Revue des Etudes Augustiniennes 30 (1984) 3-23
Tacite, ’«incendium Neronis »
rat *
et les chrétiens
Les chrétiens des premiers siécles n’ont jamais vraiment compris pourquoi
VEmpire romain leur interdisait d’exister. Leur refus de sacrifier aux dieux
paiens, qu’ils croyaient étre la cause principale de leurs malheurs, ne leur
paraissait pas justifier la répression dont ils étaient les victimes. Quant aux
infanticides et autres abominations que leur imputait opinion publique,
n’importe quel magistrat pouvait en faire justice par une enquéte un peu sérieu-
se et approfondie. Ils ne pouvaient comprendre le point de vue de Etat romain
parce qu’ils n’avaient pas accés aux archives officielles et aussi parce qu’il est
difficile, lorsqu’on est persécuté, de comprendre les motivations des pers¢-
cuteurs. Aussi ne leur restait-il qu’a considérer ceux-ci comme des étres malfai-
sants, des incarnations du Mal ou des inconscients que Dieu laissait faire pour
mettre a Pépreuve la foi de ses élus.
Pour le savant moderne qui s’efforce d’analyser sans parti pris le conflit qui,
pendant prés de trois siécles, a opposé le christianisme naissant & Empire
romain, la tache n’est pas beaucoup plus simple. Les trop rares textes qui nous
font connaitre V’attitude du pouvoir A Pégard de la religion chrétienne a ses
débuts laissent, 4 cdté d’informations extrémement précieuses, des incertitudes
irritantes sur des questions fondamentales. Dans sa fameuse lettre Trajan (Ep.
10,96), Pline le Jeune révéle une étonnante ignorance sur les chrétiens. II sait
que le fait d’étre chrétien est punissable de mort et agit en conséquence, mais il
ne sait pas pourquoi’. Il se demande si c’est le nom méme de chrétien ou les
* La thése défendue dans cet article est issue de réflexions échangées au cours d’un séminaire
que j'ai dirigé 4 Lausanne dans la chaire de M. Pierre Ducrey en 1981-1982. Elle a également
été discutée au cours d’un colloque tenu & Gentve sur les débuts du christianisme et auquel ont
participé notamment MM. Frangois Bovon, Erhard Grzybek et Frangois Paschoud (Genéve),
Gunther Gottlieb (Augsburg), Peter Kussmaul (Halifax) et John Walsh (Texas). Je remercie
vivement ces personnes pour leurs suggestions et critiques.
1. § 1: wideo nescio quid et quatenus aut puniri soleat aut quaeri ».4 ADALBERTO GIOVANNINI
flagitia liés & ce nom qui sont condamnables*, Aprés enquéte, il se déclare
surpris de ne découvrir qu’une superstition sans mesure’, mais il ne nous dit
pas ce qu’il s’attendait a trouver, il ne donne aucune indication sur les flagitia
dont il croyait les chrétiens coupables. La réponse de Trajan (Ep. 10, 97) est
tout aussi décevante : empereur ne répond pas 4 la question essentielle de son
gouverneur, a savoir si c’est le nom de chrétien ou si ce sont les flagitia qui
sont punissables. Il refuse d’aborder le fond du probléme et se contente d’un
compromis: ne pas rechercher les chrétiens (conquirendi non sunt) et se
limiter 4 mettre A mort ceux qui se disent tels et s’obstinent. Tertullien n’a pas
manqué dans son Apologétique (2, 7 sq.) de relever l’inconséquence de cette
attitude en affirmant que si les chrétiens sont des criminels ou représentent un
danger pour PEtat, celui-ci doit les rechercher et les punir, et que dans le cas
contraire, l’interdit contre les chrétiens est absurde et arbitraire. Les infor-
mations que nous donne Tacite sur l’arrestation et la condamnation des
chrétiens aprés le grand incendie de Rome sous le régne de Néron (Ann. 15,
44) sont elles aussi trés imprécises et contradictoires. Comme Pline, l’historien
qualifie leur religion de haissable (44, 3 : exitiabilis superstitio) ; il les considére
comme criminels et dignes des pires chatiments (44, 5: sontes et nouissima
exempla meritos) ; il nous apprend que les chrétiens ont été « reconnus coupa-
bles moins du crime d’incendie qu’en raison de leur haine pour le genre
humain »‘. Mais nous ne tirons de lui aucune donnée concréte sur les motifs
réels de leur condamnation, étant entendu que la misanthropie n’est pas, en soi,
un délit punissable de mort. On a vraiment V’impression stupéfiante que Tacite,
Pline et Trajan approuvaient l’interdit contre les chrétiens sans savoir au juste
ce qu’on leur reprochait.
Cette imprécision des sources antiques est d’autant plus grave pour le cher-
cheur qu’il n’existe apparemment aucun précédent vraiment comparable a
Vinterdit contre les chrétiens*, Il est vrai que dans |’Empire romain le droit
d’association était rigoureusement réglementé. I est vrai qu’a plusieurs reprises,
sous la République et sous l’Empire, des mesures ont été prises 4 Rome et en
, Italie contre des groupements, des sectes religieuses ou des écoles philoso-
phiques. Mais ces mesures ont toujours été la suite de délits précis, soit des actes
contraires 4 la moralité publique ou a la sécurité de l’Etat. Jamais le simple fait
d’appartenir a une secte, religieuse ou autre, n’a été puni de mort indépen-
damment de tout délit imputé a tort ou 4 raison aux membres de cette secte. Le
chaesitaui... an ei qui omnino Christianus fuit... nomen ipsum, si flagitiis careat, an
cohaerentia nomini puniantur ».
nihil aliud inueni quam superstitionem prauam, immodicam »,
haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis conuicti sunt ».
5. Pour les précédents a la persécution contre les chrétiens cf. notamment H. Last, The
Study of the ‘ Persecutions’, in J. Rom. St, t. 27, 1937, p. 80-92 et RAC sv. Christen-
verfolgung, col. 1208 sq. ; J. Moreau, la persécusion du christianisme dans l'empire romain,
Paris 1956, p. 12-20.L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 5
sénatus-consulte de 186 sur les Bacchanales, par exemple (cf. Liv., 39, 8 sqq.),
que les érudits rapprochent volontiers de ’interdit contre les chrétiens, présente
avec lui certains traits communs sur lesquels nous reviendrons, mais s’en distin-
gue sur un point capital : les Bacchanales furent interdites 4 la suite de délits
graves contre la moralité publique, les adeptes de cette pratique furent condam-
nés selon la gravité des crimes qu’ils avaient effectivement commis (L1v., 39, 18,
4), alors que les chrétiens furent mis 4 mort indépendamment de tout délit con-
cret. Les mesures prises contre les juifs sous les régnes de Tibére et de Claude,
de méme que les expulsions de devins, de mages ou de philosophes®, furent con-
sécutives 4 des troubles ou des abus effectivement commis par les intéressés et
se limitérent a l’expulsion et a l’interdiction de se réunir : ’appartenance 4 la re-
ligion ou a la secte n’était pas en elle-méme mise en cause’. L’interdit contre les
chrétiens semble étre un cas vraiment unique dans Vhistoire du Haut Empire,
Aussi les savants, qu’ils soient historiens de ’Empire romain ou historiens du
christianisme, se perdent-ils en conjectures plus ou moins fondées sur les motifs
réels de la persécution du christianisme’. Pline se référait-il a un texte légal
condamnant spécifiquement les chrétiens a la peine de mort et si oui, d’od
venait ce texte de loi et quelle en était la teneur ? Si ce texte de loi était Pinsti-
tutum Neronianum dont parle Tertullien (Ad Nat. 1, 7), comment cet insti-
tutum d’un empereur honni a-t-il pu acquérir force de loi pour l’ensemble de
VEmpire pendant prés de deux cent cinquante ans, alors que selon ce méme
Tertullien tous les autres acta de Néron furent abolis aprés sa mort?? S’il
n’existait pas de texte légal de cette nature, en raison de quel délit réel ou
supposé punissait-on de mort les adeptes du christianisme ? Tombaient-ils
sous le coup de la lex de maiestate ou de la lex de sodaliciis? Etaient-ils
poursuivis en tant que religio illicita? L’Etat romain était un Etat de droit of
lés sujets de ’Empire, surtout les citoyens, n’étaient poursuivis et condamnés
qu’aprés enquéte sérieuse et constatation d’un crime réel. I! était aussi un Etat
tolérant dans le domaine religieux, admettant la pratique de toutes sortes de
religions plus ou moins étranges, plus ou moins secrétes, et n’intervenant contre
les sectes religieuses ou les mouvements philosophiques que lorsque ceux-ci
menagaient sérieusement l’ordre public ou la sécurité de l’Etat. Faut-il admettre
que les chrétiens tombaient dans cette catégorie et si oui, pourquoi les trou-
vait-on dangereux ? Et comment expliquer dans cette hypothése que Trajan ait
6. Cf. FM. CRAMER, Astrology In Roman Law and Politics, Philadelphie 1954,
7. Cf. dans ce sens J. MOREAU, op. cit., p. 12-20, On remarquera cependant quien 19 et en 41,
ifs se virent interdire la pratique de leur culte (cf. infra, p. 18).
8. La bibliographic est immense et s’accroit chaque année. On trouvera un excellent apergu
de état de la question chez A. WLOSOK, Die Rechtsgrundlagen der Christenverfolgungen der
ersten zwel Jahrhunderte, in Gymnasium, t. 66, 1959, p. 14 sqq., AN. SHERWIN-WuITE, The
Letters of Pliny, Oxford 1966, app. V et J, MOLTHAGEN, Der rémische Staat und die Christen
im zweiten und im dritten Jahrhundert, Gottingen, 1974,
9. Tert., Ad Nat. 1, 7, 9: «et tamen permansit erasis omnibus hoc solum institutum Nero-
nianum ».6 ADALBERTO GIOVANNINI
prescrit 4 Pline de ne pas les rechercher, se contentant de punir ceux qui
s’obstinaient dans la pratique de leur religion ?
Pour essayer d’y voir un peu plus clair dans toutes ces interrogations, il faut
commencer par comprendre la persécution de Néron, qui est le premier empe-
reur 4 avoir fait systématiquement poursuivre et condamner les adeptes du
christianisme. Il faut établir le lien entre l'incendie de Rome et la mise 4 mort
des chrétiens de la capitale aprés cette catastrophe, comme a déja tenté de le
faire J, Beaujeu dans une belle étude parue en 1960!°. C’est ensuite seulement
que nous pourrons aborder le probléme juridique en cherchant a établir la
relation entre cet institutum Neronianum et linterdit général auquel se référe
Pline le Jeune.
1. La version de Tacite
Tacite, 4 qui nous devons le récit le plus détaillé de ’incendie de Rome (Ann.
15, 38-44), est aussi le seul auteur de l’Antiquité qui établisse un lien entre ce
désastre et la persécution des chrétiens sous Néron!!. Les sources chrétiennes,
qu’il s’agisse de l’Apocalypse, de Tertullien ou d’Eusébe, accusent Néron
d’avoir mis 4 mort les chrétiens de Rome, sans rien dire sur ses motifs??,
Suétone, qui dissocie dans sa biographie de Néron les méfaits de l"empereur des
réalisations qu’il juge louables, mentionne au ch. 16, parmi les actions posi-
tives, la reconstruction de Rome et l’interdit contre les chrétiens alors qu’il ne
parle qu’au ch. 38 de l’incendie lui-méme. Dion Cassius (62, 16-19) tient pour
acquis que c’est Néron qui a ordonné l’incendie et ne parle méme pas de la
condamnation des chrétiens.
Le récit de Tacite donne l’impression que l’historien disposait d’une source
parfaitement informée et apparemment contemporaine des événements. II
donne I’endroit exact ot le feu a pris (15, 38, 2) et sait dans quelle direction il
s’est propagé sous leffet d’un vent violent (ibid., 3-4). Il sait aussi que Néron se
trouvait 4 Antium au début de l’incendie et n’est rentré dans la capitale que
lorsque son palais de I’Esquilin s’est trouvé menacé (15, 39, 1). II connait dans
le détail l’étendue des dégats et les mesures prises par Néron pour venir en aide
4 la population et reconstruire la capitale (15, 41-43). Il donne enfin la liste des
10, J. BEAUIEU, L'incendie de Rome en 64 et les chrétiens, in Latomus, t. 19, 1960, p. 65-80
et 291-311. Cf. aussi A. Kurress, Der Brand Roms und die Christenverfolgung im Jahre 64 n.
Chr., in Mnemosyne, t. 6, 1938, p. 261-272 ; Ch. SAUMAGNE, Les incendiaires de Rome (ann. 64
p. C.) et les lois pénales des Romains (Tac., Ann. XV, 44), in Rey. Hist., t. 227, 1962, pe
337-360.
11. Je ne tiens pas compte ici de la lettre apocryphe de Sénéque a l’apétre Paul, qui dépend
vraisemblablement de Tacite.
12, Apoe. 11, 7; Tert., Apol. 5, 3 et Ad nat. 1,7; Bus., Hist. eccl, 2, 25 et 3, 17 (@aprés:
Tertullien),L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 7
sanctuaires ot furent accomplis les sacrifices propitiatoires aprés la catastrophe
(15, 44, 1). On aimerait donc penser a priori qu’il a trouvé dans sa source des
renseignements précis sur l’arrestation et la condamnation des chrétiens,
@autant plus qu'il sait trés bien en d’autres circonstances se référer a des actes
officiels du Sénat ou de administration impériale. On ne comprend pas que
Phistorien puisse nous décrire avec minutie les chatiments infligés aux
chrétiens par Néron sans connaitre le motif exact de leur condamnation. Or la
formule « haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis conuicti
sunt »'3 donne a entendre qu’en définitive le délit d’incendie volontaire ne joua
qu’un rdle secondaire dans leur condamnation ; elle nous donne l’impression
que leur culpabilité ne put étre établie, mais que Néron les fit néanmoins mettre
4 mort comme ennemis du genre humain pour apaiser la foule qui le soupcon-
nait de ce crime.
Cette version des faits n’est ni logique ni plausible. Car si Néron a fait
arréter les chrétiens pour faire taire la rumeur persistante qui l’accusait lui,
Néron, d’avoir ordonné l’incendie, il est tout fait évident qu’il ne pouvait faire
taire cette rumeur qu’en convainquant l’opinion publique qu’il avait identifié les
vrais coupables. Mettre a mort les chrétiens simplement parce qu’on les détes-
tait pouvait distraire et satisfaire momentanément une populace réputée cruelle,
mais cela ne pouvait blanchir lempereur aux yeux de l’opinion publique : pour
y parvenir Néron devait persuader la foule que c’étaient les chrétiens, et eux
seuls, qui étaient coupables. La logique des événements décrits par Tacite veut
que les chrétiens aient é&é condamnés comme incendiaires, auquel cas la haine
du genre humain n’est que le corollaire du crime détestable entre tous d’incen-
die volontaire. Effectivement, les chatiments particuliérement cruels infligés
aux chrétiens sont les peines prévues par la loi romaine contre les incendiai-
res,
On a le sentiment que Tacite veut convaincre ses lecteurs de la non-culpa-
bilité des chrétiens dans Vincendie de Rome. Il ne le fait toutefois pas par
sympathie pour eux, puisqu’il les déteste comme une exitiabilis superstitio et les
Juge sontes et nouissima exempla meritos. S’i] les innocente, ce n’est pas parce
qu’il les croit incapables d’un tel forfait, mais parce que, comme presque toute
la classe dirigeante de son temps, il déteste Néron encore plus que les chrétiens
et fait ce qu’il peut pour accabler sa mémoire. Soucieux de passer 4 la postérité
13, Je suis ici, comme la plupart des historiens, 1a lecture de H. FURNEAUX, ad loc, acceptée
notamment par H. Fucks, Tacitus ier die Christen, in Vig. Christ., t. 4, 1950, p. 65-93 et J.
BEAUIEU, art. cit., p. 293 sqq.
14. Cf. Dig. 47, 9, 9: «Qui aedes aceruumue frumenti juxta domum positum combusserit,
uuinctus uerberatus igni necari iubetur, si modo sciens prudensque id commiserit ». Cf. Dig. 48,
19, 28, 12: ¢ incendiarii capite puniuntur, qui ob inimicitias uel praedae causa incenderint intra
oppidum : et plerumque uiui exuruntur>. Cf aussi Juv., Sat. 8, 231-235. L’exécution par le
it sinon pratiquée que pour les esclaves qui avaient attenté A la vie de leur maitre
(Dig. 48, 19, 28, 11).8 ADALBERTO GIOVANNINI
pour un historien objectif et sérieux, il se garde d’affirmer avec les autres que
Pempereur a ordonné la destruction de la capitale. Alors que l’auteur de
POctavie, peu aprés la mort de Néron'’, Pline l’Ancien, Suétone et Dion
Cassius n’expriment pas le moindre doute sur sa culpabilité"’, l’auteur des
Annales commence son récit par 1a fameuse alternative sequitur clades, forte an
dolo principis incertum -nam utrumque auctores prodidere (Ann. 15, 38, 1).
Mais cette apparente objectivité n’est que fagade : en proposant au lecteur le
choix «c’est un accident ou c’est Néron », il exclut d’emblée que lincendie ait
pu étre provoqué par d’autres personnes que l’empereur. Il exclut donc
d’emblée que les chrétiens, par exemple, aient pu en étre les auteurs, Le choix
laissé au lecteur est de ce fait trés limité : il peut conclure a l’accident ; mais s°il
se persuade que l’incendie est criminel, il doit du méme coup admettre que c’est
Néron le coupable. Ce lecteur ne restera du reste pas longtemps dans le doute.
Quelques lignes plus loin, Tacite lui apprend, cette fois sans aucune ambiguité,
que certaines personnes ont regu l’ordre d’empécher l’extinction du feu et de
jeter au contraire des torches pour Je propager. Le lecteur ne doute plus, il n'y a
plus d’alternative : lincendie est criminel, donc les personnes qui propagent
Tincendie au lieu de le combattre agissent sur les ordres de l’empereur. Sa
conviction devient certitude lorsqu’il lit, quelques chapitres plus loin, que pour
faire taire les rumeurs (15, 44, 2: abolendo rumori), Néron a produit des
suspects (subdidit reos). Le verbe subdere dit bien ce qu’il veut dire:
soupconné, Néron a cherché des boucs émissaires et a trouvé les chrétiens, que
la foule détestait, pour les accuser — bien entendu A tort — d’étre les auteurs du
crime. La formule haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis
conuicti sunt est donc la conclusion logique de tout le récit, Tacite a amené le
lecteur 1a ou il voulait le conduire, c’est-a-dire 4 la conviction que Néron est le
seul responsable de l’incendie!?, et que par conséquent les chrétiens ont été
accusés a tort ; dans cette optique le délit d’incendie volontaire ne peut pas étre
la cause réelle de leur condamnation"*.
L’auteur des Annales a parfaitement réussi dans son entreprise. Méme si
quelques sayants admettent que les chrétiens ont été condamnés comme incen-
diaires!® (bien entendu A tort car personne ne croit sérieusement quils aient pu
15, Oct, 825 sq. Cette ceuvre attribuée Sénéque a probablement été écrite par un auteur
inconnu peu aprés la mort de Néron (cf. en dernier lieu T.D. BARNES, The Date of the Octavia,
in Mus. Hel . 39, 1982, p. 215-217).
16. Puw., H.n. 17, 5; SUET., Nero 38 ; Dio CASstus, 62, 16-18. Dion Cassius prétend méme
que Vincendie a été allumé en différents endroits en méme temps (16, 2), alors que selon Tacite le
feu a pris en un endroit précis.
‘On remarquera qu’ propos de Ia conjuration de Pison, Tacite qualifie Néron d’incen-
diaire dans un discours prété au tribun Subrius Flavus (15, 67, 2). Ici également, il se garde
dengager son autorité d’historien et ne veut que rapporter des accusations faites par d’autres.
18. H. Fucus, art, cit. (supra, n. 13), p. 67, a fort bien compris Vintention de Tacite,
19. CER, Rerzenstam, Die hellenistischen Mysterienreligionen’, Berlin/Leipzig 1921, p.
118 ; H. Fucus, art. cif, (supra, n. 13), p. 67 et n. 4; H. Last, RAC s.v. Christenverfolgung
(1954), col. 1210 sq.; J. MorBAU, La persécution du christianisme, p. 31-35; A. Wrosox,
Gymnastum, t. 66, 1959, p. 21 sq.L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 9
mettre le feu 4 Rome), tous pensent avec Tacite que c’est leur attitude vis-a-vis
du monde paien qui leur a valu la haine du peuple et est en définitive la cause
réelle de leur persécution””. Tous les savants, sans exception, admettent que
Vempereur a fait arréter les chrétiens pour faire taire la rumeur qui l’accusait a
tort ou a raison d’étre l’auteur du crime” ; Néron passe aux yeux de la postérité
pour un despote arbitraire et cruel, qui n’a pas hésité a faire périr dans les pires
souffrances des innocents pour échapper A la colére populaire et satisfaire en
méme temps ses goiits sadiques.
Mais les choses se sont-elles vraiment passées de la maniére que décrit
Tacite ?
2, Incendies et boucs émissaires
Nous n’avons aucun moyen de contréler les affirmations de Tacite sur les
causes de lincendie de Rome et sur l’attitude de l’opinion publique pendant et
aprés la catastrophe. Mais nous pouvons en estimer la vraisemblance par la
comparaison de son récit avec ce que nous savons, par des témoins oculaires,
autres grands incendies de villes semblables a l’incendie de Rome en 64. I y
en a plusieurs : le grand incendie de Londres au début du mois de septembre
1666”, l’incendie de Hambourg en mai 18423, celui de Chicago en octobre
1871” et le gigantesque cataclysme qui détruisit presque entigrement Tokyo au
début du mois de septembre 192375.
A Vexception de l’incendie de Tokyo, qui fut le conséquence d’un tremble-
ment de terre survenu a ’heure méme oi les ménagéres préparaient le repas de
20. Cf. p.ex, J. BEAUJEU, art. cit (supra, n. 10) p. 293 sqq. ; G. De SAINTE-CROIX, Why were
the Early Christians persecuted, in Past & Present, t. 26, 1963, p. 6-38 ; R. FREUDENBERGER,
Das Verhalten der rémischen Behérden gegen die Christen im 2. Jahrhundert (Miinchener
Beitrige 52, 1967), p. 181 sq. ; J. MOLTHAGEN, Der rémische Staat und die Christen im 2. und
3. Shr, Gdttingen 1974, p. 23 sq.
21. Cf. p. ex. H. Listamann, Geschichte der alten Kirche 1, Berlin 1932, p. 200 sq. 3 A.
Fuicue-V. Martin, Histoire de l’Eglise I (Paris 1946) p. 289 sq. ; H. Last, RAC sv, Christen-
verfolgung (1954) col. 1210 sq. ; K. Baus, Von der Urgemeinde zur frithchristlichen Grosskir-
che, in Handbuch der Kirchengeschichte’, éd. H. Jedin, 1, Freiburg 1963, p. 152-156; J.
MOLTHAGEN, Der rémische Staat und die Christen, p. 21-27. Certains savants pensent méme
qu’en 64 les chrétiens ont été persécutés uniquement comme chrétiens, indépendamment de
Vincendie : cf. notamment A. MoMIGLIANO, Cambr. Anc. Hist. X, 1934, p. 722-726 et 887 sq.
(autres références chez J. BEAUJEU, art. cit., supra, n. 10, p. 73, n. 1).
22. Cf. W. G. BELL, The Great Fire of London in 1666, London 1920 et Daniel De For, Le
Grand Incendte de Londres, tr. fr, de P. Cerdagne, Lausanne 1945.
23. Cf. C,H. SCHLEIDEN, Versuch einer Geschichte des grossen Brandes in Hamburg vom 5.
bis 8. mai 1842, Hamburg 1843.
24. Cf. H.M. MAYER-R.C. Wave, The Growth of a Metropolis, Chicago 1972 ; D, Lowe,
The Great Chicago Fire, New York 1979.
25. Cf. N.F. BuscH, Midi moins deux, tr. fr. de S. Flour, Paris 1963. Busch s'est servi pour
son ouvrage de témoignages de rescapés,10 ADALBERTO GIOVANNINI
sorte que le feu prit simultanément en plus de cent points différents, tous les
incendies se sont déclarés et propagés dans des circonstances analogues a celui
de Rome. Ils ont éclaté dans des quartiers populaires dont les maisons, cons-
truites essentiellement en bois, étaient entassées les unes contre les autres. Ils
ont pris, comme celui de Rome, en un point précis connu de tous dés le début”*.
Dans chaque cas, un temps particuliérement sec et un vent violent au moment
de Vincendie ont favorisé sa propagation, de sorte que les moyens de lutte
disponibles se sont trouvés trés vite dépassés : 4 Londres, par exemple, un
quartier entier était en flammes quelques heures seulement aprés le début de
Vincendie”’, Tous ces incendies présentent aussi une étonnante similitude par
leur durée : celui de Hambourg et de Chicago durérent trois jours, alors qu’a
Londres, comme a Rome, le feu reprit le quatriéme jour aprés une accalmie et
ne put étre finalement maitrisé qu’au bout d’une semaine. Ces similitudes nous
permettent de tirer une premiére conclusion : tous ces incendies, celui de Rome
comme les autres, sont accidentels, ce sont la sécheresse et le vent violent qui
ont transformé en catastrophe un accident trés fréquent dans les villes d’autre-
fois.
On observe cependant que dans chacun de ces incendies la population se
convainc, dés le début, que la castastrophe est d’origine criminelle et cherche
aussitot des boucs émissaires. Les Londoniens s’en prirent aux Hollandais et
aux Frangais, avec qui l’Angleterre se trouvait alors en état de guerre, et
beaucoup d’entre eux furent incarcérés”. Les Hambourgeois accusérent les
Anglais*°. Le comportement des habitants de Tokyo lors de l’incendie de 1923
est particuliérement instructif: alors méme que lincendie était de toute évi-
dence la conséquence du séisme et que personne ne pouvait l’ignorer, la popu-
lation s’en prit néanmoins aux Coréens dont beaucoup furent massacrés*!. Ce
besoin de trouver des coupables était en partie justifié par l’activité des pillards,
26, Samuel Pepys, qui est notre principal témoin pour incendie de Londres (The Diary of
Samuel Pepys, A new and complete transcription edited by Robert Latham and William
Matthews, vol VII — 1666, London 1972), connaissait déja le 2 septembre, premier jour de
Vincendie, le lieu od il avait pris. A Chicago, le hasard voulut que la maison prés de laquelle le
feu avait pris fut miraculeusement épargnée.
21. Cf. Samuel Pepys, dans son journal du 2 septembre, confirmé par La Gazette de Londres
du 8 septembre (= Daniel De For-P. CERDAGNE, Le Grand Incendie de Londres, p. 64 saq.). A
Hambourg et A Chicago également le temps avait été particuligrement sec et le vent violent joua
un réle déterminant dans 1a propagation de l’incendie.
28, Pour disculper tout a fait Néron de ce crime, on pourra faire remarquer qu'un pyromane,
tous les psychologues le savent, ne résiste pas a la satisfaction de contempler le spectacle qu’il a
provoqué. Or Néron se trouvait 4 Antium, a 60 km de la capitale, au moment ou l’incendie se
déclara, et ne retourna 4 Rome que lorsque le feu menaga un palais qu'il s*était fait construire
sur FEsquilin (Tac., Ann. 15, 39, 1). Lempereur n’a done pas vu la premiére phase, la plus
violente, de Vincendie, c'est-a-dire qu'il a manqué, si l'on ose dire, l'essentiel du spectacle.
29. Gazette de Londres du 8 septembre = Daniel De For-P. CERDAGNE, Le Grand Incendie
de Londres, p. 68.
30. C.H. Scuiewen, Versuch einer Geschichte, p. 170-180.
31. N.F. BuSCH-S. FLour, Midi moins deux, p. 102 sqq.L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS oo
°
qui profitaient de la confusion et l’aggravaient pour s’emparer de butin ou
simplement trouver de quoi se nourrir**, L’abattage de rangées de maisons par
la milice, seul moyen efficace de combattre un incendie de cette ampleur,
contribuait 4 la peur déja grande plus qu’elle ne rassurait les citoyens : il n’est
pas facile dans la cohue et la panique de distinguer une équipe de sauveteurs
armés de haches d’une bande de pillards®*, Autre facteur de suspicion, les
maisons qui prenaient soudainement feu dans des zones non encore touchées
par le brasier: ces foyers isolés, provoqués par des flamméches qu’avait
emportées le vent, pouvaient confirmer la foule terrorisée dans l’idée que des
incendiaires étaient 4 l’ceuvre*4. Cependant, acharnement des victimes d’une
pareille catastrophe est avant tout d’ordre psychologique : la fumée, le crépi-
tement assourdissant du brasier, la confusion, portaient 4 un tel paroxysme
Texaspération et la terreur de la foule que celle-ci éprouvait un besoin instinctif,
vital, de s’en libérer sur des boucs émissaires. Ce besoin de défoulement était
immédiat et se traduisait par une agression physique et violente : 4 Tokyo, les
Coréens furent massacrés par centaines malgré des tentatives timides du gou-
vernement pour les protéger ; A Londres, nous dit Pepys, il était dangereux pour
un étranger de se promener dans les rues*> ; 4 Hambourg, les autorités durent
protéger les Anglais contre la colére de la population**.
Bien entendu, l’opinion publique s’en est prise aussi au gouvernement. Les
Londoniens rendirent leur Lord Maire responsable de la catastrophe, lui repro-
chant son incompétence et son inefficacité*’. Beaucoup furent choqués de |’in-
souciance et de la gaité du Duc d’York et certains osérent méme prétendre que
le Roi lui-méme avait ordonné l’incendie®*. Mais ces accusations exprimées
dans la colére du moment n’eurent pas de suite et bien que le Duc d’York, étant
catholique, fiit détesté par le peuple, il ne fut pas soupgonné sérieusement d’étre
auteur de la catastrophe. La foule cherche naturellement les incendiaires
parmi les ennemis réels ou supposés de I’Btat ; pour elle, l’incendie criminel
dune ville est un acte dirigé contre l’ordre établi ; il ne lui vient pas a l’idée de
soupgonner sérieusement le pouvoir de se saborder lui-méme. En fait, la convic-
32. A Tokyo, des pillards organisés en bandes semérent Ia terreur en massacrant sans
scrupules ceux qui leur résistaient : cf. N.F. BUSCH-S. FLouR, Midi moins ‘deux, p. 114-117.
33. Pepys reléve dans son journal du 4 septembre que l'on s*était mis 4 faire sauter les
maisons 4 la dynamite, ce qui portait & son comble la terreur des habitants. L’action de soldats
détruisant des maisons la hache ne devait pas étre beaucoup moins inquiétante.
34. Crest ce que dit Pepys dans son journal du 6 septembre, Lui-méme se dit convaincu qu’il
y avait un complot.
35. Journal du 6 septembre.
36. C.H. SCHLEmEN, Versuch einer Geschichte, p. 170-180, surtout 173 sqq. L’un deux fut
battu a mort par la foule.
37. Pepys écrit dans son journal du 7 septembre : « People do all the world over cry out of
the simplicity of my Lord Mayor in general, and more particularly in this business of the fire,
laying it all upon him », Voir le commentaire de R. LATHAM-W. MATTHEWS sur ce passage,
38. Cf. Daniel De For-P. CERDAGNE, Le Grand Incendie de Londres, p. 89 sq.12 ADALBERTO GIOVANNINI
tion se fit de plus en plus tenace que l’on avait eu affaire a un complot de
papistes et de jésuites, a tel point que le gouvernement finit, aprés des mois de
délibérations, par les faire expulser d’Angleterre*’.
Nous pouyons étre certains que la population de Rome s'est comportée
comme les populations de Londres, de Hambourg et de Tokyo. Elle a di s’en
prendre au pouvoir comme elle avait |’habitude de le faire lors de disettes ou
d’autres difficultés ; elle a sans doute reproché a l’empereur, qui avait la respon-
sabilité de la lutte contre les incendies dans la capitale*°, de n’avoir pas pris les
mesures adéquates pour prévenir ou maitriser la catastrophe. Il est trés possible
qu’on ait blamé son insouciance, surtout s’il est vrai qu’il profita de la circons-
tance pour chanter la fin de Troie. Mais il n’est pas du tout vraisemblable que
la population de Rome se soit sérieusement convaincue que |’incendie avait été
ordonné par l’empereur, d’autant moins qu’il n’avait rien fait jusqu’alors qui
pat justifier un tel soupgon. Néron était, tout au contraire, trés aimé de la plébe
de Rome qui voyait en lui son protecteur et son bienfaiteur*!. Encore en 64,
quelques semaines seulement avant l’incendie, il renonga 4 un grand voyage en
Orient 4 la joie de la population de Rome, qui craignait en particulier des pro-
blémes de ravitaillement en son absence*?. Cette méme population le recut avec
enthousiasme en 68 lorsqu’il rentra de son voyage en Gréce*?. Pour la plébe de
Rome, Néron n’avait absolument rien d’un incendiaire en puissance. Ce sont
Jes milieux sénatoriaux hostiles 4 empereur Néron qui ont répandu plus tard,
sans doute aprés sa mort, le bruit qu’il avait commis ce forfait, avec le succés
que l’on sait.
Comme les populations de Londres, de Hambourg et de Tokyo, celle de
Rome associait naturellement le crime d’incendie volontaire 4 la volonté de
renverser l’ordre établi. C’est ainsi que lors de l’affaire des Bacchanales, en 186
av. J.-C., le Sénat prit des mesures particuliéres pour prévenir des incendies
criminels (Liv. 39, 14, 10). Cicéron accuse Catilina en 63 de vouloir mettre la
capitale a feu et 4 sang pour instaurer sa tyrannie’‘. Un incendie survenu en 7
av. J.-C. fut attribué aux débiteurs, qu’on soupgonnait de vouloir obtenir par ce
forfait l’abolition de leurs dettes‘*. La population a di réagir de méme en 64:
elle a di chercher parmi des ennemis notoires, réels ou supposés, de l’ordre
établi les responsables de la catastrophe. Comme aprés |’incendie de Londres,
les rumeurs persistantes ont di contraindre l’empereur a agir et a conclure que
c’étaient les chrétiens qui étaient responsables. Pourquoi eux ?
39. Daniel De For-P. CeRDAGNE, op. cit. p. 93 sqq.
40, Auguste fut chargé de cette tiche en 6 apr. J.-C. et créa un corps de vigiles sous le
commandement d'un chevalier (Dio Cassius, 55, 26, 4-5).
4L. Sur la popularité de Néron cf. Z. YaveTZ, Plebs and Princeps, Oxford 1969, p. 120 sqa.
42, Tac., Ann. 15, 36, 4 :« haec atque talia plebi uolentia fuere, uoluptatum cupidine et, quae
praccipua cura est, rei frumentariae angustias, si abesset, metuenti. »
43. Dio Casstus, 62, 20, 5.
44. Cat. 3, 4, 8 et 10; 3, 6, 14; 3, 8, 19 (a propos de la 1** conjuration). Cf. aussi Pis. 7, 15.
45. Dio Casstus, 55, 8, 6,L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 13
3. Juifs et chrétiens
Au premier siécle de l’Empire, la population de la capitale, qui dépassait en
tout cas le demi-million d’habitants, se composait de gens de toutes sortes d’ori-
gines. La population libre y était devenue minoritaire, remplacée progressi-
vement par une multitude d’esclaves et d’affranchis*®, Les émeutes y étaient
fréquentes, surtout lors de disettes, et le pouvoir avait fort 4 faire pour main-
tenir un peu d’ordre dans cette populace‘’. Comme le dit Tacite aprés Salluste,
la capitale était le point de convergence de tout ce qu’il y a de pervers et de
honteux dans le monde‘®. On y pratiquait toutes sortes de religions plus ou
moins secrétes, on y enseignait toutes les doctrines philosophiques plus ou
moins contestataires, on y trouvait des Chaldéens, des magiciens, des astro-
logues. Il y avait 4 Rome autant d’incendiaires potentiels qu’on voulait bien en
trouver.
Dans cette masse extrémement composite, un groupe se distinguait pourtant
nettement des autres: les juifs. Parce qu’ils obéissaient A leurs propres lois,
parce qu’ils vivaient autrement que les autres, célébrant le sabbat et refusant de
manger de la viande des sacrifices, leurs rapports avec le reste de la population
étaient difficiles autant dans la capitale que dans le reste de l’Empire. Selon
Diodore de Sicile, l’entourage d’Antiochos VII aurait déja conseillé en 134 av.
J.-C. au souverain séleucide d’anéantir ce peuple misanthrope**. Sous Tibére,
en 19 de notre ére, 4 000 juifs de Rome et d’Italie furent déportés en Sardaigne,
les autres ayant le choix entre abandonner leur religion ou quitter |’Italie®,
Revenus 4 Rome par la suite, ils se virent interdire la pratique de leur culte par
Claude en 415!, avant d’étre une nouvelle fois expulsés en 48 ou en 49%, Dans
une lettre aux Alexandrins de l’année 41, ce méme empereur somme les Juifs de
46. Cf. TAC., Ann, 4, 27, 2 et 13, 27, 1-2. On lit chez Den, Hal. 4, 24, 5 que les maitres
affranchissaient volontiers leurs esclaves pour les faire bénéficier des distributions gratuites de
ble,
47, En 32, p. ex., Tibére blama vigoureusement le Sénat a la suite d’émeutes et le somma de
mettre de ordre (TAC., Ann. 6, 13) ; en $2, Claude fut violemment pris & partie au forum par la
foule en colére (Tac, Ann. 12, 43, 1); en 61, Néron dut préter main-forte au Sénat lors
d’émeutes consécutives & 1a condamnation & mort de 400 esclaves et affranchis d'un riche
Romain assassiné (TAC., Ann. 14, 42-45).
48. Tac. Ann. 15, 44, 3; of, SALL., Cat. 37, 3.
49. 34, L, L': wévovg yap, dndvrav sOVav dKowavitons elvat tig mpd¢ GARO EBvos
tmynklag cai nokeyioug SrohapBavery ndveag; ef. aussi la’ phrase suivante: <6 loos
16 npg tds Avopdnovs.
50. Tac., Ann. 2, 85, 4.
$1. Dio Cassius, 60, 6, 6.
52, SueT., Claude 25, 4 et OROS., 7, 6, 15 qui se référe a Flavius Joséphe et a Suétone.
L'explication donnée par Suétone aux troubles impulsore Chresto a fait couler beaucoup d’encre,
peut-étre inutilement : informé sur les chrétiens par ses amis Pline et Tacite, le biographe peut
avoir ajouté de son cru une explication & des conflits qui en réalite opposaient les juifs au reste
de la population depuis trés longtemps.14 ADALBERTO GIOVANNINI
se contenter des priviléges dont ils jouissent et de vivre en paix avec les autres
habitants de Ia ville, en les menagant de les poursuivre comme une malédiciton
du genre humain s’ils ne se soumettent pas*?. Tacite lui-méme éprouve a l’égard
des juifs une aversion profonde qu’il exprime clairement au début du V° livre
de ses Histoires (ch. 4-5). Une explosion de haine contre les juifs lors de
Yincendie de Rome n’aurait été que la conséquence logique des relations
tendues de ce peuple avec son entourage et n’aurait surpris personne.
Les chrétiens n’étaient alors, A Rome, qu’une petite minorité que les gens de
Pextérieur ne devaient guére distinguer des autres juifs. Car les chrétiens de
cette époque étaient d’abord et avant tout des juifs qui ne se distinguaient des
autres juifs que par leur conviction que le Christ était le Messie annoncé par
les Ecritures et qu’il était ressuscité**. Une bonne partie d’entre eux étaient
effectivement des juifs de naissance. Pour les Gentils, l’acceptation du message
évangélique impliquait d’abord la conversion au judaisme, c’est-a-dire l’accep-
tation de la loi de Moise avec toutes ses exigences, mise a part la question de la
circoncision qui était controversée entre les apétres eux-mémes (cf. PAUL,
Gal. ; Actes 15). Les deux Epitres de Paul aux Romains en particulier, sont le
message d’un juif adressé a d’autres juifs. Pour l’opinion publique et le pouvoir
politique, la question de savoir si le Christ était ou n’était pas le Messie ne
pouvait étre comprise que comme une querelle interne de la religion juive, les
chrétiens (a supposer qu’ils aient déja été connus sous ce nom) n’étaient tout
au plus qu’une secte juive parmi d’autres. Telle est effectivement l’attitude du
gouverneur Félix lorsqu’il est saisi du différend (Actes 25, 19), Les chrétiens
n’étaient haissables que dans la mesure ot ils étaient des adeptes de la religion
juive.
On pourrait penser que l’opinion publique et le pouvoir politique se sont
effrayés du message évangélique, qui annongait un ordre nouveau impliquant la
disparition et la destruction de l’ordre ancien. Mais les Actes des Apétres ne
donnent pas du tout cette impression. Les gouverneurs romains ou les magis-
trats locaux qui ont 4 connaitre des différends entre les disciples du Christ et
les juifs traditionalistes montrent un intérét trés limité pour la nouvelle doctrine
et ne manifestent aucune inquiétude. Le proconsul d’Achaie L. Iunius Gallio
refusa d’intervenir estimant que Paul n’avait commis aucun délit (Actes 18, 15),
ce qu’écrit aussi le tribun Claudius Lysias au gouverneur Félix (Actes 23, 28),
lequel partage son opinion en faisant toutefois remarquer 4 Paul que son grand
savoir lui a fait perdre la téte (Actes 25, 25 et 26, 24). Pline le Jeune arrive a la
méme conclusion cinquante ans plus tard : aprés une enquéte approfondie, le
53, Select Papyri II, The Loeb Classical Library, London 1966, n. 212.
54, Pour ce qui suit of. notamment W.H.C. FREND, The Persecutions : some Links between
Judaism and the Early Church, in J. Eccl, Hist.,t. 9, 1958, p. 141-158 et la bibliographie chez J.
Dantétou-H. I. MARRoU, Nouvelle Histoire de 'Eglise 1, Paris 1963, p. $37 sq. La plupart des
savants reconnaissent qu’a cette poque on ne devait guére faire la différence entre un juif et un
chrétien : cf. p. ex. H. Last, RAC s.v. Christenverfolgung (1954) col. 1210 sq. ;J. MOREAU, La
persécution du christianisme, p. 30; G. De SAINTE-CRomx, Past & Present, t. 26, 1963, p. 7-L’INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 15
gouverneur de Bithynie s’étonne d’apprendre que les chrétiens ne font rien
d’autre que jurer au nom du Christ de pratiquer la justice et la droiture, qu’ils
ne sont somme toute qu’une superstition déraisonnable et irrecevable (PLIN.,
Ep. 10, 96, 8 : nihil aliud inueni quam superstitionem prauam, immodicam). 11
ne semble pas du tout inquiet pas plus que l’empereur Trajan qui, dans sa
réponse A son représentant, lui demande de ne pas les rechercher (PLIN., Ep. 10,
97, 1 : conquirendi non sunt). La croyance en un Dieu mort sur la croix et res-
suscité paraissait 4 ces paiens une aberration et une incongruité ; la morale
chrétienne, avec ses exigences, était pour eux inacceptable et démesurée. Mais
la doctrine et la morale chrétiennes en tant que telles ne représentaient pas de
danger pour l’Etat romain. Le christianisme ne faisait pas peur au pouvoir poli-
tique au début du mi siécle, 4 une époque ot leur nombre s’était pourtant
considérablement accru. A plus forte raison aurait-il di paraitre anodin a
Pépoque de Néron, ot ils n’étaient encore qu’un petit groupe de dissidents au
sein de la communauté juive.
On a supposé aussi que les juifs protégés par limpératrice Poppée firent
reporter sur les chrétiens la haine qu’on leur portait’’. Ce n’est pas impossible,
mais cela ne peut tout expliquer. II n’est pas interdit de penser que, dans un
premier temps, l’opinion publique s’en est prise aux juifs, puisqu’elle les détes-
tait. Mais si cette opinion publique avait vraiment été convaincue que les juifs
étaient responsables de incendie, rien, pas méme la protection de l’impératrice,
n’aurait pu les sauver. Pour qu’on s’en soit pris aux chrétiens, il a fallu autre
chose que les calomnies des juifs ou l’influence de Poppée.
C’est ici que nous devons nous intéresser d’un peu plus prés a cette commu-
nauté chrétienne primitive de Rome et a sa mentalité. L’état d’esprit des
chrétiens du premier siécle est bien connue des historiens de l’Eglise, mais,
paradoxalement, on n’en tient guére compte dans la question qui nous intéresse.
Comme chacun sait, ces premiers chrétiens étaient persuadés qu’ils vivraient
eux-mémes le retour du Fils de "Homme et attendaient avec impatience cet
événement*’, Dans les Evangiles synoptiques, les apdtres demandent au Christ
quand il reviendra et veulent savoir 4 quels signes ils reconnaitront que le
moment est enfin venu (Mt 24, 3 sqq. ; Mc 13, 3 sqq. ; Le 21, 5 sqq.). Dans les
Actes (2, 14 sqq.), Papétre Pierre annonce le retour prochain du Seigneur.
Lattente de la seconde Parousie s’exprime aussi dans la seconde épitre aux
Thessaloniciens, qui exhorte les fidéles 4 la patience (2, 1), dans la premiére
55. Liidée est, semble-t-il, d’Ernest Renan, dans l’Antéchrist, p. 159 sg. Cf. aussi A.
KURFESS, Mnemosyne, 6, 1938, p. 271 ; A. FLICHE-V. MARTIN, Histoire de I'Eelise 1, p. 290. ;
W.H.C. Freno, J. Eccl. Hist, t. 6, 1958, p. 157; J. BEAUEU, art. cit. (supra, n. 10), p. 306 ;
G.E.M, De Sainte-Croix, Past & Present, t. 26, 1963, p. 7 8q. H. GREGOIRE, Les persécutions
dans empire romain®, Paris 1969, p. 25.
56. Pour ce qui suit, cf. notamment E, Gragsser, Das Problem der Parusieverzdgerung in
den synoptischen Evangelien und in der Apostelgeschichte?, Berlin 1977 ; A. STROBEL, Unter-
suchungen zum eschatologischen Verzégerungsproblem auf Grund der spajtidischen-urchristli-
chen Geschichte von Habakuk 2, 2 ff. = Suppl. to « Novum Testamentum »*, Leiden 1961.16 ADALBERTO GIOVANNINI
épitre de Pierre (4, 7) la seconde épitre de Pierre (3, 1-10) et ailleurs. Ces textes
sont postérieurs a la persécution de Néron, mais ils expriment une conviction
qui devait étre encore plus profonde chez les chrétiens de la premiére généra-
tion : le retour du Fils de "Homme était imminent et tous attendaient le signe
annonciateur de sa venue.
Un incendie est toujours un événement impressionnant qui attire et fascine la
foule. L’incendie de toute une ville est un spectacle terrifiant et hallucinant,
spectacle que nous pouvons imaginer en lisant des témoignages de témoins
oculaires comme Pepys, Schleiden ou les rescapés de l’incendie de Tokyo, ou
les reconstitutions de romanciers comme Tolstoi dans Guerre et Paix ou
Sienkiewicz dans Quo Vadis. Lobservateur extérieur voit bien entendu surtout
les flammes qui, la nuit, embrasent le ciel sur une grande étendue : l’embra-
sement de celui de Tokyo, par exemple, était visible 4 160 km‘’. Au niveau du
sol, impression premiére des habitants atteints par l’incendie est l’obscurcis-
sement total du ciel par la fumée : les rescapés de l’incendie de Tokyo gardent
tous ce souvenir d’une nuit noire qui s’est abattue sur eux avec un vacarme
assourdissant**. Autre phénoméne caractéristique, de grande beauté mais
meurtrier : les flamméches emportées par le vent qui retombent comme une
pluie d’étincelles. Pepys le souligne dans son journal du 2 septembre : « With
own’s face in the wind you were almost burned with a shower of firedrops
—this is very true— so as houses were burned by these drops and flakes of
fire ». Nous trouvons une description plus détaillée de ce feu d’artifice dévas-
tateur dans le récit de l’incendie de Tokyo : des tourbillons ascendants pro-
voqués par l’incendie soulevaient a une trés grande altitude, jusqu’a 8 000 m, des
matériaux enflammés qui retombaient ensuite en pluie sur le sol. Pluie d’étin-
celles, dans une obscurité presque totale, tel est le souvenir que gardent les
survivants de la population directement touchée par la catastrophe.
Or, cette image correspond parfaitement 4 la description de la fin des temps
selon les Evangiles synoptiques et les Actes des Apétres. Reprenant la pro-
phétie d’Isaie (13, 9-10 et 34, 4), Jésus annonce ainsi le retour du Fils de
Homme : « Aussit6t aprés la détresse de ces temps-la, le soleil s’obscurcira, la
lune perdra son éclat, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux
seront ébranlées® », L’apdtre Pierre utilise une image semblable dans les Actes
(2, 19 sq.) : « le soleil se changera en ténébres et la lune en sang ». Pour un juif
qui connait la prophétie d’Isaie et qui croit que le Christ est le Messie attendu,
qui attend avec impatience son retour, l’incendie d’une grande ville présente
assez exactement les caractéristiques de l’annonce de la fin des temps : les
astres ne donnent plus leur lumiére et la pluie d’étincelles qui s’abat dans cette
obscurité ressemble fort A la chute des étoiles dont parlent le prophéte et les
57. N. Buscu- S. FLour, Midi moins deux, p. 125.
58. N, Buscu- S. FLour, op. cit., p. 78, 79, 95 et 96.
59. N. BUSCH- S, FLOUR, op. cit., p. 84-89, cf. aussi p. 96 sq,
60. Mt 24, 29; Me 13, 24; Le 21, 25, La traduction est celle de La Bible de Jérusalem.L’INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 17
Evangiles. Les chrétiens de Rome, ou du moins une partie d’entre eux, ont di
croire que l’incendie de la capitale était le signe qu’ils attendaient ; pour eux,
heure était enfin venue. Et ils ont di se conduire en conséquence.
Pour comprendre correctement le comportement des chrétiens de Rome
pendant et aprés l’incendie, il est essentiel de se rappeler ici qu’A cette époque
les chrétiens n’avaient aucune raison de craindre ou de hair le pouvoir impé-
rial. En tant que juifs de naissance ou convertis au judaisme, ils pouvaient
exercer librement leur culte grace aux priviléges que la loi romaine garan-
tissait A tous les juifs de toutes sectes. L’Empire garantissait la paix et la
stabilité qui étaient nécessaires a la diffusion de l’Evangile. Le gouvernement
s’était jusqu’alors montré plutét bienveillant 4 l’égard des apdtres, il les avait
méme protégés contre Vhostilité des juifs qui refusaient de croire 4 la résurrec-
tion du Christ. Jusqu’alors, les chrétiens avaient pu sans hypocrisie obéir au
principe qu’il fallait rendre 4 César ce qui était 4 César et A Dieu ce qui était 4
Dieu ; ils avaient pu sans hypocrisie prier pour un pouvoir qui effectivement les
protégeait dans une certaine mesure contre leurs ennemis. Ils n’avaient donc
pas de raison de souhaiter pour elle-méme la chute de 1’Empire, ils n’avaient
pas de raison de se réjouir de la destruction de la capitale, de ses temples et de
ses palais comme l’écrit Ernest Renan dans L'Antéchrist (p. 154 sq.). Vessen-
tiel pour eux, ce n’était pas l’incendie lui-méme avec ses conséquences maté-
Tielles, mais sa signification eschatologique, 4 savoir le retour qu’ils croyaient
imminent du Fils de l’Homme.
La réaction des chrétiens de Rome au moment de l’incendie a donc di étre
une réaction joyeuse, une expression spontanée de leur foi et de leur espérance
enfin réalisées. Ils se seront exprimés par des chants et des priéres en commun,
non pas cachés dans les catacombes comme le décrit Sienkiewicz dans Quo
Vadis, mais ouvertement comme le prescrit l’Evangile de Luc (21, 28);
« Lorsque cela commencera a arriver, redressez-vous et relevez la téte, car votre
délivrance est proche ». Surtout, surtout, ils ont di proclamer leur foi en exhor-
tant leur entourage a se convertir pendant qu’il en était encore temps. Le pro-
sélytisme intense, urgent, qui caractérise Pévangélisation des premiers temps*',
a di devenir en cette circonstance plus intense encore.
Ce, sont ces manifestations de joie et cette satisfaction intense de ce qu’ils
croyaient étre la derniére heure qui aura révélé a l’opinion publique et au
pouvoir politique que les disciples du Christ n’étaient pas simplement une secte
juive parmi d’autres. C’est alors qu’on a di prendre conscience de ce que,
parmi les nombreuses superstitions et philosophies qui se pratiquaient a Rome,
le christianisme constituait une espéce A part, fondamentalement différente de
toutes les autres. Un incident survenu lors de incendie de Tokyo nous aide &
nous représenter concrétement ce qui a dii se passer : l’arrestation et l’exécution
61. Cf. en dernier lieu F, Bovon, Pratiques missionnaires et communication de l'Evangile
dans le christianisme primitif, in Rev. de Théol, et de Phil,, t. 114, 1982, p. 369-381, surtout 376
sq.18 ADALBERTO GIOVANNINI
sommaire de l’anarchiste Osuki, qui se fit remarquer pendant l’incendie par des
discours révolutionnaires et fut mis 4 mort par un officier pour ce motif®. Il
suffit que quelques chrétiens se soient fait remarquer de la méme fagon
qu’Osuki par une prédication qui devait paraitre révolutionnaire dans cette
circonstance, pour expliquer Vhostilité de la population a leur égard. Alors que
tout le monde, sauf les pillards, se désolait de ce qu’il avait perdu ou risquait de
perdre dans le désastre, les chrétiens, par leurs hymnes et leur prosélytisme,
donnaient Pimpression qu’ils se désintéressaient ou méme se réjouissaient du
malheur des autres, annongant de surcroit |’avénement d’un monde nouveau et
meilleur. Dans une situation ot toute action, tout attroupement, toute parole,
peuvent éveiller des soupgons®, l’attitude des chrétiens aura été interprétée
comme une joie mauvaise, comme l’expression de leur haine contre l’ordre
établi. De 1a a les accuser d’avoir allumé cet incendie qui les réjouissait, il n’y
avait qu’un pas que l’opinion publique et le gouvernement n’ont eu sans doute
aucune peine a franchir. Comme le dit Tacite, on arréta d’abord ceux qui pro-
clamaient leur foi (gui fatebantur), lesquels, sans se douter de rien, donnérent
les noms de leurs coreligionnaires.
Ce n’est donc pas pas hasard que la responsabilité de incendie de Rome a
été imputée aux chrétiens et a eux seuls. Ce n’est pas l’arbitraire d’un despote
cruel qui leur a valu d’étre accusés de ce crime et de subir les atroces supplices
réservés aux incendiaires. Ils ont été trahis par leur impatience bien compréhen-
sible de voir revenir le Fils de Homme et par leur empressement & convertir
leur entourage pendant qu’il en était encore temps. La persécution des
chrétiens sous Néron est la conséquence d’une tragique méprise.
4, L’« Institutum Neronianum »
Nous pouvons maintenant reprendre le probléme juridique de la persécution
contre les chrétiens; les données sont simples, la solution difficile : en 64, les
chrétiens de Rome sont arrétés et mis 4 mort pour un délit précis, l’incendie de
Rome; cinquante ans plus tard, l’appartenance 4 la religion chrétienne est
punissable de mort dans tout l’Empire, indépendamment de tout acte répréhen-
sible concret. Comment est-on passé de l’un a l’autre ? Nous ne connaissons
aucun édit impérial, aucun décret étendant 4 tout Empire l’interdit contre les
chrétiens. Il n’y a pas trace non plus d’une persécution systématique des
chrétiens dans l’ensemble de Empire entre le régne de Néron et celui de
Trajan. Nous en sommes réduits aux hypothéses.
On oublie trop souvent, dans cette affaire, qu’au premier siécle de notre ére
les empereurs ne possédaient pas encore, dans le domaine de la juridiction,
62, N. BuscH- S. FLour, Midi moins deux, p. 172 sq.
63. Ce climat de suspicion est trés bien mis en relief par C.H. SCHLEIDEN dans son récit de
Vincendie de Hambourg (Versuch einer Geschichte, p. 170-180).L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 19
Vautorité absolue qui devint la leur dans les siécles suivants®. A l’époque de
Néron et des Flaviens, Empire était encore géré selon le principe de repartition
des taches mis en place par Auguste en 27 et en 23 av. J.-C. : le Sénat et les
magistrats républicains administraient I’Italie et tes provinces civiles ; lempe-
reur assumait, par délégation du Sénat, le gouvernement des provinces mili-
taires. En outre, le prince avait, au cours du temps, regu du Sénat plusieurs
responsabilités, telles la gestion de la wicesima hereditatum qui alimentait le
trésor militaire, la cura annonae ou la lutte contre les incendies. La juridiction
de ’'empereur découlait de son autorité sur les provinces militaires et des res-
ponsabilités qu’il avait assumées®, Il était l’instance de recours contre des
décisions prises par ses légats, ses procurateurs ou ses préfets. Il n’était pas
compétent, en revanche, pour la juridiction civile et pénale en Italie et dans les
provinces sénatoriales. Celle-ci relevait, en Italie, des préteurs, des quaestores
et du Sénat, dans les provinces des gouverneurs envoyés par le Sénat. Les
empereurs julio-claudiens, 4 l’exception de Claude qui exerga volontiers le réle
de censeur (Tac., Ann. 11, 13), et les Flaviens furent dans l'ensemble trés
attentifs 4 respecter les prérogatives du Sénat en matiére judiciaire. Néron, en
particulier, s’y engagea solennellement au début de son régne®™ et nous n’avons
pas de raison de penser qu’il ait manqué a sa parole®’,
La lutte contre les incendies 4 Rome relevait, depuis I’an 6 de notre ére, de la
compétence de l’empereur (Dio Cassius, 55, 26, 4-5). Il appartenait au préfet
des vigiles nommé par l’empereur ou, dans les cas graves, au préfet de la ville
de poursuivre et de chatier les incendiaires (PAUL, Dig. 1, 15, 3). C’est donc,
64, Pour ce qui suit, cf. l'excellente étude de J. BLEICKEN, Senatsgericht und Kaisergericht.
Eine Studie zur Entwicklung des Prozessrechtes im friihen Prinzipat, Abh. Ak. Wiss, Gétt.,
phil.-hist. Kl, fase. 53, 1962, dont on regrettera seulement qu'il ne traite pas du tout de la
persécution des chrétiens en 64, Les manuels n’insistent malheureusement pas assez sur cette
répartition des fonctions et le maintien des prérogatives du sénat et des magistrats républicains
dans le domaine civil. C’est le cas notamment des ouvrages, trés bons par ailleurs, de J.
Gaupemer, Institutions de V'Antiquité, Paris 1967, p. 451 sq. et de E. MEYER, Rémischer Staat
und Staatsgedanke', Ziirich 1975, pp. 361 sqq
65. J, BLEICKEN, op. cit., p. 69, I’a trés bien compris.
66. Tac., Ann. 13, 4, 2: «discretam domum et rem publicam, teneret antiqua munia senatus,
consulum tribunalibus Italia et publicae prouinciae assisterent ; illi patrum aditum praeberent, se
mandatis exercitibus consulturum. »
67. J. BLEICKEN, op. cit., p. 178 sq. voit dans le procés de apdtre Paul une preuve que sous
Néron le tribunal impérial est devenu instance judiciaire pour tout l’empire. Mais en réalité la
Judée était alors province impériale sous le gouvernement d’un procurateur, de sorte que l'appel
de Paul a lempereur n’est qu’une application supplémentaire du principe de la répartition des
compétences. Des trois autres procés que Néron semble avoir mené personnellement (J. BLEIC-
KEN, op. cil, p.115 sq.) deux concernaient des gens de sa maison (Tac., Ann. 13, 23,
1-2 = Brutus et Pallas; Tac, Ann, 14, 62, 2-4= Anicetus, préfet de la flotie), tandis que le
troisiéme est le célébre procés des conjurés de 65, ol Néron était bien entendu intéressé au
premier chef (Tac. Ann. 15, 55 sqq.). Il n’est du reste pas du tout certain que les conjurés aient
été condamnés par le tribunal impérial (on remarquera que la méme année deux conjurés ont été
condamnés par le Sénat et un troisiéme par Pempereur a la demande expresse du Sénat : cf.
Tac., Ann, 16, 9, 1).20 ADALBERTO GIOVANNINI
comme le dit Tacite, Néron ou plutét un préfet nommé par Néron qui a mené
Lenquéte contre les chrétiens aprés incendie de Rome, s’est convaincu de leur
culpabilité et les a fait mettre 4 mort dans les supplices prévus pour les incen-
diaires. Mais empereur ne peut pas avoir promulgué un édit contre les
chrétiens pour l’ensemble de l’Empire, il ne peut pas avoir ordonné une persé-
cution générale des chrétiens dans l'ensemble de Empire, parce qu’a cette
époque il n’en avait pas la compétence. Les dispositions générales visant a la
sécurité et a l’ordre public ne relevaient pas de l’empereur, mais du Sénat. C’est
le Sénat qui avait compétence pour autoriser ou interdire telle ou telle associa-
tion®, C’est le Sénat qui, en 19, a décidé l’expulsion des juifs et I’interdiction
de leur culte en Italie (TAc., Ann. 2, 85, 4). Le Sénat a de la méme maniére
ordonné l’expulsion des histrions en 23, a la suite de plaintes répétées des
préteurs (TAC., Ann. 4, 14, 3) ; il a rappelé la population de Rome 4 l’ordre en
32 aprés avoir regu un blame de Tibére (Tac., Ann. 6, 13) ; il a ordonné en 59
la dissolution des collegia illégaux de Pompéi, a la suite de troubles graves
survenus dans cette ville ; en 69 enfin il a adressé un blame 4 la colonie de
Sena qui avait maltraité un de ses membres (TAC., Hist. 4, 45). Par analogie, le
Sénat a di tirer les conséquences de la condamnation des chrétiens de Rome
comme incendiaires : il ne pouvait tolérer l’existence d’une association dont les
membres étaient capables de mettre le feu a une ville. Nous pouvons étre
certains que de sa propre initiative ou plus probablement 4 la demande de
Néron le Sénat a décrété un interdit général contre les chrétiens analogue 4
Vinterdit contre les Bacchanales en 186 av. J.-C. ou Vinterdit contre les juifs
sous le régne de Tibére. Ce sénatus-consulte contre les chrétiens était proba-
blement formulé en des termes trés généraux que Tacite, qui devait certaine-
ment le connaitre, a résumés par les termes odium humani generis, exitiabilis
superstitio et sontes et nouissima exempla meriti. Tacite, en bon sénateur,
condamne la mise a mort des chrétiens par Néron en les affirmant innocents
du crime qui leur fut alors reproché, mais en méme temps il ne peut qu’approu-
ver une décision prise par ses pairs; si, en 64, le Sénat a interdit les chrétiens
comme ennemis du genre humain, il avait évidemment des raisons sérieuses de
le faire.
A partir de 1a, la diffusion de l’interdit dans l’ensemble de ’empire s’explique
trés facilement. D’abord le sénatus-consulte fut publié en Italie sous forme d’un
édit des consuls semblable a celui qu’ils promulguérent contre les Bacchanales :
ne quis coisse aut conuenisse uelit™. Le verbe coire est un terme technique du
68. Cf. p. ex. CIL XIV, 168: «corpus fabrum naualium Ostiensium quibus ex s.c. coire
licet. » L’inscription est du 2° siécle de notre ére.
69. Tac., Ann. 14, 17, 2 : «cuius rei iudicium princeps senatui, senatus consulibus perm
Cette phrase peut donner a penser que Néron a délégué au sénat une décision qui relevait de
Pautorité impériale, En fait, Pempereur a probablement été sollicité dintervenir et a tenu A
respecter les prérogatives du Sénat comme il avait promis.
70, Cf. Liv. 39, 14, 7: «edici praeterea in urbe Roma et per totam Italiam edicta mitti, ne
quis, qui Bacchis initiatus esset, coisse aut conuenisse sacrorum causa uelit neu quid talis reiL’INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 21
droit d’association”, Tertullien l’emploie dans son Apologétique pour expliquer
le caractére des réunions des chrétiens!*, Cet édit ne fut pas nécessairement
suivi d’une persécution systématique des chrétiens d’Italie : il est méme peu
vraisemblable qu’une telle persécution ait eu lieu ; ’interdit promulgué en 19
contre les juifs qui comportait lui aussi l’interdiction d’association, ne fut
évidemment pas appliqué rigoureusement, puisqu’au début du régne de Claude
ils étaient de nouveau trés nombreux & Rome. Les associations expressément
interdites devaient étre assez nombreuses, mais le pouvoir ne sévissait active-
ment contre elles que lors de troubles ou de danger : c’est ce que fit notamment
le Sénat en 59 4 Pompéi.
Dans les provinces sénatoriales, i] appartenait aux gouverneurs de prendre
les dispositions nécessaires pour faire régner l’ordre et la paix dans leur
province. A leur entrée en fonction ils promulguaient un édit qui concernait
principalement la juridiction civile, mais qui comportait aussi des prescriptions
relevant du droit public’. Cicéron nous explique comment il a rédigé le sien” :
il a repris pour essentiel ’édit de son prédécesseur, lequel était calqué, pour le
droit civil, sur édit du préteur urbain ; il y a ajouté certaines dispositions qui
lui paraissaient nécessaires, en particulier une limitation sévére de l’envoi de
legationes 4 Rome (Fam. 3, 8, 4 : edixi ne quis iniussu meo proficisceretur). De
méme Pline le Jeune porta dans son édit, sur instruction de Trajan puisqu’il
était son mandataire, l’interdit contre les hétairies (Ep. 10, 96, 7): edictum
meum, quo... hetoerias esse uetueram). C’est donc tout naturellement qu’aprés
la décision du Sénat dinterdire les chrétiens en Italie, les gouverneurs des
provinces sénatoriales auront inséré dans leur édit l’interdit contre les chrétiens
sous la forme ne quis coisse aut conuenisse uelit, sans autre explication. Ils
Vauront fait automatiquement, sans prendre de mesures particuliéres pour
éliminer une secte qui devait leur paraitre bien peu importante. Par la suite, les
gouverneurs successifs auront tout aussi automatiquement repris cet interdit
dans leur édit. Les gouverneurs des provinces impériales auront fait de méme,
peut-étre avec l'accord exprés de l’empereur. Par ce mécanisme, les chrétiens
se sont bientét vus interdits dans toutes les provinces de l’Empire ; par l’inter-
médiaire des édits des gouverneurs tout le monde a bientét su, dans |’Empire,
que les chrétiens étaient interdits sous peine de mort, mais sans savoir au juste
pourquoi, puisque ces édits ne le disaient pas.
inae fecisse. » C’est aussi par un édit des consuls qu’en 32 la popu
Store (Tac., Ann. 6, 13, 2: «neque segnius consules edixere »).
71. Voir p. ex. Pinscription CIL XIV, 168 citée supra, n, 68.
72. Apol. 39, 2-3: «Coimus in coetum et congregationem, ut ad Deum quasi manu facto
precationibus ambiamus... coimus ad litterarum diuinarum commemorationem. »
73, Sur Pedictum prouinciale voit notamment L. WENGER, Die Quellen des rémischen
Rechts, Wien 1953, p. 411 sqq. 3 J. GAUDEMET, Insiltutions de 'Antiquité, Paris 1967, p. 574
sqq.
74, Cicy Att. 6 1, 15 et 5,21, 11; Fam. 3, 8, 4. Cf. D. Macie, Roman Ryle in Asia Minor,
Princeton 1950, tI, p. 390 sq.
ion de Rome fut rappelée22 ADALBERTO GIOVANNINI
Ce n’est pas par la volonté délibérée d’un empereur, mais par un banal pr
cessus de la routine administrative que les chrétiens, aprés avoir été accusés a
tort @avoir mis le feu A Rome en 64, sont devenus des hors-la-loi dans tout
YEmpire romain,
Conclusion
En définitive, notre reconstitution des événements pendant et aprés ’incendie
de Rome ne diverge de la version de Tacite que sur la question, il est vrai essen-
tielle, du réle de Néron dans cette affaire. Alors que l’historien insinue, sans
toutefois Paffirmer directement, que Néron fit condamner les chrétiens parce
que la population le soupgonnait lui, ’empereur, d’avoir ordonné !’incendie, les
réactions de l’opinion publique dans d’autres grands incendies semblables et la
popularité de Néron auprés de la plébe urbaine de Rome montrent que cette
version n’est pas plausible : la foule a sans doute accusé |’empereur de négli-
gence ou méme d’insouciance, comme cela est arrivé 4 Londres en 1666, mais
elle n’a certainement pas cru sérieusement que c’était lui l’incendiaire.
Pour le reste, le récit de Tacite se trouve parfaitement confirmé, complété et
expliqué par les temoignages recueillis lors des autres grands incendies consi-
dérés, Bien que tous ces incendies soient évidemment accidentels, la foule
cherche toujours et avec acharnement des boucs émissaires. Exaspérée et terro-
risée par la fumée, le crépitement assourdissant du brasier et les flamméches
meurtriéres qui s’abattent sur elle, préoccupée d’assurer sa survie et de sauver
ses biens, la population voit des incendiaires partout, incapable qu’elle est de
faire la différence entre des pillards et des sauveteurs qui abattent les maisons
pour combattre l’incendie. Par un besoin vital de défoulement, elle s’en prend a
des « étrangers » qu’elle agresse violemment et parfois massacre. Il est extré-
mement dangereux, dans un tel contexte, de se manifester ou de se montrer
différent de quelque maniére que ce soit, comme le montre |’exécution
sommaire de l’anarchiste Osuki lors de V’incendie de Tokyo de 1923. Si
vraiment certains chrétiens, croyant reconnaitre dans l’incendie de Rome le
signe annonciateur du retour du Christ, ont laissé voir leur joie ou se sont mis 4
faire de la prédication intensive pour convertir leur entourage avant qu’il ne
soit trop tard, ce prosélytisme inopportun suffit 4 expliquer leur arrestation et
leur mise 4 mort. Leur prédiction d'un ordre nouveau, anodine en d’autres cir-
constances, a dd étre interprétée alors comme une joie mauvaise devant le
malheur des autres et les aura désignés comme les auteurs probables de la
catastrophe. Conformément a ce que dit Tacite, c’est ’empereur, ou plutét un
de ces mandataires, qui a mené I’enquéte contre les chrétiens parce qu’il lui
incombait de combattre les incendies dans la capitale et de chatier les incen-
diaires. On arréta d’abord ceux qui s’étaient fait remarquer par leur prosély-
tisme (qui fatebantur), lesquels donnérent sans se douter de ce qui les attendait
les noms de leurs coreligionnaires. Aprés enquéte, l’empereur se convainquit de
leur culpabilité et les fit mettre 4 mort, en leur infligeant les peines particu-L'INCENDIE DE ROME ET LES CHRETIENS 23
liérement cruelles réservées aux incendiaires. A la suite de cette condamnation,
le Senat, peut-étre sollicité par Néron, conclut de cette affaire que les chrétiens
constituaient une secte malfaisante et dangereuse pour l’ordre public, jugea
qu'il fallait 'interdire et invita les consuls 4 promulguer un édit dans ce sens.
Les jugements trés négatifs de Tacite, de Pline et de Suétone sur les chrétiens
montrent qu’ils connaissaient ce sénatus-consulte et !’approuvaient. Les for-
mules odium humani generis, exitiabilis superstitio et sontes et noua exempla
meriti rendent probablement !’esprit, sinon la lettre, de cet acte officiel du Sénat
qu’un bon sénateur comme Tacite ne pouvait qu’approuver.
Membre d’une classe sénatoriale qui détestait Néron comme elle a du reste
détesté presque tous les empereurs du premier siécle, Tacite fait ce qu’il peut
pour discréditer cet empereur aux yeux de la postérité. Mais il est en méme
temps un historien sérieux qui s’applique 4 rapporter fidélement les faits,
donnant ainsi a son lecteur une chance de découvrir la vérité s’i! sait échapper
au piége des insinuations diffamatoires.
Adalberto GIOVANNINI
Université de Genéve
Résumé : Tacite laisse entendre que Néron fit arréter et mettre 4 mort les chrétiens, aprés
Pincendie de Rome, parce qu’on ’accusait d’étre auteur de l’incendie. En fait, cette persécution
s'explique par le besoin, observé en des circonstances analogues, qu’éprouve la foule de trouver
des boucs émissaires ; et son acharnement s’accrut face au prosélytisme manifesté par les
chrétiens, qui voyaient dans la catastrophe un’signe annonciateur du Retour du Christ.Revue des Etudes Augustiniennes 30 (1984) 24-29
Tres vidit, unum adoravit,
formule trinitaire
Dans la tradition patristique depuis le quatriéme sigcle, le récit de Gen.
18,1 ss. — le Seigneur lui-méme se présente a Abraham sous forme d’homme,
accompagné de deux autres personnes — est expliqué comme une préfiguration
vétérotestamentaire de la Trinité. La Bible dit expressément que, trois per-
sonnes s’approchant, Abraham ne s’adresse qu’a l’une d’elles, un fait qui n’a
pas échappé aux exégétes. Dans la littérature chrétienne c’est notamment
Ambroise qui a été le premier 4 expliquer cette scéne biblique, méme 4
plusieurs reprises, comme un symbole de l’unité de Dieu qui se manifeste en
trois personnes, de sorte qu’il est en effet amené a y voir une préfiguration du
mystere de la Trinité, explication qui a eu de multiples échos. Il convient de
remarquer que cet écrivain chrétien, pour illustrer ce mystére de la foi, pouvait
faire usage de certains passages dans les écrits de Philon, qui est bien connu
pour son gotit de l’allégorie. Cet écrivain, souvent exploité par Ambroise, qui
sayait bien le grec, avait dans son traité De Abrahamo présenté une allégo-
risation des trois hétes d’Abraham!. Celui qui est au milieu est le nathp tOv
5iov, les deux autres représentent ses qualités les plus anciennes et les plus
proches, sa puissance créatrice et son pouvoir royal (fh pév nomntixt, 4 8 al
Bacwixn). Celui qui se tient au milieu, c’est 6 Ov, Celui qui Est, qui ne peut
étre contemplé que par |’Ame initiée, les autres sont désignés par les hommes au
moyen des termes Qedc et K0pioc, puisque c’est dans sa puissance créatrice et
royale (i xtifov # dpxov) que Celui qui Est se manifeste. Cependant, les termes
au moyen desquels les hommes désignent Dieu ne sont inévitablement, selon
Philon, qu’une catachrése. Au moyen de mots nécessairement insuffisants on
essaie de s’approcher de la vérité. L’exégete juif fait A ce propos une compa-
raison avec un objet qui, placé a la lumiére, est accompagné quelquefois d’une
double ombre : I’ame « saisit une triple vision d’un seul objet, l’objet lui-méme
1, 24, 119-121, Cohn-Wendland, éd, min. IV, p. 23 ; J. Gorez, De Abrahamo (Les uvres
de Philon d’Alexandrie 20), Paris 1966, p. 72-73.UNE FORMULE TRINITAIRE CHEZ LES PERES 25
comme réalité, et, d’autre part, comme deux ombres qui rayonneraient a partir
de lui: c’est quelque chose de semblable qui arrive a ceux qui vivent dans la
lumiére accessible aux sens. Stables ou en mouvement, les choses projettent
souvent deux ombres en méme temps. Toutefois, qu’on n’aille pas croire que,
s’agissant de Dieu, ‘les ombres’ soient le mot propre. C’est un abus du terme,
et seulement pour une mise en évidence plus claire du fait en cours d’expli
cation, puisque la vérité n’est pas cela» (traduction J. Gorez): tpittiv
gavtaciav évdg broxKeiévon petadapBavel, tod pév o> Svtos, tv SdAAOV
bvoiv dg Gv dnavyatopévov dnd tobtov oKidv: droiév tt ovuBatver Kai ToIg
av aictyt gori StazpiBovow: # yap éotdtwv # KIvovLEévaY Sirtai oKIG!
noAraKig ovvepnintovot, Mi wévtor vowiodtm tig ami tag oKidg KUptO-
xoyetobar Katéypyaig dvéuatds dott pdvov npdc avapyeotépav Eugacrw tod
SnAovpévov nptypatog:
Dans les ceuvres de Philon on trouve un autre texte ou l’apparition des trois
hommes 4 Abraham a été expliquée comme une apparition de Dieu qui,
accompagné de ses puissances créatrice et royale, se manifeste a travers elles :
Quaestiones in Genesin IV 2, texte que nous ne connaissons qu’en arménien.
“Dans Ja traduction latine qu’Aucher en a faite le passage en question se pré-
sente comme suit :
« Naturalius utique eis, qui cernere possunt, repraesentat, quod et unum tres esse
licuit, et tres unum, eo quod sunt secundum rationem supernam. Verum una cum
primis virtutibus annumeratus, creativa nimirum et regia, trinam apparitionem operatur
intellectui humano, Is enim nequit tam acutus esse visu, ut illum qui superat virtutes
sibi assistentes, velut distinctum deum videre possit. Ut ergo intueretur deum, una cum
illo exsistentes apparent et virtutes ministrae, ae si pro uno triadis apparitionem faceret.
Nam quando intellectus incipiat accipere certam apprehensionem de ente, illuc et ipse
pervenisse intelligitur, singularem se reddens, atque ut primus et princeps apparens :
‘quem, ut paulo ante dixi, sine ullius societate videre non poterat (Abraham vel animus),
nisi cum iis, quae cum illo exsistunt ilico virtutes primae, creativa, quae vocatur deus,
et regia, quae dominus appellatur?. »
Dans la littérature chrétienne c’est Origéne, semble-t-il, qui, dans une
homélie exégétique sur la Genése, est le premier a accentuer le contraste entre
la rencontre des trois par Abraham et le fait qu’il ne s’adresse qu’a I’un d’eux. Il
ne s’y arréte d’ailleurs que briévement et s’étend surtout sur le symbolisme du
lavement des pieds des hétes d’Abraham’. C’est peut-étre sous l’inspiration de
2. Cf. ibid. IV, 4 (traduction latine d’Aucher) ; Nunc magis liberis oculis et lucidiore visu
certus redditur intellectus de visione, non pervagans vel aberrans numero trino et quantitate
multitudinis eo violenter attractus, sed currens ad unum : quique apparere se fecit sine virtutibus
adsistentibus ; atque ita clarissime intuitus unitatem, ut prius trinitatis similitudinem genere
noverat.
3. In Gen. Hom. 4,2, Gr. Chr. Schr. 29, éd. W.A. Baehrens, p. 52 ; Sources Chrét. 7 éd.
C. Doutreleau, p. 148, Les Homiliae in Genesin datent probablement de la quatriéme décennie
du m! siécle (cf. Sources Chrét. 7 bis, p. 13).26 GJM. BARTELINK
Philon, qui avait justement relevé ce contraste, qu’il est amené A le souligner :
« Nec tamen latet sapientem quos susceperit. Tribus occurrit et unum adorat et
ad unum loquitur dicens : Declina ad puerum tuum et refrigera te sub arbore »
(Gen. 18, 3-4; traduction latine des homélies de la main de Jérdme),
Novatien, comme d’autres avant lui et pendant plus d’un siécle aprés lui, a
considéré cette théophanie vétérotestamentaire comme une apparition du Fils
de Dieu accompagné de deux anges. Bien que, tout comme Origéne, il exploite
le comportement surprenant d’Abraham, on ne trouve pas encore chez lui Vidée
qu'il s‘agirait ici d’une préfiguration de la Trinité : « Dei Filius, qui et Deus est,
Abrahae visus et hospitio receptus esse crederetur » (De trinitate 18, 13)*; et
ibid. 18, 11 «et nihilo minus, cum tres conspexisset viros, unum ex illis
dominum nuncupasse ».
De méme, dans son traité sur la Trinité, Hilaire de Poitiers ne manque pas de
mentionner qu’Abraham voyant les trois hommes s’approcher n’adore qu’un
seul d’eux. Ici se trouve pour la premiére fois a ce propos l’opposition « voir
-adorer » qui est devenue célébre dans la formule tres vidit, unum adorauit :
«Dehinc postea adsistunt viri tres, Abraham conspectis tribus unum adorat et
Dominum confitetur. Scribtura adstitisse viros tres edidit, sed patriarcha non ignorat
qui et adorandus sit et confitendus, Indiscreta adsistentium species est, sed ille Domi-
num suum fidei oculis et visu mentis agnovit®. »
Grégoire d’Elvire, qui est 4 peu prés contemporain d’Hilaire (deuxiéme
moitié du quatriéme siécle), voit dans l’apparition des trois hommes la venue
du Seigneur accompagné de Moise et d’Elie, exégése qu’on peut trouver aussi
ailleurs: «Quod tres viros dicit Abraham ad se venisse, at unum ex his
adoravit®, » C’est Ambroise qui plusieurs fois décrit cette théophanie expres-
sément comme préfiguration de la Trinité. Il n’est pas téméraire de supposer
d’une part qu’il a connu le texte d’Origéne cité plus haut et que la formulation
origénienne est a la base de la sienne, et qu’il s’est inspiré d’autre part du texte
de Philon dont nous avons déja parlé. D’abord il y a ce passage dans le
De excessu fratris’ :
« Abraham paratus hospitibus, fidelis deo, impiger mysterio, promptus officio trini-
tatem in typo vidit, hospitalitatem religione aemulavit, tres suscipiens, unum adorans,
et personarum distinctione servata unum tamen dominum nominabat, tribus honori-
ficentiam muneris deferens et unam significans potestatem, Loquebatur enim in eo non
doctrina, sed gratia, et melius credebat ille, quod non didicerat quam nos qui discimus.
Nemo enim typum falsaverat veritatis et ideo tres videt, sed unitatem veneratur, »
4, Bd. G.F. Diercks, Corp. Chr. Ser, Lat. 4, p.46, Cf. TERTULLIEN, Adv. Marc. 3, 9, 6:
Ideoque et ipse cum angelis tunc apud Abraham in veritate quidem carnis apparuit.
5. De trinitate 4, 25, éd. P. Smulders, C, 62, p. 128.
6. Tractatus Origenis 2, 10, éd. V. Bulhart, C.C.S.L. 69, p. 14.
7. 2, 96, C.S.E.L. 73, éd, O. Faller, p. 302.UNE FORMULE TRINITAIRE CHEZ LES PERES 27
Ambroise souligne que cette théophanie de l’Ancien Testament contient déja
la révélation d’un mystére de la foi chrétienne : « Vide primum fidei mysterium.
Deus illi adparuit, et tres aspexit, Cui deus refulget trinitatem videt. Non sine
filio patrem suscipit nec sine sancto spiritu filium confitetur*. » L’apparition de
trois hommes 4 Abraham et en méme temps la présence d’un seul Dieu est pour
lui la preuve que déja avant la venue du Christ sur la terre certains grands
hommes furent éclairés par Dieu afin qu’ils connaissent le mystére que dans le
seul Dieu il y avait trois personnes : «Sed nec Abraham ignoravit spiritum
sanctum ; denique tres vidit et unum adoravit, quia unus deus, unus est
dominus et unus spiritus’. » C’est avec une certaine prédilection qu’Ambroise
s’est servi de cette formule prégnante qu’il emploie aussi dans le De fide et
dans le De Cain et Abel: « Abraham quoque tres vidit et unum adoravit ; tres
videt, unum adorat’®. »
On peut s’étonner qu’une formule qui par sa concision semble étre destinge a
un succés durable, n’ait plus guére été reprise aprés Ambroise. Il faut relever
pourtant un texte de saint Augustin, qui sans aucun doute, l’a empruntée immé-
diatement 4 Ambroise. Dans son traité contre les Ariens", ou il veut défendre
la Trinité contre Maximin, il se sert de cette tournure, dans laquelle tant la
Trinité que l’unité de Dieu ont trouvé une expression si prégnante. Augustin
reléve que, tout en ayant mentionné le texte Hic Deus visus est Abrahae,
Maximin manque de relever le fait que selon !’Ecriture Abraham avait ren-
contré trois personnes. Et la raison pour laquelle Maximin prétendrait que ce
ne fit que le Fils qui était vu par Abraham, et qu’il ne parlerait pas de trois
hommes, c’est qu’il aurait voulu nier la Trinité. Le passage en question est
congu en ces termes :
« sicut unius erant substantiae tres viri quos vidit Abraham : cum praedixisset Scrip-
tura, Visus est Deus Abrahae, nec tamen tres deos esse, quia et, Visus est Deus, dictum
est ; non, visi sunt dii: et ipse Abraham ¢res vidit et unum adoravil : a quo praeteriri
noluit ; ab uno responsa divinitatis accepit'?. »
Selon saint Augustin il s’agit ici d’une apparition 4 Abraham de trois anges,
qui sont une manifestation du Dieu invisible, de méme que les deux anges qui
visitent Loth sont a interpréter comme une manifestation de Dieu. Augustin
8, De Abraham 1, 5, 33, C.S.E.L. 32, 1, éd. C. Schenkl, p. 527.
9. De spiritu sancto 2, Prol. 4, 29, C.S.E.L. 79, éd. O. Faller, p. 87.
10. Respectivement ; De/fide 1, 13, 80, C.S.E.L. 78, éd. O. Faller, p. 35 et De Cain et Abel, |,
30, CS.E.L. 32, 1, éd. C. Schenkl, p. 365.
11, Collatio cum Maximino Arianorum episcopo 2, c. 26, 7, PL 42, 809.
12, Lrantithése ‘res - unus par rapport & apparition @ Abraham figure chez Augusti= par
exemple aussi : Sermo De Vet, Test. 7, 6 (C.CS.L. 41, éd. C, Lambot, p. 74) : Tres apparuerunt,
et Abraham tamquam ad unum loquens dicit : Domine ; De trinitate 2, 10. 10 (C.C.S.L. 50. éd.
W. Mountain - F. Glorie, p. 106) ; attexit narrationem de rribus viris quos Abraham per pturalem
numerum invitat ut hospitio suscipiat ; et postea singulariter sicut unum alloguitur,28 GJ.M. BARTELINK
connait bien interprétation qui jusqu’é son époque était courante : il s’agirait
dune apparition du Seigneur accompagné de deux anges. La plupart des Péres
avant lui avaient vu dans les théophanies vétérotestamentaires des apparitions
du Fils de Dieu. Mais, comme Lebreton !’a bien démontré, la critique que saint
Augustin a faite de cette exégése a été décisive'. Augustin traite la question par
exemple dans les Quaestiones in Heptateuchum 1 (De Genesi 33)'* et le De Civ.
Dei 16, 29 : «quamvis quidam existiment unum in eis fuisse Dominum ‘Chris-
tum, asserentes eum etiam ante indumentum carnis fuisse visibilem. »
Augustin préfére Vinterprétation selon laquelle il s’agit de trois anges, tandis
que pour lui comme pour Ambroise la théophanie est un symbole de la Trinité :
« Quaeritur, cum tres viri essent qui ei adparuerunt, quomodo singulariter dominum
appellat dicens ; domine, si inveni gratiam ante te. An intellegebat unum ex eis domi-
num et alios angelos ? An potius in angelis dominum sentiens domino potius quam
angelis loqui elegit"’, »
Dans deux sermons inauthentiques, figurant dans un Appendix des ceuvres
de saint Augustin, on trouve la méme formulation que dans la traduction hiéro-
nymienne de l’homélie sur la Genése d’Origéne :
«a) In trium virorum persona maiestas incorporea descendit. Accurrit, properat,
manus supplices tendit, et transeuntium genua osculatur: Domine, ait, si inveni
gratiam coram te, ne transieris puerum tuum (Gen. 18,3), Videtis, Abraham tribus
occurrit, et unum adorat, Trina unitas, et una Trinitas. b) Tribus ergo occurrit
Abraham, et unum adorat. In eo autem quod tres vidit, sicut iam dictum est, Trinitatis
mysterium intellexit ; quod autem unum adoravit, in tribus personis unum Deum esse
cognovit!®, »
Depuis saint Augustin l’interprétation selon laquelle il s’agit d’une apparition
de trois anges est devenue courante. C’est ainsi, par exemple, qu’on trouve chez
Grégoire le Grand cette explication devenue désormais commune. Parfois,
dit-il, les anges apparaissent sous l’apparence d’hommes, mais ce ne sont que
des images prises de l’air de sorte que, pour un certain temps, ils forment un
corps constitué par l’air :
13, Voir Fr. DE BLACHERE, Saint Augustin et les Théophanies de l'Ancien Testament, Rev.
Augustinienne 3, 1902, p. 595-613; M. ScHMAUS, Die psychologische Trinitdislehre des hl.
‘Augustinus, Miinster in WE. 1927, p. 20-22; J. LEARETON, Saint Augustin, théologien de la
Trinité. Son exégése des théophanies, dans: Miscellanea Agostiniana2, Rome 1931,
p.821-836 ; F.L. Scunmp, De obumbratione Ss. Trinitatis in Vetere Testamento S, Augustini,
Diss. Mundelein (Illin,) 1942,
14, C.S.E.L. 28, 2, &d. J. Zycha, p. 19.
15. Ibid. p. 19.
16. Respectivement Appendix, Sermo 3 (PL 39, 1744) et Appendix, Sermo 5 (PL 39, 1748).UNE FORMULE TRINITAIRE CHEZ LES PERES 29
« Aliquando imaginibus et ante corporeos oculos ad tempus ex acre assumptis per
angelos loquitur Deus, sicut Abraham non solum tres viros videre potuit, sed etiam
habitaculo terreno suscipere, et non solum suscipere, sed corum usibus etiam cibos
adhibere (Gen, 18, 2ss.). Nisi enim Angeli, quaedam nobis interna nuntiantes ad
tempus ex aere corpora sumerent, exterioribus profecto nostris obtutibus non appa-
rerent ; nec cibos cum Abraham caperent, nisi propter nos solidum aliquid ex caelesti
elemento gestarent. Nec mirum quod illic ipsi qui suscepti sunt, modo angeli, modo
Dominus yocantur, quia angelorum vocabulo exprimuntur qui exterius ministrabant, et
appellatione Domini ostenditur qui cis interius praeerat, ut per hoc praesidentis
imperium, et per illud claresceret officium ministrantium'?, »
Tl semble que, dans les écrits plus tardifs, on ne trouve la formule tres vidit,
unum adoravit que sporadiquement. C’est ainsi qu’elle figure chez Isidore de
Séville, qui d’ailleurs mentionne aussi .l’exégése 4 peu prés disparue selon
laquelle c’est le Seigneur Lui-méme qui — accompagné de deux anges ou, selon
d'autres, de Moise et d’Elie — a visité Abraham : «In tribus autem viris qui
venerant ad illum, Domini Iesu Christi praenuntiabatur adventus, cum quo duo
angeli comitabantur, quos plerique Moysen et Eliam accipiunt... Quod vero
Abraham, tres videns, unum adoravit, Dominum scilicet Salvatorem ostendens
cuius etiam adventum est praestolatus'®, »
G.J.M. BARTELINK
Université Catholique de Nimégue
Résumé ; Le fait qu’Abraham ne s'adresse qu’a l'un des trois hommes qui le visitent (Gen. 18,
1s.) a amené les exégétes a expliquer cet épisode comme une manifestation de la Trinité. A ce
propos s'est constituée une formule lapidaire Tres uidit, unum adorauit, pour laquelle Ambroise
notamment a manifesté une prédilection, mais qui n’a pas eu un succés durable,
17. Voir F, Homes Duppen, Gregory the Great. His place in History and Thought 11, New
York 19672, p. 360 (Mor. 28, 3-9, PL 76, 450). Cf. Hom. in Evang. 18, 3(PL 76, 152A) : Tune
quippe diem Domini Abraham vidit, cum in figura summae Trinitatis tres arfgelos hospitio
suscepit : quibus profecto susceptis, sic tribus quasi uni locutus est, quia etsi in personis
numerus Trinitatis est in natura unitas divinitatis est.
18, IstDoRE DE SEVILLE, In Gen. 14, 5-6 (PL 83, 243 C-D).Revue des Etudes Augustiniennes 30 (1984) 30-35
Remarques sur le premier folio du manuscrit.
du De mortibus persecutorum*
Il n’est point question pour moi de refaire ici histoire de la découverte du
texte du manuscrit du De mortibus persecutorum, bien que ce que j’en ai écrit
en 1976 soit resté lettre morte pour le dernier traducteur de l’ouvrage, qui doit
beaucoup a Moreau! ; ce que je voudrais c’est faire un peu de critique textuelle
4 propos de quelques points du premier folio de l’ouvrage. Je rappellerai donc
seulement que le recto de ce folio est illisible dans ses premiéres lignes, sans
doute 4 la suite de son passage a l’acide par H. Omont a l’intention de Brandt
et de Pesenti; que les derniéres lignes sont presque évanescentes ayant été
délavées par quelque gouttiére; que la partie extérieure est par endroits
fortement mutilée du fait des injures du temps et des bétes qui pullulaient dans
le réduit of il fut découvert, par le temps et non 4 coups de ciseaux, comme on
s’obstine a le dire ; enfin que des taches et des trous de vers parsément le folio.
Ces dommages du temps se retrouvent au verso, mais bien moins considé-
rables, aussi n’entravent-ils pas trop la lecture. Cet état explique que bien
souvent les éditeurs, dont rares sont ceux qui ont vraiment vu le manuscrit
avant J. Moreau, se sont contentés soit de reprendre les legons de leurs prédé-
cesseurs, soit de formuler de nouvelles conjectures a partir de ces lecons. Or, je
viens d’obtenir récemment, grace a V’entremise de mon collégue et ami Louis
Holtz, une photographie a l’ultra-violet du recto du premier folio ; de plus, il a
bien voulu vérifier pour moi a la lampe a quartz les lectures du premier folio
recto et verso, lectures que je n’avais faites qu’a partir du manuscrit et de sa
* Texte d’une communication faite & Oxford le 9 septembre 1983 lors de Ia neuviéme confé-
rence internationale d'Etudes Patristiques. Aux éditions et traductions citées par J. Moreau,
Lactance, De la mort des persécuteurs, S.C. n° 39, Paris, 1954, p. 139-143, j’ajoute l’édition-
traduction de F, Corsaro, Catane, 1968 et les traductions de W.J. Walsh, microfilm, Washing-
ton, 1968 et de R. Teja dans la Biblioteca clasica Gredos n° 46, Madrid, 1982.
1. J, RouGé, A propos du mamuscrit du « De mortibus persecutorum » dans Lactance et
son temps, colloque de Chantilly 1976, Coll. Théologie historique n° 48, Paris, 1978, p. 13-
23; R.TBIA, o.c., p. 66.1® FOLIO DU MS. DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 31
photographie A la lumiére ordinaire. Autant dire, donc, que cette note lui doit
beaucoup.
Si je prends comme point de référence l’édition de Moreau, je poserai, pour
commencer, le probléme des lignes 27 4 30 du premier paragraphe — cela ne
voulant pas dire qu’aucun probléme ne se pose pour tout ce qui précéde, loin de
1a, hélas! Tout d’abord, nous remarquerons ce que je pense étre une pure
distraction de Moreau : docerent n’existe pas sur le manuscrit, on lit a l’ceil nu,
sans aucune discussion possible, discerent avec tous les autres éditeurs. Vient
ensuite et deum esse unum, et eundem iudicem digna, ce qui ne souffre
également aucune discussion, méme si Baluze avait lu, je ne sais comment et
deum esse unum et eundem mortem digna, et que beaucoup aient lu avec
Lenglet et eundem uindicem. Seulement la ligne du manuscrit se termine aprés
digna par uid... ow it ; comment interpréter ce dernier mot, 1a ligne suivante
continuant par suplitia impiis ... ? Entrainé par sa lecture Baluze écrivait digna
ultione, et non pas Cellarius comme dit Moreau ; Lenglet, lui, a proposé de lire
et eundem uindicem, digna uidelicet suplitia, déclarant, et 4 sa suite beaucoup
d@eéditeurs comme Corsaro, qu’on lisait en fait wicucem, ce qui est faux. Il
semble néanmoins que ce soit Brandt qui ait lu le premier iudicem, sans doute
sur la photographie du premier folio que lui avait envoyée Omont, et il adopta
pour la fin de la ligne la conjecture de Lenglet uidelicet, suivi par les éditeurs
postérieurs, sauf Moreau, Ce dernier retenant la notion de vengeance a écrit
uid, ce que ne permet pas le manuscrit. Alors nous sommes en
présence de deux solutions ou admettre le uid de Lenglet, ou consi-
dérer avec P. Courcelle dans son compte-rendu de l’édition de Moreau (R.E.L.,
t. 32, 1954, p. 398) qu’il s’agit purement et simplement d’une répétition, par
inadvertance du copiste, du iudicem qui précéde ; c’est au fond la solution la
plus logique.
Poursuivant notre passage selon le manuscrit nous lisons suplitia impiis ac
persecutoribus inrogare, De quo exitu ....... / tificari placuit. Done, a la fin de la
ligne du manuscrit une lacune de six a sept lettres. Comme la lecture impose de
restituer pour les trois derniéres lettres tes de testificari, il ne nous reste plus
qu’a trouver un mot de trois ou quatre lettres. Si Baluze y avait renoncé, les
éditeurs, qui publiérent le texte entre la premiére édition et 1a seconde de Baluze
(Védition dite de P. Bauldri en 1692) ou ses commentateurs, ne se sont pas faits
faute de proposer des solutions rassemblées dans une note par Bauldri. La
plupart d’entre elles sont impossibles par suite de leur longueur, ce qui les fait
relever de la haute fantaisie. Quant a Bauldri lui-méme, il avait proposé en
note de corriger et de compléter en de quo exitu tificari,
ce qui est également impossible parce que horrendo, de quelque maniére qu’on
puisse l’abréger, est beaucoup trop long. Mais la conjecture de Bauldri
quo a été reprise, ou retrouvée par Bentley, dans une note marginale de
son exemplaire de !’édition de Le Nourry’ ; et c’est par son intermédiaire qu’elle
2. Les notes de Bentley ont été collationnées et publiées par C. ZANGENMEISTER, Sitz. Ber,
der kais. Akad der Wiss, in Wien, Phil. Hist. Klasse, t. 85, 1876, p. 536 et suivantes.32 JEAN ROUGE
est passée chez les éditeurs modernes Pesenti, Moreau, Corsaro. Ils combinent
cette restitution avec une hypothése de Lenglet pour donner, 4 sa suite, de
quo exitu tificari placuit. Cette restitution péche de deux
maniéres : tout d’abord scripto est trop long pour l’espace vacant, méme si on
Vabrége ; ensuite, et dirai-je surtout, il n’y a aucun signe d’abréviation aprés
quo, done on n’a pas le droit de le développer en quorum. A mon avis deux
solutions seules peuvent étre proposées : une, que je rejette parce qu’elle ne me
semble pas donner un sens éclairant, c’est celle de nobis, qui, écrit nob., suivant
les habitudes du manuscrit convient comme longueur ; elle a été proposée par
Véditeur (7) anonyme de l’édition des ceuvres complétes de Lactance 4
Cambridge en 1685, qui reconnait ne pas avoir lu le manuscrit ; l’autre est celle
qu’a adoptée Brandt et a laquelle je me rallierai exitu . Cette resti-
tution, proposée par I’édition d’Oxford de 1680, comble parfaitement la lacune
du manuscrit avec l’abréviation habituelle du rum final ; de plus, elle donne un
sens beaucoup plus satisfaisant que toutes les autres restitutions : « De quelle
maniére sont-ils morts ? il a paru bon d’en porter témoignage ». C’est une expli-
citation de la phrase précédente,
Au deuxiéme paragraphe, je laisserai tout d’abord de cété l’irritant probleme
de ’interprétation de la date de la mort du Christ qui ne pose, malheureusement
peut-on dire, aucune difficulté ; le manuscrit porte bien Post diem decimum
kalendas apriles. Je vais donc m’attarder maintenant sur le mot, par excellence,
pour lequel la tradition a joué a fond, de Baluze a R. Teja: il s’agit du fameux
dogmatis de la phrase des 1.9-10 de l’édition Moreau. Le Christ ressuscité
ordinauitque eos et instruxit ad praedicationem dogmatis ac doctrinae suae.
Dogma n’est utilisé qu’assez rarement chez Lactance, quatre fois en tout, en
dehors du De mortibus, d’aprés index de Brandt ; les quatre fois il a le sens de
doctrine philosophique comme chez Cicéron ; méme si dans les Institutions (3,
10) on peut discuter, étant donné qu’il s’agit en fait de la doctrine chrétienne.
Or, si nous regardons d’un peu plus prés le manuscrit a la lumiére ordinaire,
nous voyons que dogma est une pure invention de Baluze ; en effet ce que l’on
peut lire c’est un uw avec comme un signe d’abréviation au-dessus, puis un
magma illisible et finalement tis, C’est pourquoi, en 1976, j’avais proposé
d’adopter une conjecture de J. Doignon, signalée par P. Monat, ueritatis. C’est
la que la photographie 4 l’ultra-violet et la lecture a la lampe a quartz ont
permis de trancher définitivement, c’est bel et bien weritatis qui se trouve sur le
manuscrit, ce que l’on pouvait prendre pour un signe d’abréviation au-dessus
du w n’étant qu’une tache du manuscrit. Cette correction est importante pour
Yauthenticité lactantienne du De mortibus persecutorum ; en effet ce mot est
trés fréquemment utilisé dans les Institutions et, comme |’a montré V. Loi, il
sagit, de la vérité divine révélée a ’homme pour lui permettre de pratiquer la
vertu’,
3. V. Lot, Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno, Zurich,
1970, p. 253-257; M. Perrin, Homo Christianus, christianisme et tradition antique dans
Fanthropologte de Lactance, service de reproduction des théses de Lille Ill, t.1, Lille, 1979,
p. 407-409.1” FOLIO DU MS. DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 33
Aprés avoir donné ses instructions le Christ est enlevé au ciel ; or, le récit de
ascension est assez curieux. L’ultra-violet permet de lire circumuelauit
procella nubis et non circumuoluit, comme ont mis tous les éditeurs ; mais il
faut bien remarquer que le passage est tellement délavé, étant tout a fait au bas
et a gauche de la page, que leur lecture n’a rien d’extraordinaire. Ce verbe
circumuelare est un terme excessivement rare, considéré jusqu’ici comme un
hapax ovidien puisque, au témoignage aussi bien du dictionnaire de Freund que
du Thesaurus, ou de |’Oxford Latin Dictionary, il ne se trouve utilisé que dans
Ia description de Circé dans les Métamorphoses (14, 232-233) pallamque
induta nitentem / insuper aurata circumuelatur amictu : « habillée d’une robe
éclatante, elle est, par dessus, revétue d’un manteau broché d’or », ce manteau
la yoile complétement d’ou le verbe, Il en est donc de méme du Christ, réminis-
cence de vocabulaire assez étonnante, qui est « revétu » ou « comme entouré
d’un voile» par la procella nubis. Mais cette formule est originale, car elle
n’appartient pas 4 la tradition chrétienne issue des Actes des apétres et des
Evangiles de Marc et de Luc. Cette tradition est d’ailleurs présente dans les
Institutions (4, 21) ainsi que dans l’Epitome (42, 3) ot il n’est question que d’un
simple nuage qui emporte le Christ dans les cieux et non point d’une procella
nubis, ce que je traduirai volontiers par « un nuage de tempéte ». Cette notion
de tempéte est tout a fait étrange pour une scéne que |’on nous représente d’or-
dinaire comme une scéne pleine de calme et de majesté. Faut-il y voir une rémi-
niscence des théophanies de l’Ancien Testament, Dieu parlant au milieu des
tempétes ? ou, plus vraisemblablement chez un rhéteur tout plein de l’ensei-
gnement des classiques, une réminiscence de l’ascension de Romulus qui,
comme le Christ ici, fut enlevé au ciel du milieu de ses troupes, dans la plaine
du marais de la Chévre par une tempéte subite et, comme le dit Tite Live (1, 16,
1) tam denso regem operuit nimbo ut conspectum eius contioni abstulerit : «le
roi fut enveloppé d’un nuage si épais qu’il disparut aux regards de l’assemblée »
(trad. J. Bayet)*. 'avoue‘que-cette derniére solution, qui m’a été proposée par
notre collégue de Mayence, Mme Antonie Wlosok, est assez tentante et montre-
rait combien les éléments de la rhétorique classique et les éléments chrétiens se
mélangent étroitement dans l’esprit de Lactance ; on comprend alors sa haine
contre Galére, persécuteur de Belles-Lettres (De mortibus, 22, 4).
Avec le récit de l’ascension et I’élection de Matthias se termine le recto du
premier folio. Pour ce qui est de son verso, je serai plus bref, ou, plus exac-
tement, je vais considérer successivement un point de critique textuelle et, a
partir d’un passage précis, en fait le méme, une question beaucoup plus large.
Au début du paragraphe 3 nous lisons dans |’édition Moreau ce qui suit
ost hunteriectis aliquot annis alter non minor tyrannus ortus est. cum exerceret inuisam dominationem... En fait deux
légéres corrections doivent étre apportées au début de la premiére phrase, le c
de hunc et le n d’interiectis sont sur le manuscrit, difficiles a lire, certes, parce
que légérement endommagés par le trou de ver qui a fait disparaitre l’intervalle
entre les deux mots, et le du second ; normalement il faudrait donc écrire hune
nteriectis. Ceci n’est pas grave ; en revanche, tous les éditeurs, 4 la suite de
Baluze, considérent qu’il y a une lacune au début de fa ligne qui se poursuit par
cum exerceret, Cette lacune a été restituée par Ia plupart des éditeurs en Qui ;
seul, 4 ma connaissance, Corsaro a proposé de mettre Hic. Pavoue avoir été
tenté par cette conjecture et l’avoir qualifiée de judicieuse dans le compte-rendu
que j’ai donné de son édition (R.E.L., t.48, 1970, p. 527) ; malheureusement,
un nouvel examen du manuscrit montre que cette hypothése est impossible. En
effet, contrairement a ce que l’on a écrit, qui se trouve sur le manuscrit sous la
forme abréviative d’un q surmonté d’un petit 7 ; certes, la déchirure de la marge
a fait disparaitre une partie du mot, mais il en reste assez pour qu’il ne puisse y
avoir aucun doute (cet assez comprend la queue de la lettre et un léger fragment
de la base de la boucle). On doit donc écrire qui ou a la rigueur q. Il n’est *
pas besoin d’insister non plus sur le fait que le manuscrit porte aliquod pour
aliquot, tellement classique est la confusion entre les deux mots.
Jen viens maintenant 4 mon dernier propos. Comme le montrent les
crochets, le nom de Domitianus a été ajouté par Moreau au texte comme s’il y
avait une lacune dans le manuscrit. Ce faisant, il suivait une tradition inau-
gurée par les traducteurs anglais de l’ceuvre : Burnet en 1687 et Lord Hailes en
1782 (cette derniére traduction a été reprise par Fletcher, ce qui fait que les
auteurs récents lui en attribuent la paternitéS), C’est Brandt qui le premier l’a
introduit dans le texte latin et tout le monde le suit depuis ; seul Pesenti a
proposé une variante : placer Domitianus aprés et non avant ortus est, ce qui
ne change rien au sens, ni a V'idée. Ce genre de restitution est, 4 mon avis, l’une
des tares majeures des éditions et des traductions qui ont tendance 4 rajouter
un peu partout dans le texte des noms d’empereurs qui ne sont pas dans le
manuscrit et qui, au fond, n’ont aucune raison d’y étre, car les lecteurs de
Lactance n’avaient aucune peine 4 savoir qui ils étaient. Que l’on mette done
une note, lorsque le lecteur moderne risque d’étre dérouté, d’accord, mais que
l'on ne transforme pas le texte. Or, en l’occurrence, introduire le nom de Domi-
tien dans le texte devient une absurdité totale en contradiction formelle avec la
suite du texte. Comment Lactance peut-il avoir mis le nom de cet empereur,
alors qu’il déclare 4 son sujet qu’aprés sa mort: Senatus ita nomen eius per-
secutus est, ut neque imaginum neque titulorum eius relinqueret ulla uestigia,
grauissime decretis etiam mortuo notam inureret ad ignominiam sempiternam ?
5. Et encore aprés la réédition du Lactance de Fletcher, The ante-Nicene Father, t, V11, Ameri-
can edition revised by A. Cleveland Coxe, 1886, réédité 4 Michigan en 1975, p. 6, n. 4: « Lord
Hailes" translation (du De mortibus) has been adopted in the present edition » ; cf. J. ROUGE, art.
cit, p. 20.1* FOLIO DU MS. DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 35
Autrement dit, le Sénat décréta sa damnatio memoriae, cette mesure qui a pour
but d’annuler les actes administratifs ou législatifs d’un empereur, de faire
effacer son nom sur les inscriptions et de faire renverser ses statues, mesure que
le Sénat prenait contre les empereurs qui l’avaient assez maltraité et qui est, si
on veut, une sorte d’apothéose 4 l’envers. Mais, bien plus, et il faut bien
examiner les mots employés pour voir ce que veut dire Lactance, il l’a marqué
dune nota, c’est-a-dire la note d’infamie que le censeur infligeait au chevalier
ou au sénateur, voire méme au simple citoyen lors du recensement, du lustre,
s'il avait démérité, nota qui le Tayait des listes et pouvait méme en faire une
sorte de paria de la société romaine. Cette nota, le Sénat !’en a marqué au fer
rouge, de méme que !’on marquait au fer rouge l’esclave fugitif ou peu mal-
léable, tel est le sens d’inurerer, et tout cela pourquoi : ad ignominiam sempi-
ternam. Or, ici, Lactance emploie ignominia dans son sens étymologique : la
disparition du nom, disparition pour )’éternité. C’est-a-dire que nous pourrions
traduire ce passage de la maniére suivante, pour en rendre toutes les nuances :
«le Sénat poursuivit son nom jusqu’a ne laisser aucun vestige de ses statues et
de ses inscriptions ; bien plus, par I’extréme rigueur de ses décrets, il le stigma-
tisa méme aprés sa mort d’une note d’infamie pour faire disparaitre son nom a
jamais ». Comment la lecture de cette phrase peut-elle avoir permis d’introduire
le nom de Domitien, ’empereur déchu méme de son nom?
Ces quelques notes n’épuisent pas, loin de la, les problémes de lecture du
premier folio du manuscrit du De mortibus persecutorum ; elles n’ont pour but
que de montrer qu’il y a encore beaucoup a faire pour notre connaissance du
texte, d’autant plus qu’il ne nous est connu que par un manuscrit unique et en
mauvais état par endroits et que trop souvent les éditeurs ont suivi une solution
de facilité, faire confiance aux lectures de leurs prédécesseurs, se contentant
démettre des conjectures qui encombrent les apparats critiques des derniéres
éditions. Mais nous ne pouvons leur jeter la premiere pierre, d’autant que nous
ne sommes pas sirs de ne pas agir parfois comme eux, par la force des choses,
alors méme que nous avons 4 notre disposition des procédés d’investigation
qu’ils n’avaient pas.
Jean Roucé
Université Lyon II
Résumé : Trés abimé par les injures du temps ce premier folio pose de nombreux problémes
en particulier pour son recto. Nous proposons de maintenir 1a lecon adoptée par Brandt de quo
exitu [eorum tes] / tificari plutdt que celle suivie par Moreau de quo exitu [seripto tes] -
/tificari, En outre la lecture & la lampe & quartz permet <'établir les lectures ueritatis et circum-
uelauit au lieu des dogmatis et circumuoluit de tous les éditeurs. Pour le recto, il faut, au para-
graphe 3, maintenir Qui, a la place du Hic proposé par Corsaro, et ne pas introduire le nom de
Domitianus, ce qui est en contradiction formelle avec le sens.Revue des Etudes Augustiniennes 30 (1984) 36-41
Lactance lecteur d’Arnobe
”
dans [Epitome des Institution
Lactance a-t-il eu connaissance de I’ceuvre d’Arnobe peu de temps avant de
rédiger l’Epitome des Institutions, ceuvre que nous proposons de dater d’envi-
ron 320'? Ce probléme est un cas particulier de l’étude des sources de l’Epi-
tome qu’il n’y a pas lieu de traiter ici, d’autant plus qu’elles sont substantiel-
lement les mémes que celles des Institutions. Nous voulons seulement évoquer
le probléme des relations entre Arnobe et Lactance en raison de quelques
paralléles que nous avons découverts entre |’Epitome et I"Adversus nationes, Or
H. Le Bonniec vient justement, dans sa toute récente édition de l’ceuvre
@Arnobe dans la Collection des Universités de France, de faire le point sur le
peu que nous savons sur les relations entre Arnobe et Lactance : « Lactance n’a
pas pu lire l’apologie d’Arnobe et son silence dans les Institutions est invo-
lontaire »?, Cette question est en fait trés délicate, car les traits communs entre
Arnobe et Lactance qui ne vont pas au-dela d’un simple paralléle d’idées sont
1, Nous renvoyons toute la discussion de la datation de I’Epitome & notre édition des SC, en
cours d’achévement, .
2. Voir H. Le BonNtEc, Contre les Gentils, C.U.F., Paris 1982, t. 1, p. 15-16. La biblio-
graphie de la question est la suivante : Martin GERHARDT, Das Leben und die Schriften des
Lactantius, Inaugural-Dissertation Erlangen (23.2.1924, dact.), reléve huit paralléles
(p. 104-105). Hugo Koct, Zu Arnobius und Lactantius, Philologus 80, 1925, p. 467-472 : en
raison de la proximité d'expression entre Arnobe et Lactance, l’auteur pense que Lactance a
connu l'ceuvre d’Amobe, et que l'absence de mention d’Arnobe en inst. 5,1,22 sq. est intention-
nelle. ELF. Micka, The problem of divine anger in Arnobius and Lactantius, dans Cath. Univ.
Stud. in Christ, Ant. 4, 1944 (p. 148 sq.). Malgré beaucoup de raisons de penser que Lactance
n’ait jamais connu l'ceuvre d’Arnobe, on peut noter quelques points de contact entre eux (cf.
index de léd. S. Brandt, s.v. Arnobius, auquel on peut ajouter nat, 2,35 et 5,18//inst. 2,14,4 5
1,22,9 ; nat. 2,5 \//inst. 3,2, 9-10 ; nat. 3,17//opif. 17,6). Mais, selon E.F. MICKA, la connais-
sance d’Arnobe par Lactance n'est pas nécessaire pour expliquer quelques similitudes : Lactance
connaissait la doctrine d’Arnobe parce qu'il avait éé son éléve. Par exemple, ira 7,2 sq. (jusqu’a
«uerba sunt ») correspond & nat. 7,9: Vhomme est une misérable créature qui différe peu de
Vanimal (J'ajouterais volontiers ici que V'idée de la misére de Ia nature humaine est un lieu
commun antique, done, que cette rencontre est naturelle, et, partant, peu probante). En lespéce,
EF. MICKA remarque que Lactance ne cite pas ses sources, surtout quand il s*agit d’auteursLACTANCE LECTEUR D'ARNOBE 37
susceptibles de s’expliquer par |’enseignement d’Arnobe®, par une culture litté-
raire et philosophique largement commune, et aussi par l’influence de « l’air du
temps », les deux hommes étant tout proches chronologiquement. D’autre part,
les idées d’Arnobe et celles de Lactance sont en opposition sur une foule de
points : 2 supposer que l’éléve ait réellement utilisé ’ccuvre de son maitre, il
avait donc au moins une forte raison de chercher a dissimuler ses emprunts : il
était peu opportun d’étaler, devant un public de lecteurs au moins en partie
paien, ces divergences entre chrétiens.
Disons d’emblée maintenant que nous n’avons pas ici la prétention d’établir
que Lactance ait connu et utilisé I’ceuvre d’Arnobe antérieurement a l’Epitome.
Cette question se trouve hors de notre sujet. De plus, rien dans le De opificio,
les Institutions ou le De ira‘ ne nous parait contraindre a cette conclusion et
infirmer le propos d’H. Le Bonniec. Nous souscrivons donc au jugement de nos
prédécesseurs. Mais, en travaillant le commentaire de I’Epitome, nous avons été
amené a examiner de particuliérement prés les passages od, contrairement 4 la
logique de !’abrégement, Lactance ajoute des idées ou des références par
rapport aux Institutions. En effet, nous avons 1a des témoins particuligrement
précieux pour nous indiquer s’il y a eu une évolution dans la pensée et les
connaissances de Lactance entre la période ou il a rédigé les Institutions et celle
ou il a entrepris d’en offrir l’abrégé au public’. En effet, les abrégements par
rapport aux Institutions peuvent facilement s’expliquer par les nécessités du
genre littéraire adopté, et les passages ou les Institutions sont reprises purement
et simplement n’apportent évidemment rien de neuf par rapport a la premiére
ceuvre, Nous avons done remarqué ainsi quelques paralléles entre l’Epitome et
l'Adversus nationes qui, s’ils étaient étayés par ailleurs, pourraient imposer
chrétiens. L’absence de citation explicite d’Arnobe par Lactance n'est pas une raison suffisante
pour nier toute relation entre les deux hommes. H, HAGENDAHL, Latin Fathers and the classics,
Géteborg 1958, p. 75-76: rien ne prouve que Lactance ait connu l'apologie d’Arnobe. Pour
conclure cette bibliographic, on aboutit a un «non liquet » : rien ne prouve une dépendance de
Lactance par rapport a Arnobe. Mais rien ne prouve non plus le contraire. Le livre de P.
Krarrr, Beitrdge zur Wirkungsgeschichte des dlteren Arnoblus (= Klassisch-Philologische
Studien, Heft 32, 1966 Wiesbaden) ne contient pratiquement rien sur le point précis qui nous
intéresse ici, Son Sachregister ne mentionne méme pas le nom de Lactance. Les quelques renvois
du Namenregister signalent simplement les passages ob les idées de Lactance sont en accord ou
en opposition avec celles d’Arnobe ; la discussion y est plutét moins étoffée que chez Micka ov
Mc Cracken. Ainsi s'explique qu’H. Le Bonniec, quand il traite dans son édition d'une possible
influence d’Arnobe sur Lactance (p. 15-16), ne cite méme pas le livre de P. Krafft, alors qu'il cite
ceux de Micka et de Mc Cracken. Sur ce point encore, nous sommes de son avis.
3. On se souvient de la notice de JEROME, vir. ill, 80 : « Firmianus qui et Lactantius Arnobii
discipulus ».
4, Voir ce sujet la récente édition procurée par Mlle Chr. INGREMEAU aux SC’ (n° 289,
Paris 1982) ; son index comporte une rubrique « Arnobe ».
5. Voir M. PeRRin, A propos du chapitre 24 de U'Epitome des Institutions de Lactance,
REAug 21, 1-2, 1981, p. 24-37.38 f MICHEL PERRIN
Phypothése d’une lecture, par Lactance, de l’apologie d’Arnobe peu avant 320,
c’est-a-dire entre le De ira et |’Epitome. Nous livrons ici tels quels ces paralléles
a l’appréciation des lecteurs, sans nous illusionner sur leur portée. D’une part,
en tout état de cause, les indices ont toute chance d’étre trés faibles en la
matiére. Et, d’autre part, nous espérons que notre travail incitera a pousser plus
loin les recherches,
Six paralléles sont donc en cause, dont le dernier est en fait A écarter. Faute
d’un ordre plus logique, nous les discutons en suivant simplement l’ordre du
texte.
1, Epitome, praef. 1: Les Institutions instruisent leurs lecteurs « ut nec
prolixitas pariat fastidium nec oneret ubertas...» Lactance exprime ici l’idéal
thétorique des Znstitutions : une abondance qui ne soit pas lassante. Prolixitas
ne se trouve qu’ici chez lui ; quant a fastidium, il n’est utilisé par lui qu’ici et en
Institutions 7,25,1, dans un contexte similaire: «ne fastidium legentibus
fieret ». Or, en dehors de ces textes, l’expression « fastidium parire » est extré-
mement rare dans la littérature latine. Le Thesaurus Linguae Latinae en offre
seulement quatre autres exemples‘, dont surtout un texte remarquable
d’Arnobe : « ne forte prolixitas fastidium audientiae pariat »’. Trois termes sont
ici communs entre Arnobe et Lactance, dans un contexte semblable. Cela
semblerait étre un banal cliché de « captatio beneuolentiae », si l’on ne consta-
tait avec une certaine surprise que cette expression « prolixitas fastidium parit »
est effectivement unique chez les deux auteurs. Le terme méme de prolixitas est
post-classique® et assez rare. Enfin, chez Lactance, c’est une amélioration de
expression un peu plate d’Institutions 7,25,1: fieri est remplacé par parire.
2. Epitome 2,2 et 62,5 : Dieu est en méme temps dominus et pater, il est un,
«ut idem sit caput idemque fons rerum »... «deum, qui fons et caput rerum
est », Ces deux termes ne sont rapprochés qu’en ces deux passages par Lac-
tance. Caput et fons sont déja rapprochés comme quasi-synonymes par
Cicéron et par Horace’. Mais, dans aucun de ces textes, il n’est question de
Dieu. En revanche, Arnobe s’exprime ainsi au sujet du « deus princeps »..Ce
dernier est « bonorum omnium solus caput et fons ... perpetuus »!°. De méme, le
Dieu « omnipotens et primus » est qualifié de « caput ac fons rerum »"!, Chez
Lactance, l’alliance de mots peut étre un souvenir d’Arnobe, 4 moins que les
deux hommes n’aient, indépendamment |’un de l’autre, appliqué a la divinité
des vocables trouvés chez Cicéron et Horace pour désigner tout autre chose. Ce
6. TLL, s.v. fastidium 6,318,78 : Pun. nat. 12,8A; «adeo nulla est uoluptas quae non
adsiduitate fastidium pariat »; AQvita, rhet. 19 ; Svip. Sev, Mart. 1,8.
7. Nat. 4,17. De plus, on trouve « fastidium parire » en nat, 7,44.
8. La premiere référence signalée par le TLL est Apvi. mundo 7.
9. Cie. : Tuse. 4,38,83 ; Planc. 18 ; top. 31. Hor. epist. 1,17,45.
10, 2,
11. 2,72.LACTANCE LECTEUR D'ARNOBE 39
serait alors une rencontre fortuite de vocabulaire. Reste a estimer la vraisem-
blance d’une telle coincidence,
3. Epitome 2,7 : «non Vuleanus sibi aquam uindicauit aut Neptunus ignem,
non Ceres artium peritiam nec Minerua frugum, non arma Mercurius nec Mars
lyram, non Juppiter medicinam nec Asclepius fulmen... » Lactance évoque un
théme bien connu : la spécialisation des dieux paiens interdit qu’aucun d’entre
eux soit tout-puissant. Cet alinéa ne correspond a rien dans les Institutions,
sauf exemple d’Esculape qui se trouve dans un contexte ol Lactance veut
montrer que les dieux du paganisme sont incapables de mettre les démons en
fuite'?, L’énumération oratoire pourrait avoir pour modéle celle qu’Arnobe fait
sur le méme théme’? : « si enim patrem creditis Liberum dare posse uindemiam,
medicinam non posse, si Cererem fruges, si Aesculapium sanitatem, si
Neptunum aliud, aliud posse Iunonem, Fortunam, Mercurium Voicanum rerum
esse singulos certarum ac singularum datores ». La liste d’Arnobe, comme celle
de Lactance, contient huit noms. Mais cing sont communs aux deux auteurs
(Vulcain, Neptune, Cérés, Mercure, Asclépius ou Esculape). Liber, Junon,
Fortune, sont particuliers 4 Arnobe ; Minerve, Mars, Jupiter, le sont 4 Lac-
tance. Si Lactance a lu Arnobe, il a repris ’idée du passage, son mouvement
rhétorique, son ironie, mais il ’'a amélioré, en abandonnant la simple énumé-
ration pour classer les divinités et leurs attributs par couples antithétiques'.
Ainsi, Vulcain entraine Neptune (le feu et l’eau) ; Cérés Minerve (travaux agri-
coles et travaux intellectuels) ; Mercure Mars (la lyre et-les armes) ; Asclépius
Jupiter (la médecine qui guérit et la foudre qui tue). Les éléments du premier
couple sont arnobiens, ainsi que le dernier des trois autres.
4. Epitome 18,2: « Ante Saturno sexagenarii homines ex persona Apollinis
de ponte in Tiberim deiciebantur » : avant Saturne, sur l’ordre d’Apollon, on
jetait dans le Tibre, du haut d’un pont, des hommes de soixante ans. L’oracle en
question ne peut étre celui d’Apollon'’, mais il est celui de Zeus de Dodone,
comme le montrent les paroles mémes de Voracle en Institutions 1,21,7, ob
Lactance cite Varron™ : t@ matpi, ainsi que Macrobe qui cite le méme oracle
12. Inst. 4,27,12: puisque Jupiter ne sait pas guérir les hommes, conduisons "homme frappé
par un démon dans le temple d’Esculape ou d’Apollon.
13. ARN. nat. 2,65.
14, Ce classement était déja amorcé par Arnobe : Liber et Cérés sont dans le méme rapport
que la vigne et le BIE: les aliments liquides et les solides.
15. Voir Pédition de $. BRANDT au C.S.E.L, 19, app. crit. ad loc.
16, La citation est indirecte, si l'on en croit R.M. Ootvie, The library of Lactantius, Oxford
1978, p. 24-26 : Arnobe et Lactance se serviraient d'une anthologie chrétienne d'oracles de
Claros dérivée de celle de Porphyre. Mais on ne voit pas pourquoi, dans ce cas, Lactance citerait
Varron dans les Insti¢utions. Jusqu’a preuve du contraire, nous sommes davis que Lactance a
utilisé Varron ici,
17. Mace, Sat, 1,7,28, p. 32 Willis. De méme encore Ov. Fasti 5,621 sq.40 MICHEL PERRIN
que Lactance, également a partir de Varron'’. Comment, a partir de 1a, expli-
quer dans l’Epitome l’erreur de Lactance, qui a di compléter l'information dont
il disposait dans les Institutions ? Deux possibilités s’ouvrent ici, comme
lexplique S, Brandt, dans l’apparat critique de son édition, La bévue peut venir
d’une incompréhension du troisiéme vers de l’oracle, tel qu’il est cité chez
Macrobe : Sexdtnv aéxnéuyate DolBw (payez la dime 4 Phébus"*), ou d’une
mauvaise interprétation des paroles de Varron («decima praedae secundum
responsum Apollini consecrata »'%), En effet, «secundum responsum » fait
penser a «ex responso» du passage correspondant des Institutions, inspiré
explicitement de Varron. Cette erreur peut provenir de Lactance lui-méme (une
lecture rapide, une référence tirée de mémoire, ou une bévue pure et simple), ou
de sa source. Or le texte correspondant d’Arnobe présente la méme erreur
d’attribution que |’Epitome, et ne fait pas référence 4 Varron : « Herculis cum
ex Apollinis monitu patri_ Diti ac Saturno humanis capitibus supplicaretur... »?°.
Cette coincidence tend a faire penser que, sur ce point précis, Arnobe est
intermédiaire entre l’oracle et Lactance. Ce dernier, dans |’Epitorne, aurait
complété l’information des Institutions, tirée de Varron. En un mot, notre texte
refléterait un processus de « contamination ». Si d’autre part Arnobe a réel-
lement lu Varron”!, et si Lactance en a fait autant dans les Institutions, on ne
voit pas pourquoi ce dernier aurait eu scrupule 4 lui emprunter un élément
d'information ; aprés tout, une source « secondaire » en vaut une autre. Enfin, il
est moins invraisemblable d’expliquer la communauté dans l’erreur d’Arnobe et
de Lactance par un processus de filiation directe que par la lecture d’une source
commune indirecte, en l’espéce, une anthologie d’oracles ; nous pensons en un
mot qu’il est possible de faire l’&conomie de cette hypothése.
5. Epitome 20,2 : Les hommes adorent les faux dieux sous la forme de statues
de bois, de bronze ou de pierre («ligna et aera et lapides »). Ce passage n’a
aucun correspondant exact dans les Institutions. Un seul s’en rapproche un
peu”, Lactance y pose la question suivante : pourquoi les paiens regardent-ils
«ad parietes et ligna et lapides » plutdt que vers le ciel ? Mais le théme est
différent de celui de ’Epitome. Dans les Institutions, il s’agit en effet de dire
que la divinité n’est pas enfermée dans un temple ; l’Epitome présente la cri-
tique traditionnelle du culte des statues*?, Or cette triple énumération se
retrouve, dans un contexte fort semblable, chez Arnobe™. Ce dernier se repro-
che d’avoir vénéré des statues sortant du moule du fondeur, des os d’éléphants,
18, Macr. Saf. 1,7,30.
19, Macr. ibid.
20, ARN, nat. 2,68,
21. H. Le Bonntec, introduction de son édition, p. 48-49.
22. Voir cependant inst. 2,2,2. Pour l’idée, cf. MIN. FEL. 24,6-8 : « Deus ... ligneus ...
lapideus ... Nisi forte nondum deus saxum est uel lignum uel argentum » (comm. dans I
Pellegrino).
23, Hor. sat. 1,7,17, parmi bien d’autres,
24, ARN, nat, 1,39,11 (et comm. ad loc. dans I’éd. Le Bonniec),LACTANCE LECTEUR D’ARNOBE 41
des peintures, des bandelettes sur des arbres, ce qu’il résume ainsi : « .., eos esse
credebam /igna, lapides atque ossa ». Si Lactance s’est inspiré d’Arnobe, aera
reprend chez lui « in incudibus deos et ex malleis fabricatos ». Ossa n’aurait pas
été directement compréhensible dans l’Epitome, et aurait réclamé quelques
mots d’explication.
6. Epitome 67,7 (pour mémoire) : Lactance utilise le mot « Polyandrium » qui
ne se trouve pas dans les Institutions pour désigner la vallée ou les morts
attendent la résurrection. II serait tentant de renvoyer A Arnobe*’. Mais il s’agit
chez ce dernier de tombeaux placés dans des temples. Et la référence d’Arnobe
4 Varron (« polyandria illa Varronis ») serait incongrue chez Lactance, qui uti-
lise ici un auteur religieux, et non un « antiquaire ». Nous ne pensons donc pas
qu’il soit possible de retenir ce qui reste un paralléle purement formel. Dans ce
cas précis, le plus simple est de penser a une référence biblique. En effet, le
passage des Institutions qui correspond a Epitome 67,7% est inspiré
d'Ezéchiel™" ; or ce texte précéde immédiatement l’évocation de la Vallée des
morts. Le terme érudit « Polyandrium » a lallure d’un renvoi quasi-technique
au texte biblique qui a servi de source. Ce respect pour le texte a de plus
imposé le maintien d’un vocable grec dans VEpitome, ce qui est exceptionnel.
Une relecture de ces versets d’Ezéchiel suffit donc a expliquer la présence de ce
mot fort rare dans I’Epitome.
Il reste done quatre paralléles d’idées et de mots, et une erreur d’attribution
communs a Arnobe et 4 Lactance, Cela n’est sans doute pas beaucoup. Mais,
compte tenu de la différence d’orientation entre les hommes et leurs ceuvres, et
de toutes les raisons que l’éléve pouvait avoir de dissimuler ses emprunts 4 son
maitre, cela n’est pas non plus négligeable. Et nous croyons que l’hypothése
dune lecture d’Arnobe par Lactance serait finalement celle qui permet de
rendre compte au mieux de ces passages ; ceux-ci présentent a notre avis plus
que des coincidences fortuites. Mais nous reconnaissons volontiers qu’apporter
une certitude compléte requerrait davantage d’éléments, Comme nous l’avons
dit en préambule, nous langons donc telle quelle ’hypothése, au moins pour
qu’elle serve de piste de recherches: Lactance a pu lire l’Adversus nationes
d’Arnobe peu avant 320,
Michel PERRIN
Université de Picardie
Amiens
Résumé : Alors qu'il parait impossible de trouver des paralléles précis entre Pceuvre d’Arnobe
et les Institutions de Lactance (de méme que le De opificio et le De Ira), quelques paralléles
textuels peuvent étre relevés entre l’Aduersus nationes et ! Epitome des Institutions. Cela permet
de lancer Phypothése d'une lecture d’Anobe par Lactance, peu avant 320, méme si les indices
restent trop faibles pour que l'on puisse étre tout a fait affirmatif.
25, ARN. nat. 6,6.
26. Inst. 7,26,11.
21, Ez. 37,9-10.Revue des Etudes Augustiniennes 30 (1984) 42-47
Les sermons de saint Jean Chrysostome traduits
par Cristoforo Persona
Les anciennes éditions latines groupant les Opera omnia de saint Jean
Chrysostome transmettent sous son nom quantité de textes les plus variés. II
s’agit tant6t de traductions anciennes d’ceuvres authentiques ou inauthentiques,
tantdt de versions faites par des humanistes. A ces textes d’origine grecque sont
jointes nombre de piéces écrites par des auteurs latins, Plusieurs savants ont
déja ouvert des pistes dans cette forét touffue en décelant des collections anti-
ques, qui avaient été démembrées par les éditeurs du xvi‘ siécle. G. Morin a
identifié la collection de « Jean de Naples »', A. Wilmart celle des 38 homélies*,
J.-P. Bouhot celles dites « de l’Arsenal » et « de l’Escorial »?, J’ai moi-méme
repéré quelques Tractatus in Mattheum de Chromace d’Aquilée*.
Le répertoire des sigles de la Vetus latina’ constitue a ce jour le résumé le
plus pratique de toutes ces découvertes. Dom B. Fischer, puis son successeur
HJ. Frede, ont pris comme base de leurs relevés l’édition publiée par Froben &
Bale en 1558, Chacune des piéces contenues dans ces cinq gros tomes est
briévement identifiée dans la mesure du possible. Seules sont omises les tra-
ductions exécutées par des humanistes dont le nom est mentionné. Pour vingt-
sept textes seulement les auteurs sont réduits 4 donner le simple titre de |’ceuvre,
1, Etude sur une série de discours d'un évéque (de Naples ?) du vit siécle, dans Revue
bénédictine 11, 1894, p. 385-402 et 12, 1895, p. 390-391. Voir aussi M. LAMBERT, Edition d'une
collection latine découverte par Dom Morin, dans Revue des études augustiniennes 15, 1969,
p. 255-258 et J.P. BOUHOT, La collection homilétique pseudo-chrysostomienne découverte par
Dom Morin, Ibid. 16, 1970, p. 139-146,
2. La collection des 38 homélies latines de saint Jean Chrysostome, dans Journal of theolo-
gical studies 19, 1918, p. 305-327.
3. PLS IV, 651-653. Aux c, 649-656, J.-P. Bouhot donne un trés utile conspectus des textes
origine latine transmis sous le nom de Chrysostome. Ce fascicule de PLS est paru en 1968.
4, Fragments nouveaux du commentaire sur Matthieu de saint Chromace d’Aquilée. Lyon,
1960 (multigraphié), p. 117-118.
5. HJ. Frepe, Kirchenschrifisteller. Verzeichnis und Sigel, 3¢ éd., Freiburg, 1981.SERMONS DE CHRYSOSTOME TRADUITS AU XV° S. 43
sans aucune autre indication, et pour vingt-quatre autres un point d’interro-
gation marque leur hésitation. Nous nous proposons de montrer qu’une partie
de ces piéces sont des traductions dues a Cristoforo Persona. A quelques
exceptions prés, toutes les autres sont des traductions faites par Johannes
Oecolampiados. J.-P. Bouhot envisage de publier une étude sur ce second lot®.
Cristoforo Persona était un helléniste romain, prieur de Sainte-Balbine sur
P’Aventin, qui fut nommé bibliothécaire de la Vaticane en septembre 1484, peu
avant sa mort survenue 4 la fin de 1485’, Il traduisit en latin plusieurs ceuvres
grecques, entre autres les Enarrationes in epistolas s. Pauli d’Athanase (en fait
de Théophylacte de Bulgarie) parues en 1477, et le Contre Celse d’Origéne
édité en 1481. L’ceuvre qui nous intéresse présentement a été publiée pour la
premiére fois A Rome chez Georg Lauer vers 1470. Elle est dédiée au cardinal
de Venise Marco Balbo (+ 1491) (Hain 5039). C’est une collection de vingt-
cing sermons de Jean Chrysostome, suivis d’une lettre au moine Théodore.
L’ouvrage connut plusieurs rééditions ; 4 Bologne chez Balthasar Azzoguidi en
1475 (Hain 5043), 4 Cologne chez Ulric Zell vers 1475 (Hain 5041), 4 Urach
chez Conrad Fyner vers 1483-1485 (Hain 5042) et a Cologne chez Johannes
Koelhoff vers 1487 (Hain 5040), Dans V’édition princeps Pimprimeur a réservé
la place du titre, pour qu’il soit transcrit par un scribe. Les noms de Persona et
du cardinal Balbo n’apparaissent que dans ce titre, qui n’a pas toujours été
transcrit, ce qui explique que par la suite l’ceuvre soit vite devenue anonyme.
Quelques manuscrits subsistent aussi, mais ce sont des copies d’incunables :
Munich, Clm 5395, f.170-238 (xv® s., évéché de Chiemsee); Paris, B.N.,
lat. 1770, f. 231v-273v (xve s.,, aux armes de Frédéric de Montefeltro, duc
d’'Urbino, mort en 1482); Vatican, Urb. lat. 32, f. 121-161v (xvé s.) et Tréves,
Stadtbibl. 147, f. 124-175 (xv® s., Saint-Matthias), qui ne contient que les
dix-sept premiers sermons par lacune accidentelle. I] faut mettre a part le codex
du Vatican, Vat. lat, 408, car il s’agit du volume offert par l’auteur au pape
Sixte IV. Cet exemplaire est précédé d’une lettre d’hommage au pape’, et non
pas d’une épitre adressée au cardinal Balbo, comme dans les autres témoins.
L’ceuvre de Persona, alors qu’elle était devenue anonyme, a été intégrée dans
toutes les éditions des Opera omnia de Chrysostome, qui se succédent rapi-
dement durant tout le xvi‘ siécle®. Dans les premiéres la collection est demeurée
6. En attendant, on peut se reporter & deux excellents articles de E. STAEHELIN, Die Vater-
ibersetzungen Oekolampads, dans Schweizerische theologische Zeitschrift 33, 1916, p. 57-91,
et Ockolampad-Bibliographie, dans Basler Zeitschrift fiir Geschichte und Altertumskunde 17,
1918, p. 1-119, :
7. Cf. P, PAScHINI, Un ellenista romano del Quattrocento ¢ la sua famiglia, dans Aut
dell'Accademia degli Arcadi21, 1939-1940, p. 45-56.
8. Dans cette lettre auteur déclare qu'il avait d’abord présenté son travail au cardinal de
Saint-Clément Dominicus de Ruvere, nommé au titre de Saint-Clément en 1479 et mort en 1501.
Le codex serait done a dater entre les années 1479 et 1484, date de la mort du pape. Mais il Faut
noter que le nom du cardinal est écrit sur grattage.
9. Une liste en est fournie par Chr. Baur, S. Jean Chrysostome et ses ceuvres dans 'histoire
litiéraire, Louvain-Paris, 1907, p. 148 sq,44 RAYMOND ETAIX
homogéne. Seuls deux textes ont été omis, car les éditeurs disposaient dans ce
cas de traductions anciennes. Nous trouvons donc groupés les n° 1-22 et 24-25
dans les éditions de Venise 1503 (t. IL, f. 58v-80v), Bale 1504 (t. II, f. 90v-107),
Bale 1517 (t. V, f. 94v sqq.), Bale 1522 (t. V, p. 229-273), Paris 1523 (t. VI,
f. 162v-193) et Bale 1530 (t. II, p. 273-328). C’est a partir de P’édition parue 4
Paris en 1536 que les ceuvres de Chrysostome ont été classées selon un ordre
logique et que la série des vingt-quatre sermons traduits par Persona a été
démembrée.
Dans l’analyse qui suit, sont indiqués pour chaque piéce de la collection le
titre fourni par Pédition princeps!, Pincipit et explicit, ainsi que V’identi-
fication du texte et la référence a l’édition parue a Bale en 1558 (Sigle :
CHRY).
1. Contra auaritiam siue pecuniarum amorem. Euertendi sunt nobis malo-
rum fontes ... /... bonis certioribus donabit.
In Ro, Hom. 11, 5-6 (PG 60, 490, 63-494). CHRY V, 795-798.
2. Nequitia sit uoluntaria. Age tandem si placet ... /... bona aeterna conse-
quamur.
In Ro, Hom, 12, 7-9 (PG 60, 503, 37-508). CHRY V, 798-803.
3. Contra uoluptates. Corpus nobis reliquis ... /... cum his praesentibus et
futura consequaris.
In Ro, Hom, 13, 9-11 (PG 60, 520, 14-524). CHRY V, 824-828.
4, Ut simus misericordes. Audite, fratres, Paulum dicentem ... /... bona illa
futura consequamur.
In Ro, Hom. 14, 9-10 (PG 60, 537, 45-540). CHRY V, 916-921,
5. Sicut Deus Pater non pepercit Filio ita et nos pecuniis. Quo tandem ipsi
digni supplicio .../... perpetua beatitudine fruamur.
In Ro, Hom. 15, 5-6 (PG 60, 546, 42-548). CHRY V, 817-819,
6. Inanis gloria quia turpis sit: Quid tandem inanis gloriae cupiditate ... /...
plurima uoluptate potiemur.
In Ro, Hom. 17, 3-5 (PG 60, 568, 37-572). CHRY V, 819-824.
7. Grati simus Deo corde et opere. Gratiae sunt per nos ... /... bonis futuris
potiaris.
In Ro, Hom. 18, 5-7 (PG 60, 579, 43-584). CHRY V, 711-715.
8. Virtutibus progenitorum ne confidamus neque uiciis trepidemus. Paulum
et ipsi imitemur ... et palma deinceps nobis seruata fruamur.
In Ro, Hom. 19, 8 (PG 60, 593, 41-596). CHRY V, 810-812.
9. Contra desperationem et superbiam ut spe ambulemus. Si quis natura in
mentis ualetudinem .../... bonis in posterum fruemur sempiternis,
In Ro, Hom. 20, 4 (PG 60, 600, 16-602). CHRY V, 812-814,
10. Dans les Opera omnia les titres ont été modifiés.SERMONS DE CHRYSOSTOME TRADUITS AU XV° S. 45
10. Ne scrutemur pauperes'-ouriose. Quid stipem deposcentem .../... quae
nobis sunt diuinitus adiudicata, praestante Domino ...
In Ro, Hom. 21, 4-5 (PG 60, 606, 62-610). CHRY V, 924-927.
11. Benedicamus maledicentibus. Ingemiscendi mihi cupido incessit ...
futura beatitudine potiamur.
In Ro, Hom. 22, 4 (PG 60, 613, 22-614). CHRY V, 790-791.
12. Carnis curam ne fecerimus. Excitatus e somno ... /... necessariis contenti.
In Ro, Hom. 24, 2-4 (PG 60, 624, 32-628). CHRY V, 805-810.
13. Ne ponamur fratri scandalum. Animaduerte quantum Paulum ... /... pro
merito potest, frui possimus. ~~
In Ro, Hom. 26, 3-4 (PG 60, 640, 53-644), CHRY V, 791-794.
14. Diligamus omnes etiam odientes. Iungamus nosipsos inuicem ... /... futu-
rae beatitudinis non eris immunis.
In Ro, Hom. 27, 3-4 (PG 60, 647, 24-650). CHRY V, 787-790.
15, De carminibus Dauid. Quemadmodum cibo uita haec sustentatur ... /...
et futura beatitudine potiamur.
In Ro, Hom. 28, 2-3 (PG 60, 651, 11-654). CHRY I, 889-892.
16, Diuitiae erogentur, Si opifices qui manuum ope... / ... futuris bonis per-
petuo potiemur.
In Ro, Hom, 30, 3-4 (PG 60, 665, 3-668), CHRY V, 913-916.
17, Deus laudandus. Imitemur et ipsi patriarcham .../... futurae bona
denique uendicemus.
In Ro, Hom. 8, 6-9 (PG 60, 462, 33-468). CHRY V, 702-708.
18. Diligatur Deus qui prior dilexit. Sectemur et nos supernas illas ..
gratia incumbamus.
In Ro, Hom. 9,4 (PG 60, 471, 53-474), CHRY V, 708-710.
19. De premiis sanctorum et gehenna, Haud aeque idem beatis omnibus
w/a. et futuris bonis potiri.
In Ro, Hom. 31, 4-5 (PG 60, 672, 43-676). CHRY IL, 921-924.
20, Opera bona occultentur. Rerum tuarum dispensatio ... /.. manent cer-
tiora et parata.
In I Tim., Hom. 14, 3-6 (PG 62, 574, 30-580). Cette piéce est omise dans
Védition de 1558, mais elle se trouve dans les éditions antérieures, par exemple
Paris, 1536 (V, 180-181) et Paris, 1543 (V, 77-78).
21. Ne desperemus aut presumanus, Nemo desperet si per otium ... /... sta~
tuta ac proposita sunt.
In I Thes., Hom. 1, 2-4 (PG 62, 396, 24-398). CHRY V, 814-817.
22. De uanitate mundi. Quemadmodum inquit in diebus Noe .../...
haudquaquam arguamur indigni.
In I Tim., Hom. 15, 3-4 (PG 62, 583, 49-586). CHRY V. 830-834.
23. De turture et Christo. Turtur solitudinis amantissima in siluis residens
«/.. mitigatione editis disserendum.46 RAYMOND ETAIX
Ps, Chrysostome, De turture (PG 55, 599-602). CHRY V, 746-750 reproduit
la traduction ancienne transmise par la collection des 38 homélies (n° 35).
24, De caritate. Charitatem optimum amoris genus ... /... ad tranquillimos
portus transuectabit.
In Hbr, Hom. 19, 2 (PG 63, 141, 36-144). CHRY V, 781-782.
25. Exortatio generalis ab bene uiuendum. Eo ipsi proxime ad perditionem
consequi ualeamus.
in Hbr, Hom. 14, 4 (PG 63, 115, 4-116). CHRY V, 803-805.
Epistola eiusdem s. Iohannis Crisostomi ad monachum Theodorum natu
ingenuum qua reuocat eum ad cenobium. Si possem litteris lacrimas tibi meas
significare ... /... gaudio et letitia affeceris.
Ad Theodorum lapsum, 1.2 (Sources chrétiennes 117, p. 47-78). CHRY V,
999-1008 reproduit la traduction ancienne (SC 117, p. 241-256) transmise par
la collection des 38 homélies (n° 30).
Vingt-quatre des piéces traduites par Persona ne sont pas en fait des
sermons, mais des extraits tirés des commentaires sur saint Paul de Jean Chry-
sostome. J’avais réussi a identifier chaque sermon et supposais que Persona
n’était pas auteur du choix : i] avait di traduire directement quelque manus-
crit grec, Etant tout a fait incompétent en ce domaine, j'interrogeai un spécia-
liste, le RP. M. Aubineau. Je ne puis mieux faire que citer un passage de sa
réponse :
«Il ne s’agit pas d’un recueil d’Eclogae, dont chaque piéce est un puzzle constitué
avec de nombreux fragments hétéroclites ... (mais) d’un recueil d’Ethica, dont chaque
piéce est homogéne, constituée par l’ultima pars d’une homélie de Chrysostome, de ses
grands commentaires bibliques: le fervorino final, moralisant, qui fait suite au
commentaire. Ce qui nous parait de moindre valeur, comparé aux commentaires bibli-
ques rigoureux a la mode antiochienne, c’est cela qui a enchanté les Byzantins. Dans
une premiére étape, on a bien marqué la césure dans le manuscrit des homélies in
Romanos, par exemple : Initium de ethicon orné, titre en marge, pour aider le lecteur
a retrouver aisément cette piéce de choix. Dans une seconde étape, on a constitué des
recueils ne contenant que ces exhortations finales. Dans une troisiéme étape, ces piéces
ont éé dispersées dans d’autres recueils : des piéges pour lecteurs crédules qui les
prennent pour des inédits et des Ps. Chrysostome ! Il y a la un phénoméne de culture,
ces recueils ont connu un incroyable succés de librairie ! » (Lettre du 9.3.1983)
Et le P. Aubineau me conseillait de consulter, entre autres, le codex Vatican,
Chigi R V 31 (Gr. 25), un manuscrit grec du x/xi° s., parfaitement décrit dans
le catalogue de Franchi de Cavalieri"'. La piste était excellente. Le codex est
beaucoup plus copieux que la collection de Persona, mais les coupures des
piéces communes correspondent exactement. Bien plus, le compilateur a parfois
modifié le début des fragments, afin de faciliter la lecture, et la traduction latine
11, Codices graeci Chisiani et Borgiani. Vatican, 1927, p. 34-43.SERMONS DE CHRYSOSTOME TRADUITS AU XV* S. 47
comporte ces exordes adaptés. Voici la table de correspondance entre les
sermons de Persona et le codex du Vatican :
No 1-16 = Chigi, f. 17-59v
N° 17-18 = Chigi, f. 10v-17
N° 19 = Chigi, f. 59v-63
N° 20 = Chigi, f. 194-201
No 21 = Chigi, f. 119-121
N° 22 = Chigi, f. 201-205
N° 24 = Chigi, f. 103-107
N° 25 = Chigi, f. 94v-96,
Le début du codex du Vatican manque ; il devait contenir des extraits des six
premiéres homélies sur l’épitre aux Romains et le début de celui tiré de la
septiéme homélie. Or on remarquera que Persona a traduit tout le début du
manuscrit (f. 10v-63), puis, comme s'il était fatigué, simplement une piéce de-ci
de-la. Il a toutefois omis la premiére piéce acéphale (f. 5-10v). Comme d’autre
part il ne donne pas d’extraits des six premiéres homélies, il est A peu prés
certain qu’il a utilisé directement le codex Chigi et non pas quelque autre
manuscrit semblable'?, Quant au De turture et au Ad Theodorum, il a di les
trouver dans un manuscrit qui reste a identifier.
Raymond Erarx
Facultés Catholiques de Lyon
Résumé : Ces sermons, souvent réimprimés au xvit s, sans mention du nom du traducteur,
sont en fait des evhica extraits des commentaires sur Paul de Chrysostome. Identification pro-
bable du manuscrit grec traduit par Persona.
12, Persona a aussi traduit le commentaire sur Paul de Théophylacte. Se serait-il servi du
codex Chigi R V 32 (Gr. 26)?Revue des Etudes Augustiniennes 30 (1984) 48-59
Saint Augustin et la Maurétanie Césarienne :
les années 418-419 a la lumiére
des Nouvelles Lettres récemment publiées
Parmi les nouveaux documents édités par J. Divjak dans le tome 88 du
Corpus de Vienne, trois lettres nous font connaitre l’affaire de l’évéque Hono-
tius : Ep, 22", 5-11; 23*, 2 ; 23* A, 5-6. Aprés la mort de Deuterius, évéque de
Caesarea (Cherchell), apparemment a |’automne ou vers la fin de l’année 419,
une partie des fidéles de la capitale provinciale voulaient qu’y fat transféré cet
évéque Honorius, du diocése de Cartennae (Ténés) qu'il partageait avec
Vévéque Rusticus. A l’occasion de ce récit, on voit parfois intervenir 4 nouveau
quelques-uns des acteurs ou des figurants des faits déja connus de l’année
précédente, 418, en particulier de ceux qui se situent dans le contexte de la
mission accomplie par Augustin dans la province de Maurétanie Césarienne :
le moine Renatus (Ep. 23* A, 3, 3), ’évéque Optatus (Ep. 23% A, 3, 2),
Vincent Victor (Ep. 23*, 1, 1; 23" A, 3, 3 et 5), ainsi qu’une autre figure de
connaissance — mais que les nouveaux documents enrichissent de traits inat-
tendus —, masquée, nous le verrons, derriére la double déformation de son
nom : Pévéque Priscianus sive Priscillianus (Ep. 16%, 3, 2 ; 23* A, 6, 1). Si bien
qu’il est sans doute opportun, avant de tenter d’évaluer le bénéfice de ce nouvel
éclairage, de bien cerner les zones d’ombre qui subsistent sur ce voyage de |’été
418, ses motifs et ses éventuelles conséquences.
Nous avons déja eu Voccasion de montrer en quoi était particuliére a cette
époque la situation de la Maurétanie Césarienne dans l’ensemble ecclésiastique
africain. Pour des raisons diverses, cette province apparait marginale, hors de
la norme et comme le maillon faible de la catholicité africaine'. On sait qu’en
411 peu d’évéques, en particulier catholiques, firent de Maurétanie Césarienne
le déplacement 4 Carthage pour participer a la Conférence, en dépit d’un
voyage d’Alypius in Mauretania, fin 410, qui a pu avoir pour objet, entre
autres, la préparation de cette rencontre? Au premier concile général réuni
1. Cf. Actes de la Conférence de Carthage en 411, t.1 (=S.C., vol. 194), p, 151-152,
2. Ibid., p. 146-150, 153 et 251,SAINT AUGUSTIN ET LA MAURETANIE CESARIENNE 49
aprés 411, celui qui se rassemble a Carthage le 1% mai 418, des délégués de
toutes les provinces participent aux débats, a l’exception de la Césarienne*. Les
mois suivants, durant été 418, Augustin, accompagné d’Alypius et de Possi-
dius, entreprend en Césarienne un long voyage dont l’étape la mieux attestée se
situe dans la capitale provinciale, Caesarea (Cherchell), 4 la mi-septembre.
Le paradoxe est que les documents — augustiniens — qui nous font connaitre
ce voyage concernent des affaires qui se sont développées de fagon secondaire
par rapport a cette « mission », et qu’ainsi ils ne nous renseignent pas sur ce qui
fut sa cause premiére, Dans une lettre adressée a l’évéque Optatus trés vraisem-
blablement de Caesarea en septembre 418*, Augustin lui apprend de fagon
incidente qu’une mission relative 4 une « affaire ecclésiastique », 4 lui confiée
par le pape Zozime, l’avait amené Caesarea : « ... quia illae, quas ad Maure-
taniam Caesariensem misisti, me apud Caesaream praesente uenerunt, quo nos
iniuncta nobis a uenerabili papa Zozimo, apostolicae sedis episcopo, ecclesias-
tica necessitas traxerat...' », Toutefois, en dépit de la précision issue de la rela-
tion syntaxique des mots ci-dessus soulignés par nous, ce n’est pas seulement a
Caesarea mais de fagon plus large en Maurétanie Césarienne que l’avait
conduit la mission confiée par Zozime, comme le dit une phrase d’une lettre
adressée 4 Marius Mercator, qui mentionne aussi que ce voyage avait été entre-
pris a partir de Carthage : « Cum uero inde (scil. a Carthagine) digressi sumus,
perreximus usque ad Mauretaniam Caesariensem, quo nos ecclesiastica neces-
sitas traxit », Et la phrase qui suit montre bien que ce voyage a été ponctué de
nombreuses étapes au cours desquelles l’attention d’Augustin a été accaparée
par des affaires diverses éventuellement déja en relation — du moins dés qu’il
eut franchi le flumen Saua, Vactuel oued Soummam — avec ce qui motivait sa
mission ; « Per quas totas terras cum intentionem nostram Auc atque illuc, quae
ingerebantur sensibus diuersa, raptarent...6 », Nous connaissons l’une de ces
étapes, celle qu’il fit a Malliana (Khemis-Miliana, ex-Affreville), 4 une cinquan-
taine de kilométres au sud de Caesarea, mais plutét, semble-t-il, lors du voyage
de retour’, Enfin, Augustin Iui-méme dans les Rétractations distingue bien
l’épisode — circonstanciel — de sa rencontre avec Emeritus a Caesarea de la
mission qui l’avait amené plus généralement en Maurétanie Césarienne :
« Aliquanto post conlationem quam cum hereticis Donatistis habuimus, orta
est nobis necessitas pergendi in Mauretaniam Caesariensem. Ibi, apud ipsam
3. Concilia Africae, C.C.L., t. 149, —p. 227-228; des délégués de la Césarienne étaient
présents au concile général du 13 juin 407 (C.C.L., 149, p. 215), et il y en aura au concile du 25
mai 419 (C.C.L., 149, p. 151, 153, 155, 230, 234).
4. Cf. A.C. pe Veer, dans Rev. des Et. Aug., 19, 1-2, 1973, p. 131-132; A. MANDOUZE,
P.CBLE., FAfrique, 1982, s.v. Optatus 7, p. 805.
5. Ep. 190, 1, C.S.E.L., 57, p. 137-138.
6. Ep. 193, 1, CS.E.L., 57, ps 168, |. 1-5.
7. Ep. 236 (a Deuterius de Caesarea), 1, CS-E.L, 57, p. 524, 1.34: « Mallianensem
quemdam subdiaconum Victorinum apud nos constitit esse Manichaeum... » 1 est plus probable
que cette affaire eut liew quand Augustin passa a Malliana en sen retournant. Sinon, quel besoin
eitil eu den écrire & Deuterius juste avant de le voir 4 Caesarea ?50 SERGE LANCEL
Caesaream, Emeritum, Donatistarum episcopum, uidimus... »8. On notera que
toutes ces indications donnent comme origine 4 ce voyage une necessitas, ou
ecelesiastica necessitas, 4 Vinstigation du pape Zozime : cette derniére préci-
sion, si elle ne figure pas dans la notice des Rétractations citée ci-dessus, ne
manque pas dans la Vita Augustini de Possidius : « Tamen omnipotentis Dei
praestitit auxilium ut postea in Caesariensi Mauretaniae ciuitate constitutus
uenerabilis memoriae Augustinus, quo eum uenire cum aliis eius coepiscopis
sedis apostolicae litterae compulerunt, ob terminandas uidelicet alias ecclesias-
ticas necessitates...° ». Il n’y a pas lieu de faire ici un sort a alias, qui ne fait que
différencier ces ecclesiasticae necessitates, cause de la mission d’Augustin, de la
conférence avec Emeritus, épisode accessoire.
Ces « affaires ecclésiastiques », on I’a vu, ne sont pas autrement détaillées.
Toutefois, le fait qu’Augustin, accompagné de ses collégues Alypius et Possi-
dius, s’en occupe sur mandat du pape indique ipso facto qu’il s’agirait d’affaires
prises 4 un stade de développement qui a dépassé les instances proprement afri-
caines, Le terme employé par Possidius, ob terminandas... ecclesiasticas neces-
sitates, suggére plus nettement encore que la délégation de juridiction regue par
Augustin est celle d’une juridiction d’appel.
L’hypothése d’une procédure d’appel a déja été formulée, et l’on a méme
parfois évoqué l’affaire d’Apiarius 4 propos du voyage d’Augustin en Mauré-
tanie!®. L’incompatibilité des lieux est manifeste : Apiarius était prétre a Sicca
Veneria, en Proconsulaire. Cependant, le réexamen du dossier de I’affaire
Apiarius, joint a celui du concile du 1* mai 418, peut projeter quelque lumiére
sur les affaires de Maurétanie Césarienne.
On ne peut tout d’abord éluder la discussion d’un probléme de chronologie.
Augustin et ses collégues Alypius et Possidius n’ont guére pu entreprendre leur
mission 4 Caesarea sans un mandat écrit, ce que précise d’ailleurs Possidius
dans la Vita Augustini: «... sedis apostolicae litterae'! », Quand ont-ils pu
recevoir ces litterae? Le 1* mai 418 s’ouvre 4 Carthage le concile général,
dans la basilica Fausti. A Vissue de ses travaux, pour éviter de retenir plus
longtemps tous les évéques présents, on décide d'élire trois « juges » par
province — un seul pour la Tripolitaine, propter inopiam episcoporum — : seuls
les évéques de Maurétanie Césarienne, apparemment absents, font défaut a ce
petit comité interprovincial’*, Les délégués restés en séance ont mandat de
«connaitre de tout » avec le primat Aurelius'’, Sur quoi porteront délibérations
8. Retract., Il, $1 (78), B.A., 12, p. 534.
9. Possipius, Vita Augustini, 14, 3, éd. Pellegrino, p. 86.
La maniére dont le lien a été fait autrefois — notamment par Van Espen — entre l'affaire
Apiarius et le voyage de Césarienne est exposée et justement critiquée par G. BONNER, Augus-
tine’s Visit to Caesarea in 418, dans Studies in Church History, vol. 1, Londres, 8.4. (1964), p.
104-113, & compléter par le compte rendu qu’en fit A.C. De Veer, dans Rev. des Et. Aug.. 12,
3-4, 1966, p. 307.
(1. Vita Aug. 14, 3.
12. Cf, Coneilia Africae, Reg. Carthy ¢ 127, C.C.Lw t. 149, p. 227.
13. Ibid, p. 228: «... qui omnes cum sancto sene Aurelio uniuersa cognoscant ».SAINT AUGUSTIN ET LA MAURETANIE CESARIENNE 51
et jugements ? On peut admettre qu’ils porteront éventuellement sur des cas
concrets situés dans le contexte des questions évoquées en séance pléniére. La
question pélagienne occupe la premiére partie des débats du concile’4 : on ne
peut exclure des désaccords doctrinaux entre Africains, que la commission
restreinte aurait eu a juger ; mais observons du moins que la crise ouverte 4 ce
sujet entre l’Eglise africaine et le siége apostolique était désormais dissipée!.
Puis de délicats problémes de discipline ecclésiastique, issus de la conversion et
de la réception des donatistes, en ces années qui suivent la Conférence de 411,
occupérent longuement les Péres du concile, La lecture des canons de cette sec-
tion des Actes de 418" fait apparaitre la complexité des situations et les litiges
nombreux et variés qu’elles pouvaient engendrer ; on notera en particulier que
dans ces contextes trois canons prévoient des sanctions disciplinaires contre des
évéques : la perte de la communion, et méme la perte de la charge épiscopale!”.
Ces Actes enfin se terminent sur un canon relatif aux prétres, diacres et autres
clercs mineurs, édictant les dispositions qui réglaient les modalités d’appel qui
leur étaient offertes : 4 des évéques voisins, en deuxiéme instance aux primats et
aux conciles provinciaux ; ceux qui feraient appel ad transmarina perdraient la
communion en Afrique!®. La place et la date de ce canon ont été contestées :
certes, il figure aussi (avec beaucoup d’autres semblablement repris de conciles
anterieurs) parmi les canones in causa Apiarii rassemblés par le concile du 25
mai 419 et adressés au pape Boniface, mais il n’en a pas moins été adopté
d’abord par le concile du 1% mai 418%. On peut dés lors estimer que I’« affaire
Apiarius » avait d’ores et déjd commencé,
Assurément, ce n’est pas l’affaire Apiarius qui motive le voyage d’Augustin
et de ses collégues en Maurétanie Césarienne. Mais, en plein accord avec les
textes, on peut rétablir le schéma chronologique suivant. Dans les premiers
jours de mai 418, la commission épiscopale réunie autour d’Aurelius adresse au
pape Zozime une lettre synodale, ou des rapports, dont l’existence est suggérée
par V’eschatocole du concile : «... a quo (sci. Aurelio) petit uniuersum conci-
lium ut cunctis siue gestis quae iam confecta sunt, siue episiolis, ipse subscri-
bat?° », Cette synodale perdue ne doit pas étre confondue avec celle — égale-
ment perdue, mais dont nous connaissons la teneur par |’allusion qu’y fait la
lettre synodale au pape Boniface du 26 mai 419?! — par laquelle l’épiscopat
14, Reg. Carth., c. 109-116, Conecilia Africae, C.C.L.. 149, p. 220-224,
15, Cf, en dernier lieu Ch. Perri, dans Les Lettres de Saint Augustin découvertes par J.
Divjak, Paris, Et. Aug., 1982, p. 350-352,
16. Reg. Carth, c. 117-124, Conellia Africae, C.C.L., 149, p. 224-227.
11, Reg. Carth, c. 122, 123, 124, Coneilia Africae, C.C.L., 149, p. 226-227.
18. Reg. Carth, c. 125, Coneilia Africae, C.C.L., 149, p. 227.
19, Bien que Ch. Munier ait limité de fagon discutable son édition du concile de 418 ala
seule partie antipélagienne figurant dans les recensions « Quesnelliennes » et gauloises (C.C.L
149, p. 67-77), il n’envisage pas (contrairement A ce qui est dit par P.C.B.E., I-Afrique, s.v.
Apiarius, p, 83, note 15) de soustraire ce canon aux actes du concile de 418 : ef. Concilia
Africae, C.C.L., 149, p. 109, note de bas de page relative au c, 28 des canones in causa A piarit.
20. Concilia Africae, C.C.L., 149, p. 220.
21. Coneilia Africae, C.C.L., 149, p. 158, 1. 52-58; cf. aussi ibid. p. 91, |. 72-75.
(Studies in Platonism, Neoplatonism, and The Platonic Tradition 6) Hans-Christian Günther-Die Übersetzungen Der Elementatio Theologica Des Proklos Und Ihre Bedeutung Für Den Proklostext-Brill (2007)
(Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 356) Martin Beck-Der „Tag YHWHs‟ im Dodekapropheton_ Studien im Spannungsfeld von Traditions- und Redaktionsgeschichte-Walter de Gruyte.pdf
PTS 67 Günter Heil, Adolf Martin Ritter-Corpus Dionysiacum II. Pseudo-Dionysius Areopagita - de Coelesti Hierarchia, de Ecclesiastica Hierarchia, de Mystica Theologia, Epis PDF
PTS 67 Günter Heil, Adolf Martin Ritter-Corpus Dionysiacum II. Pseudo-Dionysius Areopagita - de Coelesti Hierarchia, de Ecclesiastica Hierarchia, de Mystica Theologia, Epis PDF