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Introduction
« L'état est une coopération de services publics organisés et contrôlés par les gouvernants ».
Pour Léon Duguit, le service public est donc le fondement et la limite des pouvoirs des
gouvernants. Il peut être défini comme une activité d'intérêt général gérée par une personne
publique ou sous son contrôle, selon un régime exorbitant du droit commun. Nous savons que
cette notion de service public consacré par l'arrêt Blanco du 8 février 1873, a dominé la
doctrine pendant de nombreuses années. ', 'Elle fondait la répartition des compétences entre
les deux ordres - administratif et judiciaire - établis par la loi des 16 et 24 août 1790. L'arrêt
Bac d'Eloka, rendu par le tribunal des conflits le 22 janvier 1921, que nous devons ici
commenter, participe à la complexification de la notion de service public comme fondement
de la répartition des compétences en distinguant, implicitement, un service public industriel et
commercial - un service public fonctionnant dans les même conditions qu'un service privé -,
notion que le conseil d'état consacrera quelques mois après, lors de l'arrêt société générale
d'armement du 23 décembre 1921.
Le doyen Duguit exprime cette idée en précisant que les gouvernants ne peuvent faire une
chose qui « serait une entrave quelconque à la satisfaction des besoins communs à tous les
hommes ». De plus, elle est ce qui différencie la notion de service public et celle de puissance
publique. En effet, il apparaît nettement une notion de finalité pour qualifier une action
laquelle remplace la seule condition des moyens utilisés. Le professeur Chapus distingue les
activités de plus grand service et les activités de plus grand profit. Les premières satisfont les
exigences actuellement considérées comme nécessaire à la société (éducation, santé,
défense…). Les secondes peuvent, ou non, financer des activités de plus grand service. Les
impôts sont ainsi des services publics. De même en est il pour la gestion du domaine privé des
personnes publiques même si la jurisprudence ne les compte pas comme tels. Les entreprises
détenues par l'état et qui sont gérées comme des entreprises privées sont aussi des services
publics.
On comprend dès lors la position du lieutenant gouverneur. En effet, le bac est un service
public au sens où nous l'avons défini. Aussi, la distinction entre services publics administratifs
et services publics industriels et commerciaux devrait, théoriquement, ne pas être et le litige
aurait du être de la compétence du juge administratif. Le tribunal des conflits, le 22 janvier
1921 n'en a pas décidé ainsi et a fait naître le concept, encore embryonnaire, de services
publics industriels et commerciaux, même si cette dénomination ne sera créée qu'en décembre
de la même année par le conseil d'état.
Comme nous l'avons déjà affirmé, le tribunal des conflits n'utilise pas cette dénomination.
Néanmoins, il considère qu'en l'espèce, la gestion du service public était de type privé et que,
par voie de conséquence, les litiges le touchant devaient échoir à la juridiction judiciaire. On
s'aperçoit dès lors que ce règlement eqt fortement influencé par les deux théories du droit
administratif - service public et puissance publique -. En un sens, il s'agit d'une fusion des
deux. La finalité était le service public mais les moyens utilisés et la gestion étaient de type
privés. Il faudra donc nous intéresser à la notion de services publics industriels et
commerciaux (1) et à leur caractéristique principale qui est la soumission à l'ordre judiciaire
(2).
L'arrêt bac d'Eloka est net : les activités de service fonctionnant dans des conditions analogues
à celles des entreprises privées sont soumises au droit privé et donc à l'ordre judiciaire.
1. Il semble que deux conditions soient nécessaires pour qu'une activité obtienne cette
qualification. Tout d'abord, comme son nom l'indique, il faut que l'activité ait un caractère
industriel et commercial. En l'espèce il s'agit d'opérations « d'une rive à l'autre de la colonie »
« moyennant rémunération ». Ensuite, l'organisation et le fonctionnement du service doivent
être ou du moins faire apparaître une similitude avec une entreprise privée de même genre.
L'arrêt de janvier 1921 énonce implicitement cette condition : « un service de transport dans
les mêmes conditions qu'un industriel ordinaire » entraînant la compétence du juge judiciaire
dans les cas où un texte n'en dispose pas autrement. Il est donc nécessaire de prendre en
compte le critère des ressemblances extérieures.
2. On peut remarquer que cette définition qui peut être tirée de l'arrêt bac d'Eloka est celle que
va retenir le conseil d'état en décembre 1921. En effet, dans son arrêt société générale
d'armement, il dispose clairement qu'il existe des services publics industriels pour lesquels
l'état se trouve dans la même situation qu'un entrepreneur individuel et que, par conséquent,
les litiges portant sur de tels services sont de la compétence du juge judiciaire. Ainsi, il
affirme dans son dernier considérant que l'état « n'a pas entendu gérer ce service dans des
conditions juridiques différentes de celles où fonctionnent les entreprises d'assurances
privées ; que les accords passés… constituent un contrat de droit commun ». Les critères du
service public industriel sont donc une activité de type industriel et une gestion de type privée
(mais dans quels domaines ?), le tout soumis à la compétence du juge judiciaire.
Nous expliciterons ici les deux remarques que nous avons faites sommairement sur la
complexification des rapports de compétence. Cette complexification est bien évidemment
d'origine jurisprudentielle. En effet, sauf dans les cas prévus par la loi, le tribunal des conflits,
obligé de trancher un litige, devra déterminer les caractères et les circonstances permettant
d'appliquer le droit commun, c'est à dire qu'il déterminera le régime juridique des services
publics industriels et commerciaux (A). Ensuite, cet arrêt crée un précédent qui permettra aux
tribunaux d'étendre les principes de la jurisprudence Bac d'Eloka (B).
1. Les rapports du service public avec les tiers autres que le personnel.
Ces tiers comprennent deux cas de figure : soit il s'agit d'usagers soit il s'agit du contentieux
des relations du service avec les tiers.
1. Dans le cas des usagers du service public industriel et commercial, la jurisprudence décide
depuis 1961 que les contrats conclus par de tels services avec leurs usagers sont toujours des
contrats de droit privé dont le contentieux revient au juge judiciaire. Le premier arrêt allant en
ce sens, « établissement compagnon-Rey », date du 13 octobre 1961 et a été rendu par le
conseil d'état. Il considère que la qualification de service public industriel et commercial
entraîne que « les rapports entre ledit service et ses usagers sont des rapports de droit privé ;
qu'il appartient dès lors à l'autorité judiciaire de connaître les litiges auxquels ils peuvent
donner lieu… ». Le tribunal des conflits, quelques temps après, ira dans le même sens
(cheminement inverse que dans le cas de l'arrêt bac d'Eloka). En effet, le 17 décembre 1962
lequel considérera « qu'en raison des liens existants entre un tel service et ses usagers,
lesquels sont des liens de droit privé alors même que le contrat contiendrait une clause
exorbitante du droit commun, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître
de l'action formée par un usager contre les personnes chargées de l'exploitation du service ». Il
apparaît nécessaire de bien différencier usagers du service public et usager de l'ouvrage
public. En effet dans les deux cas, il ne s'agit pas de la même compétence juridictionnelle.
2. Dans le cas du contentieux des relations du service avec un tiers, le droit privé et la
compétence judiciaire constituent le principe. Cette solution est la conséquence directe de
l'arrêt bac d'Eloka, dans le cas des victimes d'accidents. Néanmoins, il ne faut pas qu'il
s'agisse d'un litige provoqué par des actes réglementaires, ni par l'exercice de prérogatives de
puissance publique. Ce dernier point peut être illustré par la jurisprudence Matisse du 22
novembre 1993. En effet, le tribunal des conflits, pour statuer, prend en compte que le litige
ne porte pas sur une prérogative de puissance publique mais sur une faute qu'aurait commise
la Poste. Notons que les litiges intéressant l'organisation du service public sont de la
compétence du juge administratif.
Le conseil d'état considère que les personnes employées par un service public industriel et
commercial ne sont pas des fonctionnaires mais des employés soumis au droit privé. Il y a eu
ici une évolution. En effet, dans un premier temps, les personnes exerçant des fonctions de
direction étaient considérées comme des agents publics. Puis, ceux-ci furent réduits au seules
exerçant de telles fonctions à la tête du service. Enfin, seule la personne étant à la tête du
service est considérée comme un agent public ainsi que le chef de la comptabilité s'il a la
qualité de comptable public et de ceux des agents du service public qui ont la qualité de
fonctionnaires.
Nous constatons donc une extension de la compétence judiciaire dans les domaines du service
public industriel et commercial.
L'arrêt permet de transférer certains litiges à des juridictions de l'ordre judiciaire en se basant
sur le critère de ressemblance extérieure avec une organisation privée. Logiquement, la brèche
ouverte par le tribunal des conflits le 22 janvier 1921 s'étendit. Ainsi, d'autres catégories de
services publics sont nées : services publics professionnels, sociaux et gérés par des
organismes privés.
En ce qui concerne les services publics professionnels, qui sont caractérisés par une structure
corporative et qui sont chargés des taches d'économie dirigée et de discipline interne à la
profession, le conseil d'état a considéré qu'ils avaient un caractère mixte. Certains de leurs
aspects relèvent du droit administratif : les décisions prises dans l'exécution du service public.
D'autres relèvent de la compétence du juge judiciaire : fonctionnement intérieur, rapports avec
le personnel.
La jurisprudence a aussi décidé d'appliquer le droit privé et la compétence judiciaire aux
services publics sociaux qui ressemblent à des entreprises privées comparables ou qui ont un
fonctionnement mettant en cause des rapports de droit privé. Il faut remarquer que cette
construction est aujourd'hui abandonnée. Cependant, elle témoigne de l'impact de la
jurisprudence bac d'Eloka.
En ce qui concerne les organismes publics gérés par des organismes privés, le droit privé
s'applique d'une manière générale au fonctionnement interne de l'organisme et à ses relations
avec son personnel. Dans le cas des décisions unilatérales prises par l'organisme dans le cadre
de sa mission de service public, les tribunaux administratifs sont les seuls compétents.