stratégie destiné à stimuler le développement cognitif et illustre cela par
un exposé concernant un enfant présentant un syndrome de Williams Beuren.
La troisième partie de ce numéro concerne très directement les enfants
dyscalculiques et la dyscalculie. Michèle Mazeau souligne très justement qu'en
l'état actuel de nos connaissances, les dyscalculies ne constituent pas un
ensemble homogène. Aussi est-il indispensable de disposer d'analyses neuro-
psychologiques pour déterminer les troubles à l'origine de la dyscalculie. Elle
illustre cette démarche en rapportant trois études de cas. Pierre Dessailly s'inter-
roge ensuite sur la définition de la dyscalculie, et sur les questions que soulève
inévitablement son diagnostic. Il va toutefois bien au delà d'un questionnement
relatif aux critères. En effet, et de manière très pertinente, il tente de mettre en
relation les connaissances du praticien et celles du théoricien. Qu'il sache que
nous nous interrogeons tous sur les propos (et les pensées !) de J. Piaget, et des
chercheurs contemporains dont le travail est (c'est leur métier!) d'élaborer et de
tester des théories et de la meilleure manière d'articuler leur démarche avec celle
des praticiens dont la tâche est de prévenir ou de remédier, et qui pour cela usent
de techniques dont les raisons de l'efficacité ou de l'inefficacité nous échappent
très largement. Et encore pour très longtemps. D'autant plus longtemps que les
relations entre chercheurs et praticiens ne seront pas régulières et faites de res-
pect et d'échanges mutuels.
Peut-être ce numéro contribuera-t-il, modestement, à l'instauration de cet
échange.
5
REFERENCES
BIDEAUD, J, MELJAC, C. & FISCHER, J.C. (1991). Les chemins du nombre. Lille : Presses universi-
taires de Lille.
DEHAENE, S. (1997). La bosse des Maths. Paris : O. Jacob.
ENGLISH, L.D. & HALFORD, G.S. (1995). Mathematics education. Mahwah, NJ : L.E.A.
FAYOL, M. (1990). L'enfant et le nombre. Paris : Delachaux & Niestlé.
GEARY, D.C. (1994). Children's mathematical development. Washington, D.C. : American Psychological
Association.
GEARY, D.C. (1993). Mathematical disabilities : Cognitive, neuropsychological, and genetic components.
Psychological Review, 114, 345-362.
PESENTI, M. & SERON, X. (sous presse). La neuropsychologie du calcul. Marseille : Solal.
6
Petites histoires sur l'histoire d'une grande
invention : la numération
Alain Ménissier
Résumé
Les hommes, tout au long de leur histoire, ont élaboré de nombreux systèmes avant d'abou-
tir à la forme définitive de notre numération actuelle. La compréhension des difficultés ren-
contrées dans la construction d'un tel système aidera le praticien dans son travail avec l'en-
fant lorsque celui-ci s'approprie le système décimal de position.
Mots-clés : chiffres, histoire, numération.
Abstract
Throughout the history of mankind, man has developed many different numbering systems
before reaching the final form of numbering which is currently in use. An understanding of
those problems encountered in the process of constructing this system should help practi-
tioners in their work with children who are learning to master the decimal system.
Key Words : digits, history, numbering
7
Alain MÉNISSIER
Orthophoniste
1, place Aragon
70100 Arc-les-Gray
S
'il est une histoire passionnante, c'est bien celle de la numération. L'inven-
tion des chiffres et la mise en place des numérations figurées, écrites et
parlées sont l'aboutissement d'une longue et lente histoire recouvrant plu-
sieurs millénaires. Des os porteurs d'entailles, premières marques numériques,
ont été datés de 30 000 ans, période du Paléolithique. Loin de nous l'idée d'évo-
quer une théorie de la récapitulation où l'ontogenèse reproduirait pas à pas les
étapes franchies par l'humanité : à travers l'histoire du nombre, nous prendrons
conscience néanmoins des obstacles et des difficultés rencontrés lors de la
construction d'un système numérique fonctionnel et opératoire.
Certains groupes humains se contentèrent de quelques nombres : un, deux,
trois, beaucoup. Mais, dès qu'une civilisation apparaissait, elle éprouvait le besoin
de dénombrer ses membres et ses biens. Il lui fallait se doter pour cela d'un sys-
tème de représentation plus élaboré : un procédé de construction des nombres qui
permet de montrer beaucoup avec peu. En revanche, lorsqu'une civilisation dispa-
raissait, comme par exemple celle de Babylone ou celle des Mayas, s'effaçait
aussi sa façon de compter et de calculer. Il n'y a donc pas une histoire du nombre
mais des histoires de systèmes de numération, où découvertes et redécouvertes
se succèdent : les hommes, bien qu'ils se soient trouvés dans des espaces et dans
des périodes fort éloignés, ont bien souvent abouti à des résultats similaires. De
multiples combinaisons ont été tentées avec la mise en oeuvre de numérations
différentes : additives, hybrides (utilisation conjointe de l'addition et de la multi-
plication) et positionnelles. Les Egyptiens utilisèrent jusqu'à trois numérations,
comme les Chinois et les Grecs, alors que les Mayas n'en produisirent que deux !
Aztèques, Ethiopiens, Hébreux et Romains eurent également la leur.
Compter des objets, écrire un calcul, effectuer une opération sont pour
nous des actes intellectuels élémentaires. C'est oublier que pendant des siècles,
8
ces pratiques étaient réservées à de rares initiés, et que le calcul restait un art
obscur et complexe. Il faudra l'arrivée et la diffusion de la numération indienne
pour démocratiser le calcul. Bien sûr, compter sur ses doigts, faire des apparie-
ments, utiliser des abaques ou des bouliers sont toujours des procédés actuels,
mais seul, l'emploi de notre numération permet les calculs les plus simples
comme les plus complexes.
Ces petites histoires introduisent chacune un problème particulier qui
s'est posé dans l'élaboration des systèmes de numération. Non exhaustives, elles
ne sont que des illustrations du bricolage incessant de toute activité mentale en
construction.
9
Un jour, quelqu'un eut l'idée de perfectionner ce système qui, malgré son
ingéniosité, ne permettait pas de garder la trace du calcul effectué : plutôt que
d'enfermer les jetons dans la bulle d'argile, il représenta ceux-ci par des encoches
faites sur la surface de la bulle : cela évitait même de la casser ! Les jetons devin-
rent inutiles puisqu'il suffisait de vérifier le compte sur « l'enveloppe ». La forme
ronde ne s'imposait plus, elle s'aplatit pour devenir tablette. A la place des jetons,
le scribe inscrivit avec la pointe d'un roseau, des combinaisons de trous circu-
laires et d'encoches : les premiers chiffres étaient nés...
◆ Des petits traits, des petits traits, encore des petits traits...
Plusieurs siècles avant Jules César et les Romains, les Etrusques avaient
inventé des signes de numération particuliers. Les bergers avaient pris l'habitude
de graver sur leur bâton le nombre de leurs animaux. Une entaille pour le pre-
mier mouton, une entaille pour le mouton suivant et encore une entaille pour le
suivant, etc. Cette pratique venait tout simplement des temps préhistoriques.
Pour un petit troupeau, le berger pouvait s'en contenter ; mais plus le berger pos-
sédait de moutons, plus il devait graver de petits traits les uns à côté des autres.
Cela n'était pas très commode : à partir de quatre, l'oeil du berger se trompait
souvent et il devait recommencer son comptage depuis le début. Plutôt que de
compter et de recompter sans cesse ses encoches, notre berger eut un jour une
idée : après quatre traits semblables consécutifs, il lui suffisait de modifier
l'orientation de la cinquième entaille pour que d'un seul coup d'oeil, il recon-
naisse la série de cinq traits. Le berger reproduisait intuitivement la forme de sa
main : quatre doigts verticaux et le pouce disposé obliquement...
Le berger était content de lui : il venait d'inventer un signe graphique qui
représentait une nouvelle unité de compte. Pour bien le reconnaître, il chercha à
le différencier des simples traits verticaux. Alors, il lui adjoint un petit trait sup-
plémentaire, parfois horizontal, parfois oblique : la cinquième encoche ressem-
blait alors tantôt à un t, tantôt à un V.
Reprenant son comptage, le berger arrive à la neuvième entaille. Va-t-il
garder le même signe graphique? Voyant que ce nombre est similaire au nombre
de doigts des deux mains réunies, pourquoi ne pas choisir un signe représentant
le double de cinq. Le signe en forme de X s'impose comme la facture d'une
double entaille en oblique. D'autre part, la reconnaissance de cette nouvelle
quantité, la dizaine, concorde parfaitement avec le comptage digital. Peu à peu,
cette écriture donnera naissance à un système décimal où la quantité cinq joue
le rôle d'une base secondaire, puisque dix est l'addition de deux mains de cinq
doigts.
10
Dans un premier temps, notre berger avait appliqué une notation cardinale
pour transcrire sur son bâton ou sur une planchette le nombre de ses animaux.
Ainsi pour indiquer qu'il possédait 28 moutons, il marquait :
I I I I V I I I I X I I I I V I I I I X I I I I V I I I
1 5 10 15 20 25 28
Ce procédé, quoique de lecture plus facile, restait encore long à écrire.
Comment améliorer cette notation pour en abréger le nombre de traits et en faci-
liter la transcription ? Si les nombres de 1 à 4 conservent leur représentation ori-
ginelle (respectivement I II III IIII), il n'en va pas de même pour 5 ; le
simple signe V le distingue des autres traits et suffit à représenter cette quantité.
Le berger « invente » alors le principe cardinal, tout en se servant d'une nota-
tion ordinale : au lieu de graver IIIIV pour indiquer qu'il possède cinq animaux,
il se contente d'écrire V, puisque celui-ci sert précisément à distinguer le cin-
quième trait des quatre précédents. Il fera de même avec la quantité dix, en écri-
vant X comme seul signe signifiant, et en supprimant tous les traits qui précé-
daient. Plus tard, il inventera un autre principe : par souci d'économie, au lieu
d'écrire 4 par quatre traits verticaux successifs, il notera IV, exprimant que le
quatrième trait de la série se situe juste avant V. Il poursuivra en écrivant le
nombre 6 par VI et non plus IIIIVI. Cette écriture implique à présent l'emploi
simultané du principe additif ( tout signe à droite d'un signe supérieur s'y
ajoute) et du principe soustractif (à gauche d'un signe supérieur, il se
retranche) : ainsi s'élabore ce qui deviendra la numération étrusque puis romaine
dérivée de la pratique archaïque de l'entaille.
11
gestes effectués sur une main ou sur les deux, certains systèmes permettent de
figurer les nombres de 1 à 9999. Même après la chute de l'empire romain, un sys-
tème de comptage manuel a été utilisé en Occident jusqu'à la fin du Moyen-Age :
c'était d'ailleurs l'un des plus remarquables instruments pédagogiques de l'ensei-
gnement médiéval et il faudra l'introduction des chiffres arabes pour que cette
arithmétique manuelle soit peu à peu abandonnée (figure n° 1).
Fig. 1. Technique de numération permettant de compter jusqu’à 9999 avec deux mains
(d’après G. IFRAH, 1985)
12
Notre système numérique actuel est dit « à base 10 ». L'idée fondamen-
tale réside dans la prédominance du groupement par dizaines (paquets de
10 unités), par centaines (ou dizaines de dizaines), etc. L'adoption de cette base
a été et reste la plus répandue au cours de l'histoire. Calquée sur le nombre de
doigts des deux mains, cette base correspond à un ordre de grandeur satisfaisant
pour notre mémoire : des signes et des mots-nombres en quantité limitée avec
des tables d'addition et de multiplication pouvant être apprises par coeur sans
une trop grande charge cognitive. Pourtant, les avantages de cette base ne sont
ni des plus pratiques ni des plus mathématiques. En effet, un bon système
numérique se doit de posséder une base comportant un maximum de diviseurs,
et la base dix n'est multiple que de 2 et de 5, alors que le choix d'une base
proche, comme la base 12, permettrait des diviseurs tels que 2, 3, 4, et 6.
Ne nous étonnons donc pas que le commerce ait adopté dans les faits cette base
duodécimale, ce qui lui permet de prendre assez facilement de cette base la moi-
tié, le tiers, le quart et même le sixième : les œufs et les huîtres se vendent et se
vendront encore longtemps par douzaines, quand ce n'est pas par grosses
(douzaines de douzaines) !
Les Sumériens, et après eux les Assyro-Babyloniens, employèrent cette
base dans les mesures temporelles et géométriques (division de la journée, du
zodiaque par exemple). La base 12 a permis aussi la constitution de la base 60,
base qui nous sert encore de nos jours pour mesurer le temps (en heures, en
minutes et en secondes) ou les arcs et les angles (en degrés, en minutes et en
secondes). L'origine de cette base soixante semble être le résultat d'une combi-
naison naturelle de la base douze avec le comptage digital élémentaire de base
cinq (12 x 5 = 60).
La base 12 se pratique en n'utilisant que les doigts d'une seule main lors
d'un comptage manuel. Le pouce est le calculateur qui appuie successivement
sur chacune des trois phalanges des quatre doigts opposés de cette main : au
bout du compte, la douzaine est obtenue. Pour « retenir » cette douzaine, il suf-
fira de replier l'auriculaire de l'autre main : les cinq doigts de cette main retien-
dront donc chaque nouvelle douzaine jusqu'au terme de soixante (12 x 5).
Ce procédé reste attesté de nos jours puisqu'il est encore pratiqué du
Proche-Orient à l'Inde et à l'Indochine. Compter sur ses doigts peut nous sem-
bler un des degrés les plus élémentaires dans l'ordre des acquisitions numé-
riques : il demeure cependant le pilier fondamental de la pratique numérique de
toutes les civilisations du monde entier. Dépassé par l'imagination des hommes,
il a ouvert la voie aux découvertes arithmétiques les plus élaborées.
13
Fig. 2. (d'après G. IFRAH, 1985)
14
qu'elle contient. Pour écrire un nombre, le scribe devait donc répéter le chiffre
de chaque classe décimale autant de fois qu'il le fallait. Ainsi, l'addition et la
soustraction ne présentaient pas de difficulté particulière : pour additionner, on
juxtaposait les représentations chiffrées, puis on groupait mentalement les
chiffres identiques en remplaçant toutefois dix signes d'une catégorie par le
chiffre de la classe décimale supérieure.
De même, les égyptiens savaient obtenir le résultat de la multiplication ou
de la division d'un nombre par dix, en remplaçant dans l'écriture chaque signe
par le chiffre de son décuple dans le premier cas, et par celui de son dixième
dans le second. Pour les autres opérations, ils procédaient par duplications suc-
cessives en élaborant des séries de multiplications par deux.
Imaginons qu'un fonctionnaire répertorie une livraison et que ce travail
l'oblige à effectuer la multiplication 82 x 12. Il inscrira le multiplicateur 12 à
droite et 1 à gauche, puis il doublera successivement chacun des deux nombres
jusqu'au moment où il obtient le plus grand nombre contenu dans le multipli-
cande.
1 12
(2) 24+
4 48
8 96
(16) 192+
32 384
(64) 768+
Il cherche maintenant dans la colonne de gauche les nombres dont la
somme est égale à 82, soient 2 + 16 + 64 (nombres mis entre parenthèses). En
additionnant les nombres correspondants de la colonne de droite (marqués d'un
plus), il obtient 24 + 192 + 768 = 984 qui est bien le résultat de 82 x 12. Cette
méthode avait au moins le mérite d'éviter de faire appel à la mémoire puisqu'il
suffisait de savoir additionner et multiplier par deux. Néanmoins, ce type d'opé-
rations restait lent, complexe et de lecture difficile. Les calculs devenant plus
fréquents et plus nombreux, il faudra donc écrire plus vite, en simplifiant au
maximum la notation. Il ne faut d'ailleurs pas croire que le système des hiéro-
glyphes fut employé pour consigner les comptes-courants ou les inventaires. Les
scribes avaient schématisé le tracé pictural en éliminant peu à peu les détails :
les auteurs grecs ont donné à cette pratique le nom d'écriture hiératique. Les
groupements hiéroglyphiques de traits identiques pour représenter les neuf uni-
tés simples, laisseront ainsi la place à des signes cursifs indépendants les uns
des autres et détachés de toute symbolisation motivée. Malgré cette évolution,
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l'attachement au principe additif et à la conservation de tous les signes supé-
rieurs ou égaux à la dizaine a empêché les scribes égyptiens de concevoir une
numération mathématiquement équivalente à notre numération.
◆ L'invention du zéro
Dans les numérations romaine, grecque, hébraïque ou dans le système
hiéroglyphe égyptien, les chiffres ont une valeur fixe, indépendante de leur
place dans l'écriture. Par exemple, chez les romains, V vaut toujours 5 quelle
que soit sa place ; par contre, dans notre système numérique actuel, le chiffre 5
prend une valeur différente selon la place qu'il occupe dans l'écriture d'un
nombre. Autrement dit, 5 est multiplié par dix pour passer de l'ordre des unités
simples à l'ordre des dizaines, de nouveau multiplié par dix à l'ordre des cen-
taines et ainsi de suite... Ce système est dit à base dix (ou décimal) et va per-
mettre une pratique aisée des opérations arithmétiques grâce à ce principe de
position.
La seconde trouvaille fut de n'utiliser que 9 symboles (appelés chiffres)
pour écrire n'importe quel nombre, à l'inverse des romains ou des égyptiens qui
formaient leur nombre à rallonges par répétitions des symboles (principe addi-
tif). Mais pour que la numération de position fonctionne, il faut pouvoir mar-
quer l'absence de chiffre dans la colonne des unités, dans celle des dizaines, des
centaines etc. Marquer ce qui n'est pas, marquer l'absence n'est pas chose aisée :
les savants mésopotamiens utilisaient bien le signe du double clou oblique pour
marquer le vide (la place vide marquant l'absence des unités d'un certain ordre)
mais ce n'était pas compris comme un nombre, comme une quantité nulle. Le
signe zéro apparaîtra en Inde au début du VIème siècle : son premier sens, dési-
gné en langue sanscrite par le mot shûnya signifie « vide » ; et il faudra attendre
le VIIème siècle pour qu'il devienne en lui-même un nombre à part entière : le
zéro exprime alors la quantité nulle. Ce pas est décisif et conduira à l'ultime per-
fectionnement de la notation numérique, car ce nombre a des propriétés particu-
lières quand on fait des opérations arithmétiques : par exemple, en ajoutant le
signe zéro, à la fin d'un nombre, on multiplie sa valeur par la base ; pour multi-
plier 24 par 10, il suffit de mettre un zéro à la droite de 24 : 24 x 10 = 240.
Comment ce « vide » s'imposa-t-il comme un signe ? Une numération
avant d'être figurée est d'abord une numération parlée. Les mathématiciens et
astronomes indiens avaient pris l'habitude d'exprimer un nombre en énonçant la
succession des noms des unités correspondantes, tout en respectant l'ordre de
leur progression dans la base. Par exemple, le nombre 2 437 s'exprimait « sept /
trois / quatre / deux » (= 7 + 3 x 10 + 4 x 100 + 2 x 1000). Cette numération
16
parlée était donc une véritable numération de position. Pourtant, celle-ci ne pou-
vait exprimer un nombre tel 402, où manque une décimale : « deux / quatre »,
voulait dire quarante-deux et non quatre cent deux. Il fallait donc trouver un
nom particulier pour marquer l'absence de la dizaine. Le mot vide vient combler
le manque et 402 pourra s'énoncer « deux / vide / quatre », ce qui exclura désor-
mais toute équivoque.
Pourtant, le zéro attendra encore quelques siècles avant de passer en occi-
dent (au XIIe siècle). Bien avant, lorsque les arabes découvrent la numération
indienne, ils traduisent shûnya par sifr. Avec les croisades, le petit sifr sera
transcrit sous diverses formes aux consonances plus latines : sifra, cifra, cifre,
cyfre... Dans son Liber Abaci, Léonard de Pise (vers 1170-1250), dit fibonacci,
lui donne le nom de zephirum qui aboutira à l'italien zefiro et qui donnera en fin
de compte notre mot zéro (à partir de 1491). Le mot arabe sifr désignera quant à
lui, l'ensemble des signes de la numération arabo-indienne. C'est ce sens élargi
que possède aujourd'hui le mot français chiffre (d'abord chifre puis chiffre),
ziffer en allemand ainsi que cifra en espagnol et en italien.
17
Fig. 3
18
Chrétienté. Résistance à une science propagée par les infidèles Sarrasins,
défense des abacistes soucieux de conserver leur pouvoir (l'abaque est un dispo-
sitif de calcul se présentant comme des tables à colonnes où les chiffres sont
inscrits sur des jetons, les apices ), il faudra attendre la Renaissance pour assis-
ter à la grande vulgarisation et à la stabilité définitive de la forme des chiffres
(n°6 fig.3). L'arrivée de cette numération marquait indiscutablement une démo-
cratisation du calcul et rendait dorénavant son utilisation généralisable. L'usage
de l'abaque restera dans les moeurs jusqu'à la Révolution Française qui en inter-
dira sa manipulation dans les écoles et les administrations. Les « algoristes »
(tenants du calcul chiffré d'origine indienne) triomphaient définitivement des
« abacistes », permettant à chacun de faire de l'arithmétique. Les qualités de la
numération indienne ont assuré à présent son universalité. Elle est aujourd'hui le
seul et unique système de numération écrite pour tous les peuples du monde.
19
REFERENCES
GUEDJ D, (1996). L'empire des nombres. Paris : Découvertes Gallimard, 300.
IFRAH G, (1985). Les chiffres. Paris : Robert Laffont.
IFRAH G, (1994). Histoire universelle des chiffres (vol.I et II), Paris : Robert Laffont.
GUITEL G, (1975). Histoire comparée des numérations écrites. Paris : Flammarion.
MENNINGER K, (1969). Number Words and Number Symbols. Cambridge, Mass. MIT Press.
TATON R, (1957). Histoire du calcul. Paris : PUF.
20
Le dénombrement :
une activité complexe à deux composantes
Valérie Camos
Résumé
L'activité de dénombrement est à la base des apprentissages arithmétiques comme la réso-
lution d'opérations. Le dénombrement est une tâche complexe qui nécessite le pointage
exhaustif des objets et l'énonciation des noms de nombre dans l'ordre correct. Afin de
déterminer la cardinalité correcte d'une collection, ces deux habiletés doivent être menées
de façon synchrone. Nous exposerons dans cet article les différents facteurs pouvant avoir
un impact sur ces deux habiletés et qui influenceront donc les performances en dénombre-
ment.
Mots-clés : Dénombrement, pointage, énonciation de la chaîne numérique verbale.
Abstract
Counting constitutes the necessary basis for learning arithmetic skills such as solving ope-
rations. Counting is a complex activity which requires pointing at objects and naming num-
ber-words in the correct order. In order to determine the cardinality of an array, these two
skills (pointing and naming) must progress in a synchronized manner. In this paper, we pre-
sent various factors which have an impact on these two activities and which, as a result,
influence counting skills.
Key Words : counting, pointing, number-word naming.
21
Valérie CAMOS
LEAD/CNRS
Université de Bourgogne
6 Bd Gabriel 21000 Dijon
e-mail : vcamos@u-bourgogne.fr
S
elon Halford (1993), il serait impossible de véritablement développer le
concept de nombre sans les processus de quantification car on ne pourrait
ni assigner de valeurs numériques à des collections, ni explorer les rela-
tions de taille entre collections, ni déterminer aucune des relations complexes
existant entre les nombres. Les processus de quantification sont donc fondamen-
taux. Ils consistent à déterminer la numérosité d'un ensemble d'objets.
Parmi les trois processus de quantification, le dénombrement est celui qui
a suscité le plus de recherches. Il est souvent considéré comme étant à la base de
tous les autres apprentissages arithmétiques. En effet, comme le mentionnent
Grégoire et van Nieuwenhoven (1995), le dénombrement est une technique de
preuve qui permet de vérifier empiriquement la validité d'un raisonnement, par
exemple dans des tâches de conservation (Mc Evoy & O'Moore, 1991) ou dans
la résolution d'opérations arithmétiques (Groen & Parkman, 1972 ; Svenson,
1975).
Dénombrer un ensemble d'objets exige de les considérer les uns après les
autres et d'associer à chacun un nombre dans un ordre fixe (Potter & Levy,
1968). En d'autres termes, le dénombrement est décrit comme une activité
nécessitant (1) la connaissance et l'énonciation des noms de nombre dans l'ordre
correct, et (2) le pointage, visuel ou manuel, de chaque élément jusqu'à ce que
tous aient été considérés une fois et une fois seulement (Beckwith & Restle,
1966 ; Potter & Levy, 1968). La coordination de ces deux activités doit per-
mettre d'établir une correspondance stricte entre les objets et les noms de
nombre afin d'éviter les oublis et les doubles comptages (Fayol, 1985, 1990 ;
Fuson, 1988).
Gelman et Fuson qui ont des points de vue contradictoires sur la primauté
des principes sous-jacents au dénombrement (i.e., principes-en-premier et prin-
22
cipes-après respectivement ; Camos, 1998 ; Camos, à paraître), se sont égale-
ment intéressées à cette activité sous l'angle de sa mise en oeuvre.
Pour Gelman et Gallistel (1978), le dénombrement nécessiterait deux pro-
cessus : l'étiquetage (« tagging ») et la partition (« partitioning ») qui devraient
être coordonnés. L'étiquetage nécessiterait d'assigner un mot-nombre à chaque
objet de la collection. La partition serait la séparation des objets en deux
groupes, ceux ayant déjà été comptés et ceux qu'il reste à compter. Lors du
dénombrement, les enfants pointent du doigt chaque objet (les adultes pointant
plus fréquemment du regard) ou bien les déplacent dès qu'ils ont été comptés,
marquant ainsi leur progression dans le dénombrement. Les enfants peuvent
produire des erreurs aussi bien dans l'étiquetage que dans la partition. Une
erreur d'étiquetage serait par exemple l'attribution d'un même mot-nombre à plu-
sieurs objets. Oublier de déplacer un objet du groupe « encore-à-compter » à
celui des « déjà-comptés » (déplacement réel ou au niveau de la représentation
de la collection) constituerait une erreur de partition. Gelman et Gallistel (1978)
ont observé que l'erreur la plus commune impliquait la coordination des proces-
sus d'étiquetage et de partition, soit l'échec dans l'arrêt simultané des deux acti-
vités. La règle permettant l'arrêt de l'activité (« Stop rule ») a particulièrement
retenu leur attention.
Fuson (1988) a également très largement étudié les erreurs de dénombre-
ment produites par les enfants dans diverses situations. Elle a analysé en détail
la structure spatiale et temporelle du comportement de l'enfant lors de diverses
tâches de dénombrement ainsi que l'influence de facteurs physiques (taille, dis-
positions spatiales) et contextuels (limites temporelles) sur les stratégies de
dénombrement. Parce que les mots sont organisés temporellement et les objets
spatialement, la coordination de l'activité verbale et de l'activité motrice devrait
se faire par l'intermédiaire du pointage (visuel ou manuel). Ce pointage, qui
serait aussi bien temporel que spatial, servirait de médiateur et impliquerait
deux types de correspondance : une correspondance temporelle entre l'énoncia-
tion d'un mot-nombre et le pointage d'un objet et une correspondance spatiale
entre le pointage de l'objet et sa position dans la collection. Le dénombrement
nécessiterait pour être réussi cette double correspondance temporelle et spatiale.
Ces auteurs s'accordent à voir dans le dénombrement une activité compo-
site comportant le pointage des objets et l'énonciation des mots-nombres (même
si tous ne les désignent pas de la même manière). Ces deux composantes méri-
tent donc d'être étudiées pour elles-mêmes afin de comprendre leur mise en
oeuvre lors du dénombrement. En effet, certains résultats révèlent que le coût du
pointage, comme celui de l'énonciation, se répercuterait sur les performances en
23
dénombrement. Gelman et Meck (1983) ont ainsi montré qu'il suffit de rendre
plus difficile le contrôle du pointage pour entraîner une chute des performances
en dénombrement. De façon similaire, Nairne et Healy (1983) ont montré que
l'utilisation par des adultes d'une chaîne non-automatisée, e.g., la chaîne numé-
rique en sens inverse, accroît la durée et le nombre d'erreurs dans une tâche de
dénombrement.
◆ Le pointage
Le pointage nécessite un contrôle perceptif et une discrimination en
continu des objets comptés par rapport à ceux qui ne l'ont pas encore été (Beck-
with & Restle, 1966). Chaque fois qu'un nouvel objet est compté, il passe de
l'ensemble des « encore-à-compter » à celui des « déjà-comptés ». Le processus
se termine lorsque l'ensemble des « encore-à-compter » est vide. Un des fac-
teurs influant sur le contrôle de ce processus est la disposition des objets.
Si les objets sont en ligne, l'activité de pointage se simplifie pour ne deve-
nir qu'un simple déplacement linéaire, le plus souvent de la gauche vers la
droite. La limite entre les deux ensembles (« encore-à-compter » et « déjà-
comptés ») est directement déterminée par la position du doigt (ou du regard,
pour un pointage visuel) sur la ligne. Par contre, si les objets sont disposés aléa-
toirement (espacés de façon régulière, mais sans configuration particulière), le
sujet doit concevoir et planifier un trajet à travers la collection. Si aucune carac-
téristique ne lui permet de distinguer les « déjà-comptés » des « encore-à-comp-
ter », il devra alors construire une représentation de la collection et des indices
permettant de ne pas confondre les deux ensembles.
Beckwith et Restle (1966) ont montré que la disposition des objets
influait sur les temps de dénombrement. Les enfants (de 7 à 10 ans) avaient
des temps plus longs pour les dispositions aléatoires que pour les dispositions
circulaire, linéaire, ou rectangulaire (cette dernière disposition étant la plus
rapidement dénombrée). La proportion d'erreurs était également plus impor-
tante pour les dispositions aléatoires. Les performances des adultes diffé-
raient peu pour ces dispositions, la disposition en rectangle restant toutefois
la plus rapidement dénombrée. Les enfants, plus que les adultes, semblaient
organiser leur trajet en fonction de la disposition spatiale présentée. Les
adultes se distinguaient par l'utilisation qu'ils faisaient de la disposition rec-
tangulaire. En effet, ils effectuaient une multiplication (i.e., nombre de lignes
x nombre de colonnes) et déterminaient ainsi le cardinal. Lorsque les sujets
n'avaient pas la possibilité d'utiliser la multiplication (pour les jeunes enfants
et pour certaines dispositions chez les adultes), ils pouvaient diviser la collec-
24
tion en plusieurs sous-groupes (possiblement selon les principes de regroupe-
ments perceptifs), dénombrer chaque sous-groupe puis additionner les diffé-
rents cardinaux. Les groupes de 5 ou 6 objets pouvant être subitizés, la
vitesse de dénombrement dépendrait donc de la facilité à former des sous-
groupes et à additionner les nombres. Aoki (1977) a montré en effet que les
sujets discriminaient des sous-groupes qu'ils pouvaient subitizer puis ils addi-
tionnaient les résultats des subitizings successifs. Lorsqu'il n'était pas pos-
sible de former de tels sous-groupes, les sujets devaient dénombrer en comp-
tant un par un les objets. Ces deux stratégies avaient déjà été décrites par
Klahr et Wallace (1976) qui remarquaient que leurs sujets pouvaient égale-
ment utiliser des méthodes mixtes, i.e., utiliser les deux stratégies lors du
dénombrement d'une même collection.
Dans leur étude portant sur la composante de pointage du dénombrement,
Potter et Levy (1968) ont également montré que la disposition des objets avait
un effet sur la précision du pointage chez des enfants de 3-4 ans. Cependant,
contrairement aux résultats de Beckwith et Restle (1966), les dispositions aléa-
toires semblaient plus faciles à dénombrer que les dispositions en rectangle.
Pour comprendre la difficulté que rencontraient les enfants avec ces dispositions
à deux dimensions (en rectangle), il faut analyser la nature de la tâche. L'enfant
dénombrant doit disposer d'informations sur les objets déjà pris en compte et sur
ceux qu'il n'a pas encore dénombrés. Deux stratégies peuvent être utilisées à
cette fin.
La première consiste à considérer la collection comme un ensemble
unique et à adopter un plan global permettant de prendre en compte tous les
objets. Par exemple, pour une disposition en cercle, on peut débuter par l'objet
en haut à gauche et déplacer le pointage dans le sens des aiguilles d'une montre
ou, pour une disposition en rectangle, considérer les colonnes les unes après les
autres de haut en bas et de gauche à droite. La forme du trajet doit être
congruente avec la disposition et permettre aisément de déterminer quand le
sujet doit s'arrêter (la « Stop rule » de Gelman et Gallistel, 1978). Beckwith et
Restle (1966) ont montré que la présence de sous-groupes facilitait le dénom-
brement et suggérait aux sujets d'utiliser de tels plans d'ensemble (« overall
plan »). La seconde stratégie, plus coûteuse, consiste à mémoriser chaque objet
nouvellement pointé grâce, par exemple, à une caractéristique distinctive (sa
position, forme ou couleur). Le sujet peut ainsi sélectionner l'objet au hasard, le
pointer s'il est « nouveau » et s'arrêter lorsqu'il n'y a plus d'objets nouveaux. Le
problème reste de distinguer les objets les uns des autres. Lorsqu'ils sont tous
identiques, seule leur position (relative ou par rapport au sujet) permet de les
distinguer.
25
La plus grande facilité de la disposition aléatoire sur la disposition rectan-
gulaire observée par Potter et Levy (1968) pourrait être due à ce que, dans la
seconde, plusieurs objets partagent des caractéristiques identiques (e.g., être en
haut, à droite...). Par contre, la position d'un objet dans une disposition aléatoire
est plus distinctive. A l'inverse, la stratégie de planification d'un trajet s'appli-
querait plus facilement à la disposition rectangulaire (e.g., ligne par ligne) qu'à
une disposition aléatoire.
La plupart des enfants dans l'étude de Potter et Levy (1968) ne suivaient
aucun plan d'ensemble, comme en témoignait la complexité de leurs trajets. Le
seul principe « spatial » qu'ils utilisaient était de débuter par l'objet se trouvant
dans l'angle le plus proche de leur main. Indépendamment de la disposition spa-
tiale des objets, les pointages étaient d'autant plus ordonnés et réussis que les
enfants étaient âgés. Ainsi, on peut penser que les enfants de 8 ans participant à
l'expérience de Beckwith et Restle (1966), plus âgés que ceux de l'expérience de
Potter et Levy (1968), avaient développé des stratégies spatiales leur permettant
de mieux traiter les dispositions ordonnées (particulièrement en rectangle) que
les dispositions aléatoires.
Toutefois, de tels changements de stratégie ne sont pas seulement liés à
l'âge. Shannon (1978) a montré que de jeunes enfants (de 3 à 6 ans) changeaient
de procédure en fonction de la taille et de la disposition spatiale des items lors-
qu'on leur demandait de les toucher tous une seule fois. Plus la configuration
spatiale facilitait le contrôle (e.g., des jetons alignés vs. en disposition aléatoire),
plus la mise en oeuvre du pointage était aisée. En règle générale, la régularité
des dispositions affectait les stratégies, la vitesse et l'efficacité du comptage
(Aoki, 1977 ; Beckwith & Restle, 1966 ; Potter & Levy, 1968). Bien qu'une dis-
cussion subsiste quant à l'impact des dispositions en rectangle (Beckwith &
Restle, 1966 ; Potter & Levy, 1968), il semble certain que les dispositions régu-
lières (i.e., en ligne) permettent de procéder à un scanning visuel systématique
de la collection et diminuent ainsi les risques d'erreurs (Newman, Friedman &
Gockley, 1987). Plus généralement, tout facteur améliorant la discrimination des
objets facilite le pointage. Ainsi, des objets de couleurs ou formes différentes
facilitent la distinction entre « déjà-comptés » et « encore-à-compter » et amé-
liorent les performances (Frick, 1987 ; Fuson, 1988 ; Schaeffer, Eggleston &
Scott, 1974 ; Towse & Hitch, 1996 ; Trick & Pylyshyn, 1994).
Les divers facteurs (i.e., taille, dispositions, formes, couleurs) affectant le
pointage doivent également influer sur les performances en dénombrement. De
façon similaire, on peut penser que les facteurs entravant ou facilitant l'énoncia-
tion auront un impact sur la vitesse et l'exactitude du dénombrement.
26
◆ L'énonciation
L'acquisition de la chaîne numérique verbale est amorcée dès deux ans
(Fuson & Hall, 1983 ; Fuson, Richards, & Briars, 1982). Les enfants atteignent
100 en fin de première année de scolarité allant ainsi en général au-delà de ce
qui est enseigné. Des régularités peuvent être observées dans les séquences
incorrectes produites par les enfants avant l'acquisition définitive de la chaîne
numérique (Fuson, Richards & Briars, 1982). Les séquences se caractérisent par
une première portion dite conventionnelle et stable. Cette partie se compose des
noms de nombres corrects dans l'ordre de succession standard. Elle est suivie
d'une portion stable mais non-conventionnelle, dans laquelle les mots utilisés
(soit des mots-nombres ne se trouvant pas dans l'ordre conventionnel soit
d'autres mots) sont produits de façon constante lors de divers essais. Enfin, cette
partie est elle-même suivie d'une portion ni stable ni conventionnelle, qui varie
avec les essais. Au cours du développement, la partie stable et conventionnelle
devient de plus en plus importante jusqu'à ce que l'ensemble de la chaîne numé-
rique soit stable et conventionnel, comme c'est le cas chez l'adulte, où la produc-
tion de la chaîne numérique verbale est considérée comme une activité haute-
ment automatisée.
La constitution des séquences incorrectes en diverses portions pourrait
être une conséquence des irrégularités du système des noms de nombre. En
effet, dans la plupart des langues européennes, les mot-nombres jusqu'à 100
sont irréguliers, i.e., la structure sous-jacente en base 10 n'est pas transparente,
contrairement aux chaînes numériques dans les langues asiatiques (Miura, Oka-
moto, Kim, Steere & Fayol, 1993 ; Yoshida & Kuriyama, 1991). Alors que dans
les langues asiatiques (chinois, japonais et coréen) 12, par exemple, s'énoncera
« dix-deux » (ce qui fait apparaître clairement la base 10), dans les langues
européennes on emploie un mot particulier (e.g., douze en français, twelve en
anglais, dodici en italien, zwölf en allemand, doce en espagnol, doze en portu-
gais), dans lequel il est plus ou moins difficile selon les langues de retrouver la
base 10 (Fayol, Barrouillet, & Camos, 1996, 1997). Ces irrégularités rendent
l'apprentissage de la chaîne plus lent pour les langues européennes que pour les
langues asiatiques régulières (Fuson & Kwon, 1991a, 1991b, 1992 ; Miller &
Stigler, 1987). De plus, l'étude des points d'arrêt lors de la récitation de la chaîne
a montré que les enfants rencontraient des difficultés particulières lors du chan-
gement de dizaine (Fischer, 1992 ; Meljac, 1979).
Du fait de ces irrégularités, les premières expériences que font les enfants
de l'arithmétique (i.e., la manipulation de la chaîne numérique) sont complexes
et nécessitent une acquisition laborieuse. L'apprentissage de la chaîne numé-
27
rique continue longtemps après que l'enfant a pu énoncer ces premiers noms de
nombre. La représentation de la séquence s'élabore entre 4 et 7/8 ans (Fuson,
1988, 1991a). Cette élaboration commence par le début de la séquence et les
différentes portions de la séquence pourront se trouver, à un même moment, à
des niveaux d'élaboration différents. Fuson, qui a largement étudié le mode d'or-
ganisation de la chaîne numérique, décrit cinq niveaux d'élaboration qui mar-
quent une progression dans l'acquisition d'habiletés de plus en plus complexes :
1 - le niveau « chapelet » : les mots sont liés entre eux en un tout indissociable ;
2 - le niveau « chaîne insécable » : les mots sont séparés mais la séquence
n'existe que sous la forme d'une suite qui ne peut être produite qu'à partir du
début ; 3 - le niveau « chaîne sécable » : la séquence peut être produite à partir
d'un mot-nombre arbitraire. Ainsi l'enfant pourra commencer à résoudre des
opérations simples (Groen & Parkman, 1972 ; Groen & Resnick, 1977 ; Sven-
son, 1975) ; 4 - le niveau « chaîne numérique » : les noms de nombre devien-
nent des unités, l'enfant dispose ainsi d'une ligne numérique rendant comptage
et comparaisons possibles (Resnick, 1983) ; 5 - le niveau « chaîne bidirection-
nelle » : les mots-nombres peuvent être produits aussi facilement dans un sens
que dans l'autre. Toutefois, le parcours en sens inverse peut encore présenter des
difficultés chez l'adulte (Nairne & Healy, 1983).
Les travaux en psycholinguistique montrent classiquement que l'accès au
lexique et la récupération des mots dépendent de leur fréquence d'occurrence
(Fayol et al., 1992). Or la fréquence des noms de nombre décroît avec l'augmen-
tation de leur taille (Dehaene & Mehler, 1992). La récupération d'une chaîne
numérique comportant des grands nombres devrait donc être plus difficile que
celle comportant de petits nombres. De plus, les grands nombres comportent
souvent plus de syllabes (e.g., un, deux vs. dix-sept, vingt-et-un) et demandent
donc plus de temps pour être énoncés. Cet accroissement des temps de pronon-
ciation a un impact sur le coût de l'énonciation. En effet, Ellis et Hennelly
(1980) ont montré que l'empan des chiffres en mémoire à court-terme est plus
faible pour des enfants comptant en gallois que pour des enfants utilisant l'an-
glais. Ils expliquent cette différence par le temps de prononciation des mot-
nombres. Les mot-nombres sont en effet plus longs à prononcer en gallois qu'en
anglais, ce qui affecte la charge en mémoire (voir Chapitre III). Stigler, Lee et
Stevenson (1986) mettent également en évidence un lien semblable entre l'em-
pan des chiffres et les temps de prononciation de la chaîne numérique en anglais
et en chinois.
Ces études suggèrent que l'utilisation de la chaîne numérique utilisée dans
ce type de tâches reposerait sur une forme phonologique des noms de nombre. Il
existerait donc en mémoire une représentation phonologique de la chaîne numé-
28
rique. Nairne et Healy (1983) ont observé, dans la production de chaînes numé-
riques en sens inverse, deux types d'erreurs. Les sujets omettaient les mot-
nombres composés de deux mêmes chiffres (e.g., 77) ou les mots-nombres des
dizaines (e.g., 80). Les auteurs suggèrent que les sujets utilisent une représenta-
tion en mémoire à court terme du dernier mot-nombre produit pour générer le
mot suivant. Les sujets conserveraient donc une trace de leur position dans la
chaîne numérique en examinant les représentations phonologiques des mots pré-
cédemment énoncés. Cette hypothèse d'un codage phonologique est confirmée
par les résultats de Hitch, Cundick, Haughey, Pugh et Wright (1987). Ces
auteurs ont en effet montré que le nombre d'erreurs et les temps de réponse aug-
mentaient lorsque des enfants devaient déterminer la cardinalité d'une collection
sous condition de suppression articulatoire (i.e., alors qu'ils devaient dire « bla »
tout en dénombrant silencieusement la collection). Logie et Baddeley (1987) ont
trouvé des résultats similaires chez des adultes dans une tâche identique. Ces
résultats suggèrent que l'augmentation de la difficulté de la composante d'énon-
ciation affecterait les performances en dénombrement.
En résumé, la revue de littérature présentée dans cet article amène plu-
sieurs conclusions. Le dénombrement est une activité à deux composantes dont
la difficulté dépend de la capacité du sujet à pointer les objets et à énoncer la
chaîne numérique. Les performances en dénombrement devraient donc être
contraintes par la quantité de ressources disponibles pour effectuer correctement
ces deux habiletés. De plus, la réussite à une tâche de dénombrement nécessite
la synchronisation du déroulement des deux activités, pointage et énonciation.
Cette synchonisation devrait être prise en charge par un processus central de
contrôle qui permettrait la coordination des activités. Nos recherches (Camos,
1998 ; Camos, Barrouillet & Fayol, en révision ; Camos, Fayol & Barrouillet,
sous presse) ainsi que celles de Towse (1993 ; Towse & Hitch, 1997) et de Mil-
ler et Stigler (1987) ont permis de conclure que la coordination du pointage et
de l'énonciation ne présentait plus de coût cognitif chez les enfants à partir de 6
ans et chez des enfants présentant des déficits au niveau moteur ou langagier
(Camos, Fayol, Lacert, Bardi & Laquière, 1998).
29
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31
Les élèves en difficulté :
calculent-ils autrement ?
Jean-Paul Fischer
Résumé
L’auteur procède à une revue de la littérature internationale (y compris ses propres
recherches) sur le comptage ou calcul des élèves en difficulté dans le but de savoir si les
élèves en difficulté (d’origine pathologique ou non) utilisent des procédures qualitativement
différentes de celles des autres élèves.
Les conclusions de cette revue, formulées dans le cadre de la distinction entre connais-
sances procédurales et déclaratives, doivent être différenciées en fonction de l’origine de la
difficulté. Néanmoins, en général, elles ne suggèrent pas de différences qualitatives impor-
tantes entre le calcul des élèves en difficulté et des autres élèves (à niveau de performance
comparable). En fait, l’une des principales différences relevées ne concerne pas le calcul
lui-même, mais le mode de réponse : les jeunes élèves de milieu défavorisé, ainsi que les
élèves déficients auditifs, sont handicapés par un mode verbal de réponse.
Mots-clés : calcul, comptage, échec scolaire, pathologie, handicap d’apprentissage.
33
Jean-Paul Fischer
Maître de Conférences 1
Site IUFM
16 rue de la Victoire
57950 Montigny-lès-Metz
e-mail : jfischer@ciril.fr
D
ans une perspective d’aide à l’apprentissage du calcul, qu’elle soit pre-
mière (enseignement) ou seconde (rééducation), il serait important de
savoir si les élèves en difficulté réalisent leurs calculs élémentaires dif-
féremment de leurs camarades de niveau comparable (du moins en calcul). Pré-
cisons d’emblée que nous limitons cet article aux calculs mentaux. Parmi ces
derniers, nous traitons surtout de calculs simples, voire de comptages, car il est
difficile de trouver des données, autres qu’anecdotiques, pour des calculs plus
complexes. Par ailleurs, le calcul mental nous semble, avec l’avènement des cal-
culettes, beaucoup plus important à développer que les techniques opératoires
écrites.
Nous procédons à une revue de la littérature concernant les élèves en dif-
ficulté, que cette difficulté soit d’origine pathologique (parties 2 à 5), ou non
(partie 1), dans le cadre de la distinction entre connaissances procédurales et
déclaratives que nous avons adaptée aux apprentissages numériques élémen-
taires (Fischer, 1992, 1998). Cette distinction nous paraît psychologiquement et
pédagogiquement fondamentale. En outre, elle est simple à comprendre et à
observer dans le domaine des calculs élémentaires : un élève peut savoir que
8+4 c’est 12 (connaissance déclarative, par coeur) ou seulement savoir comment
on fait pour le trouver (connaissance procédurale), les procédures pouvant être
variées (surcomptage : 9, 10, 11, 12 ; passage par 10 : 8+2 + 2 = 10+2 = 12,
etc.). Un résultat majeur, que nous utiliserons dans les analyses subséquentes,
est apparu dans nos recherches sur le tout-venant en fin d’école élémentaire : la
multiplication est l’opération arithmétique la plus déclarative, alors que la sous-
traction est l’opération la plus procédurale.
1. L’auteur voudrait remercier Claire Meljac et Alain Ménissier pour leurs conseils de rédaction.
34
Pour tous les élèves en difficulté concernés par cette revue, il nous a sem-
blé inutile de nous intéresser à l’infériorité de leurs performances par rapport à
des sujets d’âge comparable puisque cette infériorité résulte presque de leur
catégorisation. En revanche, dans une perspective pédagogique, il nous paraît
important (1) d’examiner si le développement des performances en calcul de ces
élèves suit un chemin (qualitativement) différent de ceux des autres sujets, (2)
d’identifier leurs points forts/faibles.
Une telle revue de question constitue un préalable à une approche péda-
gogique ou rééducative scientifiquement fondée, mais nous avons conscience
qu’elle n’est pas suffisante. Par exemple, ayant repéré un point fort (resp. faible)
chez un groupe d’élèves, ou chez un élève particulier, le pédagogue ne sait tou-
jours pas comment gérer de manière optimale ce point fort (resp. faible). Un
exemple (extrême) de point fort est celui des « compétences bizarres », entre
autres en calcul, qui accompagnent certains cas de psychose, d’autisme en parti-
culier. Selon Chaulet (1994), il conviendrait, dans ces cas, de mettre un terme
impératif, un interdit formel et sans concession, à un tel développement, en dys-
harmonie flagrante avec l’ensemble du niveau de développement intellectuel,
affectif, social. Une telle prise de position, étayée par l’expérience rééducative
de l’auteur, a le mérite d’être claire et tranchée ; mais elle nous interpelle par
son aspect radical : est-ce la seule voie possible ? Est-elle optimale pour tous les
enfants concernés ?
35
qui ont conduit à regrouper des élèves en difficulté dans des classes spéciales,
perfectionnement pour le primaire et SES pour le secondaire jusqu’au début des
années 1990, CLIS1 et SEGPA depuis. Nous pouvons aussi utiliser l’approche
statistique usuelle consistant à considérer un élève en difficulté s’il se situe deux
écarts-types (ou plus) en-dessous de la moyenne (ce qui, pour le QI, correspond
à un QI < 70) à un test standardisé (e.g., le WISC-III). Enfin, nous pouvons
nous référer au concept américain de handicap d’apprentissage (Learning Disa-
bility).
Les élèves issus de milieux socio-économiques pauvres. Kerkman et Sie-
gler (1993) ont étudié le choix de stratégies d’enfants de familles à faible revenu
pour l’addition, la soustraction et l’identification de mots. Ils concluent leur
étude en soulignant que, pour ces domaines dans lesquels ils ont acquis de l’ex-
périence, les enfants de familles à faible revenu, même s’ils ne sont pas bons
élèves, adaptent leurs stratégies à la situation.
Mais l’observation la plus pertinente pour notre présente revue est un
commentaire de Griffin, Case et Siegler (1994) à propos de cette recherche. En
effet, pour avoir des niveaux absolus de performance comparables, ces enfants
de 1ère année d’école issus de familles à faible revenu ont été interrogés en avril
pour comparaison avec ceux issus de familles à revenu moyen interrogés anté-
rieurement en novembre/décembre (soit environ 5 mois avant). Or, constatent
Griffin et al., dans plus de 90 % des essais, les stratégies des enfants issus de
familles à faible revenu sont alors comparables à celles des enfants de familles à
revenu moyen ; dans seulement 5 % des essais apparaissent deux stratégies non
observées chez ces derniers : il s’agit du surcomptage à partir du plus petit des
deux nombres (par ex., pour 5+9, les enfants commencent à surcompter au-delà
de 5 : 6, 7, …, 14) et d’un surcomptage incompréhensible ou incompris (par ex.,
pour 5+9 ou 9+5 les enfants commencent à surcompter à partir de 7 ou 8).
Jordan, Huttenlocher et Levine (1992) ont étudié 42+42 enfants, entre 5
et 6 ans 1/2 et de familles à revenu respectivement faible et moyen, sur quatre
tâches de calculs additifs et soustractifs : (1) une tâche non verbale dans laquelle
on montre d’abord à l’enfant un ensemble de disques, ensuite on les recouvre,
on en enlève ou ajoute, et l’enfant doit mettre un ensemble équivalent à celui
qu’il y a sous la couverture ; (2) une tâche verbale de problème avec contexte
(histoire) ; (3) une tâche verbale de problème sans contexte : « Combien c’est m
pennies et n pennies ? » et, (4) une tâche verbale de faits numériques : « Com-
bien c’est m et n ? », les nombres impliqués étant toujours inférieurs ou égaux
à 7. Le résultat principal est une interaction significative entre le niveau de
revenu et la nature de la tâche : les enfants de familles à revenu moyen sont
36
significativement meilleurs que les enfants de familles à revenu faible à toutes
les tâches verbales, mais pas à la tâche non verbale. Les auteurs observent aussi,
secondairement, que les enfants de familles à revenu moyen utilisent davantage
leurs doigts pour représenter les numérosités aux problèmes présentés verbale-
ment que les enfants de familles à revenu faible.
Par la suite, ces mêmes auteurs ont encore comparé ces deux catégories
d’enfants à trois variantes de tâches de calcul (Jordan, Huttenlocher &
Levine, 1994). Les trois tâches expérimentales ont utilisé le même mode non
verbal de présentation, mais ont été variées selon trois types de réponse : (1)
sortir les disques (production non verbale) ; (2) choisir le nombre correct de
disques à partir d’une collection à choix multiples (reconnaissance non ver-
bale) ; et (3) donner un nom de nombre (production verbale). Chez les enfants
de familles à revenu moyen, les réponses aux additions et soustractions
étaient disponibles à la fois dans les formes verbales et non verbales ; en
revanche, les enfants de familles à revenu faible ont été significativement
meilleurs aux deux tâches à réponse non verbale qu’à la tâche à réponse ver-
bale. En outre, l’analyse des données individuelles indique qu’un grand
nombre de ces enfants de 3 et 4 ans issus de familles à faible revenu ont
réussi aux tâches de calcul complètement non verbales, même s’ils éprou-
vaient des difficultés à compter verbalement.
Les élèves issus de classes spécialisées. A la fin des années 1980, nous
avons utilisé le programme Juste-Faux (Fischer, 1988) dans toutes sortes de
classes, y compris dans des classes de perfectionnement et d’enseignement spé-
cialisé (SES). Rappelons brièvement les principes de la méthode et de la
construction d’une image de la classe à laquelle elle conduit.
La méthode repose sur la mesure des Temps de Réponse (TR) au juge-
ment d’égalités élémentaires, justes (e.g., 3+4 = 7 ; 9-3 = 6 ; 2x6 = 12 ; 48:6 = 8)
ou fausses (e.g., 2+5 = 9 ; 11-5 = 8 ; 2x5 = 11 ; 24:3 = 6). Pour chacune des
4 opérations arithmétiques, on distingue en outre les petites (e.g., 4+2 = 6) et
grandes (e.g., 8+7 = 15) opérations. Chaque élève, après les deux passations que
nécessite la méthode, aura jugé 14 égalités pour une opération arithmétique de
niveau donné. Sa performance à cette dernière est alors visualisée ainsi : si, pour
l’opération de niveau donné, l’élève a plus de deux réponses non correctes, la
case correspondante reste blanche ; sinon : si son Temps de Réponse correcte
(TRc) est inférieur à un palier P1, il voit sa case noircie ; si son TRc est compris
entre P1 et P2, sa case est noircie à 50 % (gris foncé) ; enfin, si son TRc est
compris entre P2 et le délai de réponse, sa case est noircie à 25 % (gris clair). Le
logiciel détermine les paliers P1 et P2 afin d’avoir, à peu près, une équiréparti-
37
tion des trois niveaux de gris. Ainsi, l’essentiel de ce qu’il faut savoir pour la lec-
ture des images des figures 1 (classe de perfectionnement) et 2 (classes de SES),
est que plus l’image (ou une ligne, colonne, ou case élémentaire) est foncée,
meilleure est la performance correspondante.
Ces images sont destinées à visualiser les différences entre les opérations
dans ces classes spéciales et à vérifier si la hiérarchie de difficulté dans l’exécu-
tion des opérations y est la même que dans les classes de l’enseignement nor-
mal. Elles ne sont pas destinées à comparer directement et simplement les per-
formances en Perfectionnement et SES car les réglages (égalités, délai de
réponse) du logiciel n’y étaient pas identiques.
38
plication. La multiplication étant le prototype des connaissances déclaratives, on
peut émettre l’hypothèse que les élèves de perfectionnement privilégient les
procédures reconstructives, ce qui marche assez bien pour les additions (d’au-
tant que le délai de réponse était de près de 10 s), moins bien pour les soustrac-
tions et presque pas du tout pour la multiplication.
39
Le plus grand recours à des connaissances procédurales dans la mémoire
des tables élémentaires serait-il donc une particularité des élèves en difficulté ?
L’image des 32 élèves de SES ne confirme pas cette hypothèse. En effet, on
peut y observer que les colonnes des multiplications (petites et grandes) sont
presque aussi noircies que celles des additions correspondantes et, surtout,
qu’elles le sont beaucoup plus que celles des soustractions correspondantes. Au
niveau individuel, très peu d’élèves ont été meilleurs dans les soustractions que
dans les multiplications, alors que beaucoup ont été meilleurs dans les multipli-
cations que dans les soustractions.
Ce que suggèrent donc nos données, c’est que les élèves de SES, s’ils
connaissaient les multiplications élémentaires, semblaient les récupérer, davan-
tage que les soustractions, par un processus déclaratif. Notre hypothèse de déve-
loppement qualitativement différent, au profit des connaissances procédurales et
au détriment des connaissances déclaratives, initialement avancée sur la base de
l’image de la classe de perfectionnement, ne se confirme donc pas. Si l’on sait
que la SES était souvent, du point de vue du parcours scolaire, le prolongement
de la classe de perfectionnement, on peut alors penser que le pattern atypique de
l’image de la classe de perfectionnement est plutôt dû à un retard de développe-
ment qu’à un développement différent.
Les élèves à faible QI. Baroody (1996) s’est interrogé sur la possibi-
lité, pour des enfants retardés mentaux, d’inventer des stratégies d’addition.
Pour ce faire, il a partagé 30 sujets retardés mentaux (QI entre 31 et 66),
âgés de 6.8 à 20.8 ans, en groupes expérimental et témoin. Une stratégie
basique de comptage a été présentée aux deux groupes. Pendant 6 mois,
alors que le groupe expérimental s’est vu offrir des occasions régulières pour
pratiquer le calcul des sommes, le groupe témoin travaillait sur la lecture des
demi-heures et la valeur des pièces de monnaie. Aux post-tests, immédiat et
après les grandes vacances, les sujets à retard mental ont utilisé significative-
ment plus de stratégies sophistiquées de calcul des sommes que les sujets
témoins.
Les résultats de l’expérience de Baroody suggèrent que des sujets à retard
mental peuvent inventer, transférer, et retenir des stratégies pour l’apprentissage
de tâches. Malgré la sélectivité de l’échantillon, ils sont donc encourageants.
Néanmoins, le temps nécessaire à une telle invention, considérablement plus
long que celui nécessaire aux sujets normaux, amène à formuler une réserve
quant aux applications possibles de cette observation : s’il est en effet possible
de faire inventer certaines stratégies à certains élèves retardés mentaux à propos
d’un calcul précis (petites additions), le temps que nécessite cette invention fait
40
craindre, si on voulait la généraliser, que l’on débouche sur des méthodes trop
contraignantes (cf. celle de Doman).
Les élèves à handicap d’apprentissage. Le concept d’élève à handicap
d’apprentissage est un concept typiquement américain connu sous le nom de
(LD). Mais, même aux Etats-Unis, ce concept a donné - et continue à donner -
lieu à de nombreux désaccords et controverses au sujet de ses définitions, cri-
tères diagnostiques, pratiques évaluatives, procédures d’intervention ou d’ensei-
gnement et politique éducative (Shin, 1998). Dans une revue un peu ancienne
Allardice et Ginsburg (1983) soutiennent que les enfants LD sont essentielle-
ment « normaux » du point de vue cognitif, mais admettent que ces enfants
souffrent peut-être de difficultés particulières pour ce qui concerne la connais-
sance des faits numériques. Ils suggèrent que certaines difficultés d’attention ne
sont pas une caractéristique générale de l’enfant mais sont spécifiquement liées
à l’utilisation de procédures inutilement encombrantes. A ce propos, ils citent
notamment l’exemple de David, qui calcule 8+4 par « 8 plus 8 c’est
16...15...14...13...12. La réponse est 12 », et commentent : « Cette procédure
indirecte conduit à une grande demande en capacité attentionnelle de la part de
David » (p.341), en remarquant que n’importe quelle distraction la fait échouer.
En continuité, Allardice et Ginsburg relèvent la fréquente non-connaissance
(déclarative) des faits numériques chez les LD et le regrettent : « si les faits
numériques ne sont pas facilement disponibles, les élèves doivent passer par des
calculs coûteux en temps et fatigants. Souvent ces élèves ne terminent pas leur
tâche et sont épuisés par l’effort » (p.342).
Geary, Brown et Samaranayake (1991) ont entrepris une courte étude
longitudinale sur 26 sujets normaux et 12 sujets Mathematically Disabled
(MD) de 1re et 2e année d’école. Au moment de la 1re mesure, les élèves ont eu
à calculer 40 additions extraites des 56 que l’on obtient en enlevant les 0, 1 et
doubles dans la table des 100 additions élémentaires. Dix mois après, la tâche
d’addition a été administrée une seconde fois. Chez les élèves normaux, Geary
et al. ont alors observé un recours plus important à la récupération en mémoire
(déclarative) et moins important au comptage, aussi bien qu’une amélioration
des vitesses de comptage et de récupération. En revanche, chez les élèves MD
aucun changement fiable dans le mixage des stratégies ou dans la vitesse
d’exécution des comptage et récupération en mémoire n’a été observé. De
manière précise, d’une session à l’autre, la fréquence d’utilisation du comp-
tage a baissé de 14 % et celle de la récupération a augmenté de 12 % chez les
Normaux, alors que chez les MD on observe une certaine stabilité, voire un
pattern évolutif inverse : le comptage a augmenté de 6 %, alors que la récupé-
ration a baissé de 1 %.
41
◆ Troubles du comportement ou du développement
Les difficultés attentionnelles et l’hyperactivité. Zentall (1990) a étudié
15 sujets LD et 27 à déficits attentionnels (ADD : Attention Deficit Disorder),
comparativement à 30 sujets témoins, en 7 e et 8 e année d’école, sur les 100 addi-
tions, 100 soustractions et 100 multiplications élémentaires. Les temps de
réponse ne suggèrent pas que l’infériorité des LD et des ADD, comparativement
aux sujets témoins, doive être différenciée en fonction de l’opération arithmé-
tique.
Ce premier résultat est toutefois nuancé par la recherche Zentall et Smith
(1993) sur des garçons plus jeunes, recrutés de la 2e à la 5e année d’école. Zen-
tall et Smith en ont extrait 35 HyperActifs (HA), Agressifs (n=13) ou Non
(n=22), et 57 sans trouble (Normaux). Les opérations arithmétiques étudiées
sont aussi l’addition, la soustraction et la multiplication. En dépit de la pratique
curieuse de la soustraction, qui peut être posée dans l’ensemble Z des relatifs
(e.g., « 2-7= »), il est intéressant d’observer que les temps de réponse aux addi-
tions différencient nettement les trois groupes suivant une hiérarchie prévisible :
Normaux > HAN > HAA. En revanche, pour la multiplication, l’opération arith-
métique la plus déclarative, cette hiérarchie est moins accusée. La recherche de
Zentall et Smith suggère donc que les HA, en particulier les HAA, seraient plu-
tôt handicapés dans la connaissance procédurale que dans la connaissance
déclarative des faits numériques.
L’autisme. On sait de longue date (cf. Bettelheim, 1967) que les enfants
autistes ont souvent moins de difficultés pour apprendre les nombres et les
concepts numériques que pour comprendre des phrases ou des pensées (et, sur-
tout, pour comprendre que les autres ont des pensées : cf. Shin, 1998). Ceci leur
permet d’arriver, parfois, à réaliser des additions simples dès la maternelle
(Magerotte & Montreuil, 1994) et, ensuite, à des performances en calcul qui
peuvent être supérieures à celles des sujets normaux moyens (cf., par ex., le
sujet RH de Kelly, Macaruso et Sokol, 1997). Néanmoins, qualitativement, leur
performance ne semble pas différer de celles des sujets normaux. Ainsi, (1) au
niveau des performances numériques de base, on a pu retrouver sur des adoles-
cents autistes (cf. Papy, Papy & Schuler, 1995) la même discontinuité après trois
dans l’appréhension cardinale du nombre que chez les sujets normaux (cf.,
Fischer, 1991) ; (2) au niveau des performances de pointe, RH, l’adulte autiste
observé par Kelly et al., ne semble pas mettre en oeuvre de raccourcis particu-
liers pour les calculs qui lui ont été soumis : ses temps de réponse s’accordent
avec l’application d’une procédure de calcul gauche-droite employée par les cal-
culateurs experts ; en outre, RH a aussi répondu extrêmement vite aux carrés de
42
nombres à deux chiffres, suggérant qu’il peut avoir stocké les réponses en
mémoire déclarative comme nombre d’autres grands calculateurs experts (e.g.,
l’expert AG connaissait, entre autres, les carrés de tous les nombres jusqu’à
130 : cf. Staszewski, 1988).
◆ Déficients sensoriels
Les déficients auditifs. Hitch, Arnold et Phillips (1983) ont comparé un
groupe de 10 enfants sourds profonds (10 ans 11 mois en moyenne) à un groupe
de 10 enfants normaux (6 ans 11 mois en moyenne) appariés sur la base de leur
performance en arithmétique. L’hypothèse des auteurs était que, pour le calcul
des additions élémentaires, les sourds s’appuient beaucoup moins sur un comp-
tage sous-vocal, et donc recourent plus à des faits stockés en mémoire à long
terme déclarative. Cette hypothèse ne s’est pas confirmée : le même modèle de
comptage semble s’appliquer aux deux groupes d’enfants.
Abdelli (1985), en revanche, a observé certaines particularités de calcul
ou de réponse chez trois élèves Déficients Auditifs. Le tableau 1 rapporte, dans
les colonnes successives, l’addition proposée, le nom d’expérience de l’élève, sa
réponse en écriture littérale et chiffrée.
Tableau 1. Quelques calculs d’élèves déficients auditifs de 8/9 ans en fonction du type
d’écriture de la réponse (d’après le tableau d’Abdelli, 1985 p. 39)
43
Une telle observation suggère une indépendance des traitements numérique
(symbolique) et linguistique. Notons aussi que le premier calcul, avec les
réponses de DA12, est particulièrement instructif quant à une particularité des
élèves déficients auditifs : en effet, alors que pour un sujet normal la connais-
sance déclarative verbale est, oralement ou par écrit, triviale, ce même sujet nor-
mal, à l’inverse de DA12, risque d’avoir des difficultés avec l’écriture chiffrée
74 (il peut écrire 6014 par lexicalisation totale ; ou aussi 614 par analogie avec
l’écriture des nombres de 61 à 69).
A partir de cette observation, entre autres, Abdelli conclut que l’oralisa-
tion, dont l’intérêt pour la communication avec les entendants ne peut être nié,
peut, en revanche, aussi s’avérer un détour cognitif coûteux et inutile.
Les aveugles. Sicilian (1988) a étudié le comptage sur 24 aveugles de nais-
sance de 3 à 13 ans, en variant les configurations et la mobilité des objets. Il décrit
longuement les trois dimensions des stratégies tactiles qu’ils utilisent :
(1) balayage de la collection pour obtenir des informations sur la configuration et
les caractéristiques des objets ; (2) organisation du processus de comptage d’après
l’arrangement des objets, et (3), partition des objets pour différencier ceux déjà
comptés de ceux qui restent à compter. Mais, aussi bien ces stratégies, qui sont
presque imposées par la nature du déficit, que la progression développementale
observée par l’auteur, ne constituent pas des observations vraiment surprenantes.
◆ Déficients moteurs
Une catégorie importante de déficients moteurs est constituée par les
Infirmes Moteurs Cérébraux (IMC) et a été étudiée par de Barbot et al. (1989).
Les observations rapportées par ces auteurs sont variées, voire imprévues (Mel-
jac, 1991) : une interprétation générale est donc délicate. On peut cependant
remarquer que ces IMC connaissent en général la suite des mots de nombre,
mais semblent souvent en difficulté sur des aspects plus procéduraux du comp-
tage (e.g., la correspondance terme à terme). L’observation dans une CLIS4
(Classe d’intégration pour handicapés moteurs), que nous allons maintenant
développer, étaye elle aussi cette hypothèse d’une faiblesse plutôt procédurale
(parfois d’origine conceptuelle) que déclarative.
Dans le but de sensibiliser les élèves - ou 3 ou 4 d’entre eux (sur les 8
présents) - à la possibilité de données numériques inutiles dans un énoncé de
problème, la maîtresse de cette CLIS4 présente un problème qu’elle avait déjà
traité antérieurement avec les élèves (sans les données inutiles) et qui est bien
intégré à la vie de l’école. Les élèves avaient en effet participé à la vente de sty-
los dans le but de financer un voyage à Paris.
44
L’énoncé initial, présenté au tableau, est :
2. Ce qui suggère qu’il a trouvé 5 intuitivement et a, ensuite, assuré sa réponse grâce à sa connaissance décla-
rative « cinq et cinq, dix » ! Erreur de syntaxe, !
45
3) Devant la myopie des élèves à l’égard des structures multiplicatives 3,
la maîtresse propose un troisième exemple : j’achète huit stylos pour 24 F, com-
bien coûte un stylo ? - Un des élèves, occupé à nettoyer son écran d’ordinateur,
répond spontanément : « Tu peux pas en acheter, il en reste plus », montrant que
ce type de raisonnement hypothético-déductif n’est pas compatible avec sa pen-
sée concrète. Comme un autre élève propose « 24+4 », la maîtresse explique
qu’elle va « nécessairement payer moins » pour quatre stylos que pour huit. Le
même élève, probablement parce qu’il a entendu le mot « moins », propose
alors immédiatement : « 24 moins 4 égale 20 ». Voyant que la complexité du
calcul risque de faire échouer ce troisième exemple, la maîtresse revient à
l’exemple initial avec 5.
4) G repropose 5 F comme réponse. La maîtresse, toujours dans l’espoir
de faire émerger l’idée de division, redemande à G, non plus comment il a fait
pour trouver, mais : « Qu’est-ce que tu as fait comme calcul ? ». G réplique :
« J’ai pas fait de calcul ». Finalement, la maîtresse écrit : « 10:2=5 ».
5) Par une analogie avec le problème « 2 stylos coûtent 10F », et sa solu-
tion « 10:2 », la maîtresse arrive à écrire, à propos des 1100 stylos qui coûtent
3300 F, qu’un stylo coûte 3300 : 1100. Une élève tape le calcul sur sa calculette
et trouve la réponse : 3 F.
La maîtresse explicite l’état courant de la résolution du problème au
tableau :
◆ Aberrations chromosomiques
Nous étudions d’abord le comptage des sujets trisomiques et, ensuite, le
calcul de filles victimes d’une variété moins fréquente d’aberration chromoso-
mique, le syndrome de Turner.
3. Piaget (1977, p.35) souligne cette myopie vers 5-6 ans chez l’enfant ordinaire.
46
Les sujets trisomiques. Le titre de Gelman et Cohen (1988) annonce des
différences qualitatives dans la manière dont les enfants trisomiques abordent,
comparativement à des enfants normaux, une nouvelle tâche de comptage.
Mais, à la lecture de l’article, il apparaît que ces différences qualitatives consis-
tent essentiellement en des insuffisances chez les enfants trisomiques. Ainsi, par
rapport à ces derniers, les enfants normaux auto-corrigent davantage leurs mau-
vais départs, comprennent mieux des indications subtiles, et varient plus leurs
types de solution lorsque les buts et conditions varient. Par ailleurs, les enfants
présentant le syndrome de Down (trisomie 21) ne semblent pas capables de
bénéficier des indications sur la manière de résoudre le nouveau problème,
même si ces indications incluent des instructions ou démonstrations explicites
de solutions possibles.
L’approche méthodologique de Caycho, Gunn et Siegal (1991) nous
paraît plus pertinente. Ces chercheurs ont en effet comparé un groupe de 15
enfants trisomiques (9 ans 7 mois en moyenne) avec 15 enfants préscolaires nor-
maux (4 ans 6 mois en moyenne), de même âge mental, sur différents tests de
comptage : détection d’erreurs violant l’un des trois premiers principes de Gel-
man et Gallistel (1978), production de comptages, production d’un cardinal
(e.g., extraire 5 objets d’une collection plus grande), principe d’ordre non perti-
nent (i.e., attribuer, lors d’un comptage, le numéro 1, ou 2, ou 3,… à un objet
précisé par l’expérimentateur). Dans l’ensemble les performances des deux
groupes sont comparables. Les auteurs en concluent que c’est plutôt le niveau
développemental que le syndrome de Down, qui détermine le comportement de
comptage.
Le syndrome de Turner. Le syndrome de Turner (ST) résulte d’une aberra-
tion chromosomique concernant les chromosomes sexuels, à savoir la présence
d’un seul chromosome X.
L’étude 1 de Rovet, Szekely et Hockenberry (1994) implique 45 filles
ST entre 7.4 et 16.8 ans, appariées suivant l’âge à des filles témoins. Le test
WRAT-R montre que les ST sont inférieures aux sujets témoins dans la récupé-
ration des faits d’addition et de multiplication et dans la connaissance procédu-
rale des additions et divisions. Dans l’étude 2, portant sur 10 filles extraites de
l’étude 1 et utilisant le test Keymath, les ST n’ont été inférieures que dans l’exé-
cution des procédures, mais pas dans la connaissance des faits (mais il pourrait
s’agir d’un artefact puisque le Keymath n’est pas limité en temps). En dépit du
manque de netteté de ces observations Rovet et al. concluent que leurs « don-
nées fournissent des preuves fortes que les enfants avec ST ont des difficultés
dans le domaine procédural » (p.832).
47
◆ Conclusion
Que pouvons-nous répondre, à l’issue de cette revue qui ne peut avoir la
prétention d’être exhaustive, à la question soulevée dans le titre de cet article :
les élèves en difficulté calculent-ils autrement que leurs camarades ? Notre
réponse n’est pas franchement tranchée.
D’abord, parce que la différence la plus clairement apparue n’est pas vrai-
ment une différence dans le calcul lui-même, mais est relative au mode de
réponse : les enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés sont sélec-
tivement en difficulté lorsque le mode de réponse est verbal. De manière ana-
logue, les déficients auditifs ont des difficultés lorsque les réponses à des calculs
sont à fournir en toutes lettres (mode verbal écrit ; évidemment aussi à l’oral),
alors que ces difficultés peuvent disparaître totalement lorsqu’ils ont la possibi-
lité de répondre en écrivant les nombres en chiffres (mode symbolique). Ce pre-
mier point plaide en faveur d’un apprentissage, voire d’une évaluation, non
purement verbal, accordant une place majeure aux manipulations et aux visuali-
sations, tout au moins pour ces deux groupes d’élèves. Cette conséquence péda-
gogique n’est pas totalement nouvelle et a, par exemple, pu être soutenue pour
l’ensemble des élèves (cas non pathologiques) au travers de la théorie des
niveaux de représentation de Bruner (1966 ; voir aussi Fischer, 1993).
Ensuite, parce quelques recherches seulement, et jamais très nettement,
suggèrent des différences dans le processus de calcul et de représentation en
mémoire. D’un côté, nous avons principalement l’étude longitudinale de Geary et
al. (1991) qui a mis en évidence que les élèves à difficulté d’apprentissage en
mathématiques ne forment pas, comme les sujets témoins, des connaissances
déclaratives par mémorisation des résultats de l’exécution de leurs procédures de
calcul. Secondairement, nous avions aussi observé quelques signes d’une telle fai-
blesse dans le développement des connaissances déclaratives (multiplications élé-
mentaires) chez des élèves en classe de perfectionnement. De l’autre côté, les
observations sur trois groupes particuliers (HA, ST et déficients moteurs) suggè-
rent des difficultés plutôt procédurales. Pour ce deuxième point, notons que les
implications pédagogiques sont cependant moins évidentes. Par exemple, ayant
constaté que des élèves LD, spécifiquement en difficulté en arithmétique (pas seu-
lement en calcul), ont des déficits en mémoire non verbale (i.e., plutôt en mémoire
procédurale), Brandys et Rourke (1991) préconisent l’apprentissage mécanique de
stratégies verbales, i.e. de s’appuyer fondamentalement sur la mémoire déclara-
tive. Mais, si une telle suggestion paraît fondée sur le plan cognitif, il faut s’inter-
roger sur la motivation d’un élève qui apprendrait, mécaniquement et verbale-
ment, des stratégies dont il ne comprendrait ni la logique, ni l’intérêt.
48
Enfin, notre revue de question contient également des observations en
opposition forte avec l’idée que les élèves en difficulté auraient un développe-
ment en calcul différent de celui des autres élèves. Nous pensons notamment à
l’observation de Hitch et al. (1983) qui a montré que les enfants sourds ne sem-
blent pas avoir une connaissance des additions élémentaires différente de celles
leurs camarades entendants (de niveau de performance comparable), voire à
l’observation plus anecdotique, par Kelly et al. (1997), de RH, un adulte autiste
qui semble calculer comme les experts (non pathologiques).
Cette réponse, plutôt mitigée et parfois négative comme dans les
exemples juste précédents, à notre question initiale, présente cependant, de
manière indirecte, un intérêt pédagogique plus général. En effet, si, même dans
des conditions extrêmes comme celles engendrées par la surdité ou l’autisme,
les méthodes de calcul observées par les chercheurs étaient fondamentalement
les mêmes, on pourrait émettre l’hypothèse que les pédagogues n’ont pas pu, su,
ou voulu, mettre en oeuvre des méthodes différentes avec les élèves victimes de
ces déficiences ou troubles. Or cela est, peut-être, regrettable. D’une part, parce
qu’il est aujourd’hui clairement et scientifiquement établi que des populations
particulières, comme les sourds pratiquant le langage américain des signes (dans
les rotations mentales : cf. Emmorey, Klima & Hickok, 1998) ou les aveugles
(dans les localisations des sources sonores : cf. Lessard et al., 1998) peuvent
avoir des points forts pour lesquels elles sont supérieures aux sujets normaux.
D’autre part, parce que le bilan actuel offre une grande marge de progression.
Par exemple, à travers la froide réalité des appariements il est apparu que les
enfants sourds de 11 ans ont un niveau de performance dans le calcul des addi-
tions équivalent à celui d’enfants normaux de 7 ans, ou que des enfants triso-
miques de 9 ans 1/2 ont des performances en comptage comparables à celles
d’enfants normaux de 4 ans 1/2 ; ou encore, plus généralement, la grande presse
nous rappelle périodiquement que 80 % des sourds sont illettrés. De tels
constats doivent être considérablement améliorables.
49
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51
Quelques dysfonctionnements
dans l’appropriation du nombre,
leur diagnostic et leur abord pédagogique
Rémi Brissiaud
Résumé
Les dysfonctionnements abordés sont de deux types : 1°) L’absence de mise en relation des
concepts numériques quotidiens et scolaires. 2°) Un défaut de codage spatial du résultat
d’un comptage. Le point de vue défendu est que le premier de ces dysfonctionnements ne
relève pas d’une déficience, bien qu’il conduise à des retards développementaux impor-
tants. A titre d’hypothèse, il est avancé que le second de ces dysfonctionnements corres-
pond à une déficience qu’on pourrait appeler : la « vraie dyscalculie ». Un entretien clinique
permettant de diagnostiquer ces dysfonctionnements, ainsi que des pratiques pédagogiques
adaptées à chacun d’eux, sont présentés succinctement.
Mots-clés : dyscalculie, enfant, conceptualisation, nombre.
Abstract
This article discusses two types of disabilities: 1) an inability to associate daily life and aca-
demic number concepts; 2) a deficiency in the spatial coding of the product of counting. Our
hypothesis is that the former does not reflect a deficiency, although it does result in signifi-
cant developmental delays, while the latter reflects a real deficiency which could be called
« a true developmental arithmetic disorder ». We briefly describe how to diagnose these
disabilities through clinical interviewing, and present remediation tools which are appro-
priate to each type of disability.
Key Words : developmental arithmetic disorder, child, conceptualization, number.
53
Rémi BRISSIAUD
IUFM de Versailles
ESA CNRS 7021 (Laboratoire Cognition
et activités finalisées)
Centre de Cergy de l’IUFM de Versailles
Avenue Bernard Hirsch - B.P. 308
95 027 Cergy
e-mail : remi.brissiaud@wanadoo.fr
L
e titre de cet article est incomplet : il convient de préciser qui porte le
diagnostic dont il est question et qui a les pratiques pédagogiques qui
s’ensuivent.
Etant maître de conférences de psychologie en IUFM, chargé de la forma-
tion en psychologie des maîtres spécialisés E, le point de vue qui sera adopté ici
est celui d’un tel maître E. Rappelons que les enseignements spécialisés sont
organisés en options qui, pour les premières d’entre elles, correspondent à des
déficiences sensorielles (option A : handicapés auditifs, B : visuels et C :
moteurs) et à la déficience intellectuelle (option D). L’enseignant relevant de
l’option E, en revanche, est chargé de « l’enseignement et de l’aide pédagogique
auprès des enfants en difficulté ». Dans ce libellé, il n’est question ni de défi-
cience, ni de handicap. Et pourtant, il est clair que parmi les enfants dont le
maître E a la charge, certains consultent chez l’orthophoniste pour une « dys-
lexie » et que d’autres, beaucoup plus rares, le font pour une « dyscalculie ». Or
les termes « dyslexie » et « dyscalculie » renvoient à des déficiences.
L’existence éventuelle de ces déficiences, qui ne seraient ni sensorielles,
ni intellectuelles (au sens où l’on parle habituellement de « déficiences senso-
rielles et intellectuelles ») mais seraient des déficiences qui correspondent spéci-
fiquement à un domaine de savoirs et savoir-faire, ne peut évidemment pas lais-
ser indifférent un maître E.
Cette question structurera le plan de cet article. Je commencerai par y
aborder un dysfonctionnement majeur qui, à mon sens, ne doit pas être consi-
déré comme relevant d’une déficience : l’absence de mise en relation des
concepts numériques quotidiens et des concepts « scolaires » (Vygotski, 1935-
1997, parle le plus souvent de « concepts scientifiques »). J’examinerai ensuite
un dysfonctionnement qui relève probablement d’une déficience : le défaut de
54
codage spatial du résultat d’un comptage. Je terminerai enfin par l’abord d’un
dysfonctionnement qui a partie liée avec les deux précédents : le manque de
conceptualisation de la numération décimale.
55
Il s’agit d’un « problème d’anticipation » puisqu’il s’agit d’anticiper ce
qu’on verra lorsque le couvercle en carton sera soulevé. Là encore, l’enfant doit
mettre sur son tapis « pareil de jetons » que ceux qui sont cachés (ces jetons per-
mettent éventuellement à l’enfant de contrôler par lui-même l’exactitude de sa
réponse).
Julie réussit ce problème quasi immédiatement, vraisemblablement par
une procédure de comptage mental. Elle réussit un autre problème d’addition et
deux de soustraction (dans ce cas, la main se glisse dans le « tunnel », en retire
des jetons dont la quantité est montrée au sujet).
En revanche, vers la fin de l’entretien, quand on lui demande « un plus
deux » (il s’agit dans ce cas d’un énoncé formel oral), elle sort 1 doigt sur une
main, 2 autres sur l’autre et répond d’abord 5, puis 6. Pour « un plus trois », elle
propose 8. Comme l’adulte ne dit rien, elle se remet à compter et propose 14
puis, interrogative, « 15 ? ». Comme l’adulte ne répond toujours pas, elle se
remet à nouveau à compter et propose 12. A ce moment, l’enseignant lui
demande ce qu’elle est en train de chercher. Elle répond « un plus trois », elle
n’a pas oublié. Pour « deux plus trois », elle propose 12 puis 19.
Le phénomène intéressant est évidemment qu’elle réussisse immédiate-
ment « 8 et encore 3 » dans le contexte d’un problème d’anticipation alors
qu’elle échoue à « 1 + 3 » dans celui d’un énoncé formel.
56
A un extrême, on trouve les élèves qui pensent que l’enseignant attend
essentiellement d’eux qu’ils montrent leur savoir-faire dans l’utilisation des
algorithmes qu’il leur a enseignés. Leur activité ne commence que lorsqu’ils ont
la réponse à la question : « Lequel veut-il que j’utilise ? ». Dans les petites
classes, d’ailleurs, ces élèves sont encore ingénus : ils questionnent souvent le
maître pour savoir « ce qu’il faut faire », comme s’il pouvait leur dire ! Par la
suite, face à l’absence de réponses des maîtres, ils tentent de choisir le « bon
algorithme » à partir d’indices contextuels : celui qui est en cours d’étude au
moment où le problème est posé, celui qui, vu la taille des nombres, est le plus
probable, etc.
A l’autre extrême, on trouve des élèves qui fonctionnent dans une véri-
table « connivence épistémologique » avec le maître parce qu’ils savent très
bien que l’enjeu véritable des situations scolaires est moins l’utilisation de tel
ou tel algorithme que l’appropriation des raisons qui fondent un tel choix.
Les uns et les autres n’ont pas le même « rapport au savoir scolaire »
(Charlot et al, 1992), la même tâche ne les conduit pas à la même activité. Les
premiers pourront, éventuellement, apprendre des savoirs scolaires (apprendre à
faire une addition en colonnes, par exemple). Mais ces savoirs scolaires risquent
de n’être utilisés que pour eux-mêmes, c’est-à-dire sans répercussions sur les
savoirs numériques quotidiens. Chez les seconds, en revanche, la dialectique
vygotskienne entre concepts scolaires et concepts quotidiens fonctionne pleine-
ment. D’une part, chez eux, les concepts scolaires se construisent à partir des
concepts quotidiens qui les précèdent. D’autre part, lorsque ces élèves utilisent
les concepts scolaires, ils expérimentent un système qui ne fonctionne pas à
vide, parce qu’à terme, leurs concepts quotidiens viendront s’y réorganiser.
Ce dysfonctionnement (absence de mise en relation des concepts quoti-
diens et des concepts scolaires) ne doit pas être interprété comme relevant d’une
déficience du sujet. Il s’agit d’un dysfonctionnement de l’activité du sujet et
l’on sait que celle-ci est co-déterminée par le sujet et par les tâches.
Dans une épreuve visant à diagnostiquer ce type de dysfonctionnement,
les « problèmes d’anticipation » doivent vraisemblablement jouer un rôle privilé-
gié. Dans ces problèmes, en effet, le but de la tâche est d’élucider une propriété
cachée d’un dispositif (Combien y a-t-il de jetons cachés par le couvercle, par
exemple). Les enfants s’y représentent plus facilement le but de la tâche en rela-
tion avec le dispositif lui-même, c’est-à-dire avec les moyens dont ils disposent
pour trouver la solution, plutôt qu’avec une intention d’enseigner ou d’évaluer
qu’ils attribuent au maître. C’est d’ailleurs en agissant sur le dispositif qu’on
validera ou non leur réponse (lorsqu’on soulèvera le couvercle, par exemple).
57
On peut même conseiller au maître E qui doit mener un tel entretien
d’évaluation, de le commencer par des problèmes d’anticipation, pour que la
rencontre avec les enfants prenne, au départ, la forme la moins scolaire possible
et, partant, qu’il puisse apprécier à leur juste mesure, les connaissances numé-
riques quotidiennes de ces enfants.
58
Différencier les retards développementaux et les déficits durables
Pourquoi, à mon sens, peut-on légitimement parler de dyscalculie dans le
cas de Kévin? Pour l’essentiel, les recherches concernant les enfants en grande
difficulté dans leurs apprentissages numériques s’accordent sur une caractéris-
tique commune à la quasi-totalité de ces sujets : ils ne mémorisent pas le résultat
d’additions élémentaires telles que 7 + 5, 8 + 3, etc. A 12, 13 ans, ils sont tou-
jours obligés de compter sur leurs doigts, de compter des objets ou encore de
compter mentalement pour obtenir le résultat (pour une revue de question, voir,
par exemple, Geary, 1993).
Mais avant de parler de dyscalculie, il faut s’assurer qu’on n’est pas en
présence d’un simple retard développemental. La distinction entre décalage
développemental et déficit durable est ici cruciale parce qu’elle renvoie à des
facteurs causaux de natures différentes : alors que les facteurs pédagogiques et,
plus largement, culturels, suffisent à expliquer des décalages développementaux,
la notion de déficit renvoie nécessairement à des caractéristiques individuelles.
Rappelons que les enfants américains ont, en moyenne, un retard déve-
loppemental de 2 ans par rapport aux enfants asiatiques dans la mémorisation du
répertoire additif (Geary et al, 1992) et il ne viendrait à l’idée de personne d’af-
firmer qu’ils souffrent d’un déficit ! C’est un facteur culturel qui explique un tel
phénomène : les enfants asiatiques disent les nombres après dix, « dix-un, dix-
deux, dix-trois, etc. dix-sept, dix-huit, dix-neuf ». Du coup, quand un enfant
asiatique doit calculer 9 + 6, par exemple, il est rapidement conduit à ne plus
compter, son cheminement de pensée pouvant se décrire comme suit.
L’enfant asiatique s’aperçoit rapidement que 9 + 6 dépassera 10 (parce
que 10, c’est le nombre qui vient tout de suite après 9). Comme les nombres
après 10 se disent « dix-un, dix-deux, etc. », il sait qu’il lui suffit de répondre à
la question : « De combien 9+6, dépasse-t-il 10 ? », pour connaître le résultat
(un nombre qui dépasse 10 de 3, par exemple, c’est « dix-trois »). Il fait donc ce
qu’on appelle un « passage de la dizaine » : « 9 auquel on ajoute 6, il faut
d’abord ajouter 1 pour faire 10, et, du coup, on va dépasser 10 de… 5 (6 a été
décomposé en 1 + 5). Ça fait donc dix-cinq ».
Il n’est guère étonnant pour un psychologue que ce type de stratégie de
« décomposition - recomposition » conduise beaucoup plus rapidement à la
mémorisation du résultat que la statégie de comptage de 15 bâtons ou même
celle de surcomptage au dessus de 9 (Rappelons qu’on appelle ainsi la procé-
dure où l’enfant, pour déterminer 9 + 6, dit « 9 » pour « positionner » son sur-
comptage, sort 6 doigts et compte après 9 sur les doigts qu’il a sortis : 10, 11,
12, 13, 14 et 15).
59
En effet, mémoriser « neuf et six, quinze », c’est construire l’unité d’in-
formation, le « chunk » correspondant. Or lorsqu’un enfant surcompte, les mots
« dix », « onze », « douze », « treize », « quatorze », qu’il prononce entre les
données du problème, « neuf et cinq », et le résultat, « quinze », font obstacle à
l’association des données au résultat (Fischer, 1992, présente un modèle théo-
rique de la mémoire qui explique la supériorité du passage de la dizaine, à tra-
vers la distinction entre apprentissage procédural et apprentissage déclaratif).
Le retard développemental des enfants américains, par rapport aux enfants
asiatiques, s’explique donc par un facteur culturel. Or, bien avant la publication de
ces études interculturelles, les pédagogues français savaient que deux processus
expliquent le progrès des enfants vers le nombre : d’une part, la mentalisation des
procédures de comptage (les élèves ont de moins en moins besoin d’objets, leur
comptage est de plus en plus un comptage mental où ils comptent des mots-
nombres plutôt que des objets) et, d’autre part, l’utilisation de collections-témoins
organisées telles que les configurations de doigts ou les constellations qui, elles,
conduisent à des stratégies de décomposition-recomposition. (voir le chapitre 6
dans Brissiaud, 1989). En fait, une question telle que : « Faut-il enseigner explici-
tement le surcomptage aux enfants ou faut-il favoriser une découverte autonome
de cette stratégie ? », structure la vie pédagogique depuis bien longtemps et, vrai-
semblablement, pour longtemps encore (Brissiaud, 1997).
La façon dont on dit les nombres dans une langue, n’est donc pas le seul
outil culturel qui soit la source de décalages développementaux entre enfants : la
pratique pédagogique des maîtres, selon qu’elle favorise un cheminement vers
le nombre « à l’américaine » ou « à l’asiatique » est, elle aussi, susceptible de
produire des décalages importants, qu’il convient de ne pas confondre avec des
déficiences.
60
trouvera 5. Chez lui, la constellation (la forme géométrique) ne constitue tou-
jours pas un codage figural (donc spatial) du résultat du comptage des points.
Le cas de Kévin est évidemment très différent de celui de Julie : à 7 ans,
celle-ci reconnaît déjà qu’il y a 5 points quand ils sont disposés comme sur un
dé. Il s’agit là d’un savoir-faire numérique quotidien, que la plupart des enfants
s’approprient dès l’école maternelle, c’est-à-dire avant de rencontrer, à l’école
élémentaire, le formalisme arithmétique.
On comprend qu’un tel enfant n’ait pas découvert de façon autonome le
surcomptage : la possibilité de réaliser un codage spatial du résultat d’un comp-
tage fonctionne vraisemblablement comme pré-requis pour une telle découverte
(Fuson, 1982 ; Brissiaud, 1995a). On comprend tout autant qu’il soit encore
obligé de compter 4 points alignés pour dire combien il y en a. En effet, pour
répondre sans compter, il faut interpréter la collection à l’aide d’une décomposi-
tion : 2 + 2 ou 3 + 1 (Fischer, 1991) et le codage figural du résultat d’un comp-
tage est vraisemblablement nécessaire pour qu’une connaissance verbale telle
que « deux et deux, quatre », devienne fonctionnelle.
D’une façon générale, il me semble que le défaut de codage spatial du
résultat d’un comptage, entraîne un défaut de connaissance des décompositions
des nombres et, en fin de course, un défaut de mémorisation du répertoire addi-
tif. Dans ce cas, l’absence de mémorisation n’est vraisemblablement pas un
simple retard développemental mais le signe d’une authentique dyscalculie.
En fait, c’est la conceptualisation même du nombre qui se trouve empê-
chée. Précisons cette idée. Pour mesurer la « taille » d’une collection, pour gar-
der la mémoire de cette « taille », il existe deux moyens (Brissiaud, 1989,
1995b) :
- La collection-témoin : c’est ce que construisaient les bergers macédo-
niens, par exemple, lorsqu’ils faisaient correspondre un caillou à chaque
mouton. Dans ce cas, une pluralité (de moutons) est représentée par une
pluralité (de cailloux) équivalente.
- Le nombre où une pluralité est représentée par un signe unique, de
nature linguistique, que ce soit le chiffre écrit, « 9 » par exemple, ou le
mot-nombre oral, « neuf », qui lui correspond.
Pour conceptualiser le nombre, il faut donc passer de la pluralité de la
représentation par une collection-témoin, à l’unité de la représentation linguis-
tique. Ou encore : il faut passer de la séquentialité du comptage (1, 2, 3, 4, 5, 6,
7, 8, 9) à la simultanéité de la dénomination du nombre (il y en a 9). Le codage
spatial du résultat d’un comptage est vraisemblablement nécessaire à de telles
opérations de pensée et, donc, nécessaire à la conceptualisation du nombre.
61
◆ Un dysfonctionnement qui renvoie à l’un des deux précédents :
un manque de conceptualisation de la numération décimale
L’enseignement de la numération décimale échoue très souvent (voir, par
exemple, Bednarz et Janvier, 1986). D’un de vue point conceptuel, la numération
décimale trouve son fondement dans un changement de taille des collections
qu’on utilise comme « unités » pour quantifier une grande collection. S’il s’agit de
savoir combien il y a d’objets dans une collection qui en contient 458, par
exemple, on peut évidemment compter ces objets 1 à 1. Mais c’est long ! Aussi,
plutôt que de « compter des 1 », il vaut mieux choisir une grande unité, le cent, et
se mettre à « compter des cents » : un cent, deux cents, trois cents, quatre cents.
Quand on ne peut plus compter des cents, on se met à « compter des dix » : quatre
cents et dix, quatre cents et deux dix (malheureusement, ce nombre se dit : quatre
cent vingt), quatre cents et trois dix (malheureusement, ce nombre se dit : quatre
cent trente), etc. C’est seulement en fin de procédure qu’on se met à « compter
des 1 ». Conceptualiser la numération décimale, c’est comprendre et utiliser
l’équivalence de ces deux procédures (Brissiaud, 1989 ; Fuson et al, 1997).
Concernant la conceptualisation de la numération décimale, on sait
aujourd’hui que le facteur culturel est crucial. Là encore, on peut évoquer les
études interculturelles à l’appui d’une telle affirmation : toutes les recherches
montrent que les enfants asiatiques conceptualisent mieux la numération déci-
male que les enfants américains et l’explication la plus souvent avancée renvoie
à la façon dont les peuples asiatiques disent les nombres. Plutôt que dire « dix,
vingt, trente, etc. », les asiatiques disent « un dix, deux dix, trois dix, etc. ». Il
est donc explicite dans leur langue que dix est une « grande unité » de compte,
ce qui, évidemment, aide à la conceptualiser comme telle. D’autres recherches
mettent en évidence le rôle des pratiques pédagogiques (voir par exemple Fuson
et al, 1997).
62
36 objets, faire de même pour former une autre collection de 21, et enfin
recompter le tout 1 à 1. Mais c’est long ! Ils ont intérêt à travailler avec dix
comme « grande unité » : 36 c’est 3 dix et 6 ; 21 c’est 2 dix et 1 ; 3 dix et 2 dix,
ça fait 5 dix ; 6 et 1, ça fait 7 ; le résultat est 5 dix et 7, soit cinquante sept.
L’addition en colonnes conduit elle aussi au résultat exact, mais c’est le
positionnement des chiffres dans les colonnes, qui prend entièrement en charge
le changement d’unité. L’enfant qui a conceptualisé la numération décimale
comprend les raisons d’un tel positionnement ; mais pour celui qui ne l’a pas
encore conceptualisée, ce n’est pas gênant : il peut quand même apprendre l’ad-
dition en colonnes en s’y exerçant de façon répétée (l’alignement en colonnes,
comme le phénomène de la retenue, sont alors des « trucs scolaires » que l’élève
applique pour avoir les bonnes réponses). Lorsque c’est le cas, l’addition en
colonnes se substitue au comptage des « grandes unités » que sont les dizaines.
Alors que ce comptage permettrait à l’ensemble des élèves de progresser dans la
conceptualisation de la numération, la technique de l’addition en colonnes leur
permet seulement d’avoir le résultat exact, masquant ainsi le manque de concep-
tualisation chez certains d’entre eux.
En résumé, au moment où le pédagogue enseigne l’addition en colonnes,
il y a deux sortes d’élèves : ceux qui ont déjà conceptualisé la numération
(c’est-à-dire le « changement d’unités ») et ceux pour qui ce n’est pas encore le
cas. Concernant ces derniers, leur enseigner l’addition en colonnes, c’est les pri-
ver de la situation pédagogique qui favorise vraisemblablement le mieux cette
conceptualisation : utiliser le groupement de 10 pour déterminer le résultat
d’une addition de manière plus économique qu’en comptant 1 à 1.
Un manque de conceptualisation de la numération décimale a donc sou-
vent des causes pédagogiques. Il ne renvoie pas nécessairement à une quel-
conque déficience.
63
La plupart du temps, ces enfants vont alterner deux points de vue sur les
collections : soit ils considèrent que l’unité est le « 1 », soit ils considèrent que
l’unité est « la dizaine », mais dans ce dernier cas, le « 1 » disparaît de leur
esprit. A aucun moment, ils ne coordonnent les deux points de vue nécessaires à
la conceptualisation de la dizaine : composée de 10 unités élémentaires, elle est
elle-même une grande unité de compte.
Rappelons enfin que Kévin sait faire une addition en colonnes comme
une suite d’additions de chiffres (à chaque fois il dessine les bâtons correspon-
dants et recompte le tout). Ce constat est conforme à l’analyse menée précédem-
ment : de nombreux élèves apprennent l’addition en colonnes par l’exercice
répété. Ils travaillent colonnes par colonnes, sans attribuer leurs valeurs déci-
males aux différents chiffres. Cette technique ne nécessite pas la conceptualisa-
tion de la numération décimale, elle ne nécessite pas de savoir que le même des-
sin, « 2 », par exemple, selon sa position, désigne deux, vingt, deux cents, etc.
Ce 3e dysfonctionnement renvoie donc à l’un ou l’autre des deux précé-
dents. Il était quand même important d’aborder ici de manière spécifique le dys-
fonctionnement correspondant à un manque de conceptualisation de la numéra-
tion décimale, et ceci pour deux raisons au moins. D’abord parce que, sans
numération décimale, il n’y a pas de représentation numérique des grandes
quantités qui soit possible. Ensuite parce que ce dysfonctionnement entretient
des liens étroits avec l’enseignement des techniques opératoires. Or cet ensei-
gnement a longtemps constitué l’alpha et l’oméga de l’arithmétique scolaire.
64
même qu’on ne définit généralement plus aujourd’hui la dyslexie de la manière
suivante : « trouble persistant de la lecture-écriture, malgré une intelligence nor-
male et un environnement scolaire adéquat », il faut résister à la tentation de
définir la dyscalculie comme « un trouble persistant de la mémorisation du
répertoire additif, malgré une intelligence normale et un environnement scolaire
adéquat ». Ce type de définition a conduit, concernant la dyslexie, à confondre
durablement retard développemental et déficience. Le même effet est à craindre
concernant la dyscalculie.
Aujourd’hui, on considère généralement que l’origine de la dyslexie est à
chercher du côté de déficiences ténues dans certaines opérations conscientes très
particulières sur les phonèmes. Du coup, alors qu’il était courant, il y a quelques
années, de considérer que 10 % de la population souffre de dyslexie, les propor-
tions avancées aujourd’hui sont beaucoup plus prudentes : de l’ordre de 1 à 3 %.
Et elles sont plutôt sur une pente descendante !
Le point de vue développé dans cet article postule qu’on assistera, dans
les années qui viennent, à une évolution comparable concernant la dyscalculie.
De manière plus précise, le « défaut de codage spatial du résultat d’un
comptage » est un bon candidat au statut de « déficience ténue susceptible d’en-
traver de manière grave, l’appropriation du nombre chez l’enfant ». Est-ce le
seul candidat ? Cette façon de décrire cette déficience est-elle la meilleure ?
Bien des progrès restent à faire pour répondre à ces questions.
En revanche, cette façon d’aborder les difficultés persistantes avec les
nombres, où l’on ne se risque à parler de dyscalculie que lorsqu’on pense avoir
isolé une déficience dont on comprend le statut causal, me semble devoir être
retenue. On dispose d’une vaste panoplie de moyens pédagogiques pour aborder
les dysfonctionnement du 1er type alors qu’à ma connaissance, on est relative-
ment démuni face à ceux du 2e type (Peut-être, dans ce cas, est-il raisonnable
d’adopter une stratégie de compensation ?). Toute approche de la dyscalculie
qui conduirait à renoncer à l’usage de la panoplie pédagogique habituelle pour
une trop grande proportion d’enfants, ne pourrait qu’avoir des conséquences
sociales néfastes.
Diagnostiquer
Avec quelques étudiants et collègues, nous travaillons actuellement à
l’élaboration d’un guide d’entretien permettant un tel diagnostic. Je me conten-
terai ici de rapporter les principales idées qui nous guident.
Un moyen de repérer les dysfonctionnements du 1er type consiste à mener
un entretien clinique qui 1°) commence par ce que j’ai appelé des « problèmes
65
d’anticipation » et 2°) se termine par les mêmes problèmes alors qu’ils sont
énoncés sous une forme plus formelle. La réussite aux problèmes d’anticipation
et l’échec à leurs équivalents énoncés de façon formelle, révèle un tel dysfonc-
tionnement.
Une grande variété de problèmes peuvent être énoncés sous la forme de
« problèmes d’anticipation ». Une description théorique de cette façon d’énon-
cer les problèmes se trouve dans Brissiaud, (1989, p. 105-109). Un problème
célèbre qui est énoncé ainsi, est le « problème des poupées » (Meljac, 1979) :
l’enfant dispose d’une collection d’images de poupées et il doit, en un voyage,
aller chercher « exactement ce qu’il faut de robes, pas plus, pas moins », alors
que les robes sont à l’autre bout de la pièce. Une caractéristique de ces pro-
blèmes est que l’arithmétisation de la situation (Barrouillet et Fayol, 1995) est à
la charge de l’enfant. Les compétences numériques quotidiennes peuvent s’y
révéler.
Nous avons vu qu’un autre avantage des problèmes d’anticipation est
qu’ils permettent à l’enfant un auto-contrôle de la réalisation du but. Du coup, il
est souvent intéressant de proposer la même tâche une deuxième fois, en chan-
geant les valeurs numériques : il est fréquent que cette possibilité d’auto-
contrôle change chez l’enfant la représentation de la tâche attendue et, par suite,
qu’il progresse lors de la reprise de la tâche. On procède ainsi à ce qu’on appelle
aujourd’hui une « évaluation dynamique », au sens où elle renseigne également
sur les progrès que l’enfant est susceptible de réaliser à court ou moyen terme.
Concernant le dysfonctionnement du 2e type, on peut insérer dans l’entre-
tien des phases où l’adulte et l’enfant jouent ensemble à des jeux comme un jeu
de dominos dont on aurait réorganisé les collections : 3 est représenté sous la
forme 2 + 1 (2 points rapprochés et 1 éloigné du groupe de 2), 4 comme sur le
dé ou sous la forme 2 + 2, 5 comme sur le dé ou sous la forme 2 + 2 + 1, etc. Il
s’agit, au cours d’une « évaluation dynamique », d’apprécier si l’enfant utilise
ces décompositions ou est susceptible de se les utiliser pour reconnaître les
nombres.
66
…/… en se liant à l’expérience que l’enfant a dans ce domaine et en absorbant
celle-ci ». Dans ce cas, ce processus n’a pas lieu. Plus que d’un dysfonctionne-
ment de l’enfant (ou de l’enseignant, d’ailleurs), il s’agit d’un dysfonctionne-
ment, pour cet enfant, de la médiation que l’enseignant a organisé entre l’en-
semble des enfants et la connaissance arithmétique. Un maître E qui travaille en
réseau d’aide (RASED) devra vraisemblablement, pour cet enfant, s’orienter
vers une re-médiation. Il s’agit, pour les différents contenus de connaissances
arithmétiques, de changer la représentation que ces élèves ont des tâches atten-
dues. Comme nous l’avons vu, les problèmes d’anticipation doivent certaine-
ment jouer un grand rôle dans cette re-médiation.
67
procédure et ne mémorisent jamais le répertoire additif élémentaire ; et ceci
alors qu’ils n’ont pas la déficience de Kévin. Il est clair qu’il convient d’hésiter
avant de prendre une telle décision pédagogique : c’est pratiquement décider a
priori du niveau de compétence maximum que Kévin est susceptible d’atteindre
(il apprendra à surcompter, mais pas plus).
S’il convient d’hésiter dans ce cas, qui est l’un de ceux où le diagnostic
de dyscalculie semble assuré, que dire d’un cas où ce diagnostic serait moins
bien assuré ? Il faut le répéter encore une fois : le diagnostic de dyscalculie ne
doit jamais être porté à la légère.
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68
Performances perceptivo-tactiles et
performances arithmétiques chez le jeune enfant
C. Marinthe, M. Fayol et P. Barrouillet
Résumé
Les objectifs principaux de cet article sont de 1) confirmer que les capacités perceptivo-tac-
tiles des enfants de 5-6 ans, attestant d’un niveau de maturation du lobe pariétal, seraient
plus prédictives de la réussite des apprentissages en calcul que le niveau de développement
intellectuel ; 2) rechercher si ce niveau de maturation prédit davantage une réussite dans
les activités numériques nécessitant une manipulation mentale des quantités que dans
celles utilisant la récupération des séquences verbales ; 3) vérifier que, le niveau de matura-
tion du lobe pariétal étant évalué à partir des performances des enfants dans des tâches
perceptivo-tactiles et d’analyse visuo-spatiale, le degré de développement des habiletés
intermodales tactilo-visuelles est un meilleur prédicteur des compétences numériques que
le degré de développement des habiletés intramodales, visuelle ou tactile seules. Cent vingt
enfants de 5-6 ans ont été soumis à des épreuves neuropsychologiques de perception, des
épreuves de développement et enfin, des épreuves numériques. Des analyses de régression
ont permis de répondre aux trois objectifs poursuivis.
Mots-clés : capacités numériques, épreuves neuropsychologiques, habiletés intermodales,
performances arithmétiques, performances perceptivo-tactiles.
69
C. MARINTHE (*), M. FAYOL (*)
et P. BARROUILLET (**).
(*) LAPSCO/CNRS
Université Blaise Pascal
34 avenue Carnot
63037 Clermont Ferrand cedex
(**) LEAD/CNRS
Faculté des Sciences
6 boulevard Gabriel
21000 Dijon
D
ans une précédente recherche nous avons montré que des performances
en arithmétique d’enfants de 5-6 ans pouvaient être prédites à partir de
leurs performances à des épreuves neuropsychologiques perceptivo-tac-
tiles administrées plusieurs mois auparavant, et ceci indépendamment de leur
niveau intellectuel (Fayol, Barrouillet et Marinthe, 1998). Pour tester cette hypo-
thèse, 189 enfants de grande section de maternelle avaient été soumis à trois
types de tâches : 1) Des tests neuropsychologiques perceptivo-tactiles regroupant
quatre épreuves : simultagnosie - gnosies digitales - discriminations digitales et
graphiesthésie ; 2) Des épreuves de développement intellectuel incluant des des-
sins du losange et du bonhomme ; 3) Enfin, des épreuves numériques portant sur
l’écriture et la comparaison de nombres, le dénombrement de collections et réso-
lution de problèmes. Six mois plus tard, en première année primaire, les 172
enfants restants avaient à nouveau été soumis à quatre épreuves numériques : dic-
tée de nombres - numération - opérations et résolution de problèmes. Les résul-
tats avaient mis en évidence que le niveau de développement neuropsycholo-
gique des enfants évalué à 5 ans expliquait mieux que le niveau de
développement intellectuel les performances en arithmétique, en grande section
maternelle comme en première année primaire. Ces résultats conduisent à s’in-
terroger sur les relations entre fonctions perceptives et fonctions cognitives.
70
confirmée. Sur le plan anatomique, la lésion intéresse la région pariétale posté-
rieure de l’hémisphère dominant (cf. plus loin).
Les résultats précédemment rapportés concernent uniquement des adultes.
Rourke (1993) a étudié les performances en mathématiques, en lecture et neuro-
psychologiques (motrices, psychomotrices, perceptivo-tactiles et visuo-spatiales)
de trois groupes d’enfants de 9 - 14 ans. Le premier présentait des résultats faibles
en mathématiques comme en lecture ; le deuxième avait de meilleurs résultats en
mathématiques qu’en lecture, avec néanmoins des performances en arithmétique
inférieures à la normale. Ces deux groupes ne présentaient par ailleurs aucune
déficience significative dans le domaine neuropsychologique. Le troisième groupe
s’opposait au deuxième du fait de résultats meilleurs en lecture qu’en mathéma-
tiques. Ces enfants ne savaient pas ranger les chiffres dans la colonne adéquate
lorsqu’ils écrivaient une opération en colonne. Ils avaient également des difficultés
à placer la virgule d’un nombre décimal ; ils oubliaient ou ajoutaient des étapes
dans les opérations. En situation de jugement et de raisonnement, ils n’arrivaient
pas à appliquer une connaissance particulière à un domaine. Par ailleurs, leurs per-
formances aux épreuves neuropsychologiques étaient faibles. Les difficultés gra-
pho-motrices étaient source d’erreurs dans l’écriture des nombres. Ces enfants
éprouvaient des difficultés de l’organisation visuo-spatiale et des capacités psy-
cho-motrices. Par contraste, leur mémoire verbale était normale. Rourke (1993 ;
Rourke et Conway, 1997) a ainsi mis en évidence que des enfants ayant des défi-
cits des capacités perceptivo-tactiles présentaient également des difficultés d’ap-
prentissage des mathématiques. Ces troubles rappellent ceux du syndrome de
Gerstmann. En effet, chez les adultes porteurs de ce syndrome, l’acalculie atteint
de manière plus marquée les activités conceptuelles que verbales. Ainsi, on peut
faire l’hypothèse d’une certaine continuité entre le syndrome de Gerstmann et cer-
tains troubles arithmétiques chez l’enfant.
En résumé, les troubles décrits relativement au syndrome de Gerstmann
et ceux qui ont été mis en évidence chez certains enfants présentant des difficul-
tés d’apprentissage de l’arithmétique font soupçonner l’existence de liaisons
entre d’une part, les habiletés perceptives, notamment tactiles et visuo-spatiales,
et d’autre part, les capacités arithmétiques à dominante conceptuelle. Une possi-
bilité serait que ces différentes habiletés et capacités partagent les mêmes sites
anatomiques.
71
(aires 39 et 40 de Brodmann) du lobe pariétal. Les informations provenant de la
rétine sont intégrées par le système nerveux central au niveau du cortex visuel
primaire, ou aire 17 de Brodmann. Cette aire située dans le cortex occipital pos-
sède des projections sur les aires visuelles associatives correspondant aux aires
18 et 19 de Brodmann. Au sein de ces aires associatives, il existe deux circuits
corticaux distincts : un situé dans le cortex inféro-temporal spécialisé dans la
perception des formes et un autre situé dans le cortex pariétal postérieur (aires
39 et 40) spécialisé dans la localisation spatiale des objets. L’aire 39 du lobe
pariétal intervient donc dans l’intégration perceptive tant tactile que visuelle.
Du point de vue cognitif, l’aire 39 de Brodmann est impliquée dans le
traitement des nombres. Dehaene et Cohen (1995) ont élaboré un modèle archi-
tectural fonctionnel et anatomique du traitement des nombres : « the triple-code
model ». Ce modèle suggère que les nombres peuvent être représentés, dans le
cerveau humain, selon trois codes distincts : 1) visuel arabe, situé dans les aires
occipito-temporales droite et gauche ; 2) verbal, selon lequel les nombres sont
encodés sous forme de séquences syntaxiquement organisées de mots, sous la
dépendance des aires périsylviennes gauches et du ganglion basal gauche et 3)
analogique, selon lequel les nombres sont représentés sous forme analogique
dans les aires pariétales inférieures (aire 39 de Brodmann). Ces trois représenta-
tions sont reliées par des voies permettant la traduction rapide d’un format à
l’autre. Deux voies principales sont ainsi disponibles. La « voie directe non
sémantique » dans laquelle les entrées numériques sont transformées en format
verbal accessible à la mémoire verbale des faits arithmétiques. La récupération
de ces séquences verbales est assurée par une boucle cortico-sous-corticale
gauche à travers le ganglion basal. Cette région sous-corticale appartenant aux
noyaux gris centraux de l’HG serait impliquée dans l’addition et la multiplica-
tion. La deuxième voie est une voie « sémantique directe » par laquelle les
manipulations mentales des quantités numériques sont utilisées pour effectuer
des opérations. Cette voie se situerait dans le cortex pariétal inférieur. Le gyrus
angulaire, ou aire 39 de Brodmann de I’HG, est crucial dans la représentation
quantitative et la manipulation mentale des nombres (Geschwind et Galaburda,
1985). Il permet d’accéder au sens des nombres en tant que quantité abstraite.
Pour conclure, l’aire 39 de Brodmann est impliquée comme aire intégra-
trice dans la perception haptique, l’analyse des relations visuo-spatiales entre
objets et la manipulation mentale des quantités. La proximité anatomique, du
fait qu’elle favorise l’intégration des dimensions précédemment évoquées, pour-
rait ainsi être à l’origine des corrélations relevées entre performances concer-
nant ces dimensions, impliquées aussi bien dans le syndrome de Gerstmann que
dans les troubles présentés par certaines populations d’enfants ayant des diffi-
72
cultés en arithmétique. Si tel est le cas, on peut s’attendre à ce que les perfor-
mances les plus affectées soient celles qui nécessitent pour la détermination des
quantités la coordination de deux modalités, par exemple visuelle et tactile, et
que les moins affectées soient celles qui ne concernent qu’une modalité, par
exemple visuelle ou tactile seule. En revanche, cette aire ne semble pas interve-
nir dans l’intégration des dimensions verbales du traitement numérique. En
conséquence, comme l’a déjà observé Rourke, les performances numériques fai-
sant intervenir une forte composante verbale ne devraient pas se trouver asso-
ciées à celles qui mobilisent les dimensions haptique et visuo-spatiale.
◆ La présente étude
Les objectifs principaux sont ici de 1) confirmer que les capacités percep-
tivo-tactiles des enfants de 5-6 ans, attestant d’un niveau de maturation du lobe
pariétal, seraient plus prédictives de la réussite des apprentissages en calcul que
le niveau de développement intellectuel ; 2) rechercher si ce niveau de matura-
tion prédit davantage une réussite dans les activités numériques nécessitant une
manipulation mentale des quantités que dans celles utilisant la récupération des
séquences verbales ; 3) vérifier que, le niveau de maturation du lobe pariétal
étant évalué à partir des performances des enfants dans des tâches perceptivo-
tactiles et d’analyse visuo-spatiale, le degré de développement des habiletés
intermodales tactilo-visuelles est un meilleur prédicteur des compétences numé-
riques que le degré de développement des habiletés intramodales, visuelle ou
tactile seules.
Cent vingt enfants de 5-6 ans ont été soumis à des épreuves neuropsycho-
logiques de perception, des épreuves de développement et enfin, des épreuves
numériques.
a) Epreuves neuropsychologiques : les enfants devaient comparer une
paire de stimuli pour décider s’ils étaient identiques ou différents. Cette tâche
était exécutée selon deux modalités perceptives : 1) intramodale (l’exploration
et la reconnaissance de la paire de stimuli mobilisaient simultanément le même
type de perception), tactile (tâche de stimulation tactilo-tactile ou TT) ou
visuelle (tâche de stimulation visuo-visuelle ou VV) ; 2) intermodale (l’explora-
tion et la reconnaissance de la paire de stimuli mobilisaient simultanément les
perceptions tactile et visuelle, tâche de stimulation tactilo-visuelle ou TV). Dans
la condition TT, les paires étaient composées de plaques en carton rigide sur les-
quelles étaient collées 3, 4, ou 5 figures différentes (rectangle, carré, triangle,
flèche, croix) ou 3, 4 ou 5 carrés de 1cm de côté. Les enfants ignoraient le
nombre d’éléments présents sur chaque plaque. Ils touchaient avec la main
73
droite les paires de stimuli dissimulées sous un carton. La main gauche demeu-
rait immobile sur les genoux. L’exploration était libre et non chronométrée. Il
leur était demandé de dire si ce qu’ils touchaient sur les deux plaques était ou
non pareil. Une seule réponse (oui versus non) était acceptée. Dans la condition
VV, les paires étaient composées de rectangles de carton souple sur lesquels
étaient dessinées 6, 7 ou 8 figures différentes (les mêmes que précédemment) ou
6, 7 ou 8 carrés de 1cm de côté. Les paires étaient présentées visuellement à
l’enfant. Celui-ci ne pouvait se servir des mains pour pointer et repérer les élé-
ments saillants du stimulus. Dans la condition TV, les paires étaient composées
d’une plaque de carton rigide et d’un rectangle de carton souple avec les mêmes
3, 4 ou 5 figures et carrés. L’enfant touchait une plaque dissimulée sous un car-
ton et devait décider si le rectangle présenté simultanément mais visuellement
était semblable ou différent de la plaque perçue tactilement. Les épreuves ont
été passées individuellement. Le nombre total de paires à explorer était de 36 :
12 en condition TT, 12 en VV et 12 en TV. L’ordre de présentation était aléa-
toire. Chaque bonne réponse s’est vue attribuer la note 1 et chaque mauvaise
réponse la note 0. Le score total des épreuves neuropsychologiques était de 36.
b) Les épreuves de développement appartenaient à l’Echelle d’Admission
au Cycle Elémentaire (E.A.C.E). Elles comportaient deux parties.
1) la copie de formes géométriques : croix, rond, lettre X, carré, triangle
et losange. La reproduction des trois premières formes étant acquise à l’âge de
la population, seules les trois dernières figures interviennent dans l’estimation
du niveau de développement de l’enfant.
2) la copie de personnages : quatre personnages et un oiseau. Le premier
personnage est un homme présenté de trois-quarts face avec le bras gauche plié.
Le deuxième est également un homme présenté de trois-quarts face avec les
deux membres supérieurs levés. Le troisième dessin est celui d’une femme
assise de profil, le bras droit plié et posé sur les cuisses. Le quatrième dessin
représente une fillette de profil avec le bras gauche tendu en avant. Le dernier
dessin représente un oiseau en vol. Ces épreuves ont été passées collectivement.
Les indices de développement ont été calculés d’après les tables de cotation de
l’E.A.C.E.
c) Les épreuves numériques. Elles ont été réparties en deux catégories :
une faisant appel à la récupération directe des nombres en mémoire (exercices
1,3,5 = NumR) et l’autre nécessitant la manipulation et la représentation men-
tale des quantités (exercices 2,4,6 = NumM).
- Exercice N°1 : suite de nombres. Une bande, divisée en plusieurs cases
remplies par une suite de nombres, était dessinée sur une feuille. Cette bande
74
comportait une case vide et l’enfant devait écrire le nombre manquant dans la
case vide (ex : 27 - 28 - - 30 - 31). L’expérimentateur ne lisait pas les nombres
écrits dans les cases. Après un item d’entraînement, cinq autres items étaient
proposés à l’enfant.
- Exercice N°2 : comparaison de nombres. Cinq paires de nombres
étaient écrites sur la feuille. L’enfant devait lire seul la paire de nombres et
entourer le plus grand des deux (9/4; 6/2; 12/20; 7/8; 17/27).
- Exercice N°3 : dénombrement de quantités. L’enfant devait dénombrer
des dessins puis sélectionner le domino correspondant au cardinal de la collec-
tion. Une autre épreuve consistait à dessiner un nombre donné de ronds (9) puis
de carrés (15).
- Exercice N°4 : résolution de problèmes. L’expérimentateur proposait
cinq problèmes différents, trois se résolvaient à l’aide d’une addition et deux à
l’aide d’une soustraction. Quatre de ces problèmes contenaient un verbe dyna-
mique tel que gagner ou perdre, ce qui pouvait guider l’enfant quant au signe
opératoire à utiliser. Le cinquième comportait un verbe neutre (avoir). L’expéri-
mentateur répétait l’énoncé trois fois de suite et l’enfant devait entourer le résul-
tat supposé parmi six réponses proposées.
- Exercice N°5 : succession de nombres. L’expérimentateur énonçait un
nombre à haute voix. L’enfant devait entourer celui qui, parmi quatre autres
nombres, se trouvait immédiatement avant ou juste après.
- Exercice N°6 : sélection de nombres. L’expérimentateur lisait, à haute
voix, un nombre. L’enfant devait le reconnaître parmi cinq nombres écrits en
ligne sur la feuille et l’entourer. Après un item d’entraînement, l’enfant devait
répondre à cinq autres items.
Chaque épreuve comportait donc cinq items et chaque item était noté
1 ou 0. L’épreuve de récupération directe des résultats et l’épreuve de manipula-
tion des quantités totalisaient chacune 15 points. Le score total de l’épreuve
numérique était de 30 points.
◆ Résultats
Le tableau 1 résume les résultats obtenus à chaque épreuve. Le score
moyen aux épreuves numériques (NumG) est de 15,46/30 (DS = 7,3) avec une
moyenne de 8,04/15 (DS = 4,12) en NumR (récupération directe en mémoire) et
7,39/15 (DS = 3,65) en NumM (manipulation et représentation des quantités).
Le score aux épreuves neuropsychologiques (Neuro) est de 25,85/36 (DS = 3,3)
avec une moyenne de 6,8/12 (DS = 1.6) en condition tactilo- tactile (TT), de
75
9,9/12 (DS = 1,39) en condition visuo-visuelle (VV) et de 9,02/12 (DS = 1,84)
en condition tactilo-visuelle (TV).
Le score moyen de l’indice de développement (ID) est de 88,22 (DS =
12,26).
Neuro ID
NumG .54*** (32%) .24** (4%)
NumR .55*** (33%) .25 * (4%)
NumM .45*** (23%) .19** (3%)
76
Les corrélations partielles montrent que la variable Neuro est à chaque
fois plus fortement corrélée avec les résultats aux épreuves numériques. Les
régressions pas à pas mettent en évidence que le score aux épreuves neuropsy-
chologiques prédit mieux que le niveau de développement le résultat aux
épreuves numériques prises en totalité ou réparties en épreuves numériques de
récupération et de manipulation.
Les mêmes analyses ont été effectuées en prenant les différentes compo-
santes de la variable Neuro comme variables indépendantes (TT, VV, TV) et en
gardant les mêmes variables dépendantes. La liaison entre les différents types
d’épreuves numériques et la condition TT n’est jamais significative. Les régres-
sions linéaires pas à pas montrent que la variable TV sort toujours en premier,
suivie de VV, significative en deuxième pas.
TT VV TV
NumG -.06ns (<1%) .44*** (13%) .50*** (30%)
NumR -.04ns (<1%) .45*** (14%) .50*** (31%)
NumM -.07ns (<1%) .37*** (10.5%) .42*** (22.5%)
◆ Discussion
Deux résultats ont été mis en évidence : 1) le score aux épreuves testant le
niveau de maturation du système nerveux central prédit mieux la réussite des
apprentissages en calcul que celui évaluant le développement intellectuel et 2) le
développement des habiletés intermodales TV prédit mieux les compétences
numériques que les habiletés intramodales TT ou VV. Seule la condition TT n’a
pas d’impact sur les scores aux épreuves numériques. Ce fait peut s’expliquer par
la difficulté des enfants à exécuter la tâche dans cette condition. En effet, à cet
âge, le balayage tactile d’un stimulus n’est pas encore organisé. L’enfant oublie
de toucher certaines parties ou au contraire explore deux fois le même objet. De
plus, il ne saisit pas en général les indices marquants et, du point de vue cognitif,
a du mal à élaborer une représentation mentale de la situation (Hatwell, 1981).
Dans ces conditions, les capacités perceptives des jeunes enfants sont donc en
général sous-estimées et cette modalité sensorielle ne semble pas pertinente pour
explorer le degré de maturation du lobe pariétal chez des enfants de 5 - 6 ans.
Par contre, dans la condition visuo-visuelle, l’oeil saisit le stimulus dans
sa globalité et peut en extraire les éléments saillants. De plus, ajouter la percep-
77
tion tactile à la perception visuelle (condition TV) fait progresser la réponse. La
main organise le balayage en fonction de la vue. L’enfant confirme ou précise
par le toucher les informations recueillies par la vue, ce qui explique que la
condition tactilo-visuelle soit plus plus prédictive des résultats en arithmétique
que les conditions intramodales tactile ou visuelle.
Ainsi les résultats établis par Gerstman et Rourke sur des sujets porteurs
de troubles numériques ont été étendus à des enfants plus jeunes et ne présen-
tant pas de troubles identifiés. Ces résultats confirment que les habiletés percep-
tivo-tactiles et visuo-spatiales constituent un prédicteur des capacités numé-
riques. Les enfants ayant les meilleurs (vs les plus faibles) résultats aux
épreuves numériques ont également de meilleures (vs les plus faibles) perfor-
mances aux épreuves neuropsychologiques.
En revanche, l’hypothèse que le niveau de maturation du SNC prédit
mieux la réussite aux activités numériques de manipulation qu’aux activités
numériques de récupération n’a pas été validée. Ce résultat tient probablement
au fait que la plupart des tâches numériques proposées aux enfants impliquaient
une activité relevant de la mémoire verbale ou de la manipulation des quantités,
même si elles faisaient intervenir une autre dimension pour l’expérimentateur.
Par exemple, dans l’épreuve de dénombrement de collections, les dessins étaient
disposés en vrac à l’intérieur d’un rectangle. L’enfant devait coordonner le
comptage oral et le pointage afin de ne pas dénombrer deux fois le même élé-
ment ou ne pas en omettre un (Camos, Fayol & Barrouillet, sous presse). Il
devait de plus associer le nombre total trouvé à un domino représentant la même
quantité. Cette épreuve imposait sans doute non seulement une bonne mémoire
verbale des faits numériques et des capacités à contrôler le déroulement d’une
tâche complexe. Il n’est alors plus possible de parler uniquement de récupéra-
tion en mémoire verbale ou de manipulation et représentation des quantités. Il
semble nécessaire, pour tester cette différenciation, d’attendre que les connais-
sances des enfants soient suffisamment avancées car, à six ans, toute activité
numérique est à la fois conceptuelle et computationnelle.
La présente étude a confirmé les résultats mis en évidence lors d’une précé-
dente recherche, à savoir que les performances d’enfants de 5 ans à des épreuves
neuropsychologiques perceptivo-tactiles prédisent mieux que le niveau intellectuel
leurs performances en arithmétique. Elle a en plus précisé qu’ajouter la perception
tactile à la perception visuelle améliore les réponses des enfants aux épreuves neu-
ropsychologiques. En revanche, la jeunesse des enfants ne permet pas de mettre
en évidence une différence significative entre réussite aux épreuves numériques
faisant appel à la récupération directe en mémoire et réussite à celles qui nécessi-
tent la manipulation et la représentation mentale des quantités.
78
REFERENCES
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298.
BENTON A.L. (1992). Gerstmann’s syndrome. Archives of Neurology, 49, 445-447.
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double tâche ou procédure? L’Année Psychologique.
DEHAENE S. & COHEN L. (1995). Towards an anatomical and functional model of number processing.
Mathematical Cognition ; 1: 83-120.
FAYOL M., BARROUILLET P. & MARINTHE C. (1998). Predicting arithmetical achievement from
neuro-psychological performance : a longitudinal study. Cognition, 68, 63-70.
GERSTMANN J. (1940) Syndrome of finger agnosia, disorientation for right and left, agraphia, and acal-
culia. Archives of Neurology and Psychiatry, 44, 398-408.
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tive. Journal of Learning Disabilities, 26, 4, 214-226.
ROURKE B.P. & CONWAY J.A. (1997). Disabilities of arithmetic and mathematical reasoning : Perspec-
tives from neurology and neuropsychology. Journal of Learning Disabilities, 30, 1, 34-46.
79
Compétences arithmétiques : une aide à
l’évaluation et à l’action pédagogique
Françoise Duquesne
Résumé
Cet article présente un outil d’évaluation des compétences numériques (ECPN) destiné à des
enfants ayant des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Il relate des éléments
d’une étude en cours concernant un échantillon de 132 enfants tout-venant et des enfants
en difficulté : plus particulièrement, des enfants atteints d’I.M.C. avec dyspraxies ou de dys-
phasies développementales. L’analyse proposée porte sur quelques résultats comparatifs
entre les différentes stratégies mises en oeuvre par les enfants de ces populations.
Mots-clés : Compétences numériques, conceptualisation, difficultés d’apprentissage, réso-
lution de problèmes, stratégies de résolution.
81
Françoise DUQUESNE
CNEFEI
58 - 60 av. des Landes
92500 Suresnes
pour le groupe CIMETE 1
82
Cette batterie a été appliquée, d’une part auprès d’un groupe de 132
enfants tout venant de 4 à 9 ans, d’autre part à environ 80 sujets présentant dif-
férents troubles du développement.
Dans cet exposé, nous présenterons très succinctement les différentes
épreuves ainsi que quelques résultats relatifs aux deux catégories d’enfants.
Cet outil d’évaluation explore les possibilités de conceptualisation numé-
rique des enfants en ce qui concerne essentiellement quatre grandes fonctions
du nombre : évaluer, égaliser, comparer et transformer des quantités.
83
Après une première réponse spontanée, on peut aider l’enfant en
ajoutant : « Comment a-t-on donné les jetons à chacun ? »
Item 2 : A partir de la situation initiale, on demande à l’enfant : « Qui a
le plus de jetons ? comment le sais tu ? »
Compétences recherchées
Le but est de repérer ce qui, pour un enfant mis devant une situation de
distribution numérique, semble le plus prégnant à communiquer.
L’enfant reconnaît-il cette situation comme relevant du nombre ou s’at-
tache-t-il plutôt aux aspects figuratifs du matériel ? Imagine-t-il une histoire ou
joue-t-il avec les jetons ( comme le « chien court après le chat » ou « le lapin
mange des carottes ») ?
Procédures observées
A-t-il l’idée de compter les trois collections ou la plus grande ou en com-
parant les quantités?
Estime-t-il globalement la taille des collections par subitizing 3 des plus
petites ou par correspondance terme à terme ?
C’est l’occasion aussi, lorsque le dénombrement est incorrect, d’examiner
plus précisément les procédures de comptage avec tout le lot d’erreurs possibles
que nous ne rappellerons pas ici (cf. Chichignoud).
Quelques résultats
Les réponses non numériques représentent un fort pourcentage chez les
petits (75 % des enfants de moins de 5 ans 6 mois) et diminuent en fonction de
l’âge avec une modification brutale à 6 ans. Au final, près de 80 % d’enfants
tout-venant savent évaluer des petites quantités.
D’autre part, dès 4 ans, tous les enfants savent aussi les comparer et com-
prennent le terme « plus ».
On retrouve un taux moins élevé de réussite chez les enfants en
difficulté : certains enfants dyspraxiques interprètent bien la situation comme
relevant du nombre mais se trompent très souvent dans leurs dénombrements
alors qu’à l’inverse des enfants dysphasiques, par exemple, ne perçoivent pas
spontanément l’aspect numérique du problème bien que leurs techniques de
comptage soit en général tout à fait efficaces.
La stratégie la plus fréquente, le dénombrement, est en moyenne utilisée
par un enfant sur deux dans la population ordinaire. Il nous semble intéressant
toutefois de souligner que, dans la population d’enfants tout-venant, à partir de
84
8 ans, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour la comparaison directe,
sans dénombrement, en référence à la plus grande collection : passé le cap
d’une certaine maîtrise du dénombrement, cette stratégie est donc plus écono-
mique. Nous ne retrouvons pas dans la population en difficulté cette évolution
dans les choix de procédures.
85
objets, plutôt aux mots-nombres associés aux collections ou éventuellement à
des calculs.
Quelques résultats
Dès 5 ans, les enfants savent pratiquement tous égaliser de petites collec-
tions et ce, en mobilisant deux stratégies différentes. Un tiers des sujets de
moins de 5 ans 6 mois est capable d’en solliciter trois différentes.
Les enfants en difficulté trouvent tous au moins une stratégie mais par
contre, ils sont très nombreux à n’en trouver qu’une seule.
On peut penser que mettre en oeuvre plusieurs procédures pour résoudre
une même tâche, c’est déjà être capable de prendre du recul par rapport à son
action, de la formaliser en en reconnaissant les caractéristiques (comme se dire
« là j’en ai remis » ou « maintenant, il faut que j’en retire »). Cette capacité
semble cruellement faire défaut aux enfants en grandes difficultés d’apprentis-
sage.
Quant aux types de stratégies, les deux populations n’utilisent pas les
mêmes procédures résolvantes dans les mêmes situations ni avec la même fré-
quence ni dans le même ordre.
86
Item 4 c) On modifie à nouveau la distribution des jetons et on demande :
« Arrange toi pour que le chien en ait 3 de plus que le chat »
Compétences recherchées
Le but est de repérer quel sens les enfants donnent à l’expression « avoir
n de plus que ». Sont-ils capables, à la fois, d’établir une relation d’ordre entre
deux collections et de la quantifier en lui associant un nombre qui mesure
l’écart entre les deux quantités en jeu?
Nous proposons quatre situations apparemment semblables mais qui, là
encore, correspondent à des niveaux de conceptualisation différents puisqu’ils
demandent des opérations de pensée différentes.
87
Procédures observées
L’enfant peut égaliser les deux collections avant d’effectuer un ajout ou
ajouter le nombre de jetons qui est énoncé dans la consigne ou ajouter à la col-
lection la plus petite ou retirer à la collection la plus grande ; il peut aussi utili-
ser un calcul plus ou moins élaboré.
Quelques résultats
Cette série d’items constitue l’une des épreuves la plus difficile de notre
protocole puisque les conduites inefficaces sont très majoritaires.
On trouve deux grands types d’erreur :
• celles qui consistent à réduire la relation « avoir n de plus que » à son
aspect qualitatif, la comparaison, sans tenir compte des quantités : l’ex-
pression « le chien a 4 jetons de plus que le chat » est comprise comme
« le chien a plus que le chat »
• celles qui, au contraire, ne retiennent de cette relation que l’information
numérique : dans ce cas l’expression « le chien a 4 jetons de plus que le
chat » est comprise comme « le chien a 4 jetons ».
C’est cette dernière conduite qui est la plus fréquente. Au final, un enfant
sur deux est incapable de coordonner les aspects relationnels et numériques qui
constituent la compétence à ordonner des quantités en fonction de la mesure de
leur différence.
En ce qui concerne la population en difficulté, on trouve un taux de réus-
site inférieur encore. Le recours à la contraction de la relation est aussi très fré-
quent mais pas dans les mêmes proportions : par exemple les enfants dyspha-
siques ont tendance à privilégier très nettement l’aspect quantitatif de la relation
alors qu’inversement les enfants dyspraxiques sont particulièrement nombreux à
ne se préoccuper que de l’aspect comparatif.
88
b) En cas d’échec, l’examinateur renouvelle la question en présentant sa
main ouverte.
Item 6 : repérer et évaluer une diminution
L’examinateur prend 5 jetons dans sa main en les montrant et en les
dénombrant avec l’enfant. Puis il en enlève 2 en cachette de l’enfant.
a) Il présente ensuite sa main fermée avec les 3 jetons restants et déclare :
« J’ai fait quelque chose que tu n’as pas vu et maintenant j’ai 3
jetons dans la main, qu’est ce que j’ai fait ? » Si l’enfant ne donne
pas une réponse quantifiée, l’y inciter « combien...comment le sais
tu ? »
b) En cas d’échec, l’examinateur renouvelle la question en présentant sa
main ouverte.
Compétences recherchées
Le but est de repérer comment les enfants utilisent les nombres pour
résoudre des petits problèmes additifs ou soustractifs puisque le traitement de
ces situations est une fonction fondamentale du nombre.
Nous avons choisi deux situations de base :
• trouver l’état initial quand on connaît la transformation (l’ajout) et l’état
final (item 5).
• trouver la transformation (le retrait) quand on connaît les états, initial et
final (item 6).
Procédures observées
De nombreuses stratégies de résolution peuvent être mobilisées sans une
référence explicite à l’addition ou à la soustraction comme les comptages
contrôlés ou non à l’aide de collections témoins, une estimation globale suivie
ou non de vérifications par recomptages ou encore une addition à complément.
Quelques résultats
Lorsque les jetons ne sont pas visibles (la main de l’examinateur étant
fermée), environ un enfant sur deux répond correctement. Encore une fois, on
note une très forte différence entre les taux de réussite des enfants de moins de
6 ans et ceux de plus de 6 ans. Globalement, d’après nos résultats, rechercher
l’état initial d’une transformation additive (un ajout) est plus facile que trouver
une transformation négative (un retrait).
Dans notre population en difficulté les taux de réussite sont nettement
plus bas, particulièrement chez les enfants dyspraxiques.
89
◆ Conclusion
Un des points les plus importants qui émerge de notre étude, semble être
le constat qu’on ne retrouve pas chez les enfants en grandes difficultés d’ap-
prentissage, la capacité à mobiliser plusieurs procédures pour résoudre une
même tâche. D’autre part, ce test nous a permis de repérer parmi les sujets tout-
venant, un fonctionnement qui consiste à privilégier des procédures qu’on pour-
rait qualifier « d’économiques ». En effet, arrivés à un certain niveau de maîtrise
des stratégies mathématiques les plus rationnelles, certains enfants les abandon-
nent au profit de conduites locales qui peuvent sembler moins élaborées mais
qui se révèlent être plus efficaces. Nous n’avons pas repéré une telle évolution
des conduites chez les enfants en difficulté.
Nous pensons que l’ECPN peut apporter une vision différente, en tout cas
complémentaire, de celles que nous fournissent les autres tests qui servent habi-
tuellement à établir des diagnostics de dyscalculies.
REFERENCES
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BIDEAUD J., MELJAC C., FISHER J.P. (1991). Les chemins du nombre, Presses Universitaires de Lille.
CHICHIGNOUD M.P. (1986). le développement du concept de nombre chez le jeune enfant, GRAND N
n°36 CRDP de Grenoble.
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GELMAN R. (1983). Les bébés et le calcul, La recherche n°14.
MELJAC C. (1979). Décrire , agir et compter, P.U.F.
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VERGNAUD G. (1981). L’enfant, la mathématique et la réalité, Peter Lang.
VERGNAUD G. Structures additives et complexité psychogénétique, Revue Française de Pédagogie n°36.
90
L’UDN 2 : un instrument révisé
pour des évaluations plus fines
Claire Meljac
Résumé
L’U.D.N.2 a pour ambition de devenir l’outil indispensable du clinicien interrogé sur les com-
pétences éventuellement « dissimulées » d’un enfant, et sur l’intérêt possible d’une prise en
charge spécifique dans le domaine logico-mathématique. L’U.D.N.2 fournira aussi des indi-
cations sur le pronostic de succès d’une telle mesure de remédiation et donnera des
moyens d’évaluer les progrès accomplis.
Mots-clés : difficultés en mathématiques, examen spécialisé, remédiation, U.D.N.2.
Abstract
The U.D.N.2 purports to become an essential tool for the clinician who is interested in both
assessing potentially « masked » abilities in a child and in the specific treatment of logical-
mathematical difficulties. The U.D.N.2 also provides information on the chances of success
of this remedial approach as well as ways of assessing progress in therapy.
Key Words : mathematical difficulties, specialized evaluation, remediation, U.D.N.2.
91
Claire MELJAC
Psychologue
Unité de Psycho-Pathologie de l’enfant et
de l’Adolescent
Hôpital Sainte-Anne
1 rue Cabanis
75014 Paris
L
e praticien désirant évaluer le niveau du langage - oral ou écrit - d’un
sujet consultant n’a que l’embarras du choix devant le riche éventail des
épreuves à proposer. Dans ce domaine, il y en a pour tous les goûts et
pour tous les âges ; pour tous les tableaux cliniques aussi, et dans toutes les
perspectives. La multiplicité des techniques mises au point ces dernières années
donne une bonne idée du renouvellement théorique dont le champ langagier a
été l’objet. Elle reflète aussi l’intensité de la demande. Une grande partie des
consultations spécialisées répondent à des besoins relatifs à ce domaine : retards
du développement, dysphasie, échecs en lecture, difficultés de transcription,
etc., sans parler des conséquences, essentiellement chez les adultes, d’atteintes
cérébrales à l’origine d’incapacités diverses.
Les instruments à la disposition des cliniciens s’occupant de la sphère
mathématique sont nettement moins nombreux et moins variés. Marchand, Cau-
chet et Duquesne (1999) ont récemment fourni une remarquable revue des pos-
sibilités offertes par le marché. Elles sont restreintes, car, comme l’a souligné
Grégoire (1996), les travaux consacrés à ce type d’évaluation apparaissent plu-
tôt rares.
On peut distinguer, en gros, trois types de familles regroupant de telles
études. Il peut s’agir :
- de tests psychométriques classiques (ou du moins des subtests consacrés
à des explorations en mathématiques) ;
- d’épreuves dont l’inspiration est clairement pédagogique (comme des
échelles d’évaluation de niveau scolaire) ;
- d’approches plus spécifiquement piagétiennes.
C’est à cette dernière catégorie d’investigations que l’UDN a appartenu,
dès sa création.
Inspirée, sur le plan pratique, par les tableaux que présentent des enfants
dont les échecs en calcul sont précocement repérables et, sur le plan théorique,
92
par les importantes contributions de l’Ecole de Genève, l’UDN, tout en ne res-
pectant pas ce qu’on pourrait appeler une stricte orthodoxie, n’en fait pas moins
largement appel aux apports fondamentaux de l’épistémologie piagétienne,
source d’inspiration inépuisable. La Genèse du Nombre (Piaget & Szeminska,
1941) est chronologiquement le premier d’une longue série d’ouvrages dont la
consultation est nécessaire pour tout praticien désirant travailler sur ce terrain.
On en trouvera la liste, par exemple, dans Meljac, Voyazopoulos et Hatwell
(1998).
Nous nous bornerons, ici, à résumer brièvement les propriétés de l’UDN
80 pour développer ensuite de façon un peu plus détaillée celles de l’UDN 2, sa
version révisée et enrichie, très prochainement disponible aux Editions du
Centre de Psychologie Appliquée. Nous nous centrerons plus spécialement sur
les compléments et prolongements apportés à la forme première et sur l’opéra-
tion de véritable rénovation qu’a constitué le réétalonnage aux normes actuelle-
ment en vigueur. Nous conclurons cette présentation en soulignant l’importance
des formations spécialisées, encore bien trop rares. Destinées à informer les pra-
ticiens, tant sur les aspects techniques de la passation de techniques innovantes
que sur les modalités de leur interprétation et de leur utilisation dans un projet
de prise en charge, elles devraient constituer une étape indispensable pour tout
utilisateur désirant enrichir son répertoire d’instruments. C’est une remarque qui
vaut, bien sûr, pour l’UDN2, mais qui pourrait s’appliquer à d’autres épreuves
méritant d’être mieux connues et interprétées. Si le report à des textes écrits
s’avère indispensable, ceux-ci ne peuvent cependant pas toujours se substituer
aux apports vivants que constituent les échanges et les discussions entre des
novices et un formateur-expert (lui-même d’ailleurs souvent éclairé par les
questions des débutants qui abordent les faits sous un jour nouveau et stimu-
lant). Les professionnels américains l’ont bien compris qui organisent, la plupart
du temps, des sessions d’entraînement aux instruments qu’ils proposent aux col-
lègues.
93
détaillées, voir Meljac et al.; 1998, ouvr.cit.) vise plutôt un public d’adolescents
et de pré-adolescents.
Outre sa population-cible, bien spécifique, l’UDN s’est caractérisée, dès
l’origine, par le point de vue qu’elle adopte, qu’on pourrait qualifier de « fonc-
tionnel » ou bien d’« utilitaire ». Le projet de Piaget, on le sait, était de fonder
une épistémologie génétique, rendant compte des progrès de la connaissance et
des démarches de l’esprit humain engagé dans une entreprise de fondation du
savoir. En ce qui concerne le nombre et sa genèse, le chercheur genevois avait
développé ce qu’on peut appeler un « système » articulant la maîtrise des pro-
priétés des concepts arithmétiques à l’organisation d’autres notions fondamen-
tales : les opérations de classification et de sériation se retrouvaient, ainsi, aux
fondements mêmes des futures élaborations numériques.
La tâche que se fixait l’UDN était celle d’apprécier non seulement le
niveau opératoire d’un sujet mais aussi le mode sous lequel il se trouvait en
mesure d’exploiter ses outils de pensée. Dans une situation exigeant des évalua-
tions numériques, l’apprenti-mathématicien aurait-il spontanément l’initiative
de procéder à un comptage ou resterait-il impuissant ? Cette optique « fonction-
nelle » qui paraît, dans l’ensemble, avoir peu retenu l’attention des chercheurs
est d’une grande fécondité, au moins sur le plan diagnostic : il ne suffit pas tou-
jours de posséder certaines capacités pour apparaître en mesure de les utiliser.
Cet écart entre compétence et performance rend compte d’évidentes disparités
de comportements (et bien sûr de rendement scolaire) entre des sujets dont le
répertoire est pourtant apparemment du même ordre.
Ces choix théoriques ont inspiré les cinq familles de départ (ou secteurs
stratégiques) composant l’UDN 80 :
- épreuves de conservation (de la conservation terme à terme à la conser-
vation des longueurs) empruntées aux protocoles piagétiens classiques ;
- épreuves de logique élémentaire (classifications à plusieurs critères et
sériations) ;
- épreuves portant sur la détermination d’une origine spatiale (coupe d’un
morceau de ficelle, analogue à un témoin, par exemple - ou de bandes
de papier de mêmes dimensions qu’une troisième) ;
- épreuves relatives à l’utilisation du nombre, se subdivisant elles-mêmes
en tâches de constat (description d’une collection) et en tâches opéra-
tionnelles (par exemple apporter le nombre pertinent de robes pour
habiller une collection de poupées, placée à distance) ;
- l’UDN 80 était complétée par une exploration rapide des connaissances
acquises par l’enfant : écriture des nombres, petites opérations, etc.
94
Pendant vingt ans, l’UDN 80 a rendu des services (qu’on espère fidèles) à
l’ensemble des praticiens dont l’attention se portait sur les troubles d’apprentis-
sage, en particulier en mathématiques, et qui avaient appris à connaître cet ins-
trument et à l’employer de façon souple et dynamique (c’était pour une bonne
part des psychologues scolaires).
95
◆ L’UDN II : Des épreuves plus nombreuses
et un nouvel étalonnage
A l’issue de cet important effort, le praticien intéressé par la batterie
UDN 2 et les explorations qu’elle permet de réaliser se trouvera en possession
d’un ensemble ayant subi de profondes transformations.
De nombreuses épreuves ont été ou bien enrichies, ou bien ajoutées :
la plupart s’adressent à des enfants plus âgés que ceux initialement visés.
Citons, par exemple l’épreuve spatiale du choix des baguettes. Au cours de
celle-ci on donne à l’enfant une collection de baguettes, toutes inégales, sauf
deux d’entre elles ; il s’agit de les repérer. Cette performance est difficile à réali-
ser par un sujet qui ne dispose pas d’une certaine maîtrise des propriétés de l’es-
pace métrique. A l’étape antérieure, les enfants se bornent à de maladroites et
tâtonnantes comparaisons deux à deux des baguettes. Ces tentatives non systé-
matisées ne permettent pas, en général, de dégager les éléments semblables si
les baguettes sont assez nombreuses.
Autre épreuve ajoutée au répertoire premier : la tâche d’inclusion s’ap-
puyant sur les nouveaux développements théoriques suggérés par Jacqueline
Bideaud et Jacques Lautrey.
On présente une collection d’objets dont une sous-classe est importante
numériquement. L’enfant est invité alors, grâce à un certain nombre de ques-
tions-pièges à distinguer fermement entre classes et sous-classes, même dans les
cas où la situation est poussée aux extrêmes (il doit, par exemple, se décider sur
la question de savoir si en ajoutant beaucoup d’éléments de la sous-classe on
aura un jour plus d’éléments de la sous-classe que de la classe).
Mentionnons, pour les plus grands, l’ajout de l’épreuve piagétienne bien
connue de la dissociation entre poids et volume. Un cylindre de même volume
qu’un témoin, en aluminium, mais plus lourd (il est en cuivre) fera-t-il monter
l’eau « pareil », ou bien « plus » ou, encore « moins » ?
Les enfants les plus petits n’ont pas été oubliés : la vérification des prin-
cipes de Gelman (1978) : principe de bijection, de suite stable, principe cardi-
nal, principe d’ordre indifférent peut être systématiquement opéré sur le maté-
riel proposé. Cette épreuve de contrôle peut sembler quelque peu étonnante
puisque Gelman, dans ses écrits, soutient une thèse innéiste selon laquelle de
tels principes seraient présents chez l’enfant dès la naissance. L’expérience avec
des sujets vivants, et particulièrement avec ceux qui rencontrent des difficultés,
démontrent la fragilité de telles positions. L’intérêt de l’examen des principes de
Gelman n’en est pas diminué pour autant. Tout au contraire.
96
Notons aussi que l’épreuve de connaissances scolaires a été notablement
développée. Elle tient compte de nos récentes observations en matière de
troubles d’apprentissage.
On a tenté de rendre la passation plus facile, plus riche, plus claire-
ment analysable
Les différents aménagements apportés à la forme première ont rendu
d’une certaine façon la batterie plus complexe : c’est la rançon à payer, tout du
moins provisoirement, lorsqu’on souhaite disposer d’un instrument subtil et
détaillé. Nous avons cependant souhaité en rendre l’accès aisé aux praticiens et
c’est pourquoi nous avons procédé à différents aménagements :
- le matériel, mieux présenté, a été rendu plus attractif et plus varié ;
- la batterie a été divisée en deux formes (une pour les écoliers de Mater-
nelle, et une autre pour les plus grands). ;
- les consignes ont été précisées et bien détachées de l’ensemble dans leur
exposition ;
- les différentes aides apportées aux enfants durant la passation ont été
systématisées. Pour la plupart des tâches, on disposera donc de deux
indications : l’une relative aux démarches spontanées du sujet, l’autre à
ses réalisations avec étayage. Le praticien aura aussi recueilli les diffé-
rentes explications ou justifications de chacun sur ses modes de pensée.
Il pourra parvenir ainsi à une représentation affinée des possibilités
d’évolution de chaque consultant (Zone proximale de développement,
selon le vocabulaire de Vygotsky ; voir, par exemple, Schneuwly et
Bronckart, 1985) ;
- le « cahier de relevé des conduites » où sont recensées toutes les réac-
tions possibles d’un enfant, face au matériel présenté et aux consignes
communiquées a été très largement retravaillé. On y a adjoint des
tableaux récapitulatifs destinés à aider les praticiens dans leur démarche
d’évaluation à la fois analytique (chaque épreuve donne lieu à une stan-
dardisation spécifique) et globale ( il convient de ne pas perdre de vue
que l’ensemble des performances a été accompli par un même sujet) ;
- le manuel propose des cas cliniques (écoliers tout venant ou consultants)
dont l’exposé devrait aider le praticien dans sa démarche d’élaboration
des données recueillies.
◆ L’interprétation de l’UDN 2
Il ne suffit pas, bien sûr, de relever des scores, même affinées, même
regroupés, aux différentes parties de l’UDN 2 pour prétendre être arrivé au
97
terme de son exploitation. Il en est pour cette batterie ainsi que pour d’autres (et
peut-être même un peu plus que pour d’autres) : un alignement de notations ou
de scores ne suffira pas à rendre compte des performances d’un sujet et de l’or-
ganisation qui les sous-tend.
Pour être en mesure de tirer profit de l’UDN 2, au terme d’une démarche
compréhensive, il convient, en effet, non seulement d’être devenu familier de
l’instrument en lui-même, mais aussi :
- d’avoir acquis de bonnes connaissances en matière de développement de
l’enfant ;
- de faire preuve de connaissances solides dans les domaines piagétien et
néo-piagétien ;
- de posséder une certaine expérience du monde scolaire et des exigences
relevant des programmes d’enseignement, en particulier en mathéma-
tiques ;
- et, enfin et surtout, d’avoir cultivé un sens et une expérience cliniques,
fruits de la pratique et d’une formation appropriée.
Ainsi qu’il a été annoncé plus haut, des actions d’accompagnement de
l’UDN 2 sont d’ores et déjà prévues. Elles s’inscriront, selon les besoins des
professionnels concernés, ou bien dans un programme ponctuel et spécialisé, ou
bien dans des cycles poussés de perfectionnement 1 traitant du développement
logico-mathématique dans ses aspects normaux ou pathologiques. Pour tous les
cas de figure, les praticiens seront initiés à l’outil, à son rationnel, aux modalités
techniques de la passation ainsi qu’à son interprétation. Le travail portera aussi
sur la communication : comment faire partager à d’autres collègues les rensei-
gnements que l’UDN 2 permet de collecter sur un cas concret ? Comment éla-
borer, en coordination avec l’ensemble des professionnels concernés, des pro-
grammes de prises en charge mieux adaptés à chaque cas?
◆ Conclusion
Nous espérons avoir offert aux praticiens, avec l’UDN 2, un instrument
susceptible de les aider dans un domaine jusqu’ici fort méconnu : celui de l’éva-
luation et de l’analyse de la pensée logico-mathématique et de ses troubles
éventuels. Le nouvel étalonnage devrait renforcer la validité des constats obte-
nus, tandis que les pistes suggérées dans les publications et les formations pro-
posées aux professionnels concernés se donnent pour objectif d’enrichir leurs
démarches cliniques et leurs itinéraires de remédiation.
1. Le COPES (20 rue de Dantzig, 75015, Paris) est chargé d’organiser de telles formations.
98
REFERENCES
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base en psychologie, Paris, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
99
Utilisation du jeu de stratégie « QUARTO »
comme stimulus développemental du
fonctionnement cognitif
Application chez un enfant présentant un
syndrome de Williams Beuren (S.W.B)
Pascale Op de Beeck
Résumé
Le jeu de stratégie « QUARTO » requiert des aptitudes cognitives minimales :
- habiletés de classification, stratégies hypothético-déductives, capacités d’anticipation,
organisation spatiale
Son utilisation avec un petit garçon présentant un S.W.B (syndrome génétique) a nécessité
la mise en place de situations cliniques de complexité croissante (intégration mnésique pro-
gressive des différents paramètres du jeu).
Notre objectif est d’essayer de développer le fonctionnement cognitif de l’enfant à travers un
contexte atypique de rééducation : toute stratégie de pensée implique en effet des capacités
de perception, comparaison, généralisation, établissement et vérification d’inférences...
Mots-clés : cognition, rééducation, enfant, génétique, syndrome de Williams Beuren.
101
Pascale Op de Beeck
logopède
E.E.S.M.P de la C.F*
9 bis rue de Breuze
7540 KAIN (Belgique)
◆ REVUE DE LA LITTERATURE
Nous dressons ci-après le profil clinique global du S.W.B. Le lecteur
trouvera des compléments d’information au sein des références bibliogra-
phiques.
1. Définition
Le S.W.B est un trouble du développement congénital dont l’étiologie
exacte reste méconnue.
Sa fréquence est estimée à 1 cas pour 20000 à 50000 naissances.
Sur 100 sujets, la sex-ratio est de 63 garçons pour 37 filles.
102
2. Etiologie
Les hypothèses actuelles sont en faveur d’une origine génétique.
L’étude du caryotype de la plupart des patients a mis en évidence une
microdélétion au niveau du gène de l’élastine dont le locus est situé sur le bras
long du chromosome n°7 en 7q 11. 23.
Les recherches se poursuivent en vue de l’identification d’autres gènes
liés à ce syndrome.
3. Profil clinique
3.1) Dysmorphie faciale : « faciès d’elfe »
3.2) Signes cliniques associés :
* à la naissance : état hypotonique ; hernie ombilicale, inguinale
* cardiopathies
* anomalies ophtalmiques
3.3) Anomalies transitoires :
* troubles alimentaires
* hypercalcémie
3.4) Particularités de développement :
* hyperacousies
* otites moyennes et/ou drains transtympaniques
* retard de développement psychomoteur
* troubles gastro-intestinaux
4. Profil cérébral
Les images de résonance magnétique nucléaire mettent en évidence les
particularités suivantes :
- les morphologies frontales et temporales sont préservées, ce qui
explique les bonnes capacités en langage formel
- l’architecture corticale est modifiée dans le sens d’une densité cellulaire
accrue, une disposition horizontale des neurones, une myélinisation
réduite des fibres nerveuses, une immaturité du système vasculaire
- les difficultés visuospatiales seraient dues à la réduction de la lar-
geur du cerveau postérieur et à une augmentation de la distance
cérébrale antéro-postérieure
Selon Bellugi et al, les sujets S.W.B seraient proches comportemen-
talement des sujets présentant une lésion de l’hémisphère droit
103
Ces différences proviendraient d’un arrêt du développement neuronal
entre la fin du 2e trimestre de la 1re année et la 2e année de vie des sujets S.W.B.
104
Les difficultés sont importantes dans le domaine de la cognition spa-
tiale : les sujets S.W.B possèdent une vision globale de l’objet ou de ses élé-
ments isolés mais ignorent leurs rapports fonctionnels.
Les capacités mnésiques sont situées dans la normalité : mémoire des
visages étonnante, bonne mémoire verbale.
◆ ETUDE DE CAS
1. Données anamnestiques
1.1) Antécédents médicaux
A... est né en 1988. Il présente un S.W.B. Depuis 1991, l’enfant bénéficie
d’une remédiation pluridisciplinaire : psychomotricité, kinésithérapie, ergothé-
rapie, orthophonie.
1.2) Evaluation des aptitudes intellectuelles
En 1993, l’enfant a obtenu un Q.I global de 61 à l’échelle de Terman
Merrill.
L’accès à l’abstraction, la coordination oculomanuelle, l’orientation du
corps et de l’objet dans l’espace restent très déficitaires.
2. Description de la situation expérimentale
Le jeu de stratégie « QUARTO » comporte un plateau de 16 cases : les
pièces sont hautes ou basses, rondes ou carrées, blanches ou noires, pleines ou
creuses. Le nombre de joueurs est de 2.
L’objectif est d’aligner (horizontalement, verticalement ou en diagonale)
4 pièces ayant au moins un caractère commun (photos 1 et 2).
Les aptitudes cognitives minimales relatives à ce contexte ludique parti-
culier sont :
• des habiletés de classification : à partir d’un ensemble d’éléments x,
l’enfant doit pouvoir créer des classes selon 1 ou n critères de ressem-
blance
• l’utilisation de stratégies hypothético-déductives : l’enfant doit maî-
triser la logique des classes (relations d’intersection et d’inclusion)
• des capacités d’anticipation : l’enfant apprend à établir des infé-
rences à partir de ses interventions personnelles dans le jeu mais aussi
à partir des actions éventuelles de son partenaire. Pour cela, des opéra-
tions mentales de synthèse, de logique, de combinatoire sont mises en
jeu
105
Photos 1 et 2
106
• une appréhension correcte de l’espace : gestion des différentes orien-
tations du plan de jeu
2.1) Situation expérimentale initiale
Les aptitudes précitées ont d’abord été développées et/ou renforcées à
partir d’un matériel varié et simple en vue d’effectuer un transfert ultérieur d’ap-
prentissage vers le matériel du jeu « QUARTO » de niveau conceptuel plus
complexe
=> couteaux, fourchettes, cuillères, pions, blocs logiques... de 2 couleurs
(jaune et rouge)
• Habiletés de classification
Lors d’une situation de classification libre, nous avons observé le critère
de classification spontané de l’enfant : A... constitue 2 classes distinctes en res-
pectant le critère de classification « couleur ».
• Stratégies hypothético-déductives
a) l’enfant apprend à percevoir le(s) critère(s) de ressemblance/différence
entre 2 classes d’objets créées par la thérapeute :
* objet identique, couleur identique
* objet identique, couleur différente
* objet différent, couleur identique
* objet différent, couleur différente
b) l’enfant constitue un 2ème ensemble à partir des consignes de la théra-
peute
ex : ensemble cible = l’ensemble des fourchettes rouges
consigne : « tu vas faire un ensemble qui comporte des objets diffé-
rents de même couleur »
La perception des critères définis en a) n’a pas révélé de lacunes impor-
tantes.
Par contre, la création de classes qui nécessite l’intégration simultanée de
2 consignes orales a posé quelques problèmes ; seul un des éléments de la
consigne est respecté.
Afin de suppléer les processus mobilisés par la mémoire auditive de tra-
vail, nous avons utilisé un support mnémotechnique visuel : des fiches représen-
tatives des divers paramètres sont à la disposition de l’enfant.
N.B : nous avons opté pour le symbole x car l’élément discriminatif / au
sein du signe mathématique =/ n’était pas prégnant pour l’enfant
107
2.2) Application du jeu « QUARTO »
• Habiletés de classification
Les critères de classification spontanés de l’enfant sont la couleur et la
forme. Les aspects « haut/bas », « creux/plein » ont été découverts avec l’adulte
grâce à des prises d’indices inductives.
• Stratégies hypothético-déductives
a) la thérapeute crée un alignement de 4 pions : l’enfant nomme le(s) cri-
tère(s) de ressemblance
b) l’enfant complète un alignement de 3 pions initialisé par la thérapeute
et nomme le(s) critère(s) de ressemblance
• Capacités d’anticipation
a) l’enfant et la thérapeute jouent chacun en alternance. Seules les orien-
tations horizontale et verticale, abordées isolément, ont été travaillées
Des aides mnémotechniques semblables aux précédentes ont été utilisées.
Une flèche directionnelle constitue un indiçage supplémentaire pour permettre à
l’enfant de délimiter, à chaque tour de rôle, l’espace ciblé en cours.
108
b) nous supprimons la flèche directionnelle ; les joueurs ont la possibilité
d’agir à n’importe quel endroit du plateau de jeu en respectant l’horizontalité ou
la verticalité.
◆ Conclusion
Bien que l’utilisation d’un tel jeu puisse paraître utopique au départ, nous
avons pu l’exploiter, grâce à des adaptations de la règle canonique.
Nous avons pu vérifier le stockage en mémoire de ces nouvelles aptitudes
(figurant parmi les moins performantes du S.W.B) en proposant le jeu à l’enfant
6 mois après l’expérimentation.
Lors de nos rééducations axées principalement cette année sur l’appren-
tissage de la lecture, nous constatons, de surcroît, des changements de variables
dans le fonctionnement cognitif de l’enfant :
possibilité de décentration, formulation d’hypothèses, gestion de plu-
sieurs paramètres...
109
Cette expérimentation nous rappelle et nous prouve, une fois encore, que
tout enfant, avec ou sans déficience mentale, est capable de mobilité et de plasti-
cité de pensée. L’intervention clinique de chaque thérapeute est d’essayer de
repérer et d’exploiter des potentialités existant quelquefois en filigrane mais
néanmoins bien réelles.
Cette philosophie d’approcher le profil cognitif de manière la plus
exhaustive possible nous semble fondamentale tant sur le plan de l’accès aux
différents apprentissages que sur celui d’une valorisation optimale de chaque
personnalité.
110
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112
Aspects cliniques des dyscalculies chez l’enfant
Dr. Michèle Mazeau
Résumé
Les dyscalculies de l’enfant, quel qu’en soit le contexte, ne sont pas une entité clinique
homogène, circonscrite, cohérente. L’incompétence en calcul (ou dans l’ensemble des acti-
vités logico-mathématiques selon les cas), est un symptôme, - et non un diagnostic -,
symptôme qui doit faire l’objet d’une analyse, fonction de l’inventaire des compétences
requises pour telle ou telle tâche. Ainsi, pourront être reconnues des dyscalculies multiples,
dont les expressions sont diverses, fonction des processus sous-jacents dysfonctionnants.
L’analyse neuro-psychologique est indispensable pour mettre en évidence les troubles res-
ponsables, en amont (troubles visuo-practo-spatiaux, troubles des compétences linguis-
tiques, mnésiques, exécutives) : elle prend ici la forme d’un bref bilan clinique, utilisé
comme outil de « débrouillage » en situation de consultation. Trois cas illustrent cette
démarche, débouchant sur des diagnostics différentiels (dyscalculies « s p at i a l e »,
« linguistique » et « raisonnementale »), qui guideront les thérapeutes dans des actions
rééducatives et/ou palliatives très différentes.
Mots-clés : Dyscalculies, neuropsychologie, dyspraxies.
113
Dr. Michèle MAZEAU
Médecin de Rééducation
Service de Rééducation et d’Intégration
pour Enfants Handicapés Moteurs
(l’ADAPT)
185 bis rue Ordener
75018 Paris
D
epuis une dizaine d’années, le terme de « dyscalculie » est de plus en
plus souvent utilisé, comme un « diagnostic » qui doit être mis à jour
pour déboucher ensuite sur une action thérapeutique.
La fréquence croissante de cette plainte lors de consultations d’enfants est
probablement due à la conjonction : I) d’une part, d’exigences scolaires de plus
en plus contraignantes socialement (l’échec scolaire constituant en soi un risque
d’exclusion sociale), exigences où les mathématiques jouent un rôle certain de
sélection, et II) d’autre part, de la diffusion de connaissances en neuro-psycholo-
gie infantile, ce qui induit une démarche analytique plus systématique dans les
évaluations cognitives des enfants en difficulté scolaire (Bernoussi, 1992); l’éva-
luation des (in)-compétences en calcul se situe alors naturellement aux côtés
d’autres bilans neuro-psychologiques, de langage ou de mémoire par exemple.
Aussi, malgré son apparente transparence lexicale (dys-calculie = « dys-
fonctionnement » en calcul, incompétence en calcul), ce terme doit être défini,
précisé, ses contours et ses limites doivent être déterminés avec rigueur. Car le
risque est grand de considérer comme « dyscalculiques » (connotation médicale,
sous-entendant un trouble) des enfants strictement normaux dont les « difficul-
tés » ne seraient que le reflet d’exigences (familiales ou scolaires) mal adaptées
(en termes d’âge, de maturité, d’adéquation aux « programmes », de projet
d’orientation, etc.) ou mal acceptées (en termes de motivation, de talents, de
plaisir, etc.).
Des critères doivent donc être fixés, qui distinguent clairement et objecti-
vement l’enfant normal aux résultats scolaires faibles en mathématiques (ce qui,
en soi, ne saurait constituer le symptôme d’une quelconque pathologie !), de
l’enfant dont le (dys)-fonctionnement cognitif constitue une pathologie qui
s’exprime spécifiquement dans le domaine du calcul.
Par ailleurs, le mot « calcul » nécessite lui aussi d’être cerné. Il peut être
compris dans son sens large - effectuer des opérations sur n’importe quelles
114
représentations mentales -, ou dans un sens restreint, c’est à dire effectuer des
opérations sur des nombres.
Etymologiquement dérivé du latin calculus, - caillou servant à compter -,
le calcul désigne les savoirs et savoirs-faire en lien avec la numération et les
opérations sur les nombres (arithmétique = science des nombres). Les mathé-
matiques eux, outre l’arithmétique, incluent d’autres disciplines, par exemple
la logique et la géométrie. Cette distinction est d’autant plus importante que
l’incompétence (totale ou partielle) en calcul ne saurait donc être systémati-
quement confondue avec une incompétence globale en mathématiques
(« j’suis nul en maths » !) : en effet, certains enfants présentent des troubles
exclusivement liés à certains aspects de la numération, tandis que d’autres
voient leurs difficultés s’étendre à d’autres secteurs des apprentissages,
mathématiques ou non (et ce, en fonction du ou des troubles cognitifs sous-
jacents dont ils souffrent).
Nous devons donc, pour définir le champ des dyscalculies, nous intéres-
ser aux différents aspects du nombre (Bideau, 1991- Fayol, 1990) et aux
compétences cognitives sous-jacentes qu’ils recouvrent. En pratique, nous
distinguerons, au sein du concept de nombre, trois versants distincts mais (idéa-
lement) coordonnés :
- un versant logique, résultant d’opérations de catégorisations, de classi-
fications et de sériations, - cf. les travaux de Piaget (1941) -, versant certaine-
ment le plus connu et le mieux investigué (épreuves dites « de conservation »,
EPL ou échelles de Longeot, UDN 80, EDEI, etc) ;
- un versant linguistique, lié à l’utilisation des mots-nombres oraux et/ou
écrits (essentiellement en chiffres arabes) - cf. les travaux de G.Deloche et coll
(1989) et de X. Séron (1993), sur la numération, en tant que sous-ensemble du
domaine linguistique et les travaux de Gelman (1978, 1983), sur l’importance,
sur le plan génétique, des aspects verbaux dans la constitution des premières
notions de nombre chez l’enfant - ;
- un versant spatial, I)- lié à la perception de collections (quotités) ou de
grandeurs (quantités), leur comparaison, leurs transformations (ajouts, retraits,
réunion, …) - cf. P. Gréco (1962) -, et leur comptage (activités de dénombre-
ment), mais aussi II)- lié au choix de la numération arabe (numération de posi-
tion) et aux algorithmes de résolution des opérations (« technique opératoire »),
algorithmes essentiellement spatiaux qu’elle impose (Mazeau 1996).
Par ailleurs, les compétences mnésiques sont sollicitées à toutes les
étapes de l’acquisition des différents savoirs afférents au nombre, qu’il s’agisse
de la mémoire permanente (connaissances « déclaratives » sur les nombres,
115
connaissance des faits numériques 1, etc.), ou des mémoires tra n s i t o i re s
mémoire de travail (opérations mentales sur les nombres).
Enfin, les fonctions exécutives, frontales, permettant la hiérarchisation
des opérations mentales, leur organisation, la structuration de stratégies appro-
priées et l’inhibition de schèmes automatiques mais non pertinents - Cf.
O. Houdé (1995) -, sont également impliquées dans la structuration des compé-
tences numériques et la résolution de problèmes (numériques ou non).
Chez l’enfant, la construction de chacun de ces aspects du nombre peut
être séparément compromise du fait de troubles 2 cognitifs spécifiques : il en
résulte qu’il existe cliniquement plusieurs sortes de dyscalculies, dont les
symptômes, les mécanismes et les prises en charge seront donc très diffé-
rents.
Nous nous limiterons ici à la situation où la dyscalculie constitue le motif
même de la consultation : une fois éliminée la suspicion d’une déficience men-
tale, il convient de disposer d’outils permettant de repérer (= bilan de
« débrouillage ») lequel - ou lesquels - des différents versants du nombre sont
d é ficitaires ou déviants. Ensuite, il faudra alors investiguer le (ou les)
domaine(s) cognitif(s) atteint(s).
1. Faits numériques : connaissances mémorisées concernant les résultats d’opérations simples et fréquentes
(doubles, compléments à 10, tables d’addition ou de multiplications, etc.) et permettant de récupérer immédia-
tement le résultat (par ex : 7 et 5, 12) « d’emblée », sans vérification, ni réflexion, sans mettre en jeu aucune
stratégie de comptage, sans effectuer aucune opération.
2. Il peut s’agir soit de pathologies secondaires à des lésions cérébrales chez les enfants présentant une patho-
logie neurologique patente, soit de troubles secondaires à des « dysfonctionnements » dans le cas de troubles
dits alors « développementaux » (dyscalculie développementale). En ce qui concerne les liens avec l’architec-
ture cellulaire cérébrale, cf. S. DEHAENE, 1998.
116
tuelles dissociations dans les performances de l’enfant selon le type d’épreuve.
Seuls des résultats faibles de façon grossièrement homogène seront considérés
comme l’indice d’une probable déficience intellectuelle.
N.B. Cependant, l’association fréquente, de troubles structurels du langage
(dysphasie) - se traduisant par un score globalement faible aux épreuves de
l’échelle verbale qui peut même être incotable -, et d’une dyspraxie - se traduisant
par un score globalement faible aux épreuves de l’échelle performance -, peut, à
tort, donner l’impression de résultats « homogènes bas », et être interprétée
comme une déficience mentale globale. Il convient alors, pour évaluer les capaci-
tés raisonnementales de l’enfant, de choisir des tests qui ne soient ni verbaux ni
practo-spatiaux (par exemple, la partie « analyse catégorielle » des EDEI).
2 - Orienter les premières investigations neuro-psychologiques :
Au contraire, toute hétérogénéité doit être, à priori et jusqu’à plus amples
investigations, considérée comme l’indice de trouble(s) cognitif(s) spécifiques,
les sub-tests les mieux réussis reflétant les secteurs cognitifs préservés et les
sub-tests les plus échoués trahissant le(s) secteur(s) spécifiquement patholo-
gique(s). La répartition de ces réussites et échecs représente une configuration
propre à chaque enfant. Cependant, certains profils sont d’emblée très évoca-
teurs, correspondants à des tableaux et des syndromes fréquents.
Exemples (WPPSI, WISC)
- Dissociations inter-échelles (> 15 points) : aux dépens de l’échelle perfor-
mance en cas de dyspraxie, aux dépens de l’échelle verbale en cas de trouble
linguistique ou de troubles mnésiques ;
- Dissociations intra-échelle
au sein de l’échelle verbale, une chute élective au sub-test arithmétique (et,
plus modeste, en vocabulaire) doit faire évoquer une dyspraxie visuo-spatiale
- une chute notable, limitée aux sub-tests vocabulaire et information, oriente
vers des pathologies mnésiques.
Dans ces cas d’importante hétérogénéité interne à l’échelle verbale, la note
aux similitudes reste souvent le sub-test le plus pertinent pour apprécier les
capacités logiques, raisonnementales, de l’enfant.
au sein de l’échelle performance, on peut noter une préservation isolée des
performances au sub-test « complètement d’images » lors de dyspraxie visuo-
spatiale (échelle performance effondrée, ou globalement faible) - le complète-
ment d’images peut être au contraire particulièrement échoué en cas de
trouble gnosique visuel - en ce qui concerne l’épreuve de code, elle est
échouée dans divers cas : troubles du regard, troubles mnésiques, dysphasies
et aphasies (difficulté intrinsèque de transcodage).
117
b - Investiguer la dyscalculie
Le bilan doit être construit de telle façon qu’apparaissent les processus
déficitaires ou dysfonctionnants ; il doit permettre « d’isoler » chacune des
fonctions cognitives éventuellement en cause (logique, linguistique, spatiale,
mnésique).
Dans ce but, nous proposons un bilan, certes réduit et incomplet, mais
simple, rapide, facile à faire passer lors d’une consultation, et surtout capable
d’orienter rapidement le clinicien vers le (ou les) facteur(s) probable(s) interve-
nant dans l’incompétence en calcul. Nous avons en effet choisi 5 types de tâches
(tableau ci-dessous) susceptibles de mettre en évidence, chez des enfants scolari-
sés en primaire, des dissociations significatives dans les compétences/incompé-
tences cognitives, chez un même enfant et/ou d’un cas à l’autre.
TACHES PROPOSEES
118
lisation de collections), la souplesse de la mobilisation de procédures différentes
mais pertinentes (on insiste, après une première réalisation : « peux-tu faire
autrement ? »). Surtout cette épreuve peut être réalisée sans référence explicite à
une situation de comptage, sans effectuer de calculs, sans aucun passage à
l’écrit. Lorsque l’enfant décide d’entreprendre un comptage, il s’agit de petites
collections (7 éléments au maximum).
[ECPN, Protocole conçu par le groupe CIMETE, ANAE, 1995, Maté-
riel et étalonnage : prochainement disponibles chez Ortho Editions.]
* Cf. document n° 4. Problème : il doit être adapté à l’âge et au niveau
scolaire des enfants. Le problème choisi ici (niveaux CE/CM) nous semble avoir
l’avantage d’être facilement illustré (l’enfant peut se référer à l’énoncé même
s’il est en difficulté de lecture).
En outre, il est utilisable à divers niveaux :
- Uniquement addition si la question est « combien doit-on payer à la
caisse ? »
- Addition et soustraction si on ajoute : « je donne 50 francs à la caisse,
combien me rend-on ? »
- Pour les plus grands, on peut donner tous les éléments et leur demander
de formuler la ou les questions qui leur paraissent pertinentes.
N.B. Les fonctions mnésiques et exécutives (frontales) ne sont pas men-
tionnées, ni explorées spécifiquement ici : leur atteinte induit des difficultés sco-
laires globales (dont une dyscalculie), et non une dyscalculie élective.
Nous avons donc choisi trois cas exemplaires pour illustrer ces trois
variétés de dyscalculies.
119
Outre une importante dissociation « Verbal/Performance » au dépens
des épreuves « performance » (ici, plus de 30 points d’écart entre les deux
échelles), on note la grande hétérogénéité intra-échelles, avec, au sein de
l’échelle verbale, une chute significative au sub-test « arithmétique », et au
contraire, au sein de l’échelle performance, le très bon score au sub-test « com-
plètement d’images », seule épreuve de cette échelle qui ne soit ni praxique, ni
spatiale. Donc R. a d’excellentes compétences verbales et raisonnementales,
mais il est en grande difficulté dans toutes les épreuves de nature practo-spa-
tiales (la copie de la figure de Rey, très mauvaise, contraste également fortement
avec le score qu’il obtient dans les épreuves conceptuelles verbales).
On est d’emblée frappé (document n° 1), lors de l’investigation des diffi-
cultés en mathématiques, par le fossé qui existe entre son raisonnement, sa
logique, et ses difficultés dans des tâches « élémentaires » de numération : en
particulier, la technique de pose et de résolution des opérations est désas-
treuse. Or, l’acquisition des techniques opératoires est un objectif important
dans le programme de mathématiques du CE ; en outre, il est souvent difficile,
dans le cadre des activités scolaires de distinguer les différents niveaux de diffi-
cultés. C’est pourquoi, les difficultés de R… seront vite « globalisées », indui-
sant un jugement très péjoratif qui diffuse dans toute la perception que l’ensei-
gnant a des performances de l’enfant.
120
La rééducation de cette dyscalculie fait appel au repérage des colonnes
« centaines-dizaines-unités » par un code couleur, et/ou à la pré-programmation
sur l’ordinateur (de la classe, ou de l’enfant s’il en possède un personnel) d’un
programme « techniques opératoires » qui affecte automatiquement chaque
chiffre à la bonne place (y compris les retenues).
La prise en charge des dyscalculies spatiales, chez ces enfants dont les
performances logiques (catégorisations, conceptualisation, « conservations »
piagétiennes) sont excellentes, fait toujours appel au raisonnement verbal, au
formel, à l’explicitation des algorithmes de résolution des principales opéra-
tions. En effet, le recours à la manipulation, l’expérimentation manuelle, au
figuratif, l’utilisation concrète de matériel (cubes, bûchettes, …), non seulement
ne sont pas utiles, mais sont véritablement « toxiques » pour ce jeune dys-
praxique. La lutte contre l’échec scolaire « indu » que ces pathologies peuvent
générer passe aussi par l’information de l’enseignant sur la nature de ces diffi-
cultés, et la préconisation de l’usage précoce d’une calculette.
121
Cette difficulté persistante pour les mots-nombres prédominant sur les
irréguliers de 11 à 16, et sur les noms des dizaines est d’autant plus étonnante
que K…, sur le plan du raisonnement et de la logique mathématique, réussit
parfaitement à égaliser 3 collections en utilisant des procédures variées et élabo-
rées. En outre, la conservation des quantités discontinues est acquise.
La dictée de nombres - document n° 2 - est très édifiante.
122
Il s’agit donc bien d’une difficulté portant électivement sur les aspects
linguistiques du nombre (sans trouble de l’ensemble du secteur linguistique :
développement du langage oral normal), le versant logique étant parfaitement
préservé. Pourtant, le langage de K. ne présente pas de signe d’une pathologie
linguistique : il semble bien s’agir d’un trouble spécifique au sous-ensemble lin-
guistique concernant spécifiquement la numération.
Chez K. nous avons rapproché ce trouble de ses faibles performances en
mémoire à court terme (MCT) et mémoire de travail (MT) : nous avons été
confortés, dans l’hypothèse de la responsabilité sous-jacente d’un déficit spéci-
fique en MCT et MT, par le fait que K., en début d’apprentissage de la lecture, a
rencontré des difficultés évoquant celles des enfants présentant une dyslexie
phonologique. Actuellement en CE1, K. lit correctement (aidé par une rééduca-
tion orthophonique depuis 2 ans).
La prise en charge, en ce qui concerne cette dyscalculie, s’est essentiel-
lement appuyée sur la régularité de la construction de la suite des nombres
écrits en chiffres arabes (file numérique écrite, tableau cartésien) en évitant de
demander à l’enfant de « dire » le nombre : K. , désignant sur la file numérique
écrite, y avançant et y reculant avec pertinence, ou utilisant des étiquettes-
nombres mises à sa disposition (remplaçant les réponses orales réclamées en
classe par l’institutrice) a ainsi travaillé, en classe et en rééducation, tous les
aspects de la numération du CP et début de CE (suite des nombres, comparai-
sons, ajouts et retraits, petites additions ou soustractions). Peu à peu, K. a asso-
cié le mot (dit par l’adulte) et le nombre écrit correspondant .
L’évolution, sur une année scolaire est trop brève pour que l’on
puisse réellement en tirer des enseignements. On note toujours, en produc-
tion écrite, un besoin constant d’utiliser la référence au nombre arabe écrit
(K. « pense » toujours /36/ comme étant /3/ et /6/, et il énonce « trente six
… un trois et un six »). Il parle et agit comme si le recours à la «visualisa-
tion » du nombre arabe écrit et/ou la référence à sa structure logique étaient
toujours pour lui un intermédiaire indispensable pour appréhender le
nombre. Les séries 60-70 et 80-90 restent mal maîtrisées, les connaissances
déclaratives sur le nombre sont médiocres, et il a du mal à mettre en place
les routines de résolution des opérations (disposition des additions, rete-
nues). Evolution à suivre …
123
CLIS 3). Dans l’ensemble, ses performances scolaires sont globalement jugées
insuffisantes par les enseignants, mais c’est en calcul que ses difficultés culmi-
nent, compromettant son intégration scolaire. Son score aux similitudes de la
WISC-R est médiocre (notre standard = 7), et l’ensemble de ses performances
est faible, grossièrement homogène.
La conservation des nombres (au sens piagétien) n’est pas acquise, et M.
est toujours sensible au leurre perceptif. Dans l’épreuve des poupées de l’UDN
80 elle opère par tâtonnements successifs.
Si (contrairement au cas précédent) elle connaît bien la suite orale des
mots-nombres (jusqu’à mille et au delà), elle ne peut toujours pas les écrire en
chiffres arabes (après 2 années de rééducation) car elle reste parasitée par les
aspects phonologiques de la dénomination des nombres : M. écrit systématique-
ment « ce qu’elle entend » - cf. document n°3 -. Quelquefois, gênée par la taille
de certains nombres écrits, dont elle perçoit l’aspect peu familier, elle supprime
certains zéros ici ou là (tant en lecture qu’en production écrite), déclarant avec
assurance que « de toute façon, les zéros, ça ne compte pas » !.
Ses difficultés débordent largement la lecture et l’écriture des nombres :
elle ne sait pas les classer, ni les comparer. D’une façon générale, elle échoue à
toutes les opérations, et ceci est particulièrement net non seulement à l’épreuve
d’égalisation des 3 collections de l’ECPN, mais également dans une épreuve de
transformation de collections (également extraite de l’ECPN), où il faut com-
prendre la nature de la transformation (ajout ou retrait) et déduire l’état initial.
Enfin, le problème - document n° 4 - donne lieu à une confusion entre le
nombre de fleurs et le prix des fleurs. Elle ne peut différencier clairement la col-
lection de fleurs (collection qui a une existence concrète, dessinée sous ses
yeux, et qu’elle dénombre à plusieurs reprises), des nombres qui renvoient aux
prix (représentés uniquement par un nombre écrit), qu’elle néglige.
◆ Conclusion
Ces trois cas cliniques illustrent bien la variété clinique que recouvre le
terme de « dyscalculie » appliquée à chacun de ces trois enfants.
Ce court bilan, sans prétendre être exhaustif, s’avère cependant pertinent
pour poser les bases d’un premier diagnostic différentiel, puisque chacun de
ces enfants présente un profil bien différencié (tableau ci-après). Il permettra
aussi d’orienter la suite du bilan neuro-psychologique, dans l’un ou l’autre
124
des domaines suspects (bilan visuo-practo-spatial, linguistique, mnésique, …),
sans oublier l’évaluation systématique des fonctions exécutives (« frontales »).
Au total, les dyscalculies de l’enfant, quelqu’en soit le contexte, ne sont
donc pas une entité clinique homogène, circonscrite, cohérente. L’incompétence
en calcul (ou dans l’ensemble des activités logico-mathématiques selon les cas),
est un symptôme, - et non un diagnostic -, symptôme qui doit faire l’objet
d’une analyse, fonction de l’inventaire des compétences requises pour telle
ou telle tâche. Ainsi, pourront être reconnues des dyscalculies multiples, dont les
expressions sont diverses, fonction des processus sous-jacents dysfonctionnants.
Cette analyse fonde des attitudes rééducatives et des aides pédagogiques
différenciées, adaptées en fonction des mécanismes qui sous-tendent les
troubles. Un diagnostic précis, est en effet indispensable pour poser les indi-
cations d’une rééducation motivée et efficace.
Enfin, qu’il s’agisse de troubles dits « développementaux » (chez des
enfants sans aucun antécédent ni trouble neurologique décelable) ou de
séquelles de lésions cérébrales précoces (de Barbot 1993, 1991, 1988), les
troubles du calcul peuvent, comme dans les trois cas exemplaires choisis ici,
constituer à eux seuls un véritable « handicap scolaire ». Mais, fréquemment, ils
ne sont pas isolés et accompagnent d’autres pathologies neuro-psychologiques
telles certaines dysphasies, certaines dyslexies, certains troubles mnésiques, cer-
tains troubles des fonctions exécutives : ils sont alors au second plan d’un
tableau clinique riche et complexe, ce qui ne doit pas conduire à les négliger, ni
à sous-estimer le sur-handicap qu’ils constituent.
TABLEAU RECAPITULATIF
des réussites et des échecs contrastés pour 3 types de dyscalculies très fréquentes
125
Document 1
126
Document 2
127
Document 3
Document 4
128
REFERENCES
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EPL, échelle de développement de la pensée logique (LONGEOT F.), EAP éd.
UDN 80 (MELJAC C. ), ECPA éd.
WISC-R, WISC-III, WPPSI-R (échelles de WECSHLER), ECPA éd.
129
La délicate question de la compétence
professionnelle face aux dysfonctionnements
dans le traitement des données numériques
Pierre Dessailly
Résumé
L’auteur soumet à la critique du lecteur quelques outils (organigramme, tableaux, sélection
d’ouvrages en référence aux interrogations issues de la pratique) et réflexions susceptibles
d’aider les praticiens à clarifier la signification de leurs options professionnelles lors de deux
phases importantes du processus d’accompagnement des patients présentant des dysfonc-
tionnements dans le traitement des données numériques (mathématiques) :
1. la clarification du problème vécu par le patient et/ou par son entourage ;
2. le choix du/des type(s) et modalités d’intervention en mesure de répondre le moins inadé-
quatement possible à ce problème.
Mots-clés : dyscalculie, compétence professionnelle, spécificité professionnelle, qualité et
efficacité professionnelles.
131
Pierre DESSAILLY
Logopède, enseignant
46, rue de Heigne
B - 6160 Roux
J
e souhaite émettre ici quelques réflexions et suggestions relatives à la pro-
blématique (mot choisi à dessein) de l’accompagnement de sujets, enfants
ou adultes, qui sont un jour amenés à consulter - rarement d’initiative per-
sonnelle - pour troubles supposés dans l’utilisation des notions, relations et
symboles numériques et par conséquent, mathématiques.
J’aborderai la question de la clarification nécessaire, du point de vue de
l’orthophoniste, du problème vécu plus ou moins consciemment par le sujet en
difficulté et par son entourage (parents, école, etc.). J’envisagerai aussi celle tout
aussi fondamentale et naturellement induite par la première, du choix critique et
potentiellement révisable de la (des) forme(s) d’aide optimale susceptible de
remédier le moins inadéquatement possible au problème identifié.
L’évocation de ces deux questions sera l’occasion de présenter divers
outils que j’ai progressivement construits ou intégrés (organigramme, tableaux
et publications sélectionnées en référence aux questionnements issus de la pra-
tique) et qui m’ont aidé à structurer mon activité professionnelle et à lui confé-
rer une certaine cohérence face aux différents courants d’opinion, théoriques et
parfois polémiques, qui se sont développés ces 25 dernières années.
132
Par exemple, cet enfant qui a été absent plusieurs mois de l’école, ou
celui qui, en plein milieu de sa première année d’école primaire, a été contraint
de changer d’école, de maître et de méthode 1 d’apprentissage du calcul et que
j’essaie de remettre le plus vite possible (parce que le programme de l’école suit
inexorablement son cours !) à flot par des moyens que je ne puis qu’appeler
« pédagogiques individualisés » n’auraient-ils pas pu, pas dû être pris en charge
par l’Ecole ... si la « Société » lui avait octroyé les moyens de remplir ce rôle ?
Et puis, cet autre enfant qui m’a été présenté par sa mère inquiète comme souf-
frant d’une « dyscalculie pour les fractions » (imaginez les représentations men-
tales qui peuvent résulter de ce type d’étiquetage !), à l’exclusion évidente de
tout autre problème, devait-il vraiment échouer dans mon cabinet ? De quelle
espèce de pouvoirs magiques pouvais-je donc être investi par ces parents déso-
rientés qui, souvent en dernier recours, voyaient en moi le spécialiste tout dési-
gné pour « soigner » cette forme de … « pathologie » ?
Il n’est pas difficile d’allonger la liste de ces situations toujours doulou-
reuses pour les familles qui les vivent et pour l’enfant qui dispose rarement des
moyens de les gérer avec le recul et toute la lucidité qui s’imposeraient en
pareils cas. Je citerai encore brièvement deux exemples destinés à montrer
l’étendue et la diversité des enjeux socio-familiaux qui nous interpellent réguliè-
rement et gravement au cœur de notre identité professionnelle. David d’une
part, âgé de 9 ans et dont tous les examens, y compris les miens, convergeaient
pour prôner un maintien en enseignement spécialisé (en Belgique), perspective
que les parents, manifestement blessés, refusaient obstinément d’admettre ;
cette adolescente docile et passive d’autre part, qui, par le recours à des activités
dites de type « logico-mathématique » éloignées dans leur forme des contenus
scolaires habituels, prenait lentement conscience de - et confiance en - ses pos-
sibilités réelles de raisonnement et se métamorphosait progressivement en un
« je » critique, curieux et dynamique capable d’analyser et de structurer active-
ment les données de son environnement (espace, temps, nombre) tandis que la
«pression» de l’école où les résultats restaient décourageants et l’impatience
d’un père banquier et d’une mère relativement effacée (pour simplifier ici) m’in-
vitaient à me centrer préférentiellement sur la révision de la matière mathéma-
tique abordée en classe, souhaitant ainsi me confiner dans un rôle de « dépan-
neur psycho-pédagogique » ou de répétiteur de luxe.
1.Il y aurait beaucoup à dire à propos des « méthodes » d’apprentissage (mais aussi, dans certains cas, de ...
rééducation), des circonstances et modalités de leur adoption et de leur utilisation par l’enseignant, de leur
capacité d’entrer en résonance avec le profil des enfants à qui elles sont destinées, de leurs effets secondaires
pas toujours anticipés, de leur adéquation avec la rigueur mathématique, etc.
133
En fait, chaque « patient » potentiel qui nous est adressé pose en termes
chaque fois différents la délicate question de la légitimité, de l’opportunité et de
la spécificité de notre intervention. C’est qu’un dysfonctionnement dans l’ap-
prentissage des mathématiques - comme du reste dans beaucoup d’autres
domaines - constitue rarement une réalité aisée à déchiffrer, si j’ose dire … ; et
ce n’est pas le recours au mot « dyscalculie » qui contribue à clarifier le pro-
blème, si j’en juge par le nombre relativement fréquent de fois où il se voit
réduit à une étiquette passe-partout, vidée de toute substance accolée à des
enfants dont les difficultés sont, tout bien considéré, relativement vénielles.
Certes, on pourrait être tenté de croire que ce terme à connotation neuro-psy-
chologique désigne une entité nosologique parfaitement circonscrite par les spé-
cialistes. Pourtant, l’analyse attentive de la littérature montre qu’il n’en va pas
ainsi. Guy Brousseau (1980), pour ne citer que lui, a montré lors d’une enquête
bibliographique à quel point les symptômes de « dyscalculie » d’ordre numé-
rique ou paranumérique sont nombreux et variés, sans qu’aucun d’eux fasse
l’objet d’un consensus.
Paradoxalement, les efforts entrepris pour tenter de clarifier les choses
tendent à accroître le malaise. Ainsi, l’expression « dyscalculie vraie » qui a été
proposée par certains désignerait l’existence d’un trouble en calcul (et unique-
ment en calcul) non explicable par une déficience intellectuelle (l’enfant est nor-
malement « intelligent » … sauf, peut-être, en mathématique !), par un déséqui-
libre affectif ou par des causes ou circonstances pédagogiques directes
(absentéisme, changement d’enseignant, méthodologies inappropriées, etc.).
Pour louable que paraisse semblable tentative de définition, elle n’en reste pas
moins relativement vaine étant donné que des cas aussi « purs » ne constituent
certainement pas l’essentiel de la « clientèle » de l’orthophoniste.
D’autres classifications devenues aujourd’hui obsolètes ont été proposées,
selon que l’on souhaitait ou non associer le blocage en mathématique à d’autres
symptômes, ou selon que l’on voulait ou non insister sur l’étiologie des difficul-
tés. On a ainsi parfois distingué des « dyscalculiques pédagogiques » (ou
« fabriqués ») dont les lacunes remontent à des carences dans les stimulations
scolaires ou préscolaires, et des « dyscalculiques psychologiques » caractérisés
par des déficiences dites intrinsèques. On a aussi opposé la « dyscalculie
isolée » à un « trouble » de l’apprentissage portant à la fois sur la lecture et le
calcul.
Aujourd’hui, le malaise persiste en s’exprimant sous des formes nou-
velles. Certains (S. Calvarin & L. Morel, 1999), sans se focaliser sur le mot
« dyscalculie », insistent judicieusement sur la nécessité d’identifier les enfants
134
ou adolescents dont les difficultés en mathématique renvoient à des pathologies
sévères du raisonnement logico-mathématique ; d’autres (C. de Callataÿ, 1999)
considèrent que le mot « dyscalculie », souvent utilisé de manière abusive,
devrait être réservé aux seuls troubles en mathématique associés à des troubles
de la pensée logico-mathématique (à rapprocher des « retards d’organisation du
raisonnement », des « dysharmonies cognitives », etc.) présents chez l’enfant
d’intelligence normale 2 et nettement différenciés du retard pédagogique ou des
difficultés induites par une pédagogie inadaptée. D’autres encore (P. Op de
Beeck, 1999) plaident en faveur de la distinction entre les troubles spécifiques
d’apprentissage en mathématique et les « dérapages » pédagogiques ponctuels.
Tous soulignent, avec raison, combien le bilan orthophonique, cheminement cli-
nique permanent, est un acte essentiel de l’accompagnement du sujet en diffi-
culté et combien la sensibilité, le sens des responsabilités et l’esprit de
recherche du clinicien, loin de se résumer à l’application technique d’outils
d’évaluation standardisés ou non, sont nécessaires à l’analyse éclairée des situa-
tions cliniques toujours différentes d’un sujet à l’autre ... et susceptibles d’abou-
tir à la décision de non prise en charge orthophonique.
Face à cette diversité d’opinions, source d’interrogations bénéfiques sans
doute, mais aussi d’insécurité bien compréhensible, certains praticiens souli-
gnent qu’il n’existe pas une « dyscalculie » - opinion que je partage sans réserve
- mais des enfants, tous différents, présentant des difficultés toujours singulières
qu’il importe d’aborder avec d’infinies précautions. Ces praticiens manifestent
ainsi très pragmatiquement leur défiance à l’égard d’étiquettes qui sèment la
confusion et l’inquiétude dans les esprits non avertis, et leur réticence à promou-
voir coûte que coûte les difficultés observées au rang de syndromes ou d’entités
nosographiques assorties d’hypothèses étiologiques rigides ou simplistes 3.
Les données suivantes extraites de la recherche réalisée par A. Bondioli,
P. Dessailly, E. Neufnet et E. Verlinden (1981), ajoutent une dimension supplé-
135
mentaire à l’hétérogénéité des difficultés (et pas forcément des « troubles »)
d’apprentissage en mathématique. L’étude portait sur l’évaluation de certaines
potentialités cognitives supposées sous-jacentes à l’activité mathématique pro-
prement dite. Pour la réaliser, une batterie diagnostique a été conçue dans le but
d’identifier les stratégies mentales de jeunes enfants placés dans des situations
problèmes exigeant d’eux la construction et/ou l’utilisation des premières notions
mathématiques. L’outil comportait 8 épreuves faisant appel à des notions fonda-
mentales accessibles à des enfants entamant l’école primaire. Plusieurs d’entre
elles portaient sur l’utilisation du nombre dans des situations variées :
- maîtrise des quantificateurs « plus que », « moins que », « autant que » ;
- dénombrement, connaissance fonctionnelle de la suite des noms de
nombres, ordination, transitivité, association de chiffres (de 0 à 9) aux
quantités qu’ils désignent, connaissance de signes et symboles courants
(+, -, =, <) ;
- comparaison et manipulation quantitatives de collections d’objets (égali-
ser des différences entre collections, « mettre plus », « mettre moins »
d’objets dans une collection que dans une autre) ;
- utilisation spontanée du dénombrement et de l’addition.
Les enfants examinés provenaient d’une classe de 3e année maternelle et
de 2 classes de première année primaire (C.P. en France) issues de la même
école, la classe de 1re année B étant présentée par les enseignants comme globa-
lement plus faible que celle de 1 re année A. Chaque sujet a été testé individuelle-
ment dans des conditions identiques, à savoir deux séances de durée approxima-
tivement égale proposées des jours différents.
Le tableau ci-contre met en exergue les éléments dominants de cette
recherche.
Un système de cotation original a été introduit pour chacune des épreuves
de la batterie. Une échelle d’évaluation dégressive attribuait à l’enfant un certain
nombre de points en fonction du degré de facilité avec lequel il traitait chaque
item. Ainsi, s’il résolvait spontanément et sans difficulté une « situation-pro-
blème » déterminée, il se voyait attribuer le maximum de points réservés à cette
activité. Par contre, si des formes d’aide progressivement plus marquées s’avé-
raient nécessaires, l’enfant obtenait alors des notes proportionnellement plus
faibles, la note maximale (notes brutes) attribuable à l’ensemble de la batterie
s’élevant à 76. (Remarque : les résultats figurant dans le tableau sont exprimés
en pourcentages).
Cette étude a révélé l’hétérogénéité des performances, même au sein de
chaque classe. Si les résultats de la 1re année A (« A », dans le tableau ci-dessus) sont
136
Tableau 1 : les lettres figurant dans la parenthèse de la deuxième colonne signifient
respectivement : M : école maternelle ; A : 1re année A ; B : 1re année B. Les nombres
représentent le pourcentage de réussite obtenu par chaque enfant à la batterie.
137
plus homogènes (15 % de différence entre la note la plus faible et la note la plus éle-
vée), ceux de la 1re année B (« B ») et de la 3e maternelle (« M ») varient nettement
plus (respectivement 38,5 % et 60,5 % de différence entre les scores extrêmes).
On note également que le niveau de réussite n’est pas directement lié à
l’âge des élèves. Ainsi, par exemple, la cadette parmi les enfants de 1re année B
(Sandra V.) obtient les meilleurs résultats dans sa classe et égale la performance
de Patrick F., l’aîné des enfants de 1re année A.
D’autre part, si la moyenne des pourcentages obtenus en 1re année primaire
(1B et 1A confondues) s’établit à 80,1 %, la dispersion des notes autour de cette
moyenne ne manque pas d’étonner lorsqu’on se souvient du caractère élémentaire
des notions évaluées et des modalités d’examen strictement identiques pour tous
les élèves. De plus, lorsqu’on analyse les performances de plus près (informations
non reprises dans le tableau), on note que 2 scores globaux identiques, qu’ils soient
faibles ou excellents, ne reflètent jamais des profils de réussite superposables.
On peut comprendre, suite aux enseignements de cette recherche, que la
présentation frontale d’une notion mathématique, au même moment et de la
même manière, puisse, au moins dans une certaine mesure, engendrer chez les
enfants des perceptions et représentations mentales fort variées et ce, quelles
que soient l’expérience du maître et la qualité de son message. On peut égale-
ment mieux saisir la genèse de certaines situations d’échec, surtout si les exi-
gences de l’enseignant sont strictes et/ou élevées, la question restant alors de
savoir dans quelle mesure l’échec de l’élève n’est pas, dans une certaine mesure,
le reflet de celui de … l’Ecole.
138
moins écrasée par le poids des programmes, une telle rénovation n’évi-
terait-elle pas maints échecs ?
- Certaines formes de rééducation ne se nourrissent-elles pas des insuffi-
sances du système pédagogique ? Ne risquent-elles pas d’en cautionner
la perpétuation ? Le rééducateur n’est-il pas, dans ce contexte, un
« super-pédagogue » se contentant d’enseigner ou de réenseigner la
matière scolaire dans une relation duelle privilégiée afin d’assurer la
réinsertion la plus rapide possible de l’enfant dans sa classe ?
- Quelles compétences faut-il souhaiter de l’orthophoniste spécialisé dans
la prise en charge des difficultés ou troubles en mathématique ?
(Connaissance des fondements mathématiques des notions enseignées,
des exigences et de la logique des programmes scolaires, des orienta-
tions actuelles de la pédagogie des mathématiques, de la dynamique du
développement cognitif et affectif, etc.).
Et puis encore, de façon plus particulière :
- Un enfant en 3e année primaire de l’enseignement ordinaire se trouvant
bloqué en mathématique (niveau de 1ère année non acquis) tandis qu’il
assimile normalement les autres disciplines, ne devrait-il pas être soutenu
par un rééducateur (pas forcément un orthophoniste) ? Dans ce cas, quelle
devrait être l’attitude de l’enseignant durant cette prise en charge, notam-
ment en tenant compte des exigences du programme scolaire de 3e année ?
Mais aussi, pourquoi pas :
- Un élève de deuxième année primaire réussissant (apparemment !) bien en
classe parce qu’il est assidûment suivi à la maison et parce qu’il mémorise
toutes les leçons, alors qu’il n’a manifestement pas intégré la matière, ne
devrait-il pas, lui aussi, être pris en charge de manière spécifique ?
Cet éventail de questions et l’insécurité qu’elles génèrent constituent le
menu quotidien des orthophonistes qui, en quête d’un minimum d’identité et
d’efficacité professionnelles, n’ont pas renoncé à s’interroger sur les finalités de
leur mission et sur la fonction qu’ils remplissent dans le champ psycho-médico-
social 4. Qu’ils le veuillent ou non, chaque acte qu’ils posent, chaque décision
qu’ils prennent renvoient régulièrement à des questions dont l’éventuelle (l’uto-
pique ?) clarification nécessiterait une large et franche concertation avec l’en-
semble des acteurs du système « social » concernés (enseignants, parents, psy-
chologues, gestionnaires, etc.).
4. Il est vrai, sans ironie, qu’il est toujours possible de les esquiver et de se dire en toute bonne conscience que
tout enfant en difficulté mérite d’être aidé dès lors que d’autres composantes du système socio-éducatif ont
plus ou moins failli dans leur mission …
139
◆ Est-il possible de progresser dans cette voie ?
J’en suis intimement persuadé. A condition, toutefois, que l’on accepte de
s’engager dans une démarche résolument constructive et opérationnelle en com-
mençant par détailler dans un langage simple mais non simpliste, la nature
exacte des lacunes constatées chez l’enfant (ou chez l’adulte), par en chercher la
ou les causes lorsque c’est possible, par en apprécier la signification (et notam-
ment le sens que revêt la symptomatologie de l’enfant en référence à son his-
toire et à celle de sa famille) et par en évaluer les incidences cognitives, sociales
et affectives. Peut-être pourrait-on alors espérer que sur la base d’un tel langage
commun, un dialogue fructueux se noue entre tous les partenaires concernés et
que progressivement se précisent et s’ajustent les rôles propres de chacun.
Dans cette perspective, un premier obstacle pourrait déjà être franchi
entre orthophonistes, en tentant de mettre de l’ordre dans les décisions qu’ils
prennent et dans les actes qu’ils posent, que ceux-ci soient ou ne soient pas pris
en charge par la sécurité sociale, la résolution de cette question de nature socio-
économico-politique relevant actuellement d’une « logique » non entièrement
assimilable à la seule argumentation scientifique.
5. Certains troubles en mathématique, révélateurs d’un « mal être » plus fondamental, ne seront pas - surtout
pas ! - approchés par une rééducation de type mathématique mais plutôt par une thérapie psychologique ou
encore, par une intervention psychomotrice relationnelle. (Voir L. Weyl-Kailey, 1985, par exemple).
140
L’idée centrale à la base de la création de cet outil de travail est née de
l’examen attentif d’un ensemble de définitions qui tentent de cerner la notion de
« dyscalculie ». Toutes, à quelques nuances près, pointent les critères suivants :
141
- le sujet est d’intelligence normale, généralement supposée mesurée par
le calcul d’un quotient intellectuel et sans qu’une distinction soit établie
entre les versants verbal et de performance ;
- les notions mathématiques « élémentaires » (la « notion de nombre »
dans ses aspects conceptuels et symboliques) ne sont pas intégrées … à
un âge chronologique où elles devraient pourtant l’être ;
- les difficultés sont jugées sévères, tenaces, durables voire insurmon-
tables (sauf intervention spécifique ?).
D’autres critères ne font pas l’unanimité ou restent flous : spécificité des
erreurs ; difficultés exclusivement cantonnées aux activités arithmétiques
(« Echec électif » sur l’organigramme) ; incidence de paramètres pédagogiques
externes (fréquentation scolaire, procédés pédagogiques, etc.) ; relation avec les
désordres affectifs, sans précision de leur caractère causal ou consécutif.
Les limites de cet article ne me permettent pas (à supposer que j’en sois
capable) de développer l’ensemble des questions sous-tendues par la structure
de l’organigramme. Je souhaite cependant insister sur certains points primor-
diaux en laissant ensuite au lecteur le soin de poursuivre sa réflexion en réfé-
rence à sa propre expérience.
◆ La sévérité de l’échec
Cette question pourrait paraître superflue. Tout simplement parce que
l’enfant aboutit généralement chez l’orthophoniste au terme d’un parcours sanc-
tionné par un constat d’échec scolaire supposé évident.
Il convient pourtant de rester prudent. Je n’en citerai pour preuve que
deux cas vécus.
Fabrice d’abord, particulièrement surprotégé, que la mère m’invita
anxieusement à prendre en charge parce que ses notes en mathématique,
brillantes (97 %) en fin de C.E.1, avaient sensiblement baissé au début de l’an-
née suivante (85 % au premier bulletin), le maître actuel étant plus sévère que
son collègue dans ses cotations. Une évaluation rapide et un contrôle deux mois
plus tard rassurèrent la maman quant au bon niveau de maîtrise de la matière par
son fils. Ai-je en ce cas débordé des limites de ma fonction ? Chacun jugera.
Celui plus préoccupant, ensuite, de cet enfant 6 se trouvant au début du
cours préparatoire qui, manifestement, manipulait aisément sur le plan fonction-
6. J’en ai rencontré d’autres par la suite, notamment dans le cadre de l’enseignement formaliste des mathéma-
tiques modernes.
142
nel, les notions de nombre et d’opération (additions et soustractions élémen-
taires, notamment avec le support des doigts) mais qui, selon toute apparence,
n’avait pas compris le côté systématique et rituel, voire l’utilité de la codifica-
tion des nombres et de leurs rapports de grandeur au moyen de couleurs (« Les
nombres en couleurs », Méthode Cuisenaire 7). L’échec était manifeste mais il
portait sur la méthode pédagogique plutôt que sur les concepts et relations
numériques proprement dits. Ma tâche (« Remédiation pédagogique
immédiate » sur l’organigramme), limitée dans le temps, consista à rencontrer
l’enseignante heureusement disponible et collaborante, à rassurer les parents et
l’enfant sur ses compétences réelles et à expliquer à ce dernier les « règles du
jeu » de la méthode et les raisons pour lesquelles la maîtresse y recourait.
Une situation radicalement différente, déjà esquissée plus haut, peut éga-
lement exister, surtout lors des premières années d’école. En l’occurrence celle
où l’enfant donne l’illusion de progresser dans l’acquisition de la matière sans
qu’on ne s’aperçoive tout de suite que c’est au prix d’un investissement anormal
en temps et en efforts de pure mémorisation. C’est notamment dans des
contextes semblables que l’orthophoniste est parfois amené à constater fort tard
(trop tard ?) que l’exécution mécanique «satisfaisante» des algorithmes de réso-
lution de l’addition et de la soustraction écrites, occulte la non assimilation des
principes du système décimal de numération de position 8 dont les conséquences
négatives se révéleront trop tard, lorsque seront abordés le système métrique et
les nombres décimaux.
Il importe par conséquent, lorsqu’il nous appartient de juger sereinement
du degré de sévérité de l’échec en mathématique et des significations multiples
qu’il peut revêtir, d’apprécier objectivement, tant que faire se peut, le contexte
dans lequel il s’est développé (Echelle de sévérité de l’enseignant, s’il est par
exemple titulaire d’une classe « forte » ou « faible » ; objectifs et pratiques
pédagogiques 9 ; qualité de la relation entre maître, parents et élève ; niveau sco-
laire : C.P. ou C.M.1 par exemple ; type d’enseignement : enseignement spécia-
lisé ou ordinaire ; etc.) mais, dans le même temps, de mesurer les lacunes de
l’enfant en prenant un minimum de distance à l’égard de ce contexte. Notam-
ment par le recours à un test crédible de niveau pédagogique et/ou par un son-
7. Voir à ce propos les critiques nuancées de Rémi Brissiaud (1989) et l’intéressante alternative qu’il propose
(Réglettes avec caches) dans un excellent ouvrage se situant constamment au confluent de la pratique et de la
théorie.
8. Je l’analyse dans le détail, ainsi que ses implications pour l’apprentissage, dans le livre intitulé «Le nombre
- Réflexions pour un apprentissage fécond », L’Ortho Edition, 1992.
9. Idéalement, l’espace d’intervention dévolu au « spécialiste » de la rééducation devrait entre autres pouvoir
être défini en référence à un système pédagogique intégrant en son sein de façon structurée, les 3 temps suc-
cessifs d’une action cohérente : formation, évaluation et … remédiation. Nous n’y sommes pas encore.
143
dage clinique portant sur les notions mathématiques de base correspondant au
niveau scolaire actuel de l’enfant ainsi, le cas échéant, qu’à celui de l’année pré-
cédente.
◆ L’échec électif
Je ne m’y attarderai dans le cadre de cet article que pour évoquer le sou-
venir suivant. Une enfant de 2e année primaire m’est adressée pour difficulté
d’apprentissage en mathématique. Lorsque je rencontre les parents afin d’évo-
quer le parcours scolaire de leur fille, ils me disent qu’elle se « débrouille » bien
dans les autres disciplines scolaires et que c’est surtout en calcul que le bât
blesse. En vérité, les performances de l’enfant laissaient également sérieuse-
ment à désirer en langage écrit, ce que les parents rechignaient à admettre parce
que les notes qu’ils valorisaient exagérément par contraste avec l’échec en cal-
cul, étaient supérieures au seuil de réussite. Seul l’échec sanctionné par une note
négative dans le bulletin (en couleur rouge bien repérable !) apparaissait suscep-
tible de les inquiéter, réaction au demeurant compréhensible pour des non spé-
cialistes de la pédagogie issus, par surcroît, d’un milieu socioculturel défavorisé.
Cette expérience m’a été profitable en d’autres circonstances à l’occasion
desquelles j’ai appris à me méfier des évaluations scolaires en termes unique-
ment quantitatifs (notes supérieures ou inférieures à la « moyenne » requise) et
où j’ai particulièrement bien ressenti combien le devoir d’information explicite
auprès des parents est essentiel. Par ailleurs, plusieurs expériences vécues m’ont
convaincu que le « verdict » d’échec électif, dans les « cas limites », n’est pas
toujours aisé à décréter.
Il importerait ici aussi de se doter d’instruments d’évaluation affinés,
construits en référence aux programmes scolaires et permettant d’apprécier le
plus objectivement possible, hors contexte scolaire « local », le réel niveau de
maîtrise de telle ou telle compétence.
144
Bien que conscient de cette apparente anomalie, j’ai néanmoins choisi de la
conserver sur l’organigramme. D’abord parce que rien n’exclut qu’elle puisse adve-
nir, situation qui, bien sûr, inviterait à un contrôle toujours salutaire du degré de fiabi-
lité d’examens (intellectuels ou autres - voir paragraphe précédent) qui parfois ne se
sont pas déroulés dans des conditions optimales. Mais également parce qu’il faut
bien reconnaître, d’autres l’ont dit avant moi, que le (les ?) concept(s) d’intelligence
et les modalités de son évaluation restent objets de débats, en soi plutôt rassurants …
C’est notamment pour ces raisons qu’il m’apparaît souvent fort intéressant
et prudent de comparer (confronter parfois !) les informations provenant de deux
sources d’évaluation complémentaires. D’une part l’analyse nuancée, lorsque l’oc-
casion nous en est fournie, des donnés cliniques issues d’un bilan intellectuel clas-
sique (WISC R par exemple), en veillant à différencier les résultats obtenus aux
échelles verbale et de performance. D’autre part le relevé « en direct » des res-
sources, attitudes et aptitudes mentales 10 révélées par l’enfant lorsqu’il est invité à
résoudre différentes situations-problèmes de type logique opportunément choisies
par le clinicien et en rapport plus ou moins étroit avec les activités scolaires.
Il arrive de temps à autre que ces deux modalités de recueil de l’informa-
tion débouchent sur des constats divergents (Q.I. faible et bonne démarche opé-
ratoire, ou l’inverse, pour simplifier à l’extrême) qui, ici aussi, bousculent les
conceptions habituelles et invitent en tout cas, comme suggéré ci-dessus, à
reconsidérer les circonstances dans lesquelles se sont déroulés les examens
(conditions d’application, disponibilité du sujet évalué, appartenance socio-cul-
turelle, etc.) … ou la signification attribuée parfois un peu trop hâtivement aux
performances de l’enfant, comme par exemple, le fait de conclure de façon
hasardeuse qu’un enfant a réussi l’épreuve de sériation des réglettes, sans s’être
bien assuré qu’il a été capable de considérer méthodiquement chaque élément
de la série sous le double point de vue « plus grand que » ET « plus petit que ».
10. Il s’agit moins ici de décider si l’enfant est ou n’est pas opératoire que d’identifier les caractéristiques de
sa « dynamique » intellectuelle étroitement liées à une approche objective de la réalité et notamment, des
concepts mathématiques et des symboles qui les désignent : capacité d’établir des coordinations, des corres-
pondances, d’opérer des transformations mentales, des relations de ressemblance (symétriques) et de diffé-
rence (asymétriques), des associations et dissociations, des catégorisations ; capacité, fondée sur la réversibi-
lité mentale, d’élaborer des invariants ; capacité de prendre différents points de vue en considération ; capacité
de déduire, d’anticiper, de remettre en question, quand c’est utile, certaines de ses impressions immédiates, de
ses convictions, de ses certitudes provisoires, de substituer le raisonnement aux jugements intuitifs, d’accéder
à la notion d’évidence logique. Mais aussi, aptitude à s’engager en tant qu’observateur actif et curieux dans
l’exploration, la découverte et la compréhension des données de son environnement, à trouver en soi les res-
sources nécessaires pour ne pas renoncer dès le premier échec, à se poser de multiples questions sur le «pour-
quoi du comment», à contrôler son impulsivité, à avoir confiance en ses propres possibilités de jugement, etc.
L’apport de l’enseignement de l’école piagétienne reste sur ce plan, et quoi qu’on en dise, une source d’enri-
chissement inépuisable pour l’orthophoniste.
145
◆ La non intégration des notions mathématiques « élémentaires »
Cette question centrale, que j’ai réservée pour la fin, m’apparaît être le cri-
tère déterminant susceptible, dans l’immédiat, d’aider l’orthophoniste à décider de
l’opportunité ou, du moins, de la nature et de l’orientation de son intervention dans
le cadre général des difficultés d’apprentissage en mathématique, cadre dont l’ex-
tension maximale (?) est définie par l’organigramme considéré dans sa totalité.
Encore faudrait-il s’accorder sur le contenu précisément évoqué par l’ex-
pression « notions mathématiques élémentaires » !
De mon point de vue, elle recouvre, dans le domaine numérique, l’en-
semble des concepts et relations qui constituent les fondements de l’édifice
mathématique et qui figurent au menu du programme scolaire de la dernière
année d’école maternelle (enfants âgés de 5 à 6 ans) et du début de l’école pri-
maire (C.P., voire C.E.1) 11. Il s’agit en substance de l’appropriation du système
des nombres entiers, suite structurée et hiérarchisée conférant aux nombres leur
identité, et plus particulièrement de la construction mentale du nombre entier
(« naturel ») conçu dans sa double dimension cardinale et ordinale et dans son
statut d’invariant, via de multiples activités de comptage (dénombrement) et de
correspondance terme à terme 12, en relation étroite avec la familiarisation pro-
gressive aux systèmes de désignation en mots et en chiffres.
Dans ce domaine, et du point de vue résolument pragmatique du clinicien
en quête de réponses concrètes aux problèmes qui lui sont posés, l’orthopho-
niste a la chance de disposer aujourd’hui d’un ensemble d’informations théo-
riques et pratiques qui, bien que provenant de motivations et d’horizons variés
(neurologie, psychologie, pédagogie), me paraissent converger sur l’essentiel.
D’un côté, les travaux de l’Ecole de Genève, notamment centrés sur le
développement de la pensée logico-mathématique dans une perspective structu-
raliste et constructiviste (approche rationaliste), continuent de représenter un
gisement important d’idées qui ont inspiré de multiples et enrichissantes initia-
tives dans les domaines du diagnostic et de la remédiation. (F. Jaulin-Mannoni ;
M. Bacquet et B. Guéritte ; C. Meljac ; B. Gibello ; etc.).
11. Personnellement - mais la discussion est ouverte - j’ai choisi d’interpréter le mot « élémentaire » dans son sens
absolu. Je n’ai pas retenu l’option qui consisterait à l’appréhender dans un sens relatif, en considérant par exemple
que pour un élève se trouvant en CM2, la matière prévue au niveau CM1 ou CE2 pourrait être jugée élémentaire.
12. Marcel Boll, dans « Histoire des mathématiques » (1970), montre comment, à la suite d’une longue et
pénible évolution, l’espèce humaine a fini par se rendre maître de l’appariement (C.T.T.) et du recensement
(Comptage), techniques et principes dont les mathématiques et toutes les sciences sont profondément impré-
gnées. Soulignons au passage la qualité de ce petit livre très agréable où les notions mathématiques sont abor-
dées sous l’angle intuitif et où il est notamment montré que leur développement résulte de l’imagination et de
la créativité humaines, sources permanentes d’enrichissement de soi et donc, d’épanouissement.
146
De l’autre, les sciences neuro-psycho-cognitives et pédagogiques propo-
sent de nouveaux concepts et outils dont la transposition dans la pratique cli-
nique s’avère également bénéfique. Elles expliquent très concrètement com-
ment, sur base d’une intuition sans doute innée des petites quantités
(compétence « protonumérique » que nous partagerions avec certains animaux
et qui serait inscrite dans notre organisation cérébrale), l’enfant, sollicité par son
environnement socio-culturel (approche empiriste et culturaliste), évolue d’une
représentation approximative des quantités vers la conceptualisation de la «ligne
numérique» ou suite des nombres dont la découverte du principe organisateur de
l’itération de l’unité permet de trouver le successeur (ou le prédécesseur) de tout
nombre en lui ajoutant (ou retirant) une unité. Ce cap décisif, qui amène l’enfant
à constater que deux nombres différant d’une unité sont toujours voisins, tout
comme leurs noms dans la chaîne verbale ou leurs désignations en chiffres dans
la « file numérique » (R. Brissiaud, 1989), ouvre la voie, par généralisation
dynamique de cette règle, au développement naturel (si du moins, on en juge
par l’observation du comportement spontané de jeunes enfants normalement sti-
mulés) des opérations d’addition et de soustraction 13.
Des auteurs comme R. Brissiaud (1989) ; A.J. Baroody (1991) ; K.C. Fuson
(1991) ; S.A. Griffin, R. Case & R.S. Siegler (1994) et S. Dehaene (1997) dont je
recommande vivement la lecture, ont décrit en détail l’ensemble des
« techniques » complémentaires qui, spécialement pour les enfants les plus dému-
nis, « favorisent l’établissement de modèles concrets des nombres » (S. Dehaene,
1997) : activités diverses et contrôlées de dénombrement (qu’il faut nettement dis-
socier du « comptage-numérotage »), de comparaison de collections sous l’angle
quantitatif avec recours aux opérations de mise en correspondance terme à terme
et aux collections témoins parmi lesquelles les précieuses configurations digitales ;
variations verbales multiples renforçant ces manipulations (« plus que », « moins
que », « pas assez », « juste un peu plus », « x de plus que », « combien », etc.) ;
exploration et mise en relation des systèmes de désignation des nombres (leur
structuration plus ou moins cohérente en référence au nombre pivot « dix » ; leur
caractère sécable ; etc.) qui jouent un rôle déterminant dans les processus de
conceptualisation des nombres notamment parce que les noms de nombres et les
désignations en chiffres forment par définition des catégories discrètes qui aident à
s’émanciper d’une perception approximative des quantités ; etc.
13. Ajouter, par exemple, un objet à une collection de 4 objets revient à pointer le symbole qui suit immédiate-
ment le mot «quatre» ou le chiffre « 4 » dans le système approprié de désignation qui possède ses règles spé-
cifiques. De même, et par simple extension de cette règle, ajouter une collection de 3 objets à une collection
de 4 objets revient à énumérer successivement les mots « cinq », « six », « sept » ou les chiffres « 5 », « 6 »,
« 7 », le dernier symbole désignant le nombre d’objets présents dans l’ensemble constitué des deux collections
réunies (conception cardinale du nombre).
147
Ces différentes contributions préfigurent la mise au point de nouveaux outils
d’investigation approfondie du niveau et des modalités de maîtrise par l’enfant des
notions mathématiques élémentaires. Certains projets sont actuellement en cours
de développement. Je ne doute pas qu’ils enrichiront la pratique orthophonique et
l’aideront à progresser dans la définition de son champ de compétences.
Cependant, quinze années de confrontation souvent ardue mais toujours
enthousiasmante avec les publications de J. Piaget et de ses collaborateurs, dans
les domaines de la psychologie génétique, de la philosophie, de l’épistémologie
et de la biologie m’ont également convaincu, sans que je puisse le démontrer
expérimentalement (tel n’était pas mon rôle), de la nécessité d’aider le sujet en
difficulté, souvent passif, docile ou indisponible face à la matière, à transformer
progressivement son rapport au savoir, à se métamorphoser en un acteur dyna-
mique pénétré du désir et du plaisir intime d’explorer, de découvrir, d’inventer
et d’analyser activement - donc de manière critique - les concepts et relations
logiques et mathématiques … et de vivre à son niveau le sentiment d’appartenir
à l’aventure humaine, pour plagier Amin Maalouf (1998).
Les notions d’adaptation à la « pression » et à la « résistance » du milieu,
de constructivisme, d’équilibration, de coordination des actions et des opéra-
tions en structures mentales efficientes, d’expériences physiques et logico-
mathématiques, de distinction entre les modes d’approche figuratifs et opératifs
de la réalité, de décentration, de réversibilité, d’invariance, de multiplication, de
comparaison et de dissociation de différents points de vue, de mobilité mentale
et bien d’autres encore, sont aussi essentielles. Elles me paraissent constituer de
solides soubassements (les « aptitudes » mathématiques élémentaires), jusqu’ici
non concurrencés de façon convaincante, de notre projet de thérapeutes (plus, en
l’occurrence, que de … rééducateurs !) moins préoccupés par la transmission
des notions mathématiques que par le souci d’aider l’enfant à se les approprier
en faisant appel à ses propres ressources mentales et affectives.
Je ne sais pas, bien que j’avoue être attiré par cette conception, si Kant,
les intuitionnistes et S. Dehaene (1997) ont raison quand ils avancent l’hypo-
thèse que le nombre fait partie des objets naturels de la pensée ou des catégories
innées suivant lesquelles nous analysons le monde. Je ne sais pas non plus si la
conceptualisation de la notion de nombre s’enracine dans le développement
préalable de la logique des classes et des relations asymétriques ou si les expé-
riences numériques concrètes vécues très tôt par l’enfant contribuent à l’enri-
chissement de ses compétences logiques.
Je me demande d’ailleurs si J. Piaget (1980) avait vraiment une position
tranchée sur le sujet lorsque je me réfère au passage suivant que je n’ai pas l’im-
148
pression de déformer en l’isolant de son contexte : « Nous n’entendons pas (par
là) prétendre que le nombre se réduise aux classes et aux relations, mais simple-
ment montrer leurs rapports mutuels. Il est d’autant plus nécessaire de prévenir
un tel malentendu que (…) la classe n’est pas antérieure au nombre mais
s’achève en même temps que lui et s’appuie sur lui autant que l’inverse. (…) La
constitution psychologique autant que logique des classes, des relations et des
nombres, constitue un développement d’ensemble dont les mouvements respec-
tifs sont synchroniques et solidaires les uns des autres. ».
Mon sentiment, résumé dans la figure suivante (P. Dessailly, Y. Tourneur,
1984) rejoindrait plutôt celui de J. Grégoire et C. Van Niewenhoven (1998) qui,
dans le cadre de l’évaluation diagnostique et de la prise en charge des « dyscal-
culies », proposent « un modèle intégré qui s’appuie fermement sur le modèle
piagétien tout en tirant parti de ce que les recherches récentes nous ont appris de
neuf à propos de la genèse du nombre chez l’enfant ».
Au vu de l’ensemble des réflexions qui précèdent, il me semble en effet
que les différents éléments représentés sur la figure mériteraient d’être considé-
rés comme des composantes minimales d’un bilan orthophonique qui viserait à
évaluer chez l’enfant en difficulté son degré d’intégration des notions (aptitudes
comprises) logiques et mathématiques élémentaires. Les flèches à double sens
indiquent que toutes ces notions sont étroitement interdépendantes et se nourris-
sent mutuellement.
149
◆ Quelques illustrations complémentaires de l’exploitation
de l’organigramme
Il y aurait encore beaucoup à dire sur la façon de lire ou d’exploiter l’or-
ganigramme susceptible de nous aider à définir le cadre de nos compétences
face aux difficultés d’apprentissage en mathématique. Mais il me faut conclure !
Je me permettrai d’abord d’insister à nouveau sur le fait qu’il ne s’agit
que d’un instrument à visée plus ou moins heuristique, assurément amendable.
Je souhaiterai ensuite clôturer provisoirement la présente réflexion par
deux commentaires succincts.
Le premier concerne les branches 5 et 6, inachevées, qui soulèvent
d’autres questions intéressantes dans la perspective de l’établissement d’un dia-
gnostic différencié. Notamment celle-ci : est-il concevable qu’un enfant n’ayant
pas connu d’échec jusque-là, se trouve soudainement en difficulté lorsqu’il
accède par exemple en CM 1 ?
L’expérience m’a prouvé que la réponse peut être résolument positive.
Entre autres parce que l’enfant a par exemple vécu un traumatisme psycholo-
gique grave (comme Mathilde, investie d’un secret familial lourd à porter :
incarcération d’un membre de sa famille pour faits de pédophilie) qui la rend
indisponible face aux apprentissages scolaires, cette indisponibilité psychique
pouvant se focaliser sur une ou plusieurs disciplines scolaires. Ou encore, parce
que l’échec de l’enfant est le signe avant-coureur - qu’il importe de détecter
sous peine de négligence professionnelle grave - d’une dégradation neurolo-
gique (tumeur cérébrale évoluant à bas bruit).
Mon second commentaire, plus lapidaire, se rapporte à la question locali-
sée dans la partie inférieure de l’organigramme. Il me semble que les branches 1
à 6 (avec le cas particulier de la branche 2 !) recouvrent un éventail de troubles
d’apprentissage en mathématique, isolés ou non, susceptibles de correspondre
au champ de compétences de l’orthophoniste collaborant souvent étroitement
avec d’autres spécialistes. Sa mission ne coïncidera pas nécessairement chaque
fois avec une prise en charge effective de l’enfant en difficulté. Elle pourra aussi
se limiter, choix pourtant déterminant pour l’épanouissement de ce dernier, à la
réalisation d’un bilan différencié qui amènera l’orthophoniste à s’effacer, en
conseillant une orientation plus appropriée. Cette option souvent difficile à
prendre, et parfois à assumer, suppose un sens aigu des responsabilités dans le
respect des valeurs humaines et des prescriptions déontologiques.
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◆ ELEMENTS DE BILAN
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◆ MATERIEL
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Questions de logopédie
N° 135, 1999, 140 pages, 600 FB ou 14,88 Euros
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NOTES
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