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TRISTAN ET ISEUT

Le roi Marc, furieux contre son neveu Tristan, l'avait chassé de sa cour à cause de son amour
pour la reine. Tristan a regagné son pays natal, le sud du pays de Galles, pour y demeurer une
année entière sans pouvoir revenir. Il s'est pourtant ensuite exposé sans hésiter au tourment et
à la mort. N'en soyez pas surpris: l'amant loyal est triste et affligé loin de l'objet de son désir.
Tristan, désespéré, a donc quitté son pays pour aller tout droit en Cornouaille, là où vit la
reine. Il se réfugie, seul, dans la forêt, pour ne pas être vu. Il en sort le soir pour chercher un
abri et se fait héberger pour la nuit chez des paysans, de pauvres gens. Il leur demande des
nouvelles du roi et ils répondent que les barons, dit-on, sont convoqués à Tintagel. Ils y seront
tous pour la Pentecôte car le roi veut y célébrer une fête: il y aura de grandes réjouissances et
la reine accompagnera le roi.

Tristram l'oï, mult s'en haita. Cette nouvelle remplit Tristan de joie:
Ele n'i purra mie aler elle ne pourra pas se rendre à Tintagel
qu'il ne la veie trespasser. sans qu'il la voie passer!
Le jur que li reis fu meüz Le jour du départ du roi,
est Tristram el bois revenuz Tristan revient dans la forêt,
sur le chemin que il saveit sur le chemin que le cortège
que la rute passer deveit. doit emprunter, il le sait.
Une coldre trencha par mi Il coupe par le milieu une baguette de
tute quarree la fendi coudrier
Quant il a paré le bastun qu'il taille pour l'équarrir.
de sun cultel escrit sun nun. Sur le bâton ainsi préparé,
Se la reïne s'aparceit, il grave son nom avec son couteau.
ki mult grant guarde s'en preneit, La reine est très attentive à ce genre de
de sun ami bien conuistra signal:
le bastun quant el le verra; si elle aperçoit le bâton,
altre feiz li fu avenu elle y reconnaîtra bien
que si l'aveit aparceü. aussitôt un message de son ami.
Ceo fu la sume de l'escrit Elle l'a déjà reconnu
qu'il li aveit mandé e dit, une autre fois, de cette manière.
que lunges ot ilec esté Ce que disait le message
e atendu e surjurné écrit par Tristan,
pur espiër e pur saveir c'était qu'il attendait
coment il la peüst veeir depuis longtemps dans la forêt
kar ne poeit vivre senz li. à épier et à guetter
D'els dous fu il tut altresi le moyen de la voir
cume del chievrefueil esteit car il ne pouvait pas vivre sans elle.
ki a la coldre se perneit: Il étaient tous deux
quant il s'i est laciez e pris comme le chèvrefeuille
e tut entur le fust s'est mis, qui s'enroule autour du coudrier:
ensemble poeent bien durer; quand il s'y est enlacé
mes ki puis les vuelt desevrer, et qu'il entoure la tige,
la coldre muert hastivement ils peuvent ainsi vivre longtemps.
e li chevrefueils ensement. Mais si on veut ensuite les séparer,
"Bele amie, si est de nus: le coudrier a tôt fait de mourir
ne vus senz mei ne jeo senz vus!" tout comme le chèvrefeuille.
La reïne vint chevalchant. «Belle amie, ainsi est-il de nous:
Ele esguarda un poi avant, ni vous sans moi, ni moi sans vous!»
La reine s'avance à cheval,
regardant devant elle.
Elle aperçoit le bâton
le bastun vit, bien l'aparceut, et en reconnaît toutes les lettres.
tutes les letres i conut. Elle donne l'ordre de s'arrêter
Les chevaliers, ki la menoënt aux chevaliers de son escorte,
e ki ensemble od li erroënt, qui font route avec elle:
cumanda tost a arester: elle veut descendre de cheval et se
descendre vuelt e reposer. reposer.
Cil unt fait sun comandement. On lui obéit
Ele s'en vet luinz de sa gent; et elle s'éloigne de sa suite,
sa meschine apela a sei, appelant près d'elle
Brenguein, ki mult ot bone fei. Brangien, sa loyale suivante.
Del chemin un poi s'esluigna. S'écartant un peu du chemin,
que plus amot que rien vivant. Dedenz le bois celui trova elle
Entre els meinent joie mult grant. découvre dans la forêt
l'être qu'elle aime le plus au monde.
Ils ont enfin grand joie à se retrouver!
[...]

Pour la joie qu'il avait eue


Pur la joie qu'il ot eüe de retrouver son amie,
de s'amie qu'il ot veüe et pour garder le souvenir du message
e pur ceo qu'il aveit escrit, écrit
si cum la reïne l'ot dit, et des paroles échangées,
pur les paroles remembrer, Tristan, qui était bon joueur de harpe,
Tristram ki bien saveit harper, composa, à la demande de la reine,
en aveit fet un nuvel lai. un nouveau lai.
Asez briefment le numerai: D'un seul mot je vous le nommerai:
"Gotelef" l'apelent Engleis, les Anglais l'appellent Goatleaf
"Chievrefueil" le nument Franceis. et les Français Chèvrefeuille.
Dit vus en ai la verité, Vous venez d'entendre la véritable
del lai que j'ai ici cunté. histoire
du lai que je vous ai raconté.

Pour préparer l'étude du texte:


- Quels sont les éléments de la légende de Tristan qui subsistent dans le lai? Comment
le Lai du Chèvrefeuille s'insère-t-il dans la trame de la légende?
- Comment Marie situe-t-elle son lai par rapport à une éventuelle source? Peut-on y
trouver la confirmation des idées exposées dans le prologue?
- Quelle est la valeur du symbole utilisé par Marie? Comparez à Béroul ou à Thomas.

Tristan et Iseut

D'origine celtique, la légende de Tristan et Iseut est, avec celle du Graal, la plus
célèbre des histoires médiévales. Aucun texte médiéval ne la restitue dans son ensemble.
Parmi les versions françaises les plus importantes, il faut mentionner celle de Béroul,
probablement plus proche de la version primitive, qui offre la partie centrale de l'histoire, et
celle de Thomas, trouvère anglo-normand, qui tente d'adapter la légende aux exigences de
l'éthique courtoise. À ces deux textes, il convient d'ajouter les deux Folie Tristan, de Berne et
d'Oxford, racontant toutes les deux le même épisode de la légende.

BÉROUL: Le Roman de Tristan et Iseut (1170-1180)

La Forêt du Morois

Obligés de s'enfuir après que leur passion a été découverte, Tristan et Iseut trouvent
refuge dans la forêt du Morois. Ils y séjournent pendant trois ans, malgré les difficultés. Un
jour ils rencontrent par hasard l'ermite Ogrin, qui tente de les persuader à réintégrer l'ordre
social.

Un jour, ils arrivent par hasard à l'ermitage de frère Ogrin. La vie qu'ils mènent est
dure et pénible mais ils s'entre'aiment de si grand amour qu'ils ne sentent pas la douleur.
L'ermite reconnut Tristan. Appuyé sur son bâton, il lui dit: «Écoutez seigneur Tristan
le grand serment qu'on a juré en Cornouaille: quiconque vous livrera sans faute au roi sans
faute recevra cent marcs de récompense. Il n'y a donc baron de ce pays qui n'ait juré, la main
dans celle de Marc, de vous livrer mort ou vif.» Ogrin ajoute avec bonté: «Par ma foi, Tristan,
Dieu pardonne les péchés de celui qui se repent, à condition qu'il ait la foi et qu'il se
confesse.»
Tristan lui dit: «Sire, en vérité, elle m'aime en toute bonne foi, mais vous n'en
connaissez pas la raison. Si elle m'aime, c'est par le breuvage. Je ne peux pas me séparer
d'elle, ni elle de moi, je dois vous l'avouer.»
Ogrin lui dit: «Quel réconfort peut-on donner à un homme mort? Car il est bien mort celui qui
persiste dans le péché; s'il ne se repent, on ne peut donner nulle pénitence à un pécheur sans
repentance; accomplis ta pénitence!»
L'ermite Ogrin les exhorte longuement et leur conseille de se repentir. Il leur cite à
plusieurs reprises le témoignage de l'Écriture. Avec insistance, il leur rappelle l'obligation de
se séparer. À Tristan il dit d'une voix émue: «Que vas-tu faire? Réfléchis!»
- Sire, j'aime Iseut si éperdument au point d'en perdre le sommeil. Ma décision est
irrévocable: j'aime mieux vivre comme un mendiant avec elle, me nourrir d'herbes et de
glands, plutôt que de posséder le royaume d'Otran[18]. Ne me demandez pas de la quitter car,
vraiment, je ne le puis.»
Aux pieds de l'ermite, Iseut éclate en sanglots. À plusieurs reprises elle change de couleur.
Souvent elle l'implore d'avoir pitié d'elle:
- Sire, par le Dieu tout-puissant, il ne m'aime et je ne l'aime qu'à cause d'un breuvage
que j'ai bu et qu'il a bu. Voilà notre péché! C'est pour cela que le roi nous a chassés.»

Pour préparer l'étude du texte:


- Expliquez les positions réciproques des amants et d'Ogrin.
- Comment Tristan et Iseut se situent-ils par rapport aux normes sacrées? Quelle est la
signification de leur attitude?

Averti par un forestier de leur présence dans la forêt, le roi Marc surprend les amants
endormis, séparés par l'épée de Tristan que celui-ci avait placée «par hasard» entre eux. Ne
voulant pas croire à leur culpabilité, il leur fait grâce et laisse des signes de son passage: son
épée, son anneau et son gant.

Le roi délace son manteau aux agrafes d'or fin. Ainsi dévêtu, il a une noble prestance.
Il tire son épée du fourreau, s'avance furieux en disant qu'il préfère mourir s'il ne les tue pas
maintenant. L'épée nue, il pénètre dans la loge. Le forestier arrive derrière lui et rejoint vite le
roi. Marc lui fait signe de se retirer. Il lève l'arme pour frapper; sa colère l'excite puis s'apaise
soudainement. Le coup allait s'abattre sur eux; s'il les avait tués, c'eût été un grand malheur.
Quand il vit qu'elle portait sa chemise et qu'un espace les séparait, que leurs bouches n'étaient
pas jointes, quand il vit l'épée nue qui les séparait et les braies de Tristan, le roi s'exclama:
« Dieu! Qu'est-ce que cela signifie? Maintenant que j'ai vu leur attitude, je ne sais plus
ce que je dois faire, les tuer ou me retirer. Je puis bien croire, si j'ai un peu de bon sens, que
s'ils s'aimaient à la folie, ils ne seraient pas vêtus, il n'y aurait pas d'épée entre eux et autre
serait leur attitude. J'avais l'intention de les tuer, je ne les toucherai pas. Je retiendrai donc ma
colère. Ils n'ont aucun désir d'amour fou. Je ne frapperai ni l'un ni l'autre. Ils sont endormis. Si
je les touchais, je commettrais une grave erreur et si je réveillais ce dormeur, s'il me tuait ou si
je le tuais, il se répandrait des bruits fâcheux. Avant qu'ils ne s'éveillent, je leur laisserai des
signes tels qu'ils sauront avec certitude qu'on les a trouvés endormis, que j'ai eu pitié d'eux et
que je ne veux nullement les tuer, ni moi, ni qui que ce soit dans mon royaume. Je vois au
doigt de la reine l'anneau serti d'émeraude que je lui ai donné un jour. Moi, j'en porte un qui
lui a appartenu. Je lui ôterai le mien du doigt. J'ai sur moi des gants de vair qu'elle apporta
d'Irlande. Je veux en couvrir son visage à cause du rayon de lumière qui brûle son visage et
lui donne chaud. Quand je repartirai, je prendrai l'épée qui se trouve entre eux et qui servit à
décapiter le Morholt[19]».
Le roi ôta ses gants et regarda les deux dormeurs côte à côte; avec ses gants, il
protégea délicatement Iseut du rayon de lumière qui tombait sur elle. Il remarqua l'anneau à
son doigt et le retira doucement, sans faire bouger le doigt. Autrefois, l'anneau était entré
difficilement mais maintenant elle avait les doigts si grêles qu'il en glissa sans peine. Le roi
sut parfaitement le retirer. Il ôta doucement l'épée qui les séparait et mit la sienne à la place. Il
sortit de la loge, rejoignit son destrier et l'enfourcha. Il dit au forestier de s'enfuir: qu'il s'en
retrourne et disparaisse!
Le roi s'en va et les laisse dormir. Cette fois-ci, il ne fait rien d'autre.

Pour préparer l'étude du texte:


- Comment interpréter l'incapacité du roi Marc à lire «correctement» les signes?
S'agit-il d'une lecture entièrement erronnée?
- Quelle est la valeur symbolique des gestes de Marc?

Folie Tristan d'Oxford (fin XIIe siècle)

Les deux Folies Tristan, d'Oxford et de Berne, racontent un même épisode. Pris de
remords après la visite du roi dans la forêt, les amants décident de se séparer: Iseut retourne
auprès de son époux et Tristan s'exile. Ne pouvant pas pourtant vivre séparé de son amie,
Tristan trouve divers subterfuges pour la retrouver (voir aussi le Lai du Chèvrefeuille). Cette
fois-ci il se déguise en fou.

Marc lui dit: «Soyez le bienvenu, ami! D'où venez-vous? Que venez-vous chercher
ici?»
Le fou réplique: «Je vais vous dire d'où je suis et ce que je cherche ici. Ma mère était
une baleine. Comme une sirène, elle hantait les mers. Mais je ne sais pas où je suis né. En
revanche, je sais très bien qui fut ma nourrice. C'est une grande tigresse qui m'allaita dans les
rochers où elle me découvrit [...]. Mais j'ai une soeur très belle: je vous la donnerai, si vous
voulez, en échange d'Iseut que vous aimez tant. [...] Roi, je vous donnerai ma soeur contre
Iseut que j'aime d'amour. Concluons l'affaire, faisons l'échange! Il est bon de donner dans la
nouveauté. Vous êtes las d'Iseut, je la prendrai! Roi, je me mettrai à votre service en guise de
reconnaissance.»
À ces mots, le roi lui dit en riant:
«Que Dieu te vienne en aide! Si je te donne la reine pour que tu la prennes en ta
possession, dis-moi ce que tu feras d'elle et où tu la conduiras.
- Sire, répond le fou, là-haut dans les airs, j'ai une grande salle où je demeure; elle est
faite en verre, superbe et immense. Le soleil y envoie ses rayons. Elle flotte dans les airs et
pend aux nuages. Aucun vent ne la balance et ne la secoue. À côté de la salle, il y a une
chambre de cristal pavée de marbre. Quand le soleil se lèvera demain, il l'inondera de sa
lumière.»
Le roi et l'assistance se mettent à rire. Ils se disent entre eux:
« Voici un très bon fou, il s'exprime fort bien. Il parle mieux que n'importe qui.
- Sire, fait le fou, j'adore Iseut. À cause d'elle, mon coeur se plaint et souffre. Je suis
Tantris[20] qui l'a tant aimé et qui l'aimera toute sa vie.»
À ces mots, Iseut soupire profondément. Elle s'emporte contre le fou et lui dit:
« Qui t'a fait entrer ici? Fou, tu n'es pas Tantris, tu mens!»
Le fou observe Iseut plus que les autres personnes présentes. Il remarque qu'elle est en
colère car son teint a changé. Il lui dit alors:
«Reine Iseut, je suis Tantris qui vous aime toujours. Souvenez-vous, quand je fus
blessé lorsque j'ai combattu le Morholt qui venait exiger son tribut. J'eus la fortune de le tuer,
oui vraiment. Mais je fus grièvement blessé car l'épée était empoisonnée. Elle m'entama l'os
[...], provoquant une douleur qu'aucun médecin ne put guérir, si bien que je crus mourir. Je
pris la mer, c'est là que je voulais mourir, tellement j'étais torturé par la douleur. Le vent se
leva, une forte tempête conduisit mon navire en Irlande. Il me fallut donc accoster dans le
pays que je devais redouter le plus, car j'avais tué le Morholt. Il était votre oncle, reine Iseut,
c'est pour cette raison que je craignais ce pays. Mais j'étais blessé et malheureux. Je me
distrayais avec ma harpe. Vous entendîtes bientôt parler de celui qui savait si bien jouer de la
harpe. On me fit aussitôt venir à la cour dans le triste état où j'étais. C'est alors que la reine
guérit ma plaie, je lui voue ma reconnaissance. Je vous appris de beaux lais que l'on chante
sur la harpe, des lais bretons venant de mon pays. Souvenez-vous, madame la reine, comme
j'ai été guéri par une bonne médecine. Je me nommais alors Tantris. N'est-ce pas moi? Qu'en
pensez-vous?
Iseut répondit: «Assurément, non! Car Tantris est beau et noble; toi, tu es gros, laid et
difforme et tu te fais passer pour Tantris. Va-t'en et ne me crie plus aux oreilles!»

Pour préparer l'étude du texte:


- En quoi la Folie d'Oxford relève d'une écriture fragmentaire? Quelle en est la
signification?
- Que penser du déguisement de Tristan en fou et du «résumé» qu'il fait de son
histoire?
- Commentez le symbole de la maison de verre.

THOMAS D'ANGLETERRE: Le Roman de Tristan (vers 1172)

C'est surtout la fin de l'histoire qui nous a été transmise par les cinq manuscrits qui
nous sont parvenus de la version de Thomas. De nouveau blessé par une arme empoisonnée,
Tristan envoie quérir Iseut, qui seule pourrait le guérir. Mais sa femme, Iseut aux Blanches
Mains, qu'il avait épousée «pour sa beauté et le nom d'Iseut», se venge de ne jamais avoir été
aimée et lui dit que la voile du navire qui devait amener Iseut est noire: son amie n'est donc
pas venue...
«Ami, lui dit-elle, voici qu'arrive Kaherdin. J'ai aperçu son navire sur la mer. Il
naviguait à grand-peine. Néanmoins, je l'ai bien vu et parfaitement reconnu. Que Dieu lui
accorde de vous apporter une nouvelle qui puisse vous réconforter le coeur!»
Tristan tressaille à cette nouvelle. Il dit à Iseut: «Belle amie, êtes-vous certaine que
c'est son navire? Dites-moi alors de quelle couleur est la voile!»
Iseut répond: «Je suis parfaitement sûre que c'est son navire. Sachez que la voile est
toute noire. Ils l'ont levée tout haut car le vent leur fait défaut.»

Alors Tristan ressent une douleur telle


Dunt a Tristran si grant dolur
qu'il n'en eut et n'en aura jamais de plus vive.
Unques n'out, ne avrad maür,
Il se tourne vers le mur et dit:
E turne sei vers la parei,
«Que Dieu nous sauve, Iseut et moi!
Dunc dit: «Deus salt Ysolt e mei!
Puisque vous ne voulez pas venir à moi,
Quant a moi ne volez venir,
par amour pour vous il me faut mourir.
Pur vostre amur m'estuet murrir.
Je ne peux plus retenir ma vie.
Jo ne puis plus tenir ma vie;
C'est pour vous que je meurs, Iseut, belle
Pur vus muer, Ysolt, bele amie.
amie.
N'avez pité de ma langur,
Vous n'avez pas eu pitié de ma langueur
Mais de ma mort avrez dolur.
mais de ma mort vous aurez douleur.
Ço m'est, amie, grant confort
Amie, c'est pour moi une grande consolation
Que pité avrez de ma mort.»
de savoir que vous aurez pitié de ma mort.»
«Amie Ysolt» treis feiz dit,
Il répéta trois fois «Amie Iseut!»
A la quarte rent l'espirit.
À la quatrième, il rendit l'esprit.

Alors, dans toute la maison, ses chevaliers et compagnons se mettent à pleurer. Leurs
cris retentissent très fort ainsi que leurs grandes plaintes. Chevaliers et hommes d'armes
accourent pour tirer le corps du lit et le coucher sur un samit[21]. Ils le recouvrent d'un tissu
de soie rayé. Sur la mer, le vent s'est levé et frappe le creux de la voile. Il permet au navire
d'atteindre le rivage. Iseut quitte le bateau. Elle entend les lamentations dans la rue, les
cloches des églises et des chapelles. Elle demande des nouvelles aux gens: pourquoi ces sons
de cloches? pourquoi ces pleurs? Un homme âgé lui répond:
« Belle dame, que le ciel me protège, nous sommes plongés dans une immense
douleur. Nous n'en avons jamais connu une aussi grande. Le preux, le noble Tristan est mort.
C'était le soutien des habitants du royaume, généreux pour les pauvres, secourable aux
affligés. Il vient de mourir dans son lit de la plaie qu'il avait au corps. Jamais un tel malheur
n'advint à ce pays.»

Tresque Ysolt la novele ot, Lorsqu'elle entendit cette nouvelle,


De dolur ne puet suner un mot. Iseut resta muette de douleur.
De sa mort ert si adolee La mort de Tristan la fit tant souffrir
La rue vait desafublee qu'elle parcourait les rues les vêtements en
Devant les altres el palès. désordre.
Bretun ne virent unques mes Elle entra avant tout le monde au palais.
Femme de la sue bealté: Jamais les Bretons ne virent
Mervellent sei par la cité femme d'une telle beauté.
Dunt ele vent, ki ele seit. Dans la cité, tout le monde se demandait
Ysolt vait la ou le cors veit, d'où elle venait et qui elle était.
Si se turne vers orient, Iseut se rend près du corps,
Pur lui prie pitusement: elle se tourne vers l'orient et,
«Amis, Tristran, quant mort vus vei, saisie de pitié, prie pour Tristan:
Ami, en vous voyant mort,
je ne peux ni ne dois souhaiter vivre.
Par raisun vivre puis ne dei.
Vous êtes mort par amour pour moi
Mort estes pur la meie amur,
et je meurs de tendresse pour vous, mon
E jo muer, amis, de tendrur,
ami,
Quant a tens ne poi venir
parce que je n'ai pu arriver à temps
Pur vos et vostre mal guarir.
pour vous guérir, vous et votre mal.
Amis, amis, pur vostre mort
Ami, ami! de votre mort
N'avrai jamais de rien confort,
jamais rien ne me consolera,
Joie, ne hait, ne nul deduit.[...]
ni joie, ni liesse, ni plaisir. [...]
Se jo ne poisse vos guarir,
Puisque je n'ai pu vous guérir,
Qu'ensemble poissum dunc murrir!
puissions-nous au moins mourir ensemble!
Quant a tens venir n'i poi
Puisque je n'ai pu arriver à temps
E jo l'aventure n'oi,
ni déjouer le sort, puisque je suis venue
E venue sui a la mort,
après votre mort, je me consolerai
De meisme le beivre avrai confort.
en buvant le même breuvage que vous.
Pur mei avez perdu la vie,
Pour moi avez perdu la vie,
E jo ferai cum veraie amie:
et j'agirai en vraie amie:
Pur vus voil murir ensement.»
je veux mourir pour vous de la même
Embrace le, si se estent,
manière.»
Baise la buche e la face lui,
Elle le serre dans ses bras et s'étend à côté
E molt estreit a li l'enbrace,
de lui baise la bouche et le visage
Cors a cors, buche a buche estent,
et le tient étroitement enlacé.
Sun espirit a itant rent,
Elle s'étend, corps contre corps,
E murt dejuste lui issi
bouche contre bouche, et rend l'âme.
Pur la dolur de sun ami.
Elle meurt ainsi à côté de lui
Tristrans murut pur sun desir,
pour la douleur causée par sa mort.
Ysolt, qu'a tens n'i pout venir.
Tristan mourut pour son amour,
Tristrans murut pur sue amur,
Iseut, pour ne pas être arrivée à temps.
E la bele Ysolt par tendrur.
Tristan mourut pour son amour,
et la belle Iseut par tendresse pour lui.

Pour préparer l'étude du texte:


- Étudiez le rythme de la narration; en quoi renforce-t-il le dramatisme du
dénouement?
- Relevez la construction symétrique du passage. Quel effet produit-elle sur le lecteur?

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