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Le rapport de force géopolitique

sino-indien

Christophe REVEILLARD*

Dans l’étude comparative des facteurs de puissance, il apparaît que l’Inde et la


Chine connaissent des développements les plus souvent distincts dans un environ-
nement géopolitique régional commun, malgré l’existence de la barrière himalayen-
ne et du plateau tibétain ainsi que de leurs tropismes en Asie du Sud-Est pour le
premier et au Tibet pour le second. C’est donc non dans l’appréciation mais dans la
posture choisie en fonction des intérêts nationaux que diffèrent les positionnements
stratégiques des deux autres grands de l’Asie1.

L’environnement géopolitique dans lequel évoluent ces puissances présente


évidement les déterminants propres à la région mais on peut également constater
qu’ils semblent porter à leurs paroxysmes certaines de leurs caractéristiques si
particulières.

La course à la prolifération a aboutit en Asie au record du nombre des puissan-


ces possédant la capacité nucléaire avec la Chine (1er essai en 1960), l’Inde (1974)
et le Pakistan (1998). Seule la Chine est reconnue puissance nucléaire au sens du
Traité de non prolifération de 1967 (TNP)2. En outre, de nombreux échanges de
technologies nucléaires et balistiques existent ou ont existé entre l’une ou l’autre de
ces puissances et l’Iran, la Corée du Nord et la Libye.

Le continent asiatique connaît de plus une multitude de différends et de conflits


frontaliers qui n’ont pas épargné les deux grandes puissances chinoise et indienne
elles-mêmes dont pourtant la stratégie de la seule force d’inertie semblait conduire
leurs relations frontalières, contrastant avec le dynamisme de leur politique d’in-
fluence sur les autres théâtres extérieurs.

Le cadre de la compétition entre les deux grandes puissances asiatiques est éga-
lement indissociable d’une histoire fortement marquée par la lutte idéologique,

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issue principalement de la guerre froide, du non-alignement et du tiers-mondisme,


qui se maintient et perdure comme le révèlent notamment les rôles respectifs de
l’Armée et du Parti communiste en Chine et les marxistes et les partis communistes
en Inde.

Il s’ajoute aux éléments fondamentaux qui façonnent l’environnement géopoli-


tique asiatique, le recours aux facteurs identitaires nationaux, ethniques et religieux.
Un point commun y est facilement décelable : un certain rejet de l’Occident plus
ou moins accentué mais qui s’incarne surtout contre les Etats-Unis.

Au regard de sa puissance potentielle, les ambitions de l’Inde se précisent sur


les échelles locale, régionale et mondiale. New Delhi doit résoudre d’authentiques
problèmes de géopolitique intérieure, car, tout comme dans le reste de l’Asie du
Sud caractérisée par une forte inégalité économique, la péninsule indienne connaît
une très grande disparité politique et sociale et le maintien de tensions chroniques
crée un contraste singulier avec la réalité de son développement économique et
politique. Elle doit, de plus, garder son influence sur son environnement proche,
notamment dans l’Océan indien, adapter sa politique de puissance aux ambitions
chinoises et chercher à correspondre aux attentes de la communauté internationale
dans l’éventuelle perspective d’une réforme du Conseil de sécurité de l’Onu.

Si l’Inde domine largement son environnement proche du point de vue écono-


mique, sa croissance économique soutenue ne peut masquer de véritables limites
en interne. Á la suite de la Révolution verte, qui en plus de l’autosuffisance la
propulsa en tête de la production de certains secteurs de l’agroalimentaire, puis de
la diversification son économie vers l’industrie de pointe dans les années 1980, en
1991, l’Inde choisit d’inscrire son économie dans le commerce mondial et accepte
les règles du commerce international, privatisation, dérégulation et abaissement
(relatif ) de la protection douanière. Sa croissance est tirée vers le haut, son système
de formation est prisé et favorise de nombreux investissements directs à l’étranger
(IDE) dans l’industrie informatique et les hautes technologies notamment au cœur
des pôles d’excellence.

Le coût du miracle indien se résume dans le maintien voire le développement


des inégalités sociales. Avec un quart de la population dans un état d’extrême pau-
vreté, l’Indice de développement humain (IDH) indien se situe au 127e rang sur
175 et le système des castes n’y est évidemment pas étranger. L’on peut également

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constater que de façon très classique, l’inégalité est aussi géographique entre régions
rurales et celles urbanisées autour desquelles se sont développés pôles d’excellen-
ce et application de la révolution verte et donc où ont été privilégiées les travaux
d’équipements et d’infrastructures. Sa dépendance énergétique est proportionnée
à sa croissance économique et, par exemple, sa consommation de pétrole est cinq
fois supérieure à sa production. Enfin, la corruption de la bureaucratie indienne
est notoire qui a pu freiner certains investissements étrangers. Il est intéressant de
confronter les équivalences et les irréductibilités existantes entre les économies et les
questions sociales en Chine et en Inde3.

L’Inde, Etat fédéral démocratique, possède l’une des plus grandes dispersions
ethnico-religieuses au monde, gros facteur de déstabilisation à partir de trois princi-
paux foyers insurrectionnels, Cachemire (sécession musulmane), Pendjab (sécession
sikh) et le Nord-Est de l’Inde avec différents groupes autonomistes. Ces territoires
connaissent une violence endémique (attentats, émeutes, massacres interethniques
ou interconfessionnels) et le gouvernement indien doit y engager 400 000 soldats
pour la sécurité intérieure. La crédibilité de la puissance chinoise passe par le même
prisme de la capacité à résoudre les problèmes intérieurs tenant tant à la disparité
du développement Chine du littoral/ Chine intérieure qu’aux mouvements insur-
rectionnels tibétains ou ouïghours.

Au niveau régional, l’Inde est cernée de pays d’une très grande pauvreté, ce qui
ne facilité pas la synergie industrielle et commerciale qu’aurait créée l’existence de
marchés complémentaires et le développement des échanges. Le Pakistan connaît
une évolution de pays sous-développé (80 % de la population sous le seuil de pau-
vreté, urbanisation et infrastructures limitées, disparités régionales, faible niveau
de formation, budget militaire disproportionné), qui ne doit son salut que dans
les aides internationales (dopées par la volonté des Etats-Unis) et les perspectives
de ses richesses énergétiques potentielles. Les autres pays de la région, Sri Lanka,
Bangladesh, Népal, Bhoutan et Maldives sont plongés dans un marasme économi-
que et s’accrochent à leur lien de dépendance avec l’Inde.

Cette situation attise un certain nombre de conflits, tant inter qu’intra-étati-


ques, principaux facteurs d’instabilité de la région. En Asie du Sud, les tensions
inter étatiques sont majoritairement issues des contentieux frontaliers touchant le
Cachemire et deux territoires himalayens, le premier mobilisant 500 000 soldats
indiens et 250 000 soldats pakistanais face à face le long des 740 km de la « Ligne de

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contrôle » (LOC), les seconds constituant une pomme de discorde potentielle plus
ou moins récurrente entre Chine et Inde en raison de l’imprécision de la délimita-
tion territoriale de l’Aksaï Chin à l’Ouest et l’Arunachal Pradesh à l’Est. Cependant,
la question des frontières himalayennes ne constitue plus une raison suffisante de
conflit entre deux pays détenteurs d’une force de dissuasion. De plus, en juin 2003,
lors de la première visite d’un Premier ministre indien en Chine depuis 10 ans, une
déclaration commune fut signée qui voyait l’Inde reconnaître la souveraineté de la
Chine sur le Tibet, et la Chine la possession du Sikkim à l’Inde.

L’Union indienne désire concurremment à la Chine s’imposer diplomatique-


ment non seulement en Asie du Sud mais également dans tout le champ asiatique.
Pour ce faire la normalisation des relations avec la Chine et le Pakistan s’imposait
pour obtenir une pacification de l’environnement régional sud-asiatique, laquelle
favorisait l’autre aspect de la stratégie indienne qu’est la pénétration des organisa-
tions régionales, comme l’affirmation de sa prééminence au sein de l’Association de
l’Asie du Sud pour la Coopération Régionale (AASCR ou SAARC) et le rapproche-
ment de l’ANSEA (ASEAN).

À l’échelle internationale, la stratégie de puissance diplomatique indienne se


décline sur plusieurs fronts : la recherche de l’indépendance énergétique, la mul-
tiplication des accords économiques (MERCOSUR, Etats-Unis, Russie et Union
européenne) et des investissements notamment en Afrique (diaspora indienne de
2 millions de personnes), de l’Est et Australe (industrie pharmaceutique, textile et
l’automobile), mais aussi l’Afrique francophone (pour ses réserves énergétiques et
des concessions pétrolières). L’Inde choisit également une politique d’engagement
pour l’application du Droit international public ce qui renforce sa visibilité dans
les grandes instances internationales (opérations de maintien de la paix) notam-
ment dans la perspective de la candidature de New Delhi à un siège permanent au
Conseil de Sécurité de l’ONU, s’appuyant notamment sur le G4 des prétendants
(Allemagne, Brésil et Japon) et les pays africains partenaires commerciaux pour
obtenir une réforme du Conseil de sécurité. Là encore, la stratégie de puissance
indienne rencontre celle de la Chine. Patrice Touchard rappelle qu’« à l’occasion
du 60e anniversaire de l’Onu, de longues négociations ont été engagées en vue de
réformer les statuts, le financement et d’élargir le Conseil de sécurité à un certain
nombre de pays dont l’Inde et le Japon. Tout en affirmant son soutien à la candida-
ture indienne, Pékin, avec l’appui des autres pays de l’Asie du Sud-est a fait barrage
à l’entrée du Japon au Conseil, entraînant l’échec de la totalité du processus. La

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Chine reste ainsi le seul représentant de l’Asie et du Tiers-monde dans son ensemble
au Conseil de sécurité »4.

L’avantage du rapprochement indo-américain est réciproque. Reconnaissance


diplomatique au plus haut niveau (dimension mondiale, perspective du Conseil de
sécurité et officialisation d’un rôle primordial dans l’Océan indien), contournement
de l’alliance privilégiée pakistano-américaine et ouverture commerciale (OMC et
triade) pour New-Delhi. Pression sur la Chine et lutte contre le terrorisme islami-
que pour Washington.

Il ressort de la politique indienne essentiellement continentale et peu maritime


(qui freine la réalisation plénière de sa géopolitique), que le Pakistan occupe une
place essentielle dans la partie jouée par New-Delhi avec la Chine et les Etats-Unis.
La chute des Talibans aura d’ailleurs représentée une remarquable opportunité
pour New-Delhi de doubler Islamabad dans la course à l’influence dans la région.
L’ambiguïté de la politique américaine vis-à-vis du Pakistan (prolifération nucléaire,
aide des services aux Talibans) s’explique après l’intervention en Afghanistan pour
faciliter la collaboration du Pakistan mais également par l’intérêt économique et
géostratégique que représente le Pakistan. Le projet d’acheminement des hydro-
carbures via ce pays permettrait aux Etats-Unis d’avoir un débouché sur la mer
d’Oman sans passer par l’Iran. L’intérêt de la Chine à l’égard du Pakistan est de
même nature. Le rapprochement de Pékin et d’Islamabad qui vise en partie à s’op-
poser au partenariat indo-américain ne remet cependant pas en cause les relations
entre d’une part Pékin et New Delhi qui multiplient les accords économiques et
d’autre part Islamabad et Washington.
*
Chercheur à l’École doctorale 188 (Université Paris-Sorbonne) et UMR Roland Mousnier
(CNRS), est directeur de séminaire de géopolitique à l’École de guerre (Cid), membre du comité
de rédaction des revues Conflits Actuels, Revue Française de Géopolitique, et Histoire Economie et
société. Dernières publications : (avec E Dreyfus) Penser et construire l’Europe 1919-1992, Sedes,
2007 ; (co-dir. B. et G. Dumont), La culture du refus de l’ennemi, Presses de l’Université de
Limoges, 2007.

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Bibliographie sommaire

- Sophie Boisseau du Rocher (dir.), Asie, dix ans après la crise, études de la documentation française,
édition 2007-2008, Asia Centre, Centre études Asie/ la documentation française, 2007
- Isabelle Cordonnier et Bruno Tertrais : L’Asie nucléaire, IFRI, 2001
- Guy Faure (dir.), Nouvelle géopolitique de l’Asie, Ellipses, coll. « Référence Géopolitique », 2005
- Pascal Gauchon (coord.), Inde, Chine à l’assaut du monde, Rapport Antheios 2006, puf, coll. «
Major », Paris, 2006
- François Godement, Sophie Boisseau du Rocher (dir.), Asie. Entre pragmatisme et attentisme,
études de la documentation française, édition 2006-2007, la Documentation française, Paris,
2006
- Christophe Jaffrelot (dir) : L’Inde contemporaine, Fayard (nouvelle édition 2006)
- Sunil Khilnani : L’idée de l’Inde, Fayard, 2005
- Eric Nguyen, L’Asie géopolitique, Studyrama, 2006
- Jean-Pierre Paulet, L’Asie : nouveau centre du monde ?, Ellipses, 2005.
- Jean-Luc Racine, « L’Inde et l’ordre du monde », Hérodote, n° 108, 2003, pp. 91-112
- Jean-Luc Racine, « L’Inde, l’Europe, le monde : une politique étrangère pragmatique », La revue
internationale et stratégique, n°59, automne 2005, pp. 95-105

Notes 

1. Puisque évidement le « jeu » géopolitique asiatique se joue à l’échelle mondiale entre Chine,
Inde, Etats-Unis et Japon.
2. Le Traité de non prolifération nucléaire (TNP), signé en 1968 par le Royaume-Uni, Les Etats-
Unis et l’URSS et rejoint par de nombreux autres pays, fut prolongé en 1995 pour une durée
illimitée. Ce traité interdit la prolifération nucléaire, favorise le désarmement de ceux qui en
possèdent déjà et l’utilisation du nucléaire à des fins strictement civiles. La quasi-totalité des
pays ont signé et ratifié le traité (dont les 5 puissances nucléaires officielles : Etats-Unis, Russie,
Chine, Royaume-Uni, France) à l’exception d’Israël, de l’Inde et du Pakistan. Ces trois pays
sont détenteurs de l’arme nucléaire. La Corée du Nord a annoncé en 2003 son désir de se retirer
du TNP. Le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN ou Comprehensive Test
Ban Treaty) vise à limiter la prolifération nucléaire par l’interdiction des essais nucléaires. Il a
été signé par les cinq puissances nucléaires du Conseil de sécurité mais le Sénat américain refuse
encore à ce jour de le ratifier. Le traité a été ratifié par les parlementaires de Russie en avril 2000.
En revanche, des pays comme l’Inde et le Pakistan n’ont toujours pas signé le traité.
3. vr. Notamment Géostratégiques n°XVII, « La Chine », septembre 2007.
4. Patrice Touchard « Retour vers la puissance » in Pascal Gauchon (coord.), Inde, Chine à l’assaut
du monde, Rapport Antheios 2006, Puf, coll. « Major », Paris, 2006, p. 102.

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