Lester L. GRABBE, Etymology in Early Jewish Interpretation: The
Hebrew Names in Philo, Brown Judaic Studies 115. Scholars Press,
Atlanta, Georgia 1988. xvi + 268 pages. Price $47.50.
Un des traits les plus typiques de l’exégese philonienne est le recours
systématique a I’étymologie hébraique des noms bibliques. Ces déri-
vations tantot légitimes du point de vue linguistique ou du moins vali-
dées par le témoignage de l’Ecriture, tantét fantaisistes, 4 nos yeux et
sans doute méme aux yeux de leurs inventeurs, se recommandaient
d’une théorie de I'adéquation originelle des mots et des choses, et de la188 THE STUDIA PHILONICA ANNUAL 2 (1990)
constatation des transformations historiques qu’avaient fait subir aux
noms anciens les lois de la phonétique et de Vanalogie. L’essentiel avait
été dit dans le Cratyle de Platon, od l’on rencontre d’ailleurs des étymo-
logies au moins aussi inattendues que celles de Philon, ne serait-ce que
Vexplication d’évoponog par évaepv & dnune («qui fait Pétude de ce quiila
vu»). Chez Philon, ces étymologies constituent un point de repére
Précieux, permettant d’évaluer la cohérence des exégeses dans la pro-
Bression du récit biblique ou la diversité des paralléles. Bien que beau-
coup d’études aient examiné ces étymologies dans diverses perspectives,
pour établir notamment si Philon connaissait V’hébreu ou pour tenter de
reconstituer l’explication étymologique sous-tendue par la traduction
Brecque que Philon donne de tel ou tel nom, le seul ouvrage exhaustif
expressément consacré a ce sujet est celui de C. Siegfried, Die hebra-
‘schen Worterklarungen des Philo und die Spuren ihrer Einwirkung
auf die Kirchenviter, paru & Magdeburg en 1863. L’étude plus récente
d’Edmund Stein, Die allegorische Exegese des Philo aus Alexandreia
(GieBen 1929) est fort peu satisfaisante en ce qui concerne les étymo-
logies. C'est done avec enthousiasme que I’on saluera la parution de
Vouvrage de L.L. Grabbe, préparé sous les auspices du Claremont Philo
Project lancé par le Professeur B.L. Mack en 1976.
La partie principale de louvrage regroupe, sous forme de fiches indi-
viduelles, 166 notices consacrées a tous les noms propres bibliques qui
bénéficient chez Philon d’une explication étymologique. Chaque notice
comprend la forme grecque du nom, la forme transmise dans la version
massorétique, la forme anglaise, une liste de références philoniennes ot
V'étymologie est présentée (avec les termes qui servent a introduire
Fexplication), la traduction grecque fournie par Philon (éventuellement
seulement conservée par la version arménienne ou la version latine),
une reconstitution de I’étymologie présupposée par la traduction, ainsi
qu'une comparaison avec les étymologies fournies par les recueils ono-
mastiques d’époque patristique (Onomastica Sacra), enfin le symbolisme
principal rattaché au nom biblique étudié. 1 s‘agit donc 1a d’un recueil
trés stir de toute la documentation, qui mérite de figurer dorénavant
comme ouvrage de référence sur la question.
Le schématisme du mode de Présentation retenu ne permettait pas
d'exposer en détail le symbolisme développé par Philon dans tous les
Passages ott il évoque une figure biblique donnée. On se gardera donc de
considérer le symbolisme final signalé par la notice comme nécessaire-
ment unique dans l'ceuvre de Philon. I n’est pas rare de rencontrer
dans I’examen des paralléles un ou deux Passages qui nuancent, voire
contredisent l’interprétation couramment Proposée. Dans I’analyse de
Vexégese philonienne les discordances sont bien plus significatives que
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les ressemblances.
En ce qui concerne la présentation, il est dommage que les caractéres
grecs et hébreux utilisés dans les données initiales de chaque notice aient
été abandonnés dans le corps du texte au profit de translittérations. On
est de méme géné par I'absence d’esprits et d’accents dans la reconsti-
tution de la liste onomastique publiée comme Appendice 1. :
La liste établie par l’auteur est vraisemblablement exhaustive, si ’on
ne tient pas compte des noms qui sont cités par Philon sans faire Yobjet
d'une explication étymologique. I est possible que l’auteur ait volon-
tairement éliminé les deux ou trois omissions que nous avons repérées
Bien que le nom Koush apparaisse dans les notices, 8 propos d’Aigtonta
qui traduit dans la LXX W3, ce fils de Cham figure sous son nom
original en Gen. 10:6. Or, QG 2.81 présente ce personage comme l’ainé
des rejetons du mal et semble proposer comme étymologie «the sparse
nature of earth». Markus considére que cette étymologie repose sur un
tapprochement entre le nom propre Xoug et fe mot you¢ («amas de terre,
Poussigre»), Une autre omission possible concerne un ou deux ancétres
immédiats d’Enoch (en QG 1.82): Philon explique que la figure d’Enoch,
qui symbolise le repentir a été précédée par la miséricorde et le pardon.
Ces deux noms peuvent former pléonasme dans l’arménien et ne
correspondre qu’a une seule figure. Quoi qu’il en soit, il est possible
qu'il y ait une allusion dans ce passage au symbolisme, sinon a étymo-
logie, proposé pour Cainan, Maléléél ou Iared. Pour Maprdp, ¢anic (Somn.
2.142) est peut-étre de méme un symbolisme et non une étymologie.
La tache de reconstituer les étymologies est parfois délicate et il est
le de définir ce qu’étaient aux yeux de leurs auteurs les critéres
d’une bonne explication. Il serait intéressant par exemple d’établir si les
étymologies qui se cachent derrigre les traductions transmises par
Philon mettaient en ceuvre parfois des formes verbales conjuguées ou
uniquement des racines trilittéres. Souvent, Grabbe ne Propose qu’une
racine ou un verbe a la forme qal. Mais on constate que les traductions
comprennent, outre des noms, des adjectifs, des locutions (éx natpéc, év
xaxoic, etc.), une grande quantité de participes et quelques phrases plus
élaborées ( norde odto¢, abrég por, xdpic cou, 8ed¢ pov BonBdc, Bed¢
ne Bigoneipev, ovverdpate takainwpiav) qui suggerent une étymologie déve-
loppée sous forme de phrase complete. ;
Peut-étre pourrait-on ainsi parfois affiner un peu plus l’explication
Pour le nom d’Aaron, rapprocher dpewvég («montagneux») de IH («mon-
tagne») n’a rien que de naturel. Mais, montagneux n’est pas montagne
et Philon ou sa source avait apparemment en téte une forme adjec-
tivale. Or dpeivéc traduit souvent dans la LXX WH, «la (région) mon-
tagneuse» (ainsi Jos. 10:40; 11:16), par opposition a la plaine. La forme190 THE STUDIA PHILONICA ANNUAL 2 (1990)
est phonétiquement plus proche du nom d’Aaron (T71R), méme si
Philon ne semble pas avoir pris en considération la finale, expliquée
ailleurs, 4 propos du nom ‘Apvav (voir aussi ‘Ebpdv), comme suffixe
possessif (ainsi d’ailleurs mons eorum pour Aaron chez Jéréme). Dans
le cadre de cette notice, aurait-il 6té oiseux d’ajouter que Stein (p. 55)
fournit a propos d’Aaron une mauvaise référence (Migr. 78 au lieu de
Ebr. 128), écrit 5petvog («mésange») au lieu d’dpeivéc et fournit une
explication (pa¢ adtv) qui est celle du nom ‘Apvév? De facon générale,
quelques indications grammaticales auraient permis au lecteur qui ne
posséde, comme moi, de I’hébreu que des rudiments qui s’évanouissent
avec les ans, de mieux comprendre les équivalences proposées par
Yauteur. Par exemple, pour “Avva (TY), traduit par yépi¢ abtiig, le rap-
prochement avec Tf, reste en dega de la précision supposée par la
traduction. J’aurais pensé spontanément a 7M, avec un suffixe 3° pers.
fém. sing. (FY). On se demande parfois si auteur a omis d’expliquer
tel ou tel élément du mot parce que c’était trop évident a ses yeux ou
parce qu’il n’en connaissait pas d’explication. Le 7 de Adpey nest pas
expliqué par les racines 7D ou J3D. On peut y voir une préposition
devant infinitif, mais on ne trouve pas de correspondance explicite.
Ceci dit, il est peu de reconstitutions de Grabbe qui n’emportent la
conviction. Ce n’est pas adresser un reproche a l’ouvrage que de rap-
peler que certaines étymologies ne peuvent étre reconstituées de
maniére satisfaisante et que Grabbe a proposé des rapprochements qui
peuvent toujours étre discutés. Pour XaAdaio: (™W3), qui signifierait
ouaddtn¢, un rapprochement avec I’araméen sdk semble une tentative
désespérée. Il faut sans doute compter avec des confusions commises
par Philon ou par ses sources dans la transmission des étymologies
originales. ‘11 ne peut expliquer en aucune manire une traduction de
“Qv par Bouvdc et on chercherait en vain une racine satisfaisante. Le
meilleur rapprochement serait NY33 («colline»), généralement traduit
par Bouvéc dans la LXX (ainsi Ex. 17:9) et qui figure comme nom propre
dans ’Ecriture en plusieurs passages (1 Chron. 2:49). Reste a expliquer
pareille confusion. Dans certains cas, signalés par Grabbe, la confusion
porte sur des mots commencant par la méme lettre (pas nécessairement
proches voisins dans l’ordre alphabétique, comme Xavadv-Xér), mais ce
West pas le cas ici
Comme ce livre s‘imposera comme ouvrage de référence sur les éty-
mologies philoniennes, il n’aurait pas été inutile de signaler et de
critiquer toutes les analyses étymologiques proposées antérieurement.
De telles indications auraient au moins servi a mettre en valeur les
explications originales fournies par I’'auteur. Une exploitation systé-
matique des efforts de ses prédécesseurs aurait également permis a
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Yauteur de récupérer ou du moins d’évaluer ici et 1a des suggestions
intéressantes. Pour Yov@opdavnx, nom égyptien de Joseph, qui signi-
fierait selon Philon év dnoxpicet otdpa xpivov, l’explication de Grabbe
semble peu vraisemblable: «Philo ingeniously takes this from sapah
“lip, speech” plus either pnh “acquit” (Mishnaic Heb) or perhaps Spt
“judge” plus b- “in” plus ‘nh “answer’». On ne peut pas ne pas envi-
sager au moins la possibilité que le texte original, pas nécessairement
celui de Philon, mais celui de sa source onomastique, ait comporté, ainsi
que le conjecturait Mangey, év dnoxpijer otépa dmoxpivopevoy, ce qui
s‘explique facilement par JD¥, («cacher»), M9 («bouche») et MY («ré-
pondre»), et rejoint partiellement les recueils onomastiques tardifs.
Grabbe envisage de semblables confusions a époque préphilonienne
pour d’autres étymologies. Ainsi en est-il de Maxeip (19), traduit par
natpég. Le génitif a lui seul signale une anomalie. Bien que Philon
développe son commentaire dans la ligne de cette traduction, Wutz a
supposé que l’explication originale était 'adjectif npdtog («A vendre») qui
correspond a I’hébreu 13D, «vendre». ;
L’étymologie d’Atyuntog @7IXD) montre, comme celle de Eupfa OR),
que les étymologistes se référaient directement a la forme hébraique des
noms propres par-dela le terme grec. Pour Afyuntog, Grabbe établit un
rapprochement avec la racine “¥. Il donne comme signification: