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La polysémie des monstruosités dans Phèdre 1

Introduction
Phèdre peut être lu comme une pièce sur la monstruosité. Le mot monstre est maintes fois
prononcé dans la tragédie de Phèdre. Mais qu’est-ce qu’un monstre ? Le monstrueux diverge
de la normalité établie par une norme. Si nous lisons la pièce de Racine sous l’aspect de la
monstruosité, cette tragédie sera une pièce de la transgression, car le monstrueux diverge du
commun. Ainsi Racine insiste sur la valeur morale de son œuvre. Il écrit dans la préface:

Les passions n’y sont représentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont
cause : et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité.
C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer, et c’est
ce que les premiers poètes avaient en vue sur toute chose. 1

En traitant le thème de la monstruosité, Racine explicite son travail d’écrivain de théâtre qui
consiste à mettre en scène et donner à haïr les difformités ou, autrement dit, les monstruosités.
Haïr la difformité et aimer la bonne forme, c’est condamner les vices et enseigner les vertus.
La difformité représente donc le mal. Toute l’action du personnage de Phèdre est ainsi
caractérisée par une sombre couleur, le noir, signifiant le mal. « D’une action si noire que ne
peut avec elle expirer la mémoire ! »2 Racine fait refléter dans cette monstruosité le rapport
entre l’homme et le mal. Son théâtre nous permet d´appréhender ce rapport. Nous voulons
donc dans ce travail analyser le concept de monstruosité mis en œuvre par Racine dans
Phèdre. Dans un premier temps, nous aborderons les différentes définitions liées à cette
notion, puis nous examinerons les différents emplois du terme de monstre présents
littéralement dans le texte. Dans une troisième partie, nous évoquerons la vision janséniste de
la prédestination au mal. Puis, nous analyserons le personnage de Phèdre qui oscille entre
l’aspiration à la pureté et la violence d’un amour. Enfin, nous nous plongerons dans les
personnages de Phèdre, d´Hippolyte et d´Oenone. Nous distinguerons ainsi trois sortes de
monstruosités afin de classer les différents actes monstrueux commis par les personnages.
D’une part la monstruosité intérieure, d’autre part la monstruosité extériorisée et enfin la
monstruosité de l’ordre.

1
Racine Jean, Phèdre, Paris, Pocket, 2009, p 21.
2
Op. cit., Acte V, Scène Dernière, p.90 v. 1646-47.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 2

1. De la monstruosité : Le rapport entre l’homme et le mal


1.1 Des définitions de la monstruosité
Avant d’entrer dans le vif du sujet nous allons tout d’abord définir la monstruosité. Qu’est-ce
que signifie cette notion ? Le dictionnaire Larousse nous livre quatre définitions.
Premièrement, la monstruosité peut être « une grave anomalie dans la conformation d'un
individu. »3, ce qui est cas de Minotaure. Amoureuse d’un taureau, Pasiphaé donne naissance
au Minotaure, monstre au corps d’homme et à la tête de taureau.4 Mais en plus, la
monstruosité est tout « ce qui est monstrueux, contre nature, abominable, horrible comme la
monstruosité d’un crime.»5 Nous savons bien que Phèdre même considère son amour
incestueux comme un crime et se désigne elle-même en tant que « monstre affreux ».6 Les
deux dernières définitions vont dans le même sens: « Acte abominable : Commettre des
monstruosités »7 ainsi que « ce qui choque le goût, le sens de la mesure : Dire des
monstruosités.»8 Il est certain que la tragédie Phèdre a choqué certaines personnes et lors de la
représentation de la pièce, une véritable querelle eu lieu. « Une violence inouïe se déchaîna
contre la pièce ».9 Racine a-t-il fait preuve d´une trop grande monstruosité en mettant en
scène l´inceste? En tout cas, presque tous les personnages de la tragédie sont qualifiés par
l’attribut de monstre. Nous voulons pour cette raison nous plonger dans l’emploi de cet
attribut polysémique.

1.2 Les différents emplois du mot monstre dans la tragédie Phèdre


Déjà lors de la première lecture de la tragédie de Phèdre, le lecteur/la lectrice est interpellé(e)
par l´importance du nombre de fois où le mot monstre apparaît. Nous trouvons celui-ci tout au
long du texte. (v. 78 / 99 / 520 / 649 / 701 / 703 / 884 / 948 / 963 / 970 / 1045 / 1318 / 1444 /).
Mais ce terme désigne en fait plus d´une chose. Racine entend par celui-ci des monstres
moraux comme physiques. Les deux sont liés l´un à l’autre. C’est la monstruosité morale qui
donne naissance à des monstres d’ordre physique. Ainsi, du corps de Pasiphaé naîtra le
monstre Minotaure et par l’appel de Thésée provoqué par Phèdre naîtra le monstre marin

3
Dicctionnaire Larousse: http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/monstruosit%C3%A9/71338
4
Racine Jean, Phèdre, p.32, Acte I, Scène 3, v. 249-50
5
Dicctionnaire Larousse: http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/monstruosit%C3%A9/71338
6
Op. cit., p.51, Acte II, Scène 5, v. 249-50
7
Dicctionnaire Larousse: http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/monstruosit%C3%A9/71338
8
Op. cit.
9
Jansinski Réné, vers LE VRAI RACINE, Abbeville, Librairie Armand Colin, 1958, vol. II, p. 399.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 3

responsable de la mort de Hippolyte. Nous allons ici aborder les différents emplois du mot
monstre selon une distinction en deux catégories empruntées à Orlando : 10

a) l’emploi physico - littéral du monstre


Celui-ci désigne le « monstre de la Crète »11, c’est-à-dire le Minotaure comme les autres
nombreux monstres préhistoriques, relevé du mythe païen. Thésée extermine ces monstres
dans une mission civilisatrice et héroïque afin d’instaurer l’ordre humaine :

Ici les monstres figurent un réprimé en voie de succomber, l’irrationalité primordiale et féroce
que le héros civilisateur a progressivement éliminée de la surface de la terre, consolidant ainsi,
12
voire fondant l’ordre humain.

b) l’emploi moral – figuré du monstre


Celui-ci est utilisé pour une personne dont le comportement ou la pensée est monstrueuse,
contre-nature, abominable ou horrible. Ainsi Oenone (v. 1317), Hippolyte (v. 884) et bien sûr
Phèdre sont appelles dans ce sens, bien que Phèdre elle l’unique personnage qui se désigne
soi-même par ce terme (v.703-4).

D’un côté, nous avons donc une représentation physique des monstres en tant que tels
selon les mythes et de l’autre côté les monstres comme valeur métaphorique représentant et
qualifiant les personnages. Nous voyons donc bien comment la tragédie joue avec ces deux
emplois désignant des monstres de natures différentes. Mais l’utilisation de cette différence
n’est pas vaine. Selon Orlando « un surnaturel monstrueux, bestial, prête ses formes à la
manifestation de quelque chose comme le sous-naturel de la nature dégradée par le péché
originel »13 Le monstre physique peut être vaincu et, en plus, avec l’élimination des
caractéristiques physiques le mal peut être éliminé du monde tandis que la monstruosité
morale, n´étant pas présente sur la surface sinon à l´intérieur des personnages et donc innée,
ne peut guère être éliminée car l’être humain est prédestiné au mal selon la doctrine
janséniste. Nous sommes ainsi confrontés à deux conceptions du mal. Le monstre physique
comme une représentation concrète du mal et le monstre moral comme une représentation
plus abstraite du mal et de cette manière plus difficile à saisir. D’une part, nous avons les
traditionnels aspects mythiques de la tragédie représentés dans le combat de Thésée contre les
monstres préhistoriques et d’autre part, l’horreur morale qui est conceptualisée dans le
monstre figuratif. Deux dimensions caractéristiques de la monstruosité se présentent :

10
Orlando Francesco, Lecture freudienne de Phèdre, Torino, 1971, p. 52.
11
Racine Jean, Phèdre, p. 57, Acte III, Scène 1, v. 649.
12
Orlando Francesco, Lecture freudienne de Phèdre, Torino, 1971, p. 57-58.
13
Op. cit., p.53
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 4

La dimension propre du mythe et la dimension même de la nature, conformément à la vision


janséniste, partagée par Racine, pour laquelle la nature humaine est condamnée sans autre
14
perspective de salut qu’une éventuelle grâce divine.

1.3 La vision janséniste de la prédestination humaine au mal


Nous avons pu constater que selon une conception janséniste, l’homme est par nature
condamné au mal. Ce ne sont que quelques élus qui caressent l´espoir d´obtenir la grâce
divine. Pour le reste de la population, même si certaines personnes mènent une vie pieuse,
aucun salut n’est possible par l’effort. La croyance en la corruption de la nature humaine
engendrée par le péché originel est un point essentiel dans la pensée janséniste. L’être humain
est condamné à la faute. Phèdre est, dès le début de la pièce, marquée par cette prédestination.
Phèdre mène ce conflit à l’intérieur d’elle-même au-travers d´une lutte continuelle entre le
destin et une lutte pour la liberté. Racine, sous sa plume, transcrit ce conflit à la perfection et
arrive à dessiner un personnage qui illustre la problématique selon cette vision janséniste.
Orlando poursuit alors:

C’est cette conception idéologique latente qui a ranimé le mythe en profondeur, formant avec
les matériaux fourmis par celui-ci de puissants équivalents symboliques. C’est la
prédestination de Phèdre à la faute qui se trouve précisément symbolisée, d’une manière
angoissante, par une espèce d’hérédité monstrueuse de son ascendance maternelle.15

Le mal et les fautes sont imposés à l’être humain. Le monstre est à l’intérieur de l’individu.
La tragédie Phèdre s’implante dans ce contexte. Un contexte du combat entre l’affirmation
de soi, c’est-à-dire de la réalisation de ses désirs ou de l’acceptation de l’ordre en se
soumettant aux lois divines. De cette manière :

Racine le janséniste peut transfigurer poétiquement les scandales mythiques dépourvus de sens
en un scandale bien plus grand, mais doué de sens : le scandale suprême de l’arbitraire divin et
de la prédestination humaine au mal.16

2. Entre l’aspiration à la pureté et la violence d’un amour impossible


C’est surtout son combat intérieur qui déchire Phèdre. Un combat entre sa profonde aspiration
à la pureté et la violence d’un amour illégitime. Ainsi « le mal se manifeste par un schisme
dans la conscience entre une adhésion absolue à l’ordre et un désir d’ailleurs, un monstre à
l’intérieur de soi, une chose sans nom, une hétérogénéité qui échappe à la taxinomie et à la

14
Ibid.
15
Op. cit., p. 56.
16
Op. cit., p. 53.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 5

représentation de l’ordre, qui s’empare du corps de Phèdre comme de celui des possédées».17
Objectivement l’inceste n’est jamais consommé, mais le sentiment subjectif de Phèdre le
condamne comme un crime. Tiraillée entre sa propre condamnation et ses désirs de pouvoir
vivre son amour interdit « Phèdre apparaît – dans des oscillations saisissantes – tantôt comme
une innocente torturée, tantôt comme un être monstrueux : les motifs de la pureté et du
monstre s’entrelacent musicalement dans toute la tragédie. »18 Deux exemples tirés de la pièce
illustrent parfaitement ces oscillations :

Mes crimes désormais ont comblé la mesure.

Je respire à la fois l’inceste et l’imposture.

Mes homicides mains, promptes à me venger,

Dans le sang innocent brûlent de se plonger.

Misérable ! et je vis ? et je soutiens la vue

De ce sacré Soleil dont je suis descendue ? 19

ainsi que:
J’aime. Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,

Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même,

Ni que du fol amour qui trouble ma raison,

Ma lâche complaisance ait nourri la passion ;

Objet infortuné des vengeances célestes,

Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.

[…]

Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? »20

Ces oscillations sont provoquées par le paradoxe entre le crime et le désir. Entre l’aspiration à
la pureté et un désir irréalisable qui ne peut mener qu´au malheur.
Mais l’action noire de Phèdre ne devient cruelle pour son entourage que lorsqu´elle exprimera
son aveu. A la fin de la tragédie, elle est accusée par Thésée : « D’une action si noire que ne
peut avec elle expirer la mémoire ! » Racine a bien suivi l’idée d’Aristote exprimé dans sa
fameuse Poétique : « La tragédie imite non des hommes mais l’action, la vie ». La vie avec
toutes ses contradictions.

17
Bruneau Marie-Florine, RACINE, Le Jansénisme et la Modernité, Paris, Librairie José
Corti, 1986, p. 33.
18
Sellier Philippe: Essais sur l’imaginaire classique, 251.
19
Racine Jean, Phèdre, p. 75, Acte IV, Scène 6, v.1269-1274.
20
Op. cit., p. 50-51, Acte II, Scène 5, v. 674-694.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 6

3. Trois types de monstruosités


3.1 La monstruosité intérieure
Phèdre apparaît comme l´actant principal. Même si dans la plupart des scènes elle n’est pas
physiquement présente, elle est en réalité omniprésente dans la tragédie. Elle porte le monstre
à l’intérieur d´elle-même ou autrement dit : elle porte le mal en soi. Mais ce mal est plus
qu’un simple mal puisqu´il représente en même temps un désir pour elle. Il fait partie de son
corps. Elle va si loin qu’elle refuse même la vie car elle sait que ses désirs ne peuvent pas être
satisfaits sans troubler l’ordre du monde. Elle est consciente de l’incompatibilité entre ces
deux choses, c’est-à-dire entre la pureté et l’amour interdit. Oenone ne connaît pas les raisons
pour lesquelles Phèdre veut mourir. Impuissante, elle l’accompagne en ne voyant que les
symptômes car Phèdre en s’adressant à elle va les lui laisser entrevoir :

Oenone, la rougeur me couvre le visage


21
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs

Le mal de Phèdre est plus qu’un mal physique. Ce sont des « douleurs honteuses » qu’elle
aimerait cacher car elles proviennent d’un crime. Le désir de Phèdre est effectivement
synonyme de crime pour elle-même:

Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,


22
Je n’en mourrai pas moins ; j’en mourrai plus coupable.

Un crime gardé par Phèdre dans le silence de son intériorité ou autrement dit un crime qui
n´affecte qu´elle-même ; un crime non nommé :

Avant que la parole ne lui donne un nom, le mal existe sous la forme du symptôme et
s’empare du corps. Gardé par le silence, il ne trouble pas l’ordre mais fait violence à
l’individu. Symptôme, le mal a pour fonction à la fois de signifier une hétérogénéité et de
menacer l’individu du mort. Ce n’est qu’une fois qu’il est nommé qu’il devient violence pour
23
l’ordre cosmique social, politique, familial et personnel.

Phèdre souffre de ces symptômes, c’est-à-dire que sa fatalité est intériorisée dès le début et
dans son aspiration à une pureté elle le garde en silence. Elle veut tenir le monstre caché :
« Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire.»24 De nommer le symptôme de son mal

21
Racine Jean, Phèdre, p. 29, Acte I, Scène 3, v.183-84.
22
Op. cit., p. 32, Acte 1, Scène 3, v. 241-42.
23
Bruneau Marie-Florine, RACINE, Le Jansénisme et la Modernité, Paris, Librairie José
Corti, 1986, p. 33.
24
Racine Jean, Phèdre, p. 24, Acte I, Scène 1, v.45.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 7

l’affecte fortement. Aussi, quand Oenone prononce le nom Hippolyte dans sa présence, elle
s’exclame à bout de force : « Malheureuse ! Quel nom est sorti de ta bouche ! »25 Au moment
définitif, c’est encore Oenone qui doit prononcer le nom, bien que Phèdre fait tout son
possible pour qu’Oenone puisse le dire. Ce n’est qu’avec la prise de parole que la véritable
action commence et la tragédie se déclenche, car « la transgression de Phèdre est
impardonnable, elle met en péril un des fondements de l’ordre établi : La morale qui règle la
sexualité »26 La tragédie s’écarte. D’un coup il y a aussi une tragédie d’Oenone, une
d’Hippolyte et une de Thésée. Le mal nommé, la passion incestueuse pour Hippolyte, menace
l’ordre. L’action noire de Phèdre se déroule. Sa souffrance est doublement fatale, car non
seulement il est passionnel mais aussi parce qu’il résulte d’une malédiction jetée par Vénus.
Une passion que Phèdre condamne sans doute refusant la vie et en voulant quitter le monde.
Ainsi elle s’exprime :
J’ai conçu pour mon crime une juste terreur.

J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.

Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,


27
Et dérober au jour une flamme si noire.

3.2 La monstruosité extériorisée


Racine parle de deux personnages dans l’introduction. C´est ainsi qu´il s´exprime en
nommant Phèdre: « ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente » (v. 13-14) et pour
Hippolyte « un peu coupable ». Racine juge différemment les deux comportements bien qu’il
existe des ressemblances dans leur conduite et leur désir. Toute leur construction dans la
tragédie est caractérisée par un certain parallélisme. Dans le premier acte les deux font l´aveu
à leur nourrice qui est celui d’un amour interdit. Celui de Hippolyte est illégitime parce qu’il
remet en question l’ordre royal et celui de Phèdre l’ordre familial. Ainsi, les deux personnages
étant pleinement conscients de l’illégitimité de leur amour vont le rejeter. Phèdre rejette son
beau-fils et l´éloigne le plus possible d´elle-même et Hippolyte, étant conscient de son amour
pour Aricie, la rejette dans un acte de fausse misogynie envers toutes les femmes. Mais la
tragédie les conduit à faire un deuxième aveu croyant alors que Thésée est mort. Hippolyte
avoue son amour à Aricie et Phèdre le sien pour Hippolyte selon lequel Oenone est devenue
légitime avec la mort de Thésée :
Vivez ; vous n’avez plus de reproche à vous faire :

25
Op. cit., p.30, Acte I, Scène 3, v.206.
26
Orlando Francesco, Lecture freudienne de Phèdre, Torino, 1971, p. 71.
27
Racine Jean, Phèdre, p. 35, Acte I, Scène 4, v.306-310.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 8

Votre flamme devient une flamme ordinaire


[…]
Hippolyte pour vous devient moins redoutable ;
Et vous pouvez le voir sans vous coupable »28

Mais comme Hippolyte refuse l´amour de Phèdre et, qui plus est, celle-ci apprend plus tard
qu´il aime Aricie, elle devient dans un acte de rage véritablement coupable : « Mes crimes
désormais ont comblé la mesure : / Je respire à la fois l’inceste et l’imposture. »29 Il faut
préciser que Phèdre devient véritablement coupable et monstrueuse parce que dans un sens
moderne et non chrétien, son désir incestueux pour Hippolyte n’est pas consommé, et donc
admissible et pardonnable selon une éthique morale où chacun peut avoir ses propres
fantasmes sexuels. La monstruosité du désir inavoué de Phèdre se transforme avec
l´imposture en une monstruosité active extériorisée qui affecte les autres. Phèdre, dans sa
rage, traite Oenone et Hippolyte de monstres et les conduit ainsi vers la mort. Oenone est
ainsi accusée cruellement:
J’évitais Hippolyte, et tu me l’as fait voir.
De quoi te chargeais-tu ? Pourquoi ta bouche impie
A-t-elle, en l’accusant, osé noircir sa vie ?
Il en mourra peut-être, et d’un père insensé
le sacrilège vœu peut-être est exaucé.
30
Je ne t’écoute plus. Va-t’en, monstre exécrable.

Nous pourrions presque dire qu’elle transmet sa propre culpabilité à Oenone. Alors que
formellement les décisions sont prises par Phèdre. C’est donc elle qui doit les assumer. Dans
ce sens nous pourrions voir dans le suicide de Oenone la prédilection du suicide de Phèdre.
Mais dans sa rage aussi Hippolyte et traité de monstre :

Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux 31

De cette manière Phèdre devient réellement monstrueuse car elle porte le mal vers l´extérieur
et plus seulement comme un désir intérieur et qui ne faisait mal qu´à elle-même. Dans sa peur
qu’Hippolyte pourrait la trahir, elle l’accusera d’inceste. Or Hippolyte même faussement
accusé de l’inceste gardera le silence. La seule faute commis par Hippolyte était de
transgresser la loi du roi, c’est-à-dire de son père en aimant Aricie.

28
Op. cit., p. 36, Acte I, Scène 5, v. 349-354.
29
Op. cit., p. 75, Acte IV, Scène 6, v. 1269-1270.
30
Op. cit., p. 76, Acte IV, Scène 6, v. 1312-1317.
31
Op. cit., p. 60, Acte III, Scène 4, v. 884.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 9

3.3 La monstruosité de l’ordre


Toute la pièce de Racine se définit par un ordre établit. Un ordre qui ne peut être discuté,
puisse cette autorité être injuste : « Les sujets doivent à l’autorité une obéissance
inconditionnelle. »32 La tragédie de Racine s’inscrit dans cette pensée janséniste qui part de
l’idée que « chaque individu est lié à la société à laquelle il appartient et ne doit rien
entreprendre qui troublerait l’ordre social. »33 Il justifie aussi de cette manière son théâtre
comme nous l´avons vu dans l’introduction : d´un côté il veut faire connaître les difformités
mais surtout il veut les faire haïr. C’est un théâtre qui mène à la vertu. Ainsi « tout ce qui
diffère de l’ordre divin établi représente le mal, l’innommable, le monstrueux ; il doit être
annihilé comme les monstres que tue Thésée ».34 C’est ainsi le mal qui menace l’ordre qui se
base sur une organisation familiale et sociale patriarcale. Phèdre ne remet jamais cet ordre en
question:
Mon époux est vivant, Oenone, c’est assez.
J’ai fait l’indigne aveu d’un amour qui l’outrage.
Il vit : je ne veux pas en savoir davantage. 35

C´est un ordre qui par définition a besoin de la répression des femmes ; un ordre qui dans tout
son pouvoir définit les désirs des êtres humains, et parallèlement réprime tous ceux qui
pourront aller à son encontre. Ainsi Phèdre se trouve dans cette situation. Elle constate :

Soumise à mon époux et cachant mes ennuis,


De son fatal hymen je cultivais les fruits. 36

Même Phèdre ne condamne pas l’ordre établit sinon son propre désir. Un désir qui ne peut
être contrôlé par l’ordre car il est intérieur. Mais c’est Phèdre qui tue ses propres désirs pour
mieux vivre dans l’ordre. Ainsi elle se nie :

Phèdre désire en dehors des règles de la famille, mais son désir, loin de constituer une
subversion de l’ordre, ne fait que l’affirmer avec plus de rigueur, puisqu’elle accepte elle-
même. 37

La question du désir des femmes est toujours vécue d’un point de vue patriarcal comme une
menace à l’ordre. Ainsi : « l’inceste sert de métaphore pour cette chose monstrueuse qui dans
un système patriarcal menace l’ordre cosmique et social : le désir d’une femme ».38

32
Bruneau Marie-Florine, RACINE, Le Jansénisme et la Modernité, p. 41.
33
Ibid.
34
Op cit., p. 31.
35
Racine, Phèdre, p. 58, Acte III, Scène 3, v. 832-34.
36
Op. cit., p. 30-34, Acte I, Scène 4, v. 299-300.
37
Bruneau Marie-Florine, RACINE, Le Jansénisme et la Modernité, p. 37.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 10

Nous pouvons donc dire que Phèdre comme personnage souffre de deux différents types de
monstruosités. Elle souffre d’un côté de celle de l’ordre et de l´autre, de ses propres désirs.
Par contre, la monstruosité de l´imposture n´est pas ressentie par Phèdre comme une
souffrance mais c´est avec cette action qu´elle se noircit véritablement.

38
Op. cit., p. 34.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 11

Conclusion
Après avoir distingué les différents emplois du mot monstre dans Phèdre et trois différents
types de monstruosités, nous pouvons conclure que la monstruosité, thème omniprésent dans
Phèdre de Racine, nous permet assez bien d’illustrer les rapports qu’entretiennent les êtres
humains au mal. D’un côté, nous avons la simple lutte héroïque contre le mal illustrée dans
l’œuvre par les gestes grandioses de Thésée contre les monstres préhistoriques, et d´un autre,
une lutte complexe contre les monstres de l’intérieur. Cette deuxième monstruosité se trouve,
comme nous l´avons vu, dans le rapport étroit entre des contradictions comme par exemple le
désir vers un ailleurs et la soumission à l’ordre instauré par une norme, qu’elle soit d’ordre
familial ou qu’elle soit d’ordre divin. C´est une lutte qui, selon une conception janséniste, est
innérante à la condition humaine. Elle est mise en scène dans toute sa complexité par l’action
des personnages de Phèdre et d’Hippolyte. La première monstruosité, étant physiquement
perceptible est facile à reconnaître et à combattre, alors que la deuxième est plus difficile à
combattre et de plus n’est pas forcement visible, car elle se trouve à l’intérieur. En outre, la
première désigne toujours un autrui comme ennemi alors que la deuxième résulte d’être un
combat contre soi-même. Nous avons ainsi vu que, d´abord, Phèdre lutte contre elle-même et
que dans le déroulement de la tragédie elle noircit Hippolyte et le pousse de cette manière
vers les ennemis.
L’œuvre de Racine met poétiquement en œuvre cette lutte avec le monstrueux en exposant
dans sa tragédie des diverses monstruosités. Un combat qui, en général, est caractérisé par la
soumission à un ordre:

Le héros racinien est libre de s’opposer à l’ordre […] mais le véritable exercice de sa liberté
est de s’y conformer. Tout qui va contre l’ordre contient de la monstruosité. 39

Ce n’est que dans le questionnement de l’ordre que résident la subversion ou l’opposition. Le


travail théâtral de Racine, dans le sens que nous l’avons définit dans l’introduction, et comme
nous venons de lire dans la citation ci-dessus, n’est donc nullement subversive. Mais il donne
à connaître d’une manière incroyablement précise les complexités des êtres et de leurs
monstruosités.

39
Zimmermann Eléonore M., La liberté et le destin dans le théâtre de Jean Racine, Genève, Slatkine Reprints,
1999, p.112.
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 12

Table des Matières

Introduction 1

1. De la monstruosité : le rapport entre l’homme et le mal 2

1.1 Des définitions de la monstruosité 2


1.2 Les différents emplois du mot monstre dans la tragédie Phèdre 2
1.3 La vision janséniste de la prédestination humaine au mal 4
2. Entre l’aspiration à la pureté et la violence d’un amour impossible 4

3. Trois types de monstruosités 6

3.1 La monstruosité intérieure 6


3.2 La monstruosité extériorisée 7
3.3 La monstruosité de l’ordre 9
Conclusion 11

Bibliographie 13
La polysémie des monstruosités dans Phèdre 13

Bibliographie

Oeuvres littéraires:

ARISTOTE, Poétique, Paris, Le livre de Poche classique, 1990.


BRUNEAU Marie-Florine, RACINE, Le Jansénisme et la Modernité, Paris, Librairie
José Corti, 1986.
JANSINSKI Réné, vers LE VRAI RACINE, Abbeville, Librairie Armand Colin, 1958
ORLANDO Francesco, Lecture freudienne de Phèdre, Torino, 1971.
RACINE Jean, Phèdre, Paris, Pocket, 2009.
SELLIER Philippe, Essais sur l’imaginaire classique, Paris, Champion Classiques,
2005.
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