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MARIA VALTORTA

Emilio Pisani, Editeur

Le Poème du Homme-Dieu / L’Evangile tel qu’il m’a été révélé


(Ed. 1985, Centro Editoriale Valtortiano srl Italie

Reprinted in 1999)

« Dieu me posséda au commencement de ses œuvres » (Salomon : Proverbes 8, 22)

Maria Valtorta
" L'Evangile tel qu'il m'a été révélé"

Vol 1 La préparation
Vol. 2 La première année de la vie publique
Vol. 3 La deuxième année de la vie
Vol 4 (deuxième partie)
Vol. 5 La troisième année de la vie publique
Vol. 6 (deuxième partie)
Vol 7 (troisième partie)
Vol. 8 La préparation à la Passion
Vol. 9 La Passion
Vol 10 La Glorification

MARIA VALTORTA

Maria Valtorta naquit à Caserte (Italie) en 1897.


Elle fréquenta les écoles primaires à Milan, et à Voghera; et c'est sous la contrainte de sa mère,
femme très autoritaire, qu'elle dut rentrer en 1909 au Collège Bianconi de Monza où elle se
distingua par son intelligence très vive et son caractère bien trempe.
Plus tard, à Florence Maria se fiança avec un brave jeune homme, qu'elle dut pourtant quitter à
cause du mauvais caractère de sa mère. Après une période de grande crise, en 1916 elle eut de la
part du Seigneur un signe révélateur. et en 1917 entra dans les rangs des infirmières 'samaritaines' et
prodigua tous ses soins aux soldats de l'hôpital militaire de Florence.
En 1920 un extrémiste la frappa aux reins: était le départ de sa future infirmité.
En 1925 sous l'exemple de la Petite S.Therèse elle s'offrit à l'Amour miséricordieux et en 1931 elle
voulut s'offrit aussi à la Justice Divine.
Du 1934 elle ne quitta plus son lit.
Le 12 octobre 1961, après avoir offert tous à Dieu, jusqu'à sa propre intelligence, Elle laissa comme
souvenir la phrase suivante: 'J'ai fini de souffrir, mais je continuerai à aimer'.
En 1943, sous la Direction du Père Romualdo Migliorini, et après de Corrado M. Berti, des Servites
de Marie avait commencé son activité d'écrivain 'porte-parole' 'petite Jean': 'dictées' et
'visions' qu'elle déclarait 'révélés'.
Son oeuvre la plus importante est publiée en Italie sous le titre 'Il Poema dell'Uomo-Dio' et après
publié comme : 'L'Evangelo come mi è stato rivelato'.
L'oeuvre, continuellement réimprimée sans aucune publicité, est désormais largement connue dans
le monde entier: au niveau personnel a été appréciés par plusieurs Papes; dernièrement l'Oeuvre de
Maria Valtorta (voir Père G.M. Roschini: ' La Sainte Vierge dans les écrits de Maria Valtorta '
Editions 'Centro Editoriale Valtortiano' ; e-mail: cev@arcmedia.it) a
été reconnue comme 'révélation privée' (tel que les écrits de S Catherine de Siene).
…..De l’Autobiographie, voulue par le Père Migliorini (pieux prêtre, des Servites de Marie,
autrefois missionnaire son directeur spirituel) et écrite selon ses capacités, Marie passa aux ‘dictées’
et aux ‘visions’, qu’elle déclarait recevoir par révélation. … quinze mille pages : …
… « J’ai fini de souffrir, mais je continuerai à aimer »…
…Ses restes mortels purent avoir leur sépulture privilégiée à Florence, dans la Chapelle du Chapitre
au Grand Cloître de la ‘Santissima Annunziata’….
…Il Poema dell’Uomo-Dio ? ‘ L’Evangile tel qu’il m’a été révélé’ … son œuvre principale,
continuellement réimprimée et diffusée sans aucune publicité est désormais largement connue en
Italie et dans le monde entier …
… il s’agit d’une des plus grandes révélations privées : elles sont d’ailleurs admises par la
théologie catholique comme des manifestations possibles, subordonnées à la révélation publique et
dignes de foi humaine, que Dieu accorde à certaines personnes pour le profit spirituel de tous les
hommes.

…Nous demandons à nos lecteurs de nous excuser pour quelques imperfections de cette première
édition française. »

ÉDITEUR
Centro Editoriale Valtortiano
03036 Isola del Liri (FR) ITALY
tel 0776 807032, fax 0776 809789

E.mail: cev@arcmedia.it
& cev@mariavaltorta.com

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AUSTRALIA: Gatto & Co., Unit 4 / Wanneroo Road P.O. Box 248, Tuart Hill, WA 6060, Phone
09.3443032, Fax 09.3443035

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ENGLAND: Veritas, Lower Avenue, Leamington Spa, Warwickshire CV 31 3 NP, Phone


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HONG KONG: Catholic Truth Society, Catholic Centre, G.P.O. Box 2984, Hong Kong

INDIA Examiner Bookshop, 35 Dalal Street, Fort, Mumbai 400 001

IRELAND: Faith & Family, Books & Media, P.O. Box 73, Callan-Co.Kilkenny, Phone and Fax
056.25784
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744913

MALAYSIA: Melaka-Johor Diocesan Secretariat, P.O. Box 319, 80730 Johor Bahru - Johor,
Fax 7.248501

PHILIPPINES: Legion of Little Souls, 518 Buendia Avenue Extension, Forbes Park North, 1200
Makati, Metro Manila, Phone 810-7697 & 810-7698
SINGAPORE: Magnificat Marian Centre Pte Ltd., 222 Queen Street N.01-07, Singapore 188550,
Phone 65.3373277, fax 65.3363378

SOUTH AFRICA: Catholic Centre, Archidiocese of Pretoria, P.O. Box 27524, Sunnyside, Phone
012.3416705, Fax 012.3416504

SWITZERLAND: Editions du Parvis, CH-1648 Hauteville, Phone 29.51905, Fax 29.52793

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Centre coordonnement: e-mail: volontari.m.valtorta.roma@gmail.com


MARIA VALTORTA

Le Poeme du Homme-Dieu / L’Evangile tel qu’il m’a été révélé

Vol. 1° : La préparation
* = 20% EN LIGNE
VOL.1. Chapitres 1-10
1. « On peut appeler Marie la puînée du Père
2. Joachim et Anne font un voeu au Seigneur
3. Anne prie au Temple et Dieu exauce sa prière
4. “Joachim avait épousé la sagesse de Dieu renfermée
5. Anne, avec un cantique annonce sa maternité
6. “La Sans-Tache ne fut jamais privée du souvenir de Dieu”
7. Naissance de la Vierge Marie
8. “Son âme apparaît belle et intacte comme quand Dieu la pensa”
9. “D’ici trois années tu seras là, mon Lys”
10. “Voilà la parfaite Enfant au coeur de colombe”

VOL. 1. Chapitres 11-20


11. “Ma joie, commente sais-tu ces choses saintes ? Qui donc te les dit?”
12. “Le Fils n’aurait-il pas mis sur les lèvres de sa Mère sa propre sagesse?”
13. Marie présentée au Temple
14. “L’éternelle Vierge n’a eu qu’une seule pensée: adresse vers Dieu son coeur”
15. Mort de Joachim et d’Anne
16. “Tu devrais être la Mère du Christ”
17. “Elle revoyait tout ce que son esprit avait vu en Dieu.”
18. “Dieu te donnera ton époux et il sera saint puisque tu t’es confiée à Dieu. Tu lui diras ton voeu”
19. Joseph désigné comme époux pour la Vierge
20. Mariage de la Vierge avec Joseph
*
VOL. 1. Chapitres 21-30
21. “Joseph est placé comme un ‘sceau sur un sceau’, comme l’Archange au seuil du Paradis”
22. Les époux arrivent à Nazareth
23. L’annonciation
24. La désobéissance de la première Eve
25. La nouvelle Eve a pratiqué l’obéissance en toutes occasions
26. Encore un mot d’explication sur le péché originel
27. L’annonce à Joseph de la grossesse d’Élisabeth
28. “Confie à Moi le soin de te justifier près de l’époux”
29. Marie et Joseph se rendent à Jérusalem
30. De Jérusalem à la maison de Zacharie

VOL. 1. Chapitres 31-40


31. “Ne vous dépouillez jamais de la protection de la prière”
32. Arrivée à la maison de Zacharie
33. Marie révèle le Nom à Elsisabeth
34. Marie parle de son Enfant
35. “Le don de Dieu doit toujours nous rendre meilleurs”
36. La naissance du Baptiste
37. “L’espérance s’épanouit comme une fleur pour celui qui appuie sa tête sur mon sein maternel”
38. La circoncision du Baptiste
39. “Disposez votre esprit à accueillir la Lumière”
40. La présentation du Baptiste au Temple *

VOL. 1. Chapitres 41-50


41. “Si Joseph avait été moins saint, Dieu ne lui aurait pas accordé sa lumière”
42. Marie de Nazareth s’explique avec Joseph
43. “Laissez au Seigneur le soin de vous proclamer ses serviteurs”
44. L’édit de recensement
45. “Aimer est satisfaire celui qu’on aime au-delà du sentiment et de l’intérêt”
46. Le voyage vers Bethléem
47. Naissance de Jésus notre Seigneur
48. “Moi, Marie, j’ai racheté la femme par ma divine maternité”
49. Adoration des bergers
50. “Chez les bergers se trouvent toutes les qualités requises pour être les adorateurs du Verbe”

VOL. 1. Chapitres 51-60


51. Visite de Zacharie
52. “Joseph protège aussi les âmes consacrées”
53. Présentation de Jésus au Temple
54. Enseignements qui jaillissent de la scène précédente
55. Berceuse de la Vierge
56. Adoration des trois Mages
57. Réflexions sur la foi des Mages
58. La fuite en Égypte
59. “La douleur a été pour nous l’amie fidèle. Elle a eu tous les
différents aspects et tous les noms”
60. La Sainte Famille en Égypte

VOL. 1. Chapitres 61-70

61. “Dans cette maison l’ordre est respecté”


62 Première leçon de travail à Jésus
63 “Je n’ai pas voulu m’affranchir bruyamment des règles de la
croissance”
64 Marie, maîtresse de Jésus, de Jude et de Jaques
65 Préparation des vêtements pour la majorité de Jésus
66 Le départ de Nazareth
67 L’examen de la majorité de Jésus au Temple
68 La discussion de Jésus avec les docteurs au Temple
69 La douleur de Marie à la disparition de Jésus
70 Mort de Saint Joseph

VOL. 1. Chapitres 71-72


71 “Marie a éprouvé une souffrance aiguë à la morte de Joseph
72 En conclusion de la vie cachée

Le Poème du Homme-Dieu / L’Evangile tel qu’il m’a été révélé

(Ed. 1985, Centro Editoriale Valtortiano srl Italie


Reprinted in 1999)
« Dieu me posséda au commencement de ses œuvres » (Salomon : Proverbes 8, 22)

Vol. 1° : La préparation

MARIA VALTORTA

Vol. 1° : La préparation

21. “JOSEPH EST PLACE’ COMME UN ‘SCEAU SUR UN SCEAU’ COMME


L’ARCHANGE AU SEUIL DU PARADIS.

Jésus dit :
« Que dit le livre de la Sagesse, en chantant ses louanges ? ‘Dans la Sagesse, se trouve en effet
l’esprit d’intelligence, saint, unique, multiple, subtil’. Il continue en énumérant ses qualités et
termine avec ces paroles : ‘…qu’elle peut tout, qu’elle prévoit tout, qu’elle comprend tous les
esprits, quelle est intelligente, pure, subtile. La sagesse pénètre tout par sa pureté, c’est une
émanation de l’esprit de Dieu… et donc en elle, il n’y a rien d’impur … c’est une image de la bonté
divine. Tout en étant unique, son unité peut tout, immuable comme elle est, elle renouvelle toutes
choses. Elle se communique aux âmes saintes et forme les amis de Dieu et les Prophètes’.
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Tu as vu comment Joseph, non par culture humaine mais par surnaturelle instruction, sait lire
dans le livre scellé de la Vierge sans tache, et comment il frôle par sa ‘vue’ les vérités prophétiques
en voyant un mystère surhumain là où les autres ne voient qu’une grande vertu. Imprégné de cette
sagesse, qui s’exhale de la Vertu de Dieu et qui est une émanation certaine de la Toute Puissance, il
se dirige d’un esprit tranquille et sûr dans la mer de ce mystère de Grâce qu’est Marie, se rencontre
avec Elle en des échanges spirituels où, plutôt que les lèvres, ce sont deux esprits qui se parlent dans
le silence sacré des âmes où ils n’entendent que la voix de Dieu et ne la reçoivent que ceux qui sont
agréables à Dieu, parce qu’ils Le servent fidèlement et sont remplis de Lui.
La Sagesse du Juste, qui s’accroît par l’union de la présence de la Toute Grâce, le prépare à
pénétrer dans les secrets les plus hauts de Dieu pour pouvoir les protéger et les défendre des pièges
humains ou démoniaques. Et tout lui est occasion de renouvellement. D’un juste elle fait un saint, et
d’un saint le gardien de l’Epouse et du Fils de Dieu.
Sans soulever le sceau de Dieu, lui le chaste, qui maintenant porte sa chasteté à un héroïsme
angélique peut lire la parole de feu écrite sur le diamant virginal par le doigt de Dieu et il y lit ce
que dans sa prudence il ne dit pas, mais qui est bien plus grand de ce que Moïse a lu sur les tables
de pierre. Et, pour qu’un œil profane ne déflore pas le mystère, il se place, sceau sur le sceau,
archange de feu sur le seuil du Paradis, dans lequel l’Eternel prend ses délices ‘se promenant à la
brise du soir’ et en parlant avec Celle qui est son amour, Bois de lys en fleur, brise parfumée
d’arômes, Brise fraîche matinière, belle Etoile, Délice de Dieu. La nouvelle Eve est là, devant lui
non pas os de ses os ni chair de sa chair, mais compagne de sa vie. Arche vivante de Dieu dont il en
reçoit la tutelle et qu’il doit rendre à Dieu pure comme il l’a reçue.
‘ Epouse de Dieu’ il était écrit dans ce livre mystique aux pages immaculées … Et quand le
soupçon de l’épreuve lui souffla son tourment, lui, comme homme et comme serviteur de Dieu,
souffrit, comme personne au monde, pour le sacrilège soupçonné. Mais ce fut là l’épreuve future. A
présent, en ce temps de grâce, il voit et il se met au service plus vrai de Dieu. C’est ensuite que
viendra l’orage de l’épreuve, comme pour tous les saints, pour être éprouvés et pour être rendus
coadjuteurs de Dieu.
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Que lit-on dans le Lévitique ? ‘Dis à Aaron, de ne pas entrer en tout temps dans le sanctuaire qui
se trouve derrière le Voile, devant le Propitiatoire qui couvre l’Arche, pour ne pas mourir lorsque
j’apparaîtrai dans la nuée au-dessus de l’oracle, de ne pas entrer sans qu’il n’y aura fait d’abord ces
choses : il offrira un veau, sacrifice pour le péché, et un mouton en holocauste ; il revêtira la tunique
de lin et avec les caleçons de lin couvrira sa nudité’.
Et réellement Joseph entre, quand Dieu le veut et autant que Dieu le veut, dans le sanctuaire de
Dieu, au-delà du voile qui cache l’Arche sur laquelle plane l’Esprit de Dieu, et s’offre et offrira
l’Agneau, holocauste pour le péché du monde et l’expiation de ce péché. Et cela, il le fait, vêtu de
lin avec son corps mortifié par son vœu pour en abolir les instincts qui, un jour, au commencement
des temps ont triomphé, lésant les droits de Dieu sur l’homme, et qui maintenant il sera piétiné dans
le Fils, dans la Mère et dans le père putatif, pour que les hommes retournent à la grâce, et qu’il soit
rendu à Dieu son droit sur l’homme. Il fait cela avec sa chasteté perpètuelle.
Joseph n’était pas au Golgotha ? Il vous semble qu’il ne soit pas parmi les corédempteurs ? En
vérité, je vous dis qu’il en fut le premier et pour cela il est grand aux yeux de Dieu. Grand par le
sacrifice, la patience, la constance, la foi. Quelle foi plus grande que la foi de celui qui a cru sans
avoir vu les miracles du Messie ?
Louange à mon père putatif, exemple pour vous de ce qui vous manque le plus : pureté, fidélité,
amour parfait. A celui qui a merveilleusement lu le Livre scellé, instruit par la Sagesse, pour savoir
comprendre les mystères de la Grâce, à celui que Dieu a choisi pour protéger le Salut du monde
contre les embûches de tous ses ennemis.”

22. LES EPOUX ARRIVENT A NAZARETH

Le ciel le plus azuré d’un tiède mois de février s’étend sur les collines de Galilée. Les douces
collines que dans ce cycle de la Vierge enfant je n’ai jamais vu et dont l’aspect m’est désormais
aussi familier que si j’y étais née.
La route principale, humide par suite d’une pluie récente, tom-
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bée peut-être la dernière nuit, n’est ni poussiéreuse, ni non plus boueuse. Elle est régulière et propre
comme une rue de ville et elle se déroule entre deux haies d’aubépines en fleurs. C’est comme une
surface neigeuse d’où s’exhale un parfum amer et de bois, coupé par d’énormes groupes de cactus
aux feuilles grosses et plates, toutes hérissées d’aiguillons et garnies d’énormes groupes de fruits
bizarres poussé sens ordre à l’extrémité des feuilles. Leur forme et leur couleur évoquent toujours
en moi les profondeurs marines avec les polypiers, les méduses et autres animaux des fonds marins.
Au-delà des haies –qui servent de limites de propriétés, et qui s’allongent en tous sens, en
formant un bizarre dessin géométrique avec des courbes et des angles, des rhombes, des losanges,
des carrés, des demi-cercles, des triangles aux angles aigus ou obtus les plus invraisemblables, c’est
un dessin tout saupoudré de blanc comme un ruban capricieux qu’on aurait ainsi étendu, pour le
plaisir, le long des champs et sur lesquels volent, piaulent, chantent, par centaines, des oiseaux de
toutes espèces, dans la joie de l’amour et de la construction des nids- au-delà des haies, les champs
avec les blés en herbe qui sont déjà plus hauts que ceux de Judée et des prés tout fleuris et sur eux –
en réponse aux légères nuées du ciel auxquelles le crépuscule donne des teintes de rose, de lilas
clairs, de violettes, de pervenches, d’opale azurée, d’orange corail –par centaines et centaines les
nuées des arbres à fruit : blanches, rosés, rouges avec toutes les nuances intermédiaires.
Avec le léger du soir, papillonnent et tombent les premiers pétales des arbres en fleurs. On dirait
des essaims de papillons à la recherche du pollen sur les fleurs de la campagne. Et d’un arbre à
l’autre des festons de vignes encore dénuées, sauf qu’à leur sommet là où le soleil tape davantage,
c’est l’ouverture innocente, étonnée, palpitante des premières petites feuilles.
Le soleil se couche tranquille dans le ciel si doux dans son azur que la lumière rend encore plus
clair et il fait briller au loin les neiges de l’Hermon et d’autres cimes lointaines.
Un char va sur la route. C’est celui qui porte Joseph et Marie avec ses cousins. Le voyage se
termine.
Marie regarde, du regard anxieux de qui veut connaître et même reconnaître ce qu’il voit et dont
il ne se rappelle pas et le sourit quand quelque souvenir imprécis revient et s’arrête sur telle
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et telle chose, sur un point particulier. Elisabeth et avec elle Zacharie et Joseph l’aident à se
souvenir en précisant telle ou telle cime, telle ou telle maison. Maisons, désormais, car Nazareth
déjà se montre, étendue sur l’ondulation de sa colline.
Frappée à gauche par le soleil couchant, la cité montre ses petites maisons blanches, larges et
basses que surmonte une terrasse teintée de rose. Certaines, que le soleil frappe en plein, semblent
éclairées par un incendie tant de leur façade est rougie par le soleil qui fit briller l’eau des canaux et
des puits bas, presque sans parapets, d’où montent les seaux pour la maison et les arrosoirs pour le
potager.
Enfants et femmes se mettent sur le bord de la route jetant un coup d’œil dans le char, et saluent
Joseph, bien connu. Mais après ils restent perplexes et intimidés devant les trois autres.
Mais quand on entre dans la cité proprement dite, il n’y a plus ni perplexité, ni crainte. Beaucoup
et beaucoup de tout âge se trouvent au début du pays sous un arc rustique de fleurs et de feuillage et
à peine le char apparaît de derrière le coude de la dernière maison campagnarde qui échappe à
l’alignement, c’est une roulade de cris aigus ; les gens agitent des rameaux et des bouquets. Ce sont
les femmes, les jeunes filles et les enfants de Nazareth qui saluent l’épouse. Les hommes plus
retenus se tiennent en arrière de la haie remuante et bruyante et saluent avec gravité.
Maintenant le char a été découvert avant d’arriver au pays car le soleil n’est plus gênant et permet
ainsi à marie de bien voir la terre natale. Marie apparaît belle comme une fleur. Blanche et blonde
comme un ange, elle sourit avec bonté aux enfants qui lui jettent des fleurs et lui envoient des
baisers, aux jeunes filles de son âge qui l’appellent par son nom, aux épouses, aux mères, aux
vieilles qui la bénissent avec leur voix chantantes. Elle s’incline devant les hommes et spécialement
devant l’un d’eux qui est peut-être le rabbin ou le principal personnage du pays.
Le char avance au pas par la rue principale suivi d’une grande partie de la foule pour laquelle
l’arrivée est un événement.
« Voici ta maison, Marie » dit Joseph en indiquant avec le fouet une petite maison qui se trouve
exactement au bas d’une ondulation de la colline et qui par derrière un beau et vaste jardin tout en
fleurs qui se termine avec un tout petit olivier. Plus loin l’habituelle d’aubépine et de cactus marque
la limite de
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la propriété. Les champs, autrefois à Joachim, sont plus loin…
« Il t’est resté peu de chose » dit Zacharie. « La maladie de ton père fut longue et coûteuse.
Coûteuses aussi les dépenses pour les réparations, les dégâts faits par Rome. Tu vois, la route a
supprimé les trois principales dépendances, on a utilisé une partie de la colline qui fait la grotte.
Joachim y gardait les provisions et Anne ses métiers. Tu feras ce qui te semblera bon. »
« Oh ! que ce soit peu de chose, n’importe ! Cela me suffira toujours. Je travaillerai… »
« Non, Marie. » C’est Joseph qui parle. « C’est moi qui travaillerai. Tu ne feras que les travaux
de lingerie, de couture de la maison. Je suis jeune et fort et je suis ton époux. Ne me mortifie pas
avec ton travail. »
« Je ferai comme tu veux. »
« Oui, pour cette question, c’est ma volonté. Pour tout le reste tous tes désirs font loi, mais pas
pour cela. »
Ils sont arrivés, le char s’arrête.
Deux femmes et deux hommes, respectivement sur le quarante et cinquante ans, sont près de la
porte, et avec beaucoup de bambins et de jeunes.
« Dieu te donne la paix, Marie » dit l’homme le plus âgé et une femme aborde Marie, l’embrasse
et la baise.
« C’est mon frère Alphée et Marie sa femme et ceux-ci sont leurs fils. Ils sont venus exprès pour
te fêter et te dire que leur maison est la tienne, si tu veux » dit Joseph.
« Oui, viens Marie, s’il t’est pénible de vivre seule. La campagne est belle au printemps et notre
maison est au milieu des champs en fleurs. Là, tu seras la plus belle fleur » dit Marie de Alphée.
« Je te remercie, Marie. Bien volontiers je viendrai. Je viendrai de temps en temps et sans faute
pour les noces. Mais je désire tant de voir, de reconnaître ma maison. J’étais toute petite quand je
l’ai quittée et j’ai oublié son aspect… maintenant je la retrouve… et il me semble de retrouver ma
mère que j’ai perdue, mon père bien aimé, de retrouver l’écho de leurs paroles… et le parfum de
leur dernier soupir. Il me semble n’être plus orpheline puisque autour de moi j’ai l’embrassement
des murs… Comprends-moi, Marie, ». La voix de Marie trahit son émotion et des larmes perlent à
ses cils.
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Marie d’Alphée répond : « Comme tu veux, aimée. Je veux que tu me sentes comme ne sœur et
une amie et un peu aussi une mère parce que je suis de beaucoup plus âgée que toi.”
L’autre femme s’avance : « Marie, je te salue. Je suis Sara, l’amie de ta mère. Je t’ai vu naître. Et
voilà Alphée, petit fils d’Alphée et grand ami de ta mère. Ce que j’ai fait pour ta mère, je le ferai
pour toi, si tu le veux. Vois-tu ? Ma maison est la plus proche de la tienne et tes champs sont
maintenant à nous. Mais, si tu veux venir, tu le peux à toute heure. Nous ferons un passage dans la
haie et nous serons ensemble, tout en restant chacun chez soi. Voilà mon mari. »
« Je vous remercie tous et pour tout. De tout le bien que vous avez voulu faire aux miens et que
vous voulez me faire. Que vous bénisse le Dieu Tout-Puissant. »
Les lourdes caisses sont déchargées et portées à la maison. On entre, et je reconnais la petite
maison de Nazareth, telle qu’elle est plus tard, dans la vie de Jésus.
U Joseph prend Marie par la main –geste habituel- et il entre ainsi. Sur le seuil, il lui dit : « Et à
présent, sur ce seuil, je veux de toi une promesse. Que n’importe quelle chose survienne ou qui
t’arrive tu n’aies pas d’autre ami, d’autre aide vers qui te tourner que vers Joseph et que, pour aucun
motif tu n’aies à t’enfermer dans ta peine. Je suis tout entier à ta disposition, rappelle-toi et ce sera
là ma joie de rendre heureux ton chemin et, puisque le bonheur n’est pas toujours en notre pouvoir,
au moins de te le faire paisible et sûr. »
« Je te le promet, Joseph. »
On ouvre portes et fenêtres. Le soleil couchant entre, curieux. Marie, maintenant a quitté le
manteau et le voile parce que, sauf les fleurs de myrte, Elle a encore le vêtement de noces. Elle sort
dans le jardin en fleurs. Elle regarde et sourit avec toujours sa main dans celle de Joseph, Elle fait le
tour du jardin. Elle semble reprendre possession d’un lieu perdu.
Et Joseph lui montre ses travaux : « Tu vois, ici, j’ai fait ce trou pour recueillir l’eau de pluie,
car ces vignes ont toujours soif. A cet olivier, j’ai coupé les branches les plus vieilles pour le
revigorer. J’ai planté ces pommiers parce que deux étaient morts, et là j’ai mis des figuiers. Quand
ils auront poussé, ils protégeront la maison d’un soleil trop ardent et des regards curieux. Là est
l’ancienne tonnelle, j’ai seulement changé les supports pourris
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et travaillé avec les ciseaux. Elle donnera beaucoup de raisin, j’espère. Et là, regarde » et tout fier, il
la conduit vers la pente qui se dresse au dos de la maison et qui fait la limite du verger, « et là j’ai
creusé une petite grotte et je l’ai étayée, et quand ces petites plantations auront grandi, elle sera à
peu près aussi grande que celle que tu avais. Il n’y a plus la source … mais j’espère amener un filet
d’eau. Je travaillerai pendant les longues soirées d’été quand je viendrai te voir… »
« Mais comment ? » dit Alphée. « Vous ne faites pas les noces cet été ? »
« Non. Marie désire filer les draps de laine, unique chose qui manque au trousseau. Et j’en suis
heureux. Elle est si jeune, Marie, qu’il n’y a pas d’importance qu’Elle attende un an ou plus. En
attendant, Elle s’habitue à la maison. …»
« Ah ! tu as toujours été un peu différent des autres et tu l’es encore maintenant. Je me demande
qui n’aurait pas hâte d’avoir pour femme une fleur comme Marie et toi, tu attends des mois !... »
« Joie longuement attendue, joie plus intensément goûtée » répond Joseph avec un fin sourire.
Le frère hausse les épaules et demande : « Et alors quand penses-tu aux noces ? »
« Quand Marie prendra ses seize ans. Après la fête des Tabernacles. Elles seront douces les
soirées d’hiver pour les nouveaux époux ! …» Et il sourit encore, en regardant Marie. Un sourire
d’entente sécrète et pleine de douceur, d’une consolante chasteté fraternelle. Puis il reprend son
tour : « ici, c’est la pièce dans la butte. Si tu veux, j’en ferai mon atelier quand je viendrai. Elle
communique mais n’est pas dans la maison. Ainsi il n’y aura ni bruit ni désordre. Si pourtant tu
veux autrement … »
« Non, Joseph, ça va très bien ainsi. »
On rentre à la maison et on allume les lampes.
« Marie est fatiguée » dit Joseph. « Laissons-la tranquille avec les cousins. »
Tous saluent et s’en vont. Joseph reste encore quelques minutes et parle à Zacharie à voix basse.
« Ton cousin te laisse Elisabeth quelque temps, es-tu contente ? Moi, oui, parce qu’elle t’aidera à
… devenir une parfaite maîtresse de maison. Avec elle tu pourras disposer toutes choses à ton goût
et ranger le mobilier et je viendrai tous les soirs t’aider. Avec elle tu pourras te procurer la laine et
tout ce qu’il faut. C’est moi qui
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réglerai les dépenses. Souviens-toi que tu as promis de t’adresser à moi pour tout. Adieu, Marie.
Dors ton premier sommeil de dame, dans cette maison qui est à toi, et que l’ange de Dieu te le rende
paisible. Que le Seigneur toit toujours avec toi. »
« Adieu, Joseph, que toi aussi tu sois sous l’aile de l’ange de Dieu. Merci, Joseph. Pour tout.
Autant que je le puis mon amour répondra au tien. «
Joseph salue les cousins et sort.
En même temps la vision cesse.

Jésus dit :
« Le cycle est terminé, et avec lui, si doux et si suave, ton Jésus t’a portée sans secousses hors du
tumulte de ces jours. Comme un petit enfant revêtu d’une douce laine et posé sur des coussins
moelleux, tu as été plongée dans ces visions bienheureuses pour ne pas ressentir, terrorisée, la
férocité des hommes qui se haïssent, au lieu de s’aimer. Tu ne pourras plus supporter certaines
choses et je ne veux pas que tu en meures, parce que j’ai soin de mon ‘porte-voix’. Elle va cesser,
dans le monde, la cause pour laquelle les victimes ont été torturées par tous les désespoirs. Pour toi
aussi, Marie, va cesser le temps de souffrir terriblement pour trop de raisons qui violentent tes
sentiments personnels. Tu ne cesseras pas de souffrir : tu es victime. Mais une partie de tes
souffrances : celle-là va cesser. Puis viendra le jour où je dirai comme à Marie de Magdala
mourante : ‘Repose-toi. Il est temps pour toi de reposer. Donne-moi tes épines. Il est temps de
roses. Repose-toi et attends. Je te bénis, bénie’.
Je t’ai dit cela et c’était une promesse et tu ne l’as pas comprise au moment où arrivait le temps
où tu serais plongée, roulée, enchaînée, couverte par les épines, dans la plus profonde obscurité …
Cela je te le répète maintenant avec une joie telle que seul l’amour que je suis, peut éprouver quand
il peut faire cesser une douleur pour son aimée. Cela, je te le dis maintenant le temps du sacrifice
cesse. Et Moi, qui sais , je te le dis pour le monde qui ne sait pas, pour l’Italie, pour Viareggio, pour
ce petit pays, où tu m’as apporté –médite le sens de ces paroles- le merci réservé aux holocaustes
pour leur sacrifice. Quand je t’ai montré Cécile, vierge épouse, je t’ai dit qu’elle était imprégnée de
mes parfums et qu’à leur odeur elle a entraîné mari, beau-frère, serviteurs, parents, amis. Tu as fait
sans le savoir, mais moi je te le dis, Moi qui sait, le rôle de Cécile dans ce monde devenu fou. Tu es
toute remplie de Moi, de ma parole ; tu as porté mes désirs parmi les personnes et les meilleurs ont
compris et après toi, victime, beaucoup et beaucoup en sont sortis et, si ce n’est pas la ruine
complète de ta patrie et des lieux qui te sont les plus chers, c’est parce que beaucoup d’hosties ont
été consumées à la suite de ton exemple et de ton activité. Merci, bénie. Mais continue encore. J’ai
grand besoin de sauver la terre, de racheter la terre. Vous, les victimes, vous êtes le prix du rachat.
La Sagesse qui a instruit les saints et t’instruit par un enseignement direct, t’élève toujours plus à
l’intelligence de la Science de vie et à sa pratique. Dresse, toi aussi, ta petite tente près de la maison
du seigneur. Enfonce aussi
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les pieux de la tente dans la demeure de la Sagesse et reste-y sans jamais en sortir. Tu reposeras
sous la protection du Seigneur qui t’aime, comme un oiseau au milieu des branches fleuries et Il te
mettra à l’abri de toutes intempéries spirituelles et tu seras dans la lumière de la gloire de dieu d’où
descendront pour toi des paroles de paix et de vérité. Va en paix. Je te Bénis, bénie. »

Tout de suite après Marie dit :


« A Marie, le cadeau de la maman pour sa fête. Une chaîne de cadeaux. Et s’il y a parmi eux
quelque épine, ne t’en plains pas au Seigneur qui t’a aimée comme Il en a aimé bien peu. Je t’avais
dit, au débout : ‘Ecris sur moi. Toute peine trouvera sa consolation’. Tu as vu que c’est vrai. Ce
cadeau t’était réservé pour ces temps troubles. Nous n’avons pas seulement soin de l’esprit, mais
nous savons nous préoccuper aussi de la matière qui n’est pas reine, mais servante utile pour
l’esprit, pour lui permettre d’accomplir sa mission. Sois reconnaissante au Très-haut qui, pour toi,
est vraiment Père, même au sens affectueusement humain et qui te berce en des suaves extases, pour
te cacher ce qui t’épouvanterait. Aime-moi toujours plus. Je t’ai portée avec moi dans le secret de
mes premières années. Maintenant tu sais tout de la Maman. Aime-moi comme fille et sœur dans ta
destinée de victime. Et aime Dieu le père, Dieu le fils, Dieu l’Esprit Saint en perfection d’amour.
Que la bénédiction du Père, du Fils, et de l’Esprit Saint passe par mes mains, qu’elle prenne le
parfum de mon maternel amour pour toi, et sur toi elle descende et repose. Sois surnaturellement
heureuse. »

23. L’ANNONCIATION

Voici ce que je vois: Marie, une très jeune adolescente –quinze ans au plus à la voir- est dans une
petite pièce rectangulaire. Une vraie chambre de jeune fille.
Contre le plus longue des deux murs, se trouve le lit: une couchette basse, sans rebords, couverte
de nattes ou de tapis. On le dirait étendus sur une table ou une claie à roseaux. Ils sont en effet
rigides et ne forment pas de courbes comme il arrive sur nos lits. Sur l’autre mur, une étagère avec
une lampe à huile, des rouleaux de parchemin, un travail de couture soigneusement plié que l’on
dirait de la broderie. A côté, vers la porte qui est ouverte sur le jardin, mais couverte d’un rideau
qu’un vent léger remue, est assise sur un tabouret bas la Vierge.
Elle file du lin très blanc et doux comme de la soie. Ses petites mains, un peu moins claires que le
lin, font tourner agilement le fuseau. Le petit visage, jeune, est si beau, si beau, légèrement courbé,
ave un léger sourire, comme si elle caressait ou suivait quelque douce pensée.
Un profond silence, dans la petite maison et le jardin. Une paix profonde, tant sur le visage de
Marie que dans son environnement. La paix et l’ordre. Tout est propre et en ordre, et le milieu très
humble en son aspect et dans l’ameublement, presque comme une cellule, a quelque chose
d’austère et en même temps de royal cause de la netteté et du soin avec lequel sont disposées les
étoffes sur le lit, les rouleaux, la lumière, le petit broc de cuivre près de la lumière et, avec dedans
un faisceau de branches fleuries, branches de pêchers ou de poiriers, je ne sais, mais ce sont
certainement des arbres à fruit avec des fleurs légèrement rosées.
Marie se met à chanter à voix basse et puis elle élève un peu la voix. Ce n’est pas du grand
‘chant’, mais c’est déjà une voix qui vibre dans la petite pièce et où on sent vibrer son âme. Je ne
comprends pas les paroles, c’est certainement de l’hébreu. Mais comme elle répète
fréquemment:’Jéhovah’ je comprends qu’il s’agit de quelque chant sacré, peut-être un psaume.
Peut-être Marie se rappelle les cantiques du Temple et ce doit être un doux souvenir car elle pose
sur son sein les mains qui tiennent le fil et le fuseau et elle lève la tête en l’appuyant en arrière sur le
mur; son visage brille de vives couleurs et ses yeux, perdus dans je ne sais quelle douce pensée, sont
rendus plus luisants par des pleurs retenus mais qui le font paraître plus grand. Et pourtant ses yeux
rient, sourient à une pensée qu’ils suivent et l’abstraient de ce qui l’entoure. Le visage de Marie
émerge du vêtement blanc et très simple, rosé et encadré par les tresses qu’elle porte comme une
couronne autour de la tête. On dirait une belle fleur.
Le chant se change en une prière: “Seigneur, Dieu Très-Haut, ne tarde pas d’envoyer ton Serviteur
pour rapporter la paix sur la terre. Suscite le temps favorable et la vierge pure et féconde pour
l’avènement de ton Christ. Père, Père Saint, accorde à ta servante d’offrir sa vie dans ce but.
Accorde-moi de mourir après avoir vu ta Lumière et ta Justice sur la terre et d’avoir vu, accomplie,
la Rédemption. O Père Saint, envoie à la terre ce qui a fait soupirer les Prophètes. Envoie à ta
servante le Rédempteur. Qu’à l’heure où se terminera ma journée s’ouvre pour moi ta demeure
parce que ses portes auront déjà été ouvertes par ton Christ, pour tous ceux qui ont espéré en Toi.
Viens, viens, ô Esprit du Seigneur. Viens vers tes fidèles qui t’attendent. Viens, Prince de la Paix!
…” Marie reste ainsi hors d’elle-même…
Le rideau remue plus fort, comme si quelqu’un, par derrière faisait un courant d’air ou le secouait
pour l’écarter. Et une lumière blanche de perle, associé à l’argent pur, rend plus clairs les murs
légèrement jaunes, plus vives les couleurs des étoffes, plus spirituel le visage levé de Marie. Dans la
lumière, et sans que la tenture soit écartée sur le mystère qui s’accomplit –même elle ne remue plus:
elle pend absolument rigide contre les montants, comme si s’était un mur qui isole l’intérieur de
l’extérieur- dans cette lumière se prosterne l’Archange.
Il doit nécessairement prendre un aspect humain. Mais cet aspect transcende l’humain. De quelle
chair est formée cette figure très belle et fulgurante? De quelle substance Dieu l’a-t-elle matérialisée
pour la rendre sensible aux sens de la Vierge? Seul Dieu peut posséder ces substances et s’en servir
si parfaitement. C’est un visage, c’est un corps, ce sont des yeux, une bouche, des cheveux et des
mains comme les nôtres, mais ce n’est pas notre opaque matière. C’est une lumière qui a pris la
couleur de la chair, des yeux, de la chevelure, des lèvres, une lumière qui se meut et sourit et
regarde et parle.
“Salut, Marie, pleine de Grâce, salut!” La voix est un doux accord comme de perles qui tombent
sur un métal précieux.
Marie tressaille et baisse les yeux. Et elle tressaille davantage quand elle voit cette créature de
lumière agenouillée à un mètre environ de distance d’elle, les mains croisées sur la poitrine la
regardant avec un infini respect.
Marie se dresse debout et se serre contre le mur. Elle devient pâle, puis rouge. Son visage exprime
étonnement, effarement. Elle serre inconsciemment les mains sur son sein, en les cachant sous ses
longues manches. Elle se courbe presque pour cacher le plus possible son corps. Une attitude de
suave pudeur.
“Non. Ne crains pas. Le Seigneur est avec Toi! Tu es bénie entre toutes les femmes.”
Mais Marie continue à craindre. D’où est venu cet être extraordinaire? Est-ce un envoyé de Dieu
pu un Trompeur?
“Ne crains pas, Marie!” répète l’Archange. “Je suis Gabriel, l’Ange de Dieu. Le Seigneur m’a
envoyé vers Toi. Ne crains pas parce que tu as trouvé grâce au près de Dieu. Et maintenant, tu vas
concevoir dans ton sein et enfanteras un Fils et tu Lui donneras comme nom ‘Jésus’. Il sera grand.
On l’appellera le Fils du Très-Haut (il le sera en réalité) et le Seigneur Dieu Lui donnera le trône de
David son père et il régnera éternellement sur la maison de Jacob et son Règne n’aura jamais de fin.
Comprends, ô Sainte Vierge, aimée du Seigneur, sa Fille bénie, appelée à être la Mère de son Fils,
quel Fils tu engendreras.”
“Comment cela peut-il se faire si je ne connais pas d’homme? Est ce que le Seigneur Dieu
n’accueille pas l’offrande de sa servante et ne me veut pas vierge par amour pour Lui?”
“Non, ce ne sera pas par oeuvre d’homme que Tu seras Mère, ô Marie. Tu es l’éternelle Vierge, la
Sainte de Dieu. L’Esprit Saint descendra sur Toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son
ombre. Pour cela, on appellera Saint celui qui naîtra de toi, Saint et Fils de Dieu. Tout est possible
au Seigneur notre Dieu. Élisabeth, stérile, a conçu dans sa vieillesse un fils qui sera le Prophète de
ton Fils, celui qui Lui préparera le chemin. Le Seigneur lui a enlevé son opprobre et son souvenir
restera parmi les peuples uni à ton nom, comme le nom de sa créature à celui de ton Saint, et
jusqu’a la fin des siècles les nations vous proclameront bienheureuses pour la grâce du Seigneur
venue jusqu’à vous et jusqu’à toi spécialement, venue aux nations par ton intermédiaire. Élisabeth
est en son sixième mois et le poids qu’elle porte fait monter en elle la joie et la fera monter
davantage quand elle connaîtra ta propre joie. Rien n’est impossible à Dieu, Marie, pleine de Grâce.
Que dois-je dire à mon Seigneur? Ne te laisse pas troubler par aucune pensée. Le Seigneur veillera
sur tes intérêts si tu te fies à Lui. Le monde, le Ciel, l’Eternel attendent ta parole”
Marie, croisant à son tour ses mains sur sa poitrine et se courbant en une profonde inclination, dit:
“Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon sa parole.”
L’Ange étincelle de joie. Il adore, parce que certainement il voit l’Esprit de Dieu s’abaisser sur la
Vierge, toute courbée dans son consentement. Puis il disparaît, sans remuer la tenture qu’il laisse
tirée sur le Mystère saint.

24. LA DESOBEISSANCE DE LA PREMIERE EVE

Jésus dit :
« Ne lit-on pas dans la Genèse que Dieu donna à l’homme la domination sur tout, sauf sur Dieu et
les Anges ses ministres ? N’y lit-on pas qu’Il fit la femme pour être la compagne de l’homme pour
partager sa joie et sa maîtrise sur tous les êtres vivants ? N’y lit-on pas qu’ils pouvaient manger de
tout sauf des fruits de l’arbre du Bien et du mal ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui est sous-entendu dans
ces paroles ‘qu’il domine’ ? Qu’est-ce qu’il y avait dans l’arbre de la Science du Bien et du Mal ?
Vous êtes-vous jamais demandé cela, vous qui cherchez tant de choses inutiles et ne savez pas
demander à votre âme les vérités célestes ?
Votre âme si elle était vivante, vous le dirait, elle qui, quand elle est en état de grâce est comme
une fleur entre les mains de votre Ange, elle qui, quand vous êtes en état de grâce rassemble à une
fleur qui reçoit le baiser du soleil, rafraîchie par la rosée, par l’action de l’Esprit Saint qui la
réchauffe et l’éclaire, l’arrose et l’embellit par des lumières célestes. Que de vérités vous dirait
votre âme si vous saviez converser avec elle, si vous l’aimiez comme ce qui vous donne la
ressemblance avec Dieu qui est Esprit, comme votre âme est esprit. Quelle grande amie vous auriez
en votre âme si vous l’aimiez au lieu de la haïr jusqu’à la tuer. Quelle grande et sublime amie avec
laquelle vous pourriez parler des choses du Ciel vous qui êtes si avides de parler et vous vous
dégradez l’un l’autre avec vos amitiés. Ces amitiés, si elles ne sont pas indignes –ce qui arrive
parfois- sont cependant à peu près toujours inutiles ne donnant occasion de s’exprimer qu’à un flot
de paroles vaines et nuisibles, et toujours, toujours terrestres.
N’ai-je pas dit : ‘Qui m’aime gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui, et
nous ferons en lui notre demeure’ ? L’âme en état de grâce possède l’amour, et possédant l’amour,
elle possède Dieu, c'est-à-dire le Père qui la conserve, le Fils qui la gouverne, l’Esprit qui l’éclaire.
Elle possède donc la Connaissance, la Science, la Sagesse. Elle possède la lumière. Pensez donc
quelles conversations sublimes pourrait lier votre âme avec vous. Ce sont elles qui ont rempli le
silence des prisons, le silence des cellules, le silence des ermitages, le silence d’infirmes pieux. Ce
sont elles qui ont réconforté les prisonniers dans l’attente du mar-
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tyre, les cloîtres à la recherche de la Vérité, les solitaires aspirant à une connaissance anticipée de
Dieu, les infirmes à l’acceptation, mais que dis-je, à l’amour de leur croix.
Si vous saviez également interroger votre âme, elle vous dirait la signification vraie, exacte, vaste
comme le monde, de cette parole pour ‘qu’il domine’, et qui est celle-ci : ‘Pour que l’homme
domine sur tout. Sur tous ses trois états. L’état inférieur, animal. L’état intermédiaire, moral. L’état
supérieur, spirituel. Et que tous les trois l’inclinent à une seule fin : posséder Dieu’. Le posséder en
le méritant avec cette domination absolue qui tient assujetties toutes les forces du moi et les faits
servantes de cet unique but : mériter de posséder Dieu. Elle vous dirait que Dieu avait interdit la
connaissance du bien et du mal, parce que le bien, Il l’avait accordé gratuitement à ses créatures, et
le mal Il ne voulait pas que vous le connaissiez, parce que c’est un fruit doux au palais, mais qui
descendu avec son suc dans le sang y apporte une fièvre qui tue et produit une soif ardente, si bien
que plus on ne boit de ce suc mensonger et plus on en a soif.
Vous objecterez : « Et pourquoi l’y a-t-Il mis ? Et pourquoi ? Parce que le mal est une force qui
est née d’elle-même spontanée comme certains maux qui s’attaquent aux corps les plus sains.
Lucifer était un ange, le plus beau des anges. Esprit parfait inférieur à Dieu seulement. Et pourtant
dans son être de lumière naquit une vapeur d’orgueil qu’il ne dissipa pas, mais au contraire il la
condensa en la couvant. De cette incubation est né le mal. Il existait avant que l’homme existât.
Dieu avait précipité hors du Paradis le maudit qui avait couvé le mal qui avait souillé le paradis.
Mais il est resté l’éternel incubateur du mal et, ne pouvant plus souiller le paradis, il a souillé la
terre.
Cette plante symbolique sert à démontrer cette vérité. Dieu avait dit à l’homme et à la femme :
‘Vous connaissez toutes les lois et mystères de la création. Mais n’usurpez pas mon droit d’être le
Créateur de l’homme. Pour propager la race humaine il suffira mon amour qui circulera en vous, et
sans luxure, par le seul mouvement de la charité, il suscitera des nouveaux Adams de la race
humaine. Je vous donne tout. Je ne me réserve que ce mystère de la formation de l’homme.’
Satan a voulu enlever à l’homme cette virginité de l’intelligence, et avec sa langue de serpent a
flatté et caressé les membres et les yeux d’Eve en produisant des réflexes et une excitation que les
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premiers parents ne connaissaient pas parce que la malice ne les avait pas empoisonnés.
Eve ‘vit’. Et en voyant elle voulut essayer. C’était l’éveil de la chair. Oh ! si elle avait appelé
Dieu ! Si elle avait couru Lui dire : ‘Père, je suis malade. Les caresses du serpent ont excité le
trouble en moi’, le Père l’aurait purifiée et guérie de son souffle qui, comme il lui avait infusé la vie
Il pouvait lui infuser une nouvelle innocence en lui faisant oublier le poison du serpent et même en
mettant en elle ‘horreur du serpent, comme ceux qui, attaqués par un mal, en ont été guéris et
conservent envers ce mal une instinctive répugnance. Mais Eve ne va pas au Père. Elle se dirige
vers le Serpent. Cette sensation lui est douce. ‘En voyant que le fruit de l’arbre était bon à manger,
beau pour les yeux, gracieux à voir, elle le cueillit et en mangea.’
Et elle ‘comprit’. Désormais la malice était descendue en ses entrailles avec sa morsure. Elle vit
avec des yeux nouveaux et entendit avec des oreilles nouvelles les mœurs et les voix des brutes. Et
les désira d’un désir fou. Elle commença seule le péché. L’acheva avec son compagnon. Voilà
pourquoi sur la femme pèse une condamnation plus grande.
C’est par elle que l’homme est devenu rebelle à Dieu et qu’il a connu la luxure et la mort. C’est
par elle qu’il n’a plus su dominer ses trois règnes : de l’esprit, parce qu’il a permis que l’esprit
désobéisse à Dieu ; de la conduite morale, parce qu’il a permis que les passions le dominent ; de la
chair, parce qu’il a rabaissé au niveau des lois instinctives des brutes. ‘Le Serpent m’a séduite’, dit
Eve. ‘La femme m’a offert le fruit et j’en ai mangé’ dit Adam. Et la triple concupiscence s’attache
alors aux trois règnes de l’homme.
Il n’y a que la Grâce qui puisse réussir à ralentir l’étreinte de ce monstre impitoyable. Et si elle
est vivante, très vivante, maintenue toujours plus vivante par la volonté du fils fidèle, elle arrive à
étrangler le monstre et à n’avoir plus rien à craindre. Plus de tyrans intérieurs. A savoir, de la chair
et des passions. Plus de tyrans extérieurs : le monde et les puissants du monde. Plus de persécutions.
Plus de mort. C’est comme dit l’Apôtre Paul : ‘Je ne crains aucune de ces choses, et je ne tiens pas à
ma vie plus qu’à moi-même, mais uniquement pour que j’accomplisse ma mission et le ministère
reçu du Seigneur Jésus, pour rendre témoignage à l’Evangile de la grâce de Dieu’.

25. LA NOUVELLE EVE A PRATIQUE L’OBEISSANCE EN TOUTE OCCASIONS.

Marie dit :
« Dans la joie –parce que, lorsque j’ai compris la mission à laquelle Dieu m’appelait, je fus remplie
de joie- mon cœur s’ouvrit comme un lys fermé et il s’en épancha le sang qui fut le terrain pour le
Germe du Seigneur.

Joie d’être mère.


Je m’étais consacrée à Dieu dès le premier âge car la lumière du Très-Haut avait mis pour moi en
pleine lumière la cause du mal du monde et j’avais voulu, pour autant que c’était en mon pouvoir,
effacer de moi l’empreinte de Satan. Je ne savais pas que j’étais sans tache. Je ne pus penser que je
l’étais. La seule pensée de ce privilège aurait été présomption et orgueil. Née en effet de
procréateurs humains, il ne m’était pas permis de penser que c’était moi l’Elue appelée à être la
Sans-Tache. L’Esprit de Dieu m’avait instruite sur la douleur du Père devant la corruption d’Eve
qui avait voulu s’avilir et, de créature de grâce, descendre au niveau des créatures inférieures. Je
portais en moi le désir d’adoucir cette douleur en élevant ma chair à une pureté angélique avec la
volonté de me garder inviolée dans mes pensées, mes désirs et dans les relations humaines.
Seulement pour Dieu, les battements de mon cœur, seulement pour Lui, mon être tout entier. Mais
si je n’avais pas en moi la fièvre brûlante de la chair, il y avait pourtant encore en moi le sacrifice de
ne pas être mère.
La maternité, exemple de tout ce qui maintenant l’avilit, avait été aussi accordée à Eve par le
Père Créateur. Douce et pure maternité, sans pesanteur des sens ! J’en ai eu l’expérience. De
combien s’est appauvrie Eve en renonçant à cette richesse ! Plus que de l’immoralité. Et que cela ne
vous paraisse pas exagération. Mon Jésus et moi avec Lui, sa Mère, avons connu la langueur de la
mort. . Moi, la douce langueur où, épuisée je me suis endormie, Lui l’atroce langueur du condamné
à mort. A nous donc aussi est venue la mort. Mais la maternité sans violation d’aucune sorte est
venue à moi seule, Eve nouvelle, afin que je puisse dire au monde de quelle douceur aurait été le
sort de la femme appelée à devenir mère sans souffrance dans sa chair. Et le désir de cette maternité
pouvait exister et existait de fait dans la Vierge qui était toute à Dieu, car cette maternité est la
gloire de la femme.
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Si vous pensez ensuite en quel honneur était tenue la femme devenue mère, chez les israélites,
vous pouvez encore mieux apprécier le sacrifice que j’avais consenti en acceptant par mon vœu
cette privation. Maintenant à sa servante, l’Eternelle Bonté faisait ce don sans m’enlever la candeur
dont j’avais été revêtue pour être une fleur sur son trône. Et moi j’en ai éprouvé une suave jubilation
d’avoir la double joie d’être mère d’un home et d’être la Mère de Dieu.
Joie d’être celle par laquelle la paix ressoudait ensemble le Ciel et la terre.
Oh ! avoir désiré cette paix, pour l’amour de Dieu et du prochain et savoir que c’était par mon
intermédiaire à moi, pauvre servant du puissant, qu’elle venait au monde ! Dire : ‘Oh ! hommes, ne
pleurez pas. Je porte en moi le secret qui vous rendra heureux. Je ne puis vous le dire parce qu’il est
scellé en moi, en mon cœur, comme est renfermé en mon sein inviolé le Fils de Dieu. Mais déjà je
vous l’apporte parmi vous, mais chaque heure qui passe rapproche le moment où vous le verrez et
connaîtrez son Nom saint’.
Joie d’avoir donné la joie à Dieu : joie de croyante pour son Dieu rendu heureux.
Oh ! avoir enlevé au cœur de Dieu l’amertume de la désobéissance d’Eve et l’orgueil d’Eve, de
son incrédulité ! Mon Jésus a fait comprendre de quelle faute le premier Couple s’est souillé. J’ai
annulé cette faute refaisant à rebours ces étapes de sa descente.
Le commencement de la faute se trouva dans la désobéissance : ‘Ne mangez pas et ne touchez pas
cet arbre’ avait dit Dieu. L’homme et la femme, les rois de la création, qui pouvaient toucher à tout,
manger de tout, excepté de cet arbre parce que Dieu voulait que seuls les anges fussent supérieurs,
eux ne tinrent pas compte de sa défense.
L’arbre : le moyen pour mettre à l’épreuve l’obéissance de ses fils. Qu’est-ce que l’obéissance
aux commandements de Dieu ? C’est le bien, car Dieu ne commande que le bien. Qu’est-ce que la
désobéissance ? C’est le mal, car elle met dans l’âme les sentiments de rébellion, terrain propice au
travail de Satan.
Eve s’approche de l’arbre qu’elle aurait du fuir pour en recevoir le bien, mais dont le voisinage,
au contraire, lui en a donné le mal. Elle y va, entraînée par la curiosité puérile de voir ce qu’il avait
de spécial, et par l’imprudence qui lui fait juger inutile le com-
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mandement de Dieu, car elle est forte et pure, la reine de l’Eden où tout lui est soumis, où rien ne
pourra lui faire du mal, Sa présomption sera sa ruine, la présomption qui est déjà le levain de
l’orgueil.
Après de la plante, elle trouve le Séducteur. A son inexpérience, à sa candide inexpérience de
vierge, à la faiblesse de son inexpérience, il chante la chanson du mensonge : ‘Tu crois qu’il y a du
mal ? Non. Dieu te l’a dit parce qu’Il veut vous garder esclaves de son pouvoir. Vous croyez être
rois ? Vous n’êtes même pas libres comme l’est la bête fauve. A elle, Il a accordé d’aimer d’un vrai
amour. Pas à vous. A elle, Il a permis d’être créatrice comme Dieu. Elle engendre des fils et voit
grandir à souhait sa famille. Pas vous. A vous cette joie est refusée. A quoi bon donc vous avoir fait
homme et femme si vous devez vivre ainsi ? Soyez des dieux. Vous ne connaissez pas la joie d’être
deux en une seule chair et d’en créer une troisième et davantage. Ne croyez pas aux promesses de
Dieu de jouir de votre postérité en voyant vos fils créer de nouvelles familles, vous quitter pour être
pères et mères. Il vous a donné un semblant de vie. La vie réelle c’est de connaître les lois de la vie.
C’est alors que vous serez semblables à des dieux et que vous pourrez dire à Dieu : ‘Nous sommes
tes égaux’.
Et la séduction se poursuivit parce que Eve n’eut pas la volonté de la repousser, mais plutôt de la
suivre et de connaître ce qui n’appartenait pas à l’homme. Voilà que l’arbre défendu devient pour la
race, réellement mortel, parce qu’à ses branches pend le fruit de l’amer savoir qui vient de Satan. Et
la femme devient femelle et avec le levain de connaissance satanique au cœur, s’en va corrompre
Adam. La chair est ainsi avilie, les mœurs corrompues, l’esprit dégradé, ils connurent la douleur et
la mort de l’esprit privé de la Grâce et de la chair privée de l’immortalité. Et la blessure d’Eve
engendra la souffrance qui ne disparaîtra, jusqu’à la mort du dernier couple sur la terre.
J’ai parcouru à rebours le chemin des deux pécheurs,. J’ai obéi. En toutes circonstances j’ai
obéi. Et après avoir aimé la virginité qui me faisait pure comme la première des femmes avant
qu’elle ne connût Satan, Dieu me commanda d’être épouse. J’ai obéi, relevant le mariage à ce
degré de pureté où il était dans la pensée de Dieu quand Il avait créés les deux premiers parents.
Convaincue d’être destinée à la solitu-
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de dans le mariage et au mépris du prochain pour ma stérilité sainte, alors Dieu me demanda d’être
Mère. J’ai obéi. J’ai cru que cela serait possible et que cette parole venait de Dieu parce qu’en
l’écoutant j’étais inondée de paix.
Je n’ai pas pensé : ‘Je l’ai mérité’.. je ne me suis pas dit : ‘maintenant le monde m’admirera parce
que je suis semblable à Dieu en créant la chair de Dieu’. Non. Je me suis anéantie dans l’humilité.
La joie a jailli dans mon cœur comme une tige de rose fleurie. Mais elle ne se garnit tout de suite
d’épines aiguës et je ne fus étreinte, enveloppée par la douleur comme les branches autour
desquelles s’enroulent les liserons. La douleur de la douleur de l’époux : c’est le pressoir au sein de
la joie. La douleur de la douleur de mon Fils : voilà les épines au milieu de ma joie. Eve voulut la
jouissance, le triomphe, la liberté. J’acceptai la douleur, l’anéantissement, l’esclavage. Je renonçai à
ma vie tranquille, à l’estime de l’époux, à ma propre liberté. Je ne me réservai rien.
Je devins la Servante du Seigneur dans ma chair, dans ma conduite, dans mon esprit, me fiant à
Lui, non seulement pour la conception virginale, mais pour la défense de mon honneur, la
consolation de mon époux, pour le moyen de le porter à la sublimation du mariage, de façon à faire
de nous ceux qui rendent à l’homme et à la femme leur dignité perdue. J’ai embrassé la volonté du
Seigneur, pour moi, pour mon époux, pour ma Créature. J’ai dit : ‘OUI’ pour nous trois, certaine
que Dieu n’aurait pas menti à sa promesse de me secourir dans ma douleur d’épouse qui voyait
qu’on la jugeait coupable, de mère qui voyait qu’elle engendrerait pour livrer son Fils à la douleur.
‘ OUI’ j’ai dit. OUI. Cela suffit. Ce ‘OUI’ a annulé le ‘NON’ d’Eve à l’ordre de Dieu. ‘Oui,
Seigneur, comme tu veux. Je connaîtrai ce que tu veux. Je vivrai comme tu veux. Je jouirai comme
tu veux. Je jouirai si tu le veux. Je souffrirai pour ce que tu veux. Oui, toujours oui, mon Seigneur,
depuis le moment où ton rayon me fit Mère jusqu’au moment où tu m’as appelée à Toi. Oui
toujours oui. Toutes les voix de la chair, toutes les inclinations de ma sensibilité, sous le poids de ce
oui perpétuel qui est à moi. Et comme au-dessus d’un piédestal de diamant, mon esprit à qui
manque les ailes pour voler vers Toi, mais qui est le maître de tout mon moi dompté et asservi pour
te servir dans la joie, pour servir dans la douleur. Mais, souris, ô Dieu. Et sois heureux. La faute est
vaincue. Elle est enlevée, elle est détruite. Elle gît sous mon talon. Elle est
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lavée dans mes larmes, détruite par mon obéissance. De mon sein naîtra l’Arbre nouveau. Il portera
le Fruit qui connaîtra tout le mal pour l’avoir souffert en Lui-même, et donnera tout le bien. A Lui
pourront venir les hommes et je serai heureuse s’ils le cueillent, même sans penser qu’il naît de moi.
Pour que l’homme sa sauve et que Dieu soit aimé, qu’on fasse de sa servante ce que l’on fait de la
terre où un arbre se dresse : une marche pour monter. »

[Marie : il faut toujours savoir être une marche pour que les autres montent à Dieu. S’ils nous
piétinent, cela ne fait rien. Pourvu qu’ils se réunissent à aller vers la Croix. C’est l’arbre nouveau
qui porte le fruit de la connaissance du Bien et du mal. En effet, il dit à l’homme ce qui est mal et ce
qui est bien pour qu’il sache choisir et vivre. Et il sait, en même temps, devenir une liqueur pour
guérir ceux qui se sont empoisonnés avec le mal qu’ils ont voulu goûter. Notre cœur sous les pieds
des hommes pour qu’augmente le nombre des rachetés et que le Sang de mon Jésus n’ait pas été
versé sans produire le fruit. Voilà la destiné des servantes de Dieu. Mais après, méritons-nous de
recevoir dans notre sein, l’Hostie sainte, et au pied de la Croix, pétrie de son Sang et dans nos
larmes nous pouvons dire : Voici, ô Père, l’Hostie immaculée que nous t’offrons pour le salut du
mande. Garde-nous, ô Père, fondues en Elle et par ses mérites infinis, donne-nous ta bénédiction’.
Et moi, je te donne ma caresse. Repose-toi, ma fille, le Seigneur est avec toi. »]

26. ENCORE UN MOT D’EXPLICATION SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL

Jésus dit :
« La parole de ma Mère devrait dissiper toute hésitation même dans la pensée de ceux qui
s’embrouillent le plus dans les formules.

[ Et il y en a tant ! Ils veulent raisonner en matière de choses divines avec leurs mesures
humaines et prétendraient que Dieu même dût raisonner ainsi. Mais, il est si beau au contraire de
penser que Dieu raisonne d’une manière qui est souverainement et infiniment au-dessus de
l’homme. Et il serait tellement beau et à propos de raisonner non pas selon les vues humaines mais
selon l’esprit et de suivre Dieu. Ne pas rester ancrés là où votre pensée humaine s’est accrochée. Là
aussi c’est de l’orgueil parce que c’est supposer la perfection dans l’esprit humain. Au contraire, en
fait de perfection, il n’y a que la Pensée divine. Elle peut, si elle veut, et croit utile de le faire,
descendre et devenir Parole dans la pensée et sur les lèvres d’une de ses créatures mé-
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prisée par le monde parce que aux yeux du monde elle est ignorante, mesquine, bornée, enfantine.
La Sagesse aime à désorienter l’orgueil de l’esprit, à se répandre sur ceux qui sont rejetés par le
monde, qui n’ont pas d’idées personnelles et encore moins une doctrine acquise par la culture, mais
ils sont tous pleins d’amour et de pureté, grands par leur volonté de servir Dieu en le faisant
connaître et aimer, après avoir mérité de le connaître et aimer, et après avoir mérité de le connaître,
en l’aimant de toutes leurs forces. Observez, hommes, à Fatima, à Lourdes, à Guadalupe, à
Caravaggio, à la Salette, donc partout où il y a eu des apparitions vraies et saintes, les voyants, ceux
qui ont été appelés à voir sont des pauvres créatures qui, pour l’âge, culture et condition, sont parmi
les plus humbles de la terre. C’est à ces inconnus, à ces ‘riens’ que la Grâce se révèle pour en faire
ses hérauts.
Que doivent alors faire les hommes ? S’incliner comme le publicain et dire : ‘Seigneur, j’étais
trop pécheur pour mériter de te connaître. Sois béni pour ta bonté qui me console par l’intermédiaire
de ces créatures, me donne un appui céleste, un guide, un enseignement, une espérance de salut’. Et
ne pas dire : ‘Mais non ! Ce sont des préjugés, des hérésies ! Ce n’est pas possible !’ Comment
n’est-il pas possible ? Qu’un être peu doué devienne savant dans la science de Dieu ? Pourquoi
n’est-il pas possible ? N’ai-je pas ressuscité les morts, guéri les fous, soigné les épileptiques, ouvert
la bouche aux muets, les yeux aux aveugles, l’ouie aux sourds, l’intelligence à des diminués ; n’ai-
je pas de même chassé les démons, commandé aux poissons de se jeter dans le filet, aux pains de se
multiplier, à l’eau de devenir du vin, à la tempête de se calmer, à l’eau de devenir solide comme une
surface pavée ? Qu’est-il impossible à Dieu ?
Même avant que Dieu, le Christ, Fils de Dieu, fût parmi vous, est-ce que Dieu n’a pas opéré des
miracles par le moyen de ses serviteur qui agissaient en son nom ? Ne sont-elles pas devenues
fécondes les entrailles stérile Saraï d’Abraham pour qu’elle devienne Sara et s’enfantât dans sa
vieillesse Isaac destiné à être celui avec lequel Je conclurais le pacte ? Ne se sont-elles pas changé
en sang les eaux du Nil et remplies d’animaux immondes au commandement de Moïse ? Et toujours
par sa parole ne sont-ils pas morts de la peste les animaux et tombées ulcérées les chairs des
hommes, et fauchés, hachés les blés par une grêle dévastatrice et dépouillés les arbres par les
sauterelles, et éteinte pendant trois jours la lumière, et frappés de mort les premiers nés, et
entr’ouverte la mer pour le passage d’Israel, et adoucies les eaux amères et tombées en abondance
les cailles et la manne, et l’eau n’est-elle pas jaillie du rocher aride ? Et Josué n’a-t-il pas arrêtée la
course du soleil ? Et le jeune David n’a-t-il pas terrassé le géant ? Est-ce que Elie n’a pas multiplié
la farine et l’huile et ressuscité les fils de la veuve de Sorepta ? Est-ce qu’à son commandement la
pluie n’est-elle pas tombée sur la terre desséchée et le feu du Ciel sur l’holocauste’ Et le Nouveau
Testament n’est-il pas un bosquet fleuri dont chaque fleur est un miracle ? Qui donc a pouvoir sur
le miracle ? Qu’est-ce qui est donc impossible à Dieu ? Qui est comme Dieu ?
Courbez la front et adorez. Le temps arrive de la grande moisson et tout doit être révélé avant que
l’homme cesse d’exister, tout : les prophéties postérieures au Christ et celles d’avant le Christ et le
symbolisme biblique qui a commencé dès les premiers mois de la Genèse, et si Moi je vous instruis
sur
110
un point jusqu’au présent inexpliqué, accueillez ce don et tirez-en le fruit et non la condamnation.
Ne faites pas comme le Juifs du temps de ma vie mortelle qui voulurent fermer leur cœur à mes
enseignements et, ne pouvant m’égaler dans la compréhension des mystères et des vérités
surnaturelles, me traitèrent de possédé et de blasphémateur.]

J’ai dit : ‘Arbre métaphorique’. Je dirai maintenant : ‘Arbre symbolique’. Peut-être vous
comprendrez mieux. Le symbole en est clair : d’après la façon dont les deux fils de Dieu se
comporteraient par rapport à elle, on comprendrait si leurs tendances iraient vers le bien ou vers le
mal. Comme l’eau régale qui est la preuve pour l’or et la balance de l’orfèvre qui en donne le poids
en carats, cette plante, devenue une ‘mission’ pour le commandement de Dieu par rapport à elle, a
donné la mesure de la pureté du métal d’Adam et d’Eve.
J’entend déjà venir l’objection : ‘N’a-t-elle pas été excessive la condamnation et puéril le moyen
employé pour qu’elle se produise ?’
Non. Si vous commettiez actuellement cette désobéissance vous qui avez eu d’eux cette héritage,
ce serait moins grave que cela ne l’a été pour eux. Vous, vous êtes rachetés par moi, mais le venin
de Satan reste toujours prêt à resurgir. C’est comme pour certaines maladies dont l’effet n’est
jamais complètement neutralisé dans le sang. Eux, les deux premiers parents étaient en possession
de la Grâce sans avoir jamais été déflorés par la Disgrâce. Ils étaient donc plus forts, plus soutenus
par la grâce, source en eux d’innocence et d’amour. Infini était le don que Dieu leur avait fait, bien
plus grave par conséquent leur chute en dépit de ce don.
Symbolique aussi le fruit offert et mangé. C’était le fruit d’une expérience qu’ils avaient voulu
faire par instigation satanique contre le commandement de Dieu. Je n’avais pas interdit l’amour
aux hommes. Je voulais uniquement qu’il fût sans malice. Comme je les aimais d’un amour
essentiellement saint, ils devaient a’aimer d’une affection sainte qu’aucune luxure ne vienne
souiller.
Il ne faut pas oublier que la Grâce est lumière et que celui qui la possède sait distinguer ce qu’il
est utile et bon de connaître. La Pleine de Grâce connut tout parce que la Sagesse l’instruisit, la
Sagesse qui est Grâce, et Elle sut se conduire avec sainteté. Eve connaissait donc ce qui lui était bon
de connaître. Rien de plus, parce qu’il est inutile de connaître ce qui n’est pas bon. Elle n’eut pas
foi dans la parole de Dieu et ne fut pas fidèle à sa promesse
111
d’obéissance. Elle a cru à Satan, elle a rompu sa promesse, et a voulu savoir ce qui n’était pas bon,
et elle l’aima sans remords, l’amour que je lui avais donné si saint, elle en fit une chose corrompue,
une chose avilie. Ange tombé, elle s’est roulée dans la boue et dans l’ordure, alors qu’elle pouvait
courir heureuse parmi les fleurs du Paradis terrestre et voir fleurir autour d’elle sa descendance,
comme une plante se couvre de fleurs sans traîner sa frondaison dans le bourbier.

[Ne soyez pas comme ces enfants insensés dont je parle dans l’Evangile. Ils ont entendu chanter
et se sont bouché les oreilles. Ils ont entendu le tambourin et n’ont pas dansé. Ils ont entendu pleurer
et ils ont voulu rire. Ne soyez pas étroits ni négateurs. Recevez, recevez sans malice et docilement
sans ironie, ni incrédulité, la Lumière.. On a assez parlé sur ce sujet. Pour vous faire comprendre à
quel point vous devez être reconnaissants à Celui qui est mort pour vous faire arriver au Ciel et pour
vaincre la concupiscence satanique, j’ai voulu vous parler en ce temps de préparation à la Pâque de
ce qui a été le premier anneau de la chaîne par laquelle le Verbe du Père fut traîné à la mort,
l’Agneau Divin à l’abattoir. J’ai voulu en parler parce que présentement le 90% d’entre vous sont
semblables à Eve, empoisonnés par le souffle et la parole de Satan. Vous ne vivez pas pour vous
aimer mais pour vous rassasier. Vous ne vivez pas pour le Ciel mais pour la boue. Vous n’êtes plus
des créatures douées d’une âme et du sens de raison, mais des chiens sans âme et sans raison. L’âme
vous l’avez tuée et la raison dépravée. En vérité je vous affirme que les brutes vous surpassent dans
l’honnêteté de leur amour. »]

27. L’ANNONCE A JOSEPH DE LA GROSSESSE D’ELISABETH

Voici que m’apparaît la petite maison de Nazareth où se trouve Marie. Marie toute jeune comme
lorsque l’Ange de Dieu lui apparut. Rien que de la voir me remplit l’âme du parfum virginal de
cette demeure, du parfum angélique qui persiste encore dans la pièce où l’Ange a ondulé ses ailes
d’or, du parfum divin qui s’est tout concentré sur Marie pour faire d’elle une Mère et qui à présent
se dégage d’elle.
C’est le soir, car les ombres commencement à envahir la pièce où était avant, descendue du Ciel,
une si grande lumière.
Marie, à genoux près de son petit lit prie, les bras en croix sur sa poitrine, le visage tout incliné
vers la terre. Elle est encore
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vêtue comme Elle l’était au moment de l’Annonciation. Tout est pareil : le rameau fleuri dans son
vase, les meubles dans la même ordre. Seulement la quenouille et le fuseau sont placès dans un coin
avec son plumet de filasse pour l’une, et pour l’autre le fil brillant qui y est enroulé.
Marie cesse de prier et se lève, le visage tout enflammé. La bouche sourit, mais une larme fait
briller son œil d’azur. Elle prend la lampe à huile et l’allume avec la pierre à feu. Elle prend garde
que tout soit bien en ordre dans la petite chambre. Elle remet en place la couverture de la couchette
qui s’était déplacée. Elle ajoute de l’eau dans le vase du rameau fleuri et le porte au dehors à la
fraîcheur de la nuit. Puis Elle rentre. Elle prend la broderie placée su le meuble à étagère, et la
lampe allumée. Elle sort en fermant la porte. Elle fait quelque pas dans le jardinet le long de la
maison et puis Elle entre dans la petite pièce où j’ai vu l’adieu de Jésus et Marie. Je la reconnais,
bien qu’il manque quelque objet qui s’y trouvait alors.
Marie disparaît, emportant la lumière dans une autre petite pièce voisine, et je reste là, avec la
seule compagnie de son travail posé sur le coin de la table. J’entends le pas léger de Marie qui va et
vient, je l’entends remuer de l’eau comme pour laver un objet, puis faire du menu bois. Je me rends
compte que c’est du bois par le bruit qu’il a fait. Je m’aperçois qu’Elle allume le feu.
Puis Elle revient. Elle sort dans le jardinet et Elle rentre avec des pommes et des légumes. Elle
met les pommes sur la table, sur un plateau de métal gravé au burin : il me semble de cuivre
bouliné. Elle retourne à la cuisine (cette pièce était bien la cuisine). Maintenant la flamme du foyer
se projette joyeusement par la porte ouverte et fait danser des ombres sur les murs.
Il se passe quelque temps et Marie revient avec un petit pain bis et une tasse de lait chaud. Elle
s’assied et trempe des tranches de pain dans le lait. Elle les mange lentement. Puis, laissant la tasse
à moitié, Elle entre de nouveau dans la cuisine et revient avec des légumes sur lesquels Elle verse
de l’huile et les mange avec le pain. Elle se désaltère avec le lait, puis Elle prend une pomme et la
mange. Un repas de fillette. Marie mange et réfléchit et sourit à une pensée intérieure. Elle se lève
et tourne les yeux vers les murs à qui elle semble communiquer un secret. De temps en temps elle
devient sérieuse, presque triste, mais après, le sourire revient.
113
On entend frapper à la porte. Marie se lève et ouvre. Joseph entre. Ils se saluent. Puis Joseph
s’assied sur un tabouret en face de Marie, de l’autre côté de la table.
Joseph est un bel homme, dans toute la force de l’âge. Il aurait trente cinq ans, au plus. Ses
cheveux châtain sombre et sa barbe de même couleur encadrent un visage régulier avec deux yeux
doux, châtains presque noirs. Le front est large et lisse, le nez petit, légèrement arqué, les joues
rondes d’un brun pas olivâtre avec des pommettes rosées. Il n’est pas très grand, mais robuste et
bien fait.
Avant de s’asseoir, il a enlevé son manteau, (c’est le premier que je vois de ce gendre) il est de
forme ronde, fermé à la gorge par un crochet ou quelque chose du même genre, avec un capuchon.
Il est de couleur marron clair et d’une étoffe imperméable en laine grège. Il rassemble à un manteau
de montagnard adapté pour abriter des intempéries. Avant de s’asseoir il offre à Marie deux œufs et
une grappe de raisin, un peu avancé mais bien conservé. Et il sourit en disant : « On me l’a apporté
de Cana. Les œufs c’est le centurion qui me les a donnés pour une réparation que j’ai fait de son
char. Il avait eu une roue abîmée et leur travailleur est malade. Ils sont frais. Il les a pris dans son
poulailler. Bois-le. Ils te feront du bien. »
« Demain, Joseph, maintenant j’ai mangé. »
« Mais le raisin, tu peux le prendre, il est bon, doux comme du miel. Je l’ai porté avec précaution
pour ne pas l’abîmer. Mange-le. Il y en a d’autre. Je t’en apporterai demain un petit panier. Ce soir
je n’ai pas pu parce que je viens directement de la maison du centurion. »
« Oh ! alors, tu n’as pas encore soupé. »
« Non, mais n’importe. »
Marie se lève tout de suite et va à la cuisine. Elle revient avec encore du lait, des olives et du
fromage. « Je n’ai pas d’autre chose » dit-Elle. « Prends un œuf. »
Joseph ne veut pas. Les œufs sont pour Marie. Il mange avec appétit son pain avec le fromage et
boit le lait encore tiède. Puis il accepte une pomme et le repas est terminé.
Marie prend sa broderie après avoir débarrassé la table de la vaisselle. Joseph l’aide et reste lui
aussi dans la cuisine quand Elle en revient. Je l’entends bouger pendant qu’il remet tout en place et
attise le feu car la soirée est fraîche.
114
Quand il revient, Marie le remercie. Ils parlent entre eux. Joseph raconte comment il a passé la
journée. Il parle de ses neveux. Il s’intéresse au travail de Marie et à ses fleurs. Il promet d’apporter
des très belles fleurs que le centurion lui a promises. « Ce sont des fleurs que nous n’avons pas. Il
les a apportés de Rome. Il m’en a promis des plants. Maintenant que la lune est favorable, je vais te
le planter. Elles ont une belle couleur et une odeur très agréable. Je les ai vues l’été dernier car elles
fleurissent en été. Elles te parfumeront toute la maison. Je vais pouvoir les planter et les greffer. La
lune est favorable. C’est le moment. »
Marie sourit et remercie. Un silence. Joseph regarde la tête blonde de Marie, penchée sur la
broderie. Un regard d’amour angélique. Certes, si un ange regardait une femme d’un amour
d’époux, c’est ainsi qu’il la regarderait.
Marie, comme si Elle prenait une décision pose sur son sein la broderie et dit : « Joseph, j’ai aussi
quelque chose à te dire. Je n’ai jamais rien à dire car tu sais comme je vis dans la retraite. Mais
aujourd’hui, j’ai une nouvelle. J’ai appris que notre parente Elisabeth, femme de Zacharie, attend un
enfant … »
Joseph écarquille les yeux et dit : « A cet âge ? »
« A cet âge » répond Marie en souriant. « Le Seigneur peut tout et Il a voulu donner cette joie à
notre parente. »
« Comment le sais-tu ? La nouvelle est-elle sûre ? »
« Il est venu un messager, quelqu’un qui ne saurait mentir. Je voudrais aller chez Elisabeth pour
lui rendre service et lui dire que je me réjouis avec elle. Si tu le permets … »
« Marie, tu es mon épouse, et moi je suis ton serviteur. Tout ce que tu fais est bien fait. Quand
veux-tu partir ? »
«Le plus tôt possible, mais je resterai là-bas des mois entiers. »
« Et moi, je compterai les jours en t’attendant. Pars tranquille, je penserai à ta maison et au
jardinet. Tu trouveras tes fleurs belles comme si tu les avais soignées. Seulement … attends. Je dois
aller avant la Pâque à Jérusalem pour acheter quelques objets utiles à mon travail. Si tu attends
quelques jours, je t’accompagnerai jusque là. Pas plus loin parce que je dois revenir promptement.
Mais jusque là nous pouvons aller ensemble. Je suis plus tranquille si je ne te sais pas seule sur les
chemins. Au retour, tu me le feras savoir, je viendrai à ta rencontre. »
115
« Tu es bon, Joseph. Que le Seigneur te récompense par ses bénédictions et tienne loin de toi la
douleur. Je le prie toujours pour cela. »
Les deux chastes époux se sourient angéliquement. Le silence se rétablit quelque temps, puis
Joseph se lève, il remet son manteau, relève le capuchon sur la tête. Il salue Marie qui, Elle aussi,
s’est levée, et sort.
Marie le regarde sortir. Elle pousse un soupir comme si Elle était peinée. Elle lève les yeux au
Ciel et prie certainement.
Elle ferme la porte, plie son ouvrage, va à la cuisine. Elle éteint le feu ou le couvre. Elle regarde si
tout est bien en ordre. Elle prend la lampe et sort en fermant la porte. Elle protège de la main la
flamme qui tremble au vent froid de la nuit. Elle entre dans sa chambre et prie encore.
La vision se termine ainsi.

28. « CONFIE À MOI LE SOIN DE TE JUSTIFIER PRES DE L’EPOUX »

Marie dit:
“Fille bien chérie, quand cessa l’extase qui m’avait comblée d’une inexprimable joie, mes sens se
rouvrirent aux choses de la terre. La première pensée qui, acérée comme les épines d’une rose,
perça mon coeur enseveli dans les roses du Divin Amour devenu mon Epoux depuis quelques
instants, ce fut la pensée de Joseph.
Je lui avais désormais donné mon amour à mon saint et attentif gardien. Depuis le moment où la
volonté de Dieu, à travers la parole de son Prêtre, m’avait voulue épouse de Joseph, j’avais pu le
connaître et apprécier la sainteté de ce Juste. Unie à lui, j’avis senti disparaître ma solitude
d’orpheline et je n’avais plus pleuré l’asile du Temple que j’avais perdu. Auprès de lui, je me
sentais en sécurité comme Près du Prêtre. Toute hésitation était tombée et non seulement tombée,
mais oubliée tellement elle s’était éloignée de mon coeur de vierge. J’avais compris qu’aucune
hésitation, aucune crainte ne se justifiait à l’égard de Joseph. Plus tranquille qu’un enfant dans les
bras de sa maman était ma virginité confiée à Joseph.
Maintenant comment lui dire que j’allais être Mère? Je cherchais les mots pour le lui annoncer.
Difficile recherche. Je ne voulais pas me flatter du don de Dieu et ne pouvais en aucune façon
justifier ma maternité sans dire: ‘Le Seigneur m’a aimé entre toutes les femmes, et de moi, sa
servante, Il a fait son épouse. Le tromper en lui cachant mon état, je ne le voulais pas non plus.
Mais, pendant que je priais, l’Esprit Saint dont j’étais remplie, ma’avais dit: ‘Tais-toi. Laisse –moi
le soin de te justifier près de ton époux’. Quand? Comment? Je ne l’avais pas demandé. Je m’étais
toujours fiée à Dieu, comme une fleur se fie à l’eau qui la porte. Jamais l’Eternel ne m’avait laissée
sans son aide. Sa main m’avait soutenue, protégée, guidée jusqu’ici. Il le ferait encore maintenant
Ma fille, comme elle était belle et réconfortante, la foi en notre Eternel, Bon Dieu! Il nous
recueille entre ses bras comme un berceau, nous porte comme une barque au lumineux port du Bien,
nous réchauffe le coeur, nous console, nous nourrit. Il nous donne le repos et la joie. Il nous donne
la lumière et nous guide. La confiance en Dieu c’est tout et Dieu donne tout à qui a confiance en
Lui: Il se donnes Lui-même.
Ce soir-là je portai ma confiance de créature à la perfection. Maintenant, je pouvais le faire
puisque Dieu était en moi. J’avais d’abord eu la confiance de la pauvre créature que j’étais: toujours
un rien, même si j’avais été la Tant Aimée que je dusse être la Sans Tache. Mais maintenant j’avais
une confiance divine parce que Dieu était à moi; non Epoux, mon Fils! Oh! Joie! Être Une avec
Dieu. Non pas pour ma gloire, mais pour l’aimer dans une union totale, mais pour pouvoir Lui dire;
“Toi, Toi seul qui es en moi, agis avec ta divine perfection en tout ce que je fais”.
Si Lui ne n’avait pas dit: ‘Tais-toi!’, j’aurais peut-être osé, le visage contre la terre dire à Joseph:
‘L’Esprit est entré en moi et j’ai en moi le Germe de Dieu’; et lui m’aurait cru, parce qu’il
m’estimait et parce que, comme tous ceux qui ne mentent jamais, il ne pouvait croire que les autres
mentent. Oui, pour lui épargner la douleur à venir, j’aurais surmonté ma répugnance à m’attribuer
une telle louange. Mais j’ai obéi au divin commandement et, pendant des mois, à partir de ce
moment, j’ai senti la première blessure qui me faisait saigner le coeur.
La première douleur de ma destinée de Corédemptrice. Je l’ai offerte et supportée pour vous
donner à vous une règle de conduite dans ces moments analogues de souffrance, lorsque vous devez
taire à l’occasion d’un événement qui vous met sous un jour défavorable auprès de quelqu’un qui
vous aime.
Remettez à Dieu la garde de vos réputations et des affections qui vous tiennent à coeur. Méritez
par une vie sainte la protection de Dieu, et puis allez tranquilles. Même si tout le monde était contre
vous, Il vous défendra. Auprès de ceux qui vous aiment et fera ressortir la vérité.
Repose, maintenant, ma fille et sois toujours davantage ma fille.”

29. MARIE ET JOSEPH SE RENDENT A JERUSALEM

J’assiste au départ pour aller chez Sainte Elisabeth. Joseph est venu prendre Marie avec deux ânes
gris : un pour lui, l’autre pour Marie.
Les deux animaux ont - l’un- la selle habituelle augmentée d’un bizarre dispositif dont je
comprends qu’il est fait pour porter la charge. C’est une espèce de porte bagages sur lequel Joseph
dispose un petit coffre de bois : une valise, dirions-nous maintenant, qu’il a apporté à Marie où Elle
peut mettre ses vêtements à l’abri de la pluie. Je sens Marie remercier vivement Joseph pour son
cadeau prévoyant dans lequel Elle dispose tout ce qu’Elle enlève d’un paquet qu’Elle avait préparé
auparavant.
Ils ferment la porte de la maison et se mettent en route. C’est le point du jour, car je vois l’aurore
qui rosit à peine l’Orient.
Nazareth dort encore. Les deux voyageurs matinaux rencontrent seulement un berger qui pousse
devant lui ses brebis qui trottinent, l’une contre l’autre encastrés comme autant de coins les unes
dans les autres, et qui bêlent. Les agneaux bêlent aussi plus que les autres avec leurs petites voix
aigues. Ils voudraient chercher encore la mamelle maternelle. Mais les mères se hâtent vers le
pâturage et les invitent à trotter avec leurs bêlements plus puissants.
Marie regarde et sourit après s’être arrêtée pour laisser passer
118
le troupeau, Elle se penche sur sa selle et caresse les douces bêtes qui passent en frôlant sa monture.
Quand le berger arrive avec un petit agnelet tout nouveau-né dans ses bras et s’arrête pour saluer,
Marie sourit en caressant le petit museau rose de l’agneau qui bêle désespérément. Marie dit : « Il
cherche la maman. La voilà la maman, elle ne t’abandonne pas, non, petit. » De fait, la mère brebis
se frotte au berger et se dresse pour lécher sur le museau son nouveau-né.
Le troupeau passe, faisant un bruit de pluie sur les frondaisons et laisse derrière lui la poussière
soulevée par tous les petits sabots qui se pressent et toute une broderie d’empreintes sur la terre du
chemin.
Joseph et Marie se remettent en route. Joseph a son manteau. Marie est emmitouflée dans une
sorte de châle à rayures car la matinée est très fraîche.
Les voilà désormais en pleine campagne et ils cheminent l’un près de l’autre. Ils parlent
rarement. Joseph pense à ses affaires et Marie suit ses pensées et recueillie comme Elle l’est dans
ses pensées, Elle leur sourit et sourit aux choses qui l’entourent. Parfois Elle regarde Joseph, et un
voile de tristesse lui assombrit le visage. Puis le sourire revient même quand Elle regarde son époux
attentif qui parle peu et n’ouvre la bouche que pour demander à Marie si Elle est bien commode et
si Elle n’a besoin de rien.
Maintenant les routes sont fréquentées par d’autres personnes, spécialement au voisinage de
quelque pays ou dans la traversée. Mais les deux ne s’intéressent pas aux personnes rencontrées. Ils
vont sur leurs montures qui trottent avec un grand bruit de grelots et ne s’arrêtent qu’une fois, à
l’ombre d’un bosquet pour manger un peu de pain avec des olives et boire à une source dont l’eau
descend d’une petite grotte. Ils doivent s’arrêter une seconde fois pour se mettre à l’abri d’une
averse violente qui tombe d’un nuage très obscur.
Ils se sont mis à l’abri de la colline sous la saillie d’un rocher qui les protège du plus gros de la
pluie. Mais Joseph veut absolument que Marie prenne son manteau de laine imperméable sur lequel
l’eau coule sans le mouiller. Marie doit céder à la pressante insistance de son époux qui, pour la
rassurer sur son sort, se met sur la tête et sur les épaules une petite couverture grise qui était sur la
selle, la couverture de l’âne probablement. Maintenant Marie rassemble à un petit frère avec le
capuchon qui lui
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encadre le visage et le manteau marron fermé à la gorge et qui la couvre entièrement.
L’averse se calme mais fait place à une pluie ennuyeuse et fine. Les deux reprennent leur marche
sur le chemin devenu boueux. Mais c’est le printemps, et après un moment, le soleil commence à
rendre le chemin plus facile. Les deux montures courent plus allègrement sur la route.
Je ne vois pas autre chose car la vision s’arrête là.

30. DE JERUSALEMMM A LA MAISON DE ZACHARIE

Nous sommes à Jérusalem. Je la reconnais bien désormais avec ses rues et ses portes. Les deux
époux se dirigent d’abord vers le Temple. Je reconnais l’écurie où Joseph a laissé l’âne, le jour de la
présentation au Temple. Maintenant encore il laisse les deux montures après les avoir soignées et,
avec Marie, va adorer le Seigneur.
Puis, ils sortent, et Marie se rend avec Joseph dans une maison de personnes de connaissance,
semble-t-il. Là ils se restaurent et Marie se repose jusqu’à ce que Joseph revienne avec un petit
vieux. « Cet homme va par le même chemin que toi. Tu auras très peu de chemin à faire seule pour
arriver chez la parente. Aie confiance en lui, je le connais. »
Ils reprennent leurs montures et Joseph accompagne Marie jusqu’à la Porte (c’est une autre Porte
que celle par où ils sont arrivés). Ils se saluent et Marie va seule avec le petit vieux qui parle, autant
que Joseph était silencieux, et s’intéresse à mille choses. Marie répond patiemment.
Maintenant sur le devant de la selle Elle a le petit coffre que portait l’âne de Joseph et Elle n’a
plus le manteau. Elle n’a pas même son châle qui est plié sur le coffre. Elle est toute belle avec son
vêtement d’azur foncé et le voile blanc qui la protège du soleil. Comme Elle est belle !
Le petit vieux doit être un peu sourd car, pour des faire entendre, Marie doit parler très fort, Elle
qui parle toujours à voix basse. Mais maintenant il en a fini, il a épuisé tout son répertoire de
questions et de nouvelles, maintenant il somnole sur la selle,
120
se laissant conduire par sa monture qui connaît bien le chemin.
Marie profite de cette trêve pour se recueillir en ses pensées et prier. Ce doit être une prière
qu’Elle chante à voix basse en regardant le ciel azuré et en tenant le bras sur son sein. Son visage
par l’effort d’une émotion de l’âme est lumière et béatitude.
Je ne vois pas autre chose.

[Et maintenant que la vision est suspendue pour moi, comme hier je reste avec la Maman près de
moi, visible pour ma vision intérieure, avec tant de netteté que j’en puis faire le portrait : le rose
clair de la joue, un peu joufflue, mais d’une douceur agréable, le rouge vif de la petite bouche et la
douce splendeur de ses yeux d’azur sous le blond foncé de ses cils.
Et puis dire comment les cheveux qui se séparent au sommet de la tête descendent agréablement
en trois ondulations de chaque côté jusqu’à couvrir à moitié les petits oreilles roses et disparaissent
avec leur or clair et lumineux derrière le voile qui couvre la tête. (Je la vois en effet avec le manteau
sur la tête, avec son vêtement de soie paradisiaque et son manteau léger comme un voile et portant
opaque, de la même étoffe que le vêtement).
Je puis dire que le vêtement est serré à la taille par un cordon plus gros, toujours de soie blanche
qui descend avec deux pompons sur les côtés.
Je puis aller jusqu’à dire que le vêtement serré au cou et à la taille, fait sur la poitrine sept plis
doucement arrondis, unique ornement de son très chaste habit.
Je peux dire l’impression de chasteté qui se dégage de l’aspect de Marie, de ses formes si
délicates et si harmonieuses qui la font angéliquement femme.
Et plus je la regarde et plus je souffre en pensant à quel point on l’a faite souffrir et je me
demande comment on a pu ne pas avoir pitié d’Elle, si douce et gentille, si délicate, même dans on
aspect physique. Je la regarde et j’entends les hurlement du Calvaire, contre Elle aussi, toutes les
railleries et les bouffonneries, toutes les malédictions qu’on lui adresse parce qu’Elle est la Mère
du Condamné. Je la vois belle et tranquille, maintenant, mais son aspect actuel ne peut effacer le
souvenir de son visage tragique à l’heure de l’agonie et de la désolation qu’il exprimait dans la
maison de Jérusalem après la mort de Jésus. Et je voudrais pouvoir la caresser, baiser ses joues si
délicatement rosées pour enlever par mon baiser le souvenir de ses larmes, demeuré en Elle comme
en moi …
Je ne puis croire quelle paix cela me donne de l’avoir tout près de moi. Je pense que mourir en la
voyant serait doux autant et plus que la plus douce heure de la vie. En ces derniers temps que je ne
la voyais pas ainsi toute entière pour moi, j’ai souffert de son absence comme de l’absence d’une
maman. Maintenant je ressens l’ineffable joie qui ne me quitta pas en décembre et dans les premiers
jours de janvier. Et je suis heureuse. Heureuse malgré le voile de douleur dont la vue des
déchirements de la passion assombrit ma félicité.
Il est difficile de dire et de faire comprendre ce que j’ai éprouvé et ce qui
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est arrivé depuis le 11 février le soir où j’ai vu souffrir Jésus dans sa Passion. Ça été une vue qui
m’a radicalement changée. Que je meure maintenant ou dans cent ans, cette vision gardera toute son
intensité et son influence. Avant cela, je pensais aux douleurs du Christ. Maintenant, je les vis, car il
me suffit d’un mot, d’un coup d’œil sur une image pour souffrir de nouveau ce que j’ai souffert ce
soir pour éprouver l’horreur de ces supplices, pour éprouver l’angoisse de sa souffrance désolée et
même si rien ne me le rappelle, son souvenir m’étreint le cœur.
Marie commence à parler et je me tais. ]
31. “NE VOUS DEPOUILLEZ JAMAIS DE LA PROTECTION DE LA PRIERE”

Marie dit :
« Je ne vais pas te parler longuement, parce que tu es bien lasse, ma pauvre fille. J’attire
uniquement ton attention et celle des lecteurs sur l’habitude constante de Joseph et la mienne de
donner toujours la première place à la prière. Sécheresse, hâte, chagrin, occupations c’était des
choses qui n’empêchaient pas la prière, mais au contraire ils la favorisaient. Elle était toujours la
reine de nos occupations, notre réconfort, notre lumière, notre espérance. Si aux heures de tristesse
elle était le réconfort, aux heures heureuses elle devenait un chant. Mais elle était l’amie fidèle de
notre âme. Elle nous détachait de la terre, de l’exil, elle nous tournait vers les hauteurs du Ciel, la
Patrie.
Ce n’était pas seulement moi, qui portais Dieu en moi et qui n’avais qu’à regarder mon sein pour
odorer le Saint des Saints, mais Joseph aussi se sentait uni à Dieu quand il priait, parce que notre
prière était une adoration véritable de tout l’être qui se fondait en Dieu en l’adorant et en recevant
ensuite son embrassement.
Et regardez, moi qui portais l’Eternel, je ne me pensais pas dispensée de la fréquentation
respectueuse du temple. La sainteté la plus élevée ne dispense pas de se sentir un rien devant Dieu,
et d’humilier ce néant, puisque Lui nous le permet, en un continuel hosanna à sa gloire.
Etes-vous faibles, pauvres, pleins de défauts ? Invoquez la sainteté du Seigneur : « Saint, Saint,
Saint ! » Appelez-le, ce Saint béni, au secours de votre misère. Il viendra faire passer en vous sa
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sainteté. Etes-vous saints et riches de mérites à ses yeux ? Invoquez également la sainteté du
Seigneur. Cette sainteté infinie fers croire toujours plus la vôtre. Les anges, qui sont des êtres
supérieurs aux faiblesses de l’humanité, ne cessent pas un instant de chanter leur ‘Sanctus’ et leur
beauté surnaturelle s’accroît à chaque invocation de la Sainteté de notre Dieu. Imitez les anges.
Ne vous dépouillez jamais la protection de la prière, contre laquelle s’émoussent les armes de
Satan, les malices du monde, les désirs de la chair et l’orgueil de l’esprit. Ne déposez jamais ces
armes qui ouvrent le Ciel et en font pleuvoir grâces et bénédictions.
La terre a besoin d’un bain de prières pour se purifier des fautes qui attirent les châtiments de
Dieu. Et, étant donné que les âmes de prière sont peu nombreuses, elles doivent prier beaucoup pour
suppléer à la carence des autres. Il leur faut multiplier leurs prières vivantes pour faire le poids
nécessaire à l’obtention de la grâce. Des prières vivantes elles le seront quand elles auront leur
source dans l’amour et le sacrifice.

[Et que toi, ma fille, tu souffres car c’est une chose excellente que ta souffrance unie à a mienne
et à celle de mon Jésus, elle est agréable à Dieu et méritoire. Il m’est si cher ton amour de
compatissant. Mais veux-tu me donner un baiser ? Baise les plaies de mon Fils. Mets-leur le baume
de ton amour. J’ai ressenti en mon esprit la douleur des fouets et des épines, la torture des clous et
de la croix. Mais je ressens également toutes les caresses données à mon Jésus. Ce sont autant de
baisers qui me sont donné. Et puis, viens. Je suis la Reine du Ciel, mais je suis toujours la
Maman… »
Me voilà heureuse ! ]

32. ARRIVEE A LA MAISON DE ZACHARIE

Je suis dans un pays montagneux. Ce ne sont pas de hautes montagnes, mais ce ne sont plus des
collines. Elles ont déjà des cimes et des gorges de vraies montagnes comme on en voit sur notre
Apennin tosco-ombrien. La végétation est drue et magnifique. Il y en a en abondance des eaux
fraîches qui conservent vertes les prairies et productifs les vergers peuplés de pommiers, de figuiers
avec, autour des maisons, des vignes. Ce doit être le printemps car les grappes sont déjà grosses
comme des grains de
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vesce et les pommiers commencent à ouvrir leurs bourgeons qui maintenant paraissent verts, sur les
branches supérieures des figuiers il y a des fruits qui sont déjà bien formés. Ensuite les près ne sont
que tapis moelleux aux mille couleurs. Les troupeaux sont en train d’y paître, ou bien ils se
reposent, taches blanches sur l’émeraude de l’herbe.
Marie gravit, avec sa monture, un chemin en assez bon état qui doit être la principale voie
d’accès. Elle monte, parce que le pays dont l’aspect est assez régulier est situé plus haut. Celui qui
me renseigne habituellement me dit : ‘ Cet endroit c’est Hébron ‘. Vous me parliez de Montana.
Mais je ne suis pas fixée, je ne sais si ‘Hébron’ désigne tout le pays ou l’agglomération. J’en dis
donc que ce j’en sais.
Voilà que Marie entre dans la cité. C’est le soir : des femmes sur les portes observent l’arrivée de
l’étrangère et en parlent entre elles. Elles la suivent de l’œil et ne se rassurent qu’en la voyant
s’arrêter devant une des plus belles maisons située au milieu du pays. Devant se trouve un jardin
puis, en arrière et autour, un verger bien entretenu. Vient ensuite une vaste prairie qui monte et
descend suivant le relief de la montagne pour aboutir à un bois de haute futaie ; ensuite j’ignore ce
qu’il y a. La propriété est entourée d’une haie de ronces et de rosiers sauvages. Je ne distingue pas
bien ce qu’ils portent. La fleur et le feuillage de ces buissons se rassemblent beaucoup et tant que le
fruit n’est pas formé sur les branches, il est facile de se tromper. Sur le devant de la maison, sur le
côté donc qui fait face au pays, la propriété est entourée d’un petit mur blanc sur lequel courent des
branche de vraies roses, pour l’instant sans fleurs, mais déjà garnis de boutons. Au centre, une grille
de fer qui est fermée. On se rend compte que c’est la maison d’un notable du pays ou d’un habitant
assez fortuné. Tout, en effet, indique sinon la richesse, au moins l’aisance certainement. Il y a
beaucoup d’ordre.
Marie descend de sa monture et s’approche de la grille. Elle regarde à travers les barreaux et ne
voit personne. Alors Elle cherche à manifester sa présence. Une petite femme qui, plus curieuse que
les autres l’a suivie, lui indique un bizarre agencement qui sert de clochette. Ce sont deux morceaux
de métal fixés sur un axe. Quand on remue l’axe avec une corde, ils battent l’un contre l’autre en
faisant un bruit qui imite celui d’une cloche ou d’un gong.
Marie tire la corde, mais si gentiment que l’appareil tinte légè-
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rement et personne ne l’entend. Alors, la femme, une petite vieille, tout nez et menton et entre les
deux une langue qui en vaut dix, s’accroche à la corde et tire, tire, tire, tire. Un vacarme à réveiller
un mort : « C’est cela qu’il faut faire. Autrement comment pouvez-vous faire entendre ? Sachez
qu’Elisabeth est vieille et aussi Zacharie. Et à présent il est muet et sourd par-dessus le marché. Les
domestiques sont aussi vieux, le savez-vous ? N’êtes-vous jamais venue ? Connaissez-vous
Zacharie ? Vous êtes… »
Pour délivrer Marie de ce déluge de renseignement et de questions, survient un petit vieux qui
boite. Ce doit être un jardinier ou un agriculteur, car il a en mains un sarcloir et, attachée à la
ceinture, une serpette. Io ouvre et Marie entre en remerciant la petite vieille mais…hélas ! Sans lui
répondre. Quelle déception pour la curieuse !
A peine à l’intérieur, Marie dit : « Je suis Marie de Joachim et d’Anne, de Nazareth. Cousine de
vos maîtres. »
Le petit vieux s’incline et salue et se met à crier : « Sara ! Sara ! » Il ouvre la grille pour faire
entrer l’âne resté dehors parce que Marie, pour se défaire de la petite vieille importune, s’est glissée
vite, vite, à l’intérieur et que le jardinier, aussi rapide qu’Elle, a fermé la grille, au nez de la
commère et, tout en faisant entrer la monture, il dit : « Ah ! Grand bonheur et grande peine en cette
maison ! Le Ciel a donné un fils à la stérile, que le Très-Haut en soit béni ! Mais Zacharie est
revenu, il y a sept mois, muet de Jérusalem. Il se fait comprendre par signes ou en écrivant. Vous
l’avez peut-être appris’ La patronne vous a tant désirée au milieu de cette joie et de cette peine !
Souvent elle parlait de vous avec Sara et disait : ‘ Si j’avais encore ma petite Marie avec moi ! Si
Elle avait encore été au Temple ! J’aurais demandé à Zacharie de l’amener. Mais maintenant le
seigneur l’a voulue comme épouse à Joseph de Nazareth. Elle seule pouvait me donner du réconfort
dans cette peine et m’aider à prier Dieu, car Elle est si bonne, et au Temple tout le monde la pleure.
A la dernière fête, quand je suis allée avec Zacharie la dernière fois à Jérusalem pour remercier
Dieu de m’avoir donné un fils, j’ai entendu ses maîtresses me dire : ‘Le Temple semble avoir perdu
les chérubins de la Gloire depuis que la voix de Marie ne résonne plus en ces murs ’. Sara ! Sara !
Ma femme est un peu sourde, mais viens, viens que je te conduise. »
Au lieu de Sara, voilà, en haut d’un escalier au flanc d’un côté
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de la maison, une femme d’âge plutôt avancé, déjà toute ridée avec des cheveux très grisonnants.
Ses cheveux devaient être très noirs parce qu très noirs sont encore ses cils et ses sourcils et qu’elle
était très brune, le teint de son visage l’indique clairement. Contrastant étrangement avec sa
vieillesse évidente, sa grossesse est déjà très apparente, malgré l’ampleur de ses vêtements. Elle
regarde en faisant signe de la main. Elle a reconnu Marie. Elle lève les bras au ciel avec un : ‘Oh !’
étonné et joyeux et se hâte, autant qu’il lui est possible, à la rencontre de Marie. Marie aussi,
toujours réservée dans sa démarche se mette à courir agile comme un faon et Elle arrive au pied de
l’escalier en même temps qu’Elisabeth. Marie reçoit sur son cœur avec une vive allégresse sa
cousine qui pleure de joie en la voyant.
Elles restent embrassées un instant et puis Elisabeth se détache de l’étreinte avec un ‘Ah !’ où se
mêlent la douleur et la joie et elle porte la main sur son ventre grossi. Elle penche son visage,
pâlissant, et rougissant alternativement. Marie et le serviteur tendent les mains pour la soutenir
parce qu’elle vacille comme si elle se sentait mal. Mais Elisabeth, après être restée une minute
comme recueillie en elle-même, lève un visage tellement radieux qu’il semble rajeuni. Elle regarde
Marie avec vénération en souriant comme si elle voyait un ange et puis elle-même s’incline en un
profond salut en disant : « Bénie es-tu parmi toutes les femmes ! Béni le fruit de ton sein ! (elle
prononce ainsi : deux phrases bien détachées). Comment ai-je mérité que vienne à moi, ta servante,
la Mère de mon Seigneur ? Voilà qu’au son de ta voix l’enfant a bondi de joie dans mon sein, et
lorsque je t’ai embrassée, l’Esprit du Seigneur m’a dit les très hautes vérités dans les profondeurs de
mon cœur. Bienheureuse es-tu d’avoir cru qu’à Dieu serait possible même ce qui ne semble pas
possible à l’esprit humain! Bénie es-tu parce que, grâce à ta foi, tu feras accomplir les choses qui
t’ont été prédites par le Seigneur et les prophéties des Prophètes pour ce temps-ci ! Bénie es-tu pour
le Salut que tu as engendré pour la descendance de Jacob ! Bénie es-tu pour avoir apporté la
Sainteté à mon fils qui, je le sens, bondit comme une jeune chevrette pour la joie qu’il éprouve, en
mon sein ! C’est qu’il se sent délivré du poids de la faute, appelé à être le précurseur, sanctifié avant
la Rédemption par le Saint qui croit en toi ! »
Marie, avec deux larmes, qui comme des perles descendent de
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ses yeux qui rient vers sa bouche qui sourit, le visage levé vers le ciel et les bras levés aussi, dans la
pose que plus tard, tant de fois aura son Jésus, s’écrie : « Mon âme magnifie son Seigneur » et Elle
continue le cantique comme il nous a été transmis. A la fin, au verset : ‘Il a secouru Israel son
serviteur … etc.… », Elle croise les mains sur sa poitrine, s’agenouille, prosternée jusqu’à terre en
adorant Dieu. »
Le serviteur s’était respectueusement éclipsé quand il avait vu qu’Elisabeth ne se sentait plus mal
et qu’elle confiait ses pensées à Marie. Il revient du verger avec un vieillard imposant aux cheveux
blancs et à la barbe blanche, qui de loin, avec de grands gestes et des sons gutturaux, salue Marie.
« Zacharie arrive » dit Elisabeth en touchant à l’épaule la Vierge absorbée dans sa prière. « Mon
Zacharie est muet. Dieu l’a puni de n’avoir pas cru. Je t’en parlerai plus tard, mais maintenant,
j’espère le pardon de Dieu puisque tu es venue, toi, la Pleine de Grâce. »
Marie se lève et va à la rencontre de Zacharie et s’incline devant lui jusqu’à terre. Elle baise le
bord de son vêtement blanc qui le couvre jusqu’à terre. Il est très ample ce vêtement et attaché à la
taille par un large galon brodé.
Zacharie par gestes souhaite la bienvenue, et ensemble ils rejoignent Elisabeth. Ils entrent tous
dans une vaste pièce très bien disposée. Ils y font asseoir Marie et lui font servir une tasse de lait
qu’on vient de traire –il écume encore- avec des petites galettes.
Elisabeth donne des ordres à la servante, finalement apparue avec les mains enfarinées et des
cheveux encore plus blancs, qu’ils ne le sont pas en réalité à cause de la farine dont ils sont
saupoudrés. Peut-être elle était en train de faire le pain. Elle donne aussi à un serviteur, qu j’entends
appeler Samuel, l’ordre de porter le coffre de Marie dans une chambre qu’elle lui indique. Tous les
devoirs d’une maîtresse sa maison à l’égard de son hôte.
Marie répond entre temps aux questions que lui fait Zacharie en écrivant avec un stylet sur une
tablette enduite de cire. Je comprends, par les réponses, qu’il lui parle de Joseph, et qu’il lui
demande comment Elle se trouve épousée. Mais je comprends aussi que Zacharie n’a aucune
lumière surnaturelle sur l’état de Marie et sa condition de Mère du Messie. C’es Elisabeth qui,
approchant de son mari et lui mettant affectueusement une main sur
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l’épaule comme pour une chaste caresse, lui dit : « Marie est mère, Elle aussi. Réjouis-toi de son
bonheur. » Mais elle n’ajoute rien. Elle regarde Marie et Marie la regarde mais ne l’invite pas à en
dire plus, et Elle se tait.

[Douce, très douce vision ! Elle m’enlève l’horreur que j’avais ressentie à la vue du suicide de
Judas.
Hier soir, avant de m’endormir, j’ai vu les pleurs de Marie penchée sur la pierre de l’onction, sur
le corps inanimé du Rédempteur. Elle était à sa droite, tournant le dos à l’entrée de la grotte
sépulcrale. La lumière des torches éclairait son visage et me faisait voir son pauvre visage dévasté
par la douleur, inondé de larmes. Elle prenait la main de Jésus, la caressait, la réchauffait sur ses
joues, la baisait, en étendait les doigts… un par un le baisait ces doigts désormais inertes. Puis Elle
Lui caressait le visage, se penchait pour baiser la bouche ouverte, les yeux à demi fermés, le front
blessé. La lumière rougeâtre des torches fait paraître encore plus vives les plaies de tout ce corps
torturé et plus visible la cruauté de la torture qu’Il a subie et la réalité de sa mort.
Je suis ainsi restée en contemplation tant que mon intelligence est restée lucide. Puis, réveillée de
ma somnolence, j’ai prié et me suis mise en position pour un vrai sommeil. C’est alors qu’a
commencé la vision ci-dessus. Mais la maman m’a dit : « Ne remue pas, regarde seulement, tu
écriras demain. » Pendant le sommeil, j’ai de nouveau tout revu en songe. Réveillée à 6h30, j’ai
revu tout ce que j’avais vu la veille et en rêve. J’ai écrit, tout en voyant. Puis, vous êtes venu [NDR
c’est à son Père spirituel P.Migliorini qu’elle se réfère] et j’ai pu demander si je devais mettre tout
ce qui suit. Ce sont de petits tableaux séparés sur le séjour de Marie dans la maison de Zacharie. (2
avril 19444). ]

33. MARIE REVELE LE NOM A ELISABETH

Je vois, il me semble que c’est matin, Marie qui coud dans le vestibule. Elisabeth va et vient,
s’occupant de la maison. Quand elle entre, elle ne manque jamais d’aller faire une caresse sur la tête
blonde de Marie, encore plus blonde sur les murs plutôt sombres et sous un beau rayon de soleil qui
entre par la porte ouverte sur le jardin.
Elisabeth se penche pour regarder le travail de Marie –c’est la broderie qu’Elle avait à Nazareth-
et elle en lue la beauté.
« J’ai encore du lin à filer » dit Marie.
« Pour ton Enfant ? »
« Non, je l’avais déjà quand je ne pensais pas … » Marie n’achève pas, mais je comprends :
‘quand je ne pensais pas devoir être la
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Mère de Dieu.’
« Mais maintenant tu devras t’en servir pour lui. Est-il beau ? Fin ? Les enfants, tu sais, ont besoin
de linge très délicat. »
« Je le sais. »
« Moi, j’avais commencé… Tard, parce que j’ai voulu être sûre que ce n’était pas une tromperie
du Malin. Malgré … j’avais ressenti une telle joie que cela ne pouvait venir de Satan. Puis …j’ai
souffert tellement. Je suis vieille, Marie, pour être dans cet état. J’ai beaucoup souffert. Toi, tu ne
soufres pas ?... »
« Moi, non. Je ne me suis jamais sentie si bien. »
« Eh ! Oui ! Toi .. en Toi il n’y a pas de tache si Dieu t’a choisie pour être sa Mère. Alors tu n’es
pas sujette aux souffrances d’Eve. Celui que tu portes est saint. »
« Il me semble avoir des ailes au cœur, et non un poids. Il me semble avoir en moi toutes les
fleurs, et tous les oiseaux qui chantent au printemps, la douceur du miel et tout le soleil … Oh ! je
suis heureuse ! »
« Bénie ! moi aussi, dès l’instant où je t’ai vue, je n’ai plus senti de poids, de fatigue et de
douleur. Il me semble être neuve, jeune, délivrée des misères de ma chair de femme. Mon enfant,
après avoir bondi de joie au son de ta voix, s’est installé tranquille dans sa joie. Il me semble l’avoir
en moi comme un berceau vivant et le voir dormir rassasié et heureux, respirer comme un oiseau
qui repose tranquille sous l’aile de sa maman… maintenant, je vais me mettre au travail, il ne me
pèsera plus. Je ne vois pas bien clair, mais … »
« Laisse, Elisabeth ! J’y penserai, moi à filer et à tisser pour toi et pour ton enfant. Je suis svelte
et j’y vois clair. »
« Mais tu devras penser au tien… »
« Oh ! J’aurai bien le temps !.. Je pense d’abord à toi et à ton petit, et puis, je penserai à mon
Jésus. »
Dire comme elle est douce l’expression et la voix de marie et comme Elle s’épanouit, en le disant,
ce Nom, comme ses yeux s’emperlent de douces larmes de joie, pendant qu’Elle regarde le ciel
lumineux et azuré, cela dépasse les possibilités humaines. Il semble que l’extase s’empare d’Elle
rien qu’à dire : ‘Jésus’.
Elisabeth dit : « Quel beau nom ! Le Nom du Fils de Dieu, notre Sauveur ! »
« Oh ! Elisabeth ! » Marie devient triste, triste et Elle saisit les mains que sa parente tient croisées
sur son sein gonflé. « Dis-
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moi, toi qui à mon arrivée as été remplie de l’Esprit du Seigneur et qui a prophétisé ce que le monde
ignore. Dis-moi : que devra faire pour sauver le monde, ma Créature ? Les Prophéties … Oh ! les
Prophètes qui parlent du Sauveur ! Isaïe … tu te rappelles Isaïe ? C’est l’Homme des douleurs.
C’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Il a été percé et blessé à cause de nos crimes…
Le Seigneur veut le consumer dans les souffrances… Après la condamnation on l’a enlevé…’ De
quelle élévation parle-t-il’ On l’appelle Agneau et moi, je pense… à l’agneau pascal, à l’agneau de
Moïse et je le rapproche du serpent que Moïse éleva sur une croix. Elisabeth !... Elisabeth !.... Que
feront-ils à ma Créature ? Que devra-t-il souffrir pour sauver le monde ? » Marie pleure.
Elisabeth la console. « Marie, ne pleure pas. C’est ton Fils, mais c’est aussi le Fils de Dieu. Dieu
pensera à son Fils et à toi qui es sa Mère. Et s’il y en a tant qui se montreront cruels envers Lui, il y
en aura tant qui l’aimeront. Tant !... Pendant des siècles et des siècles. Le monde regardera vers ton
Enfant et te bénira avec lui. Toi : Source d’où jaillit la rédemption. Le sort de ton Fils ! Elevé à la
royauté sur toute la création. Penses-y Marie : Roi, parce qu’Il aura racheté tout ce qui a été crée, et
comme tel, il en sera aimé. Mon fils précédera le tien et l’aimera. L’ange l’a dit à Zacharie, et lui
me l’a écrit … Ah ! quelle douleur de le voir muet mon Zacharie ! mais j’espère que, quand l’enfant
sera né, le père aussi sera libéré du châtiment qui l’a frappé. Prie, toi qui es le Siège de la puissance
de Dieu et la Cause de la joie du monde. Pour l’obtenir, j’offre, comme je puis, ma créature au
Seigneur. Elle est à Lui, en effet, Il l’a prêtée à sa servante pour lui donner la joie de s’entendre
appeler ‘mère’. C’est le témoignage de ce que Dieu a fait pour moi. Je veux qu’il s’appelle ‘Jean’.
Est-ce que par hasard ce n’est pas une grâce, mon petit ? Et n’est-ce pas Dieu qui me l’a faite ? »
« Et Dieu, j’en suis bien convaincue, te fera cette grâce. Je prierai … avec toi. »
« J’ai tant de peine de le voir muet !... » Elisabeth pleure. « Quand il écrit, puisqu’il ne peut
parler, il me semble qu’il y ait des monts et mers entre moi et mon Zacharie. Après tant d’années de
douces paroles, maintenant sa bouche reste silencieuse. Et maintenant spécialement, où il serait si
beau de parler de ce qui va arriver. Je me retiens même de parler pour
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ne pas le voir se fatiguer à faire des gestes pour me répondre. J’ai tant pleuré ! Je t’ai tant attendue !
Le pays regarde, bavarde et critique. Le monde est fait ainsi. Et quand on a une peine ou une joie,
on a besoin de compréhension et pas de critique. Maintenant, il me semble que la vie soit tout à fait
meilleure. Je sens la joie en moi depuis que tu es avec moi. Je sens que mon épreuve va passer et
que je serai bientôt tout à fait heureuse. Il en sera ainsi, n’est-ce pas’ Je me résigne à tout. Mais, si
Dieu pardonnait à mon époux ! Pouvoir l’entendre prier comme avant ! »
Marie la caresse, la réconforte et pour la distraire, l’invite à faire un tour dans le jardin ensoleillé.
Elles se rendent sous une tonnelle bien entretenue jusqu’à une petite tour rustique dans les trous
de laquelle les colombes font leurs nids.
Marie répand des graines, en riant. Les colombes se précipitent sur Elle avec des roucoulements et
des vols qui décrivent tout autour des cercles iridescents. Sur la tête, sur les épaules, sur les bras et
sur les mains, elles se posent, allongeant leurs becs roses pour saisir les grains dans les creux des
mains, becquetant gracieusement les lèvres roses de la Vierge et ses dents qui brillent au soleil.
Marie tire d’un sac les grains blonds et rit au milieu de cette joute d’avidité envahissante.
« Comme elles t’aiment ! » dit Elisabeth. « Il n’y a que quelques jours que tu es avec nous et elles
t’aiment plus que moi qui les ai toujours soignées ! »
La promenade se poursuit jusqu’à un enclos fermé, au fond du verger, où se trouvent une
vingtaine de chèvres avec leurs cheveux.
« Tu es revenu du pâturage « dit marie à un jeune berger qu’elle caresse.
« Oui, car mon père m’a dit : ‘Va à la maison parce que bientôt il va pleuvoir et il y a des bêtes
qui vont avoir les petits. Aie soin qu’elles aient de l’herbe sèche et une litière toute prête’. Le voilà
qui vient. » Et il fait signe au-delà du bois d’où vient un bêlement tremblotant.
Marie caresse un chevreau blond comme un enfant, qui la frôle et avec Elisabeth boit du lait tout
frais que le petit berger lui offre.
Le troupeau arrive avec un berger hirsute comme un ours. Mais
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ce doit être un brave homme car il porte sur ses épaules une brebis toute plaintive. Il la pose
doucement par terre et il explique : « Elle va avoir un agneau et elle ne pouvait plus marcher que
difficilement. Je l’ai chargée sur mes épaules et j’ai fait très vite pour arriver à temps ». La brebis,
qui boite douloureusement, est conduite au bercail par l’enfant.
Marie s’est assise sur un rocher et joue avec les chevreaux et les agneaux, présentant des fleurs de
trèfle à leurs museaux roses. Un chevreau blanc et noir lui met les pattes sur les épaules et flaire ses
cheveux. « Ce n’est pas du pain » dit Marie en riant. « Demain je t’en apporterai une croûte. Sois
tranquille, maintenant. »
Elisabeth aussi, rassérénée, se met à rire.

34. MARIE PARLE DE SON ENFANT

Je vois Marie qui file, vite, vite, sous la tonnelle où le raisin grossit. Il a dû passer un certain
temps parce que les pommes commencent à rougir sur les arbres et les abeilles ronronnent près des
fleurs du figuier déjà mûres.
Elisabeth est tout à fait grosse et marche lourdement. Marie la regarde avec une attention
affectueuse. Marie, elle-même quand elle se lève pour ramasser le fuseau tombé trop loin, parait
s’arrondir sur les côtés et l’expression du visage est changée. Elle est plus mûre. C’était une jeune
fille. Maintenant c’est une femme.
Les femmes entrent dans la maison parce que le jour baisse et à l’intérieur on allume les lampes.
En attendant le souper, Marie tisse.
« Mais ne te fatigue-t-il pas réellement ? » demande Elisabeth en montrant du doigt le métier à
tisser.
« Non, sois tranquille. »
« Pour moi, cette chaleur me fatigue. J’ai été sans souffrir, mais maintenant le poids est lourd pour
mes reines vieillies. »
« Prends courage, tu seras bientôt libérée. Comme tu seras heureuse alors ! Pour moi, je ne vois
pas l’heure de ma maternité. Mon Enfant ! Mon Jésus ! Comment sera-t-Il ? »
« Beau comme toi, Marie. »
« Oh ! non ! Plus beau ! Lui est Dieu, je suis sa servante. Mais j’ai
132
voulu dire : sera-t-Il blond ou brun ? Aura-t-il les yeux comme un ciel tranquille ou comme les cerfs
de montagnes ? Moi, je me le représente plus beau qu’un chérubin, avec une chevelure couleur d’or,
avec les yeux de la couleur de notre mer de Galilée quand les étoiles commencent à se lever sur
l’horizon du ciel, une bouche petite et rouge comme une tranche de grenade quand elle s’ouvre à
maturité, et les joues, et bien voilà comme le teint rosé de cette rose pâle, et deux petites mains qui
tiendraient le calice d’un lys, tant elles sont petites et belles, et deux pieds petits au point de remplir
le creux de la main et gracieux et veloutés plus qu’un pétale de fleur. Vois. J’emprunte l’idée que je
me fais de Lui à toutes les beautés que me suggère la terre. Et j’entends sa voix. En pleurant – il
pleurera un peu, de faim ou de lassitude, mon Petit et ce sera toujours grande douleur pour sa
maman qui ne pourra… oh ! non, elle ne pourra le voir pleurer sans avoir le cœur transpercé- son cri
sera comme le bêlement qui nous arrive de ce petit agneau qui vient de naître et qui cherche la
mamelle de sa mère et pour dormir la chaleur de sa toison. Son rire emplira de ciel mon cœur épris
de ma Créature. Je puis être enamourée de Lui, parce qu’Il est mon Dieu et mon amour d’amante ne
s’oppose pas à ma consécration virginale. Son rire sera comme le roucoulement joyeux d’une petite
colombe rassasiée et satisfaite dans la tiédeur de son nid. Je pense à ses premiers pas … un oiseau
sautillant sur un pré fleuri. Le pré sera le cœur de sa maman qui soutiendra ses petits pieds roses
avec tout son amour pour qu’Il ne rencontre rien qui le fasse souffrir. Comme je l’aimerai mon
Enfant ! Mon Fils ! Joseph aussi l’aimera ! »
« Mais tu devras le lui dire à Joseph ! »
Marie s’assombrit et soupire. « Je devrais pourtant le lui dire… J’aurais voulu que le Ciel le lui
fasse savoir car c’est très difficile d’en parler. »
« Veux-tu que je lui en parle ? Que je le fasse venir pour la circoncision de Jean ? »
« Non. J’ai remis à Dieu le soin de l’instruire de son heureux sort de nourricier du Fils de Dieu. Il
s’en chargera. L’Esprit m’a dit ce soir : ‘Tais-toi, laisse-Moi le soin, je te justifierai’. Et Il le fera.
Dieu ne ment jamais. C’est une grande épreuve, mais avec l’aide de l’Eternel, elle sera surmontée.
En dehors de toi à qui l’Esprit l’a révélé, personne ne doit connaître par ma bouche la bienveillance
du Seigneur à l’égard de sa servante. »
133
« J’ai toujours gardé le silence, moi aussi avec Zacharie qui en aurait éprouvé une grande joie. Il
croit à la maternité naturelle. »
« Je le sais et je l’ai aussi voulu par prudence. Les secrets de Dieu sont saints. L’Ange du
Seigneur n’avait pas révélé à Zacharie ma maternité divine. Il aurait pu le faire, si Dieu l’avait
voulu car Dieu savait qu’il était imminente l’époque de l’Incarnation de son Verbe en Moi. Mais
Dieu a tenu cachée cette joie lumineuse à Zacharie qui refusait comme impossible votre fécondité
tardive. Je me suis conformée à la volonté de Dieu. Et, tu le vois, tu as su ce secret vivant en moi…
Lui, n’a rien remarqué. Tant que ne tombera pas le voile de son incrédulité à l’égard de la puissance
de Dieu, il vivra à l’écart de la lumière surnaturelle.
Elisabeth soupire et garde le silence.
Zacharie entre. Il présente des rouleaux à Marie. C’est l’heure de la prière avant le souper. C’est
Marie qui prie à haute voix à la place de Zacharie. Puis ils prennent place à la table.
« Quand tu ne seras plus ici, comme nous pleurerons de n’avoir personne qui nous lise les
prières » dit Elisabeth en regardant son mari muet.
« Tu prieras alors, Zacharie » dit Marie.
Il secoue la tête et écrit : « Je ne pourrai plus jamais prier pour les autres. J’en suis devenu
indigne, du moment où j’ai douté de Dieu. »
« Zacharie : tu prieras. Dieu pardonne.
Le vieillard essuie une larme et soupire.
Après le repas, Marie retourne au métier à tisser. « C’est assez ! » dit Elisabeth. « Tu te fatigue
trop. »
« Le temps est très proche, Elisabeth. Je veux faire à ton enfant un trousseau digne de celui qui
précède le Roi de la race de David. »
Zacharie écrit : « De qui naîtra-t-Il ? Et où ? »
Marie répond : « Là où les Prophètes l’ont dit et de qui l’Eternel fera choix. Tout est bien fait de
ce que fait notre Seigneur, le Très-Haut. »
Zacharie écrit : « A Bethléem, donc ! En Judée. Nous irons le vénérer, femme. Toi aussi tu
viendras à Bethlehem avec Joseph. »
« Et Marie baissant la tête sur son métier : « Je viendrai. »
C’est la fin de la vision.

35. « LE DON DE DIEU DOIT TOUJOURS NOUS RENDRE MEILLEURS. »

Marie dit :
« La première manifestation de l’amour du prochain s’exerce envers le prochain. Que cela ne te
semble pas un jeu de mots.
La charité a un double objet : Dieu et le prochain. Dans la charité à l’égard du prochain est
comprise celle qui s’exerce envers nous-mêmes. Mais si nous nous aimons plus que les autres, nous
ne sommes plus charitables, nous sommes égoïstes.
Et même, dans les choses permises, il faut être assez saint pour faire passer en premier lieu les
besoins du prochain. Soyez tranquilles, mes enfants : Dieu, pour les âmes généreuses supplée avec
les moyens de sa toute puissant Bonté. Cette certitude m’a fait venir à Hébron pour aider ma parente
dans la situation où elle se trouvait. Et à mon dessein de secours humain, en donnant au-delà de
toute mesure, comme c’est son habitude, Dieu a ajoutée le don d’un secours surnaturel auquel je ne
pensais pas.
Je vais pour porter un secours matériel, et Dieu sanctifie la droiture de ma démarche opérant la
sanctification du fruit du sein d’Elisabeth et, avec cette sanctification qui pré sanctifia le Baptiste,
soulage la souffrance physique d’une fille d’Eve âgée et concevant à une âge inhabituel.
Elisabeth, femme de foi intrépide et abandonnée avec confiance à la volonté de Dieu, mérita de
comprendre le mystère renfermé en moi. L’ Esprit lui parla par le bondissement de l’enfant en son
sein. Le Baptiste a prononcé son premier discours d’Annonciateur du Verbe à travers les voiles des
veines et de la chair qui à la fois le séparent de sa sainte mère et en même temps l’unissaient à elle.
Et je ne refuse pas de dire, à elle qui en est digne et à qui la Lumière se révèle, ma qualité de Mère
du Seigneur. Le refus de ma part aurait eu pour effet de refuser à Dieu la louange qui lui était dûe,
la louanger que je portais en moi et que ne pouvant dire à personne, je confiais aux plantes, aux
fleurs, aux étoiles, au soleil, au chant mélodieux des oiseaux, aux brebis patientes et à la lumière
d’or qui me donnait un baiser en descendant du ciel et au murmure des ruisseaux. Mais prier à deux
est plus doux que de dire seules notre prière. J’aurais voulu que le monde entier
135
connaissance ma destinée, pas pour moi, mais pour qu’il s’unisse à moi pour la louange de mon
Seigneur.
La prudence m’a défendu de révéler à Zacharie la vérité. Ç’aurait été outrepasser l’œuvre de Dieu.
Si j’étais pour Lui épouse et Mère, je serai toujours sa servante et je ne devais pas, à cause de son
grand amour pour moi, me permettre de me substituer à Lui et de prendre une décision qui m’aurait
mise au-dessus de Lui. Elisabeth, en sa sainteté se rend compte et se tait, car qui est saint est
toujours soumis et humble.
Un don de Dieu doit toujours nous rendre meilleurs. Plus nous recevons de Lui, et plus nous
devons donner, car plus nous nous recevons et plus Il est en nous et avec nous, et plus nous devons
nous efforcer de nous rapprocher de sa perfection. Voilà pourquoi en faisant passer au second plan
mon travail personnel, je travaille pour Elisabeth.
Je ne me laisse pas dominer par la crainte de n’avoir pas le temps. Dieu est le Maître du temps.
Quand on espère en Lui, on profite de sa providence même pour les choses matérielles. L’égoïsme
n’avance à rien : il retarde tout. La charité ne retarde rien : elle avance les réalisations. Retenez bien
toujours cela..
Quelle paix dans la maison de Elisabeth ! Si je n’avais pas eu la pensée de Joseph et celle, celle,
celle de mon Enfant, qui devait racheter le monde, j’aurais été heureuse. Mais déjà la croix projetait
son ombre sur ma vie comme une sonnerie funèbre ; j’entendais la voix des Prophètes… Je
m’appelais : Marie. L’amertume se mélangeait toujours aux douceurs que Dieu versait en mon
cœur. Et elle a toujours été, en augmentant jusqu’à la mort de mon Fils.

[ Mais quand Dieu nous appelle, Marie, à la destinée de victimes pour son honneur, oh ! il est
doux d’être moulues comme le grain sous la meule pour faire de notre douleur le pain qui fortifie
les faibles et les rend capables de gagner le Ciel !
Maintenant c’est assez. Tu es fatiguée et heureuse. Repose avec ma bénédiction. »

36. LA NAISSANCE DU BAPTISTE


C’est encore et toujours la maison d’Élisabeth. Par une belle soirée d’été encore éclairée par le
soleil couchant et où déjà l’arc de la lune semble une virgule d’argent posée sur une immense
draperie d’azur foncé.
Les rosiers répandent leur forte odeur et les abeilles font leurs derniers vols, gouttes d’or
bourdonnantes dans l’air tranquille et chaud du soir. Des près il arrive une forte odeur de foin séché
au soleil, une odeur de pain, dirait-on, de pain chaud sorti du four. Peut-être vient-elle aussi des
nombreuses linges étendus à sécher un peu partout et que Sara est en train de plier.
Marie se promène lentement, donnant le bras à sa cuisine. Tout doucement elles montent et
descendent sous la tonnelle à demi éclairée.
Marie à l’oeil à tout, et tout en s’occupant d’Élisabeth, elle voit que Sara s’emploie à replier une
longue pièce de toile quelle a enlevée de dessus une haie. “Attends-moi, assieds-toi là” dit-elle à sa
parente et elle s’en va aider la vieille servante en tirant sur la toile pour défaire les plis et en la pliant
avec soin. “Elle se ressent encore du soleil, elle est chaude” dit-elle avec un sourire. Et pour faire
plaisir à la femme, elle ajoute: “Cette toile, depuis ton blanchissage est devenue belle comme elle
n’a jamais été. Il n’y a que toi pour faire si bien les choses.”
Sara s’en va toute fière avec sa charge de toile parfumée.
Marie retourne vers Élisabeth et lui dit: “Encore quelques pas. Ça te fera du bien.” Mais, puisque
Élisabeth ne voudrait pas bouger, elle lui dit: “Allons seulement voir si les colombes sont toutes
dans leurs nids et si l’eau de leur baignoire est propre, puis nous revenons à la maison.”
Les colombes doivent être les préférées d’Élisabeth. Quand elles sont devant la petite tour
rustique, les colombes sont déjà toutes rassemblées: les femelles sur leurs nids, les mâles immobiles
devant elles, mais en voyant les deux femmes, ils roucoulent encore pour les saluer. Élisabeth en est
toute émue. La faiblesse due à son état la domine et lui inspire des craintes qui la font pleurer. Elle
s’appuie sur sa cuisine: “Si j’allais mourir … mes pauvres colombes! Toi tu ne restes pas. Si tu
restais à la maison, il ne m’emporterait pas de mourir. J’ai eu la plus grande joie qu’une femme
puisse avoir, une joie que je ne m’étais résignée à ne jamais connaître. Et même de la mort je ne
pourrai me plaindre au Seigneur. Lui, qu’Il en soit béni, m’a comblé de ses bontés. Mais, il y a
Zacharie… et y aura l’enfant. L’un vieux et qui se trouverait comme perdu dans un désert, sans sa
femme. L’autre pauvre petit et qui serait comme une fleur destinée à mourir de froid parce qu’il
n’aurait pas sa maman. Pauvre bébé sans les caresses de sa mère!…”
“Mais pourquoi cette tristesse? Dieu t’a donné la joie d’être mère et Il ne te l’enlèvera pas quand
elle est à son comble. Le petit Jean aura tous les baisers de sa maman et Zacharie tous les soins de
son épouse fidèle, jusqu’à la vieillesse la plus avancée. Vous êtes deux branches du même arbre.
L’une ne mourra pas en laissant l’autre à sa solitude.”
“Tu es bonne et tu me réconfortes. Mais moi, je suis tellement vieille pour avoir un fils. Et
maintenant que le moment de le mettre au monde est venu, j’ai peur.”
“Oh! non, Jésus est ici! Il ne faut pas avoir peur là où Jésus se trouve. Man Enfant a allégé ta
souffrance, tu l’as dit, quand il était comme un bouton, tout juste formé. Maintenant qu’il se
développe de plus en plus et qu’il déjà en moi comme un être bien vivant .Je sens battre son petit
coeur tout près de ma poitrine et j’ai l’impression d’avoir un petit oiseau au nid par le battement
léger de son petit coeur- maintenant il t’épargnera tout danger. Tu dois avoir foi.”
“Oui, j’ai fois, mais si je venais à mourir… n’abandonne pas tout de suite Zacharie. Je sais que tu
penses à ta maison, mais restes encore un peu pour aider mon homme dans les premiers jours de
deuil.”
“Je resterai pour jouir de ta joie et de la sienne et je ne partirai que lorsque tu seras forte et
joyeuse. Mais, tiens-toi tranquille, Élisabeth, tout ira bien. Ta maison ne manquera de rien à l’heure
de ta souffrance. Zacharie sera servi par la plus affectueuse servante, tes fleurs seront soignée et tes
colombes aussi, et tu retrouveras les unes et les autres joyeuses et belles pour fêter le joyeux retour
de leur maîtresse. Rentrons maintenant, je te vois pâlir…”
“Oui, il me semble que ma souffrance redouble. Peut-être l’heure est- elle venue. Marie, prie pour
moi.”
“Je t’aiderai par ma prière, jusqu’au moment où ta peine s’épanouira en joie.”
Les deux femmes rentrent lentement à la maison.
Élisabeth se retire dans son appartement. Marie, adroite et prévoyante, donne des ordres, prépare
tout ce qu’il est possible de prévoir et réconforte Zacharie inquiet.
Dans la maison où on veille cette nuit et où on entend les voix étrangères des femmes qu’on a
appelées à l’aide, Marie reste vigilante, comme un phare dans une nuit de tempête. Toute la maison
gravite autour d’elle. Et elle, douce et souriante, veille tout. Elle prie, quand elle n’est pas appelée
par une chose ou une autre, elle se recueille dans la prière. Elle est dans la pièce où on se ressemble
toujours pour le repas et pour le travail. Et, avec elle, se trouve Zacharie qui pousse de soupirs et
circule, inquiet. Ils ont déjà prié ensemble, puis Marie a continué à prier.
Même à présent que le vieillard, fatigué a pris un siège et s’est assis près de la table et se tait tout
songeur, elle prie. Et, quand elle le voit dormir pour de bon, la tête sur les bras croisés qui
s’appuient sur la table, elle délace ses sandales pour faire moins de bruit qu’un papillon tournoyant
dans une pièce. Elle prend le manteau de Zacharie et le pose sur lui si délicatement qu’il continue à
dormir dans la tiédeur de la laine qui le défend de la fraîcheur de la nuit, entrant par bouffées par la
porte souvent ouverte. Puis elle revient prier. Et toujours avec plus d’âme, elle prie à genoux, les
bras étendus, lorsque les cris de la malade se font plus perçants.
Sara entre et lui fait signe de sortir. Marie sort déchaussée dans le jardin. “La maîtresse vous
désire” dit elle.
“Je viens” et Marie longe la maison, monte l’escalier… On dirait un ange blanc qui tourne dans la
nuit tranquille et constellée d’étoiles. Elle entre chez Élisabeth.
“Oh! Marie! Marie! Quelle douleur! Je n’en puis plus. Marie! Quelle souffrance il faut endurer
pour être mère!”
Marie la caresse affectueusement et lui donne un baiser.
“Marie! Marie! Laisse-moi mettre la main sur ton sein!”
Marie prend les deux mains ridées et gonflées et se les poses sur l’abdomen arrondi en les tenant
pressées de ses mains lisses et légères. Et elle parle doucement, maintenant qu’elles sont seules:
”Jésus est là qui se rend compte et voit. Confiance, Élisabeth. Son coeur saint bat plus fort parce
qu’il travaille en ce moment pur ton bien. Je le sens palpiter comme si je la tenais entre mes mains.
Je comprends les paroles que par ses battements l’Enfant me dit. Il me dit en ce moment: ‘Dis à la
femme qu’elle me craigne pas. Encore un peu de douleur. Et puis, au lever du soleil, au milieu de
tant de roses qui attendent pur s’ouvrir sur leur tige ce rayon matinal, sa maison aura sa rose la plus
belle et ce sera Jean mon Précurseur ’.”
Élisabeth pose aussi son visage sur le sein de Marie et pleure doucement.
Marie reste ainsi quelque temps parce qu’il lui semble que la douleur s’endort, se relâche, se
calme. Elle fait signe à tous de rester tranquilles. Elle reste debout, blanche et toute belle dans le
faible rayonnement de la lampe à huile, comme un ange qui veille sur la souffrance. Elle prie. Je la
vois remuer les lèvres. Mais, même si je ne les voyais pas remuer, je comprendrais qu’elle prie par
l’expression extasée de son visage.
Le temps passe et la douleur reprend Élisabeth. Marie la baise de nouveau. Elle descend, rapide,
dans le rayon de lune et court voir si le vieillard dort encore. Il dort et gémit tout en rêvant. Marie a
un geste de pitié. Elle se remet à prier.
Le temps passe, le vieillard se réveille et jette un regard étonné comme s’il se souvenait mal
pourquoi il se trouve là. Puis, il se rappelle, il a un geste et une exclamation gutturale. Puis il écrit:
”N’est-il encore pas né?” Marie fait un signe que non. Zacharie écrit: “Quelle douleur! Ma pauvre
femme! Et en sortira-t-elle sans mourir?”
Marie prend la main du vieil homme et le rassure: “À l’aube, sous peu, le bambin sera né. Tout ira
bien. Élisabeth est forte. Comme il va être beau, ce jour –puisqu’il va bientôt faire jour- où ton
enfant verra la lumière! Le plus beau jour de ta vie Ce sont de grandes grâces que le Seigneur te
réserve pour toi, et ton enfant en est l’annonciateur.”
Zacharie secoue la tête tristement et montre sa bouche muette Il voudrait dire tant de choses et ne
le peut.
Marie comprend et répond: “Le Seigneur te donnera une joie complète. Crois en Lui
complètement, espère infiniment, aime totalement. Les Très-Haut t’exaucera au-delà de ce que tu
espères. Il veut cette foi totale pour laver ta défiance passée. Dis en ton coeur, avec moi: ‘Je crois’.
Dis-le à chaque battement de ton coeur. Les trésors de Dieu s’ouvrent pour qui croit en Lui et en sa
puissante bonté.”
La lumière commence à pénétrer par la porte entr’ouverte. Marie l’ouvre. L’aube répand une
lumière blanche sur la terre humide. Il y a une forte odeur de terre et de verdures humides. On
entend les premiers pépiements des oiseaux qui s’appellent d’une branche à l’autre.
Le vieil homme et Marie vont sur le seuil de la porte. Ils sont pâles après une nuit sans sommeil et
la lumière de l’aube les fait encore plus pâles. Marie remet ses sandales, va au pied de l’escalier et
écoute. Quand une femme se montre, elle fait un signe et revient. Rien encore.
Marie va dans une pièce et revint avec di lait chaud qu’elle donne à boire au vieillard. Elle va voir
aux colombes. Elle revient pour disparaître dans cette pièce. Peut-être est-ce la cuisine. Elle fait un
tour, surveille. Elle semble avoir eu un sommeil merveilleux tant elle est vive et tranquille.
Zacharie fait les cent pas, nerveux, monte et descend à travers le jardin. Marie le regarde avec
pitié. Puis elle entre de nouveaux dans la même pièce, et agenouille près de son métier, elle prie de
toute son âme, parce que les plaintes de la malade se font plus déchirantes. Elle se courbe jusqu’à
terre pour prier l’Eternel. Zacharie rentre et la voit prosternée ainsi et il pleure, le pauvre vieux.
Marie se relève et le prend par la main. Elle semble être la mère de cette vieillesse désolée et verse
sur elle le réconfort.
Ils se tiennent ainsi, l’un près de l’autre dans le soleil qui rosit l’air du matin et c’est ainsi que les
rejoint la nouvelle joyeuse: “ Il est né! Il est né! Un garçon! Heureux père! Un garçon frais comme
une rose, beau comme le soleil, fort et vigoureux et bon comme sa mère. Joie à toi, père bénit par le
Seigneur qu’un fils t’a donné pour que tu l’offres au Temple. Gloire à Dieu qui a accordé une
postérité à cette maison! Bénédiction à toi et au fils qui est né de toi! Puisse sa descendance
perpétuer ton nom dans les siècles des siècles à travers les générations et les générations et qu’elle
conserve toujours l’alliance du Seigneur Eternel!”
Marie, avec des larmes de joie, bénit le Seigneur. Et puis les deux reçoivent le petit, apporté au
père pur qu’il le bénisse. Zacharie ne va pas trouver Élisabeth. Il reçoit le bambin qui crie comme
un perdu, mais ne va pas trouver sa femme.
C’est Marie qui y va, portant affectueusement le bébé qui se tait tout à coup, à peine Marie l’a-t-
elle pris dans ses bras. La commère qui la suit remarque le fait. “Femme” dit-elle à Élisabeth, “Ton
enfant s’est tu tout d’un coup quand Elle l’a pris. Regarde comme il dort tranquille. Et Dieu sait s’il
est remuant et fort. Maintenant, regarde, on le dirait une petite colombe.”
Marie met la créature près de la mère et la caresse en remettant en ordre ses cheveux gris. “La
rose est née” lui dit-elle doucement. “Et tu es en vie. Zacharie est heureux.”
“Il parle?”
“Pas encore, mais espère dans le Signeur. Repos-toi, maintenant. Je resterai avec toi.”

37. « L’ESPERANCE S’EPANOUIT COMME UNE FLEUR POUR CELUI QUI


APPPUIE SA TETE SUR MON SEIN MATERNEL »

Marie dit :
« Si ma présence avait sanctifié de Baptiste, elle n’avait pas enlevé pour Elisabeth la
condamnation venue d’Eve. «Tu auras des fils dans la douleur » avait dit l’Eternel. Moi seule,
Sans Tache et sans union humaine, ai été exempte de la douleur de l’enfantement. La tristesse et la
douleur sont les fruits de la faute. Moi qui étais la ‘Sans faute’, je devais connaître pourtant la
douleur et la tristesse parce que j’étais la Corédemptrice. Mais je ne connus pas le déchirement de
l’enfantement. Non. Je n’ai pas connu cette souffrance.
Mais, crois-moi, ma fille, qu’il n’y a jamais et qu’il n’y aura jamais tourment d’enfantement
semblable à mon enfantement de Martyre d’une Maternité spirituelle accomplie sur le plus dur des
lits : celui de ma croix, au pied du gibet de mon Fils qui mourait. Quelle est la mère qui est
contrainte à générer de telle façon, et à mêler le tourment de ses entrailles qui se déchiraient en
entendant le râle de sa Créature agonisante au déchirement intérieur pour avoir à surmonter
l’horreur de devoir dire : ‘Je vous aime,
142
Venez à moi qui suis votre Mère’ aux assassins de son Fils, qui était né du plus sublime amour
qu’ait jamais vu le ciel, de l’union d’amour d’un Dieu avec une vierge, d’un baiser de Feu, de
l’embrassement de la lumière, qui se firent Chair et du sein d’une femme firent le Tabernacle de
Dieu ?
« Que de douleur, pour être mère ! » disait Elisabeth. Si grande, mais un rien en comparaison de
la mienne..
« Laisse-moi mettre les mains sur ton sein ! ». Oh ! si dans votre souffrance vous me demandiez
toujours cela !
Je suis l’Eternelle Porteuse de Jésus. Il réside en mon sein, comme tu l’as vu l’an passé, comme
une Hostie en l’ostensoir. Qui vient à moi, le trouve. Qui s’appuie sur moi, le touche. Qui s’adresse
à moi, Lui parle. Je suis son Vêtement. Il est mon Ame. Encore plus, plus uni maintenant qu’il ne le
fut pendant les neuf mois qu’il se développait en mon sein, mon Fils est uni à moi, sa Maman. Et
toute douleur se calme et toute espérance fleurit et toute grâce coule pour qu’il vient à moi et pose
sa tête sur mon sein.
Je prie pour vous. Rappelez-le. La béatitude d’être au ciel, vivant dans le rayonnement de Dieu,
ne me fait pas oublier mes fils qui souffrent sur la terre. Et je prie. Le Ciel entier prie, car le Ciel
aime. Le Ciel c’est la charité vivante. Et la Charité a pitié de vous. Mais, s’il n’y avait que moi, ce
serait déjà une prière suffisante pour les besoins de qui espère en Dieu, puisque je ne cesse de prier
pour vous tous : saints et dépravés, pour donner aux saints la joie, pour donner aux méchants le
repentir qui sauve.
Venez, venez, ô fils de ma douleur. Je vous attends au pied de la Croix pour vous faire grâce. »
38. LA CIRCONCISION DU BAPTISTE.

Je vois la maison en fête. C’est le jour de la circoncision. Marie a pris soin que tout soit beau et en
ordre. Les pièces brillent de lumière et aussi les plus belles étoffes, les plus beaux meubles, c’est
une splendeur. Il y a beaucoup de monde.
Marie se déplace, agile parmi les groupes, toute belle dans son plus beau vêtement blanc.
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Elisabeth, révérée comme une matrone, jouit délicieusement de la fête. Le bébé est sur son sein,
repu de lait.
Vient le moment de la circoncision.
« Nous l’appellerons Zacharie. Tu te fais vieux et il convient que ton nom soit donné à l’enfant »
disent les hommes.
« Certainement non » s’écrie la mère. « Son nom est Jean. Son nom doit être un témoignage de la
puissance de Dieu. »
« Mais quand donc il y a eu-t-il un Jean dans notre parenté ? »
« N’importe. Il doit s’appeler Jean. »
« Que dis-tu, Zacharie ? Tu veux qu’il ait ton nom, n’est-ce pas ? »
Zacharie fait signe que non. Il prend la tablette et écrit : « Jean est son nom », et il a à peine fini
d’écrire qu’il ajoute avec sa langue libérée : « Puisque Dieu a fait une grande grâce à moi son père
et à sa mère, et à ce petit, son nouveau serviteur, qui passera en effet sa vie à glorifier le Seigneur, et
il sera appelé grand dans la suite des siècles et aux yeux de Dieu, parce qu’il s’emploiera à convertir
les cœurs au Seigneur Très-Haut. L’ange l’a dit, et moi je ne l’ai pas cru. Mais maintenant je crois
et la Lumière se fait en moi. Elle est parmi nous et vous ne la voyez pas. Son sort sera d’être
ignorée parce que les hommes ont l’esprit encombré, endormi. Mais mon fils la verra et parlera
d’Elle et tournera vers Elle les cœurs des justes d’Israel. Oh ! bienheureux ceux qui croiront en Elle
et croiront toujours à la parole du Seigneur. Et Toi, sois béni, Seigneur Eternel, Dieu d’Israel parce
que tu as visité et racheté ton peuple en lui suscitant un puissant Sauveur dans la maison de David,
son serviteur. Comme tu as promis par la bouche des saints prophètes, depuis les temps anciens de
nous délivrer de nos ennemis et des mains de ceux qui nous haïssent, pour exercer ta miséricorde
envers nos pères et montrer que tu n’oublies pas ta sainte alliance. Tel est le serment que tu as fait à
Abraham notre père : de nous accorder que sans crainte, délivrés de la main de nos ennemis, nous te
servions, dans la sainteté et la justice, en ta présence, pendant toute la vie » et ainsi jusqu’à la fin.
Les personnes présentes sont dans la stupeur : pour le nom, pour le miracle et pour les paroles de
Zacharie.
Elisabeth à la première parole de Zacharie, avait hurlé de joie. Maintenant elle pleure pendant que
marie la tient embrassée et la caresse joyeusement.
On porte ailleurs le nouveau-né pour la circoncision. Quand
144
on le rapporte, le petit Jean crie de toute sa voix. Même le lait de sa maman ne le calme pas. Il se
débat comme un jeune poulain. Mais Marie le prend et le berce, et lui se tait et se calme.
« Mais regardez ! » dit Sara. « Il ne se tait que lorsqu’Elle le prend ! »
Les gens s’en vont lentement. Dans la pièce, il ne reste que Marie avec le bébé dans les bras et
Elisabeth toute heureuse.
Zacharie entre et ferme la porte. Il regarde Marie avec les larmes aux yeux. Il veut parler, puis se
tait. Il s’avance. Il s’agenouille devant Marie. « Bénis le misérable serviteur du Seigneur » lui dit-il.
« Bénis-le, puisque tu peux le faire, toi qui le portes en ton sein. La parole de Dieu m’a parlé quand
j’ai reconnu mon erreur et que j’ai cru à tout ce qui m’avait été dit. Je te vois, et aussi ton heureuse
destinée. J’adore en toi le Dieu de Jacob. Toi, mon premier Temple, où le premier prêtre devenu
conscient peut à présent prier l’Eternel. Tu es bénie, toi qui as obtenu grâce pour le monde et lui
portes le Sauveur. Pardonne à ton serviteur, s’il n’y a pas vu au premier abord ta majesté. C’est
toutes les grâces que tu nous as apportées avec ta venue, parce que où tu vas, ô Pleine de Grâce,
Dieu opère ses miracles et saints sont les murs où tu entres, sainte deviennent les oreilles qui
entendent ta voix et les chairs que tu touches. Saints les cœurs parce que tu donnes les grâces, Mère
du Très-haut, Vierge annoncée par les prophètes et attendue pour donner au peuple de Dieu le
Sauveur. »
Marie sourit, allumée par l’humilité, et Elle parle : « Louange au Seigneur. A Lui seul. C’est de
Lui, pas de moi que vient toute grâce. Et Lui t’a accordé sa grâce pour que tu l’aimes et le serves à
la perfection le reste de ta vie, pour mériter son Royaume que mon Fils ouvrira aux patriarches, aux
Prophètes, aux justes du Seigneur. Et toi, maintenant qui peux prier devant le Saint, prie pour la
Servante du Très-Haut, parce que être la Mère du Fils de Dieu, c’est une bienheureuse destinée, être
Mère du Rédempteur c’est une destinée d’atroce douleur. Prie pour moi, qui heure après heure sens
grandir le poids de ma souffrance. Et c’est toute une vie qu’il me faudra le porter. Et si je n’en vois
pas les détails, je sens que ce sera un poids plus lourd que si sur mes épaules de femme se posait le
monde et que je dusse l’offrir au ciel ! moi, moi seule, pauvre femme ! mon enfant ! mon Fils ! Ah !
qu’à présent le tien ne pleure pas si je le berce. Mais pourrai-je moi bercer le mien pour calmer sa
douleur’ … Prie pour moi, Prê
145
tre du Seigneur. Mon cœur tremble comme une fleur sous la bourrasque. Je regarde les hommes et
je les aime, mais derrière leurs visages, je vois apparaître l’Ennemi qui en fait des ennemis de Dieu,
de Jésus, mon Fils… »
La vision s’évanouit avec la vue de la pâleur de Marie, de ses larmes où brille son regard.

39. « DISPOSEZ VOTRE ESPRIT A ACCUEILLIR LA LUMIERE »

Marie dit :
« A qui reconnaît sa faute et s’en repent et s’accuse humblement d’un cœur sincère, Dieu pardonne.
Il ne pardonne pas seulement : Il récompense. Oh ! mon Seigneur, comme Il est bon envers qui est
humble et sincère ! Envers celui qui croit en Lui et se fie à Lui ! Désencombrez votre esprit de tout
ce qui l’encombre et le rend inerte. Disposez-le à accueillir la Lumière. Comme un phare dans les
ténèbres, Elle vous est une guide et un saint réconfort.
Amitié avec Dieu, béatitude de ceux qui lui sont fidèles, richesse que rien n’égale, qui te possède
n’est jamais seul et ne ressent pas l’amertume de le désespoir. Tu ne supprime pas la douleur, ô
sainte amitié, car la douleur a été le destin d’un Dieu incarné et elle peut être le destin de l’homme.
Mais tu rends cette douleur douce en son amertume, tu y mélanges une clarté et une caresse qui,
comme un touche céleste, soulèvent la croix.
Et, quand la Bonté Divine vous donne une grâce, usez du bienfait reçu pour rendre gloire à Dieu.
Ne soyez pas des fous qui, d’un objet utile se font une arme nuisible ou comme des prodigues qui
transforment leur richesse en misère.
C’est trop le douleur que vous me donnez, ô fils, derrière le visage de qui je vois apparaître
l’Ennemi, celui qui se rue contre mon Jésus. Trop de douleur ! Je voudrais être pour tous la Source
de la Grâce. Mais trop d’entre vous ne veulent pas de la grâce. Vous demandez ‘grâces’ mais avec
une âme qui ne possède pas la Grâce. Et comment la Grâce peut-elle vous secourir si vous en êtes
les ennemis ?
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Le grand mystère du vendredi Saint approche. Tout, dans les temples, le rappelle et le célèbre.
Mais il faut célébrer et en rappeler le souvenir dans vos cœurs, en vous battant la poitrine, comme
ceux qui descendaient du Golgotha, et dire : « Celui-là est vraiment le fils de Dieu le Sauveur » et
dire : « Jésus par ton Nom, sauve-nous » et dire : « Père, pardonne-nous ». Et finalement :
« Seigneur, je ne suis pas digne, mais si tu me pardonnes et viens vers moi, mon âme sera guérie et
je ne veux pas, non, je ne veux plus pécher pour retourner à mon mal et haine envers Toi. »
Oh ! si humblement et d’un cœur affectueux, vous remettez votre esprit à Dieu, Lui vous conduit,
comme un père son petit, et ne permet pas que rien ne lui fasse tort. Jésus, en ses agonies, a prié
pour vous enseigner à prier.
Je vous le rappelle en ces jours de la passion. Et toi, Marie, toi qui vois ma joie de Mère et en es
extasiée, ramène à ta mémoire cette pensée : Que j’ai possédé Dieu à travers une douleur sans cesse
grandissante. Il est descendu en moi avec le germe de Dieu et comme un arbre gigantesque a grandi
jusqu’à toucher le ciel de sa cime et aussi l’Enfer par ses racines, quand j’ai reçu sur mon sein la
dépouille inanimé de la Chair de ma chair, quand j’en ai vu et compté les déchirures atroces. Quand
j’ai touché son cœur qui avait été lacéré pour consommer la douleur jusqu’à la dernière goutte de
son sang. »

40. LA PRESENTATION DU BAPTISTE AU TEMPLE

D’un char confortable auquel est attaché aussi la monture de Marie, je vois descendre Zacharie,
Élisabeth et Marie qui tient le petit Jean, et Samuel avec un agneau et, dans une cage, une colombe.
Ils descendent l’écurie habituelle où doivent s’arrêter tous les pèlerins qui se rendent au Temple,
pour remiser leurs montures.
Marie appelle le petit homme qui en est propriétaire et lui demande si aucun Nazaréen n’est venu
le jour précédent ou aux premières heures de la matinée. “Personne, femme” répond le petit vieux.
Marie demeure étonnée, mais n’ajoute rien d’autre.
Elle fait détacher son âne par Samuel et puis rejoint Zacharie et Élisabeth. Elle explique le retard
de Joseph: “Il aura été retenu par quelque chose, mais il viendra certainement aujourd’hui.” Elle
reprend le bébé qu’elle avait donné à Élisabeth, et ils se dirigent vers le Temple.
Zacharie reçoit les honneurs des gardes, les saluts et les compliments des autres prêtres. Il est
splendide, aujourd’hui Zacharie avec des vêtements sacerdotaux et sa joie de père heureux. On
dirait un Patriarche. Je pense qu’Abraham devait lui rassembler quand il se réjouissait d’offrir Isaac
au Seigneur.
Je vois la cérémonie de la présentation du nouvel Israélite et la purification de la mère. Elle est
encore plus pompeuse que pour la présentation de Marie, parce que Jean est le fils d’un prêtre et les
prêtres font grande fête. Ils accourent en nombre et s’affairent autour du petit groupe des femmes et
du nouveau-né.
Des gens aussi se sont approchés par curiosité et j’entends les commentaires. Comme Marie a
l’enfant sur le bras pendant qu’on se dirige vers l’endroit coutumier les gens croient que c’est la
mère. Mais un femme dit: “Ce n’est pas possible. Ne voyez-vous pas qu’elle est enceinte? Le
bambin n’a que quelques jours et elle, elle est déjà grosse.”
“Pourtant” dit un autre “il n’y a qu’elle qui puisse être la mère. L’autre est vieille. Ce doit être une
parente, mais elle ne peut être mère à l’age qu’elle a.”
“Suivons-les, et nous verrons qui a raison.”
Et la stupeur augmente quand on voit que celle qui accomplit le rite de la purification, c’est
Élisabeth. Elle offre son agneau bêlant pour l’holocauste et la colombe pour le péché.
“C’est elle la mère, tu as vu?”
“Non!”
“Oui”
Les gens chuchotent, incrédules encore. Ils font tant de bruit qu’un “Pschitt!” impérieux part du
groupe des prêtres qui assistent à la cérémonie. Les gens se taisent un moment, mais les
chuchotements se font plus fort quand Élisabeth rayonnante d’une sainte fierté prend le bambin et
pénètre dans le Temple pour en faire la présentation au Seigneur.
“C’est bien elle.”
“C’est toujours la mère qui fait l’offrande.”
“Quel miracle est-ce donc jamais?”
“Que sera cet enfant accordé à un âge si avancé à cette femme?”
“Qu’est-ce que cela présage?”
“Vous ne savez pas?” dit quelqu’un qui arrive tout essoufflé.
“C’est le fils du prêtre Zacharie, de la descendance d’Aaron, celui-là qui devint muet pendant
qu’il offrait l’encens au Sanctuaire.”
“Mystère! Mystère! Et maintenant il parle de nouveau! La naissance de son fils lui a délié la
langue.”
“Quel esprit lui aura parlé et rendue morte sa langue pour l’habituer à garder le silence sur les
secrets de Dieu?”
“Mystère! Quelle vérité se sera révélée à Zacharie?”
“Son fils serait-il le Messie qu’attend Israël?”
“Il est né en Judée, mais pas à Bethlehem et pas par une vierge. Il ne peut être le Messie.”
“Qui donc est-il?”
Mais la réponse reste dans le secret de Dieu et les gens restent avec leur curiosité.
La cérémonie est achevée. Les prêtres font fête, maintenant à la mère aussi et au bébé. La seule à
qui on ne fait pas attention, qu’on évite mâle dédaigneusement, quand on s’aperçoit de son état,
c’est Marie.
Une fois les félicitations finies, la plupart se remettent en route et Marie veut retourner à
l’hôtellerie pour voir si Joseph est arrivé. Il n’est pas arrivé. Marie reste déçue et pensive.
Elisabeth se préoccupe de sa situation. “Nous pouvons rester jusqu’à la sixième heure, mais
ensuite, nous devons partir pour être à la maison avant la première veille. Il est encore trop petit
pour rester la nuit à la tombée.”
Et Marie calme et triste: “Je resterai dans une cour du Temple. J’irai trouver mes maîtresses… Je
ne sais. Mais je ferai quelque chose.”
Zacharie intervient avec un projet immédiatement accepté, comme une bonne solution. “Allons
chez les parents de Zébédée, c’est sûrement là que Joseph va te chercher, et s’il ne venait pas, il te
sera facile de trouer quelqu’un pour t’accompagner vers la Galilée. Dans cette maison il y a un va-
et-vient continuel de pêcheurs de Génésareth”
Ils prennent la monture de Marie et vont chez les parents de Zébédée, qui au fond ne sont que
ceux qui ont donné l’hospitalité à Marie et Joseph quatre mois auparavant.
Les heures passent vite et Joseph ne paraît point. Marie maîtrise sa peine en berçant le petit, mais
on voit qu’elle est pensive. Comme pour cacher son état, elle n’a pas enlevé son manteau bien qu’il
fasse une chaleur qui fait transpirer tout le monde.
Finalement un grand coup à la porte annonce Joseph. Le visage de Marie resplendit rasséréné.
Joseph la salue, après qu’elle s’est présentée tout d’abord le saluant avec respect: “La Bénédiction
de Dieu sur toi, Marie!”
“Et sur toi, Joseph! Et louange au Seigneur que tu sois venu! C’est que Zacharie et Élisabeth
allant partir pour être à la maison avant la nuit.”
“Ton messager est arrivé à Nazareth pendant que j’étais à Cana pour des travaux. J’ai été informé
hier soir et je suis parti tout de suite. Mais ayant marché sans arrêt, je suis en retard parce que l’âne
avait perdu un fer. Pardonne-moi.”
“C’est à toi de me pardonner d’être restée si longtemps loin de Nazareth! Mais regarde: ils étaient
si heureux de m’avoir avec eux, c’est pourquoi j’ai voulu leur faire plaisir jusqu’à maintenant.”
“Tu as bien fait, Femme. Et le bambin où est-il?”
Ils entrent dans la pièce où se trouve Élisabeth qui donne son lait à Jean avant de partir. Joseph
compliment les parents pour la robustesse de l’enfant. Élisabeth l’enlève de son sein pour le montrer
à Joseph, mais il crie et se débat comme si on l’écorchait. Tout le monde rit de ses protestations,
même les parents de Zébédée qui ont accourus apportant des fruits frais pour tout le monde, du lait,
du pain et un grand plat de poisson, ils rient et s’unissent à la conversation des autres.
Marie parle peu. Elle reste tranquille et silencieuse assise dans son coin, les mains sur son sein,
sous un manteau. Et même quand elle boit une tasse de lait et mage une grappe de raisin doré avec
un peu de pain, elle parle peu et ne bouge guère. Elle regarde Joseph avec un mélange de peine et
d’inquiétude.
Lui aussi la regarde et après quelque temps, se penchant sur son épaule, lui demande: “ Es tu
fatiguée? Souffres tu? Tu es pâle et triste.”
“J’ai de la peine de me séparer du petit Jean. Je l’aime bien. Je l’ai porté sur mon coeur presque
dès sa naissance…”
Joseph ne pose pas d’autre question.
L’heure du départ est venue pour Zacharie. Le char s’arrête à la porte et tout le monde s’approche.
Les deux cousines s’embrassent affectueusement. Marie baise plusieurs fois le bébé avant de le
reporter sur le sein de sa mère déjà assise dans son char. Puis elle salue Zacharie et lui demande sa
bénédiction. Quand elle s’agenouille devant le prêtre, le manteau glisse de ses épaules et ses formes
apparaissent dans la lumière intense d’un après midi d’été. Je ne sais pas si Joseph le remarque à ce
moment, occupé qu’il est à saluer Élisabeth. Le char s’éloigne.
Joseph rentre avec Marie qui reprend sa place dans un coin à moitié éclairé. “S’il ne te déplaisait
pas de voyager de nuit, je proposerais de partir au crépuscule. La chaleur est forte dans la journée.
La nuit, au contraire, est fraîche et tranquille. C’est pour toi que je dis pour ne pas t’exposer trop au
soleil. Pour moi, ce n’est rien d’être exposé à la canicule. Mais toi…”
“Comme tu veux, Joseph. Oui, je crois que ce serait bien de voyager de nuit.”
“La maison est bien en ordre, et aussi le jardinet. Tu verras quelles belles fleurs! Tu arrives à
temps pour voir tout fleuri. Le pommier, le figuier et la vigne sont chargées de fruit comme jamais
et le grenadier, j’ai dû lui mettre des tuteurs tant ses branches sont chargées de fruit déjà bien
formés qu’on n’a jamais vu chose pareille en ce temps-ci. Et puis l’olivier… Tu auras de l’huile en
abondance. Il a eu une floraison miraculeuse et pas une fleur ne s’est perdue; toutes ont déjà donné
une petite olive. Quand elles seront mûres, l’arbre sera couvert de perles moires. Il n’y a que toi
pour avoir un si beau jardin dans toute Nazareth. Même les parents en sont étonnés. Et Alphée dit
que c’est un miracle.”
“Te soins l’ont créé!”
“Oh! Non! Pauvre homme que je suis! Qu’ai-je donc fait, moi? Un peu de soins aux arbres et un
peu aux fleurs…Sais-tu? Je t’ai fait une fontaine, tu n’auras pas besoin de sortir pour avoir de l’eau.
Je l’ai amenée au fond, près de la grotte, et j’Y ai mis une vasque. Je l’ai conduite de la source qui
se trouve au dessus de l’olivier de Mathias. Elle est pure et abondante. C’est par un petit ruisseau
que je te l’ai amenée. J’ai fait un petit canal bien couvert et maintenant l’eau arrive et chante
comme une harpe. Ça me faisait de la peine de te voir aller à la fontaine du pays et en revenir
chargée d’amphores remplies d’eau.”
“Merci Joseph. Tu es bon!”
Les deux époux se taisent maintenant comme fatigués. Joseph sommeille même. Marie prie.
Le soir arrive. Les hôtes insistent pour qu’ils mangent encore avant de se mettre en route. Joseph
mange du pain et du poisson. Marie seulement des fruits et du lait.
Puis c’est le départ. Ils montent sur leurs ânes. Comme à l’aller, Joseph a installé sur le sien le
coffre de Marie et avant que Marie ne monte il regarde si la selle est bien en place. Je remarque que
Joseph regarde Marie quand elle monte en selle; mais il ne dit rien. Le voyage a commencé au
moment où les étoiles, les premières se mettent à clignoter dans le ciel.
Ils se hâtent vers les portes pour attendre avant qu’elles ne soient fermées, peut-être. Quand ils
sortent de Jérusalem et ils prennent la grande route qui va vers la Galilée, déjà les étoiles
fourmillent dans toute l’étendue du ciel. Il y a grand silence dans la campagne. On n’entend que le
chant d’un rossignol et les pieds des deux ânes qui battent en cadence le terrain de la route durci par
la sécheresse de l’été.
L’ÉVANGILE TEL QU’IL M’A ÉTÉ RÉVÉLÉ
Volume 2° * en ligne *
La première année de la vie publique

Table des matières


VOL. 2. Chapitres 01-10

1.L’adieu de Jésus à sa Mère au départ de Nazareth *


2.“Elle a pleuré parce qu’Elle était la Corredemptrice
3.Baptême de Jésus au Jourdain
4.“Jean n’avait besoin d’aucun signe”
5.Jésus tenté par le Diable au désert
6.“Satan se présente toujours avec un extérieur bienveillant”
7.La rencontre avec Jean et Jacques
8.“J’ai aimé Jean pour sa pureté”
9.Jean et Jacques parlent à Pierre du Messie
10.Première rencontre de Pierre avec le Messie

VOL. 2. Chapitres 11-20


11.“Jean fut grand aussi in humilité”
12.Jésus rencontre Philippe et Natanaël à Betsaida dans la maison de Pierre
13.Jude Thaddée à Bethsaida pour inviter Jésus aux noces de Cana
14.Jésus aux noces de Cana
15.“Femme, qu’y a-t-il désormais entre Toi et Moi?”
16.Jésus chasse les marchands du Temple
17.Rencontre avec l’Iscariote et Thomas. Miracle sur Simon le Zélote
18.Thomas devient disciple
19.Jude d’Alphée, Thomas et Simon admis auprès du Jourdain
20.Retour à Nazareth, après la Pâque avec les disciples *

VOL. 2. Chapitres 21-30


21.Guérison de l’aveugle à Capharnaüm
22.Le possédé de Capharnaüm guéri dans la synagogue
23.Guérison de la belle-mère de Simon Pierre
24.Jésus prêche et opère des miracles dans la maison de Pierre
25.Jésus prie pendant la nuit
26.Le lépreux guéri près de Corozaim
27.Le paralytique guéri dans la maison de Pierre à Capharnaüm
28.La Pêche miraculeuse
29.L’Iscariote retrouve Jésus à Gethsémani. Jésus m’accepte comme disciple
30.Jésus fait le miracle de la lame brisée à la Porte des Poissons

VOL. 2. Chapitres 31-40


31.Jésus au Temple avec l’Iscariote. Il y prêche
32.Jésus instruit Judas Iscariote
33.Jésus se rencontre à Gethsémani avec Jean de Zebedée
34.“Jean: le type parfait de ceux qui se font hostie pour mon amour
35.Jésus et l’Iscariote se rencontrent avec Simon le Zélote et Jean
36.Jésus, Jean, Simon et Judas vont à Bethléem
37.Jésus à Bethléem, dans la maison du paysan et à la Grotte
38.Jésus à l’auberge de Bethléem et prédication sur les ruines de la maison d’Anne
39.Jésus et les bergers Elie, Lévi et Joseph
40.Jésus à Jutta chez le berger Isaac

VOL. 2. Chapitres 41-50


41.Jésus à Hébron. La maison de Zacharie. Aglaé
42.Jésus à Kériot. Mort du vieux Saul
43.Jésus sur le chemin du retour avec les bergers près d’Hébron
44.Jésus à la montagne du jeûne et au massif de la tentation
45.Au gué du Jourdain. Rencontre avec les bergers Jean, Mathias et Siméon
46.L’Iscariote vend à Diomède les bijoux d’Aglaé
47.Jésus pleure à cause de Judas et Simon le Zélote le réconforte
48.“Pour vous aussi, les bons sont dans la proportion qu’il y avait entre les bon et Judas”
49.Rencontre de Jésus avec Lazare à Béthanie
50.Jésus revient à Jérusalem et au Temple il écoute l’Iscariote. À Gethsémani

VOL. 2. Chapitres 51-60


51.Jésus parle avec le soldat Alexandre à la Porte des Poissons
52.Jésus et Isaac près de Doco. Départ pour Esdrelon
53.Jésus auprès du berger Jonas dans la plaine d’Esdrelon
54.Retour à Nazareth après avoir quitté Jonas
55.Le lendemain dans la maison de Nazareth
56.Leçon de Jésus aux disciples dans l’oliveraie
57.Instruction de Jésus aux disciples près de la maison
58.Instruction aux disciples avec la très Sainte Marie dans le jardin de Nazareth
59.Guérison de la Belle de Corozaîn. Prédication à la synagogue de Capharnaüm
60.Jacques d’Alphée reçu parmi les disciples. Jésus prêche à côté du comptoir de Mathieu

VOL. 2. Chapitres 61-70


61.Jésus à Bethsaida. Il prêche à la foule
62.Appel de Mathieu parmi les disciples
63.Jésus sur le lac de Tibériade. Instruction aux disciples près de cette cité
64.Jésus à Tibériade cherche Jonathas dans la maison de Chouza
65.Jésus dans la maison de l’oncle Alphée et puis dans sa maison
66.Jésus interroge sa Mère au sujet de ses disciples
67.“L’humanité des apôtres! Comme elle est lourde!”
68.Guérison de Jeanne de Chouza près de Cana
69.Jésus sur le Liban, chez les bergers Benjamin et Daniel
70.Jésus dans la cité maritime reçoit des lettres qui concernent Jonas

VOL. 2. Chapitres 71-80


71.Jésus dans la maison de Marie d’Alphée fait la paix avec le cousin Simon
72.“La Grâce agit toujours là où se trouve la volonté d’être juste”
73.Jésus mal accueilli à Nazareth
74.Jésus avec sa Mère dans la maison de Jeanne de Chouza
75.Jésus à la vendange dans la maison d’Anne. Miracle de l’enfant paralytique
76.Jésus chez Doras. Mort de Jonas
77.Jésus dans la maison de Jacob près de la Méron
78.Retour au gué du Jourdain près de Jéricho
79.Jésus dans la maison de Lazare. Marthe parle de la Madeleine
80.Encore dans la maison de Lazare après les Tabernacles. Invitation de Joseph à Arimathie

VOL. 2. Chapitres 81-90


81.Jésus rencontre Gamaliel au banquet de Joseph D’Arimathie
82.Guérison de l’enfant mourant. Le soldat Alexandre. Sommation à Jésus
83.Jésus parle à Nicodème, pendant la nuit, à Gethsémani
84.Jésus chez Lazare avant d’aller à La Belle Eau
85.Jésus à La Belle Eau. Débuts de la vie commune avec les disciples
86.Jésus à La Belle Eau.”Je suis le Seigneur ton Dieu”
87.Jésus à La Belle Eau.”Tu ne te feras des dieux en ma présence”
88.Jésus à La Belle Eau. “Ne nomme pas mon Nom en vain”
89.Jésus à La Belle Eau. “Honore ton père et ta mère”
90.Jésus à La Belle Eau. “Tu ne commettras pas l’impureté de corps ni de consentement”

VOL. 2. Chapitres 91-100.


91.La femme voilée à La Belle Eau.
92. Jésus à La Belle Eau. “Sanctifie les fêtes”
93. Jésus à La Belle Eau. Ne tue pas” Mort de Doras
94.Jésus à LA Belle Eau. Les trois disciples du Baptiste
95.Jésus à La Belle Eau. “Ne convoite pas la femme d’autrui”
96.Jésus à La Belle Eau guérit le romain fou. Il parle aux romains
97.Jésus à La Belle Eau.”Ne dis pas de faux témoignages”
98.Jésus à La Belle Eau. “Ne désire pas ce qui appartient à autrui”
99.Jésus à La Belle Eau. Clôture. Commentaires du De profundis et du Miserere
100.Jésus quitte La Belle Eau et va vers Béthanie

VOL. 2. Chapitres 101-110


101.Guérison de la cancéreuse Jérusa à Doco
102.A Béthanie, dans la maison de Simon le Zélote
103.Les Encenies dans la maison de Lazare avec les bergers
104.Le retour à La Belle Eau
105.Un nouveau disciple. Départ pour la Galilée
106.Sur les monts d’Emmaüs
107.Dans la maison du chef de la synagogue Cléophas
Maria Valtorta: L’Evangile tel qu’il m’a été révélé

Vol. 2 - LA PREMIÈRE ANNÉE DE VIE PUBLIQUE

1. L’ADIEU DE JÉSUS A SA MÈRE AU DÉPART DE NAZARETH

Je vois l’intérieur de la maison de Nazareth. Je vois une pièce qui semble une salle de séjour où la
Famille prend ses repas et de délassement aux heures de repos. C’est une toute petite pièce avec
simplement une table rectangulaire et une sorte de coffre rangé contre un mur. Il sert de siège d’un
côté à la table. Contre les autres murs il y a un métier à tisser et un tabouret, puis deux autres
tabourets et une étagère avec des lampes à huile et d’autres objets. Une porte est ouverte sur le petit
jardin. Ce doit être vers le soir car il n’y a plus qu’un dernier rayon de soleil sur la cime d’un arbre
élevé qui commence à peine à verdir avec les premières feuilles.
À table est assis Jésus. Il mange et Marie le sert allant et venant par une petite porte qui, je
suppose, donne sur l’endroit où se trouve le foyer dont on aperçoit la lueur par la porte entr’ouverte.
Jésus dit deux ou trois fois à Marie de s’asseoir et de manger, Elle aussi. Mais Elle ne veut pas et
secoue la tête en souriant tristement. Elle apporte ensuite des légumes cuits à ‘eau, qui semblent
tenir lieu de soupe, des poissons grillés et puis un fromage plutôt mou en fore de boue qui rappelle
les pierres roulées d’un torrent, et puis des petites olives noires. Le pain, de forme ronde et large
comme un plat ordinaire, peu épais, est déjà sur la table. Il est plutôt noir, contenant des repasses.
Jésus a devant lui une amphore avec de l’eau et une coupe. Il mange silencieusement, en regardant
sa Maman avec un douloureux amour.
Marie, c’est bien visible, a de la peine. Elle va et vient pour se donner une contenance. Bien qu’il
fasse encore assez jour, elle allume une lampe, la met près de Jésus et en allongeant le bras, caresse
à la dérobée sa tête. Elle ouvre une besace qui me semble de laine vierge, tissée à la main et donc
imperméable, de couleur noisette, fouille à l’intérieur, sort dans son petit jardin, va au fond dans un
sort de débarras, en sort avec des pommes plutôt ratatinées, certainement conservées depuis l’été et
les met dans la besace, Ensuite elle prend un pain et un petit fromage qu’elle ajoute, bien que Jésus
n’en veuille pas et dise que le reste suffit.
Puis Marie, de nouveau s’approche de la table du côté le plus étroit, à la gauche de Jésus et le
regarde manger. Elle le regarde avec tristesse, avec adoration, avec n visage encore plus pâle qu’à
l’ordinaire et que la peine semble vieillir, avec des yeux plus grands à cause d’un cerne qui les
entoure, indice de larmes déjà versées. Ils semblent plus brillants que d’habitude, lavés qu’ils sont
par les larmes qui les remplissent, prêtes à tomber. Deux yeux douloureux et fatigués.
Jésus mange lentement et visiblement à contrecœur, seulement pour faire plaisir à sa Mère. Il est
pensif, plus qu’habituellement, lève le tête et regard Marie. Il rencontre un regard plein de larmes et
baisse la tête pour respecter son émotion. Il se borne à prendre la main délicate qu’Elle tient
appuyée au rebord de la table. Il la prend de sa main gauche et la porte à sa joue. Il l’appuie sur sa
joue dont il l’effleure pour sentir la caresse de cette pauvre main qui tremble et puis la baise à dos,
avec tant d’amour et de respect.
Je vois Marie qui porte la main libre, la gauche, à sa bouche comme pour étouffer un sanglot.
Ensuite Elle essuye avec les doigts une larme qui a débordé des cils et coule sur sa joue. Jésus
recommence à manger et Marie sort, vive, vive dans le petit jardin, désormais peu éclairé, et
disparaît.
Jésus appuie le coude gauche sur la table, appuie son front sur la main et se plonge dans ses
pensées, oubliant de manger. Il tend l’oreille et se lève.
Il sort lui aussi dans le jardin et après avoir regardé autour de lui, se dirige à droite de la maison et
entre dans une grotte, à l’intérieur de laquelle e reconnais l’atelier de menuisier, cette fois bien
rangé, sans planches, sans freluches de bois, sans feu allumé. Il y a l’établi avec les outils, chacun à
sa pièce. C’est tout.
Penchée sur l’établi, Marie pleure. One dirait une enfant. Sa tête s’appuie sur son bras gauche
replié. Elle pleure sans bruit, mais douloureusement. Jésus entre doucement et s’approche si
légèrement qu’Elle ne se rend compte que lorsque le Fils lui met la main sur la tête en l’appelant
‘Maman!’ d’un ton d’amoureux reproche.
Marie lève la tête et regarde Jésus à travers un voile de larmes. Elle s’appuie à Lui, les deux mains
jointes contre son bras droit. Jésus lui essuie le visage avec un coin de sa large manche et l’attire en
ses bras, sur son coeur lui déposant un baiser sur le front. Jésus est majestueux, il semble plus viril
qu’à l’ordinaire et Marie paraît plus jeune sauf en son visage marqué par la douleur.
“Viens, Maman” lui dit Jésus, et la serrant étroitement de son bras droit contre Lui, il marche en
revenant dans le jardin où il s’assied sur un banc contre le mur de la maison.
Le jardin est silencieux maintenant dans la nuit. Il y a seulement un beau clair de lune, et une
lueur qui sort de la salle à manger. La nuit est tranquille. Jésus parle à Marie. Au début je ne
comprends pas les paroles à peine mourmourées et auxquelles Marie acquiesce en inclinant la tête.
Puis j’entends: “Fais venir les parents. Ne reste pas seule. Je serai plus tranquille pour accomplir
ma mission. Mon amour ne te fera pas défaut. Je viendrai souvent et te ferai prévenir quand je serai
en Galilée sans pouvoir revenir à la maison. Tu viendras me voir, alors. Maman, cette heure devait
venir… Elle a commencé ici quand l’Ange t’apparut; maintenant, elle sonne et nous devons la
vivre, n’est-ce-pas, Maman? Après viendra la paix de l’épreuve surmontée et la joie. Il nous faut
d’abord franchir ce désert comme les anciens Pères, pour entrer dans la Terre Promise. Mais le
Seigneur nous aidera comme il les a aidés. Il nous donnera son aide comme une manne spirituelle
pour nourrir notre esprit au plus fort de l’épreuve. Disons ensemble à notre Père…”
Jésus se lève et Marie avec Lui. Ils tournent leurs regards vers le ciel. Deux hosties vivantes qui
resplendissent dans la nuit. Jésus dit lentement, mais d’une voix claire, en détachant les mots, la
prière dominicale. Il appuie sur les deux phrases: ‘Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite’ en
détachant bien ces deux phrases des autres. Il prie, les bras étendus, pas en croix précisément, mais
comme le prêtre quand il dit: ‘Le Seigneur soit avec vous’. Marie garde les mains jointes.
Puis, ils reviennent à la maison, et Jésus, que je n’ai jamais vu boire de vin, vers dans une coupe,
d’une amphore qui est sur l’étagère, un peu de vin blanc et la porte sur la table. Il prend Marie par la
main et l’oblige à s’asseoir près de Lui et à boire ce vin où il trempe une mie de pain qu’il Lui fait
manger. L’insistance est telle que Marie doit céder. Jésus boit le reste de vin.
Et puis il serre la Maman contre Lui, contre son Coeur. Jésus et Marie ne sont pas allongés, mais
assis comme nous pour le repas. Ils ne parlent plus, ils attendent. Marie caresse la main droite de
Jésus et ses genoux. Jésus caresse Marie à son bras et sur la tête.
Puis Jésus se lève, et Marie avec Lui. Ils s’embrassent et se baisent tendrement plusieurs,
plusieurs fois. Il semble à chaque instant qu’ils veuillent se séparer, mais Marie se reprend à serrer
contre elle sa créature. C’est la Madone … mais une Maman, enfin, une Maman qui doit se séparer
de son Fils et qui sait où aboutira cette séparation; que l’on ne me dise plus que Marie n’a pas
souffert. Je le croyais auparavant, maintenant plus.
Jésus prend son manteau bleu foncé. Il s’en drape les épaules et se couvre la tête avec le
capuchon. Puis il passe la besace en bandoulière pour qu’elle ne gêne pas sa marche. Marie l’aide et
n’en finit pas d’arranger son vêtement, le manteau et le capuchon et entre temps le caresse encore.
Jésus va vers la sortie après avoir tracé un geste de bénédiction sur la maison. Marie le suit, et sur
le seuil ils se donnent un dernier baiser.
La route est silencieuse et solitaire, éclairée par la lune. Jésus se met en route. Il se retourne
encore pour deux fois pour regarder la Maman qui reste appuyée sur le chambranle de la porte, plus
blanche que la lune et toute lumineuse sous ses pleurs silencieux. Jésus s’éloigne toujours plus sur
la route blanche. Marie pleure toujours contre la porte. Puis Jésus disparaît à un détour du chemin.
Il est commencé, son chemin d’Evangelisateur qui finira au Golgotha. Marie rentre en larmes et
ferme la porte. Pour elle aussi est commencé le chemin qui la conduira au Golgotha.
Et pour nous…
2. « ELLE A PLEURÉ PARCE QU’ELLE ÉTAIT LA CORÉDEMPTRICE »

Paroles de Jésus :
« C’est la quatrième douleur de Marie, Mère de Dieu. La première, la présentation au Temple ;
la seconde, la fuite en Egypte ; la troisième la mort de Joseph ; la quatrième ma séparation d’avec
Elle.
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Connaissant le désir du Père, je t’ai dit hier soir que je hâterais la description de ‘nos’ souffrances
pour qu’on les fasse connaître. Mais, comme tu le vois, elles avaient déjà été mises en lumière par
celles de ma Mère. J’ai expliqué la fuite en Egypte avant la Présentation parce qu’il fallait que je le
fasse ce jour-là. J’en sais la raison et tu la comprends et tu l’appliqueras au Père, de vive voix.
J’ai le dessein d’alterner tes contemplations avec les explications que je te donnerai ensuite, avec
des ‘dictés’ proprement dites pour t’élever avec ton esprit en te donnant la béatitude de la vision et
aussi parce que, de cette manière, est rendue évidente la différence de style entre ton exposé et le
mien. En outre, en présence de tant de livres qui parlent de moi, et qui, touche et retouche,
changements et embellissements sont devenus irréels, je désire donner à qui croit en moi une vision
ramenée à la vérité de mon séjour sur la terre. Je n’en sors pas diminué, mais au contraire je deviens
plus grand dans mon humilité qui pour vous se fait pain, pour vous apprendre à être humbles et à
rassembler à moi, qui ai été un homme comme vous et qui ai porté sous mon vêtement humain la
perfection d’un Dieu. Je dois être votre Modèle et les modèles doivent toujours être parfaits.
Je ne suivrai pas dans les contemplations un ordre chronologique correspondant à celui des
Evangiles. Je prendrai les points que je trouverai plus utiles et un jour déterminé pour toi ou pour
d’autres, en suivant mon ordre d’enseignement et de bonté.

L’enseignement qui ressort de la contemplation de mon départ concerne spécialement les parents
et les enfants que la volonté de Dieu appelle à un renoncement réciproque en vue d’un plus haut
amour. En second lieu il concerne tous ceux qui doivent affronter un renoncement pénible.
Combien vous en trouvez dans la vie ! Ce sont les épines de votre séjour terrestre, et qui
transpercent le cœur : je le sais. Mais à qui les accueille avec résignation –attention, je ne dis pas :
‘à qui les désire et les accueille avec joie’, cela est déjà perfection ; je dis ‘avec résignation’- elles se
changent en roses éternellement épanouies. Mais, ceux qui l’accueillent avec résignation sont peu
nombreux. Comme des ânes rétifs,vous regimbez et vous vous butez contre la volonté du Père
quand encore vous ne cherchez pas à le blesser avec des ruades et des morsures spirituelles, c’est-à-
dire en vous révoltant et en blasphémant contre Dieu.
Ne dites pas : ‘Je n’avais que ce bien, et Dieu me l’a enlevé. Mais moi, je n’avais que cette
affection, et Dieu me l’a arrachée’. Marie aussi, femme aimable, parfaitement affectueuse car dans
la ‘Toute Grâce’, même les formes affectives et sensibles étaient parfaites, n’avait qu’un seul bien,
un seul amour sur la terre :
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son Fils. Il ne lui restait que cette affection. Ses parents étaient morts depuis longtemps et Joseph
depuis quelques années. Il n’y avait que moi pour l’aimer et lui faire sentir qu’Elle n’était pas seule.
Les parents, à cause de moi, ignorant mon origine divine, lui étaient un peu hostiles. Pour eux, Elle
était une maman qui ne sait pas s’imposer à son fils qui fait fi du bon sens commun, qui refuse les
projets de mariage qui auraient pu donner du lustre à la famille et même une aide matérielle.
Les parents, voix du sens commun, du sens humain –vous l’appelez le bon sens, mais ce n’est
que sens humain, c’est-à-dire égoïsme- les parents auraient voulu des changements pratiques dans
ma vie. Au fond, c’était la peur d’avoir, un jour, des ennuies à cause de moi qui déjà osais exprimer
des idées trop idéalistes, selon eux, et qui pouvaient offusquer la synagogue. L’histoire Hébraïque
était pleine d’enseignements sur le sort des prophètes. Ce n’étai pas une mission facile que celle de
prophète. Elle entraînait souvent la mort pour le prophète et des ennuies pour sa parenté. Au fond, il
y avait toujours la pensée de devoir, un jour, prendre ma Mère en charge.
Ils étaient donc indisposés de voir qu’Elle ne me contrariait en rien et paraissait être en
continuelle adoration devant son fils. Cette opposition devrait croître ensuite au cours des trois
années de mon ministère jusqu’au point d’arriver à des reproches publics quand ils venaient me
trouver au milieu de la foule et rougissaient de ma manie, selon eux, de heurter les castes
puissantes. Reproches à mon adresse et à la sienne, pauvre Maman !
Marie savait l’humeur des parents car tous n’étaient pas comme jacques, Jude et Simon ni comme
leur mère, marie de Cléophas et Elle prévoyait ce que ces dispositions deviendraient. Elle savait
quel sort serait le sien au cours de ces trois années et de ce qui l’attendait ensuite, et mon sort à
moi ; pourtant Elle ne regimba pas comme vous faites. Elle pleura. Qui n’aurait pas pleuré à la
séparation d’un fils qui l’aimait comme je l’aimais, à la pensée des longs jours où je ne serais plus
là, dans sa maison solitaire, devant l’avenir d’un Fils destiné à heurter la méchanceté de gens qui se
sentaient coupables et que leur culpabilité poussait à attaquer l’Innocent jusqu’à vouloir le tuer.
Elle a pleuré parce qu’Elle était le Corédemptrice et la mère du genre humain qui a reçu de dieu
une vie nouvelle. Elle devait pleurer pour toutes les mamans qui ne savent pas faire de leur
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douleur de mère une couronne de gloire éternelle.
Combien de mères, dans le monde, auxquelles la mort arrache des bras une créature ! Combien de
mères auxquelles une volonté surnaturelle enlève un fils à leurs côtés ! Pour toutes ses filles,
comme Mères des chrétiens, pour toutes ses sœurs, dans leur douleur de mères esseulées, Marie a
pleuré. Et aussi pour tous ses fils qui, nées de la femme, sont destinés à devenir des apôtres de Dieu
et martyrs pour l’amour de dieu, par fidélité à Dieu ou par la férocité des hommes.
Mon Sang et les pleurs de Marie sont le mélange qui fortifie ceux qui sont appelés à une destinée
héroïque, qui efface leurs imperfections ou même les fautes qui ont échappé à leur faiblesse, en leur
donnant outre le martyre, quelqu’il soit, la paix de Dieu, et s’ils l’ont souffert pour Dieu, la gloire
du Ciel.
Ils le trouvent les missionnaires comme une flamme qui les réchauffe dans les pays où la neige est
maîtresse. Ils le trouvent comme une rosée là où règne un soleil brûlant. Les larmes de Marie
naissent de sa charité et jaillissent d’un cœur lilial. Ils possèdent donc, de la Charité Virginale unie à
l’Amour, le feu, et de la Virginale Pureté, la fraîcheur parfumée qui rassemble à celle de l’eau
recueillie dans le calice d’un lys après une nuit baignée de rosée.
Elles le trouvent les âmes consacrées dans ce désert qu’est la vie monastique bien comprise:
Désert parce qu’il n’y a de vivant que l’union avec Dieu et que toute autre affection s’évanouit en
devenant uniquement charité surnaturelle : pour les parents, les amis, les supérieurs, les inférieurs.
Ils trouvent ce divin mélange ceux qui sont consacré à Dieu au milieu du monde, qui ne les
comprend ni les aime, désert aussi pour ceux-là où ils vivent comme s’ils étaient seuls tant ils sont
incompris et ridiculisés à cause de l’amour qu’ils me portent.
Elles le trouvent, mes chères ‘victimes’ parce que Marie est la première qui fut victime pour
l’amour de Jésus et celles qui la suivent. Elle donne de sa main de Mère et de Médecin ses larmes
qui fortifient et enivrent pour un plus grand sacrifice. Larmes saintes de ma Mère !
Marie prie. Elle ne se refuse pas à la prière parce que Dieu lui donne une souffrance. Gardez-en le
souvenir. Elle prie avec Jésus. Elle prie le Père, le Nôtre et le Vôtre.
Le premier ‘Pater noster’ a été dit dans le jardin de Nazareth,
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pour consoler la peine de Marie, pour offrir nos volontés à l’Eternel au moment où commençait
pour ces volontés la période d’un renoncement toujours croissant qui eut son sommet pour moi dans
le renoncement à la vie et pour Marie dans la mort d’un fils.
Nous n’avions rien à nous faire pardonner par le Père, cependant, nous les ‘Sans Faute’ nous
avons demandé le pardon du Père pour être pardonnés, absous ne fut-ce que d’un soupir à
l’encontre de la dignité de notre mission. Pour vous apprendre que plus on est en grâce avec Dieu et
plus la mission est bénie et fructueuse. Pour vous enseigner le respect de Dieu et l’humilité. En
présence du Dieu Père, même nos deux perfections d’Homme et de Femme se sont senties comme
un néant et ont demandé pardon comme elles ont demandé le ‘pain quotidien’.
Quel était notre pain ? Oh ! pas celui qui pétrissait les mains pures de Marie et cuit au petit four
pour lequel tant de fois j’avais lié des fagots et des bourrées. Celui-là aussi est nécessaire tant qu’on
est sur la terre. Mais ‘notre’ pain quotidien c’était d’accomplir jour après jour notre tâche de
mission. Que Dieu nous le donne chaque jour parce que l’accomplissement de la mission que dieu
nous donne est la joie de notre journée, n’est-ce pas, petit Jean ? Ne dis-tu pas toi aussi, qu’il te
parait vide le jour, qu’il te parait inexistant, si la bonté du seigneur te laisse un jour sans ta mission
de souffrance ?
Marie prie avec Jésus. C’est Jésus qui vous justifie, fils. C’est Moi qui rends acceptables et
profitables vos prières auprès du Père. Je l’ai dit : ‘Tout ce que vous demanderez au Père en mon
nom, Il vous l’accordera’, et l’Eglise valorise ses prières en disant : ‘Par Jésus Christ notre
Seigneur’.
Quand vous priez, unissez-vous toujours, toujours, toujours à Moi. Je prierai à haute voix pour
vous, couvrant votre voix d’hommes avec ma voix d’Homme-Dieu. Je mettrai votre prière sur mes
mains transpercées et l’élèverai vers le Père. Elle deviendra hostie d’un prix infini. Ma voix fondue
avec la vôtre montera comme un baiser filial vers le Père et la pourpre de mes blessures rendra
précieuse votre prière. Soyez en Moi, si vous voulez avoir le Père en vous, avec vous, pour vous.
Tu as fini le récit en disant : ‘Et pour nous …’ et tu as voulu dire : ‘pour nous qui sommes si
ingrats à l’égard des Dieux qui ont gravi le Calvaire pour nous’. Tu as bien fait de mettre ces mots.
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Mets-le chaque fois que je ferai voir une de nos souffrances. Qu’ils soient comme la cloche qui
sonne et qui appelle à la méditation et au repentir.
C’est assez, pour l’heure. Repose-toi. La paix soit avec toi. »

3. BAPTEME DE JESUS AU JOURDAIN

Paroles de Jésus :
« Ce que tu as écrit le 30 janvier pourrait donner occasion à ceux qui doutent, d’avancer leurs
‘mais’ et leurs ‘si’. C’est Moi qui va répondre à ta place. Tu as écrit : ‘… quand je vois ainsi, mes
forces physiques et particulièrement cardiaques subissent une grande dispersion’. Il y aura
certainement des ‘docteurs de l’impossible’ qui diront : ‘C’est la preuve que ce que lui arrive est
humain, parce que le surnaturel procure toujours force et jamais faiblesse.’ Qu’ils m’expliquent
alors pourquoi les grands extatiques, après une extase au cours de laquelle ils ont dépassé les
possibilités humaines en supprimant la douleur, le poids de la matière conséquences des blessures
internes et d’importantes hémorragies, jouissant d’une félicité qui les fait paraître beaux, même
physiquement restent, dès que l’extase cesse, évanouis par terre, de façon à faire penser que leur
âme s’est séparée d’eux. Qu’ils m’expliquent aussi pourquoi après quelques heures de la plus atroce
agonie qui répète la mienne, telle que celle de ma servante Thérèse, telles furent les agonies da ma
sainte Gemma et beaucoup d’autres âmes que mon et leur amour a rendu dignes de vivre ma
Passion ces personnes reprennent ou reprenaient une force et un équilibre physique que les
personnes les plus saines ne possèdent pas.
Je suis le maître de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie. J’use de mes serviteurs à mon
gré, comme d’un joli fil qui serait entre mes mains. Le miracle en toi, un des miracles réside en
ceci. Dans l’état physique où te trouves, état qui se prolonge miraculeusement, c’est que tu puisses
arriver à cette béatitude sans en mourir, éprouvant ces transports alors que tu te trouves dans un état
de prostration qui pour d’autres empêcherait même les pensées le plus rudimentaires. Le miracle
réside dans cette vitalité qui reflue en toi en ces heures comme elle a reflué dans les heures où tu as
écrit mes dictées ou celles d’autres Esprit qui t’apportent leur céleste parole. Le miracle réside dans
cette réacquisition subite de la force, après que la joie a consumé en toi ce reste de vitalité qui te
reste pour écrire. Mais cette vitalité c’est Moi qui te la transfuse. C’est comme du sang qui de Moi
passe en tes veines épuisées, comme un flot qui se déverse sur une rive et l’arrose. La rive reste
arrosée tant que le flot la baigne puis de nouveau reste aride jusqu’à un nouveau flot. C’est comme
une opération qui te vide de mon Sang jusqu’à une nouvelle transfusion.
Toi, pour ton compte, tu n’es qu’un rien. Tu es un pauvre être en agonie, qui travailles parce que
je le veux, pour ce que j’ai en vue. Tu es une pauvre
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créature qui ne vaut que par ton amour. Tu n’as pas d’autres mérites. Amour et désir d’être pour
d’autres, cause d’amour pour ton dieu. C’est cela qui justifie ton être et ma bienveillance de te
conserver en vie alors que, humainement parlent, depuis longtemps ton être aurait dû se désagréger
dans la mort. Le sentiment d’être redevenue un ‘loque’, comme tu le dis, lorsque j’ai cessé de te
porter avec moi dans les champs de la contemplation et de te parler est pour toi et pour les autres la
preuve que tout ce qui arrive, arrive par mon unique vouloir. Si quelqu’un pense humainement
qu’avec le même vouloir et le même amour et ma bienveillance, je réponds que j’ai toujours
conservé la vie à mes serviteurs, tant que j’ai jugé que leur mission devait continuer, mais je ne leur
ai jamais procuré une vie humainement heureuse parce que mes missions se réalisent dans et par la
souffrance et que d’autre part mes serviteurs n’ont qu’un désir semblable au mien : souffrir pour
racheter. Il ne faut donc pas parler de ‘dispersion de forces’, mais dire : ‘Après que la bonté de
Jésus fait disparaître mon état d’infirmité pour ses intentions et pour me joie, je reviens à ce que sa
bonté m’a accordé d’être : crucifiée par son amour et pour son amour ».
Et maintenant vas de l’avant avec une obéissance pleine d’amour. »
A la même date le 3-2-1944, au soir :

Je vois une plaine inhabitée et sans végétation. Il n’y a pas de champs cultivés, quelques rares
plantes formant çà et là des touffes, comme des familles de végétaux là où le sol a un peu de
profondeur et se trouve moins aride. Remarquez que ce terrain aride et inculte est à ma droite alors
que le Nord se trouve derrière moi, et se prolonge pour moi dans la direction du Sud.
A gauche, en revanche, je vois un fleuve aux berges plutôt basses qui coule lentement lui aussi du
Nord au sud. D’après le mouvement très lente de l’eau, je comprends que son lit n’a pas une pente
très forte et que ce fleuve coule dans une sorte de dépression de la plaine. Le courant est à peine
suffisant pour empêcher la stagnation de l’eau et la formation d’un marécage. L’eau n’a pas de
profondeur ; c’est un point où l’on aperçoit le fond. J’estime qu’il n’y a pas plus d’un mètre de
profondeur, un mètre et demi au maximum. Large comme l’Arno vers S. Miniato-Empoli: je dirais
vingt mètres. Mais je n’ai pas trop le coup d’œil et mes estimations sont approximatives. Pourtant
l’eau est d’un azur légèrement vert à proximité des berges où l’humidité du sol entretient une bande
verte touffue qui réjouit l’œil fatigué de cette morne étendue de pierres et de sable qui s’étend
indéfiniment en avant.
Cette voix intérieure dont je vous ai expliqué que j’entends m’expliquer ce que je dois remarquer
et savoir, m’avertit que je
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vois la vallée du Jourdain. Je l’appelle vallée, parce que c’est l’appellation habituelle de la place où
coule un fleuve, mais ici, il me parait inexact de lui donner ce nom parce que une vallée suppose
des collines et dans le voisinage je n’en vois pas trace. En résumé, je me trouve près du Jourdain, et
l’espace désolé que j’aperçois sur ma droite est le désert de Juda.
Si parler de désert est juste pour désigner ce lieu inhabité et sans trace du travail de l’homme, il
convient moins à l’idée que nous nous faisons du désert. Ici, pas de dunes du désert comme nous le
concevons, mais seulement une terre dénudée parsemée de pierres et de débris, comme sont les
terrains d’alluvion après une crue.
Dans le lointain, des collines. Et puis, près du Jourdain une grande paix, une ambiance spéciale
qui dépasse celle d’un paysage ordinaire, quelque chose qui rappelle ce qu’on ressent sur les bord
du lac trasimène. C’est un lieu qui évoque des vois angéliques et des voix célestes. Je ne sais pas
bien exprimer ce que j’éprouve, mais j’ai le sentiment de me trouver dans un lieu qui parle à
l’esprit.
Pendant ses observations, je vois la scène envahie par les gens le long –par rapport à moi- de la
rive droite du Jourdain. Il y a beaucoup d’hommes et une grande variété d’habillements. Quelques
uns semblent de gens du peuple, d’autres des riches, il y en a assez, plusieurs paraissent des
pharisiens, avec leurs vêtements ornés de franges et de galons.
Au milieu, debout sur un rocher un homme que je reconnais du premier coup pour le baptiste bien
que ce soit la première fois que je le vois. Il parle à la foule et je vous assure que sa prédication
manque plutôt de douceur. Jésus a appelé Jacques et Jean ‘les fils du tonnerre’. Mais alors quel nom
donner à ce fougueux orateur ? On pourrait pour Jean Baptiste parler de coup de foudre,
d’avalanche, de tremblement de terre, tant il est impétueux et sévère dans son discours et ses gestes.
Il parle de la venue du Messie et exhorte les auditeurs à préparer leurs cœurs en les débarrassant
de ce qui les encombre et en redressant leurs pensées. Mais c’est un parler frénétique et rude. Le
Précurseur n’a pas la main légère de Jésus pour soigner les blessures des cœurs. C’est un médecin
qui les met à nu, fouille et taille sans pitié.
Pendant que je l’écoute –je ne rapporte pas ses paroles, parce
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que ce sont celles des Evangélistes mais qu dévalent en un discours torrentiel- je vois s’avancer le
long d’un sentier le long de la courbure herbeuse et ombragée qui côtoie le Jourdain, mon Jésus. Ce
chemin de campagne, plutôt sentier que chemin, semble dessiné par les caravanes et les voyageurs
qui pendant des années et des siècles l’ont parcouru pour arriver à un point où le fond du lit se
relève et permet de passer à gué. Le sentier continue sur l’autre rive du fleuve et se perd dans la
verdure de l’autre berge.
Jésus est seul. Il marche lentement et en avançant Il arrive derrière jean. Il avance sans bruit, tout
en écoutant la voix tonnante du Pénitent du désert, comme si Jésus était aussi une des nombreuses
personnes qui venaient vers Jean pour se faire baptiser et se préparer à la purification pour la venue
du messie. Rien ne distingue Jésus des autres gens. Il semble un homme du peuple pour son
vêtement, un seigneur pour la beauté des traits, mais aucun signe divin ne le distingue de la foule.
Cependant on dirait que Jean sent une particulière émanation spirituelle. Il se retourne et identifie
tout de suite la source de cette émanation. Il descend vivement du rocher qui lui servait de chaire et
s’en va d’une air dégagé vers Jésus qui est arrêté à quelques mètres d’un groupe et s’appuie au tronc
d’un arbre.
Jésus et Jean se fixent un moment. Jésus, avec son regard d’azur, si doux. Jean avec son œil
sévère, très noir, plein d’éclairs. Les deux, vus rapprochés sont l’antithèse l’un de l’autre. Tous les
deux grands –c’est leur unique ressemblance- ils sont différents pour tout le reste. Jésus blond, aux
longs cheveux peignés, au teint blanc ivoire, aux jeux d’azur, au vêtement simple, mais majestueux.
Jean hirsute aux cheveux noirs qui retombent à plat sur les épaules et taillés en escalier, avec une
barbe noire coupée à ras qui lui couvre presque tout le visage qui n’empêche pas de découvrir ses
joues creusées par le jeûne, des yeux noirs fiévreux, la peau bronzée par le soleil et les intempéries
et le poil épais qui la couvre, demi-nu avec son vêtement de peau de chameau retenu à la taille par
une ceinture de peau et qui couvre le torse, descendant à peine au dessous de ses flancs amaigris et
laissant à droite les côtes découvertes, les côtes sur lesquelles se trouve, unique tissu, la peau tannée
par l’air. En vis-à-vis, on dirait un sauvage et un ange.
Jean, après avoir fixé sur Lui son regard pénétrant, s’écrie : « Voici l’Agneau de Dieu. Comment
peut-il se faire que mon Seigneur
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vienne à moi ? »
Jésus répond tranquillement : « C’est pour accomplir le rite de pénitence. »
« Jamais, Seigneur. C’est moi qui dois venir à Toi pour être sanctifié, et c’est Toi qui viens vers
moi ? »
Et Jésus, en lui mettant une main sur la tête, parce que Jean s’était incliné devant Jésus, lui
répond : « Permets que tout se fasse comme je veux, pour que s’accomplisse toute justice et que ton
rite achemine les hommes vers un plus haut mystère et qu’il leur soit annoncé que la Victime est
dans ce monde. »
Jean l’observe avec un œil dont une larme adoucit le regard. Et le précède vers la rive. Jésus
enlève son manteau et sa tunique, gardant une sorte de caleçon court et descend dans l’eau où se
trouve déjà Jean. Jean le baptise en Lui versant sur la tête de l’eau du fleuve, avec une sorte de tasse
suspendue à sa ceinture et qui semble être une coquille ou une demie-calebasse séchée et vidée.
Jésus est proprement l’Agneau, l’Agneau dans la blancheur de s chair, la modestie de ses traits, la
douceur de son regard.
Pendant que Jésus remonte sur la rive e qu’après s’être vêtu il se recueille en prière,;Jean le
montre à la foule et témoigne de l’avoir reconnu au signe que l’Esprit de Dieu lui avait indiqué, et
qui désignait infailliblement le Rédempteur.
Mais je suis polarisé par le spectacle de Jésus qui prie et je ne vois plus que cette figure lumineuse
qui se détache sur le fond vert de la rive.

4. « JEAN N’AVAIT BESOIN D’AUCUN SIGNE »

Paroles de Jésus :
« Jean n’avait pas besoin de signe pour lui-même. Son esprit, présanctifié dès le sein de sa mère
était en possession de cette vue de l’intelligence surnaturelle qui aurait été le lot de tous les hommes
sans la faute d’Adam.
Si l’homme était resté en état de grâce, dans l’innocence et la fidélité à son Créateur, il aurait vu
Dieu à travers les apparences extérieures. On dit dans la Genèse que le Seigneur Dieu parlait
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Familièrement avec l’homme innocent et que l’homme ne s’évanouissait pas en entendant cette
voix et la discernait sans se tromper. Tel était le sort de l’homme : voir et comprendre Dieu, comme
un fils à l’égard de son père. Puis la faute est venue et l’homme n’a plus osé regarder Dieu, n’a pu
savoir découvrir et comprendre Dieu. Et il le sait de moins en moins.
Mais Jean, mon cousin, avait été purifié de la faute quand la Pleine de Grâce s’était penchée avec
amour pour embrasser celle qui autrefois stérile était devenue féconde, Elisabeth. Le bébé avait
sauté de joie dans son sein en sentant les écailles de la faute tomber de son âme comme une croûte
qui tombe d’une plaie au moment de la guérison. L’Esprit Saint qui avait fait de marie la Mère du
Sauveur, commença son œuvre de salut à travers Marie, Ciboire Vivant du Salut Incarné pour cet
enfant qui allait naître, destiné à m’être uni, non pas tant par le sang que par la mission qui fit de
nous comme les lèvres qui forment la parole. Jean c’était les lèvres et Moi la Parole. Lui le
Précurseur dans l’Evangile et sa destinée de martyr. Moi, Celui qui donne ma divine perfection à
l’Evangile inauguré par Jean et son martyre pour la défense de la Loi de Dieu.
Jean n’avait besoin d’aucun signe, mais pour l’épaisseur de l’esprit des autres, un signe était
nécessaire. Sur quoi Jean aurait-il fondé son affirmation sinon sur une preuve irrécusable que les
yeux des hommes lents à voir et les oreilles paresseuses auraient perçue ?
Moi, également, je n’avais pas besoin de baptême. Mais la Sagesse du Seigneur avait jugé que ce
devait être l’instant et la façon de le rencontrer. En faisant sortir Jean de sa grotte dans le désert et
Moi de ma maison il nous unit en ce moment pour ouvrir sur moi le Ciel et en faire descendre Soi-
Même, Colombe Divine, sur Celui qui aurait à baptiser les hommes avec cette Colombe et faire
descendre du Ciel l’annonce encore plus puissante de cette angélique pensée de mon Père : « Voici
mon Fils Bien Aimé, en qui je me suis complu ». C’est pour que les hommes n’eussent pas d’excuse
ou de doute pour savoir s’ils devraient me suivre ou non.
Les manifestations du Christ ont été nombreuses. La première, après la naissance fut celle des
mages, la seconde au Temple, la troisième sur les rives du Jourdain. Puis vinrent les autres
manifestations innombrables que je te ferai connaître, parce que mes
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miracles sont des manifestations de ma nature divine jusqu’aux derniers, de ma Résurrections et de
mon Ascension au ciel. Ma patrie fut comblée de mes manifestations. Comme des semences jetées
aux quatre points cardinaux, elles arrivèrent en toute couche et tout endroit de la vie : aux bergers,
aux puissants, aux savants, aux incrédules, aux pécheurs, aux prêtres, aux dominateurs, aux enfants,
aux soldats, aux Hébreux, aux Gentils.
Maintenant encore, elles se répètent, mais comme alors le monde ne les accepte pas ou plutôt il
n’accueille pas les miracles actuels et il oublie ceux du passé. Eh bien, je ne renonce pas. Je me
répète pour vous sauver, pour vous amener à la foi en moi.

Sais-tu, Marie, ce que tu fais ? Ce que je fais, plutôt, en te faisant voir l’Evangile ? C’est une
tentative plus forte pour amener les hommes vers Moi. Tu l’as désiré par tes prières ardentes. Je ne
me borne plus à la parole. Elle fatigue et les éloigne. C’est un péché, mais c’est ainsi. J’ai recours à
la vision, à la vision de mon Evangile et je l’explique pour la rendre plus claire et plus attrayante.
A toi, je donne le réconfort de la vision. A tous je donne le moyen de me désirer et de me
connaître. Et si encore elle ne sert pas et si comme de cruels enfants ils rejettent le don sans en
comprendre la valeur, à toi, le don restera et à eux ira mon indignation. Je pourrai, une fois encore,
faire l’antique reproche : ‘Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. Nous avons entonné
des lamentations et vous n’avez pas pleuré. »
Mais, n’importe. Laissons-les, les ‘incorvertissables’ accumuler sur leurs têtes des charbons
ardents et tournons-nous vers les brebis qui cherchent à connaître le Pasteur. Le Pasteur, c’est moi
et tu es la houlette qui me les amène. »

Comme vous voyez, je me suis hâtée de mettre ces détails qui à cause de leur petitesse m’avaient
échappé et que vous avez désiré avoir.
Puis, aujourd’hui, en lisant le fascicule je remarque une phrase de Jésus qui peut vous servir de
règle. Ce matin vous disiez que vous ne pourriez faire connaître les descriptions faites en mon style
personnel et moi qui ai une véritable phobie d’être connue, j’en étais bien contente. Mais ne vous
semble-t-il pas que cela soit contraire à ce que dit le maître dans la dernière dictée du fascicule ? »
« Plus tu seras attentive et précise (dans la description de ce que je vois) et plus important sera le
nombre de ceux qui viennent à Moi. » Ceci implique que les description doivent être connues.
Autrement, comment pourrait-il se faire que grâce à elles, nombre d’âmes vont vers Jésus ? Je vous
soumets ce point et puis faites ce qui vous parait préférable. Et même, humainement, je suis de votre
avis. Mais ici, nous ne sommes pas dans le domaine de l’humain et même l’humain des porte-voix
doit disparaître. Même dans la dictée d’aujourd’hui, Jésus dit : « … en te faisant voir l’Evangile, je
fais un essai plus fort pour m’attirer les hommes. Je ne me borne plus à la parole… J’ai recours à la
vision et je l’explique pour la rendre plus claire et plus attrayante. » Et alors ?
Cependant, puisque je suis un pauvre rien et que de moi-même, je me replie
21
tout de suite sur moi, je vous dis que votre remarque m’a troublée, et l’Envieux s’en réjouit,
troublée au point de me faire penser de ne plus écrire ce que je vois, mais uniquement les dictées. Il
me souffle au cœur : « Ne le vois-tu pas ? Elles ne servent absolument à rien tes fameuses visions !
Uniquement à te faire passer pour une folle. Comme tu l’es, en vérité. Qu’est ce que tu voies ? Les
larves de ton cerveau troublé. Il faut bien autre chose pour mériter de voir le Ciel ! » Et toute la
journée, il me tient sous le jet corrosif de sa tentation. Je vous assure que je n’ai pas autant souffert
de ma grande douleur physique ce que j’ai souffert de cela. Il veut m’amener à désespérer. Mon
Vendredi est toujours un vendredi te tentations spirituelles. Je pense à Jésus au désert, à Jésus à
Gethsémani.
Mais je ne m’avoue pas vaincue pour ne pas le faire rire, ce démon astucieux et en luttant contre
lui et contre ce qu’il y a en moi de moins spirituel, je vous écris ma joie d’aujourd’hui, vous
assurant en même temps, que pour mon compte je serais bien aise si Jésus m’enlevait de don de
vision qui est ma plus haute joie. Pourvu qu’Il me conserve son amour et sa miséricorde.
5. JÉSUS TENTÉ PAR LE DIABLE AU DÉSERT

Je vois la solitude pierreuse déjà vue à ma gauche dans la vision du Baptême de Jésus au Jourdain.
Cependant, je dois y avoir pénétré profondément, parce que, en fait, je ne vois plus le beau fleuve
aux eaux lentes et azurées ni la veine verte qui le côtoie sur les deux rives, alimentée par cette artère
aquatique. Ici, rien que la solitude, des pierres, une terre brûlée, réduite à l’état da poussière jaunâtre
qu’à chaque instant le vent soulève en petits tourbillons. On dirait le souffle d’une bouche fiévreuse
tant ils sont secs et brûlants, torturants aussi pour la poussière qu’ils entraînent avec eux dans le nez
et la gorge. Cà et là, très rares, des petits buissons épineux dont on ne sait comment ils peuvent
résister dans cette désolation. On dirait quelques rares touffes de cheveux sur le crâne d’un homme
chauve. Au-dessus, un ciel impitoyablement azuré; en bas le sol aride, autour, des rochers et le
silence. C’est tout ce que je vois comme nature.
Un énorme rocher forme un embryon de grotte. Assis sur une roche traînée à l’intérieur, Jésus se
tient adossé à la paroi. Il s’y repose du soleil brûlant. Celui qui m’avertit intérieurement m’indique
que cette roche sur laquelle il est assis lui set aussi d’agenouilloir et d’oreiller quand il prend
quelques heures de repos, enroulé dans son manteau. À la lueur des étoiles et dans l’air froid de la
nuit. De fait, là tout près, se trouve la besace que je lui ai vue prendre à son départ de nazareth.
C’est tout son avoir et comme elle est flasque, je comprends quelle est vide du peu de nourriture
qu’y avait mise Marie.
Jésus est très maigre et pâle. Il est assis avec les coudes appuyés sur les genoux et les avant-bras
portés en avant, les mains jointes avec les doigts entrelacés. Il médite. De temps à autre il lève son
regard et le promène alentour et regarde le soleil presque au zénith dans le ciel azuré. De temps en
temps et en particulier après avoir regardé les alentours et levé les yeux vers la lumière du soleil, il
ferme les yeux et s’appuie sur le rocher qui lui sert d’abri, comme pris de vertige.
Je vois apparaître l’horrible gueule de Satan. Il ne se présente pas sous la forme où nous nous le
représentons avec cornes, queue, etc. etc. On dirait un Bédouin enveloppé dans son habit et son
manteau qui semble un domino de mascarade. Sur la tête, le turban dont les pans lui descendent
jusqu'aux épaules pour les abriter, et sur les côtés du visage, de sorte que de ce dernier on ne voit
qu’un triangle étroit, très brun avec des lèvres minces et tordues, des yeux noirs et renfoncés, d’ou
sortent des éclairs magnétiques. Deux pupilles qui te pénètrent jusqu’au fond du coeur, et où on ne
lit rien, ou une seule parole: mystère. Le contraire de l’oeil de Jésus qui vous fascine lui aussi par
ses effluves magnétiques qui vous pénètrent jusqu’au coeur, mais où on lit aussi que dans son coeur
il n’y a que bonté et amour pour toi. L’oeil de Jésus est pour l’âme une caresse. L’oeil da Satan est
un double poignard qui vous perce et vous brûle.
Il s’approche de Jésus: “Tu es seul?”
Jésus le regarde sans répondre.
“Comment tu es arrivé ici? Tu t’es perdu?”
Jésus regarde le nouveau et se tait.
“Si j’avais de l’eau dans ma gourde, je t’en donnerais. Mais je n’en ai pas. Mon cheval est crevé
et je me dirige à pied vers le gué. Là je boirai et je trouverai quelqu’un qui me donne un pain. Je
connais la route. Viens avec moi, je te conduirai.”
Jésus ne lève plus les yeux.
“Tu ne réponds pas? Sais-tu que si tu restes ici tu vas mourir? Déjà le vent se lève. Il va y avoir la
tempête. Viens.”
Jésus serre les mains dans une muette prière.
“Ah!” C’est donc bien pour toi? Depuis le temps que je te cherche! Et maintenant, cela fait si
longtemps que je t’observe. Depuis le moment où tu as été baptisé. Tu t’appelles l’Eternel? Il est
bien loin. Maintenant tu es sur la terre et au milieu des hommes. Et chez les hommes, c’est moi qui
suis roi. Pourtant, tu me fais pitié et je veux t’aider parce que Tu es bon et que tu es venu te
sacrifier, pour rien. Les hommes te haïront à cause de ta bonté. Ils ne comprennent que or et
mangeaille et jouissance. Sacrifice, souffrance, obéissance sont pour eux des paroles mortes, plus
mortes que cette terre-ci et ses alentours. Ils sont plus arides encore que cette poussière. Il n’est que
le serpent pour se cacher ici en attendant de mordre et aussi le chacal pour te mettre en pièces.
Allons, viens. Ils ne méritent pas que l’on souffre pour eux. Je le connais mieux que toi.”
Satan s’est assis en face de Jésus. Il le fouille de son regard terrible, et sourit de sa bouche de
serpent. Jésus se tait toujours et prie mentalement.
“Tu te défies de moi. Tu as tort. Je suis la sagesse de la terre. Je puis te servir de maître pour
t’aider à triompher. Puis, quand on s’est imposé au monde et quand on l’a séduit, alors on le mène
où l’on veut. Mais d’abord, il faut être comme il leur plaît, comme eux, les séduire en leur faisant
croire que nous les admirons et que nous les suivons dans leurs pensées.
Tu es jeune et beau. Commence par la femme. C’est toujours par elle qu’on doit commencer: Je
me suis trompé en amenant la femme à la désobéissance. J’aurais dû la conseiller d’une autre
manière. J‘en aurai fait un meilleur instrument et j’aurai vaincu Dieu. J’ai été trop pressé. Mais Toi!
Je t’enseigne car il y a eu un jour où je t’ai regardé avec une Joie angélique et un reste de cet amour
est demeuré en moi. Mais Toi, écoute-moi et profite de mon expérience. Donne –toi une compagne.
Où Toi, tu ne réussiras pas, elle réussira. Tu es le nouvel Adam: Tu dois avoir ton Eve.
Et puis, comment peux-tu comprendre et guérir les maladies des sens, si tu ne sais pas ce que
c’est. Ne sais-tu pas que la femme est le noyau d’où naît la plante de la passion et de l’orgueil?
Pourquoi l’homme veut-il régner? Pourquoi veut-il être riche, puissant? Pour posséder la femme.
Elle est comme l’alouette. Elle a besoin d’un scintillement qui l’attire. L’or et la domination sont les
deux faces du miroir qui attire les femmes et la cause des maux du monde. Regarde: derrière mille
et mille délits d’apparences diverses il y en a neuf cents, au moins, qui ont leur racine dans la faim
de la possession de la femme où dans la volonté d’une femme brûlée d’un désir que l’homme ne
satisfait pas encore ou ne satisfait plus. Va vers la femme si tu veux savoir ce qu’est la vie et après,
seulement tu sauras soigner et guérir les maux de l’humanité.
Elle est belle, tu sais, la femme! Il n’est rien de plus beau au monde. L’homme possède la pensée
et la force. Mais la femme! Sa pensée est un parfum, son contact est caresse de fleurs. Sa grâce est
un vin enivrant, sa faiblesse est comme un écheveau de soie ou les boucles frisées d’un bébé entre
les mains de l’homme. Sa caresse est une force qui se communique à la nôtre et l’enflamme. La
souffrance disparaît, et la fatigue, et les soucis quand il se pose auprès d’une femme. Elle est entre
nos bras comme un bouquet de fleurs.
Mais, imbécile que je suis! Tu as faim et je te parle de femme. Ta vigueur est épuisée. Pour cette
raison, ce parfume de la terre, cette fleur de la création, ce fruit qui donne et suscite l’amour, te
paraît sans valeur. Mais regarde ces pierres, comme elles sont rondes et polies, dorées sous les
rayons du soleil couchant: Ne dirait-on pas des pains? Toi, Fils de Dieu, Tu n’as que à dire: ‘Je le
veux’, pour qu’elles deviennent un pain odorant, comme celui qu’à cette heure les ménagères tirent
du four pour le repas de la famille. Et ces acacias si arides, si Tu le veux, ne peuvent-ils pas se
couvrir de fruits délicieux, de dattes sucrées comme le miel? Rassasie-toi, Fils de Dieu. Tu es le
Maître de la terre. Elle se penche pour se mettre à tes pieds et apaiser ta faim.
Tu vois comme tu pâlis et chancelles, rien qu’entendre parler de pain. Pauvre Jésus! Es-tu affaibli
au point de ne plus pouvoir commander au miracle? Veux-tu que je le fasse pour Toi? Je ne suis pas
à ton niveau, mais je puis faire quelque chose. Je me priverai pendant un an de ma force, et la
rassemblerai toute, mais je veux te servir parce que Tu es bon et que je me souviens toujours que Tu
es mon Dieu, même si maintenant j’ai démérité de te donner ce nom. Aide-moi de ta prière pour que
je puisse…”
“Tais-toi. ‘Ce n’est pas seulement de pain que vit l’homme, mais de toute parole qui vient de
Dieu’.”
Le démon a un sursaut de rage. Il grince des dents et serre les poings, mais il se maîtrise et ses
dents se desserrent pour ébaucher un sourire.
“Je comprends. Tu es au-dessus des nécessités de la terre et cela te dégoûte de te servir de moi. Je
l’ai mérité. Mais, viens alors et vois ce qui se passe dans la maison de Dieu. Vois comme les prêtres
aussi ne se refusent pas à composer entre l’esprit et la chair, parce que, enfin ce sont des hommes et
pas des anges. Accomplis un miracle spirituel. Je te porte sur le pinacle du Temple et là-haut, Tu te
transfigures en une merveilleuse beauté. Ensuite, appelle les cohortes angéliques et dis leur de te
faire descendre de leurs ailes entrelacées une estrade pour tes pieds et de te faire descendre ainsi
dans la cour principale. Qu’ils te voient et se rappellent qu’il y a un Dieu. De temps à autre, ces
manifestations sont nécessaires parce que l’homme a une mémoire si courte spécialement pour ce
qui est spirituel. Tu sais comme les anges seront heureux de te donner où poser ton pied et une
échelle pour que tu descendes!”
“ ‘Ne mets pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu’ a-t-il été dit.”
“Tu comprends que même ton apparition ne changerait pas les choses et que le Temple
continuerait d’être marché et corruption. Ta divine sagesse le sait, que les coeurs des ministres du
Temple sont un nid de vipères qui s’entre dévorent pour arriver au pouvoir. Il n’y a pour les
dompter que la puissance humaine.”
Alors, viens. Adore-moi. Je te donnerai la terre. Alexandre, Cyrus, Caesar, tous les plus grands
conquérants du passé, ou encore vivants, seront semblables à de vulgaires chefs de caravanes par
rapport à Toi qui auras tous les royaumes de la terre sous ton sceptre et avec les royaumes, toutes
les richesses, toutes les splendeurs de la terre, et femmes, et chevaux et soldats et temples. Tu
pourras élever partout ton Signe quand Tu seras le Roi des Rois et le Seigneur du monde. Alors Tu
seras obéi et respecté par le peuple et les sacerdoces. Toutes les castes t’honoreront et Te serviront
parce que Tu seras le Puissant, l’Unique, le Seigneur.
Adore- moi un seul instant! Enlève-moi la soif que j’ai d’être adoré! C’est elle qui m’a perdu.
Mais elle est restée en moi et me brûle. Les flammes de l’enfer sont fraîcheur de l’air au matin, en
comparaison de cette ardeur qui me brûle au dedans. C’est mon enfer, cette soif. Un instant, un seul
instant, ô Christ! Toi qui es bon! Un instant de joie pour l’Eternel Torturé! Fais-moi éprouver ce
que veut dire être Dieu et je te serai dévoué, obéissant comme un esclave pour toute la vie, pour
toutes les entreprises. Un instant! Un seul instant, et je ne te tourmenterai plus!” Et Satan se mette à
genoux, suppliant.
Jésus s’est mis debout, au contraire. Plus amaigri après ces jours de jeûne, il semble encore plus
grand. Son visage est terrible de sévérité et de puissance. Ses yeux sont deux saphirs qui jettent des
flammes. Sa voix est un tonnerre qui se répercute dans la cavité du rocher et se répand sur les
roches et la terre désolée, quand il dit: “Va-t-en Satan. Il est écrit: ‘Tu adoreras le Seigneur ton Dieu
et serviras Lui seul’.”
Satan avec un cri déchirant de damné et de haine inexprimable, saute debout, terrible à voir dans
sa fureur, dans sa personnalité toute fumante. Et puis il disparaît avec un nouveau hurlement de
malédiction.
Jésus s’assied, fatigué, en appuyant sa tête en arrière contre le rocher. Il paraît à bout. Il sue. Mais
des êtres angéliques viennent de leurs ailes renouveler l’air dans la chaleur étouffante de la grotte, la
purifiant et la rafraîchissant. Jésus ouvre les yeux et sourit. Je ne le vois pas manger. On dirait qu’il
se nourrit du parfum du Paradis et en sort revigoré.
Le soleil disparaît au couchant. Jésus prend la besace vide et, accompagné par les anges qui volant
au-dessus de Lui font une douce lumière, pendant que la nuit tombe très rapidement, il se dirige
vers l’Est ou plutôt vers le Nord-Est. Il a repris son expression habituelle, sa démarche assurée. Il
lui reste seulement comme souvenir de son jeûne prolongé un aspect plus ascétique avec son visage
amaigri et pâle et ses yeux ravis dans une joie qui n’est pas de cette terre.

gSATAN SE PRÉSENTE TOUJOURS AVEC UN EXTÉRIEUR BIENVEILLANT”

Paroles de Jésus:
“ Hier, tu n’avais pas la force que te donne ma volonté et tu n’étais en conséquence qu’un être à
moitié vivant. Je t’ai fait reposer tes membres et je t’ai fait faire l’unique jeûne qui te pèse: celui de
ma parole. Pauvre Marie! Tu as fait le mercredi des Cendres. En tout tu as senti le goût de la cendre,
parce que tu étais sans ton Maître. Je ne manifestais pas ma présence, mais j’étais là.
Ce matin, puisque l’angoisse es réciproque, je t’ai murmuré dans ton demi-sommeil: ‘Agneau de
Dieu qui portes les péchés du monde, donne-nous la paix’. Je te l’ai fait répéter plusieurs fois et je
te l’ai répété en même temps. Tu as cru que j’aurais parlé de ce sujet. Non. C’était d’abord le sujet
que j t’ai montré et que je t’expliquerai, ensuite, ce soir je t’expliquerai cet autre.

Satan, tu l’as vu, se présente toujours avec un extérieur sympathique, sous un aspect ordinaire. Si
les âmes sont attentives et surtout en contact spirituel avec Dieu, elles se rendent compte de cette
observation qui les rend circonspectes et promptes pour combattre les embûches du démon. Mais si
les âmes sont inattentives au divin, séparées de lui par des tendances charnelles qui les envahissent
et les rendent sourdes n’utilisant pas le secours de la prière qui les unit à Dieu et fait couler sa force
comme par un canal dams le coeur de l’homme, alors elles s’aperçoivent difficilement du piège
dissimulé sous une apparence inoffensive et y tombent. S’en dégager après cela est très difficile.
Les deux chemins que prend plus communément Satan pur arriver aux âmes sont l’attrait
charnel et la gourmandise. Il commence toujours par le côté matériel de la nature. Après l’avoir
démantelé et asservi, il dirige l’attaque vers la partie supérieure.
D’abord le côté moral: la pensée avec son orgueil et ses convoitises; puis l’esprit,en lui enlevant
non seulement l’amour, mais aussi la crainte de Dieu. L’amour divin n’existe déjà plus quand
l’homme l’a remplacé par d’autres amours humains. C’est alors que l’homme s’abandonne corps et
âme à Satan pour arriver aux jouissances qu’il poursuit, pour s’y attacher toujours plus.
Comment je me suis comporté, tu l’as vu. Silence et prière. Silence. Car si Satan exerce son
entreprise de séduction et cherche à nous circonvenir, on doit le supporter sans sottes impatiences et
sans peur déprimante, mais réagir avec fermeté à sa présence et par la prière à ses séductions.
Inutile de discuter avec Satan. Lui serait victorieux car il est fort dans sa dialectique. Il n’y a que
Dieu pour le vaincre, et alors recourir à Dieu qui parle pour nous, à travers nous, montre à Satan ce
nom et ce Signe, non pas écrits sur un papier ou gravés sur le bois, mais inscrits et gravés dans le
coeur. Mon Nom, mon Signe. Répliquer à Satan uniquement quand il insinue qu’il est comme Dieu
en utilisant la parole de Dieu. Il ne la supporte pas.
Puis après la lutte, vient la victoire et les Anges servent le vainqueur et le protègent contre la
haine de Satan. Ils le réconfortent avec une rosée céleste, avec la Grâce qu’ils déversent à pleines
mains dans le coeur du fils fidèle, avec une bénédiction qui est une caresse pour l’esprit.
Il faut avoir la volonté de vaincre Satan, la foi en Dieu et en son aide, la foi dans la puissance de
la prière et la bonté du Seigneur. Alors Satan ne peut nous faire du mal.

7. LA RENCONTRE AVEC JEAN ET JACQUES

Je vois Jésus qui chemine le long de la bande verte en bordure du Jourdain. Il est revenu
sensiblement à l’endroit où je l’ai vu pour le Baptême, près du gué qui paraît être très connu et
fréquenté pour passer sur l’autre rive la Pérée. Mais l’endroit où il y avait des gens, en foule,
maintenant parait désert. Seul quelque voyageur, à pied, à cheval à âne le parcourt.
Jésus paraît ne leur prêter aucune attention. Il avance sur sa route en remontant vers le Nord
comme absorbé dans ses pensées. Quand il arrive à la hauteur du gué, il croise un groupe
d’hommes, d’âges variables qui discutent avec animation entre eux et se séparent, une partie allant
vers le Sud, l’autre remontant vers le Nord. Parmi ceux qui se dirigent vers le Nord, je vois qu’il y a
Jean et Jacques.
Jean, le premier, voit Jésus, le montre à son frère et à ses compagnons. Ils parlent un peu entre eux
et puis Jean se met à marcher rapidement pour rejoindre Jésus. Jacques le suit plus lentement en
discutant.
Quand Jean est près de Jésus, à sa hauteur, à peine à deux ou trois mètres de Lui, il crie :
« Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde ! »
Jésus se retourne et le regarde. Les deux sont à quelques pas l’un de l’autre. Ils s’observent. Jésus
avec son regard sérieux et pénétrant, jean avec son regard pur et rieur dans son charmant
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visage juvénile qui paraît celui d’une jeune fille. On lui donne, plus ou moins, vingt ans et sur ses
joues rosées, on ne remarque rien qu’un duvet blond qui parait un voile d’or.
« Qui cherches-tu » demande Jésus.
« Toi, Maître. »
« Comment sais-tu que je suis maître ? »
« C’est le baptiste qui me l’a dit. »
« Et alors pourquoi m’appelles-tu Agneau ? »
« Parce que je t’ai entendu nommer ainsi, un jour que tu passais, il y a plus d’un mois. »
« Que veux-tu de Moi ? »
« Que tu nous dises les paroles de vie éternelle et que tu nous consoles. »
« Mais qui es-tu ? »
« Je suis Jean, de Zébédée et celui-ci, c’est mon frère Jacques. Nous sommes de Galilée, nous
sommes pêcheurs et nous sommes aussi disciples de Jean. Lui nous disait des paroles de vie et nous
l’écoutions, car nous voulons suivre Dieu, et par la pénitence mériter son pardon en préparant les
chemins du cœur à la venue du Messie. C’est Toi. Jean l’a dit, car il a vu le signe de la Colombe se
poser sur Toi, et nous a dit : ‘Voici l’Agneau de Dieu’. Moi, je te dis : Agneau de Dieu, qui enlèves
les péchés du monde, donne-nous la paix, parce que nous n’avons plus de guide, et notre âme est
troublée »
« Où est Jean ? »
« Hérode l’a fait arrêter. Il est en prison à Machéronte. Ses plus fidèles parmi nous ont essayé de
le délivrer, mais impossible. Nous revenons de là. Laissez-nous venir avec Toi, maître. Montre-nous
où tu habites. »
« Venez, mais savez-vous ce que vous cherchez ? Qui me suit devra tout abandonner : maison,
parents, façon de penser, et même la vie. Je vous ferai mes disciples et mes amis si vous le voulez.
Mais Moi, je n’ai ni richesses ni protections. Je suis et le serai davantage pauvre au point de ne pas
avoir où reposer ma tête et persécuté plus qu’une brebis perdue n’est poursuivie par les loups. Ma
doctrine est encore plus sévère que celle de Jean, car elle interdit le ressentiment. Elle ne concerne
pas tant l’extérieur que l’esprit. Vous devrez renaître si vous voulez être miens. Le voulez-vous ? »
« Oui, Maître. Toi seul as les paroles qui nous donnent la lu-
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mière. Elles descendent, et où étaient les ténèbres de la désolation par l’absence de guide, elles
apportent la clarté du soleil. »
« Venez donc et marchons. Le long du chemin je vous instruirai. »

8. « J’AI AIMÉ JEAN POUR SA PURETÉ »

Paroles de Jésus :
« Le groupe qui m’avait rencontré était nombreux, mais un seul me reconnut. Celui qui avait
l’âme, la pensée et la chair pures de toute luxure.
J’insiste sur la valeur de la pureté. La chasteté est toujours source de lucidité pour la pensée. La
virginité affine et puis maintient la sensibilité de l’intelligence et des affections à un degré de
perfection que seul celui qui est vierge expérimente.
Vierge, on l’est de différentes manières. Forcément et ceci spécialement pour les femmes, quand
personne ne vous a choisi en vue du mariage. Cela devrait être pour les hommes aussi, mais cela ne
l’est pas. Et cela est mal parce que d’une jeunesse prématurément souillée par la passion ne pourra
venir qu’un chef de famille malade dans ses sentiments et souvent dans sa chair.
Il y a la virginité voulue, celle des âmes consacrées au Seigneur dans un élan de fidélité. Belle
virginité ! Sacrifice agréable à Dieu ! Mais tous ne savent pas garder cette blancheur du lys qui reste
droit sur sa tige tourné vers le ciel, ignorant la boue de la terre, ouvert seulement aux baisers du
soleil de dieu et des ses rosées.
Il y en a tant qui ne gardent qu’une fidélité matérielle, mais sont infidèles par leur pensée qui
regrette et désire ce qu’elle a sacrifié. Ceux-là ne sont vierges qu’à moitié. Si la chair est intacte, le
cœur ne l’est pas. Il fermente, ce cœur, il bouillonne ; il émet des fumées sensuelles d’autant plus
raffinées et condamnables qu’elles sont des créations de la pensée qui caresse, plait et fait fourmiller
les imaginations d’assouvissement illicites pour ceux qui sont libres et plus qu’illicites pour ceux
qui ont fait un voue.
C’est alors l’hypocrisie du vœu. Il y a l’apparence mais il manque la réalité. En vérité je vous dis
que si quelqu’un vient à moi avec un lys abîmé par la volonté d’un brutal et qu’un autre vient
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avec un lys intact matériellement mais souillé par le débordement d’une sensualité caressée et
cultivée pour en remplir les heures de solitude, le premier, je l’appelle ‘vierge’ et je dénie cette
qualité au second. Et, au premier je donne la double couronne de la virginité et du martyre à cause
de sa chair blessée et de son cœur couvert de plaies par une mutilation qu’il n’a pas voulue’.
La valeur de la pureté est telle que, comme tu l’as vu, Satan s’est préoccupé d’abord de m’amener
à l’impureté. Lui sait bien qu’une faute de sensualité démantèle l’âme et en fait une proie facile
pour les autres fautes. Le souci de Satan s’est appliqué à l’objectif principal pour me vaincre.
Le pain, la faim sont les formes matérielles pour symboliser l’appétit, les appétits, que Satan
exploite pour arriver à ses fins. Bien différente est la nourriture, qu’il m’offrait pour me faire
tomber, comme ivre, à ses pieds ! Après serait venue la gourmandise, l’argent, la puissance,
l’idolâtrie, le blasphème, l’abjuration de la Loi divine. Mais, le premier pas, pour me posséder,
c’était cela. C’est le même procédé qu’il utilisa pour blesser Adam.
Le monde se moque de ceux qui sont purs. Ceux qui sont souillés par l’impureté s’attaquent à
ceux qui sont purs. Jean Baptiste est une victime de la luxure de deux dépravés. Mais si le monde
possède encore un peu de lumière, il le doit à ceux qui restent purs au milieu du monde. Ils sont les
serviteurs de Dieu et savent comprendre Dieu et répéter les paroles de Dieu. Je l’ai dit :
‘Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car il verront Dieu’. Même sur la terre. Ceux dont les
fumées des sens ne troublent pas la pensée, ‘voient’ Dieu et l’entendent et le suivent et le montrent
aux autres.
Jean de Zébédée est un être pur. Il est ‘le Pur’ au milieu de mes disciples. Son âme est une fleur
dans un corps angélique. Lui m’appelle avec les paroles de son premier maître et me demande de lui
donner la paix. Mais la paix, il la possède en lui-même par la pureté de sa vie et je l’ai aimé à cause
de la pureté qui resplendit en lui. C’est à elle que j’ai confié mes enseignements, mes secrets, la
Créature qui m’était la plus chère.
Il a été mon premier disciple, il m’a aimé dès le premier instant qu’il m’a vu. Son âme s’était
fondue avec la mienne du jour où il m’avait vu passer le long du Jourdain et qu’il avait vu le
baptiste me montrer. Même s’il ne m’avait pas rencontré ensuite à mon
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retour du désert, il m’aurait cherché jusqu’à ce qu’il me trouve- En effet, celui qui est pur est
humble et désireux de s’instruire dans la science de dieu et il va, comme l’eau vers la mer, vers
ceux en qui il voit des maîtres de la doctrine céleste. »

Autres paroles de Jésus :


« Je n’ai pas voulu que tu parles de la tentation de sensualité de ton Jésus. Bien que ta voix
intérieure t’ait fait comprendre la tactique de Satan pour m’attirer vers les sens, j’ai préféré que ce
soit Moi qui en parle et de n’y plus penser. Il était nécessaire d’en parler, maintenant passons à autre
chose. La fleur de Satan, laisse-la sur ses sables. Viens à la suite de Jésus comme Jean. Tu
marcheras parmi les épines, mais tu trouveras, au lieu de roses les gouttes de sang de Celui qui les a
répandues pour toi, pour vaincre aussi en toi la chair.
Je réponds à l’avance à une observation. Jean dit dans son Evangile en parlant de la rencontre
avec Moi : ‘Et le jour suivant’. Il semble ainsi que le Baptiste m’ait désigné le jour qui suivait le
Baptême et que tout de suite Jean et Jacques m’aient suivi. Cela contredit ce qu’ont dit les autres
Evangélistes au sujet des quarante jours passés au désert. Mais prenez cette lecture : ‘(Après
l’arrestation de Jean) un jour, ensuite, les deux disciples de Jean Baptiste auxquels il m’avait
indiqué en disant : ‘Voici l’Agneau de Dieu’, en me revoyant, m’appelèrent et me suivirent ’ ; après
mon retour du désert.
Et ensemble, nous sommes retournés sur les rives du lac de Galilée où je m’étais réfugié pour
commencer à partir de là mon Evangélisation, et les deux parlèrent de moi aux autres pêcheurs. Ils
avaient fait tout la route avec moi et étaient restés une journée entière au foyer hospitalier d’un ami
de ma maison, de la parenté. Mais l’initiative de ces conversations vint de Jean de l’âme duquel la
volonté de pénitence avait fait, alors qu’elle était déjà si limpide à cause de sa pureté, un chef
d’œuvre de limpidité où la Vérité se réfléchissait avec netteté : il avait ainsi la sainte audace des
purs et des généreux qui ne craignaient pas de se mettre en avant quand ils voient qu’il s’agit de
Dieu, de la vérité, de l’enseignement et des voies de Dieu. Combien je l’ai aimé pour ce caractère
personnel fait de simplicité et d’héroïsme ! »

9. JEAN ET JACQUES PARLENT A PIERRE DU MESSIE

Une aurore de sérénité parfaite sur la mer de Galilée. Ciel et eau ont des reflets roses peu
différents de ceux dont la douceur éclaire les murs des jardinets d’un petit village lacustre d’où
s’élèvent et se détachent en se penchant sur les ruelles des chevelures ébouriffées et vaporeuses
d’arbres à fruit.
Le petit pays se réveille à peine, avec une femme qui s’en va à la fontaine ou à un lavoir et des
pêcheurs qui chargent des paniers
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de poissons et discutent à haute voix avec des marchands venus d’ailleurs, ou qui portent des
paniers de poissons à leur domicile. J’ai dit un petit pays, mais il n’est pas tellement petit. Il est
plutôt humble, au moins du côté où je le vois, mais vaste, s’étirant en plus grande partie le long du
lac.
Jean débouche d’une ruelle et se hâte vers le lac. Jacques le suit déjà accostées mais ne trouve pas
celle qu’il cherche. Il l’aperçoit alors qu’elle est encore à quelques centaines de mètres de la rive,
occupée aux manœuvres d’accostage. Il lance très fort, avec les mains en porte-voix un : ‘Oh ! hé !’
prolongé qui doit être l’appel habituel. Et puis, quand il voit qu’on l’a entendu il fait avec les bras
de grands gestes qui signifient : « Venez, venez.»
Les hommes de la barque, s’imaginant je ne sais quoi, foncent à coups de rames, et la barque
avance plus rapidement qu’avec la voile, qu’ils amènent, peut-être pour faire plus vite. Quand ils
sont à une dizaine de mètres du rivage, jean n’attend plus. Il enlève son manteau et son long
vêtement et les jette sur la grève. Il quitte ses sandales, il lève son vêtement de dessous en le
ramenant d’une main jusqu’à l’aine et descend dans l’eau, à la rencontre de ceux qui arrivent.
« Pourquoi n’êtes-vous pas venus tous deux ? » demande André. Pierre, boudeur, ne dit rien.
« Et toi, pourquoi n’es pas venu avec moi et Jacques » répond Jean à André.
« Je suis allé pécher. Je n’ai pas de temps à perdre. Tu as disparu avec cet homme… »
« Je t’avais fait signe de venir. C’est bien Lui. Si tu entendais ces paroles ! … Nous sommes
restés avec Lui toute la journée et jusque tard dans la nuit. Maintenant, nous sommes venus vous
dire : « Venez ».
« C’est bien Lui ? Tu en es certain ? Nous l’avons à peine vu alors, quand le Baptiste le
montra. »
« C’est Lui. Il ne l’a pas nié. »
« N’importe qui peut dire ce qui l’arrange pour s’imposer aux gens crédules. Ce n’est pas la
première fois… » bougonne Pierre mécontent.
« Oh ! Simon ! ne parle pas comme çà ! C’est le Messie ! Il sait tout ! Il t’entend ! » Jean est
affligé, consterné par les paroles de Simon Pierre.
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« Allons ! Le messie ! Et c’est justement à toi qu’il se montre et à jacques et à André ! Trois
pauvres ignorants ! Il viendra bien autrement le messie ! Et il m’entend ! mais viens, pauvre gosse !
Les premiers soleils printaniers t’ont donné sur la tête Allons, viens travailler ! Ça vaudra mieux.
Laisse-là tous ces boniments. »
« C’est le messie, je te le dis. Jean disait des choses saintes, mais celui-là parle de Dieu. Qui n’est
pas le christ ne peut dire de semblables paroles. »
« Simon, moi je ne suis pas un enfant. J’ai mon âge et je suis calme et réfléchi. Tu le sais. J’ai peu
parlé, mais j’ai beaucoup écouté pendant ces heures où nous sommes restés avec l’Agneau de Dieu.
Et je te dis que vraiment Il ne peut être que le Messie. Pourquoi ne pas croire ? Pourquoi ne pas
vouloir croire ? C’est possible pour toi parce que tu ne l’as pas entendu, mais moi je crois. Nous
sommes pauvres et ignorants ? Lui dit justement qu’il est venu annoncer la Bonne Nouvelle du
Royaume de Dieu, du Royaume de la paix, aux pauvres, aux humbles, aux petits avant d’en parler
aux grands. Il a dit : ‘Les grands ont déjà leurs jouissances. Elles ne sont pas enviables comparées à
celles que je viens apporter. Les grands ont déjà la possibilité d’arriver à comprendre par les
ressources de la culture. Mais, Moi je viens vers les petits ‘petits d’Israel’ et du monde, vers ceux
qui pleurent et espèrent, vers ceux qui cherchent la Lumière et ont faim de la vraie manne. Il ne leur
vient, des savants ni lumière ni nourriture, mais seulement fardeaux, obscurité, chaînes et mépris.
J’appelle ‘les petits’. Je suis venu retourner le monde. Car j’abaisserai ce qui maintenant est élevé et
j’élèverai ce qui maintenant est méprisé. Que celui qui veut la vérité et paix, qui veut la vie éternelle
vienne à moi. Qui aime la Lumière, qu’il vienne. Je suis la Lumière du monde’. N’est-ce pas
comme cela qu’Il a parlé, Jean ? » Jacques a parlé tranquillement, mais avec émotion.
« Oui. Et il a dit : ‘Le monde ne m’aimera pas. Le grand monde parce qu’il est corrompu par les
vices et les relations idolâtriques. Le monde ne voudra pas de Moi, car fils de Ténèbre il n’aime pas
la Lumière. Mais la terre n’est pas faite seulement du grand monde. Il y en a qui, bien que mêlés au
monde ne sont pas du monde. Il y en a qui sont du monde parce qu’ils sont emprisonnés comme les
poissons pris au filet’, c’est exactement ce qu’il a dit parce qu’il parlait sur la rive du lac et il
montrait des filets qu’on amenait à la rive avec leurs poissons. Il a dit aussi : ‘Aucun de
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ces poissons ne voudrait tomber dans le filet. Les hommes aussi ne voudraient pas, de propos
délibéré, être la proie de Mammon. Pas même les plus mauvais, car ceux-ci, à cause de l’orgueil qui
les aveugle ne croient pas qu’ils n’ont pas le droit de faire ce qu’ils font. Leur vrai péché, c’est
l’orgueil. De lui naissent tous les autres. Mais ceux, ensuite, qui ne sont pas complètement mauvais
voudraient encore moins appartenir à mammon. Mais ils y tombent par légèreté, par un poids qui les
entraîne au fond et qui est la faute d’Adam. Je suis venu enlever cette faute et donner en attendant
l’heure de la Rédemption, à qui croira en moi, une force capable de les libérer des lacets qui les
retiennent et de leur rendre la liberté de me suivre, moi, la Lumière du monde’. »
« Mais alors, s’il a exactement parlé ainsi, il faut aller à lui tout de suite. Pierre, avec ses
impulsions si franches et qui me plaisent tant, a pris une décision subite. Déjà il la réalise en se
pressant de terminer les opérations de débarquement, car, entre temps la barque est arrivée à la rive
et les garçons finissent de l’échouer en déchargeant les filets, les cordages et les voiles. « Et toi,
imbécile d’André, pourquoi n’es-tu pas allé avec eux ? »
« Mais,..Simon ! Tu m’as reproché de ne pas les avoir persuadés de venir avec moi.. Toute la nuit
tu as bougonné, et maintenant tu me reproches de n’y pas être allé ? ! … »
« Tu as raison… mais moi, je ne l’avais pas vu… toi, oui… et tu devais avoir vu qu’il n’est pas
comme nous … Il aura quelque chose de plus beau !... »
« Oh ! oui » dit Jean. « Il a un visage ! Et des yeux ! pas vrai, Jacques, quel regard !? Et une
voix !... Ah ! quel voix ! Quand il parle, il semble qu’on rêve au Paradis. »
« Vite, vite, allons le trouver. Vous (il parle aux manœuvres) portez tout à Zébédée et dites-lui
qu’il s’en débrouille. Nous reviendrons ce soir pour la pêche. »
Ils remettent tous, leurs habits, et s’en vont. Mais Pierre, après quelques mètres s’arrête, il prend
Jean par le bras et lui demande : « Tu as dit qu’il sait tout et se rend compte de tout… »
« Oui. Pense que quand nous avons vu la lune haute sur l’horizon nous avons dit : ‘Qui sait ce que
fait Simon ? ‘, Lui a dit : ‘Il est en train de jeter le filet et s’impatiente de devoir le faire seul car
vous n’êtes pas sortis avec la barque jumelle un soir où la pêche est si bonne…. Il ne sait pas que
d’ici peu il ne pêchera plus qu’avec des filets tout autres pour prendre de toutes autres proies’.
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« Miséricorde divine ! C’est tout à fait cela ! Alors, il se sera rendu compte aussi…, que je l’ai
presque traité de menteur … Je ne peux aller vers Lui. »
« Oh ! il est si bon. Il sait certainement que tu as eu cette pensée. Il le savait déjà. En effet, quand
nous l’avons quitté, en disant que nous allions te trouver, il a dit : ‘Allez, mais ne vous laissez pas
vaincre par les premières paroles de mépris. Qui veut venir avec moi doit savoir tenir tête aux
moqueries du monde et aux défenses des parents, car je suis au-dessus du sang et de la société et
j’en triompherai. Et qui est avec Moi, triomphera éternellement’. Et, il a dit encore : ‘Sachez parler
sans peur. En vous entendant, il viendra, car c’est un homme de bonne volonté.’. »
« C’est cela qu’il a dit ? Alors je viens. Parle, parle encore de Lui tout en marchant. Où est-il ? »
« Dans une pauvre maison. Ce doit être chez des amis. »
« Mais, il est pauvre ? »
« Un artisan de Nazareth, nous a-t-il dit. »
« Et de quoi vit-il maintenant, s’il ne travaille pas ? »
« Nous ne lui avons pas demandé. Peut-être les parents l’aident. »
« Il aurait mieux valu porter des poissons, du pain, des fruits…, quelque chose. Nous allons
interroger un rabbi car il est tout comme un rabbi, et plus encore, et nous venons les mains vides !...
Ce n’es pas ce qu’attendent nos rabbi…. »
« Mais Lui n’est pas de leur avis. Nous n’avions que vingt deniers entre jacques et moi. Mais Lui
n’en voulait pas, et comme nous insistions, il a dit : ‘Dieu vous le rende avec les bénédictions des
pauvres. Venez avec moi’ et tout de suite il les a distribués à des pauvres gens dont il connaissait le
domicile. Nous lui avons demandé : ‘Et pour Toi, Maître, tu ne gardes rien ? ‘ Il a répondu : ‘La
joie de faire la volonté de Dieu et d’être utile à sa gloire’. Nous avons encore ajouté : ‘Tu nous
appelles, Maître. Mais nous, nous sommes tout à fait pauvres. Que devons-nous apporter ? ‘.
Il nous a répondu avec un sourire qui nous fait vraiment goûter le paradis : ‘C’est un grand trésor
que je vous demande’ ; et nous : ‘ Mais, si nous n’avons rien ?’ ; et Lui : ‘Un trésor qui a sept noms,
et que même le plus humble peut avoir, et que le roi plus riche peut ne pas posséder, vous l’avez et
je le veux. Ecoutez-en les noms : charité, foi, bonne volonté, droiture d’intention, conscience,
sincérité, esprit de sacrifices. Cela, je le
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veux de celui qui me suit, cela seulement, et vous l’avez en vous. Il dort comme les semences, dans
le sillon, l’hiver, mais le soleil de mon printemps en fera naître les sept épis. C’est ainsi qu’Il a
parlé. »
« Ah ! cela me donne la certitude que c’est le vrai Rabbi, le Messie promis. Il n’est pas dur pour
les pauvres, il ne demande pas d’argent…. Cela suffit pour dire qu’il est le Saint de Dieu. Allons en
toute sécurité. »
Et tout se termine.
10. PREMIERE RENCONTRE DE PIERRE AVEC LE MESSIE

Avec l’âme accablée par trop de choses, je prie pour avoir une lumière. Et je tombe au chapitre
XII de l’Epitre aux Ebreux et réellement, elle refait les forces de mon esprit et me donne l’énergie
pour ‘écouter’ parce que sous la pression de tant de choses, j’en suis venue penser : ‘Je ne veux plus
rien faire. La vie commune, la vie commune à tout prix’. Mais ‘Celui qui parle’ je sais qui Il est, et
je vois qu’il me regarde avec deux yeux affectueux qui me sollicitent. Et je ne sais plus dire : ‘Je ne
veux pas.’
Vraiment Dieu est un feu qui dévore, même les tendances de notre humanité, quand elle se voit
abandonnée à Lui. A Celui qui me parle et me dit : ‘Moi, je ne te laisserai pas, je ne t’abandonne
pas’, je veux encore redire avec une pleine confiance : ‘Tu es mon secours, je ne crains pas
l’homme. Ne trompe pas, ô Dieu, mon espérance.’
A 14 h je vois ceci :

Jésus s’avance par un petit chemin, un sentier entre deux champs. Il est seul. Jean s’avance vers
Lui par une petite route à travers les champs et le rejoint finalement en passant par une brèche au
milieu de la haie.
Jean, dans la vision d’hier, comme dans celle d’aujourd’hui est tout à fait jeunet. Un visage rose et
imberbe d’homme à peine formé et blond par-dessus le marché. Aussi, pas trace de moustache ou
de barbe, mais seulement le teint rose des joues lisses et des lèvres rouges et la joyeuse lumière de
son beau sourire et de son regard pur, non pas tant pour la couleur de turquoise foncée de ses yeux
que pour la limpidité de l’âme vierge qui y transparaît. Ses cheveux, blonds châtains, longs et
soyeux ondoient à ce moment où il marche d’un pas rapide, presque au pas de course. Il crie, quand
il va passer la haie : « Maître ! »
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Jésus s’arrête et se retourne avec un sourire.
« Maître, je t’ai tant désiré ! On m’a dit, dans la maison où tu séjournes que tu étais parti vers la
campagne… mais pas plus. Et je craignais de ne pas te voir. » Jean parle, légèrement penché par
respect. Cependant il est plein d’une affectueuse confiance, dan son attitude et dans le regard que,
en restant la tête légèrement penchée sur l’épaule, il élève vers Jésus.
« J’ai vu que tu me cherchais et je suis venu vers toi. »
« Tu m’as vu ? Où étais-tu, maître ? »
« J’étais là » et Jésus lui indique un bosquet d’arbres éloignés qu’à cause de la couleur de leur
frondaison j’appellerais des oliviers. « J’étais là. Je priais et je pensais à ce que je dise ce soir à la
synagogue. Mais j’ai de suite tout interrompu quand je t’ai vu. »
«Mais comment, as-tu fait pour me voir, puisqu’à peine je distingue l’endroit, caché comme il est,
derrière cet escarpement ? »
« Et pourtant tu le vois’ Je suis venu à ta rencontre parce que je t’ai vu. Ce que ne peut faire l’œil,
l’amour le réalise. »
« Oui, l’amour le fait. Tu m’aimes donc, Maître ? »
« Et toi, tu m’aimes, Jean, fils de Zébédée ? »
« Tellement, Maître. Il me semble que je t’ai toujours aimé. Avant de te connaître, avant déjà,
mon âme te cherchait et quand je t’ai vu, elle m’a dit : ‘Voilà Celui que tu cherches’. A ma
rencontre avec Toi, c’était mon âme qui te reconnaissait, »
« Tu le dis, Jean et c’est exact. Moi aussi je suis venu à ta rencontre parce que mon âme t’a senti.
Combien de temps m’aimeras-tu ? »
« Toujours, Maître. Je ne veux plus aimer d’autres que toi. »
« Tu as père, mère, des frères, des sœurs, tu as la vie et, avec la vie, la femme et l’amour.
Comment feras-tu pour quitter tout pour Moi ? »
« Maître… je ne sais … il me semble, si ce n’est pas de l’orgueil de le dire, que ton amour de
prédilection me tiendra lieu de père et mère, de frères et sœur, et aussi de femme. De tout, oui, de
tout je resterai rassasié, si tu m’aimes. »
« Et le jour qu’il me faudra mourir… »
« Non ! Tu es jeune, Maître, … pourquoi mourir ? »
« Parce que le messie est venu prêcher la Loi dans sa vérité
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et pour accomplir la Rédemption. Et le monde sa horreur de la Loi et ne veut pas de rédemption.
C’est pour cela qu’il persécute les envoyés de Dieu. »
« Oh ! qu’il n’en soit ainsi ! Ne le dis pas à celui qui t’aime ce pronostic de mort ! … Mais si Tu
devais mourir, je t’aimerais encore, Toi. Permets-moi de t’aimer. » Jean a un regard suppliant. Plus
penché que jamais, il marche à côté de Jésus et semble lui mendier son amour.
Jésus s’arrête. Il le regarde. Il le pénètre de son regard profond et puis lui pose la main sur sa tête
inclinée. « Je veux que tu m’aimes. »
« Oh ! Maître ! » Jean est heureux. Bien qu’une larme fasse briller sa pupille, il rit, de sa bouche
jeune, bien dessinée. Il prend la main divine, la baise au dos et la serre contre son cœur. Ils
reprennent la marche.
« Tu as dit que tu me cherchais… »
« Oui. Pour te dire que mes amis veulent te connaître… et parce que, oh ! Comme je désirais être
encore avec Toi ! Je t’ai quitté depuis quelques heures … mais je ne pourrais déjà plus rester sans
Toi ! »
« Tu as donc été un bon annonciateur du Verbe ? »
« Mais Jacques aussi, Maître, a parlé de Toi de façon … à les convaincre. »
« De manière, que, qui était encore défiant a été persuadé. Il n’était d’ailleurs pas coupable car
c’était la prudence qui était la cause de sa réserve. Allons le rassurer complètement. »
« Il avait un peu peur.. »
« Non ! il ne faut pas avoir peur de moi ! Je suis venu pour les bons et surtout pour ceux qui sont
dans l’erreur. Je veux sauver, non pas condamner. Avec les gens honnêtes je serai tout
miséricorde. »
« Et avec les pécheurs ? »
« Aussi. Par malhonnêtes, j’entend parler de ceux qui sont spirituellement malhonnêtes, et qui
hypocritement se font passer pour bons, alors qu’il sont mauvais, des gens qui ne cherchent que leur
propre intérêt, même aux dépenses du prochain. Avec eux, je serai sévère. »
« Oh ! Simon alors peut être tranquille, il est franc comme nul autre. »
« C’est ainsi qu’il me plait et que je veux voir tout le monde. »
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« Il a tant de choses à te dire, Simon ! »
« Je l’entendrai après avoir parlé à la Synagogue. J’ai fit prévenir les pauvres et les malades en
plus des riches et des gens en bonne santé. Tous ont besoin de la Bonne Nouvelle. »
On approche du pays. Des enfants jouent sur la route et l’un d’eux, en courant viendrait s’abattre
entre les jambes de Jésus si Lui n’avait pas été attentif à le saisir. Le bambin pleure tout de même,
comme s’il s’était fait mal et Jésus lui dit, en le tenant par les bras : « Un israélite qui pleure ?
Qu’auraient dû faire des milliers et milliers de bambins qui sont devenus des hommes en
franchissant le désert derrière Moïse ? Et pourtant, c’est plus pour eux que pour les autres que le
Très-Haut a fait pleuvoir la manne si douce. Il aime en effet les innocents et veille sur ces petits
anges de la terre, ces oiseaux sans ailes, comme il le fait pour les passereaux qui volent dans les
bosquets et sur les toits. Tu aimes le miel ? Oui ? Et bien ! si tu es bon, tu mangeras un miel plus
doux que celui des abeilles. »
« Où donc, quand ? »
« Quand, après une vie de fidélité à Dieu, tu iras vers Lui. »
« Je sais que je n’y irai pas, si le messie ne vient. La maman nous dit que pour l’heure, nous les
gens d’Israel nous sommes comme autant de Moises et mourrons en vue de la Terre promise. Elle
dit que nous devrons attendre pour y entrer et que seul le messie nous permettra d’y entrer. »
« Mais, quel brave petit israélite ! Et bien, Moi, je te dis que quand tu mourras tu entreras tout de
suite au Paradis, parce que le Messie aura déjà ouvert la porte du ciel. Il faut donc que tu sois bon. »
« Maman, maman ! » Le bambin s’échappe des bras de Jésus et court à la rencontre d’une jeune
épouse qui rentre, avec une amphore de cuivre. « Maman, le nouveau Rabbi m’a dit que j’irai tout
de suite au Ciel quand je mourrai, et que je mangerai tant de miel… mais à condition d’être bon. Je
serai bon ! »
« Dieu le veuille ! Excuse, Maître, s’il t’a ennuyé. Il est si remuant ! »
« L’innocence ne me cause pas d’ennui, femme. Dieu te bénisse parce que tu es une mère qui
élève ses enfants dans la connaissance de la loi. »
La femme rougit à ce compliment et répond : « A Toi aussi la bénédiction de Dieu » et elle
disparaît avec son petit.
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« Les enfants te plaisent, Maître ? »
« Oui, parce qu’ils sont purs, sincères et aimants. »
« Tu as des enfants, Maître ? »
« Non. J’ai seulement une Mère, et en Elle il y a la pureté, la franchise, l’amour des petits les plus
saints, et en même temps la sagesse, la justice et la force des adultes. J’ai tout en ma Mère, Jean. »
« Et tu l’as quittée ? »
« Dieu est au-dessus, même de la plus sainte des mères. »
« Est-ce que je la connaîtrai ? »
« Tu la connaîtras. »
« Et Elle m’aimera ? »
« Elle t’aimera parce qu’Elle aime ceux qui aiment son Jésus. »
« Alors tu n’as pas des frères ? »
« J’ai des cousins du côté du mari de ma Mère. Mais tout homme est pour moi un frère, et c’est
pour tous que je suis venu. Nous voici devant la synagogue. J’entre et tu me rejoindras avec tes
amis. »
Jean s’en va et Jésus entre dans une pièce carrée avec la garniture habituelle de lampes disposées
en triangle et des pupitres avec des rouleaux de parchemin. Il y a déjà une foule qui attend et prie.
Jésus prie aussi. La foule bavarde à son sujet, en arrière. Lui s’incline pour saluer le chef de la
Synagogue et puis se fait donner, au hasard, un rouleau.
Jésus commence la lecture.
Il dit : « Ces choses, l’Esprit me les fait lire pour vous. Au chapitre sept du livre de Jérémie, on
lit : ‘Voilà ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d’Israel : , Corrigez vos mœurs et vos
affections et alors, je viendrai habiter avec vous en ce lieu. Ne vous bercez pas de paroles vaines
que vous répétez : c’est ici le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur, le temple du Seigneur.
Parce que, si vous améliorez vos mœurs et vos affections, si vous rendez justice entre l’homme et
son prochain, si vous n’opprimez pas l’étranger, l’orphelin, la veuve, si vous ne répandez pas en ce
lieu le sang innocent, si vous n’allez pas, pour votre malheur, vers les dieux étrangers, alors, Moi,
j’habiterai avec vous en ce lieu, dans la terre que je vous ai donnée à vos pères pour les siècles des
siècles’.’
Ecoutez, ô vous israélites. Voici que je viens faire resplendir les paroles de lumière que votre âme
aveuglée ne sait plus voir
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ni comprendre. Ecoutez. Beaucoup de larmes se répandent sur la terre du Peuple de Dieu ; ils
pleurent les anciens qui se rappellent les antiques gloires ; ils pleurent les adultes, courbés sous le
joug ; ils pleurent les enfants sans espoir d’une future gloire. Mais la gloire de la terre n’est rien en
comparaison d’une gloire qu’aucun oppresseur, sinon Mammon et la mauvaise volonté ne peut
arracher.
Pourquoi pleurez-vous ? Est-ce que le Très-Haut qui fut toujours bon pour son peuple a tourné
maintenant son regard autre part et lui refuse-t-il la vue de son Visage ? N’est-il plus le dieu qui
entrouvrit la mer et y fit passer Israel, qui le conduisit à travers les sables du désert et le nourrit, qui
le défendit contre ses ennemis ; n’est-ce pas Lui qui pour empêcher de perdre le chemin du ciel
donna à leurs âmes la Loi, comme il donnait à leurs corps la colonne de la nouée ? N’est-il plus le
dieu qui adoucit les eaux amères et fit tomber la manne alors qu’ils étaient épuisés ? N’est-il pas le
Dieu qui voulut vous établir sur cette terre et faire alliance avec vous ? N’est-il pas votre Père et
vous ses fils ? Et pourquoi l’étranger vous a frappé ? Beaucoup, parmi vous, murmurent : ‘Et
pourtant nous avons ici le temple !’ Il ne suffit pas d’avoir le Temple et d’aller y prier Dieu.
Le premier temple est dans le cœur de tout homme et c’est là que se fait la prière sainte. Mais,
sainte, elle ne peut l’être si le cœur ne s’amende pas, si ne s’amendent pas les mœurs, les affections,
les principes de la justice à l’égard des pauvres, à l’égard des serviteurs, des parents, à l’égard de
Dieu.
Regardez maintenant. Je vois des riches au cœur dur qui font de riches offrandes au temple, mais
ne savent pas dire au pauvre : « Frère, voici un pain et un denier, accepte-les. De cœur à cœur, que
mon aide ne t’humilie pas et que le don que je t’en fais ne me donne pas d’orgueil’. Voilà : je vois
des gens qui prient et qui se plaignent à Dieu de ce qu’il ne les écoute pas promptement, mais qui,
ensuite, au malheureux, parfois du même sang qu’eux, alors qu’il leur dit : ‘Ecoute-moi’, répondent
avec un cœur dur comme la pierre : ‘Non’ . Voilà, je vous vois pleurer parce que le dominateur vide
votre bourse. Mais vous pressurez ensuite le sang de qui vous haïssez et n’avez pas horreur de faire
un vœu sanguinaire contre la vie.
O vous d’Israel ! Le temps de la Rédemption est arrivé mais préparez-en les voies en vous, par la
bonne volonté. Soyez honnê-
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tes, bons, aimez-vous entre vous. Riches, soyez sans mépris; marchands, ne fraudez pas; pauvres,
n’enviez pas. Vous êtes tous d’un seul sang, d’un seul Dieu. Vous êtes tous appelés à une même
destinée. Ne vous fermez pas, avec vos péchés, le ciel que le Messie vous ouvrira. Vous avez,
jusqu’alors erré ? Maintenant plus. Que toute erreur disparaisse. Simple, bonne, facile est la loi qui
se ramène aux dix commandements primitifs mais imprégnés d’une lumière d’amour.
Venez. Je vous les montrerai tels qu’ils sont : amour, amour, amour. Amour de Dieu pour vous,
de vous pour Dieu. Amour pour le prochain. Toujours amour parce que Dieu est Amour et que les
fils du Père sont ceux qui savent vivre l’amour. Je suis ici pour tous, et pour donner à tous la
lumière de Dieu. Voici la Parole du Père, qui se fait nourriture en vous. Venez, goûtez, renouvelez
le sang de votre esprit avec cette nourriture. Que tout poison disparaisse, que tout désir charnel
meure.
Une gloire nouvelle vous est apportée : la gloire éternelle et à elle viendront ceux qui feront dans
leur cœur une véritable étude de la loi de dieu. Commencez par l’amour. Il n’y en a rien de plus
grand. Mais quand vous saurez aimer, vous saurez déjà tout et dieu vous aimera et l’amour de dieu
signifie le secours de dieu contre toute tentation.
Que la bénédiction de Dieu repose sur qui se tourne vers Lui d’un cœur plein de bonne volonté. »
Jésus se tait. Les gens parlottent. L’assemblée se sépare après le chant psalmodié de plusieurs
hymnes.
Jésus sort sur la petite place. Au seuil de la porte se trouvent Jean et jacques avec Pierre et André.
« La paix soit avec vous » dit Jésus et il ajoute : « Voici l’homme qui pour être juste a besoin de
s’abstenir de juger sans s’être d’abord informé, mais qui cependant sait reconnaître honnêtement ses
torts. Simon, tu as voulu me voir ? Me voici. Et toi, André, pourquoi n’es-tu venu plus tôt ? »
Les deux frères se regardent, embarrassés. André murmure : « Je n’osais pas… »
Pierre, tout rouge ne dit rien. Mais quand il entend Jésus dire à son frère : « Etait-ce un mal de
venir ? Il n’y a que le mal que l’on ne doit pas oser de faire », intervient franchement : « C’est à
cause de moi qu’il est resté. Lui voulait me conduire tout de suite vers Toi. Mais moi … J’ai dit …
Oui, j’ai dit : ‘Je n’y crois pas’, et je n’ai
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pas voulu. Oh ! maintenant, cela va mieux !... »
Jésus sourit, puis il dit : « Et, pour ta sincérité, je te dis que je t’aime. »
« Mais moi … moi, je ne suis pas bon. Je ne suis pas capable de faire ce que tu as dit à la
synagogue. Je suis irascible et, si quelqu’un m’offense… Eh ! Je suis avide et j’aime avoir de
l’argent… et dans ma vente de poissons… eh ! pas toujours … je ne suis pas toujours sans frauder.
Et je suis ignorant. Et j’ai peu de temps à te suivre pour avoir la lumière. Comment faire ? Je
voudrais devenir comme tu dis … mais… »
« Ce n’est pas difficile, Simon. Tu connais un peu l’Ecriture ? Oui ? Et bien pense au prophète
Michée. Dieu veut de toi ce que dit Michée. Il ne te demande pas de t’arracher le cœur ni de
sacrifier les affections les plus saintes. Non. Il ne te le demande pas pour l’instant. Un jour, sans
que Dieu te le demande, tu te donneras aussi toi-même à Dieu. Mais Lui attend qu’un soleil et une
ondée ait fait de toi, qui n’es qu’une frêle pousse, un palmier robuste et splendide. Pour l’heure, Il te
demande ceci : pratiquer la justice, aimer la miséricorde, t’appliquer totalement à suivre ton Dieu.
Efforce-toi de faire cela et le passé Simon sera effacé, et tu deviendras l’homme nouveau, l’ami de
Dieu et de son Christ. Non plus Simon mais Céphas, la Pierre solide sur laquelle je m’appuie. »
« Ceci me plait ! Je le comprends. La Loi, c’est cela… c’est cela… voilà je ne sais plus l’observer
comme l’ont faite les rabbi ! … Mais comme tu l’expliques, oui. Il me semble que j’y arriverai. Et
tu m’aideras. Tu restes dans cette maison ? J’en connais le propriétaire. »
« Je reste ici, mais je vais aller à Jérusalem et après, je prêcherai à travers la Palestine. Je suis
venu pour cela. Mais je viendrai ici souvent. »
« Je viendra t’écouter. Je veux être ton disciple: Un peu de lumière m’entrera dans la tête »
« Dans le cœur, Simon, surtout, dans le cœur. Et toi, André, tu ne parles pas ?
« J’écoute, Maître. »
« Mon frère est timide. »
« Il deviendra un lion. La nuit tombe. Que Dieu vous bénisse et vous donne bonne pêche. Allez. »
« Paix à Toi. » Ils s’en vont.
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A peine sorti, Pierre dit : « Mais qu’est-ce qu’il aura voulu dire d’abord, quand il parlait que je
pêcherai avec d’autres filets et que je ferais d’autres pêches ? »
« Pourquoi ne le Lui as-tu pas demandé ? Tu voulais dire tant de choses, et puis, tu n’as rien dit. »
« Moi … j’avais honte. Il est si différent de tous les rabbis ! »
« Maintenant, il va à Jérusalem … »
Jean dit cela avec un tel désir, une telle nostalgie… « Je voulais Lui demander s’il me laissait aller
avec Lui… , et je n’ai pas osé. »
« Va le Lui dire, garçon » dit Pierre. « Nous l’avons quitté comme çà… sans une parole
d’affection… Qu’il sache, au moins que nous l’admirons. Va, va. Je vais le dire à ton père. »
« J’y vais, Jacques ? »
« Va. »
Jean part au pas de course … et au pas de course il revient, jubilant : « Je lui ai dit : ‘Tu veux de
moi, à Jérusalem ? » Il m’a répondu : « Viens, ami !’ Il m’a dit ‘ami’ ! Demain à cette heure, je
viendrai ici. Oh ! A Jérusalem, avec Lui … »
…. c’est la fin de la vision.

Maria Valtorta: L’Evangile tel qu’il m’a été révélé

Vol. 2 - LA PREMIÈRE ANNÉE DE VIE PUBLIQUE

11 .”JEAN FUT GRAND AUSSI EN HUMILITÉ”

A propos de cette vision, Jésus me dit ce matin:


“Je veux que toi et tous vous remarquiez l’attitude de Jean, en un de ses côtés qu échappe
toujours. Vous l’admirez parce que pur, aimant, fidèle, mais vous ne remarquez pas qu’il fut grand
en humilité.
Lui, à qui l’on doit la venue de Père vers Moi, il tait modestement ce point particulier. L’apôtre de
Pierre, et par conséquent le premier de mes apôtres, ce fut Jean. Le premier à me reconnaître. Le
premier à m’adresser la parole, le premier à me suivre, le premier à m’annoncer. Et pourtant, voyez
ce qu’il dit: ‘André, frère de Simon, était un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et
avaient suivi Jésus. Le premier sur qui tomba fut son frère Simon à qui il dit: ‘Nous avons trouvé le
Messie’, et il le mena à Jésus.
Avec sa justice, en plus de sa bonté, il sait que André est em-
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barrassé de n’avoir qu’un caractère renfermé et timide, qui voudrait tant agir, mais qu’il ne réussit
pas à faire, et il veut que soit transmis à la postérité le souvenir de son bon vouloir. Il veut qu’André
semble le premier apôtre du Christ auprès de Simon bien que sa timidité et son effacement auprès
de son frère lui aient apporté un échec dans son apostolat.
Qui, parmi ceux qui font quelque chose pour moi sait imiter Jean et ne se proclame pas lui-même
apôtre incomparable? Ils ne réfléchissent pas que leur réussite vient d’un ensemble de choses, qu’il
ne s’agit pas seulement de sainteté, mais aussi d’audace humaine, de chance, du fait de se trouver
près d’autres moins hardis ou moins chanceux, mais peut-être plus saints qu’eux mêmes.
Dans une belle réussite, ne vous glorifiez pas comme si le mérite n’en revenait qu’à vous. Louez
Dieu, patron des ouvriers apostoliques. Ayez le regard limpide et le coeur sincère pour remarquer et
donner à qui de droit les applaudissements qui lui reviennent. Un regard limpide pour remarquer les
apôtres qui réalisent l’holocauste et qui sont les premiers vrais leviers dans le travail des autres.
Dieu seul les voit, ces timides qui semblent ne rien faire et sont au contraire ceux qui dérobent au
Ciel le feu qui anime les audacieux.. Un coeur sincère doit dire: '‘Oui je travaille, mais celui-ci a
plus d'amour que moi, prie mieux que moi, s’immole comme moi je ne sais pas faire et comme
Jésus a dit: ,… Entre dans la chambre et enferme-toi dans le secret pour prier en secret’. Moi, qui
vois son humble et sainte vertu, je veux la faire connaître et dire: ,Moi, je suis l’instrument actif; lui,
la force qui me meut parce que, greffé comme il l’est sur Dieu, c’est par son canal qui je reçois la
force d’en Haut’.”
Et la bénédiction du Père qui descend pour récompenser l’humble qui s’immole en silence pour
procurer la force aux apôtres, descendra aussi sur l’apôtre qui reconnaît sincèrement l’aide
surnaturelle et silencieuse qui lui vient de l’humble, et le mérite de cet humble que les hommes
superficiels ne remarquent pas.
Recueillez-en tous l’enseignement. Jean est mon préféré? Oui, mais n’a-t-il pas encore cette
ressemblance avec Moi? Pur, aimant, obéissant, mais humble aussi. Je me mirais en lui et en lui je
voyais mes vertus. Je l’aimais, pour cette raison comme un second Moi-même. Je voyais sur lui le
regard du Père qui le recon-
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naissait pour un petit Christ. Et ma Mère me disait: ‘En lui, j’ai le sentiment d’avoir un second fils.
Il me semble Te voir, Toi, reproduit en lui qui n’est qu’un homme.’
Oh! La Pleine de Sagesse, comme Elle t’a connu, ô mon aimé! Les deux azurs de vos coeurs de
parfaite pureté se sont fondus en un voile unique pour me faire une protection d‘amour et sont
devenus un seul amour, avant déjà que je donne la Mère à Jean et Jean à la Mère. Ils s’étaient aimés
pour s’être reconnus semblables: fils et frères du Père et du Fils.”

12. JESUS RENCONTRE PHILIPPE ET NATANAEL A BETSAIDA DANS LA


MAISON DE PIERRE
Jean frappe à la porte de la maison où Jésus a été reçu. Une femme s’avance et voyant qui c’est,
appelle Jésus.
Ils s’échangent le salut de paix. Et puis: “Tu es venu de bonne heure, Jean” dit Jésus.
“Je suis venu te dire que Simon Pierre te prie de passer par Bethsaïda. Il a parlé de Toi à beaucoup
de gens… Nous n’avons pas pêché, cette nuit. Nous avons prié, comme nous savons, et avons
renoncé au gain parce que le sabbat… n’était pas encore terminé. Et ce matin nous sommes allés par
les rues parler de Toi. Il y a des gens qui voudraient t’entendre… Viens-tu, Maître?”
“Je viens, bien que je doive aller à Nazareth avant de me rendre à Jérusalem.”
“Pierre avec sa barque te portera de Bethsaïda à Tibériade. Tu feras plus vite.”
“Et biens, allons.”
Jésus prend son manteau et sa besace, mais Jean la lui prend. Ils s’en vont, après avoir salué la
propriétaire de la maison.
La vision me présente la sortie du pays et le commencement du voyage vers Bethsaïda. Je
n’entends pas la conversation et même la vision s’interrompt. Elle reprend à l’entrée de Bethsaïda.
Je comprends qu’il s’agit de cette cité, car je vois Pierre, André et Jacques, et avec eux des femmes
qui attendent Jésus au début de l’agglomération.
“La paix soit avec vous. Me voici.”
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“Merci, Maître, pour nous et pour ceux qui attendent. Ce n’est pas le sabbat, Mais n’adresserais-tu
pas la parole à ceux qui t’attendent?”
“Oui, Pierre, je parlerai dans ta maison.”
Pierre est dans la jubilation: “Viens, alors, voici mon épouse, celle-ci est la mère de Jean et celles-
là leurs amies. Mais il y en a encore d’autres qui t’attendent: des parents et d’amis à nous.”
“Avertis-les que je partirai ce soir et qu’auparavant je leur parlerai.”
J’ai omis de dire qu’ils étaient partis de Capharnaüm au coucher du soleil et que je les ai vus
arriver à Bethsaïda au matin.
“Maître… je t’en prie, reste une nuit dans ma maison. Le chemin est long jusqu’à Jérusalem,
même si je le raccourcis en te portant avec la barque jusqu’à Tibériade. Ma maison est pauvre mais
honnête et accueillante. Reste avec nous cette nuit.”
Jésus regarde Pierre et les autres qui attendent la réponse. Il les regarde et les dévisage, puis il
sourit et dit: “Oui.”
Nouvelle joie de Pierre.
Des gens regardent aux portes et font des signes. Un homme appelle nommément Jacques et lui
parle doucement en désignant du doigt Jésus. Jacques fait signe que oui et l’homme va s’entretenir
avec d’autres, arrêtés à un carrefour.
Ils entrent dans la maison de Pierre. Une cuisine vaste et noircie par la fumée. Dans un coin, des
filets, des cordages et des paniers pour le poisson. Au milieu le foyer, large et bas et éteint en ce
moment. Des deux portes opposées, on voit la route et le Jardinet avec le figuier et la vigne. Au-
delà de la route, les flots bleu clair du lac. Au-delà du jardinet, le mur foncé d’une autre maison.
“Je t’offre ce que j’ai, Maître, et comme je sais…”
“Parfait, et tu ne pourras mieux faire parce que tu m’offres avec amour.”
On donne à Jésus de l’eau pour qu’il se rafraîchisse et puis du pain et des olives. Jésus prend
quelques bouchées pour montrer qu’il accepte, puis écarte le reste en remerciant.
Des bambins l’observent curieusement depuis le jardin et la route. Mais je ne sais si ce sont des
enfants de Pierre. Je sais seulement qu’il leur fait signe du regard pour retenir ces petits
envahisseurs. Jésus sourit et dit: “Laisse-les faire.”
“Maître, veux-Tu te reposer? Ici, c’est ma demeure, là celle d’An-
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dré, choisis. Nous ne ferons pas de bruit pendant ton repos.”
“As-tu aussi une terrasse?”
“Oui, avec la vigne; bien qu’elle soit encore à peu près dénudée, elle fait un peu d’ombre.”
“Conduis-m’y. Je préfère reposer là-haut. Je réfléchirai et je prierai.”
“Comme tu veux. Viens.”
Depuis le jardinet, un petit escalier monte vers le toit qui est une terrasse entourée d’un muret. Là
aussi, des filets et des cordages, mais quelle lumière vient du ciel et quel azur du lac!
Jésus s’assied sur un tabouret et appuie ses épaules au muret. Pierre se saisit d’une voile qu’il
étend au-dessus et au coté de la vigne pour faire un abri contre le soleil. Là, la brise et le silence,
Jésus n’en jouit visiblement.
“Je m’en vais, Maître.”
“Va. Toi et Jean allez dire qu’au coucher du soleil, je parlerai d’ici.”
Jésus reste seul et prie longuement. A part deux couples de colombes qui vont à leurs nids et en
reviennent et un gazouillement de passereaux, aucun bruit, rien qui vive autour de Jésus qui prie.
Les heures passent, calmes et sereines. Puis Jésus se lève, fait un tour sur a terrasse, regarde le lac
et des enfants qui jouent sur la route. Il leur sourit et les enfants lui répondent par leur sourire. Il
regarde sur la route, du côté de la petite place qui est à une centaine de mètres de la maison. Ensuite
il descend, va vers la cuisine: “Femme, je vais faire un tour sur la rive.”
Il sort et va effectivement dans cette direction, près des enfants. Il leur demande: “Que faites
vous?”
“Nous voulons jouer à la guerre, mais lui ne veut pas, et alors on joue à la pêche.”
Celui-là qui ne veut pas, est un petit homme grêle mais aux yeux très lumineux. Peut-être que,
frêle comme il est, il sait que les autres le bousculeraient en ‘faisant la guerre’ et pour cette raison, il
plaide pour la paix.
Mais Jésus en tire l’occasion de parler à ces enfants: “C’est lui qui a raison. La guerre est un
châtiment de Dieu pour punir les hommes. Elle exprime que l’homme n’est plus un vrai fils de
Dieu. Quand les Très-Haut créa le monde, Il fit tout: le soleil, la mer, les étoiles, les fleuves, les
plantes, les animaux, mais Il ne fit pas les armes. Il créa l’homme et lui donna des yeux pour qu’il
eût
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des regards d’amour, une bouche pour dire des paroles d’amour, des oreilles pour les écouter, des
mains pour donner aide et caresses, des pieds pour courir avec empressement vers le frère qui est
dans le besoin, un coeur capable d’aimer. Il donna à l’homme l’intelligence, la parole, l’affection,
les sentiments, mais Il n’a pas donné la haine. Pourquoi? Parce que l’homme, créature de Dieu,
devait être amour comme Dieu est Amour. Si l’homme était resté créature de Dieu, il serait resté
dans l’amour et la famille humaine n’aurait pas connu la guerre et la mort.”
“Mais lui, la guerre, il ne veut pas la faire parce que il perd toujours” (Je l’avais deviné)
Jésus sourit et dit: “Il ne faut pas refuser une chose qui nous nuit pour le motif qu’elle nous nuit.
Il faut refuser une chose quand elle nuit à tout le monde. Si quelqu’un dit: ‘Je ne veux pas ceci
parce que Je serai perdant’, c’est de l’égoïsme. Au contraire le vrai fils de Dieu dit: ‘Frères, je sais
que j’aurais le dessus, mais je vous dis: ne faisons pas ceci parce que vous en subiriez un
dommage’. Oh! Comme celui-là a compris le principal commandement! Qui sait me le dire?”
En choeur, les onze bouches disent: “ ‘Tu aimeras ton Dieu avec tout ce que tu es et ton prochain
comme toi même’.”
“Oh! Vous êtes des braves enfants. Vous allez tous à l’école?”
“Oui.”
“Qui est le plus brave?”
“Lui.” C’est le frêle qui ne veut pas jouer à la guerre.
“Comment t’appelles-tu?”
“Joël.”
“C’est un grand nom. C’est lui qui dit: ‘ , ..que le faible dise: ,Je suis fort!’, Mais fort en quoi?
Dans la Loi du vrai Dieu, pour être de ceux que Dieu, dans la Vallée du Jugement définitif
proclamera ses saints. Mais, déjà le jugement est proche, non pas dans la Vallée du Jugement, mais
sur le mont de la Rédemption. Là lorsque le soleil et la lune s’obscurciront par l’horreur d’un
spectacle inouï et que les étoiles tremblantes pleureront par pitié, une séparation se fera entre les fils
de la Lumière et les fils des Ténèbres. Israël tout entier saura que son Dieu est venu. Heureux ceux
qui l’auront reconnu. Pour eux miel et lait et eaux claires leur descendront au coeur, et les épines
deviendront des roses éternelles. Qui de vous veut être de ceux qui seront proclamés saints par
Dieu?”
51
“Moi! Moi! Moi!”
“Alors vous aimerez le Messie?”
“Oui! Oui! Oui! Toi! Toi! Nous t’aimons! Nous savons qui tu es! Simon et Jacques l’ont dit et nos
mamans et nous l’ont dit aussi. Prends-nous avec Toi!”
“En vérité, je vous prendrai si vous êtes bons. Mais plus de paroles grossières, plus de violence,
plus de querelles et plus de réponses impolies aux parents. Prière, étude, travail, obéissance. Alors
je vous aimerai et viendrai avec vous.”
Les enfants forment tous un cercle autour de Jésus. On dirait une corolle aux pétales de couleurs
variées autour d’un long pistil azur foncé.
Un homme quelque peu âgé s’est approché curieux. Jésus se retourne pour caresser un bambin qui
tire sur son vêtement et le voit. Il le regarde fixement. Cet homme le salue en rougissant, mais ne dit
rien d’autre.
“Viens! Suis moi!”
“Oui, Maître.”
Jésus bénit les enfants et à côté de Philippe (il le nomme par son nom) revient à la maison. Ils
s’assoient dans le jardinet.
“Tu veux être mon disciple?”
“Je le veux … et je n’ose espérer de l’être.”
“C’est Moi qui t’a appelé.”
“Je le suis, alors. Me voici.”
“ Tu savais qui Je suis?”
“André m’a parlé de Toi. Il m’a dit: ‘Celui après qui tu soupirais est venu’. Car il savait que je
soupirais après le messie.”
“Ton attente n’est pas trompée. Il est devant toi.”
“Mon Maître et mon Dieu!”
“Tu es un Israélite d’intention droite. C’est pour cela que je me manifeste à toi. Un autre, qui est
ton ami, attend, lui aussi un Israélite sincère. Va lui dire: ‘Nous avons trouvé Jésus de Nazareth, fils
de Joseph, de la race de David. Celui dont ont parlé Moïse et les prophètes’. Va!”
Jésus reste seul, jusqu’à ce que revienne Philippe avec Nathanaël - Barthélemy.
“Voici un vrai Israélite en qui n’est pas de fraude. La paix à toi, Nathanaël.”
“Comment me connais-tu?”
“Avant que Philippe vint t’appeler, je t’ai vu sous le figuier.”
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“Maître, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël!”
“Parce que je t’ai dit t’avoir vu pendant que tu réfléchissais sous le figuier, tu crois? Tu verras des
choses bien plus importantes que celles-la. En vérité je vous dis que les Cieux sont ouverts, et vous,
par la foi, vous verrez les Anges descendre et monter au-dessus du Fils de l’Homme: Moi qui te
parles.”
“Maître! Je ne suis pas digne d’une telle faveur!”
“Crois en Moi, et tu seras digne du Ciel. Veux-tu croire?”
“Je le veux, Maître.”
La vision a un arrêt … et reprend sur la terrasse couverte de monde: des gens sont dans le petit
jardin. Jésus parle.
“Paix aux hommes de bonne volonté. Paix et bénédiction à leurs maisons, à leurs femmes, à leurs
enfants. Que la grâce et la lumière de Dieu règne en eux et dans les coeurs qui les habitent.
Vous avez désiré m’entendre. La Parole parle. Elle parle avec joie aux gens honnêtes, avec
douleur à ceux qui ne le sont pas, Elle parle aux saints et aux purs, avec amour, aux Pécheurs avec
pitié. Elle ne se refuse pas. Elle est venue comme un fleuve qui arrose les terres avides d’eau et leur
porte la fraîcheur de l’eau et la nourriture du limon.
Voulez vous savoir quelles choses sont requises pour être disciple de la Parole de Dieu, du
Messie, Parole du Père qui vient rassembler Israël pour qu’il entende de nouveau les paroles du
Décalogue saint immuable, et si elles sont une source de sanctification parce qu’elles sont déjà dans
le monde, combien plus l’homme pourra se sanctifier à l’heure de la Rédemption et du Royaume.
Voici que je dis aux sourds, aux aveugles, aux muets, aux lépreux, aux paralytiques, aux morts:
‘Debout, soyez guéris, ressuscitez, marchez; voici que s’ouvrent pour vous les fleuves de la lumière,
de la parole, des ondes sonores pour que vous puissiez voir, entendre, parler de Moi’. Mais plus
qu’à vos corps je m’adresse à vos esprits. Hommes de bonne volonté, venez à Moi sans crainte. Si
votre esprit est blessé, je lui rends son intégrité. S’il est malade, je le guéris. S’il est mort, je le
ressuscite. Je veux seulement votre bonne volonté.
Est-ce difficile, ce que je vous demande? Non. Je ne vous impose pas les centaines et centaines de
préceptes des rabbins. Je vous dis: suivez le Décalogue. La Loi est une et immuable. Bien des
siècles ont passé depuis l’heure où elle fut donnée aux
53
hommes, belle, pure, fraîche, comme une créature qui vient de naître, comme une rose qui
commence de s’épanouir sur sa tige. Simple, nette, douce à suivre. Aux cours des siècles, les fautes
et les penchants de l’homme l’ont compliquée de lois et de prescriptions mineures avec des
fardeaux, des restrictions, avec trop de clausules pénibles. Je vous ramène à la Loi, telle que le Très-
Haut l’a donnée. Mais, je vous en prie, pour votre bien, recevez-la avec la coeur sincère des
Israélites de ce temps là.
Vous murmurez plus encore en votre coeur qu’en paroles parce que la faute, plus qu’avec vous,
petites gens, est en haut. Je le sais. Dans le Deutéronome, est dit tout ce qu’il faut faire, il n’y avait
rien à ajouter. Mais ne jugez pas ceux qui l’appliquent aux autres et pas à eux mêmes. Pour vous,
faites ce que Dieu dit. Et par dessus tout, efforcez vous de pratiquer parfaitement les deux
commandements principaux. Si vous aimez Dieu avec toutes les ressources de votre être, vous ne
pécherez pas, car le péché est une douleur que l’on cause à Dieu. Qui aime, ne veut pas faire
souffrir. Si vous aimez le prochain comme vous mêmes, vous ne serez que des fils respectueux pour
les parents, époux fidèles à votre conjoint, hommes honnêtes dans le commerce, sans violence pour
les ennemis, sans mensonge dans les témoignages, sans envie pour qui possède, sans désir luxurieux
pour la femme d’autrui. Vous ne voudrez pas faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on
vous fit, dérober, tuer, calomnier, entrer comme un coucou dans le nid d’autrui.
Mais, au contraire, je vous dis: ‘Poussez jusqu’à la perfection votre obéissance aux deux
commandements de l’amour: aimez jusqu’à vos ennemis’.
Oh! Comme il vous aimera, le Très-Haut qui aime tant l’homme devenu son ennemi par la faute
originelle et par les péchés individuels, qui l’aie au point de lui envoyer le Rédempteur, l’Agneau
qui est son Fils, Moi qui je vous parle, le Messie promos pour vous racheter de toute faute, si vous
savez aimer comme Lui.
Aimez. Que l’amour vous soit une échelle par laquelle, devenus anges, vous monterez, comme
dans la vision de Jacob jusqu’au Ciel en écoutant le Père dire à tous et à chacun: ‘Je serai ton
protecteur partout où tu iras et je te conduirai à ce pays: au Ciel au Royaume Eternel’.
Paix à vous.”
Les gens ont des paroles émues d’approbation et se retirent
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lentement. Restent Pierre, André, Jacques, Jean, Philippe et Barthélemy.
“Tu pars demain, Maître?”
“Demain, à l’aube si cela ne t’ennuie pas.”
“Je regrette que tu t’en ailles, puis, mais pour l’heure, non. Au contraire, elle est favorable.”
“Tu pêcheras?”
“Cette nuit. Au lever de la lune.”
“Tu as bien fait, Simon Pierre de ne pas pêcher la nuit dernière, le sabbat n’était pas encore fini.
Néhémie, dans ses réformes, veut qu’en Judée le sabbat soit respecté. Maintenant encore, trop de
gens travaillent au pressoir, portent des fagots, transportent du vin ou des fruits, vendent et achètent
poisson et agneaux. Vous avez six jours pour cela. Le sabbat appartient au Seigneur. Une seule
chose peut se faire pendant le sabbat: rendre service à votre prochain, mais le lucre doit être
absolument banni de cette aide. Qui viole le sabbat dans un but lucratif ne peut avoir que châtiment
de la part de Dieu. Vous faites un travail lucratif? Vous le paierez avec des pertes les six autres
jours. Vous faites un travail désintéressé? Vous avez inutilement fatigué votre corps en ne lui
accordant pas le repos que l’Intelligence Suprême a institué pour lui, en altérant l’esprit par
l’impatience que produit une fatigue inutile, en arrivant jusqu’aux imprécations. Alors que la
journée du sabbat doit s’écouler avec un coeur uni à Dieu, dans une douce prière d’amour. Il faut
être fidèle en tout.”
“Mais… les scribes et les docteurs qui sont si sévères avec nous… ne travaillent pas pendant le
sabbat, ne donnent même pas un pain au prochain pour éviter la fatigue de le présenter…. Mais
pour l’usure, ils la pratiquent même le jour du sabbat. Puisque ce n’est pas du travail matériel, peut-
on pratiquer l’usure le jour du sabbat?”
“Non, jamais, ni le jour du sabbat ni un autre jour. Qui s’y adonne est malhonnête et cruel.”
“Alors, les scribes et les pharisiens…”
“Simon, ne juge pas mais pour ton compte, abstient-toi.”
“Mais, j’ai des yeux pour voir…”
“N’y a-t-il que le mal à regarder, Simon?”
“Non, Maître.”
“Et alors pourquoi ne regarder que le mal?”
“Tu as raison, Maître.”
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“ Alors demain à l’aube, je partirais avec Jean.”
“Maître…”
“Simon, qu’as-tu?”
“Maître… Tu vas à Jérusalem?”
“Tu le sais bien.”
“Moi aussi, j’y vais pour la Pâque … et aussi André et Jacques…”
“Eh bien? Tu veux dire que tu voudrais venir avec Moi. Et la pêche? Et le gain? Tu m’as dit qu’il
te plait d’avoir de l’argent, et je resterai plusieurs jours. Je vais d’abord chez ma Mère et j’y
reviendrai au retour. Je m’arrêterai pour prêcher. Comment fers-tu…”
Pierre est perplexe tiraillé entre deux désirs… mais après il se décide: “Pour moi… j’y vais. Je te
fais passer avant l’argent!”
“Moi aussi je viens.”
“Et moi aussi.”
“Et nous aussi. Vrai Philippe?”
“Venez, alors. Vous m’aiderez.”
“Oh! Pierre est sidéré à l’idée de aider Jésus. “Comment ferons-nous?”
“ Je vous le dirai. Vous n’aurez qu’à faire ce que je vous dirai, pour bien faire. L’obéissant agit
toujours bien. Tout de suite, nous allons prier et puis chacun regagnera sa maison.”
“Que feras-tu, Maître?”
“Je prierai encore. Je suis la Lumière du monde, mais je suis aussi le Fols de l’Homme. Je dois
toujours, pour ce motif communiquer avec la Lumière pour être l’Homme qui rachète l’homme.
Prions.”
Jésus dit un psaume, celui qui commence par ces paroles: ‘Qui repose sous l’aile du Très-Haut
vivra sous la protection du Dieu du Ciel. Il dira au Seigneur: ,Tu es mon protecteur, mon refuge. Lui
est mon Dieu. En Lui mon espérance. Il me délivrera des lacets du chasseur et des paroles
méchantes’. .. Je le trouve au livre 4° C’est le second du livre 4, il me semble le n° 90 (si je lis bien
les chiffres romaines).
La vision se termine ainsi.
[J’ouvre la Bible. Je tombe sur le chapitre 23 de l’Ecclésiastique v.14. C’est une prière qui
me plait. C’est si facile que la pensée se perde et que le coeur se gonfle d’orgueil! Non, la mort
plutôt que cela. Cela signifierait Te perdre, Seigneur, Et je ne veux pas te perdre. Use du fouet et de
la discipline, mais tiens par terre ta ‘violette’.
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A 12 heures, je dis à Jésus: ‘Oui, Seigneur, conduis-moi par la main (j’étais en train de lire une
phrase dite à Soeur Bénigne par Jésus et qui était ma pensée pour ce jour). Je veux ce que Tu veux
et pas d’autres chose, mais j’ai peur du monde..’ Jésus me répond, Lui qui sait de quelle sorte de
peur je parle: ‘Quand ils t’imposeraient le silence, en refusant de reconnaître que c’est en mon nom
et par ma volonté que tu fais ce que tu fais, réponds ce que répondirent Pierre et Jean au Sanhédrin
après la guérison du boiteux: ,Si c’est juste, devant Dieu d’obéir à vous, plutôt qu’à Dieu, jugez-en
vous mêmes. Nous (moi) ne pouvons pas (je ne puis pas) ne pas parler de ce que nous avons vu et
entendu’. Tu ne pourrais pas, du reste, M’empêcher de venir à toi et de te forcer à voir et à entendre.
Et ce serait sottise, pour toi, d’écouter le monde qui veut imposer silence à Dieu, plutôt que Dieu
qui veut donner la lumière au monde. Si Moi, je le veux, qui s’opposera à Moi?”]

13. JUDE THADDEE A BETHSAIDE POUR INVITER JESUS AUX NOCES DE


CANA

Je vois la cuisine de Pierre. En plus de Jésus, il y a Pierre et sa femme et Jacques et Jean. Ils
semblent avoir terminé le souper et s’entretiennent entre eux. Jésus s’intéresse à la pêche.
André entre et dit: “Maître, il y a ici l’homme auprès duquel tu habites, avec quelqu’un qui se dit
ton cousin.”
Jésus se lève et va vers la porte en disant: “Qu’ils viennent.” Et quand, à la lumière de la lampe à
huile et à la clarté du foyer il voit entrer Jude Thaddée, il s’écrie: “Toi, Jude?!”
“Moi, Jésus” et ils se baisent.
Jude Thaddée est un bel homme, dans la plénitude de la beauté virile. Grand, bien que pas autant
que Jésus, fort et bien proportionné, brun, comme l’était saint Joseph lorsqu’il était jeune, le teint
olivâtre sans être terreux, des yeux qui ont quelque chose de commun avec ceux de Jésus, car ils
sont d’une teinte azurée, mais presque pervenche. Sa barbe, de forme carrée est brune, les cheveux
ondulés, moins bouclés que ceux de Jésus, et bruns comme la barbe.
“Je viens de Capharnaüm. J’ai pris une barque et je suis venu aussi jusqu’ici, pour faire plus vite.
Ta Mère m’envoie Te dire: ‘Suzanne se Marie demain. Je te prie, Fils, d’assister à cette noce’.
Marie vous invite, et avec Elle ma mère et les frères. Tous les parents sont invités, tu serais le seul
absent et eux les
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parents te demandent de faire plaisir aux époux.”
Jésus s’incline légèrement en ouvrant un peu les bras. “Le désir de ma Mère est pour Moi une loi,
mais aussi pour Suzanne et les parents, je viendrai. Seulement… cela m’ennuie pour vous…” Et il
regarde Pierre et les autres. “Ce sont mes amis” Explique-t-il au cousin. Et il les nomme en
commençant par Pierre. Pour finir, il dit: “Et celui-là, c’est Jean” et il le dit avec un ton particulier
qui attire le regard plus attentif de Jude Thaddée et fait rougir le préféré. Il termine la présentation
en disant: “Amos, celui-ci est Jude, fils d’Alphée mon frère cousin selon la façon de parler du
monde, car il est le fils du frère de l’époux de ma Mère. C’est pour Moi un ami, un bon compagnon
de travail et de vie.”
“Ma maison t’est ouverte, comme au Maître. Assied-toi” et puis se tournant vers Jésus, Pierre dit:
“Alors nous ne viendrons plus avec Toi à Jérusalem?”
“Bien sur que si, vous viendrez. J’irai après les noces. Seulement je n’arrêterai plus à Nazareth.”
“Tu fais bien, Jésus, parce que ta Mère est mon hôte pour quelques jours. Entendu comme cela, et
Elle aussi viendra après les noces. “ Ainsi parle l’homme de Capharnaüm.
“Voici ce que nous ferons, alors. Maintenant, avec la barque de Jude, j’irai à Tibériade et de là à
Cana et avec la même, je reviendrai à Capharnaüm avec ma Mère et avec toi, Le jour qui suivra le
prochain sabbat, tu viendras, Simon, si tu es toujours décidé et nous irons à Jérusalem pour la
Pâque.”
“Bien sur que je viendrai. Et je viendrai aussi le sabbat pour t’entendre à la synagogue.”
“Tu enseigne déjà, Jésus?” demande Thaddée.
“Oui, cousin.”
“Et quelles paroles! Ah! On ne les entend pas dans une autre bouche!” explique Simon.
Jude soupire. La tête appuyée sur la main, et le coude sur les genoux, il regarde Jésus et soupire. Il
semble vouloir parler et n’ose pas.
Jésus l’interpelle: “Qu’as-tu, Jude? Pourquoi me regards-tu en soupirant?”
“Rien.”
“Non, il y a quelque chose. Je ne suis plus le Jésus que tu aimais, celui pour qui tu n’avais pas des
secrets?”
“Oh! Oui, que tu l’es, et comme tu me manques, Toi, Maître
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de ton cousin plus âgé…”
“Et alors, parle.”
“Je voulais te dire … Jésus … sois prudent… tu as une Mère … qui n’a que Toi… Tu veux être
un ‘rabbi’, mais pas comme les autres et Tu sais, mieux que moi que … que les castes puissantes ne
permettent pas des choses contraires au coutumes qu’elles ont établies. Je connais ta façon de
penser … elle est sainte… Jésus … Tu sais le sort de ton cousin le Baptiste … Il est en prison, et
s’il n’est pas encore mort c’est parce que ce sale de Tétrarque a peur de la foule et des foudres de
Dieu. Sale et superstitieux et en même temps cruel et libertin… Toi… Que feras-tu? Au devant de
quelle sort veux-tu aller?”
“Jude, il n’y a qu’Elle qui aurait le droit de me rappeler à mes devoirs de fils, selon les lumières
terrestres: c’est à dire à mon devoir de travailler pour Elle pour subvenir à ses besoins matériels, à
mon devoir d’assistance et de réconfort, en restant auprès d’Elle. Et Elle ne me demande rien du
tout cela. Depuis le moment où Elle m’a eu, Elle sait qu’Elle devait me perdre, pur me retrouver
dans une dimension plus large que celle du milieu familial et dès ce moment Elle y est préparée.
Ce n’est pas une nouveauté, dans son sang, cette volonté absolue
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de donation à Dieu. Sa mère l’a offerte au Temple avant qu’Elle ne sourit à la lumière. Elle m’a
parlé une quantité innombrable de fois, quand Elle me serrait sur son coeur dans les longues soirées
d’hiver ou dans les claires nuits d’été où fourmillaient les étoiles, de son enfance sainte. Elle s’est
donnée à Dieu dès les premières lueurs de l’aube de sa venue au monde. Et plus encore Elle s’est
donnée quand Elle n’eut, pour être où je suis, sur le chemin de la mission qui me vient de Dieu. Il y
aura une heure où tous m’abandonneront. Ce sera pour peu de minutes, mais la lâcheté sera
maîtresse de tous et vous penserez qu’il y aurait mieux valu pour votre sécurité de ne m’avoir
jamais connu. Mais Elle, qui a compris et qui sait, sera toujours avec Moi. Et vous, vous
redeviendrez à Moi par Elle. Avec la force de sa foi assurée et aimante, Elle vous attirera en Elle, et
ainsi vous ramènera en Moi, parce que Je suis en ma Mère et Elle en Moi, et Nous en Dieu.
Cela, je voudrais que vous le compreniez, vous tous, parents selon le monde, amis et fils au point
de vue surnaturel. Toi, et avec toi les autres, vous ne savez pas qui est ma Mère. Si vous le saviez,
vous ne la critiqueriez pas en votre coeur de ne pas m’avoir tenu assujetti à Elle, mais vous la
vénéreriez comme l’Amie la plus intime de Dieu, la Puissante qui peut tout sur le coeur du Père
éternel et sur le Fils de son coeur. Je viendrai certainement à Cana. Je veux Lui faire plaisir. Vous
comprendrez mieux après cette heure là.” Jésus est imposant et persuasif.
Jude le regarde attentivement. Il réfléchit. Il dit: “Et moi aussi, certainement je viendrai avec Toi
en leur compagnie, si tu veux de moi… car je pense que tu dis des choses justes. Pardonne mon
aveuglement et celui de mes frères. Tu es tellement plus saint que nous…”
“Je n’ai pas de rancoeur pour qui ne me connaît pas, Je n’en ai pas non plus pour qui me hait.
Mais j’en souffre pour le mal qu’ils se font à eux mêmes, Qu’est-ce que tu as dans ce sac?”
“L’habit que ta Mère t’envoie. Grand fête, demain. Elle pense que son Jésus en a besoin, pour ne
pas détonner parmi les invités. Elle a filé sans relâche depuis le point du jour jusqu’à tard le soir,
chaque jour pour te préparer ce vêtement. Mais Elle n’a pas fini le manteau. Il manque encore les
franges. Elle en est toute désolée."
"Ce n’est pas la peine. J’irai avec celui que j’ai et je garderai l’autre pour Jérusalem. Le Temple
est encore plus que la noce.”
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“Elle en sera heureuse.”
“Si vous voulez être à l’aube sur la route de Cana –dit Pierre- il vous faut partir tout de suite. La
lune se lève et la traversée sera bonne.”
“Allons, alors. Viens, Jean. Je t’emmène avec Moi. Simon Pierre, Jacques, André, adieu. Je vous
attends le soir du sabbat à Capharnaüm. Adieu, femme. Paix à toi et à toute la maison.”
Jésus sort avec Jude et Jean. Pierre les suit jusqu’à la rive et aide à la manœuvre et au départ de la
barque.
Et la vision prend fin.

[Paroles de Jésus:
“Quand ce sera l’heure de faire un travail ordonné, la vision de la noce de Cana sera insérée ici.
Mets la date (16-1-44)

23 octobre. Commandement reçu avec insistance à l’aube et répété plusieurs et plusieurs fois pour
que je ne l’oublie pas en attendant de pouvoir l’écrire: chose que je fais dès que je vois clair.
Jésus dit: “Ecris et tout ce qui t’es dit sera mis en tête de tout travail à communiquer aux gens
honnêtes, qu’il soit imprimé ou dactylographié selon ce que en ai déjà dit:

‘C’est la voix du Maître. Rugissement et caresse. Rugissement quand elle s’adresse à ceux
qui ne veulent pas se convertir, Caresse quand elle parle à ceux qui, bien qu’imparfaits ont ‘la
bonne volonté’ de trouver Dieu et sa Parole et les ayant trouvés, de se sanctifier. Pour ceux-là la
Parole devient caresse d’Ami et bénédiction de Jésus’.

Ces paroles en tête de tout travail. Puis pour les oeuvres plus complètes et approuvées
toujours approuvées pour qu’elles ne soient pas rendues inopérantes par le mauvais vouloir des
pharisiens, sadducéens, scribes et docteurs, il serait bien de mettre la prière à la Parole que je t’ai
donnée le 7 décembre 1943. Pour l’heure, cela suffit. Et puis je reviendrai encore.”]

14. JESUS AUX NOCES DE CANA

Je vois une maison, une vraie maison orientale: un cube blanc plus large que haut, avec des rares
ouvertures, surmontée d’une terrasse qui sert de toit et est entourée d’un muret de un mètre environ
et ombragée par une tonnelle de vigne qui grimpe jusque là et étend ses rameaux au delà du milieu
de cette terrasse ensoleillée.
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Un escalier extérieur monte le long de la façade au niveau d’une porte qui s’ouvre à mi-hauteur
de la façade. Au dessous, il y a au niveau du sol des portes basses et rares, pas plus que deux de
chaque coté, qui donnent accès dans des pièces basses et sombres. La maison s’élève au milieu
d’une espèce de cour plutôt une pelouse, au centre de laquelle se trouve un puits. Il y a des figuiers
et des pommiers. La maison donne sur la route sans être à bord de route. Elle est un peu en retrait et
un sentier traverse la pelouse jusqu’à la route qui semble être une maîtresse route.
On dirait que la maison est à la périphérie de Cana: maison de paysans propriétaires qui vivent au
milieu de leur petit domaine. La campagne s’étend au delà de la maison avec ses lointaines de
tranquille verdure. Il fait un beau soleil et l’azur du ciel est très pur. Au débout, je ne voie rien
d’autre. La maison est solitaire.
Puis je vois deux femmes avec des longs vêtements et un manteau qui sert aussi de voile. Elles
avancent sur la route et puis sur le sentier. L’une, plus âgée, sur les cinquante ans, en habits foncés
de couleur fauve marron, comme de la laine naturelle. L’autre est en vêtements plus clairs, avec un
habit d’un jaune pâle et un manteau azur. Elle semble avoir à peu près trente cinq ans. Elle est très
belle, svelte et elle a une contenance pleine de dignité bien que toute gentillesse et humilité. Quand
elle est plus proche, je remarque la couleur pâle du visage, les yeux azurés et les cheveux blonds qui
apparaissent sur la front, sous le voile. Je reconnais Marie la Très Sainte. Qui est l’autre, brune et
plus âgée, je ne sais. Elles parlent entre elles et la madone sourit. Quand elles sont tout à côté de la
maison, quelque’ un sûrement chargé de guetter les arrivées, avertit et à leur rencontre arrivent des
hommes et des femmes, tous en habits de fête. Tout le monde leur fait fête et surtout à Marie la Très
Sainte.
L’heure semble matinale, je dirais vers les neuf heures peut-être plus tôt, car la campagne a
encore cet aspect de fraîcheur des premières heures du jour avec la rosée qui rend l’herbe plus verte
et la pelouse qui n’est pas empoussiérée. La saison me parait printanière car l’herbe des près n’est
pas brûlée par le soleil d’été et dans les champs, les blés sont en herbe, sans épis, tout verts. Les
feuilles du figuier et du pommier sont vertes et encore tendres mais je ne vois pas de fleurs sur le
pommier et je ne vois pas de fruits, ni sur le pommier ni sur le figuier ni sur la vigne. C’est que le
pommier a déjà fleuri depuis peu, mais les petits fruits ne
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se voient pas encore.
Marie, très fêtée et accompagnée par un homme âgé qui doit être le propriétaire, monte l’escalier
extérieur et entre dans une grande salle qui parait occuper tout ou en grande partie, l’étage. Je crois
comprendre que les pièces du rez-de-chaussée sont les vraies pièces d’habitation, les dépenses, les
débarras et les celliers et qui l’étage est réservé à des usages spéciaux: fêtes exceptionnelles ou à
des produits agricoles. Pour les fêtes on la débarrasse et on l’orne, comme aujourd’hui de branches
vertes, de nattes, de tables garnies.
Au centre, il y en a une très riche, avec dessus déjà des amphores et des plats garnis de fruits. Le
long du mur, à ma droite une autre table garnie mais moins richement. A ma gauche une sorte de
longue crédence avec dessus des plats de fromages et d’autres aliments qui me semblent des
galettes couvertes de miel et de friandises. Par terre, toujours à ma gauche d’autres amphores et six
grands vases en forme de brocs de cuivre, plus ou moins. Pour moi ce serait des jarres.
Marie écoute avec bienveillance ce que tous lui disent puis gentiment quitte son manteau et aide à
terminer les préparatifs pour la table. Je la vois aller et venir rangeant les lits de table, redressant les
guirlandes de fleurs, donnant meilleur aspect aux coupes de fruits, veillant à ce que les lampes
soient garnies d’huile. Elle sourit, et parle très peu et à voix très basse. Par contre, Elle écoute
beaucoup et avec combien de patience.
Un grand bruit d’instruments de musique (peu harmonieux, en vérité) se fait entendre sur la route.
Tout le monde, à l’exception de Marie, court dehors. Je vois entrer l’épouse toute parée et heureuse,
entourée des parents et des amis, à côté de l’époux qui est accouru à sa rencontre le premier.
Ici ce produit un changement dans la vision. Je vois, au lieu de la maison, un pays. Je ne sais si
c’est Cana ou une autre bourgade voisine. Je vois Jésus avec Jean et un autre qui pourrait être Jude
Thaddée, mais pour ce second, je pourrais me tromper. Pour Jean, je ne me trompe pas. Jésus est
vêtu de blanc et a un manteau azur foncé. En entendant le bruit de la musique, le compagnon de
Jésus demande un renseignement à un homme du peuple et en fait part à Jésus. “Allons faire plaisir
à ma Mère” dit Jésus en souriant et il se met en route à travers les champs avec ses deux
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compagnons dans la direction de la maison.
J’ai oublié de dire que mon impression que Marie est ou parente ou très amie des parents de
l’époux car je les vois en grandes confidences.
Quand Jésus arrive, le veilleur habituel prévient les autres. Le maître de maison, en même temps
que son fils, l’époux, et que Marie, descend à la rencontre de Jésus et le salue respectueusement. Il
salue aussi les deux autres et l’époux fait la même chose. Mais, ce qui me plait, c’est le salut plein
d’amoureux respect de Marie à son Fils et réciproquement. Pas d’épanchements, mais un tel regard
accompagne les paroles de la salutation: “La paix avec Toi”, et un tel sourire qui vaut cent baiser et
cent embrassements. Le baiser tremble sur les lèvres de Marie, mais Elle ne le donne pas. Elle pose
seulement sa petite main blanche sur l’épaule de Jésus et effleure une boule de sa longue chevelure.
Une caresse d’une pudique énamourée.
Jésus monte à côté de sa Mère, suivi des deux disciples et du propriétaire et il entre dans la salle
de réception où les femmes s’occupent à ajouter des sièges et des couverts pour les trois hôtes qu’on
n’attendait pas, me semble-t-il. Je dirais que la venue de Jésus était incertaine et celle de ses deux
compagnons absolument imprévue.
J’entends distinctement la voix pleine, virile, très douce du Maître, dire en entrant dans la salle:
“La paix soit dans cette maison, et la bénédiction de Dieu sur vous tous.” Salut cumulatif à toutes
les personnes présentes et plein de majesté. Jésus domine tout le monde par sa stature et son aspect.
C’est l’hôte et inattendu, mais il semble le roi de la fête, plus que l’époux, plus que le maître de
maison. Tout en restant humble et condescendant, c’est Lui qui en impose.
Jésus prend place à la table centrale, avec l’époux, l’épouse, les parents des époux et les amis les
plus influents. Aux deux disciples, par respect pour le Maître, on donne des sièges à la même table.
Jésus tourne le dos au mur où sont les jarres. Il ne le voit donc pas, ni non plus l’affairement du
majordome autour des crédences.
J’observe une chose. Sauf les mères des époux et Marie, aucune femme ne siège à cette table.
Toutes les femmes se trouvent, et elles font un grand bruit, à la table le long du mur. On les sert
après les époux et les hôtes de marque. Jésus est près du maître
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de maison et a en vis-à-vis Marie qui est à côté de l’épouse.
Le repas commence, et je vous assure que l’appétit ne manque pas et encore moins la soif. Deux
mangent et boivent peu, ce sont Jésus et sa Mère, qui aussi parle très peu. Jésus parle un peu plus.
Mais tout en parlant peu, il n’est dans sa conversation ni renfrogné ni dédaigneux. C’est un homme
courtois, mais pas bavard. Quand on l’interroge, il répond, s’intéresse à ce qu’on Lui dit et donne
son avis, mais ensuite se recueille en Lui-même comme quelqu’un habitué à la méditation. Il sourit,
mais ne rit jamais. S’il entend quelque plaisanterie trop aventurée, il fait celui qui n’entend pas.
Marie se nourrit de la contemplation de son Jésus et aussi Jean qui est au bout de la table et reste
suspendu aux lèvres de son Maître.
Marie s’aperçoit que les serviteurs parlottent avec le majordome et que celui-ci est gêné et Elle
comprend qu’il y a quelque chose de désagréable. “Fils” dit-Elle doucement en attirant l’attention
de Jésus avec cette parole: “Fils, ils n’ont plus de vin.”
“ Femme, qu’y a-t-il, désormais entre Moi et Toi?” Jésus en disant cette phrase sourit encore plus
doucement et Marie sourit, comme deux qui savent une vérité qui est leur joyeux secret que tous les
autres ignorent.
Marie ordonne aux serviteurs: “Faites ce que Lui vous dira.”
Marie a lu dans les yeux souriants de son Fils l’assentissement, voilé d’un grand enseignement
pour tous les ‘appelés’.
Et Jésus ordonne aux serviteurs: “Emplissez d’eau les cruches.”
Je vois les serviteurs emplir les jarres de l’eau apportée du puits. (J’entends le grincement de la
poulie qui monte et descend, le seau qui déborde) Je vois le majordome qui se verse un peu de ce
liquide avec un regard de stupeur, qui essaie avec une mimique d’un plu grand étonnement et le
goûte. Il parle au maître le la maison et à l’époux son voisin.
Marie regarde encore son Fils et sourit; puis recevant un sourire de Lui, incline la tête en
rougissant légèrement. Elle est heureuse.
Dans la salle passe un murmure. Les têtes se tournent vers Jésus et Marie. On se lève pour mieux
voir. On va vers les jarres. Un silence, puis un coeur de louanges à Jésus.
Mais Lui se lève et dit une seule parole: “Remerciez Marie” et puis il quitte le repas. Su le seuil il
répète: “La paix à cette
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maison et la bénédiction de Dieu sur vous” et il ajoute: “Mère, je te salue.”
La vision s’arrête.

15. “FEMME, QU’Y A-T-IL DESORMAIS ENTRE TOI ET MOI?”

Jésus m’explique le sens de la phrase.


“Ce ‘désormais’, que beaucoup de traducteurs passent sous silence, est la clef de la phrase et
l’explique avec son vrai sens.
Je fus le Fils soumis à la Mère, jusqu’au moment où la volonté de mon Père m’indiqua que
l’heure était venue d’être le Maître. A partir du moment où ma mission commença, je ne fus plus le
Fils soumis à sa Mère, mais le serviteur de Dieu. Les liens qui m’unissaient à Celle qui m’avait
engendré étaient rompus. Ils s’étaient transformés en liens de plus haut caractère. Ils s’étaient tous
réfugiés dans l’esprit. L’esprit l’appelait toujours ‘Maman’ Marie ma Sainte. L’amour ne connut
pas d’arrêt, ne s’attiédit pas au contraire, il ne fut jamais aussi parfait que lorsque, séparé d’Elle
pour une seconde naissance, Elle me dona au monde, pour le monde, comme Messie, comme
Evangélisateur. Sa troisième, sublime maternité mystique, ce fut quand, dans le déchirement du
Golgotha, Elle m’enfanta à la Croix, en faisant de Moi, le Rédempteur du monde.
“ Qu’y a-t-il désormais entre Toi et Moi?’ J’étais d’abord tien, uniquement tien. Tu me
commandais, Je t’obéissais. Je t’étais ‘soumis’. Maintenant, j’appartiens à ma mission.
Ne l’ai-je peut-être pas dit? ‘Celui qui met main à la charrue et se retourne pour saluer ceux qui
restent, n’est pas apte au Royaume de Dieu’, J’avais mis la main à la charrue pour ouvrir avec le
soc, non pas la glèbe, mais les coeurs, pour y semer la parole de Dieu. Je ne l’avais enlevée cette
main que quand on me l’avait arrachée de là pour la clouer à la Croix et pour ouvrir par la torture de
ce clou le Coeur de mon Père en faisant sortir de la plaie le pardon pour l’humanité.
Ce ‘désormais’, oublié par plusieurs, voulait dire ceci: ‘Tu m’as été tout, ô ;ère tant que je fus le
Jésus de Marie de Nazareth et tu m’es tout en mon esprit mais, depuis que je suis le Messie
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attendu, j’appartiens à mon Père. Attends encore un peu et ma mission terminée, je serai de
nouveau tout à toi. Tu me recevras encore dans tes bras comme quand j’étais petit et personne ne te
le disputera plus, ce Fils qui est le tien que l’on regardera comme la honte de l’humanité, dont on te
jettera la dépouillé pour te couvrir toi aussi de l’opprobre d’être la Mère d’un criminel. Et puis tu
m’auras de nouveau, triomphant et puis, tu m’auras pour toujours, triomphante toi aussi, au Ciel.
Mais maintenant, j’appartiens à tous ces hommes et j’appartiens au Père qui m’a envoyé vers eux.”
Voilà ce que veut dire ce petit ‘désormais’, si chargé de signification.”
Jésus m’a donné cette instruction:
“Quand j’ai dit aux disciples: ‘Allons faire plaisir à ma Mère’, j’avais donné à la phrase un sens
plus relevé qu’il ne semblait. Ce n’était pas le plaisir de me voir, mais d’être l’Initiatrice de mon
activité miraculeuse et la Première Bienfaitrice de l’humanité
Gardez-en toujours le souvenir. Mon premier miracle est arrivé par Marie. Le premier. Symbole
que Marie est la clef du miracle. Je ne refuse rien à ma Mère et, à cause de sa prière, J’avance même
le temps de la grâce. Je connais ma Mère, la seconde en Bonté après Dieu. Je sais que vous faire
grâce, c’est la faire heureuse puisqu’Elle est la ‘Toute Amour’. Voilà pourquoi j’ai dit, Moi qi
savais: ‘Allons lui faire plaisir’.
En outre, j’ai voulu rendre manifeste au monde sa puissance en même temps que la mienne.
Destinée à être unie à Moi dans la chair –car nous fûmes une seule chair: Moi en Elle et Elle autour
de Moi, comme des pétales de lys autour d’un pistil odorant et plein de vie- unie à Moi dans la
douleur, -car nous fûmes sur la Croix, Moi avec ma chair, Elle avec son esprit, de même que le Lys
exhale son parfum avec sa corolle et l’essence qu’on en tire- il était juste qu’Elle me fût unie dans
la puissance qui se manifeste au monde.
Je vous dis à vous ce qui je disais aux invités: ‘Remerciez Marie. C’est par Elle que vous avez eu
le Maître du miracle et que vous avez toutes mes grâces, spécialement celles du pardon’.”
Repose en paix. Nous sommes avec toi.”
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16. JESUS CHASSE LES MARCHANDS DU TEMPLE

Je vois Jésus qui entre avec Pierre, André et Jacques, Philippe et Barthélemy dans l’enceinte du
Temple. Il y a une très grande foule qui y rentre et qui en sort. Pèlerins qui arrivent par bandes de
tous les coins de la ville.
Du haut de la colline sur laquelle le Temple est construit, on voit les rues de la ville, étroites et
sinueuses, qui fourmillent de passants. Il semble qu’entre le blanc cru des maisons se soit étendu un
ruban mouvant de mille couleurs. Oui, la cité a l’aspect d’un bizarre jouet fait de rubans multi
couleurs entre deux alignements de maisons blanches et qui convergent tous vers le point où
resplendissent les coupoles de la Maison du Seigneur.
Puis, à l’intérieur, c’est une vraie foire. Plus aucun recueillement dans le lieu saint. On court, on
appelle, on achète des agneaux, on crie et on maudit à cause du prix exagéré, on pousse les pauvres
Bêtes bêlantes dans des parcs. Ce sont de rudimentaires enclos délimités par des cordes et des
pieux, aux entrées desquelles se tient le marchand ou éventuellement le propriétaire qui attend des
acheteurs. Coups de bâton, bêlements, jurons, réclamations, insultes pour les valets peu pressés de
rassembler et d’enclore les animaux ou pour les acheteurs qui lésinent sur le prix, ou qui
s’éloignent, insultes plus fort pour les gens prévoyants qui ont amené l’agneau de chez eux..
Autour des comptoirs de change, autre vacarme. Je ne sais si c’est toujours ainsi où à l’occasion
de la Pâque; on se rend compte que le Temple fonctionnait comme la Bourse, ou le marché noir. La
valeur des monnaies n’était pas fixée. Il y avait le cours légal qui était certainement déterminé, mais
les changeurs en imposaient un autre, en s’appropriant un pourcentage arbitraire pour le change. Et
je vous assure qu’ils s’y entendaient pour étrangler les clients!… Plus un client était pauvre, plus il
venait de loin, plus on le dépouillait. Les vieux plus que les jeunes, ceux qui arrivaient d’au delà de
la Palestine plus que les vieux.
De pauvres petits vieux regardaient et regardaient encore leur pécule mis de côté, avec combien
de peine, tout le long de l’année, l’enlevaient de leur sein et l’y remettaient cent fois en tournant
autour des changeurs et finissaient enfin par revenir au premier qui se vengeait de leur éloignement
temporaire en augmentant l’agio du change…. Et les grosses pièces quittaient, au milieu
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des soupirs, les mains du propriétaire pour passer dans les griffes de l’usurier en échange de
monnaie plus légère. Puis, pour le choix, une nouvelle tragédie de comptes et de soupirs devant les
marchands d’agneaux qui aux petits vieux, à moitié aveugles, colloquaient les agneaux les plus
chétifs.
Je vois revenir deux petits vieux, lui et elle, qui poussent un pauvre agnelet que les sacrificateurs
ont dû trouver défectueux. Plaintes, supplications, impolitesses, grossièretés se croisent sans que le
vendeur s’en émeuve.
“Pour ce que vous voulez payer, galiléens, c’est déjà trop beau ce que je vous ai donné. Allez-
vous en! Ou ajoutez cinq autres deniers pour en avoir un plus beau!”
“Au nom de Dieu! Nous sommes pauvres et vieux! Veux-tu nous empêcher de faire la Pâque, la
dernière, peut-être? Est-ce que ce que tu nous a pris ne suffit pas pour une petite bête?”
“Faite place, crasseux. Voici que vient à moi Joseph l’Ancien. Il m’honore de sa préférence. Dieu
soit avec toi! Viens, choisis!”
Il entre dans l’enclos et prend un magnifique agneau, celui qu’on appelle Joseph l’Ancien ou
Joseph d’Arimathie. Il passe avec un riche habit, tout fier, sans un coup d’oeil aux pauvres qui
gémissent à la porte et même à l’entrée de l’enclos. Il les bouscule, pour ainsi dire, en sortant avec
l’agneau gras qui bêle.
Mais Jésus aussi est maintenant tout près. Lui aussi a fait son achat, et Pierre, qui probablement a
payé pour Lui, tire derrière lui un agneau convenable. Pierre voudrait aller tout de suite vers le lieu
où l’on sacrifie. Mais Jésus tourne à droite vers les deux petits vieux effarés, en larmes, indécis que
la foule bouscule et que le vendeur insulte.
Jésus, si grand que la tête des deux vieux Lui arrive à la hauteur du coeur, met une main sur
l’épaule de la femme et demande: “Pourquoi pleures-tu, femme?”
La petite vieille se retourne et voit cet homme grand et jeune, solennel en son el habit blanc et son
manteau couleur de la neige tout neuf et propre. Elle doit le prendre pour un docteur à cause de son
habit et de son aspect et, stupéfaite, car les docteurs et les prêtres ne fon aucun cas des gens et ne
protégent pas les pauvres contre la rapacité des marchands, elle dit les raisons de leur chagrin.
Jésus se retourne vers l’homme aux agneaux: “Change cet agneau à ces fidèles. Il n’est pas digne
de l’autel comme il n’est
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pas digne que tu profites de deux pauvres vieux parce que faibles et sans défense.”
“Et Toi, qui es-tu?”
“Un juste,”
“ Ton parler et celui de tes compagnons indiquent que tu es galiléen. Peut-il jamais y avoir un
juste en Galilée?”
“Fais ce que je te dis et sois juste, toi.”
“Ecoutez, écoutez le galiléen défenseur des ses pairs! Il veut nous faire la leçon, à nous qui
sommes du Temple” L’homme rit et se moque contrefaisant l’accent galiléen qui est plus chantant
et plus doux que celui de la Judée, au moins à ce qu’il me semble.
Des gens font cercle et d’autres marchands et changeurs prennent la défense de leur complice
contre Jésus. Parmi les assistants deux ou trois rabbins ironiques. L’un d’eux demande: “Es-tu
docteur?” sur un ton qui aurait fait perdre la patience à Job.
“Tu l’as dit.”
“Qu’enseignes-tu?”
“Voici ce que j’enseigne: rendre la Maison de Dieu, maison de prière et non pas place d’usuriers
et de marchands. Voilà mon enseignement.” Jésus est terrible. Il semble l’Archange mis sur le seuil
du Paradis perdu. Il n’a pas aux mains l’épée flamboyante mais ses yeux irradient la lumière et
foudroient les moqueurs et les sacrilèges.
A la main, il n’a rien. Seule sa sainte colère. Et avec elle, cheminant rapide et imposant au milieu
des comptoirs, il éparpille les monnaies méticuleusement rangées selon leur valeur, renverse tables
petites et grandes et tout tombe avec fracas sur le sol avec grand bruit de métaux qui rebondissent et
de bois bousculé avec cris de colère, d’effarement et d’approbations. Puis il arrache des mains des
gardiens de bestiaux des cordages qui attachent boeufs, brebis et agneaux il en fait un martinet très
dur dont les noeuds coulants assemblent les lanières. Il se lève, le fait tournoyer et l’abaisse sans
pitié. Oui, je vous l’assure, sans pitié-
La grêle imprévu s’abat sur les têtes et es échines. Les fidèles s’esquivent, admirant la scène. Les
coupables, poursuivis jusqu’en dehors de l’enceinte se savent à toutes jambes, laissant par terre
l’argent et en arrière les bêtes de toutes les tailles, dans une grande confusion de jambes, de cornes,
d’ailes. C’est à qui court, s’échap-
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pe en volant. Las mugissement, les bêlements, les roucoulements des colombes et des tourterelles
en même temps que les rires et les cris des fidèles derrière les usuriers en fuite dépassent jusqu’au
lamentable choeur des animaux qu’on égorge certainement dans une autre cour.
Des prêtres accourent, en même temps que des rabbins et des pharisiens. Jésus est encore au
milieu de la cour, revenant de sa poursuite. Il a encore en mains le martinet.
“Qui es-tu? Comment te permets-tu de faire cela, en troublant les cérémonies prescrites? De
quelle école proviens-tu? Pour nous, nous ne te connaissons pas. Nous ne savons pas qui tu es.”
“Je suis Celui qui peut. Je peux tout. Détruisez seulement ce Temple vrai, et Je le ressusciterai
pour donner louange à Dieu. Je ne trouble pas, Moi, la sainteté de la Maison de Dieu, ni les
cérémonies. Mais c’est vous qui la troublez en permettant que dans sa demeure s’installent les
usuriers et les mercantis. On école, c’est l’école de Dieu, la même école qui fut celle de tout Israël,
par la bouche de l’Eternel qui parlait à Moïse. Vous ne me connaissez pas? Vous me connaîtrez.
Vous ne savez pas d’où Je viens? Vous le saurez.”
Et se tournant vers le peuple sans plus s’occuper des prêtres dominant l’entourage par sa taille,
revêtu de son habit blanc, le manteau ouvert et flottant en arrière des épaules, les bras étendus
comme un orateur au moment le plus pathétique de son discours, il dit:
Ecoutez, vous d’Israël! Dans le Deutéronome il est dit: ‘Etabliras des juges et des magistrats à
toutes les portes… et ils jugeront le peuple avec justice, sans partialité à l’égard de personne. Tu
n’auras pas d’égards particuliers pour quiconque. Tu n’accepteras pas de cadeaux, car les cadeaux
aveuglent les sages et troublent les paroles des justes. Tu suivras avec justice le juste sentier pour
vivre et posséder la terre que le Seigneur ton Dieu t’aura donné.’
Ecoutez, vous d’Israël Dans le Deutéronome il est dit: ‘Les prêtres et les lévites et tous ceux de la
tribu de Lévi n’auront aucun partage ni hérédité avec le reste d’Israël, parce qu’ils doivent vivre
avec le sacrifice du Seigneur et avec les offrandes que l’on fait à Lui; ils n’auront aucune part avec
ce que leurs frères possèdent, parce que le Seigneur est leur héritage’.
Ecoutez, vous d’Israël! Dans le Deutéronome il est dit:’ Tu ne
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prêteras à intérêt à ton frère, ni argent, ni grain, ni quelqu’autre chose. Tu pourras prêter à intérêt à
l’étranger, au contraire, à ton frère tu prêteras sans intérêt ce dont il a besoin.’
C’est cela que dit le Seigneur.
Maintenant vous voyez que c’est sans justice à l’égard du pauvre que les juges siègent en Israël.
Ce n’est pas en faveur du juste mais de celui qui est fort que l’on penche. Etre pauvre, être peuple,
cela veut dire subir l’oppression. Comment le peuple peut-il dire: ‘Celui qui nous juge est juste’ s’il
voit que seuls les puissants sont respectés et écoutés, tandis que le pauvre ne trouve personne qui
veuille l’entendre? Comment le peuple peut-il respecter le Seigneur s’il voit que ne le respectent pas
ceux qui en ont plus que d’autres le devoir? Est-ce respecter le Seigneur que de violer son
commandement? Et pourquoi, alors, en Israël ont-ils des propriétés et reçoivent des cadeaux des
publicains et des pécheurs, qui agissent ainsi pour avoir la bienveillance des prêtres, et ceux-ci
l’acceptent pour avoir un coffret bien garni?
C’est Dieu qui est l’héritage de ses prêtres. Pour eux, Lui, le Père d’Israël est plus père qu’aucun
autre père ne l’a jamais été, et Il pourvoit à leur nourriture comme il est juste. Mais, pas plus qu’il
ne soit juste. Il n’a promis aux serviteurs de son Sanctuaire ni richesses ni propriétés. Pendant
l’éternité, ils auront le Ciel pour récompenser leur justice, comme l’ont Moïse et Elie, et Jacob et
Abraham: mais sur cette terre ils ne doivent avoir qu’un vêtement de lin et un diadème d’or
incorruptible: pureté et charité. Le corps doit être le serviteur de l’esprit qui est serviteurs de Dieu
et permettent-ils, à l’ombre des murs sacrées, l’usure au détriment des frères d’Israël venus pour
obéir au commandement de Dieu? On m’a demandé de quelle école Je viens, et J’ai répondu: ‘De
l’école de Dieu’. Oui, Israël. Je viens te ramener à cette école sainte et immuable.
Qui veut connaître la Lumière, la Vérité, la vie, qui veut entendre la voix de Dieu parlant à son
peuple, qu’il vienne à Moi. Vous avez suivi Moïse à travers les déserts, ô vous d’Israël suivez-Moi
que Je vous conduise, à travers un désert bien plus triste, vers la vraie Terre bienheureuse. A travers
la mer qui s’ouvre au
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commandement de Dieu, c’est vers elle que Je vous entraîne. En levant mon Signe, Je vous guéris
de tout mal.
L’heure de la Grâce est venue. Ils l’ont attendue, les Patriarches, et ils sont morts en l’attendant.
Ils l’ont prédite, les Prophètes, et ils sont morts réconfortés par ce rêve. Maintenant, elle s’est levée.
Venez. ‘Le Seigneur va juger son peuple et faire miséricorde à ceux qui le servent’ comme Il a
promis par la bouche de Moïse.”
Les gens qui font cercle autour de Jésus sont restés, bouche bée à l’écouter. Puis, ils commentent
la parole du nouveau Rabbi et interrogent ses compagnons.
Jésus se dirige vers une autre cour séparée de celle-ci par un portique. Ses amis le suivent, et la
vision prend fin.

17. RENCONTRE AVEC L’ISCARIOTE ET THOMAS.


MIRACLE SUR SIMON LE ZELOTE

Jésus se trouve avec ses six disciples. Aussi bien la veille qu’aujourd’hui je ne vois plus Jude
Thaddée qui avait dit qu’il voulait venir à Jérusalem avec Jésus.
Ce doit être encore les fêtes pascales parce qu’il y a toujours grande affluence dans la Cité.
C’est vers le soir et beaucoup reviennent en hâte vers les maisons. Jésus aussi se dirige vers la
maison dont il est hôte. Ce n’est pas la maison du Cénacle. Elle se trouve à l’intérieur de la ville,
tout en étant à ses confins. Celle-ci est déjà une vraie maison rustique au milieu d’une oliveraie. De
la petite cour qui la précède, on voit les arbres qui descendent en rangées qui se suivent jusque vers
le bas de la colline. Ils s’arrêtent là où un petit torrent qui charries très peu d’eau s’en va à travers la
faille qui se trouve entre deux collines peu élevées. Le Temple est au sommet de l’une des deux; sur
l’autre, des oliviers à perte de vue. Jésus est tout en bas de cette agréable colline, qui s’élève en
pente douce avec tout l’agrément de ces arbres paisibles.
“Jean il y a deux hommes qui attendent ton ami” dit un hom
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me âgé qui doit être le fermier ou le propriétaire de l’oliveraie. On dirait que Jean le connaît.
“Où sont-ils? Qui sont ils?”
“Je ne sais, l’un est sûrement Juif. L’autre … je ne saurais … Je ne le lui ai pas demandé.”
“Où sont-ils?”
“Ils attendent dans la cuisine et … et … oui, voilà, il y en a encore un qui est couvert de plaies …
Je l’ai fait s’arrêter parce que … je ne voudrais pas qu’il soit lépreux… Il dit qu’il veut voir le
Prophète qui a parlé au Temple.”
Jésus, qui jusqu’à ce moment s’était tu, dit: “Allons d’abord trouver ce dernier. Dis aux autres de
venir s’ils veulent, je leur parlerai ici, dans l’oliveraie. “ Et il se tourne vers l’endroit indiqué par
l’homme.
“Et nous, que faisons-nous?” demande Pierre.
“Venez si vous voulez.”
Un homme, tout emmitouflé est adossé au muret rustique qui soutient une corniche, tout à coté de
la limite du domaine. Il a dû monter par un sentier qui le borde, en côtoyant le petit torrent. Quand il
voit Jésus qui vient vers lui, il crie: “Arrière, arrière! Mais aussi, pitié!” Et il se découvre le tronc en
laissant tomber son vêtement.
Si le visage est déjà couvert de crûtes, le tronc n’est qu’une mosaïque de plaies. Il y en a qui se
creusent profondément, d’autres comme des brûlures rouges, d’autres blanchâtres et translucides,
comme s’il y avait dessus du verre blanc.
“Tu es lépreux! Que veux-tu de Moi?”
“Ne me maudit pas! Ne me lapide pas! On m’a dit que hier soir tu t’es manifesté comme la voix
de Dieu et le Porteur de la Grâce. On m’a dit que tu as certifié qu’en élevant ton Signe, tu guéris
tout mal. Lève le sur moi. Je viens des tombeaux … là… J’ai rampé comme un serpent parmi les
ronces du torrent pour arriver ici sans être vu. J’ai attendu le soir pour le faire, parce que dans la
pénombre on voit moins bien ce que je suis. J’ai osé… j’ai trouvé cet homme de la maison, qui est
assez bon. I ne m’a pas tué. Il m’a dit seulement: ‘Attends contre le muret!’. Toi aussi, aie pitié” .
Jésus s’avance, Lui seul, car les six disciples et le propriétaire avec les deux inconnus restent loin en
manifestant clairement leur dégoût. Le lépreux dit encore: “ N’avance plus davantage! Pas plus! Je
suis souillé”
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Mais Jésus s’avance. Il le regarde avec une telle pitié que l’homme se met à pleurer. Il
s’agenouille, le visage presque à terre. Il gémit: “Ton Signe! Ton Signe!”
“Il s’élèvera à son heure. Mais à toi je dis: ‘Rélève-toi. Sois guéri. Je le veux. Et sois pour Moi un
signe dans cette cité qui doit me connaître. Lève-toi, je te le dis! Et ne pèche plus, par
reconnaissance pour Dieu!”
L’homme se lève, lentement, lentement. Il semble qu’il émerge du milieu des herbes hautes et
fleuries comme s’il se dégageait d’un linceul… Il est guéri. Il se regarde aux derrières clartés du
jour. Il est guéri. Il crie: “ Je suis guéri! Oh! Que dois-je faire maintenant pour Toi?”
“Obéir à la Loi. Va trouver le prêtre. Sois bon désormais. Va.”
L’homme esquisse un mouvement pour se jeter aux pieds de Jésus, mais il se rappelle qu’il est
encore impur aux yeux de la Loi; il se retient. Mais il se baise les mains et envoie le baiser à Jésus.
Il pleure de joie.
Les autres sont pétrifiés. Jésus tourne le dos au lépreux guéri et en souriant les secoue: “Amis, ce
n’était qu’une lèpre de la chair, mais vous verrez s’effacer la lèpre des coeurs. C’est vous qui voulez
me voir?” dit-il aux deux inconnus. “Me voici. Qui êtes-vous?”
“Nous t’avons entendu, l’autre soir…. Au Temple. Nous t’avons cherché par la ville. Quelqu’un
qui se dit ton parent nous a dit que tu étais ici.”
“Pourquoi me cherchez-vous?”
“Pour te suivre, si tu veux de nous, parce que Tu as des paroles de vérité.”
“Me suivre? Mais savez-vous où Je me dirige?”
“Non, Maître, mais certainement vers la gloire.”
“Oui, mais vers une gloire qui n’est pas de cette terre, vers ne gloire qui réside au Ciel et qui se
conquiert par la vertu et le sacrifice. Pourquoi voulez-vous me suivre?” demande-t-il de nouveau.
“Pour avoir part de ta gloire.”
“Selon le Ciel?”
“Oui, selon le Ciel.”
“ Ce n’est pas tout le monde qui peut y arriver. Parce que Mammon tend des pièges, et à ceux qui
désirent le Ciel, plus qu’aux autres. Celui-là seul résiste dont la volonté est forte. Pourquoi me
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suivre, si me suivre implique une lutte continuelle avec l’ennemi qui est en nous, avec le monde
ennemi, avec l’Ennemi qui est Satan?”
“Parce que, c’est notre esprit qui nous y porte, notre esprit qui est resté ta conquête. Tu es saint et
puissant, nous voulons être tes amis.”
“Amis!!!” Jésus se tait et soupire. Puis il regarde fixement celui qui à toujours parlé et qui
maintenant a laissé tomber le manteau qui lui couvrait la tête, la laissant maintenant découverte.
C’est Jude de Kériot. “Qui es-tu qui parles mieux qu’un homme du peuple?”
“Je suis Jude de Simon. Je suis de Kériot, mais je suis du Temple, J’attends le Roi des Juifs, c’est
mon rêve. Roi, j’ai reconnu à ta parole que tu l’étais. Roi, je t’ai reconnu à ton geste. Prends-moi
avec Toi!”
“ Te prendre? Maintenant? Tout de suite? Non.”
“Pourquoi, Maître?”
“Parce qu’il vaut mieux se jauger soi-même, avant de prendre une route très escarpée.”
“Tu ne crois pas à ma sincérité?”
“Tu l’as dit. De ta part, je crois à une impulsion, mais je ne crois pas à ta constance. Réfléchis,
Judas. Maintenant je pars et je reviendrai pour la Pentecôte. Si tu es du Temple, tu me verras. Rend-
moi compte de ce dont tu es capable…. Et toi, qui es tu?” demande-t-il ai second inconnu.
“Un autre qui t’a vu. Je voudrais être avec Toi. Mais maintenant cela m’effraye.”
“ Non, la présomption, c’est la ruine. La crainte peut être un obstacle, mais si elle vient de
l’humilité, elle est un aide. Ne crains pas. Toi aussi, réfléchis et quand je viendrai…”
“Maître, tu es tellement saint! J’ai peur de n’être pas digne. Rien d’autre. Parce que, pour ce qui
est de mon amour, je n’ai pas de crainte…”
“Comment t’appelles-tu?”
“Thomas, surnommé Didyme.”
“Je me rappellerai ton nom. Va en paix.”
Jésus les congédie et rentre dans la maison hospitalière pour le souper. Les six qui sont avec Lui
veulent lui poser beaucoup de questions.
“Pourquoi, Maître, as-tu fait une différence entre les deux?… Par-
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ce que il y a eu une différence. Tous deux obéissent à une même impulsion…” demande Jean.
Mon ami, parce que la même impulsion peut n’avoir pas la même saveur. Bien sûr que les deux
ont eu la même impulsion, mais elle ne tend pas au même but. C’est celui qui a paru moins parfait
qui l’est davantage car il n’a pas en lui le désir fiévreux de la gloire humaine. Il m’aime parce qu’il
m’aime.”
“Moi aussi!”
“Et moi de même.”
“Et moi.”
“Et moi. “
“Et moi.”
“Et moi.”
“Je le sais. Je vous connais pour ce que vous êtes.”
“Nous sommes donc parfaits?”
“Oh! Non! Mais, comme Thomas, vous le deviendrez si vous persistez dans votre volonté
d’amour. Parfaits!? Oh! Amis! Et qui est parfait hormis Dieu?”
“Toi tu l’es!”
“ En vérité, je vous dis que pour Moi, je ne suis pas parfait si vous ne voyez en Moi qu’un
prophète. Aucun homme n’est parfait. Mais je suis parfait, Moi, car Celui qui vous parle est le
Verbe du Père. Elle est en Dieu, sa Pensée, qui se fait Parole. J’ai la Perfection en Moi et c’est cela
que vous devez croire si vous croyez que je suis le Verbe du Père. Et pourtant, vous le voyez, amis,
je veux qu’on m’appelle le Fils de l’homme, car je m’anéantis Moi-même, en prenant sur Moi
toutes les misères de l’homme, pour les porter –c’est ma première croix- et les supprimer après les
avoir portées, mais sans qu’elles m’aient atteint. Quel poids, mes amis! Mais je l’apporte avec joie,
C’est ma joie
Jésus parle doucement, assis à la pauvre table avec ses mains qui font des gestes paisible, la figure
un peu penchée, éclairée en dessous par la petite lampe à huile posée sur la table. Il sourit
légèrement. C’est déjà le Maître qui s’impose et dont les traits respirent tant d’amitié. Les disciples
l’écoutent, attentifs.
“Maître… pourquoi ton cousin qui savait où tu habites n’est-il pas venu?”
“ Mon Pierre…! Tu seras une de mes pierres, la première,. Mais
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toutes les pierres ne se prêtent pas facilement à l’emploi. Tu as vu les marbres du palais du
prétoire? Arrachés péniblement aux flancs de la montagne, ils font maintenant partie du Prétoire.
Regarde, par contre, ces cailloux qui brillent là aux rayons de la lune au fond des eaux du Cédron.
Ils sont arrivés d’eux-mêmes dans le lit du torrent et si on le veut, voilà qu’ils se laissent tout de
suite prendre. Mon cousin est comme les premières pierres dont je parle… Le flanc de la montagne:
la famille me le dispute.”
“Mais moi, je veux être tout à fait comme les pierres du torrent. Pour Toi, je suis prêt à tout laisser,
la maison, l’épouse, la pêche, les frères. Tout, mon Maître, pour Toi.”
“Je le sais, Pierre, c’est pour cela que je t’aime, mais Judas aussi viendra.”
“Qui? Judas de Kériot? Je n’y tiens pas, c’est un beau monsieur mais … Je préfère … Oui, je
préfère moi-même…”
Tout le monde rit de la sortie de Pierre.
“Il n’y a pas de quoi rire. Je veux dire que je préfère un simple galiléen, un pêcheur nature mais
franc à … aux citadins qui … Je ne sais pas. Voilà, mais le Maître comprend ce que je veux dire.”
“Oui, je comprends, mais ne juge pas. Nous avons besoin l’un de l’autre, sur la terre, et les bons
sont mélangés aux mauvais comme les fleurs dans un champ: la ciguë est à coté de la mauve
bienfaisante.”
“Je voudrai demander une chose…”
“Quoi, André?”
“Jean m’a raconté le miracle que Tu as fait à Cana… Nous espérons tant que Tu en fasses un à
Capharnaüm… Et Toi Tu nous a dit que Tu ne faisais pas de miracles sans avoir auparavant
accompli la Loi. Pourquoi alors à Cana? Pourquoi là et pas dans ta patrie?”
“Toute obéissance à la Loi est union à Dieu et donc accroissement de notre pouvoir. Le miracle
est la preuve de l’union à Dieu, de la présence bienveillante de Dieu et de son accord avec nous.
C’est pour cela que j’ai voulu remplir mon devoir d’israélite avant de commencer la série des
prodiges.”
“Mais Tu n’étais pas tenu à observer la Loi.”
“Pourquoi? Comme Fils de Dieu, non, Mais comme fils de la Loi, si. Israël, pour l’heure, ne me
connaît pas comme tel… Et même après, presque tout Israël me connaîtra comme tel, comme
moins, encore. Mais je ne veux pas donner de scandale à Israël
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et j’obéis à la Loi.”
“Tu es saint.”
“La sainteté n’exclut pas l’obéissance, mais au contraire la perfectionne. Il y a l’exemple à
donner, en plus du reste. Que dirais-tu, d’un père, d’un frère aîné, d’un maître, d’un prêtre qui ne
donneraient pas le bon exemple?”
“Et Cana alors?”
“ Cana c’était la joie qu’il fallait donner à ma Mère. Cana c’est un acompte de ce qui est dû à ma
Mère. C’est Elle qui la première à apporté la Grâce. Ici, j’honore la Coté Sainte en y inaugurant
publiquement ma puissance de Messie, mais là-bas, à Cana, je devais l’honneur à la Sainte de Dieu,
à la Toute Sainte. C’est par Elle que le monde m’a eu. Il est juste que ce soit Elle qu’aille mon
premier prodige en ce monde.”
On frappe à la porte.
C’est Thomas, de nouveau. Il entre et se jette aux pieds de Jésus. “Maître, je ne peux attendre ton
retour. Laisse-moi avec Toi. Je suis plein de défauts, mais j’ai cet amour, seul, grand, vrai, mon
trésor. Il est à Toi. Il est pour Toi. Et garde-moi, Maître…”
Jésus lui met la main sur la tête. “Reste, Didyme. Suis-moi. Bienheureux ceux qui sont sincères et
ont une volonté tenace. Vous êtes bénis. Vous m’êtes plus que les parents car vous êtes pour Moi
des fils et des frères non selon le sang qui est mortel, mais selon la volonté de Dieu et la volonté de
votre esprit. Maintenant Je vous dis qu’il n’y a pas de parenté plus étroite que celle de celui qui fait
la volonté de mon Père et vous la faites, parce que vous voulez le bien.”
Ainsi se termine la vision.

[…]

79
18. THOMAS DEVIENT DISCIPLE

[Ce matin, revenant d’un très lourd sommeil de plusieurs heures, pendant que je prie en attendant
le jour, j’ai la reprise de la vision. Je dis la reprise car ]

… nous sommes encore dans le même endroit: la cuisine, large et basse aux murs enfumés, à
peine éclairée par une petite lampe à huile posée sur la table rustique, longue et étroite à laquelle
sont assis huit personnes: Jésus et ses disciples, et en plus le maître de la maison, quatre de chaque
coté.
Jésus est encore tourné sur son tabouret à trois pieds et sans dossier, vrai mobilier rustique. Jésus
parle encore avec Thomas. La main de Jésus est descendue sur l’épaule du nouveau venu. Jésus dit:
“Lève-toi, ami. As-tu soupé?”
“Non, Maître. J’ai fait quelques mètres avec l’autre qui m’accompagnait et puis je l’ai laissé,
revenant sur mes pas, lui disant que je voulais parler au lépreux guéri… J’ai lui dit cela car je
pensais qu’il aurait dédaigné de s’approcher d’un homme impur. J’avais deviné. Mais moi, c’était
Toi que je cherchais, pas le lépreux… Je voulais Te dire: ‘Prend-moi” … J’ai tourné autour de
l’oliveraie jusqu’à ce qu’un jeune homme m’a demandé ce que je faisais. Il a dû me prendre pour
un individu mal intentionné.. Il était près d’une borne, là où commence la propriété.”
Le maître delà maison sourit. “C’est mon fils” explique-t-il ensuite, et il ajoute: “Il monte la
garde au pressoir. Nous avons dans des caves, sous le pressoir presque toute la récolte de l’année.
Elle a été excellente. Elle a produit beaucoup d’huile. Quand il y a foule, il s’y mêle des malandrins
qui cambriolent les endroits qui ne sont pas gardés. Il y a huit ans exactement à la Parascève, ils
nous ont tout volé. Depuis lors, chacun à notre tour nous prenons la garde de nuit. La mère est allée
lui porter le souper.”
“Eh bien, il m’a dit: ‘Que veux tu?’, il me l’a dit sur un ton que, pour me garantir les épaules des
coups de bâton, je me suis vite expliqué: ‘Je cherche le Maître qui habite ici’. Il m’a alors répondu:
‘Si c’est vrai ce que tu dis, viens à la maison’. Et il m’a accompagné jusqu’ici. C’est lui qui a frappé
à la porte et il s’en est allé quand il a entendu mes premières paroles.”
“Tu habites loin?”
“Je loge de l’autre côté de la ville, tout près de la Porte Orientale.”
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“Tu es seul?”
“J’étais avec les parents. Mais ils sont allés chez d’autres parents sur la route de Bethléem. Je suis
resté pour te chercher nuit et jour, jusqu’à ce que je te trouve.”
Jésus sourit et dit: “Alors, personne ne t’attend?”
“ Non, Maître.”
“La route est longue, la nuit est noire. Les patrouilles romaines sillonnent la ville. Je te dis: si tu
veux, reste avec nous.”
“Oh! Maître!” Thomas est heureux.
“Faites-lui place, vous. Et donnez tous quelque chose au frère.”
Sur sa part, Jésus prélève la portion de fromage qui était devant lui. Il explique à Thomas: “Nous
sommes pauvres, et le repas est presque fini, mais c’est de tout coeur que tout le monde t’offre.”
A Jean, assis a côté de Lui, il dit: “Cède ta place à l’ami.”
Jean se lève tout de suite et va s’asseoir au coin de la table, à coté du patron.
“Assieds-toi, Thomas, mange. Puis à tous: “C’est ainsi que toujours vous ferez, amis, pour
pratiquer la loi de la charité. Le pèlerin est déjà protégé par la Loi de Dieu. Mais maintenant en mon
nom, vous devrez l’aimer encore davantage. Quand quelqu’un vient vous demander un pain, un
abri, une gorgée d’eau, au nom de Dieu, donnez-le, au nom de Dieu aussi. Et Dieu vous en
récompensera. Cela, vous devez le faire avec tous, même avec les ennemis. C’est la Loi nouvelle.
Jusqu’à maintenant, il vous était dit: ‘Aimez ceux qui vous aiment et haïssez vos ennemis.’ Mais
Moi je vous dis: ‘Aimez même ceux qui vous haïssent’. Oh! Si vous saviez comme vous serez
aimés de Dieu si vous aimez comme je vous dis! Quand quelqu’un peut dire: ‘Je veux être votre
compagnon dans le service du Seigneur, le Dieu Véritable et suivre son Agneau’ alors, il doit vous
être plus cher qu’un frère de même sang, parce que vous serez uni par un lien éternel: celui du
Christ.”
“Mais si ensuite on s’aperçoit que quelqu’un n’est pas sincère? Dire: ‘Je veux faire ceci et cela’
c’est facile. Mais la parole ne correspond pas toujours à la vérité” dit Pierre plutôt fâché. Je ne sais
pas, il n’a pas son humeur, à l’ordinaire joviale.
“Pierre, écoute. Tu parles avec bon sens et justice. Mais, vois: il vaut mieux pécher par bonté
d’âme et par confiance, que par défiance et dureté. Si tu fais du bien à un indigne, quel mal en
résultera pour toi? Aucun. Mais, au contraire, la récompense de
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Dieu sera pour toi toujours fidèle, pendant que l’autre aura le démérite d’avoir trahi la confiance.”
“Aucun mal? Eh! Il arrive, des fois qu’un indigne ne s’arrête pas à l’ingratitude, mai il va plus
loin et arrive aussi à nuire à la réputation, au patrimoine, à la vie elle même.”
“C’est vrai. Mais cela diminuerait-t-il ton mérite? Non. Même si tout le monde ajoutait foi aux
calomnies, même si le cruel t’enlevait la vie, qu’est ce qui serait changé aux eux de Dieu? Rien. L y
aurait pour toi un changement, mais en mieux, au mérite de la bonté s’ajouteraient les mérites d’un
martyre de l’esprit, de la perte de ton bien, de la perte de la vie.”
“Bien, bien! Ce sera comme ça.” Pierre ne parle plus. Boudeur, il reste la tête appuyée sur la
main.
Jésus se tourne vers Thomas: “Ami, je t’ai dit d’abord dans l’oliveraie: ‘Quand je reviendrai de
ma tournée, si tu veux encore, tu seras mien’. Maintenant je te dis: ‘Es tu disposé faire plaisir à
Jésus?”
“Sans aucun doute.”
“Mais si ce plaisir peut te demander un sacrifice?”
“Rien ne me coûtera pour te servir. Que veux Tu?”
“Je voulais te dire… mais si tu as des relations, des affections…”
“Rien! Rien! J’ai Toi, parle.”
“Ecoute. Demain dès l’aube, le lépreux quittera les tombeaux pour trouver quelqu’un qui avertisse
le prêtre. Tu commenceras par aller aux tombeaux. C’est charité, et puis tu dira à haute voix: ‘Toi,
qui hier as été purifié, viens dehors. Celui qui m’envoie chez toi, c’est Jésus de Nazareth, le Messie
d’Israël. Celui qui t’a guéri.” Fais en sorte que le monde des ‘morts vivants’ connaisse mon Nom
et frémisse d’espérance. Que celui qui a l’espérance jointe à la Foi, vienne à Moi, pour que je le
guérisse. C’est la première manifestation de la pureté que j’apporte, de la résurrection dont j’ai la
maîtrise. Un jour, je donnerai une pureté plus profonde… Un jour les tombeaux scellés vomiront
les vrais morts qui apparaîtrons pour rire, de leurs yeux vides, de leur mâchoires décharnées pour la
joie lointaine, et pourtant ressentie par les squelettes, des esprits libérés de l’attente des Limbes. Ils
apparaîtront pour rire de cette libération et pour frémir en sachant à quoi ils doivent … Toi, va. Il
viendra vers toi. Tu feras ce que lui te demandera de faire, tu l’aideras en tout comme si c’était
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ton frère. Et tu lui diras: ‘Quand tu seras totalement purifié, nous irons ensemble sur la route du
fleuve au delà de Doco et Efraïm. Là le Maître t’attend et m’attend pour nous dire en quoi nous
devons le servir’.”
“Je ferai cela. Et l’autre?”
“Qui? L’Iscariote?”
“Oui, Maître.”
“ Pour lui, dure mon conseil. Laisse-le se décider de lui-même et réfléchir longtemps. Evite même
de le rencontrer.”
“Je resterai près du lépreux. Dans la vallée des tombeaux, il n’y a que les impurs qui se déplacent
ou ceux qui s’en approchent par pitié.”
Pierre bougonne quelque chose. Jésus l’entend.
“Pierre, qu’est ce que tu as? Tu te tais ou murmures. Tu sembles mécontent. Pourquoi?”
“Je le suis. Nous sommes les premiers et Toi, tu ne nous fais pas cadeau d’un miracle. Nous
sommes les premiers et Toi, tu fais asseoir près de Toi, un étranger. Nous sommes les premiers et
Toi, à lui Tu confies des charges, mais pas à nous. Nous sommes les premiers et … oui, voilà
exactement, il semble que l’on soit les derniers. Pourquoi les attends-tu sur le chemin du fleuve?
Sûrement pour leur donner quelque mission. Pourquoi à eux et pas à nous?”
Jésus le regarde. Il n’est pas fâché. Il lui sourit même, comme on sourit à un enfant. Il se lève, va
lentement vers Pierre, lui met la main sur l’épaule et lui dit en souriant: “Pierre, Pierre! Tu es un
grand vieux bambin!” et à André, assis près de son frère, il lui dit: “Va à ma place.” Et s’assied à
côté de Pierre, lui met un bras sur les épaules et lui parle en le tenant ainsi contre son épaule:
“Pierre, il te semble que je commet une injustice, mais ce n’est pas une injustice, mais ce n’est pas
une injustice que je fais. C’est au contraire la preuve que je sais ce que vous valez. Regarde. Qui a
besoin d’être mis à l’épreuve? Celui qui encore n’est pas sûr. Eh! Bien! Je vous savais si sûrs de
Moi, que je n’ai pas éprouvé le besoin de vous donner des preuves de ma puissance. Ici, à
Jérusalem, il faut des preuves là où le vice, l’irréligion, la politique, tant de choses du monde
obscurcissent les esprits au point qu’ils ne peuvent voir la Lumière qui passe. Mais là-bas, sur notre
lac, si pur, sous un ciel si pur aussi, là parmi des gens honnêtes et désireux de bien, les preuves ne
sont pas nécessaires. Vous les aurez, les miracles. A pleins fleuves,
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je verserai sur vous les grâces. Mais, regarde comme je vous ai estimés. Je vous en pris sans exiger
de preuves et sans éprouver le besoin de vous en donner, parce que je sais qui vous êtes: chers,
tellement chers, pour Moi et tellement fidèles.”
Pierre retrouve sa sérénité: “Pardonne-moi, Jésus.”
“ Oui, je te pardonne, car ta bouderie, c’est de l’amour. Mais, n’ais plus d’envie, Simon fils de
Jonas. Sais-tu que ce qu’est le coeur de ton Jésus? Tu n’as jamais vu la mer, la vraie mer? Si? Eh
bien, mon coeur est bien plus vaste que son étendue. Il y a de la place pour tous. Pour toute
l’humanité. Et le plus petit y a place comme le plus grand. Et le pécheur y trouve l’amour comme
l’innocent. A ceux-ci je donne une mission. Bien sûr. Veux-tu m’empêcher de la leur donner? Je
vous ai choisis, et non pas vous Moi. Je suis donc libre de jouer comment je dois vous employer. Et
si ceux-ci je les laisse ici avec une mission –qui peut être aussi une épreuve comme peut être une
miséricorde le laps de tempe laissé à l’Iscariote- peux-tu m’en faire reproche? Sais-tu si à toi je n’en
réserve pas une plus importante? Et n’est-ce pas la plus belle preuve d’amour que t’entendre dire
‘Tu viendras avec Moi’”
“C’est vrai, c’est vrai. Je suis une bête. Pardon!”
“Oui. Je pardonne tout et chaque chose. Oh! Pierre… mais, je vous en prie tous: ne discutez
jamais sur les mérites et sur les places. J’aurais pu naître roi. Je suis né pauvre, dans une étable.
J’aurais pu être riche. J’ai vécu de mon travail et maintenant de charité. Et pourtant, croyez-le, amis,
personne n’est plus grand aux yeux de Dieu que Moi. De Moi-même, qui suis ici: serviteur de
l’homme.”
“Toi serviteur? Non, jamais!”
“Pourquoi, Pierre?”
“Parce que c’est moi qui te servirai.”
“Même si tu me servais comme une mère soigne son enfant, je suis venu pour servir l’homme.
Pour lui je serai Sauveur. Quel service comparable à celui-là?”
“Oh! Maître! Tu expliques tout. Et ce qui était obscur se fait tout à coup lumineux!”
“Content, maintenant, Pierre? Alors laisse-moi finir de parler à Thomas. Es-tu certain de
reconnaître le lépreux? Il n’y a que lui de guéri. Mais il pourrait bien être déjà parti à la lueur des
étoiles pour trouver un voyageur complaisant. Et un autre, désirant entrer dans la ville pour voir des
parents, peut-être qu’il pour-
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rait se substituer à lui. Voici son portrait. J’étais tout à côté de lui, et au crépuscule, je l’ai bien
observé. Il est grand et maigre. Il a le teint foncé d’un sang mêlé, des yeux profonds et très noirs
sous de sourcils blancs comme la neige, des cheveux couleur de lin et putôt frisés, un nez long épaté
à l’extrémité, comme les Libyens, des lèvres épaisses surtout l’inférieure et proéminentes. Au front,
une vieille cicatrice est restée et ce sera l’unique tache, maintenant qu’il est purifié des croûtes et
des crasses.”
“C’est un vieux, il est tout blanc.”
“Non, Philippe, il semble, mais il ne l’est pas. C’est la lèpre qui l’a blanchi.”
“Qu’est-ce qu’un sang mêlé?”
“Peut-être, Pierre. Il rassemble aux populations d’Afrique.”
“Sera-t-il Israélite, alors?”
“Nous le saurons, mais s’il ne l’était pas?”
“Eh! S’il ne l’était pas, il pourrait s’en aller. C’est déjà beaucoup d’avoir eu la chance d’être
guéri.”
“Non, Pierre. Même s’il était idolâtre, Moi, je ne le chasserais pas. Jésus est venu pour tout le
monde. Et en vérité je te le dis que les peuples des ténèbres surpasseront les fols du peuple de la
Lumière…”
Jésus soupire. Puis il se lève. Il rend grâce au Père en récitant une hymne et il bénit.
La vision cesse ainsi.

[Je fais remarquer en passant que celui qui m’avertit intérieurement m’a dit, dès hier soir, quand je
regardais le lépreux: ‘C’est Simon, l’apôtre. Tu verras son arrivée et celle de Thaddée auprès du
Maître.” Ce matin, après la Communion (c’est vendredi) j’ouvre le missel et je vois que c’est
exactement aujourd’hui la vigile de la fête des saints Simon et Jude, et l’Evangile de demain parle
justement de la charité en répétant presque les paroles que j’ai entendues à la première vision. Jude
Thaddée, cependant, pour l’instant je ne l’ai pas vu.]

19. JUDE THADDEE, THOMAS ET SIMON ADMIS AUPRES DU JOURDAIN

Vous êtes vraiment belles, rives du Jourdain, comme vous l’étiez au temps de Jésus! Je vous
regarde et je me délecte de la majestueuse paix de vos flots vert azur où le bruit des eaux et
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la fraîcheur des frondaisons chante comme une douce mélodie.
Je suis sur une route assez large et bien entretenue. Ce doit être un chemin de grande
communication, ou mieux, une route militaire, que les romains ont ouverte pour relier les
différentes régions à la capitale. Elle court près du fleuve, mais pas exactement le long du fleuve.
Elle en est séparée par une bande boisée qui, je crois, sert à consolider les berges et résister aux
eaux en période de crues. Sur l’autre côté de la route, le bois continu en sorte que le chemin parait
une galerie naturelle au-dessus de laquelle s’entrelacent les branches touffues. Repos agréable pour
les voyageurs dans ce pays de grand soleil!
Le fleuve, et conséquemment la route, au point où je me trouve, forme un arc de faible courbure
en sorte que je vois la suite de la berge couverte de frondaisons qui forment comme un mur de
verdure qui enclôt un bassin d’eaux tranquilles. On dirait un lac de parc seigneurial. Mais l’eau
n’est pas l’eau immobile d’un lac. Elle coule, bien que lentement, ce que montre le bruissement de
l’eau en bas sur la grève et les longs rubans ondulants des feuilles qui pendent à la surface de l’eau
et que le courant met en mouvement. Il y a aussi un groupe de saules pleureurs qui laissent aller
dans le fleuve l’extrémité de leur verte chevelure. Il semble la peigner en la caressant
gracieusement, l’étirant doucement au fil du courant.
Silence et paix à cette heure matinale. Seuls les chants et les appels des oiseaux, le bruissement de
l’eau sur les feuillages et l’éclat des gouttes de rosée sur l’herbe verte et longue qui pousse entre les
arbres que le soleil d’été n’a pas durcie ni jaunie, mais qui est tendre et toute nouvelle. Elle est née
après les premières pluies printanières qui ont nourri la terre, jusqu’au plus profond, de fraîcheur et
de principes fertilisants.
Trois voyageurs sont arrêtés à ce tournant de la route, exactement au sommet de l’arc. Ils
regardent en haut et en bas, au sud vers Jérusalem et au nord vers SaMarie. Ils cherchent entre les
troncs d’arbres pour voir s’il arrive quelqu’un qu’ils attendent.
Ce sont Thomas, Jude Thaddée, et le lépreux guéri. Ils parlent.
“Tu ne vois rien?”
“Moi? Non!”
“Ni moi non plus.”
“Et pourtant, c’est bien l’endroit convenu.”
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“ En es-tu sûr?”
“Sûr, Simon. Un des six m’a dit pendant que le Maître s’éloignait au milieu des acclamations de
la foule après le miracle d’un mendiant estropié guéri à la porte des Poissons: ‘Maintenant nous
sortons de Jérusalem. Attend-nous à cinq milles entre Jéricho et Doco, à la courbe du fleuve, le long
de l’avenue’. Celle-ci. Il dit aussi: ‘Nous y serons d’ici trois jours, à l’aurore’. C’est le troisième
jour, et la quatrième veille nous a trouvé ici.”
“Il viendra? Peut-être aurait-il mieux valu le suivre depuis Jérusalem.”
“Tu ne pouvais encore venir à travers la foule, Simon.”
“Si mon cousin a dit de venir ici, il y viendra. Il tient toujours ses promesses. Il n’y a que
attendre.”
“As-tu été toujours avec Lui?”
“Toujours. Depuis son retour à Nazareth, il y a toujours été pour moi un bon compagnon.
Toujours ensemble. Nous sommes du même âge, moi un peu plus vieux. Et puis, j’etais le préféré
de son père, frère de mon père. Et puis aussi sa Mère m’aimait bien. J’ai grandi plus avec Elle
qu’avec ma mère.”
“Elle t’aimait … Est ce que maintenant Elle ne t’aime plus autant?”
“Oh! Si! Mais nous sommes un peu divisés du moment où Lui s’est fait prophète. Cela n’a pas
fait plaisir à mes parents.”
“Quels parents?”
“Mon père et les deux aînés. L’autre est hésitant… Mon père est très vieux, et je n’ai pas eu le
coeur de le mécontenter. Mais maintenant… maintenant, ce n’est plus la même chose. Maintenant,
je vais là où mon coeur et mon esprit se trouvent attirés. Je vais vers Jésus. Je ne crois pas offenser
la Loi en agissant ainsi. Mais, déjà… ci ce n’était pas juste, ce que je venu faire, Jésus me le dirait.
Je ferai ce qu’il me dit. Un père a-t-il le droit de s’opposer à un fils qui cherche le bien? Si j’ai
conscience que là c’est mon salut, pourquoi m’empêcher d’y arriver? Pourquoi les pères sont-ils
alors pour nous des ennemis?”
Simon soupire comme si on lui rappelait de tristes souvenir. Il baisse la tête, mais ne parle pas.
Thomas, au contraire, répond: “J’ai déjà franchit l’obstacle. Mon père m’a écouté et m’a compris.
Il m’a béni en disant: ‘Va! Que cette Pâque soit pour toi la libération de l’esclavage de l’attente.
Heureux, toi, qui peux croire. Pour moi, j’attends. Mais si c’est
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bien ‘Lui’ et tu t’en apercevras en le suivant, viens vers ton vieux père pour lui dire: ,Viens! Israël
possède l’Attendu’.”
“ Tu as plus de chance que moi! Et dire que nous avons vécu à ses côtés!… et que nous ne
croyons pas, nous qui sommes de sa famille!… Et que nous disons ou plutôt qu’ils disent: Il a perdu
la tête!”
“Voilà, voilà un groupe de personnes” crie Simon. “C’est Lui, c’est Lui! Je reconnais sa tête
blonde. Oh! Venez! Courons!”
Ils se mettent à marcher rapidement vers le sud. Les arbres, maintenant qu’ils ont rejoint le
sommet de l’arc cachent la suite de la route, de façon que les deux groupes se trouvent en face l’un
de l’autre, au moment où ils s’y attendaient le moins. On dirait que Jésus sorte du fleuve parce qu’il
se trouve entre les arbres de la berge.”
“Maître!”
“Jésus!”
“Seigneur!”
Les trois cris du disciple, du cousin, du miraculé retentissent exprimant l’adoration et la joie.
“Paix à vous” Voilà la belle voix, qui ne peut se confondre avec une autre, pleine, sonore,
paisible, expressive, nette, virile, douce et pénétrante. “Toi aussi, Jude mon cousin?”
Ils s’embrassent. Jude pleure.
“Pourquoi ces larmes?”
“O! Jésus! Je veux rester avec Toi!”
“Je t’ai toujours attendu. Pourquoi n’es-tu pas venu?”
Jude baisse la tête et se tait.
“Ils n’ont pas voulu! Et maintenant?”
“ Jésus, moi … moi, je ne peux leur obéir. Je ne veux obéir qu’à Toi seul.”
“Mais Moi, je ne t’ai pas donné d’ordre.”
“Non. Toi non; mais c’est ta mission qui commande. C’est Celui qui t’a envoyé qui parle ici, au
milieu de mon coeur et qui me dit: ‘Va vers Lui’. C’est Celle qui t’a engendré et qui m’a été une
douce maîtresse, qui de son regard de colombe me dit, sans paroles: ‘Sois à Jésus’. Puis-je, moi, ne
pas tenir compte de cette voix que d’en Haut qui me pénètre le coeur? De cette prière d’une Sainte
qui, sûrement, me supplie pour mon bien? Alors, que je suis ton cousin, par Joseph, ne dois pas te
connaître pour ce que Tu es alors que le Baptiste t’a reconnu, lui qui ne t’avait ja-
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mais vu, ici, sur les rives de ce fleuve et t’a salué ‘Agneau de Dieu’? Et moi, moi qui ai grandi avec
Toi, qui me suis rendu bon en te suivant, moi qui suis devenu fils de la Loi grâce à ta Mère et qui ai
aspiré en moi, non seulement les 613 préceptes des rabbins, en plus de l’Ecriture et des prières, mais
leur âme à eux tous, je ne devrais être capable de rien?”
“Et ton père?”
“Mon père? Il ne lui manque pas le pain, ni l’assurance… et puis, Tu m’as donné l’exemple. Tu as
pensé au bien du peuple plutôt qu’au bien particulier de Marie. Et Elle est seule. Dis-moi, Toi, mon
Maître, n’est-il pas permis, sans manquer de respect à un père lui dire: ‘Père, je t’aime. Mais au-
dessus de toi, il y a Dieu, et je Le suis’?”
“Jude, parent et ami, je te le dis: tu es très avancé sur le chemin de la Lumière. Viens. Il est permis
de parler ainsi à son père quand c’est Dieu qui appelle. Il ni a rien au dessus de Dieu. Même les lois
du sang disparaissent, ou plutôt se subliment parce que, avec nos larmes, nous donnons à nos
parents, aux mères un plus grand secours, et pour un but éternel auprès duquel ne compte pas la
journée du monde. Avec nous, nous les attirons vers le Ciel et, par la même voie du sacrifice des
affections, vers Dieu. Reste donc, Jude, je t’ai attendu et je suis heureux de t’avoir de nouveau, ami
de ma vie de Nazareth.”
Jude est profondément ému.
Jésus se retourne vers Thomas: “Tu as obéi fidèlement. Première vertu du disciple.
“Je suis venu pour être fidèle.”
“Et tu le seras. Je te le dis. Viens, toi qui reste tout honteux dans l’ombre. Ne crains pas.”
“Mon Seigneur!” L’ancien lépreux est aux pieds de Jésus.
“Lève-toi. Ton nom?”
Simon.”
“Ta famille?”
“Seigneur… elle était puissante… moi aussi j’étais considéré… Mais rancoeur de sectes et …
erreurs de jeunesse, ont blessé sa puissance. Mon père … Oh! Je dois parler contre lui qui m’a coûté
des larmes qui ne venaient pas du ciel! Tu le vois, tu as vu quel cadeau il m’a fait!”
“Il était lépreux?”
“Pas lépreux, moi non plus, mais atteint d’une maladie qui porte
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un autre nom et que nous, d’Israël nous classons avec les diverses lèpres…. Lui … alors sa maison
était encore puissante, il a vécu et il est mort, considéré dans sa maison. Moi … si tu ne m’avais pas
sauvé, je serais mort au milieu des tombeaux.”
“Tu es seul?”
“Seul. J’ai un serviteur fidèle qui prend soin de ce qui me reste. Je l’ai fait prévenir.”
“Ta mère?”
“Elle … est morte.” L’homme paraît gêné.
Jésus l’observe attentivement. “Simon, tu m’as dit: ‘Que dois-je faire pour Toi?’ Maintenant, Je te
dis: ‘Suis-Moi.”
“Tout de suite, Seigneur! … mais … mais moi … Laisse-moi te dire une chose. Je suis, on
m’appelait ‘Zélote’ à cause de la caste à laquelle j’appartenais et ‘Cananéen’ à cause de ma mère.
Tu vois. Je suis de baisse condition. En moi, j’ai du sang d’esclave. Mon père n’avait pas de fils de
sa femme légitime, et il m’eut d’une esclave. Son épouse, une brave femme m’éleva comme son fils
et eut soin de moi au milieu de mes innombrables maladies, jusqu’à la mort.”
“Il n’y a pas aux yeux de Dieu d’esclaves ni d’affranchis. Il n’y a, à ses yeux, qu’un seul
esclavage: le péché. Et Je suis venu le supprimer. Je vous appelle tous, parce que le Royaume
appartient à tous. Es-tu cultivé?”
“Je suis cultivé. Je tenais aussi mon rang parmi les grands. Tant que le mal fut caché sous les
vêtements. Mais quand il parut à la vue… Mes ennemis furent heureux à l’utiliser pour me confiner
parmi les ‘morts’. En effet comme le dit un médecin romain de Césarée, que je consultai, mon mal
n’était pas la vrai lèpre, mais un serpigo héréditaire, il me suffisait donc de ne me pas procréer pour
ne pas le propager. Puis-je, moi, ne pas maudire mon père?”
“Tu ne dois pas le maudire. Il t’a causé toutes sortes de maux..”
“Oh! Oui! Il a dilapidé le patrimoine. Il était vicieux, cruel, sans coeur, sans affection. Il m’a
refusé la santé, les caresses, la paix. Il m’a marqué d’un nom qui me fait mépriser et m’a transmis
une maladie déshonorante…. Il s’est rendu maître de tout, même de l’avenir de son fils. Il m’a tout
enlevé, même la joie d’être père.”
“Pour cette raison, Je te dis: ‘Suis-Moi’. A mes côtés. À ma suite, tu trouveras un père et des fils.
Elève ton regard, Simon.
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Là, le vrai Père te sourit. Porte ton regard sur l’étendue de a terre, sur les continents, à travers les
pays. Il y a là des fils et des fils; fils spirituels pour tous ceux qui n’ont pas d’enfants. Ils t’attendent
et en attendent beaucoup comme toi. Sous mon Signe, il n’y a plus d’abandons. En mon Signe, il
n’y a plus de solitude, ni de différences. C’est le Signe d’amour. Et il donne l’amour. Viens, Simon,
qui n’as pas eu de fils. Viens Jude, qui perd ton père pour mon amour. Je vous unis dans un même
sort.”
Jésus les approches tous les deux. Il tient les mains sur leurs épaules, comme pour en prendre
possession, comme pour leur imposer un joug commun. Puis il dit: “Je vous unis, mais pour
l’instant je vous sépare. Toi, Simon, tu resteras ici avec Thomas. Avec lui tu prépareras les voies
pour mon retour. D’ici peu je reviendrai et Je veux qu’il y ait beaucoup de peuple pour m’attendre.
Dites aux malades, toi tu peux le dire, que Celui qui guérit vient. Dites à ceux qui attendent que le
Messie est parmi son peuple. Dites aux pécheurs qu’il y a quelqu’un qui pardonne pour donner la
force de s’élever…”
“Mais, serons-nous capables?”
“Oui. Vous n’avez qu’à dire: ‘Lui est arrivé, Il vous appelle, Il vous attend. Il vient pour nous
faire grâce. Soyez empressés pour le voir’ et à ces paroles ajoutez le récit de ce que vous savez. Et
toi, Jude, cousin, viens avec Moi et avec ceux-ci. Mais toi, tu resteras à Nazareth.”
“Pourquoi, Jésus?”
“Parce que tu dois me préparer le chemin dans notre patrie. Tu crois que c’est une petite mission?
En vérité, il n’y en a pas de plus importante… “ Jésus soupire.
“Et est-ce que je réussirai?”
“Oui et non, mais tout sera suffisant pour que nous soyons justifiés.”
“De quoi? Et auprès de qui?”
“Auprès de Dieu. Auprès de la patrie. Auprès de la famille. Ils ne pourront nous reprocher de ne
pas leur avoir offert ce qui est bien. Et si la patrie et la famille le dédaignent, nous n’aurons pas la
responsabilité de leur perte.”
“Et nous?”
“Vous, Pierre. Vous retournerez à vos filets.”
“Pourquoi?”
“Parce que je vous instruirai lentement et je vous prendrai
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quand vous serez prêts.”
“Mais, nous te verrons, alors?”
“Bien sûr, je viendrai souvent vous trouver et Je vous ferai appeler quand Je serai à Capharnaüm.
Maintenant, saluez-vous, amis, et nous partons. Je vous bénis, vous qui restez. Ma paix soit avec
vous.”
Et la vision se termine.

20. RETOUR A NAZARETH, APRES LA PAQUE AVEC LES SIX DISCIPLES

Jésus arrive avec le cousin et les six disciples à proximité de Nazareth. Du haut du coteau où ils se
trouvent, on voit la petite cité, blanche parmi la verdure, qui monte et descend suivant les pentes sur
lesquelles elle est construite. Le terrain ondule doucement. Ici, c’est à peine visible, là plus
accentuée.
“Nous sommes arrivés, amis. Voici ma maison. Ma Mère est à l’intérieur, car je vois la fumée qui
s’élève de la maison. Peut-être Elle fait le pain. Je ne vous dis pas ‘restez’, parce que je pense que
vous avez hâte de regagner votre demeure, mais, si vous voulez rompre le pain avec Moi et
connaître Celle que Jean connaît déjà, je vous dis: ‘Venez’.” Les six, qui étaient déjà tous tristes à
cause de l’imminente séparation, redeviennent tout joyeux et acceptent de bon coeur.
“Eh bien, allons.”
Ils descendent vivement la petite colline et prennent la grande route. C’est vers le soir. Il fait
encore chaud, mais déjà l’obscurité s’étend sur la campagne où les blés commencent à mûrir. Ils
entrent dans le pays. Des femmes qui vont à la fontaine ou en reviennent, des hommes, sur le seuil
des ateliers, ou dans les jardins, saluent Jésus et Jude. Les enfants se pressent en foule autour de
Jésus.
“Tu es revenu?”
“Tu restes ici, maintenant?”
“J’ai de nouveau cassé la roue de mon charreton.”
“Sais-tu, Jésus. J’ai une petite soeur, et on l’a appelée Marie.”
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“Le maître m’a dit que je sais tout et que je suis un vrai fils de la Loi.”
“Sara n’est pas là, car sa maman est très malade. Elle pleure car elle a peur.”
“Mon frère Isaac a pris femme, il y a eu une grande fête.”
Jésus écoute, caresse, félicite, promet de l’aide. Ils arrivent ainsi à la maison. Marie est déjà sur le
seuil, avertie par un petit garçon empressé:
“Mon Fils!”
“Maman!”
Les deux sont dans les bras l’un de l’autre. Marie beaucoup moins grande que Jésus a la tête
appuyée en haut de la poitrine de son Fils, blottie dans le cercle de ses bras. Lui baise ses cheveux
blonds.. Ils entrent dans la maison.
Les disciples, y compris Jude, restent dehors pour leur laisser la liberté de leurs premiers
épanchements.
“Jésus, mon fils!” La voix de Marie tremble, comme si Elle allait pleurer.
“Pourquoi, Maman, cette émotion?”
“Oh, mon Fils! On m’a dit … Au Temple, il y avait des gens de Galilée, de Nazareth, ce jour-là..
Ils sont revenus,,, et ils ont raconté… Oh! Fils!”
“Mais, tu le vois, Maman, je vais bien. Aucun mal ne m’est arrivé, et la gloire de Dieu est venue
dans sa Maison.”
“Oui, je le sais, Fils de mon coeur. Je sais que ç’a a été comme la cloche qui éveille les gens qui
dorment. Et, pour la gloire de Dieu, j’en suis heureuse… heureuse que ce peuple qui est mon peuple
s’éveille à Dieu… Je ne te ferai pas de reproche… je ne t’empêcherai pas… je te comprends.. et.. et
je suis heureuse… mais je t’ai donné la vie, moi, mon Fils!…” Marie est encore entourée par les
bras de Jésus. Elle a parlé en tenant ses petites mains ouvertes et appuyées sur la poitrine du Fils, la
tête levée vers Lui, l’oeil plus brillant à cause d’une larme qui est sur le point de descendre.
Maintenant, Elle se tait appuyant de nouveau sa tête sur la poitrine de Jésus. On dirait une
tourterelle grise, ainsi vêtue de toile bise, à l’abri de deux grandes ailes blanches car Jésus a encore
son habit et son manteau blancs.
“Maman, pauvre Maman chérie!… “ Jésus la baise encore. Puis il dit: “Eh, bien, tu vois, je suis
ici, et pas tout seul. J’ai avec Moi mes premiers disciples; j’en ai d’autres en Judée. Et
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le cousin Jude aussi, est avec Moi et me suit..”
“Jude?”
“ Oui, Jude. Je sais pourquoi tu es étonné. Sûrement, parmi ceux qui ont parlé du fait, il y avait
Alphée et ses fils… et je ne me trompe pas en disant qu’ils m’ont critiqué. Mais je n’ai pas peur.
Aujourd’hui, c’est ainsi, demain autrement. L’homme c’est comme la terre, là où il y avait des
épines s’épanouissent des roses. Jude, que tu aimes bien, est déjà avec Moi.”
“Où est-il à présent?”
“Là dehors, avec les autres. As-tu du pain pour tous?”
“Oui, Fils. Marie d’Alphée est au four, en train de défourner. Elle est très bonne, Marie, avec moi.
Maintenant particulièrement.”
“Dieu lui donnera la gloire.” Il va à la porte et dit: “Jude, ta mère est ici. Amis, venez!.”
Ils rentrent et saluent. Mais Jude baise Marie et court chercher sa mère.
Jésus nomme les cinq: Pierre, André, Jacques, Nathanaël, Philippe. Pour Jean Marie le connaît
déjà. Il l’a salué tout de suite après Jude, s’et incliné et a reçu sa bénédiction.
Marie les salue et les invite à s’asseoir. C’est la maîtresse de maison et Elle s’occupe des hôtes.
Pourtant Elle a aussi pour son Jésus un regard d’adoration. Son âme semble avec ses yeux continuer
avec son Fils un muet entretien. Elle voudrait apporter l’eau pour le rafraîchir, mais Pierre
s’emporte: “Non, Femme, je ne puis pas te le permettre. Toi, reste près de ton Fils, Mère Sainte.
Moi j'irai, nous irons au jardin pour nous rafraîchir."” Voici qu'accourt Marie d'Alphée, rouge et
enfarinée. Elle salue Jésus qui la bénit et puis conduit les six au jardin vers la vasque. Elle revient
heureuse. “Oh! Marie!” dit elle à la Vierge. “Jude m’a dit. Comme je suis contente! Pour Jude, et
pour Toi, ma belle-soeur. Je sais que les autres me gronderont. Mais n’importe. Je serai heureuse le
jour où ils seront tous ò Jésus. Nous, mamans, nous savons… nous sentons ce qui est bien pour nos
créatures. Et moi, je sens que le bien de mes créatures c’est Toi, Jésus.”
Jésus lui caresse la tête en souriant.
Les disciples reviennent, et Marie d’Alphée sert le pain tout chaud, les olives, le fromage. Elle
apporte une amphore de piquette rouge que Jésus vers à ses amis. C’est toujours Jésus qui offre et
puis distribue.
Un peu embarrassés, au début, les disciples prennent ensuite de
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l’assurance. Ils parlent de leurs maisons, du voyage à Jérusalem. Des miracles que Jésus a faits. Ils
sont zélés et affectueux et Pierre essaye de se faire une alliée de Marie pour obtenir d’être tout de
suite près de Jésus, sans attendre à Bethsaïda.
“Faites ce qu’il vous dit” lui conseille Marie avec un doux sourire. “Cette attente vous sera plus
utile qu’une union immédiate. Mon Jésus fait bien tout ce qu’Il fait.”
L’espoir de Pierre meurt, mais lui se résigne de bonne grâce. Il demande seulement: “Est-ce que
l’attente durera longtemps?”
Jésus regarde avec un sourire, mais ne dit rien d’autre. Marie interprète ce sourire comme un
signe de bienveillance: "Simon de Jean, Lui sourit… aussi, je te dis: rapide comme le vol de
l’hirondelle sur le lac sera le temps de ton attente obéissante.”
“Merci, Femme.”
“Tu ne parles pas, Jude? Et toi, Jean?”
“Je te regarde, Marie.”
“Et moi aussi.”
“Moi aussi, je vous regarde.. et, savez-vous? Il me revient à l’esprit une heure lointaine. Alors
aussi, j’avais trois paires d’yeux qui s’attachaient à mon visage avec amour. Tu te rappelles, Marie,
mes trois écoliers?”
”Oh! Si je me le rappelle! C’est vrai! Maintenant aussi, ils sont trois, d’âge sensiblement égal. Ils
te regardent avec tout leur amour. Et celui-ci, Jean, je crois, me parait les Jésus d’alors, cheveux
blonds et joue roses, et plus jeune de tous.”
Les autres veulent savoir. On raconte des souvenirs et des anecdotes. Le temps passe et le soir
arrive.
“Amis, je n’ai pas de pièces meublées. Mais là se trouve l’atelier où je travaillais. Vous pourrez, si
vous voulez y trouver un refuge… Mais il n’y a que des bancs.”
“Lit commode pour des pêcheurs habitués à dormir sur des planches étroites. Merci, Maître.
Dormir sous ton toit est honneur et sanctification.”
Ils se retirent après maintes de salutations. Jude aussi s’éloigne avec sa mère. Ils vont à leur
maison.
Dans la pièce restent Jésus et Marie, assis sur le coffre, à la lueur d’une petite lampe, le bras
chacun autour des épaules de l’autre. Jésus raconte et Marie écoute, ravie, tremblante, heureuse…
La vision cesse ainsi.
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L’ÉVANGILE TEL QU’IL M’A ÉTÉ RÉVÉLÉ


Volume 3°
* 20% en ligne *
La deuxième année de la vie publique

Table des matières

VOL. 3. Chapitres 01-10


1 Instructions aux disciples en allant vers Arimathie *
2. En allant vers la Samarie. Instructions aux apôtres
3. La samaritaine Fotinaï
4. Avec les habitants de Sychar
5. Évangélisation à Sychar
6. Adieu aux gens de Sychar
7. Enseignements aux apôtres. Le miracle de la femme de Sychar
8. Jésus rend visite au Baptiste près d’Ennon
9. Jésus instruit les apôtres
10. Jésus à Nazareth: ‘Fils, je viendrai avec Toi’.

VOL. 3. Chapitres 11-20


11. À Cana. Dans la maison de Suzanne. L’officier royal
12. Dans la maison de Zebédée. Salomé reçue comme disciple
13. Jésus parle aux siens de l’apostolat féminin
14. Jésus à Cesarée Maritime. Il parle aux galériens
15. Guérison de la petite romaine à Césarèe
16. Annalia fait profession de virginité
17. Enseignement à Nazareth pour les femmes disciples
18. Jésus parle à Jeanne de Chouza sur le lac
19. Jésus à Gerghesa. Les disciples de Jean
20. De Nephtali à Giscala. Rencontre avec le rabbi Gamaliel *

VOL. 3. Chapitres 21-30


21. La guérison du petit-fils de Eli de Capharnaüm
22.Jésus dans la maison de Capharnaüm après le miracle sur Elisée
23.Le repas dans la maison du pharisien Eli de Capharnaüm
24. Vers la retraite sur la montagne avant le choix des apôtres
25.L’élection des douze apôtres
26.La première prédication de Simon le Zelote et de Jean
27.Dans la maison de Jeanne de Chouza. Jésus et les romaines
28.Aglaé dans la maison de Marie à Nazareth
29.Le sermon sur la montagne: ‘Vous êtes le sel de la terre’
30.Le sermon sur la montagne. Les béatitudes (Première partie)

VOL. 3. Chapitres 31-40


31.Le sermon sur la montagne. Les béatitudes (Deuxième partie)
32.Le sermon sur la montagne. Les béatitudes (Troisième partie)
33.Le sermon sur la montagne. Les béatitudes (Quatrième partie)
34.Le sermon sur la montagne. Les béatitudes (Cinquième partie)
35.Le lépreux guéri au pied de la montagne
36.Au pied de la montagne. Le sabbat après le discours
37.Guérison du serviteur du centurion
38.‘Laisse les morts enterrer leurs morts’
39.Parabole du semeur
40.Dans la cuisine de Pierre. Instruction et annonce de la capture du Baptiste

VOL. 3. Chapitres 41-50


41.Parabole du bon grain et de l’ivraie
42.Jésus en route vers Magdala parle à des bergers
43.Jésus à Magdala. Seconde rencontre avec Marie de Magdala
44.A Magdala dans la maison de la mère de Benjamin
45.La tempête apaisée
46.‘Les malheurs servent à vous persuader de votre néant’
47.Les possédés gérasiens
48.De Tarichée vers le Thabor. Début du second voyage pascal
49.À Endor. Dans la grotte de la sorcière. Conversion de Félix qui reçoit le nom de Jean
50.Résurrection du fils de la veuve de Naïm
VOL. 3. Chapitres 51-60
51. Arrivée à Esdrelon et séjour près de Michée
52. Le sabbat à Esdrelon. Le petit Jabé
53. D’Esdrelon à Engannim en passant par Mageddo
54. D’Engannim à Sichem en deux journées
55. De Sichem à Bérot
56. De Bérot à Jérusalem
57. Le sabbat à Gethsémani
58. Au temple à l’heure de l’offrande
59. Rencontre de Jésus avec sa Mére à Béthanie
60. La puissance de la parole de Marie

VOL. 3. Chapitres 61-70


61. Aglaé chez le Maître
62. L’examen de Margziam
63. La veille de Pâque au Temple
64. Jésus enseigne le ‘Pater noster’
65. Jésus et les gentils à Béthanie
66. La parabole du fils prodigue
67. La parabole des dix vierges
68. Parabole du roi qui fait les noces à son fils
69. Vers Bethléhem avec les apôtres et les disciples
70. En allant chez Élise à Betsur

VOL. 3. Chapitres 71-80


71. Dans la maison d’Élise. ‘Faites fructifier votre douleur’
72. Vers Hébron. Les raisons du monde et celles de Dieu
73. Accueil joyeux à Hébron
74. À Jutta. Prédication dans la maison d’Isaac
75. À Keriot. Il parle dans la synagogue
76. Dans la maison de Judas à Kériot
77. La fillette lunatique de Bétginna
78. Dans la plaine vers Ascalon
79. Aux prises avec les pharisiens. Jésus, maître aussi du sabbat
80. Jésus et les siens vers Ascalon
VOL. 3. Chapitres 81-86
81. Les prédications et les miracles à Ascalon
82. Jésus à Magdalgad. Il met en cendres une idole païenne
83. Instructions aux apôtres en allant à Jabnia
84. Jésus et les siens vers Modin
85. Jésus parle à des brigands
86. Arrivée à Béther.
1. INSTRUCTIONS AUX DISCIPLES EN ALLANT VERS ARIMATHIE.

" Seigneur, qu'allons-nous faire de celui-là " demande Pierre à Jésus en montrant l'homme nommé
Joseph qui les suit depuis qu'ils ont quitté Emmaüs et qui maintenant écoute les deux fils d'Alphée
et Simon, qui s'occupent particulièrement de lui.
" Je l'ai dit. Il vient avec nous jusqu'en Galilée. "
" Et ensuite ? ... "
" Ensuite ... il reste avec nous. Tu verras qu'il en sera ainsi. "
" Disciple lui aussi ? Avec cette affaire sur son compte ? "
" Es-tu pharisien, toi aussi ? "
" Moi non ! Mais ... il me semble que les pharisiens ne nous tiennent que trop à l'œil ... "
" Et s'ils le voient avec nous, ils nous donneront des ennuis. C'est cela que tu veux dire. Et alors,
par peur d'être troublés, on devrait laisser un fils d'Abraham aux prises avec la désolation ? Non,
Simon Pierre. C'est une âme qui peut se perdre ou se sauver selon la manière dont est soignée sa
grande blessure. "
" Mais nous, ne sommes-nous pas déjà tes disciples ? ... "
Jésus regarde Pierre et sourit finement. Puis il dit/ " Un jour, il y a plusieurs mois, Moi, je t'ai dit
: 'Il en viendra beaucoup d'autres'. Le champ est vaste, très vaste. Les travailleurs seront toujours
insuffisants pour son étendue ... parce qu'aussi beaucoup feront comme Jonas : ils mourront à la
peine. Mais vous serez toujours mes préférés " termine Jésus en attirant près de Lui Pierre attristé
mais que cette promesse tranquillise.
" Alors, il vient avec nous ? "
" Oui, jusqu'à ce qu'il ait remis son cœur en place. Il est empoisonné par tant de haine qu'il a dû
absorber. Il est intoxiqué/ "
Jacques et Jean avec André rejoignent aussi le Maître, et ils écoutent.
" Vous ne pouvez pas évaluer l'immensité du mal que l'homme peut faire à l'homme par une
intransigeance hostile ; Je vous prie de vous souvenir que votre Maître a toujours été bienveillant
avec les malades spirituels. Vous croyez que mes plus grands miracles et ma principale vertu se
manifestent par la guérison des corps ; Non, amis.... Oui, venez vous aussi qui êtes devant et vous
qui êtes derrière Moi. La route est large et nous pouvons marcher en groupe. "
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Tous se serrent près de Jésus qui continue : " Mes principales œuvres, celles qui témoignent
davantage de ma nature et de ma mission, celles que mon Père regarde avec joie, ce sont les
guérisons d'un vice ou de plusieurs vices capitaux, soit les désolations qui abattent par la persuasion
d'être frappés par Dieu et abandonnés par Dieu.
Une âme qui a perdu cette certitude de l'aide de Dieu, qu'est-elle jamais ? C'est un faible liseron
qui se traîne dans la poussière car il ne peut s'accroche à l'idée qui était sa force et sa joie. Vivre
sans espérance est une horreur. La vie est belle avec ses duretés, seulement parce qu'elle reçoit le
flot du Soleil Divin. La vie a pour but ce Soleil. Est-il sombre le jour humain, trempé de larmes,
marqué de sang ? Oui, mais après il y aura le Soleil. Plus de douleurs, plus de séparations, plus de
duretés, plus de haines, plus de misères et de solitudes sous les nuages qui accablent, mais clarté et
chant, mais sérénité et paix, mais Dieu. Dieu : le Soleil Eternel ! Regardez comme elle est triste la
terre quand survient une éclipse. Si l'homme devait dire : 'Le soleil est mort' ne lui semblerait-il pas
qu'il vit pour toujours dans un obscur tombeau, emmuré, enseveli, mort avant d'être mort ? Mais
l'homme sait qu'au-delà de cet astre qui cache le soleil et donne au monde un aspect funèbre, il y a
toujours le gai soleil de Dieu. Il en est ainsi de la pensée de l'union à Dieu en cette vie. Les hommes
blessent, volent, calomnient ? Mais Dieu guérit, restitue, justifie. Et sans mesure. Les hommes
disent : 'Dieu t'a repoussé' ? Mais l'âme tranquille pense, doit penser 'Dieu est juste et bon. Il voit
les causes et Il est bienveillant. Et Il l'est encore plus que l'homme le plus bienveillant ne puisse
l'être. Il l'est infiniment. Par conséquent, non, Il ne me repoussera pas si j'incline mon visage en
pleurs sur son sein et Lui dis : 'Père. Toi seul me restes. Ton enfant est affligé et abattu. Donne-moi
ta paix ' ...
Maintenant, Moi, l 'Envoyé de Dieu, je rassemble ceux que l'homme a troublé ou que Satan a
renversé et je les sauve. C'est mon œuvre, une œuvre vraiment mienne. Le miracle sur la chair, c'est
la puissance divine. La rédemption des esprits, c'est l'œuvre de Jésus Christ, Sauveur et
Rédempteur. Je pense, et je ne me trompe pas, que ceux-là qui ont trouvé en Moi leur réhabilitation
aux yeux de Dieu et à leurs propres yeux, seront mes disciples fidèles, ceux qui, avec plus de force,
pourront entraîner les foules vers Dieu, en disant : 'Vous, pécheurs ? Moi, aussi. Vous avilis ? Moi
aussi. Vous désespérés ? Moi aussi. Et pourtant, vous le voyez, le
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Messie a eu pitié de ma misère spirituelle et il m'a voulu son prêtre. Car il est la Miséricorde et il
veut que le monde en soit persuadé, et nul n'est plus apte à persuader que celui qui l'a éprouvé'.
Maintenait Moi, à mes amis et à ceux qui m'ont adoré depuis ma naissance, à vous par conséquent
et aux bergers, j'unis ceux-ci. Je les unis aux bergers, à ceux que j'ai guéris, à ceux qui, sans choix
spécial comme celui de vous autres douze, ont pris mon chemin et le suivront jusqu'à la mort. Près
d'Arimathie se trouve Isaac..., pour qu'il s'unisse à Timon quand il nous rejoindra. Si tu crois qu'en
Moi il y a la paix et le but d'une vie entière, tu pourras t'unir à eux. Ils seront pour toi des bons
frères. "
" O mon réconfort ! C'est exactement comme tu dis. Mes grandes blessures, et d'homme e t de
croyant, se guérissent d'heur en heure. Depuis trois jours je suis avec Toi et il me semble que ce qui
était pour moi un déchirement il y a seulement trois jours, soit un rêve qui s'éloigne. Je l'ai fait, mais
plus le temps passe, et plus le rêve s'évanouit dans les détails cruels en présence de ta réalité. Ces
nuits dernières, j'ai beaucoup réfléchi. A Joppe j'ai un bon parent. C'est lui qui a été ... la cause
involontaire de mon malheur, car c'est par lui que j'ai connu cette femme. Et cela t'indique si nous
pouvions savoir de qui elle était fille... D'elle, de la première femme de mon père, oui, elle l'était,
mais pas de mon père. Elle portait un autre nom, elle venait de loin. Elle a connu mon parent par
échange de marchandises. Et moi, je l'ai connue ainsi. Mon parent désire vivement mon commerce.
Je le lui offrirai. Ce serait la ruine, si je le laissais sans propriétaire. Et lui les acquerra sans aucun
doute, pour ne pas éprouver tout le remords d'avoir été la cause de mon malheur. Et je pourrai me
suffire et te suivre tranquille. Je te demande seulement de m'accorder cet Isaac que tu nommes. J'ai
peur d'être seul avec mes pensées. Trop tristes encore ... "
" Je vais te donner Isaac. Il a l'âme bonne ; La souffrance l'a perfectionné. Pendant trente années il
a porté sa croix. Il sait ce que c'est souffrir... Nous, nous poursuivrons, pendant ce temps. Et, vous
nous rejoindrez à Nazareth. "
" Ne nous arrêtons-nous pas chez Joseph, dans sa maison ? "
" Joseph est à Jérusalem, probablement ... Le Sanhédrin a beaucoup à faire. Mais nous le
saurons par Isaac. S'il est chez lui, nous lui apporterons notre paix. Sinon, nous nous arrêterons une
nuit seulement pour nous reposer. J'ai hâte de rejoindre la Galilée. Il
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y a là une Mère qui souffre. Parce que, rappelez-le-vous, il y a quelqu'un qui se donne pour tâche de
l'affliger. Je veux la rassurer "

2. EN ALLANT VERS LA SAMARIE. INSTRUCTIONS AUX APOTRES

Jésus est avec ses douze. L'endroit est toujours montagneux, mais la route est suffisamment
praticable. Tous se tiennent en groupe et parlent entre eux.
" Pourtant, maintenant que nous sommes seuls, nous pouvons le dire : pourquoi tant de jalousie
entre les deux groupes ? " dit Philippe.
" Jalousie ? " réplique Jude d'Alphée. " Mais, non, ce n'est que de l'orgueil ! "
" Non. Je dis que ce n'est qu'un prétexte pour justifier, en quelque sorte, leur conduite injuste
envers le Maître. Sous le voile du zèle à l'égard du Baptiste, on arrive à s'éloigner sans trop
mécontenter la foule " dit Simon.
" Je les démasquerais. "
" Nous, Pierre, nous ferons tant de choses que Lui ne fait pas. "
" Pourquoi ne les fait-Il pas ? "
" Parce qu'Il sait qu'il est bien de ne pas les faire. Nous ne devons que le suivre. Ce n'est pas à
nous de le guider. Et il faut en être heureux . C'est un grand soulagement d'avoir seulement à
obéir. .."
" Tu as bien parlé, Simon " dit Jésus, qui, devant eux, semblait absorbé dans ses pensées. " Tu as
bien parlé. Il est plus facile d'obéir que de commander. Il n'y paraît pas. Mais c'est ainsi. C'est
certainement facile quand l'esprit est bon. Comme il est difficile de commander quand on a l'esprit
droit. Car si un esprit n'est pas droit, il donne des ordres fous et plus que fous. Alors il est facile de
commander. Mais ... comme il devient plus difficile d'obéir ! Quand quelqu'un a la responsabilité
d'être le premier d'un lieu ou d'une assemblée il doit avoir toujours présents à son esprit : charité et
justice, prudence et humilité, tempérance et patience, fermeté et pourtant pas d'entêtement.. Oh !
c'est difficile ! ... Vous, pour l'heure, n'avez qu'à obéir. A Dieu et à votre Maître. Toi, et non pas toi
seul, tu te demandes pourquoi je fais ou ne fais pas certaines choses, tu te demandes pourquoi Dieu
permet ou ne permet pas de telles choses. Vois, Pierre, et vous tous, mes amis. Un des secrets
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du parfait fidèle est de ne s'ériger jamais en interrogateur de Dieu. 'Pourquoi fais-Tu ceci ?'
demande quelqu'un qui est un peu formé à son Dieu. Et il paraît prendre l'attitude d'un adulte devant
un écolier pour dire : 'Ce n'est pas à faire. C'est une sottise. C'est une erreur.' Qui est supérieur à
Dieu ?
Maintenant, vous voyez que sous prétexte de zèle pour Jean, je me trouve chassé. Et vous vous
en scandalisez. Et vous voudriez que je redresse 'erreur en prenant une attitude polémique à l'égard
de ceux qui soutiennent cette façon de voir. Non, cela ne sera jamais. Vous avez entendu le Baptiste
par la bouche de ses disciples : 'Il faut que Lui croisse et que moi je diminue'. Pas de regrets, il ne
s'accroche pas à sa situation. Le saint ne s'attache pas à ces choses. Il travaille, pas pour le nombre
de ses 'propres' fidèles. Mais il travaille pour augmenter le nombre de ceux qui sont fidèles à Dieu.
Dieu seul a le droit d'avoir des fidèles. Par conséquent, je ne regrette pas que, de bonne ou de
mauvaise foi, tels ou tels demeurent disciples du Baptiste, et de la même façon, vous l'avez entendu,
lui ne s'afflige pas qu'il vienne à Moi de ses disciples. Et il est tout à fait étranger à ces petits calculs
statistiques. Il regarde le Ciel. Et moi, je regarde le Ciel. Ne restez donc pas à discuter entre vous s'il
est juste ou non que les juifs m'accusent de prendre des disciples au Baptiste, s'il est juste ou non
que cela se dise. Ce sont des querelles de femmes bavardes autour d'une fontaine. Les saints se
prêtent assistance, se donnent et s'échangent les esprits sans regret et avec bonne humeur, souriant à
l'idée de travailler pour le Seigneur.
J'ai baptisé, et même je vous ai fait donner le baptême, car l'esprit est tellement appesanti,
maintenant, qu'il faut lui présenter la pitié sous des formes matérielles, le miracle sous des formes
matérielles, l'enseignement sous des formes matérielles. A cause de cette pesanteur spirituelle je
devrai recourir à des substances matérielles quand je voudrai faire de vous des faiseurs de miracles.
Mais, croyez bien que ce ne sera pas dans l'huile, comme ce n'est pas dans l'eau, comme ce n'est pas
dans d'autres cérémonies que se trouve la puissance de sanctification. Il va venir le temps où une
chose impalpable, invisible, inconcevable pour les matérialistes, sera reine, la reine qui est
'revenue', cause de toute sanctification opérante en toute sanctification. C'est par elle que l'homme
reviendra 'fils de Dieu' et opérera ce que Dieu opère parce qu'il aura Dieu avec lui. La Grâce. La
voilà la reine revenue. Alors le baptême sera un sacrement. Alors l'homme parlera et comprendra
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le langage de Dieu. Et la Grâce donnera la vie et la Vie, donnera le pouvoir de savoir et d'agir,
alors ... oh ! alors ! Mais vous n'êtes pas encore mûrs pour savoir ce que vous apportera la Grâce. Je
vous en prie : aidez sa venue par un travail continuel de formation sur vous-mêmes et laissez,
laissez les préoccupations inutiles des esprits mesquins ...
Nous voici aux confins de la SaMarie. Croyez-vous que je ferais bien de parler chez eux ? "
" Oh ! " Ils sont tous plus ou moins scandalisés.
" En vérité, je vous dis que des samaritains il y en a partout. Et si je devais ne pas parler là où se
trouve un samaritain, je ne devrais plus parler nulle part. Venez donc. Je ne chercherai pas à parler.
Mais je ne dédegnerai pas de parler de Dieu si on vient m'en prier. Une année finit. La seconde
commence. Elle est à cheval entre le début et la fin. Au debout, dominait le Maître. Maintenant,
voici que se révèle le Sauveur. La fin aura le visage du Rédempteur. Allons. Le fleuve s'élargit en
approchant de son embouchure. Moi aussi, j'étends le travail de la miséricorde car l'embouchure
s'approche. "
" Nous allons vers quelque grand fleuve, après la Galilée ? Au Nil, peut-être ? A l'Euphrate ? "
chuchotent certains.
" Peut-être nous allons parmi les gentils ... " répondent d'autres.
" Ne parlez pas entre vous. Nous allons vers 'mon' embouchure. C'est à dire vers
l'accomplissement de ma mission. Soyez très attentifs parce qu'ensuite je vous quitterai et vous
devrez continuer en mon nom. "

3 . LA SAMARITAINE FOTINAÏ

" Je m'arrête ici. Allez en ville. Achetez tout ce qu'il faut pour le repas. Nous mangerons ici. "
" Nous y allons tous ? "
" Oui, Jean. C'est bien que vous allez en groupe. "
" Et Toi ? Tu restes seul ... Ils sont samaritains ... "
" Ce ne seront pas les pires parmi les ennemis du Christ. Allez, allez. Je prie, en vous attendant,
pour vous et pour eux. "
Les disciples s'en vont à regret et à trois ou quatre reprises ils se retournent pour regarder Jésus
qui s'est assis sur un muret exposé au soleil près du bas et large bord d'un puits. Un grand puits,
pres-
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que une citerne, tellement il est large. Et été il doit être ombragé par des grands arbres, maintenant
dépouillés. On ne voit pas l'eau, mais le terrain, près du puits, montre clairement qu'on a puisé de
l'eau à cause des petites mares et des empreintes circulaires laissées par les brocs humides. Jésus
s'assied et médite, dans son attitude ordinaire, les coudes appuyés sur les genoux et les mains jointes
en avant, le corps légèrement incliné et la tête penchée vers la terre. Puis il sent un bon petit soleil
qui le réchauffe et il laisse glisser son manteau de dessus sa tête et de ses épaules tout en le gardant
encore replié sur sa poitrine.
Il lève la tête pour sourire à une bande de moineaux querelleurs qui se disputent une grosse mie de
pain perdue par quelque personne près du puits. Mais les oiseaux s'enfuient à l'arrivée d'une femme
qui vient au puits avec une amphore vide qu'elle tient par une anse de la main gauche, pendant que
sa main droite écarte avec surprise son voile pour voir quel homme est assis là. Jésus sourit ça cette
femme sur les trente cinq à quarante ans, grande, aux traits fortement dessinés, mais beaux. Elle a,
dirions-nous, le type près que espagnol avec son teint olivâtre, les lèvres très rouges et plutôt
épaisses, des yeux démesurément grands et noirs sous de sourcils très touffus et les tresses couleur
de jais que l'on voit sous le voile léger. Même les formes, qui tendent à embonpoint, présentent
nettement le type oriental légèrement adouci comme celui des femmes arabes. Elle est vêtue d'une
étoffe à rayures multicouleures, serrée à la ceinture, tendue sur les hanches et la poitrine
grassouillettes, et retombant ensuite en une sorte de volant ondulant jusqu terre. Quantité de bagues
et de bracelets aux mains grassouillettes et brunes et aux poignets que l'on voit sous les manches de
lin. Au cou un lourd collier d'où pendent des médailles, je dirais des amulettes car il y en a de toutes
les formes. De pesantes boucles d'oreilles descendent jusqu'au cou et brillent sous le voile.
" La paix soit avec toi, femme. Me donnes-tu à boire ? J'ai beaucoup marché et j'ai soif. "
" Mais, n'es-tu pas juifs ? Et tu me demandes à boire, à moi samaritaine. Qu'est-il donc arrivé ?
Sommes-nous réhabilités ou est-ce vous qui êtes humiliés ? Sûrement un grand évènement est
survenu si un juif parle poliment à une samaritaine. Je devrais cependant te dire : 'Je ne te donne
rien pour punir en Toi tous les insultes que depuis des siècles les juifs nous adressent'. "
" Tu as bien parlé. Un grand évènement est survenu, et pour cela beaucoup de choses sont
changées et un plus grand nombre change-
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ront. Dieu a fait un grand don au monde et pour cela beaucoup de choses sont changées. Si tu
connaissais le don de Dieu et quel est Celui qui te dit : 'donne-moi à boire', peut-être toi-même, tu
Lui aurais demandé à boire, et Lui t'aurait donné de l'eau vive. "
" L'eau vive est dans les veines de la terre, et ce puits la possède. Mais il est à nous. " La femme
est railleuse et présomptueuse.
" L'eau appartient à Dieu. Comme la bonté appartient à Dieu. Comme la vie appartient à Dieu.
Tout appartient à un Dieu Unique, femme. Et tous les hommes viennent de Dieu : les Samaritains
comme les juifs. Ce puits n'est-il pas celui de Jacob ? Et Jacob n'est-il pas le chef de notre race ? Si
par la suite une erreur nous a séparés, cela ne change rien à notre origine. "
" Notre erreur, n'est-ce pas ? " demande la femme agressive.
" Ni la nôtre, ni la vôtre. Erreur de quelqu'un qui avait perdu de vue la Charité et la Justice. Moi,
je ne t'attaque pas et je n'attaque pas ta race. Pourquoi veux-tu être agressive ? "
" Tu es le premier juif que j'entends parler ainsi. Les autres ... Mais, pour revenir au puits, oui,
c'est celui de Jacob et il a une eau si abondante et si claire que nous de Sychar nous la préférons aux
autres fontaines. Mais il est très profond. Tu n'as pas de amphore ni d'outre. Comment pourrais-tu
donc atteindre pour moi l'eau vive ? Es-tu plus que Jacob, notre saint Patriarche, qui a trouvé cette
veine abondante, pour lui, ses enfants, ses troupeaux et nous l'a laissée en souvenir de lui et comme
cadeau ? "
" Tu l'as dit. Mais qui boit de cette eau aura encore soif. Moi, au contraire, j'ai une eau telle que
qui l'aura bue, ne sentira plus la soif. Mais elle n'appartient qu'à Moi et je la donnerai à qui me la
demande. Et, en vérité je te dis que celui qui aura de l'eau que je lui donnerai, aura toujours en lui la
fraîcheur et n'aura plus soif, car mon eau deviendra en lui une source intarissable, éternelle. "
" Comment ? je ne comprends pas. Es-tu un mage ? Comment un homme peut-il devenir un
puits ? Le chameau boit et fait une provision d'eau dans les creux de son ventre. Mais ensuite il la
consomme et elle ne lui dure pas toute sa vie. Et tu dis que ton eau dure toute la vie ? "
" Davantage encore : elle jaillira jusqu'à la vie éternelle. En celui qui la boit elle jaillira jusqu'à la
vie éternelle et donnera des germes de vie éternelle, car c'est une source de salut. "
" Donne-moi de cette eau s'il est vrai que tu la possèdes. Je me fatigue à venir jusqu'ici. Si je l'ai,
je n'aurai plus soif et je ne deviendrai jamais malade ni vieille. "
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" Il n'y a que cela qui te fatigue ? Rien d'autre ? Et tu n'éprouves pas d'autre besoin que de puiser
pour boire, pour ton misérable corps ? Penses-y. Il y a quelque chose qui est plus que le corps : c'est
l'âme. Jacob n'a pas seulement donné de l'eau du sol, pour lui et pour les siens. Mais il s'est
préoccupé de se procurer pour lui et de donner la sainteté, l'eau de Dieu. "
" Vous nous dites : païens, vous ... Si c'est vrai ce que vous dites, nous ne pouvons être saints... "
La femme a perdu son ton impertinent et ironique et elle est soumise et légèrement confuse.
" Même un païen peut être vertueux. Et Dieu, qui est juste, le récompensera pour le bien qu'il
aura fait. Ce ne sera pas une récompense parfaite, mais, je te le dis, entre un fidèle souillé d'une
faute grave et un païen sans faute, Dieu regarde avec moins de rigueur le païen. Et pourquoi, si vos
savez être tels, ne venez-vous pas au Vrai Dieu ? Comment t'appelles-tu ? "
" Fotinaï. "
" Eh bien réponds-moi, Fotinaï. Ne souffres-tu pas de ne pouvoir aspirer à la sainteté parce que
tu es païenne, comme tu dis, parce que tu es dans les nuées d'une antique erreur, comme Moi je
dis ? "
" Oui, j'en souffre. "
" Et alors, pourquoi ne vis-tu pas au moins en païenne vertueuse ? "
" Seigneur !... "
" Oui, peux-tu le nier ? Va appeler ton mari et reviens avec lui. "
" Je n'ai pas de mari. ... " La confusion de la femme grandit.
" Tu as bien dit. Tu n'as as de mari. Tu as eu cinq hommes et maintenant tu as avec toi
quelqu'un qui n'est pas ton mari. Etait-ce nécessaire, cela ? Même ta religion ne conseille pas
l'impureté. Le Décalogue, vous l'avez, vous aussi. Pourquoi alors, Fotinaï, vis-tu ainsi ? Ne te sens-
tu pas lasse d'être la chair de tant d'hommes, au lieu d'être l'honnête épouse d'un seul ? N'as-tu pas
peur de ta vieillesse, quand tu te trouveras seule avec tes souvenirs ? Avec tes regrets, Avec tes
peurs ? Oui,, même celles-là. La peur de Dieu et des spectres. Où sont tes enfants ? "
La femme baisse complètement la tête et ne parle pas.
" Tu ne les as pas sur la terre. Mais leurs petites âmes, auxquelles tu as interdit de voir la
lumière du jour, t'adressent des reproches. Toujours. Bijoux ... beaux vêtements ... riche maison ...
table bien garnie ... Oui, mais le vide, les larmes et la misère intérieure. Tu es une délaissée, Fotinaï.
Et ce n'est qu'avec un repentir sincère, moyennant le pardon de Dieu et par conséquent de tes
enfants que tu peux devenir riche. "
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" Seigneur, je vois que Tu es un prophète, et j'ai honte ... "
" Et à l'égard du Père qui est aux Cieux, tu n'éprouvais pas cette honte, quand tu faisais le mal ?
Ne pleure pas de découragement devant l'Homme... Viens ici, Fotinaï, près de Moi. Je te parlerai de
Dieu. Peut-être tu Le connaissais pas bien. Et c'est pour cela, certainement pour cela, que tu as tant
erré. Si tu avais bien connu le vrai Dieu, tu ne te serais pas ainsi avilie. Lui t'aurait parlé et t'aurait
soutenue... "
" Seigneur, nos pères ont adoré sue cette montagne. Vous dites que c'est seulement à Jérusalem
que l'on doit adorer. Mais, tu le dis : il n'y a qu'un seul Dieu. Aide-moi à voir où et comment je dois
adorer ... "
" Femme, crois-Moi. Bientôt viendra l'heure que sera adoré le Père. Vous adorez celui que vous
ne connaissez pas. Nous adorons Celui que nous connaissons, car le salut vient des juifs. Je te
rappelle les Prophètes. Mais l'heure viendra. Déjà elle est commencée où les vrais adorateurs
adoreront le Père en esprit et en vérité, non plus suivant les rites antiques, mais avec le rite nouveau
où il n'y aura plus de sacrifices, ni d'hosties d'animaux consumés par le feu ; Mais le sacrifice
éternel de l'Hostie Immaculée brûlée par le Feu de la Charité. Culte spirituel dans un Royaume
spirituel. Et il sera compris de ceux qui savent adorer en esprit et en vérité. Dieu est Esprit. Ceux
qui l'adorent doivent l'adorer spirituellement. "
" Tu as des saintes paroles. Moi, je sais, car nous aussi savons quelque chose, que le Messie est
sur le point de venir. Le Messie, Celui qu'on appelle aussi 'le Christ'. Quand il sera venu, il nous
enseignera toutes choses. Tout près d'ici se trouve aussi celui qu'on dit être son Précurseur. Et
beaucoup vont l'écouter. Mais il est si sévère ! ... Toi tu es bon ... et les pauvres âmes n'ont pas peur
de Toi. Je pense que le Christ sera bon. On l'appelle le Roi de la paix. Tardera-t-Il beaucoup à
venir ? "
" Je te l'ai dit que son temps est déjà présent. "
" Comment le sais-Tu ? Tu es, peut-être son disciple ? Le Précurseur a beaucoup de disciples. Le
Christ aussi en aura. "
" C'est Moi, qui te parle, qui suis le Christ Jésus. "
" Toi ! ... Oh !... " La femme, qui était assise près de Jésus, se lève et va s'en fuir.
" Pourquoi t'enfuis-tu, femme ? "
" C'est que je suis horrifiée de me mettre près de Toi. Tu es saint ... "
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" Je suis le Sauveur. Je suis venu ici -ce n'était pas nécessaire- parce que je savais que ton âme
était lasse d'être errante. Tu as la nausée de ta nourriture ... Je suis venu te donner une nourriture
nouvelle et qui t'enlèvera nausée et fatigue ... Voici mes disciples qui reviennent avec mon pain.
Mais déjà je suis nourri de t'avoir donné les premières miettes de ta rédemption. "
Les disciples lorgnent plus ou moins discrètement la femme, mais personne ne parle. Elle s'en
va sans plus penser à l'eau ni à son amphore.
" Voici, Maître " dit Pierre. " Ils nous ont bien traités. Il y a du fromage, du pain frais, des
olives, et des pommes. Prends ce que Tu veux. Cette femme a bien fait de laisser son amphore.
Nous aurons plus vite fait qu'avec nos petites gourdes. Nous boirons et nous les remplirons sans
avoir à demander autre chose aux samaritains, et sans les côtoyer aussi à leurs fontaines. Tu ne
manges pas ? Je voulais trouver du poisson pour Toi, mais il y en a pas. Peut-être cela t'aurait-il plu
davantage. Tu es fatigué et pâle. "
" J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. Ce sera mon repas. Je serai bien restauré. "
Les disciples se regardent entre eux, s'interrogent du regard.
Jésus répond à leurs muettes interrogations : " Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui
m'a envoyé pour achever l'œuvre qu'Il désire que j'accomplisse. Quand le semeur jette la semence
peut-il dire qu'il a déjà tout fait pour dire qu'il a la récolte ? Non, certainement pas, combien il a
encore à faire pour dire : 'Voici que mon travail est achevé !' Et jusqu'à cette heure, il ne peut se
reposer. Regardez ces champs sous le gai soleil de la sixième heure. Il y a seulement un mois, et
même moins, la terre était nue, sombre parce que les pluies l'avaient battue. Maintenant, regardez.
Des tiges innombrables de blé, qui viennent de percer, d'un vert très tendre qui dans cette grande
lumière semble encore plus clair, la couvrent, pour ainsi dire, d'un voile léger presque blanc. C'est la
moisson future et vous dites en la voyant : 'Dans quatre mois, c'est la récolte. Les semeurs
engageront des moissonneurs, parce que si un semeur suffit pour ensemencer, il faut un grand
nombre d'ouvriers pour moissonner. Semeurs et moissonneurs sont heureux. Celui qui a semé un
petit sac de grains et qui doit maintenant préparer ses greniers pour la récolte, aussi bien que ceux
qui, en quelques jours, gagnent de quoi vivre pendant quelques mois'. Dans le champ de l'esprit,
aussi, ceux qui moissonnent ce que j'ai semé se réjouissent avec Moi et comme Moi, parce que je
leur don-
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nerai mon salaire et ce qu'il leur est dû. Je leur donnerai de quoi vivre dans mon Royaume éternel.
Vous, vous n'avez qu'a moissonner ; le travail le plus dur, c'est Moi qui l'a fait. Et pourtant je vous
dis : 'Venez faire la moisson dans mon champ. Je suis heureux de vous voire chargés des gerbes de
ma récolte. Quand j'aurai semé tout mon grain, inlassablement, partout, et que vous aurez fait la
récolte, alors sera accomplie la volonté de Dieu et je m'assiérai au banquet de la céleste Jérusalem'.
Voici qu'arrivent les Samaritains avec Fotinaï. Usez de charité envers eux. Ce sont des âmes qui
viennent à Dieu. "

4. AVEC LES HABITANTS DE SYCHAR

Voilà que viennent en groupe vers Jésus des notables samaritains conduits par Fotinaï. " Dieu
soit avec Toi, Rabbi. La femme nous a dit que tu es un prophète et que tu ne dédaignes pas de parler
avec nous. Nous te prions de rester avec nous et de ne pas nous refuser ta parole car, s'il est vrai que
nous sommes séparés de Juda, il n'est pas dit que seul Juda soit saint et que tout le péché soit en
SaMarie. Même parmi nous il y a des justes. "
" Moi aussi j'ai exprimé cette idée à la femme. Je ne m'impose pas, mais je ne me refuse pas si
quelqu'un me cherche. "
" Tu es juste. La femme nous a dit que tu es le Christ. Est-il vrai ? Réponde-nous, au nom de
Dieu. "
" Je le suis. Le temps messianique est venu. Israël est rassemblé par son Roi. Et non seulement
Israël. "
" Mais ru seras pour ceux qui ... qui ne sont pas dans l'erreur comme nous " observe un vieillard
imposant.
" Homme, je vois en toi le chef de tous ceux-ci et je vois aussi une recherche honnête du Vrai.
Maintenant, écoute, toi qui es instruit dans les saintes lectures. A Moi il a été dit ce que l'Esprit dit à
Ezéchiel quand Il lui annonça une mission prophétique : 'Fils de l'homme, Je t'envoie aux fils
d'Israël, aux peuples rebelles qui se sont éloignés de Moi ... Ce sont des fils à la tête dure et au cœur
indomptable. .. Il peut se faire qu'ils écoutent, puis ne tiennent pas compte de tes paroles qui sont
mes paroles, parce que c'est une maison rebelle mais, au moins, ils sauront qu'au milieu d'eux il y a
un prophète. Toi, n'aie donc pas peur d'eux, que leurs discours ne
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t'épouvantent pas parce qu'eux autres sont incrédules et révoltés .. Rapporte-leur mes paroles, soit
qu'ils te prêtent l'oreille ou refusent. Toi, fais ce que je te dis. Ecoute ce que Je te dis pour n'être pas
rebelle comme eux. Par conséquent, mange toute nourriture que Je te présenterai.' Et Moi je suis
venu. Je ne m'illusionne pas et je ne prétends pas être reçu en triomphateur. Mais, puisque la
volonté de Dieu est mon miel, voici que je l'accomplis et, si vous voulez, je vous dis les paroles que
l'Esprit a mises en Moi. "
" Comment l'Eternel peut-Il avoir pensé à nous, "
" Parce que Lui est Amour, fils. "
" Ce n'est pas ce que disent les rabbis de Juda "
" Mais c'est ce que vous dit le Messie du Seigneur. "
" Il est dit que le Messie naîtrait d'une vierge de Juda. Toi, de qui et comment es-Tu né ? "
" A Bethlehem d'Ephrata, de Marie de la race de David, par l'opération d'une conception
spirituelle. Veuillez-le croire. " La belle voix de Jésus est une sonnerie de joyeux triomphe lorsqu'Il
proclame la virginité de la Mère.
" Ton visage resplendit d'une grande lumière. Non, tu ne peux mentir. Les fils des ténèbres ont un
visage ténébreux et l'œil trouble. Tu es lumineux, limpide comme un matin d'avril est ton œil, et ta
parole est bonne. Entre dans Sychar, je t'en prie, et instruis les fils de ce peuple. Puis, Tu t'en iras ...
et nous nous souviendrons de l'Etoile qui a traversé notre ciel... "
" Et pourquoi ne la suivrez-vous pas ? "
" Comment veux-Tu qu'on le puise ? " Tout en parlant, ils se dirigent vers la ville. " Nous, nous
sommes les séparés. C'est du moins ce qu'on nous a dit. Mais désormais nous sommes nés dans
cette croyance et nous ne savons pas s'il est juste de l'abandonner. En outre ... Oui, avec Toi, nous
pouvons parler, je le sens. Et puis, nous aussi, nous avons des yeux pour voir et un cerveau pour
penser. Quand, en voyage ou pour commerce, nous passons par vos terres, tout ce que nous voyons
n'est pas saint au point de nous faire croire que Dieu est avec vous de Juda ou avec vous de galilée.
"
" En vérité je te dis, le fait de ne pas vous avoir persuadés ni ramenés à Dieu, non par les
offenses et les malédictions, mais par l'exemple et la charité, il en sera fait un chef d'accusation pour
le reste d'Israël "
" Quelle sagesse en Toi ! Écoutez !? "
Tous marquent leur assentiment par un murmure d'admiration. Entre temps, on est arrivé à la
ville et beaucoup d'autres gens
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s'approchent alors qu'ils se dirigent vers une maison.
Écoute, rabbi. Toi qui es sage et bon, éclaire notre doute. Beaucoup de choses de notre avenir
peuvent dépendre de cela. Toi qui es le Messie, le Restaurateur par conséquent du royaume de
David, tu dois te réjouir de réunir ce membre séparé au corps de l'état. N'est-ce pas "
" Non tant de réunir les membres séparés de cet état caduc, que de ramener à Dieu tous les esprits,
voilà mon souci et je me réjouis de rétablir la Vérité dans un cœur. Mais expose ton doute. "
" Nos pères ont péché. Dès lors les âmes de SaMarie sont odieuses à Dieu. Quel bien en
obtiendrons-nous donc si nous suivons le Bien, C'est pour toujours que nous sommes lépreux aux
yeux de Dieu. "
" C'est votre regret, l'éternel regret le mécontentement perpétuel de tous les schismatiques. Mais je
te réponds encore avec Ezéchiel. 'Toutes les âmes m'appartiennent' dit le Seigneur. Aussi bien celle
du père que celle du fils. Mais seule mourra l'âme qui a péché. Si un homme est juste, s'il n'est pas
idolâtre, s'il ne commet pas l'impureté, s'il ne dérobe pas et s'il n'est pas usurier, s'il a miséricorde
pour la chair et l'esprit d'autrui, il sera juste à mes yeux et vivra de la vraie vie. Et encore : si un
juste a un fils rebelle, ce fils aura-t-il peut-être la vie parce que son père était juste ? Non, il ne l'aura
pas. Et encore : si le fils d'un pécheur est juste, mourra-t-il comme le père parce qu'il est son fils ?
Non, il vivra de l'éternelle vie parce qu'il a été juste. Il ne serait pas juste que l'un porte le péché de
l'autre. L'âme qui a péché mourra. Celle qui n'a pas péché, ne mourra pas. Et si celui qui a péché se
repent et vient à la Justice, voici que lui aussi aura la vraie vie. Le Seigneur Dieu, unique et seul
Seigneur, dit : 'Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et ait la Vie.' C'est pour
cela qu'Il m'a envoyé, ô fils errants. Pour que vous ayez la vraie vie. Je suis la Vie. Celui qui croit
en Moi et en Celui qui m'a envoyé aura la vie éternelle, même si jusqu'à présent il a été pécheur. "
" Nous voici chez moi, maître. N'as-Tu pas horreur d'y entrer ? "
" Je n'ai horreur que du péché. "
" Viens, alors, et reste. Nous partagerons ensemble le pain et puis, si la chose ne te pèse pas, Tu
nous partageras la parole de Dieu. Elle a un autre goût cette parole qui vient de Toi ... et nous avons
ici un tourment : celui de ne pas nous sentir sûrs d'être dans le vrai ... "
" Tout s'apaiserait si vous osiez venir ouvertement à la Vérité.
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Dieu parle en vous, ô citadins. La nuit va bientôt tomber, mais demain , à la troisième heure, je vous
parlerai longuement, si vous le voulez. Partez en compagnie de la Miséricorde. "

5. EVANGELISATION A SYCHAR.

[Entre temps, je fais cette première observation, sinon je l'oublie.


Le passage 'Sépulture de Jésus' de l'an passé, placé sous le titre de la Passion et que nous avions
retranché parce qu'il nous paraissait superflu comme une répétition, était utile, au contraire pour
expliquer certaines choses à ceux qui désirent connaître (honnêtement) à tout ce qui se rapporte au
Seigneur et aussi à ceux qui nient la réalité de la mort du Christ. Sur la fin il était dit comment le
Corps avait été embaumé et disposé dans le linceul. Et ceci expliquait différentes choses. Bon,
désormais, c'est fait. Mais qu'on se persuade que moi, quand je ne suis pas tenue par Jésus, je suis
une parfaite abrutie : je ne vois rien, je ne comprends rien. Il est donc parfaitement inutile de venir
me demander, à moi, quelque chose après que mon travail soit fini. Je ne sais plus rien. Je ne
comprends plus l'utilité d'un passage. Rien. Zéro absolu et obscurité totale. Ce matin, à l'aube, il m'a
été montré pourquoi ce passage avait été placé sous le titre en question. Et j'ai avalé mon ... remède
contre l'orgueil du jugement humain. Maintenant, je ferais un ajouté, sur une feuille incluse, où il
sera expliqué comment fut préparé le cadavre et je l'insérerais pour l'utilité et la clarté à l'intention
de ceux qui veulent être informés et des négateurs.
Et maintenant, en avant.]

Jésus parle au milieu d'une place à une foule nombreuse. Il est monté sur le petit banc de pierre
qui se trouve près de la fontaine. Les gens l'entourent. Et tout autour sont aussi les douze avec des
visages ... consternés ou ennuyés ou qui manifestent même clairement le dégoût de certains
contacts. Barthélemy spécialement et l'Iscariote montrent ouvertement leur embarras et pour éviter
le plus possible le voisinage des samaritains, l'Iscariote s'est mis à cheval sur la branche d'un arbre,
comme s'il voulait dominer la scène, alors que Barthélemy s 'est adossé à une porte cochère à un
angle de la place. Les préjugés sont vivants et actifs en tous. Jésus, au contraire, n'a rien qui diffère
de l'ordinaire. Je dirais, au contraire, qu'il s'efforce de ne pas effrayer par sa majesté en même temps
qu'il cherche à la manifester pour enlever tout doute. Il caresse deux ou trois petits dont il demande
le nom, et il s'intéresse à un vieil aveugle auquel il donne personnellement l'obole ; Il répond à deux
ou trois questions qui Lui sont posées sur des choses qui ne sont pas d'ordre général, mais privé.
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L'une est la demande d'un père dont la file a fait une fugue par amour et maintenant demande
pardon.
" Accorde-lui sans retard ton pardon. "
" Mais j'ai souffert de cela, Maître ! Et j'en souffre. En moins d'une année, j'ai vieilli de dix ans.
"
" Le pardon t'apportera du soulagement. "
" Ce n'est pas possible. La blessure reste. "
" C'est vrai. Mais dans la blessure il y a deux pointes qui font souffrir. L'une c'est l'affront
indéniable que tu as reçu de ta fille. L 'autre, c'est l'effort que tu fais pour lui refuser ton amour.
Supprime au moins cette dernière. Le pardon, qui est la forme plus élevée de l'amour, la fera
disparaître. Pense, pauvre père, que cette fille est née de toi et qu'elle a toujours droit à ton amour.
Si tu la voyais malade d'une maladie physique et si tu savais qu'en ne la soignant pas toi,
précisément toi, elle mourrait, la laisserais-tu mourir ? Non, certainement pas. Et alors pense que
toi, toi précisément, tu peux par ton pardon arrêter son mal et même l'amener à une saine estimation
de l'amour. C'est que, vois-tu, c'est le côté matériel, le plus vil, qui chez elle a pris le dessus. "
" Alors, Tu dirais que je dois pardonner ?. "
" Tu le dois. "
" Mais comment faire pour la voir à la maison, après que celle a fait, sans la maudire ? "
" Mais alors, tu ne pardonnerais pas. Le pardon n'est pas dans l'acte de lui ouvrir la porte de la
maison, mais dans celui de lui ouvrir ton cœur. Sois bon, homme. Et quoi, la patience que nous
avons pour le bouvillon capricieux, nous ne l'aurions pas pour notre enfant ? "
Une femme, de son côté, demande s'il est bien qu'elle épouse son beau-frère pour donner un
père à ses orphelins.
" Es-tu sûre qu'il serait un vrai père ? "
" Oui, Maître. J'ai trois garçons. Il faut un homme pour les diriger. "
" Fais-le, alors et sois pour lui une épouse fidèle comme tu l'as été pour ton premier mari. "
Un troisième Lui demande s'il ferait bien ou mal à accepter une invitation qu'il a reçue d'aller à
Antioche.
" Homme, pourquoi veux-tu y aller ? "
" Parce qu'ici je n'ai pas de moyen d'existence pour moi et mes nombreux enfants. J'ai connu un
gentil qui me prendrait parce qu'il m'a vu capable au travail et il donnerait aussi du travail à
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mes fils. Mais je ne voudrais pas ... ce scrupule te paraîtra étrange de la part d'un samaritain, mais je
l'ai. Je ne voudrais pas qu'on perde la foi. C'est un païen, sais-Tu, cet homme ? "
" Eh bien ? Rien ne contamine si on ne veut pas être contaminé. Va donc à Antioche et sois
fidèle au Dieu Vrai. Lui te guidera et tu seras même un bienfaiteur pour le maître qui connaîtra Dieu
à travers ton honnêteté. "
Ensuite Il s'adresse à tout le monde.
" J'ai entendu parler beaucoup d'entre vous, et en tous j'ai découvert une secrète douleur, une
peine, de laquelle vous-mêmes ne vous rendez compte, mais qui pleure en vos cœurs. Cela fait des
siècles qu'elle grandit et ni les raisons que vous exprimez, ni les injures que l'on vous lance ne
peuvent la faire disparaître. Mais au contraire, elle durcit de plus en plus et pèse comme la neige
quand elle se transforme en glace.
Je ne suis pas vous et je ne suis pas non plus de ceux qui vous accusent. Je suis Justice et
Sagesse. Et pour résoudre votre cas, je vous cite encore Ezéchiel. Lui, en qualité de prophète, parle
de SaMarie et de Jérusalem en disant qu'elles sont les filles d'un même sein et en les appelant Ohola
et Oholiba. La première à tomber dans l'idolâtrie dans l'idolâtrie, ce fut la première, Ohola, car elle
était déjà privée de l'union spirituelle avec notre Père des Cieux. L'union avec Dieu est salut,
toujours. Elle échangea la véritable richesse, puissance, la véritable sagesse, avec la pauvre richesse,
puissance et sagesse de quelqu'un qui était, encore plus qu'elle même, au-dessous de Dieu, et elle fut
séduite par lui au point de devenir l'esclave de la manière de vivre de celui qui l'avait séduite. Pour
être forte, elle devint faible. Pour être plus, elle devint moins. Pour être imprudente, elle devint
folle. Quand quelqu'un s'est imprudemment contaminé par une infection, il lui est bien difficile de
s'en guérir.
Vous direz : 'Avons-nous été amoindris ? Non. Nous fûmes grands'. Grand, oui, mais comment ?
A quel prix ? Vous le savez. Combien, aussi parmi les femmes, conquièrent la richesse au prix
effroyable de leur honneur ! Elles acquièrent une chose qui peut ne pas durer. Elles perdent une
chose qui n'a jamais de fin : leur bonne renommée.
Oholiba, voyant que la folie d'Ohola lui avait valu des richesses, voulut l'imiter et devint folle plus
qu'Ohola et au prix d'une double faute. En effet, elle avait avec elle le Vrai Dieu et n'aurait jamais
dû piétiner la force qui lui venait de cette union. Et
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une dure, terrible punition est venue et viendra encore davantage à Oholiba doublement folle et
impure. Dieu lui tournera le dos. Il est en train de le faire pour s'en aller vers ceux qui ne sont pas de
juda. Et ne pourra accuser Dieu d'être injuste, car Lui ne s'impose pas. A tous Il ouvre ses bras, Il
invite tout le monde, mais si quelqu'un Lui dit : 'Va-t-en', Il s'en va. Il va chercher l'amour et en
inviter d'autres jusqu'à ce qu'Il trouve quelqu'un qui Lui dise : 'Je viens'.
C'est pour cela que je vous dis que vous pouvez avoir un soulagement à votre tourment, que
vous devez l'avoir, en pensant à cette chose. Ohola, reviens à toi ! Dieu t'appelle.
La sagesse de l'homme consiste à se repentir. La sagesse de l'esprit réside dans l'amour du Dieu
Vrai et de sa Vérité. Ne regardez ni Oholiba, ni la Phénicie, ni l'Egypte, ni la Grèce. Regardez Dieu.
C'est la Patrie de tout esprit droit : le Ciel. Il n'y a pas beaucoup de lois, mais une seule : celle de
Dieu. C'est par ce code que l'on a la Vie. Ne dites pas : 'Nous avons péché', mais dites : 'Nous ne
voulons plus pécher'. Que Dieu vous aime encore, la preuve en est dans le fait qu'Il vous a envoyé
son Verbe vous dire : 'Venez'. Venez, je vous le dis. Vous êtes injuriés et proscrits ? Et par qui ?
Part des êtres semblables à vous. Mais Dieu est plus qu'eux, et Lui vous dit : 'Venez'. Un jour
viendra où vous jubilerez de n'avoir pas été dans le Temple. ... Votre intelligence s'en réjouira. Mais
davantage jubileront les esprits parce que sur ceux qui ont le cœur droit, dispersés en SaMarie, sera
déjà descendu le pardon de Dieu. Préparez-en l'avènement. Venez au Sauveur universel, ô fils de
Dieu qui avez perdu la route. "
" Mais quelques-uns au moins nous viendrons. Ce sont ceux de l'autre côté qui ne veulent pas de
nous. "
" Et avec le prête et le prophète, je vous dis encore : 'Je prendrai le bois de Joseph qui est aux
mains d'Ephraïm avec les tribus d'Israël qui lui sont unies et je l'unirai au bois de Juda et je n'en
ferai un seul bois..' Oui. Pas du Temple. Venez à Moi. Je ne vous repousse pas. Je suis Celui que
l'on appelle l'universel Dominateur. Je suis le Roi des rois. Je vous purifierai tous, ô peuples qui
voulez être purifiés. Je vous rassemblerai, ô troupeaux qui êtes sans bergers ou avec des bergers
idolâtres, car Je suis le Bon Berger. Je vous donnerai un tabernacle unique et le placerai au milieu
de mes fidèles. Ce tabernacle sera la source de vie, pain de vie, il sera lumière, il sera salut,
protection, sagesse. Il sera tout car il sera le Vivant donné en nourriture aux morts pour les rendre
vivants ; il
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sera le Dieu qui se répand par sa sainteté pour sanctifier. Je suis et je serai cela. Le temps de la
haine, de l'incompréhension, de la crainte est passé. Venez ! Peuple d'Israël ! Peuple séparé ! Peuple
affligé ! Peuple éloigné ! Peuple cher, tellement cher, infiniment cher, parce que malade, parce que
affaibli, parce que saigné à blanc par une flèche qui a ouvert les veines de l'âme et en a fait fuir
l'union vitale avec ton Dieu, viens ! Viens au sein d'où tu es né, viens à la poitrine d'où t'est venue la
vie. Douceur et tiédeur s'y trouvent encore pour toi. Toujours. Viens ! Viens à la Vie et au Salut. "

6. ADIEU AUX GENS DE SYCHAR

Jésus dit aux samaritains de Sychar : " Avant de vous quitter, car j'ai d'autres fils à évangéliser,
je veux vous ouvrir les clairs chemins de l'espérance et vous y mettre en disant : allez, sachant bien
que vous arriverez au but. Et aujourd'hui, je ne prends pas le grand Ezéchiel, je prends le disciple
préféré de Jérémie, le très grand Prophète.
Baruch parle pour vous. Oh ! réellement il prend vos âmes et parle pour elles toutes au Dieu
Sublime qui réside dans les Cieux. Je ne dis pas seulement celles des samaritains, mais toutes vos
âmes, ô descendants du peuple élu qui êtes tombés dans des nombreux péchés, et il prend aussi les
vôtre, ô peuples gentils qui pressentez l'existence d'un Dieu inconnu parmi les nombreuses divinités
que vous adorez, un Dieu que votre âme pressent être l'Unique et le vrai et que votre pesanteur vous
empêche de chercher pour Le connaître comme votre âme le voudrait. Du moins une loi morale
vous avait été donnée, ô gentils, ô idolâtres, parce que vous êtes des hommes, et que l'homme a en
lui une essence qui vient de Dieu et qui s'appelle esprit et qui vous pousse à la réalité d'une sainte
vie. Et vous l'avez abaissée pour être esclave d'une chair vicieuse, brisant la loi morale humaine,
celle que vous aviez, et devenant, même humainement, pécheurs, rabaissant l'idée de vos croyances
et vous mêmes au niveau d'une bestialité qui vous rend inférieurs aux brutes. Et pourtant écoutez.
Écoutez tous. Et vous comprenez d'autant plus et par conséquent vous agissez d'autant plus que
vous connaissez davantage la Loi d'une morale surnatu-
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relle qui vous a été donnée par le Vrai Dieu.
Voici la prière de Baruch, et c'est elle qui doit être dans vos cœurs humiliés par une noble
humilité qui n'est pas dégradation et lâcheté, mais qui est la connaissance exacte de ses propres
misérables conditions et désir saint de trouver le moyen de les améliorer spirituellement. Voici donc
sa prière : 'Regarde-nous, ô Seigneur, de ta sainte demeure, tends tes oreilles et écoute-nous. Ouvre
les yeux et réfléchis que ce que ne sont pas les morts qui sont en enfer, dont l'esprit est séparé de
leur corps, qui seront ceux qui rendront justice et honneur au Seigneur, mais l'âme affligée par la
grandeur de ses malheurs, qui va courbée et faible, l'air abattu. C'est l'âme affamée de Toi, ô Dieu,
celle qui te rend gloire et justice'. Et Baruch pleure humblement et tous les justes doivent pleurer
avec lui en voyant et en nomment de leur vrai nom les malheurs qui d'un peuple fort on fait un
peuple triste, divisé et assujetti : 'Nous n'avons pas obéi à ta voix et Tu as accompli tes paroles dites
par tes serviteurs, les Prophètes ... Et voilà que les ossements de nos rois et de nos pères ont été
enlevés de leurs tombeaux et exposées à la chaleur du soleil, au gel de la nuit, et que les habitants
des villes sont morts dans d'atroces douleurs par la faim, l'épée, la peste. Et le Temple où était
invoqué ton Nom, Tu l'as réduit à l'état où il se trouve aujourd'hui à cause de l'iniquité d'Israël et de
Juda'.
Oh ! fils du Père, ne dites pas : 'Aussi bien notre Temple que le vôtre sont redressés et beaux'.
Non. Un arbre écartelé par la foudre depuis la cime jusqu'aux racines ne survit pas. Il pourra végéter
misérablement essayant de vivre avec les surgeons poussés des racines qui ne veulent pas mourir,
mais ce sera des broussailles sans fruits et plus jamais l'arbre opulent, riche de fruits sains et
agréables. La désagrégation qui a commencé avec la séparation s'accentue de pus en plus bien que
l'édifice matériel ne paraisse pas abîmé mais encore beau et neuf et désagrége les âmes qui
l'habitent. Et puis il viendra l'heure où toute flamme surnaturelle sera éteinte et où il manquera au
Temple l'autel de métal précieux qui pour subsister doit être tenu en état de continuelle fusion par la
foi et la charité de ses ministres, ce qui fait sa vie. Et lui, glacial, éteint, souillé, rempli de morts,
deviendra une pourriture sur laquelle les corbeaux étrangers et l'avalanche de la divine punition
s'abattront pour en faire une ruine.
Fils d'Israël, priez, en pleurant avec Moi, votre Sauveur. Que ma voix soutienne les vôtres, et
pénètre, elle qui le peut, jusqu'au
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trône de Dieu ; Celui qui prie avec le Christ, fils du Père, est écouté par Dieu, le Père du fils. Prions
avec l'antique, la juste prière de Baruch : 'Et maintenant , Seigneur Tout Puissant, ô Dieu d'Israël ,
toute âme angoissée, tout esprit que remplit l'anxiété crie vers Toi/ Ecoute, ô Seigneur, et air pitié.
Tu es un Dieu miséricordieux, aie pitié de nous parce que nous avons péché devant Toi. Toi, Tu
sièges éternellement et nous devrons périr pour toujours ? Seigneur Tout Puissant, Dieu d'Israël,
écoute la prière des morts d'Israël et de leurs fils qui ont péché en ta présence. Eux n'ont pas prêté
l'oreille à la voix du Seigneur leur Dieu et leurs maux se sont attachés à nous. Ne te souviens plus
de l'iniquité de nos pères, mais souviens-Toi de ta puissance et de ton Nom ... Pour que nous
invoquions ce Nom et nous nous convertissons de l'iniquité de nos prières, aie pitié'.
Priez ainsi et convertissez-vous réellement à la vraie sagesse qui est celle de Dieu et qui se
trouve dans le Livre des commandements de Dieu et dans la Loi qui dure éternellement et que
maintenant, Moi, Messie de Dieu, je suis venu apporter de nouveau dans sa forme simple et
inaltérable aux pauvres du monde, en leur annonçant la bonne nouvelle de l'ère de la Rédemption,
du Pardon, de l'Amour, de la Paix. Celui qui croira à cette Parole arrivera à la vie éternelle.
Je vous quitte, habitants de Sychar qui avez été bons avec le Messie de Dieu. Je vous laisse avec
ma paix. "
" Reste encore ! "
" Reviens encore ! "
" Jamais plus personne ne nous parlera comme Tu as parlé. "
" Sois Béni, bon Maître ! "
" Bénis mon petit ! "
" Prie pour moi, Toi le Saint ! "
" Permet-moi de garder une de tes franges comme bénédiction. "
" Souviens-toi d'Abel. "
" Et de moi timothée. "
" Et de moi Joraï "
" De tous, de tous . Que la paix vienne à vous. "
Ils l'accompagnent jusqu'au dehors de la ville pendant quelques centaines de mètres, puis
doucement, doucement ils reviennent ...

7 . ENSEIGNEMENT AUX APOTRES.


LE MIRACLE DE LA FEMME DE SYCHAR

Jésus marche devant, seul, en frôlant une haie de cactus qui, se moquant de toutes les autres
plantes dépouillées, brillent au soleil avec leurs grosses palettes épineuses sur lesquelles il reste
quelques fruits que le temps a rendu rouge brique ou sur lesquelles déjà rit quelque fleur précoce
jaune teintée de cinabre.
Derrière, les apôtres parlottent entre eux et il me semble qu'ils ne font vraiment pas des
compliments au Maître. A un certain moment, Jésus se retourne brusquement et dit : " 'Qui regarde
d'où vient le vent ne sème pas, et qui reste à regarder les nuages ne moissonne jamais'. C'est un
vieux proverbe. Mais je m'y tiens. Et vous voyez que là où vous craignez de mauvais vent et ne
voulez pas rester, j'ai trouvé un terrain et possibilité de semailles. Malgré 'vos' nuages -soit dit en
passant, ce n'est pas bien que vous les fassiez voir là où la Miséricorde veut montrer son soleil- je
suis certain d'avoir déjà moissonné ".
" Mais, en attendant, personne ne t'a demandé de miracle. C'est une foi bien étrange qu'ils ont en
Toi ! "
" Et tu crois, Thomas, que seule la requête d'un miracle prouve qu'il y a foi ? Tu te trompes. C'est
tout le contraire. Celui qui veut un miracle pour pouvoir croire, témoigne que, sans le miracle,
preuve palpable, il ne croirait pas. Au contraire, celui qui dit : 'Je crois' sur simple parole d'autrui
manifeste la foi la plus grande. "
" De sorte que les Samaritains sont meilleurs que nous ! "
" Je ne dis pas cela. Mais dans leurs conditions d'affaiblissement spirituel, ils se sont montrés
beaucoup plus capables d'entendre Dieu que les fidèles de Palestine. Cela, vous le rencontrerez de
nombreuses fois dans votre vie et, je vous en prie, souvenez-vous aussi de cet épisode pour savoir
régler votre conduite sans préjugés à l'égard des âmes qui viendront à la foi du Christ. "
" Pourtant, pardonne-moi, Jésus, si je te le dis, il me semble qu'avec toute la haine qui te
poursuit, il est nuisible pour Toi de créer de nouvelles accusations. Si les membres du Sanhédrin
savaient que Tu as eu ... "
" Mais dis-le simplement : 'de l'amour' ", car c'est cela que j'ai eu, Jacques, et que j'ai encore. Et
toi, qui es mon cousin, tu peux comprendre que je ne puis avoir autre chose que de l'amour. Je t'ai
montré que je n'ai qu'amour, même pour ceux qui m'étaient hosti-
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les parmi ceux de mon sang et de mon pays. Et devrais-je pour ceux-ci qui m'ont respecté sans me
connaître ne pas avoir d'amour ? Les membres du Sanhédrin peuvent faire tout le mal qu'ils veulent.
Mais ce ne sera pas la perspective de ce mal à venir qui fermera les digues de mon amour
omniprésent et tout-opérant. Du reste ... mêle si j'agissais autrement ... je n'empêcherais pas le
Sanhédrin de trouver, dans sa haine, des motifs d'accusation. "
" Mais Toi, Maître, tu perds ton temps en pays idolâtre alors que l'on t'attend en tant d'endroits
en Israël. Tu dis que toute heure doit être consacrée au Seigneur. Ne sont-ce pas des heures
perdues ? "
" Elle n'est pas perdue la journée employée à rassembler les brebis éparses. Elle n'est pas
perdue, Philippe. Il est dit : 'Il fait beaucoup d'offrandes celui qui respecte la loi ... mais celui qui
use de miséricorde offre un sacrifice'. Il est dit : 'Donne au Très-Haut en proportion de ce qu'Il t'a
donné et offre avec joie selon tes moyens'. C "est ce que je fais, ami. Et ce n'est pas du temps perdu
celui du sacrifice. Je fais miséricorde et j'use des moyens que j'ai reçus en offrant mon travail à
Dieu. Restez donc calmes. Et du reste ... Qui de vous exigeait une requête de miracle pour se
persuader que les gens de Sychar croient en Moi, voici de quoi le contenter. Cet homme, qui nous
suit, sûrement a quelque motif de le faire. Arrêtons-nous. "
En effet un homme s'avance ; Il paraît courbé sous une lourde charge qu'il porte en équilibre sur
ses épaules. Il voit que le groupe s'arrête et il s'arrête lui aussi.
" Il veut nous faire du mal. Il s'arrête parce qu'il voit que nous nous en sommes aperçus. Oh !
ces samaritains ! "
" En es-tu certain, Pierre ? "
" Oh ! absolument ! "
" Alors, reste ici. Moi je vais à sa rencontre. "
" Pour cela, non, Seigneur. Si Tu y vas, je viens aussi. "
" Alors viens. "
Jésus va vers l'homme. Pierre trottine à son côté curieux et hostile à la fois. Quand ils sont à
quelques mètres l'un de l'autre, Jésus dit : " Que veux-tu, homme ? Qui cherches-tu ? "
" Toi. "
" Et pourquoi ne m'as tu pas cherché en ville ? "
" Je n'osais pas ... Si Tu m'avais repoussé devant tout le monde, j'en aurais eu trop de douleur et
de honte. "
" Tu pouvais m'appeler dès que j'ai été seul avec les miens. "
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" J'espérais te rejoindre quand Tu aurais été seul, comme Fotinaï. J'ai aussi un grand motif d'être
seul avec Toi ... "
" Que veux-tu ? Que portes-tu sur tes épaules avec tant de peine ? "
" Ma femme. Un esprit en a pris possession et en a fait un corps mort et une intelligence éteinte.
Je dois la faire manger, l'habiller, la porte comme une petite. Elle a été prise ainsi, sans maladie... Ils
l'appellent la 'possédée'. J'en souffre. Je peine et j'ai des dépenses. Regarde. " L'homme dépose sur
le sol son fardeau de chairs inertes enveloppées dans un manteau comme dans un sac et découvre un
visage de femme encore jeune, mais qu'on pourrait croire mort si elle ne respirait pas. Les yeux
clos, la bouche entrouverte .. la physionomie d'une personne qui a rendu le dernier soupir.
Jésus se penche sur la malheureuse, couchée par terre ; il la regarde, regarde l'homme : " Tu
crois que je puis ? Pourquoi le crois-tu ? "
" Parce que Tu es le Christ. "
" Mais tu n'en rien vu qui le prouve. "
" J'ai entendu ta parole. Elle me suffit. "
" Pierre, tu l'entends ? Que dis-tu que je doive faire maintenant, devant une fois aussi parfaite ? "
" Mais ... Maître .. Toi ... Moi ... Mais, en somme, fais-le Toi. " Pierre est très gêné.
" Oui. Je le fais. Homme regarde. " Jésus prend la femme par la main et commande : " Quitte-la.
Je le veux. "
La femme, jusqu'alors inerte, a une horrible convulsion d'abord muette et puis ce sont des cris et
des lamentations qui se terminent par un grand cri durant lequel elle ouvre les yeux jusqu'alors
fermés, se frottant les yeux, comme si elle s'éveillait d'un cauchemar. Puis elle se calme, et un peu
abasourdie regarde tout autour, dévisageant d'abord Jésus, l'Inconnu qui lui sourit ... elle regarde la
poussière du chemin sur lequel elle est allongée, une touffe d'herbe qui a poussé au bord du chemin
et sur laquelle les têtes blanches-rouges des pâquerettes sont comme des perles tout près de
s'épanouir. Elle regarde ha haie de cactus, le ciel azuré, et puis elle tourne les yeux et voit son
homme... son homme qui la regarde avec anxiété et observe attentivement tous ses mouvements.
Elle sourit, et puis avec la complète liberté qui lui est revenue, se dresse et se réfugie sur la poitrine
du mari qui la caresse et l'embrasse en pleurant.
" Comment ? Ici ? Pourquoi ? Quel est cet homme ? "
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" C'est Jésus, le Messie. Tu étais malade. Il t'a guérie. Dis-Lui que tu l'aimes bien. "
" Oh ! Oui ! Merci ... Mais qu'est-ce que j'avais, Mes enfants ... Simon .. Je ne me souviens pas
d'hier, mais je me rappelle que j'ai des enfants ... "
Jésus parle : " Il ne faut pas te rappeler hier. Souviens-toi toujours d'aujourd'hui. Et sois bonne.
Adieu. Soyez bons et Dieu sera avec vous. " Et Jésus, suivi par les bénédictions des deux, se retire
rapidement.
Quand il rejoint les autres, toujours adossés à la haie, il ne leur parle pas. Mais il s'adresse à
Pierre. " Et maintenant, toi, qui étais sûr que cet homme voulait me faire du mal, que dis-tu ?
Simon, Simon ! Que de choses il te manque encore pour être parfait ! Que de choses ! il vous
manque ! Moins l'idolâtrie évidente, vous avez tous le péchés de ces gens là et en plus l'orgueil dans
vos jugements. Maintenant, prenons notre repas. Nous dormirons dans quelque grange à foin si
nous ne trouvons pas mieux. "
Les douze, avec au cœur le sentiment du reproche, s'assoient sans parler et mangent leurs vivres.
Le soleil d'une journée tranquille illumine la campagne qui descend en molles ondulations vers
une plaine.
Le repas fini, ils s'arrêtent encore quelques temps jusqu'à ce que Jésus se lève et dise : " Viens,
toi, André, et toi, Simon. Je vais voir si cette maison est amie ou hostile. " et Il s'en va pendant que
les autres restent taciturnes jusqu ce que Jacques d'Alphée dit à Judas l'Iscariote : " Mais celle qui
vient, n'est-ce pas la femme de Sychar ? "
" Oui, c'est elle. Je la reconnais à son vêtement. Que voudra-t-elle ? "
" Suivre son chemin " répond Pierre boudeur.
" Non, elle nous fixe trop, en se protégeant les yeux avec sa main. "
Ils l'observent jusqu'à ce quelle arrive près d'eux et elle leur demande, toute humble : " Votre
Maître, où est-Il ? "
" Passe ton chemin. Pourquoi le demandes-tu ? "
" J'avais besoin de Lui ... "
" Il ne se perd pas avec les femmes' répond Pierre sèchement.
" Je le sais. Avec les femmes, non. Mais je suis une âme de femme qui a besoin de Lui. "
" Laisse-la faire " conseille Judas d'Alphée. Et il répond à Fotinaï :
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" Attend. Il reviendra bientôt. "
La femme se met dans un coin de la route à un tournant et elle reste immobile et silencieuse
pendant que tous la délaissent. Mais Jésus revient vite et Pierre dit : " Voici le maître. Dis-Lui ce
que tu veux, et vivement. "
La femme ne lui répond même pas, mais elle va aux pieds de Jésus et se baisse jusqu'au sol,
silencieuse.
" Fotinaï, que veux-tu de Moi ? "
" Ton aide, Seigneur. Je suis tellement faible, et je ne veux plus pécher. Je l'ai déjà dit à l'homme.
Mais maintenant que je ne suis plus une pécheresse, je ne sais plus rien. Le bien, je l'ignore. Que
dois-je faire ? Dis-le moi. Toi. Je ne suis que fange. Mais ton pied piétine la route pour aller vers les
âmes. Piétine ma fange, mais viens jusqu mon âme avec tes conseils " et elle pleure.
" Tu ne pourrais venir, femme seule, à ma suite. Mais si tu veux réellement ne plus pécher et
connaître la science de ne pas pécher, retourne chez toi avec l'esprit de pénitence, et attends. Le jour
viendra où, femme parmi d'autres également rachetées, tu pourrais être proche de ton Rédempteur et
apprendre la science du Bien. Va. N'aie pas peur. Sois fidèle à ta volonté actuelle de ne pas pécher.
Adieu. "
La femme baise la poussière, se relève et s'éloigne à reculons pendant quelques mètres, puis elle
s'en va vers Sychar ...

8. JESUS REND VISITE AU BAPTISTE PRES D'ENNON

Une nuit avec un clair de lune si limpide qu'il révèle tous les détails du terrain et, avec le
jeune blé en herbe, les champs semblent des tapis de peluche vert-argenté traversés par les rubans
sombres des sentiers et gardées par les arbres tout éclairés du côté de la lune, tous noirs à l'opposé.
Jésus chemine, tranquille et seul. Il suit très rapidement son chemin jusqu'à ce qu'il se trouve un
cours d'eau qui descend en bouillonnant vers la plaine en direction nord-est. Il le remonte jusqu'à un
endroit solitaire pré d'une pente boisée. Il tourne encore, grimpe un sentier et arrive à un abri naturel
au flanc de la colline.
Il entre et se penche sur un être couché qu'on distingue à peine au
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clair de la lune qui éclaire le sentier mais ne pénètre pas dans la grotte. Il l'appelle : 'Jean'.
L'homme se réveille et s'assoit, encore pris par le sommeil. Mais vite il comprend quel est celui
qui l'appelle et se lève vivement, pour ensuite se prosterner à terre en disant : " Comment se fait-il
que mon Seigneur soit venu jusqu'à moi ? "
" Pour réjouir ton cœur et le mien. Tu m'as désiré, Jean. Me voici ; Lève-toi. Sortons au clair de
lune et assoyons-nous, pour parler, sur ce rocher près de la grotte. "
Jean obéit, se lève et sort. Mais, quand Jésus est assis, lui, dans sa peau de brebis qui couvre mal
son corps amaigri, se met à genoux en face du Christ, renvoie en arrière ses cheveux longs et en
désordre, qui lui retombent sur les yeux, pour mieux voir le Fils de Dieu.
Cela fait un très grand contraste. Jésus, pâle et blond, aux cheveux soyeux et peignés, avec une
barbe courte au bas du visage. L'autre qui n'est qu'un buisson de poils noirs d'où émergent
seulement deux yeux enfoncés, je dirai fiévreux, tant ils brillent de leur couleur noire de jais.
" Je suis venu te dire 'merci'. Tu as accompli et tu accomplis, avec toute la perfection de la Grâce
qui est en toi, ta mission d'être mon Précurseur. Quand l'heure viendra, tu entreras au Ciel à mes
côtés, car tu auras tout mérité de Dieu. Mais, en attendant, tu seras déjà dans la paix du Seigneur,
mon ami bien aimé. "
" Bientôt j'entrerai dans la Paix. Mon Maître et mon Dieu, bénis ton serviteur pour le fortifier dans
la dernière épreuve. Je n'ignore pas qu'elle est désormais très proche et que je dois encore donner un
témoignage : celui du sang. Et à Toi, plus encore qu'à moi, ce n'est pas chose inconnue que mon
heure va arriver. Ta venue, c'est la miséricordieuse bonté de ton cœur de Dieu qui l'a voulue pour
fortifier le dernier martyr d'Israël et le premier martyr des temps nouveaux. Mais dis-moi seulement
: aurai-je à attendre beaucoup ta venue ? "
" Non, Jean. Pas beaucoup plus qu'il ne s'est écoulé de temps de ta naissance à la mienne. "
" Que le très-Haut en soit béni. Jésus ... puis-je t'appeler ainsi ? "
" Tu le peux, à cause des liens du sang et de ta sainteté. Ce nom, que disent même les pécheurs,
peut être dit par le Saint d'Israël. Pour eux c'est le salut pour toi la douceur ; Que veux-tu de J "sus
ton Maître et ton cousin ? "
" Je vais mourir. Mais comme un père se préoccupe de ses enfants,
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Je me préoccupe de mes disciples. Mes disciples ... Tu es Maître et tu sais combien vif est en nous
l'amour pour eux. L'unique peine de ma mort, c'est la crainte qu'ils se perdent comme des brebis
sans berger. Recueille-les Toi. Je te rends les trois qui sont à Toi, et qui furent pour moi des parfaits
disciples, en t'attendant, Toi. En eux, et spécialement Mathias, la Sagesse est réellement présente.
J'en au d'autres, et ils viendront à Toi. Mais ceux-ci, permettes que je te les confie nommément. Ce
sont les trois qui me sont les plus chers. "
3Et ils me sont chers, à Moi aussi. Pars tranquille, Jean. Ils ne périront pas. Ni ceux-ci, ni les
autres qui sont tes vrais disciples. Je recueille ton héritage et je veillerai sur lui comme sur le trésor
le plus cher qui me vient de mon parfait ami et serviteur du Seigneur. "
Jean s'abaisse jusqu'à terre et, chose qui paraît impossible chez un personnage si austère, il
pleure secoué par des forts sanglots de joie spirituelle.
Jésus lui met la main sur la tête : "Tes pleurs, qui sont de joie et humilité, se rencontrent avec un
chant lointain au son duquel ton petit cœur a tressailli de joie. Ce chant et ces pleurs sont le même
hymne de louange à l'Eternel qui 'a fait de grandes choses, Lui qui est puissant chez les esprit
humbles'. Ma Mère aussi, va de nouveau entonner son cantique qu'Elle chanta alors. Mais ensuite,
pour Elle aussi viendra la plus grande gloire, comme pour toi, après le martyre. Je t'apporte aussi
son salut. Tous les souhaits et tous les réconforts. Tu les mérites. Ici ce n'est que la main du Fils de
l'homme qui se tient sur ta tête, mais du Ciel ouvert descend la Lumière et l'Amour pour te bénir,
Jean. "
" Je ne mérite pas tant. Je suis ton serviteur. "
" Tu es mon Jean. Ce jour là, au Jourdain, je fus le Messie qui se manifestait ; ici, maintenant,
c'est le cousin et le Dieu qui veut te donner le viatique de son amour de Dieu et de parent. Lève-toi,
Jean. Donnons-nous le baiser d'adieu. "
" Je ne mérite pas tant ... Je l'ai toujours désiré, pendant toute ma vie, mais je n'ose faire cet acte
sur Toi. Tu es mon Dieu. "
" Je suis ton Jésus. Adieu. Mon âme sera proche de la tienne, jusqu'à la paix. Vis et meurs en paix
pour tes disciples. Je ne puis te donner que cela, à présent. Mais au ciel je te donnerai le centuple,
car tu as trouvé toute grâce aux yeux de Dieu. "
Il l'a relevé et l'a embrassé en le baisant sur les joues et en recevant ses baisers. Puis Jean
s'agenouille encore et Jésus lui met les
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mains sur la tête et prie en tournant les yeux vers le ciel. Il semble qu'il le consacre. Il est imposant.
Le silence se prolonge ainsi pendant quelque temps. Puis Jésus lui fait ses adieux avec son doux
salut : " Que ma paix soit toujours avec toi. " et il prend le chemin du retour.

9. JÉSUS INSTRUIT LES APÔTRES.

" Seigneur, pourquoi ne prends-tu pas de repos pendant la nuit ? Cette nuit, je me suis levé et je ne
t'ai pas trouvé. Ta place était vide. "
" Pourquoi m'as-tu cherché, Simon ? "
" Pour te passer mon manteau. Je craignais que Tu n'eusses froid dans cette nuit sereine, mais
très froide. "
" Et toi, tu n'avais pas froid ? "
" Je me suis habitué pendant les longues années de misère, à être mal couvert, mal nourri, mal
logé.. Cette vallée des morts ! Quelle horreur ! en ce moment, ce n'était pas le cas, mais une autre
fois que nous descendrons à Jérusalem, car certainement nous y irons, viens, mon Seigneur, vers ces
lieux de mort. Il se trouve là tant de malheureux ... et la misère matérielle n'est pas la plus grave ...
Ce qui ronge et consume davantage, c'est le désespoir.. Ne trouves-tu pas, mon Seigneur, qu'il y a
trop de dureté à l'égard des lépreux ? "
C'est l'Iscariote qui répond, avant même Jésus, au Zélote qui plaide en faveurs de ses anciens
compagnons. L'Iscariote dit ; " Et voudrais-tu alors les laisser au milieu du peuple ? Tant pis pour
eux s'ils sont lépreux ! "
" Il ne manquerait plus que cela pour faire des hébreux des martyrs ! même la lèpre se promenant
à travers les roues avec les troupes et le reste !... "s'exclame Pierre.
" Il me semble que c'est une mesure de juste prudence de les reléguer " observe Jacques d'Alphée.
" Oui, mais il faudrait le faire avec pitié. Tu ne sais pas ce que c'est d'être lépreux. Tu ne peux pas
en parler. Pourquoi, s'il est juste d'avoir soin de nos corps, n'avons-nous pas la même justice pour
les âmes des lépreux ? Qui leur parle de Dieu, Et Dieu seul sait à quel point ils ont besoin de penser
à un dieu et à une paix
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dans cette atroce désolation qui est la leur ! "
" Simon , tu as raison. J'irai les voir, parce que c'est juste et pour vous enseigner cette
miséricorde. Jusqu'à présent j'ai guéri les lépreux rencontrés par hasard. Jusqu'à ce moment, c'est à
dire jusqu'à ce que j'ai été chassé de Juda, je me suis tourné vers les grands de Juda comme étant les
plus éloignés et ayant le plus besoin d'être rachetés pour aider le Rédempteur. Maintenant,
convaincu de l'inutilité de cette tentative, je l'abandonne. Ce n'est plus vers les grands, mais vers les
plus petits, vers les misères d'Israël que je vais. Et parmi elles, il y aura les lépreux de la vallée des
morts. Je ne décevrai pas la foi qu'ont en Moi ceux qui ont été évangélisés par le lépreux
reconnaissant. "
" Comment sais-tu, Jésus, que je fais cela ? "
" Comme je sais ce que pensent de Moi amis et ennemis dont je scrute le cœur. "
" Miséricorde ! Mais sais-tu exactement tout ce qui nous concerne, Maître ? " s'écrie Pierre.
" Oui. Même que toi, et pas toi seul, tu voulais éloigner Fotinaï. Mais, ne sais-tu pas qu'il ne
peut être permis d'éloigner une âme du bien, Ne sais-tu pas que pour entrer dans un pays il faut
avoir une pitié tout empreinte de douceur, même pour ceux que la société, qui n'est pas sainte parce
qu'elle n'est pas intimement unie à Dieu, juge et déclare indignes de pitié ? Mais ne te trouble pas
parce que je le sais. Sois seulement peiné que ton cœur ait des mouvements que Dieu n'approuve
pas, et efforce-toi de ne plus les avoir. Je vous l'ai dit ; La première année est terminée. Au cours de
la nouvelle j'avancerai, et avec des formes nouvelles, sur ma route. Vous aussi devez progresser au
cours de cette seconde année. Autrement il serait inutile que je me fatigue à vous évangéliser et à
vous sur-évangéliser, vous, mes futurs prêtres. "
" Tu étais allé prier, maître ? Tu nous as promis de nous enseigner tes prières. Le feras-Tu cette
année ? "
" Je le ferai. Mais je veux vous enseigner à être bons. La bonté est déjà prière. Mais je le ferai,
Jean.. "
" Et est-ce que tu nous enseignerais aussi à faire des miracles, cette année ? " demande l'Iscariote.
" Le miracle ne s'enseigne pas. Ce n'est pas un jeu d'amuseurs. Le miracle vient de Dieu, l'obtient
qui est en grâce près de Dieu. Si vous apprenez à être bons, vous aurez la grâce et obtiendrez le
miracle. "
" Mais Tu ne réponds jamais à notre question. Simon te l'a posée
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ainsi que Jean, et Tu ne nous as jamais dit où Tu es allé cette nuit. Sortir ainsi, seul, en pays païen,
ce peut être dangereux. "
" Je suis allé faire plaisir à une âme droite, et puisqu'il doit mourir, pour recueillir son héritage. "
" Oui ? Il était si important ? "
" Très important, Pierre, et de grande valeur. Le fruit du travail d'un vrai juste. "
" Mais ... je n'ai rien vu dans ton sac. Ce sont peut-être des bijoux que tu as sur ton sein ? "
" Oui, ce sont des bijoux très chers à mon cœur. "
" Montre-les-nous, Seigneur. "
" Je les aurai après la mort de celui qui doit mourir. Pour l'heure, ils servent à lui et à Moi, en les
laissant où ils sont. "
" Il les a placés à intérêt ? "
" Mais crois-tu que tout ce qui a de la valeur soit de l'argent ? C'est la chose la plus inutile et
dégoûtante qui existe sur la terre. Il ne sert que pour les choses matérielles, le péché et l'enfer.
Rarement l'homme s'en sert pour le bien. "
" Alors, si ce n'est pas de l'argent, qu'est-ce ? "
" Trois disciples formés par un saint. "
" Tu as été près du baptiste. Oh ! Mais pourquoi ? "
" Pourquoi ... Vous, vous m'avez toujours. Et vous tous, vous valez moins qu'une ongle du
Prophète ; N'était-il pas juste que j'aille vers le saint d'Israël lui porter la bénédiction de Dieu pour le
fortifier dans son martyre ? "
" Mais s'il est saint ... il n'a pas besoin de fortification. Il se suffit ... "
" Un jour viendra où 'mes' saints seront conduits devant les juges et à la mort. Ils seront saints,
ils seront en grâce de Dieu, ils seront fortifiés par la foi , l'espérance et la charité. Et pourtant
j'entende déjà leur cri, le cri de leur esprit 'Seigneur, aide-nous à cette heure !' Ce n'est que par mon
aide que mes saints seront forts dans les persécutions. "
" Mais ... nous ne serons pas ceux là, ce n'est pas ? Parce que moi, je ne suis vraiment pas
capable de souffrir. "
" C'est vrai. Mais toi, Barthélemy, tu n'es pas encore baptisé. "
" Mais si, je le suis. "
" Dans l'eau. Mais il te manque encore un autre baptême. Alors tu sauras souffrir. "
" Je suis déjà âgé. "
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" Et, si vieux que tu seras, tu seras plus fort qu'un jeune. "
" Mais Tu nous aideras quand même, n'est-ce pas ? "
" Je serai avec vous toujours. "
" J'essaierai de m'habituer à souffrir. " dit Barthélemy.
" Moi, je prierai sans relâche, dès maintenant, pour avoir cette grâce de Toi " dit Jacques
d'Alphée.
" Je suis âgé, et je ne demande que de te précéder et d'entrer avec Toi dans la paix " dit Simon le
Zélote.
" Moi ... je ne sais pas ce que je voudrais : mourir avant Toi ou mourir en même temps que Toi "
dit Jude d'Alphée.
" Moi, j'aurai de la peine si je te survis, mais je me consolerai en prêchant aux peuples " professe
l'Iscariote.
" Moi, je pense comme ton cousin " dit Thomas.
" Moi, au contraire, comme Simon le Zélote " dit Jacques de Zébédée.
" Et toi, Philippe ? "
" Mais ... je dis que je ne veux pas y penser. L'Eternel me donnera ce qui est le mieux. "
" Oh ! mais taisez-vous ! Il semble que le maître doive mourir bientôt ! Ne me faites pas penser
à sa mort ! " s'exclame André.
" Tu as bien parlé, mon frère. Tu es jeune et en bonne santé, Jésus. Tu dois nous enterrer tous,
nous plus âgés que Toi. "
" Et s'ils me tuent ? "
" Que cela n'arrive jamais. Mais moi, je te vengerai. "
" Comment ? Par des vengeances sanglantes ? "
" Hé ... même ainsi si tu les permets. Mais autrement en enlevant par ma profession de foi parmi
les peuples les accusations qu'on jette sur Toi. Le monde t'aimera parce que je serai infatigable à te
prêcher. "
" C'est vrai. Il en sera ainsi. Et toi, Jean. Et toi, Mathieu ? "
" Moi, je dois souffrir et attendre d'avoir avec beaucoup de peine lavé mon esprit. " dit Mathieu.
" Et moi, moi ... je ne sais pas. Je voudrais mourir tout de suite pour ne pas te voir souffrir. Je
voudrais être à côté de Toi pour consoler ton agonie. Je voudrai vivre longtemps pour te servir
longtemps. Je voudrais mourir avec Toi, pour entrer avec Toi au Ciel. Je voudrai tout, parce que je
t'aime. Et je pense que moi, le plus petit parmi mes frères, je pourrai tout cela si je sais t'aimes à la
perfection. Jésus, augmente ton amour ! " dit Jean.
" Tu voudrais dire : 'Augmente mon amour' " explique l'Iscariote. " Parce que c'est nous qui
devons aimer toujours plus ... "
" Non, je dis : 'Augmente ton amour' parce que nous l'aimerons davantage s'il nous brûle de son
amour. "
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Jésus attire près de Lui le pur et passionné Jean. Il le baise au front en disant ensuite : " Tu as
révélé un mystère de Dieu sur la sanctification des cœurs. Dieu se répand sur les justes, et plus ils se
livrent à son amour, plus Lui l'augmente et plus la sainteté grandit. C'est la mystérieuse et ineffable
opération de Dieu et des esprits. Il s'accomplit dans les silences mystiques et sa puissance, que les
mots humains ne peuvent décrire, crie d'indescriptibles chefs-d'œuvre de sainteté. C n'est pas une
erreur mais une parole sage que de demander que Dieu augmente son amour dans un cœur. "

10. JÉSUS A NAZARETH : 'FILS, JE VIENDRAI AVEC TOI '

Jésus est seul ; Il marche rapidement sur la grande route proche de Nazareth et en entre dans la ville
en se dirigeant vers la maison. Quand il est proche, il voit la Mère qui de son côté va à la maison
avec, à côté d'elle, son neveu Simon chargé de bois sec. Il l'appelle : " Maman ! "
Marie se retourne en s'écriant : " Oh !mon Fils bien aimé ! " et les deux courent l'un vers l'autre
pendant que Simon, après avoir jeté son bois par terre, imite Marie, en allant vers son cousin qu'il
salue cordialement.
" Maman, je suis venu. Es-tu contente, maintenant ? "
" Tellement, mon Fils. Mais ... si c'est seulement à ma prière que Tu l'as fait, je te dis qu'il ne
m'est pas permis, ni à Toi, de suivre le sang plutôt que la mission. "
" Non, Maman. Je suis venu aussi pour d'autres choses. "
" C'est donc bien vrai, mon Fils ? Je croyais, je voulais croire que c'étaient des paroles
mensongères et que Tu n'étais pas haï à ce point ... " Il y a des larmes dans la voix et les yeux de
Marie.
" Ne pleure pas, Maman. Ne me donne pas cette douleur. J'ai besoin de ton sourire. "
" Oui, Fils, oui. C'est vrai. Tu vois tant de visages durs et hostiles que Tu as besoin de tant
d'amour et de sourire. Mais ici, vois-tu, il y a quelqu'un qui t'aime pour tous ... " Marie, qui s'appuie
légèrement à son Fils qui la tient par les épaules, marche lentement vers la maison et Elle essaye de
sourire pour effacer toute peine du cœur de Jésus. Simon a repris son fardeau et marche à côté de
Jésus.
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" Tu es pâle, Maman. Ils t'ont donné beaucoup de peine ? As-tu été malade ? Es-tu trop fatiguée ?
"
" Non, Fils, non. Je n'ai aucune peine que celle de te voir au loin et pas aimé. Mais ici, avec moi,
ils sont très bons. Je ne parle même pas de Marie et d'Alphée : tu sais ce qu'ils sont. Mais même
Simon, tu vois comme il est bon ? C'est toujours ainsi. Il m'a rendu service, ces mois-ci.
Maintenant, il m'approvisionne de bois. Il est si bon. Et même Joseph, sais Tu ? Tant de pensées
délicates pour leur Marie. "
" Dieu te bénisse, Simon, et qu'Il bénisse aussi Joseph. Que vous ne m'aimiez pas encore comme
Messie, je vous le pardonne. Oh ! à l'amour du Christ que je suis, vous y viendrez, mais comment
pourrais-je vous pardonner de ne pas l'aimer, Elle ? "
" Aimer Marie, c'est juste et c'est la paix, Jésus. Mais Toi aussi tu es aimé ... seulement, voilà,
nous avons trop de craintes pour Toi. "
" Oui,, vous m'aimez humainement. Vous viendrez à l'autre amour. "
" Mais, Toi aussi Tu es pâle et amaigri. "
" Oui, tu semble plus âgé. Je le vois moi aussi " observe Simon.
Ils rentrent dans la maison et Simon, après avoir mis son bois en place, se retire discrètement..
" Fils, maintenant que nous sommes seuls, dis-moi la vérité, toute entière. Pourquoi t'ont- ils
chassé ? " Marie parle, les mains sur les épaules de son Jésus et Elle fixe son visage amaigri.
Jésus a un sourire doux et las : " Parce que je cherchais à amener l'homme à l'honnêteté, à la
justice, à la vraie religion. "
" Mais qui t'accuse ? Le peuple ? "
" Non, Mère. Les pharisiens et les scribes, à l'exception de quelques justes qui se trouvent parmi
eux. "
" Mais, qu'as Tu fait pour attirer leurs accusations ? "
" J'ai dit la vérité. Ne sais-tu pas que c'est la plus grande faute auprès des hommes ? "
" Et qu'est ce qu'ils ont pu dire pour justifier leurs accusations ? "
" Des mensonges. Ceux que tu connais et d'autre encore. "
" Dis-les à ta Maman. " Ta douleur, mets-la toute entiere dans mon sein. Un sein de mère est
habitué à la douleur et il est heureux de la consumer pour l'enlever du cœur de son Fils. Donne-moi
ta douleur, Jésus. Mets-toi ici comme quand tu étais tout petit, et de pose tout ton amertume. "
Jésus s'assoit sur un petit banc aux pieds de sa mère et raconte tous ces mois de Judée, sans
rancœur, mais sans voile.
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Marie Lui caresse les cheveux avec sur les lèvres un héroïque sourire qui contraste avec la larme
qui scintille dans son œil azuré. Jésus parle aussi de la nécessité d'approcher des femmes pour les
racheter et la peine qu'il a de ne pouvoir la faire à cause de la malignité des hommes. Marie est
d'accord et Elle décide/ " Fils, Tu ne dois pas me refuser ce que je veux. Désormais je viendrai avec
Toi quand Tu t'éloigneras. Par n'importe quel temps, en n'importe quelle saison, en n'importe quel
endroit. Je te défendrai contre la calomnie. Ma seule présence fera tomber la boue. Et Marie viendra
avec moi. Elle le désire tant. C'est cela qu'il faut près du Saint contre le démon et le monde : le cœur
des mamans. "
11. A CANA. DANS LA MAISON DE SUZANNE. L'OFFICIER ROYAL

Jésus se dirige peut-être, vers le lac. Certainement il se rend à Cana en se dirigeant vers la maison
de Suzanne. Avec Lui, il y a ses cousins. Ils s'arrêtent dans la maison, se reposent et se restaurent.
Les parents et les amis de Cana l'écoutent comme on devrait toujours le faire. Jésus instruit
simplement ces bonnes personnes. Il console la peine de l'époux de Suzanne qui doit être malade
car elle n'est pas là et j'entends qu'on parle avec insistance de ses souffrances. C'est alors qu'entre un
homme bien vêtu qui se prosterne aux pieds de Jésus.
"Qui est-tu? Que veux-tu?"
Pendant que cet homme soupire et pleure, le maître de la maison tire Jésus par son vêtement et
Lui dit tout bas: "C'est un officier du Tétrarque. Ne te fie pas trop."
"Parle, donc. Que veux-tu de Moi?"
"Maître, j'ai appris que tu es venu. Je t'attendais comme on attend Dieu. Viens tout de suite à
Capharnaüm. Mon garçon est couché, tellement malade que ses heures sont comptées. J'ai vu Jean,
ton disciple. Il m'a appris que tu venais ici. Viens, tout de suite, avant qu'il ne soit trop tard."
"Comment? Toi qui es le serviteur du persécuteur du saint d'Israël, comment peux-tu croire en
Moi, Vous ne croyez pas au Précurseur du Messie. Comment, alors, pouvez-vous croire au
Messie?"
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"C'est vrai. Nous péchons par incrédulité et par cruauté. Mais aie pitié d'un père! Je connais
Chouza et j'ai vu Jeanne. Je l'ai vue avant et après le miracle, et j'ai cru en Toi."
"Oui, vous êtes une génération tellement incrédule et perverse que sans signes et sans prodiges
vous ne croyez pas. Il vous manque la première qualité indispensable pour obtenir le miracle."
"C'est vrai! C'est tout à fait vrai! Mais, tu le vois ... Je crois en Toi à présent, et je t'en prie: viens,
viens tout de suite à Capharnaüm. Je te ferai trouver une barque à Tibériade pour que tu viennes
plus rapidement. Mais viens avant que mon petit ne meure!" et il pleure, désolé.
"Je ne viens pas, pour l'instant. Mais va à Capharnaüm. Dès ce moment ton fils est guéri et il
vit."
"Que Dieu te bénisse, mon Seigneur. Je crois. Mais comme je veux que toute ma maison te
fasse fête, viens ensuite à Capharnaüm dans ma maison."
"Je viendrai. La paix soit avec toi."
L'homme sort en h" C'est vrai entend tout de suite après le trot d'un cheval.
" Mais, il est bien guéri, ce garçon ? " demande l'époux de Suzanne.
" Et peux-tu croire que je mente ? "
" Non, Seigneur. Mais Tu es ici et le garçon est là-bas. "
" Il n'y a pas de barrière pour mon esprit, ni de distance "
" Oh !, mon Seigneur ! Toi qui as changé l'eau en vin à mes noces, change mes pleurs en sourire,
alors, guéris Suzanne. "
" Que me donneras-tu en échange ? "
" La somme que Tu veux. "
" Je ne souille pas ce qui est saint avec le sang de Mammon. Je demande à ton esprit ce qu'il me
donnera. "
" Moi-même, si Tu veux. "
" Et si je te demandais, sans discussion, un grand sacrifice ? "
" Mon seigneur, je te demande la santé de mon épouse et notre sanctification à tous. Je crois que
pour l'obtenir je ne pourrais retenir aucun sacrifice trop grand ... "
" Tu souffres pour ta femme. Mais si Moi je la ramènerais à la vie, en la conquérant pour
toujours comme disciple, que dirais-tu ? "
" Que ... que Tu en as le droit... et que ... j'imiterai Abraham dans la promptitude du sacrifice ; "
" Tu as bien parlé. Écoutez tous : le temps de mon Sacrifice s'approche. Comme l'eau, il court
rapide et sans arrêt vers l'embouchure. Il me faut accomplir tout ce que je dois. Et la dureté
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des hommes me ferme un si large champ de mission. Ma Mère et Marie d'Alphée viendront avec
moi quand je m'éloignerai pour aller au milieu des populations qui ne m'aiment pas encore,, ou ne
m'aimeront jamais. Ma sagesse sait que les femmes pourront aider le Maître dan ce domaine
interdit. Je suis venu pour racheter aussi la femme, et dans mon ère, on verra les femmes semblables
à des prêtresses, servir le Seigneur et les serviteurs de Dieu. J'ai choisi mes disciples. Mais pour
choisir les femmes qui ne sont pas libres, je dois les demander à leurs pères et à leurs maris. Le
veux-tu ? "
" Seigneur ... j'aime Suzanne et jusqu'à présent je l'ai aimée plus comme chair que comme esprit.
Mais, sous ton enseignement, quelque chose déjà est changé en moi et je vois en ma femme une
âme aussi, en plus d'un corps. L'âme appartient à Dieu, et Tu es le Messie, Fils de Dieu. Je ne puis
te disputer le droit sur ce qui appartient à Dieu. Si Suzanne veut te suivre, je n'y serai plus hostile.
Seulement, je t'en prie, opère le miracle de la guérir dans sa chair, et moi dans mes sens... "
" Suzanne est guérie. Elle viendra dans quelques heures te dire sa joie. Laisse son âme suivre son
impulsion sans parler de ce que je t'ai dit. Tu verras que son âme viendra vers Moi avec la
spontanéité de la flamme qui tend vers le haut. Et cela ne fera pas mourir son amour d'épouse, mais
il montera au plus haut degré qui est de s'aimer avec ce qu'il y a de meilleur en nous : l'esprit. "
" Suzanne t'appartient, seigneur. Elle devait mourir lentement, avec des grandes souffrances. Et
une fois morte, je l'aurais vraiment perdue sur la terre. Les choses étant comme tu dis, je l'aurai
encore à mes côtés pour me conduire sur tes chemins. Dieu me l'a donnée et Dieu me l'en lève. Que
le Très-Haut soit béni pour le don qu'Il m'a fait et celui qu'Il me demande. "

12. DANS LA MAISON DE ZÉBÉDÉE. SALOMÉ REÇUE COMME DISCIPLE.

Jésus se trouve dans une maison dont je comprends qu'elle est celle de Jacques et de Jean d'après
les conversations de ceux qui s'y trouvent. Avec Jésus, en plus des deux disciples, il y a Pierre et
André, Simon le Zélote, l'Iscariote et Mathieu. Les autres, je ne les
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vois pas.
Jacques et Jean sont heureux. Ils vont et viennent de leur mère à Jésus et vice versa comme deux
papillons qui ne savent quelle fleur préférer entre deux également aimées. Et Marie Salomé caresse
chaque fois ses enfants, heureuse, pendant que Jésus sourit. Ils doivent avoir terminé le repas, car je
vois que la table est encombrée. Mais ils veulent absolument faire manger à Jésus des grappes de
raisin blanc que leur mère a gardé en conserve et qui doit être doux comme du miel. Que ne
donneraient-ils pas à Jésus !
Mais Salomé veut donner et recevoir quelque chose de plus que du raisin et des caresses. Et,
après être restée un peu pensive en regardant Jésus, en regardant Zébédée, elle se décide. Elle va
vers le Maître qui est assis le dos appuyé à la table et elle s'agenouille devant Lui.
" Que veux-tu, femme ? "
" Maître, tu as décidé de faire venir avec Toi ta Mère et la mère de Jacques et Jude et aussi
Suzanne, et certainement aussi la grande Jeanne de Chouza viendra. Toutes les femmes qui te
vénèrent viendront, s'il en vient une seule. Je voudrais en être moi aussi. Prends-moi, Jésus.. Je te
servirai avec amour. "
" Tu as Zébédée dont tu dois t'occuper. Est-ce que tu ne l'aimes plus ? "
" Oh ! si, je l'aime. Mais je t'aime davantage, Toi. Oh ! je ne veux pas dire que je t'aime en tant
qu'homme. J'ai soixante ans, et depuis quarante ans je suis épouse et jamais je n'ai vu d'autre
homme que le mien. Je ne deviens pas folle, maintenant que je suis vieille. Et la vieillesse ne fait
pas mourir l'amour que j'ai pour mon Zébédée. Mais Toi.. Je ne sais pas parler. Je suis une pauvre
femme. Je parle comme je sais. Voici : Zébédée, je l'aime avec tout ce que j'étais jusqu'alors. Toi, je
t'aime avec tout ce que tu as su faire venir en moi par tes paroles et par celles que m'ont transmises
Jacques et Jean. C'est quelque chose de tout à fait différent... mais tellement beau. "
" Ce ne sera jamais aussi beau que l'amour d'un excellent époux. "
" Oh ! non ! C'est quelque chose de bien plus ! ... Oh ! ne le prends pas mal, Zébédée ! Je t'aime
encore avec tout moi-même. Mais Lui je l'aime avec quelque chose qui est encore Marie, mais qui
n'est plus Marie, la pauvre Marie, ton épouse ... qui est bien plus .. Oh ! je ne sais pas le dire ! "
Jésus sourit à la femme qui ne veut pas blesser son mari mais qui ne peut taire son grand, son
nouvel amour. Même Zébédée sourit
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gravement en s'approchant de son épouse qui, toujours à genoux, fait un tour sur elle-même pour se
tourner alternativement vers son époux et vers Jésus.
" Mais, sais-tu, Marie, que tu devras quitter ta maison, ? Tu y est tellement attachée ! Tes
colombes... tes fleurs.. cette vigne qui donne ce doux raisin dont tu es si fière .. et tes ruches, les
plus célèbres du pays ... et aussi ce métier sur lequel tu as tissé tant de lin et tant de laine pour tes
bien-aimés... Et tes petits enfants ? Comment feras-tu pour vivre sans ces petits ? "
" Oh ! mais, mon Seigneur ! Que veux-tu que ce soit, pour moi, les murs, les colombes, les
fleurs, la vigne, les ruches, le métier, toutes choses bonnes et chères, mais si mesquines par rapport
à Toi, à l'amour pour Toi ?! Les petits ... oh ! oui ! ce sera une peine de ne plus pouvoir les endormir
sur mon sein et de ne plus les entendre m'appeler ... Mais Toi, tu es bien plus ! Oh ! si tu es bien
plus que toutes ces choses que tu me nommes ! Et si toutes ces choses prises ensemble et à cause de
ma faiblesse m'étaient plus chères que de te servir et te suivre, moi, en pleurant, je les jetterais de
côté en pleurant comme une femme, pour te suivre avec mon âme souriante. Prends-moi, Maître.
Dites-le-Lui, vous, Jean, Jacques... et toi, mon époux. Soyez bons. Venez à mon aide, tous. "
" C'est bien. Tu viendras aussi avec les autres. J'ai voulu te faire bien réfléchir sur le passé et sur
le présent, sur ce que tu laisses, sur ce que tu prends. Mais viens, Salomé. Tu es mûre pour entrer
dans ma famille. "
" Oh ! mûre ! Je suis moins qu'un tout petit. Mais tu pardonneras mes erreurs et me tiendras par la
main. Toi ... parce que, grossière comme je suis, je rougirai beaucoup devant ta Mère et devant
Jeanne. Devant tous j'aurai honte, mais pas devant Toi, parce que tu es la Bonté et Tu comprends
tout, excuse tout, pardonnes tout. "

13. JÉSUS PARLE AUX SIENS DE L'APOSTOLAT FÉMININ

"Qu'as tu Pierre? Tu sembles mécontent" demande Jésus, qui suit un sentier de campagne suis les
branches des amandiers en fleurs qui annoncent à l'homme la fin de la mauvaise saison.
"Je réfléchis, Maître."
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"Tu réfléchis. Je le vois bien, mais ta physionomie fait voir que tu ne penses pas à des choses
gaies."
"Mais Toi qui sais tout ce qui nous concerne, tu le sais déjà."
"Oui. Je le sais déjà. Même Dieu le Père sait les besoins de l'homme, mais Il veut trouver dans
l'homme la confiance qui expose ses propres besoins et qui demande de l'aide. Moi, je peux te dire
que tu as tort de te tourmenter."
"Alors mon épouse ne t'est pas moins chère?"
"Mais non, Pierre. Et pourquoi devrait-elle l'être moins? Si nombreuses sont au Ciel les
demeures de mon Père. Si nombreuses sont sur la terre les fonctions de l'homme. Et pourvu qu'elles
soient faites saintement, elles sont toutes bénies. Pourrais-je dire qu'elles sont mal vues de Dieu
toutes les femmes qui ne suivent pas les Marie et Suzanne?"
"Hé! Non. Alors mon épouse aussi croit au Maître et ne suit l'exemple des autres" dit Barthélemy.
"Et la mienne non plus, avec ses filles. Elles restent à la maison, mais toujours prêtes à offrir
l'hospitalité, comme elles l'ont fait hier" dit Philippe.
"Je crois que ma mère en fera autant. Elle ne peut pas tout quitter... elle est seule" dit l'Iscariote.
"C'est vrai! C'est vrai! J'étais triste parce qu'il me semblait que la mienne était si ... si peu ... Oh!
je ne sais pas le dire!"
"Ne la critique pas, Pierre. C'est une honnête femme" dit Jésus.
"Elle est très timide. Sa mère les a toutes, filles et belles-filles, pliées sous ses volontés" dit André.
"Mais, depuis tant d'années qu'elle est avec moi, elle aurait dû changer!"
"Oh! frère! Tu n'es pas doux, toi non plus, sais-tu? Sur une personne timide tu produis l'effet
d'une grosse bûche qu'on vous lance entre les jambes. Ma belle-sœur est très bonne, et la preuve en
est d'avoir supporté avec patience sa mère avec toute sa méchanceté et toi avec ton autorité."
Tout le monde rit de la conclusion si franche d'André et du visage étonné de Pierre qui s'entend
proclamer autoritaire.
Même Jésus rit tout à fait de bon cœur. Puis il dit: "Les femmes fidèles qui ne se sentent pas
appelées à quitter leur maison pour me suivre me servent également en restant chez elles. Si toutes
avaient voulu venir avec Moi, j'aurais dû commander à certaines de rester. Maintenant que les
femmes s'uniront à nous, je dois aussi penser à elles. Il ne serait ni convenable ni prudent que des
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femmes se trouvent sans demeure allant ici et là. Nous, nous pouvons dormir n'importe où. La
femme a d'autres besoins, et il lui faut un abri. Nous, nous pouvons coucher sur une même litière.
Elles ne peuvent rester au milieu de nous par respect et par prudence pour leur constitution plus
délicate. On ne doit jamais tenter la Providence ni s'affranchir de la nature au-delà de certaines
limites. Maintenant je ferai de toute maison amie où habite une de vos femmes, un abri pour les
autres. De la tienne, Pierre, de la tienne Philippe, de la tienne Barthélemy, et de la tienne, Judas.
Nous ne pourrons imposer aux femmes les marches continuelles que nous ferons. Mais elles nous
attendront au lieu fixé pour le départ chaque matin et le retour chaque soir.
Nous leur donnerons des instructions pendant les heures de repos et le monde ne pourra plus
jaser si d'autres malheureuses créatures viennent vers Moi et il ne me sera pas interdit de pouvoir les
entendre. Les mères et les épouses qui nous suivront serviront de défense à leurs sœurs et à Moi
contre les calomnies du monde. Vous voyez que je suis en train de faire un rapide voyage pour
saluer là où ils se trouvent les amis que j'ai déjà et ceux que je pourrai avoir. Ceci n'est pas pour
Moi. Mais pur les plus faibles parmi les disciples dont la faiblesse soutiendra notre force et la rendra
utile auprès de tant, de tant de créatures."
"Mais, maintenant, nous allons à Césarée, as-tu dit. Qui est-ce qu'il y a là?"
"Les créatures qui aspirent au Dieu Vrai il y en a partout. Le printemps déjà s'annonce dans
cette blancheur rose des amandiers et fleurs. Les jours de gel sont finis. Dans peu de jours j'aurai
fixé les endroits où se dirigeront et auront un abri les femmes disciples et nous reprendrons alors
nos pérégrinations en semant la parole de Dieu sans avoir à nous préoccuper pour les soeurs, sans
craindre la calomnie. Leur patience vous instruira et aussi leur douceur. Pour les femmes aussi, va
arriver l'heure où sonnera sa réhabilitation. De vierges, d'épouses, de mères saintes il y en aura une
grande floraison dans mon Eglise."

14. JÉSUS Á CÉSARÉE MARITIME. IL PARLE AUX GALÉRIENS

Jésus est au milieu d'une place, grande et assez belle, que pro
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longe une route très large jusqu'au bord de la mer. Une galère, depuis peu, a quitté le port et gagne
le large poussée par le vent et propulsé par les rames. Une autre manœuvre pour entrer, car on
cargue les voiles et les rames se meuvent d'un seul côté pour faire tourner le navire dans une
position convenable. Le port ne se voit pas, de la place, mais il doit être proche. Sur les côtés de la
place sont alignées de vastes demeures aux murs extérieurs caractérisés par l'absence presque totale
d'ouvertures. Pas de boutiques.
"Où allons-nous, maintenant? Tu as voulu venir ici plutôt qu'au quartier oriental, ici ce sont des
lieux païens. Qui veux-tu qui t'écoute?" demande Pierre qui en fait reproche à Jésus.
"Nous allons là-bas, dans cet angle, près de la mer, et là je parlerai.
"Aux flots?"
"Même eux ont été créés par Dieu."
Ils y vont. Maintenant, ils sont justement dans ce recoin et voient le port où entre lentement la
galère vue auparavant et qu'on amarre. Quelques marins flânent le long des quais. Quelques
marchands de fruits se risquent à aller vers le bâtiment romain pour vendre leurs produits. Rien
d'autre.
Jésus, appuyé au mur, semble vraiment parler aux flots. Les apôtres, peu satisfaits de la situation
sont autour de Lui, les uns debout, les autres assis sur des rochers dispersés ça et là qui semblent
servir de sièges.
"Sot est l'homme qui se voyant puissant, en bonne santé et heureux dit: 'De quoi ai-je désormais
besoin? Et de qui? De personne. Rien ne me manque, je me suffis. Les lois ou les décrets de Dieu
ou ceux de la morale sont pour moi inexistants. Ma loi, c'est de faire ce qui m'est possible sans
réfléchir si c'est bien ou mal pour les autres'."
Un vendeur se retourne en entendant cette voix sonore et vient vers Jésus qui continue: "C'est
ainsi que parle l'homme et la femme sans sagesse et sans foi. Mais si, de cette façon, il manifeste
qu'il possède une puissance plus ou moins grande, il montre également sa parenté avec le Mal."
Des hommes descendent de la galère et d'autres barques viennent vers Jésus.
"L'homme montre, non par des paroles mais par les faits, sa parenté avec Dieu et avec la Vertu
quand il réfléchit que la vie est plus changeante que la mer, qui maintenant est tranquille et demain
sera en fureur. De la même façon, le bien-être et la puis
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sance aujourd'hui peut être demain misère et impuissance. Et que fera alors l'homme privé de
l'union avec Dieu? Combien y en a-t-il sur cette galère qui furent un jour heureux et puissants et qui
maintenant sont esclaves et considérés comme coupables! Coupables, par conséquent esclaves deux
fois: de la loi humaine dont on s'est moqué en vain car elle existe et elle punit ceux qui la
transgressent, et de Satan qui éternellement prend possession des coupables qui n'arrivent pas à haïr
leur faute."
"Salut, Maître! Toi ici? Tu me reconnais?"
"Que Dieu vienne à toi, Publius Quintilianus. Tu le vois, je suis venu."
"Et justement ici, dans le quartier romain. Je n'espérais plus te voir, mais j'ai plaisir à
t'entendre."
"Moi aussi. Sur cette galère il y a beaucoup de rameurs?"
"Beaucoup. Des prisonniers de guerre en majeure partie. Ils t'intéressent?"
"Je voudrais aller près du bateau."
"Viens. Faites place, vous autre" ordonne-t-il au peu de personnes qui s'étaient approchées et qui
s'écartent rapidement en marmonnant des injuries.
"Laisse-les donc. Je suis habitué à être serré parmi les gens."
"Jusqu'ici c'est possible. Pas plus loin. Galère militaire."
"Ça suffit. Dieu t'en récompense!"
Jésus recommence à parler pendant que le romain semble monter la garde à ses côtés, dans sa
tenue magnifique.
"Esclaves par suite d'un douloureux événement, c'est-à-dire esclaves une seule fois. Esclaves pour
toute la vie. Mais chaque larme qui tombe sur leurs chaînes, tout coup qui vient marquer une
douleur sur leur chair desserre les menottes, orne ce qui ne meurt pas, leur ouvre enfin la paix de
Dieu qui est l'ami de ses pauvres fils malheureux et qui leur donnera tant de joie en échange de tout
ce qui ici a été la douleur."
De l'intérieur de la galère s'avancent des hommes de la chiourme qui écoutent. Naturellement, les
galériens ne sont pas parmi eux. Mais certainement, par les ouvertures où passent les rames, ils
entendent arriver jusqu'à eux la voix puissante de Jésus qui se propage dans l'air tranquille à cette
heure de marée basse. Publius Quintilianus, appelé par un soldat, est parti.
"Je veux dire à ces malheureux que Dieu aime, d'être résignés dans leur souffrance, d'en faire
seulement une flamme qui rompt plus vite les chaînes de la galère et de la vie en consumant dans le
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désir de Dieu cette pauvre journée qu'est la vie, journée sombre, orageuse, remplie de peurs et de
privations, pour entrer dans le jour de Dieu lumineux, serein, sans plus jamais de peurs ni de
souffrances. Vous entrerez dans la grande paix, dans l'infinie liberté du Paradis, ô martyrs d'un sort
douloureux, pourvu que dans votre souffrance vous sachiez être bons et aspirez à Dieu."
Publius Quintilianus revient avec d'autres soldats et derrière lui arrive une litière portée par des
esclaves et laquelle les soldats font faire une place.
"Qui est Dieu? Je parle aux gentils qui ne savent pas qui est Dieu. Je parle aux fils des peuples
soumis qui ne savent pas qui est Dieu. Dans vos forêts, ô Gaulois, ô Ibères, ô Traces, ô Germaines,
ô Celtes, vous avez quelque chose qui manifeste Dieu. L'âme tend spontanément vers l'adoration,
car elle se souvient du Ciel. Mais vous ne savez pas trouver le Dieu Vrai qui a mis une âme dans
vos corps, une âme égale à la nôtre, fils d'Israël, égale à celle des Romains puissants qui vous ont
subjugués, une âme qui a les mêmes devoirs et les mêmes droits à l'égard du Bien et à laquelle le
Bien, c'est-à-dire le Dieu Vrai, sera fidèle. Soyez-le également vous aussi à l'égard du Bien. Le dieu
ou les dieux que vous avez jusqu'à présent adorés, dont vous avez appris le nom ou les noms sur les
genoux maternels, le dieu auquel peut-être ,maintenant vous ne pensez plus parce que de lui vous ne
voyez pas venir un réconfort dans vos souffrances, que peut-être vous arrivez haïr et à maudire dans
le désespoir de votre journée, n'est pas le vrai Dieu.
Le Vrai Dieu est Amour et Pitié. Étaient-ils cela, par hasard, vos dieux? Non. Ils n'étaient que
dureté, férocité, mensonge, hypocrisie, vice, vol. Et maintenant ils vous ont laissé sans le minimum
de réconfort qu'est l'espérance d'être aimés et la certitude du repos après tant de souffrances. Il est
ainsi, car vos dieux n'existent pas. Mais Dieu, le Dieu vrai qui est Amour et Pitié, et dont je vous
affirme l'existence, c'est Celui qui a fait les cieux, les mers, les montagnes, les forêts, les arbres, les
fleurs, les animaux, l'homme. C'est Celui qui inculque à l'homme victorieux de la pitié et un amour,
semblables aux siens, à l'égard des pauvres de la terre. O puissants, ô maîtres, pensez que vous avez
tous la même origine. Ne vous acharnez pas sur ceux qu'un malheur a fait tomber entre vos mains et
soyez humains aussi envers ceux qu'une faute a attachés aux bancs de la galère.
De nombreuses fois l'homme pèche. Personne n'est sans fautes plus ou moins secrètes. Si vous y
réfléchissez, vous serez bons pour
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des frères qui, moins chanceux que vous, ont été punis des fautes que vous aussi vous avez
commises, tout en restant impunis. La justice humaine est tellement incertaine dans ses jugements
qu'il serait malheureux que la justice divine le fût également. Il y a des coupables qui ne semblent
pas l'être, et des innocents qu'on estime coupables. Ne cherchons pas à savoir pourquoi. Ce serait
trop d'accusation pour l'homme injuste et rempli de haine envers son semblable! Il y a des
coupables qui le sont bien réellement mais qui ont été portés au crime par des forces puissantes qui
excusent en partie leur faute. Vous, par conséquent, qui êtes préposés aux galères, soyez humains.
Au-dessus de la justice humaine, il y a la justice divine qui est bien plus élevée. Celle du Dieu Vrai,
de Celui qui a créé le roi et l'esclave, le rocher et le grain de sable. Il vous regarde: vous les
rameurs, et vous préposés à la chiourme, et malheur à vous si vous êtes cruels sans raison. Moi,
Jésus le Christ, le Messie du vrai Dieu, je vous en donne la certitude: Lui, à votre mort, vous
attachera à une galère éternelle en confiant le fouet maculé de sang aux démons et vous subirez les
mêmes tortures et les mêmes coups que vous avez infligés. Car s'il y a une loi humaine qui prévoit
la punition du coupable, il faut dans la punition ne pas dépasser la mesure. Sachez vous en souvenir.
Celui qui est puissant aujourd'hui peut être misérable demain. Dieu seul est éternel.
Je voudrais changer le coeur et je voudrais surtout rompre les chaînes, vous rendre la liberté et vos
patries perdues. Mais, frères galériens, si vous ne voyez pas mon visage, je n'ignore pas votre coeur
avec toutes ses blessures. En échange de la liberté et de la patrie terrestre que je ne puis pas vous
donner, ô pauvres hommes esclaves des puissants, je vous donnerai une plus haute liberté et une
meilleure Patrie. Pour vous, je me suis fait prisonnier et j'ai, pour vous, même pour vous qui n'êtes
pas l'opprobre de la terre comme on vous appelle, mais la honte de l'homme oublieux de la mesure,
dans la rigueur de la guerre et de la justice, je ferai une nouvelle Loi sur la terre et une demeure au
Ciel. Rappelez-vous mon nom, fils de Dieu, qui pleurez. C'est le nom de l'Ami. Dites-le dans vos
peines. Soyez assurés que si vous m'aimez, vous me posséderez même si sur la terre nous ne nous
voyons jamais. Je suis Jésus Christ, le Sauveur, votre Ami.
Au nom du Dieu vrai, je vous réconforte. Que la paix, vite, vienne sur vous."
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La foule, en majeure partie romaine s'est groupée autour de Jésus dont les idées nouvelles ont
étonné tout le monde.
"Par Jupiter! Tu m'as fait penser à des choses nouvelles. Je n'y avais jamais pensé, mais je sens
qu'elles sont vraies..."
Publius Quintilianus, à la fois pensif et enthousiasmé, regarde Jésus.
"C'est ainsi, ami. Si l'homme s'adonnait à la réflexion, il n'arriverait jamais à commettre le crime."
"Par Jupiter, par Jupiter! Quelles paroles! Il faut que je m'en souvienne! Tu as dit: "Si l'homme
s'adonnait à la réflexion...'."
"..'il n'arriverait jamais à commettre le crime'."
"Mais c'est vrai! Par Jupiter! Mais sais-tu que tu es grand?!"
"Tout homme qui le voudrait, pourrait l'être comme Moi, s'il n'était qu'un avec Dieu."
Le romain continue sa litanie de 'par Jupiter' l'un plus administratif que l'autre. Mais Jésus lui
dit: 'Pourrais-je donner un réconfort à ces galériens? J'ai de l'argent... Un fruit, une douceur pour
qu'ils sachent que je les aime."
"Donne-le ici, je puis le faire. Et du reste, il y a là une dame qui a de grands pouvoirs. Je vais le
lui demander." Publius va vers la litière et il parle près du rideau à peine entrouvert. Il revient: "J'ai
pleins pouvoirs. Je vais surveiller la distribution pour que les argousins ne fassent pas d'abus. Et ce
sera l'unique fois qu'un soldat de l'empire usera de pitié envers des esclaves de guerre."
"La première fois. Pas la seule. Il viendra un jour où il n'y aura plus d'esclaves; mais auparavant
mes disciples seront descendus parmi les galériens et les esclaves pour les appeler frères."
Un autre série de 'par Jupiter' traverse l'air calme, pendant que Publius attend d'avoir
suffisamment de fruits et de vin pour les galériens. Puis, avant de monter sur la galère, il dit à
l'oreille de Jésus: "Là, à l'intérieur, se trouve Claudia Procula. Elle voudrait t'entendre encore mais,
en attendant, elle veut te demander quelque chose. Va."
Jésus va vers la litière.
"Salut, Mare." Le rideau s'écarte à peine, laissant voir une belle femme sur les trente ans.
"Que le désir de la sagesse vienne en toi."
"Tu as dit que l'âme se souvient des Cieux. Elle est donc éternelle, cette chose que vous dites
exister en nous?"
"Elle est éternelle. C'est pour cela qu'elle se souvient de Dieu, de Dieu qui l'a créée."
52
"Qu'est-ce que c'est que l'âme?"
"L'âme est vraie noblesse de l'homme. Tu es fière d'appartenir à la gens Claudia. L'homme est
quelque chose de plus, car il appartient à la famille de Dieu. Tu as en sang de la gens Claudia, une
famille puissante qui a eu une origine et aura une fin. En l'homme par l'âme il y a le sang de Dieu.
Car l'âme est le sang spirituel -Dieu étant un très pur Esprit- du Créateur de l'homme: de Dieu
éternel, puissant, saint. L'homme est donc éternel, puissant, saint par l'âme qui est en lui et qui est
vivante tant qu'elle est unie à Dieu."
"Je suis païenne. Je n'ai donc pas d'âme..."
"Tu en as une, mais elle est tombée en léthargie. Éveille-la à la Vérité et à la Vie..."
"Adieu, Maître."
"Que la Justice te conquière. Adieu."
"Comme vous voyez, ici aussi j'ai eu des auditeurs" dit Jésus à ses disciples.
"Oui, mais à part les romains, qui t'aura compris? Ce sont des barbares!"
"Qui? Tous. La paix est en eux et ils se souviendront de Moi beaucoup plus que beaucoup d'autres
en Israël. Allons pour le repas dans la maison qui nous donne l'hospitalité."
"Maître, cette femme est la même qui m'a parlé le jour où tu as guéri ce malade. Je l'ai vue et
reconnue" dit Jean.
"Vous voyez donc qu'il y avait aussi ici quelqu'un qui nous attendait. Mais vous ne semblez pas
très satisfaits. J'aurai beaucoup fait, le jour où je vous aurai persuadés que ce n'est pas seulement
pour Israël, mais pour tous les peuples que je suis venu et que c'est pour tous que je vous ai
préparés. Je vous dis donc: mettez en votre mémoire tout ce qui vient de votre Maître. Il n'y a pas de
fait, pour insignifiant qu'il soit, qui ne doive devenir un jour une règle pour l'apostolat."
Personne ne répond, et Jésus a un sourire triste, plein de compassion.

[Ce matin, Il en a eu un aussi pour moi... J'étais prise par un tel découragement que je me suis mise
à pleurer pour tant de choses. La dernière n'était pas la fatigue d'écrire et d'écrire avec la conviction
que tant de bonté de la part de Dieu et de tant de fatigues pour le petit Jean étaient bien inutiles. Et
en pleurant j'ai appelé mon Maître. Et puis-que par bonté Il est venu tout pour moi, je Lui ai dit ma
pensée. Il a eu un haussement d'épaules qui équivalait à: 'Laisse tomber le monde et ses histoires' et
puis Il m'a caressée en me disant: "Et quoi? Tu ne voudrais plus m'aider? Le monde ne veut pas
connaître mes paroles?
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Eh bien, racontons-les nous entre nous pour la joie que j'ai de le répéter à un coeur fidèle et pour
celle que tu as de les entendre. Les lassitudes de l'apostolat!... Plus accablantes que celles de
n'importe quel travail! Elles assombrissent le jour le plus serein et remplissent d'amertume la plus
douce nourriture. Tout devient cendre et boue, nausée et fiel. Mais mon âme, ce sont les heures où
nous prenons sur nous le fardeau de la lassitude, du doute, de la misère des mondains qui meurent
de ne pas posséder ce que nous avons. Ce sont les heures où nous agissons davantage. Je te l'ai déjà
dit l'an passé. 'À quoi bon' se demande l'âme submergée par tout ce qui submerge le monde, c'est-à-
dire le flot qu'envoie Satan et où le monde se noie? Mais l'âme, clouée avec son Dieu sur la croix,
ne se noie pas. Elle perd pour un instant la lumière et s'engloutit sous les eaux nauséeuses de la
lassitude spirituelle, et puis se dégage, plus fraîche et plus belle. Ce que tu dis: 'Je ne suis plus
bonne à rien' est une conséquence de cette lassitude. Tu ne serais jamais bonne à rien. Mais Moi, je
suis toujours Moi et tu seras donc toujours bonne pour ton office de porte-parole. Certainement si je
le voyais que comme une pesante et très précieuse gemme mon don est avarement enfoui,
imprudemment utilisée ou que, par paresse, on ne cherche pas à le protéger sous ces garanties que la
méchanceté humaine impose de prendre dans certains cas pour protéger le don et la créature à
travers laquelle il arrive, je dirais mon 'ça suffit'. Et cette fois, sans retour. Ça suffit pour tous,
excepté pour ma petite âme qui aujourd'hui semble exactement une petite fleur sous une averse. Et
peux-tu, avec ces caresses douter que Moi, je t'aime? Allons! Tu m'as aidé en temps de guerre.
Aide-Moi, maintenant, encore... Il y a tant à faire."
Et je me suis calmé sous la caresse de la longue main et du sourire si doux de mon Jésus, en blanc,
comme toujours, quand Il est tout pour moi. ]

15. GUÉRISON DE LA PETITE ROMAINE À CÉSARÉE

Jésus est encore à Césarée Maritime. Il n'est plus sur cette place d'hier mais plus à l'intérieur, en
un endroit d'où cependant l'on voit le port et les navires. Ici, il y a beaucoup d'entrepôts et de
boutiques. Et comme même par terre en cet endroit terreux il y a des nattes couvertes de produits
variés, j'en conclus que je suis près des marchés qui peut-être étaient situés dans le voisinage du
port et des magasins pour la commodité des navigateurs et de ceux qui viennent acheter les
marchandises apportées par bateaux. L'endroit est tout bourdonnant des allées et venues de la foule.
Jésus attend avec Simon et ses cousins que les autres aient pris les vivres dont ils ont besoin. Des
enfants regardent avec curiosité Jésus qui les caresse doucement tout en parlant avec ses apôtres.
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Jésus dit: "Il me déplaît de voir qu'on est mécontent parce que je vais vers les gentils. Mais je ne
peux que faire mon devoir et être bon avec tout le monde. Efforcez-vous d'être bons, au moins vous
trois et Jean; les autres vous suivront par imitation."
"Mais, comment faire pour être bons, avec tout le monde? Enfin, ces gens nous méprisent, nous
oppriment, ne nous comprennent pas, sont remplis de vices..." dit Jacques d'Alphée en s'excusant.
"Comment faire? Tu es content d'être né d'Alphée et de Marie?"
"Oui, bien sûr. Pourquoi me le demandes-tu?"
"Et si Dieu t'avait interrogé avant ta conception, aurais-tu voulu naître d'eux?"
"Mais oui. Je ne comprends pas..."
"Et si au contraire, tu étais né d'un païen, en t'entendant accuser d'avoir voulu naître d'un païen
qu'est-ce que tu aurais dit?"
"J'aurais dit: 'Je n'en suis pas responsable. Je suis né de lui, mais j'aurais pu naître d'un autre.'
J'aurais dit: 'Vous êtes injustes en m'accusant. Si je ne fais pas de mal, pourquoi me haïssez-vous?"
"Tu l'as dit. Ceux-ci aussi, que vous méprisez parce que païens, peuvent dire la même chose. Tu
n'as pas de mérite d'être né d'Alphée, véritable israélite. Tu dois seulement en remercier l'Eternel
parce qu'il t'a fait un grand don, et par reconnaissance et humilité chercher à amener au Dieu vrai
ceux qui n'ont pas reçu ce don. Il faut être bons."
"Il est difficile d'aimer ceux qu'on ne connaît pas!"
"Non. Regarde. Toi, petit, viens ici."
Un garçon s'approche, d'environ huit ans, qui joue dans un coin avec deux autres camarades. Un
garçon robuste aux cheveux très bruns alors que son teint est très blanc.
"Qui est tu?"
"Je suis Lucius, Caïus Lucius fils de Caïus Marius, je suis romain, fils du décurion de garde
resté ici après avoir été blessé."
"Et ceux-ci qui sont-ils?"
"Ce sont Isaac et Tobie. Mais on ne doit pas le dire, parce qu'ils seraient punis."
"Pourquoi?"
"Parce qu'eux sont hébreux, et moi je suis romain, et on ne peut pas."
"Mais tu restes avec eux. Pourquoi?"
"Parce que nous nous aimons bien. Nous jouons toujours ensemble aux dés, ou à sauter. Mais on
se cache."
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"Et Moi, tu m'aimerais bien? Je suis hébreu, Moi aussi et je ne suis pas un enfant. Réfléchis: je
suis un maître, comme qui dirait un prêtre."
"Et qu'est-ce que cela peut me faire à moi? Si tu m'aimes bien, je t'aime bien et je t'aime bien
parce que tu m'aimes bien."
"Comment le sais-tu?"
"Parce que tu es bon. Celui qui est bon aime bien."
"Voilà, mes amis, le secret pour aimer: être bons. Alors on aime sans se demander si un tel a ou
non la même foi."
Et Jésus, tenant par la main le petit Caïus Lucius, s'en va caresser les petits hébreux qui effrayés
se sont cachés derrière une porte cochère, et il leur dit: "Les enfants qui sont bons sont des anges.
Les anges ont une seule patrie: le Paradis. Ils ont une seule religion: celle du Dieu unique. Ils ont un
seul Temple: le coeur de Dieu. Aimez-vous bien, comme les anges, toujours."
"Mais, si on nous voit, on nous frappe..."
Jésus secoue tristement la tête et ne réplique pas...
Une femme élancée et plantureuse appelle Lucius qui quitte Jésus en criant: "La maman!" et il
crie à la femme: "J'ai un grand ami, sais-tu? C'est un maître!..."
La femme ne s'éloigne pas avec son fils mais au contraire vient vers Jésus et l'interroge: "Salut.
Es-tu l'homme de Galilée qui hier parlait au port?"
"Oui, c'est Moi."
"Attends-moi ici alors. J'aurai vit fait." Et elle s'en va avec le petit.
Entre temps même les autres apôtres sont arrivés, sauf Mathieu et Jean. Ils demandent: "Qui
était-ce?"
"Une romaine, je crois" répondent Simon et les autres.
"Et que voulait-elle?"
"Elle a dit d'attendre ici. Nous allons le savoir."
Des gens, pendant ce temps, se sont approchés et attendent avec curiosité.
La femme revient avec d'autres romains. "Tu es donc le Maître?", demande quelqu'un qui
semble le serviteur d'une maison riche. Et en ayant eu confirmation, il demande:" Cela t'ennuierait-
il de guérir une petite fille d'une amie de Claudia? L'enfant est mourante car elle s'étouffe et le
médecin ne sait pas de quoi elle meurt. Hier soir elle était en bonne santé. Ce matin elle est à
l'agonie."
"Allons-y."
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Ils font quelques pas dans une rue qui même à l'endroit où ils étaient hier et arrivent au portail
grand ouvert d'une maison qui semble habitée par des romains.
"Attend un moment." L'homme entre rapidement et revient aussitôt en disant: "Viens."
Mais, avant même que Jésus puisse entrer, en sort une jeune femme d'aspect distingué mais
visiblement tourmentée. Elle a dans les bras une petite fille de quelques mois qui s'abandonne,
livide comme quelqu'un qui se noie. Je dirais qu'elle a une diphtérie mortelle et qu'elle est sur le
point de mourir. La femme se réfugie sur la poitrine de Jésus, comme un naufragé sur un écueil. Ses
pleurs sont tels qu'elle ne peut parler.
Jésus prend la petite qui a des petits mouvements convulsifs dans ses menottes cireuses aux
ongles déjà violets. Il la lève. Sa petite tête pend sans force, en arrière. La mère, sans aucun orgueil
de romaine devant un hébreu, s'est glissée aux pieds de Jésus, dans la poussière, et elle sanglote le
visage levé, les cheveux à moitié défaits, les bras tendus qui s'accrochent au vêtements et au
manteau de Jésus. Derrière et autour, des romains de la maison et des hébreux de la ville qui
regardent.
Jésus mouille son index avec la salive et le met dans la petite bouche haletante, l'enfonce
profondément. La fillette se débat et devient encore plus noire. La mère crie: "Non! Non!" et semble
se tordre sous un couteau qui la transperce. Les gens retiennent leur souffle. Mais le doigt de Jésus
sort avec un amas de membranes purulentes. La fillette ne se débat plus et après avoir versé
quelques larmes se calme avec un sourire innocent, agitant ses menottes et remuant les lèvres
comme un oiseau qui pépie en battant des ailes, en attendant la becquée.
"Prends-la, femme. Donne-lui le lait. Elle est guérie."
La mère est tellement abasourdie, qu'elle prend la petite et restant comme elle est, dans la
poussière, la baise, la caresse, lui donne le sein, folle, oublieuse de tout ce qui n'est pas sa petite.
Un romain demande à Jésus: "Mais comment as-tu pu? Je suis le médecin du proconsul et je
suis savant. J'ai essayé d'enlever l'obstacle, mais il était enfoncé, trop enfoncé! ... Et toi! ... ainsi..."
"Tu es savant, mais tu n'as pas le Dieu vrai avec toi. Que Lui en soit béni! Adieu." Et Jésus va
s'éloigner.
Mais voici qu'un petit groupe d'israélites éprouve le besoin d'intervenir. "Comment t'es-tu permis
d'aborder des étrangers? Ils
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sont corrompus, impurs et quiconque les approche devient comme eux."
Jésus les regarde -il sont trois- fixement, avec sévérité, et puis il parle: "N'es-tu pas Aggée?
L'homme d'Azot venu ici au mois de Tisri dernier pour chercher à conclure des affaires avec un
marchand qui réside près des fondations de la vieille source? Et toi, n'es-tu pas Joseph de Rama,
venu ici pour consulter le médecin romain et, comme Moi, tu sais pourquoi? Et alors? Vous ne vous
croyez pas impurs?"
"Le médecin n'est jamais un étranger. Il soigne le corps, et le corps est le même pour tous."
"L'âme aussi, plus que le corps. Du reste qu'est-ce que j'ai soigné? Le corps innocent d'une
infante, et de la même manière j'espère guérir les âmes des étrangers, qui ne sont pas innocentes.
Comme médecin et comme Messie, je puis donc aborder n'importe qui."
"Non. Tu ne le peux pas."
"Non, Aggée? Et toi pourquoi fais-tu des affaires avec un marchand romain?"
"Il ne m'est voisin que par la marchandise et pour l'argent."
"Et, parce que tu ne touches pas sa chair mais seulement ce que sa main a touché, il ne me
semble pas que tu te contamines. Oh! aveugles et cruels!
Écoutez tous. Justement dans le livre du Prophète dont cet homme porte le nom, il est dit:
'Adresse aux prêtres cette question sur la Loi: 'Si un homme porte de la chair sanctifiée dans un pan
de son vêtement et qu'avec il touche ensuite du vin ou des plats, du pain ou de l'huile, ou d'autres
aliments, seront-ils sanctifiés?' Et les prêtres ont répondu: 'Non'. Alors Aggée dit: "Si quelqu'un
impur pour avoir touché un mort, touche une de ces choses, sera-t-elle souillée?' Et les prêtres ont
répondu: 'Oui'.
Par cette façon rusée mensongère, incohérente d'agir, vous excluez et condamnez le Bien et
vous n'acceptez que ce qui favorise vos intérêts. Alors, plus de mépris ni de dégoût. C'est pour
éviter un dommage personnel que vous décidez si une chose est impure ou rend impur, si une autre
ne l'est pas. Et, comment pouvez-vous, bouches de mensonge, professer que si ce qui est sanctifié
pour avoir touché une chair sainte ne sanctifie pas ce qu'il touche, et que ce qui a touché une chose
impure puisse rendre impur ce qu'il touche?
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Vous ne comprenez pas que vous vous démentez, ministres menteurs d'une Loi de Vérité qui en
tirez parti en la tordant comme une corde à seule fin d'en sortir quelque chose qui serve vos intérêts.
Pharisiens hypocrites qui sous un prétexte religieux déversez votre rancoeur humaine, toute
humaine, profanateurs de ce qui appartient à Dieu, ennemis de l'Envoyé de Dieu que vous insultez?
En vérité, en vérité je vous dis que chacun de vos actes, chacune de vos conclusions, chacune de
vos démarches est mue par tout un mécanisme astucieux auquel servent de roues, de ressort, de
poids et de tirants, vos égoïsmes, vos passions, vos manques de sincérité, vos haines, votre soif de
domination, vos envies.
C'est honteux! Avides, tremblants de peur, haineux, vous vivez dans la peur orgueilleuse qu'un
autre vous soit supérieur, même s'il n'est pas de votre caste. Et vous méritez alors d'être comme
celui qui vous inspire la peur et la colère! Vous qui, comme dit Aggée, d'un tas de vingt boisseaux
en faites un de dix et d'un tas de cinquante barils en faites un de vingt en empochant la différence
alors que, pour l'exemple que vous devriez donner à l'homme et pour l'amour que vous devriez
donner à Dieu, vous devriez au tas de boisseaux et au tas de barils non pas enlever mais ajouter de
votre propre bien pour ceux qui ont faim. Vous méritez que le vent brûlant, que la rouille et la grêle
stérilisent toutes les oeuvres de vos mains.
Quels sont parmi vous ceux qui viennent à Moi? Ceux-là. Ceux-là qui pour vous sont fumier et
immondices, ces ignorances totales qui ne savent même pas qu'existe le vrai Dieu, viennent ceux à
qui ce Dieu se rend présent dans les paroles et dans les oeuvres. Mais vous, mais vous! Vous vous
êtes fait une niche et y demeurez. Arides, froids comme des idoles attendant l'encens et les
admirations. Et puisque vous vous croyez des dieux, il vous paraît inutile de penser au vrai Dieu
comme il doit être pensé, et comme il vous semble dangereux que les autres, en dehors de vous,
osent ce que vous vous n'osez pas. Vous ne le pouvez pas, en vérité, l'oser, puisque vous êtes des
idoles et parce que vous êtes les serviteurs de l'Idole. Mais celui qui ose peut parce que ce n'est pas
lui, mais Dieu qui opère en lui.
Allez! Rapportez à ceux qui vous ont envoyés sur mes talons que je dédaigne les marchands qui
n'estiment pas être contamination le fait de vendre les marchandises ou la patrie ou le temple à ceux
dont ils reçoivent de l'argent. Dites-leur que j'ai du dégoût pour les brutes qui ont seulement le culte
de leur propre chair, de leur pro
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pre sang, et qui pour leur guérison n'estiment pas contamination les visites à un médecin étranger.
Dites-leur qu'il y a une seule mesure, égale pour tous et non pas deux mesures. Dites-leur que Moi,
le Messie, le Juste, le Conseiller, l'Admirable, Celui qui aura sur Lui l'Esprit du Seigneur avec ses
sept dons, Celui qui ne jugera pas selon les apparences, mais selon ce qui se cache dans les coeurs,
Celui qui ne condamnera pas après ce qu'il entend par ses oreilles, mais d'après les voix de l'esprit
qu'il entendra au-dedans de chaque homme, Celui qui prendra la défense des humbles et jugera les
pauvres avec justice, Celui qui je suis, parce que je suis cela, est déjà en train de juger et de frapper
ceux qui sur la terre ne sont que terre, et le souffle de ma respiration fera mourir l'impie et détruira
son repaire, alors qu'il sera Vie et Lumière, Liberté et Paix pour ceux qui, désirant la justice et la
foi, viendront à ma montagne sainte pour se rassasier de la science du Seigneur. Cela est d'Isaïe,
n'est-ce pas?
Mon peuple! Tout vient d'Adam et Adam vient de mon Père. Tout est donc oeuvre du Père, et j'ai
le devoir de vous rassembler tous au Père. Et Moi, je t le conduis, Père saint, éternel, puissant, je te
les amène les fils errants après les avoir rassemblés en les appelant avec les voix de l'amour, en les
rassemblant sous ma verge pastorale semblable à celle que Moïse éleva contre les serpents dont la
morsure était mortelle. Pour que Tu aies ton Royaume et ton peuple. Et je ne fais pas de différence
entre les hommes parce qu'au fond de chaque vivant je vois un point plus brillant que le feu: l'âme,
une étincelle qui vient de Toi, éternelle Splendeur. O mon éternel désir! O mon inlassable volonté!
C'est cela que je veux, c'est de cela dont je brûle. Une terre qui tout entière chante ton Nom.. Une
humanité qui t'appelle Père. Une Rédemption qui les sauve tous. Une volonté fortifiée qui les rend
tous soumis à ta volonté. Un triomphe éternel qui remplisse le Paradis d'un hosanna sans fin.... Oh!
Multitude des Cieux!... Voici que je vois le sourire de Dieu ... et ceci est une compensation pour
toute la dureté des hommes."
Les trois se sont enfuis sous la grêle des reproches. Tous les autres, romains ou hébreux, sont
restés, bouche bée. La femme romaine avec la petite rassasiée de lait, qui dort tranquille sur le sein
maternel est restée où elle était, presque aux pieds de Jésus, et elle pleure de joie maternelle et de
joie spirituelle. Un grand nombre pleurent à la conclusion irrésistible de Jésus qui paraît flamboyer
dans son extase.
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Et Jésus abaissant les yeux et son esprit du Ciel sur la terre, voit la foule, voit la mère ... et en
passant, après un geste d'adieu à tous, effleure de la main la jeune romaine comme pour la bénir à
cause de sa foi. Et Il s'en va avec les siens pendant que les gens encore sous le coup de l'émotion
restent en place...

[La jeune romaine, si ce n’est pas une ressemblance fortuite, est une des romaines qui étaient
avec Jeanne de Chouza sur le chemin du Calvaire. Comme personne n’a dit son nom, j’en
suis incertaine.]

16. ANNALIA FAIT SA PROFESSION DE VIRGINITÉ'

Jésus, accompagné de Pierre, André et Jean, frappe à la porte de sa maison à Nazareth. La Mère
ouvre tout de suite, son visage s'éclaire d'un lumineux sourire quand Elle voit son Jésus.
"Tu arrives à propos, mon Fils! Depuis hier j'ai avec moi une pure colombe qui t'attend. Elle vient
de loin et la personne qui l'accompagnait ne pouvait rester plus longtemps; Comme elle demandait
conseil, je lui dit ce que je pouvais. Mais Toi seul, mon Fils, Tu es la Sagesse. Bon retour à vous
aussi. Venez vous restaurer tout de suite."
"Oui, restez ici. Moi, je vais tout de suite voir cette créature qui m'attend."
La curiosité est vive chez les trois, mais avec des aspects différents. Pierre lorgne de tous côtés
avec intérêt, comme s'il espérait voir à travers les murs. Jean semble vouloir lire sur le visage
souriant de Marie le nom de l'inconnue. André, au contraire, qui a vivement rougi, dirige tous ses
regards vers Jésus, et une muette supplication tremble dans son regard et sur ses lèvres.
Mais Jésus ne s'occupe de personne. Pendant que les trois se décident à entrer dans la cuisine où
Marie leur offre de la nourriture et la tiédeur du feu, Jésus soulève le rideau qui cache l'ouverture
conduisant au jardin et il sort. Un doux soleil rend encore plus aériens et plus irréels les rameaux
tout en fleurs du grand amandier du jardin. Seul en fleurs, le plus grand arbre du jardin, somptueux
dans son vêtement de soie blanc-rosé qui tranche sur la nudité des autres: poirier, pommier, figuier,
vigne, grenadier tous encore ari-
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des et dépouillés pompeux avec son voile mousseux et vif à côté de l'humble grisaille des oliviers, il
semble qu'avec ses longues branches il ait capturé un très léger nuage perdu dans le champ azuré du
ciel et qu'il s'en soit enrubanné pour dire à tout le monde: 'Les noces du printemps arrivent, exultez,
arbres et animaux. C'est l'heure des baisers échangés avec les vents, avec les abeilles ou les fleurs.
C'est l'heure des baisers sous les tuiles ou dans le feuillage des buissons, ô oiseux de Dieu, ô
blanches brebis. Aujourd'hui les baisers, demain les petits pour perpétuer l'oeuvre de Créateur notre
Dieu."
Jésus, les bras croisés sur la poitrine, sourit, debout dans le soleil à la grâce pure, tranquille du
jardin maternel avec des parterres de lis que dénoncent les premières touffes de feuilles, avec ses
rosiers encore dépouillés, et l'olivier argenté, avec les autres familles de fleurs répandues à travers
les humbles planches de légumes et de salade qui commencent tout juste à verdir. Pur, rangé, gentil,
il paraît exhaler la candeur d'une parfaite virginité.
"Fils, viens dans ma chambre. Je te la conduirai. Elle s'est réfugiée là-bas au fond, quand elle a
entendu tant de voix."
Jésus entre dans la petite chambre maternelle, la chaste, la très chaste, petite chambre qui a
entendu les paroles de l'angélique colloque et exhale plus que le jardin, la nature virginale,
angélique, sainte de celle qui l'habite depuis des années et de l'Archange qui en Elle a vénéré sa
Reine. S'est-il écoulé plus de trente ans ou bien était-ce hier ce rencontre? Encore aujourd'hui la
quenouille porte sa moelleuse et presque argentée touffe d'étain et voilà le fil sur le fuseau. Une
broderie pliée se trouve sur la petite table près de la porte entre n rouleau de parchemin et une
amphore de cuivre avec un rameau feuillu de l'amandier fleuri; et encore maintenant le rideau rayé,
tombé sur le mystère de la virginale demeure, palpite sous un vent léger et le lit rangé dans son
coin, qui a toujours son aspect gentil de lit de la fille qui arrive tout juste au seuil de la jeunesse.
Que de songes se sont faits et se feront sur le petit oreiller? ...
Le rideau se lève lentement sous la main de Marie. Jésus qui debout, tournant le dos à la porte
contemplait ce nid de pureté, se retourne.
"Voici mon Fils, je te l'amène. Une agnelle et Tu es son Berger" et Marie qui est entrée tenant
par la main une toute jeune brunette élancée qui rougit vivement en apparaissant devant Jésus, se
retire doucement en laissant tomber le rideau.
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"La paix soit à toi, jeune fille."
"La paix ... Seigneur ..." La jeune fille reste sans paroles, très émue, mais elle s'agenouille, la
tête penchée vers la terre.
" Lève-toi, que veux-tu de Moi ? N'aie pas peur... "
" Ce n'est pas la peur ... mais ... maintenant que je suis devant Toi ... après l'avoir tant voulu ...
tout ce qu'il me paraissait facile, nécessaire de te dire ... je ne le trouve plus ... il ne me vient plus
ce .. Je suis sotte ... pardonne-moi, Mon Seigneur ... "
" Tu demandes grâce pour la terre ? Tu as besoin de miracle ? Tu as des âmes à convertir ?
Non ? Et alors ? Allons, parle ! Tu as tant eu de courage et maintenant il te manque ? Ne sais-tu pas
que je suis un père pour toi. Tu es jeune. Quel âge as-tu ? "
" Seize ans, mon Seigneur. "
" " D'où viens-tu ? "
" De Jérusalem. "
" Quel est ton nom ? "
" Annalia ... "
" Le cher nom de ma grand-mère et de tant d'autres femmes d'Israël et avec lui, celui de la
bonne, douce, fidèle, affectueuse épouse de Jacob. Il te portera bonheur. Tu seras épouse et mère
exemplaire. Non ? Tu secoue la tête ? Tu pleures ? Tu as peut-être été repoussée ? Non plus,
L'homme que tu devais épouser est mort ? Personne ne t'a encore demandée ? "
La jeune fille secoue toujours la tête. Jésus fait un pas, la caresse , la force à lever la tête et à le
regarder. ... Le sourire de Jésus triomphe du trouble de la jeune fille. Elle s'enhardit : " Seigneur, je
serais épouse et heureuse grâce à Toi. Tu ne me reconnais pas, mon Seigneur ? Je suis la physique,
la fiancée mourante que tu as guérie sur le prière de ton Jean... Depuis ta grâce, moi ...moi j'ai eu un
autre corps : sain celui-là à la place de celui que j'avais auparavant, mourante ; et j'ai eu une autre
âme ... Je ne sais pas. Il me semblait que je n'étais plus moi ... La joie d'être guérie, la certitude donc
de pouvoir me Marier -c'était mon regret en mourant de ne pas arriver à être épouse- cela n'a duré
que pendant les premières heures. Et puis ... " La jeune fille s'enhardit toujours plus ; elle retrouve
les mots et les idées qu'elle avait perdus dans son trouble d'être seule avec le Maître ... " ... Et puis
j'ai compris que je ne devais pas être égoïste, ni penser seulement : 'Maintenant, je vais être
heureuse', mais que je devais penser à quelque chose de plus et qui devait venir à Toi, à Dieu, ton
Père et le mien. Une petite chose, mais qui
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disait que j'étais reconnaissante. J'ai beaucoup réfléchi et quand, le sabbat suivant, j'ai vu l'époux, je
lui ai dit : 'Ecoute, Samuel. Sans le miracle, je serais morte en quelques mois et tu m'aurais perdue
pour toujours. Maintenant, je voudrais faire à Dieu un sacrifice, toi avec moi, pour dire à Dieu que
je le loue et que je le remercie'. Et Samuel a dit tout de suite, car il m'aime : 'Allons au Temple
ensemble pour immoler la victime'. Mais moi, ce n'était pas ce que je voulais. Je suis pauvre et fille
du peuple, mon Seigneur. Je suis ignorante et j'ai peu de moyens. Mais à travers la main posée sur
ma poitrine malade, quelque chose était venue non seulement dans mes poumons rongés, mais à
l'intérieur de mon cœur. Dans les poumons la santé, dans le cœur la sagesse. Et j'ai compris que le
sacrifice d'un agneau n'était pas le sacrifice voulu par mon esprit qui t'aimait. ... Toi. " La jeune fille
se tait rougissante après sa déclaration d'amour.
" Continue sans crainte. Que voulait ton esprit ? "
" Te sacrifier quelque chose qui soit digne de Toi, Fils de Dieu ! Et alors ... et alors j'ai pensé
que ce devait être quelque chose de spirituel, comme ce qui vient de Dieu, c'est à dire le sacrifice de
suspendre mes noces pour l'amour de Toi, mon Sauveur. Grande joie, les noces, sais-Tu ? Quand on
s'aime, c'est une grande chose ! On désire, on hâte qu'elles soient accomplies !... Mais je n'étais plus
celle de quelques jours auparavant. Je ne les voulais plus comme ce qu'il y avait de plus beau... Je
l'ai dit à Samuel ... et lui m'a compris. Lui aussi a voulu se faire nazir pour un an à dater du jour qui
aurait dû être celui des noces, c'est à dire le jour qui suit les calendes d'Adar. En attendant il est allé
à ta recherche pour aimer Celui qui lui avait rendu l'épouse, l'aimer et le connaître : Toi. Et il t'a
trouvé après plusieurs mois à 'La belle Eau'. Moi aussi je suis venue... et ta parole a fini de changer
mon cœur. Maintenant le vœu d'avant ne me suffit plus.. Comme cet amandier là-déhors, qui sous le
soleil toujours plus chaud est revenu à la vie, après être resté mort pendant des mois et s'est garni de
fleurs, et puis ce sera les feuilles et les fruits, ainsi j'ai toujours progressée dans la sagesse de ce qui
est meilleur. La dernière fois, désormais sûre de moi et de ce que je voulais -pendant tous ces mois-
ci, j'y ai réfléchi- la dernière fois que je suis venue à 'La Belle Eau', tu y n'étais plus ... Ils t'avaient
chassé. J'ai tant pleuré et tant prié le Très-Haut qu'Il m'a exaucée, persuadant ma mère de m'envoyer
ici avec un parent qui allait à Tibériade, pour parler aux courtisans du Tétrarque. Le régisseur
m'avait dit que je t'aurais trouvé ici. J'ai trouvé ta
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Mère ... et ses paroles. Rien que de l'entendre et de rester à côté d'Elle pendant ces deux jours, a fini
de mûrir le fruit de ta grâce. " La jeune fille s'est agenouillée comme devant un autel avec les bras
croisées sur sa poitrine.
" C'est bien. Mais, que veux-tu de précis ? Que puis-je faire pour toi ? "
" Seigneur, je voudrais ... je voudrais une grande chose. Et Toi seul, Maître de la vie et de la
santé peux me la donner. Car je pense que ce que Tu peux donner, Tu peux aussi l'enlever ... Je
voudrais que la vie que Tu m'as donnée, tu me l'enlèves au cours de l'année de mon vœu, avant
qu'elle ne se termine... "
" Mais pourquoi ? N'es-tu pas reconnaissante à Dieu pour la santé que tu as recouvrée ? "
" Tellement ! Sans mesure ! Mais, pour une seule chose : car en vivant de sa grâce et de ton
miracle j'ai compris ce qui c'était le meilleur. "
" Qu "est-ce ? "
" C'est vivre comme les anges. Comme ta Mère, mon Seigneur.. comme Tu vis ... comme vit ton
Jean ... Les trois lis, les trois flammes blanches, les trois béatitudes de la terre, Seigneur. Oui, parce
que je pense que c'est une béatitude de posséder Dieu et que Dieu est en possession des purs. Celui
qui est pur, c'est un ciel avec Dieu au centre, et tout autour les anges... Oh ! mon Seigneur ! C'est
cela que je voudrais ! ... Je t'ai peu entendu, j'ai peu entendu ta Mère, et les disciples et Isaac. Je n'en
ai pas fréquenté d'autres qui me disent tes paroles. Mais il me semble que mon esprit t'entend
toujours et que Tu es pour lui un Maître ... J'ai fini, mon Seigneur... "
" Annalia, c'est beaucoup ce que tu demandes, et c'est beaucoup ce que tu donnes... Ma fille, tu
as compris Dieu et la perfection à laquelle la créature peut s'élever pour rassembler au Très Pur et
pour plaire au très Pur. " Jésus a pris entre ses mains la tête brune de la jeune fille agenouillée et lui
parle en se penchant sur elle ; 3Celui qui est né d'une Vierge -car il ne pouvait faire son nid que sur
un tas de lis- est écœuré par la triple convoitise du monde, et s'affaisserait écrasé par un tel
écœurement si le Père, qui sait de quoi vive son Fils, n'intervenait pas par des aides amoureuses
pour soutenir mon âme angoissée. Ceux qui sont purs sont ma joie. Tu me rends ce que le monde
m'enlève par son inépuisable bassesse. Que le Père en soit béni, et toi aussi, jeune fille. Va
tranquille. Il se produira quelque chose pour rendre éternel ton vœu. Sois un des lis répandus sur le
chemin sanglant du Christ. "
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" Oh ! Mon Seigneur ... je voudrais encore une chose... "
" Laquelle ? "
" Ne pas assister à ta mort ... Je ne pourrais voir mourir Celui qui est ma Vie. "
Jésus sourit doucement et de sa main il essuie deux ruisseaux de larmes qui descendent le long
du visage brun. " Ne pleure pas. Les lis ne sont jamais en deuil. Tu riras avec toutes les perles de ta
couronne angélique, quand tu verras le Roi couronné entrer dans son Royaume. Va. Que l'Esprit du
Seigneur te dirige entre l'une et l'autre de mes venues. Je te bénis par les flammes de l'éternel
Amour. "
Jésus s'avance dans le jardin et appelle : " Mère ! Voici une petite fille toute entière pour Toi.
Maintenant, elle est heureuse. Mais Toi, immerge-la dans ta blancheur, maintenant et chaque fois
que nous irons à la Cité Sainte, pour qu'elle soit une neige de pétales célestes répandus sur le trône
de l'Agneau. " Et Jésus revient vers les siens, pendant que Marie caresse le jeune fille en restant
avec elle.
Pierre, André et Jean le regardent, interrogateurs, et le visage resplendissant de Jésus leur dit
qu'il est heureux. Pierre n'y tient plus et demande : " Avec qui as-Tu tant parlé, mon Maître ? Et
qu'as-Tu entendu pour que la joie t'illumine ainsi ? "
" Avec une femme à l'aube de la vie, avec celle qui sera l'aube de tant d'autres qui viendront. "
" Qui ? "
" Les vierges. "
André murmure doucement, pour lui-même : " Ce n'est pas elle... "
" Non, ce n'est pas elle, mais te ne lasse pas de prier avec patience et bonté. Chaque mot de ta
prière est comme un rappel, une lumière dans la nuit, qui la soutient et la guide. "
" Mais qui est-ce qu'il attend, mon frère ? "
" Une âme, Pierre, une grande misère qu'il veut transformer en une grande richesse. "
" Et où l'a-t-il trouvée, André, qui ne bouge jamais, ne parle jamais, ne prend jamais d'initiatives
?"
" Sur mon sentier. Viens avec Moi, André. Allons chez Alphée le bénir au milieu de ses
nombreux petits-enfants. Vous, attendez-moi dans la maison de Jacques et Jude. Ma mère a besoin
qu'on la laisse seule, tout ce jour. "
Ils vont ainsi, les uns d'un côté, les autres de l'autre, et le secret entoure la joie de la première qui,
pour l'amour du Christ, s'est vouée à la virginité.

17 . ENSEIGNEMENTS A NAZARETH POUR LES FEMMES DISCIPLES

Jésus est encore à Nazareth, dans sa maison, ou plutôt dans son ancien atelier de menuisier. Avec
lui se trouvent les douze apôtres, et de plus : Marie, Marie mère de Jacques et Jude, Salomé,
Suzanne et, chose nouvelle, Marthe. Une Marthe bien affligée, avec sous les yeux des marques
évidentes de larmes. Une Marthe dépaysée, intimidée d'être ainsi seule, auprès d'autres personnes et
auprès, surtout, de la Mère du Seigneur. Marie cherche à lui faire prendre contact avec les autres et
à faire disparaître cette impression de malaise dont elle voit qu'elle souffre. Mais ses caresses
semblent plutôt gonfler le cœur de la pauvre Marthe. Rougeurs et grosses larmes alternent sous le
voile qu'elle tient abaissé sur sa douleur et son malaise.
Jean entre avec Jacques d'Alphée. " Elle n'est pas là, Seigneur. Elle est allée avec son mari en
visite chez une amie. C'est ce qu'ont dit les serviteurs. " dit Jean..
" Cela lui déplaira sûrement. Mais elle pourra toujours te voir et recevoir les enseignements "
conclut Jacques d'Alphée.
" C'est bien. Ce n'est pas le groupe des femmes disciples que je pensais. Mais, vous le voyez : à
la place de Jeanne absente, se trouve présente Marthe, fille de Théophile, sœur de Lazare. Les
disciples savent qui est Marthe. Ma Mère aussi, toi aussi, Marie, et peut-être toi aussi, Salomé vous
savez déjà par vos fils qui est Marthe, non pas tant comme femme selon le monde, que comme
créature aux yeux de Dieu. Toi, Marthe, de ton côté, tu sais quelles sont celles qui te considèrent
comme une sœur et qui t'aimeront tant. Sœur et fille. De cela tu as tant besoin, ma bonne Marthe,
pour avoir aussi le réconfort humain d'affections honnêtes que Dieu ne condamne pas mais qu'Il a
donné à l'homme pour le soutenir dans les difficultés de l'existence.
Et Dieu t' amenée ici, justement à l'heure que j'ai choisie pour donner les bases, je pourrai dire le
canevas sur lequel vous broderez votre perfection de disciples. Disciple veut dire qui suit la
discipline du Maître et celle de sa doctrine. Pour cette raison, au sens large on appellera disciples
tous ceux qui maintenant et dans les siècles à venir suivront ma doctrine. Et, pour éviter tant de
noms en disant : disciples de Jésus selon l'enseignement de Pierre ou d'André, de Jacques ou de
Jean, de Simon ou de Philippe, de Jude
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ou de Barthélemy ou de Thomas et Mathieu, on dira un seul nom qui les réunira sous un signe
unique : chrétiens. Mais dans la grande masse de ceux qui suivront ma doctrine, j'ai déjà choisi les
premiers et puis les seconds, et ainsi fera-t-on au cours des siècles en mémoire de Moi. Comme au
Temple, et avant encore, avec Moïse, il eut le Pontife, les prêtres, les lévites, ceux qui étaient
préposés aux divers services, offices et charges, les chanteurs et ainsi de suite, de la même façon,
dans mon nouveau Temple, grand comme la terre entière, destiné à durer autant qu'elle, il y aura des
grands et des petits, tous utiles, tous aimés de Moi, et de plus il y aura des femmes, la nouvelle
catégorie qu'Israël a toujours méprisée en le confinant dans le Temple aux cantiques des vierges ou
l'instruction des vierges, et rien de plus.
Ne discutez pas si c'était juste. Dans la religion fermée d'Israël et aux temps du Courroux, c'était
juste. Toute la honte retombait sur la femme, origine du péché. Dans la religion universelle du
Christ, et au temps du pardon, tout cela est changé. Toute la Grâce s'est ressemblée en une femme et
Elle l'a enfantée au monde pour qu'il soit racheté. La femme n'est donc plus marquée par le dédain
de Dieu, mais elle est l'aide de Dieu. Et par la Femme, l'aimée du Seigneur, toutes les femmes
pourront devenir disciples du Seigneur, non seulement comme la masse, mais comme prêtresses
d'ordre inférieur, coadjutrices des prêtres qu'elles peuvent tant aider, pour eux-mêmes, pour les
fidèles, et ceux qui ne sont pas fidèles, pour ceux qu'amènera à Dieu non pas tant le rugissement de
la parole sainte que le sourire saint de l'une de mes disciples.
Vous m'avez demandé de venir, comme les hommes, à ma suite. Mais, seulement venir,
seulement écouter, seulement en faire l'application, c'est trop peu pour moi en ce qui vous concerne.
Ce serait votre sanctification, grande chose, mais elle ne me suffit pas. Je suis le Fils de l'Absolu, et
de mes privilégiés je veux l'absolu. Je veux tout, car j'ai tout donné.
En outre, il n'y a pas que moi, mais il y a aussi le monde. Cette chose redoutable que est le
monde. Il devrait être redoutable en sainteté : une sainteté illimitée, en nombre et en puissance de la
multitude des fils de Dieu. Au contraire, le monde est redoutable par sa perversité. Sa complète
perversité est réellement illimitée dans le nombre de ses manifestations et sa puissance du vice.
Tous les péchés se trouvent dans le monde qui n'et plus la multitude des fils de Dieu, mais la
multitude des fils de Satan, et bien vivant est le péché qui porte le signe le plus claire de sa paternité
: la
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haine. Le monde hait. Celui qui hait, et veut faire voir même à ceux qui ne le voient pas, le mal dans
les choses les plus saintes. Si vous demandiez au monde pourquoi je suis venu, il ne vous dirait
pas : 'Pour faire du bien et racheter'. Mais il vous dirait : 'Pour corrompre et dominer'. Si vous
demandiez au monde ce qu'il pense de vous qui me suivez, il ne dirait pas : 'Vous le suivez pour
vous sanctifier et pour réconforter le Maître par la sainteté et la pureté'. Mais il dirait : 'Vous suivez
cet homme parce qu'il vous séduit. "
Le monde c'est cela. Et je vous le dis aussi pour que vous mesuriez tout avant de vous présenter
au monde comme des disciples choisies, les chefs de file des futures disciples, coopératrices des
serviteurs du Seigneur. Prenez bien votre cœur en mains, et dites-lui, à ce cœur sensible de femmes
qu'est votre cœur, que vous, et lui avec vous, serez ridiculisées, calomniées, qu'on vous crachera au
visage, que le monde vous piétinera par son mépris, ses mensonges, sa cruauté. Demandez-lui s'il
s'en sent capable de recevoir toutes les blessures sans crier d'indignation en maudissant ceux qui le
blessent. Demandez-lui s'il s'en sent capable d'affronter le martyre moral de la calomnie sans arriver
à haïr les calomniateurs et la Cause pour laquelle on le calomniera. Demandez-lui si, abreuvé et
recouvert par la rancœur du monde, il saura toujours exhaler l'amour, si empoisonnée par l'absinthe,
il saura présenter le miel , si, en souffrant toutes espèces de tortures par incompréhension, m épris,
dénigrement, il saura continuer à sourire en montrant du doigt le Ciel, le but auquel vous voulez
amener les autres, les amener par tendresse féminine, maternelle même chez les jeunes filles,
maternelle même si elle se donne à des personnes âgées qui pourraient être vos grands-parents mais
qui, du point de vue spirituel, viennent seulement de naître et sont incapables de comprendre et se
diriger sur leur route, dans la vie, dans la vérité, dans la sagesse que je suis venu donner en me
donnant Moi-même, Route, Vie, Vérité, Sagesse divine. Je vous aimerai de même, même si vous
me dites : 'Je n'en ai pas la force, Seigneur, de d "fier le monde entier pour Toi '.
Hier une jeune fille m'a demandé que je l'immole avant que ne sonne pour elle l'heure des noces,
car elle sent qu'elle m'aime, comme ion aime Dieu, c'est-à-dire avec toute elle-même, dans la
perfection absolue du don de soi. Et je le ferai. Je lui ai caché l'heure pour que son âme ne tremble
pas de peur et plus que son âme, sa chair. Sa mort sera semblable à celle d'une fleur qui un soir
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ferme sa corolle, croyant l'ouvrir encore le lendemain et ne l'ouvre plus parce que le baiser de la nuit
a aspiré sa vie. Et je le ferai, selon son désir, en anticipant de peu de jours son sommeil de mort du
mien. Pour ne pas la faire attendre aux Limbes, cette vierge, ma première vierge, pour la trouver
tout de suite en expirant ...
Ne pleurez pas ! Je suis le Rédempteur ... mais cette sainte jeune fille ne s'est pas bornée à
l'hosanna aussitôt après le miracle, mais elle a su exploiter le miracle, comme de l'argent prêté à
intérêt. Elle est passée de la reconnaissance humaine à une reconnaissance surnaturelle, d'un désir
terrestre à un désir ultra-terrestre. Elle a montré une maturité d'esprit supérieure à celle de presque
tout le monde. Je dis 'presque' parce que parmi vous qui m'écoutez il y a des perfections égales et
encore supérieures. Elle ne m'a pas demandé de me suivre. Au contraire elle a manifesté le désir
d'accomplir son évolution pour de jeune fille devenir ange, dans le secret de sa demeure. Et
pourtant, je l'aime tant qu'aux heures de dégoût pour ce qu'est le monde, j'évoquerai le souvenir de
cette douce créature, en bénissant le Père qui essuie mes larmes et mes sueurs de Maître d'un monde
qui ne veut pas de Moi, avec ces fleurs d'amour et de pureté.
Mais, si vous le voulez, si vous avez le courage de rester les femmes disciples choisies, je vais
vous indiquer le travail que vous devez faire pour justifier votre présence et votre élection auprès de
Moi, et auprès des saints du Seigneur. Vous pouvez faire tant auprès de vos semblables et à l'égard
des ministres du Seigneur.
Je l'ai indiqué à Marie d'Alphée, il y a maintenant plusieurs mois, comme il est nécessaire la
femme auprès de l'autel du Christ ! Les misères infinies du monde peuvent être soignées par une
femme beaucoup mieux que par un homme et puis être amenées à l'homme pour la guérison
complète. Beaucoup de cœurs, et spécialement des cœurs de femmes, s'ouvriront à vous, femmes
disciples. Vous devez les accueillir, comme si c'était des chers enfants dévoyés qui reviennent à la
maison paternelle et qui n'osent pas affronter leur père. Vous serez celle qui réconfortent le
coupable et amadouent le juge. Il en viendra à vous beaucoup qui cherchent Dieu. Vous les
accueillerez comme des pèlerins fatigués en leur disant : 'C'est ici la maison du seigneur. Il va venir
tout de suite', et, en attendant, vous l'entourez de votre amour. Si ce n'est pas Moi, ce sera un de mes
prêtres qui viendra.
La femme sait aimer. Elle est faite pour aimer. Elle a avili l'amour en en faisant une convoitise des
sens, lais, au fonds de sa
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chair, est toujours prisonnier le véritable amour, la gemme de son âme : l'amour dépouillé de
l'âcreté fangeuse des sens, fait d'ailes et de parfums angéliques, fait de flamme pure et de souvenirs
de Dieu, de son origine divine, de sa création faite par Dieu. La femme : le chef-d'œuvre de la bonté
auprès du chef-d'œuvre de la création qu'est l'homme : 'Et maintenant, qu'on a donné à Adam sa
compagne pour qu'il ne se sent pas seul', elle ne doit pas abandonner les Adam. Prenez donc cette
capacité d'amour et qu'elle serve à l'amour du Christ et par le Christ à celui du prochain. Soyez toute
charité auprès des coupables repentis. Dites-leur de ne pas avoir peur de Dieu. Comment ne sauriez-
vous pas remplir cet office, vous qui êtes mères et sœurs ? Combien de fois vos petits, ou vos frères
n'ont pas été malades et n'ont pas eu besoin du médecin ! Et ils avaient peur. Mais vous, avec des
caresses et des paroles d'amour, leur avez enlevé cette peur et avec leur petite main dans la vôtre, ils
se sont laissés soigner n'éprouvant plus leur terreur première. Les coupables sont vos frères et vos
enfants malades et ils craignent la main du médecin, son jugement... Non. Ce n'est pas ainsi. Dites-
le vous, qui savez combien Dieu est bon, que Dieu est bon, et qu'il ne faut pas le craindre. Même s'Il
dit franchement : 'Tu ne feras plus jamais cela', Il ne chassera pas celui qui l'a déjà fait et qui s'est
rendu malade. Mais Il le soignera pour le guérir.
Soyez des mères et des sœurs auprès des saints. Eux aussi ont besoin d'amour. Ils se fatigueront
et s'épuiseront dans l'évangélisation. Ils ne pourront arriver à faire tout ce qu'il y a à faire. Aidez-les
vous, discrètement et activement. La femme sait travailler. A la maison, près des tables et des lits,
près des métiers à tisser et de tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne. L'avenir de l'Eglise
amènera un flot continuel de pèlerins aux lieux choisis par Dieu. Vous, soyez-y les hôtesses,
chargez-vous des détails du plus humble travail pour laisser aux ministres de Dieu la liberté de
continuer le Maître.
Et puis viendront les temps difficiles, sanglants, cruels. Les chrétiens, même les saints, auront
des heures de terreur, de faiblesse. L'homme n'est jamais très fort dans sa souffrance. La femme, au
contraire, a sur l'homme cette supériorité royale de savoir souffrir ; Enseignez-la à l'homme en le
soutenant dans ces heures de peur, de découragement, de larmes, de fatigues, de sang . Dans notre
histoire, nous avons les exemples de femmes merveilleuses qui surent accomplir des actes
audacieux et libérateurs.
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Nous avons Judith, Yaël. Mais croyez qu'il n'y en a pas de plus grande jusqu'à présent que la mère
huit fois martyre : sept fois en ses fils, et une fois pour elle, au temps de maccabées. Puis, il y en
aura une autre... Mais après qu'Elle l'aura été, se multiplieront les femmes héroïnes de la douleur et
dans la douleur, les femmes réconforts des martyres et martyres elles aussi, les femmes anges des
persécutés, les femmes prêtresses silencieuses qui prêcheront Dieu par leur manière de vivre et qui
sans d'autre consécration que celle que leur a donné le Dieu-Amour seront, oh ! seront consacrées et
dignes de l'être.
Voilà, très schématisés, vos principaux devoirs ; Je n'aurai pas beaucoup de temps à vous
consacrer, à voue en particulier. Mais vous vous formerez en m'écoutant. Et vous vous formerez
davantage sous la conduite parfaite de ma Mère.
Hier, cette main maternelle (et Jésus prend dans la sienne la main de Marie) m'a amené la jeune
fille dont je vous ai parlé et celle-ci m'a dit que rien que le fait de l 'entendre, et de rester à ses côtés,
pendant quelques heures lui avait servi à mûrir le fruit de la grâce qu'elle avait eue, en l'amenant à
sa perfection. Ce n'est pas la première fois que ma Mère travaille pour le Christ son Fils. Toi et toi,
mes disciples, mais aussi mes cousins, vous savez ce qu'est Marie pour former les âmes à Dieu.
Vous pouvez le dire à ceux et à celles qui auront la crainte de n'avoir pas été préparés par Moi à la
mission ou de l'être encore insuffisamment quand je ne serai plus parmi vous. Elle, ma Mère, sera
avec vous maintenant, aux heures où je ne serai pas parmi vous, et puis, quand je ne serai plus au
milieu de vous. Elle vous reste, et avec elle reste la sagesse en toutes ses vertus. Suivez dorénavant
tous ses conseils.
Hier soir, quand nous fûmes seuls, Moi, assis à côté d'elle comme quand j'étais petit, la tête sur
son épaule si douce et si courageuse, ma Mère m'a dit -nous avions parlé de la jeune fille partie aux
premières heures de l'après-midi avec un soleil plus radieux que celui du firmament, enclos en son
cœur virginal : son secret saint- ma Mère m'a dit : 'Comme il est doux d'être la Mère du Rédempteur
!' Oui, comme c'est doux, quand la créature qui vient au Rédempteur est déjà une créature de Dieu
en laquelle il n'y a que la tache d'origine qui ne peut être lavée par un autre que Moi. Toutes les
autres petites taches des imperfections humaines, l'amour les a enlevées.
Mais, ma douce Mère, très pure Guide des âmes vers ton Fils, Etoile sainte qui les oriente, suave
Maîtresse des saints, tendre
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Nourrice des plus petits, Soin salutaire des infirmes, ce n'est pas toujours que viendront à toi ces
créatures qui ne refusent pas la sainteté ... Mais des lèpres, mais des horreurs, mais la puanteur,
mais un grouillement de serpents autour de choses immondes, viendront ramper jusqu'à tes pieds, ô
Reine du genre humain, pour te crier/ 'Pitié !' Secours-nous ! Conduis-nous à ton fils !' et tu devras
mettre ta main, cette blanche main sur les plaies, incliner ton regard de colombe du paradis sur les
laideurs infernales, respirer la puanteur du péché, et ne pas fuir. Mais au contraire serrer sur ton
cœur ceux que Satana mutilés, ces avortons, ces pourritures, et les laver dans les larmes et me les
amener ... Et alors tu diras : 'Comme il est difficile d'être la Mère du Rédempteur !' Mais tu le feras
parce que tu es la Mère ... Je baise et bénis tes mains, ces mains par lesquelles viendront à Moi tant
de créatures et chacune sera une de mes gloires. Mais, avant de l'être pour Moi, elle sera une de tes
gloires, Mère sainte.
Vous, chères femmes disciples, suivez l'exemple de celle qui fut ma Maîtresse, celle aussi de
Jacques et de Jude et de tous ceux qui veulent se former dans la Grâce et dans la Sagesse ; Suivez sa
parole. C'est la mienne qui s'est faite plus douce. Il n'y a rien à y ajouter, car c'est la parole de la
Mère de la Sagesse.
Et vous, mes amis, sachez avoir l'humilité et la constance des femmes et, abaissant l'orgueil de
l'homme, ne méprisez pas les femmes disciples, mais modérez votre force, et je pourrais dire votre
dureté et votre intransigeance au contact de la douceur des femmes. Et, par-dessus tout, apprenez
d'elles à aimer, à croire et à souffrir pour le Seigneur, parce qu'en vérité je vous dis qu'elles, les
faibles, deviendront les plus fortes dans la foi, dans l'amour, dans l'audace, dans le sacrifice pour
leur Maître, qu'elles aiment avec toutes elles-mêmes, sans rien demander, sans rien prétendre,
payées seulement par l'amour, pour me donner réconfort et joie.
Allez, maintenant dans vos maisons ou dans celles qui vous donnent l'hospitalité. Je reste avec ma
Mère. Dieu soit avec vous. "
Toutes partent sauf Marthe.
" Reste, toi, Marthe. J'ai déjà parlé à ton serviteur. Aujourd'hui ce n'est pas Béthanie qui donne
l'hospitalité, mais la petite maison de Jésus. Viens. Tu mangeras à côté de Marie et tu dormiras dans
la petite chambre près de la sienne. L'esprit de Joseph, notre réconfort, te réconfortera pendant que
tu reposeras. Et demain, tu retourneras à Béthanie plus forte et plus assurée, pour préparer là
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aussi des femmes disciples, en attendant celle qui à Moi et à toi est la plus chère. Ne doute pas,
Marthe, je ne promets jamais en vain. Mais, pour faire d'un désert rempli de vipères un bosquet du
paradis, cela demande du temps... Le premier travail ne se voit pas. Il semble qu'il n'y a rien de fait.
Mais, au contraire, la semence est déjà déposée. Les semences. Toutes. Et puis viendront les larmes,
ce sera la pluie qui les fait éclore... Et les bons arbres viendront ... Viens ! ... Ne pleure plus ! "

18. JESUS PARLE A JEANNE DE CHOUZA SUR LE LAC

Jésus est sur le lac, dans la barque de Pierre, derrière deux autres barques ; l'une c'est la barque de
pêche ordinaire, jumelle de celle de Pierre, l'autre une barque de plaisance, légère, riche. C'est la
barque de Jeanne de Chouza, mais sa propriétaires n'y est pas ; elle est aux pieds de Jésus dans la
barque rustique de Pierre.
Je dirais que le hasard les a réunis en un endroit de la rive fleurie de Génésareth. Le rivage est très
beau en ce début du printemps de Palestine, qui répand ses nuées d'amandiers en fleurs et dépose
les perles des fleurs qui vont éclore sur les poiriers et les pommiers, les grenadiers, les cognassiers,
tous, tous les arbres les plus riches et les plus agréables pour leurs fleurs et leurs fruits. Quand la
barque suit une rive ensoleillée, déjà apparaissent les millions de boutons qui se gonflent sur les
branches en attendant de fleurir, pendant que papillonnent dans l'aire tranquille, jusqu'à ce qu'elles
se posent sur les claires eaux du lac, les pétales des amandiers précoces. Les rives, au milieu de
l'herbe nouvelle qui semble un gai tapis de soie verte, sont constellées des boutons d'or des
renoncules, des étoiles rayonnantes des marguerites et près d'elles, raides sur leurs tiges comme des
petites reines couronnées, sourient légers, tranquilles comme des yeux d'enfants, les myosotis
élégants, couleur d'azur et qui semblent dire 'oui, oui' au soleil, au lac, aux herbes leurs sœurs,
qu'elles sont heureuses de fleurir sous les yeux bleu-clairs de leur Seigneur.
En ce début de printemps, le lac n'a pas encore cette opulence qui le rendra triomphal les mois
suivants. Il n'a pas encore cette somptuosité, je dirais sensuelle, des mille et mille rosiers rigides ou
flexibles qui font des massifs dans les jardins ou qui voilent les
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murs, des milliers et des milliers de corymbes des cytises et des acacias, des milliers et des milliers
d'alignements de tubéreuses en fleurs, de mille et mille étoiles des agrumes, de tout ce mélange de
couleurs, de parfums violents, enivrants, qui environnent et excitent un désir humain de jouissance
qui profane, qui profane trop ce coin de terre si pur qu'est le lac de Tibériade, le lieu choisi depuis
des siècles, pour être le théâtre du plus grand nombre des prodiges de notre Seigneur Jésus.
Jeanne regarde Jésus absorbé par la beauté de son lac galiléen, et son visage sourit, reflétant
comme un miroir fidèle son sourire à Lui. Dans les autres barques, on parle. Ici, c'est le silence.
Seul bruit, le bruit sourd des pieds nus de Pierre et d'André qui règlent la manœuvre de la barque, et
le soupir de l'eau que fend la proue et qui murmure sa douleur aux flancs du bateau, une douleur qui
se change en rire à la poupe quand la blessure se referme en un sillage argenté que le soleil allume
comme si c'était une poussière de diamants.
Finalement Jésus arrête sa contemplation et tourne son regard vers la disciple. Il lui sourit. Il lui
demande : " Nous sommes presque arrivés, n'est-ce pas ? Et tu diras que le Maître est un
compagnon bien peu aimable. Je ne t'ai pas dit une seule parole. "
" Mais je les ai lues sur ton visage, Maître, et j'ai entendu tout ce que tu disais à ces choses qui
nous entourent. "
" Que disais-je, alors ? "
" Aimez, soyez purs, soyez bons. Parce que vous venez de Dieu, et que de sa main il n'est rien
sorti de mauvais ou d'impur. "
" Tu as bien lu. "
" Mais, mon Seigneur, les herbes le feront encore. Et le feront aussi les animaux. L'homme ...
pourquoi ne le fait-pas, lui qui est le plus parfait ? "
" Parce que la morsure de Satan est entrée seulement en l'homme. Il a essayé de démolir le
Créateur dans son prodige le plus grand, dans ce qui était le plus semblable à Lui. "
Jeanne baisse la tête et réfléchit. Elle paraît hésiter et comparer deux vouloirs opposés. Jésus
l'observe. A la fin elle relève la tête et dit : " Seigneur, dédaignerais-Tu d'approcher de mes amies,
païennes ? Tu sais ... Chouza appartient à la cour. Et le Tétrarque -et plus encore la véritable
maîtresse de la cour, Hérodiade, à la volonté de laquelle se soumet tout désir d'Hérode, par ... mode,
pour se montrer plus fins que les autres palestiniens, pour être protégés par Rome, en adorant Rome
et tout ce qui est romain -
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flatte les romains de la maison proconsulaire ... et nous les impose pour ainsi dire. En vérité je dois
dire que les femmes ne sont pas pires que nous. Même parmi nous, sur ces rives, il y en a qui sont
tombées bien bas. Et de quoi pouvons-nous parler, si nous ne parlons pas d'Hérodiade ? ... Quand
j'ai perdu mon enfant et que je fus malade, elles furent très bonnes pour moi qui ne les avais pas
recherchées. Et, depuis , l'amitié est restée. Mais, si tu me dis que c'est mal, j'y renonce. Non ?
Merci, Seigneur. Avant-hier, j'étais chez une de ces amies, visite d'amitié pour moi, de devoir de la
part de Chouza. C'était un ordre du Tétrarque qui ... voudrait bien revenir ici, mais qui ne s'y sent
pas très en sécurité et alors ... il noue les relations les plus intéressés avec Rome pour avoir sa
protection. Par ailleurs ... je te prie ... Tu es parent du Baptiste, n'est-ce pas ? Dis-lui alors de ne pas
trop se fier. Qu'il ne sort jamais des frontières de la SaMarie. Mais, au contraire, s'il ne le dédaigne
pas, qu'il se cache pour quelque temps. Le serpent s'approche de l'agneau et l'agneau a tout lieu de
craindre. De tout. Qu'il se tienne sur ses gardes, Maître. Et qu'on ne se sache. Pas que c'est moi qui
l'ai dit. Ce serait la ruine de Chouza. "
" Sois tranquille, Jeanne. J'avertirai le Baptiste de façon à lui rendre service sans qu'il en résulte de
dommage. "
" Merci, Seigneur. Je veux te servir, mais je ne voudrai pas ce faisant nuire à mon mari. D'autre
part ... moi... je ne pourrai pas venir toujours avec Toi. Parfois, je devrai rester, parce que lui le
veut, et c'est juste... "
" Tu resteras, Jeanne.. Je comprends tout. Ne dis rien de plus que ce qui est nécessaire. "
" Pourtant, aux heures les plus dangereuses pour Toi, Tu me voudras près de Toi ? "
" Oui, Jeanne. Certainement. "
" Oh ! cette chose comme il m'était difficile de devoir le dire, et de la dire ! Mais maintenant, je
suis soulagée... "
" " Si tu as foi en Moi, tu seras toujours soulagée... mais, tu parlais de l'une de tes amies
romaines ... "
" Oui, c'est une amie intime de Claudia et je crois qu'elle doit lui être parente. Elle voudrait
parler avec Toi ou, au moins, t'entendre parler. Et elle n'est pas la seule. Et maintenant que Tu as
guéri la petite de Valeria, et la nouvelle est arrivée rapide comme l'éclair, elles le désirent encore
plus vivement. Au banquet de l'autre soir, on a beaucoup parlé, pour et contre Toi. Il y avait en effet
des hérodiens et des sadducéens ... bien qu'ils n'en voulussent pas conve-
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nir quand on le leur demandait ... et puis, il y avait aussi des femmes ... riches ... et pas honnêtes. Il
y avait ... cela me déplaît de le dire parce que je sais que tu es un ami de son frère, Marie de
Magdala, avec son nouvel ami, et une autre femme, grecque je crois, et de mœurs aussi libres
qu'elle. Tu sais ... chez les païens, les femmes sont à table avec les hommes et c'est ... très ... très ...
Quel ennui ! Par gentillesse, mon amie m'avait choisie comme compagnon mon propre époux ce qui
m'avait beaucoup soulagée. Mais les autres ... oh ! ... Eh bien ... on parlait de Toi, car le miracle sur
Faustina a fait du bruit. Et si les romains admirent en Toi le grand médecin ou le mage -pardonne-
moi, Seigneur- les hérodiens et les sadducéens jetaient du venin sur ton nom, et Marie, oh ! Marie !
quelle horreur ! ... elle a commencé par les dérision et puis ... Non, cela, je ne veux pas te le dire.
J'en ai pleuré toute la nuit. "
" Laisse-la faire. Elle guérira. "
" Mais elle se porte bien, sais-Tu ? "
" La chair oui. Le reste est toute intoxiqué. Elle guérira. "
" Tu le dis ... Les romaines, tu sais comme elles sont, ont dit : 'Nous ne craignons pas les
sorcelleries et nous ne croyons pas aux racontars, mais nous voulons juger par nous-mêmes' et
ensuite elles m'ont dit : 'Ne pourrions-nous l'entendre ? "
" Dis-leur qu'à la fin de la lune de scebat, je serai chez toi. "
" Je le dirai, Seigneur. Tu crois qu'elles viendront à Toi ? "
" Chez elles, c'est surtout un monde à refaire. Il faut tout d'abord démolir, puis bâtir. Mais ce
n'est pas impossible... Jeanne, voici ta maison avec son jardin. Travailles-y pour ton Maître, comme
je te l'ai dit. Adieu, Jeanne. Que le Seigneur soit avec toi. Je te bénis en son nom. "
La barque accoste. Jeanne demande, insistante : " Tu ne viens pas ? "
" Pas maintenant. Il me faut réveiller la flamme. En peu de mois d'absence, elle s'est presque
éteinte. Et le temps s'envole. "
La barque s'est arrêtée dans la crique du jardin de Chouza. Les serviteurs accourent pour aider la
maîtresse à descendre . Sa barque vient, après celle de Pierre au débarcadère après que Jean,
Mathieu, l'Iscariote et Philippe l'ont quittée pour monter dans celle de Pierre qui, ensuite, lentement
quitte le rivage et reprend sa marche vers la rive opposée.

18. JÉSUS A GERGHESA. LES DISCIPLES DE JEAN

Jésus parle dans une cité que je n'ai jamais vue.. C'est du moins ce qui me semble, car elles sont
toutes à peu-près le même style et il est difficile de les différencier à première vue. Ici aussi une rue
borde le lac et les barques sont toutes près de la rive. Maisons et maisonnettes sont sur l'autre bord
de la rue, mais les collines sont ici beaucoup plus en retrait et ainsi la petite cité se trouve dans une
plaine riante qui se prolonge sur la rive orientale du lac., à l'abri des vents que les collines arrêtent.
Elle jouit donc d'un climat tiède qu'ici, plus encore que dans les autres campagnes, favorise la
floraison des arbres.
Il semble que le discours soit commencé, car Jésus dit : " ... C'est vrai. Vous dites : 'Nous ne
t'abandonnerons jamais, car t'abandonner ce serait abandonner Dieu'. Mais, ô peuple de Gerghesa,
rappelle-toi que rien n'est plus changeant que la pensée humaine. Je suis convaincu qu'en ce
moment vous avez réellement cette pensée. Ma parole et le miracle survenu vous ont exaltés en ce
sens et en ce moment vos paroles sont sincères. Mais, je vais vous rappeler un épisode. Je pourrais
en citer mille, lointains ou proches. Je ne vous cite que celui là.
Josué, serviteur du Seigneur, rassembla, avant de mourir, autour de lui les tribus, avec leurs
anciens, leurs chefs, leur juges, leurs magistrats, et leur parla en présence du Seigneur. Il leur
rappela tous les bienfaits et les prodiges accomplis par le Seigneur par son entremise. Après avoir
énuméré toutes ces choses, il les invita à rejeter tout dieu qui ne serait pas le Seigneur ou, du moins,
à être francs dans leur foi en choisissant avec sincérité ou le vrai Dieu, ou les dieux de Mésopotamie
et des Amorites de façon qu'il y eut une nette séparation entre les fils d'Abraham et ceux qui
s'attachent au paganisme.
Une erreur décidé vaut toujours mieux qu'une hypocrite profession de foi ou un mélange de
croyances qui est un opprobre pour Dieu et une mort pour les esprits. Et il n'est rien de plus facile et
de plus commun que ce mélange. L'apparence est bonne, mais par-dessous la réalité ne vaut rien.
Toujours, fils. Toujours. Les fidèles qui mélangent l'observance de la loi avec ce qu'elle interdit, ces
disgraciés qui hésitent comme des gens ivres entre la fidélité à la Loi et l'intérêt des marchés et des
compromissions avec les gens qui ne sont pas soumis à la Loi dont ils espèrent tirer profit, ces
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prêtres ou scribes ou pharisiens qui ne font plus du service de Dieu le but de leur vie, mais une
politique astucieuse pour triompher des autres et pour avoir tout pouvoir contre les autres plus
honnêtes, parce qu'ils savent fort et précieux pour les buts qu'ils poursuivent, ne sont que des
hypocrites qui mélangent notre Dieu avec des dieux étrangers.
Le peuple répondit à Josué : 'Qu'il n'arrive jamais que nous abandonnions le vrai Dieu pour
servir des dieux étrangers'. Josué leur dit ce que Moi, je vous ai dit naguère sur la sainte jalousie du
Père, sur sa volonté d'être aimé exclusivement, avec tout nous-mêmes, de son équité dans la
punition de ceux qui sont menteurs. Punir ! Dieu peut punir comme il peut récompenser. Il ne faut
pas être mort pour avoir récompense ou châtiment. Regarde, ô peuple hébreux, si Dieu, après t'avoir
tant donné en te délivrant des pharaons, en te conduisant sain et sauf à travers le désert et les
embûches des ennemis, en te permettant de devenir une nation grande et respectée, riche de gloires,
ne t'a-t-il pas, par la suite, une, deux, dix fois puni pour tes fautes ! Regarde ce que tu es devenu à
présent ! Et Moi qui te vois te précipiter dans la plus sacrilège des idolâtries, je vois aussi dans quel
gouffre tu vas te précipiter pour ton obstination à retomber toujours dans les mêmes fautes. Et c'est
pour cela que je te rappelle, peuple qui es deux fois mon peuple parce que je suis le Rédempteur et
que je suis né de toi. Ce n'est pas de la haine, pas de la rancœur, pas de l'intransigeance. Mon rappel,
même s'il est sévère, c'est encore de l'amour.
Josué dit alors : 'Vous êtes témoins : vous avez choisi le Seigneur', et tous répondirent : 'Oui'. Et
Josué, qui était sage et pas seulement brave, sachant combien est faible la volonté de l'homme
écrivit sur un livre toutes les paroles de la loi et de l'alliance et il les plaça dans le temple et de plus,
dans ce sanctuaire du Seigneur, à Sichem, qui contenait pour l'occasion le Tabernacle, il posa une
grande pierre en témoignage, disant : 'Cette pierre qui a entendu les paroles que vous avez dites au
Seigneur restera ici en témoignage pour que vous ne puisiez pas renier votre parole et mentir au
Seigneur votre Dieu'.
Une pierre, si grande et si dure qu'elle soit, peut toujours être réduite en poussière par l'homme,
par la foudre ou par l'érosion des eaux et du temps. Mais Moi, je suis la Pierre Angulaire et
Eternelle et je ne puis subir la destruction. Ne mentez pas à cette Pierre Vivante. Ne l'aimez pas
seulement parce qu'elle fait des prodiges.
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Aimez-la parce que par elle vous toucherez le Ciel. Je vous voudrais plus spirituels, plus fidèles au
Seigneur. Je ne dis pas à Moi. Moi je ne suis que parce que je suis la Voix du Père. En me piétinant,
vous blessez Celui qui m'a envoyé. Je suis l'intermédiaire. Lui c'est le Tout. Recueillez de Moi et
conservez en vous ce qui est saint, pour rejoindre ce Dieu. N'aimez pas l'Homme, aimez le Messie
du Seigneur, non pour les miracles qu'il fait, mais parce qu'il veut faire en vous le miracle intime et
sublime de votre sanctification. "
Jésus bénit et se dirige vers une maison. Il se trouve presque sur le seuil quand il est arrêté par un
groupe d'hommes âgés qui le saluent avec respect et Lui disent : " Pouvons-nous t'interroger,
Seigneur ? Nous sommes des disciples de Jean et puisque lui parle toujours de Toi et aussi parce
que la renommée de tes prodiges est venue jusqu'à nous, nous avons voulu te connaître. Maintenant,
en t'écoutant, il nous est venu à l'esprit une question. "
" Dites-la. Si vous êtes disciples de Jean, vous êtes déjà sur le chemin de la justice. "
" Tu as dit, en parlant des idolâtries habituelles chez les fidèles, qu'il y a parmi nous des personnes
qui commercent entre la loi et les gens qui sont en dehors de la loi. Toi aussi, cependant tu es leur
ami. Nous savons que Tu ne dédaignes pas les romains. Alors ? "
" Je ne le nie pas. Mais cependant, pouvez-vous dire que je le fais pour en tirer un avantage ?
Pouvez-vous dire que je le flatte pour avoir même seulement leur protection ? "
" Non ,Maître, et nous en sommes plus que certains. Mais le monde n'est pas composé de nous
seuls qui ne voulons croire qu'au mal que nous voyons et non pas au mal dont on vient nous parler.
Maintenant dis-nous les raisons qui rendent plausible la fréquentation des gentils, pour nous guider
et te défendre, si on te calomnie en notre présence. "
" Il est mal d'avoir des contacts quand ce n'est que dans un but humain. Ce n'est pas mal les
fréquenter pour les amener au Seigneur notre Dieu. C'est ce que je fais. Si vous étiez des gentils, je
pourrais m'attarder à vous expliquer comment tout homme vient d'un Dieu Unique. Mais vous êtes
hébreux et il n'est pas nécessaire que je vous explique cela. Vous pouvez donc comprendre et croire
qu'il est mon devoir, étant le Verbe de Dieu, de porter sa parole à tous les hommes, fils d'un Père
universel. "
" Mais eux ne sont pas des fils puisqu'ils sont païens ... "
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" Par la grâce, non, ils ne le sont pas. Pour leur foi erronée, ils ne le sont pas, c'est vrai. Mais,
jusqu'à ce que j'aie racheté l'homme, même l'hébreux aura perdu la grâce. Il en sera privé, parce que
la tache d'origine fait un écran au rayon ineffable de la Grâce, l'empêchant de descendre dans les
cœurs. Mais par la création, l'homme est toujours fils de Dieu. D'Adam, chef de l'humanité,
viennent tant les hébreux que les romains, et Adam est le fils du Père qui lui a donné sa
ressemblance spirituelle. "
" C'est vrai ; Une autre question, Maître ; Pourquoi les disciples de Jean font-ils de grands
jeûnes et ne pas les tiens, Nous ne disons pas que tu ne dois pas manger. Même le Prophète Daniel
fut saint aux yeux de Dieu, tout en étant un grand de la cour de Babylone, et Toi tu es plus que lui.
Mais eux ... "
" Bien souvent, ce qu'on n'obtient pas par le rigorisme, un l'obtient par la cordialité. Il y a des
êtres qui ne viendraient jamais au Maître, et c'est le Maître qui doit aller à eux. D'autres viendraient
au Maître, mais ils ont honte d'y aller parmi la foule. Vers eux aussi le Maître doit aller. Et
puisqu'ils me disent : ' Sois mon hôte pour que je puisse te connaître', j'y vais, en tenant compte non
pas de la jouissance d'une table opulente, ni des conversations qui pour Moi sont tellement pénibles,
mais encore et toujours de l'intérêt de Dieu. Ceci pour Moi. Et puisque souvent au moins une des
âmes que j'aborde de cette façon se convertit, et toute conversion est une fête nuptiale pour mon
âme, une grande fête à laquelle prennent part tous les anges du Ciel et que bénit le Dieu éternel,
ainsi mes disciples, les amis de Moi-l'Epoux, jubilent avec l'Epoux leur Ami. Voudriez-vous voir
les amis dans la douleur pendant que Moi je jubile, Pendant que je suis avec eux ? Mais le temps
viendra où ils ne m'auront plus. Et alors ils feront de grands jeûnes. A temps nouveaux, nouvelles
méthodes. Jusqu'à hier : auprès du Baptiste, c'était le cendre de la Pénitence Aujourd'hui, dans mon
aujourd'hui, c'est la douce manne de la Rédemption, de la Miséricorde, de l'Amour. Les méthodes
anciennes ne pourraient se greffer sur mon action, comme mes méthodes n'auraient pu être mises en
œuvre alors, hier seulement, car la Miséricorde n'était pas encore sur la terre, maintenant, elle y est.
Non plus le Prophète, mais le Messie à qui tout a été remis par Dieu, est sur la terre ; A chaque
temps les choses qui lui sont utiles. Personne ne coud un morceau d'étoffe neuve sur un vieux
vêtement, parce qu'autrement, surtout au moment du lavage, l'étoffe neuve se rétrécit et déchire
l'étoffe vieille et la déchirure s'élargit encore. De la même façon,
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personne ne met du vin nouveau dans des vieilles outres parce que autrement le vin fait éclater les
outres incapables de supporter le bouillonnement du vin nouveau et celui-ci se répand hors des
outres qu'il a crevées. Mais le vin vieux qui a déjà travaillé, on le met dans de vieilles outres, et le
vin nouveau dans des outres neuves. Car une force doit s'équilibrer avec une autre qui doit lui être
égale. Il en est ainsi maintenant. La force de la nouvelle doctrine impose des méthodes nouvelles
pour sa diffusion. Et Moi, qui je sais, je les emploie. "
" Merci, Seigneur. Maintenant nous sommes contents. Prie pour nous. Nous sommes de vieilles
outres. Pourrions-nous résister à ta force ? "
" Oui, parce que le Baptiste vous a tannés et parce que ses prières, unies aux miennes, vous
donneront cette possibilité. Partez avec ma paix et dites à Jean que je le bénis. "
" Mais ... selon Toi, vaut-il mieux pour nous rester avec le Baptiste ou avec Toi ? "
" Tant qu'il y a du vin vieux, il est plus agréable de le boire, parce qu'il flatte davantage le palais.
Plus tard ... parce que l'eau malsaine qui se trouve partout vous dégoûtera, vous aimerez le vin
nouveau. "
" Crois-Tu que le Baptiste sera repris ? "
" Certainement. Je lui ai déjà envoyé une mise en garde. Allez, allez. Jouissez de votre Jean tant
que vous le pouvez et faites-lui plaisir. Après, vous m'aimerez. Moi. Et cela vous sera pénible
aussi ... car personne, après avoir goûté le vin vieux désire tout de suite le vin nouveau. Il dit : 'Le
vin vieux était meilleur !'. Et en effet, j'aurai une saveur spéciale qui vous paraîtra âpre. Mais vous
vous habituerez à la longue à cette saveur vitale. Adieu, amis. Dieu soit avec vous. "

20. DE NEFTALI A GISCALA. RENCONTRE AVEC LE RABBI GAMALIEL

" Maître ! Maître ! Mais tu ne sais pas qui est devant nous ? C'est le rabbi Gamaliel ! Assis avec
des serviteurs, dan une caravane, à l'ombre du bois, à l'abri du vent. Ils sont en train de cuire un
agneau. Et maintenant, qu'allons-nous faire ? "
" Mais ce que nous voulions faire, amis. Nous suivons notre chemin ... "
" Mais Gamaliel appartient au temple. "
" Gamaliel n'est pas un perfide. N'ayez pas peur. Moi je vais de l'avant. "
" Oh ! je viens moi aussi " disent ensemble les cousins et tous les galiléens et Simon. Seul
l'Iscariote et, un peu moins, Thomas, paraissent peu décidés à s'avancer. Mais ils suivent les autres.
Quelques mètres encore, par un chemin de montagne creusé entre des parois boisées. Et puis le
chemin tourne et débouche sur une sorte de plateau qu'il traverse en s'élargissant pour redevenir
étroit et tortueux sous le couvert des branche entrelacés. Dans une clairière ensoleillée, mais en
même temps ombragée par les premières feuilles du bois, il y a quantité de gens sous une riche tente
et d'autres s'emploient dans un coin à faire tourner l'agneau au-dessus de la flamme.
Il n'y a pas à dire ! Gamaliel se soignait bien. Pour un homme en voyage, lui a mis en
mouvement un régiment de serviteurs et déplacé je sais pas combien de bagages. Maintenant il est
assis au milieu de sa tente : une toile tendue sur quatre piquets dorés, une sorte de baldaquin sous
lequel se trouvent des sièges bas couverts de coussins et une table montée sur des chevrettes ornées
de marqueteries, couverte d'une nappe très fine sur laquelle les serviteurs placent de la vaisselle
précieuse. Gamaliel semble une idole. Les mains ouvertes sur les genoux, raide, hiératique, il me
fait l'effet d'une statue. Autour de lui les serviteurs tournoient comme des papillons. Mais lui ne s'en
occupe pas. Il réfléchit, les paupières presque abaissées sur les yeux sévères et, quand il les lève, ses
yeux très foncés, profonds et pleins de pensée se découvrent, dans toute leur sévère beauté, de
chaque côté d'un nez allongé et fin et sous le front un peu dégarni d'un homme âgé, haut, marqué de
trois rides parallèles et où une grosse veine bleuâtre, dessine une V au milieu de la tempe droite.
Le bruit des pas de ceux qui arrivent fait retourner les serviteurs. Gamaliel aussi se retourne. Il
voit Jésus qui avance en tête et il a un mouvement de surprise. Il se lève et va au bord de la tente,
pas plus loin. Mais de là, il s'incline profondément, les bras croisées sur la poitrine. Jésus répond de
la même manière.
" Tu es ici, Rabbi ? " demande Gamaliel.
" Oui, rabbi " répond Jésus.
" Me permets-tu de te demander où tu vas ? "
" Il m'est agréable de te répondre. Je viens de Nephtali et je vais à
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Giscala. "
" A pieds ? Mais la route est longue et difficile à travers ces montagnes. Tu te fatigue trop. "
" Crois-moi. Si on me reçoit et si on m'écoute, cela m'enlève toute fatigue. "
" Alors ... permets-moi, pour une fois, d'être celui qui t'enlève la fatigue. L'agneau est prêt. Nous
aurions laissé les restes aux oiseaux car je n'ai pas l'habitude d'emporter les restes. Tu vois que cela
ne me dérange pas de t'inviter et, avec Toi, tes disciples. Je suis pour Toi, un ami, Jésus. Je ne te
crois pas inférieur à moi, mais plus grand. "
" Il le crois et je l'accepte. "
Gamaliel parle à un serviteur qui doit faire l'office du chef. Ce dernier communique les ordres, on
prolonge le tente et l'on décharge des nombreux mulets d'autres sièges pour les disciples de Jésus, et
de la vaisselle.
On apporte les coupes pour se purifier les doigts. Jésus, avec la plus grande dignité, accompli ce
rite pendant que les autres apôtres, que Gamaliel lorgne avec beaucoup d'attention, le font le moins
mal possible, à l'exception de Simon, Judas de Kériot, Barthélemy, Mathieu rompus aux finesses de
la Judée.
Jésus est à côté de Gamaliel qui est seul su un côté de la table. En face de Jésus, le Zélote. Après
la prière d'offrande, que Gamaliel dit avec une lenteur solennelle, les serviteurs découpent l'agneau
et le partagent entre les hôtes et ils emplissent les coupes de vin, ou hydromel pour ceux qui le
préfèrent.
" Le hasard nous a réunis, Rabbi. Je ne croyais pas vraiment pas te trouver en marche pour
Giscala. "
" Je vais vers tout le monde. "
" Oui, Tu es le Prophète infatigable. Jean est stable. Tu es un itinérant. "
" Il est plus facile, ainsi, aux âmes de Me trouver. "
" Je ne dirais pas cela. Avec ces déplacements, tu les désorientes. "
" Je désoriente les ennemis, mais ceux qui me veulent, parce qu'ils aiment la Parole de Dieu, me
trouvent. Non pas tous peuvent venir au Maître et le Maître, qui les veut tous, va vers eux. Je rends
ainsi service à ceux qui sont bons et je dépiste les manœuvres de ceux qui me haïssent. "
" Le dis-tu pour moi ? Moi je ne te haïs pas. "
" Non, ce n'est pas pour toi. Mais, puisque tu es juste et sincère, tu peux dire que ce que je dis
est vrai. "
" Oui. C'est vrai ; Mais ... vois-tu ... C'est que nous les anciens, nous
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te comprenons mal. "
" Oui, le vieil Israël me comprend mal, pour son malheur ... et par sa volonté. "
" Oh ! cela, non ! "
" Oui, rabbi. Il n'applique pas sa volonté à comprendre le Maître. Et qui se borne à cela fait mal,
mais est un mal relatif. Beaucoup, au contraire, appliquent leur volonté à comprendre de travers et à
déformer ma parole pour nuire à Dieu. "
" A Dieu, Lui est au-dessus des embûches des hommes. "
" Oui, mais toute âme qui égare ou qu'on égare -et c'est s'égarer que de déformer ma parole pour
soi-même ou pour les autres- nuit à Dieu dans l'âme qui se perd. Toute âme qui se perd est une
blessure faite à Dieu. "
Gamaliel baisse la tête et réfléchit, les yeux fermés. Puis il se frotte le front, de ses doigts longs
et maigres, en un mouvement involontaire de peine. Jésus l'examine attentivement. Gamaliel lève la
tête, ouvre les yeux, regarde Jésus et dit : " Cependant tu sais que moi, je ne suis pas de ces gens. "
" Je le sais ; Mais tu appartiens aux premiers. "
" Oh ! c'est vrai ! Mais ce n'est pas que je ne m'applique pas à te comprendre. C'est que ta parole
s'arrête à mon intelligence mais ne va pas plus loin. L'intelligence l'admire en tant que parole d'un
savant et l'esprit... "
" Et l'esprit ne peut la recevoir, Gamaliel, parce qu'il est encombré de trop de choses. Et ces
choses sont des ruines. Il y a peu de temps, en venant de Nephtali à cette direction, je suis passé par
une montagne isolée de la chaîne. J'ai eu le plaisir à y passer pour voir la beauté du lac de
Génésareth et du lac Meron, vus d'en haut comme les voient les aigles et les anges du Seigneur,
pour dire encore une fois : 'Merci, Créateur de la beauté que Tu nous donnes'. Toute la montagne
n'était que fleurs, touffes nouvelles, frondaisons printanières dans les près, les vergers, les champs,
les bois. Les lauriers répandaient leur parfum près des oliviers qui préparaient déjà la neige des
milliers de fleurs, et même les robustes rouvres se faisaient plus attrayantes en se revêtant de
clématites et de chèvrefeuilles. Voilà que là il n'y a pas de fleuraison, terre désertique que le travail
de l'homme et de la nature était impuissant à fertiliser ; Tout travail humain n'y aboutit à rien, ni
celui du vent qui transporte les semences car les ruines cyclopéennes de l'antique Hatzor
encombrent tout, et à travers ces champs de pierres ne peuvent croître que les orties et les ronces et
ne se nichent
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que les serpents, Gamaliel... "
" Je te comprends. Nous aussi nous sommes des ruines ... Je comprends la parabole, Jésus.
Mais ... je ne peux ... Je ne peux agir d'une autre façon. Les pierres sont trop profondément
enterrées. "
" Quelqu'un, en qui tu crois, t'a dit : 'Les pierres frémiront à mes dernières paroles'. Mais
pourquoi attendre les dernières paroles du Messie ? N'aurais-tu pas de remordre de n'avoir pas voulu
me suivre auparavant ? Les dernières .. ! Tristes paroles aussi, que celles d'un ami qui meurt et que
nous sommes allés écouter trop tard. Mais les miennes sont plus que les paroles d'un ami. "
" Tu as raison ... Mais je ne peux pas. J'attends ce signe pour croire. "
" Quand un terrain est désolé, un coup de foudre ne suffit pas pour le défricher. Ce n'est pas le
terrain qui le reçoit, mais les pierres qui le couvrent. Travaille au moins à le remuer, Gamaliel.
Autrement, si elles sont ainsi enfouies dans ton âme, le signe ne t'amènera pas à la croyance. "
Gamaliel se tait, absorbé. Le repas est fini. Jésus se lève et dit : " Je te rends grâce, mon Dieu,
du repas et d'avoir pu parler au sage. Et merci à toi, Gamaliel. "
" Maître, ne pars comme cela. Je crains que tu ne sois fâché avec moi. "
" Oh ! Non. Tu dois me croire. "
" Alors, ne pars pas. Je vais à la tombe de Hillel . Dédaignerais-tu de venir avec moi ? Nous
irons vite fait, car j'ai des mulets et des ânes pour tout le monde. Nous n'aurons qu'à les débarrasser
des bâts que porteront les serviteurs. Et ce sera pour Toi un raccourci dans la partie la plus difficile
de ton chemin. "
" Je ne dédaigne pas de t'accompagner sur la tombe d'Hillel. C'est pour moi un honneur. Allons-
y donc. "
Gamaliel donne des ordres, et pendant que tous travaillent à démonter la salle à manger
provisoire, Jésus et le rabbi montent sur une mule et, l'un à côté de l'autre, ils avancent sur la route
montante et silencieuse sue laquelle résonnent bruyamment les sabots ferrés.
Gamaliel garde le silence. Il demande seulement deux fois à Jésus si la selle est commode. Jésus
répond et puis se tait, absorbé dans ses pensées. Tellement qu'il ne voit pas que Gamaliel, en
retenant un peu sa mule le laisse passer devant d'une encolure pour étudier tous ses mouvements.
Les yeux du vieux rabbi paraissent des yeux de faucon guettant sa proie, tant ils sont attentifs et
fixes.
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Mais Jésus ne s'en aperçoit pas. Il avance calmement en s'adaptant au pas ondulant de sa monture. Il
réfléchit et pourtant examine chaque aspect de tout ce qui l'entoure. Il allonge la main pour cueillir
une touffe de cytise d'or qui retombe, il sourit à deux oiseaux qui font leur nid dans un genévrier
touffu, arrête la mule pour écouter une fauvette à tête noire et acquiesce, comme s'il bénissait, au cri
angoissé par lequel une tourterelle sauvage encourage son compagnon au travail.
" Tu aimes beaucoup les plantes et les animaux, n'est-ce pas ? "
" Beaucoup. C'est mon livre vivant. L'homme a toujours devant lui les fondements de la foi. La
Genèse vit dans la nature. Maintenant, qui sait regarder, sait aussi croire. Cette fleur, si douce en
son parfum et dans la matière de ses corolles pendantes, contrastant ainsi avec ce genévrier épineux
et cet ont piquant, a-t-elle pu se faire toute seule ? Et regarde ce rouge-gorge a-t-il pu ainsi se faire
tout seul avec cette pincée de sang séché sur sa douce gorge ? Et ceux deux tourterelles, où et
comment ont-elles pu se peindre ce collier d'onyx sur le voile de leur plumes grise, Et là, ces deux
papillons : l'un noir aux grands yeux d'or et de rubis, et l'autre blanc avec des rayures azurées, où
ont-ils trouvé les gemmes et les rubans pour leurs ailes ? Et ce ruisseau, C'est de l'eau. C'est bien.
Mais d'où est-elle vienne ? Quelle est sa source première de l'eau élément ? Oh ! regarder veut dire
croire, si on sait voir. "
" Regarder veut dire croire. Nous regardons trop peu la Genèse vivante qui est devant nous. "
" Trop de science, Gamaliel, et trop peu d'amour et trop peu d'humilité ".
Gamaliel soupire et secoue la tête.
" Voilà. Je suis arrivé, Jésus. Là est enterré Hillel. Descendons en laissant là nos montures. Un
serviteur les prendra. "
Ils descendent, attachent à un tronc d'arbre les deux mules et se dirigent vers un tombeau qui se
détache de la montagne, près d'une vaste demeure complètement close. " Je viens ici pour méditer,
pour préparer les fêtes d'Israël. Dit Gamaliel en montrant la maison.
" Que la Sagesse te donne toutes les lumières. "
" Et ici pour me préparer à la mort " et Gamaliel montre le tombeau. " C'était un juste. "
" C'était un juste. Je prie volontiers près de ses cendres. Mais, Gamaliel, Hillel ne doit pas
seulement t'apprendre à mourir. Il doit t'apprendre à vivre. "
" Comment, Maître ? "
" 'L'homme est grand quand il s'humilie'. C'était la pensée qu'il préférait... "
" Comme le sais-tu, si tu ne l'as pas connu ? "
" Je l'ai connu ... et du reste, si je n'avais pas connu le rabbi Hillel en personne, sa pensée, je l'ai
connu car je n'ignore rien de la pensée des hommes. "
Gamaliel baisse la tête et murmure : " Seul Dieu peut dire cela. "
" Dieu et son Verbe. Parce que le Verbe connaît la Pensée et la Pensée connaît le Verbe et l'aime
en se communiquant à Lui avec ses trésors pour le faire participer à Lui-Même. L'Amour resserre
les liens et en fait une seule Perfection ; C'est la Triade qui s'aime et qui divinement se forme,
s'engendre, procède et se complète. Toute pensée sainte est née dans l'Esprit parfait et en reste un
reflet dans l'esprit du juste. Alors le Verbe peut-Il ignorer les pensées des justes qui sont la pensée
de la Pensée ? "
Ils prient près du tombeau fermé. Longuement. Les disciples et puis les serviteurs les rejoignent,
les premiers sur leurs montures, les seconds sous le poids des bagages. Mais ils s'arrêtent à la limite
du près, au-delà duquel est le tombeau. La prière se termine.
" Adieu, Gamaliel. Elève-toi comme Hillel. "
" Que veux-tu dire ? "
" Elève-toi. Lui est devant toi parce qu'il a su croire plus humblement que toi. Paix à toi. "

L'ÉVANGILE TEL QU'IL M'A ÉTÉ RÉVÉLÉ


Volume 4°
* 20 % en ligne *
La deuxième année de la vie publique (deuxième partie)

Table des matières

VOL. 4. Chapitres 87-100


87. Le paralytique de la piscine de Béthsaida *
88. A Béthanie: « Maître, Marie a appelé Marthe »
89. Margziam confié à Porphyrée épouse de Pierre
90. Jésus parle à Béthsaida

91. L’hemorroissa et la fille de Jaïre


92. Jésus et Marthe à Capharnaüm
93. Guérison des deux aveugles et du muet possédé
94. Parabole de la brebis perdue
95. «Après avoir appelé la loi j’ai fait chanter l’espérance du pardon
96. Jésus dit à Marthe : « Tu as déjà ta victoire en main »
97. Marie madeleine dans la maison du pharisien Simon
98. « Il est beaucoup pardonné a qui aime beaucoup »
99. Considérations sur la conversion de Marie-Magdeleine
100. «Cela vaut la peine de perdre une amitié pour conquérir une âme » *

VOL. 4. Chapitres 101-110


101. Marie-Magdaleine accompagnée par Marie parmi les disciples
102. La parabole des pécheurs
103. Margziam enseigne le « Pater » à Marie-Magdeleine
104. Jésus à Philippe : « Je suis l’amant puissant ». La parabole de la drachme retrouvée
105. « Le savoir n’est pas corruption quand il est religion
106. Dans la maison de Cana
107. Jean répète le discours de Jésus sur le Thabor
108. Jésus à Nazareth
109. Le sabbat à la synagogue de Nazareth
110. La Mère instruit Marie de Magdala

VOL 4. Chapitres 111-120


111. A Bethléem de Galilée
112. « La vocation est plus que le sang » En allant vers Sicaminon
113. Aux disciples de Sicaminon : « Se brûler soi-même »
114. A Tyr. « Persévérer, voilà le grand mot »
115. Aux disciples de Sicaminon : la Foi
116. Jésus à Marie-Madeleine : « Je te travaillerai par le feu et sur l’enclume. »
117. Sintica l’esclave grecque
118. L’adieu à Marthe, à Marie-Madeleine et Sintica
119. Jésus parle de l’Espérance
120. Jésus va sur le Carmel avec Jacques d’Alphée

VOL 4. Chapitres 121-130


121. « Aimer parfaitement pour être saintement chef »
122. « Appelle fils celui qui te causera de la douleur »
123. Pierre prêche à Esdrelon : « L’amour c’est le salut »
124. Jésus aux paysans de Giocana : « L’amour est obéissance »
125. Marie très Sainte : « Ma pitié est plus forte que tout »
126. « l’accomplissement du bien est une prière plus grande que les psaumes. »
127. Une journée de l’Iscariote à Nazareth
128. Instructions aux apôtres pour le début de l’apostolat
129. « Es-tu le Messie ? » demandent les envoyés du Baptiste
130. Jésus travaille comme menuisier pour une veuve à Corozaïn

VOL. 4 Chapitres 131-140


131. L’amour est le secret et le commandement de la gloire »
132. « Le cœur n’est plus circoncis »
133. La mort de Jean Baptiste
134. « Allons à Tarichée »
135. En parlant avec un scribe
136. La première multiplication des pains
137. Jésus marche sur les eaux.
138. « Si vous avez la foi, je viens et je vous soustrais au danger »
139. La rencontre avec les disciples
140. L’avarice et le riche imbécile

VOL. 4 Chapitres 141-150


141. Dans le jardin de Marie de Magdala
142. Jésus envoie les soixante-douze pour l’annoncer
143. La rencontre avec Lazare au Champ des galiléens
144. Les soixante-douze rapportent à Jésus ce qu’ils ont fait
145. Au Temple, pour les tabernacles
146. Joseph et Nicodème rapportent qu’au temple on est informé de la présence de Jean d’Endor et
de Sintica
147. Sintica parle dans la maison de Lazare
148. La mission des quatre apôtres en Judée
149. Jésus quitte Béthanie pour l’autre rive du Jourdain
150. Le marchand d’au-delà de l’Euphrate

VOL. 4 Chapitres 151-160


151. De Ramot à Gerasa
152. La prédication à Gerasa
153. Le sabbat à Gerasa
154. La départ de Gerasa (avec le marchand Misace et ses chameaux)
155. En allant à Bozra
156. A Bozra
157 . Le discours et les miracles de Bozra
158. L’adieu aux femmes disciples (Le cadeau de Misace)
159. A Arbela
160. En allant à Aëra

VOL. 4 Chapitres 161-170


161 . Jésus prêche à Aëra
162. Marie et Mathias
163. « La fréquentation des sacrements est inutile si la charité fait défaut. »
164. « Il n’est pas de misère que Jésus ne puisse changer en richesse »
165. « Je voudrais que les orphelins aient une mère »
166. A Naïm dans la maison du ressuscité Daniel
167. Dans le bercail d’Endor
168. De Endor à Magdala
169 . Jésus à Nazareth pour les Encenies
170 . Jésus avec Jean d’Endor et Sintica à Nazareth

VOL. 4 Chapitres 171-178


171. Instructions de Jésus à Margziam
172. Simon le Zélote à Nazareth
173. Une soirée dans la maison de Nazareth
174. Jésus avec Salomé, épouse du cousin Simon
175. Le cousin Simon revient à Jésus.
176. Simon Pierre à Nazareth. La générosité de Margziam
177. « Rien ne se perd dans l’économie sainte de l’amour universel »
178. « Jean d’Endor, tu iras à Antioche »
87. LE PARALYTIQUE DE LA PISCINE DE BETHSAIDA

Jésus se trouve à Jérusalem et précisément aux environs de l'Antonia. Avec Lui sont tous les
apôtres sauf l'Iscariote. Une grande foule se hâte vers le Temple. Tout le monde est en habits de
fête, tant les apôtres que les autres pèlerins, et je pense donc que ce sont les jours de la Pentecôte.
Des nombreux mendiants se mêlent à la foule. Ils racontent plaintivement leurs misères en des
refrains apitoyés et ils se dirigent vers les meilleurs endroits, près des portes du temple ou au
croisement des chemins par lesquels la foule arrive. Jésus passe en faisant l'aumône à ces
malheureux qui s'ingénient à exposer leurs misères tout en faisant le récit. J'ai l'impression que
Jésus est déjà allé au Temple car j'entends les apôtres qui parlent de Gamaliel qui a fait semblant de
ne pas les voir bien qu'Etienne, un de ses auditeurs, lui ait signalé le passage de Jésus.
J'entends aussi Barthlémy qui demande à ses compagnons : " Qu'a-t-il voulu dire ce scribe par
cette phrase : 'Un groupe de moutons de boucherie ?'
" Il parlait de quelqu'affaire qui le concernait " dit Thomas
" Non, il nous montrait du doigt. Je l'ai bien vu. Et puis, la seconde phrase confirmait
la première: 'D'ici peu l'Agneau sera Lui aussi tondu et puis mené à l'abattoir'.
" Oui, j'ai entendu moi aussi " affirme André.
" Bon ! Mais je brûle d'envie de revenir en arrière et de demander aux compagnons du
scribe ce qu'il sait de Judas de Simon " dit Pierre.
" Mais il ne sait rien ! Cette fois Judas n'y est pas parce qu'il est réellement malade,
nous le savons, nous. Peut-être il a trop souffert du voyage que nous avons fait. Nous
nous sommes plus résistants, lui a vécu ici, confortablement. Il se fatigue facilement "
répond Jacques d'Alphée.
" Oui, nous le savons. Mais ce scribe a dit : 'Il manque le caméléon au groupe'. Le caméléon, n'est-
ce pas cet animal qui à son gré change de couleur ? " demande Pierre.
" Oui, Simon. Mais il a sûrement voulu parler de ses habits toujours nouveaux. Il y tient, il est
jeune. Il faut l'excuser ... " dit d'un ton conciliant le Zélote.
" C'est vrai cela aussi. Pourtant ! ... Quelles phrases curieuses ! " conclut Pierre.
" Il semble que toujours ils nous menacent " dit Jacques de
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Zébédée.
" Le fait est que nous nous savons menacés et nous voyons des menaces même où il
n'y en a pas..." observe Jude Thaddée.
" Et nous voyons des fautes même où il n'y en a pas " conclut Thomas.
" C'est bien vrai ! Le soupçon est une vilaine chose ... Qui sait comment va Judas
aujourd'hui ? En attendant, il jouit de ce paradis et de la présence de ces anges... J'aurais
plaisir à être malade moi aussi pour posséder tous ces délices ! " dit Pierre, et Barthlémy
lui répond : " Espérons qu'il sera bientôt guéri. Il faut terminer le voyage parce que la
saison chaude nous presse. "
" Oh ! les soins ne lui manquent pas, et puis ... le Maître y pensera si jamais " assure
André.
" Il avait beaucoup de fièvre quand nous l'avons quitté. Je ne sais comment elle lui est venue, ainsi
... "dit Jacques de Zébédée, et Mathieu lui répond : " Comment la fièvre arrive ! Parce qu'elle doit
venir. Mais ce ne sera pas rien. Le Maître ne s'en inquiète pas du tout. S'il avait vu du danger, il
n'aurait pas quitté le château de Jeanne. "
En effet Jésus n'est pas du tout inquiet. Il parle avec Margziam et avec Jean et va devant en
donnant des aumônes. Il explique certainement à l'enfant beaucoup de choses car je vois qu'il lui
indique tel et tel détail. Il se dirige vers l'extrémité des murs du Temple à l'angle nord-est. Là se
trouve une foule nombreuse qui s'en va vers un endroit où il y a des portiques qui précèdent une
porte que j'entends nommer 'du Troupeau'.
" C'est la probatique, la piscine de Bethsaïda ; Maintenant, regarde bien l'eau. Tu vois comme
elle est calme en ce moment ? D'ici peu tu verras qu'elle a une sorte de mouvement et qu'elle se
soulève en touchant ce signe humide. Le vois-tu ? Alors l'Ange du Seigneur descend, l'eau sent sa
présence et le vénère comme elle peut. L'Ange porte à l'eau l'ordre de guérir l'homme qui s'y plonge
rapidement. Vois-tu quelle foule ? Mais un trop grand nombre sont distraits et ne voient pas le
premier mouvement de l'eau ; ou bien, sans pitié, les plus forts repoussent les plus faibles. On ne
doit jamais se distraire en présence des signes de Dieu. Il faut garder l'âme toujours éveillée parce
qu'on ne sait jamais quand Dieu se manifeste ou envoie son Ange. Et il ne faut jamais être égoïste,
même pour raison de santé. Bien de fois, parce qu'ils sont restés à discuter sur celui qui touche le
premier ou qui en a davantage besoin, ces malheureux manquent le bienfait de la venue de
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l'Ange. " Jésus donne toutes ces explications à Margziam qui le regarde, les yeux grands ouverts,
attentifs, et pendant ce temps surveille aussi l'eau.
" Peut-on voir l'Ange ? Cela me plairait. "
" Lévi, un berger de ton âge, le vit. Regarde bien toi aussi et sois prêt à le louer. "
L'enfant ne se distrait plus. Ses yeux regardent alternativement l'eau et au-dessus de l'eau, et il
n'entend plus rien, ne voit rien d'autre. Jésus, pendant ce temps, regarde ce petit peuple d'infirmes,
d'aveugles, d'estropiés, de paralytiques, qui attendent. Les apôtres aussi observent attentivement. Le
soleil produit des jeux de lumière sur l'eau et envahit royalement les cinq rangées de portiques qui
entourent les piscines.
" Voilà, voilà ! " crie Margziam ; " L'eau se gonfle, s'agite, resplendit ! Quelle lumière !
L'Ange ! " ... et l'enfant s'agenouille.
En effet, pendant le mouvement du liquide dans le bassin, ce liquide semble augmenter
de volume par un flot subit et immense qui le gonfle et s'élève vers le bord. L'eau
resplendit comme un miroir au soleil. Une lueur éblouissant pendant un instant. Un
boiteux se plonge rapidement dans l'eau pour en sortir peu après, avec sa jambe, déjà
marquée d'une grande cicatrice, parfaitement guérie. Les autres se plaignent et se
disputent avec l'homme guéri. Ils lui disent qu'enfin lui pouvait encore travailler, mais
pas eux. Et la dispute se prolonge.
Jésus regarde tout autour et voit sur un grabat un paralytique qui pleure doucement. Il
s'en approche, se penche et le caresse en lui demandant : " Tu pleures ? "
" Oui. Personne ne pense jamais à moi. Je reste ici, je reste ici, tous guérissent, moi, jamais. Cela
fait trente-huit ans que je suis sur le dos. J'ai tout dépensé, les miens sont morts, maintenant je suis à
charge à un parent éloigné qui me porte ici le matin et me reprend le soir... Mais comme cela lui
pèse de le faire ! Oh ! Je voudrais mourir ! "
" Ne te désole pas. Tu as eu tant de patience et de foi ! Dieu t'exaucera. "
" Je l'espère ... mais il me vient des moments de découragement. Toi, tu es bon, mais les
autres ... Celui qui est guéri pourrait par reconnaissance pour Dieu rester ici pour secourir les
pauvres frères... "
" Ils devraient le faire, en effet. Mais n'aie pas de rancœur. Ils n'y pensent pas, ce n'est pas de la
mauvaise volonté. C'est la joie de la
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guérison qui les rend égoïstes. Pardonne leur... "
" Tu es bon, Toi. Tu n'agirais pas ainsi. Moi, j'essaye de me traîner avec les mains jusque là,
lorsque l'eau du bassin s'agite. Mais toujours un autre me passe devant et je ne puis rester près du
bord, on me piétinerait. Et même si je restais là, qui m'aiderait à descendre ? Si je t'avais vu un peu
pus tôt, je te l'aurais demandé... "
" Veux-tu vraiment guérir ? Alors, lève-toi, prends ton lit et marche ! " Jésus s'est redressé pour
donner son ordre et il semble qu'en se relevant il relève aussi le paralytique, qui se met debout et
puis fait un, deux, trois pas, comme s'il n'y croyait pas, derrière Jésus qui s'en va, et comme il
marche vraiment, il pousse un cri qui fait retourner tout le monde.
" Mais, qui es-Tu ? Au nom de Dieu, dis-le-moi ! L'Ange du Seigneur, peut-être ? "
" Je suis plus qu'un ange. Mon nom est Pitié. Va en paix. "
Tous se rassemblent. Ils veulent voir.Ils veulent parler. Ils veulent guérir. Mais les gardes du
temple accourent. Je crois qu'ils surveillent aussi la piscine et ils dispersent par des menaces cette
assemblée bruyante.
Le paralytique prend son brancard -deux barres montées sur deux paires de roues et une toile
usée clouée sur les barres- et il s'en va, heureux en criant à Jésus : " Je te retrouverai. Je n'oublierai
pas ton nom et ton visage. "
Jésus, en se mêlant à la foule, s'en va d’un autre côté, vers les murs. Mais il n'a pas
encore dépassé le dernier portique qu’arrivent, comme s'ils étaient poussés par une rafale
de vent, un groupe de juifs des pires castes, tous enflammés par le désir de dire des
insolences à Jésus. Ils cherchent, regardent, scrutent. Mais ils n'arrivent pas bien à
comprendre de qui il s'agit, et Jésus s'en va alors que ceux-ci, déçus, d'après les
renseignements des gardiens, assaillissent le pauvre paralytique guéri et heureux et lui
font des reproches : " Pourquoi emportes-tu ce lit ? C'est le sabbat. Cela ne t'est pas
permis. "
L'homme les regarde et dit : " Moi je ne sais rien. Je sais que celui qui m'a guéri m'a dit
: 'Prends ton lit et marche.' Voilà ce que je sais. "
" C'est sûrement un démon car il t'a ordonné de violer le sabbat. Comment était-il ? Qui était-ce ?
Un juif ? Un galiléen ? Un prosélyte ? "
" Je ne sais pas. Il était ici. Il m'a vu pleurer et s'est approché de moi. Il m'a parlé. Il m'a guéri. Il
s'en est allé en tenant un enfant
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par la main. Je crois que c'est son fils, car il peut bien avoir un fils de cet âge. "
" Un enfant ? Alors ce n'est pas Lui !... Comment a-t-il dit qu'il s'appelait ? Ne le lui as-tu pas
demandé ? Ne mens pas ! "
" Il m'a dit qu'il s'appelait Pitié. "
" Tu es un imbécile ! Ce n'est pas un nom, cela ! "
L'homme hausse les épaules et s'en va.
Les autres disent : " C'était sûrement Lui. Les scribes Ania et Zachée l'ont vu au Temple. "
" Mais Lui n'a pas d 'enfants ! "
" Et pourtant, c'est Lui. Il était avec ses disciples. "
" Mais Judas n'y était pas. C'est celui que nous connaissons bien.. Les autres ... peuvent être des
gens quelconques. "
" Non, c'étaient eux. "
Et la discussion continue alors que les portiques se remplissent de malades ...
Jésus rentre dans le temple par une autre côté, du côté ouest qui est celui qui est
davantage en face de la ville. Les apôtres le suivent. Jésus regarde tout autour et
finalement voit ce qu'il cherche : Jonathas qui, de son côté, le cherche.
" Il va mieux, Maître. La fièvre tombe. Ta Mère dit aussi qu'Elle espère pouvoir venir d'ici le
prochain sabbat. "
" Merci, Jonathas, tu as été ponctuel. "
" Pas très. J'ai été retenu par Maximin de Lazare. Il te cherche. Il est allé au portique de
Salomon."
" Je vais le rejoindre. La paix soit avec toi, et porte ma paix à ma Mère et aux femmes
disciples, en plus de Judas. "
Et Jésus s'en va vivement vers le portique de Salomon où en effet il trouve Maximin.
" Lazare a su que Tu étais ici. Il veut te voir pour te dire une chose importante.
Viendras-tu ?"
" Sans aucun doute et sans tarder. Tu peux lui dire qu'il m'attende dans le courant de la
semaine. "
Maximin s'en va lui aussi après quelques autres paroles.
" Allons prier encore, puisque nous sommes revenus jusqu'ici " dit Jésus et il va vers l'atrium
des hébreux.
Mais, tout près de là, il rencontre le paralytique guéri qui est venu remercier le Seigneur. Le
miraculé le voit au milieu de la foule, il le salue joyeusement et Lui raconte ce qui est arrivé à la
piscine après son départ. Et il termine : " Quelqu'un qui est étonné de me voir ici en bonne santé m'a
dit qui Tu es. Tu es le Messie. Est-
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ce vrai ? "
" Je le suis.Mais même si tu avais été guéri par l'eau ou par une autre puissance, tu aurais
toujours le même devoir envers Dieu, celui d'user de ta santé pour bien agir. Tu es guéri. Va donc,
avec de bonnes intentions, reprendre les activités de la vie, et ne pèche jamais plus. Que Dieu n'ait
pas à te punir davantage encore. Adieu. Va en paix. "
" Je suis âgé ...je ne sais rien.. Mais je voudrais te suivre pour te servir et pour savoir. Veux-tu
de moi ? "
" Je ne repousse personne. Réfléchis cependant avant de venir, et si tu te décides, viens. "
" Où ? Je ne sais pas où tu vas... "
" A travers le monde. Partout tu trouveras des disciples qui te guideront vers Moi. Que le
Seigneur t'éclaire pour le mieux.
Jésus maintenant va à sa place et prie.
Je ne sais si le miraculé va spontanément trouver les juifs ou si ceux-ci, étant aux
aguets, l'arrêtent pour lui demander si celui qui lui a parlé est celui qui l'a
miraculeusement guéri. Je sais que l'homme parle avec les juifs et puis s'en va, alors que
ceux-ci vont près de l'escalier par lequel Jésus doit descendre pour passer dans les autres
courts et sortir du temple. Quand Jésus arrive, sans le saluer, Lui disent: "Tu continues
donc à violer le sabbat malgré tous les reproches qui t'ont été faits? Et tu veux qu'on te
respecte comme envoyé de Dieu?"
" Envoyé ? Davantage encore : comme Fils, car Dieu est mon Père. Si vous ne voulez
pas me respecter, abstenez-vous-en. Mais Moi, je ne cesserai pour autant d'accomplir ma
mission. Il n'est pas un seul instant où Dieu ne cesse d'œuvrer. Maintenant encore mon
Père œuvre et Moi aussi j'œuvre, car un bon fils fait ce que fait son Père, parce que c'est
pour œuvrer que je suis venu sur la terre. "
Des gens s'approchent pour écouter la discussion. Parmi eux il y en a qui connaissent Jésus,
d'autres à qui Il a fait du bien, d'autres encore qui le voient pour la première fois. Certains l'aiment,
d'autres le haïssent, beaucoup restent incertains. Les apôtres entourent le Maître. Margziam a
presque peur et son petit visage semble près des larmes.
Les juifs, un mélange de scribes, pharisiens, et sadducéens, crient bien haut leur scandale : " Tu
oses ! Oh ! Il se dit le fils de Dieu ! Sacrilège ! Dieu est celui qui est et Il n'a pas de fils ! Mais
appelez Gamaliel ! Mais appelez Sadoc ! Rassemblez les rabbis pour qu'ils l'entendent et le
confondent. "
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" Ne vous agitez pas. Appelez-les et ils vous diront, s'il est vrai qu'ils savent, que Dieu est Un et
Trin : Père, Fils et Saint-Esprit et que le verbe, c'est-à-dire le Fils de la pensée, est venu, comme on
l'avait prophétisé, pour sauver du Péché Israel et le monde. Je suis le verbe. Je suis le Messie
annoncé. Pas de sacrilège donc si j'appelle mon Père celui qui est le Père. Vous vous inquiétez parce
que j'accomplis des miracles, parce que grâce à eux j'attire à Moi les foules et les persuade. Vous
m'accusez d'être un démon parce que j'opère des prodiges. Mais Bezébuth est dans le monde depuis
des siècles et, en vérité, il ne manque pas d'adorateurs dévoués... Pourquoi alors ne fait-il pas ce que
je fais ? "
Les gens chuchotent : " C'est vrai ! C'est vrai ! Personne ne fait ce qu'il fait, Lui. "
Jésus continue : " Je vous le dis : c'est parce que je sais ce que lui ne sais pas, et que je peux ce
que lui ne peut pas. Si je fais les œuvres de Dieu, c'est parce que je suis son Fils. De lui-même
quelqu'un ne peut arriver à faire ce qu'il a vu faire. Moi, le Fils, je ne puis faire que ce que j'ai vu
faire du Père car je suis Un avec Lui dans les siècles des siècles, pas différent de Lui en nature et en
puissance. Toutes les choses que fait le Père, je le fais Moi aussi qui suis son Fils. Ni Bezébuth ne
d'autres ne peuvent faire ce que je fais, parce que Belzébuth et les autres ne savent pas ce que je
sais. Le Père m'aime. Pour cela Il m'a montré et me montre tout ce qu'lI fait, afin que je fasse ce
qu'il fait, Moi, sur la terre en ce temps de grâce, Lui au Ciel, avant que le Temps existât pour la
terre. Et Il me montrera des œuvres toujours plus grandes afin que je les accomplisse et que vous
restiez émerveillés.
Sa Pensée est inépuisable dans son action. Moi, je l'imite, étant également inépuisable dans
l'accomplissement de ce que pense le Père et veut par sa pensée. Vous, vous ne savez pas encore ce
que crée sans jamais s'épuiser l'Amour. Nous sommes l'Amour. Il n'y a pas de limites pour Nous, et
il n'est rien qui ne puisse être appliqué aux trois degrés de l'homme : l'inférieur, la supérieur, le
spirituel. En effet, de même que le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, Moi également, le
Fils, je peux donner la vie à qui je veux et même , à cause de l'amour infini que le Père a pour le
Fils, il m'est accordé non seulement de rendre la vie à la partie inférieure, mais bien aussi à la partie
supérieure en délivrant la pensée de l'homme et son cœur des erreurs de l'esprit et des passions
mauvaises, et à la partie spirituelle en rendant à l'esprit l'indépendance à l'égard
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du péché. Le Père, en effet, ne juge personne, car Il a remis tout jugement au Fils, car le Fils est
Celui qui, par son propre sacrifice a acheté l'Humanité pour la racheter. Et cela, le Père le fait par
justice, car il est juste que l'on donne à Celui qui paie avec sa propre monnaie, et pour que tous
honorent le Fils, comme déjà ils honorent le Père.
Sachez que, si vous séparez le Père du Fils, ou le Fils du Père, et ne vous souvenez pas de
l'Amour, vous n'aimez pas Dieu comme Il doit être aimé : avec vérité et sagesse, mais vous
commettez une hérésie parce que vous n'honorez qu'un seul, alors qu'Eux sont une admirable trinité.
Aussi celui qui n'honore pas le Fils, c'est comme s'il n'honorait pas le Père, car le Père, Dieu,
n'accepte pas qu'une seule partie de Lui-même soit adorée, mais Il veut que soit adoré son Tout.
Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père qui l'a envoyé dans une pensée parfaite d'Amour.
Il refuse donc de reconnaître que Dieu sait faire des œuvres justes.
En vérité je vos dis que celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé possède la
vie éternelle et n'est pas frappé par la condamnation, mais il passe de la mort à la vie parce que
croire en Dieu et recevoir ma parole signifie recevoir en soi-même la Vie qui ne meurt pas. L'heure
arrive et même pour beaucoup elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et
où vivra celui qui l'aura entendue résonner vivifiante au fond de son cœur.
Que dis-tu, scribe ? "
" Je dis que les morts n'entendent plus rien et que tu es fou. "
" Le Ciel te persuadera qu'il n'en est pas ainsi et que ta science est nulle comparée à celle de
Dieu. Vous avez tellement humanisé les choses surnaturelles que vous ne donnez plus aux mots
qu'une signification immédiate et terrestre. Vous avez enseigné l'Haggadda avec des formules
figées, les 'votre', sans vous efforcer de comprendre les allégories dans leur vérité, et maintenant, en
votre âme, épuisée d'être pressée par une humanité qui triomphe de l'esprit, vous ne croyez même
plus à ce que vous enseignez. Et c'est la raison pour laquelle vous ne pouvez plus lutter contre les
forces occultes.
La mort, dont je parle, n'est pas celle de la chair, mais celle de l'esprit. Viendront ceux qui
entendent de leurs oreilles ma parole et l'accueillent en leur cœur et la mettent en pratique. Ceux-là,
même s'ils sont morts en leur esprit, recouvreront la vie parce que ma parole est Vie qui se répand.
Et Moi, je peux la donner à qui je
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veux, parce qu'en Moi existe la perfection de la Vie, parce que, comme le ¨ère a en Lui la Vie
parfaite, le Fils a eu du Père la Vie, en Lui-même parfaite, complète, éternelle, inépuisable et
transmissible. Et avec la Vie, le Père m'a donné le pouvoir de juger, car le Fils du Père est le Fils de
l'Homme, et il peut et doit juger l'homme.
Et ne vous étonnez pas de cette première résurrection, la spirituelle, que Moi j'opère par ma
parole. Vous en verrez de plus fortes encore, plus fortes pour vos sens alourdis, car en vérité je vous
dis qu'il n'y a rien de plus grand que l'invisible mais réelle résurrection d'un esprit. Bientôt viendra
l'heure où la voix du Fils de Dieu pénétrera dans les tombeaux et tous ceux qui s'y trouvent
l'entendront. Et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour aller à la résurrection de la Vie
éternelle, et ceux qui auront fait le mal à la résurrection de la condamnation éternelle.
Je ne vous dis pas que cela je le fais et le ferai pour Moi-même, par ma seule volonté, mais par
la volonté du Père unie à la mienne. Je parle et je juge d'après ce que j'entends et mon jugement est
droit parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé.
Je ne suis pas séparé du Père. Je suis en Lui, et Lui est en Moi, et je connais sa Pensée et la
traduis en paroles exactes.
Ce que je dis pour me rendre témoignage à Moi-même ne peut être acceptable pour votre esprit
incrédule qui ne veut voire en Moi rien d'autre que l'homme semblable à vous tous. Il y en a aussi
un autre qui rend témoignage pour Moi et dont vous dites que vous le vénérez comme un grand
prophète. Je sais que son témoignage est vrai, mais vous, vous qui dites que vous le vénérez, vous
n'acceptez pas son témoignage parce qu'il est différent de votre pensée qui m'est ennemie. Vous ne
recevez pas le témoignage de l'homme juste, du dernier Prophète d'Israel parce que, quand cela ne
vous convient pas, vous dites qu'il n'est qu'un homme et peut se tromper.
Vous avez envoyé de gens pour interroger Jean espérant qu'il dirait de Moi ce que
vous désirez,ce que vous pensez de Moi, ce que vous voulez penser de Moi. Mais Jean a
rendu un témoignage de vérité, et vous n'avez pu l'accepter. Puisque le Prophète dit que
Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu, dans le secret de vos cœurs, parce que vous
craignez les foules, vous dites que le Prophète est un fou, comme l'est le Christ. Moi
aussi, cependant, je ne reçois pas le témoignage de l'homme, fût-il le plus saint d'Israel.
Je vous dis :
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il était la lampe allumée et lumineuse mais vous avez bien peu voulu jouir de sa lumière. Quand
cette lumière s'est projetée sur Moi, pour vous faire connaître le Christ pour ce qu'Il est, vous avez
laissé mettre la lampe sous le boisseau et avant encore vous avez dressé entre elle et vous un mur
pour ne pas voir dans sa lumière le Christ du Seigneur.
Je suis reconnaissant à Jean de son témoignage et le Père lui en est reconnaissant. Et
Jean aura une grande récompense pour le témoignage qu'il a rendu, lumineux aussi pour
ce motif au Ciel, le premier soleil qui y resplendira de tous les hommes là-haut,
lumineux comme le seront tous ceux qui auront été fidèles à la Vérité et affamés de
Justice. Mais Moi, cependant, j'ai un témoignage plus grand de celui de Jean et ce
témoignage ce sont mes œuvres. Parce que les œuvres que le Père m'a donné
d'accomplir, ces œuvres je les fais et elles témoignent que le Père m’a envoyé en me
donnant tout pouvoir. Et ainsi c'est le Père Lui-même qui m'a envoyé, c'est Lui qui
témoigne en ma faveur.
Vous n'avez jamais entendu sa Voix ni vu son Visage, mais Moi je l'ai vu et je le vois,
je l'ai entendu et je l'entends. Vous n'avez pas, demeurant en vous, sa Parole parce que
vous ne croyez pas à Celui qu'Il a envoyé.
Vous étudiez l'Écriture parce que vous croyez obtenir par sa connaissance le Vie éternelle. Et ne
vous rendez-vous pas compte alors que ce sont justement les Écritures qui parlent de Moi ? Et
pourquoi alors continuez-vous à ne pas vouloir venir à Moi pour avoir le Vie ? Moi, je vous le dis :
c'est parce que, quand une chose est contraire à vos idées invétérées, vous la repoussez. Il vous
manque l'humilité. Vous ne pouvez arriver à dire : 'Je me suis trompé. Celui-ci, ou ce livre, dit ce
qui est moi et je suis dans l'erreur.' C'est ainsi que vous avez agi avec jean, avec les Écritures, avec
le Verbe qui vous parle. Vous ne pouvez plus voir ni comprendre parce que vous êtes prisonniers de
l'orgueil et étourdis par vos voix.
Croyez-vous que je parle ainsi parce que je veux être glorifié par vous ? Non, sachez-le, je ne
cherche ni accepte la gloire qui vient des hommes. Ce que je cherche et veux, c'est votre salut
éternel. Voilà la gloire que je cherche. Ma gloire de Sauveur, qui ne peut exister si je ne possède pas
des sauvés, qui augmente avec le nombre de ceux que je sauve, qui doit m'être donnée par les
esprits que j'ai sauvés et par le Père, Esprit très pur. Mais vous, vous ne serez pas sauvés. Je vous
connais pour ce que vous êtes. Vous n'avez pas
16
en vous l'amour de Dieu, vous êtes sans amour. C'est pour cela que vous ne venez pas à l'Amour qui
vous parle et vous n'entrerez pas dans le Royaume de l'Amour. Là vous êtes des inconnus. Le Père
ne vous connaît pas parce que vous ne me connaissez pas Moi qui suis dans le Père. Vous ne voulez
pas me connaître.
Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas, alors que vous êtes
disposés à recevoir quiconque viendrait en son propre nom, pourvu qu'il vous dise ce qui
vous plaît. Vous dites que vous êtes des esprit de foi ? Non, vous ne l'êtes pas. Comment
pouvez-vous croire,vous qui mendiez la gloire les uns aux autres et ne cherchez pas la
gloire de Cieux qui vient de Dieu seul? La gloire qui est vérité ne se complaît pas aux
intérêts qui s'arrêtent à la terre et caressent seulement l'humanité vicieuse des fils
dégradés d'Adam.
Moi, je ne vous accuserai pas auprès du Père. Ne le pensez pas. Il y a déjà quelqu'un
qui vous accuse. Ce Moïse en qui vous espérez. Lui vous reprochera de ne pas croire en
lui puisque vous ne croyez pas en Moi, car lui a écrit sur moi et vous ne me reconnaissez
pas d'après ce qu'il a laissé écrit de Moi. Vous ne croyez pas aux paroles de Moïse qui
est le grand sur lequel vos jurez. Comment pouvez-vous alors croire aux miennes, à
celles du Fils de l'Homme en qui vous n'avez pas foi, Humainement parlant, c'est
logique. Mais ici, nous sommes dans le domaine de l'esprit et vos âmes y sont
confrontées. Dieu les observe à la lumière de mes œuvres et confronte les actions que
vous faites avec ce que je suis venu enseigner. Et Dieu vous juge.
Quant à moi, je m'en vais. Pendant longtemps vous ne me trouverez pas. Et croyez aussi que ce
n'est pas pour vous un triomphe, mais un châtiment. Partons. "
Et Jésus fend la foule qui en partie est muette, en partie chuchote des approbations que la peur
des pharisiens réduit à des chuchotements. Jésus s'en va.

88. A BETHANIE. « MAITRE, MARIE A APPELE MARTHE »

Jésus, en compagnie du Zélote, arrive au jardin de Lazare par une belle matinée d’hiver.
L’aurore n’est pas encore à sa fin, aussi
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tout est frais et riant.
Le jardinier, qui accourt recevoir la Maître, Lui montre un pan de vêtement blanc qui disparaît
derrière une haie et il dit : « Lazare va à la tonnelle des jasmins avec des rouleaux qu’il va lire. Je
vais l’appeler. »
« Non. J’y vais, seul. »
Et Jésus marche rapidement le long d’un sentier bordé d’une haie en fleurs. L’herbette, qui est le
long de la haie, atténue le bruit des pas, et Jésus cherche à poser le pied justement sur elle pour
arriver à l’improviste devant Lazare.
Il le surprend debout, avec ses rouleaux posés sur une table de marbre, qui prie à haute
voix : « Ne me déçois pas, Seigneur. Ce brin d’espérance qui est né dans mon cœur, Toi,
fais-le grandir. Donne-moi ce que par mes larmes, je t’ai demandé dix et cent et mille
fois. Ce que je t’ai demandé par mes actions, par le pardon, par tout moi-même. Donne-
le-moi en échange de ma vie. Donne-le-moi au nom de ton Jésus qui m’a promis cette
paix. Peut-Il mentir ? Dois-je penser que sa promesse a été un vain mot ? Que son
pouvoir est inférieur à l’abîme de péché qu’est ma sœur ? Dis-le-moi, Seigneur, pour que
je me résigne par amour pour Toi … »
« Oui, je te le dis ! » dit Jésus.
Lazare se retourne vivement et crie : « Oh ! mon Seigneur ! Mais quand es-Tu venu ? » et il se
penche pour baiser le vêtement de Jésus.
« Il y a quelques minutes. »
« Seul ? »
« Avec Simon le Zélote, mais ici, où tu es, je suis venu seul. Je sais que tu dois me
dire une grande . Dis-la-moi, donc. »
« Non. Auparavant réponds à la question que j’ai posée à Dieu. Suivant ta réponse, je te la dirai. »
« Dis-la-moi cette grande . Tu peux la dire… » et Jésus sourit en ouvrant les bras pour l’inviter.
« Dieu Très-Haut ! Mais est-ce vrai ? Toi, alors, tu sais que c’est vrai ?! » et Lazare se
réfugie dans les bras de Jésus pour Lui confier sa grande chose.
« Marie a appelé Marthe à Magdala. Et Marthe est partie, inquiète, craignant quelque grand
malheur…. Et moi, je suis resté seul ici, avec la même crainte. Mais Marthe m’a fait parvenir une
lettre par le serviteur qui l’a accompagnée, une lettre qui m’a rempli d’espoir. Regarde, je l’ai ici,
sur le cœur. Je la garde là, parce qu’elle m’est plus précieuse qu’un trésor. Ce ne sont que quelques
mots, mais je les lis de temps en temps pour être certain qu’ils ont
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bien été écrits. Regarde… » et Lazare sort de son vêtement un petit rouleau lié par un
ruban violet et il le déroule : « Tu vois ? Lis, lis à haute voix. Lue par Toi, la chose me
paraîtra plus certaine. »
<<« Lazare, mon frère, à toi paix et bénédiction. Je suis arrivée rapidement et en bonnes conditions.
Et mon cœur n’a plus palpité par la crainte de nouveaux malheurs, parce que j’ai vu Marie, notre
Marie, en bonne santé et … dois-je le dire ? Elle est moins agitée qu’auparavant. Elle a pleuré sur
mon cœur, des pleurs interminables… Et puis, à la nuit, dans la pièce dont elle m’avait conduite,
elle m’a demandé tant et tant de choses sur le Maître. Rien de plus pour le moment. Mais moi, qui
vois le visage de marie, et qui entends ses paroles, je dis qu’en mon cœur est née l’espérance. Prie,
mon frère. Espère. Oh ! si c’était vrai ! Je reste encore parce que je comprends qu’elle me veut
après d’elle comme pour être défendue contre la tentation et pour apprendre… Quoi ? Ce que nous
nous savons déjà : la bonté infinie de Jésus. Je lui ai parlé de cette femme venue à Béthanie … Je
vois qu’elle pense, pense, pense… Il nous faudrait Jésus. Prie. Espère. Le Seigneur soit avec
toi. »>> Jésus replie le rouleau et le rend.
« Maître… »
« J’irai. Peux-tu prévenir Marthe qu’elle vienne à ma rencontre à Capharnaüm d’ici une quinzaine
de jours, au plus ? »
« Oui, je peux, Seigneur. Et moi ? »
« Tu restes ici. Marthe aussi, je la renverrai ici. »
« Pourquoi ? »
« Parce que ceux qui sont rachetés ont une pudeur profonde et rien ne les impressionne plus que
l’œil d’un père ou d’un frère. Moi aussi je te dis : ‘Prie, prie, prie.’ »
Lazare pleure sur la poitrine de Jésus … Ensuite, après s’être repris, il parle encore de son
inquiétude, de ses découragements… « Cela fait presque un an que j’espère … que je désespère …
Comme il est long le temps de la résurrection !... » s’écrie-t-il. Jésus le laisse parler, parler, parler
… jusqu’à ce que Lazare s’aperçoit qu’il manque à ses devoirs de l’hospitalité, et il se lève pour
conduire Jésus à la maison. Pour y arriver, ils passent près d’hune haie touffue de jasmins en fleurs,
sur leurs corolles en forme d’étoiles bourdonnent des abeilles d’or.
« Ah ! J’ai oublié de te dire… Le vieux patriarche que tu m’as envoyé est retourné dans le sein
d’Abraham. Maximin l’a trouvé assis ici, la tête appuyée contre cette haie comme s’il s’était
endormi près des ruches dont il prenait soin comme si elles avaient
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été des maisons toutes pleines d’enfants dorées. C’est le nom qu’il donnait aux abeilles.
Il paraissait les comprendre et en être compris. Et sur le patriarche endormi dans la paix
de sa bonne conscience, quand Maximin le trouva, il y avait un voile précieux de petits
corps couleur d’or. Toutes les abeilles étaient posées sur leur ami. Les serviteurs eurent
du mal à les détacher de lui. Il était si bon que peut-être il avait un goût de miel… Il était
si honnête que peut-être pour les abeilles c’était comme une corolle non contaminée…
J’en ai eu du chagrin. J’aurais voulu l’avoir plus longtemps dans ma maison. C’était un
juste… »
« Ne le pleure pas. Il est dans la paix et du lieu de la paix il prie pour toi qui as adouci
ses derniers jours. Où est-il enterré ? »
« Au fond du verger, encore près de ses ruches. Viens que je t’y conduise… »
Et ils s’en vont par un petit bois de lauriers cireux, vers les ruches d’où arrive un
bourdonnement laborieux…

23 juillet, 8h du matin.
C’est un Judas bien pâle qui descend du char avec la Madone et les autres femmes
disciples, c'est-à-dire les Marie, Jeanne et Elise. ..
… et à cause du bruit qu’il y a eu dans la maison ce matin, je n’ai pas pu écrire pendant que je
voyais et alors, maintenant qu’il est 18 heures, je ne peux que dire ce que j’ai compris et entendu.
Judas convalescent est revenu auprès de Jésus, qui est à Gethsémani, avec marie qui l’a soigné et
Jeanne qui a insisté pour que les femmes et le convalescent reviennent en char en Galilée. Jésus est
d’accord et fait monter aussi l’enfant avec elles. Par contre Jeanne et Elise restent à Jérusalem pour
quelques jours pour retourner ensuite, Elise à Bétsur, Jeanne à Béther. Je me souviens qu’Elise
disait : « Maintenant j’ai le courage d’y retourner parce que ma vie n’est plus sans but. Je te ferai
aimer de mes amis. » Et je me rappelle que Jeanne ajoute : « Et moi, je le ferai sur mes terres, tant
que Chouza me laisse ici. Ce sera encore te servir bien que je préférerais te suivre. »
Je me souviens aussi que Judas disait qu’il n’avait pas regretté sa mère même aux heures les
plus mauvaises de sa maladie parce que « ta Mère a été une vraie mère pour moi, douce et aimante,
et je ne l’oublierai jamais » a-t-il dit. Le reste est confus (pour les paroles) et donc je n’en parle pas
parce que c’est moi qui les dirais et non les personnes de la vision.

89. MARGZIAM CONFIE’ A PORPHYREE EPOUSE DE PIERRE.

Jésus est sur le lac de Galilée avec ses apôtres. C’est de grand matin. Tous les apôtres sont là
parce que même Judas, parfaite-
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ment guéri est avec eux, le visage rendu plus doux par la souffrance et par les soins
qu’on lui a donnés. Il y a aussi Margziam un peu ému de se trouver sur l’eau pour la
première fois. Il ne veut pas le faire paraître, mais à chaque tangage un peu violent, il
s’agrippe avec un bras au cou de la brebis qui parage sa peur en bêlant lamentablement,
et de l’autre bras il saisit ce qu’il peut, un mât, un siège, une rame qui se trouve à sa
portée, ou même à la jambe de Pierre ou d’André ou des mousses qui passent en faisant
leurs manœuvres et il ferme les yeux, persuadé peut-être que c’est sa dernière heure.
Pierre lui de temps en temps, en lui donnant une tape sur les joues : « Hé ! Tu n’as pas peur ? Un
disciple ne doit jamais avoir peur… » Et l’enfant, de la tête fait signe que non, mais comme le vent
augmente et que l’eau s’agite de plus en plus à mesure que l’on s’approche de l’embouchure du
Jourdain, il se raidit davantage et ferme plus souvent les yeux quand, à une embardée imprévue par
une vague qui prend la barque de flanc, il pousse un cri de terreur.
Alors il y en a qui rit et qui raille en plaisantant Pierre d’être devenu le père d’un
garçon qui n’a pas le pied marin, et qui plaisant Margziam qui dit toujours qu’il veut
aller par terres et par mers prêcher Jésus et qui a peur de faire quelques stades sur un lac.
Mais Margziam se défend en disant : « Chacun a peur d’une chose inconnue. Moi de
l’eau, Judas de la mort… »
Je comprends que Judas a eu grand peur de mourir, et je m’étonne qu’il ne réagisse pas à cette
observation mais qu’il au contraire dise : « Tu as bien dit. On a peur de ce qu’on ne connaît pas.
Mais maintenant nous allons arriver. Bethsaïda est à quelques stades et tu es sûr d’y trouver de
l’amour. Moi, je voudrais me trouver ainsi à peu de distance de la maison du Père et d’être sûr d’y
trouver de l’amour ! » Il le dit d’un air las et triste.
« Tu te méfies de Dieu ? » demande André étonnée.
« Non, c’est de moi que je me méfie. Pendant ces jours de maladie, entouré de tant de femmes
pures et bonnes, je me suis senti si petit en mon esprit ! Comme j’ai réfléchi ! Je me disais : ‘Si elles
s’efforcent de devenir toujours meilleurs et d’acquérir le Ciel, que ne dois-je pas faire moi ?’ Parce
qu’elles, et elles me paraissent toutes déjà saintes, se sentent encore pécheresses. Et moi ? … Y
arriverai-je jamais, Maître ? »
« Avec de la bonne volonté, on peut tout. »
« Mais ma volonté est très imparfaite. »
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« L’aide de Dieu lui donne ce que lui manque pour devenir complète. Ton humilité
présente est venue de la maladie. Tu vois donc que le bon dieu a pourvu, par un incident
pénible, à te donner une chose que tu n’avais pas. »
« C’est vrai, Maître. Mais ces femmes ! Quelles disciples parfaites ! Je ne parle pas de ta Mère,
pour Elle on le sait, je parle des autres. Oh ! Vraiment, elles nous ont surpassés ! J’ai été une des
premières épreuves de leur futur ministère. Mais, crois-le, Maître, tu peux te reposer en sécurité sur
elles. Elise et moi, nous étions soignées par elles, et Elise est retournée à Bétsur avec une âme
renouvelée, et moi … moi j’espère la refaire maintenant qu’elles l’ont travaillée… » Judas, encore
affaibli, pleure. Jésus, qui est assis près de lui, lui met une main sur la tête en faisant signe aux
autres de ne pas parler.
Mais Pierre et André sont très pris par les dernières manœuvres d’approche et ne parlent pas ;
quant au Zélote, Mathieu, Philippe et Margziam, ils n’essaient sûrement pas de parler, l’un distrait
par l’anxiété d’être arrivé, les autres par prudence naturelle.
La barque suit le cours du Jourdain et au bout d’un moment s’arrête sur le rivage : les garçons
descendent pour tenir la barque en place en l’attachant par une cordage à une pierre et pour installer
une planche qui servira de passerelle. Pierre prend son long vêtement et ainsi le frère André. La
seconde barque fait la même manœuvre et les autres apôtres descendent. Jésus et Judas descendent
aussi alors que Pierre passe à l’enfant son petit vêtement, l’ajuste pour qu’il soit présentable à sa
femme.
Les voilà tous à terre, y compris les brebis.
« Et maintenant, allons-y » dit Pierre. Il est vraiment ému. Il donne la main à l’enfant qui, à son
tour, est pris par l’émotion au point d’oublier les brebis dont Jean s’occupe. Il demande en un
sentiment imprévu de peur : « Mais, voudra-t-elle de moi ? Et est-ce qu’elle m’aimera bien ? »
Pierre le rassure, mais peut-être l crainte est-elle contagieuse et il dit à Jésus : « Dis-le-lui, Toi,
Maître, à Porphyrée. Moi, j’ai peur de ne pas savoir le dire. » Jésus sourit, mais promet de s’en
occuper.
Ils ont vite fait de rejoindre la maison en suivant la grève. Par la porte ouverte, on voit
que Porphyrée est occupée à ses besognes domestiques.
« La paix à toi » dit Jésus en s’avançant vers la porte de la cuisine où la femme est en
train de ranger la vaisselle.
« Maître ! Simon ! » La femme court se prosterner aux pieds de
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puis à ceux de son mari. Ensuite elle se redresse et, avec son visage, aimable s’il n’est
pas beau, dit en rougissant : « Il y a si longtemps que je vous attendais ! Etes-vous tous
en bonne santé ? Venez ! Venez ! Vous devez être fatigués… »
« Non. Nous venons de Nazareth où nous nous sommes arrêtés quelques jours et nous avons fait
un autre séjour à Cana. A Tibériade, il y avait les barques. Tu vois que nous ne sommes pas
fatigués. Nous avons avec nous un enfant et Judas de Simon affaibli par une maladie. »
« Un enfant ? Un disciple si petit ? »
« Un orphelin que nous avons recueilli en route. »
« Oh ! mon chéri ! Viens, mon trésor, que je t’embrasse ! »
L’enfant, qui était resté craintif à moitié caché derrière Jésus, se laisse prendre par la
femme qui s’est agenouillée comme pour être à sa hauteur et il se laisse embrasser sans
réticences.
« Et maintenant vous l’emmenez avec vous, toujours avec vous, si petit ? Il se fatiguera… » La
femme est toute apitoyée. Elle serre l’enfant dans ses bras et garde sa joue contre celle de l’enfant. »
« En réalité, j’avais une autre idée : celle de le confier à une femme disciple quand nous allons
loin de la Galilée, du lac… »
« A moi, no, Seigneur ? Moi, je n’ai jamais eu d’enfant, mais de neveux oui, et je sais comment
m’occuper des enfants. Je suis la disciple qui ne sait pas perler, qui n’a pas assez de santé pour te
suivre comme font les autres, qui … oh ! Tu le sais ! Je serais lâche, même, si tu veux, mais tu sais
dans quelles tenailles je suis prise. Tenailles, ai-je dit ? Non, je suis entre deux cordages qui me
tirent en directions opposées et je n’ai pas le courage d’en rompre un. Permets-moi pour cet enfant,
au moins de te servir un peu en étant la mère-disciple pour cet enfant. Je lui apprendrai ce que les
autres enseignent à tant de gens… A t’aimer, Toi … »
Jésus lui pose la main sur la tête, sourit et dit : « On t’a amené l’enfant ici parce qu’ici il aurait
trouvé une mère et un père. Voilà, faisons la famille. » Jésus met la main de Margziam dans celle de
Pierre, dont les yeux sont tout brillants, et de Porphyrée. « Et élevez saintement cet innocent. »
Pierre, qui est déjà au courant, s’essuye une larme du revers de la main, mais sa
femme, qui ne s’attendait pas, reste un moment muette de stupeur puis de nouveau
s’agenouille et dit : « Oh ! mon Seigneur, tu m’a pris mon époux en me rendant, pour
ainsi dire, veuve. Mais maintenant tu me donnes un fils … Tu rends donc
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toutes les roses à ma vie, non seulement celles que tu m’as prises, mais celle que je n’ai
jamais eues. Que tu sois béni ! Plus que s’il été né de mes entrailles ce petit me sera
cher, car c’est de Toi qu’il me vient. Et la femme baise le vêtement de Jésus et embrasse
l’enfant, le prend ensuite sur son sein … Elle est heureuse…
« Laissons-la à se épanchements » dit Jésus. « Reste, toi aussi, Simon. Nous allons en
ville pour prêcher. Nous viendrons ce soir sur le tard te demander nourriture et repos. »
Et Jésus sort avec les apôtres, laissant en paix les trois.
Jean dit : « Mon Seigneur, aujourd’hui Simon est heureux ! »
« Est-ce que tu veux aussi un enfant ? »
« Non. Je voudrais seulement une paire d’ailes pour m’élever jusqu’aux portes des Cieux et
apprendre le langage de la Lumière pour le redire aux hommes » et il sourit.
Ils attachent les brebis au fond du jardin près de la cabane des filets, ils leur donnent des
feuilles, de l’herbe et de l’eau du puits, et s’en vont vers le centre de la ville.

90. JESUS PARLE A BETHSAIDA

Jésus parle dans la maison de Philippe. Il y a beaucoup de gens rassemblés devant et Jésus est
debout sur le seuil où on accède par un double perron.
La nouvelle de l’adoption par Pierre d’un enfant qui est venu avec la petite fortune de
trois brebis pour retrouver la grande richesse d’une famille, s’est répandue comme une
tache d’huile sur un tissu. Tous en parlent et chuchotent en faisant des commentaires qui
correspondent aux différentes mentalités L’un sincère ami de Simon et de Porphyrée,
partage leur joie. Un autre, malveillant, dit : « Pour le faire accepter il y a dû le pourvoir
d’une dot. » Un autre, brave homme, dit : » Tous nous aimerons bien ce petit que Jésus
aime. » Un autre méchamment : « La générosité de Simon ? Oui, bien sûr ! Ce sera pour
lui un bénéfice, sinon !... »
D’autres, avides : « Je l’aurais fait, moi aussi si j’avais eu un enfant avec des brebis. Trois, vous
pensez ?! Un petit troupeau. Et belles ! C’est la laine et le lait assurés, et puis les agneaux à vendre
ou à garder ! C’est une richesse ! Et l’enfant peut être utile, travailler… »
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. D’autres élèvent la voix : « Oh ! quelle honte ! Se faire payer une bonne action ?
Simon n’y a sûrement pas réfléchi. Dans sa modeste richesse de pêcheur, nous l’avons
toujours connu généreux envers les pauvres, surtout envers les enfants. Il est juste,
maintenant que lui n’a plus le gain de la pêche et que sa famille compte une personne de
plus, qu’il y ait un peu de gain d’une autre façon. »
Pendant que chacun fait ses commentaires en tirant de son propre cœur ce qu’il a de
bon ou de mauvais, en l’habillant de paroles, Jésus parle avec un homme de Capharnaüm
qui est venu le rejoindre pour Lui dire de venir au plus tôt parce que la fille du chef de la
synagogue est mourante et aussi parce que, depuis quelques jours, une dame
accompagnée d’une servante est à sa recherche. Jésus promet de venir le matin suivant,
ce qui afflige ceux de Bethsaïda qui voudraient le garder plusieurs jours.
« Vous avez moins besoin de Moi que les autres. Laissez-moi aller. Du reste,
maintenant, tant que dure l’été, je resterai en Galilée et souvent à Capharnaüm. Nous
nous verrons facilement. Là-bas, il y a un père et une mère angoissés. C’est charité de
les secourir. Vous approuvez la bonté de Simon envers l’orphelin. Ceux qui sont bons
parmi vous. Mais seul le jugement des bons a de la valeur. Ceux qui ne le sont pas, il ne
faut pas écouter leurs jugements toujours imprégnés de poison et de mensonge. Alors
vous, les bons, devez approuver aussi ma bonté d’aller soulager un père et une mère.
Gardez-vous de laisser stérile votre approbation, mais qu’elle vous porte à imiter.
Tout le bien vient d’un acte de bonté, ce sont les pages de l’Ecriture qui le disent. Rappelons-nous
Tobit. Il mérita que l’Archange protégeât son Tobie et lui montrât comment rendre la vue à son
père. Mais quelle charité, et sans penser au profit, avait accompli le juste Tobit malgré les reproches
de sa femme et les dangers qui menaçaient sa vie ! Et, souvenez-vous des paroles de l’Archange :
« C’est une bonne chose que la prière accompagnée du jeune, et l’aumône a plus valeur que des
montagnes d’or, car l’aumône délivre de la mort, purifie des péchés, fait trouver la miséricorde et la
vie éternelle… Quand tu priais tout en larmes et que tu ensevelissais les morts,… je présentais tes
prières au Seigneur ».
Mon Simon, en vérité je vous le dis, surpassera de beaucoup les vertus du vieux Tobit.
Il vous restera pour être un tuteur de vos âmes en ma Vie, après que Moi je m’en serai
allé. Et maintenant il commence sa paternité d’âme pour être demain le père saint de
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toutes les âmes qui me seront fidèles. Ne médisez donc pas, mais si un jour, comme un
oiseau tombé du nid vous trouvez sur votre route une orphelin, recueillez-le. Ce n’est pas
la bouchée de pain partagée avec l’orphelin qui appauvrit la table des vrais fils mais, au
contraire, elle apporte à la maison les bénédictions de Dieu. Faites-le car Dieu est le Père
des orphelins et c’est Lui-même qui vous le présente pour que vous les aidiez à se
refaire le nid qui a été défaut par la mort. Et faites-le car c’est l’enseignement de la Loi
que Dieu a donnée à Moïse qui est notre législateur car, en terre ennemie et idolâtre, il a
trouvé pour s faiblesse d’enfant un cœur qui, plein de pitié, s’est penché sur lui pour le
sauver de la mort en le sauvant des eaux, à l’abri des persécutions, car Dieu l’avait
destiné à être un jour le libérateur d’Israel. Un acte de pitié a valu à Israel son chef. Les
répercussions d’un acte bon sont comme les ondes sonores qui se répandent très loin du
point où elles sont produites, ou si vous préférez, comme les ondes du vent qui
transportent très loin les semences enlevées à des terrains fertiles.
Allez, maintenant. La paix soit avec vous. »

91. L’HEMORROISSE ET LA FILLE DE JAIRE

La vision s’est manifestée alors que je priais très épuisée et soucieuse et donc bien
dans les plus mauvaises conditions pour penser, de moi-même, à des pareilles choses.
Mais l’épuisement physique et mental et les soucis se sont dissipés dès l’apparition de
mon Jésus et j’écris.

Jésus se trouve sur une route ensoleillée et poussiéreuse qui côtoie les rives du lac. Il
se dirige vers le pays, entouré d’une grande foule qui l’attendait certainement et qui se
presse autour de Lui, bien que les apôtres jouent des bras et des épaules pour qu’il puisse
passer et élèvent la voix pour amener la foule à laisser un peu de place.
Mais Jésus ne s’inquiète pas de cette bousculade. Dépassant de la tête la foule qui l’entoure, il la
regarde avec un doux sourire alors qu’elle se serre autour de Lui, répond aux saluts, caresse quelque
enfant qui réussit à se faufiler dans la masse des adultes et à s’approcher à Lui, il pose la main sur la
tête des petits enfants que les mères soulèvent au-dessus de la tête des gens, pour qu’Il les ouches.
Tout en marchant lentement, patiemment au milieu de tout ce
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vacarme et des continuelles bousculades qui ennuieraient tout autre que Lui.
Une voix d’homme crie : « Faits place, faites place. » C’est une voix angoissée et que beaucoup
doivent connaître et respecter comme celle d’un personnage influent car la foule, qui s’ouvre très
difficilement tellement elle est serrée, laisse passer un home d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un
vêtement long et flou, la tête couverte d’un foulard blanc dont les pans retombent le long du visage
et du cou.
Arrivé devant Jésus, il se prosterne à ses pieds et dit : « Oh ! Maître, pourquoi as-tu été absent si
longtemps ? Ma fillette est si malade. Personne ne peut la guérir. Toi seul, tu es mon espoir et celui
de sa mère. Viens, Maître. Je t’ai attendu avec une angoisse infinie. Viens, viens, tout de suite. Mon
unique enfant est en train de mourir…. » et il pleure.
Jésus pose la main sur la tête de l’homme en larmes, sur la tête courbée et que
secouent les sanglots, et il lui répond : « Ne pleure pas. Aie foi. Ta fillette vivra. Allons
auprès d’elle. Lève toi ! Allons. » Jésus dit ces deux derniers mots sur un ton de
commandement. Tout d’abord, c’était le Consolateur, maintenant c’est le Dominateur
qui parle.
Ils se remettent en marche. Jésus a à son côté le père qui pleure, et le tient par la main. Quand un
sanglot plus fort secoue le pauvre homme, je vois Jésus qui le regarde et lui serre la main. Il ne fait
rien d’autre, mais quelle force doit refluer dans une âme quand elle se sent ainsi traitée par Jésus !
Auparavant, à la place du père il y avait Jacques, mais Jésus lui a fait céder la place au pauvre père.
Pierre est de l’autre côté. Jean est à côté de Pierre et il cherche avec lui à opposer une barrière à la
foule, comme font jacques et l’Iscariote de l’autre côté, près du père qui pleure ; les autres apôtres
sont en partie devant, en partie derrière Jésus ; mais il en faudrait d’autres ! Surtout les trois qui sont
derrière, parmi lesquels je voix Mathieu, n’arrivent pas à retenir la muraille vivante. Mais, quand ils
crient un peu trop et ; pour un peu, insulteraient la foule indiscrète, Jésus tourne la tête et dit
doucement : « Laissez faire ces petits qui sont à Moi… ! »
A un certain moment, cependant, il se retourne brusquement, il laisse la main du père et il
s’arrête. Non seulement il tourne la tête, mais il se retourne complètement. Il semble encore plus
grand, car il a pris un attitude de roi. Avec la figure et le regard devenu sévère, inquisiteur, il scrute
la foule. Ses yeux envoient des éclairs
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qui n’expriment non pas la dureté mais la majesté : « Qui m’a touché ? » demande-t-Il.
Personne ne répond.
« Qui m’a touché, je répète » insiste Jésus.
« Maître, répondent les disciples, « Tu ne vois pas comme la foule te presse de tous côtés ? Tous
te touchent, malgré nos efforts. »
« Qui m’a touché pour obtenir un miracle, je demande. J’ai senti un pouvoir miraculeux sortir
de Moi parce qu’un cœur le demandait avec foi. Quel est ce cœur ? »
Les yeux de Jésus s’abaissent deux ou trois fois, pendant qu’Il parle, sur une petite femme
d’environ quarante ans, très pauvrement vêtue et très ridée, qui cherche à s’éclipser dans la foule, à
se dissimuler dans la cohue. Ces yeux doivent la brûler, elle se rend compte qu’elle ne peut s’enfuir,
revient en avant et se jette à ses pieds, le visage près que dans la poussière, les mains tendues en
avant qui, cependant, n’osent pas toucher Jésus.
« Pardon ! C’est moi !. J’étais malade. Douze ans que j’étais malade ! Tout le monde
me fuyait. Mon mari m’a abandonnée. J’ai dépensé tout mon avoir pour qu’on ne me
considère pas comme déshonorée, pour vivre comme tout le monde. Mais personne n’a
pu me guérir. Tu vois, Maître ? Je suis vielle avant l’âge. Ma force s’en est allée avec ce
flux inguérissable et avec elle ma paix. On m’a dit que tu es bon. Celui qui me l’a dit a
été guéri par Toi de sa lèpre et qui, pour avoir vu pour tant d’années tout le monde le
fuir, n’a pas éprouvé de répulsion pour moi., Je n’ai pas osé le dire avant. Pardon ! J’ai
pensé que si je te touchais, je serais guérie. Mais je ne t’ai pas rendu impur. J’ai à peine
effleuré le bord de ton vêtement là où il traine sur le sol, sur les ordures du sol… Moi
aussi, je suis une ordure … Mais je suis guérie, que Tu sois béni ! Au moment où j’ai
touché ton vêtement, mon mal s’est arrêté. Je suis redevenue comme toutes les femmes.
Je ne serai plus évitée par tout le monde. Mon mari, mes enfants, mes parents pourront
rester avec moi, je pourrai les caresser. Je serai utile dans ma maison. Merci Jésus bon
Maître. Que Tu sois éternellement béni ! »
Jésus la regarde avec une infinie bonté. Il lui sourit et lui dit : « Va en paix, ma fille. Ta foi t’a
sauvée. Sois définitivement guérie. Sois bonne et heureuse. Va ! »
Pendant qu’Il parle encore, arriver un homme, un serviteur je pense. Il s’adresse au père resté
pendant tout ce temps dans une attitude respectueuse mais tourmentée comme s’il était sur la braise.
« Ta fille est morte, il est inutile d’importuner le Maître
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davantage. Elle a rendu l’esprit, et déjà les femmes chantent les lamentations. La mère
t’envoie dire cela et te prie de venir tout de suite. »
Le pauvre père pousse un gémissement. Il porte ses mains au front et le serre en se
comprimant les yeux et en se courbant comme s’il avait reçu un coup.
Jésus, qui parait ne devoir rien voir ni rien entendre, attentif comme il l’est à écouter la
femme et à lui répondre, se tourne au contraire et pose la main sur les épaules courbées
du pauvre père. « Homme, je te l’ai dit : ‘aie foi’. Je te le répète : ‘aie foi’. Ne crains pas.
Ta fillette vivra. Allons la trouver. » Et il se met en route en tenant étroitement serré
contre Lui l’homme anéanti. La foule, devant cette douleur et la grâce déjà survenue,
s’arrête intimidée, s’écarte, laisse passer librement Jésus et les siens et puis suit comme
un sillage la Grâce qui passe.
Ils font ainsi une centaine de mètres environ, peut-être plus- je ne sais pas calculer- et pénètrent
toujours plus au centre du pays. Il y a un rassemblement de gens devant une maison de belle
apparence, qui comment à haute voix l’évènement, répondant par des cris perçants à des cris plus
aigus qui viennent de la porte grande ouverte. Ce sont des cris perçants, aigus, tenus sur une note
fixe et seule qui semblent être dirigés par une voix plus aiguë qui s’élève toute seule et à laquelle
répond un groupe un group de voix plus faibles, puis un autre chœur de voix plus pleines. C’est un
vacarme qui ferait mourir quelqu’un qui se porte bien.
Jésus ordonne aux siens de rester devant la sortie et il appelle avec Lui Pierre, jean et jacques. Il
entre avec eux dans la maison en tenant toujours serré le bras du père en larmes. Il semble vouloir
lui infuser par cette étreinte la certitude que Lui est là pour le rendre heureux. Les … pleureuses (je
dirais : celle qui hurlent) en voyant le chef de famille et le Maître redoublent leurs cris. Elles battent
des mains, agitent des tambourins, font résonner des triangles et sur cet … accompagnement
appuient leurs lamentations.
« Taisez-vous » dit Jésus. « Il ne faut pas pleure. La fillette n’est pas morte, elle dort. »
Les femmes poussent des cris plus forts, et certaines se roulent par terre, se griffent,
s’arrachent les cheveux (ou plutôt font semblant) pour montrer qu’elle est bien morte.
Les musiciens et les amis secouent la tête devant l’illusion de Jésus. Ils croient bien qu’Il
s’illusionne. Mais Lui répète un : « Taisez-vous ! » tellement énergique que le vacarme,
s’il ne cesse pas complètement, devient
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un bourdonnement et Il avance.
Il entre dans une petite chambre. Sur le lit est étendue une fillette morte. Maigre, pâle,
elle gît déjà revêtue et ses cheveux bruns sont coiffés avec soin. La mère, à droite, pleure
près du petit lit et baise la petite main cireuse de la morte. Jésus … comme il est beau en
ce moment ! Comme je l’ai vu peu de fois ! Jésus s’approche avec empressement, il
semble glisser sur le sol, en volant, tant il se hâte vers ce petit lit .
Jésus va à la gauche du lit, il tend la main gauche et prend avec elle la petite main de la morte qui
s’abandonne. J’ai bien vu. C’est la main gauche de Jésus et la main gauche de la petite. Il lève le
bras droit en portant sa main ouverte à la hauteur de ses épaules et puis l’abaisse comme quelqu’un
qui jure ou commande. Il dit : « Fillette, je te le dis, lève-toi. »
Un instant où tous, sauf Jésus et la morte, restent en suspens. Les apôtres allongent le cou pour
mieux voir. Le père et la mère regardent leur enfant, les yeux mornes. Un instant. Puis un soupir
soulève la poitrine de la petite morte. Un légère couleur monte au visage de cire et en fait
disparaître la teinte livide de la mort. Un sourire se dessine sur les lèvres pâles avant encore que
s’ouvrent les yeux, comme si la fillette faisait un beau rêve. Jésus tient toujours la main dans sa
main. La fillette ouvre doucement les yeux, elle regarde tout autour d’elle comme si elle venait de
s’éveiller. Elle voit d’abord le visage de Jésus qui la fixe de se yeux magnifiques et qui lui sourit
avec une bonté qui l’encourage, et elle Lui sourit.
« Lève-toi » répète Jésus et, écartant avec sa main les préparatifs funèbres répandus sur
le lit et à côté (fleurs, voiles, etc.) , il l’aide à descendre, à lui faire faire ses premiers pas
en la tenant toujours par la main.
« Donnez-lui à manger, maintenant » commande-t-il. « Elle est guérie. Dieu vous l’a
rendue. Remerciez-le, et ne parlez à personne de ce qui est arrivé. Vous savez ce qui lui
est arrivé, vous avez cru et vous avez mérité le miracle. Les autres n’ont pas eu foi, il est
inutile de chercher à les persuader. A ceux qui nient le miracle, Dieu ne se manifeste
pas. Et toi, fillette, sois bonne. Adieu ! paix à cette maison » et il sort en renfermant la
porte derrière Lui.
La vision cesse.

Je vous dirai que les deux détails qui m’ont particulièrement réjoui ont été ceux où
Jésus cherche dans la foule qui l’a touché et surtout quand près de la petite morte, il lui
prend la main et lui ordonne de se lever. La paix, la sécurité sont entrées en moi. Il n’est
pas possible que quelqu’un qui a pitié comme Lui et qui est puissant puisse n’avoir pitié
de nous et ne pas vaincre le Mal qui nous fait mourir.
Jésus pour le moment ne fait pas de commentaires, comme il ne dit rien sur d’autres choses. Il me
voit presque morte et Il ne juge pas opportun que je sois mieux ce soir. Qu’Il soit fait comme Lui le
veut. Je suis déjà suffisamment heureuse de posséder en moi sa vision.
92. JESUS ET MARTHE A CAPHARNAUM

En sueur et couvert de poussière, Jésus avec Pierre et Jean, rentre dans la maison de
Capharnaüm.
Il a à peine mis pied dans le jardin, se dirigeant vers la cuisine, que la maître de maison l’appelle
familièrement en Lui disant : « Jésus, elle est revenue cette dame dont je t’ai parlé à Bethsaïda. Elle
est revenue te chercher. Je lui ai dit de t’attendre et je l’ai conduite là-haut dans la chambre du
haut. »
« Merci, Thomas, j’y vais tout de suite. S’il vient d’autres personnes, fais-les attendre ici. »
Jésus monte lestement l’escalier sans même enlever son manteau.
Sur la terrasse où l’escalier aboutit, se trouve immobile Marcelle, la servante de
marthe. « Oh ! Notre Maître ! Ma maîtresse est là, à l’intérieur. Elle t’attend depuis tant
de jours » dit l femme en s’agenouillant pour vénérer Jésus.
« Je m’y attendais. Je vais tout de suite la trouver. Dieu te bénisse, marcelle. »
Jésus lève le rideau qui protège contre la lumière encore violente, bien que le
crépuscule soit très avancé et enflamme l’air et paraît embraser les maisons blanches de
Capharnaüm par la réverbération rouge d’un énorme brasier. Dans la pièce, toute voilée
et enveloppée de son manteau, assise près d’une fenêtre, se trouve marthe. Peut-être
regarde-t-elle une anse du lac où plonge une avancée d’une colline boisée. Peut-être ne
regarde-t-elle que ses pensées. Elle est sûrement très absorbée au point qu’elle n’entend
pas le léger bruit des pas de Jésus qui s’approche. Et elle sursaute quand il l’appelle.
« Oh ! Maître ! s’écrie-t-elle, et elle se jette à genoux, les bras tendus comme pour
demander de l’aide, puis elle se penche jusqu’à
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toucher du front le sol, et elle pleure.
« Mais pourquoi ? Allons, lève-toi ! Pourquoi ce grand chagrin ? As-tu quelque
malheur à m’annoncer ? Oui ? Quoi donc ? Je suis allé à Béthanie, tu le sais ? Oui ? Et
j’y ai appris de bonnes nouvelles. Maintenant tu pleures… Qu’est-ce qui est arrivé ? » et
il la force à s’asseoir sur le siège placé contre le mur et Il s’assoit en face d’elle.
« Allons, enlève ton voile et ton manteau, comme je le fais. Tu dois étouffer là-
dessous. Et puis je veux voir le visage de cette Marthe troublée pour chasser tous les
nouages qui l’assombrissent. »
Marthe obéit, toujours en larmes, et l’on voit son visage rougi, aux yeux enflés.
« Et alors ? Je vais t’aider. Marie t’a fait appeler. Elle a beaucoup pleuré, elle a voulu
savoir beaucoup de choses sur Moi, et tu as pensé que c’était bon signe, au point que tu
as désiré que je vienne pour accomplir le miracle. Et moi, je suis venu. Et maintenant ?
…»
« Maintenant plus rien, Maître ! Je me suis trompée. C’est un trop vif espoir qui fait voir ce qui
n’est pas… Je t’ai fait vernir pour rien … Marie est pire qu’auparavant… Non ! Que dis-je’ C’est
une calomnie, je mens. Elle n’est pas pire car elle ne veut plus d’hommes autour d’elle. Elle est
différente, mais elle est toujours mauvaise. Elle me semble folle… je ne la comprends plus.
Auparavant, au moins, je la comprenais. Mais maintenant ! Qui peut la comprendre, maintenant ? »
Et Marthe pleure d’un air désolée.
« Allons, calme-toi et dis moi ce qu’elle fait. Pourquoi est-elle mauvaise ? Elle ne veut donc
plus d’hommes autour d’elle, je suppose donc qu’elle vit retirée dans sa maison. Est-ce ainsi ? Oui ?
C’est bien, c’est très bien. Elle t’a désirée auprès d’elle, comme pour se défendre de la tentation –ce
sont tes paroles- en empêchant les relations coupables, où même simplement ce qui pourrait amener
à des coupables relations, c’est un signe de bonne volonté »
« Tu l’affirmes, Maître ? Crois-tu vraiment qu’il en est bien ainsi ? »
« Mais bien sûr. En quoi alors te semble-t-elle méchante ? »
« Voilà. » Marthe, un peu plus rassurée par la certitude de Jésus, parle avec plus
d’ordre. « Voilà. Depuis que je suis venue, Marie n’est plus sortie de la maison et du
jardin, pas même pour aller en barque sur le lac, et sa nourrice m’a dit que même
auparavant elle ne sortait; pour ainsi dire, plus. C’est depuis la Paque qu’elle semble
avoir commencé de changer. Cependant, avant ma venue, il venait encore des personnes
la voir ; et elle ne les renvoyait pas tou-
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jours ; parfois elle donnait l’ordre de ne laisser entrer personne et cela paraissait un
ordre qui devait durer. Puis, elle arrivait à frapper les serviteurs, prise d’une injuste
colère lorsque, accourant qu vestibule parce qu’elle avait entendu les voix des visiteurs,
elle voyait qu’ils étaient déjà partis. Depuis ma venue, elle ne l’a plus fait. Elle m’a dit
la première nuit : ‘Retiens-moi, attache-moi, mais ne me laisse plus sortir pour que je
ne vois personne d’autre que toi et la nourrice. Car je suis une malade et je veux guérir.
Mais ceux qui viennent chez moi, ou qui veulent que j’aille chez eux, sont comme des
marais qui donnent la fièvre. Ils me rendent de plus en plus malade. Mais ils sont si
beaux, en apparence, ils sont si pleins de fleurs et de chansons, avec des fruits d’aspect
agréable que moi je ne sais pas résister car je suis une malheureuse, je suis une
malheureuse. Ta sœur est faible, Marthe : Et il y en a qui profitent de ma faiblesse pour
me faire faire des choses infâmes auxquelles ne consent pas quelque chose que j’ai ne
moi. Quelque chose qui me reste de maman, de ma pauvre maman… ‘ et elle pleurait,
elle pleurait.
E voici comment je me suis comportée : avec douceur aux heures où elle est plus raisonnable,
avec fermeté aux heures où elle me semble un fauve en cage. Elle ne s’est jamais révoltée contre
moi. Et même, après les moments de plus grande tentation, elle vient pleurer à mes pieds, la tête sur
mes genoux et elle dit : ‘Pardonne-moi ! Pardonne-moi !’ Et si je lui demande : ‘ Et quoi, ma
sœur ? Tu ne m’as pas fait souffrir’, elle me répond : ‘ Parce que, tout à l’heure, ou hier soir, quand
tu m’as dit : ,Tu ne sortiras pas d’ici’ , moi en mon cœur, je t’ai haie, maudite et j’ai désiré ta mort’.
Elle ne te fait pas de la peine, Seigneur ? Mais elle est folle, peut-être ? Son vice l’a rendue
folle ? Je pense qu’un amant lui a donné un philtre pour s’en faire une esclave de luxure et que cela
lui a monté au cerveau.. »
« Non, pas de philtre, pas de folie. C’est autre chose, mais continue. »
« Donc, avec moi, elle est respectueuse et obéissante. Les serviteurs aussi, elle ne l’a
plus maltraités. Mais pourtant, depuis le premier soir, elle n’a plus rien demandé à ton
sujet. Même si je parle de Toi, elle fait dévier la conversation, quitte ensuite à rester des
heures et des heures sur le rocher où se trouve le belvédère à regarder le lac, jusqu’à en
être éblouie et à me demander, à chaque barque qu’elle voit passer : ‘Tu crois que c’est
celle des pêcheurs galiléens ?’ Elle ne dit jamais ton Nom ni celui des apôtres, mais je
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sais qu’elle pense à eux et à toi dans la barque de Pierre. Et je comprends aussi qu’elle
pense à Toi parce que parfois, le soir, quand nous marchons dans le jardin ou quand nous
attendons l’heure du repos, moi en cousant, elle les bras croisés, elle me dit ‘C’est donc
ainsi qu’il faut vivre d’après la doctrine que tu suis ?’ Et parfois elle pleure, d’autre fois
elle rit d’un rire sarcastique de folle ou de démon.
D’autres fois elle se détache les cheveux toujours si artistement coiffées, elle en fait deux tresses
et se passe un de mes vêtements et elle vient devant moi avec les tresses qui retombent sur les
épaules ou ramenées par devant, avec un col montant, pudique, ressemblant à une fillette avec son
habit, ses tresses et l’expression de son visage et elle dit encore : ‘C’est donc ainsi que devrait
devenir Marie ?’ et parfois aussi elle pleure en baisant ses deux tresses magnifiques, grosses
comme les bras et qui retombent jusqu’aux genoux, tout cet or éclatant qui était la gloire de ma
mère. D’autres fois, au contraire, elle pousse cet horrible éclat de rire ou bien elle me dit : ‘mais
regarde, plutôt voici que je fais et je quitte le monde’ et elle noue ses tresses autour de cou et les
serre jusqu’à en devenir violette comme si elle vouloir s’étrangler. D’autres fois, on comprend
qu’elle sent plus fortement sa … sa chair, alors elle se plaint ou se fait mal. Je l’ai trouvée qui se
frappait férocement la tête contre le mur, et si je lui demandais : ‘Mais pourquoi fais-tu cela ?’ elle
se tournait vers moi bouleversée, féroce en me disant : ‘Pour me rompre les entrailles et la tête. Les
choses nuisibles, maudites, il faut les détruire. Je me détruis’.
Et si je parle de la miséricorde divine, de Toi –en effet, je parle de Toi quand même comme si
elle était la plus fidèle de tes disciples, et je te jure que parfois j’ai du dégoût à parler ainsi devant
elle- elle me répond : ‘Pour moi, il ne peut y avoir de miséricorde, j’ai dépassé les bornes’. Et alors
elle est prise d’une furie de désespoir, elle crie en se frappant jusqu’au sang : ‘Mais pourquoi ?
Pourquoi, pour moi ce monstre qui me déchire, qui ne me donne pas la paix, qui me porte au mal
avec une voix ensorcelante ? Et puis viennent s’y unir les voix qui me maudissent, celle du père, de
maman, les vôtres, parce que toi aussi et Lazare, vous me maudissez et Israel me maudit, et ces voix
me font devenir folle…’
Moi, alors, quand elle parlait ainsi, je réponds : ‘Pourquoi penses-tu à Israel, ce n’est qu’un
peuple, au lieu de penser à Dieu ? Mais puisque tu n’as pas pensé avant à tout piétiner, pense
maintenant
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à passer par-dessus tout et à te soucier d’autre chose que le monde, c’es à dire de Dieu,
de ton père, de ta mère. Et eux ne te maudissent pas si tu changes de vie, mais ils
t’ouvrent leurs bras..’ Et elle m’écoute, pensive, étonnée comme si je lui racontais une
fable irréelle, et puis elle pleure… mais elle ne répond pas. Parfois, au contraire, elle
commande aux serviteurs des vins et des drogues, et elle boit et mange tous ces produits
et elle explique : ‘C’est pour ne pas penser’.
Maintenant depuis qu’elle sait que tu es sur le lac, elle me dit toutes les fois qu’elle s’aperçoit que
je viens vers Toi : ‘Un jour ou l’autre je viendrai, moi aussi’ et riant de ce rire qui est un insulte
pour elle-même, elle dit pour finir : ‘Ainsi, au moins, l’œil de Dieu tombera aussi sur le fumier’.
Mais je ne veux pas qu’elle vienne. Et maintenant, j’attends pour venir que, lassée par la colère, le
vin, les larmes, par tout, elle s’endorme épuisée. Aujourd’hui encore je suis partie ainsi de façon à
revenir de nuit, avant qu’elle ne se réveille. Voilà ma vie…. et maintenant, je n’espère plus,,, » et
ses pleurs, que n’arrêt plus la pensée de tout rapporter avec ordre, redoublent plus fortement
qu’avant.
« Te souviens-tu, Marthe, de ce que je t’ai dit une fois ? ‘Marie est une malade’. Tu ne voulais
pas le croire. Maintenant, tu le vois. Tu dis qu’elle est folle, elle-même se dit qu’elle est malade de
fièvres qui la poussent au péché. Moi, je dis : elle souffre d’une possession démoniaque. C’est
toujours une maladie. Ces incohérences, ces furies, ces pleurs, ces désolations, ces élans vers Moi,
ce sont les phases de son mal qui, arrivé au moment de la guérison, connaît les crises les plus
violentes. Tu fais bien d’être bonne avec elle, tu fais bien d’être patiente, tu fais bien de parler de
Moi ! N’éprouve pas de dégoût à dire mon Nom en sa présence. Pauvre âme de ma Marie ! Et
pourtant elle est sortie des mains du Créateur pas diffèrent des autres, de la tienne, de celle de
Lazare, de celles des apôtres et des disciples. Elle aussi, je la compte et je la vois parmi les âmes
pour lesquelles je me suis fait chair afin d’être Rédempteur. C’est même pour elle, plus que pour
toi, pour Lazare, les apôtres et les disciples que je suis venu. Pauvre, chère âme qui souffre, de ma
Marie ! De ma Marie empoisonnée par sept poisons en plus du poison originel et universel ! De ma
Marie prisonnière ! Mais laisse-la venir à Moi ! Laisse-la respirer ma respiration, entendre ma voix,
rencontrer mon regard ! … Elle s’appelle : ‘Fumier’… Oh ! Pauvre chère âme ! Des sept démons
qu’elle a en elle, le moins fort est celui de l’orgueil ! Mais, rien que pour cela, elle se sauvera ! »
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« Mais si elle en sortant elle trouve quelqu’un qui de nouveau la ramène au vice ? Elle-même le
craint… »
« Et toujours elle le craindra, maintenant qu’elle est arrivée à avoir la nausée du vice. Mais ne
crains pas ! Quand une âme a déjà le désir de venir au Bien, qu’elle n’est plus retenue que par
l’Ennemi diabolique qui sait qu’il va perdre sa proie, et par l’ennemi personnel du moi qui raisonne
encore en homme et se juge lui-même en homme, en appliquant à Dieu son jugement pour
empêcher l’esprit de dominer le moi humain, alors cette âme est déjà forte contre les assauts du vice
et des vicieux. Elle a trouvé l’Etoile Polaire et ne dévie plus.
Et également il ne faut plus lui dire : ‘Et tu n’as pas pensé à Dieu, mais tu penses à
Israël ?’ C’est un reproche implicite. Il ne faut pas le faire. Elle sort des flammes, elle
n’est que plaies. Il ne faut l’effleurer qu’avec les baumes de la douceur, du pardon, de
l’espérance…
Laisse-la libre de venir. Tu dois même lui dire quand tu comptes venir, mais ne lui dis pas :
‘Viens avec moi’. Et même, si tu arrives à comprendre qu’elle vient, ne viens pas toi. Reviens,
attends-la à la maison. Elle te viendra, frappée par la Miséricorde. Car Moi, je dois lui enlever la
force mauvaise qui maintenant la possède et, pendant un certain temps, elle sera comme saignée à
blanc, comme une personne à laquelle le médecin a enlevé les os. Mais après elle ira mieux. Elle
sera stupéfaite.
Elle aura un grand besoin de caresses et de silence. Assiste-la comme si tu étais pour elle un
second ange gardien, sans te faire entendre. Et si tu la vois pleurer, laisse-la pleurer. Et si tu
l’entends se poser des questions, laisse-la faire. Et si tu la vois sourire puis s’assombrir, et puis
sourire avec un sourire qui n’est plus le même, avec un regard changé, avec un visage changé, ne lui
pose pas des questions, ne la mets pas en tutelle. Elle souffre plus maintenant pour remonter que
quand elle est descendue. Et elle doit agir par elle-même, par elle-même elle a agi lorsqu’elle est
descendue. Elle n’a pas alors supporté vos regards quand vous la voyez descendre, parce que dans
vos yeux il y avait un reproche. Mais maintenant elle ne peut, dans sa honte finalement réveillée,
supporter votre regard. Alors elle était plus forte, parce qu’elle avait en elle Satan qui était son
maître, et la force mauvaise qui la conduisait et elle pouvait défier le monde, mais pourtant elle n’a
pas voulu être vue par vous dans son péché. Maintenant elle n’a plus Satan comme maître. Il est
encore son hôte, mais déjà, par sa
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volonté, Marie lui tient la gorge. Et elle ne m’a pas encore, moi, et c’est pour cela
qu’elle est trop faible. Elle ne peut même pas supporter la caresse de tes yeux fraternels
pour son retour au Sauveur. Toute son énergie s’emploie et se dépense pour serrer la
gorge du septuple démon. Pour tout le reste, elle est sans défense, nue. Mais Moi je la
revêtirai et la fortifierai.
Va en paix, Marthe. Et demain dis-lui que je parlerai près du torrent de la Source, ici à
Capharnaüm, après le crépuscule. Va en paix ! Va en paix ! Je te bénis. »
Marthe est encore perplexe.
« Ne tombe pas dans l’incrédulité, Marthe » lui dit Jésus qui l’observe.
« Non, Seigneur, mais je réfléchis… Oh ! Donne-moi quelque chose que je puisse donner à marie
pour lui donner un peu de force… Elle souffre tant… et moi j’ai si peur qu’elle ne réussisse pas à
triompher du démon ! »
« Tu es une enfant ! Marie nous a, toi et Moi. Peux-tu ne pas réussir ? Pourtant, viens
et tiens. Donne-moi cette main qui n’a jamais péché, qui a su être douce,
miséricordieuse, active, pieuse. Elle a toujours fait des gestes d’amour et de prière. Elle
n’est jamais devenue paresseuse. Elle ne s’est jamais corrompue. Voilà, je la tiens dans
les miennes pour la rendre plus sainte encore. Lève-la contre le démon, et lui ne la
supportera pas. Et prends cette ceinture qui m’appartient. Ne t’en sépare jamais, et
chaque fois que tu la verras, dis-toi à toi-même : ‘Plus forte que cette ceinture de Jésus
est la puissance de Jésus et avec elle on vient à bout de tout : démons et monstres. Je ne
dois pas craindre’. Es-tu contente, maintenant ? Ma paix soit avec toi. Va tranquille. »
Marthe le vénère et sort.
Jésus sourit en la voyant reprendre sa place dans le char que Marcelle a fait venir à la
porte pour aller à Magdala.
93. GUERISON DES DEUX AVEUGLES ET DU MUET POSSEDÉ

Après cela, Jésus descend à la cuisine et, voyant que Jean va se rendre à la fontaine, au lieu de
rester dans la cuisine chaude et enfumée Il préfère aller avec jean laissant Pierre aux prises avec
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des poissons que viennent d’apporter les garçons de Zébédée pour le souper du Maître et
des apôtres.
Ils ne vont pas à la source qui est à l’extrémité du pays, mais à la fontaine de la place et où
certainement l’eau arrive encore de cette source belle et abondante qui jaillit sur la pente de la
colline, près du lac. Sur la place, c’est la foule habituelle des pays de Palestine le soir. Les femmes
avec leurs amphores, les enfants qui jouent et les hommes qui s’entretiennent d’affaires ou… des
potins du pays. Passent aussi entourés de serviteurs ou de clients, les pharisiens qui regagnent leurs
riches maisons. Tout le monde s’écarte, avec respect, pour les laisser passer, quitte ensuite, à peine
sont-ils passés, à les maudire de tout cœur en racontant leurs dernières injustices et leurs usures.
Mathieu dans un coin de la place parle avec ses anciens amis, ce qui fait dire avec
mépris et à haute voix au pharisien Urie : « Les fameuses conversions ! L’attache au
péché demeure et cela se voit par les amitiés qui durent. Ah ! Ah ! »
A quoi Mathieu se retourne vivement pour répondre : « Elles durent pour les convertir. »
« Ce n’est pas nécessaire ! Ton ître suffit. Toi, reste loin d’eaux, pour que la maladie
ne revienne pas, en admettant que tu sois réellement guéri. »
Mathieu devient rouge, dans l’effort qu’il fait pour ne pas leurs dire quatre vérités, mais il se
borne à répondre : « Ne crains et n’espère rien.»
« Quoi ? »
« Ne crains pas que je redevienne Lévi le publicain, et n’espère pas que je t’imite pour perdre ces
âmes. Les séparations et le mépris, je les laisse à toi et tes amis. Moi, j’imite le Maître et je
fréquente les pécheurs pour les amener à la grâce.»
Urie voudrait répliquer, mais survient l’autre pharisien, le vieil Eli et il dit : « Ne souille pas ta
pureté et ne contamine pas ta bouche, mon ami. Viens avec moi » et il prend Urie par les bras et
l’amène vers sa maison.
Pendant ce temps la foule, où il y a surtout des enfants, s’est resserrée autour de Jésus.
Parmi les enfants il y a Jeanne et Tobie, la sœur et le frère qui, il y a déjà longtemps, se
disputaient pour des figues, et ils disent à Jésus en touchant de leurs petites mains la
taille élevée de Jésus pour attirer son attention : « Ecoute, écoute. Aujourd’hui aussi
nous avons été bons, sais-tu ? Nous n’avons jamais pleuré. Nous ne nous sommes jamais
taquinés par amour
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pour Toi. Nous donnes-tu un baiser ? »
« Vous avez donc été bons et par amour pour Moi ? Quelle joie vous me donnez. Voici mon
baiser, et demain, soyez meilleurs encore. »
Et il y a Jacques, le petit qui chaque sabbat portait à Jésus la bourse de Mathieu. Il dit : « Lévi
ne me donne plus rien pour les pauvres du Seigneur, mais moi, j’ai mis de côté toutes les piécettes
qu’on me donne quand je suis bon et maintenant je te les donne. Les donneras-tu aux pauvres pour
mon grand-père ? »
« Certainement. Qu’est-ce qu’il a ton grand-père ? »
« Il ne marche plus. Il est si vieux et ses jambes ne le portent plus. »
« Cela te désole ? »
« Oui, parce qu’il était mon maître quand on allait à travers la campagne. Il me disait tant de
choses, il me faisait aimer le Seigneur. Même maintenant il me parle de Job et me fait voir les
étoiles du ciel, mais de son siège … C’était plus beau auparavant. »
« Je viendrai demain voir ton grand-père. Es-tu content ? »
Et Jacques est remplacé par Benjamin, pas celui de Magdala, le Benjamin de
Capharnaüm, celui d’une lointaine vision. Arrivé sur la place en même temps que sa
mère et ayant vu Jésus, il quitte la main maternelle et se jette avec un cri qui parait un
gazouillis d’hirondelle au milieu de la petite foule remuante et, arrivé devant Jésus, il
Lui enlace les genoux en disant : « A moi aussi, à moi aussi une caresse ! »
Passe à ce moment-là le pharisien Simon qui s’incline pompeusement devant Jésus qui lui rend sa
salutation. Le pharisien s’arrête et, alors que la foule s’écarte comme intimidée, le pharisien dit :
« Et à moi, tu ne donnerais pas une caresse ? » et il sourit légèrement.
« A tous ceux qui me le demandent. Je me félicite avec toi de ton excellente santè. On m’avait
dit à Jérusalem que tu avais été quelque peu malade. »
« Oui, bien malade. J’ai désiré te voir pour guérir. »
« Croyais-tu que je le puisse ? »
« Je n’en ai jamais douté, mais j’ai dû me guérir tout seul parce que tu as été longtemps absent.
Où es-tu allé ? »
« Jusqu’aux confins d’Israel. C’est ainsi que j’ai occupé les jours entre pâque et pentecôte. »
« Beaucoup de succès ? J’ai entendu parler des lépreux d’Hinnon et de Siloan. Grandiose. Cela
seulement ? Certainement pas, mais cela, je le savais par le prêtre Jean. Celui qui est sans
préventions croit en Toi et il est heureux. »
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« Et celui qui ne croit pas parce qu’il a des préventions qu’en est de lui, sage Simon ? »
Le pharisien se trouble un peu … il se débat entre le désir de ne pas condamner ses trop
nombreux amis qui sont prévenus contre Jésus et celui de mériter les compliments de Jésus. Mais il
surmonte ce trouble et il dit : « Celui qui ne veut pas croire en Toi, malgré les preuves que tu
donnes, est condamné… »
« Je voudrais que personne ne le soit … »
« Toi, oui. Nous ne répondons pas à cette bonté que tu as pour nous. Trop ne te méritent pas…
Jésus, je voudrais que tu sois mon hôte demain … »
« Demain, je ne peux pas. Ce sera dans deux jours. Acceptes-tu ? »
« Toujours. J’aurai… des amis… et tu devrais les excuser si… »
« Oui, oui. Je viendrai avec Jean. »
Le pharisien s’en va et Jésus se joint aux apôtres.
Ils reviennent à la maison pour le souper. Mais pendant qu’ils mangent le poisson grillé, les
rejoignent des aveugles qui déjà avaient imploré Jésus sur la route. Ils répètent maintenant leur :
‘Jésus fils de David, aie pitié de nous !’
« Mais, partez ! Il vous a dit : ‘demain’ et que ce soit demain. Laissez-le manger » leur dit
Simon Pierre d’un ton de reproche.
« Non, Simon, ne les chasse pas. Tant de constance mérite une récompense. Venez vous deux »
dit-il ensuite aux aveugles et ils entrent en tâtant de leur bâton le sol et les murs. « Croyez-vous que
je puisse vous rendre la vue ? »
« Oh ! Oui, Seigneur ! Nous sommes venus parce que nous en sommes certains. »
Jésus se lève de table, s’approche d’eux, met ses doigts sur les paupières aveugles, lève
le visage, prie et dit : « Qu’il vous soit fait selon la foi que vous avez. » Il enlève les
mains, et les paupières immobiles remuent parce que la lumière frappe de nouveau les
pupilles qui sont revenues à la vie pour l’un et pour l’autre les paupières se dessillent et
là où il y avait une suture due certainement à des ulcères mal soignées, voilà que se
reforme sans défectuosité le bord de la paupière et elle se lève et s’abaisse comme des
ailes qui battent.
Les deux tombent à genoux.
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« Levez-vous et allez et veillez bien à ce que personne ne sache ce que je vous ai fait. Portez la
nouvelle de la grâce que vous avez reçue à votre ville, à vos parents, à vos amis. Ici, ce n’est pas
nécessaire ni favorable à votre âme. Gardez-la exempte de blessures dans sa foi, comme
maintenant, sachant ce qu’est l’œil, vous le préserverez de blessures pour ne pas être aveugles de
nouveau. »
Le repas se termine. Ils montent sur la terrasse où il y a un peu de fraîcheur. Le lac n’est que
scintillement sous le quartier de lune. Jésus s’assied sur le bord du muret et s’abstrait dans la
contemplation du lac aux vagues argentées. Les autres parlent entre eux à voix basse pour ne pas le
déranger.
Mais ils le regardent, comme fascinés. En effet, comme il est beau ! Tout auréolé par
la lune qui éclaire son visage à la fois sévère et serein, qui permet d’en étudier les plus
légers détails, il se tient, la tête légèrement appuyée contre le sarment rêche de la vigne
qui monte de là pour s’étendre ensuite sur la terrasse. Ses yeux allongés d’un bleu clair,
qui dans la nuit paraissent couleur d’onyx, semblent épandre sur toutes choses des ondes
de la paix. Parfois, ils se lèvent vers le ciel serein parsemé d’astres, d’autres fois ils
s’abaissent sur les collines, et plus bas sur le lac, parfois encore, ils fixent un point
indéterminé et ils semblent sourire à leur propre vision. Les cheveux ondulent un peu
sous le vent léger. Une jambe suspendue à peu de distance du sol, l’autre qui s’appuie
sur le sol, il reste ainsi, assis de biais avec ses mains qui, s’abandonnent sur les genoux
et son habit blanc parait accentuer sa blancheur lumineuse, le rendre plus argenté par
l’effet de la lumière lunaire, alors que les mains longues et d’un blanc d’ivoire semblent
accentuer leur teinte de vieil ivoire et leurs beauté virile bien qu’effilées. Le visage aussi,
avec son front haut, le nez rectiligne, l’ovale agréable des joues que prolonge la barbe
blonde légèrement cuivrée, semble sous cette lumière lunaire prendre la teinte du vieil
ivoire en perdant la nuance rosée que pendant le jour on remarque en haut des joues.
« Tu es fatigué, Maître ? » demande Pierre.
« Non. »
« Tu me sembles pâle et pensif… »
« Je réfléchissais. Mais je ne crois pas être plus pâle que d’habitude. Venez ici… la
lumière de la lune vous rend tous pâles, vous aussi. Demain, vous irez à Corozaïn. Peut-
être vous trouverez des disciples. Parlez leur et veillez à être ici demain, au crépuscule.
Je prêcherai près du torrent. »
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« Quelle belle chose ! Nous le dirons à ceux de Corozaïn. Aujourd’hui, au retour, nous avons
rencontré Marthe et marcelle. Elles sont venues ici ? » demande André.
« Oui. »
« A Magdala on parlait beaucoup de Marie, qui ne sort plus, qui ne donne plus de
fêtes. Nous nous sommes reposés chez la femme de l’autre fois. Benjamin m’a dit que
quand il veut faire le méchant il pense à Toi et .. »
« …et à moi, dis-le aussi, Jacques » dit l’Iscariote.
« Il ne l’a pas dit. »
« Mais il l’a sous-entendu en disant : ‘Je ne veux pas être beau et par contre méchant, moi’ et il
m’a regardé de travers. Il ne peut me souffrir… »
« Antipathie sans importance, Judas. N’y pense pas » dit Jésus.
« Oui, maître, mais c’est ennuyeux que… »
« Y a-t-il le Maître ? » crie une voix du chemin.
« Oui. Mais que voulez vous de nouveau ? Le jour ne vous suffit pas, long comme il est ? Est-ce
une heure pour déranger de pauvres voyageurs ? Revenez demain » ordonne Pierre.
« C’est que nous avons avec nous un muet qui est possédé et, pendant le trajet, il nous
a échappé trois fois. Sans cela, on serait arrivé plus tôt. Soyez bons ! Dans un moment,
quand la lune sera haute, il hurlera fort et épouvantera le pays. Voyez comme déjà il
s’agite ? »
Jésus se penche du haut du muret après avoir traversé toute la terrasse. Les apôtres l’imitent. Un
cercle de visages courbés sur une foule de gens qui lèvent la tête vers ceux qui se penchent.
Au milieu, avec des mouvements et des mugissements d’ours ou de loup enchaîné, un homme
avec les poignés bien attachés pour qu’il ne s’enfouie pas. Il mugit en s’agitant avec des
mouvements de bête et comme s’il cherchait sur le sol je ne sais pas quoi. Mais quand il lève les
yeux et rencontre le regard de Jésus, il pousse un hurlement bestial, inarticulé, un véritable
hurlement et il cherche à s’enfouir.
La foule, presque tous les adultes de Capharnaüm, s’écarte, effrayée. « Viens, par
charité ! Cela le reprend comme auparavant… »
« Je viens tout de suite. »
Et Jésus descend rapidement et va en face du malheureux qui est plus agité que jamais.
« Sors de lui : Je le veux. »
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Le hurlement s’évanouit en une seule parole : ‘Paix !’
« Oui, la paix. Aie la paix maintenant que tu es délivré. »
La foule crie, émerveillée, en voyant le brusque passage de la fureur à la tranquillité, de la
possession à la délivrance, du mutisme à la parole.
« Comment avez-vous su que j’étais ici ? »
« A Nazareth on nous a dit : ‘Il est à Capharnaüm. A capharnaüm cela nous a été confirmé par
deux hommes qui avaient eu les yeux guéris par Toi, dans cette maison.
» « C’est vrai ! C’est vrai ! A nous aussi ils l’ont dit… » crient plusieurs. Et ils commentent :
« Jamais on n’a vu pareilles choses en Israël. »
« S’il n’avait pas eu l’aide de Belzébuth, il ne l’aurait pas fait » ricanent les pharisiens de
Capharnaüm parmi lesquels ne se trouve pas Simon.
« Aide ou pas aide, je suis guéri et les aveugles aussi. Vous, vous ne pouvez le faire malgré vos
grandes prières « réplique le muet possédé qui a été guéri et il baise le vêtement de Jésus qui ne
répond pas aux pharisiens et se borne à congédier la foule avec son ‘La paix soit avec vous’. Il
retient le miraculé et ceux qui l’accompagnaient en leur offrant un abri dans la chambre du haut
pour se reposer jusqu’à l’aube. »

94. PARABOLE DE LA BREBIS PERDUE

Jésus parle à la foule. Monté sur le bord planté d'arbres d'un torrent, il parle à une foule
nombreuse répandue dans un champ dont le blé est coupé et qui présente l'aspect désolant des
chaumes brûlés par le soleil.
C'est le soir. Le crépuscule descend, mais déjà la lune monte. Une belle et claire soirée d'un début
d'été. Des troupeaux rentrent au bercail et le tintinnement des sonnailles se mêle au chant perçant
des grillons ou des cigales, un grand : cri, cri, cri ...
Jésus prend la comparaison des troupeaux qui passent ; Il dit : " Votre Père est comme
un berger attentif. Que fait le bon pasteur ? Il cherche de bons pâturages pour ses brebis,
où il n'y a pas de ciguë ne des plantes dangereuses, mais des trèfles agréables, des herbes
aromatiques, et des chicorées amères mais bonnes pour la santé. Il
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cherche une place où se trouve en même temps que la nourriture de la fraîcheur, un ruisseau aux
eaux limpides, des arbres qui donnent de l'ombre, où il n'y a pas d'aspics au milieu de la verdure. Il
ne se soucie pas de trouver des pâturages plus gras parce qu'il sait qu'ils cachent facilement des
serpents aux aguets et des herbes nuisibles, mais il donne la préférence aux pâturages de montagne
où la rosée rend l'herbe pure et fraîche, mais que le soleil débarrasse des reptiles, là où l'on trouve
un bon air que remue le vent et qui n'est pas lourd et malsain comme celui de la plaine. Le bon
pasteur observe une par une ses brebis. Il les soigne si elles sont malades, les panse si elles sont
blessées. A celle qui se rendrait malade par gloutonnerie, il élève la voix, à celle qui prendrait du
mal à rester dans un endroit trop humide ou trop au soleil, il dit d'aller dans un autre endroit. Si une
est dégoûtée, il lui cherche des herbes acidulées et aromatiques capables de réveiller son appétit et
les lui présente de sa main en lui parlant comme à une personne amie.
C'est ainsi que se comporte le bon Père qui est aux Cieux avec ses fils qui errent sur la terre. Son
amour est la verge qui les rassemble, sa voix leur sert de guide,ses pâturages c'est la Loi, son bercail
le Ciel.
Mais voilà qu'une brebis le quitte. Combien il l'aimait! Elle était jeune, pure, candide comme
une nuée légère dans un ciel d'avril. Le berger la regardait avec tant d'amour en pensant à tout le
bien qu'il pouvait lui faire et à tout l'amour qu'il pourrait en recevoir. Et elle l'abandonne.
Le long du chemin qui borde le pâturage, un tentateur est passé. Il ne porte pas une casaque
austère, mais un habit aux milles couleurs. Il ne porte pas la ceinture de peau avec la hache et le
couteau suspendus, mais une ceinture d'or d'où pendent des sonnettes au son argentin, mélodieux
comme la voix du rossignol,et des ampoules d'essences enivrantes... Il n'a pas le bourdon avec
lequel le bon pasteur rassemble et défend les brebis, et si le bourdon ne suffit pas, il est prêt à les
défendre avec sa hache ou son couteau et même au péril de sa vie. Mais ce tentateur qui passe a
dans les mains un encensoir tout brillant de pierres précieuses d'où s'élève une fumée qui est à la
fois puanteur et parfum, qui étourdit comme éblouissent les facettes des bijoux, oh! combien faux!
Il va chantant et laisse tomber des poignées d'un sel qui brille sur le chemin obscur...
Quatre-vingt-dix-neuf brebis le regardent sans bouger.
La centième, la plus jeune et la plus chère, fait un bond et
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disparaît derrière le tentateur. Le berger l'appelle, mais elle ne revient pas. Elle va, plus rapide que
le vent, rejoindre celui qui est passé et, pour soutenir ses forces dans la course, elle goûte ce sel qui
pénètre au dedans et la brûle d'un délire étrange qui la pousse à chercher les eux noires et vertes
dans l'obscurité des forêts. Et, dans les forêts, à la suite du tentateur, elle s'enfonce, elle pénètre,
monte et descend et elle tombe ... une, deux, trois fois. Et une, deux, trois fois, elle sent autour de
son cou l'embrassement visqueux des reptiles, et assoiffée, elle boit des eaux souillées, et affamée,
elle mord des herbes qui brillent d'une bave dégoûtante.
Que fait pendant ce temps le bon pasteur? Il enferme en lieu sûr les quatre-vingt-dix-neuf brebis
fidèles et puis se met en route et ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il trouve des traces de la brebis perdue.
Puisqu'elle ne revient pas à lui, qui confie au vent ses appels, il va vers elle. Il la voit de loin,
enivrée et enlacée par les reptiles, tellement ivre qu'elle ne sent pas nostalgie du visage qui l'aime, et
elle se moque de lui. Il la revoit, coupable d'être entrée comme une voleuse dans la demeure
d'autrui, tellement coupable qu'elle n'ose plus le regarder... Et pourtant le pasteur ne se lasse pas... et
il va. Il la cherche, la suit, la harcèle. Il pleure sur les traces de l'égarée: lambeaux de toison:
lambeaux d'âme; traces de sang: délits de toutes sortes; ordures: témoignages de sa luxure. Il va et
la rejoint.
Ah! je t'ai trouvée, mon aimée! Je t'ai rejointe! Que de chemin j'ai fait pour toi! Pour te ramener
au bercail. Ne courbe pas ton front souillé. Ton péché est enseveli dans mon coeur. Personne,
excepté moi qui t'aime, ne le connaîtra. Je te défendrai contre les critiques d'autrui, je te couvrirai de
ma personne pour te servir de bouclier contre les pierres des accusateurs. Viens. Tu es blessée? Oh!
montre-moi tes blessures. Je le connais, mais je veux que tu me les montre, avec la confiance que tu
avais quand tu étais pure et quand tu me regardais moi, ton pasteur et ton dieu, d'un oeil innocent.
Les voilà. Elles ont toutes un nom. Oh! comme elle sont profondes! Qui te la as faites si
profondes ces blessures au fond du coeur? Le tentateur, je le sais. C'est lui qui n'a ni bourdon ni
hache mais qui blesse plus profondément avec sa morsure empoisonnée et, après lui, ce sont les
faux bijoux de son encensoir, qui t'ont séduite par leur éclat ... et qui étaient un soufre infernal qui
se produisait à la lumière pour te brûler le coeur. Regarde combien de toison déchirée, combien de
sang, combien de ronces!
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Oh! pauvre petite âme illusionnée! Mais dis-moi: si je te pardonne, tu m'aimeras encore? Mais,
dis-moi: si je te tends les bras, tu t'y jetteras? Mais, dis-moi: as-tu soif d'un amour bon? Et alors,
viens, et reviens à la vie. Reviens dans les pâturages saints. Tu pleures. Tes larmes mêlées aux
miennes lavent les traces de ton péché, et Moi, pour te nourrir, puisque tu es épuisée par le mal qui
t'a brûlée, je m'ouvre le poitrine, je m'ouvre les veines et je te dis: 'Nourris-toi, mais vis!'
Viens que je te prenne dans mes bras. Nous irons plus rapidement aux pâturages saints et sûrs.
Tu oublieras toute cette heure de désespoir et tes quatre-vingt-dix-neuf soeurs, les bonnes,
jubileront pour ton retour. Je te le dis, ma brebis perdue, que j'ai cherchée en venant de loin, que j'ai
retrouvée, que j'ai sauvée, qu'on fait une plus grande fête parmi les bons pour une brebis perdue qui
revient que pour les quatre-vingt-dix-neuf justes qui ne se sont pas éloignées du bercail."
Jésus ne c'est jamais retourné pour regarder vers le chemin qui se trouve derrière Lui et
par lequel est arrivée, dans la pénombre du soir, Marie Magdaleine, encore très élégante,
mais habillée, du moins, et couverte d'un voile foncé qui cache ses traits et ses formes.
Mais, quand Jésus arrive à ces paroles: 'Je t'ai trouvée, mon aimée', Marie passe la main
sous son voile et pleure doucement et sans arrêt. Les gens ne la voient pas car elle est au-
delà du talus qui borde le chemin. Il n'y a pour la voir que la lune désormais haute, et
l'esprit de Jésus...

qui me dit: 'Le commentaire est dans la vision, mais je t'en parlerai encore.
Maintenant repose-toi, car c'est l'heure. Je te bénis, Maria fidèle.']

95. "APRÈS AVOIR RAPPELÉE LA LOI, J'AI FAIT CHANTER L'ESPÉRANCE DU


PARDON"

Jésus dit:
[Depuis janvier, depuis le moment où je t'ai fait voir le souper dans la maison de Simon le lépreux,
toi et celui qui te guide, vous avez désiré connaître davantage Marie de Magdala et les paroles que
je lui avais adressée. Sept mois après, je vous découvre ces pages du passé pour vous faire plaisir et
pour donner une régie de conduite à
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ceux qui doivent savoir se pencher sur ces âmes lépreuses, et une voix qui s'adresse à ces
malheureux qui étouffent dans leur tombeau de vice, pour qu'ils s'en sortent.]

Dieu est bon. Avec tout le monde, Il est bon. Il ne se sert pas des mesures humaines. Il ne fait
pas de différence entre péché et péché mortel. Le péché, quel qu'il soit, l'afflige. Le repentir le rend
joyeux et prêt à pardonner. La résistance à la grâce le rend inexorablement sévère car la justice ne
peut pardonner à l'impénitent
qui meurt en cet état malgré tous les secours qu'il a eus pour se convertir.
Mais, dans les conversions manquées, il y en a sinon la moitié, au moins quatre sur dix, qui ont
pour cause première la négligence de ceux qui sont chargés des conversions, un zèle mal compris et
menteur qui est un voile qu'ils mettent sur un réel égoïsme et sur leur orgueil qui leur permet de
rester tranquilles dans leur propre asile, sans descendre dans la boue pour en arracher un coeur.
"Moi je suis pur, je suis digne de respect. Je ne vais pas là où il y a de la pourriture et où on peut me
manquer de respect". Mais celui qui parle ainsi n'a pas lu l'Évangile où il est dit que le Fils de Dieu
alla convertir les publicains et les prostituées pas seulement les honnêtes gens de l'ancienne Loi?
Mais ne pense-t-il pas celui-là que l'orgueil est une impureté de l'esprit, que le manque de charité est
une impureté de coeur? Tu seras vilipendé? Moi, je l'ai été avant toi et plus que toi, et j'étais le Fils
de Dieu. Tu devras mettre ton vêtement au contact de l'impureté? Et Moi, ne l'ai-je pas touchée de
mes mains, cette impureté, pour qu'elle se redresse et que je lui dise: 'Marche sur ce nouveau
chemin?'?
Ne vous souvenez-vous pas de ce que j'ai dit à vos premières prédécesseurs? 'Dans n'importe
quel cité ou village où vous entrerez, reinsegnez-vous s'il y a quelqu'un qui le mérite, et
Demeurez près de lui.' Cela pour que le monde ne jase pas. Le monde est trop disposé à
voir le mal en toutes choses.
Mais j'ai ajouté": 'En entrant ensuite dans les maisons -j'ai dit 'maisons' et non pas
'maison'- saluez en disant: 'Paix à cette maison'. Si la maison en est digne, la paix
viendra sur elle, si elle ne l'est pas, la paix reviendra vers vous'. Cela pour vous
enseigner que jusqu'à la preuve
Certaine de l'impénitente, vous devez avoir pour tous le même coeur. Et j'ai complété
l'enseignement en disant: 'Et si quelqu'un ne vous reçoit pas et n'écoute pas vos paroles,
en sortant de ces maisons et de ces cités, secouez la poussière qui est restée attachée à
vos semelles'. La fornication, sur les bons que la Bonté aimée avec constance
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transforme pour ainsi dire en un bloc poli de cristal, n'est que de la poussière.
Une poussière qu'il suffit de secouer ou de souffler sur elle pour qu'elle s'envole sans laisser de
blessure.
Soyez vraiment bons, un seul bloc, avec la Bonté éternelle au centre, et aucune
corruption ne pourra monter pour vous souiller au-dessus des semelles qui s'appuient sur
le sol. L'âme est tellement au-dessus! L'âme de celui qui est bon et de qui n'est qu'une
chose avec Dieu. L'âme est au Ciel. Là n'arrive pas la poussière et la boue, même si elle
est lancée avec rancoeur contre l'esprit de l'apôtre.
Elle peut atteindre la chair, vous blesser matériellement et moralement en vous persécutant parce
que la Mal hait le bien, ou en vous offensant. Et qu'est ce que cela fait? N'ai-je pas été offensé, Moi,
N'ai-je pas été blessé? Mais est-ce que ces coups et ces paroles obscènes on fait impression sur mon
Esprit? L'ont-ils troublé? Non. Comme un crachat sur un miroir et comme un caillou lancé contre la
pulpe juteuse d'un fruit, ils ont glissé sans pénétrer, ou bien ils ont pénétré, mais seulement en
surface, sans blesser le germe renfermé dans le noyau, en favorisant, au contraire, la germination
car il est plus facile pour le germe sortir d'une masse entrouverte que de celle toute entière. C'est en
mourant que le grain germe et que l'apôtre devient fécond. En mourant matériellement parfois, en
mourant presque journellement au sens métaphorique parce que le moi humain n'en est que brisé. Et
ce n'est pas la mort: c'est la Vie. C'est le triomphe de l'esprit sur ce qui n'est qu'humain.
Elle est venue à Moi par un caprice d'oisive qui ne sait comment occuper ses heures de
loisir. A ses oreilles assourdies par les adulations mensongères de ceux qui la berçaient
par des hymnes à la sensualité pour l'avoir comme esclave, à ses oreilles a résonné la
voix limpide et sévère de la Vérité.
De la Vérité qui n'a pas peur qu'on ma méprise et qu'on la méconnaisse et qui parle en
regardant Dieu.
Et comme un carillon un jour de fête, toutes les voix se sont fondues dans la parole. Les voix
habituées à résonner dans les cieux, dans le libre azur de l'air, en se propageant par les vallées et les
collines, les plaines et les lacs pour rappeler les gloires du Seigneur et ses festivités.
Ne vous rappelez-vous pas le carillon de fête qui, en temps de paix, rendait si gai le jour dédié
au Seigneur? La grosse cloche donnait, avec son battant, le premier son, au nom de la Loi divine.
Elle disait: 'Je parle au nom de Dieu, Juge et Roi'. Mais ensuite les
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plus,petites arpégeaient: 'Qui et bon, miséricordieux et patient' jusqu'à ce que la cloche la plus
argentine disait d'une voix angélique: 'Sa charité pousse au pardon et à la compassion pour vous
enseigner que le pardon est plus utile que la rancoeur et la compassion que l'inexorabilité. Venez à
Celui qui pardonne, ayez foi en Celui qui compatit'. Moi aussi, après avoir rappelé la Loi, piétinée
par la pécheresse, j'ai fait chanter l'espérance du pardon. Comme une bande soyeuse de vert et
d'azur, je l'ai secouée parmi les teintes noires pour y mettre ses paroles réconfortantes.
Le pardon! La rosée sur la brûlure du coupable. La rosée ce n'est pas comme la grêle qui frappe
comme une flèche, blesse, rebondit et s'en va sans pénétrer, en tuant les fleurs. La rosée descend si
légère que même la fleur la plus délicate ne la sent pas se poser sur ses pétales de soie. Mais ensuite,
elle en boit la fraîcheur et se restaure. Elle se pose près des racines, sur la glèbe brûlée et la
pénètre... C'est une moiteur de larmes, les pleurs des étoiles, les pleurs aimants d'une nourrice sur
ses enfants qui ont soif, et qui descend, en les restaurant en même temps que le lait doux et
nourrissant. Oh! le mystère des éléments qui agissent même quand l'homme repose ou pèche!
Le pardon est comme cette rosée. Il amène avec lui non seulement la netteté, mais les sucs
vitaux qu'il prend non aux éléments mais aux foyers divins. Puis, après la promesse du pardon, voici
la Sagesse qui parle et qui dit ce qui est licite et ce qui ne l'est pas, et rappelle et secoue. Pas par
dureté mais par souci maternel de sauver.
Que de fois votre silex ne se rend-il pas plus impénétrable et plus tranchant envers la Charité qui
sur vous se penche!... Que de fois vous vous enfuyez alors qu'Elle vous parle!... Que de fois vous
vous moquez d'Elle! Que de fois vous la haïssez!... Si la Charité en usait vers vous comme vous les
faites avec Elle, malheur à vos âmes! Au contraire, vous le voyez! Elle est l'Infatigable Marcheuse
qui va à votre recherche. Elle va vous rejoindre même si vous vous enfouissez dans de dégoûtantes
tanières.
Pourquoi ai-je voulu aller dans cette maison? Pourquoi n' ai-je pas opéré le miracle?
C'est pour enseigner aux apôtres comment ils doivent agir, en défiant les préventions et
les critiques pour accomplir un devoir si élevé qu'il échappe à ces choses du monde.
Pourquoi ai-je dit à Judas ces paroles? Les apôtres s'en tenaient beaucoup
à leur tempérament d'hommes. Tous les chrétiens en sont là, même les saints de la terre, à un
moindre degré. Quelque
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chose en survit, même chez ceux qui sont parfaits. Mais les apôtres n'en étaient encore là. Leur
pensée était pénétré d'humain. Je les élevais, mais le poids de leur humanité les ramenait en bas.
Pour les faire monter toujours plus, je devais mettre sur le chemin de la montée des choses capables
d'arrêter leur descente de façon qu'ils s'arrêtent contre elles à réfléchir et prendre du repos pour
ensuite monter plus haut que la fois précédente, des choses qui fussent d'un niveau capable de les
persuader que Moi j'étais un Dieu. Pour cela des introspection d'âmes, pour cela la victoire sur les
éléments, pour cela des miracles, pour cela la transfiguration, la résurrection et des ubiquités.
Je me trouvais sur le chemin d'Emmaüs alors que j'étais au Cénacle et l'heure des deux
présences, confrontée entre les apôtres et les disciples, fut une des raisons qui les secoua le plus en
les arrachant à leurs biens et en les lançant sur la voie du Christ.
Plus que pour Judas, membre qui couvait déjà en lui la mort, je parlais pour les autres onze. Je
devais nécessairement faire briller à leurs yeux que j'étais Dieu, non par orgueil, mais parce que
c'était nécessaire pour leur formation. J'étais Dieu et M[itre. Ces mots indiquaient qui j'étais. Je me
suis revelé par une puissance qui dépassait l'humain et j'enseignais une perfection: de ne pas avoir
des conversations mauvaises même en notre intérieur. Parce que Dieu voit et Dieu doit voir un
intérieur pur pour pouvoir y descendre et y faire sa demeure.
Pourquoi n'ai-je pas opéré le miracle en cette maison? Pour faire comprendre à tous que la
présence de Dieu exige une ambiance pure, par respect pour la grandeur de sa majesté. Pour parler
sans remuer les lèvres, mais avec une parole plus pénétrante, à l'esprit de la pécheresse et lui dire:
'Le vois-tu, malheureuse? Tu es tellement souillée que tout, autour de toi en est souillé, telement
souillée, que Dieu ne peut y agir. Toi, tu es plus souillée que celui-ci, parce que tu renouvelles la
faute d'Eve et quee tu offres le fruit aux Adams, en les tentant et en les enlevant à leur Devoir.Toi,
ministre de Satan'.
Pourquoi, cependant, je ne veux pas qu'elle soit appelée 'satan' par la mère angoissée? Parce
qu'aucune raison ne justifie l'insulte et la ahine. La première necessité qui s'impose et la première
condition pour avoir Dieuavec nous, c'est de n'avoir pas de rancoeur et de savoir pardonner. La
deuxième nécessité, c'est de savoir reconnaître qu'en nous aussi et en ce qui est nôtre il,y a de la
culpabilité. Ne pas voir seulement les fautes d'autrui. La troisième nécessité c'est de savoir se
conserver reconnaissants et fidèles après avoir eu la grâce, par justece envers l'Eternel. Malheureux
ceux qui, après avoir otenu la grâce, sont pires que des chiens et ne se souviennent pas de leur
Bienfaiteur, alors que le chien s'en souvient !
Je n'ai pas dit une parole à Marie Magdaleine. Comme si elle avait été une statue, je l'ai regardée
un instant, et puis je l'ai laissée. Je suis revenu aux 'vivants' que je voulais suver. Elle, matière morte
comme et davantage qu'une statue de marbre, je l'ai enveloppée d'une négligence apparente. Mais je
n'ai pas dit une parole ni fait un acte qui n'êut pas pour principal but sa pauvre âme que je voulais
racheter. Et ma dernière parole: 'Moi, je n'insulte pas. N'insulte pas. Prie pour les pécheurs. Rien
d'autre.' comme une guirlande de fleurs que l'on forme, ele est allée se souder à la première que
j'avais dite sur la montagne: 'Le pardon est plus hutile que la rancoeur, et la compassion plus que
l'inexorabilité'. Et elles l'ont enfermée, la pauvre malheureuse, dans un cercle velouté, frais, parfumé
de bonté, en lui faisant sentir combien l'amoureux service de Dieu est différent de l'esclavage féroce
de Satan, combien est souave le parfum céleste en comparaison de la puanteur de la faute et
combien il est reposant d'être aimé sainte,ent plutôt que d'être possedé sataniquement.
Voyez comme le Seigneur est moderé dans ses volontés. Il n'exige pas des conversions
foudroyantes. Il ne pretend pas à l'absolu d'un coeur. Il sait attendre. Il sait se contenter. Et pendant
qu'Il attend que celle qui est perdue retrouve le chemin, que la folle retrouve la raison. Il se contente
de ce que peut Lui donner la mère bouleversée.
Je lui demande seulement: 'Peux-tu pardoner?' Combien d'autres choses j'auraus eu à
lui demander, pour la rendre digne du miracle si j'avais jugé comme les hommes ! Mais
je mesure divinement vos forces. Pour cette pauvre mère bouleversée, c'était déjà
beaucoup d'arriver à pardonner, et je ne lui demande que cela à cette heure. Après, lui
ayant rendu son fils, je lui dis: 'Sois sainte et rends sainte la maison'. Mais pendant
qu'elle est bouleversée, je ne lui demende que le pardon pour la coupable. On ne doit pas
tout exiger de celui qui peu avant était dans le néant des ténèbres. Cette mère serait
ensuite venue à la lumière totale et, avec elle, l'épouse et les enfants. Sur le moment, à
ses yeux aveuglés par les larmes, il fallait faire arriver le crépuscule de la lumière: le
pardon, l'aube du jour de Dieu;
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De ceux qui étaient présents -je ne compte pas judas, je parle des gens accueillis à cet endroit, pas
mes discipes- un seul ne serait pas venu à la Lumière. Ces défaites accompagnent les victoires de
l'apostolat. Il y a toujours quelqu'un pour qui l'apôtre se fatigue vainement. Mais elles ne doivent
pas, ces défaites, faire perdre courage. L'apôtre ne doit pas pretendre tout obtenir. Contre lui
existent des forces adverses qui portent une fouile de noms et qui, comme les tentacules des
pieuvres, ressaisissent la proie qu'il leur avait été arrachée. Le mérite de l'apôtre reste le même.
Malheureux l'apôtre qui dit: 'Je sais que là je ne pourrai convertir, et donc je n'y vais pas'. Celui-là
est un apôtre sans valeur.
Il faut y aller même s'il n'y a qu'un sur mille qui se sauvera. La journée de l'apôtre sera
fructueuse pour ce seul homme, comme elle le serait pour mille. Car il aura fait tout ce qu'il pouvait,
et c'est cela que Dieu récompense. Il faut aussi penser que là où l'apôtre ne peut faire des
conversions parce que celui qu'on doit convertir est trop accaparré par Satan et que les forces de
l'apôtre sont insuffisantes pour l'effort demandé, Dieu peut intervenir. Et alors? Qui est plus que
Dieu?
Autre chose que doit absoluement pratiquer l'apôtre, c'est l'amour. L'amour manifeste. Pas
seulement l'amour secret des coeurs fidèles. Cela suffit pour les frères qui sont bons; Mais l'apôtre
est un ouvrier de Dieu, et il ne doit pas se borner à prier: il doit agir. Qu'il agisse avec amour, un
grand amour. La rigueur paralyse le travail de l'apôtre et le mouvement des âmes vers la Lumière.
Pas de rigueur, mais de l'amour.
L'amour c'est le vêtement d'amiante que les flammes des mauvaises passions ne peuvent
attaquer. L'amour vous sature d'essences préservatrices qui empèchent la pourriture humano-
satanique de péneter en vous. Pour conquerir une âme, il faut savoir l'aimer. Pour conquerir une
âme, il faut l'amener à aimer. Aimer le Bien en repoussant tous ses pauvres amours du péché.
J'ai voulu l'âme de marie; Et comme pour toi, petit Jean, je ne me suis pas borné à parler de ma
chair de maître. Je suis descendu la chercher sur les chemins du péché. Je l'ai poursuivie et
pesécutée de mon amour. Douce persecution ! Je suis entré, Moi, la Pureté", où elle était, elle,
l'Impureté.
Je n'ai pas redouté le scandale, ni pour Moi ni pour les autres. Le scandale ne pouvait
enter en Moi parce que j'étais la Miséricorde, et celle-ci pleure sur les fautes, mais ne
s'en scandalis pas. Malheureux le pasteur qui se scandalise et qui se retranche derrière ce
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paravent pour abandonner une âme ! Ne savez-vous pas que les âmes se relèvent plus facilement
que les corps et que la parole de pitié et d'amour qui dit: 'Ma soeur, relève-toi, pour ton bien' opère
souvent le miracle? Je ne craignais pas le scandale d'autrui. Aux yeux de Dieu, mon action était
justifiée. Aux yeux des bons, elle était comprise. L'oeil malveillant en qui fermente la malice qui se
degage d'unintérieur corrompu, n'a aucune valeur. Il trouve des fautes même en Dieu. Il ne voit de
parfait que lui-même. je ne m'en souciais donc pas;
Voici les trois conditions du salut d'une âme:
Etre d'une grande intégrité pour pouvoir parler sans crainte d'être réduit en silence. Parler à toute
une foule, de façon que notre parole apostolique qui s'adresse à elle qui se groupe autour de la
barque mystique aille, par des ondulations qui s'etendent, toujours plus loin, jusqu'à la rive boueuse
où sont couchés ceux qui stagnent dans la boue et ne se soucient pas de connître la Vérité.
C'est le premier travail à faire pour briser la croûte de la glèbe dure et la preparer aux semailles.
C'est le travail le plus sevère, pour celui qui l'accomplit et pour celui qui le supporte parce que la
paroe doit, comme le soc tranchant, blesser pour ouvrir. Et en vérité je vous dis que le coeur de
l'apôtre qui est bon se blesse et saigne par la souffrance de devoir blesser pour ouvrir. Mais cette
douleur aussi est féconde. C'est par le sang et les pleurs de l'apôtre que devient fertile la glèbe
inculte.
Seconde qualité: Travailler même là où quelqu'un, qui comprandra mal sa mission, s'enfouirait.
Se briser en s'efforçant d'arracher l'ivraie, le chiendent et les épines pour mettre à nu le terrain
labouré et faire briller sur lui, comme un soleil, la puissance de Dieu et sa bonté, et en même temps
en qualité de juge et de médecin être sevère et pourtant plein de pitié, s'arrêtant pour attendre, pour
donner le temps aux âmes de surmonter la crise, de reflechir, de décider.
Troisième point: Dès que l'âme qui dans le silence s'est repentie, en pleurant et en méditant ses
ereurs, ose venir timidement vers l'apôtre, craignant d'être chassée, que l'apôtre ait un coeur plus
grand que la mer, plus doux qu'un coeur de maman, plus enamouré qu'un coeur d'époux et qui
l'ouvre tout grand pour en faire couler des flots de tendresse.
Si vous avez Dieu en vous, Dieu qui est Charité, vous trouverez facilement les paroles de charité
qu'il faut dire aux âmes; Dieu pazrlera en vous et par vous et comme le miel qui coule d'un rayon,
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comme le baume qui coule d'une ampoule, l'amour ira sur les lèvres brûlées et d&goûtées, ira aux
esprits blessés et sera solagement et remède. Faites que les pécheurs vous aiment, vous, docteurs
des âmes. Faites qu'elle goûtent la saveur de la Charité céleste et en deviennent anxieuses de ne plus
chercher d'autre nourriture. Faites qu'elles éprouvent en votre douceur un tel soulagement qu'elles le
cherchent pour toutes leurs blessures.
Il faut que votre charité écarte d'eux toute crainte parce que, comme le dit l'ap^tre que tu as lue
aujourd'hui: 'la crainte suppose le châtiment. Celui qui craint, n'est pas parfait en charité' Mais ne
l'est pas nonplus celui qui fait craindre; Ne dites pas: 'Qu'as-tu fait?' Ne dites pas: 'Va-t-en!' Ne dites
pas: 'tu ne peux pas goûter l'amour bon'. Mais dites: 'Viens, les bras de Jésus sont ouverts'. Mais
dites: 'Goûte ce pain angélique et cette Parole et oublie la poix d'enfer et le mépris de Satan' Faites-
vous bêtes de somme pour les faiblesse d'autrui. L'apôtre doit porter son fardzeau et celui d'autrui
en même temps que ses croix et celles d'autrui; Et quand vous venez à moi chargés de brebis
blessées, rassurez-les, ces brebis errantes, et dites: 'Tout est oublié à partir de maintenant'; dites:
'N'aie pas peur du Sauveur; Il est venu du Ciel pour toi. Je ne suis que le pont pour te conduire à lui
qui t'attend, outre le canal de l'absolution pénitentielle, pour t'amener à ses pâturages saints, dont le
commencement est ici sur la terre, mais continuent ensuite, dans une Beauté éternelle qui nourrit et
charme, dans les Cieux'.
[Voici le commentaire; Il vous concerne peu, vous brebis fidèles au Bon Pasteur.
Mais pour toi, petite épouse, il sera un accroissement de confiance, pour le Père il sera
encore plus de lumière dans sa lumière de juge, pour beaucoup il sera non pas l'agouillon
qui pousse au Bien, mais il sera la rosée dont j'ai parlé, qui pénètre et nourrit et qui fait
se redresser les fleurs flétries.
Levez la tête. Le Ciel est là-haut. Va en paix, Marie. Se Seigneur est avec toi.']

96. JESUS DIT A MARTHE : « TU AS DEJA TA VICTOIRE EN MAIN »

Jésus va monter dans la barque. C’est une claire aurore d’été qui effeuille les roses sur le crêpe
de soie du lac, quand survient Mar-
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the avec sa servante. « Oh ! Maître ! Ecoute-moi pour l’amour de Dieu. »
Jésus redescend sur la rive et dit aux apôtres : « Allez m’attendre près du torrent. Entre temps,
préparez tout pour la mission vers Magedan. La Décapole aussi attend la parole. Allez. »
Et pendant que la barque de détache et prend le large, Jésus marche à côté de Marthe,
respectueusement suivie par Marcelle.
Ils s’éloignent ainsi du pays en cheminant sur la rive qui, tout de suite après une bande de sable,
déjà mélangée de rares herbes sauvages, se couvre de végétation et quitter la ligne horizontale pour
grimper en donnant l’assaut aux pentes qui se mirent dans le lac.
Quand ils ont rejoint un endroit solitaire, Jésus dit en souriant : « « Que veux-tu me dire ? »
« Oh ! Maître…cette nuit peu après la fin de la seconde veille, Marie est revenue à la
maison. Ah ! Mais j’oubliais de te dire qu’elle m’avait dit à sexte, pendant que nous
mangions : ‘Te déplairait-il de me prêter un de tes habits et un manteau ? Ils seront un
peu courts, mais je laisserai le vêtement flou et je descendrai le manteau…’ Je lui ai dit :
‘Prends ce que tu veux, ma sœur’ et le cœur me battait très fort parce que auparavant,
dans le jardin, j’avais dit en parlant à Marcelle : ‘Au crépuscule, il faut être à
Capharnaüm car le Maître parle à la foule ce soir’ et j’avais vue marie sursauter, changer
de couleur, ne sachant plus rester en place, mais elle allait et venait seule comme une
âme en peine, agitée, sur le point de décider… et ne sachant pas encore ce qu’accepter,
ce que repousser.
Après le repas, elle est allée dans ma chambre et elle a pris le vêtement le plus sombre que
j’avais, le plus modeste, elle l’a essayé et a prié la nourrice de descendre tout l’ourlet parce que
l’habit était trop court. Elle avait essayé de le faire par elle-même, mais avait reconnu en pleurant :
‘Je ne sais plus coudre, j’ai oublié tout ce qui est utile et bon…’ et elle m’a jeté les bras autour du
cou en me disant : ‘Prie pour moi’. Elle est sortie seule, au crépuscule… Comme j’ai prié pour
qu’elle ne rencontre personne qui l’empêche de venir ici, pour qu’elle comprenne ta parole, pour
qu’elle réussisse à étrangler définitivement le monstre qui la rend esclave… regarde : J’ai ajouté à
ma ceinture ta ceinture bien serrée sous l’autre, et quand je sentais la pression du cuir sur ma taille
qui n’est plus habituée aux ceintures si rigides, je disais : ‘lui est plus fort que tout’.
Et puis, avec le char on a vite fait, puis nous sommes venues,
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Marcelle et moi. Je ne sais si tu nous as vu dans la foule… mais quelle douleur, quelle
épine dans le cœur, en ne voyant pas Marie ! Je pensais : ‘Elle a regretté, elle est revenue
à la maison. Ou bien… ou bien elle s’est enfouie, ne pouvant plus résister à mon autorité
qu’elle avait réclamée’. Je t’écoutais et je pleurais sous mon voile. Ces paroles
paraissaient faites pour elle… et elle ne les entendait pas ! Je pensais ainsi moi qui ne la
voyais pas. Je suis revenue à la maison découragée. C’est vrai. Je t’ai désobéi parce que
tu m’avais dit : ‘Si elle vient, attends-la à la maison’. Mais considère mon cœur. Maître !
C’était ma sœur qui venait vers Toi ! Est-ce que je pouvais n’être pas là pour la voir près
de Toi ? Et puis !... Tu m’avais dit : ‘Elle sera brisée’. Je voulais être près d’elle tout de
suite pour la soutenir…
J’étais agenouillée en larmes et en prière dans ma chambre et la seconde veille était finie depuis
longtemps quand elle est rentrée. Si doucement que je ne l’ai entendue que quand elle est tombée
sur moi, me serrant étroitement dans ses bras et disant : ‘C’est vrai tout ce que tu dis, sœur bénie. Et
même c’est beaucoup plus que tu ne dis. Sa miséricorde est beaucoup plus grande. Oh ! Ma
Marthe ! Tu n’as plus besoin de me retenir ! Tu ne me verras plus cynique et désespérée ! Tu ne
m’entendras plus dire : ‘Pour ne pas penser !’ maintenant je veux penser, je sais à quoi penser. A la
Bontè faite chair. Tu as prié, ma sœur, certainement tu as prié pour moi. Mais tu as déjà ta victoire
en main. Ta Marie qui ne veut plus pécher, qui renaît maintenant, la voilà. Regarde-la bien en face,
car c’est une nouvelle marie au visage lavé par les pleurs de l’espérance et du repentir. Tu peux me
baiser, sœur pure. Il n’y a plus de traces d’amour honteux sur mon visage. Il a dit qu’il aime mon
âme, car c’est à elle qu’il parlait. La brebis perdue, c’était moi. Il a dit, écoute si je dis bien. Tu la
connais la manière de parler du Sauveur…’ et elle m’a répété, mais parfaitement, ta parabole.
Elle est si intelligente, marie ! bien plus que moi. Elle sait se rappeler. Ainsi, je t’ai
entendu deux fois. Si sur tes lèvres ces paroles étaient saintes et adorables, sur les
siennes, elles étaient pour moi saintes, adorables et aimables car c’étaient les lèvres
d’une sœur, de ma sœur retrouvée, revenue au bercail familial qui me les disaient. Nous
sommes restées embrassées, assises sur la natte du sol, comme quand nous étions petites
et que nous restions ainsi dans la chambre de maman ou bien près du métier où elle
tissait ou brodait ses splendides étoffes. Nous sommes restées ainsi, nous n’étions plus
séparées par le péché et il me semblait que maman
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aussi était présente par son esprit. Nous avons pleuré sans douleur et même avec tant de
paix ! nous nous embrassions heureuses … Et puis Marie, fatiguée par le chemin qu’elle
avait fait à pieds, par l’émotion de tant de choses, s’est endormie dans mes bras et, avec
l’aide de la nourrice, je l’ai couchée sur mon lit… et je l’ai quittée pour accourir ici… »
et Marthe baise les mains de Jésus, radieuse.
« Je te dis, Moi aussi, ce que t’a dit marie : ‘Tu as ta victoire en main’. Va et sois heureuse. Va en
paix. Aie une conduite toute de douceur et de prudence avec celle qui vient de renaître. Adieu,
Marthe. Fais-le savoir à Lazare, qui là-bas se tourmente. »
« Oui, Maître. Mais Marie, quand viendra-t-elle avec nous, les disciples ? »
Jésus sourit et dit : « Le Créateur a fait la création en six jours, et le septième, Il s’est reposé. »
« Je comprends. Il faut avoir de la patience… »
« Patience, oui. Ne pas soupirer. C’est une vertu, cela aussi. La paix à vous, femmes. Nous nous
reverrons bientôt » et Jésus les quitte pour aller vers le lac où la barque attend près de la rive.

97. MARIE – MAGDALEINE DANS LA MAISON DU PHARISIEN SIMON

Pour me réconforter de mes souffrances complexes et me faire oublier les méchancetés


des hommes, mon Jésus m’accorde cette suave contemplation.

Je vois une salle très riche. Un riche lampadaire à becs multiples est suspendu au
milieu et il est tout allumé. Aux murs, des tapis très beaux, des sièges ornés de
marqueterie et incrustés d’ivoire et de lames précieuses, et aussi des meubles très beaux.
Au milieu, une grande table carrée, mais formée de quatre tables réunies. La table est
certainement disposée ce tette manière pour les nombreux convives (tous hommes) et
elle est couverte de très belles nappes et de riche vaisselle. Il y a de nombreuses
amphores et des coupes précieuses et les serviteurs se déplacent tout autour, apportant
des plats et versant des vins. Au milieu du carré, il n’y a personne. Je vois le très beau
dallage, sur lequel se reflète la lumière du lampadaire à huile. A l’extérieur, par contre, il
y a de nombreux lits-sièges tous occupés par des convives.
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Il me semble me trouver sans l’angle à moitié obscur situé au fond de la salle, près d’une porte
qui est grand ouverte à l’extérieur, mais qui est en même temps fermée par un lourd tapis ou
tapisserie qui pend de son architrave.
Du côté le plus éloigné de la porte, se trouve le maître de maison avec les invités de
marque. C’est un homme âgé, vu d’une ample tunique blanche serrée à la taille par une
ceinture brodée. L’habit a aussi au cou, au bord des manches et du vêtement lui-même,
des bandes de broderies appliquées comme si c’étaient des rubans brodés ou des galons,
si on préfère les appeler ainsi. Mais la figure de ce petit vieux ne me plait pas. C’est un
visage méchant, froid, orgueilleux et avide.
A l’opposé, en face de lui, se trouve mon Jésus. Je le vois de côté, je dirais presque par
derrière. Il a son vêtement blanc habituel, des sandales, les cheveux séparés en deux sur
le front et longs comme toujours.
Je remarque que Lui et tous les convives ne sont pas allongés comme je croyais qu’on
l’était sur ce lits-sièges, c’est-à-dire perpendiculairement à la table, mais parallèlement.
Dans la vision de noces de Cana, je n’avais pas fait beaucoup attention à ce détail,
j’avais vu qu’ils mangeaient appuyés sur le coude gauche, mais il me semblait qu’ils
n’étaient pas couchés parce que les lits étaient moins luxueux et beaucoup plus courts.
Ceux-ci sont des vrais lits, ils rassemblent aux divans modernes, à la mode turque.
Jésus a Jean pour voisin, et comme Jésus s’appuie sur le coude gauche (comme tout le monde) il
en résulte que Jean se trouve encastré entre la table et le corps du Seigneur, arrivant avec son coude
gauche à l’aine du Maître, de manière à ne pas le gêner pour manger et à Lui permettre aussi, s’il le
veut, de s’appuyer confidentiellement sur sa poitrine.
Il n’y a pas de femmes. Tout le monde parle, et le maître de maison s’adresse de temps en temps
à Jésus avec une familiarité pleine d’affectation et une condescendance manifeste. Il est clair qu’il
veut Lui montrer, et montrer à tous ceux qui sont présents, qu’il Lui a fait un grand honneur de
l’inviter dans sa riche maison, Lui, pauvre prophète que l’on juge aussi un peu exalté…
Je vois que Jésus répond avec courtoisie, paisiblement. Il sourit de son léger sourire à
ceux qui l’interrogent, il sourit d’un sourire lumineux si celui qui parle, ou même
seulement le regarde, est Jean.
Je vois se lever la riche tapisserie qui couvre l’embrasure de la
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porte et entrer une femme jeune, très belle, richement vêtue et soigneusement coiffée. La
chevelure blonde très épaisse fait sur sa tête un véritable ornement de mèches
artistement tressées. Elle semble porter un casque d’or tout en relief, tellement la
chevelure est fournie et brillante. Elle a un vêtement dont je dirais qu’il est très
excentrique et compliqué si je le compare à celui que j’ai toujours vu à la Vierge marie.
Des boucles sur les épaules, des bijoux pour retenir les froncis en haut de la poitrine, des
chaînettes d’or pour dessiner la poitrine, une ceinture avec des boucles d’or et des
pierres précieuses. Un vêtement provocant qui fait ressortir les lignes de son très beau
corps. Sur la tête un voile si léger…qu’il ne voile rien. Ce n’est qu’une parure, c’est tout.
Aux pieds de très riches sandales avec des boucles d’or, des sandales de cuir rouge avec
des brides entrelacées aux chevilles.
Tous sauf Jésus, se retournent pour la regarder. Jean l’observe un instant puis il se
tourne vers Jésus. Les autres la fixent avec une visible et mauvaise gourmandise. Mais la
femme ne les regarde pas du tout et ne se soucie pas du murmure qu s’est élevé à son
entrée et des clins d’œil de tous les convives, excepté Jésus et le disciple. Jésus fait voir
qu’il ne s’aperçoit de rien, il continue de parler en terminant la conversation qu’il avait
engagée avec le maître de la maison.
La femme se dirige vers Jésus et s’agenouille près des pieds du Maître. Elle pose par
terre un petit vase en forme d’amphore très ventrue, enlève de sa tête son voile en
détachant l’épingle précieuse qui la retenait fixée aux cheveux, elle enlève les bagues de
ses doigts et pose le tout sur le lit -siège près des pieds de Jésus, ensuite elle prend dans
ses mains les pieds de Jésus d’abord celui de droite, puis celui de gauche et en délace les
sandales, es dépose sur le sol, puis elle Lui baise les pieds en sanglotant et y appuie son
front, elle les caresse et ses larmes tombent comme une pluie qui brille à la lumière du
lampadaire et qui arrose la peau de ces pieds adorables.
Jésus tourne lentement la tête, à peine, et son regard bleu sombre se pose un instant sur la tête
inclinée. Un regard qui absout. Puis il regarde de nouveau vers le milieu. Il la laisse libre dans son
épanchement.
Mais les autres, non. Ils plaisantent entre eux, font des clins d’œil, ricanent. Et le pharisien se
met assis un moment pour mieux voir et son regard exprime désir, contrariété, ironie. C’est de sa
part la convoitise pour la femme, ce sentiment est évident. Il
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est fâché d’autre part qu’elle soit entrée si librement, ce qui pourrait faire penser aux
autres que la femme est … une habituée de la maison. C’est enfin un coup d’œil ironique
à Jésus….
Mais la femme ne fait attention à rien. Elle continue de verser des larmes abondantes, sans un cri.
Seulement de grosses larmes et de rares sanglots. Ensuite elle dénue ses cheveux en se retirant les
épingles d’or qui tenaient en place sa coiffure compliquée et elle pose aussi ces épingles près des
bagues et de la grosse épingle qui maintenait le voile. Les écheveaux d’or se déroulent sur les
épaules. Elle les prend à deux mains, les ramène sur sa poitrine et les passes sur les pieds mouillés
de Jésus, jusqu’à ce qu’ils soient secs. Puis elle plonge les doigts dans le petit vase et en retire une
pommade légèrement jaune et très odorante. Un parfum qui tient du lys et de la tubéreuse se répand
dans toute la salle. La femme y puise largement, elle étend, elle enduit, baise et caresse.
Jésus, de temps en temps, la regarde avec une affectueuse pitié. Jean, qui s’est retourné étonné
en entendant les sanglots, ne peut détacher le regard du groupe de Jésus et de la femme. Il regarde
alternativement l’Un et l’autre.
Le visage du pharisien est de plus en plus hargneux. J’entends ici les paroles connues de
l’Evangile et je les entends dites sur un ton, accompagnées d’un regard, qui font baisser la tête au
vieillard haineux.
J’entends les paroles d’absolution adressées à la femme qui s’en va en laissant ses
bijoux aux pieds de Jésus. Elle a enroulé son voile autour de sa tête en y enserrant le
mieux possible sa chevelure défaite. Jésus, en lui disant : « Va en paix » lui pose un
instant la main sur sa tête inclinée, mais avec une extrême douceur.

98. « IL EST BEAOUCOUP PARDONNE A QUI AIME BEAUCOUP »

Jésus maintenant me dit :


« Ce qui a fait baisser la tête au pharisien et à ses amis, et ce que l’Evangile ne rapporte pas, ce
sont les paroles que mon esprit, par mon regard, ont dardé et enfoncé dans cette âme sèche et avide.
J’ai répondu avec beaucoup plus de force que je n’aurais fait par des paroles car rien ne m’était
caché des pensées des hommes. Et
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lui m’a compris dans mon langage muet qui était encore plus lourd de reproche que ne l’auraient été
mes paroles.
Je lui ai dit : « Non, ne fais pas d’insinuation malveillantes pour te justifier à tes
propres yeux. Moi, je n’ai pas ta passion vicieuse. Cette femme ne vient pas à Moi
poussée par la sensualité. Je ne suis pas comme toi, ni comme tes semblables. Elle vient
à Moi parce que mon regard et ma parole, entendue par pur hasard, ont éclairé son âme
où la luxure avait crée les ténèbres. Et elle vient parce qu’elle veut vaincre la sensualité
et elle comprend, la pauvre créature, qu’à elle seule, elle n’y arriverait jamais. C’est
l’esprit qu’elle aime en Moi, rien que l’esprit qu’elle sent surnaturellement bon. Après
tant de mal qu’elle a reçu de vous tous, qui avez exploité sa faiblesse pour vos vices, en
la payant ensuite par les coups de fouet du mépris, elle vient à moi parce qu’elle se rend
compte qu’elle a trouvé le Bien, la joie, la paix, qu’elle avait inutilement cherchés parmi
les pompes du monde. Guéris-toi de cette lèpre de l’âme, pharisien hypocrite, sache
avoir une juste vision des choses. Quitte l’orgueil de ton esprit et la luxure de ta chair.
Ce sont des lèpres plus fétides que les lèpres corporelles. cette dernière, mon toucher
peut vous guérir parce que vous me faites appel pour elle, mais la lèpre de l’esprit non,
parce que de celle-là vous ne voulez pas guérir parce qu’elle vous plait. , elle le veut. Et
voilà que je la purifie, que je l’affranchis des chaînes de son esclavage. La pécheresse est
morte. Elle est là, dans ces ornements qu’elle a honte de m’offrir pour que je le sanctifie
en les consacrant à mes besoins et à ceux de mes disciples, pour les pauvres que je
secours avec le superflu d’autrui, parce que Moi, Maître de l’univers, je ne possède rien
maintenant que je suis le Sauveur de l’homme. est là dans ce parfum répandu sur mes
pieds, humilié comme ses cheveux, sur cette partie du corps que tu as négligé de
rafraîchir avec l’eau de ton puits, après tant de chemin que j’ai fait pour t’apporter la
lumière, à toi aussi. La pécheresse est morte. Et marie est revenue à la vie, redevenue
belle comme une fillette pure par sa vive douleur, par la sincérité de son amour. Elle
s’est lavée dans se larmes. En vérité je te dis, ô pharisien, qu’entre celui qui m’aime dans
sa jeunesse pure et celle-ci qui m’aime dans le sincère regret d’un cœur qui renaît à la
grâce, Moi je ne fais pas de différence; et à celui qui est Pur et à la Repentie je confie la
charge de comprendre ma pensée comme nul autre, et celle de donner à mon Corps les
derniers honneurs et le premier salut (je ne compte pas le salut particulier de ma Mère)
quand je serai ressu-
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scité. » Voilà ce que je voulais dire par mon regard au pharisien.
Mais à toi, je fais remarquer une autre chose, pour la joie et la joie d’un grand nombre. Béthanie
aussi, Marie répéta le geste qui marqua l’aube de sa rédemption. Il y a des gestes personnels qui se
répètent et qui traduisent une personne comme son style. Des gestes uniques. Mais, comme il était
juste, à Béthanie le geste est moins humilié et plus confiant dans sa respectueuse adoration.
Marie a beaucoup cheminé depuis l’aube de sa rédemption. Beaucoup. L’amour l’a entraînée
comme un vent rapide vers les hauteurs et en avant. L’amour l’a brûlée comme un bûcher,
détruisant en elle la chair impure et en rendant maître souverain en elle un esprit purifié. Et marie,
différente dans sa dignité de femme retrouvée, comme différente dans son vêtement, simple
maintenant comme celui de ma Mère, dans sa coiffure, dans son regard, dans sa contenance, dans sa
parole, toute nouvelle, une nouvelle manière de m’honorer par le même geste. Elle prend le dernier
de ses vases de parfum, mis en réserve pour Moi, et me le répand sur les pieds, sans pleurer, avec
un regard que rendent joyeux l’amour et la certitude d’être pardonnée et sauvée, sur la tête. peut
bien me faire cette onction et me toucher maintenant la tête, Marie, le repentir et l’amour l’ont
purifiée avec le feu des séraphins et elle est un séraphin.
Dis-le à toi-même, ô Maria, ma petite ‘voix’, dis-le aux âmes. Va, dis-le aux âmes qui n’osent
pas venir à Moi parce qu’elles se sentent coupables. Il est beaucoup, beaucoup, beaucoup pardonné
à qui aime beaucoup. A qui aime beaucoup. Vous ne savez pas, pauvres âmes, comme vous aime le
Sauveur ! Ne craignez rien de Moi. Venez. Avec confiance. Avec courage. vous ouvre mon Cœur et
mes bras.
Souvenez-vous-en toujours : « Je ne fais pas de différence entre celui qui m’aime avec une
pureté intacte et celui qui m’aime avec le sincère regret d’un cœur qui renaît à la grâce » Je suis le
Sauveur. Souvenez-vous-en toujours.
Va en paix. Je te bénis. »

99. CONSIDERATIONS SUR LA CONVERSION DE MARIE-MAGDELEINE

Aujourd’hui, je n’ai pas cessé de penser à la dictée de Jésus d’hier soir, et à ce que je
voyais et comprenais même sans qu’il parle.
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Cependant, je vous dis incidemment que les conversations des convives, pour celles
que je comprenais, c’est à dire celles qui s’adressaient particulièrement à Jésus, roulaient
sur les éventements du jour : les Romains, leurs oppositions à la Loi, et puis la mission
de Jésus en tant que Maître d’une nouvelle école. Mais sous une apparence bienveillante,
on comprenait que c’étaient des questions retorses et captieuses posées pour le mettre
dans l’embarras, chose qui n’était pas facile parce que Jésus opposait en peu de mots à
toute remarque, une réponse juste et décisive.
Comme on Lui demandait par exemple de quelle école ou secte particulière il s’était fait le
nouveau maître, il répondit simplement : « De l’école de Dieu. C’est Lui que je suis en sa sainte
Loi, et c’est de Lui que je me soucie en faisant en sorte que pour ces petits (et il regardait Jean avec
amour et en Jean il regardait tous ceux qui ont le cœur droit) elle soit renouvelée complètement en
son essence comme elle l’était le jour que le Seigneur Dieu la promulgua sur le Sinaï. Je ramène les
hommes à la Lumière de Dieu. »
A une autre question sur ce qu’il pensait de l’abus de César qui s’était rendu le maître souverain
de la Palestine, il avait répondu : « César est ce qu’il est parce que c’est la volonté de Dieu. -vous le
prophète Isaïe. N’appelle-t-il pas, lui, par inspiration divine, Assur le ‘bâton’ de sa colère, la verge
qui punit le peuple de Dieu qui s’est trop séparé de Dieu et a la feinte pour vêtement et pour
esprit ? ne dit-il pas qu’après s’en être servi pour punir, il le brisera parce qu’il aura abusé de sa
fonction, devenant orgueilleux et féroce ? »
Ce sont les deux réponses qui m’ont plus frappé.

Ce soir, ensuite, mon Jésus me dit en souriant :

« Je devrais t’appeler comme Daniel. Tu es celle qui désire et qui m’es chère parce que
tu désire tant ton Dieu et je pourrais continuer à te dire ce qui fut dit à Daniel par mon
ange : « Ne crains pas que, dès le premier jour où tu as appliqué ton cœur à comprendre
et à t’affliger en présence de Dieu, tes prières ont été exaucées et je suis venu à cause
d’elles » mais ici ce n’est pas l’ange qui parle. C’est Moi qui te parle, Jésus.

Toujours, ô Maria, je viens quand quelqu’un ‘applique son cœur à comprendre’. Je ne suis pas
un Dieu dur et sévère. Je suis la Miséricorde vivante, et plus rapide que la pensée, je viens vers celui
qui se tourne vers Moi.
Même pour la pauvre Marie de Magdala, si plongée dans son péché, je suis venu
rapidement avec mon esprit dès que j’ai senti s’élever en elle le désir de comprendre.
Comprendre la lumière de Dieu en son état de ténèbres. pour elle, je me suis fait
Lumière.
Je parlais à beaucoup de gens ce jour là, mais en vérité je parlais pour elle seule. Je ne
voyais qu’elle qui s’était approchée, poussée par la fougue d’une âme qui se révoltait
contre la chair qui la tenait assujettie. Je ne voyais qu’elle avec son pauvre visage en
détresse, avec son sourire contraint qui cachait, sous une appa-
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rence de sécurité et de joie trompeuse qui était un défi au monde et à elle-même, sa grande peine
intérieure. Je ne voyais qu’elle, bien plus enserrée par les ronces que la brebis égarée de la parabole,
elle qui se noyait dans le dégoût de sa vie venu à la surface comme ces vagues profondes qui
amènent avec elles l’eau du fond.
Je n’ai pas dites de grandes paroles, ni abordé un sujet indiqué pour elle, pécheresse bien
connue, pour ne pas la mortifier et pour ne pas la contraindre à fuir, à rougir d’elle-même ou à
venir. Je l’ai laissée tranquille. J’ai laissé ma parole et mon regard descendre en elle et y fermenter
pour faire de cette impulsion d’un moment, son glorieux avenir de sainte. J’ai parlé par une de mes
plus douces paraboles : un rayon de lumière et de bonté qui se répandait justement pour elle. Et, ce
soir-là, alors que je mettais le pied dans la maison du riche orgueilleux chez qui ma parole ne
pouvait fermenter en gloire future parce que tuée par l’orgueil pharisaïque, je savais déjà qu’elle
serait venue après avoir tant pleuré dans la pièce où elle avait péché et qu’à la lumière de ses pleurs
était déjà décidé son avenir.
Les hommes, brûlés par la luxure, en la voyant entrer ont tressailli en leur chair et ont
laissé pénétrer le soupçon en leur pensée. Tous l’ont désirée, sauf les deux ‘purs’ du
banquet : Jean et moi. Tous ont cru qu’elle venait poussée par une de ces probables
caprices qui, vraie possession démoniaque, la jetaient dans des aventure imprévues.
Mais Satan était désormais vaincu. Et tous ont pensé, envieux, en voyant qu’elle ne se
tournait pas vers eux, qu’elle venait pour Moi.
L’homme salit toujours même les choses les plus pures quand il est seulement homme de chair et
de sang. Seuls les purs voient juste parce qu’il n’y a pas de péché pour troubler la pensée. Mais
que l’homme ne comprenne pas, cela ne doit pas effrayer, Maria. Dieu comprend et cela suffit pour
le Ciel.
La gloire qui vient des hommes n’augmente pas d’un gramme la gloire qui est le sort des élus
dans le Paradis. Souviens-toi-s-en toujours. La pauvre marie de Magdala a toujours été mal jugée
dans ses bonnes actions. Elle ne l’avait pas été dans ses mauvaises actions parce que c’étaient des
bouchées de luxure offertes aux vicieux. Critiquée et mal jugée à Naïm, dans la maison du
pharisien, critiquée et accablée de reproches à Béthanie, dans sa maison.
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mais Jean, qui dit une grand parole, donne la clef de cette dernière critique : « Judas
… parce qu’il était voleur’. Moi je dis : « Le pharisien et ses amis parce qu’ils étaient
luxurieux ». Voilà, vois-tu ? L’avidité de la sensualité, l’avidité de l’argent élèvent la
voix pour critiquer une bonne action. Les bons ne critiquent pas. Jamais. comprennent.
Mais, je le répète, peu importe les critiques du monde. Ce qui importe, c’est le
jugement de Dieu.

Et je te prépare à l’enseignement de demain. Marque le chapitre 12èmede Daniel avec


les paroles qui lui furent dites par mon ange lumineux : « Ne crains pas. La paix est avec
toi, rends-toi courageux et sois fort », et toi sache toujours répondre : ‘ Parle, ô mon
Seigneur, car tu m’as revigorée’ »

Jésus me dit ensuite :


« Quand je te vois ainsi attentive à mes enseignements, tu me sembles une écolière
diligent et affectionnée à son maître qui pour elle est tout le ‘connaissable’. Quand
d’autre part tu découvres par toi-même des détails nouveaux, tu fais des observations (et
cela au cours des visions) tu me fais penser à un bon petit que son père tient par sa
menotte en le conduisant devant ce qu’il veut que son enfant voie, devenir plus
intelligent, mais qui, en même temps, n’intervient pas pour donner à son petit la joie de
découvrir quelque chose de nouveau et de se sentir grandir par lui-même en fait des
pensée.
Pour faire cela tu dois être toujours libre des soucis humains. Toujours plus libre. Tu dois avoir
toujours plus d’assurance pour marcher à l’aise dans les sentiers de la contemplation et toujours
plus tranquille et confiante en Moi qui te tiens par la main. Un père ne le laisse pas voir, mais par
mille détours que l’amour lui inspire, il arrive à ce que son enfant voie telle que lui veut que son
enfant voie. Oh ! Moi je suis le plus aimant des pères et le plus patient des maîtres pour mes petits
et, quand je peux en tenir un par la main, docile et attentif, je suis heureux. Heureux d’être Mître et
Père. Il est difficile que mes créatures mettent avec confiance leur main dans ma main pour être
conduites, introduites par Moi et pour me dire :’Je t’aime par dessus toute chose et avec tout moi-
même !’ A celles-là, peu nombreuses qui sont ainsi toutes ‘miennes’, sans réserve, Moi j’ouvre les
trésors des révélations et des contemplations et je me donne sans réserve.
C’est pourquoi, Maria, puisque je vous choisis pour faire connaître ma Divinité, dans ses
différentes manifestations, à ceux qui ont besoin d’être réveillés et amenées à entrevoir Dieu,
souviens-toi d’être tout à fait scrupuleuse pour répéter ce que tu vois. Même une bagatelle a de la
valeur et elle n’est pas à toi, à Moi. Aussi, il ne t’est pas permis de l’escamoter. Ce serait
malhonnête et égoïste. Rappelle-toi que tu es la citerne d’eau divine ou l’eau se déverse pour que
tous y aient accès. Pour tes dictées, tu es arrivée à la plus fidèle fidélité. Dans les contemplations, tu
observes avec beaucoup d’attention, mais dans la hâte d’écrire, et à cause de ton état particulier de
santé et de l’ambiance où tu te trouves, il t’arrive d’omettre quelque détail. Il faut l’éviter, mets-les
au bas des pages mais indique-les tous. Ce n’est pas un reproche mais un doux conseil de ton
Maître.
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Il y a quelques jours tu m’as dit : ‘Que les hommes t’aiment un peu plus par mon
entremise, cela justifie toute ma fatigue et toute ma vie et j’en suis bien récompensée.
Même s’il n’y avait qu’un seul homme qui revienne à Toi par l’intermédiaire de ta petite
‘violette cachée’, elle serait heureuse.’ Plus tu seras attentive et exacte, et plus présente
sera le nombre de ceux qui viennent à Moi et plus grande ta félicité spirituelle présente
et ta future félicité éternelle.
Va en paix. Ton Seigneur est avec toi. »

100. "CELA VAUT LA PEINE DE PERDRE UNE AMITIÉ POUR CONQUÉRIR


UNE ÂME"

Jésus se trouve sur le chemin qui du lac Meron va vers celui de Galilée. Il y a avec lui,
le Zélote et Barthélemy, et ils semblent attendre près d'un torrent, réduit à un filet d'eau
qui pourtant nourrit des plantes touffues, les autres qui arrivent de deux côtés différentes.
La journée est torride, et pourtant beaucoup de gens ont suivi les trois groupes qui ont
du prêcher à travers les campagnes en encheminant les malades vers le groupe de Jésus
et en parlant de Lui à ceux qui sont en bonne santé. Un grand nombre de miraculés
forment un groupe heureux assis parmi les arbres, et en eux la joie est telle qu'ils ne
sentent même pas l'ennui de la chaleur, de la poussière, de la lumière éblouissante, toutes
choses qui ne mortifient pas qu'un peu tous les autres.
Quand le groupe dirigé par Judas Thaddée arrive le premier près de Jésus, apparaît avec évidence
la fatigue de ceux qui le forment et de ceux qui les suivent. En dernier lieu vient le groupe dirigé
par Pierre où se trouvent beaucoup de gens de Corozaïn et de Bethsaida.
"Nous avons travaillé, Maître, mais il faudrait qu'il y ait plusieurs groupes ... Tu vois. Aller au
loin, ce n'est pas possible à cause de la chaleur. Et alors, comment faire? On dirait que le monde
s'agrandisse au fur et à mesure que nous travaillons davantage, en éparpillant les pays et en
allongeant les distances. Je ne m'étais jamais rendu compte que la Galilée était si grande. Nous n'en
travaillons qu'un coin, tout juste un coin, et nous n'arrivons pas à l'évangéliser, tant elle est vaste et
si nombreux sont ceux qui ont besoin de Toi et qui te désirent" soupire Pierre.
"Ce n'est pas que le monde s'agrandisse, Simon" répond le Thad-
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dée. "C'est que s'étend la notoriété de notre Maître."
"Oui, c'est vrai. Regarde combien de gens. Certains nous suivent depuis ce matin. Aux
heures les plus chaudes, nous nous sommes réfugiés dans un bois, mais même
maintenant que le soir approche, la marche est pénible. Et ces pauvres gens sont
beaucoup plus loins de leurs maisons que nous. Si cela continue d'augmenter ainsi, je ne
sais pas comment nous ferons..."dit Jacques de Zébédée.
"En octobre les bergers viendront aussi" dit André pour le réconforter.
"Hé oui!. Les bergers, les disciples, c'est bien! Mais ils ne servent que pour dire: 'Jésus
est le Sauveur. Il est ici'. Rien de plus » répond Pierre.
"Mais, au moins, les gens sauront où le trouver. Maintenant, au contraire! Nous venons
ici, et eux accourent ici; pendant qu'ils viennent ici, nous allons ailleurs et eux doivent
nous courir après. Et avec des enfants et des malades, ce n'est pas bien pratique."
Jésus parle: "Tu as raison, Simon-Pierre. J'ai Moi aussi compassion de ces âmes et de ces foules.
Pour beaucoup, ne pas me trouver à un moment donné, ce peut être une cause irréparable de
malheur. Regardez comme ils sont las et troublés ceux qui n'ont pas encore la certitude de ma
Vérité, et comme ils sont affamés ceux qui ont déjà goûté ma parole et ne savent plus s'en passer, et
nulle autre parole ne le content plus. Ils semblent des brebis sans berger qui errent ici et là sans
trouver quelqu'un pour les conduire et les nourrir. J'y pourvoirai, mais vous, vous devez m'aider. De
toutes vos forces, spirituelles, morales et physiques. Ce n'est plus en groupes nombreux, mais deux
par deux que vous devez savoir aller. Et j'enverrai deux par deux les meilleurs des disciples. C'est
que la moisson est vraiment grande. Oh! cet été, je vous préparerai à cette grande mission. Pour
Tamuz, nous serons rejoints par Isaac avec les meilleurs disciples. Et je vous préparerai. Vous n'y
suffirez pas encore, car si la moisson est vraiment grande, les ouvriers en revanche sont peu
nombreux. Priez donc le Maître de la terre qu'il envoie beaucoup d'ouvriers à sa moisson."
"Oui, mon Seigneur. Mais cela ne changera pas beaucoup la situation de ceux qui te cherchent"
dit Jacques d'Alphée.
"Pourquoi, mon frère?"
"Parce qu'ils ne cherchent pas seulement la doctrine et la parole de Vie, mais aussi la
guérison de leurs langueurs, de leurs maladies, de toutes leurs infirmités que la vie ou
Satan apportent à la partie inférieure ou supérieure de leur être. Et cela, il n'y a que Toi
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qui puisse le faire, parce qu'en Toi il y a la Puissance."
"Ceux qui sont avec Moi arriveront à faire ce que je fais et les pauvres seront secourus dans
toutes leurs misères. Mais vous n'avez pas encore en vous ce qu'il faut pour le faire. Essayez de
vous surpasser vous mêmes, de fouler vos tendances humaines pour faire triompher l'esprit.
Assimilez non seulement ma parole mais mon esprit, c'est-à-dire sanctifiez-vous par elle et ensuite
vous pourrez tout. Et maintenant allons leur dire ma parole puisqu'ils ne veulent pas s'en aller sans
que leur aie donné la parole de Dieu. Et ensuite nous retournerons à Capharnaüm. Là aussi il y a des
gens qui attendent ..."
"Seigneur, mais est-ce vrai que Marie de Magdala t'a demandé pardon dans la maison du
pharisien?"
"C'est vrai, Thomas."
"Et Tu le lui as donné?" demande Philippe.
"Je le lui ai donné."
""Mais Tu as mal fait!" s'écrie Barthélemy.
"Pourquoi? Elle avait un repentir sincère et méritait le pardon."
"Mais Tu ne devais pas le lui donner dans cette maison, publiquement.. Lui reproche l'Iscariote.
"Mais je ne vois pas en quoi je me suis trompé."
"En ceci: tu sais ce que sont les pharisiens, combien d'arguties ils ont en tête, comme ils te
surveillent, comme ils te calomnient, comme ils t'haïssent. Il y en avait un à Capharnaüm, qui était
un ami, et c'était Simon. Et tu appelles dans sa maison une prostituée pour profaner sa maison et
scandaliser l'ami Simon."
"Je ne l'ai pas appelée, Moi. Elle y est venue. Ce n'était pas une prostituée, c'était une repentie.
Cela change beaucoup.Si on n'avait pas de dégoût de l'approcher avant et de toujours la désirer,
même en ma présence, maintenant qu'elle n'est plus une chair mais une âme, on ne doit pas avoir de
dégoût de la voir entrer pour s'agenouiller à mes pieds et pleurer, en s'accusant, s'humiliant dans une
humble confession publique que renferment ces pleurs. Simon le pharisien a eu sa maison sanctifiée
par un grand miracle: 'la résurrection d'une âme'. Sur la place de Capharnaüm, il y a maintenant
cinq jours, il me demandait: 'Tu as fait ce seul miracle?' et il répondait lui-même: 'Certainement pas'
et il avait un grand désir d'en voir un. Je le lui ai donné. Je l'ai choisi pour être le témoin, le
paranymphe de ces fiançailles de l'âme avec la Grâce. Il doit en être fier."
"Au contraire, il en est scandalisé. Peut-être tu as perdu un ami."
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"J'ai trouvé une âme. Cela vaut la peine de perdre l'amitié d'un homme, sa pauvre amitié
d'homme, pour rendre à une âme l'amitié avec Dieu."
"C'est inutile. Avec Toi, on ne peut obtenir une réflexion humaine. Nous sommes sur la terre,
Maître! Rappelle-le-Toi. Et ce sont les lois et les idées de la terre qui prédominent. Tu agis suivant
la méthode du Ciel, tu te meus dans ton Ciel que tu as dans le coeur, tu vois tout à travers les clartés
du Ciel. Mon pauvre Maître! Comme tu es divinement incapable de vivre parmi nous qui sommes
pervers!" Judas l'Iscariote, l'embrasse, admiratif et désolé, disant pour terminer: "Et j'en m'afflige,
parce que tu crées tant d'ennemis par excès de ta perfection."
"Ne t'en afflige pas, Judas. Il est écrit qu'il en est ainsi. Mais comment sais-tu que Simon est
offensé?"
"Il n'a pas dit qu'il est offensé, mais à Thomas et à moi, il a fait comprendre que ce n'est pas une
chose à faire. Tu ne devais pas l'inviter dans sa maison, où il n'entre que des personnes honnêtes."
"Bien! Pour l'honnêteté des gens qui vont chez Simon, n'en parlons pas' dit Pierre.
"Et je pourrais dire que la sueur des prostitués a coulé plusieurs fois sur le dallage, sur les tables,
et ailleurs chez Simon le pharisien" dit Mathieu.
"Mais pas publiquement" réplique l'Iscariote.
"Non, avec une hypocrisie attentive à le cacher."
"Tu vois qu'il change alors."
"C'est un changement aussi l'entrée d'une prostituée qui entre pour dire: 'Je laisse mon péché
infâme' au lieu de celle qui entre pour dire: 'Me voici à toi pour accomplir ensemble le péché'."
"Mathieu a raison" disent-ils tous.
"Oui il a raison. Mais eux ne pensent pas comme nous et il faut en venir à des compromis avec
eux, s'adapter à eux pour les avoir comme amis."
"Cela jamais, Judas. En matière de vérité, d'honnêteté, de conduite morale, il n'y a pas
d'adaptation ni de compromis " dit Jésus d'une voix de tonnerre. Et il termine : " Du
reste, je sais que j'ai bien agi, et en vue du bien. Cela suffit. Allons congédier ces gens
fatigués. "
Et il s'en va vers ceux qui, éparpillés sous les arbres, regardent dans sa direction,
anxieux de l'entendre.
" La paix à vous tous qui, pendant des stades et à la canicule, êtes venus entendre la Bonne
Nouvelle. En vérité je vous dis que vous
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commencez à comprendre ce qu'est le Royaume de Dieu, combien précieuse est sa
possession et combien il est heureux de lui appartenir. Et pour vous toute fatigue perd la
valeur qu'elle a pour les autres, parce que l'âme commande en vous et dit à la chair :
'rejouis-toi que je t'accable. C'est pour ton bonheur que je le fais. Quand tu seras réunie à
moi, après la résurrection finale, tu m'aimeras dans la mesure où je t'ai piétinée et tu
verras en moi ton second sauveur'. N'est-ce pas ce que dit votre esprit ? Mais bien sûr
qu'il le dit ! Vous maintenant vous basez vos actions sur l'enseignement de mes
paraboles lointaines. Mais maintenant je vous donne d'autres lumières pour vous rendre
toujours plus énamourés de ce Royaume qui vous attend et dont la valeur est sans
mesure.
Ecoutez : Un homme était allé par hasard dans un champ pour prendre du terreau et le
porter dans son jardin. Voilà qu'en creusant avec fatigue la terre dure, il trouve sous une
couche de terre un filon de métal précieux. Que fait-il alors cet homme ? Il recouvre de
terre sa découverte. Il n'hésite pas à travailler davantage encore, car la découverte en
vaut la peine. Et puis, il va chez lui, rassemble toutes ses richesses en argent et en objets,
et ces derniers il les vend pour avoir beaucoup d'argent. Puis il va trouver le propriétaire
du champ et lui dit : 'Ton champ me plaît. Combien en veux-tu ?' 'Mais il n'est pas à
vendre' dit l'autre. Mais l'homme offre une somme toujours plus forte, disproportionnée
avec la valeur du champ et il finit pour décider le propriétaire qui pense : 'cet homme est
fou8 Mais, puisqu'il l'est, j'en profite. Je prends la somme qu'il m'offre. Ce n'est pas de
l'usure, puisque c'est lui qui veut me la donner. Avec elle je m'achèterai au moins trois
autres champs, et plus beaux' et il vend, convaincu d'avoir fait une affaire merveilleux.
Mais, au contraire, c'est l'autre qui fait une bonne affaire, car il se prive d'objets qu'un
voleur peut emporter ou que l'on peut perdre ou consommer, et il se procure un trésor
qui, parce qu'il sacrifie ce qu'il a pour cette acquisition, en restant pendant quelque temps
avec la seule possession du champ, mais en réalité il possède pour toujours le trésor qui
y est caché.
Vous vous l'avez compris, et vous faites comme l'homme de la parabole. Quittez les
richesses éphémères pour posséder le Royaume des Cieux. Vous les vendez aux
imbéciles de ce monde, les leur cédez, acceptez qu'on se moque de vous pour ce qui, aux
yeux du monde, paraît une sotte manière d'agir. Agissez ainsi, tou-
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jours, et un jour votre Père qui est dans les Cieux, avec joie vous donnera votre place dans le
Royaume.
Retournez dans vos maisons avant que vienne le sabbat et, pendant le jour du Seigneur, pensez à
la parabole du trésor qu'est le Royaume céleste. La paix soit avec vous. "
Les gens s'éparpillent lentement sur les routes et les sentiers de campagne pendant que jésus s'en
va en direction de capharnaüm dans le soir qui descend.
Il y arrive en pleine nuit. Ils traversent en silence la ville silencieuse au clair de la lune qui est la
seule lampe qui existe pour les ruelles obscures et mal pavées. Ils entrent en silence dans le petit
jardin à côté de la maison, croyant que tout le monde est au lit. Mais, au contraire, une lampe luit
dans la cuisine et trois ombres, rendues mobiles par le mouvement de la flamme, se projettent sur le
muret blanc du four qui est tout près.
" Il y a des gens qui t'attendent, Maître. Mais cela ne peut pas aller ainsi ! Maintenant je vais
leur dire que Tu es trop fatigué. Monte sur la terrasse, en attendant. "
"Non, Simon. Je vais à la cuisine; Si Thomas a retenu ces personnes, c'est signe qu'il a un motif
sérieux."
Mais, pendant ce temps, ceux qui sont à l'intérieur ont entendu le chuchotement et Thomas, le
propriétaire de la maison, vient sur le seuil;
"Maître, il y a la dame habituelle. Elle t'attend depuis hier au coucher du soleil. Elle est avec un
serviteur" et puis, à voix basse: "Elle est très agitée. Elle pleure sans arrêt..."
" C'est bien. Dis-lui de venir en haut.. Où a-t-elle dormi ? "
" Elle ne voulait pas dormir. Mais finalement elle s'est retirée pour quelques heures vers l'aube,
dans ma chambre. Le serviteur, je l'ai fait dormir dans un de vos lits. "
" C'est bien, il y dormira encore cette nuit, et toi, tu dormiras dans le mien. "
" Non, Maître. J'irai sur la terrasse. sur des nattes. Je dormirai aussi bien.
Jésus monte sur la terrasse.Voilà Marthe qui monte elle aussi.
" La paix à toi, Marthe. "
Un sanglot Lui répond.
" Tu pleures encore ? Mais n'est-tu pas heureuse ? "
« De la tête de Marthe fait signe que non.
" Mais pourquoi, donc ?... "
Une longue pause, pleine de sanglots. Enfin, dans un gémisse-
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ment : " Depuis plusieurs soirs, Marie n'est plus revenue. Et on ne la trouve pas. Ni moi, ni la
nourrice, ni Marcelle, ne la trouvons.. Elle était sortie en commandant le char. Elle était très bien
mise... Oh ! Elle n'avait pas voulu mettre mon vêtement !... Elle n'était pas a moitié nue, elle en a
encore de ceux-ci, mais elle était très provocante dans ce ... Et elle avait pris avec elle or et
parfums ... et elle n'est plus revenue. Elle a renvoyé le serviteurs aux premières maisons de
Capharnaüm en disant : "'Je reviendrai avec une autre compagnie.' Mais elle n'est plus revenue. Elle
nous a trompés ! Ou bien elle s'est sentie seule, peut-être tentée ... ou lui est arrivé malheur... Elle
n'est plus revenue... " Et Marthe se glisse à genoux, en pleurant la tête appuyée sur l'avant bras
qu'elle a mis sur un tas de sacs vides.
Jésus la regarde et dit lentement, avec assurance, dominateur : " Ne pleure pas. Marie est venue
à Moi, il y a trois jours. Elle m'a parfumé les pieds, elle a mis à mes pieds tous ses bijoux. Elle s'est
consacrée ainsi, et pour toujours, en prenant place parmi mes disciples. Ne le dénigre pas en ton
cœur. Elle t'a dépassée. "
" Mais où, où est alors ma sœur ? " crie Marthe en relevant son visage bouleversé. 3Pourquoi
elle n'est pas venue à la maison, Elle a, peut-être été attaquée ? Elle a peut-être pris une barque et
elle s'est noyée ? Peut-être un amant qu'elle a repoussé l'a enlevée, Oh ! Marie ! Ma Marie ! Je
l'avais retrouvée et je l'ai tout de suite perdue ! " Marthe est vraiment hors d'elle. Elle ne pense plus
que ceux qui sont en bas peuvent l'entendre. Elle ne pense plus que jésus peut lui dire où est sa
sœur. Elle est désespérée sans plus réfléchir à rien.
Jésus la prend par les poignets et la force à rester tranquille, à l'écouter, la dominant de sa haute
taille et de son regard magnétique. " Assez ! Je veux que tu aie foi en mes paroles. Je veux que tu
sois généreuse. Tu as compris ? " Il ne la laisse que quand Marthe s'est un peu calmée.
" Ta sœur est allée goûter sa joie, s'en tournant d'une solitude sainte, parce qu'elle a en elle la
pudeur super sensible de ceux qui sont rachetés. Je te l'ai dit à l'avance. Elle ne peut supporter le
regard doux mais inquisiteur des parents sur son nouveau vêtement d'épouse de la grâce. Et ce que
je te dis est toujours vrai. Tu dois me croire. "
" Oui, Seigneur, oui. Mais ma Marie a été trop, trop au pouvoir du démon. Il l'a reprise tout d'un
coup, il ... "
" Il se venge sur toi de la proie qu'il a perdu pour toujours. Dois-
72
donc voir que toi, la courageuse, tu deviens sa proie pour une frayeur folle et sans raison d'être ?
Dois-je voir qu'à cause d'elle qui maintenant croit en Moi, tu perds la belle foi que je t'ai toujours
connue ? Marthe ! Regarde-moi bien. Ecoute-moi. N'écoute pas Satan. Ne sais-tu pas que quand il
est obligé d'abandonner sa proie par une victoire que Dieu remporte sur lui, il se met tout de suite à
agir, cet inlassable bourreau des êtres, cet inlassable voleur des droits de Dieu, pour trouver d'autres
proies ? Ne sais-tu pas que ce sont les tortures d'une tierce personne, qui résiste aux assauts parce
qu'elle est bonne et fidèle, qui affermissent la guérison d'un autre esprit ? Ne sais-tu pas que rien
n'est isolé de tout ce qui arrive et existe dans la création, mais que tout suit une loi éternelle de
dépendances et de conséquence qui fait qu'une action de quelqu'une des répercussions naturelles et
surnaturelles très étendues ? Tu pleures ici, toi tu connais ici le doute atroce et tu restes fidèle à ton
Christ même à cette heure des ténèbres. Là-bas, dans un endroit voisin que tu ne connais pas, Marie
sent se dissoudre le dernier doute sur l'infinité du pardon qu'elle a obtenu. Ses pleurs se changent en
sourire et ses ombres en lumière. C'est ton tourment qui l'a conduite là où se trouve la paix, là où les
âmes se régénèrent auprès de la Génératrice sans tâche, auprès de celle qui est tellement Vie, quElle
a obtenu de donner au monde le Christ qui est la Vie. Ta sœur est chez ma Mère. Oh ! ce n'est pas la
première qui rentre sa voile dans ce port paisible après que le doux rayon de la vivante Étoile Marie
l'a appelée sur ce sein d'amour, par l'amour muet et actif de son Fils ! Ta sœur est à Nazareth. "
" Mais comment ? y est-elle allée, ne connaissait pas ta Mère, ta maison ? ... Seule.. Pendant la
nuit ... Ainsi ... Sans moyens.. Avec ce vêtement ... un si long chemin .. Comment ? "
" Comment ? Comme l'hirondelle fatiguée va au nid natal traversant mers et montagnes,
triomphant des tempêtes, des nuages et des vents contraires. Comme vont les hirondelles aux lieux
de leur hivernage, par un instinct quiles guide, par une tiédeur qui les invite, par le soleil qui les
appelle. Elle aussi est accourue vers le rayon qui l'appelle ... vers la Mère universelle. Et nous la
verrons revenir à l'aurore, heureuse... sortie pour toujours des ténèbres, avec une Mère à son côté, la
mienne, et pour n'être jamais plus orpheline. Peux-tu croire cela ? "
" Oui , mon Seigneur. "
Marthe est comme fascinée. En effet Jésus a été un dominateur. Grand, debout, et pourtant
légèrement incliné au-dessus de Mar-
73
the agenouillée ; Il a parlé lentement d'un ton pénétrant, comme pour passer dans la disciple
bouleversée. Peu de fois je l'ai vu avec cette puissance pour persuader par sa parole quelqu'un qui
l'écoute. Mais à la fin, quelle lumière, quel sourire pour son visage !
Marthe le reflète par un sourire et une lumière plus apaisée sur son propre visage.
" Et maintenant va te reposer, en paix. "
Et Marthe Lui baise les mains et descend rasserenée...

Maria Valtorta
L'Evangile tel qu'il m'a été revelé
* 20% en ligne *
Tables de matières

Volume: 5.e La troisième année de la vie publique (première partie)

1 A Nazareth. Réconciliation. Préparatifs de départ.


2 Le départ de Nazareth.
3 Vers Jiphtaël.
4 L'adieu de Jésus aux deux disciples.
5 Douleur, prière, pénitence de Jésus.
6 Le départ de Ptolémaïs pour Tyr.
7 Le départ de Tyr dans le navire crétois.
8 La tempête et les miracles sur le navire.
9 Arrivée et débarquement d Séleucie. 3
10 De Séleucie à Antioche.

11 Ils vont à Antigonea.


12 L'adieu à Antiochie.
13 Le retour des huit. A Aczib.
14 Séjour a Aczib avec six apôtres.
15 Evangélisation du côté de la Phénicie. *
16 Jésus à Alexandroscène.
17 Le lendemain à Alexandroscène.
18 Le berger Anna conduit Jésus vers Aczib.
19 La mère cananéenne.
20 Barthélemy découvre le pourquoi…

21 Sur le chemin du retour vers la Galilée.


22 La rencontre avec Judas Iscariote et Thomas.
23 Ismaël ben Fabi.
24 Jésus à Nazareth avec ses cousins et avec Pierre et Thomas
25 La femme courbée de Corozaïn.
26 Le figuier stérile. En allant sur la route de Séphet.
27 En allant vers Meiéron.
28 A la tombe de Hillel à Giscala.
29 Le sourd-muet guéri près des confins de la Phénicie.
30 Jésus à Cédès. *

31 En allant vers Césarée de Philippe.


32 A Césarée de Philippe.
33 Au château à Césarée Panéade.
551
34 Jésus prédit pour la première fois sa passion. Il blâme Pierre.
35 Prophétie sur Pierre et Margziam. L'aveugle à Bethsaïda.
36 De Capharnaüm á Nazareth avec Manaën et les femmes disciples.
37 La Transfiguration et 1'épileptique guéri.
38 Instructions aux disciples après la Transfiguration.
39 Le tribut au Temple et le statère dans la bouche du poisson
40 Le plus grand dans le Royaume des Cieux.Le petit Benjamin de Capharnaüm

41 Benjamin fut fidèle jusqu'à la mort.


42 Seconde multiplication des pains.
43 Miracle spirituel de la multiplication de la Parole.
44 Le Pain du Ciel.
45 Le nouveau disciple: Nicolaï d'Antioche.
46 Jésus vers Gadara.
47 La nuit à Gadara et le départ. Le divorce.
48 Jésus à Pella.
49 Au-delà de Jabès Galaad dans la maison de Mathias.
50 La lépreuse guérie (Rose de Jéricho).

51 Le miracle du Jourdain en crue.


52 Sur l'autre rive. La rencontre avec la Mère.
53 A Rama. Le nombre des élus.
54 Jésus au Temple. Le Pater noster et la parabole sur les fils.
55 Jésus au Gethsémani et à Béthanie.
56 Lettres d'Antioche.
57 Le jeudi avant Pâque. Première partie.
58 Le jeudi avant Pâque. Deuxième partie: au Temple.
59 Le jeudi avant Pâque. Troisième partie: instructions diverses.
60 Le jeudi avant Pâque. Quatrième partie: dans la maison de Jeanne.

61 Le jeudi avant Pâque. Cinquième partie.


62 La Parascève. Première partie: le matin.
63 La Parascève. Deuxième partie: au Temple.
64 La Parascève. Troisième partie: dans les rues de Jérusalem.
552
65 La Parascève. Quatrième partie: le repas pascal avec Lazare.
66 Le samedi des Azymes.
67 «Marthe. Marthe, tu te soucies de beaucoup de choses».
68 Jésus parle à Béthanie.
69 Vers le mont Adomin.
70 Après la retraite sur le Carit.

71 Esséniens et pharisiens. Parabole de l'intendant infidèle.


72 Dans la maison de Nike.
73 Au gué entre Jéricho et Béthabara.
74 A la maison de Salomon.
75 Prédication au carrefour près du village de Salomon.

553

16. JESUS A ALEXANDROSCENE

On a de nouveau rejoint la route après un long détour à travers les champs et


après avoir passé un torrent sur un petit pont de planches branlantes permettant
seulement le passage des personnes: une passerelle plutôt qu'un pont.
Et la marche continue à travers la plaine qui se rétrécit de plus
98
en plus car les collines se rapprochent du littoral, au point qu'après un autre
torrent avec l'indispensable pont romain, la route de plaine devient route de montagne,
en se dédoublant au pont en une moins rapide qui s'éloigne vers le nord-est à travers
une vallée, tandis que celle choisie par Jésus, d'après l'indication de la borne romaine:
«Alexandroscène - m. V°», est un véritable escalier dans la montagne rocheuse et
escarpée plongeant son museau dans la Méditerranée, qui se découvre de plus en plus
à la vue à mesure que l'on monte. Seuls les piétons et les ânes suivent cette route, ces
gradins pourrait-on dire. Mais peut-être parce qu'elle est un raccourci avantageux, la
route est encore très battue et les gens observent avec curiosité le groupe galiléen, si
inhabituel, qui la suit.
«Ce doit être le cap de la tempête» dit Mathieu en montrant le promontoire qui s'avance dans la
mer.
«Oui, voilà au-dessous le village dont nous a parlé le pêcheur» approuve Jacques de Zébédée.
«Mais qui peut avoir construit cette route?»
«Qui sait depuis combien de temps elle existe! Les phéniciens peut-être...»
«Du sommet nous allons voir Alexandroscène au-delà de laquelle se trouve le Cap Blanc. Mon
Jean, tu vas voir une grande étendue de mer!» dit Jésus et il met son bras autour des épaules de
l'apôtre.
«J'en serai content. Mais il va bientôt faire nuit. Où allons-nous reposer?»
«A Alexandroscène. Tu vois? La route commence à descendre. Au-dessous se trouve la plaine
jusqu'à la ville que l’on voit là-bas.»
«C'est la ville de la femme d'Antigonea... Comment pourrons-nous faire pour la contenter?» dit
André.
«Tu sais, Maître? Elle nous a dit: "Allez à Alexandroscène. Mes frères y ont des comptoirs et ils
sont prosélytes. Parlez-leur du Maître. Nous sommes fils de Dieu, nous aussi..." et elle pleurait
parce qu'elle était mal vue comme belle-fille... de sorte que jamais ses frères ne viennent la voir et
qu'elle est sans nouvelles d'eux...» explique Jean.
«Nous chercherons les frères de la femme. S'ils nous accueillent comme pèlerins, nous pourrons lui
faire ce plaisir...»
«Mais comment allons-nous faire pour dire que nous l'avons vue?»
«Elle est au service de Lazare. Nous sommes amis de Lazare» dit Jésus.
«C'est vrai. Tu parleras, Toi...»
99
«Oui. Mais activez la marche pour trouver la maison. Savez-vous où elle est?»
«Oui, près du Camp. Ils ont beaucoup de relations avec les romains auxquels ils vendent tant de
choses.»
«C'est bien.»
Ils font rapidement la route plane, belle, une vraie route consulaire qui certainement communique
avec celles de l'intérieur, ou plutôt, qui se poursuit vers l'intérieur après avoir lancé son
prolongement rocheux, en gradins, le long de la côte, à cheval sur le promontoire.
Alexandroscène est une ville plus militaire que civile. Elle doit avoir une importance stratégique
que j'ignore. Blottie comme elle l'est entre les deux promontoires elle semble une sentinelle
préposée à la garde de ce coin de mer. Maintenant que l'oeil peut voir l'un et l'autre cap, on voit qu'il
s'y dresse en grand nombre des tours fortifiées qui forment une chaîne avec celles de la plaine, et de
la ville où, vers la côte, trône le Camp imposant.
Ils entrent dans la ville après avoir franchi un autre petit torrent situé tout près des portes, et ils se
dirigent vers la masse hostile de la forteresse en jetant tout autour des regards curieux, et deviennent
eux aussi objets de curiosité.
Les soldats sont très nombreux et ils semblent en bons rapports avec les habitants, ce qui fait
bougonner les apôtres: «Gens de la Phénicie! Sans fierté!»
Ils arrivent aux magasins des frères d'Hermione alors que les derniers acheteurs en sortent, chargés
des marchandises les plus variées, qui vont des draps aux nappes, et des fourrages aux grains, ou
bien à l'huile et aux aliments. Odeurs de cuir, d'épices, de paille, de laine grège, remplissent le large
hall par lequel on arrive dans une cour vaste comme une place et sous les portiques de laquelle sont
les nombreux dépôts.
Accourt un homme barbu et brun. «Que voulez-vous? Des vivres?»
«Oui... et aussi le logement, si tu ne dédaignes pas de loger des pèlerins. Nous venons de loin, et
nous ne sommes jamais venus ici. Accueille-nous au nom du Seigneur.»
L'homme regarde attentivement Jésus, qui parle au nom de tous. Il le scrute... Puis il dit: «Vraiment
je ne donne pas le logement, mais tu me plais. Tu es galiléen, n’est-ce pas? Les galiléens valent
mieux que les juifs. Il y a trop de moisissure chez eux. Ils ne nous pardonnent pas d'avoir un sang
qui n’est pas pur. Ils feraient
100
mieux d'avoir, eux, l'âme pure. Viens, entre ici, j'arrive tout de suite. Je ferme parce
qu'il va faire nuit.» En effet, c'est déjà le crépuscule, et il fait encore plus sombre dans
la cour que domine le Camp puissant.
Ils entrent dans une pièce et ils s'assoient sur des sièges disposées ça et là. Ils sont
fatigues...
L'homme revient avec deux autres, l'un plus âgé, l'autre plus jeune, et il montre les hôtes qui se
lèvent en saluant, et dit: «Voici. Que vous en semble-t-il? Ils me paraissent honnêtes...»
«Oui. Tu as bien fait» dit le plus âgé à son frère et puis, s'adressant aux hôtes, ou plutôt à Jésus qui
semble clairement leur chef, il demande: «Comment vous appelez-vous?»
«Jésus de Nazareth, Jacques et Jude de Nazareth aussi. Jacques et Jean de Bethsaïda, et aussi André,
en plus Mathieu de Capharnaüm.»
«Comment vous trouvez-vous ici? Persécutés?»
«Non. Nous évangélisons. Nous avons parcouru plus d'une fois la Palestine, de la Galilée à la Judée,
d'une mer à l'autre et nous avons été jusqu'au-delà du Jourdain, dans l'Auranitide. Maintenant nous
sommes venus ici... pour enseigner.»
«Un rabbi ici? Cela nous étonne, n’est-ce pas, Philippe et Elie?» demande le plus âgé.
«Beaucoup. De quelle caste es-tu?»
«D'aucune. Je suis de Dieu. Croient en Moi ceux du monde qui sont bons. Je suis pauvre, j'aime les
pauvres, mais je ne méprise pas les riches, auxquels j'enseigne l'amour et la miséricorde et le
détachement des richesses, de même que j'enseigne aux pauvres d'aimer leur pauvreté en ayant
confiance à Dieu qui ne laisse périr personne. Parmi mes amis riches et mes disciples il y a Lazare
de Béthanie...»
«Lazare? Nous avons une soeur mariée à un de ses serviteurs.»
«Je le sais. C'est pour cela aussi que je suis venu, pour vous dire qu'elle vous salue et vous aime.»
«Tu l'as vue?»
«Pas Moi. Mais ceux qui sont avec Moi, envoyés par Lazare à Antigonea.»
«Oh! dites! Que fait Hermione? Est-elle vraiment heureuse?»
«Son mari et sa belle-mère l'aiment beaucoup. Le beau-père la respecte...» dit Jude Thaddée.
«Mais il ne lui pardonne pas le sang maternel. Dis-le.»
«Il est en passe de le lui pardonner. Il nous en a fait de grandes
101
louanges. Et elle a quatre enfants très beaux et gentils. Cela la rend heureuse.
Mais vous êtes toujours dans son coeur et elle a dit de vous amener le Maître Divin.»
«Mais... comment... Tu es le... Tu es celui qu'on appelle le Messie, Toi?»
«Je le suis.»
«Tu es vraiment le... On nous a dit à Jérusalem que tu es, que l'on t'appelle le Verbe de Dieu. Est-ce
vrai?»
«Oui.»
«Mais l'es-tu pour ceux de là-bas ou bien pour tous?»
«Pour tous. Pouvez-vous croire que je le suis?»
«Croire ne coûte rien, surtout quand on espère que ce que l’on croit peut enlever ce qui fait
souffrir.»
«C'est vrai, Elie. Mais ne parle pas ainsi. C'est une pensée très impure, beaucoup plus que le sang
mêlé. Réjouis-toi non pas dans l'espoir que tombe ce qui te fait souffrir, comme homme, du mépris
d'autrui, mais réjouis-toi dans l'espoir de conquérir le Royaume des Cieux.»
«Tu as raison. Je suis à moitié païen, Seigneur...»
«Ne te rabaisse pas. Je t'aime toi aussi et c'est aussi pour toi que je suis venu.»
«Ils doivent être fatigués, Elie. Tu les retiens par tes discours. Allons souper et
puis conduisons-les se reposer. Il n'y a pas de femmes, ici... Aucune israélite n'a voulu
de nous et nous désirions une d'elles... Pardonne-nous donc si la maison te paraît
froide et sans ornements.»
«Votre bon coeur me la rendra ornée et chaude.»
«Combien de temps restes-tu?»
«Pas plus d'un jour. Je veux aller vers Tyr et Sidon et je voudrais être à Aczib avant le sabbat.»
«Tu ne peux pas, Seigneur! Sidon est loin!»
«Demain, je voudrais parler ici.»
«Notre maison est comme un port. Sans en sortir tu auras des auditeurs à tu convenance, d'autant
plus que demain il y a un gros marché.»
«Allons alors, et que le Seigneur vous récompense de votre charité.»
102

17. LE LENDEMAIN A ALEXANDROSCENE

La cour des trois frères est moitié à l'ombre, moitié au soleil. Elle est pleine de
gens qui vont et viennent pour leurs achats alors qu'en dehors du portail, sur la petite
place, on entend la rumeur du marché d'Alexandroscène avec le va-et-vient confus des
acheteurs et des vendeurs, avec le bruit des ânes, des brebis, des agneaux, des poules.
On comprend qu'ici, il y a moins de complications et on apporte même les poulets au
marché sans craindre de contaminations d'aucune sorte. Braiments, bêlements,
gloussement des poules et cocorico triomphant des coqs se mêlent aux voix des
hommes en un choeur joyeux qui parfois monte à des notes aiguës et dramatiques à la
suite de quelque altercation.
Même dans la cour des frères il règne un bruit confus et il se produit quelque altercation ou pour le
prix ou parce qu'un acheteur a pris une chose qu'un autre voulait acquérir. Elle n’est pas absente non
plus la plainte lamentable des mendiants qui de la place, près du portail, défilent la litanie de leurs
misères sur un air triste comme la plainte d'un mourant.
Des soldats romains vont et viennent en maîtres dans l'entrepôt et sur la place. Je suppose que c'est
un service d'ordre, car je les vois armés, et jamais seuls, parmi les phéniciens tous armés.
Jésus aussi va et vient dans la cour, se promenant avec les six apôtres, attendant le moment
favorable pour parler. Et puis il sort un moment sur la place en passant près des mendiants auxquels
il donne une obole. Les gens se distraient pendant quelques minutes pour regarder le groupe des
galiléens et se demandent qui sont ces étrangers. Et il en est qui informent, parce qu'ils ont demandé
aux trois frères, qui sont leurs hôtes.
Un murmure suit les pas de Jésus qui s'en va tranquillement caressant les enfants qu'il trouve sur
son chemin. Il y a aussi, au milieu du murmure, les ricanements et les épithètes peu flatteuses pour
les hébreux, et aussi le désir honnête d'entendre ce «Prophète», ce «Rabbi», ce «Saint», ce «Messie»
d'Israël, auquel ils donnent ces noms lorsqu'ils en parlent, selon leur degré de foi et de rectitude de
leurs âmes.
J'entends deux mères: «Mais est-ce vrai?»
«C'est Daniel qui me l'a dit, justement à moi. Il a parts à Jérusalem avec des gens qui ont vu les
miracles du Saint.»
«Oui, d'accord! Mais est-ce bien cet homme?»
103
« Oh! Daniel m'a dit que ce ne peut être que Lui à cause de ce qu'il dit.»
«Alors... que dis-tu? Il me fera grâce même si je ne suis que prosélyte?»
«Je dirais que oui... Essaie. Peut-être il ne reviendra plus ici chez nous. Essaie, essaie! Il ne te fera
sûrement pas de mal!»
«J'y vais» dit la petite femme en laissant en plan le vendeur de vaisselle avec lequel elle
marchandait des assiettes; le vendeur qui a entendu la conversation des deux femmes, déçu, irrité à
cause de la bonne affaire qui s'en va en fumée, s'en prend à la femme qui est restée, la couvrant
d'injures telles que: «Prosélyte maudite. Sang d'hébreux. Femme vendue» et cætera.
J'entends deux hommes graves et barbus: «J'aimerais l'entendre. On dit que c'est un grand Rabbi.»
«Un Prophète, dois-tu dire. Plus grand que le Baptiste. Elie m'a s dit certaines choses! Certaines
choses! Il est au courant, car il a une soeur mariée à un serviteur d'un grand riche d'Israël, et pour
avoir de ses nouvelles s'informe auprès des serviteurs. Ce riche est très ami du Rabbi...»
Un troisième, un phénicien peut-être, qui a entendu parce qu'il était tout près, amène sa figure
sournoise, moqueuse entre les deux, et raille: «Belle sainteté! Confite dans la richesse! A mon avis,
un saint devrait vivre pauvrement!»
«Tais-toi, Doro, langue maudite. Tu n'es pas digne, toi païen, de juger ces choses.»
«Ah! vous en êtes dignes vous, toi spécialement, Samuel! Tu ferais mieux de me payer ce que tu me
dois.»
«Tiens! et ne me tourne plus autour, vampire à la face de faune!»...
J'entends un vieillard à moitié aveugle, accompagné d'une fillette, qui demande: «Où est? Où est le
Messie?» et la petite crie: «Laissez passer le vieux Marc! Veuillez dire au vieux Marc où se trouve
le Messie!»
Les deux voix, celle du vieillard: faible et tremblante, celle de la fillette: argentine et assurée, se
répandent sur la place, inutilement, jusqu'à ce qu'un autre homme dise: «Vous voulez trouver le
Rabbi? Il est revenu vers la maison de Daniel. Le voilà arrêté qui parle avec des mendiants.»
J'entends deux soldats romains: «Ce doit être celui que persécutent les juifs, les bonnes peaux! On
voit, rien qu'à le regarder, qu'il vaut mieux qu'eux.»
104
«C'est pour cela qu'il leur cause des ennuis!»
«Allons le dire au porte-drapeau. C'est l'ordre.»
«Un ordre stupide, Caïus! Rome a peur des agneaux et elle supporte, il faudrait dire, caresse les
tigres.» (Scipion).
«Il ne me semble pas, Scipion! Ponce massacre facilement!» (Caïus).
«Oui... mais il ne ferme pas sa maison aux hyènes qui le flattent.» (Scipion).
«Politique, Scipion! Politique!» (Caïus).
«Lâcheté, Caïus, et sottise. C'est de celui-ci qu'il devrait être l'ami, pour avoir de l'aide pour garder
dans l'obéissance cette racaille asiatique. Il ne sert pas bien Rome, Ponce, en négligeant cet homme
qui est bon, et en flattant les mauvais.» (Scipion).
«Ne critique pas le Proconsul. Nous sommes des soldats, et le supérieur est sacré comme un dieu.
Nous avons juré obéissance au divin César et le Proconsul est son représentant.» (Caïus).
«Cela va bien pour ce qui concerne le devoir envers la Patrie, sacrée et immortelle. Mais cela ne
vaut pas pour le jugement intérieur.» (Scipion).
«Mais l'obéissance vient du jugement. Si ton jugement se révolte contre un ordre et le critique, to
n'obéiras plus totalement. Rome s'appuie sur notre obéissance aveugle pour protéger ses
conquêtes.» (Caïus).
«Tu sembles un tribun et tu parles bien. Mais je te fais remarquer que si Rome est reine, nous ne
sommes pas des esclaves, mais des sujets. Rome n'a pas, ne doit pas avoir, de citoyens esclaves.
C'est l'esclavage qui impose le silence à la raison des citoyens. Moi, je dis que ma raison juge que
Ponce agit mal en négligeant cet israélite, appelle-le Messie, Saint, Prophète, Rabbi, à ton goût. Et
j'ai le sentiment que je puis le dire car ma fidélité à Rome n'en est pas amoindrie, ni mon amour.
Mais, au contraire, je le voudrais parce que Lui, en enseignant le respect envers les lois et les
Consuls, comme il le fait, coopère à la prospérité de Rome.» (Scipion).
«Tu es cultivé, Scipion... Tu feras ton chemin. Tu es déjà avancé! Moi, je suis un pauvre soldat.
Mais, en attendant, tu vois là? Il y a un rassemblement autour de cet Homme. Allons le dire aux
chefs.» (Caïus)...
En effet près du portail des trois frères, il y a un tas de gens autour de Jésus qui, par sa grande taille,
est bien en vue. Puis tout à coup un cri s'élève, et les gens s'agitent. Certains accourent du marché
alors que d'autres s'éloignent vers la place et au-delà.
105
Questions... réponses...
«Qu'est-il arrivé?»
«Qu'y a-t-il?»
«L'Homme d'Israël a guéri le vieux Marc!»
«Le voile de ses yeux a disparu.»
Jésus, entre temps, est entré dans la cour avec une suite de gens. En arrière, se traînant péniblement,
il y a un des mendiants, un bancal qui se traîne avec les mains plutôt qu'avec les jambes. Mais si les
jambes sont tordues et sans force, et sans l’aide de béquilles il ne saurait avancer, la voix est très
robuste! On dirait une sirène qui déchire l'atmosphère ensoleillée du matin: «Saint! Saint! Messie!
Rabbi! Pitié!» Il ne cesse de crier à perdre haleine.
Deux ou trois personnes se retournent: «Garde ton souffle! Marc est hébreu, toi, pas.»
«Il accorde des grâces aux vrais israélites, pas aux fils de chiens!»
«Ma mère était juive...»
«Et Dieu l'a frappée en to donnant à elle, toi monstre, à cause de son péché. Va t'en, fils de louve!
Retourne à ta place, être pétri de boue...»
L'homme s'adosse au mur, humilié, effrayé par la menace des poings tendus...
Jésus s'arrête, se retourne, regarde. Il commande: «Homme, viens ici!»
L'homme le regarde, regarde ceux qui le menacent... et il n'ose pas avancer.
Jésus fend la petite foule et il va à lui. Il le prend par la main, c'est-à-dire lui met la main sur
l'épaule, et dit: «N'aie pas peur. Viens avec Moi» et regardant les gens cruels, il dit, l’air sévère:
«Dieu appartient à tous les hommes qui le cherchent et sont miséricordieux.»
Les gens comprennent l'allusion, et maintenant ce sont eux qui restent en arrière, ou plutôt qui
s'arrêtent où ils sont.
Jésus se retourne. Il les voit là, confus, prêts à s'en aller, et il leur dit: «Non, venez vous aussi. Cela
vous fera du bien à vous aussi, cela redressera et fortifiera votre âme comme je redresse et fortifie
cet homme parce qu'il a su avoir foi. Homme, je te le dis, sois guéri de ton infirmité.» Et il retire la
main de l’épaule du bancal après que celui-ci ait éprouvé une sorte de secousse.
L'homme se redresse avec assurance sur ses jambes, jette ses vieilles béquilles et il crie: «Il m'a
guéri! Louange au Dieu de ma mère!» et puis il s'agenouille pour baiser le bord du vêtement de
106
Jésus.
L'agitation des gens qui veulent voir, ou qui, ayant vu, font des commentaires, est à son comble.
Dans le fond de l'entrée qui mène de la place à la cour, les cris qui viennent de la foule résonnent
bruyamment et se répercutent contre les murs du Camp.
Les troupes doivent craindre qu'il se soit produit une rixe - cela doit se produire facilement dans ces
endroits où il y a tant d'oppositions de races et de religions - et le porte-drapeau accourt en se
frayant brutalement un chemin et en demandant ce qui arrive.
«Un miracle, un miracle! Jonas, le bancal,. a été guéri. Le voilà, près de l'Homme de Galilée.»
Les soldats se regardent entre eux. Ils ne parlent pas jusqu'à ce que toute la foule se soit écoulée,
mais en arrière, il s'en est rassemblé une autre des gens qui étaient dans les magasins ou sur la place,
où ne sont restés que les vendeurs pleins de dépit à cause de la diversion imprévue qui réduit à rien
le marché de ce jour. Puis, voyant passer un des trois frères, ils demandent: «Philippe, sais-tu ce que
va faire maintenant le Rabbi?»
«Il parle, il enseigne, et dans ma cour!» dit Philippe tout joyeux.
Les soldats s'interrogent: Rester? S'en aller?
«Le chef nous a dit de surveiller...»
«Qui? L'Homme? Mais pour Lui, nous pourrions jouer aux dés une amphore de vin de Chypre» dit
Scipion, le soldat qui auparavant défendait Jésus auprès de son compagnon.
«Moi, je dirais que c'est Lui qui a besoin qu'on le protège, pas le droit de Rome! Vous le voyez
là-bas? Parmi nos dieux, il n'y en a aucun de si doux et pourtant d'aspect si viril. Cette racaille n’est
pas digne de le posséder, et les indignes sont toujours mauvais. Restons pour le protéger. A
l'occasion, nous le tirerons d'affaire et nous caresserons les épaules de ces galériens» dit un autre.
Son intervention est un mélange de moquerie et d'admiration.
«Tu parles bien, Pudens. D'ailleurs Azio, va appeler Procore le chef. Il rêve toujours de complots
contre Rome et... d'avancement pour lui, pour récompenser son activité toujours en éveil pour le
salut du divin César et de la déesse Rome, mère et maîtresse du monde. Il se persuadera qu'ici il
n'acquerra pas de brassard ni de couronne.»
Un jeune soldat part en courant et revient de même en disant: «Procore ne vient pas. Il envoie le
triaire Aquila ... »
«Bien! Bien! Mieux vaut lui que Cecilius Maximus lui-même. Aquila a servi en Afrique, en Gaule,
et il a été dans les forêts cruel-
107
les qui nous ont enlevé Varus et ses légions. Il connaît les grecs et les bretons et il a
un bon flair pour s'y reconnaître... Oh! Salut! Voilà le glorieux Aquila! Viens,
apprends-nous, à nous misérables, à connaître la valeur des êtres!»
«Vive Aquila, chef des troupes!» crient tous les soldats en donnant des tapes
affectueuses au vieux soldat, dont on ne compte plus les cicatrices sur le visage, les
bras et les mollets nus.
Lui sourit d'un air débonnaire et il s'écrie: «Vive Rome, maîtresse du monde! Pas moi, pauvre
soldat. Qu'y a-t-il donc?»
«Il faut surveiller cet homme grand et qui est blond comme le cuivre le plus clair.»
«Bien! Mais qui est-ce?»
«Ils l'appellent le Messie. Il s'appelle Jésus et il est de Nazareth. C'est celui, sais-tu, pour qui on a
transmis l'ordre...»
«Hum! Peut-être... Mais il me semble que nous courons après les nuages.»
«Ils disent qu'il veut se faire roi et supplanter Rome. Il a été dénoncé par le Sanhédrin, et les
pharisiens, les sadducéens, les hérodiens, à Ponce. Tu sais que les hébreux ont ce ver dans le crâne
et, de temps à autre, il en sort un roi...?»
«Oui, oui... Mais si c'est pour cela!... De toutes façons écoutons ce qu'il dit. Il me semble qu'il se
dispose à parler.»
«J'ai su par un soldat qui est avec le centurion que Publius Quintilianus lui en a parlé comme d'un
philosophe divin... Les femmes impériales en sont enthousiastes...» dit un autre soldat, qui est jeune.
«Je le crois! J'en serais enthousiaste moi aussi si j'étais une femme et je le voudrais dans mon lit...»
dit en riant franchement un autre jeune soldat.
«Tais-toi, impudique! La luxure te dévore!» plaisante un autre.
«Et toi pas, Fabius! Anne, Sira, Alba, Marie...»
«Tais-toi, Sabin. Il parle et je veux écouter» commande le triaire, et tous se taisent.
Jésus est monté sur une caisse installée contre un mur, il est donc bien visible pour tout le monde.
Son doux salut s'est déjà répandu dans l’air et il a été suivi par les paroles: «Enfants d'un unique
Créateur, écoutez» puis, dans le silence attentif des gens, il continue.
«Le Temps de la Grâce est venu pour tous, non seulement pour Israël, mais pour le monde entier.
Hébreux, qui vous trouvez ici pour diverses raisons, prosélytes,
108
phéniciens, gentils, écoutez tous la Parole de Dieu, comprenez la Justice, connaissez
la Charité. Possédant la Sagesse, la Justice et la Charité, vous aurez le moyen d'arriver
au Royaume de Dieu, à ce Royaume qui n’est pas réservé aux seuls fils d'Israël, mais
à tous ceux qui désormais aimeront le Vrai, l'Unique Dieu et croiront à la parole de
son Verbe.
Ecoutez. Je suis venu de si loin non pas avec des visées d'usurpateur, ni avec la
violence de conquérant. Je suis venu seulement pour être le Sauveur de vos âmes. La
puissance, la richesse, les charges ne me séduisent pas. Elles ne sont rien pour Moi, et
je ne les regarde même pas. Ou plutôt, je les regarde pour en avoir pitié parce qu'elles
me font pitié, car ce sont autant de chaînes pour retenir prisonnier votre esprit, en
l'empêchant de venir au Seigneur Eternel, Unique, Universel, Saint et Béni. Je les
regarde et les approche comme les plus grandes misères. Et je cherche à guérir les
hommes de leurs fascinantes et cruelles tromperies qui séduisent les fils de l'homme,
pour qu'ils puissent en user avec justice et sainteté, non comme des armes cruelles qui
blessent et tuent l'homme, et toujours pour commencer l'esprit de ceux qui ne savent
pas en user saintement.
Mais, en vérité, je vous dis que pour Moi il est plus facile de guérir un corps
difforme qu'une âme difforme, il est plus facile de donner la lumière à des pupilles
éteintes, la santé à un corps qui meurt, que de donner la lumière aux esprits et la santé
aux âmes malades. Pourquoi cela? Parce que l'homme a perdu de vue la fin véritable
de sa vie et se laisse absorber par ce qui est transitoire. L'homme ne sait pas ou ne se
souvient pas, ou s'il se souvient, il ne veut pas obéir à cette sainte injonction du
Seigneur et, je parle aussi pour les gentils qui m'écoutent, de faire le Bien, car le Bien
existe à Rome comme à Athènes, en Gaule comme en Afrique, car la loi morale existe
sous tous les cieux, dans toute religion, dans tout coeur droit. Et les religions, depuis
celle de Dieu jusqu'à celle de la morale isolée, disent que ce qu'il y a de meilleur en
nous survit et que c'est selon comme il se sera comporté que son sort sera fixé de
l'autre côté.
La fin de l'homme est donc la conquête de la paix dans l'autre vie, non pas la bombance, l'usure, la
domination, le plaisir, ici-bas, pour un temps limité, qu'il faut payer pendant l'éternité, par des
tourments très durs. Eh bien, l'homme ne sait pas, ou ne se rappelle pas, ou ne veut pas se rappeler,
cette vérité. S'il ne la connaît pas, il est moins coupable. S'il ne s'en souvient pas, il a une cer-
109
taine culpabilité, car il faut garder la vérité allumée comme un saint flambeau dans les
esprits et dans les coeurs. Mais, s'il ne veut pas s'en souvenir et si, quand elle flambe,
il ferme les yeux pour ne pas la voir, en la haïssant comme la voix d'un rhéteur
pédant, alors sa faute est grave, très grave.
Et pourtant Dieu lui pardonne, si l'âme répudie sa mauvaise façon d'agir et se
propose de poursuivre, pour le reste de sa vie, la vraie fin de l'homme qui est de
conquérir la paix éternelle dans le Royaume du vrai Dieu. Avez-vous jusqu'à
maintenant suivi une mauvaise route? Avilis, pensez-vous qu'il soit trop tard pour
prendre le bon chemin? Est-ce que, désolés, vous dites: "Je ne savais rien de tout cela!
Et maintenant je suis ignorant et je ne sais pas m'y prendre"? Non, ne pensez pas qu'il
en soit comme des choses matérielles et qu'il faut beaucoup de temps et de peine pour
refaire ce qui a déjà été fait, mais avec sainteté. La bonté de l'Eternel, le Véritable
Seigneur Dieu, est telle qu'Il ne vous fait certainement pas parcourir de nouveau à
rebours le chemin déjà fait, pour vous ramener au carrefour où vous, en errant, avez
quitté le bon sentier pour le mauvais. Elle est si grande que du moment où vous dites:
"Je veux appartenir à la Vérité", c'est-à-dire à Dieu parce que Dieu est Vérité, Dieu,
par un miracle tout spirituel, verse en vous la Sagesse par laquelle d'ignorants vous
devenez possesseurs de la Science surnaturelle, comme ceux qui depuis des années la
possèdent.
La Sagesse c'est vouloir Dieu, aimer Dieu, cultiver l'esprit, tendre au Royaume de
Dieu en répudiant tout ce qui est chair, monde et Satan. La Sagesse c'est obéir à la Loi
de Dieu qui est loi de Charité, d'Obéissance, de Continence, d'Honnêteté. La Sagesse
c'est aimer Dieu avec tout soi-même, aimer le prochain comme nous-mêmes. Ce sont
les deux éléments indispensables pour être sages de la Sagesse de Dieu. Et dans notre
prochain, il n'y a pas seulement ceux de notre sang ou de notre race et de notre
religion, mais tous les hommes riches ou pauvres, sages ou ignorants, hébreux,
prosélytes, phéniciens, grecs, romains...»
Jésus est interrompu par des cris menaçants de certains forcenés.
Il les regarde et il dit: «Oui, cela c'est l'amour. Je ne suis pas un maître servile. Je
dis la vérité, car c'est ainsi que je dois faire pour semer en vous ce qui est nécessaire
pour la Vie éternelle. Que cela vous plaise ou non, je dois vous le dire pour faire mon
devoir de Rédempteur. A vous de faire le vôtre de besogneux de la Rédemption.
Aimez donc le prochain, tout le prochain, d'un amour saint.
110
Non pas d'un louche concubinage d'intérêts pour lequel est "anathème" le romain, le
phénicien ou le prosélyte ou vice versa, tant que ne se mêlent pas la sensualité ou
l'argent, alors que s'il y a soif de sensualité ou intérêt d'argent les "anathèmes"
disparaissent...»
Une autre rumeur de la foule alors que les romains, de leur place dans l'atrium,
s'écrient: «Par Jupiter! Il parle bien celui-ci!»
Jésus laisse la rumeur se calmer et reprend: «Aimer le prochain comme nous voudrions être aimés.
Car cela ne nous fait pas plaisir d'être maltraités, vexés, volés, opprimés, calomniés, insultés. Les
autres ont la même susceptibilité nationale ou personnelle. Ne faisons donc pas le mal que nous ne
voudrions pas réciproquement qu'il nous fût fait.
La Sagesse c'est d'obéir aux dix Commandements de Dieu: "Je suis le Seigneur ton Dieu. N’en aie
pas d'autre en dehors de Moi. N'aie pas d'idoles, ne leur rends pas un culte.
N'emploie pas le Nom de Dieu en vain. C'est le Nom du Seigneur, ton Dieu, et Dieu punira celui qui
s'en sert sans raison, ou pour des imprécations, ou pour valider un péché.
Souviens-toi de sanctifier les fêtes. Le sabbat est sacré pour le Seigneur qui s'y reposa de la
Création, et l'a béni et sanctifié.
Honore ton père et ta mère afin de vivre en paix longuement sur la terre et éternellement dans le
Ciel.
Ne tue pas.
Ne commets pas l'adultère.
Ne vole pas.
Ne parle pas faussement contre ton prochain.
Ne désire pas la maison, la femme, le serviteur, la servante, le boeuf, l'âne de ton prochain, ni autre
chose qui lui appartienne".
Cela, c'est la Sagesse. Celui qui fait cela est sage et il conquiert la Vie et le Royaume sans fin. Donc
à partir d'aujourd'hui, proposez-vous de vivre selon la Sagesse en la faisant passer avant les pauvres
choses de la terre.
Que dites-vous? Parlez. Vous dites qu'il est tard? Non. Ecoutez une parabole.
Un maître sortit au point du jour pour engager des travailleurs pour sa vigne et il convint avec eux
d'un denier pour la journée.
Il sortit de nouveau à l'heure de tierce et, réfléchissant que les travailleurs engagés étaient peu
nombreux, voyant d'autre part sur la place des travailleurs désoeuvrés qui attendaient qu'on les
embauche, il les prit et il leur dit: "Allez à ma vigne, et je vous don-
111
nerai ce que j'ai promis aux autres". Et ils y allèrent.
Il sortit à sexte et à none et il en vit d'autres encore et il leur dit: "Voulez-vous
travailler dans mon domaine? Je donne un denier par jour à mes travailleurs". Ces
derniers acceptèrent et ils y allèrent.
Il sortit enfin vers la onzième heure et il en vit d'autres qui paressaient au coucher du soleil. "Que
faites-vous, ainsi oisifs? N'avez-vous pas honte de rester à rien faire pendant tout le jour?" leur
demanda-t-il. "Personne ne nous a embauchés pour la journée. Nous aurions voulu travailler et
gagner notre nourriture, mais personne ne nous a appelés à sa vigne". "Eh bien, je vous embauche
pour ma vigne. Allez et vous aurez le salaire des autres". Il parla ainsi, car c'était un bon maître et il
avait pitié de l'avilissement de son prochain.
Le soir venu et les travaux terminés, l'homme appela son intendant et lui dit: "Appelle les
travailleurs, et paie-leur leur salaire selon ce que j'ai fixé, en commençant par les derniers qui sont
les plus besogneux, n'ayant pas eu pendant la journée la nourriture que les autres ont eue une ou
plusieurs fois et qui, même par reconnaissance pour ma pitié, ont travaillé plus que tous. Je les ai
observés; renvoie-les, pour qu'ils aillent au repos qu'ils ont bien mérité et pour jouir avec les leurs
du fruit de leur travail". Et l'intendant fit ce que le maître ordonnait en donnant à chacun un denier.
Vinrent en dernier ceux qui travaillaient depuis la première heure du jour. Ils furent étonnés de ne
recevoir, eux aussi, qu'un seul denier, et ils se plaignirent entre eux et à l'intendant qui leur dit: "J'ai
reçu cet ordre. Allez vous plaindre au maître et pas à moi". Ils s'y rendirent et ils dirent: "Voilà, tu
n’es pas juste! Nous avons travaillé douze heures, d'abord à la rosée et puis au soleil ardent et puis
de nouveau dans l'humidité du soir, et tu nous a donné le même salaire qu'à ces paresseux qui n’ont
travaillé qu'une heure!... Pourquoi cela?" Et l'un d'eux, surtout, élevait la voix en se déclarant trahi
et indignement exploité.
"Ami, en quoi t'ai-je fait tort? De quoi ai-je convenu avec toi à l'aube? Une
journée de travail continu pour un denier de salaire. N’est-ce pas?"
"C'est vrai. Mais tu as donné la même chose à ceux qui ont si peu travaillé..."
"N'as-tu pas accepté ce salaire qui to paraissait convenable?"
"Oui, j'ai accepté, parce que les autres donnaient encore moins".
112
"As-tu été maltraité ici par moi?"
"Non, en conscience, non".
"Je t'ai accordé un long repos pendant le jour et la nourriture, n’est-ce pas? Je t'ai donné trois repas.
Et on n'était pas convenu de la nourriture et du repos. N’est-ce pas?"
"Oui, ils n'étaient pas convenus."
"Pourquoi alors les as-tu acceptés?"
"Mais... Tu as dit: 'Je préfère agir ainsi pour que vous ne soyez pas trop lassés en revenant chez
vous'. Et cela nous semblait trop beau... Ta nourriture était bonne, c'était une économie, c'était..."
"C'était une faveur que je vous faisais gratuitement et personne ne pouvait y prétendre. N’est-ce
pas?"
"C'est vrai".
"Je vous ai donc favorisés. Pourquoi vous lamentez-vous? C'est moi qui devrais me plaindre de
vous qui, comprenant que vous aviez affaire à un bon maître, vous travailliez nonchalamment alors
que ceux qui étaient venus après vous, avec le bénéfice d'un seul repas, et les derniers sans repas,
travaillaient avec plus d'entrain faisant en moins de temps le même travail que vous avez fait en
douze heures. Je vous aurais trahis si, pour payer ceux-ci, je vous avais enlevé la moitié de votre
salaire. Pas ainsi. Prends donc ce qui te revient et va-t-en. Voudrais-tu venir chez moi pour
m'imposer tes volontés? Moi, je fais ce que je veux et ce qui est juste. Ne sois pas méchant et ne me
porte pas à l'injustice. Je suis bon".
O vous tous qui m'écoutez, je vous dis en vérité que Dieu le Père propose à tous les hommes les
mêmes conditions et promet un même salaire. Celui qui avec zèle se met au service du Seigneur
sera traité par Lui avec justice, même s'il n'a pas beaucoup travaillé à cause de l'imminence de sa
mort. En vérité je vous dis que ce ne sont pas toujours les premiers qui seront les premiers dans le
Royaume des Cieux, et que là-haut on verra de ceux qui étaient les derniers devenir les premiers et
d'autres qui étaient les premiers être les derniers. Là on verra beaucoup d'hommes, qui
n'appartiennent pas à Israël, plus saints que beaucoup d'Israël. Je suis venu appeler tout le monde,
au nom de Dieu. Mais si les appelés sont nombreux, peu nombreux sont les choisis, car peu
nombreux sont ceux qui veulent la Sagesse.
N'est pas sage celui qui vit du monde et de la chair, et non pas de Dieu. Il n'est pas sage, ni pour la
terre, ni pour le Ciel. Car sur la terre il s'attire des ennemis, des punitions, des remords. Et pour le
113
Ciel, il perd tout pour l'éternité.
Je répète: soyez bons avec le prochain quel qu'il soit. Soyez obéissants, en laissant à Dieu le soin de
punir celui qui donne des ordres injustes. Soyez continents en sachant résister aux sens, honnêtes en
résistant à l’or. Soyez cohérents pour dire anathème à ce qui le mérite et à le refuser quand la chose
vous semble juste, quitte ensuite à établir des relations avec ceux dont vous aviez d'abord maudit
l'idée. Ne faites pas aux autres ce que vous ne vous ne voudriez pas qu'il vous soit fait, et alors...»
«Mais va-t-en, ennuyeux prophète! Tu nous a gâté le marché!... Tu nous as enlevé les clients!...»
crient les marchands en faisant irruption dans la cour... Et ceux qui avaient murmuré dans la cour
aux premiers enseignements de Jésus - ce n'était pas seulement des phéniciens mais aussi des
hébreux qui se trouvent dans la ville, pour je ne sais quel motif - s'unissent aux marchands pour
insulter et menacer et surtout pour le chasser... Jésus ne plaît pas parce qu'il ne pousse pas au mal...
Il croise les bras et regarde, attristé, solennel.
Les gens, divisés en deux partis, en viennent aux mains pour défendre ou attaquer le Nazaréen.
Insultes, louanges, malédictions, bénédictions, des apostrophes: «Ils ont raison les pharisiens. Tu es
vendu à Rome, l'ami des publicains et des courtisanes», ou par contre: «Taisez-vous,
blasphémateurs! C'est vous qui êtes vendus à Rome, phéniciens d'enfer!» «Vous êtes des Satans!»
«Que l'Enfer vous engloutisse!» «Hors d'ici! Hors d'ici!» «Hors d'ici, voleurs qui venez faire le
marché ici, usuriers» et cætera.
Les soldats interviennent en disant: «Ce n’est pas Lui qui met le trouble! Il le subit!» Et avec leurs
lances ils font évacuer la cour et ferment le portail.
Il reste avec Jésus les trois frères prosélytes et les six disciples.
«Mais comment vous est-il venu à l'idée de le faire parler?» demande le triaire aux trois frères.
«Il y en a tant qui parlent!» répond Elie.
«Oui. Et il n'arrive rien car ils enseignent ce qui plait à l'homme. Mais ce n’est pas cela que Lui
enseigne, et ils ne le digèrent pas...» Le vieux soldat regarde avec attention Jésus qui est descendu
de sa place et qui est debout, comme abstrait.
Au dehors la foule est toujours en effervescence. Aussi on fait sortir d'autres troupes de la caserne et
avec elles le centurion en personne. Ils frappent et se font ouvrir, alors que d'autres restent pour
repousser aussi bien ceux qui crient: «Vive le Roi d'Israël!»,
114
que ceux qui le maudissent.
Le centurion s'amène inquiet et, en colère, s'en prend au vieil Aquila: «C'est ainsi
que tu fais respecter Rome, toi? En laissant acclamer un roi étranger sur une terre
soumise?»
Le vieux soldat salue avec froideur et répond: «Il enseignait le respect et l'obéissance et il parlait
d'un royaume qui n’est pas de cette terre. C'est pour cela qu'ils le haïssent. Car il est bon et
respectueux. Je n'ai pas trouvé motif d'imposer le silence à quelqu'un qui n'attaquait pas notre loi.»
Le centurion se calme et bougonne: «Alors c'est une nouvelle sédition de cette
infecte racaille... C'est bien. Donnez l'ordre à l'homme de s'en aller immédiatement. Je
ne veux pas d'histoires, ici. Obéissez et escortez-le hors de la ville dès que le chemin
sera libre. Qu'il aille où il Lui plaira, aux enfers s'il le veut, mais qu'il sorte de ma
juridiction. Compris?»
«Oui. Nous le ferons.»
Le centurion tourne le dos en faisant briller sa cuirasse et ondoyer son manteau pourpre, et il s'en va
sans même regarder Jésus.
Les trois frères disent au Maître: «Nous sommes désolés...»
«Ce n'est pas votre faute. Et ne craignez pas, vous n'en éprouverez pas de mal. C'est Moi qui vous le
dis...»
Les trois changent de couleur... Philippe dit: «Comment connais-tu notre peur?»
Jésus sourit doucement, un rayon de soleil sur son visage attristé: «Je sais ce qu'il y a dans les
coeurs et je connais l'avenir.»
Les soldats, en attendant, se sont mis au soleil. Ils lorgnent, commentent...
«Comment donc pourraient-ils nous aimer, s'ils le détestent Lui qui ne les opprime pas?»
«Et qui fait des miracles, devrais-tu dire...»
«Par Hercule! Quel est celui de nous qui est allé prévenir qu'il y avait un suspect?»
«C'est Caïus!»
«Celui qui fait du zèle! En attendant, nous avons manqué la soupe et je prévois que je vais perdre le
baiser d'une fillette!... Ah!»
«Epicurien! Où est ta belle?»
«Je ne to le dirai sûrement pas à toi, ami!»
«Elle est derrière le potier, du côté des Fondations. Je le sais. Je t'ai vu, il y a quelques soirs...» dit
un autre.
Le triaire, comme s'il passait, va vers Jésus et Lui tourne autour,
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il le regarde, le regarde. Il ne sait que dire... Jésus lui sourit pour l'encourager.
L'homme ne sait que faire... Mais il s'approche davantage. Jésus montre les cicatrices:
«Toutes des blessures? Tu es un preux et un fidèle, alors...»
Le vieux soldat rougit à ce compliment.
«Tu as beaucoup souffert pour I'amour de ta Patrie et de ton empereur... Ne voudrais-tu pas souffrir
un peu pour une plus grande Patrie: le Ciel? Pour un Empereur éternel: Dieu?»
Le soldat secoue la tête et il dit: «Je suis un pauvre païen, mais il n’est pas dit que je n’arrive pas
moi aussi à la onzième heure. Mais qui va m'instruire? Tu vois!... Ils te chassent. Et ce sont des
blessures qui font mat, pas les miennes!... Moi, au moins, je les ai rendues aux ennemis. Mais Toi,
que donnes-tu à ceux qui te blessent?»
«Le pardon, soldat. Le pardon et l'amour.»
«Moi, j'ai raison. Le soupçon qu'ils font peser sur Toi est stupide. Adieu, galiléen.»
«Adieu, romain.»
Jésus reste seul jusqu'à ce que les frères et les disciples reviennent avec des vivres. Les frères en
offrent aux soldats pendant que les disciples en offrent à Jésus. Ils mangent sans appétit, au soleil,
pendant que les soldats mangent et boivent joyeusement.
Puis un soldat sort pour regarder sur la place silencieuse. «Nous pouvons aller» crie-t-il. «Ils sont
tous partis. Il n'y a plus que les patrouilles.»
Jésus se lève docilement, il bénit et réconforte les trois frères auxquels il donne un rendez-vous pour
la Pâque au Gethsémani, et il sort, encadré par les soldats avec ses disciples humiliés qui viennent
par derrière et ils suivent la route vide jusqu'à la campagne.
«Salut, galiléen» dit le triaire.
«Adieu, Aquila. Je t’en prie: ne faites pas de mal à Daniel, Elie et Philippe. C'est Moi seul le
coupable. Dis-le au centurion.»
«Je ne vais rien dire. A cette heure, il ne s'en souvient même plus, et les trois frères nous fournissent
un bon ravitaillement, spécialement de ce vin de Chypre que le centurion aime plus que la vie. Sois
tranquille. Adieu.»
Ils se séparent. Les soldats repassent les portes. Jésus et les siens se dirigent vers l’est, à travers la
campagne silencieuse.
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18. LE BERGER ANNA CONDUIT JESUS VERB ACZIB

Jésus s'achemine à travers une région très montagneuse. Ce ne sont pas des hautes
montagnes mais une succession de montées et de descentes de collines et une quantité
de torrents, joyeux en cette fraîche et nouvelle saison, limpides comme le ciel, jeunes
comme les premières feuilles de plus en plus nombreuses sur les branches.
Mais bien que la saison soit belle, joyeuse, capable de soulager le coeur, il ne semble pas que Jésus
ait l'esprit très soulagé et encore moins que Lui les apôtres. Ils vont très silencieux dans le fond
d'une vallée. Des bergers et des troupeaux seulement se présentent à leurs yeux, mais Jésus ne paraît
même pas les voir.
C'est le soupir découragé de Jacques de Zébédée et ses paroles inattendues, fruit d'une réflexion
soucieuse, qui attirent l'attention de Jésus... Jacques dit: «Et défaites sur défaites!... Il semble que
nous soyons des maudits...»
Jésus lui met la main sur l'épaule: «Ne sais-tu pas que c'est le sort des meilleurs?»
«Hé! je le sais depuis que je suis avec Toi! Mais de temps à autre, il faudrait quelque chose de
différent, et avant nous l'avions, pour remonter notre coeur et notre foi...»
«Tu doutes de Moi, Jacques?» Quelle douleur fait trembler la voix du Maître!
«Non!...» Le «non» n'est pas très assuré, en vérité.
«Mais pour ce qui est de douter, tu doutes. De quoi, alors? Tu ne m'aimes plus comme autrefois? De
me voir chassé, ridiculisé, ou même seulement laissé de côté sur ces confins phéniciens, a-t-il
affaibli ton amour?» Des pleurs tremblent dans les paroles de Jésus, bien qu'il n'y ait pas de sanglots
ni de larmes. C'est vraiment son âme qui pleure.
«Pour cela non, mon Seigneur! Au contraire mon amour pour Toi augmente quand je te vois
incompris, récusé, humilié, affligé. Et pour ne pas te voir ainsi, pour pouvoir changer le coeur des
hommes, je serais prêt à donner ma vie en sacrifice. Tu dois me croire. Ne me brise pas le coeur,
déjà si affligé, en pensant que tu doutes de mon amour. Autrement... Autrement je tomberais dans
des excès. Je reviendrais en arrière, et j'exercerais une vengeance contre celui qui t'afflige, pour te
prouver que je t'aime, pour t'enlever ce doute, et si j'étais pris et tué cela ne m'importerait en rien. Il
me suffirait de t'avoir donné une preuve d'amour.»
117
«Oh! fils du tonnerre! D'où te vient cette véhémence? Veux-tu donc être une
foudre exterminatrice?» Jésus sourit de la fougue et des projets de Jacques.
«Oh! au moins je te vois sourire! C'est déjà un fruit de mes projets. Qu'en dis-tu, Jean? Devons-nous
mettre en pratique ce que je pense pour soulager le Maître humilié par tant de refus?»
«Oh! oui. Allons et mettons-nous à parler. Et s'ils l'insultent encore comme un roi de paroles, un roi
de comédie, un roi sans argent, un roi fou, frappons dur pour qu'ils s'aperçoivent que le roi a aussi
une armée de fidèles et qu'ils ne sont pas disposés à le laisser mépriser. La violence est utile en
certaines choses. Allons, frère!»
«Mais écoutez-les! Et Moi, qu'ai-je prêché pendant tant de temps? Oh! surprise des surprises!
Même Jean, ma colombe, est devenu un épervier! Regardez-le, vous, comme il est laid, troublé,
ébouriffé, déformé par la haine! Oh! honte! Et vous vous étonnez que des phéniciens restent
indifférents, que des hébreux soient haineux, que des romains m'intiment l'expulsion, quand vous,
les premiers, vous n'avez encore rien compris depuis deux années que vous êtes avec Moi, quand
vous êtes devenus fiel par la haine que vous avez dans le coeur, quand vous rejetez de votre coeur
ma doctrine d'amour et de pardon, quand vous l'expulsez comme une sottise, et accueillez comme
une bonne alliée la violence! Oh! Père Saint! Cela, oui, c'est une défaite! Au lieu d'être comme
autant d'éperviers qui aiguisent leurs becs et leurs griffes, ne vaudrait-il pas mieux que vous soyez
des anges qui prient le Père de donner le réconfort à son Fils? Quand donc a-t-on vu un orage faire
du bien par ses foudres et sa grêle? Eh bien, en souvenir de ce péché que vous avez commis contre
la Charité, en souvenir du moment où j'ai vu affleurer sur votre visage l'animal-homme au lieu de
l'homme-ange, que je veux toujours voir en vous, je vais vous surnommer "les fils du tonnerre".»
Jésus est mi-sérieux quand il parle aux fils de Zébédée tout enflammés. Mais ses reproches ne
durent pas devant leur repentir et, avec un visage que l'amour rend lumineux, il les serre contre son
coeur en disant: «Et plus jamais, mauvais comme cela. Et merci pour votre amour. Et aussi pour le
vôtre, amis» dit-il en s'adressant à André, Mathieu et les deux cousins. «Venez ici que je vous
embrasse vous aussi. Mais ne savez-vous pas que si je n'avais pas d'autre joie que celle de faire la
volonté de mon Père et votre amour, je serais toujours heureux même si le monde entier me
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souffletait? Je suis triste, non pas pour Moi, pour mes défaites, comme vous dites,
mais par pitié pour les âmes qui repoussent la Vie. Voilà, maintenant nous sommes
tous contents, n’est-ce pas, grands enfants que vous êtes? Alors, allons. Allez trouver
ces bergers qui sont en train de traire le troupeau et demandez un peu de lait, au nom
de Dieu. N'ayez pas peur» dit-il en voyant l’air désolé des apôtres. «Obéissez avec foi.
Vous aurez du lait et non des coups de bâton, même si l'homme est phénicien».
Et les six s'en vont alors que Jésus les attend sur la route. Et il prie pendant ce
temps, le Jésus affligé dont personne ne veut... Les apôtres reviennent avec un petit
seau de lait et ils disent: «L'homme a dit que tu ailles là-bas, il doit te parler, mais il
ne peut laisser les chèvres capricieuses aux petits bergers.»
Jésus dit: «Alors allons manger leur pain.»
Et ils vont tous sur la pente sur laquelle s'accrochent les chèvres capricieuses.
«Je te remercie du lait que tu m'as donné. Que veux-tu de Moi?»
«Tu es le Nazaréen, n’est-ce pas? Celui qui fait des miracles?»
«Je suis celui qui prêche le Salut Eternel. Je suis le Chemin pour aller au Dieu Vrai, la Vérité qui se
donne, la Vie qui vous vivifie. Je ne suis pas un sorcier qui fait des prodiges. Ceux-ci sont les
manifestations de ma bonté et de votre faiblesse, qui a besoin de preuves pour croire. Mais que
veux-tu de Moi?»
«Voilà... Tu étais il y a deux jours à Alexandroscène?»
«Oui. Pourquoi?»
«Moi aussi j'y étais avec mes chevrettes et quand j'ai compris qu'il y avait de la bagarre j'ai filé,
parce qu'on a l'habitude de les provoquer pour voler ce qui se trouve sur les marchés. Ce sont tous
des voleurs: les phéniciens... comme les autres. Je ne devrais pas le dire car mon père était prosélyte
et ma mère syrienne, prosélyte moi aussi. Mais c'est la vérité. Bien. Revenons à notre récit. Je
m'étais mis dans une étable avec mes bêtes, en attendant le char de mon fils. Et le soir, au sortir de
la ville, j'ai rencontré une femme en pleurs avec une fillette dans les bras. Elle avait fait huit milles
pour venir vers Toi, parce qu'elle habite hors de la ville, dans la campagne. Je lui ai demandé ce
qu'elle avait. C'est une prosélyte. Elle était venue pour vendre et acheter. Elle avait entendu parler
de Toi. Et l'espoir lui était venu au coeur. Elle était accourue à la maison. Elle avait pris sa fillette.
Mais avec un fardeau, on marche lentement! Quand elle fut au magasin des frères, tu n'y étais plus.
Eux, les frères, lui ont dit: "Ils l'ont chassé. Mais il nous a dit hier
119
soir qu'il refera les escales de Tyr". Moi - je suis père moi aussi - je lui ai dit: "Et alors
va là-bas". Mais elle m'a répondu: "Et, si après ce qui est arrivé, il passe par d'autres
chemins pour retourner en Galilée?". Je lui ai dit: "Oh! écoute. Ce sera une des deux
routes des frontières. Moi, je fais paître mes troupeaux entre Rohob et Lesemdan,
justement sur la route des frontières entre ici et Nephtali. Si je le vois, je le Lui dis.
Parole de prosélyte". Et voilà je to l'ai dit.»
«Et que Dieu t'en récompense. J'irai trouver la femme. Je dois retourner à Aczib.»
«Tu vas à Aczib? Alors nous pourrons faire route ensemble si tu ne dédaignes pas un berger.»
«Je ne dédaigne personne. Pourquoi vas-tu à Aczib?»
«Parce que là, j'ai des agneaux. A moins que... je n'en aie plus.»
«Pourquoi?»
«Parce qu'il y a la maladie... Je ne sais pas si c'est de la sorcellerie ou autre chose. Je sais que mon
beau troupeau est devenu malade. C'est pour cela que j'ai amené ici les chèvres, qui sont encore
saines, pour les séparer des brebis. Ici vont rester mes deux fils. Maintenant ils sont à la ville pour
les commissions. Mais je retourne là... pour les voir mourir, mes belles brebis laineuses...»
L'homme soupire... Il regarde Jésus et il s'excuse: «Te parler à Toi, qui es Celui qui est, de ces
choses et t'affliger, Toi certainement déjà affligé de la façon dont ils te traitent, c'est de la sottise.
Mais les brebis, nous les aimons et c'est notre fortune, sais-tu?»
«Je comprends, mais elles vont guérir. Ne les as-tu pas fait voir à des gens qui s'y connaissent?»
«Oh! Ils m'ont tous dit la même chose: "Tue-les et vends leurs peaux. Il n'y a rien d'autre à faire" et
même ils m'ont menacé si je les fais sortir... Ils ont peur de la maladie pour les leurs. Je dois les
garder ainsi enfermées... et elles meurent en plus grand nombre. Ils sont méchants, tu sais? ceux de
Aczib...»
Jésus dit simplement: «Je le sais.»
«Moi, je dis qu'ils me les ont ensorcelées...»
«Non. Ne crois pas ces histoires... Quand tes fils vont venir, vas-tu partir tout de suite?»
«Tout de suite. Ils vont être ici dans un moment. Est-ce que ce sont tes disciples, eux? N'y a-t-il
qu'eux seuls?»
«Non, j'en ai encore d'autres.»
«Et pourquoi ne viennent-ils pas ici? Une fois, près de Méron, j'ai rencontré un groupe de ceux-ci.
Ils avaient à leur tête un berger.
120
C'est ce qu'on disait. C'était un homme grand, robuste, qui s'appelait Elie. C'était en
octobre, me semble-t-il, avant ou après les Tabernacles. Maintenant il t'a quitté?»
«Aucun disciple ne m'a quitté.»
«On m'avait dit que...»
«Quoi?»
«Que tu... que les pharisiens... En somme que les disciples t'avaient quitté par peur, et parce que tu
étais un...»
«Un démon. Dis-le simplement. Je le sais. Double mérite pour toi, qui crois malgré cela.»
«Et pour ce mérite, ne pourrais-tu pas... mais peut-être je demande une chose sacrilège...»
«Dis-la. Si elle est mauvaise, je te le dirai.»
«Ne pourrais-tu pas, en passant, bénir mon troupeau?» l'homme est tout angoissé...
«Je vais bénir ton troupeau. Celui-ci...» et il lève la main pour bénir les chèvres éparses, «...et celui
des brebis. Crois-tu que ma bénédiction les sauve?»
«Comme tu sauves les hommes des maladies, ainsi tu pourras sauver les bêtes. On dit que tu es le
Fils de Dieu. Les brebis, c'est Dieu qui les a créées. Ce sont donc des choses du Père. Moi... je ne
savais pas s'il était respectueux de te le demander. Mais si c'est possible, fais-le, Seigneur, et je
porterai au Temple de grandes offrandes de louange. Ou plutôt, non! Je te les donnerai pour les
pauvres et ce sera mieux.»
Jésus sourit et se tait. Les fils du berger arrivent, et peu après Jésus avec les siens et le vieux berger
partent, en laissant les jeunes gens à la garde des chèvres.
Ils marchent rapidement, dans l'intention d'arriver vite à Cédès pour en sortir aussitôt en essayant de
rejoindre la route qui va de la mer vers l'intérieur. Ce doit être la même, qui bifurque au pied du
promontoire, qu'ils ont faite en allant à Alexandroscène. Du moins c'est ce que je comprends d'après
les conversations du berger avec les disciples. Jésus est en avant tout seul.
«Mais n'aurons-nous pas d'autres ennuis?» demande Jacques d'Alphée.
«Cédès ne dépend pas de ce centurion. Elle est hors des frontières phéniciennes. Les centurions, il
suffit de ne pas les piquer, ils se désintéressent de la religion.»
«Et puis nous ne nous y arrêtons pas...»
«Arriverez-vous à faire plus de trente milles en un jour?»
121
demande le berger.
«Oh! nous sommes des pèlerins perpétuels!»
Ils marchent sans arrêt... Ils arrivent à Cédès et la dépassent sans incidents. Ils
prennent la route directe. Sur la borne est indiquée Aczib. Le berger la montre en
disant: «Demain, nous y serons. Cette nuit, vous viendrez avec moi. Je connais des
paysans des vallées, mais beaucoup sont dans les frontières phéniciennes... C'est bien!
Nous sortirons des frontières, et sûrement on ne nous découvrira pas tout de suite...
Oh! la surveillance! Il vaudrait mieux l'exercer pour les voleurs!...»
Le soleil tombe et les vallées n'aident certainement pas à garder sa lumière,
boisées comme elles le sont. Mais le berger est au courant et il va avec assurance.
Ils arrivent à un petit village, exactement une poignée de maisons.
«S'ils nous donnent l'hospitalité ici, ce sont des israélites. Nous sommes vraiment sur les frontières.
S'ils ne veulent pas de nous, nous irons dans un autre village qui est phénicien.»
«Je n'ai pas de préventions, homme.»
Ils frappent à une maison.
«Toi, Anna? Avec des amis? Viens, viens et que Dieu soit avec toi» dit une femme très âgée.
Ils entrent dans une vaste cuisine que réjouit un grand feu. Une famille nombreuse de tous les âges,
est réunie à table, mais courtoisement fait place à ceux qui viennent d'arriver.
«Voici Jonas. Voilà sa femme, ses enfants, ses petits-enfants et les belles-filles. Une famille
patriarcale, fidèle au Seigneur» dit le berger Anna à Jésus. Et puis, se tournant vers le vieux Jonas:
«Et celui qui est avec moi, c'est le Rabbi d'Israël celui que tu désirais connaître.»
«Je bénis Dieu de Lui donner l'hospitalité et d'avoir de la place, ce soir. Et je bénis le Rabbi d'être
venu dans ma maison, et je demande sa bénédiction.»
Anna explique que la maison de Jonas est comme une auberge pour les pèlerins qui vont de la mer
vers l'intérieur.
Tous s'assoient dans la cuisine chaude et les femmes servent les nouveaux arrivés. Il y a un tel
respect qu'il en est paralysant. Mais Jésus détend la situation en prenant autour de Lui, tout de suite
après le repas, les nombreux enfants et en s'intéressant à eux qui tout de suite fraternisent. Et
derrière eux, dans le bref espace de temps qui sépare le souper du repos, les hommes de la maison
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s'enhardissent racontant ce qu'ils ont appris du Messie et demandant de nouveaux
détails. Et Jésus rectifie, confirme, explique avec bienveillance, dans une paisible
conversation, jusqu'à ce que pèlerins et gens de la famille aillent se reposer après que
Jésus les ait tous bénis.

19. LA MERE CANANEENNE


«Le Maître est-il avec toi?» demande le vieux paysan Jonas à Jude Thaddée qui
entre dans la cuisine. Déjà le feu est allumé pour chauffer le lait et réchauffer la pièce,
car il fait un peu froid dans ces premières heures d'une matinée de fin janvier, je crois,
ou de début février. La matinée est très belle mais le froid est un peu piquant.
«Il doit être sorti pour prier. Il sort souvent à l'aube, quand il sait qu'il peut être seul. Il va bientôt
arriver. Pourquoi le demandes-tu?»
«Je l'ai demandé aussi aux autres, qui maintenant se sont dispersés pour le chercher, car il y a une
femme à côté, avec mon épouse. C'est une femme d'un village d'au-delà de la frontière et je ne sais
pas vraiment dire comment elle a su que le Maître est ici, mais elle le sait et elle veut Lui parler.»
«C'est bien. Elle Lui parlera. Peut-être est-elle celle qu'il attend, avec une fillette malade. C'est son
esprit qui l'aura conduite ici.»~
«Non. Elle est seule, elle n'a pas d'enfant avec elle. Je la connais bien, parce que les villages sont si
voisins... et la vallée appartient à tous. Et puis, moi je pense qu'il ne faut pas être cruel avec les
voisins, même phéniciens, pour servir le Seigneur. Je peux me tromper mais...»
«C'est aussi ce que dit toujours le Maître, qu'il faut avoir pitié de tous. »
«C'est ce qu'il fait, n’est-ce pas?»
«Oui. »
«Anna m'a dit aussi, que même maintenant on le traite mal. Mal, toujours mal!...
En Judée, comme en Galilée, partout. Pourquoi donc Israël est-il si mauvais avec son
Messie? Je veux parler des plus grands parmi nous d'Israël, car le peuple l'aime.»
«Comment sais-tu ces choses?»
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«Oh! je vis ici, au loin, mais je suis un fidèle israélite. Il me suffit d'aller au
Temple pour les fêtes d'obligation pour savoir tout le bien et tout le mal! Et le bien on
le connaît moins que le mal, parce que le bien est humble et ne fait pas de réclame.
Les bénéficiaires devraient le proclamer, mais peu nombreux sont ceux qui sont
reconnaissants après avoir reçu des grâces. L'homme reçoit le bienfait et il l'oublie...
Le mal, au contraire, fait résonner ses trompettes et il fait retentir ses paroles, même
aux oreilles de ceux qui ne veulent pas entendre. Vous, qui êtes ses disciples, ne
savez-vous pas à quel point, au Temple, on dénigre et on accuse le Messie? Les
scribes ne font plus d'instructions que sur son compte. Je crois qu'ils se sont fait un
recueil d'instructions sur la manière d'accuser le Maître et de faits qu'ils présentent
comme des motifs valables d'accusation. Et il faut avoir la conscience très droite et
ferme et libre, pour savoir résister et juger avec sagesse. Lui, est-il au courant de ces
manoeuvres?»
«Il les connaît toutes. Et nous, plus ou moins, nous sommes aussi au courant, mais Lui ne s'en
frappe pas. Il continue son travail et le nombre des disciples ou des croyants augmente chaque
jour.»
«Que Dieu veuille qu'ils tiennent jusqu'à la fin, mais l'homme est instable dans ses pensées. Il est
faible... Voici le Maître qui vient vers la maison avec trois disciples.»
Et le vieillard sort, suivi de Jude Thaddée, pour vénérer Jésus qui, plein de majesté, se dirige vers la
maison.
«La paix soit avec toi, aujourd'hui et toujours, Jonas.»
«Gloire et paix avec Toi, Maître, toujours.»
«La paix à toi, Jude. André et Jean ne sont-ils pas encore revenus?»
«Non, et je ne les ai pas entendus sortir. Personne. J'étais fatigué et j'ai dormi comme une souche.»
«Entre, Maître. Entrez. L'air est frais ce matin. Dans le bois il devait faire très froid. Il y a ici du lait
chaud pour tout le monde.»
Ils sont en train de boire le lait et tous, sauf Jésus, y trempent de bons morceaux de pain, quand
surviennent André et Jean avec Anna, le berger.
«Ah! tu es ici? Nous revenions pour dire que nous ne t'avions pas trouvé...» s'écrie André.
Jésus donne le salut de paix aux trois, et ajoute: «Vite, prenez votre part et partons car je veux être,
avant le soir, au moins au pied de la montagne d'Aczib. Ce soir commence le sabbat.»
«Mais, mes brebis?»
124
Jésus sourit et répond: «Elles seront guéries après que je les aurai bénies.»
«Mais je suis à l'orient de la montagne! Et Toi, pour cette femme, to vas au couchant...»
«Laisse faire Dieu, et Lui pourvoira à tout.»
Le repas est fini, et les apôtres montent prendre les sacs de voyage pour le départ.
«Maître... cette femme qui est là... tu ne l'écoutes pas?»
«Je n'ai pas le temps, Jonas. La route est longue et, du reste, je suis venu pour les brebis d'Israël.
Adieu, Jonas. Que Dieu te récompense de ta charité. Ma bénédiction est sur toi et sur tous tes
parents. Allons.»
Mais le vieillard se met à crier à tue-tête: «Enfants! Femmes! Le Maître part! Accourez!»
Et comme une nichée de poussins éparpillés dans un pailler accourent au cri de la mère poule qui
les appelle, ainsi de tous les côtés de la maison accourent femmes et hommes occupés à leurs
travaux ou encore à moitié endormis, et les enfants à moitié nus qui sourient avec leurs visages à
peine éveillés... Ils se serrent autour de Jésus qui est au milieu de l’aire, et les mères enveloppent les
enfants dans leurs jupes pour les garantir de l’air, ou bien les serrent dans leurs bras jusqu'à ce
qu'une servante accoure avec des petits vêtements qui sont vite passés.
Mais voilà qu'accourt une femme qui n’est pas de la maison, une pauvre femme en pleurs,
honteuse... Elle marche courbée, presque en rampant et, arrivée près du groupe au milieu duquel se
trouve Jésus, elle se met à crier: «Aie pitié de moi, ô Seigneur, Fils de David! Ma fillette est toute
tourmentée par le démon qui lui fait faire des choses honteuses. Aie pitié parce que je souffre tant et
que je suis méprisée par tous à cause de cela. Comme si ma fille était responsable de faire ce qu'elle
fait... Aie pitié, Seigneur, Toi qui peux tout. Elève ta voix et ta main et commande à l’esprit impur
de sortir de Palma. Je n'ai que cette enfant et je suis veuve... Oh! ne t’en va pas! Pitié!...»
En effet Jésus qui a fini de bénir les membres de la famille et qui a réprimandé les adultes d'avoir
parlé de sa venue - et eux s'excusent en disant: «Nous n'avons pas parlé, crois-le, Seigneur!» - s'en
va montrant une dureté inexplicable envers la pauvre femme qui se traîne sur les genoux en tendant
des bras suppliants, haletante alors qu'elle dit: «C'est moi, moi qui t'ai vu hier pendant que tu passais
le torrent, et j'ai entendu qu'on tu disait: "Maître". Je vous
125
ai suivis parmi les buissons et j'ai entendu leurs conversations. J'ai compris qui tu es...
Et ce matin, je suis venue alors qu'il faisait encore nuit, pour rester ici sur le seuil
comme un petit chien jusqu'au moment où Sara s'est levée et m'a fait entrer. Oh!
Seigneur, pitié! Pitié! D'une mère et d'une petite!»
Mais Jésus marche rapidement, sourd à tout appel. Ceux de la maison disent à la
femme: «Résigne-toi! Il ne veut pas t'écouter. Il l'a dit: c'est pour ceux d'Israël qu'il est
venu...»
Mais elle se lève, à la fois désespérée et pleine de foi, et elle répond: «Non. Je le prierai tant qu'il
m'écoutera.» Et elle se met à suivre le Maître ne cessant de crier ses supplications qui attirent sur le
seuil des maisons du village tous ceux qui sont éveillés et qui, comme ceux de la maison de Jonas,
se mettent à la suivre pour voir comment la chose va finir.
Les apôtres pendant ce temps se regardent entre eux étonnés et ils murmurent: «Pourquoi agit-il
ainsi? Il ne l'a jamais fait!...» Et Jean dit: «A Alexandroscène il a pourtant guéri ces deux.»
«C'étaient des prosélytes, pourtant» répond le Thaddée.
«Et celle qu'il va guérir maintenant?»
«Elle est prosélyte, elle aussi» dit le berger Anna.
«Oh! mais que de fois il a guéri aussi des gentils ou des païens! La petite romaine, alors?...» dit
André désolé, qui ne sait pas se tranquilliser de la dureté de Jésus envers la femme cananéenne.
«Je vais vous dire ce qu'il y a» s'exclame Jacques de Zébédée. «C'est que le Maître est indigné. Sa
patience est à bout, devant tant d'assauts de la méchanceté humaine. Ne voyez-vous pas comme il
est changé? Il a raison! Désormais il ne va se donner qu'à ceux qu'il connaît. Et il fait bien!»
«Oui. Mais en attendant, elle nous suit en criant, avec une foule de gens à sa suite. Lui, s'il veut
passer inaperçu, a trouvé moyen d'attirer l'attention même des arbres...» bougonne Mathieu.
«Allons Lui dire de la renvoyer... Regardez ici le beau cortège qui nous suit! Si nous arrivons ainsi
sur la route consulaire, nous allons être frais! Et elle, s'il ne la chasse pas, ne va pas nous lâcher...»
dit le Thaddée fâché, qui de plus se retourne et dit à la femme: «Tais-toi et va-t-en!» Et ainsi fait
Jacques de Zébédée. Mais la femme ne s'impressionne pas des menaces et des injonctions et
continue de supplier.
«Allons le dire au Maître, qu'il la chasse, Lui, puisqu'il ne veut pas l'écouter. Cela ne peut pas durer
ainsi!» dit Mathieu, alors qu'André murmure: «La pauvre!» et Jean ne cesse de répéter: «Moi,
126
je ne comprends pas... Moi, je ne comprends pas...» Il est bouleversé, Jean, de la
façon d'agir de Jésus.
Mais désormais, en accélérant leur marche, ils ont rejoint le Maître qui s'en va
rapidement comme si on le poursuivait. «Maître! Mais renvoie cette femme! C'est un
scandale! Elle crie derrière nous! Elle nous fait remarquer de tout le monde! La route
se remplit toujours plus de passagers... et beaucoup la suivent. Dis-lui qu'elle s'en
aille.»
«Dites-le-lui, vous. Moi, je lui ai déjà répondu.»
«Elle ne nous écoute pas. Allons! Dis-le-lui, Toi. Et avec sévérité.»
Jésus s'arrête et se retourne. La femme prend cela pour un signe de grâce, et elle hâte le pas, elle
élève le ton déjà aigu de sa voix et son visage pâlît car son espoir grandit.
«Tais-toi, femme, et retourne chez toi! Je l'ai déjà dit: "Je suis venu pour les brebis d'Israël". Pour
guérir les malades et rechercher celles d'entre elles qui sont perdues. Toi, tu n'es pas d'Israël
Mais la femme est déjà à ses pieds et les baise en l'adorant et en tenant serrées ses chevilles, comme
si elle était une naufragée qui a trouvé un rocher où se réfugier, et elle gémit: «Seigneur, viens à
mon secours! Tu le peux, Seigneur. Commande au démon, Toi qui es saint... Seigneur, Seigneur, tu
es le Maître de tout, de la grâce comme du monde. Tout t'est soumis, Seigneur. Je le sais. Je le crois.
Prends donc ce qui est en ton pouvoir et sers-t-en pour ma fille.»
«Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants de la maison et de le jeter aux chiens de la rue.»
«Moi, je crois en Toi. En croyant, de chien de la rue je suis devenue chien de la maison. Je to l'ai
dit: je suis venue avant l'aube me coucher sur le seuil de la maison où tu étais, et si tu étais sorti de
ce côté là, to aurais buté contre moi. Mais tu es sorti de l'autre côté et tu ne m'as pas vue. Tu n'as pas
vu ce pauvre chien tourmenté, affamé de ta grâce, qui attendait pour entrer en rampant où tu étais,
pour te baiser ainsi les pieds, en te demandant de ne pas le chasser...»
«Il n'est pas bien de jeter le pain des enfants aux chiens» répète Jésus.
«Mais pourtant les chiens entrent dans la pièce où le maître mange avec ses enfants, et ils mangent
ce qui tombe de la table, ou les restes que leur donnent les gens de la maison, ce qui ne sert plus. Je
ne te demande pas de me traiter comme une fille et de me
127
faire asseoir à ta table. Mais donne-moi, au moins, les miettes...»
Jésus sourit. Oh! comme son visage se transfigure dans ce sourire de joie!...
Les gens, les apôtres, la femme, le regardent avec admiration... sentant que quelque chose va
arriver.
Et Jésus dit: «Oh! femme! Grande est ta foi. Et par elle tu consoles mon esprit. Va donc, et qu'il te
soit fait comme tu veux. Dès ce moment, le démon est sorti de ta petite. Va en paix. Et comme de
chien perdu tu as su vouloir être chien domestique, ainsi sache à l'avenir être fille, assise à la table
du Père. Adieux.»
«Oh! Seigneur! Seigneur! Seigneur!... Je voudrais courir pour voir ma Palma chérie... Je voudrais
rester avec Toi, te suivre! Béni! Saint!»
«Va, va, femme. Va en paix.»
Et Jésus reprend sa route alors que la cananéenne, plus agile qu'une enfant, s'éloigne en courant,
suivie de la foule curieuse de voir le miracle...
«Mais pourquoi, Maître, l'as-tu faite tant prier pour ensuite l'écouter?» demande Jacques de
Zébédée.
«A cause de toi et de vous tous. Cela n’est pas une défaite, Jacques. Ici, je n'ai pas été chassé,
ridiculisé, maudit... Que cela relève votre esprit abattu. J'ai déjà eu aujourd'hui ma nourriture très
douce. Et j'en bénis Dieu. Et maintenant allons trouver cette autre qui sait croire et attendre avec
une foi assurée.»
«Et mes brebis, Seigneur? Bientôt je devrai prendre une autre route que la tienne pour aller à ma
pâture...»
Jésus sourit, mais ne répond pas.
Il est beau d'aller, maintenant que le soleil réchauffe l’air et fait resplendir comme des émeraudes
les feuilles nouvelles des bois et les herbes des prairies, changeant en chaton tout calice de fleur à
cause des gouttes de rosée qui brillent dans les pétales multicolors des fleurettes des champs. Et
Jésus va, souriant. Et les apôtres, qui ont subitement repris courage, le suivent en souriant...
Ils arrivent au carrefour. Le berger Anna, mortifié, dit: «C'est ici que je devrais te quitter... Tu ne
viens donc pas guérir mes brebis? Moi aussi, j'ai foi, et je suis prosélyte... Me promets-tu, au moins,
de venir après le sabbat?»
«Oh! Anna! Mais tu n'as pas encore compris que tes brebis sont guéries depuis le moment où j'ai
levé la main vers Lesemdan? Va donc, toi aussi, pour voir le miracle et bénir le Seigneur.»
128
Je crois que la femme de Loth, quand elle eut été changée en sel, n'a pas été
différente du berger qui est resté comme il était, un peu incliné mais la tête relevée
vers Jésus pour le regarder, un bras à demi tendu en l’air... Il semble être une statue.
Et on pourrait lui mettre l'inscription: «Le Suppliant.» Mais ensuite il se redresse et se
prosterne, en disant: «Béni, sois-tu! Toi, bon! Toi, saint!... Mais je t'ai promis
beaucoup d'argent, et ici, je n'ai que quelques drachmes... Viens, viens chez moi après
le sabbat...»
«Je viendrai, non pour l'argent mais pour to bénir encore pour ta simple foi. Adieu, Anna. La paix
soit avec toi.»
Et ils se séparent...
«Et cela aussi, n'est pas une défaite, amis! Et ici aussi, je n'ai pas été ridiculisé, chassé et maudit!...
Allons! Il y a une mère qui nous attend depuis plusieurs jours...»
Et la marche continue, avec un petit arrêt pour manger du pain et du fromage et boire à une source...
Le soleil est au midi quand on voit apparaître le carrefour. «Voici le commencement des escales de
Tyr là, au fond» dit Mathieu. Et il se réjouit à la pensée que la plus grande partie du parcours est
faite.
Justement, adossée à une borne romaine, il y a une femme. A ses pieds, sur un strapontin, une
fillette sur les sept ou huit ans. La femme regarde dans toutes les directions, vers les escales dans les
rochers, vers la route de Ptolémaïs, vers celle que parcourt Jésus, et de temps à autre elle se penche
pour caresser sa petite, pour lui garantir la tête du soleil avec une toile, lui recouvrir les pieds et les
mains avec un châle...
«Voilà la femme! Mais où aura-t-elle dormi pendant ces jours?» demande André.
«Peut-être dans cette maison tout près du carrefour. Il n'y a pas d'autres maisons dans le voisinage»
répond Mathieu.
«Ou à la belle étoile» dit Jacques d'Alphée.
«Non. A cause de la fillette, non» répond son frère.
«Oh! pour obtenir la grâce!...» dit Jean.
Jésus ne parle pas, mais il sourit. Tous en rang, trois d'un côté, trois de l'autre, avec Lui au milieu,
ils occupent la route à cette heure de pose des voyageurs, occupés à manger là où les a pris le milieu
du jour.
Jésus sourit, grand, beau, au milieu du rang. Et il semble que toute la lumière du soleil se soit
concentrée sur son visage, tant il est radieux. Il semble émettre des rayons.
129
La femme lève les yeux... Ils sont désormais à une cinquantaine de mètres.
Peut-être Jésus a attiré son attention, distraite par une plainte de la fille, par son
regard fixé sur elle. Elle regarde... Elle porte les mains à son coeur par un
mouvement involontaire, provoqué par l'angoisse, elle sursaute.
Jésus épanouit son sourire. Et ce sourire resplendissant, inexprimable, doit dire tant de choses à la
femme qui, non plus anxieuse mais souriante, comme si déjà elle éprouvait son futur bonheur, se
penche pour prendre sa petite et la levant de son strapontin, la portant les bras tendus, comme si elle
l'offrait à Dieu, elle s'avance et quand elle est arrivée aux pieds de Jésus, elle s'agenouille en levant
le plus qu'elle peut la fillette allongée qui regarde, extasiée, le très beau visage de Jésus.
La femme ne dit pas un mot. Et que doit-elle dire de plus profond que ce qu'elle dit par toute son
attitude?...
Et Jésus ne dit qu'une seule parole, petite, mais puissante, mais béatifiante
comme le «Fiat» de Dieu dans la création du monde: «Oui.» Et il pose sa main sur
la petite poitrine de l'enfant étendue.
Et l'enfant, avec un cri d'alouette libérée de la cage, crie: «Maman!» et elle
s'assied tout d'un coup, glisse à ses pieds, et embrasse sa mère qui, épuisée, vacille
et va tomber à la renverse, s'évanouissant par suite de la fatigue, de l'angoisse
subitement apaisée, de la joie qui dépasse les forces du coeur déjà affaibli par tant
de souffrances passées.
Jésus la soutient promptement. Son intervention est plus efficace que celle de la fillette qui,
alourdissant de son poids les bras maternels, ne l'aide pas précisément à la soutenir. Jésus la fait
asseoir et fait passer la force en elle...
Et il la regarde pendant que des larmes muettes descendent sur le visage à la fois fatigué et
bienheureux de la femme. Puis viennent les paroles: «Merci, mon Seigneur! Merci et bénédictions!
Mon espérance a été couronnée... Je t'ai tant attendu... Mais maintenant je suis heureuse...»
La femme, après avoir surmonté son évanouissement, se remet à genoux, adorant, tenant devant elle
la fillette que Jésus caresse. Elle explique: «Il y a deux ans que dans l'échine un os se détériorait la
paralysant et l'amenant à la mort lentement et en la faisant beaucoup souffrir. Nous l'avions fait voir
à des médecins d'Antioche, de Tyr, de Sidon et même de Césarée et de Panéade, faisant tant de
dépenses pour les médecins et les remèdes que nous avons
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dù vendre la maison que nous avions en ville et nous retirer dans celle de campagne,
et congédier les serviteurs de la maison pour ne garder que ceux de la campagne,
vendre nos productions qu'auparavant nous consommions... Et rien ne servait! Je t'ai
vu. Je savais ce que tu fais ailleurs. J'ai espéré ta grâce aussi pour moi... Et je l'ai eue!
Maintenant je retourne à la maison, légère, joyeuse... et à mon époux, je donnerai la
joie... A mon Jacques, lui qui m'a mis au coeur l'espérance, en me racontant ce qui
était arrivé par ta puissance en Galilée et en Judée. Oh! si nous n'avions pas craint de
ne pas te trouver, nous serions venus avec la fillette. Mais tu es toujours en route!...»
«En cheminant, je suis venu vers toi... Mais où as-tu séjourné pendant ces jours?»
«Dans cette maison... Mais la nuit, la fillette seule y restait. Il y a là une brave femme: elle en
prenait soin à ma place pendant la nuit. Moi, je suis restée toujours ici, par crainte de te manquer si
tu passais de nuit.»
Jésus lui met la main sur la tête: «Tu es une bonne mère. Dieu t'aime à cause de cela. Tu vois qu'Il
t'a aidée en tout.»
«Oh! oui! Je l'ai bien senti pendant que je venais. J'étais venue de la maison à la ville, croyant t'y
trouver, par conséquent avec peu d'argent et seule. Puis, suivant le conseil de l'homme, j'ai
poursuivi ma route pour ce lieu. J'ai envoyé prévenir à la maison et je suis venue... et il ne m'a rien
manqué. Ni pain, ni abri, ni force.»
«Toujours avec ce fardeau dans les bras? Ne pouvais-tu pas louer un char?...» demande peiné
Jacques d'Alphée.
«Non. Elle aurait trop souffert, à en mourir. C'est dans les bras de sa mère que ma Jeanne est venue
à la Grâce.»
Jésus caresse leurs cheveux à toutes les deux: «Maintenant partez et soyez toujours fidèles au
Seigneur. Que le Seigneur soit avec vous et qu'avec vous soit ma paix.»
Jésus reprend sa marche sur la route qui va à Ptolémaïs.
«Et cela aussi n'est pas une défaite, amis. Et ici aussi, je n'ai été ni chassé, ni ridiculisé, ni maudit.»
En suivant la route directe, ils ont vite fait de rejoindre la maréchalerie, près du pont. Le maréchal
romain se repose au soleil, assis contre le mur de la maison. Il reconnaît Jésus et le salue. Jésus lui
rend son salut et il ajoute: «Me permets-tu de rester ici, pour reposer un peu et manger un peu de
pain?»
«Oui, Rabbi. Ma femme voulait te voir... car je lui ai dit ce que j'avais entendu de ton discours de
l'autre fois. Esther est hé-
131
braïque. Mais je n'osais te le dire, moi je suis romain. Je te l'aurais envoyée...»
«Appelle-la donc.»
Et Jésus s'assoit sur le banc qui est contre le mur, alors que Jacques de Zébédée distribue le pain et
le fromage...
Une femme d'environ quarante ans sort, confuse, rouge de honte.
«La paix à toi, Esther. Il t’est venu le désir de me connaître? Pourquoi?»
«A cause de ce que tu as dit... Les rabbins nous méprisent, nous, qui avons épousé un romain...
Mais mes enfants je les ai tous portés au Temple et les garçons sont tous circoncis. Je l'ai dit
d'avance à Titus, quand il voulait m'épouser... Et lui est bon... Il me laisse toujours faire avec les
enfants. Coutumes, rites, tout est hébraïque ici!... Mais les rabbins, les chefs de synagogues, nous
maudissent. Toi, pas... Tu as des paroles de pitié-pour nous... Oh! sais-tu ce que c'est pour nous?
C'est comme sentir autour de soi les bras du père et de la mère qui nous ont répudiées et maudites,
ou qui sont sévères avec nous... C'est comme remettre les pieds dans la maison que l'on a quittée et
ne plus s'y sentir étrangère... Titus est bon. Pendant nos fêtes, il ferme la maréchalerie en perdant
ainsi beaucoup d'argent et il m'accompagne avec les enfants au Temple, car il dit que l'on ne peut
rester sans religion. Lui dit que la sienne est celle de la famille et du travail, comme auparavant
c'était celle du devoir de soldat... Mais moi, Seigneur... j'ai voulu te demander une chose... Tu as dit
que ceux qui suivent le vrai Dieu doivent prélever un peu de leur levain saint et le mettre dans la
bonne farine pour la faire fermenter saintement. Je l'ai fait avec mon époux. J'ai cherché, pendant
ces vingt années que nous sommes ensemble, de travailler son âme qui est bonne avec le levain
d'Israël. Mais lui ne se décide jamais... et il est âgé... Je le voudrais avec moi dans l'autre vie... Unis
par la foi, comme nous le sommes par l'amour... Je ne te demande pas la richesse, le bien-être, la
santé. Ce que nous avons nous suffit, Dieu en soit loué! Mais cela, je le voudrais... Prie pour mon
époux! Qu'il appartienne au vrai Dieu...»
«Oui, il aura cette grâce. Sois-en assurée. Tu demandes une chose sainte et tu l'auras. Tu as compris
les devoirs de la femme envers Dieu et envers son époux. Il faudrait qu'il en fût ainsi de toutes les
épouses! En vérité je te dis que beaucoup devraient t’imiter. Continue d'être ainsi, et tu auras la joie
d'avoir ton Titus à tes côtés,
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dans la prière et au Ciel. Fais-moi voir tes enfants.»
La femme appelle ses nombreux enfants: «Jacob, Judas, Lévi, Marie, Jean, Anne,
Elise, Marc» et puis elle entre dans la maison et en revient avec un enfant qui marche
à peine et une autre de trois mois, au plus: «Et lui est Isaac, et la toute petite c'est
Judith» dit-elle en terminant la présentation.
«Abondance!» dit en riant Jacques de Zébédée.
Et Jude s'écrie: «Six garçons! Et tous circoncis! Et avec des noms purs! Bravo!»
La femme est heureuse et elle fait l'éloge de Jacob, Judas et Lévi qui aident leur père «tous les jours
sauf le sabbat, jour où Titus travaille seul pour mettre les fers faits d'avance» dit-elle. Et elle loue
Marie et Anne «qui aident leur mère.» Mais elle ne se fait pas faute de louer les quatre plus petits
«bons et sans caprices. Titus m'aide à les éduquer, lui qui a été un soldat discipliné» dit-elle en
regardant affectueusement l'homme qui, adossé à l'huisserie, une main sur la hanche, a écouté tout
ce qu'a dit sa femme avec un franc sourire sur son visage ouvert et qui maintenant se rengorge en
entendant rappeler ses mérites de soldat.
«Très bien. La discipline des armes n'est pas odieuse à Dieu quand se fait avec humanité le propre
devoir du soldat. Le tout c'est d'être toujours moralement honnête, dans tout travail, pour être
toujours vertueux. Cette discipline d'autrefois, que tu fais passer dans tes enfants, doit te préparer à
un service plus haut: à celui de Dieu. Maintenant nous te quittons. J'aurai bien juste le temps
d'arriver à Aczib avant la fin du crépuscule. Paix à toi, Esther, et à toute ta maison. Appartenez,
bientôt, tous au Seigneur.»
La mère et les enfants s'agenouillent pendant que Jésus lève la main pour les bénir. L'homme,
comme s'il était de nouveau le soldat de Rome devant son empereur, se met au garde-à-vous, en
saluant à la romaine.
Et ils s'en vont... Après quelques mètres, Jésus met la main sur l'épaule de Jacques: «Et encore une
fois, la quatrième de la journée, je te fais remarquer que ce n'est pas une défaite, ce n'est pas être
chassé, ridiculisé, maudit... Et maintenant, qu'en dis-tu?»
«Que je suis un sot, Seigneur» dit impétueusement Jacques de Zébédée.
«Non. Toi et vous tous, vous êtes encore et toujours trop humains, et vous éprouvez toutes les
sautes d'humeur de celui qui est plus dominé par l'humanité que par l'esprit. L'esprit, quand il est
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souverain, ne change pas à tout souffle de vent qui ne peut être toujours une brise
parfumée... Il pourra souffrir, mais sans s'altérer. Je ne cesse de prier pour que vous
arriviez à cette domination de l'esprit. Mais vous devez m'aider par votre effort... Eh
bien! Le voyage est terminé. Pendant ce temps, j'ai semé ce qu'il faut pour préparer le
travail pour le temps où ce sera vous qui serez les évangélisateurs. Maintenant nous
pouvons aller au repos du sabbat avec la conscience d'avoir fait notre devoir. Et nous
attendrons les autres... Puis nous irons... encore... toujours... jusqu'à ce que tout soit
accompli...

20. BARTHELEMY DECOUVRE LE POURQUOI...

Le lendemain du sabbat.
Jésus est réuni avec les six dans une pièce où il y a des lits très misérables, entassés les uns près des
autres. L'espace qui reste libre suffit à peine pour aller d'un bout à l'autre de la pièce. Ils mangent
leur nourriture plus que humble, assis sur les lits, car il n'y a pas de tables ni de sièges. Et Jean, à un
certain moment, va s'asseoir sur le bord de la fenêtre à la recherche du soleil. C'est ainsi qu'il voit le
premier ceux que l'on attend: Pierre, Simon, Philippe et Barthélemy qui se dirigent vers la maison.
Il les appelle et puis sort dehors, suivi de tous. Il ne reste que Jésus qui pour tout mouvement se lève
et se tourne pour regarder du côté de la porte...
Ceux qui viennent d'arriver entrent, et il est facile d'imaginer l'exubérance de Pierre, comme il est
facile de se représenter la révérence profonde de Simon le Zélote. Ce qui surprend, c'est l'attitude de
Philippe et surtout de Barthélemy. Ils entrent, je dirais comme craintifs, angoissés, et bien que Jésus
leur ouvre les bras pour échanger avec eux le baiser de paix déjà donné à Pierre et à Simon, eux
tombent à genoux et se penchent, le front jusqu'au sol, en baisant les pieds de Jésus et ils restent
ainsi... et les soupirs étouffés de Barthélemy montrent qu'il pleure silencieusement sur les pieds de
Jésus.
«Pourquoi cette angoisse, Barthélemy? Tu ne viens pas dans les bras du Maître? Et toi, Philippe,
pourquoi es-tu si craintif? Si je ne savais pas que vous êtes deux hommes honnêtes, dont le coeur ne
peut loger la malice, je devrais soupçonner que vous êtes coupables. Mais il n’en est pas ainsi.
Allons, donc! Il y a si longtemps que
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je désire votre baiser et de voir le regard limpide de vos yeux fidèles...»
«Nous aussi, Seigneur...» dit Barthélemy en levant son visage sur lequel brillent
des larmes. «Nous n’avons désiré que Toi, nous demandant en quoi nous pouvions
t'avoir déplu pour mériter de rester si longtemps séparés. Et cela nous paraissait une
chose injuste... Mais maintenant, nous savons... Oh! pardon, Seigneur! Nous te
demandons pardon. Moi surtout, parce que Philippe a été séparé de Toi à cause de
moi. Et à lui, je l'ai déjà demandé. C'est moi le seul coupable, moi, le vieil israélite si
dur à se renouveler, qui t'ai donné la douleur...»
Jésus se penche et le lève de force, et de même pour Philippe, et il les embrasse ensemble en disant:
«Mais de quoi t'accuses-tu? Tu n'as pas fait de mal. Aucun mal! Et Philippe non plus. Vous êtes
mes chers apôtres, et aujourd'hui je suis heureux de vous avoir avec Moi, réunis pour toujours...»
«Non, non... pendant longtemps nous avons ignoré le motif pour lequel tu t'es justement méfié de
nous, au point de nous exclure de ta famille apostolique. Mais maintenant nous le savons... et nous
te demandons pardon, pardon, pardon, moi surtout, Jésus, mon Maître...» Et Barthélemy le regarde
avec anxiété, avec amour, avec compassion. Agé comme il l’est, il semble un père qui regarde son
fils affligé, qui regarde son visage amaigri par une peine qu'il n’avait pas remarquée et dont tout
d'abord il n'avait pas vu l'amaigrissement, le vieillissement... Et de nouvelles larmes coulent sur les
joues de Barthélemy. Et il s'écrie: «Mais que t'ont-ils fait? Que nous ont-ils fait pour nous faire
souffrir tous ainsi? Il semble qu'un esprit mauvais soit entré parmi nous, pour nous troubler, nous
rendre tristes, affaiblis, apathiques, stupides... Stupides au point de ne pas comprendre que tu
souffrais... Au contraire, au point d'accroître tes souffrances par nos mesquineries, notre stupidité,
nos respects humains, notre vieille humanité... Oui, le vieil homme a triomphé en nous, toujours,
sans que ta Vitalité parfaite ait jamais pu nous renouveler. C'est cela, cela qui ne me donne pas la
paix! Avec tout mon amour je n'ai pas su me renouveler, et te comprendre, et te suivre... Ce n’est
que matériellement que je t'ai suivi... Mais Toi, tu voulais que nous te suivions spirituellement... et
que nous te comprenions dans ta perfection... pour devenir capables de te perpétuer... Oh! mon
Maître! Mon Maître qui t’en iras un jour, après tant de luttes, d'embûches, de dégoûts, de douleurs,
et avec la douleur de nous savoir encore non
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préparés!...» Et Barthélemy penche sa tête sur l'épaule de Jésus, et il pleure, vraiment
désolé, brisé par la conscience d'avoir été un disciple sans intelligence.
«Ne te laisse pas abattre, Nathanaël. Tu vois tout avec un grossissement qui te
surprend. Mais ton Jésus savait que vous étiez des hommes... et il n'exige rien de plus
que ce que vous pouvez donner. Oh! vous me donnerez tout, vraiment tout. Mais
maintenant vous devez croître, vous former... Et c'est un travail lent. Mais je sais
attendre, et je jouis de votre croissance car vous croissez continuellement dans ma
Vie. Même ton chagrin, même la concorde de ceux qui étaient avec Moi, même la
pitié qui succède à des duretés qui étaient votre nature, à des égoïsmes, des cupidités
spirituelles, même votre gravité actuelle, tout est phase de votre croissance en Moi.
Allons, donc! Reste en paix puisque je sais. Tout. Ton honnêteté, ta bonne foi, ta
générosité, ton sincère amour. Pourrais-je douter de mon sage Barthélemy et de
Philippe, si bien équilibré et fidèle? Ce serait faire tort à mon Père qui m'a accordé de
vous avoir parmi mes plus chers. Mais maintenant... Allons, assoyons-nous ici, et que
ceux qui se sont déjà reposés s'occupent des frères fatigués et affamés en leur donnant
une nourriture et repos. Et pendant ce temps, racontez à votre Maître et à vos frères ce
qu'ils ignorent.»
Et il s'assoit sur son lit avec à ses côtés Philippe et Nathanaël, alors que Pierre et Simon s'assoient
sur le lit voisin, en face de Jésus, genoux contre genoux.
«Parle-toi, Philippe. Moi, j'ai déjà parlé. Et tu as été plus juste que moi pendant ce temps...»
«Oh! Barthélemy! Juste! J'avais seulement compris que ce n'était pas malveillance ou inconstance
du Maître de n'avoir pas voulu de nous... Et j'essayais de te tranquilliser ainsi... en t'empêchant de
penser à des choses qui ensuite t'auraient donné de la douleur de les avoir pensées, et du remords...
Moi, j'avais un seul remords... De t'avoir retenu de désobéir au Maître quand tu voulais suivre
Simon de Jonas qui allait à Nazareth pour prendre Margziam... Après... je t'ai vu tant souffrir dans
ton corps et dans ton âme, que je me disais: "Il aurait mieux valu que je le laisse faire! Le Maître lui
aurait pardonné sa désobéissance et Barthélemy n'aurait plus eu l’âme empoisonnée par ces idées"...
Mais, tu le vois! Si tu étais parti, tu n'aurais jamais eu la clef du mystère... et peut-être le soupçon
que tu avais sur l'inconstance du Maître ne serait plus jamais tombé. Ainsi, au contraire...»
136
«Oui. Ainsi, au contraire, j'ai compris. Maître, Simon de Jonas et Simon le
Zélote, que j'ai assailli de questions pour savoir beaucoup de choses, pour avoir la
confirmation de nombreuses choses que je savais déjà, m'ont dit seulement: "Le
Maître a beaucoup souffert au point qu'il est amaigri et vieilli. Israël tout entier, et
nous les premiers, en avons la responsabilité. Lui nous aime et nous pardonne. Mais il
désire ne pas parler du passé. C'est pour cela que nous vous conseillons de ne pas le
questionner et de ne pas parler..." Mais je veux parler. Pour ce qui est de te
questionner, je ne te questionnerai pas, mais je dois parler pour que tu saches. Car rien
ne doit t'être caché de ce qu'il y a dans l'âme de ton apôtre. Un jour - Simon et les
autres étaient partis depuis quelques jours - est venu chez moi, Michaël de Cana. Un
peu parent, très ami, et compagnon d'études dès l'enfance... Lui, j'en suis certain, est
venu de bonne foi, par affection pour moi. Mais celui qui l'a envoyé n’est pas de
bonne foi. Il voulait savoir pourquoi j'étais resté à la maison... alors que les autres
étaient partis. Et il m'a dit: "Alors c'est vrai? Tu t'es séparé parce que, en bon israélite,
tu ne peux approuver certaines choses. Et volontiers les autres te laissent de côté, à
commencer par Jésus de Nazareth, parce qu'ils sont certains que tu ne les aiderais pas,
même en devenant un complice silencieux. Tu fais bien! Je reconnais en toi l'homme
d'autrefois. Je croyais que tu t'étais corrompu, en reniant Israël. Tu fais bien pour ton
esprit et pour ton bien-être et pour celui des tiens. Car ce qui arrive ne sera pas
pardonné par le Sanhédrin et on persécutera ceux qui y ont pris part". Moi, je lui ai
dit: "Mais de quoi parles-tu? Je t'ai dit que j'avais eu l'ordre de rester à la maison à
cause de la saison et pour diriger vers Nazareth les éventuels pèlerins, ou de leur dire
d'attendre le Maître pour la fin de scebat à Capharnaüm et toi, tu me parles de
séparations, de complicité, de persécutions? Explique-toi!..." N’est-ce pas, Philippe,
que c'est ainsi que j'ai parlé?»
Philippe approuve.
«Alors» reprend Barthélemy, «Michaël m'a dit qu'il était connu que tu t'étais révolté contre le
conseil et le commandement des membres du Sanhédrin, en gardant avec Toi Jean d'Endor et une
grecque... Seigneur, je te donne de la douleur, n’est-ce pas? Mais pourtant, je dois parler. Je te
demande: est-ce vrai qu'ils étaient à Nazareth?»
«Oui. C'est vrai.»
«Est-il vrai qu'ils sont partis avec Toi?»
«Oui. C'est vrai.»
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«Philippe: Michaël avait raison! Mais comment pouvait-il le savoir?»
«Mais, voilà! Ce sont ces serpents qui nous ont arrêtés, Simon et moi, et qui sait combien d'autres.
Ce sont les vipères habituelles» dit Pierre avec véhémence.
Jésus, au contraire, demande paisiblement: «Il ne t'a rien dit d'autre? Sois sincère avec ton Maître, à
fond.»
«Rien d'autre. Il voulait savoir de moi... Et moi, j'ai menti à Michaël. J'ai dit: "Jusqu'à Pâque je reste
à la maison". Par peur qu'il me suive, que... je ne sais pas... Par peur de te faire du mal... Et alors j'ai
compris aussi pourquoi tu m'as quitté... Tu avais senti que j'étais encore trop Israël...» Barthélemy
se remet à pleurer... «...et tu as douté de moi...»
«Non. Cela, non! Absolument pas. Tu n'étais pas nécessaire en cette heure auprès de tes
compagnons, alors que tu l'étais, et tu le vois, à Bethsaïda. A chacun sa mission, et à chaque âge ses
fatigues...»
«Non, non! Ne me mets plus de côté pour aucune fatigue, Seigneur. Ne tiens
compte de rien... Tu es bon, mais je veux rester avec Toi. C'est une punition d'être
loin de Toi... Et moi, sot, incapable de tout, j'aurais pu au moins te consoler, si je ne
pouvais faire autre chose. J'ai compris... Tu les as envoyés avec ces deux. Ne me le
dis pas. Je ne veux pas le savoir. Mais je me rends compte qu'il en est ainsi, et je le
dis. Eh bien, alors j'aurais pu et dû être avec Toi. Mais tu ne m'as pas pris pour me
punir d'être si rétif à devenir "nouveau". Mais, je te jure, Maître, que ce que j'ai
souffert m'a renouvelé, et que jamais plus tu ne reverras le vieux Nathanaël.»
«Tu vois donc que la souffrance s'est, pour tous, terminée en joie. Et maintenant
nous allons, sans nous presser, à la rencontre de Thomas et de Judas, sans attendre
qu'ils arrivent au lieu qui était prévu. Puis, avec eux, nous irons encore... Il y a tant à
faire!... Demain, nous nous mettrons en route, de bonne heure.»
«Et tu feras bien. Le temps va changer au nord. Malheur pour les cultures... dit Philippe.
«Oui! Les dernières grêles ont dévasté la campagne par bandes. Si tu voyais, Seigneur! Il semble
que le feu soit passé dans certains endroits. Et c'est curieux ce sont de vrais malheurs, comme je l'ai
dit: par bandes» dit Pierre.
«Pendant que vous n'étiez pas là, il a beaucoup grêlé. Un jour, au milieu de la lune de tébeth, cela
semblait un vrai fléau. On me dit que dans la plaine, on doit recommencer les semailles. Il faisait
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d'abord plus chaud, mais depuis lors, on recherche le soleil avec plaisir. On
revient en arrière... Quels signes étranges! Que sont-ils?» demande Philippe.
«Rien de plus que des effets de lunaisons. N'y pense pas. Ce ne sont pas ces choses qui doivent nous
faire impression. Du reste nous allons nous diriger vers la plaine et il fera bon marcher. Du temps
froid, mais pas tellement, mais par contre sec. Venez, en attendant. Sur la terrasse il y a un beau
soleil. Nous allons nous reposer là-haut, tous ensemble...»

16. JESUS A ALEXANDROSCENE

On a de nouveau rejoint la route après un long détour à travers les champs et


après avoir passé un torrent sur un petit pont de planches branlantes permettant
seulement le passage des personnes: une passerelle plutôt qu'un pont.
Et la marche continue à travers la plaine qui se rétrécit de plus
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en plus car les collines se rapprochent du littoral, au point qu'après un autre
torrent avec l'indispensable pont romain, la route de plaine devient route de montagne,
en se dédoublant au pont en une moins rapide qui s'éloigne vers le nord-est à travers
une vallée, tandis que celle choisie par Jésus, d'après l'indication de la borne romaine:
«Alexandroscène - m. V°», est un véritable escalier dans la montagne rocheuse et
escarpée plongeant son museau dans la Méditerranée, qui se découvre de plus en plus
à la vue à mesure que l'on monte. Seuls les piétons et les ânes suivent cette route, ces
gradins pourrait-on dire. Mais peut-être parce qu'elle est un raccourci avantageux, la
route est encore très battue et les gens observent avec curiosité le groupe galiléen, si
inhabituel, qui la suit.
«Ce doit être le cap de la tempête» dit Mathieu en montrant le promontoire qui s'avance dans la
mer.
«Oui, voilà au-dessous le village dont nous a parlé le pêcheur» approuve Jacques de Zébédée.
«Mais qui peut avoir construit cette route?»
«Qui sait depuis combien de temps elle existe! Les phéniciens peut-être...»
«Du sommet nous allons voir Alexandroscène au-delà de laquelle se trouve le Cap Blanc. Mon
Jean, tu vas voir une grande étendue de mer!» dit Jésus et il met son bras autour des épaules de
l'apôtre.
«J'en serai content. Mais il va bientôt faire nuit. Où allons-nous reposer?»
«A Alexandroscène. Tu vois? La route commence à descendre. Au-dessous se trouve la plaine
jusqu'à la ville que l’on voit là-bas.»
«C'est la ville de la femme d'Antigonea... Comment pourrons-nous faire pour la contenter?» dit
André.
«Tu sais, Maître? Elle nous a dit: "Allez à Alexandroscène. Mes frères y ont des comptoirs et ils
sont prosélytes. Parlez-leur du Maître. Nous sommes fils de Dieu, nous aussi..." et elle pleurait
parce qu'elle était mal vue comme belle-fille... de sorte que jamais ses frères ne viennent la voir et
qu'elle est sans nouvelles d'eux...» explique Jean.
«Nous chercherons les frères de la femme. S'ils nous accueillent comme pèlerins, nous pourrons lui
faire ce plaisir...»
«Mais comment allons-nous faire pour dire que nous l'avons vue?»
«Elle est au service de Lazare. Nous sommes amis de Lazare» dit Jésus.
«C'est vrai. Tu parleras, Toi...»
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«Oui. Mais activez la marche pour trouver la maison. Savez-vous où elle est?»
«Oui, près du Camp. Ils ont beaucoup de relations avec les romains auxquels ils vendent tant de
choses.»
«C'est bien.»
Ils font rapidement la route plane, belle, une vraie route consulaire qui certainement communique
avec celles de l'intérieur, ou plutôt, qui se poursuit vers l'intérieur après avoir lancé son
prolongement rocheux, en gradins, le long de la côte, à cheval sur le promontoire.
Alexandroscène est une ville plus militaire que civile. Elle doit avoir une importance stratégique
que j'ignore. Blottie comme elle l'est entre les deux promontoires elle semble une sentinelle
préposée à la garde de ce coin de mer. Maintenant que l'oeil peut voir l'un et l'autre cap, on voit qu'il
s'y dresse en grand nombre des tours fortifiées qui forment une chaîne avec celles de la plaine, et de
la ville où, vers la côte, trône le Camp imposant.
Ils entrent dans la ville après avoir franchi un autre petit torrent situé tout près des portes, et ils se
dirigent vers la masse hostile de la forteresse en jetant tout autour des regards curieux, et deviennent
eux aussi objets de curiosité.
Les soldats sont très nombreux et ils semblent en bons rapports avec les habitants, ce qui fait
bougonner les apôtres: «Gens de la Phénicie! Sans fierté!»
Ils arrivent aux magasins des frères d'Hermione alors que les derniers acheteurs en sortent, chargés
des marchandises les plus variées, qui vont des draps aux nappes, et des fourrages aux grains, ou
bien à l'huile et aux aliments. Odeurs de cuir, d'épices, de paille, de laine grège, remplissent le large
hall par lequel on arrive dans une cour vaste comme une place et sous les portiques de laquelle sont
les nombreux dépôts.
Accourt un homme barbu et brun. «Que voulez-vous? Des vivres?»
«Oui... et aussi le logement, si tu ne dédaignes pas de loger des pèlerins. Nous venons de loin, et
nous ne sommes jamais venus ici. Accueille-nous au nom du Seigneur.»
L'homme regarde attentivement Jésus, qui parle au nom de tous. Il le scrute... Puis il dit: «Vraiment
je ne donne pas le logement, mais tu me plais. Tu es galiléen, n’est-ce pas? Les galiléens valent
mieux que les juifs. Il y a trop de moisissure chez eux. Ils ne nous pardonnent pas d'avoir un sang
qui n’est pas pur. Ils feraient
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mieux d'avoir, eux, l'âme pure. Viens, entre ici, j'arrive tout de suite. Je ferme parce
qu'il va faire nuit.» En effet, c'est déjà le crépuscule, et il fait encore plus sombre dans
la cour que domine le Camp puissant.
Ils entrent dans une pièce et ils s'assoient sur des sièges disposées ça et là. Ils sont
fatigues...
L'homme revient avec deux autres, l'un plus âgé, l'autre plus jeune, et il montre les hôtes qui se
lèvent en saluant, et dit: «Voici. Que vous en semble-t-il? Ils me paraissent honnêtes...»
«Oui. Tu as bien fait» dit le plus âgé à son frère et puis, s'adressant aux hôtes, ou plutôt à Jésus qui
semble clairement leur chef, il demande: «Comment vous appelez-vous?»
«Jésus de Nazareth, Jacques et Jude de Nazareth aussi. Jacques et Jean de Bethsaïda, et aussi André,
en plus Mathieu de Capharnaüm.»
«Comment vous trouvez-vous ici? Persécutés?»
«Non. Nous évangélisons. Nous avons parcouru plus d'une fois la Palestine, de la Galilée à la Judée,
d'une mer à l'autre et nous avons été jusqu'au-delà du Jourdain, dans l'Auranitide. Maintenant nous
sommes venus ici... pour enseigner.»
«Un rabbi ici? Cela nous étonne, n’est-ce pas, Philippe et Elie?» demande le plus âgé.
«Beaucoup. De quelle caste es-tu?»
«D'aucune. Je suis de Dieu. Croient en Moi ceux du monde qui sont bons. Je suis pauvre, j'aime les
pauvres, mais je ne méprise pas les riches, auxquels j'enseigne l'amour et la miséricorde et le
détachement des richesses, de même que j'enseigne aux pauvres d'aimer leur pauvreté en ayant
confiance à Dieu qui ne laisse périr personne. Parmi mes amis riches et mes disciples il y a Lazare
de Béthanie...»
«Lazare? Nous avons une soeur mariée à un de ses serviteurs.»
«Je le sais. C'est pour cela aussi que je suis venu, pour vous dire qu'elle vous salue et vous aime.»
«Tu l'as vue?»
«Pas Moi. Mais ceux qui sont avec Moi, envoyés par Lazare à Antigonea.»
«Oh! dites! Que fait Hermione? Est-elle vraiment heureuse?»
«Son mari et sa belle-mère l'aiment beaucoup. Le beau-père la respecte...» dit Jude Thaddée.
«Mais il ne lui pardonne pas le sang maternel. Dis-le.»
«Il est en passe de le lui pardonner. Il nous en a fait de grandes
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louanges. Et elle a quatre enfants très beaux et gentils. Cela la rend heureuse.
Mais vous êtes toujours dans son coeur et elle a dit de vous amener le Maître Divin.»
«Mais... comment... Tu es le... Tu es celui qu'on appelle le Messie, Toi?»
«Je le suis.»
«Tu es vraiment le... On nous a dit à Jérusalem que tu es, que l'on t'appelle le Verbe de Dieu. Est-ce
vrai?»
«Oui.»
«Mais l'es-tu pour ceux de là-bas ou bien pour tous?»
«Pour tous. Pouvez-vous croire que je le suis?»
«Croire ne coûte rien, surtout quand on espère que ce que l’on croit peut enlever ce qui fait
souffrir.»
«C'est vrai, Elie. Mais ne parle pas ainsi. C'est une pensée très impure, beaucoup plus que le sang
mêlé. Réjouis-toi non pas dans l'espoir que tombe ce qui te fait souffrir, comme homme, du mépris
d'autrui, mais réjouis-toi dans l'espoir de conquérir le Royaume des Cieux.»
«Tu as raison. Je suis à moitié païen, Seigneur...»
«Ne te rabaisse pas. Je t'aime toi aussi et c'est aussi pour toi que je suis venu.»
«Ils doivent être fatigués, Elie. Tu les retiens par tes discours. Allons souper et
puis conduisons-les se reposer. Il n'y a pas de femmes, ici... Aucune israélite n'a voulu
de nous et nous désirions une d'elles... Pardonne-nous donc si la maison te paraît
froide et sans ornements.»
«Votre bon coeur me la rendra ornée et chaude.»
«Combien de temps restes-tu?»
«Pas plus d'un jour. Je veux aller vers Tyr et Sidon et je voudrais être à Aczib avant le sabbat.»
«Tu ne peux pas, Seigneur! Sidon est loin!»
«Demain, je voudrais parler ici.»
«Notre maison est comme un port. Sans en sortir tu auras des auditeurs à tu convenance, d'autant
plus que demain il y a un gros marché.»
«Allons alors, et que le Seigneur vous récompense de votre charité.»
102

17. LE LENDEMAIN A ALEXANDROSCENE

La cour des trois frères est moitié à l'ombre, moitié au soleil. Elle est pleine de
gens qui vont et viennent pour leurs achats alors qu'en dehors du portail, sur la petite
place, on entend la rumeur du marché d'Alexandroscène avec le va-et-vient confus des
acheteurs et des vendeurs, avec le bruit des ânes, des brebis, des agneaux, des poules.
On comprend qu'ici, il y a moins de complications et on apporte même les poulets au
marché sans craindre de contaminations d'aucune sorte. Braiments, bêlements,
gloussement des poules et cocorico triomphant des coqs se mêlent aux voix des
hommes en un choeur joyeux qui parfois monte à des notes aiguës et dramatiques à la
suite de quelque altercation.
Même dans la cour des frères il règne un bruit confus et il se produit quelque altercation ou pour le
prix ou parce qu'un acheteur a pris une chose qu'un autre voulait acquérir. Elle n’est pas absente non
plus la plainte lamentable des mendiants qui de la place, près du portail, défilent la litanie de leurs
misères sur un air triste comme la plainte d'un mourant.
Des soldats romains vont et viennent en maîtres dans l'entrepôt et sur la place. Je suppose que c'est
un service d'ordre, car je les vois armés, et jamais seuls, parmi les phéniciens tous armés.
Jésus aussi va et vient dans la cour, se promenant avec les six apôtres, attendant le moment
favorable pour parler. Et puis il sort un moment sur la place en passant près des mendiants auxquels
il donne une obole. Les gens se distraient pendant quelques minutes pour regarder le groupe des
galiléens et se demandent qui sont ces étrangers. Et il en est qui informent, parce qu'ils ont demandé
aux trois frères, qui sont leurs hôtes.
Un murmure suit les pas de Jésus qui s'en va tranquillement caressant les enfants qu'il trouve sur
son chemin. Il y a aussi, au milieu du murmure, les ricanements et les épithètes peu flatteuses pour
les hébreux, et aussi le désir honnête d'entendre ce «Prophète», ce «Rabbi», ce «Saint», ce «Messie»
d'Israël, auquel ils donnent ces noms lorsqu'ils en parlent, selon leur degré de foi et de rectitude de
leurs âmes.
J'entends deux mères: «Mais est-ce vrai?»
«C'est Daniel qui me l'a dit, justement à moi. Il a parts à Jérusalem avec des gens qui ont vu les
miracles du Saint.»
«Oui, d'accord! Mais est-ce bien cet homme?»
103
« Oh! Daniel m'a dit que ce ne peut être que Lui à cause de ce qu'il dit.»
«Alors... que dis-tu? Il me fera grâce même si je ne suis que prosélyte?»
«Je dirais que oui... Essaie. Peut-être il ne reviendra plus ici chez nous. Essaie, essaie! Il ne te fera
sûrement pas de mal!»
«J'y vais» dit la petite femme en laissant en plan le vendeur de vaisselle avec lequel elle
marchandait des assiettes; le vendeur qui a entendu la conversation des deux femmes, déçu, irrité à
cause de la bonne affaire qui s'en va en fumée, s'en prend à la femme qui est restée, la couvrant
d'injures telles que: «Prosélyte maudite. Sang d'hébreux. Femme vendue» et cætera.
J'entends deux hommes graves et barbus: «J'aimerais l'entendre. On dit que c'est un grand Rabbi.»
«Un Prophète, dois-tu dire. Plus grand que le Baptiste. Elie m'a s dit certaines choses! Certaines
choses! Il est au courant, car il a une soeur mariée à un serviteur d'un grand riche d'Israël, et pour
avoir de ses nouvelles s'informe auprès des serviteurs. Ce riche est très ami du Rabbi...»
Un troisième, un phénicien peut-être, qui a entendu parce qu'il était tout près, amène sa figure
sournoise, moqueuse entre les deux, et raille: «Belle sainteté! Confite dans la richesse! A mon avis,
un saint devrait vivre pauvrement!»
«Tais-toi, Doro, langue maudite. Tu n'es pas digne, toi païen, de juger ces choses.»
«Ah! vous en êtes dignes vous, toi spécialement, Samuel! Tu ferais mieux de me payer ce que tu me
dois.»
«Tiens! et ne me tourne plus autour, vampire à la face de faune!»...
J'entends un vieillard à moitié aveugle, accompagné d'une fillette, qui demande: «Où est? Où est le
Messie?» et la petite crie: «Laissez passer le vieux Marc! Veuillez dire au vieux Marc où se trouve
le Messie!»
Les deux voix, celle du vieillard: faible et tremblante, celle de la fillette: argentine et assurée, se
répandent sur la place, inutilement, jusqu'à ce qu'un autre homme dise: «Vous voulez trouver le
Rabbi? Il est revenu vers la maison de Daniel. Le voilà arrêté qui parle avec des mendiants.»
J'entends deux soldats romains: «Ce doit être celui que persécutent les juifs, les bonnes peaux! On
voit, rien qu'à le regarder, qu'il vaut mieux qu'eux.»
104
«C'est pour cela qu'il leur cause des ennuis!»
«Allons le dire au porte-drapeau. C'est l'ordre.»
«Un ordre stupide, Caïus! Rome a peur des agneaux et elle supporte, il faudrait dire, caresse les
tigres.» (Scipion).
«Il ne me semble pas, Scipion! Ponce massacre facilement!» (Caïus).
«Oui... mais il ne ferme pas sa maison aux hyènes qui le flattent.» (Scipion).
«Politique, Scipion! Politique!» (Caïus).
«Lâcheté, Caïus, et sottise. C'est de celui-ci qu'il devrait être l'ami, pour avoir de l'aide pour garder
dans l'obéissance cette racaille asiatique. Il ne sert pas bien Rome, Ponce, en négligeant cet homme
qui est bon, et en flattant les mauvais.» (Scipion).
«Ne critique pas le Proconsul. Nous sommes des soldats, et le supérieur est sacré comme un dieu.
Nous avons juré obéissance au divin César et le Proconsul est son représentant.» (Caïus).
«Cela va bien pour ce qui concerne le devoir envers la Patrie, sacrée et immortelle. Mais cela ne
vaut pas pour le jugement intérieur.» (Scipion).
«Mais l'obéissance vient du jugement. Si ton jugement se révolte contre un ordre et le critique, to
n'obéiras plus totalement. Rome s'appuie sur notre obéissance aveugle pour protéger ses
conquêtes.» (Caïus).
«Tu sembles un tribun et tu parles bien. Mais je te fais remarquer que si Rome est reine, nous ne
sommes pas des esclaves, mais des sujets. Rome n'a pas, ne doit pas avoir, de citoyens esclaves.
C'est l'esclavage qui impose le silence à la raison des citoyens. Moi, je dis que ma raison juge que
Ponce agit mal en négligeant cet israélite, appelle-le Messie, Saint, Prophète, Rabbi, à ton goût. Et
j'ai le sentiment que je puis le dire car ma fidélité à Rome n'en est pas amoindrie, ni mon amour.
Mais, au contraire, je le voudrais parce que Lui, en enseignant le respect envers les lois et les
Consuls, comme il le fait, coopère à la prospérité de Rome.» (Scipion).
«Tu es cultivé, Scipion... Tu feras ton chemin. Tu es déjà avancé! Moi, je suis un pauvre soldat.
Mais, en attendant, tu vois là? Il y a un rassemblement autour de cet Homme. Allons le dire aux
chefs.» (Caïus)...
En effet près du portail des trois frères, il y a un tas de gens autour de Jésus qui, par sa grande taille,
est bien en vue. Puis tout à coup un cri s'élève, et les gens s'agitent. Certains accourent du marché
alors que d'autres s'éloignent vers la place et au-delà.
105
Questions... réponses...
«Qu'est-il arrivé?»
«Qu'y a-t-il?»
«L'Homme d'Israël a guéri le vieux Marc!»
«Le voile de ses yeux a disparu.»
Jésus, entre temps, est entré dans la cour avec une suite de gens. En arrière, se traînant péniblement,
il y a un des mendiants, un bancal qui se traîne avec les mains plutôt qu'avec les jambes. Mais si les
jambes sont tordues et sans force, et sans l’aide de béquilles il ne saurait avancer, la voix est très
robuste! On dirait une sirène qui déchire l'atmosphère ensoleillée du matin: «Saint! Saint! Messie!
Rabbi! Pitié!» Il ne cesse de crier à perdre haleine.
Deux ou trois personnes se retournent: «Garde ton souffle! Marc est hébreu, toi, pas.»
«Il accorde des grâces aux vrais israélites, pas aux fils de chiens!»
«Ma mère était juive...»
«Et Dieu l'a frappée en to donnant à elle, toi monstre, à cause de son péché. Va t'en, fils de louve!
Retourne à ta place, être pétri de boue...»
L'homme s'adosse au mur, humilié, effrayé par la menace des poings tendus...
Jésus s'arrête, se retourne, regarde. Il commande: «Homme, viens ici!»
L'homme le regarde, regarde ceux qui le menacent... et il n'ose pas avancer.
Jésus fend la petite foule et il va à lui. Il le prend par la main, c'est-à-dire lui met la main sur
l'épaule, et dit: «N'aie pas peur. Viens avec Moi» et regardant les gens cruels, il dit, l’air sévère:
«Dieu appartient à tous les hommes qui le cherchent et sont miséricordieux.»
Les gens comprennent l'allusion, et maintenant ce sont eux qui restent en arrière, ou plutôt qui
s'arrêtent où ils sont.
Jésus se retourne. Il les voit là, confus, prêts à s'en aller, et il leur dit: «Non, venez vous aussi. Cela
vous fera du bien à vous aussi, cela redressera et fortifiera votre âme comme je redresse et fortifie
cet homme parce qu'il a su avoir foi. Homme, je te le dis, sois guéri de ton infirmité.» Et il retire la
main de l’épaule du bancal après que celui-ci ait éprouvé une sorte de secousse.
L'homme se redresse avec assurance sur ses jambes, jette ses vieilles béquilles et il crie: «Il m'a
guéri! Louange au Dieu de ma mère!» et puis il s'agenouille pour baiser le bord du vêtement de
106
Jésus.
L'agitation des gens qui veulent voir, ou qui, ayant vu, font des commentaires, est à son comble.
Dans le fond de l'entrée qui mène de la place à la cour, les cris qui viennent de la foule résonnent
bruyamment et se répercutent contre les murs du Camp.
Les troupes doivent craindre qu'il se soit produit une rixe - cela doit se produire facilement dans ces
endroits où il y a tant d'oppositions de races et de religions - et le porte-drapeau accourt en se
frayant brutalement un chemin et en demandant ce qui arrive.
«Un miracle, un miracle! Jonas, le bancal,. a été guéri. Le voilà, près de l'Homme de Galilée.»
Les soldats se regardent entre eux. Ils ne parlent pas jusqu'à ce que toute la foule se soit écoulée,
mais en arrière, il s'en est rassemblé une autre des gens qui étaient dans les magasins ou sur la place,
où ne sont restés que les vendeurs pleins de dépit à cause de la diversion imprévue qui réduit à rien
le marché de ce jour. Puis, voyant passer un des trois frères, ils demandent: «Philippe, sais-tu ce que
va faire maintenant le Rabbi?»
«Il parle, il enseigne, et dans ma cour!» dit Philippe tout joyeux.
Les soldats s'interrogent: Rester? S'en aller?
«Le chef nous a dit de surveiller...»
«Qui? L'Homme? Mais pour Lui, nous pourrions jouer aux dés une amphore de vin de Chypre» dit
Scipion, le soldat qui auparavant défendait Jésus auprès de son compagnon.
«Moi, je dirais que c'est Lui qui a besoin qu'on le protège, pas le droit de Rome! Vous le voyez
là-bas? Parmi nos dieux, il n'y en a aucun de si doux et pourtant d'aspect si viril. Cette racaille n’est
pas digne de le posséder, et les indignes sont toujours mauvais. Restons pour le protéger. A
l'occasion, nous le tirerons d'affaire et nous caresserons les épaules de ces galériens» dit un autre.
Son intervention est un mélange de moquerie et d'admiration.
«Tu parles bien, Pudens. D'ailleurs Azio, va appeler Procore le chef. Il rêve toujours de complots
contre Rome et... d'avancement pour lui, pour récompenser son activité toujours en éveil pour le
salut du divin César et de la déesse Rome, mère et maîtresse du monde. Il se persuadera qu'ici il
n'acquerra pas de brassard ni de couronne.»
Un jeune soldat part en courant et revient de même en disant: «Procore ne vient pas. Il envoie le
triaire Aquila ... »
«Bien! Bien! Mieux vaut lui que Cecilius Maximus lui-même. Aquila a servi en Afrique, en Gaule,
et il a été dans les forêts cruel-
107
les qui nous ont enlevé Varus et ses légions. Il connaît les grecs et les bretons et il a
un bon flair pour s'y reconnaître... Oh! Salut! Voilà le glorieux Aquila! Viens,
apprends-nous, à nous misérables, à connaître la valeur des êtres!»
«Vive Aquila, chef des troupes!» crient tous les soldats en donnant des tapes
affectueuses au vieux soldat, dont on ne compte plus les cicatrices sur le visage, les
bras et les mollets nus.
Lui sourit d'un air débonnaire et il s'écrie: «Vive Rome, maîtresse du monde! Pas moi, pauvre
soldat. Qu'y a-t-il donc?»
«Il faut surveiller cet homme grand et qui est blond comme le cuivre le plus clair.»
«Bien! Mais qui est-ce?»
«Ils l'appellent le Messie. Il s'appelle Jésus et il est de Nazareth. C'est celui, sais-tu, pour qui on a
transmis l'ordre...»
«Hum! Peut-être... Mais il me semble que nous courons après les nuages.»
«Ils disent qu'il veut se faire roi et supplanter Rome. Il a été dénoncé par le Sanhédrin, et les
pharisiens, les sadducéens, les hérodiens, à Ponce. Tu sais que les hébreux ont ce ver dans le crâne
et, de temps à autre, il en sort un roi...?»
«Oui, oui... Mais si c'est pour cela!... De toutes façons écoutons ce qu'il dit. Il me semble qu'il se
dispose à parler.»
«J'ai su par un soldat qui est avec le centurion que Publius Quintilianus lui en a parlé comme d'un
philosophe divin... Les femmes impériales en sont enthousiastes...» dit un autre soldat, qui est jeune.
«Je le crois! J'en serais enthousiaste moi aussi si j'étais une femme et je le voudrais dans mon lit...»
dit en riant franchement un autre jeune soldat.
«Tais-toi, impudique! La luxure te dévore!» plaisante un autre.
«Et toi pas, Fabius! Anne, Sira, Alba, Marie...»
«Tais-toi, Sabin. Il parle et je veux écouter» commande le triaire, et tous se taisent.
Jésus est monté sur une caisse installée contre un mur, il est donc bien visible pour tout le monde.
Son doux salut s'est déjà répandu dans l’air et il a été suivi par les paroles: «Enfants d'un unique
Créateur, écoutez» puis, dans le silence attentif des gens, il continue.
«Le Temps de la Grâce est venu pour tous, non seulement pour Israël, mais pour le monde entier.
Hébreux, qui vous trouvez ici pour diverses raisons, prosélytes,
108
phéniciens, gentils, écoutez tous la Parole de Dieu, comprenez la Justice, connaissez
la Charité. Possédant la Sagesse, la Justice et la Charité, vous aurez le moyen d'arriver
au Royaume de Dieu, à ce Royaume qui n’est pas réservé aux seuls fils d'Israël, mais
à tous ceux qui désormais aimeront le Vrai, l'Unique Dieu et croiront à la parole de
son Verbe.
Ecoutez. Je suis venu de si loin non pas avec des visées d'usurpateur, ni avec la
violence de conquérant. Je suis venu seulement pour être le Sauveur de vos âmes. La
puissance, la richesse, les charges ne me séduisent pas. Elles ne sont rien pour Moi, et
je ne les regarde même pas. Ou plutôt, je les regarde pour en avoir pitié parce qu'elles
me font pitié, car ce sont autant de chaînes pour retenir prisonnier votre esprit, en
l'empêchant de venir au Seigneur Eternel, Unique, Universel, Saint et Béni. Je les
regarde et les approche comme les plus grandes misères. Et je cherche à guérir les
hommes de leurs fascinantes et cruelles tromperies qui séduisent les fils de l'homme,
pour qu'ils puissent en user avec justice et sainteté, non comme des armes cruelles qui
blessent et tuent l'homme, et toujours pour commencer l'esprit de ceux qui ne savent
pas en user saintement.
Mais, en vérité, je vous dis que pour Moi il est plus facile de guérir un corps
difforme qu'une âme difforme, il est plus facile de donner la lumière à des pupilles
éteintes, la santé à un corps qui meurt, que de donner la lumière aux esprits et la santé
aux âmes malades. Pourquoi cela? Parce que l'homme a perdu de vue la fin véritable
de sa vie et se laisse absorber par ce qui est transitoire. L'homme ne sait pas ou ne se
souvient pas, ou s'il se souvient, il ne veut pas obéir à cette sainte injonction du
Seigneur et, je parle aussi pour les gentils qui m'écoutent, de faire le Bien, car le Bien
existe à Rome comme à Athènes, en Gaule comme en Afrique, car la loi morale existe
sous tous les cieux, dans toute religion, dans tout coeur droit. Et les religions, depuis
celle de Dieu jusqu'à celle de la morale isolée, disent que ce qu'il y a de meilleur en
nous survit et que c'est selon comme il se sera comporté que son sort sera fixé de
l'autre côté.
La fin de l'homme est donc la conquête de la paix dans l'autre vie, non pas la bombance, l'usure, la
domination, le plaisir, ici-bas, pour un temps limité, qu'il faut payer pendant l'éternité, par des
tourments très durs. Eh bien, l'homme ne sait pas, ou ne se rappelle pas, ou ne veut pas se rappeler,
cette vérité. S'il ne la connaît pas, il est moins coupable. S'il ne s'en souvient pas, il a une cer-
109
taine culpabilité, car il faut garder la vérité allumée comme un saint flambeau dans les
esprits et dans les coeurs. Mais, s'il ne veut pas s'en souvenir et si, quand elle flambe,
il ferme les yeux pour ne pas la voir, en la haïssant comme la voix d'un rhéteur
pédant, alors sa faute est grave, très grave.
Et pourtant Dieu lui pardonne, si l'âme répudie sa mauvaise façon d'agir et se
propose de poursuivre, pour le reste de sa vie, la vraie fin de l'homme qui est de
conquérir la paix éternelle dans le Royaume du vrai Dieu. Avez-vous jusqu'à
maintenant suivi une mauvaise route? Avilis, pensez-vous qu'il soit trop tard pour
prendre le bon chemin? Est-ce que, désolés, vous dites: "Je ne savais rien de tout cela!
Et maintenant je suis ignorant et je ne sais pas m'y prendre"? Non, ne pensez pas qu'il
en soit comme des choses matérielles et qu'il faut beaucoup de temps et de peine pour
refaire ce qui a déjà été fait, mais avec sainteté. La bonté de l'Eternel, le Véritable
Seigneur Dieu, est telle qu'Il ne vous fait certainement pas parcourir de nouveau à
rebours le chemin déjà fait, pour vous ramener au carrefour où vous, en errant, avez
quitté le bon sentier pour le mauvais. Elle est si grande que du moment où vous dites:
"Je veux appartenir à la Vérité", c'est-à-dire à Dieu parce que Dieu est Vérité, Dieu,
par un miracle tout spirituel, verse en vous la Sagesse par laquelle d'ignorants vous
devenez possesseurs de la Science surnaturelle, comme ceux qui depuis des années la
possèdent.
La Sagesse c'est vouloir Dieu, aimer Dieu, cultiver l'esprit, tendre au Royaume de
Dieu en répudiant tout ce qui est chair, monde et Satan. La Sagesse c'est obéir à la Loi
de Dieu qui est loi de Charité, d'Obéissance, de Continence, d'Honnêteté. La Sagesse
c'est aimer Dieu avec tout soi-même, aimer le prochain comme nous-mêmes. Ce sont
les deux éléments indispensables pour être sages de la Sagesse de Dieu. Et dans notre
prochain, il n'y a pas seulement ceux de notre sang ou de notre race et de notre
religion, mais tous les hommes riches ou pauvres, sages ou ignorants, hébreux,
prosélytes, phéniciens, grecs, romains...»
Jésus est interrompu par des cris menaçants de certains forcenés.
Il les regarde et il dit: «Oui, cela c'est l'amour. Je ne suis pas un maître servile. Je
dis la vérité, car c'est ainsi que je dois faire pour semer en vous ce qui est nécessaire
pour la Vie éternelle. Que cela vous plaise ou non, je dois vous le dire pour faire mon
devoir de Rédempteur. A vous de faire le vôtre de besogneux de la Rédemption.
Aimez donc le prochain, tout le prochain, d'un amour saint.
110
Non pas d'un louche concubinage d'intérêts pour lequel est "anathème" le romain, le
phénicien ou le prosélyte ou vice versa, tant que ne se mêlent pas la sensualité ou
l'argent, alors que s'il y a soif de sensualité ou intérêt d'argent les "anathèmes"
disparaissent...»
Une autre rumeur de la foule alors que les romains, de leur place dans l'atrium,
s'écrient: «Par Jupiter! Il parle bien celui-ci!»
Jésus laisse la rumeur se calmer et reprend: «Aimer le prochain comme nous voudrions être aimés.
Car cela ne nous fait pas plaisir d'être maltraités, vexés, volés, opprimés, calomniés, insultés. Les
autres ont la même susceptibilité nationale ou personnelle. Ne faisons donc pas le mal que nous ne
voudrions pas réciproquement qu'il nous fût fait.
La Sagesse c'est d'obéir aux dix Commandements de Dieu: "Je suis le Seigneur ton Dieu. N’en aie
pas d'autre en dehors de Moi. N'aie pas d'idoles, ne leur rends pas un culte.
N'emploie pas le Nom de Dieu en vain. C'est le Nom du Seigneur, ton Dieu, et Dieu punira celui qui
s'en sert sans raison, ou pour des imprécations, ou pour valider un péché.
Souviens-toi de sanctifier les fêtes. Le sabbat est sacré pour le Seigneur qui s'y reposa de la
Création, et l'a béni et sanctifié.
Honore ton père et ta mère afin de vivre en paix longuement sur la terre et éternellement dans le
Ciel.
Ne tue pas.
Ne commets pas l'adultère.
Ne vole pas.
Ne parle pas faussement contre ton prochain.
Ne désire pas la maison, la femme, le serviteur, la servante, le boeuf, l'âne de ton prochain, ni autre
chose qui lui appartienne".
Cela, c'est la Sagesse. Celui qui fait cela est sage et il conquiert la Vie et le Royaume sans fin. Donc
à partir d'aujourd'hui, proposez-vous de vivre selon la Sagesse en la faisant passer avant les pauvres
choses de la terre.
Que dites-vous? Parlez. Vous dites qu'il est tard? Non. Ecoutez une parabole.
Un maître sortit au point du jour pour engager des travailleurs pour sa vigne et il convint avec eux
d'un denier pour la journée.
Il sortit de nouveau à l'heure de tierce et, réfléchissant que les travailleurs engagés étaient peu
nombreux, voyant d'autre part sur la place des travailleurs désoeuvrés qui attendaient qu'on les
embauche, il les prit et il leur dit: "Allez à ma vigne, et je vous don-
111
nerai ce que j'ai promis aux autres". Et ils y allèrent.
Il sortit à sexte et à none et il en vit d'autres encore et il leur dit: "Voulez-vous
travailler dans mon domaine? Je donne un denier par jour à mes travailleurs". Ces
derniers acceptèrent et ils y allèrent.
Il sortit enfin vers la onzième heure et il en vit d'autres qui paressaient au coucher du soleil. "Que
faites-vous, ainsi oisifs? N'avez-vous pas honte de rester à rien faire pendant tout le jour?" leur
demanda-t-il. "Personne ne nous a embauchés pour la journée. Nous aurions voulu travailler et
gagner notre nourriture, mais personne ne nous a appelés à sa vigne". "Eh bien, je vous embauche
pour ma vigne. Allez et vous aurez le salaire des autres". Il parla ainsi, car c'était un bon maître et il
avait pitié de l'avilissement de son prochain.
Le soir venu et les travaux terminés, l'homme appela son intendant et lui dit: "Appelle les
travailleurs, et paie-leur leur salaire selon ce que j'ai fixé, en commençant par les derniers qui sont
les plus besogneux, n'ayant pas eu pendant la journée la nourriture que les autres ont eue une ou
plusieurs fois et qui, même par reconnaissance pour ma pitié, ont travaillé plus que tous. Je les ai
observés; renvoie-les, pour qu'ils aillent au repos qu'ils ont bien mérité et pour jouir avec les leurs
du fruit de leur travail". Et l'intendant fit ce que le maître ordonnait en donnant à chacun un denier.
Vinrent en dernier ceux qui travaillaient depuis la première heure du jour. Ils furent étonnés de ne
recevoir, eux aussi, qu'un seul denier, et ils se plaignirent entre eux et à l'intendant qui leur dit: "J'ai
reçu cet ordre. Allez vous plaindre au maître et pas à moi". Ils s'y rendirent et ils dirent: "Voilà, tu
n’es pas juste! Nous avons travaillé douze heures, d'abord à la rosée et puis au soleil ardent et puis
de nouveau dans l'humidité du soir, et tu nous a donné le même salaire qu'à ces paresseux qui n’ont
travaillé qu'une heure!... Pourquoi cela?" Et l'un d'eux, surtout, élevait la voix en se déclarant trahi
et indignement exploité.
"Ami, en quoi t'ai-je fait tort? De quoi ai-je convenu avec toi à l'aube? Une
journée de travail continu pour un denier de salaire. N’est-ce pas?"
"C'est vrai. Mais tu as donné la même chose à ceux qui ont si peu travaillé..."
"N'as-tu pas accepté ce salaire qui to paraissait convenable?"
"Oui, j'ai accepté, parce que les autres donnaient encore moins".
112
"As-tu été maltraité ici par moi?"
"Non, en conscience, non".
"Je t'ai accordé un long repos pendant le jour et la nourriture, n’est-ce pas? Je t'ai donné trois repas.
Et on n'était pas convenu de la nourriture et du repos. N’est-ce pas?"
"Oui, ils n'étaient pas convenus."
"Pourquoi alors les as-tu acceptés?"
"Mais... Tu as dit: 'Je préfère agir ainsi pour que vous ne soyez pas trop lassés en revenant chez
vous'. Et cela nous semblait trop beau... Ta nourriture était bonne, c'était une économie, c'était..."
"C'était une faveur que je vous faisais gratuitement et personne ne pouvait y prétendre. N’est-ce
pas?"
"C'est vrai".
"Je vous ai donc favorisés. Pourquoi vous lamentez-vous? C'est moi qui devrais me plaindre de
vous qui, comprenant que vous aviez affaire à un bon maître, vous travailliez nonchalamment alors
que ceux qui étaient venus après vous, avec le bénéfice d'un seul repas, et les derniers sans repas,
travaillaient avec plus d'entrain faisant en moins de temps le même travail que vous avez fait en
douze heures. Je vous aurais trahis si, pour payer ceux-ci, je vous avais enlevé la moitié de votre
salaire. Pas ainsi. Prends donc ce qui te revient et va-t-en. Voudrais-tu venir chez moi pour
m'imposer tes volontés? Moi, je fais ce que je veux et ce qui est juste. Ne sois pas méchant et ne me
porte pas à l'injustice. Je suis bon".
O vous tous qui m'écoutez, je vous dis en vérité que Dieu le Père propose à tous les hommes les
mêmes conditions et promet un même salaire. Celui qui avec zèle se met au service du Seigneur
sera traité par Lui avec justice, même s'il n'a pas beaucoup travaillé à cause de l'imminence de sa
mort. En vérité je vous dis que ce ne sont pas toujours les premiers qui seront les premiers dans le
Royaume des Cieux, et que là-haut on verra de ceux qui étaient les derniers devenir les premiers et
d'autres qui étaient les premiers être les derniers. Là on verra beaucoup d'hommes, qui
n'appartiennent pas à Israël, plus saints que beaucoup d'Israël. Je suis venu appeler tout le monde,
au nom de Dieu. Mais si les appelés sont nombreux, peu nombreux sont les choisis, car peu
nombreux sont ceux qui veulent la Sagesse.
N'est pas sage celui qui vit du monde et de la chair, et non pas de Dieu. Il n'est pas sage, ni pour la
terre, ni pour le Ciel. Car sur la terre il s'attire des ennemis, des punitions, des remords. Et pour le
113
Ciel, il perd tout pour l'éternité.
Je répète: soyez bons avec le prochain quel qu'il soit. Soyez obéissants, en laissant à Dieu le soin de
punir celui qui donne des ordres injustes. Soyez continents en sachant résister aux sens, honnêtes en
résistant à l’or. Soyez cohérents pour dire anathème à ce qui le mérite et à le refuser quand la chose
vous semble juste, quitte ensuite à établir des relations avec ceux dont vous aviez d'abord maudit
l'idée. Ne faites pas aux autres ce que vous ne vous ne voudriez pas qu'il vous soit fait, et alors...»
«Mais va-t-en, ennuyeux prophète! Tu nous a gâté le marché!... Tu nous as enlevé les clients!...»
crient les marchands en faisant irruption dans la cour... Et ceux qui avaient murmuré dans la cour
aux premiers enseignements de Jésus - ce n'était pas seulement des phéniciens mais aussi des
hébreux qui se trouvent dans la ville, pour je ne sais quel motif - s'unissent aux marchands pour
insulter et menacer et surtout pour le chasser... Jésus ne plaît pas parce qu'il ne pousse pas au mal...
Il croise les bras et regarde, attristé, solennel.
Les gens, divisés en deux partis, en viennent aux mains pour défendre ou attaquer le Nazaréen.
Insultes, louanges, malédictions, bénédictions, des apostrophes: «Ils ont raison les pharisiens. Tu es
vendu à Rome, l'ami des publicains et des courtisanes», ou par contre: «Taisez-vous,
blasphémateurs! C'est vous qui êtes vendus à Rome, phéniciens d'enfer!» «Vous êtes des Satans!»
«Que l'Enfer vous engloutisse!» «Hors d'ici! Hors d'ici!» «Hors d'ici, voleurs qui venez faire le
marché ici, usuriers» et cætera.
Les soldats interviennent en disant: «Ce n’est pas Lui qui met le trouble! Il le subit!» Et avec leurs
lances ils font évacuer la cour et ferment le portail.
Il reste avec Jésus les trois frères prosélytes et les six disciples.
«Mais comment vous est-il venu à l'idée de le faire parler?» demande le triaire aux trois frères.
«Il y en a tant qui parlent!» répond Elie.
«Oui. Et il n'arrive rien car ils enseignent ce qui plait à l'homme. Mais ce n’est pas cela que Lui
enseigne, et ils ne le digèrent pas...» Le vieux soldat regarde avec attention Jésus qui est descendu
de sa place et qui est debout, comme abstrait.
Au dehors la foule est toujours en effervescence. Aussi on fait sortir d'autres troupes de la caserne et
avec elles le centurion en personne. Ils frappent et se font ouvrir, alors que d'autres restent pour
repousser aussi bien ceux qui crient: «Vive le Roi d'Israël!»,
114
que ceux qui le maudissent.
Le centurion s'amène inquiet et, en colère, s'en prend au vieil Aquila: «C'est ainsi
que tu fais respecter Rome, toi? En laissant acclamer un roi étranger sur une terre
soumise?»
Le vieux soldat salue avec froideur et répond: «Il enseignait le respect et l'obéissance et il parlait
d'un royaume qui n’est pas de cette terre. C'est pour cela qu'ils le haïssent. Car il est bon et
respectueux. Je n'ai pas trouvé motif d'imposer le silence à quelqu'un qui n'attaquait pas notre loi.»
Le centurion se calme et bougonne: «Alors c'est une nouvelle sédition de cette
infecte racaille... C'est bien. Donnez l'ordre à l'homme de s'en aller immédiatement. Je
ne veux pas d'histoires, ici. Obéissez et escortez-le hors de la ville dès que le chemin
sera libre. Qu'il aille où il Lui plaira, aux enfers s'il le veut, mais qu'il sorte de ma
juridiction. Compris?»
«Oui. Nous le ferons.»
Le centurion tourne le dos en faisant briller sa cuirasse et ondoyer son manteau pourpre, et il s'en va
sans même regarder Jésus.
Les trois frères disent au Maître: «Nous sommes désolés...»
«Ce n'est pas votre faute. Et ne craignez pas, vous n'en éprouverez pas de mal. C'est Moi qui vous le
dis...»
Les trois changent de couleur... Philippe dit: «Comment connais-tu notre peur?»
Jésus sourit doucement, un rayon de soleil sur son visage attristé: «Je sais ce qu'il y a dans les
coeurs et je connais l'avenir.»
Les soldats, en attendant, se sont mis au soleil. Ils lorgnent, commentent...
«Comment donc pourraient-ils nous aimer, s'ils le détestent Lui qui ne les opprime pas?»
«Et qui fait des miracles, devrais-tu dire...»
«Par Hercule! Quel est celui de nous qui est allé prévenir qu'il y avait un suspect?»
«C'est Caïus!»
«Celui qui fait du zèle! En attendant, nous avons manqué la soupe et je prévois que je vais perdre le
baiser d'une fillette!... Ah!»
«Epicurien! Où est ta belle?»
«Je ne to le dirai sûrement pas à toi, ami!»
«Elle est derrière le potier, du côté des Fondations. Je le sais. Je t'ai vu, il y a quelques soirs...» dit
un autre.
Le triaire, comme s'il passait, va vers Jésus et Lui tourne autour,
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il le regarde, le regarde. Il ne sait que dire... Jésus lui sourit pour l'encourager.
L'homme ne sait que faire... Mais il s'approche davantage. Jésus montre les cicatrices:
«Toutes des blessures? Tu es un preux et un fidèle, alors...»
Le vieux soldat rougit à ce compliment.
«Tu as beaucoup souffert pour I'amour de ta Patrie et de ton empereur... Ne voudrais-tu pas souffrir
un peu pour une plus grande Patrie: le Ciel? Pour un Empereur éternel: Dieu?»
Le soldat secoue la tête et il dit: «Je suis un pauvre païen, mais il n’est pas dit que je n’arrive pas
moi aussi à la onzième heure. Mais qui va m'instruire? Tu vois!... Ils te chassent. Et ce sont des
blessures qui font mat, pas les miennes!... Moi, au moins, je les ai rendues aux ennemis. Mais Toi,
que donnes-tu à ceux qui te blessent?»
«Le pardon, soldat. Le pardon et l'amour.»
«Moi, j'ai raison. Le soupçon qu'ils font peser sur Toi est stupide. Adieu, galiléen.»
«Adieu, romain.»
Jésus reste seul jusqu'à ce que les frères et les disciples reviennent avec des vivres. Les frères en
offrent aux soldats pendant que les disciples en offrent à Jésus. Ils mangent sans appétit, au soleil,
pendant que les soldats mangent et boivent joyeusement.
Puis un soldat sort pour regarder sur la place silencieuse. «Nous pouvons aller» crie-t-il. «Ils sont
tous partis. Il n'y a plus que les patrouilles.»
Jésus se lève docilement, il bénit et réconforte les trois frères auxquels il donne un rendez-vous pour
la Pâque au Gethsémani, et il sort, encadré par les soldats avec ses disciples humiliés qui viennent
par derrière et ils suivent la route vide jusqu'à la campagne.
«Salut, galiléen» dit le triaire.
«Adieu, Aquila. Je t’en prie: ne faites pas de mal à Daniel, Elie et Philippe. C'est Moi seul le
coupable. Dis-le au centurion.»
«Je ne vais rien dire. A cette heure, il ne s'en souvient même plus, et les trois frères nous fournissent
un bon ravitaillement, spécialement de ce vin de Chypre que le centurion aime plus que la vie. Sois
tranquille. Adieu.»
Ils se séparent. Les soldats repassent les portes. Jésus et les siens se dirigent vers l’est, à travers la
campagne silencieuse.
116

18. LE BERGER ANNA CONDUIT JESUS VERB ACZIB

Jésus s'achemine à travers une région très montagneuse. Ce ne sont pas des hautes
montagnes mais une succession de montées et de descentes de collines et une quantité
de torrents, joyeux en cette fraîche et nouvelle saison, limpides comme le ciel, jeunes
comme les premières feuilles de plus en plus nombreuses sur les branches.
Mais bien que la saison soit belle, joyeuse, capable de soulager le coeur, il ne semble pas que Jésus
ait l'esprit très soulagé et encore moins que Lui les apôtres. Ils vont très silencieux dans le fond
d'une vallée. Des bergers et des troupeaux seulement se présentent à leurs yeux, mais Jésus ne paraît
même pas les voir.
C'est le soupir découragé de Jacques de Zébédée et ses paroles inattendues, fruit d'une réflexion
soucieuse, qui attirent l'attention de Jésus... Jacques dit: «Et défaites sur défaites!... Il semble que
nous soyons des maudits...»
Jésus lui met la main sur l'épaule: «Ne sais-tu pas que c'est le sort des meilleurs?»
«Hé! je le sais depuis que je suis avec Toi! Mais de temps à autre, il faudrait quelque chose de
différent, et avant nous l'avions, pour remonter notre coeur et notre foi...»
«Tu doutes de Moi, Jacques?» Quelle douleur fait trembler la voix du Maître!
«Non!...» Le «non» n'est pas très assuré, en vérité.
«Mais pour ce qui est de douter, tu doutes. De quoi, alors? Tu ne m'aimes plus comme autrefois? De
me voir chassé, ridiculisé, ou même seulement laissé de côté sur ces confins phéniciens, a-t-il
affaibli ton amour?» Des pleurs tremblent dans les paroles de Jésus, bien qu'il n'y ait pas de sanglots
ni de larmes. C'est vraiment son âme qui pleure.
«Pour cela non, mon Seigneur! Au contraire mon amour pour Toi augmente quand je te vois
incompris, récusé, humilié, affligé. Et pour ne pas te voir ainsi, pour pouvoir changer le coeur des
hommes, je serais prêt à donner ma vie en sacrifice. Tu dois me croire. Ne me brise pas le coeur,
déjà si affligé, en pensant que tu doutes de mon amour. Autrement... Autrement je tomberais dans
des excès. Je reviendrais en arrière, et j'exercerais une vengeance contre celui qui t'afflige, pour te
prouver que je t'aime, pour t'enlever ce doute, et si j'étais pris et tué cela ne m'importerait en rien. Il
me suffirait de t'avoir donné une preuve d'amour.»
117
«Oh! fils du tonnerre! D'où te vient cette véhémence? Veux-tu donc être une
foudre exterminatrice?» Jésus sourit de la fougue et des projets de Jacques.
«Oh! au moins je te vois sourire! C'est déjà un fruit de mes projets. Qu'en dis-tu, Jean? Devons-nous
mettre en pratique ce que je pense pour soulager le Maître humilié par tant de refus?»
«Oh! oui. Allons et mettons-nous à parler. Et s'ils l'insultent encore comme un roi de paroles, un roi
de comédie, un roi sans argent, un roi fou, frappons dur pour qu'ils s'aperçoivent que le roi a aussi
une armée de fidèles et qu'ils ne sont pas disposés à le laisser mépriser. La violence est utile en
certaines choses. Allons, frère!»
«Mais écoutez-les! Et Moi, qu'ai-je prêché pendant tant de temps? Oh! surprise des surprises!
Même Jean, ma colombe, est devenu un épervier! Regardez-le, vous, comme il est laid, troublé,
ébouriffé, déformé par la haine! Oh! honte! Et vous vous étonnez que des phéniciens restent
indifférents, que des hébreux soient haineux, que des romains m'intiment l'expulsion, quand vous,
les premiers, vous n'avez encore rien compris depuis deux années que vous êtes avec Moi, quand
vous êtes devenus fiel par la haine que vous avez dans le coeur, quand vous rejetez de votre coeur
ma doctrine d'amour et de pardon, quand vous l'expulsez comme une sottise, et accueillez comme
une bonne alliée la violence! Oh! Père Saint! Cela, oui, c'est une défaite! Au lieu d'être comme
autant d'éperviers qui aiguisent leurs becs et leurs griffes, ne vaudrait-il pas mieux que vous soyez
des anges qui prient le Père de donner le réconfort à son Fils? Quand donc a-t-on vu un orage faire
du bien par ses foudres et sa grêle? Eh bien, en souvenir de ce péché que vous avez commis contre
la Charité, en souvenir du moment où j'ai vu affleurer sur votre visage l'animal-homme au lieu de
l'homme-ange, que je veux toujours voir en vous, je vais vous surnommer "les fils du tonnerre".»
Jésus est mi-sérieux quand il parle aux fils de Zébédée tout enflammés. Mais ses reproches ne
durent pas devant leur repentir et, avec un visage que l'amour rend lumineux, il les serre contre son
coeur en disant: «Et plus jamais, mauvais comme cela. Et merci pour votre amour. Et aussi pour le
vôtre, amis» dit-il en s'adressant à André, Mathieu et les deux cousins. «Venez ici que je vous
embrasse vous aussi. Mais ne savez-vous pas que si je n'avais pas d'autre joie que celle de faire la
volonté de mon Père et votre amour, je serais toujours heureux même si le monde entier me
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souffletait? Je suis triste, non pas pour Moi, pour mes défaites, comme vous dites,
mais par pitié pour les âmes qui repoussent la Vie. Voilà, maintenant nous sommes
tous contents, n’est-ce pas, grands enfants que vous êtes? Alors, allons. Allez trouver
ces bergers qui sont en train de traire le troupeau et demandez un peu de lait, au nom
de Dieu. N'ayez pas peur» dit-il en voyant l’air désolé des apôtres. «Obéissez avec foi.
Vous aurez du lait et non des coups de bâton, même si l'homme est phénicien».
Et les six s'en vont alors que Jésus les attend sur la route. Et il prie pendant ce
temps, le Jésus affligé dont personne ne veut... Les apôtres reviennent avec un petit
seau de lait et ils disent: «L'homme a dit que tu ailles là-bas, il doit te parler, mais il
ne peut laisser les chèvres capricieuses aux petits bergers.»
Jésus dit: «Alors allons manger leur pain.»
Et ils vont tous sur la pente sur laquelle s'accrochent les chèvres capricieuses.
«Je te remercie du lait que tu m'as donné. Que veux-tu de Moi?»
«Tu es le Nazaréen, n’est-ce pas? Celui qui fait des miracles?»
«Je suis celui qui prêche le Salut Eternel. Je suis le Chemin pour aller au Dieu Vrai, la Vérité qui se
donne, la Vie qui vous vivifie. Je ne suis pas un sorcier qui fait des prodiges. Ceux-ci sont les
manifestations de ma bonté et de votre faiblesse, qui a besoin de preuves pour croire. Mais que
veux-tu de Moi?»
«Voilà... Tu étais il y a deux jours à Alexandroscène?»
«Oui. Pourquoi?»
«Moi aussi j'y étais avec mes chevrettes et quand j'ai compris qu'il y avait de la bagarre j'ai filé,
parce qu'on a l'habitude de les provoquer pour voler ce qui se trouve sur les marchés. Ce sont tous
des voleurs: les phéniciens... comme les autres. Je ne devrais pas le dire car mon père était prosélyte
et ma mère syrienne, prosélyte moi aussi. Mais c'est la vérité. Bien. Revenons à notre récit. Je
m'étais mis dans une étable avec mes bêtes, en attendant le char de mon fils. Et le soir, au sortir de
la ville, j'ai rencontré une femme en pleurs avec une fillette dans les bras. Elle avait fait huit milles
pour venir vers Toi, parce qu'elle habite hors de la ville, dans la campagne. Je lui ai demandé ce
qu'elle avait. C'est une prosélyte. Elle était venue pour vendre et acheter. Elle avait entendu parler
de Toi. Et l'espoir lui était venu au coeur. Elle était accourue à la maison. Elle avait pris sa fillette.
Mais avec un fardeau, on marche lentement! Quand elle fut au magasin des frères, tu n'y étais plus.
Eux, les frères, lui ont dit: "Ils l'ont chassé. Mais il nous a dit hier
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soir qu'il refera les escales de Tyr". Moi - je suis père moi aussi - je lui ai dit: "Et alors
va là-bas". Mais elle m'a répondu: "Et, si après ce qui est arrivé, il passe par d'autres
chemins pour retourner en Galilée?". Je lui ai dit: "Oh! écoute. Ce sera une des deux
routes des frontières. Moi, je fais paître mes troupeaux entre Rohob et Lesemdan,
justement sur la route des frontières entre ici et Nephtali. Si je le vois, je le Lui dis.
Parole de prosélyte". Et voilà je to l'ai dit.»
«Et que Dieu t'en récompense. J'irai trouver la femme. Je dois retourner à Aczib.»
«Tu vas à Aczib? Alors nous pourrons faire route ensemble si tu ne dédaignes pas un berger.»
«Je ne dédaigne personne. Pourquoi vas-tu à Aczib?»
«Parce que là, j'ai des agneaux. A moins que... je n'en aie plus.»
«Pourquoi?»
«Parce qu'il y a la maladie... Je ne sais pas si c'est de la sorcellerie ou autre chose. Je sais que mon
beau troupeau est devenu malade. C'est pour cela que j'ai amené ici les chèvres, qui sont encore
saines, pour les séparer des brebis. Ici vont rester mes deux fils. Maintenant ils sont à la ville pour
les commissions. Mais je retourne là... pour les voir mourir, mes belles brebis laineuses...»
L'homme soupire... Il regarde Jésus et il s'excuse: «Te parler à Toi, qui es Celui qui est, de ces
choses et t'affliger, Toi certainement déjà affligé de la façon dont ils te traitent, c'est de la sottise.
Mais les brebis, nous les aimons et c'est notre fortune, sais-tu?»
«Je comprends, mais elles vont guérir. Ne les as-tu pas fait voir à des gens qui s'y connaissent?»
«Oh! Ils m'ont tous dit la même chose: "Tue-les et vends leurs peaux. Il n'y a rien d'autre à faire" et
même ils m'ont menacé si je les fais sortir... Ils ont peur de la maladie pour les leurs. Je dois les
garder ainsi enfermées... et elles meurent en plus grand nombre. Ils sont méchants, tu sais? ceux de
Aczib...»
Jésus dit simplement: «Je le sais.»
«Moi, je dis qu'ils me les ont ensorcelées...»
«Non. Ne crois pas ces histoires... Quand tes fils vont venir, vas-tu partir tout de suite?»
«Tout de suite. Ils vont être ici dans un moment. Est-ce que ce sont tes disciples, eux? N'y a-t-il
qu'eux seuls?»
«Non, j'en ai encore d'autres.»
«Et pourquoi ne viennent-ils pas ici? Une fois, près de Méron, j'ai rencontré un groupe de ceux-ci.
Ils avaient à leur tête un berger.
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C'est ce qu'on disait. C'était un homme grand, robuste, qui s'appelait Elie. C'était en
octobre, me semble-t-il, avant ou après les Tabernacles. Maintenant il t'a quitté?»
«Aucun disciple ne m'a quitté.»
«On m'avait dit que...»
«Quoi?»
«Que tu... que les pharisiens... En somme que les disciples t'avaient quitté par peur, et parce que tu
étais un...»
«Un démon. Dis-le simplement. Je le sais. Double mérite pour toi, qui crois malgré cela.»
«Et pour ce mérite, ne pourrais-tu pas... mais peut-être je demande une chose sacrilège...»
«Dis-la. Si elle est mauvaise, je te le dirai.»
«Ne pourrais-tu pas, en passant, bénir mon troupeau?» l'homme est tout angoissé...
«Je vais bénir ton troupeau. Celui-ci...» et il lève la main pour bénir les chèvres éparses, «...et celui
des brebis. Crois-tu que ma bénédiction les sauve?»
«Comme tu sauves les hommes des maladies, ainsi tu pourras sauver les bêtes. On dit que tu es le
Fils de Dieu. Les brebis, c'est Dieu qui les a créées. Ce sont donc des choses du Père. Moi... je ne
savais pas s'il était respectueux de te le demander. Mais si c'est possible, fais-le, Seigneur, et je
porterai au Temple de grandes offrandes de louange. Ou plutôt, non! Je te les donnerai pour les
pauvres et ce sera mieux.»
Jésus sourit et se tait. Les fils du berger arrivent, et peu après Jésus avec les siens et le vieux berger
partent, en laissant les jeunes gens à la garde des chèvres.
Ils marchent rapidement, dans l'intention d'arriver vite à Cédès pour en sortir aussitôt en essayant de
rejoindre la route qui va de la mer vers l'intérieur. Ce doit être la même, qui bifurque au pied du
promontoire, qu'ils ont faite en allant à Alexandroscène. Du moins c'est ce que je comprends d'après
les conversations du berger avec les disciples. Jésus est en avant tout seul.
«Mais n'aurons-nous pas d'autres ennuis?» demande Jacques d'Alphée.
«Cédès ne dépend pas de ce centurion. Elle est hors des frontières phéniciennes. Les centurions, il
suffit de ne pas les piquer, ils se désintéressent de la religion.»
«Et puis nous ne nous y arrêtons pas...»
«Arriverez-vous à faire plus de trente milles en un jour?»
121
demande le berger.
«Oh! nous sommes des pèlerins perpétuels!»
Ils marchent sans arrêt... Ils arrivent à Cédès et la dépassent sans incidents. Ils
prennent la route directe. Sur la borne est indiquée Aczib. Le berger la montre en
disant: «Demain, nous y serons. Cette nuit, vous viendrez avec moi. Je connais des
paysans des vallées, mais beaucoup sont dans les frontières phéniciennes... C'est bien!
Nous sortirons des frontières, et sûrement on ne nous découvrira pas tout de suite...
Oh! la surveillance! Il vaudrait mieux l'exercer pour les voleurs!...»
Le soleil tombe et les vallées n'aident certainement pas à garder sa lumière,
boisées comme elles le sont. Mais le berger est au courant et il va avec assurance.
Ils arrivent à un petit village, exactement une poignée de maisons.
«S'ils nous donnent l'hospitalité ici, ce sont des israélites. Nous sommes vraiment sur les frontières.
S'ils ne veulent pas de nous, nous irons dans un autre village qui est phénicien.»
«Je n'ai pas de préventions, homme.»
Ils frappent à une maison.
«Toi, Anna? Avec des amis? Viens, viens et que Dieu soit avec toi» dit une femme très âgée.
Ils entrent dans une vaste cuisine que réjouit un grand feu. Une famille nombreuse de tous les âges,
est réunie à table, mais courtoisement fait place à ceux qui viennent d'arriver.
«Voici Jonas. Voilà sa femme, ses enfants, ses petits-enfants et les belles-filles. Une famille
patriarcale, fidèle au Seigneur» dit le berger Anna à Jésus. Et puis, se tournant vers le vieux Jonas:
«Et celui qui est avec moi, c'est le Rabbi d'Israël celui que tu désirais connaître.»
«Je bénis Dieu de Lui donner l'hospitalité et d'avoir de la place, ce soir. Et je bénis le Rabbi d'être
venu dans ma maison, et je demande sa bénédiction.»
Anna explique que la maison de Jonas est comme une auberge pour les pèlerins qui vont de la mer
vers l'intérieur.
Tous s'assoient dans la cuisine chaude et les femmes servent les nouveaux arrivés. Il y a un tel
respect qu'il en est paralysant. Mais Jésus détend la situation en prenant autour de Lui, tout de suite
après le repas, les nombreux enfants et en s'intéressant à eux qui tout de suite fraternisent. Et
derrière eux, dans le bref espace de temps qui sépare le souper du repos, les hommes de la maison
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s'enhardissent racontant ce qu'ils ont appris du Messie et demandant de nouveaux
détails. Et Jésus rectifie, confirme, explique avec bienveillance, dans une paisible
conversation, jusqu'à ce que pèlerins et gens de la famille aillent se reposer après que
Jésus les ait tous bénis.

19. LA MERE CANANEENNE

«Le Maître est-il avec toi?» demande le vieux paysan Jonas à Jude Thaddée qui
entre dans la cuisine. Déjà le feu est allumé pour chauffer le lait et réchauffer la pièce,
car il fait un peu froid dans ces premières heures d'une matinée de fin janvier, je crois,
ou de début février. La matinée est très belle mais le froid est un peu piquant.
«Il doit être sorti pour prier. Il sort souvent à l'aube, quand il sait qu'il peut être seul. Il va bientôt
arriver. Pourquoi le demandes-tu?»
«Je l'ai demandé aussi aux autres, qui maintenant se sont dispersés pour le chercher, car il y a une
femme à côté, avec mon épouse. C'est une femme d'un village d'au-delà de la frontière et je ne sais
pas vraiment dire comment elle a su que le Maître est ici, mais elle le sait et elle veut Lui parler.»
«C'est bien. Elle Lui parlera. Peut-être est-elle celle qu'il attend, avec une fillette malade. C'est son
esprit qui l'aura conduite ici.»~
«Non. Elle est seule, elle n'a pas d'enfant avec elle. Je la connais bien, parce que les villages sont si
voisins... et la vallée appartient à tous. Et puis, moi je pense qu'il ne faut pas être cruel avec les
voisins, même phéniciens, pour servir le Seigneur. Je peux me tromper mais...»
«C'est aussi ce que dit toujours le Maître, qu'il faut avoir pitié de tous. »
«C'est ce qu'il fait, n’est-ce pas?»
«Oui. »
«Anna m'a dit aussi, que même maintenant on le traite mal. Mal, toujours mal!...
En Judée, comme en Galilée, partout. Pourquoi donc Israël est-il si mauvais avec son
Messie? Je veux parler des plus grands parmi nous d'Israël, car le peuple l'aime.»
«Comment sais-tu ces choses?»
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«Oh! je vis ici, au loin, mais je suis un fidèle israélite. Il me suffit d'aller au
Temple pour les fêtes d'obligation pour savoir tout le bien et tout le mal! Et le bien on
le connaît moins que le mal, parce que le bien est humble et ne fait pas de réclame.
Les bénéficiaires devraient le proclamer, mais peu nombreux sont ceux qui sont
reconnaissants après avoir reçu des grâces. L'homme reçoit le bienfait et il l'oublie...
Le mal, au contraire, fait résonner ses trompettes et il fait retentir ses paroles, même
aux oreilles de ceux qui ne veulent pas entendre. Vous, qui êtes ses disciples, ne
savez-vous pas à quel point, au Temple, on dénigre et on accuse le Messie? Les
scribes ne font plus d'instructions que sur son compte. Je crois qu'ils se sont fait un
recueil d'instructions sur la manière d'accuser le Maître et de faits qu'ils présentent
comme des motifs valables d'accusation. Et il faut avoir la conscience très droite et
ferme et libre, pour savoir résister et juger avec sagesse. Lui, est-il au courant de ces
manoeuvres?»
«Il les connaît toutes. Et nous, plus ou moins, nous sommes aussi au courant, mais Lui ne s'en
frappe pas. Il continue son travail et le nombre des disciples ou des croyants augmente chaque
jour.»
«Que Dieu veuille qu'ils tiennent jusqu'à la fin, mais l'homme est instable dans ses pensées. Il est
faible... Voici le Maître qui vient vers la maison avec trois disciples.»
Et le vieillard sort, suivi de Jude Thaddée, pour vénérer Jésus qui, plein de majesté, se dirige vers la
maison.
«La paix soit avec toi, aujourd'hui et toujours, Jonas.»
«Gloire et paix avec Toi, Maître, toujours.»
«La paix à toi, Jude. André et Jean ne sont-ils pas encore revenus?»
«Non, et je ne les ai pas entendus sortir. Personne. J'étais fatigué et j'ai dormi comme une souche.»
«Entre, Maître. Entrez. L'air est frais ce matin. Dans le bois il devait faire très froid. Il y a ici du lait
chaud pour tout le monde.»
Ils sont en train de boire le lait et tous, sauf Jésus, y trempent de bons morceaux de pain, quand
surviennent André et Jean avec Anna, le berger.
«Ah! tu es ici? Nous revenions pour dire que nous ne t'avions pas trouvé...» s'écrie André.
Jésus donne le salut de paix aux trois, et ajoute: «Vite, prenez votre part et partons car je veux être,
avant le soir, au moins au pied de la montagne d'Aczib. Ce soir commence le sabbat.»
«Mais, mes brebis?»
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Jésus sourit et répond: «Elles seront guéries après que je les aurai bénies.»
«Mais je suis à l'orient de la montagne! Et Toi, pour cette femme, to vas au couchant...»
«Laisse faire Dieu, et Lui pourvoira à tout.»
Le repas est fini, et les apôtres montent prendre les sacs de voyage pour le départ.
«Maître... cette femme qui est là... tu ne l'écoutes pas?»
«Je n'ai pas le temps, Jonas. La route est longue et, du reste, je suis venu pour les brebis d'Israël.
Adieu, Jonas. Que Dieu te récompense de ta charité. Ma bénédiction est sur toi et sur tous tes
parents. Allons.»
Mais le vieillard se met à crier à tue-tête: «Enfants! Femmes! Le Maître part! Accourez!»
Et comme une nichée de poussins éparpillés dans un pailler accourent au cri de la mère poule qui
les appelle, ainsi de tous les côtés de la maison accourent femmes et hommes occupés à leurs
travaux ou encore à moitié endormis, et les enfants à moitié nus qui sourient avec leurs visages à
peine éveillés... Ils se serrent autour de Jésus qui est au milieu de l’aire, et les mères enveloppent les
enfants dans leurs jupes pour les garantir de l’air, ou bien les serrent dans leurs bras jusqu'à ce
qu'une servante accoure avec des petits vêtements qui sont vite passés.
Mais voilà qu'accourt une femme qui n’est pas de la maison, une pauvre femme en pleurs,
honteuse... Elle marche courbée, presque en rampant et, arrivée près du groupe au milieu duquel se
trouve Jésus, elle se met à crier: «Aie pitié de moi, ô Seigneur, Fils de David! Ma fillette est toute
tourmentée par le démon qui lui fait faire des choses honteuses. Aie pitié parce que je souffre tant et
que je suis méprisée par tous à cause de cela. Comme si ma fille était responsable de faire ce qu'elle
fait... Aie pitié, Seigneur, Toi qui peux tout. Elève ta voix et ta main et commande à l’esprit impur
de sortir de Palma. Je n'ai que cette enfant et je suis veuve... Oh! ne t’en va pas! Pitié!...»
En effet Jésus qui a fini de bénir les membres de la famille et qui a réprimandé les adultes d'avoir
parlé de sa venue - et eux s'excusent en disant: «Nous n'avons pas parlé, crois-le, Seigneur!» - s'en
va montrant une dureté inexplicable envers la pauvre femme qui se traîne sur les genoux en tendant
des bras suppliants, haletante alors qu'elle dit: «C'est moi, moi qui t'ai vu hier pendant que tu passais
le torrent, et j'ai entendu qu'on tu disait: "Maître". Je vous
125
ai suivis parmi les buissons et j'ai entendu leurs conversations. J'ai compris qui tu es...
Et ce matin, je suis venue alors qu'il faisait encore nuit, pour rester ici sur le seuil
comme un petit chien jusqu'au moment où Sara s'est levée et m'a fait entrer. Oh!
Seigneur, pitié! Pitié! D'une mère et d'une petite!»
Mais Jésus marche rapidement, sourd à tout appel. Ceux de la maison disent à la
femme: «Résigne-toi! Il ne veut pas t'écouter. Il l'a dit: c'est pour ceux d'Israël qu'il est
venu...»
Mais elle se lève, à la fois désespérée et pleine de foi, et elle répond: «Non. Je le prierai tant qu'il
m'écoutera.» Et elle se met à suivre le Maître ne cessant de crier ses supplications qui attirent sur le
seuil des maisons du village tous ceux qui sont éveillés et qui, comme ceux de la maison de Jonas,
se mettent à la suivre pour voir comment la chose va finir.
Les apôtres pendant ce temps se regardent entre eux étonnés et ils murmurent: «Pourquoi agit-il
ainsi? Il ne l'a jamais fait!...» Et Jean dit: «A Alexandroscène il a pourtant guéri ces deux.»
«C'étaient des prosélytes, pourtant» répond le Thaddée.
«Et celle qu'il va guérir maintenant?»
«Elle est prosélyte, elle aussi» dit le berger Anna.
«Oh! mais que de fois il a guéri aussi des gentils ou des païens! La petite romaine, alors?...» dit
André désolé, qui ne sait pas se tranquilliser de la dureté de Jésus envers la femme cananéenne.
«Je vais vous dire ce qu'il y a» s'exclame Jacques de Zébédée. «C'est que le Maître est indigné. Sa
patience est à bout, devant tant d'assauts de la méchanceté humaine. Ne voyez-vous pas comme il
est changé? Il a raison! Désormais il ne va se donner qu'à ceux qu'il connaît. Et il fait bien!»
«Oui. Mais en attendant, elle nous suit en criant, avec une foule de gens à sa suite. Lui, s'il veut
passer inaperçu, a trouvé moyen d'attirer l'attention même des arbres...» bougonne Mathieu.
«Allons Lui dire de la renvoyer... Regardez ici le beau cortège qui nous suit! Si nous arrivons ainsi
sur la route consulaire, nous allons être frais! Et elle, s'il ne la chasse pas, ne va pas nous lâcher...»
dit le Thaddée fâché, qui de plus se retourne et dit à la femme: «Tais-toi et va-t-en!» Et ainsi fait
Jacques de Zébédée. Mais la femme ne s'impressionne pas des menaces et des injonctions et
continue de supplier.
«Allons le dire au Maître, qu'il la chasse, Lui, puisqu'il ne veut pas l'écouter. Cela ne peut pas durer
ainsi!» dit Mathieu, alors qu'André murmure: «La pauvre!» et Jean ne cesse de répéter: «Moi,
126
je ne comprends pas... Moi, je ne comprends pas...» Il est bouleversé, Jean, de la
façon d'agir de Jésus.
Mais désormais, en accélérant leur marche, ils ont rejoint le Maître qui s'en va
rapidement comme si on le poursuivait. «Maître! Mais renvoie cette femme! C'est un
scandale! Elle crie derrière nous! Elle nous fait remarquer de tout le monde! La route
se remplit toujours plus de passagers... et beaucoup la suivent. Dis-lui qu'elle s'en
aille.»
«Dites-le-lui, vous. Moi, je lui ai déjà répondu.»
«Elle ne nous écoute pas. Allons! Dis-le-lui, Toi. Et avec sévérité.»
Jésus s'arrête et se retourne. La femme prend cela pour un signe de grâce, et elle hâte le pas, elle
élève le ton déjà aigu de sa voix et son visage pâlît car son espoir grandit.
«Tais-toi, femme, et retourne chez toi! Je l'ai déjà dit: "Je suis venu pour les brebis d'Israël". Pour
guérir les malades et rechercher celles d'entre elles qui sont perdues. Toi, tu n'es pas d'Israël
Mais la femme est déjà à ses pieds et les baise en l'adorant et en tenant serrées ses chevilles, comme
si elle était une naufragée qui a trouvé un rocher où se réfugier, et elle gémit: «Seigneur, viens à
mon secours! Tu le peux, Seigneur. Commande au démon, Toi qui es saint... Seigneur, Seigneur, tu
es le Maître de tout, de la grâce comme du monde. Tout t'est soumis, Seigneur. Je le sais. Je le crois.
Prends donc ce qui est en ton pouvoir et sers-t-en pour ma fille.»
«Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants de la maison et de le jeter aux chiens de la rue.»
«Moi, je crois en Toi. En croyant, de chien de la rue je suis devenue chien de la maison. Je to l'ai
dit: je suis venue avant l'aube me coucher sur le seuil de la maison où tu étais, et si tu étais sorti de
ce côté là, to aurais buté contre moi. Mais tu es sorti de l'autre côté et tu ne m'as pas vue. Tu n'as pas
vu ce pauvre chien tourmenté, affamé de ta grâce, qui attendait pour entrer en rampant où tu étais,
pour te baiser ainsi les pieds, en te demandant de ne pas le chasser...»
«Il n'est pas bien de jeter le pain des enfants aux chiens» répète Jésus.
«Mais pourtant les chiens entrent dans la pièce où le maître mange avec ses enfants, et ils mangent
ce qui tombe de la table, ou les restes que leur donnent les gens de la maison, ce qui ne sert plus. Je
ne te demande pas de me traiter comme une fille et de me
127
faire asseoir à ta table. Mais donne-moi, au moins, les miettes...»
Jésus sourit. Oh! comme son visage se transfigure dans ce sourire de joie!...
Les gens, les apôtres, la femme, le regardent avec admiration... sentant que quelque chose va
arriver.
Et Jésus dit: «Oh! femme! Grande est ta foi. Et par elle tu consoles mon esprit. Va donc, et qu'il te
soit fait comme tu veux. Dès ce moment, le démon est sorti de ta petite. Va en paix. Et comme de
chien perdu tu as su vouloir être chien domestique, ainsi sache à l'avenir être fille, assise à la table
du Père. Adieux.»
«Oh! Seigneur! Seigneur! Seigneur!... Je voudrais courir pour voir ma Palma chérie... Je voudrais
rester avec Toi, te suivre! Béni! Saint!»
«Va, va, femme. Va en paix.»
Et Jésus reprend sa route alors que la cananéenne, plus agile qu'une enfant, s'éloigne en courant,
suivie de la foule curieuse de voir le miracle...
«Mais pourquoi, Maître, l'as-tu faite tant prier pour ensuite l'écouter?» demande Jacques de
Zébédée.
«A cause de toi et de vous tous. Cela n’est pas une défaite, Jacques. Ici, je n'ai pas été chassé,
ridiculisé, maudit... Que cela relève votre esprit abattu. J'ai déjà eu aujourd'hui ma nourriture très
douce. Et j'en bénis Dieu. Et maintenant allons trouver cette autre qui sait croire et attendre avec
une foi assurée.»
«Et mes brebis, Seigneur? Bientôt je devrai prendre une autre route que la tienne pour aller à ma
pâture...»
Jésus sourit, mais ne répond pas.
Il est beau d'aller, maintenant que le soleil réchauffe l’air et fait resplendir comme des émeraudes
les feuilles nouvelles des bois et les herbes des prairies, changeant en chaton tout calice de fleur à
cause des gouttes de rosée qui brillent dans les pétales multicolors des fleurettes des champs. Et
Jésus va, souriant. Et les apôtres, qui ont subitement repris courage, le suivent en souriant...
Ils arrivent au carrefour. Le berger Anna, mortifié, dit: «C'est ici que je devrais te quitter... Tu ne
viens donc pas guérir mes brebis? Moi aussi, j'ai foi, et je suis prosélyte... Me promets-tu, au moins,
de venir après le sabbat?»
«Oh! Anna! Mais tu n'as pas encore compris que tes brebis sont guéries depuis le moment où j'ai
levé la main vers Lesemdan? Va donc, toi aussi, pour voir le miracle et bénir le Seigneur.»
128
Je crois que la femme de Loth, quand elle eut été changée en sel, n'a pas été
différente du berger qui est resté comme il était, un peu incliné mais la tête relevée
vers Jésus pour le regarder, un bras à demi tendu en l’air... Il semble être une statue.
Et on pourrait lui mettre l'inscription: «Le Suppliant.» Mais ensuite il se redresse et se
prosterne, en disant: «Béni, sois-tu! Toi, bon! Toi, saint!... Mais je t'ai promis
beaucoup d'argent, et ici, je n'ai que quelques drachmes... Viens, viens chez moi après
le sabbat...»
«Je viendrai, non pour l'argent mais pour to bénir encore pour ta simple foi. Adieu, Anna. La paix
soit avec toi.»
Et ils se séparent...
«Et cela aussi, n'est pas une défaite, amis! Et ici aussi, je n'ai pas été ridiculisé, chassé et maudit!...
Allons! Il y a une mère qui nous attend depuis plusieurs jours...»
Et la marche continue, avec un petit arrêt pour manger du pain et du fromage et boire à une source...
Le soleil est au midi quand on voit apparaître le carrefour. «Voici le commencement des escales de
Tyr là, au fond» dit Mathieu. Et il se réjouit à la pensée que la plus grande partie du parcours est
faite.
Justement, adossée à une borne romaine, il y a une femme. A ses pieds, sur un strapontin, une
fillette sur les sept ou huit ans. La femme regarde dans toutes les directions, vers les escales dans les
rochers, vers la route de Ptolémaïs, vers celle que parcourt Jésus, et de temps à autre elle se penche
pour caresser sa petite, pour lui garantir la tête du soleil avec une toile, lui recouvrir les pieds et les
mains avec un châle...
«Voilà la femme! Mais où aura-t-elle dormi pendant ces jours?» demande André.
«Peut-être dans cette maison tout près du carrefour. Il n'y a pas d'autres maisons dans le voisinage»
répond Mathieu.
«Ou à la belle étoile» dit Jacques d'Alphée.
«Non. A cause de la fillette, non» répond son frère.
«Oh! pour obtenir la grâce!...» dit Jean.
Jésus ne parle pas, mais il sourit. Tous en rang, trois d'un côté, trois de l'autre, avec Lui au milieu,
ils occupent la route à cette heure de pose des voyageurs, occupés à manger là où les a pris le milieu
du jour.
Jésus sourit, grand, beau, au milieu du rang. Et il semble que toute la lumière du soleil se soit
concentrée sur son visage, tant il est radieux. Il semble émettre des rayons.
129
La femme lève les yeux... Ils sont désormais à une cinquantaine de mètres.
Peut-être Jésus a attiré son attention, distraite par une plainte de la fille, par son
regard fixé sur elle. Elle regarde... Elle porte les mains à son coeur par un
mouvement involontaire, provoqué par l'angoisse, elle sursaute.
Jésus épanouit son sourire. Et ce sourire resplendissant, inexprimable, doit dire tant de choses à la
femme qui, non plus anxieuse mais souriante, comme si déjà elle éprouvait son futur bonheur, se
penche pour prendre sa petite et la levant de son strapontin, la portant les bras tendus, comme si elle
l'offrait à Dieu, elle s'avance et quand elle est arrivée aux pieds de Jésus, elle s'agenouille en levant
le plus qu'elle peut la fillette allongée qui regarde, extasiée, le très beau visage de Jésus.
La femme ne dit pas un mot. Et que doit-elle dire de plus profond que ce qu'elle dit par toute son
attitude?...
Et Jésus ne dit qu'une seule parole, petite, mais puissante, mais béatifiante
comme le «Fiat» de Dieu dans la création du monde: «Oui.» Et il pose sa main sur
la petite poitrine de l'enfant étendue.
Et l'enfant, avec un cri d'alouette libérée de la cage, crie: «Maman!» et elle
s'assied tout d'un coup, glisse à ses pieds, et embrasse sa mère qui, épuisée, vacille
et va tomber à la renverse, s'évanouissant par suite de la fatigue, de l'angoisse
subitement apaisée, de la joie qui dépasse les forces du coeur déjà affaibli par tant
de souffrances passées.
Jésus la soutient promptement. Son intervention est plus efficace que celle de la fillette qui,
alourdissant de son poids les bras maternels, ne l'aide pas précisément à la soutenir. Jésus la fait
asseoir et fait passer la force en elle...
Et il la regarde pendant que des larmes muettes descendent sur le visage à la fois fatigué et
bienheureux de la femme. Puis viennent les paroles: «Merci, mon Seigneur! Merci et bénédictions!
Mon espérance a été couronnée... Je t'ai tant attendu... Mais maintenant je suis heureuse...»
La femme, après avoir surmonté son évanouissement, se remet à genoux, adorant, tenant devant elle
la fillette que Jésus caresse. Elle explique: «Il y a deux ans que dans l'échine un os se détériorait la
paralysant et l'amenant à la mort lentement et en la faisant beaucoup souffrir. Nous l'avions fait voir
à des médecins d'Antioche, de Tyr, de Sidon et même de Césarée et de Panéade, faisant tant de
dépenses pour les médecins et les remèdes que nous avons
130
dù vendre la maison que nous avions en ville et nous retirer dans celle de campagne,
et congédier les serviteurs de la maison pour ne garder que ceux de la campagne,
vendre nos productions qu'auparavant nous consommions... Et rien ne servait! Je t'ai
vu. Je savais ce que tu fais ailleurs. J'ai espéré ta grâce aussi pour moi... Et je l'ai eue!
Maintenant je retourne à la maison, légère, joyeuse... et à mon époux, je donnerai la
joie... A mon Jacques, lui qui m'a mis au coeur l'espérance, en me racontant ce qui
était arrivé par ta puissance en Galilée et en Judée. Oh! si nous n'avions pas craint de
ne pas te trouver, nous serions venus avec la fillette. Mais tu es toujours en route!...»
«En cheminant, je suis venu vers toi... Mais où as-tu séjourné pendant ces jours?»
«Dans cette maison... Mais la nuit, la fillette seule y restait. Il y a là une brave femme: elle en
prenait soin à ma place pendant la nuit. Moi, je suis restée toujours ici, par crainte de te manquer si
tu passais de nuit.»
Jésus lui met la main sur la tête: «Tu es une bonne mère. Dieu t'aime à cause de cela. Tu vois qu'Il
t'a aidée en tout.»
«Oh! oui! Je l'ai bien senti pendant que je venais. J'étais venue de la maison à la ville, croyant t'y
trouver, par conséquent avec peu d'argent et seule. Puis, suivant le conseil de l'homme, j'ai
poursuivi ma route pour ce lieu. J'ai envoyé prévenir à la maison et je suis venue... et il ne m'a rien
manqué. Ni pain, ni abri, ni force.»
«Toujours avec ce fardeau dans les bras? Ne pouvais-tu pas louer un char?...» demande peiné
Jacques d'Alphée.
«Non. Elle aurait trop souffert, à en mourir. C'est dans les bras de sa mère que ma Jeanne est venue
à la Grâce.»
Jésus caresse leurs cheveux à toutes les deux: «Maintenant partez et soyez toujours fidèles au
Seigneur. Que le Seigneur soit avec vous et qu'avec vous soit ma paix.»
Jésus reprend sa marche sur la route qui va à Ptolémaïs.
«Et cela aussi n'est pas une défaite, amis. Et ici aussi, je n'ai été ni chassé, ni ridiculisé, ni maudit.»
En suivant la route directe, ils ont vite fait de rejoindre la maréchalerie, près du pont. Le maréchal
romain se repose au soleil, assis contre le mur de la maison. Il reconnaît Jésus et le salue. Jésus lui
rend son salut et il ajoute: «Me permets-tu de rester ici, pour reposer un peu et manger un peu de
pain?»
«Oui, Rabbi. Ma femme voulait te voir... car je lui ai dit ce que j'avais entendu de ton discours de
l'autre fois. Esther est hé-
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braïque. Mais je n'osais te le dire, moi je suis romain. Je te l'aurais envoyée...»
«Appelle-la donc.»
Et Jésus s'assoit sur le banc qui est contre le mur, alors que Jacques de Zébédée distribue le pain et
le fromage...
Une femme d'environ quarante ans sort, confuse, rouge de honte.
«La paix à toi, Esther. Il t’est venu le désir de me connaître? Pourquoi?»
«A cause de ce que tu as dit... Les rabbins nous méprisent, nous, qui avons épousé un romain...
Mais mes enfants je les ai tous portés au Temple et les garçons sont tous circoncis. Je l'ai dit
d'avance à Titus, quand il voulait m'épouser... Et lui est bon... Il me laisse toujours faire avec les
enfants. Coutumes, rites, tout est hébraïque ici!... Mais les rabbins, les chefs de synagogues, nous
maudissent. Toi, pas... Tu as des paroles de pitié-pour nous... Oh! sais-tu ce que c'est pour nous?
C'est comme sentir autour de soi les bras du père et de la mère qui nous ont répudiées et maudites,
ou qui sont sévères avec nous... C'est comme remettre les pieds dans la maison que l'on a quittée et
ne plus s'y sentir étrangère... Titus est bon. Pendant nos fêtes, il ferme la maréchalerie en perdant
ainsi beaucoup d'argent et il m'accompagne avec les enfants au Temple, car il dit que l'on ne peut
rester sans religion. Lui dit que la sienne est celle de la famille et du travail, comme auparavant
c'était celle du devoir de soldat... Mais moi, Seigneur... j'ai voulu te demander une chose... Tu as dit
que ceux qui suivent le vrai Dieu doivent prélever un peu de leur levain saint et le mettre dans la
bonne farine pour la faire fermenter saintement. Je l'ai fait avec mon époux. J'ai cherché, pendant
ces vingt années que nous sommes ensemble, de travailler son âme qui est bonne avec le levain
d'Israël. Mais lui ne se décide jamais... et il est âgé... Je le voudrais avec moi dans l'autre vie... Unis
par la foi, comme nous le sommes par l'amour... Je ne te demande pas la richesse, le bien-être, la
santé. Ce que nous avons nous suffit, Dieu en soit loué! Mais cela, je le voudrais... Prie pour mon
époux! Qu'il appartienne au vrai Dieu...»
«Oui, il aura cette grâce. Sois-en assurée. Tu demandes une chose sainte et tu l'auras. Tu as compris
les devoirs de la femme envers Dieu et envers son époux. Il faudrait qu'il en fût ainsi de toutes les
épouses! En vérité je te dis que beaucoup devraient t’imiter. Continue d'être ainsi, et tu auras la joie
d'avoir ton Titus à tes côtés,
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dans la prière et au Ciel. Fais-moi voir tes enfants.»
La femme appelle ses nombreux enfants: «Jacob, Judas, Lévi, Marie, Jean, Anne,
Elise, Marc» et puis elle entre dans la maison et en revient avec un enfant qui marche
à peine et une autre de trois mois, au plus: «Et lui est Isaac, et la toute petite c'est
Judith» dit-elle en terminant la présentation.
«Abondance!» dit en riant Jacques de Zébédée.
Et Jude s'écrie: «Six garçons! Et tous circoncis! Et avec des noms purs! Bravo!»
La femme est heureuse et elle fait l'éloge de Jacob, Judas et Lévi qui aident leur père «tous les jours
sauf le sabbat, jour où Titus travaille seul pour mettre les fers faits d'avance» dit-elle. Et elle loue
Marie et Anne «qui aident leur mère.» Mais elle ne se fait pas faute de louer les quatre plus petits
«bons et sans caprices. Titus m'aide à les éduquer, lui qui a été un soldat discipliné» dit-elle en
regardant affectueusement l'homme qui, adossé à l'huisserie, une main sur la hanche, a écouté tout
ce qu'a dit sa femme avec un franc sourire sur son visage ouvert et qui maintenant se rengorge en
entendant rappeler ses mérites de soldat.
«Très bien. La discipline des armes n'est pas odieuse à Dieu quand se fait avec humanité le propre
devoir du soldat. Le tout c'est d'être toujours moralement honnête, dans tout travail, pour être
toujours vertueux. Cette discipline d'autrefois, que tu fais passer dans tes enfants, doit te préparer à
un service plus haut: à celui de Dieu. Maintenant nous te quittons. J'aurai bien juste le temps
d'arriver à Aczib avant la fin du crépuscule. Paix à toi, Esther, et à toute ta maison. Appartenez,
bientôt, tous au Seigneur.»
La mère et les enfants s'agenouillent pendant que Jésus lève la main pour les bénir. L'homme,
comme s'il était de nouveau le soldat de Rome devant son empereur, se met au garde-à-vous, en
saluant à la romaine.
Et ils s'en vont... Après quelques mètres, Jésus met la main sur l'épaule de Jacques: «Et encore une
fois, la quatrième de la journée, je te fais remarquer que ce n'est pas une défaite, ce n'est pas être
chassé, ridiculisé, maudit... Et maintenant, qu'en dis-tu?»
«Que je suis un sot, Seigneur» dit impétueusement Jacques de Zébédée.
«Non. Toi et vous tous, vous êtes encore et toujours trop humains, et vous éprouvez toutes les
sautes d'humeur de celui qui est plus dominé par l'humanité que par l'esprit. L'esprit, quand il est
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souverain, ne change pas à tout souffle de vent qui ne peut être toujours une brise
parfumée... Il pourra souffrir, mais sans s'altérer. Je ne cesse de prier pour que vous
arriviez à cette domination de l'esprit. Mais vous devez m'aider par votre effort... Eh
bien! Le voyage est terminé. Pendant ce temps, j'ai semé ce qu'il faut pour préparer le
travail pour le temps où ce sera vous qui serez les évangélisateurs. Maintenant nous
pouvons aller au repos du sabbat avec la conscience d'avoir fait notre devoir. Et nous
attendrons les autres... Puis nous irons... encore... toujours... jusqu'à ce que tout soit
accompli...

20. BARTHELEMY DECOUVRE LE POURQUOI...

Le lendemain du sabbat.
Jésus est réuni avec les six dans une pièce où il y a des lits très misérables, entassés les uns près des
autres. L'espace qui reste libre suffit à peine pour aller d'un bout à l'autre de la pièce. Ils mangent
leur nourriture plus que humble, assis sur les lits, car il n'y a pas de tables ni de sièges. Et Jean, à un
certain moment, va s'asseoir sur le bord de la fenêtre à la recherche du soleil. C'est ainsi qu'il voit le
premier ceux que l'on attend: Pierre, Simon, Philippe et Barthélemy qui se dirigent vers la maison.
Il les appelle et puis sort dehors, suivi de tous. Il ne reste que Jésus qui pour tout mouvement se lève
et se tourne pour regarder du côté de la porte...
Ceux qui viennent d'arriver entrent, et il est facile d'imaginer l'exubérance de Pierre, comme il est
facile de se représenter la révérence profonde de Simon le Zélote. Ce qui surprend, c'est l'attitude de
Philippe et surtout de Barthélemy. Ils entrent, je dirais comme craintifs, angoissés, et bien que Jésus
leur ouvre les bras pour échanger avec eux le baiser de paix déjà donné à Pierre et à Simon, eux
tombent à genoux et se penchent, le front jusqu'au sol, en baisant les pieds de Jésus et ils restent
ainsi... et les soupirs étouffés de Barthélemy montrent qu'il pleure silencieusement sur les pieds de
Jésus.
«Pourquoi cette angoisse, Barthélemy? Tu ne viens pas dans les bras du Maître? Et toi, Philippe,
pourquoi es-tu si craintif? Si je ne savais pas que vous êtes deux hommes honnêtes, dont le coeur ne
peut loger la malice, je devrais soupçonner que vous êtes coupables. Mais il n’en est pas ainsi.
Allons, donc! Il y a si longtemps que
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je désire votre baiser et de voir le regard limpide de vos yeux fidèles...»
«Nous aussi, Seigneur...» dit Barthélemy en levant son visage sur lequel brillent
des larmes. «Nous n’avons désiré que Toi, nous demandant en quoi nous pouvions
t'avoir déplu pour mériter de rester si longtemps séparés. Et cela nous paraissait une
chose injuste... Mais maintenant, nous savons... Oh! pardon, Seigneur! Nous te
demandons pardon. Moi surtout, parce que Philippe a été séparé de Toi à cause de
moi. Et à lui, je l'ai déjà demandé. C'est moi le seul coupable, moi, le vieil israélite si
dur à se renouveler, qui t'ai donné la douleur...»
Jésus se penche et le lève de force, et de même pour Philippe, et il les embrasse ensemble en disant:
«Mais de quoi t'accuses-tu? Tu n'as pas fait de mal. Aucun mal! Et Philippe non plus. Vous êtes
mes chers apôtres, et aujourd'hui je suis heureux de vous avoir avec Moi, réunis pour toujours...»
«Non, non... pendant longtemps nous avons ignoré le motif pour lequel tu t'es justement méfié de
nous, au point de nous exclure de ta famille apostolique. Mais maintenant nous le savons... et nous
te demandons pardon, pardon, pardon, moi surtout, Jésus, mon Maître...» Et Barthélemy le regarde
avec anxiété, avec amour, avec compassion. Agé comme il l’est, il semble un père qui regarde son
fils affligé, qui regarde son visage amaigri par une peine qu'il n’avait pas remarquée et dont tout
d'abord il n'avait pas vu l'amaigrissement, le vieillissement... Et de nouvelles larmes coulent sur les
joues de Barthélemy. Et il s'écrie: «Mais que t'ont-ils fait? Que nous ont-ils fait pour nous faire
souffrir tous ainsi? Il semble qu'un esprit mauvais soit entré parmi nous, pour nous troubler, nous
rendre tristes, affaiblis, apathiques, stupides... Stupides au point de ne pas comprendre que tu
souffrais... Au contraire, au point d'accroître tes souffrances par nos mesquineries, notre stupidité,
nos respects humains, notre vieille humanité... Oui, le vieil homme a triomphé en nous, toujours,
sans que ta Vitalité parfaite ait jamais pu nous renouveler. C'est cela, cela qui ne me donne pas la
paix! Avec tout mon amour je n'ai pas su me renouveler, et te comprendre, et te suivre... Ce n’est
que matériellement que je t'ai suivi... Mais Toi, tu voulais que nous te suivions spirituellement... et
que nous te comprenions dans ta perfection... pour devenir capables de te perpétuer... Oh! mon
Maître! Mon Maître qui t’en iras un jour, après tant de luttes, d'embûches, de dégoûts, de douleurs,
et avec la douleur de nous savoir encore non
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préparés!...» Et Barthélemy penche sa tête sur l'épaule de Jésus, et il pleure, vraiment
désolé, brisé par la conscience d'avoir été un disciple sans intelligence.
«Ne te laisse pas abattre, Nathanaël. Tu vois tout avec un grossissement qui te
surprend. Mais ton Jésus savait que vous étiez des hommes... et il n'exige rien de plus
que ce que vous pouvez donner. Oh! vous me donnerez tout, vraiment tout. Mais
maintenant vous devez croître, vous former... Et c'est un travail lent. Mais je sais
attendre, et je jouis de votre croissance car vous croissez continuellement dans ma
Vie. Même ton chagrin, même la concorde de ceux qui étaient avec Moi, même la
pitié qui succède à des duretés qui étaient votre nature, à des égoïsmes, des cupidités
spirituelles, même votre gravité actuelle, tout est phase de votre croissance en Moi.
Allons, donc! Reste en paix puisque je sais. Tout. Ton honnêteté, ta bonne foi, ta
générosité, ton sincère amour. Pourrais-je douter de mon sage Barthélemy et de
Philippe, si bien équilibré et fidèle? Ce serait faire tort à mon Père qui m'a accordé de
vous avoir parmi mes plus chers. Mais maintenant... Allons, assoyons-nous ici, et que
ceux qui se sont déjà reposés s'occupent des frères fatigués et affamés en leur donnant
une nourriture et repos. Et pendant ce temps, racontez à votre Maître et à vos frères ce
qu'ils ignorent.»
Et il s'assoit sur son lit avec à ses côtés Philippe et Nathanaël, alors que Pierre et Simon s'assoient
sur le lit voisin, en face de Jésus, genoux contre genoux.
«Parle-toi, Philippe. Moi, j'ai déjà parlé. Et tu as été plus juste que moi pendant ce temps...»
«Oh! Barthélemy! Juste! J'avais seulement compris que ce n'était pas malveillance ou inconstance
du Maître de n'avoir pas voulu de nous... Et j'essayais de te tranquilliser ainsi... en t'empêchant de
penser à des choses qui ensuite t'auraient donné de la douleur de les avoir pensées, et du remords...
Moi, j'avais un seul remords... De t'avoir retenu de désobéir au Maître quand tu voulais suivre
Simon de Jonas qui allait à Nazareth pour prendre Margziam... Après... je t'ai vu tant souffrir dans
ton corps et dans ton âme, que je me disais: "Il aurait mieux valu que je le laisse faire! Le Maître lui
aurait pardonné sa désobéissance et Barthélemy n'aurait plus eu l’âme empoisonnée par ces idées"...
Mais, tu le vois! Si tu étais parti, tu n'aurais jamais eu la clef du mystère... et peut-être le soupçon
que tu avais sur l'inconstance du Maître ne serait plus jamais tombé. Ainsi, au contraire...»
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«Oui. Ainsi, au contraire, j'ai compris. Maître, Simon de Jonas et Simon le
Zélote, que j'ai assailli de questions pour savoir beaucoup de choses, pour avoir la
confirmation de nombreuses choses que je savais déjà, m'ont dit seulement: "Le
Maître a beaucoup souffert au point qu'il est amaigri et vieilli. Israël tout entier, et
nous les premiers, en avons la responsabilité. Lui nous aime et nous pardonne. Mais il
désire ne pas parler du passé. C'est pour cela que nous vous conseillons de ne pas le
questionner et de ne pas parler..." Mais je veux parler. Pour ce qui est de te
questionner, je ne te questionnerai pas, mais je dois parler pour que tu saches. Car rien
ne doit t'être caché de ce qu'il y a dans l'âme de ton apôtre. Un jour - Simon et les
autres étaient partis depuis quelques jours - est venu chez moi, Michaël de Cana. Un
peu parent, très ami, et compagnon d'études dès l'enfance... Lui, j'en suis certain, est
venu de bonne foi, par affection pour moi. Mais celui qui l'a envoyé n’est pas de
bonne foi. Il voulait savoir pourquoi j'étais resté à la maison... alors que les autres
étaient partis. Et il m'a dit: "Alors c'est vrai? Tu t'es séparé parce que, en bon israélite,
tu ne peux approuver certaines choses. Et volontiers les autres te laissent de côté, à
commencer par Jésus de Nazareth, parce qu'ils sont certains que tu ne les aiderais pas,
même en devenant un complice silencieux. Tu fais bien! Je reconnais en toi l'homme
d'autrefois. Je croyais que tu t'étais corrompu, en reniant Israël. Tu fais bien pour ton
esprit et pour ton bien-être et pour celui des tiens. Car ce qui arrive ne sera pas
pardonné par le Sanhédrin et on persécutera ceux qui y ont pris part". Moi, je lui ai
dit: "Mais de quoi parles-tu? Je t'ai dit que j'avais eu l'ordre de rester à la maison à
cause de la saison et pour diriger vers Nazareth les éventuels pèlerins, ou de leur dire
d'attendre le Maître pour la fin de scebat à Capharnaüm et toi, tu me parles de
séparations, de complicité, de persécutions? Explique-toi!..." N’est-ce pas, Philippe,
que c'est ainsi que j'ai parlé?»
Philippe approuve.
«Alors» reprend Barthélemy, «Michaël m'a dit qu'il était connu que tu t'étais révolté contre le
conseil et le commandement des membres du Sanhédrin, en gardant avec Toi Jean d'Endor et une
grecque... Seigneur, je te donne de la douleur, n’est-ce pas? Mais pourtant, je dois parler. Je te
demande: est-ce vrai qu'ils étaient à Nazareth?»
«Oui. C'est vrai.»
«Est-il vrai qu'ils sont partis avec Toi?»
«Oui. C'est vrai.»
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«Philippe: Michaël avait raison! Mais comment pouvait-il le savoir?»
«Mais, voilà! Ce sont ces serpents qui nous ont arrêtés, Simon et moi, et qui sait combien d'autres.
Ce sont les vipères habituelles» dit Pierre avec véhémence.
Jésus, au contraire, demande paisiblement: «Il ne t'a rien dit d'autre? Sois sincère avec ton Maître, à
fond.»
«Rien d'autre. Il voulait savoir de moi... Et moi, j'ai menti à Michaël. J'ai dit: "Jusqu'à Pâque je reste
à la maison". Par peur qu'il me suive, que... je ne sais pas... Par peur de te faire du mal... Et alors j'ai
compris aussi pourquoi tu m'as quitté... Tu avais senti que j'étais encore trop Israël...» Barthélemy
se remet à pleurer... «...et tu as douté de moi...»
«Non. Cela, non! Absolument pas. Tu n'étais pas nécessaire en cette heure auprès de tes
compagnons, alors que tu l'étais, et tu le vois, à Bethsaïda. A chacun sa mission, et à chaque âge ses
fatigues...»
«Non, non! Ne me mets plus de côté pour aucune fatigue, Seigneur. Ne tiens
compte de rien... Tu es bon, mais je veux rester avec Toi. C'est une punition d'être
loin de Toi... Et moi, sot, incapable de tout, j'aurais pu au moins te consoler, si je ne
pouvais faire autre chose. J'ai compris... Tu les as envoyés avec ces deux. Ne me le
dis pas. Je ne veux pas le savoir. Mais je me rends compte qu'il en est ainsi, et je le
dis. Eh bien, alors j'aurais pu et dû être avec Toi. Mais tu ne m'as pas pris pour me
punir d'être si rétif à devenir "nouveau". Mais, je te jure, Maître, que ce que j'ai
souffert m'a renouvelé, et que jamais plus tu ne reverras le vieux Nathanaël.»
«Tu vois donc que la souffrance s'est, pour tous, terminée en joie. Et maintenant
nous allons, sans nous presser, à la rencontre de Thomas et de Judas, sans attendre
qu'ils arrivent au lieu qui était prévu. Puis, avec eux, nous irons encore... Il y a tant à
faire!... Demain, nous nous mettrons en route, de bonne heure.»
«Et tu feras bien. Le temps va changer au nord. Malheur pour les cultures... dit Philippe.
«Oui! Les dernières grêles ont dévasté la campagne par bandes. Si tu voyais, Seigneur! Il semble
que le feu soit passé dans certains endroits. Et c'est curieux ce sont de vrais malheurs, comme je l'ai
dit: par bandes» dit Pierre.
«Pendant que vous n'étiez pas là, il a beaucoup grêlé. Un jour, au milieu de la lune de tébeth, cela
semblait un vrai fléau. On me dit que dans la plaine, on doit recommencer les semailles. Il faisait
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d'abord plus chaud, mais depuis lors, on recherche le soleil avec plaisir. On
revient en arrière... Quels signes étranges! Que sont-ils?» demande Philippe.
«Rien de plus que des effets de lunaisons. N'y pense pas. Ce ne sont pas ces choses qui doivent nous
faire impression. Du reste nous allons nous diriger vers la plaine et il fera bon marcher. Du temps
froid, mais pas tellement, mais par contre sec. Venez, en attendant. Sur la terrasse il y a un beau
soleil. Nous allons nous reposer là-haut, tous ensemble...»

Maria VALTORTA
L’ Evangile tel qu’il m’a été revelé
Vol. 6°
* 20 % en ligne *
TABLE DES MATIERES

Chap. La troisième année de la vie publique (deuxième partie)

76 En direction de la rive occidentale du Jourdain. *


77 A Galgala.
78 Vers Engaddi. Séparation et adieux de Judas et Simon.
79 Arrivée à Engaddi.
80 Prédication et miracles à Engaddi.

81 Guérison du lépreux Elisée d'Engaddi.


82 A Masada.
83 A la maison de campagne de Marie, mère de Judas.
84 Adieu à Kériot.
85 Anne et Marie de Kériot. Adieu à la mère de Judas.
86 Adieu à Jutta.
87 Adieu à Hébron.
88 Adieu à Béthsur.
89 A Béther.
90 Jésus avec Pierre et Barthélemy à Béther.

91 Adieu à Béther.
92 Lutte et victoire spirituelle de Simon de Jonas
93 En allant vers Emmaüs de la plaine.
94 Prédication près d'Emmaüs de la plaine.
95 A Joppé Jésus pane à Judas de Kériot et à des gentils.
96 Dans le domaine de Nicodème.
97 Chez Joseph d'Arimathie.
98 Le sabbat dans la maison de Joseph d'Arimathie.
Le synhédriste Jean.
99 Les apôtres parlent.
100 Miracle du glanage dans la plaine. *

101 Les apôtres entre eux et avec Jésus. Jésus et Pierre.


102 A Jérusalem pour la Pentecôte.
103 Jésus au banquet du synhédriste et pharisien.
104 A Béthanie.
105 Jésus et le mendiant sur la route qui va à Jéricho.
106 La conversion de Zachée.
107 «Zachée publicain et pécheur mais non par mauvaise
volonté».
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108 «Heureux les pauvres en esprit».
109 Au village de Salomon.
110 Jésus dans un village de la Décapole.

111 Le possédé.
112 Le levain des pharisiens.
113 «Vous devez dire: "Nous sommes des serviteurs inutiles»
114 «S'il se repent sept fois, pardonne-lui sept fois».
115 «C'est un martyre de vivre pour instruire les autres
quand on aspire à aller au Ciel».
116 A Cesarée Maritime.
117 «La sagesse, étant une forme de sainteté, donne la
lumière de jugement».
118 «La religion c'est l’amour et le désir d’aller vers
Celui en qui nous croyons».
119 La parabole de la vigne et du libre arbitre.
120 En allant par la plaine d'Esdrelon.

121 Jésus et le nid tombé.


122 «Heureux ceux qui en toute chose savent voir Dieu».
123 En continant la marche dans la plaine d'Esdrelon.
124 Avec les paysans de Giocana.
125 A Nazareth.
126 Jésus, en travaillant, dit la parabole du bois verni.
127 Les sabbats dans la paix de Nazareth.
128 «Avant d'être mère, je suis fille et servante de Dieu».
129 Jésus et Marie en colloque.
130 Marie à Tibériade.

131 Il faut remercier avec reconnaissance qui nous


fait des faveurs.
132 Un nouveau sabbat à Nazareth.
133 Le départ et le voyage pour Bethléem de Galilée.
134 Judas de Kériot chez Marie à Nazareth.
135 La mort du grand-père de Margziam.
136 Jésus parle de la charité aux apôtres.
137 Jésus à Tibériade.
138 Jésus arrive à Capharnaüm.
139 La prédication dans la région du lac. A Capharnaüm.
140 A Magdala.

141 Episode à Capharnaüm. Jésus protecteur des enfants.


142 A la bourgade qui précède Ippo.
143 Prédication matinale dans la bourgade sur le lac.
144 Prédication près du refuge du lépreux.
145 Jésus à Ippo.
146 Vers Gamala.
147 A Gamala.
148 De Gamala à Aféca.
149 Prédication à Aféca.
150 A Gerghesa et retour à Capharnaüm.

151 «Soyez prudents comme des serpents et simples


comme des colombes».
152 Le sabbat à Capharnaüm.
153 Chez Jeanne de Chouza. Lettre d'Antioche.
154 Aux thermes d'Emmaüs de Tibériade.
155 A Tarichée.
76. EN DIRECTION DE LA RIVE OCCIDENTALE
DU JOURDAIN

Jésus est de nouveau en route. Il tourne le dos au nord, côtoie les méandres du
fleuve pour chercher quelqu'un qui le passe. Les siens sont tous autour de Lui et ils
évoquent les événements des quelques jours passés dans le petit village de Salomon et
dans sa maison. D'après ce que je comprends, ils sont restés jusqu'à ce que se répande
dans les milieux hostiles le bruit de la présence du Maître. Quand la chose s'est
produite ils s'en sont allés, laissant pour garder la maisonnette remise en ordre le vieil
Ananias, tranquille dans sa pauvreté qui n’est plus désolée.
«Espérons que les âmes restent dans 1'état où elles sont maintenant» dit Barthélemy.
«Si nous allons et venons comme dit le Maître, nous les garderons dans ces dispositions» répond
Jude d'Alphée.
«Il pleurait, pauvre vieillard! Il s'était attaché...» dit André encore tout ému.
«Et ses dernières paroles m'ont plu. N’est-ce pas, Maître, qu'il a parlé en sage?» dit Jacques de
Zébédée.
«Moi je dis qu'il a parlé en saint!» s'exclame Thomas.
«Oui. Et je n'oublierai pas son désir» répond Jésus.
«Mais qu'a-t-il dit précisément? Je m'étais éloigné avec Jean pour dire à la mère
de Michaël de se souvenir de faire ce que le Maître a dit, et je ne sais rien de précis»
dit l'Iscariote.
«Il a dit: "Seigneur, si tu passes par le village de ma bru, dis-lui que je ne lui garde pas rancune et
que je suis content de n'être plus délaissé car, de cette manière, moins sévère sera pour elle le
jugement de Dieu. Dis-lui qu'elle fasse grandir les petits dans la foi au Messie pour qu'ainsi je les
aie avec moi au Ciel, et dès que je serai dans la paix, je prierai pour eux et pour leur salut". Et je le
dirai. Je chercherai la femme et je le lui dirai car il est bien de le faire» dit Jésus.
«Pas un mot de reproche! Et même il se félicite que ne mourant plus de faim et d'abandon, le péché
de la femme en soit diminué. C'est admirable!» observe Jacques d'Alphée.
«Mais aux yeux de Dieu cela diminuera-t-il vraiment la faute de la bru? C'est à savoir!» dit Jude
d'Alphée.
Les avis sont contraires. Mathieu s'adresse à Jésus: «Quel est ton jugement, Maître? Les choses
resteront-elles comme elles étaient avant ou bien changeront-elles?»
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«Elles changeront...»
«Tu vois que j'ai raison? ...» dit Thomas triomphant.
Mais Jésus fait signe de le laisser parler et il dit: «Elles changeront pour le vieillard, elles
changeront au Ciel comme elles changèrent sur la Terre pour son indulgente douceur. Pour la
femme, elles ne changeront pas. Sa faute crie toujours aux yeux de Dieu. Seul le repentir pourrait
changer le jugement sévère. Et je le lui dirai.»
«Où habite-t-elle?»
«A Masada, auprès de ses frères.»
«Et tu veux aller jusque là ? »
«Ces lieux aussi doivent être évangélisés...»
«Et à Kériot?»
«Nous remonterons de Masada à Kériot et nous irons à Jutta, Hébron, Bétsur,
Béther, pour être de nouveau à Jérusalem pour la Pentecôte.»
«Masada est un lieu d'Hérode...»
«Qu'importe? C'est une forteresse, mais lui n'y est pas. Et même s'il y était!... Ce
n’est pas la présence d'un homme qui m'empêchera d'être le Sauveur.»
«Mais où passons-nous le fleuve?»
«Vers Galgala. De là nous le côtoierons en suivant les montagnes. Les nuits sont
fraîches, et la nouvelle lune de Ziv éclaire le ciel serein.»
«Si nous allons par ces lieux, pourquoi ne pas aller à la montagne où to as jeûné? Il est juste que
tous aient la possibilité de la bien connaître» dit Mathieu.
«Nous y irons aussi. Mais voici une barque. Négociez le trajet pour que l’on puisse passer de l'autre
côté.»
77. A GALGALA

Je ne sais pas comment est maintenant Galgala. Au moment où Jésus y entre, c'est
une ville ordinaire de Palestine, assez peuplée, située sur une colline peu élevée,
couverte surtout de vignes et d'oliviers. Mais le soleil y est si fort que les blés aussi
peuvent y trouver place, semés au hasard sous les arbres ou entre les rangs de vignes.
Et ils mûrissent malgré les feuillages parce qu'ils sont
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rôtis à souhait par le soleil qui déjà se ressent du voisinage du désert.
Poussière, brouhaha, saleté, confusion de jour de marché. Et, inévitables comme le destin, les
habituels pharisiens et scribes zélés et non convaincus, qui avec de grands gestes discutent
doctoralement dans le meilleur coin de la place et qui font semblant de ne pas voir Jésus ou de ne
pas le connaître. Jésus va tout droit consommer son repas sur une petite place secondaire, presque à
la périphérie, toute ombragée par un enchevêtrement de branches d'arbres de toutes espèces. J'ai
l'impression qu'il s'agit d'une portion de montagne faisant partie depuis peu de l'agglomération et
qui garde encore le souvenir de son état naturel.
Le premier à s'approcher de Jésus, qui mange du pain et des olives, est un homme déguenillé Il
demande un peu de pain. Jésus lui passe le sien avec toutes les olives qu'il a en main.
«Et Toi? Nous n'avons pas d'argent, tu le sais» observe Pierre. «Nous avons tout laissé à Ananias...»
«N'importe. Je n'ai pas faim. Soif, si...»
Le mendiant dit: «Ici derrière il y a un puits. Mais pourquoi m'as-tu tout donné? Tu pouvais me
donner la moitié de ton pain... Si tu n'éprouves pas du dégoût de le reprendre...»
«Mange, mange. Moi, je puis m'en passer. Mais pour que tu ne penses pas que j'aie du dégoût,
donne-moi de tes mains une seule bouchée et je la mangerai pour être ton ami...»
L'homme, au visage triste et sombre, s'éclaire d'un sourire étonné et il dit: «Oh! c'est la première
fois depuis que je suis le pauvre Ogla que quelqu'un me dit qu'il veut être mon ami!» et il donne une
bouchée de pain à Jésus. Et il demande: «Qui es-tu? Comment t'appelles-tu?»
«Je suis Jésus de Nazareth, le Rabbi de Galilée.»
«Ah!... J'ai entendu par d'autres parler de Toi... Mais... n'es-tu pas le Messie?...»
«Je le suis.»
«Et Toi, Messie, tu es si bon avec les mendiants? Le Tétrarque nous fait battre par ses serviteurs s'il
nous voit sur sa route...»
«Moi, je suis le Sauveur. Je ne bats pas. J'aime.»
L'homme le regarde fixement. Puis il se met à pleurer lentement.
«Pourquoi pleures-tu?»
«Parce que... je voudrais être sauvé... Tu n'as plus soif, Seigneur? Je pourrais te conduire au puits et
je parler...»
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Jésus comprend que l'homme veut avouer quelque chose et il se lève en disant:
«Allons.»
«Je viens moi aussi!» déclare vivement Pierre.
«Non. Je reviens tout de suite, d'ailleurs... Et il faut respecter celui qui se repent.»
Il va avec l'homme derrière une maison au-delà de laquelle s'étend la campagne.
«Là il y a le puits... Bois, et puis écoute-moi.»
«Non, homme. Verse d'abord en Moi ta peine et ensuite... je boirai. Et puis j'aurai peut-être une eau
plus douce pour ma soif que celle du sol.»
«Laquelle, Maître?»
«Ton repentir. Allons sous ces arbres. Ici les femmes nous observent. Viens» et il lui met la main
sur 1'épaule et le pousse vers un massif d'oliviers.
«Comment sais-tu que je suis coupable et que je me repens?»
«Oh!... Mais parle et n'aie pas peur de Moi.»
«Seigneur... Nous étions sept frères d'un même père, mais moi j'étais né d'une femme que mon père
avait épousée une fois veuf. J'étais haï par les six autres. Le père, en mourant, nous laissa à tous des
parts égales. Mais quand il fut mort, les six autres, en corrompant les juges, m'enlevèrent tout mon
bien. Ils chassèrent ma mère et moi-même, avec des accusations infâmes. Elle mourut alors que
j'avais seize ans... et elle mourut de privations... Et dès lors, je n'ai plus eu personne pour
m'aimer...» et il pleure tout abattu. Il se reprend et continue: «Les six, riches et heureux,
connaissaient la prospérité, grâce aussi à mon bien, et moi je mourais de faim car j'étais tombé
malade en assistant ma mère épuisée... Mais Dieu les a frappés l’un après l'autre. Je les ai tant
maudits, tant haïs, qu'ils ont été victimes du sortilège. Faisais-je mal? Certainement. Je le sais. Et je
le savais. Mais comment aurais-je pu ne pas les haïr et les maudire? Le dernier, qui était en réalité le
troisième par rang d'âge, résistait à toutes les malédictions. Il prospérait même, grâce aux biens des
cinq autres, il avait hérité légitimement des trois plus jeunes, morts sans épouses, il avait épousé la
veuve du premier, mort sans enfants, et il avait frauduleusement, par des prêts et des ruses, enlevé
une bonne partie de la succession du second à la veuve et aux orphelins. Quand il me rencontrait par
hasard aux marchés où j'allais comme serviteur d'un riche pour vendre des denrées, il m'insultait et
me frappait... Un soir, je l'ai rencontré... J'étais seul, il était seul. Lui était un peu ivre de vin...
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Et moi, j'étais ivre de souvenirs et de haine... Il y avait dix ans que ma mère était
morte... Il m'insulta, en insultant la morte... Il l'appela "chienne immonde" et il
m'appela "fils de la hyène..." Seigneur, s'il n'avait pas touché ma mère... j'aurais
supporté. Mais il l'a insultée... Je l'ai pris au collet. Nous avons lutté... Je voulais
seulement le frapper... Mais il a glissé à terre... et la terre était couverte d'une herbe
glissante, en pente... et dessous il y avait un ravin et un torrent... Il a roulé, ivre
comme il l'était, et il est tombé... On le cherche encore depuis tant d'années... Mais il
est enseveli dans les pierres et le sable d'un torrent du Liban. Moi, je ne suis plus
revenu chez mon maître, et lui n’est plus revenu à Césarée Panéade. J'ai marché sans
paix... Ah! la malédiction de Caïn! Peur de vivre... et peur de mourir... Je suis tombé
malade... Et puis... j'ai entendu parler de Toi... Mais j'avais peur... On disait que tu
voyais dans le coeur de l'homme. Et ils sont si méchants les rabbis d'Israël!... Ils ne
connaissent pas la pitié... Toi, Rabbi des rabbis, tu étais ma terreur... Et je fuyais
devant Toi. Et pourtant je voudrais être pardonné...» Il pleure, affaissé sur le sol...
Jésus le regarde et murmure: «Et prenons sur Moi même ces péchés!... Fils!
Ecoute. Je suis la Pitié, pas la terreur. C'est aussi pour toi que je suis venu. N'aie pas
honte de Moi... Je suis le Rédempteur. Tu veux être pardonné? De quoi?»
«De mon crime. Tu me le demandes? J'ai tué mon frère.»
«Tu as dit: "Je voulais seulement le frapper" parce qu'à ce moment-là to étais offensé et irrité. Mais
quand tu haïssais et maudissais non pas un mais six frères, tu n'étais pas offensé et irrité. Tu le
faisais comme tu respirais, spontanément. La haine et la malédiction, la joie de les voir frappés,
c'était ton pain spirituel, n’est-ce pas?»
«Oui, Seigneur. Pendant dix années ce fut mon pain.»
«Eh bien, en réalité, le plus grand crime, to l'as commencé du moment où tu as haï et maudit. Tu es
six fois homicide de tes frères.»
«Mais, Seigneur, ils m'avaient ruiné et haï... Et ma mère était morte de faim...»
«Tu veux dire que tu avais raison de te venger.»
«Oui, je veux le dire.»
«Tu n'as pas raison. Il y avait Dieu pour punir. Toi, tu devais aimer. Et Dieu t'aurait béni sur la
Terre et dans le Ciel.»
«Il ne me bénira donc jamais?»
«Le repentir ramène la bénédiction. Mais que de douleurs, que de
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angoisses tu t'es donné! Par ta haine tu t’en es données beaucoup plus que ne t’en avaient données
tes frères!...»
«C'est vrai! C'est vrai! Une horreur qui dure depuis vingt-six ans. Oh!
Pardonne-moi, au nom de Dieu. Tu vois que j'ai en moi la douleur de ma faute! Je ne
demande rien pour ma vie. Je suis mendiant et malade. Mais je veux rester tel,
souffrir, expier. Mais donne-moi la paix de Dieu! J'ai fait des sacrifices au Temple en
souffrant de la faim, pour accumuler la somme pour l'holocauste. Mais je ne pouvais
dire mon crime, et je ne sais pas si mon sacrifice a été accepté.»
«Nullement. Même si chaque jour tu en avais consommé un, à quoi aurait-il servi
quand to mentais en l'offrant? C'est un rite superstitieux et inutile celui qui n’est pas
précédé du sincère aveu de la faute. Faute ajoutée à une faute, et donc encore plus
qu'inutile. Offrande sacrilège. Que disais-tu au prêtre?»
«Je disais: "J'ai péché par ignorance en faisant des choses interdites par le
Seigneur et je veux expier". Je pensais: "Je sais en quoi j'ai péché, et Dieu le sait.
Mais à l'homme je ne peux le dire clairement. Dieu, qui voit tout, sait que je pense à
mon péché".»
«Restrictions mentales, échappatoires indignes. Le Très-Haut les hait. Quand on pèche, on expie.
Ne le fais plus.»
«Non, Seigneur. Et serai-je pardonné? Ou dois-je aller tout avouer? Payer de ma vie la vie que j'ai
prise? Il me suffit de mourir avec le pardon de Dieu.»
«Vis pour expier. Tu ne pourrais pas rendre son mari à la veuve et leur père aux enfants... Avant de
tuer, avant de permettre que la haine devienne maîtresse, il faudrait réfléchir! Mais lève-toi et
marche par ton nouveau chemin. En marchant, tu trouveras de mes disciples. Les monts de Judée, si
to vas de Tecua à Bethléem, et au-delà vers Hébron, sont certainement parcourus par eux. Dis-leur
que Jésus t'envoie et dis-leur qu'avant la Pentecôte il remontera vers Jérusalem en passant par
Béthsur et Béther. Demande Elie, Joseph, Lévi, Mathias, Jean, Benjamin, Daniel, Isaac. Te
rappelleras-tu ces noms? Adresse-toi à eux particulièrement. Maintenant allons...»
«Et tu ne bois pas?»
«J'ai bu tes larmes. Une âme qui revient à Dieu! Il n'y a rien de plus réconfortant pour Moi.»
«Je suis pardonné, alors?! Tu dis: "Qui revient à Dieu"...»
«Oui. Tu es pardonné. Et ne hais jamais plus.»
L'homme se penche de nouveau, car il s'était redressé, et il baise les pieds de Jésus.
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Ils reviennent vers les apôtres et ils les trouvent en discussion avec des scribes.
«Voici le Maître. Lui peut vous répondre et vous dire que vous êtes pécheurs.»
«Qu'y a-t-il?» demande Jésus dont le salut déférent n'obtient pas de réponse.
«Maître, ils nous vexent avec leurs questions et leurs moqueries...»
«Supporter les ennuis, c'est une oeuvre de miséricorde.»
«Mais ils t'offensent Toi. Ils font de Toi un objet de mépris... et les gens hésitent. Tu le vois? Nous
avions réussi à rassembler des personnes... Maintenant qui reste-t-il? Deux ou trois femmes...»
«Oh! non! Vous avez aussi un homme, un homme crasseux! C'est encore trop pour vous!
Seulement, ô Maître, ne te semble-t-il pas de te contaminer trop, Toi qui dis toujours que les saletés
te dégoûtent?» raille un jeune scribe en montrant le mendiant qui est à côté de Jésus.
«Lui n'est pas sale. Il n'a pas la saleté qui me répugne. Lui c'est "le pauvre". Le pauvre ne me
dégoûte pas. Sa misère doit seulement ouvrir l'âme à des sentiments de pitié fraternelle. J'ai le
dégoût des misères morales, des coeurs empuantis, des âmes en lambeaux, des esprits couverts de
plaies.»
«Et tu sais si lui n'est pas tel?»
«Je sais qu'il croit et espère en Dieu et en sa miséricorde, maintenant qu'il l'a connue.»
«Connue? Où habite-t-elle? Dis-le pour que nous aussi nous puissions y aller et voir son visage. Ah!
Ah! Le Dieu terrible, que Moïse n'osait pas regarder, doit avoir une bien terrible face même dans sa
miséricorde, même si après tant de siècles s'est adoucie sa rigueur!» réplique le jeune scribe et il rit
d'un rire qui est plus négateur qu'un blasphème.
«Moi qui to parle, je suis la Miséricorde de Dieu!» crie Jésus. Il s'est dressé, et fulgurante est la
puissance de son regard et de son geste. Je ne sais pas comment l'autre n'aie pas peur...
Cependant, même s'il ne fuit pas, il ne sait plus continuer ses sarcasmes et il se tait alors qu'un autre
le remplace: «Oh! que de paroles inutiles! Nous voudrions seulement pouvoir croire. Nous ne
demanderions pas mieux. Mais, pour croire, il faut avoir des preuves. Maître, sais-tu ce qu'est
Galgala pour nous?»
«Et tu me prends pour un sot?» dit Jésus. Et prenant le ton de la psalmodie, lent, un peu traînant, il
commence: «"Et Josué, s'étant
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levé avant le jour, leva le camp. Partis de Setim, lui et tous les fils d'Israël
arrivèrent au Jourdain où ils s'arrêtèrent trois jours, à la fin desquels les hérauts
parcoururent le camp en criant: 'Quand vous verrez l'Arche de l'Alliance du Seigneur
votre Dieu, portée par les prêtres de la race de Lévi, partez vous aussi et suivez-les,
mais qu'il y ait entre vous et l'Arche un intervalle de deux mille coudées, afin que
vous puissiez voir de loin et distinguer le chemin par lequel vous devez marcher, n'y
étant jamais passé et...' ".»
«Assez! Assez! La leçon tu la sais. Eh bien, nous voudrions avoir de Toi, pour croire, un pareil
miracle. Au Temple, à Pâque, on nous a rebattu les oreilles de la nouvelle apportée par un passeur,
que to as arrêté le fleuve en crue. Donc si pour un homme quelconque tu as tant fait, pour nous, qui
sommes tellement plus qu'un homme, fais le miracle de descendre dans le Jourdain avec les tiens et
de le passer à pied sec comme Moïse à la Mer Rouge et Josué à Galgala. Allons! Les sortilèges ne
servent que pour les ignorants, mais nous nous ne serons pas séduits par ta nécromancie, bien que
Toi, c’est connu, tu connaisses les secrets de l'Egypte et les formules magiques.»
«Je n'en ai pas besoin.»
«Descendons au fleuve et nous croirons en Toi.»
«Il est dit: "Ne tente pas le Seigneur ton Dieu"!»
«Tu n'es pas Dieu! Tu es un pauvre fou. Tu es quelqu'un qui soulève les foules ignorantes. Avec
elles c’est facile, car to as Belzébuth avec Toi. Mais avec nous qui sommes pourvus des insignes
d'exorcistes, to es moins que rien» dit un scribe sur un ton agressif.
«Ne l'offense pas! Prie-le de nous contenter. Comme tu le traites, il s'avilit et perd sa puissance.
Allons, Rabbi de Nazareth! Donne-nous une preuve et nous t'adorerons» dit un vieux scribe,
astucieux comme un serpent, et il est plus hostile dans ses flatteries tortueuses que les autres dans
leur férocité déclarée.
Jésus le regarde. Puis il se tourne vers le sud-ouest et il ouvre les bras en les tendant en avant. Il dit:
«Là-bas se trouve le désert de Juda et là il me fut dit par l'Esprit du Mal de tenter le Seigneur mon
Dieu. Et j'ai répondu: "Va-t-en Satan! Il est dit que Dieu doit être adoré, non tenté. Et il faut pour le
suivre dépasser la chair et le sang". C'est ce que je vous dis à vous.»
«C'est à nous que tu donnes le nom de Satan? A nous? Ah! maudit!» et, plus semblables à des
voyous qu'à des docteurs de la Loi, ils prennent des pierres éparses sur le sol pour le frapper, et ils
crient: «Va-t-en! Va-t-en! Maudit sois-tu éternellement!»
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Jésus les regarde, sans peur. Il paralyse leur geste sacrilège, ramasse son manteau
et il dit: «Allons! Homme, marche devant Moi» et il revient vers le puits, vers
l'oliveraie de la confession, il y pénètre... Et accablé, il baisse la tête alors que deux
larmes qu'il ne peut retenir roulent de ses cils sur son visage pâle.
Ils arrivent à une route. Jésus s'arrête et il dit au mendiant: «Je ne peux te donner de l'argent. Je n'en
ai pas. Je te bénis. Adieu. Fais ce que je t'ai dit.»
Ils se séparent... Les apôtres sont affligés. Ils ne parlent pas. Ils se regardent en dessous...
Jésus rompt le silence en reprenant le ton du psaume interrompu par le scribe: «"Et le Seigneur dit à
Josué: 'Prends douze hommes, un par tribu, et fais leur prendre au milieu du lit du Jourdain, à
l'endroit où se sont arrêtés les pieds des prêtres, douze pierres très dures que vous érigerez à
l'endroit des campements, là où vous planterez les tentes cette nuit'. Et Josué, après avoir appelé à
lui les douze hommes choisis parmi les fils d'Israël, un par tribu, leur dit: 'Allez en avant de l'Arche
du Seigneur votre Dieu au milieu du Jourdain et prenez de là, sur vos épaules, chacun une pierre
selon le nombre des fils d'Israël, pour en faire un monument au milieu de vous. Et quand dans
l'avenir vos fils vous interrogeront, en disant: Que signifient ces pierres? Vous leur répondrez: Les
eaux du Jourdain disparurent devant l'Arche de l'Alliance du Seigneur qui les traversa, et ces pierres
furent placées comme monument éternel des fils d'Israël' ".»
Jésus relève sa tête qu'il tenait baissée. Il tourne son regard vers les douze qui le regardent. Il dit
avec une autre voix, sa voix des moments de plus grande tristesse: «Et l'Arche a été dans le fleuve.
Et ce ne furent pas les eaux, mais les cieux qui s'ouvrirent par respect pour le Verbe qui s'y trouvait
pour les sanctifier, les rendre plus saintes qu'elles ne le furent à cause de l'Arche arrêtée dans le lit
du fleuve. Et le Verbe s'est choisi douze pierres. Très dures, car elles doivent durer jusqu'à la fin du
monde. Et parce qu'elles doivent être les fondations pour le Temple nouveau et pour la Jérusalem
éternelle. Douze. Rappelez-le-vous. Ce doit être le nombre. Et puis il en a choisi douze autres pour
un second témoignage. Les premiers disciples bergers, et Abel le lépreux, et Samuel l'estropié, les
premiers guéris... et reconnaissants... Très dures aussi, car elles devront résister aux coups d'Israël
qui hait Dieu!... Qui hait Dieu!...»
Quelle voix déchirée, affaiblie, presque blanche a Jésus alors
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qu'il pleure sur la dureté d'Israël. Il reprend: «Dans le fleuve, les siècles et l'homme
éparpillèrent les pierres souvenir... Sur la Terre, la haine éparpillera mes douze. Sur
les rives du fleuve, les siècles et les hommes ont détruit l'autel souvenir... Les
premières et les secondes pierres, ayant servi à tous les usages à cause de la haine des
démons qui ne sont pas seulement dans l'enfer mais aussi dans les hommes, ne se
reconnaissent plus. Telles d'entre elles servirent même pour tuer. Et qui me dit que
dans les pierres levées contre Moi il n'y avait pas des éclats des pierres très dures
choisies par Josué? Très dures! Ennemies! Oh! très dures! Même parmi les miens, il y
en aura qui, séparés, serviront de trottoir aux démons qui marchent sur Moi... et se
feront cailloux pour me frapper... et ils ne seront plus les pierres choisies... mais les
satans... Oh! Jacques, mon frère! Très dur est Israël avec son Seigneur!» et, chose
jamais vue, Jésus accablé par je ne sais quel découragement qui le domine, se penche
sur l'épaule de Jacques d'Alphée et l'embrasse en pleurant...
78. VERS ENGADDI.
SEPARATION ET ADIEUX DE JUDAS ET SIMON

Ils doivent avoir continué leur route au clair de lune et séjourné dans quelque
caverne pendant quelques heures et repris le chemin à l'aube. Et ils sont visiblement
fatigués par le cheminement difficile sur la rocaille, à travers les arbustes épineux et
les lianes qui rampent et embarrassent les pieds. La marche est guidée par Simon le
Zélote qui semble bien connaître les parages et qui s'excuse de la difficulté de la
marche comme si elle dépendait de lui.
«Maintenant, quand nous serons de nouveau sur les monts que vous voyez, nous marcherons mieux
et je vous promets du miel sauvage en abondance et de l'eau pure en abondance...»
«De l'eau? J'y patauge! Le sable m'a rongé les pieds comme si j'avais marché sur le sel et ma peau
est toute en feu. Quels lieux maudits! Oh! on sent, oui, on sent que l'on est dans le voisinage des
lieux punis par le feu du Ciel! Il est resté dans le vent, dans la terre, dans les épines. Dans tout!»
s'exclame Pierre. .
«Et pourtant c'était beau ici autrefois, n’est-ce pas, Maître?»
«Très beau. Dans les premiers siècles du monde ces lieux étaient
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un petit Eden. Le sol très fertile, riche en sources servant à tant d'usages, mais
disposées de façon à ne donner que du bien. Ensuite... le désordre des hommes parut
s'emparer des éléments. Et ce fut la ruine. Les sages du monde païen expliquent de
plusieurs manières le terrible châtiment. A la manière des hommes, cependant, parfois
avec une terreur superstitieuse. Mais croyez-le: ce fut seulement la volonté de Dieu
qui changea l'ordre des éléments. Ceux du ciel appelèrent ceux des profondeurs, ils se
heurtèrent, ils s'excitèrent l’un l'autre en une ronde maléfique, les éclairs incendièrent
le bitume que les veines ouvertes du sol avaient répandu en désordre, et le feu des
entrailles de la terre et le feu sur la terre, et le feu du ciel pour alimenter celui de la
terre et pour ouvrir, par les épées des éclairs, de nouvelles blessures dans la terre qui
tremblait dans des convulsions effrayantes, brûla, détruisit, rongea des stades et des
stades d'un lieu qui était auparavant un paradis en en faisant l'enfer que vous voyez et
où il ne peut y avoir de vie.»
Les apôtres écoutent attentivement...
Barthélemy demande: «Tu crois que si on pouvait assécher le voile épais des eaux, nous trouverions
au fond de la Grande Mer les restes des villes punies?»
«Certainement. Et presque intactes, car l'épaisseur des eaux fait un linceul de chaux aux villes
ensevelies. Mais le Jourdain a répandu sur elles une épaisse couche de sable. Et elles sont ensevelies
deux fois pour qu'elles ne se redressent plus, symbole de ceux qui, obstinés dans leurs fautes, sont
inexorablement ensevelis par la malédiction de Dieu et la domination de Satan qu'ils ont servi avec
tant d'anxiété pendant leur vie.»
«Et est-ce ici que se réfugia Matthatias de Jean de Siméon, le juste asmonéen qui est, avec ses fils,
la gloire d'Israël tout entier?»
«Ici. Entre les montagnes et les déserts, et c'est ici qu'il remit de l'ordre dans le peuple et l'armée, et
Dieu fut avec lui.»
«Cependant, du moins... Ce fut pour lui plus facile car les Assidiens furent plus justes que ne le sont
les pharisiens avec Toi!»
«Oh! être plus juste que les pharisiens c'est bien facile! Plus facile encore que de piquer pour cette
épine qui s'est attachée à mes jambes... Regardez ici!» dit Pierre qui, en écoutant, n'a pas regardé
par terre et s'est trouvé enveloppé par un buisson épineux qui fait saigner ses mollets.
«Sur les montagnes, il y en a moins. Tu vois qu'il y en a déjà moins?» dit Simon le Zélote pour le
réconforter.
«Hum! Tu es très au courant...»
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«J'y ai vécu proscrit et persécuté...»
«Ah! Alors!...»
En effet, les petits monts deviennent verts, d'un vert moins torturant, bien qu'ils soient moins
ombragés et si leur herbette est peu développée, elle est en revanche très odorante et parsemée de
fleurs qui en font un tapis coloré. Des nuées d'abeilles y font leurs provisions et puis de là vont aux
cavernes dont sont criblés les flancs de la montagne et là, sous des rideaux de lierre et de
chèvrefeuille, déposent le miel dans des ruches naturelles. Simon le Zélote va à une caverne et il en
sort avec des rayons de miel d'or, et à une autre, et à une autre encore jusqu'à ce qu'il en ait pour
tous, et il en offre au Maître et aux amis qui mangent volontiers le miel doux et filant.
«Si on avait du pain! Comme c'est bon!» dit Thomas.
«Oh! même sans pain, c'est bon! Meilleur que les épis philistins. Et... on espère qu'il n'y aura pas de
pharisien qui vienne nous dire de ne pas en manger!» dit Jacques de Zébédée.
Ils s'en vont tout en mangeant et ils arrivent à une citerne où se déversent des ruisselets dont l'eau
s'en va ensuite je ne sais où. L'eau qui déborde sort du bassin et elle est fraîche, cristalline, étant
protégée du soleil et des débris par la voûte du rocher où la citerne est creusée. En retombant, elle
forme un petit lac minuscule dans la roche de silice noirâtre.
C'est avec un plaisir visible que les apôtres se déshabillent et se plongent, à tour de rôle, dans le
bassin inattendu. Mais auparavant, ils ont voulu que Jésus en profite «pour que leurs membres en
soient sanctifiés» dit Mathieu.
Ils reprennent la marche, restaurés bien que plus affamés, et les plus affamés, en plus du miel qu'ils
mangent, rongent des tiges de fenouil sauvage et d'autres pousses comestibles dont je ne connais
pas le nom.
La vue est belle des plateaux de ces monts bizarres qui semblent avoir eu leurs cimes tranchées d'un
coup d'épée. Des déchirures d'autres montagnes vertes et de plaines fertiles se voient au sud, et aussi
quelque arrière-plan sur la Mer Morte, qui par contre est visible à l'orient, avec les montagnes
lointaines de l'autre rive, estompées par un brouillard de nuées légères qui s'élèvent du sud-est. Au
nord, quand on la découvre entre les crêtes des montagnes, on voit la verdure lointaine de la plaine
jordanienne, à l'ouest les hautes montagnes de la Judée.
Le soleil commence à brûler et Pierre dit sentencieusement que
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«ces nuées sur les monts de Moab sont signe de fortes chaleurs.»
«Maintenant nous allons descendre dans la vallée du Cédron. Elle est
ombragée...» dit Simon.
«Le Cédron?! Oh! comment a-t-on fait pour arriver si vite au Cédron?»
«Oui, Simon de Jonas. Le chemin a été rude, mais comme il a abrégé le parcours! En suivant sa
vallée, on arrive vite à Jérusalem» explique le Zélote.
«Et à Béthanie... Je devrais envoyer certains d'entre vous à Béthanie pour dire aux soeurs de
conduire Egla chez Nike. Elle m'en a tant prié, et c'est une juste prière. La veuve sans enfants aura
elle aussi un saint amour, et la fillette sans parents une mère vraiment israélite qui la fera grandir
dans notre foi antique et dans la mienne. Je voudrais venir Moi aussi... Un repos paisible pour mon
esprit attristé... Dans la maison de Lazare le coeur du Christ ne trouve qu'amour... Mais long est le
voyage que je veux accomplir avant la Pentecôte!»
«Envoie-moi, Seigneur, et avec moi un bon marcheur. Nous irons à Béthanie et ensuite je
remonterai à Kériot et là nous nous rencontrerons» dit l'Iscariote enthousiaste. Les autres, au
contraire, dans l'attente d'être choisis pour ce voyage qui les séparerait du Maître, ne sont pas du
tout enthousiastes. Jésus réfléchit. Et tout en réfléchissant, il regarde Judas. Il se demande s’il va
consentir. Judas insiste: «Oui, Maître! Dis oui! Fais-moi plaisir!...»
«Tu es le moins indiqué de tous!, ô Judas, pour aller à Jérusalem!»
«Pourquoi, Seigneur? Je la connais plus que tout autre!»
«C'est bien pour cela!... Non seulement elle t’est connue, mais elle pénètre en toi plus qu'en tout
autre.»
«Maître, je te donne ma parole que je ne m'arrêterai pas à Jérusalem et je ne verrai personne
d'Israël, de par ma volonté... Mais laisse-moi aller. Je te précéderai à Kériot et...»
«Et tu ne feras pas pression pour me donner des honneurs humains?»
«Non, Maître. Je le promets.»
Jésus réfléchit encore.
«Pourquoi, Maître, tant d'hésitation? Tu te méfies tellement de
moi?»
«Tu es un faible, Judas. Et en t'éloignant de la Force, tu tombes! Tu es si bon
depuis quelque temps! Pourquoi veux-tu te troubler et me causer du chagrin?»
«Mais non, Maître, je ne veux pas ces choses! Il me faudra bien un
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jour être sans Toi! Et alors? Comment ferai-je si je ne me suis pas préparé?»
«Judas a raison» disent plusieurs.
«C'est bien!... Va. Va avec Jacques mon frère.»
Les autres respirent soulagés. Jacques, peiné, soupire, mais il dit docilement: «Oui, mon Seigneur!
Bénis-nous et nous partirons.»
Simon le Zélote a pitié de sa peine et il dit: «Maître, les pères remplacent
volontiers les fils pour leur donner de la joie. Lui je l'ai pris pour fils en même temps
que Jude. Le temps a passé, mais mon idée est toujours la même. Accueille ma
prière... Envoie-moi avec Judas de Simon. Je suis âgé, mais résistant comme un jeune,
et Judas n'aura pas à se plaindre de moi.»
«Non, ce n'est pas juste que tu te sacrifies en t'éloignant du Maître à ma place. Certes c'est pour toi
une souffrance de ne pas aller avec Lui...» dit Jacques d'Alphée.
«Ma souffrance s'adoucit par la joie de te laisser avec le Maître. Tu me raconteras ensuite ce que
vous avez fait... D'ailleurs... je vais volontiers à Béthanie...» termine le Zélote comme pour
amoindrir la valeur de ce qu'il a offert.
«C'est bien, vous irez tous deux. En attendant poursuivons jusqu'à ce petit village. Qui y monte pour
chercher du pain au nom de Dieu?»
«Moi! Moi!» Tous veulent y aller, mais Jésus retient Judas de Kériot.
Quand ils se sont tous éloignés, Jésus lui prend les mains et lui parle vraiment
visage contre visage. Il semble qu'il veuille faire passer en lui sa pensée, le
suggestionner au point que Judas ne puisse avoir d'autres pensées qui ne soient pas
celles que Jésus veut. «Judas... Ne te fais pas du mal! Ne te fais pas du mal, mon
Judas! Ne te sens-tu pas plus calme et plus heureux depuis quelque temps, libéré des
pieuvres de ton moi le plus mauvais, de ce moi humain qui est si facilement le jouet de
Satan et du monde? Oui, tu te sens ainsi! Préserve donc ta paix, ton bien-être. Ne te
nuis pas, Judas! Je lis en toi. Tu es à un si bon moment! Oh! si je pouvais, si je
pouvais au prix de tout mon Sang te garder ainsi, détruire jusqu'au dernier rempart où
se niche un grand ennemi pour toi et te faire tout esprit, intelligence d'esprit, amour
d'esprit, esprit, esprit!»
Judas, poitrine contre poitrine, visage contre visage avec Jésus, les mains dans les
mains, est presque abasourdi. Il murmure: «Me nuire? Dernier rempart? Lequel?...»
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«Lequel?! Tu le sais. Tu sais avec quoi tu te nuis! En cultivant tes pensées de
grandeur humaine et des amitiés que tu supposes être utiles pour te donner cette
grandeur. Il ne t'aime pas, Israël, crois-le. Il te hait comme il me hait et comme il hait
quiconque peut avoir l'apparence d'un probable triomphateur. Et toi, justement parce
que tu ne caches pas ta pensée de vouloir être tel, tu es haï. Ne crois pas à leurs
paroles mensongères, à leurs fausses questions qu'ils font sous prétexte de s'intéresser
à tes pensées pour t'aider. Ils te circonviennent pour nuire, pour savoir et pour nuire.
Et Je ne te prie pas pour Moi, mais pour toi, pour toi seul. Moi, si je suis en butte à
l'iniquité, je serai toujours le Seigneur. Ils pourront torturer la chair, la tuer. Rien de
plus. Mais toi, mais toi! C'est ton âme qu'ils tueraient... Fuis la tentation, mon ami!
Dis-moi que tu la fuiras! Donne à ton pauvre Maître persécuté, tourmenté, cette parole
de paix!»
Il l'a pris dans ses bras maintenant, et il lui parle joue contre joue, près de l'oreille, et les cheveux
d'or foncé de Jésus se mêlent aux lourdes boucles brunes de Judas.
«Moi, je le sais que je dois souffrir et mourir. Je sais que ma couronne ne sera que celle du martyr.
Je sais que ma pourpre ne sera que celle de mon Sang. C'est pour cela que je suis venu. Car c'est par
ce martyre que je rachèterai l'Humanité, et l'amour me presse depuis un temps sans limite vers
l'accomplissement de cette action. Mais je voudrais qu'aucun des miens ne se perde. Oh! tous les
hommes me sont chers, car ils ont en eux l'image et la ressemblance de mon Père et l'âme
immortelle que Lui a créée. Mais vous, vous aimés et préférés, vous sang de mon sang, pupille de
mon oeil, non, non, perdus non! Oh! il n'y aura pas de torture semblable à celle-là, même si Satan
enfonçait en Moi ses armes brûlantes de soufres infernaux et me mordait, m'enveloppait, lui, le
Péché, I'Horreur, le Dégoût, il n'y aura pas de torture pour Moi semblable à celle d'un de mes élus
qui se perd... Judas, Judas, mon Judas! Mais veux-tu que je demande au Père de souffrir trois fois
ma Passion horrible et que de ces trois, deux soient pour te sauver toi seul? Dis-le-moi, ami, et je le
ferai. Je dirai de multiplier à l'infini mes souffrances pour cela. Je t'aime, Judas, je t'aime tellement.
Et je voudrais, je voudrais te donner Moi-même, to rendre Moi-même, pour te sauver de
toi-même...»
«Ne pleure pas, ne parle pas ainsi, Maître. Moi aussi, je t'aime. Moi aussi, je me donnerais
moi-même pour te voir fort, respecté, craint, triomphant. Je ne t'aime peut-être pas parfaitement. Je
ne
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pense peut-être pas parfaitement. Mais tout ce que je suis, je l'emploie, et peut-être
j'en abuse, si anxieux que je suis de te voir aimé. Mais, je te jure, je te jure sur
Jéhovah, que je n'approcherai pas des scribes, ni des pharisiens, ni des sadducéens,
ni des juifs, ni des prêtres. Ils diront que je suis fou. Mais cela ne m'importe pas. Il
me suffit que tu n'aies pas de chagrin à cause de moi. Es-tu content? Un baiser,
Maître, un baiser pour ta bénédiction et ta protection.»
Ils s'embrassent et ils se séparent alors que les autres reviennent, descendant en
courant la colline, en agitant de larges fouaces et des fromages frais.
Ils s'assoient sur l'herbe verte et partagent la nourriture en racontant qu'ils ont été bien accueillis
parce que, dans les quelques maisons, il y a des gens qui connaissent les bergers disciples et qui
sont favorables au Messie.
«Nous n'avons pas dit que tu étais là, car autrement...» termine Thomas.
«Nous tâcherons de passer par ici un jour. Il ne faut négliger personne» répond Jésus.
Le repas prend fin. Jésus se lève et bénit les deux qui vont à Béthanie et qui n'attendent pas le soir
pour reprendre la route, car la vallée est ombragée et pleine de sources.
Jésus, et les dix qui restent, de leur côté s'étendent sur l'herbe et se reposent en
attendant le crépuscule, pour revenir vers la route d'Engaddi et de Masada, comme je
l'entends dire à ceux qui sont restés.

79. ARRIVEE A ENGADDI

Les pèlerins, malgré la fatigue d'une longue marche faite peut-être en deux
étapes du crépuscule à l'aurore par des sentiers certainement pas faciles, ne peuvent
retenir une exclamation admirative. Après avoir franchi le dernier tronçon de route
sur une côte où des diamants étincellent au premier soleil du matin, ils ont devant
eux le panorama complet des deux rives de la Mer Morte.
La rive occidentale laisse un petit espace de plaine entre la Mer Morte et la ligne des petits monts
qui avec leur faible altitude semblent la dernière vague des montagnes de Judée qui s'est avancée
sur le rivage désolé et est restée là avec une belle végétation, après avoir mis le désert nu entre elle
et la plus proche chaîne de Judée.
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La rive orientale, au contraire, a des montagnes qui tombent presque à pic dans le
bassin de la Mer Morte. On a vraiment l'impression que le terrain, au cours d'une
épouvantable catastrophe tellurique, ait ainsi été brisé avec une coupure nette en
laissant auprès du lac des lézardes verticales par où descendent des torrents plus ou
moins alimentés dont les eaux, destinées à s'évaporer, se jettent dans les eaux
sombres, maudites, de la Mer Morte. En arrière, au-delà du lac et de la première
corniche des monts, d'autres et d'autres monts qui resplendissent dans le soleil du
matin. Au nord l'embouchure vert-azur du Jourdain, au sud des monts qui font une
corniche au lac.
C'est un spectacle d'une grandeur solennelle, triste, réprobatrice, où se fondent les
riants aspects des montagnes et la sombre image de la Mer Morte qui semble rappeler,
par son aspect, ce que peut le péché et ce que peut la colère du Seigneur. Il est en effet
d'un aspect terrible cet immense miroir d'eau sans une voile, sans une barque qui le
sillonne, sans un oiseau qui le survole, sans un animal qui vienne boire sur ses rives!
Contrastant avec cette évocation de châtiment de la mer, les effets miraculeux du soleil sur les
collines et sur les dunes, jusque sur les sables du désert, où les cristaux de sel prennent l'aspect de
jaspes précieux répandus sur le sable, sur les pierres, sur les tiges rigides des plantes désertiques, en
faisant de tout un spectacle de beauté par la poussière de diamant qui recouvre toutes choses. Plus
miraculeux encore l'aspect d'un plateau fertile de cent à cent cinquante mètres qui domine la mer
avec des palmiers splendides, des vignes et des arbres de toutes espèces, parcouru par des eaux
azurées et où s'étend une belle ville entourée de campagnes luxuriantes. Quand le regard passe du
sombre aspect de la mer, de l'aspect tourmenté de la rive orientale qui ne présente une tristesse
paisible que dans une langue de terre basse et verte qui s'avance au sud-est dans la mer, de l'aspect
désolé du désert de Juda, de celui sévère des monts de Judée, à cette vue si douce, si riante, si
fleurie, il semble que ce soit un cauchemar de fièvre qui s'évanouisse, pour faire place à une suave
vision de paix.
«C'est Engaddi, chantée par les poètes de notre Patrie. Admirez comme elle est
belle la région alimentée par des eaux gracieuses au milieu d'une pareille désolation!
Descendons dans ses jardins, car tout est jardin ici: le pré, le bois, la vigne. C'est
l'antique Asason-Tamar dont le nom évoque les belles palmeraies sous lesquelles il
était plus beau encore de construire les cabanes et de cultiver la
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terre, de s'aimer, d'élever les enfants et les troupeaux au bruissement harmonieux des
frondaisons des palmiers. C'est l'oasis riante qui a survécu aux terres de l'Eden puni par
Dieu, entourée, comme une perle enchâssée, de sentiers qui ne sont praticables que
pour les chèvres et les chevreuils, comme il est dit au Livre des Rois. Sur ces sentiers
s'ouvrent pour ceux qui sont persécutés, fatigués et abandonnés, des cavernes
hospitalières. Rappelez-vous David, notre roi, et rappelez-vous sa bonté pour Saül son
ennemi. C'est Asason-Tamar, c'est Engaddi, la fontaine, la bénie, la beauté, d'où
partirent les ennemis contre le roi Josaphat et les fils de son peuple, qui, effrayés,
furent réconfortés par Jahaziel, fils de Zacharie, en qui parlait l'Esprit de Dieu. Et ils
remportèrent une grande victoire parce qu'ils eurent foi dans le Seigneur et méritèrent
son aide grâce à la pénitence et à la prière auxquelles ils se livrèrent avant la bataille.
C'est celle qu'a chantée Salomon, comme un modèle pour les beautés de la Belle entre
les belles. C'est celle qu'a nommée Ezéchiel comme une de celles qu'ont alimentées les
eaux du Seigneur... Descendons! Allons porter à la gemme d'Israël, l'Eau vive qui
descend du Ciel.»
Et il commence presque en courant la descente par un sentier casse-cou tout en
tournants et en zigzag dans la roche calcaire rougeâtre qui, aux points où elle
s'approche le plus de la mer, va vraiment jusqu'à l'extrémité où la montagne fait une
corniche à cette dernière. Un sentier à donner le vertige même aux montagnards les
plus adroits. Les apôtres ont du mal à le suivre, et les plus âgés sont tout à fait distancés
par le Maître quand celui-ci s'arrête aux premiers palmiers et aux premières vignes du
fertile plateau où chantent les eaux cristallines et des oiseaux de toutes espèces.
Des brebis blanches paissent sous le toit bruissant des palmeraies, des mimosas, des plantes
balsamiques, des pistachiers, et des arbres qui exhalent des parfums fins ou pénétrants qui se
fondent avec ceux des roseraies, de la lavande en fleur, de la cannelle, du cinnamome, de la myrrhe,
de l'encens, du safran, des jasmins, des lys, des muguets et de la fleur d'aloès qui ici est géante, des
oeillets et des benjoins qui pleurent avec d'autres résines par les entailles pratiquées dans les troncs.
C'est vraiment «le jardin clos, la source du jardin», et de tous côtés se présentent les fruits et les
fleurs, les parfums, la beauté! Il n'y a pas en Palestine un endroit aussi beau, dans son étendue et sa
beauté naturelle. On comprend, en le regardant, beaucoup de pages des poètes de l'Orient où ils
chantent les beautés des oasis comme celles de paradis répandus
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sur la Terre.
Les apôtres tout en sueur, mais remplis d'admiration, se joignent au Maître et
ensemble ils descendent par une route bien entretenue vers la rive que l'on rejoint
après avoir franchi des terrasses successives toutes cultivées d'où descendent, en
cascades riantes, les eaux bienfaisantes qui arrosent toutes les cultures jusqu'à la
plaine qui se termine sur le rivage. A mi-côte ils entrent dans la ville blanche où
bruissent les palmeraies, embaumée par les rosiers et les mille fleurs de ses jardins, et
ils cherchent, au nom de Dieu, un logement aux premières maisons. Les maisons,
bienveillantes comme la nature, s'ouvrent sans hésitation et leurs habitants demandent
qui est «ce Prophète qui ressemble au roi Salomon, vêtu de lin et rayonnant la
beauté.»...
Jésus entre avec Jean et Pierre dans une maisonnette où une veuve habite avec son fils. Les autres
s'éparpillent ça et là après la bénédiction du Maître et avec le projet de se réunir au crépuscule sur la
place la plus grande.

80. PREDICATION ET MIRACLES A ENGADDI

Jésus, vers le crépuscule, un crépuscule de feu qui rougit les maisons toutes blanches d'Engaddi et
donne à la Mer Morte des reflets de nacre noire, se dirige vers la place principale. Il a avec Lui le
jeune homme qui 1'a logé et qui le guide à travers les méandres de la ville, à l'architecture vraiment
orientale.
Le soleil doit être très fort dans ces lieux ainsi ouverts en face de la lourde surface de la Mer Salée.
J'ai l'impression qu'aux mois d'été il doit en sortir des souffles brûlants, isolés comme ils le sont au
milieu du désert aride que le soleil doit battre sans pitié en rendant brûlant le terrain. Pour s'en
défendre les habitants d'Engaddi ont construit des rues étroites qui paraissent l'être encore plus à
cause des gouttières et des corniches des maisons qui s'avancent largement, de sorte qu'en levant les
yeux on ne voit qu'une bande étroite du ciel, d'un azur violent, qui apparaît là-haut.
Les maisons sont hautes, presque toutes à deux étages, surmontées d'une terrasse sur laquelle,
malgré la hauteur, grimpent et s'étendent des vignes pour faire de l'ombre et donner le plaisir des
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grappes qui, une fois mûries sous le soleil souverain, dans la réverbération des murs et
du sol de la terrasse, doivent être douces comme le raisin sec de Damas. Et les vignes
rivalisent pour donner le plaisir aux hommes et aux oiseaux très nombreux qui, des
passereaux aux pigeons, font leurs nids à Engaddi, avec les palmiers élevés, poussés
un peu partout, et avec les opulents arbres à fruits qui s'élèvent dans les cours, dans les
jardins resserrés entre les maisons et se penchent au-dessus des ruelles et retombent
des murs blanchis avec leurs branches chargées de fruits qui mûrissent au joyeux
soleil, et dépassent les archivoltes très nombreuses qui en certains endroits forment de
véritables galeries interrompues çà et là par les exigences architectoniques, et montent
vers le ciel bleu, si uni, d'une couleur si moelleuse qu'il donne l'impression que, s'il
était possible de le toucher, on toucherait un lourd velours ou un cuir lisse peint et
teint par un sage artiste avec cette teinte parfaite plus chargée qu'une turquoise, moins
qu'un saphir, très belle, inoubliable.
Et les eaux... Que de sources et de fontaines doivent jaillir dans les cours et les
jardins des maisons parmi la verdure de mille plantes! En passant dans les ruelles
encore désertes, car les habitants sont encore au travail ou dans leurs maisons, on
entend l'eau qui coule, qui clapote, qui bruit, comme autant de notes d'une harpe
pincée par un artiste caché. Et pour en augmenter le charme, les archivoltes, les
détours continuels des rues recueillent ces bruits des eaux, les amplifient, augmentent
leur nombre par l'effet des échos pour en faire tout un arpège.
Et des palmiers, des palmiers, des palmiers! Sur la moindre petite place large comme une pièce
d'habitation, voilà les fûts, minces, très élevés qui montent vers le ciel avec à peine là-haut un
mouvement de balancement dans les feuilles qui bruissent serrées comme un panache en haut du
fût. L'ombre, qui en plein midi tombe à pic sur la place minuscule et la couvre toute entière, se
reflète maintenant d'une manière bizarre sur les murets des terrasses plus hautes.
Pourtant la ville est propre si on la compare aux villes de Palestine. Peut-être le fait que les maisons
soient serrées les unes contre les autres, qu'elles aient toutes des cours et des jardins cultivés, a
contribué à enseigner aux habitants à ne pas jeter toutes les immondices dans les rues, à les
recueillir, au contraire, avec les ordures des animaux pour en faire des tas de fumier destinés aux
arbres et aux plates-bandes ou bien... par rare souci d'ordre. Les
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ruelles sont propres, asséchées par le soleil, et on n'y trouve pas les peu gracieux tas
de légumes jetés au rebut, les sandales éculées, les chiffons sales, les excréments et
autres choses désagréables que l'on voit dans Jérusalem elle-même, dans les rues à
peine périphériques.
Voici le premier cultivateur qui revient du travail sur un âne gris. Pour le
défendre contre les mouches, l'homme a caparaçonné complètement avec des
branches de jasmin son âne qui s'en va au petit trot en secouant ses oreilles et ses
grelots sous la couverture ondulante des branches parfumées. L'homme regarde et
salue. Le jeune homme lui dit: «Viens à la grande place. Tu entendras le Rabbi qui est
chez moi.»
Voilà un troupeau de brebis qui envahit la rue, s'y engageant en venant d'une petite place au fond de
laquelle on aperçoit la campagne. Elles marchent étroitement serrées l’une contre l'autre, mettant
leurs sabots là où les a mis celle qui les précède, la tête penchée comme si leur tête était trop lourde
pour leur cou trop grêle sur leur corps obèse. Elles trottinent de leur pas bizarre et leur corps trop
gras semble un baluchon fixé sur quatre piquets... Jésus, Jean et Pierre imitent l'homme qui est avec
eux et s'adossent au mur chaud d'une maison pour les laisser passer. Un homme et un enfant suivent
le troupeau. Ils regardent et saluent. Le jeune homme dit: «Renfermez les brebis et venez à la
grande place avec vos parents. Le Rabbi de Galilée est parmi nous. Il va nous parler.»
Voici la première femme qui sort, entourée d'une nichée d'enfants, et qui va je ne sais où. Le jeune
homme lui dit: «Viens avec Jean et les enfants écouter le Rabbi que l'on nomme Messie.»
Les maisons s'ouvrent peu à peu dans le soir qui vient et laissent entrevoir les fonds verts des
jardins, ou ceux paisibles des courettes où les pigeons font leur dernier repas. Le jeune homme
passe la tête par chacune des portes ouvertes et il dit: «Venez entendre le Rabbi, le Seigneur.»
Ils débouchent enfin dans une rue droite, l'unique rue droite de cette ville qui n'a pas été construite
comme on l'a voulu, mais comme l'ont voulu les palmiers ou les puissants pistachiers certainement
centenaires et respectés comme des notables par les habitants qui leur doivent de ne pas mourir
d'insolation. Voici, au fond, une place où font office de colonne les fûts de nombreux palmiers. On
dirait une de ces salles hypostyles des temples ou des palais très anciens, faites d'un vaste espace
rempli de colonnes placées à des distances régulières pour faire une forêt de pierre
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soutenant le plafond. Ici les palmiers font office de colonnes et, serrés comme ils sont,
forment avec les feuilles qui se rejoignent, un plafond émeraude sur la place blanche
au milieu de laquelle se trouve une fontaine élevée, de forme carrée, remplie d'eaux
cristallines qui jaillissent d'une colonnette au centre du bassin et retombent dans des
vasques plus basses où peuvent s'abreuver les animaux. En ce moment les paisibles
pigeons domestiques l’ont prise d'assaut et ils boivent ou dansent un menuet avec
leurs pattes roses sur le bord le plus haut, ou bien ils éclaboussent leurs plumes en
produisant des reflets dûs aux gouttes d'eau qui s'accrochent un moment aux barbes
des plumes.
Il y a du monde et il y a les huit apôtres qui étaient allés çà et là en quête de
logement et chacun a rassemblé ses fidèles désireux d'entendre celui que l'apôtre a
indiqué comme le Messie promis. Les apôtres se hâtent d'accourir de tous côtés vers le
Maître, comme autant de comètes qui traînent à leur suite les petits groupes de leurs
conquêtes.
Jésus lève la main pour bénir les disciples et les gens d'Engaddi.
Jude d'Alphée parle au nom de tous: «Voici, Maître et Seigneur. Nous avons fait ce que tu as dit et
eux savent qu'aujourd'hui la Grâce de Dieu est parmi eux. Mais ils veulent aussi la Parole. Plusieurs
te connaissent par ouï-dire, certains pour t'avoir rencontré à Jérusalem. Tous, les femmes en
particulier, désirent to connaître et en premier lieu le chef de la synagogue. Le voici. Avance,
Abraham.»
L'homme, vraiment très âgé, s'avance. Il est Emu. Il voudrait parler, parler, mais dans son émotion
il ne trouve plus un mot de ce qu'il avait préparé. Il se penche pour s'agenouiller en s'appuyant sur
son bâton, mais Jésus l'en empêche et commence par l'embrasser en disant: «Paix au vieux et juste
serviteur de Dieu!» et l'autre, de plus en plus ému, ne sait que répondre: «Louange à Dieu! Mes
yeux ont vu le Promis! Et que puis-je demander de plus à Dieu?» et, levant les bras dans une pose
hiératique, il entonne le psaume de David (34): «"J'ai attendu anxieusement le Seigneur, et Lui s'est
tourné vers moi".»
Mais il ne le dit pas tout. Il dit les passages qui se rapportent davantage à l'événement: «"Il a
entendu mon cri et Il m'a tiré de l’abîme de la misère et de la boue du marécage...
Il a mis sur mes lèvres un cantique nouveau.
Bienheureux l'homme qui a mis son espoir dans le Seigneur.
Tu as fait beaucoup de choses merveilleuses, ô Seigneur mon
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Dieu, et il n'est personne qui t'égale dans tes desseins. Je voudrais les énumérer,
en parler, mais leur multitude dépasse toute énumération.
Tu n’as pas voulu de sacrifice, ni d'oblation, mais Tu as ouvert mes oreilles... (il est de plus en plus
ému).
Il est dit que je dois faire ta volonté... Ta Loi est dans mon coeur.
J'ai annoncé to justice à la grande assemblée. Voici: je n'ai pas gardé mes lèvres closes, Tu le sais, ô
Seigneur.
Je n'ai pas tenu ta justice cachée au dedans de moi, j'ai proclamé ta vérité et le salut qui vient de
Toi...
Mais Toi, ô Seigneur, n'éloigne pas de moi ta compassion...
Des malheurs sans nombre sont tombés sur moi... (et il pleure vraiment, en disant les paroles d'une
voix que les larmes rendent encore plus vieille et plus tremblante).
Je suis mendiant et besogneux, mais le Seigneur a soin de moi. Tu es mon aide, mon protecteur, ô
mon Dieu, ne tarde pas!..."
Voilà le psaume, mon Seigneur, et j'ajoute de mon côté: "Dis-moi: ‘Viens' et je te dirai ce que dit le
psaume: 'Voilà, je viens!' ".»
Il se tait et pleure avec toute sa foi dans ses yeux brouillés par les années.
Les gens expliquent: «Il a perdu sa fille qui lui laisse des petits-enfants. Sa femme est devenue
aveugle et idiote à cause des nombreuses souffrances, et l'on ne sait rien de leur unique garçon. Il
est disparu ainsi, du jour au lendemain...»
Jésus pose sa main sur l'épaule du vieil homme et lui dit: «Les souffrances des justes passent aussi
rapidement que l'hirondelle en comparaison de la durée de la récompense éternelle. Mais nous
allons rendre à ta Saraï ses yeux d'autrefois et l'intelligence de sa jeunesse pour qu'elle réconforte ta
vieillesse.»
«Elle s'appelle Colombe» avertit quelqu'un du peuple...
«Pour lui elle est sa princesse. Mais écoutez la parabole que je vous propose.»
«Tu ne vas pas auparavant délivrer des ténèbres les yeux et l'esprit de mon épouse pour qu'elle
puisse goûter la Sagesse?» demande anxieusement le vieux chef de la synagogue.
«Peux-tu croire que Dieu peut tout, et que d'un autre monde vient son pouvoir?»
«Oui, ó Seigneur. Je me rappelle un soir d'il y a plusieurs années. Alors, j'étais heureux, mais je
croyais, même dans la joie. Car c'est ainsi! L'homme, quand il est heureux, peut même oublier Dieu.
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Moi, je croyais en Dieu, même en ce temps joyeux où j'étais jeune et ma femme en
bonne santé et mon Elise grandissait, une jeune fille belle comme un palmier, qui était
déjà fiancée, et Elisée l'égalait en beauté et la surpassait en force comme il convient à
un homme... J'étais allé avec l'enfant aux sources qui sont près des vignes qui sont la
dot de Colombe, laissant ma femme et ma fille aux métiers sur lesquels se tissait le
trousseau nuptial... Mais peut-être je t'ennuie? Le malheureux songe, en se souvenant,
a sa joie passée... mais cela n'intéresse pas les autres...»
«Parle, parle!»
«J'étais allé avec 1'enfant... Les sources... Si tu es venu par la route à l'occident, tu sais où elles
sont... Les sources étaient à la limite du lieu béni, et en regardant, on voyait au-delà le désert et la
route blanche à cause des pierres romaines encore bien visibles alors dans les sables de Juda... Plus
tard... fini aussi ce signe! Et ce n’est rien qu'un signe se perde dans les sables! Mais c'est mal que se
soit effacé le signe de Dieu, envoyé pour te désigner, dans les esprits d'Israël. Dans trop d'esprits!
Mon garçon me dit: "Père, regarde! Une grande caravane, et des chevaux, et des chameaux, et des
serviteurs et des seigneurs, en direction d'Engaddi. Ils viennent peut-être aux sources avant la
tombée de la nuit..." Je levai les yeux des branches que je relevais et qui traînaient après la
vendange abondante, et je vis... Les hommes venaient bien aux sources. Ils descendirent et me
virent et ils me demandèrent s'ils pouvaient camper en cet endroit pour une nuit.
"Engaddi a des maisons hospitalières, et elle est toute proche" répondis-je.
"Non. Nous veillons pour être prêts à fuir, car Hérode nous recherche. D'ici, les sentinelles verront
toute la route et il sera facile d'échapper à ceux qui nous recherchent".
"Quel péché avez-vous commis?" demandai-je étonné et prêt à leur indiquer les cavernes de nos
montagnes, comme c'est pour nous une coutume sacrée à l'égard des persécutés. Et j'ajoutai: "Vous
êtes étrangers et de lieux différents... Je ne sais pas comment vous avez pu pécher contre Hérode..."
"Nous avons adoré le Messie qui est né à Bethléem de Juda et vers lequel nous a guidé l'étoile du
Seigneur. Hérode le cherche et donc il nous cherche pour que nous lui indiquions l'endroit où Il se
trouve. Et il le cherche pour le tuer. Nous, peut-être, nous trouverons la mort dans les déserts, sur
cette route longue et inconnue, mais nous ne dénoncerons pas le Saint descendu du Ciel!"
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Le Messie! Le rêve de tout véritable israélite! Mon rêve! Et Il était au monde! Et
Il était à Bethléem de Juda selon la prédiction!... Je demandai, en tenant mon garçon
sur mon coeur, des nouvelle et des nouvelles en disant: "Ecoute, Elisée! Rappelle-toi!
Toi, certainement tu le verras!" J'avais cinquante ans et je n'espérais plus le voir... et je
n'espérais pas vivre assez pour le voir homme... Elisée... ne peut plus l'adorer...»
Le vieillard pleure de nouveau, mais il se ressaisit et dit: «Les trois Sages parlèrent avec une
patiente douceur. Ils m'ont décrit ta sainte enfance, et la Mère, et le père... J'aurais passé la nuit avec
eux... Mais Elisée s'endormait sur mon sein. Je saluai les trois Sages en leur promettant de me taire
pour ne pas leur faire tort par des dénonciations possibles. Mais à Colombe, dans la chambre
nuptiale, je racontai tout, et ce fut le soleil au milieu des malheurs qui nous frappèrent ensuite.
Ensuite j'appris le massacre... et pendant des années, j'ai ignoré si tu étais sauf. Maintenant, je le
sais. Mais moi seulement, car Elise est morte, Elisée n’est plus, et Colombe ne peut entendre
l'heureuse nouvelle... Mais la foi dans le pouvoir de Dieu, déjà vive, est devenue parfaite depuis
cette soirée lointaine où trois hommes, de races différentes, ont témoigné de la puissance de Dieu,
par leur union d'âmes, grâce à l'étoile miraculeuse, sur le chemin de Dieu pour adorer son Verbe.»
«Et ta foi sera récompensée. Maintenant, écoutez.
Qu’est-ce que la foi? Elle est parfois pareille à une dure semence de palmier,
minuscule, formée d'une brève phrase: "Dieu existe", nourrie par une seule
affirmation: "Je l'ai vu". Ainsi il en a été de la foi d'Abraham en Moi, grâce aux
paroles des trois Sages d'Orient. Ainsi il en a été de la foi de notre peuple, depuis les
plus lointains patriarches, transmise d'une génération à l'autre, depuis Adam à sa
postérité, depuis Adam, pécheur, mais auquel on a cru quand il a dit: "Dieu existe, et
nous existons parce qu'Il nous a créés. Et moi, je l'ai connu". Ainsi il en a été de cette
foi, toujours plus parfaite car toujours plus manifestée, qui est venue par la suite, et
qui est pour nous un héritage, éclairé de manifestations divines, d'apparitions
angéliques, de lumières de l'Esprit. Semences toujours minuscules en comparaison de
l'Infini. Semences minuscules. Mais en mettant des racines, en fendant la dure écorce
de l'animalité avec ses doutes et ses tendances, en triomphant des herbes nuisibles des
passions, des péchés, des moisissures des dégradations, des vers rongeurs des vices,
de tout, elle s'élève dans les coeurs, grandit, s'élance vers le soleil, vers le ciel, s'élève,
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s'élève... jusqu'à se libérer des limites de la chair et se fondre en Dieu, dans sa
connaissance parfaite, dans sa possession complète, au-delà de la vie et de la mort,
dans la vraie Vie.
Celui qui possède la foi possède le chemin de la Vie. Celui qui sait croire n'erre
pas. Il voit, il reconnaît, il sert le Seigneur et il possède le salut éternel. Pour lui le
Décalogue est quelque chose de vital et tout ordre qui vient de lui est une perle dont
s'orne sa future couronne. Pour lui est le salut, la promesse du Rédempteur. Il est déjà
mort celui qui croyait avant que je ne vienne sur la Terre? Il n'importe. Sa foi le rend
égal à ceux qui maintenant s'approchent de Moi avec amour et foi. Les justes
trépassés seront bientôt dans la joie car leur foi va avoir sa récompense. Après avoir
accompli la volonté de mon Père, j'irai et je dirai: "Venez!" et tous ceux qui sont
morts dans la Foi monteront avec Moi dans le Royaume du Seigneur. Imitez dans la
foi les palmiers de votre terre, qui sont nés dune petite semence, mais avec une si forte
volonté de croître, et de pousser si droit, oublieux du sol, mais énamourés du soleil,
des astres, du ciel. Ayez foi en Moi. Sachez croire ce que trop peu croient en Israël, et
je vous promets la possession du Royaume céleste, par le pardon de la faute d'origine
et par la juste récompense pour tous ceux qui pratiquent ma doctrine qui est la très
douce perfection du parfait Décalogue de Dieu.
Je vais rester parmi vous aujourd'hui et demain, jour du sabbat sacré, et je partirai à l'aube du
lendemain du sabbat. Que celui qui est affligé vienne à Moi! Que celui qui doute vienne à Moi! Que
celui qui veut la Vie vienne à Moi! Sans crainte, car je suis la Miséricorde et l'Amour.»
Et Jésus fait un large geste de bénédiction pour congédier ses auditeurs afin qu'ils puissent aller au
repas du soir et au repos. Il va s'éloigner quand une petite vieille, jusqu'alors cachée dans le coin
d'une ruelle, fend la foule qui veut encore rester avec le Maître, et parmi les cris étonnés de cette
foule va s'agenouiller aux pieds de Jésus en criant: «Bénis sois-tu et le Très-Haut qui t'envoie! Et le
sein qui t'a engendré qui est plus qu'un sein de femme puisqu'elle a pu te porter Toi!»
Un cri d'homme se fond avec le sien: «Colombe! Colombe! Oh! Tu vois! Tu entends! Tu parles
avec sagesse en reconnaissant le Seigneur! Oh! Dieu! Dieu de mes pères! Dieu d'Abraham, Isaac et
Jacob! Dieu des prophètes! Dieu de Jean, le Prophète! Dieu! Mon Dieu! Fils du Père! Roi comme le
Père! Sauveur par obéissance au
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Père! Dieu comme le Père, et mon Dieu, Dieu de ton serviteur! Que to sois béni, aimé,
suivi, adoré éternellement!»
Et le vieux chef de la synagogue glisse à genoux, à côté de sa petite vieille, et
l'embrassant avec le bras gauche, la serrant contre son coeur, il se penche et la fait
pencher pour baiser les pieds du Sauveur, alors qu'un cri de joie de la foule toute
entière fait vibrer les troncs tant il est puissant et effraie les pigeons qui, déjà dans
leurs nids, prennent leur vol en tournant au-dessus d'Engaddi comme pour répandre
dans toute la ville la nouvelle que le Sauveur est dans ses murs.
81. GUERISON DU LEPREUX ELISEE D'ENGADDI

Ils doivent, peut-être sur le conseil des habitants d'Engaddi eux-mêmes, avoir
anticipé leur départ, car il est absolument nuit et la lune presque pleine éclaire la ville
d'une lumière très vive. Les ruelles sont des rubans d'argent au milieu des cubes des
maisons et les murailles des jardins, qui semblent avoir changé la chaux en marbre de
sculpteur par l'effet magique des rayons lunaires. Les palmiers et les autres arbres
prennent un aspect fantastique, enveloppés dans la phosphorescence de la lune. Les
sources et les petits ruisseaux sont des petites cascades et des colliers de diamants.
Dans les feuillages les rossignols défilent des colliers de notes, unissant leur chant
prodigieux au chant des eaux qui, dans la nuit, font entendre des sons plus nets.
La ville est endormie, mais il y a quelques personnes avec Jésus qui s'en va. Ce sont les hommes
des maisons qui logeaient Jésus et les apôtres, et quelques autres habitants qui se sont unis à eux. Le
chef de la synagogue marche à côté de Jésus. Oh! il ne veut pas renoncer à l'accompagner, même
quand Jésus le prie de le faire, avant d'entrer en pleine campagne.
Et ils s'en vont en direction de la route qui mène à Masada, pas la route basse qui côtoie la Mer
Morte et dont j'entends dire qu'elle est malsaine et dangereuse à parcourir de nuit, mais vers la route
intérieure taillée dans la côte, presque sur la cime des collines qui bordent le lac.
Elle est splendide l'oasis au clair de lune! On semble marcher dans un pays de rêve. Puis l'oasis, la
véritable oasis, cesse et les
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palmiers deviennent rares. C'est la montagne proprement dite avec ses arbres de haute
futaie, ses prés, ses flancs creusés de cavernes comme presque toutes les montagnes
de Palestine. Mais ici je dirais qu'elles sont en plus grand nombre, et leurs ouvertures
sont étranges, en longueur ou en largeur, les unes droites, d'autres de biais, certaines
rondes à mi-côte, d'autres qui sont une simple fissure, elles ont des aspects effrayants
au clair de lune.
«Abraham, la route est plus en bas. Pourquoi continues-tu de monter en
allongeant la route et en prenant ce sentier impraticable?» reproche quelqu'un
d'Engaddi.
«Parce que je dois montrer quelque chose au Messie et Lui demander de faire encore une chose en
plus des grands bienfaits qu'il nous a faits. Mais si vous êtes fatigués, retournez chez vous ou
attendez-moi ici. J'irai seul» dit le vieillard qui marche péniblement en haletant sur le sentier
difficile et abrupt.
«Oh! non! Nous venons avec toi. Mais ta fatigue nous fait peine. Tu es tout essoufflé...»
«Oh! ce n'est pas le sentier!... C'est autre chose! C'est une épée qui se retourne dans mon coeur...
c'est une espérance qui le gonfle. Venez, mes fils, et vous saurez quelle douleur, quelle douleur était
dans le coeur de celui qui consolait toutes vos douleurs! Quelle... non désespoir, cela non, mais...
résignation à ne plus espérer aucune joie à tout jamais, était dans le coeur de celui qui vous disait
toujours d'espérer en Dieu qui peut tout... Je vous ai appris à croire au Messie... Vous
souvenez-vous, quand je pouvais le faire désormais sans Lui causer du tort, comme je parlais de Lui
avec assurance? Vous disiez: "Mais le massacre d'Hérode?" Eh! oui! C'était une grande épine dans
le coeur! Mais je m'attachais de tout moi-méme à l'espérance... Je disais: "Si à ces trois, qui n'étaient
même pas d'Israël, Dieu a envoyé l'étoile pour les inviter à adorer le Messie enfant, s'Il les a guidés
par elle vers la pauvre maison qu'ignoraient les rabbins d'Israël, les princes des prêtres et les scribes,
si par un songe Il les a avertis de ne pas repasser chez Hérode, pour sauver l'Enfant, n'aura-t-Il pas,
en usant d'une puissance encore plus grande, averti le père et la Mère de s'enfuir, en emportant en
lieu sûr l'espérance de Dieu et de l'homme?"
Et la foi dans son salut grandissait, vainement attaquée par le doute humain et les paroles des
autres... Et quand... et quand la plus grande douleur que puisse avoir un père s'empara de moi...
quand je dus conduire à un tombeau un vivant... et lui dire... et lui
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dire... "Reste ici tant que durera ta vie... et pense que si l'amour des caresses
maternelles ou un autre motif te poussait vers les maisons, je devrais te maudire, te
frapper tout le premier, et te reléguer dans un endroit où mon amour désolé ne
pourrait même plus te secourir", quand je dus faire cela... je m'accrochai encore
davantage à la foi en Dieu, Sauveur de son Sauveur, et me dire à moi et à mon fils... à
mon fils lépreux... vous entendez? lépreux... dire... "Inclinons notre tête sous la
volonté du Seigneur et croyons en son Messie! Moi Abraham... toi Isaac, immolé par
le mal, non par le feu, offrons notre douleur pour avoir le miracle..." Et chaque mois, à
chaque nouvelle lune... en venant ici en cachette, chargé de nourriture... de
vêtements... d'amour... que je devais déposer loin de mon enfant... parce que je devais
retourner auprès de vous... mes fils... et auprès de mon épouse aveugle, de mon
épouse hébétée, rendue aveugle et hébétée par la terrible douleur... revenir à ma
maison où il n'y avait plus d'enfant... sans plus de paix d'un amour réciproque
conscient... à ma synagogue et y parler de Dieu, de ses grandeurs... de ses beautés
répandues dans la création... et j'avais dans les yeux la vue de mon garçon rongé par le
mal... et je ne pouvais même pas le défendre quand j'entendais des médisances
offensantes pour lui, le présentant comme un ingrat, comme un criminel enfui de la
maison... et chaque mois je disais, en faisant ce pèlerinage d'un père au tombeau de
son fils vivant, à lui, pour soutenir son coeur, je répétais: "Le Messie existe. Il
viendra. Il te guérira..."
L'an dernier, au moment de la Pâque à Jérusalem, je te cherchais dans le court
espace de temps où je restais loin de mon épouse aveugle et on me dit: "Il existe
vraiment. Il était là hier. Il a guéri même des lépreux. Il fait le tour de la Palestine, en
guérissant, en consolant, en instruisant". Oh! je revins si vite que je ressemblais à un
jeune homme qui va aux noces! Je ne me suis pas même arrêté à Engaddi, mais je suis
venu ici, et j'ai appelé mon enfant, mon garçon, ma race qui meurt, en lui disant: "Il va
venir!"
Seigneur... Tu as fait toutes sortes de biens dans notre ville. Tu pars sans laisser quelqu'un qui soit
encore malade... Tu y as béni jusqu'aux arbres et aux animaux... Et tu ne voudrais pas... Tu as déjà
guéri mon épouse... mais tu n'aurais pas pitié du fruit de ses entrailles?... Un fils pour la mère!
Rends un fils à la mère, Toi, le Fils parfait de la Mère de toute grâce! Au nom de ta Mère, aie pitié
de moi, de nous!...»
Tout le monde pleure avec le vieillard, dont les paroles étaient
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émouvantes et déchirantes...
Jésus le prend dans ses bras pendant qu'il sanglote et il lui dit: «Ne pleure plus!
Allons trouver ton Elisée. Ta foi, ta justice, ton espérance, méritent cela et davantage.
Ne pleure pas, ô père! Et ne tardons pas davantage pour délivrer de l'horreur une
créature.»
«La lune descend, le sentier est difficile. Ne pourrions-nous pas attendre l'aurore?» disent certains.
«Non. Les plantes résineuses sont nombreuses autour de nous. Cueillez-en des branches,
allumez-les, et allons» ordonne Jésus.
Ils montent encore par un sentier étroit et difficile. On dirait le lit desséché de quelque cours d'eau
temporaire. Les torches crépitent fumeuses et rougeâtres en répandant dans l’air une forte odeur de
résine.
Une caverne à l'ouverture étroite, presque cachée par des pousses plantureuses qui sont nées près
des bords d'une source, se montre au-delà d'un étroit plateau coupé en son milieu par une crevasse
où se déverse la source.
«C'est là que se trouve Elisée, depuis des années... dans l'attente de la mort ou de la grâce de
Dieu...» dit le vieil homme à voix basse, en montrant la caverne.
«Appelle ton enfant, encourage-le. Qu'il n'ait pas peur, mais qu'il ait foi.»
Abraham appelle à haute voix: «Elisée! Elisée! Mon fils!» et il répète le cri, tremblant de peur à
cause du silence qui seul lui répond.
«Il est mort, peut-être?» disent certains.
«Non! Mort, maintenant, non! Au terme de sa torture! Sans une joie, non! Oh! mon garçon!» gémit
le père...
«Ne pleure pas. Appelle encore.»
«Elisée! Elisée! Pourquoi ne réponds-tu pas au...»
«Père! Mon père! Pourquoi viens-tu en dehors du temps habituel? Peut-être ma mère est morte, et tu
viens pour...» la voix, d'abord lointaine, s'est rapprochée, et un spectre écarte les branches qui
ferment l'entrée. Un spectre horrible, un squelette, à moitié nu, rongé par la lèpre... Voyant tant de
gens avec des flambeaux et des bâtons, il s'imagine je ne sais quoi, et il recule en criant: «Père,
pourquoi m'as-tu trahi? Je ne suis jamais sorti d'ici... Pourquoi amènes-tu des gens pour me
lapider?!» La voix s'est éloignée et de l'apparition il ne reste comme souvenir que des branches qui
remuent.
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«Encourage-le! Dis-lui que le Sauveur est ici» incite Jésus.
Mais l'homme n'a plus la force... Il pleure désolé...
C'est Jésus qui parle: «Fils d'Abraham et du Père des Cieux, écoute. Il s'accomplit ce que ton juste
père te prophétisait. Le Sauveur est ici, et avec Lui il y a tes amis d'Engaddi et les apôtres du
Messie, venus pour jouir de ta résurrection. Viens sans peur! Avance jusqu'à la crevasse, et Moi
aussi je viendrai et je te toucherai et tu seras purifié. Viens sans peur au Seigneur qui t'aime!»
Les branches s'écartent de nouveau et le lépreux apeuré regarde au dehors. Il regarde Jésus, forme
blanche qui marche sur les herbes du plateau, et qui s'arrête devant la crevasse... Il regarde les
autres... et en particulier son vieux père qui comme fasciné suit Jésus, les bras tendus, le regard fixé
sur le visage du fils lépreux. Il avance, rassuré. Il boite fortement à cause des plaies de ses pieds... il
tend les bras avec ses mains corrodées... Il vient en face de Jésus... Il le regarde... Jésus tend ses
mains très belles, lève les yeux au ciel, rassemble, paraît rassembler en Lui toute la lumière des
étoiles innombrables et en rayonner la splendeur très pure sur les chairs impures, pourries, tombant
en lambeaux, que les flambeaux agités pour qu'ils donnent plus de lumière font apparaître encore
plus horribles dans la lumière rouge des branches allumées.
Jésus se penche sur la crevasse, touche avec l'extrémité de ses doigts l'extrémité des doigts lépreux
et il dit: «Je veux!» et il le dit avec un sourire d'une beauté qu'on ne peut décrire. Il répète: «Je
veux!» deux autres fois. Il prie et commande par cette parole...
Puis il se sépare, recule d'un pas, en ouvrant les bras en croix et il dit: «Quand tu seras purifié,
prêche le Seigneur car c'est à Lui que tu appartiens. Rappelle-toi que Dieu t'a aimé parce que to as
été un bon israélite et un bon fils. Aie une épouse et des enfants et fais-les grandir pour le Seigneur.
Voici qu'est anéantie ta très amère amertume. Bénis-en Dieu et sois bienheureux!»
Puis il se retourne et dit: «Vous, avec vos torches, avancez et voyez ce que peut le Seigneur pour
ceux qui le méritent.»
Il abaisse les bras qui, ainsi ouverts et enveloppés par son manteau, empêchaient de voir le lépreux,
et il s'écarte.
Le premier cri est celui du vieillard, agenouillé derrière Jésus: «Fils! Fils! Fils tel que tu étais à
vingt ans! Beau comme alors! Sain comme alors! Beau, oh! beau plus qu'alors!... Oh! une table, une
branche, quelque chose pour arriver jusqu'à toi!» et il va s'élancer.
Mais Jésus le retient: «Non! Que la joie ne te fasse pas violer la Loi. Il faut d'abord qu'il se purifie!
Regarde-le! Baise-le avec les
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yeux et le coeur, sois fort maintenant comme tu l'as été pendant tant d'années. Et sois
heureux...»
En fait c'est un miracle complet. Ce n'est pas seulement une guérison mais une
reconstitution de ce que le mal avait détruit, et l'homme, d'environ quarante ans, est
intact comme s'il n'avait jamais rien eu. Il reste seulement d'une grande maigreur qui
lui donne un aspect ascétique d'une beauté peu commune et surnaturelle. Et il agite les
bras, s'agenouille, bénit... ne sait que faire pour dire à Jésus qu'il le remercie. Enfin il
voit des fleurs dans l'herbe, les cueille, les baise et les jette au-delà de la crevasse aux
pie du Sauveur.
«Allons! Vous d'Engaddi, restez avec le chef de votre synagogue. Nous nous
continuons vers Masada.»
«Mais vous ne savez pas... Vous n'y voyez pas...»
«Je connais, je connais le chemin. Je connais tout! Et les chemins de la Terre, et ceux des coeurs par
lesquels passe Dieu et l'Ennemi de Dieu, et je vois qui accueille l'Un ou l'Autre. Demeurez!
Demeurez avec ma paix! D'ailleurs le jour va vite arriver et, avec des branches allumées, nous nous
éclairerons jusqu'à l'aube. Abraham, viens, que je te donne le baiser d'adieu. Que le Seigneur soit
toujours avec toi comme Il l'a été jusqu'à présent, et avec les tiens, et avec ta bonne ville.»
«Tu n'y reviendras plus, Seigneur? Pour voir ma maison heureuse?»
«Non. Mon chemin va arriver à sa destination. Mais au Ciel tu seras avec Moi et les tiens avec toi.
Aimez-vous et faites grandir les petits dans la foi au Christ... Adieu à tous. Paix et bénédiction à
tous ceux qui sont présents et à leurs familles. Paix à toi, Elisée. Sois parfait par reconnaissance
pour le Seigneur. Venez, vous, mes apôtres...»
Et il se met en tête de la petite troupe qui lève des branches allumées, et il avance, et il contourne un
rocher qui fait saillie, puis il disparaît avec son vêtement blanc, et les apôtres disparaissent l'un
après l'autre, le bruit de leurs pas s'éloigne, la flamme rouge des branches enflammées s'efface...
Il reste sur le plateau le père et le fils assis au bord de la crevasse se contemplant l'un l'autre... Et par
derrière, en groupe, avec des murmures admiratifs, ceux d'Engaddi... Ils attendent l'aube pour
retourner à la ville avec la nouvelle de la prodigieuse guérison.
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82. A MASADA

Ils sont en train de monter par un sentier de chèvre vers une ville qui semble un
nid d'aigle sur un sommet alpin. Ils y arrivent avec beaucoup de difficultés, en allant
de l'occident vers l'orient, en tournant le dos à une chaîne ininterrompue de montagnes
qui font déjà partie de l'ensemble montagneux de la Judée. Par une avancée puissante,
semblable au contrefort d'une muraille colossale, elle s'avance vers la Mer Morte à
son extrémité occidentale, c'est-à-dire vers l'extrémité sud de la Mer Morte. C'est
vraiment un pic élevé, solitaire, escarpé, tels que les aiment les aigles pour leurs
amours royales, dédaigneux des témoins et de toute société.
«Quel chemin, mon Dieu!» gémit Pierre.
«Pire encore que celui de Jiphtaël» confirme Mathieu.
«Cependant, ici il ne pleut pas, il n'y a pas d'humidité, on ne glisse pas. C'est déjà quelque chose...»
observe Jude Thaddée.
«Hé! oui! C'est une consolation... Mais il n'y a pas que cela. Pas de danger que les ennemis te
prennent! Si un tremblement de terre ne te fait pas écrouler, ce n'est pas l'homme qui peut te faire
tomber!» dit Pierre en parlant à la cité-forteresse, resserrée dans l'anneau étroit de ses deux
défenses, avec ses maisons tassées, serrées l’une contre l'autre comme les grains d'une grenade dans
l'écrin de sa peau épaisse.
«Tu le crois, Pierre?» demande Jésus.
«Si je le crois? Je le vois! Et c'est davantage!»
Jésus hoche la tête et ne réplique rien.
«Peut-être il aurait mieux valu venir du côté de la mer. S'il y avait eu Simon... lui connaît ces
parages» soupire Barthélemy qui n'en peut plus.
«Quand nous serons dans la ville et que vous verrez l'autre chemin, vous me remercierez d'avoir
choisi celui-là. D'ici, avec difficulté, un homme peut monter. Sur l'autre sentier une chèvre y
parvient difficilement» répond Jésus.
«Comment le sais-tu? Quelqu'un t'en a-t-il parlé, ou bien?...»
«Je le sais. Et d'ailleurs c'est de ce côté que se trouve la bru d'Ananias. Je veux, tout d'abord, lui
parler.»
«Maître... il n'y aura pas des dangers là-haut?... C'est que... d'ici on ne peut sortir rapidement, et s'ils
nous poursuivent... on ne revient plus à la maison. Regarde quels précipices et quelles pierres
tranchantes!...» dit Thomas.
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«N'ayez pas peur. Nous n'allons pas trouver une Engaddi. Des Engaddi, il y en a
bien peu en Israël, mais il ne nous arrivera rien de mal.»
«C'est que... tu sais que c'est une forteresse d'Hérode?...»
«Eh bien? Ne crains pas, Thomas! Tant que ce n’est pas l'heure, rien n’arrive de vraiment grave.»
Ils vont, ils vont et ils arrivent près des murs à l'aspect peu engageant alors que le soleil est
maintenant très haut, mais l'altitude tempère la chaleur.
Ils entrent dans la cité en passant sous l'arceau d'une porte étroite, sombre. Les murs des bastions
sont puissants avec des tours épaisses et des percées de meurtrières.
«Quel piège à gibier!» dit Mathieu.
«Moi, je pense à ces malheureux qui ont transporté ici ces matériaux, ces blocs, ces plaques de
fer...» dit Jacques d'Alphée.
«L'amour saint de la patrie et de l'indépendance ont rendu légers les fardeaux aux hommes de
Jonathas Maccabée. L'amour pervers de soi-même et la terreur de la colère du peuple a imposé un
joug pesant, non à des sujets mais à des gens devenus pires que des esclaves, par la volonté
d'Hérode le Grand. Et baptisée dans le sang et les larmes, elle périra dans le sang et les larmes
quand ce sera l'heure de la punition divine.»
«Mais, Maître, les habitants y sont-ils pour quelque chose?»
«Pour rien et pour tout. Quand les sujets rivalisent avec les chefs pour les fautes ou les bonnes
actions, ils partagent leurs récompenses ou leurs châtiments. Mais voici la maison qui est la
troisième de la seconde rue et avec le puits par devant. Allons...»
Jésus frappe à la porte fermée d'une maison haute et étroite. Un enfant Lui ouvre.
«Es-tu parent d'Ananias?»
«Je porte son nom, car c'est le père de mon père.»
«Appelle to mère. Dis-lui que je viens du pays où se trouve Ananias et le tombeau de son époux
défunt.»
L'enfant va et revient. «Elle a dit qu'il ne lui importe pas d'avoir des nouvelles du vieillard. Que tu
peux t’en aller.»
Jésus prend un visage très sévère. «Je ne partirai qu'après lui avoir parlé. Enfant, va et dis-lui que
Jésus de Nazareth, auquel croyait son mari, est ici, et qu'il veut lui parler. Dis-lui qu'elle ne craigne
pas. Le vieil homme n’est pas ici...»
Le garçon va de nouveau. L'attente est longue. Des gens se sont arrêtés pour observer et certains
interrogent les disciples. Mais
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l'ambiance est dure, ou indifférente, ou ironique... Les apôtres essaient d'être polis
mais sont visiblement impressionnés. Et ils le sont davantage quand surviennent des
notables et des gens armés, les uns et les autres avec des visages... de galériens qui ne
donnent guère confiance.
Jésus sur le seuil, adossé au chambranle, les bras croisés, attend patient, absorbé.
Finalement voilà la femme. Grande, brune, l'oeil dur, le profil accentué, elle n’est pas laide ni
vieille, mais son expression la rend vieille et laide. «Que veux-tu? Fais vite, j'ai à faire» dit-elle
avec hauteur.
«Je ne veux rien, rien. Rassure-toi. Je t’apporte seulement le pardon d'Ananias, son affection, sa
prière...»
«Je ne le reprends pas. Inutile de prier. Je ne veux pas de vieux pleurnicheurs. Tout est fini entre
nous. Du reste, je vais bientôt me remarier et je ne puis imposer à la maison d'un riche ce grossier
paysan. J’en ai eu assez de l'erreur d'avoir accepté d'épouser son fils! Mais alors j'étais une sotte
fille et je ne regardais qu'à la beauté de l'homme. Malheur à moi! Malheur à moi! Qu'il soit maudit
le motif qui l'a mis sur mon chemin! Soit anathème même le souvenir de...» on dirait une machine...
«Assez! Respecte les vivants et les morts que tu ne méritais pas d'avoir, femme plus aride qu'un
silex. Malheur à toi! Oui! Malheur! Car en toi il n'y a pas d'amour du prochain et donc Satan est en
toi. Mais tremble, ô femme! Tremble que les larmes du vieillard, que celles de ton époux, que
certainement tu as accablé par ton manque d'amour, ne deviennent une pluie de feu sur ce qui t’est
cher! Tu as des enfants, ô femme!...»
«Des enfants! Ah! si je pouvais ne pas en avoir! Même le dernier lien serait rompu! Et du reste, je
ne veux rien entendre. Je ne veux pas t'écouter. Va-t-en! Je suis dans ma maison, dans la maison de
mon frère. Je ne te connais pas. Je ne veux pas me rappeler le vieillard. Non...» elle crie comme une
pie plumée toute vivante. C'est une véritable harpie...
«Gare à toi!» dit Jésus.
«Tu me menaces?»
«Je te rappelle à Dieu, à sa Loi, par pitié pour ton âme. Quels enfants veux-tu élever avec ces
sentiments? Ne crains-tu pas le jugement de Dieu?»
«Oh! assez! Saül, va appeler mon frère et dis-lui qu'il vienne avec Jonathas. Je te ferai voir! A
Toi...»
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«Oh! pas besoin. Ton âme ne sera pas forcée par Dieu. Adieu.»
Et Jésus s'en va à travers les gens. La rue est étroite entre les hautes maisons. Mais la ville, faite
pour la défense, a le coeur de cette même défense dans sa partie orientale, là où tout surplombe sur
des centaines de mètres et où l'étroit ruban d'un sentier qui serpente, d'une rapidité vraiment
impressionnante, monte de la plaine, des rives de la mer, vers le sommet du pic.
C'est justement là que Jésus va, là où il y a une petite place pour les machines de guerre. Il
commence à parler en répétant une nouvelle fois son invitation au Royaume des Cieux dont il donne
les lignes schématiques. Il va les développer quand, se frayant un chemin dans la petite foule plus
curieuse que croyante, s'avancent des notables qui discutent entre eux. A peine sont-ils en face de
Jésus, que parlant confusément tous ensemble d'accord seulement dans l'intention de chasser Jésus,
ils Lui ordonnent: «Va-t-en! Ici, il y a assez de nous pour éduquer les fils d'Israël.»
«Va-t-en! Nos femmes n'ont pas besoin de recevoir des reproches de Toi, galiléen!»
«Va-t-en, offenseur! Comment te permets-tu d'offenser la femme d'un hérodien, dans une des villes
préférées du grand Hérode? Usurpateur, dès ta naissance, de ses droits souverains! Hors d'ici!»
Jésus les regarde, spécialement ces derniers, et leur dit un seul mot: «Hypocrites!»
«Va-t-en! Va-t-en!»
C'est un vrai tumulte de voix discordantes. Chacun pour son compte accuse ou défend sa caste. On
ne comprend plus rien. Sur l'étroite petite place, des femmes crient et s'évanouissent, des enfants
pleurent, des hommes armés cherchent à se frayer un chemin en descendant de la forteresse
proprement dite. Ce faisant, ils blessent des gens entassés sur la place qui réagissent en lançant des
imprécations contre Hérode et ses soldats, contre le Messie et ceux qui le suivent. Un beau
vacarme! Les apôtres, serrés autour de Jésus, les seuls qui le défendent plus ou moins
courageusement, crient à leur tour des injures salées, et il y en a pour tous.
Jésus les appelle en disant: «Sortons d'ici. Faisons le tour par derrière la ville et nous nous en
irons...»
«Et pour toujours, tu sais? Et pour toujours!» crie Pierre rouge de colère.
«Oui, pour toujours...»
Ils défilent, l'un derrière l'autre, et le dernier, malgré les instances des siens, c'est Jésus. Les gardes,
tout en plaisantant le «pro-
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phète éconduit» comme ils disent en faisant des plaisanteries de toutes sortes, ont
assez de bon sens pour se hâter de fermer la porte des remparts et de s'y adosser, leurs
armes tournées vers la place.
Jésus avance par un étroit sentier qui côtoie les murs, un sentier large de deux
palmes, et dessous c'est le vide, la mort. Les apôtres le suivent en évitant de regarder
l'abîme effrayant.
Les voilà de nouveau devant la porte par laquelle ils sont entrés. Jésus, sans s'arrêter, commence la
descente. La cité a aussi fermé la porte de ce côté...
A plusieurs mètres de la ville, Jésus s'arrête et pose la main sur l'épaule de Pierre qui dit en essuyant
sa sueur: «Nous l'avons échappée belle! Maudite ville! Et maudite femme! Oh! pauvre Ananias!
Elle est pire que ma belle-mère!... Quel serpent!»
«Oui, elle a le coeur froid des serpents... Simon de Jonas, qu'en dis-tu? Malgré toutes ses défenses,
cette ville te paraît-elle sûre?»
«Non, Seigneur. Elle n'a pas Dieu en elle. Je dis qu'elle aura le même sort que Sodome et
Gomorrhe.»
«Tu as bien parlé, Simon de Jonas! Elle est en train d'amonceler contre elle les foudres de la colère
divine. Et ce n'est pas tant pour m'avoir chassé que parce que, en elle, le Décalogue est violé en tous
ses commandements. Allons maintenant. Une grotte nous accueillera dans son ombre fraîche en ces
heures de soleil. Et au crépuscule nous irons vers Kériot tant que la lune le permettra...»
«Mon Maître!» gémit Jean dans un sanglot inattendu.
«Mais qu'as-tu?» demandent tous les autres.
Jean ne s'explique pas. Il pleure en cachant son visage dans ses mains, un peu penché... Il semble
déjà le Jean torturé de la journée de la Passion...
«Ne pleure pas! Viens ici... Nous avons encore de douces heures devant nous» dit Jésus en l'attirant
à Lui. Cela console son coeur mais fait couler des larmes plus abondantes.
«Oh! Maître! Mon Maître! Comment ferai-je?! Comment ferai-je?!»
«Mais pour quoi, frère?»
«Pour quoi, ami?» demandent Jacques et les autres.
Jean hésite à parler, puis, levant son visage et jetant ses bras au cou de Jésus et l'obligeant à se
pencher vers son visage bouleversé, il crie et répond à Jésus au lieu de répondre à ceux qui
l'interrogent: «Pour te voir mourir!»
«Dieu te secourra, toi qui es son enfant bien-aimé! Son aide ne te
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manquera pas. Ne pleure plus. Allons! Allons...» et Jésus marche en tenant par la
main l'apôtre aveuglé par les larmes...

83. A LA MAISON DE CAMPAGNE


DE MARIE, MERE DE JUDAS

Ils arrivent à la maison de campagne de Judas en une fraîche et radieuse matinée.


Les pommiers sont humides de rosée et à leurs pieds l'herbe n'est qu'un tapis de fleurs
sur lequel bourdonnent les abeilles. Les fenêtres de la maison sont déjà grandes
ouvertes. Celle qui la dirige, la femme forte qui tempère son autorité par une grande
douceur, est en train de donner des ordres aux serviteurs et aux paysans et, de sa main,
elle distribue la nourriture avant d'envoyer chacun à son travail. Par la large porte
grande ouverte de la vaste cuisine, on la voit passer et repasser dans son vêtement
foncé, parlant avec l'un ou l'autre, faisant les parts selon les besoins du travailleur.
Une troupe de colombes attendent, en roucoulant, devant la porte, d'avoir elles aussi
leur part.
Jésus s'avance en souriant, et il est presque sur le pas de la porte quand, un sachet de graines dans
les mains, Marie de Simon se présente en disant: «Et maintenant à vous, les colombes. Voici le
premier repas, puis allez heureuses, au soleil, pour louer Dieu. Du calme! Il y en a pour toutes sans
qu'il soit nécessaire de vous donner des coups de bec...» Et elle répand le grain, en le jetant en tous
sens pour empêcher des rixes violentes entre les colombes avides. Elle ne voit pas Jésus parce
qu'elle a la tête baissée et qu'elle se penche aussi pour caresser des volatiles qui lui becquettent les
doigts des pieds par affection. Marie en prend une dans ses mains et la caresse, puis elle la dépose et
soupire.
Jésus fait un pas en avant et il dit: «La paix à toi, Marie, et à ta maison!»
«Le Maître!» s'écrie la femme en laissant tomber le sachet de graines qu'elle tenait sous son bras, et
elle court à la rencontre de Jésus en faisant fuir les colombes qui pourtant se posent de nouveau sur
le sol et travaillent avec acharnement après la ficelle du sachet pour la défaire, après la toile pour la
déchirer et satisfaire leur voracité. «Oh! Seigneur! Quel jour saint et heureux!» et elle va
s'agenouiller pour baiser les pieds de Jésus.
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Mais Lui l’en empêche en disant: «Les mères de mes apôtres et les israélites
saintes ne doivent pas s'humilier comme des esclaves en ma présence. Elles m'ont
donné leur esprit fidèle et leur fils. Je leur donne à elles un amour de prédilection.»
La mère de Judas, émue, Lui baise alors les mains en murmurant: «Merci, Seigneur!»
Puis elle lève la tête et regarde le petit groupe des apôtres qui s'est arrêté aux derniers arbres et,
étonnée de ne pas voir son fils venir à sa rencontre, elle observe plus attentivement le groupe. La
peur fait pâlir son visage. C'est presque en criant qu'elle demande: «Mon fils, où est-il?» et elle
regarde Jésus, craintive et angoissée.
«Ne crains pas, Marie. Je l'ai envoyé avec Simon le Zélote chez Lazare pour une mission. Si j'avais
pu m'arrêter à Masada autant que je l'avais décidé, je l'aurais trouvé ici. Mais je n'ai pas pu
m'arrêter. La ville, hostile, m'a chassé. Et je suis venu ici avec empressement pour trouver du
réconfort auprès d'une mère et pour lui donner le réconfort de savoir que son fils sert le Seigneur»
dit Jésus en appuyant sur les derniers mots pour leur donner plus de poids.
Marie est comme une fleur fanée qui recouvre sa fraîcheur. Les couleurs reviennent sur ses joues, la
lumière revient dans son regard. Elle demande: «Vraiment, Seigneur? Il est bon? Il te rend heureux?
Oui? Oh! joie! Joie du coeur de la mère! J'ai tant prié! Tant! J'ai fait tant d'aumônes! Tant! Et de
pénitences... tant... Et que ne ferais-je pour faire de mon fils un saint? Merci, Seigneur! Merci de
tant l'aimer! Car c'est ton amour qui le sauve, mon Judas...
«Oui. C'est "notre" amour qui le... soutient...»
«Notre amour! Comme tu es bon, Seigneur! Mettre mon pauvre amour tout
proche, uni au tien qui est divin!... Oh! quelle parole tu m'as dite! Quelle sécurité!
Quel réconfort et quelle paix tu me donnes avec elle! Tant qu'il n'y avait que mon
pauvre amour, Judas pouvait en tirer peu de profit. Mais Toi, avec ton pardon... car tu
les connais ses fautes, Toi, avec ton amour infini qui semble croître dans la mesure où
il en a besoin après une faute, oh! Toi... mon Judas se vaincra lui-même enfin, pour
toujours, n’est-ce pas, Maître?» La femme le regarde fixement, de ses yeux sérieux et
profonds, les mains jointes en prière.
Jésus... oh! Jésus qui ne peut lui dire oui et qui ne veut pas lui refuser cette heure de paix, qui
dissipe ses craintes, trouve une parole qui n’est pas un mensonge, qui n’est pas une promesse, mais
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que la femme peut accueillir avec soulagement. Il dit: «Sa bonne volonté, jointe à
notre amour, peut faire de vrais miracles, Marie. Aie la paix dans le coeur en pensant
toujours que Dieu t'aime. Beaucoup. Qu'Il te comprend. Beaucoup. Et qu'Il te sera
ami, toujours.»
Marie baise de nouveau ses mains pour le remercier et puis elle dit: «Entre alors
dans ma maison en attendant Judas. Ici, il y a amour et paix, Maître béni.»
Jésus, après avoir appelé les siens, entre dans la maison pour se restaurer et se reposer.

C'est le soir. La nuit descend lentement sur la campagne. Les bruits cessent un à
un et il ne reste que le vent léger dans les feuillages pour mettre une voix dans le
silence. Puis voilà le premier grillon dans les moissons mûres des champs. Un autre...
un autre. Et toute la campagne stridule en un chant monotone... jusqu'à ce qu'un
rossignol lance aux étoiles son premier chant interrogatif... se tait, écoute et puis
reprend. Il se tait de nouveau... Qu'attend-il?... Peut-être le premier rayon de lune?... Il
chuchote doucement, il doit s'être posé sur le noyer touffu près de la maison où il doit
y avoir son nid. Il semble parler avec sa compagne qui peut-être est en train de
couver... Un bêlement insistant à peu de distance. Un bruit de sonnailles sur le chemin
qui mène à Kériot. Puis le silence.
Jésus est assis près de Marie, ils sont sur des sièges placés devant la maison. Il repose
tranquillement parmi les siens et les gens de la maison. L'heure est douce, tranquille. Les corps et
les esprits en sont soulagés. Jésus parle peu, par intervalles. Il laisse les apôtres parler d'Engaddi, du
vieux chef de la synagogue, du miracle. Marie et les serviteurs écoutent attentivement.
Quelque chose remue parmi les pommiers. Mais si ici, sur la petite place qui est devant la maison,
on voit encore un peu grâce aux claires étoiles qui fourmillent dans le ciel, là-bas sous les feuillages
touffus il n'y a pas du tout de lumière et seul le bruit de quelque chose qui remue arrive à l'oreille.
«Quelque animal nocturne? Quelque brebis perdue?» se demandent plusieurs. Et le souvenir de la
brebis ramène à la pensée de plusieurs la brebis qui se lamente parce qu'on lui a enlevé son agneau
pour le tuer.
«Elle ne peut se consoler, cette béte!» dit l'intendant. «Je crains qu'elle ne se fasse tourner le lait.
Depuis ce matin elle ne mange
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pas et elle bêle, elle bêle... Ecoutez-la!...»
«Cela lui passera... Elles ont des petits pour que l'on mange l'agneau» dit
philosophiquement un serviteur.
«Mais elles ne sont pas toutes pareilles. Celle-ci est moins sotte et elle souffre davantage. Tu
entends? On dirait qu'elle pleure. Ne dis pas que je suis sotte, Maître... Cela me peine comme si
c'était les pleurs d'une femme qui a perdu son fils...»
«Mais au contraire, ô mère, toi tu le trouves ton fils!» dit Judas de Kériot en apparaissant par
derrière, avec Simon et en faisant sursauter tout le monde par l'effet de surprise.
«Maître! Ta bénédiction au retour comme tu nous l'a donnée au départ.»
«Oui, Judas» et Jésus embrasse les deux apôtres de retour.
«La tienne, maman...» Marie aussi embrasse son fils.
«Nous ne pensions pas te trouver déjà ici, Maître. Nous avons marché presque sans arrêt, et le plus
souvent par des raccourcis pour éviter d'être retenus. Mais nous avons rencontré des disciples et
nous avons avisé Jeanne et Elise qu'elles nous verront bientôt» explique Simon.
«Oui. Et Simon marchait comme un jeune homme. Maître, nous avons porté le message. Lazare est
très mal. La chaleur le fait souffrir encore plus. Il est conseillé d'aller au plus tôt chez lui... Maître,
sauf à l'Antonia, où je suis allé pour faire plaisir à Egla qui avant de partir pour Jéricho voulait
remercier Claudia, je ne suis allé nulle part. N’est-ce pas, Simon?»
«C'est vrai. Et à l'Antonia nous y sommes allés à l’heure de sexte, en une journée de chaleur
étouffante qui conseillait à tout le monde de rester à la maison. Pendant que Judas parlait avec
Claudia, qu'Albula Domitilla avait appelée au jardin, j'ai été interrogé par d'autres femmes. Je ne
crois pas avoir mal fait en expliquant comme je pouvais ce qu'elles voulaient savoir.»
«Tu as bien fait. Il y a en elles une vraie volonté de connaître la Vérité.»
«Et en Claudia il y a une vraie volonté de t'aider. Elle a congédié Egla, qui est allée saluer Plautina
et les autres, et elle m'a posé plusieurs questions. Si j'ai bien compris, elle veut persuader Ponce de
ne pas croire aux calomnies des pharisiens, sadducéens et autres. Ponce se fie jusqu'à un certain
point à ses centurions, bons pour la bataille mais très peu pour les rapports. Et il se sert beaucoup de
son épouse qui doit être intelligente et même astucieuse pour avoir des informations sûres. En vérité
le Proconsul c'est Claudia. Lui
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doit être une nullité qui garde sa situation parce qu'il y a elle comme puissance et
comme conseillère. Elles ont voulu donner de l'argent pour tes pauvres: le voilà.»
«Quand êtes-vous arrivés? Vous ne paraissez pas fatigués ni couverts de
poussière» demande Jacques de Zébédée.
«Entre tierce et sexte. Nous sommes allés à Kériot pour voir si ma mère y était et pour la prévenir
de ton arrivée. Mais j'ai été comme tu le veux, Maître. Je ne me suis pas laissé tenter par des désirs
humains. N’est-ce pas, Simon?»
«C'est vrai.»
«Tu as bien fait. Obéis toujours et tu te sauveras.»
«Oui, Maître. Oh! maintenant que je sais que Claudia est avec nous, je n'ai plus
mes sottes hâtes! Toutes amour, cependant. Tu dois en convenir. Amour désordonné...
Désordonné parce qu'il se sentait sans protection, sans aide pour atteindre le but, qui
est de te faire aimer, respecter, comme tu le mérites, comme ce doit être. Maintenant
je suis plus calme. Je ne crains plus, et il m'est doux même d'attendre...» Judas rêve
les yeux ouverts.
«Ne t'abandonne pas aux rêves, Judas. Reste dans la vérité. Je suis la Lumière du
monde, et la lumière sera toujours odieuse aux ténèbres...» dit Jésus pour l'avertir.
La lune s'est levée. Sa blancheur baigne la campagne, rend les visages pâles, argente les maisons et
les arbres. Le noyer en est tout enveloppé à l'orient. Le rossignol accueille l'invitation de la lune et il
élève un chant, prolongé, mélodieux, qu'il tenait en réserve, pour saluer la nuit et la lune.

84. ADIEU A KERIOT

Jésus parle à l'intérieur de la synagogue de Kériot, invraisemblablement bondée.


Il est en train de répondre à tels ou tels qui Lui demandent conseil sur des questions
personnelles, en particulier. Puis, après les avoir satisfaits, il commence à parler à
haute voix.
«Gens de Kériot, écoutez ma parabole d'adieu. Nous lui donnerons ce nom: "Les deux volontés".
Un père parfait avait deux fils, aimés tous les deux d'un même et sage amour, tous les deux engagés
sur de bons chemins. Aucune différence dans la manière de les aimer et de les diriger. Et pourtant il
y avait une différence sensible entre les deux fils.
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L'un, l'aîné, était humble, obéissant, il faisait sans discuter la volonté paternelle,
toujours gai et content de son travail.
L'autre, bien que moins âgé, était souvent mécontent, et il avait des discussions
avec son père et avec son propre moi. Il ne cessait de réfléchir, de faire des réflexions
très humaines sur les conseils et les ordres qu'il recevait. Au lieu de les exécuter
comme ils lui étaient donnés, il se permettait de les modifier en tout ou en partie
comme si celui qui commandait était un imbécile. L'aîné lui disait: "N'agis pas ainsi.
Tu peines le père!" Mais lui répondait: "Tu es un sot. Grand et gros comme tu es, et
en plus l'aîné, adulte désormais, oh! moi, je ne voudrais pas en rester au rang où le
père t'a mis. Mais je voudrais faire davantage: m'imposer aux serviteurs. Qu'ils
comprennent que c'est moi le maître. Tu sembles un serviteur toi aussi, avec ta
perpétuelle douceur. Tu ne vois pas comme, au fond, tu passes inaperçu, malgré ta
qualité d'aîné? Certains vont jusqu'à se moquer de toi..." Le cadet, tenté, plus que
tenté: disciple de Satan dont il mettait attentivement en pratique toutes les
insinuations, tentait l'aîné. Mais celui-ci, fidèle au Seigneur dans l'observation de la
Loi, restait fidèle même à son père, qu'il honorait par sa conduite parfaite.
Les années passèrent et le cadet, irrité de ne pouvoir régner comme il le rêvait,
après avoir prié plusieurs fois son père: "Donne-moi l'ordre d'agir en ton nom, pour
ton honneur, au lieu de le laisser à cet imbécile qui est plus doux qu'une brebis", après
avoir essayé de pousser son frère à en faire plus que le père ne commandait pour
s'imposer aux serviteurs, aux concitoyens, aux voisins, il se dit à lui-même: "Oh! cela
suffit! C'est notre réputation qui est en jeu! Puisque personne ne veut agir, moi,
j'agirai". Et il se mit à n'en faire qu'à sa tête, s'abandonnant à l'orgueil et au mensonge
et désobéissant sans scrupule.
Le père lui disait: "Mon fils, reste soumis à ton aîné, lui sait ce qu'il fait". Il disait: "On m'a dit que
tu as fait ceci, est-ce vrai?" Et le cadet répondait en haussant les épaules, à l’une et l'autre parole de
son père: "Il sait, il sait! Il est trop timide, hésitant. Il manque les occasions de triompher". Il disait:
"Moi, je n'ai pas agi ainsi". Le père disait: "Ne recherche pas l'aide d'un tel et un tel. Qui veux-tu
qu'il t'aide mieux que nous, pour donner de l'éclat à notre nom? Ce sont de faux amis qui t'excitent
pour rire ensuite à tes dépens". Et le cadet disait: "Tu es jaloux que se soit moi qui aie l'initiative?
Du reste je sais que j'agis bien".
Il se passa encore du temps. Le premier grandissait toujours plus
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en justice, l'autre nourrissait de mauvaises passions. A la fin, le père dit: "Il est temps
d’en finir. Ou bien tu te soumets à ce que je dis ou bien tu perds mon amour". Le
révolté alla le dire à ses faux amis. "Tu t’en fais pour cela? Mais non! Il y a manière
de mettre le père dans l'impossibilité de préférer un fils à l'autre. Mets-le entre nos
mains et nous en ferons notre affaire. Tu seras exempt de faute matérielle et la
possession des biens refleurira car, après avoir fait disparaître le trop indulgent, tu
pourras leur donner un grand éclat. Ne sais-tu pas qu'il vaut mieux un coup de force,
même s'il fait souffrir, plutôt que l'inertie qui gâte la possession?" répondirent-ils.
Et le cadet, désormais saturé de perversité, adhéra à l'indigne complot.
Maintenant, dites-moi: peut-on peut-être blâmer le père d'avoir donné à ses fils deux méthodes
d'éducation? Peut-on dire qu'il est complice? Non. Et comment donc, alors qu'un fils est saint,
l'autre est pervers? La volonté de l'homme lui est-elle à l'avance donnée de deux façons? Non. Elle
est donnée d'une façon unique. Mais l'homme la change à sa guise: celui qui est bon rend sa volonté
bonne, le mauvais la rend mauvaise.
Moi, je vous exhorte, ô vous de Kériot - et ce sera la dernière fois que je vous
exhorte à suivre les voies de la sagesse - à suivre uniquement la bonne volonté.
Presque à la fin de mon ministère, je vous dis les paroles chantées à ma naissance: "La
paix est pour les hommes de bonne volonté". La paix! C'est-à-dire la réussite, c'est-
à-dire la victoire sur la Terre et au Ciel, parce que Dieu est avec celui qui a la bonne
volonté de Lui obéir. Dieu ne regarde pas tant les oeuvres retentissantes que l'homme
accomplit par son initiative, que l'obéissance humble, prompte, fidèle aux oeuvres
que Lui propose.
Je vous rappelle deux épisodes de l'histoire d'Israël. Deux preuves que Dieu n'est
pas là où l'homme veut agir par lui-même en piétinant l'ordre qu'il a reçu.
Voyons les Macchabées. On y dit: pendant que Judas Maccabée allait avec Jonathas combattre à
Galaad, pendant que Simon allait libérer les autres de Galilée, il avait été ordonné à Joseph de
Zacharie et à Azarias, chefs du peuple, de rester en Judée pour la défendre. Et Judas leur dit: "Ayez
soin de ce peuple, et ne livrez pas bataille aux nations jusqu'à notre retour". Mais Joseph et Azarias,
entendant parler des grandes victoires des Macchabées, voulurent les imiter en disant: "Nous aussi
faisons-nous un nom et
50
allons combattre les nations qui nous entourent". Ils furent vaincus et poursuivis et
"grande fut la déroute du peuple parce qu'ils n'avaient pas obéi à Judas et à ses frères,
croyant agir en héros". L'orgueil et la désobéissance.
Et que lit-on dans les Rois? On lit que Saül fut réprouvé une première et une
seconde fois, et la seconde fois il fut réprouvé pour avoir désobéi au point que David
fut choisi pour le remplacer. Pour avoir désobéi! Rappelez-vous! Rappelez-vous! "Le
Seigneur veut-il peut-être des holocaustes ou des victimes, ou pas plutôt que l'on
obéisse à la voix du Seigneur? L'obéissance a plus de valeur que les sacrifices, la
soumission plus que l'offrande de la graisse des moutons. Car la révolte est un délit de
magie et le refus de soumission est comme un crime d'idolâtrie. Maintenant, puisque
tu as rejeté la parole du Seigneur, le Seigneur t'a rejeté pour t'enlever la royauté".
Rappelez-vous! Rappelez-vous! Quand Samuel, obéissant, remplit sa corne d'huile et alla chez Isaï
de Bethléem, parce que le Seigneur avait choisi là un autre roi, Isaï entra au banquet avec ses fils
après le sacrifice et alors ces fils furent présentés à Samuel. D'abord Eliab, l'aîné, grand et beau.
Mais le Seigneur dit à Samuel: "Ne fais pas attention à son visage ni à sa taille car Je l'ai écarté.
Moi, Je ne juge pas selon les vues humaines. Car l'homme admire les choses que voient ses yeux,
mais le Seigneur voit les coeurs". Et Samuel ne voulut pas prendre pour roi Eliab. Il lui fut présenté
Abinadab, mais Samuel dit: "Le Seigneur ne l'a pas non plus élu". Et Isaï lui présenta Samma, mais
Samuel dit: "Lui non plus n’est pas l'élu du Seigneur". Et ainsi pour tous les sept fils d'Isaï présents
au banquet. Mais Samuel dit: "Est-ce que ce sont là tous tes fils?" "Non" répondit Isaï. "Il en reste
un, encore enfant, qui fait paître les brebis". "Fais-le venir, car nous ne nous mettrons à table que
quand il sera arrivé". Et David arriva, blond et beau, un enfant. Et le Seigneur dit: "Oins-le. C'est lui
le roi".
Car, sachez-le pour toujours, Dieu choisit qui Il veut et Il enlève à qui démérite
ayant corrompu sa volonté par l'orgueil et 1a désobéissance. Je ne reviendrai plus
parmi vous après cette fois. Le Maître est en train d'accomplir son ministère. Après, il
sera plus que Maître. Préparez votre esprit pour cette heure. Rappelez-vous que,
comme ma naissance a été salut pour ceux qui eurent bonne volonté, de la même
façon mon accession sera salut pour ceux qui auront été de bonne volonté en me
suivant comme Maître dans ma doctrine, et pour ceux qui par la suite me suivront en
elle, même
51
après mon accession.
Adieu, hommes, femmes, enfants de Kériot! Adieu! Regardons-nous bien dans
les yeux! Faisons en sorte que les coeurs, le mien et les vôtres, se fondent dans un
embrassement d'amour et d'adieu, et que l'amour reste toujours vivant, même quand je
ne serai plus, jamais plus parmi vous...
Ici, la première fois que je suis venu, un juste a expiré dans le baiser de son Sauveur, dans une
vision de gloire... Ici, cette fois, la derrière que je viens, je vous bénis avec l'amour...
Adieu!... Que le Seigneur vous donne la foi, l'espérance et la charité dans une mesure parfaite. Qu'Il
vous donne l'amour, l'amour, l'amour. Pour Lui, pour Moi, pour les bons, pour les malheureux, pour
les coupables, pour ceux qui portent le poids d'une faute qui n’est pas la leur...
Rappelez-vous! Soyez bons. Ne soyez pas injustes. Rappelez-vous que non seulement j'ai pardonné
aux coupables, mais que j'ai enveloppé d'amour Israël tout entier. Tout Israël, qui est composé de
bons et de ceux qui ne le sort pas, comme dans une famille il y a ceux qui sort bons et ceux qui ne le
sont pas, et ce serait une injustice de dire qu'une famille est mauvaise parce que l'un de ses membres
est mauvais.
Je m'en vais... Si encore quelqu'un de vous a besoin de me parler, qu'il vienne dans la soirée à la
maison de campagne de Marie de Simon.»
Jésus lève la main et bénit, puis il sort rapidement par une petite porte secondaire suivi des siens.
Les gens murmurent: «Il ne revient plus!»
«Qu'a-t-il voulu dire?»
«Il avait des larmes aux yeux en disant adieu...»
«Vous avez entendu? Il dit qu'il montera!»
«Alors il a vraiment raison Judas! Certainement que plus tard, comme roi, il ne sera plus parmi nous
comme maintenant...»
«Mais moi, j'ai parts avec ses frères. Eux disent qu'il ne sera pas roi comme nous le pensons, mais
Roi de rédemption comme disent les prophètes. Il sera le Messie, voilà!»
«Le Roi Messie, certainement!»
«Mais non! Le Roi Rédempteur. L'homme des douleurs.»
«Oui.»
«Non»...
Jésus, cependant, va rapidement vers la campagne.
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85. ANNE ET MARIE DE KERIOT.


ADIEUX A LA MERE DE JUDAS

«Seigneur, tu ne viendrais pas avec moi, avec moi seule, chez une mère
malheureuse? C'est ce que je désire plus que toute autre chose» dit Marie de Simon.
Elle se tient respectueusement en face de Jésus, alors qu'après le repas de midi les
apôtres se sont dispersés pour se reposer, avant de reprendre la route dans la soirée.
Jésus, de son côté, est à l'ombre des pommiers chargés de pommes vertes qui
commencent à mûrir. Il semble que Marie reprenne une conversation déjà
commencée.
«Oui, femme. Moi aussi, je désire rester avec toi, seuls dans ces dernières heures, comme je l'ai été
dans les premières. Allons.» Ils rentrent dans la maison, Jésus pour prendre son manteau, Marie
pour prendre son voile et son manteau.
Ils s'en vont par des chemins à travers les champs, parmi les pommiers et d'autres arbres de haute
futaie. Il fait encore chaud. Des champs de moissons mûres arrivent des souffles brûlants. Mais le
vent de la montagne tempère la chaleur qui en plaine serait insupportable.
«Il me déplaît de te faire marcher par cette chaleur. Mais plus tard... nous ne pourrions plus. Et j'ai
tant désiré cette chose, sans jamais oser te la demander. Tout à l'heure tu m'as dit: "Marie, pour te
montrer que je t'aime comme si tu étais pour Moi une mère, je te dis: demande-moi ce que tu
désires, et je te contenterai" et alors j'ai osé. Seigneur, sais-tu où nous allons?»
«Non, femme.»
«Nous allons chez celle qui devait être la belle-mère de Judas... (Marie soupire douloureusement).
Elle devait... Elle ne l’est pas et elle ne le sera jamais car Judas a abandonné la jeune fille qui est
morte de chagrin... et la mère a de la rancoeur pour moi et pour mon fils. Elle ne cesse de nous
maudire... Judas est tellement... est tellement... tellement faible devant le Mal qu'il n'a besoin que
des seules bénédictions!... Je voudrais que tu lui parles... Tu peux la persuader... lui dire que cela a
été une grâce qu'il n'y ait pas eu les noces... lui dire que je n'y suis pour rien... lui dire qu'elle meure
sans rancoeur; car la femme meurt lentement, l'âme étranglée. Je voudrais qu'entre nous il y eût la
paix... car moi, j'en ai souffert, honteuse de ce qui est arrivé, et c'est avec douleur que je vois
déchirée une amitié avec une femme qui était pour moi
53
une compagne depuis le moment où je suis venue ici comme épouse. En somme to
sais, Seigneur...»
«Oui, n'aie pas d'inquiétude. Ta demande est juste, et je me charge de cette bonne
démarche.»
Après avoir franchi une petite vallée, ils montent sur une autre élévation de terrain sur laquelle se
trouve un village.
«Anne réside ici depuis la mort de sa fille, dans sa propriété. Avant, elle était à Kériot. Mais tant
qu'elle y vivait et qu'on s'y rencontrait, ses reproches me déchiraient le coeur.»
Ils obliquent par un sentier peu avant le village et arrivent à une maison basse au milieu des
champs.
«Voilà! Oh! le coeur me tremble maintenant que je suis ici! Elle ne voudra pas me voir... elle me
chassera... elle sera fâchée, et son pauvre coeur souffrira davantage... Maître...»
«Oui. J'y vais, Moi. Reste jusqu'à ce que je t'appelle. Et prie pour m'aider.»
Jésus s'avance, seul, jusqu'à la porte grande ouverte de la maison où il entre avec son doux salut.
Une femme accourt: «Que veux-tu? Qui es-tu?»
«Je viens apporter du soulagement à te maîtresse. Conduis-moi à elle.»
«Un médecin? Inutile! Il n'y a plus d'espoir, son coeur meurt.»
«Il y a encore l’âme à soigner. Je suis le Rabbi.»
«Inutile aussi à ce titre. Elle ne se repose pas sur l'Eternel et elle ne veut pas entendre de sermons.
Laisse-la tranquille.»
«C'est parce qu'elle est dans cet état que je suis venu. Laisse-moi passer et elle sera moins
malheureuse dans ses derniers jours.»
La femme hausse les épaules et elle dit: «Entre!»
Un couloir à demi obscur et frais, des portes. Au fond, la dernière est entrouverte, et il en sort des
lamentations. La femme y va et entre en disant: «Maîtresse, c'est un rabbi qui veut te parler.»
«Pourquoi?... Pour me dire que je suis maudite? Que je n'aurai pas la paix même dans l'autre vie?»
dit-elle haletante, fâchée.
«Non. Pour te dire que ta paix sera complète, pourvu que tu le veuilles et tu seras heureuse avec ta
Jeanne éternellement» dit Jésus en apparaissant sur le seuil.
La malade, jaune, enflée, haletante sur son lit, appuyée à de nombreux oreillers, le regarde et dit:
«Oh! Quelles paroles! C'est la première fois qu'un rabbi ne me fait pas de reproches... Quelle
espérance!... Ma Jeanne... avec moi... dans la béatitude... plus de
54
douleur... lIa douleur donnée par un maudit... que n'a pas empêché celle qui l'a
engendré... et qui m'a trahie... après m'avoir flattée... Ma pauvre fille...» et elle halète
de plus en plus fort.
«Tu le vois, tu la rends malade. Je le savais. Sors.»
«Non. Va-t-en. Laisse-moi seul...»
La femme sort en secouant la tête. . Jésus s'approche du lit lentement. Il essuie avec bonté la sueur
de la malade qui a du mal à le faire avec ses mains invraisemblablement enflées, lui donne de l’air
avec un éventail de palmier. Il lui donne à boire, car elle cherche a se rafraîchir avec la boisson qui
est sur sa petite table. Il ressemble à un fils près de sa mère malade. Puis il s'assied, doucement mais
fermement décidé à accomplir sa mission.
La femme l'observe tout en se calmant et, avec un sourire de souffrance, elle Lui dit: «Tu es beau et
tu es bon. Qui es-tu, ô Rabbi? Tu as la délicatesse de ma fille bien-aimée en me donnant du
réconfort.»
«Je suis Jésus de Nazareth!»
«Toi?! Toi?!... Chez moi?... Pourquoi?...»
«Parce que je t'aime. J'ai une Mère, Moi aussi, et en toute mère, je vois la mienne, et dans les larmes
des mères, je vois celles de ma Mère...»
«Pourquoi? Ta Mère pleure? Pourquoi? Elle a perdu un autre fils?»
«Pas encore... Je suis son Fils unique et je vis encore. Mais elle pleure déjà parce
qu'elle sait que je dois mourir.»
«Oh! Oh! La malheureuse! Savoir à l'avance qu'un fils va mourir! Mais comment
le sait-elle? Tu es sain. Tu es fort. Tu es bon. Moi, je me suis fait des illusions jusqu'à
sa mort et elle était si malade!... Comment ta Mère peut-elle savoir que tu dois
mourir?»
«Parce que je suis le Fils de l'homme, prédit par les prophètes. Je suis l'Homme des douleurs qu'a vu
Isaïe, le Messie chanté par David et décrit dans ses tortures de Rédempteur. Je suis le Sauveur, le
Rédempteur, ô femme. Et la mort m'attend, horrible... et ma Mère y assistera... et ma Mère sait,
depuis le moment où je suis né, que son coeur sera ouvert comme le mien par la douleur... Ne
pleure pas... Par ma mort j'ouvrirai à ta Jeanne les portes du Paradis...»
«A moi aussi! A moi aussi!»
«Oui. En son temps. Mais tu dois d'abord apprendre à aimer et à pardonner. A
revenir à l'amour, à être juste, et à pardonner... Autrement tu ne pourras pas aller au
Ciel, avec Jeanne, avec
55
Moi...»
La femme pleure angoissée. Elle gémit: «Aimer... Aimer quand les hommes nous
ont appris à haïr... quand Dieu a cessé de nous aimer en manquant pour nous de pitié,
c'est difficile... Comment aimer quand les hommes nous ont torturées, et les amies
blessées, et quand Dieu nous a abandonnées?...»
«Non. Pas abandonnées. Moi, je suis ici. Pour te dire les promesses célestes. Pour te donner
l'assurance que ta douleur finira en joie pourvu que tu le veuilles. Anne, écoute-moi... Tu pleures à
cause des noces annulées, tu en fais la cause de toute ta douleur, tu accuses d'assassinat un homme
pour ce motif et de complicité sa mère malheureuse. Ecoute, Anne. Il ne se passera que peu de mois
pour que tu voies que ce fut une grâce du Ciel que Jeanne n'ait pas été l'épouse de Judas...»
«Ne le nomme pas!» crie la femme.
«Je le nomme. Et pour te dire que tu dois remercier le Seigneur et que tu le remercieras dans
quelques mois...»
«Je serai bientôt morte...»
«Non. Tu seras vivante et tu te souviendras de Moi, et tu comprendras qu'il y a des douleurs plus
grandes que la tienne...»
«Plus grandes? Ce n'est pas possible!»
«Et que sera celle de ma Mère qui me verra mourir en croix?» Jésus s'est levé. Il est imposant. «Et
celle de la mère de celui qui trahira Jésus Christ, le Fils de Dieu? Pense, ô femme, à cette mère...
Toi... Kériot toute entière, et les campagnes et au-delà, ont eu compassion de tu douleur! Tu as pu
t’en glorifier comme d'une couronne de martyre. Mais cette mère! Comme Caïn, mais étant Abel: la
victime de son fils traître, meurtrier de Dieu, sacrilège, maudit, elle ne pourra supporter un regard
d'homme, car tout regard sera comme une pierre pour la lapider, et en toute voix d'homme, en toute
parole, il lui semblera entendre une malédiction, une injure, et elle ne trouvera pas de refuge sur la
Terre, jamais, jusqu'à sa mort, jusqu'a ce que Dieu qui est juste prenne avec Lui la martyre, en lui
faisant oublier qu'elle est la mère du meurtrier de Dieu, en lui donnant la possession de Dieu...
N’est-ce pas la plus grande douleur celle de cette mère?...»
«Oh! douleur immense!...»
«Tu vois... Sois bonne, Anne. Reconnais que Dieu a été bon dans sa manière d'agir...»
«Mais ma fille est morte! Judas l'a faite mourir pour chercher une plus grande dot... Sa mère l'a
approuvé»
56
«Non. Cela, non. C'est Moi qui te le dis, Moi qui vois dans les coeurs. Judas -
c'est mon apôtre mais je le dis - il a mal agi et en sera puni. Mais la mère est
innocente. Elle t'aime, elle voudrait que tu l'aimes... Anne, vous êtes deux mères
malheureuses. Mais si toi, tu te glorifies de ta fille morte, innocente, pure, que le
monde célèbre avec honneur... Marie de Simon ne peut se glorifier de son fils. Ses
actions sont blâmées par les hommes.»
«C'est vrai. Mais s'il avait épousé Jeanne, il ne serait pas blâmé.»
«Mais d'ici peu tu aurais vu Jeanne mourir de chagrin, car Judas périra de mort violente.»
«Que dis-tu? Oh! malheureuse Marie! Quand? Comment? Où?»
«Bientôt. Et d'une manière horrible... Anne! Anne! Tu es bonne! Tu es mère! Tu
sais ce que c'est que la douleur d'une mère! Anne, redeviens l'amie de Marie! Que la
douleur vous unisse comme devait vous unir la joie. Permets-moi de partir content de
savoir qu'elle aura une amie, une seule, une au moins...»
«Seigneur... l'aimer... cela veut dire lui pardonner... C'est très pénible... Il me
semble ensevelir de nouveau ma fille... De la tuer, moi aussi...»
«Ce sont des pensées qui viennent des Ténèbres! Ne les écoute pas. Ecoute-moi, Moi qui suis la
Lumière du monde. La Lumière te dit que moins amer a été le sort de Jeanne mourant vierge que si
elle était morte veuve de Judas. Crois-moi, Anne. Et pense que plus malheureuse que toi est Marie
de Simon...»
La femme pense, pense, lutte, pleure, et dit: «Mais moi, je l'ai maudite, elle et le fruit de ses
entrailles! J'ai péché...»
«Et Moi, je t'en absous. Et plus tu l'aimeras, plus le Ciel t'absoudra.»
«Mais si je suis son amie... je rencontrerai Judas. Je ne puis, Seigneur, faire cela!...»
«Tu ne le rencontreras plus. Moi, je ne reviendrai plus jamais à Kériot et Judas non plus. Nous
avons déjà salué les habitants...»
«Oh! Tu as dit...»
«Que je ne reviendrai plus. Judas a dit qu'il ne pourra plus venir jusqu'après mon
élévation. Mais lui croit qu'il me verra monter sur un trône et ce qui m'attend, au
contraire, c'est la mort de la croix. Et il croit devenir un de mes ministres. Au
contraire, c'est la mort qui l'attend. Mais toi, tu ne diras pas cela. Jamais. Que la mère
ignore jusqu'à ce que tout soit accompli. Tu l'as dit: "La malheureuse! Savoir à
l'avance que le fils doit mourir". Mais si les souffrances de ma Mère, même pour cela,
tendent déjà à augmen-
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ter les mérites de mon Sacrifice, pour Marie de Simon c'est de la pitié de se taire. Tu
ne parleras pas.»
«Non, Seigneur. Je le jure au nom de ma Jeanne.»
«Je veux une autre promesse! Grande! Sainte! Tu es bonne. Tu m'aimes déjà...»
«Oui. Tellement. Je suis en paix depuis que tu es ici...»
«Quand Marie de Simon n'aura plus de fils, et que le monde la couvrira de... mépris, toi, toi seule tu
lui ouvriras ta maison et ton coeur. Me le promets-tu? Au nom de Dieu et de Jeanne. Elle, elle
l'aurait fait car Marie était toujours pour elle la mère de celui qu'elle aimait toujours» continue
Jésus.
«...Oui!» et elle pleure...
«Que Dieu te bénisse, ô femme, et te donne la paix... et la santé... Viens, allons à la rencontre de
Marie, pour lui donner le baiser de paix...»
«Mais... Seigneur... Moi, je ne peux pas marcher. J'ai les jambes enflées et inertes. Tu vois? Je suis
ici, habillée, mais je ne suis qu'un tronc...»
«Tu l'étais. Viens!» et il lui tend la main pour l'inviter.
La femme, les yeux dans les yeux de Jésus, déplace ses jambes, les sort du lit, pose par terre ses
pieds déchaussés, se lève, marche... Elle paraît fascinée. Elle ne se rend même pas compte de la
guérison qui est survenue... Elle sort, la main toujours dans celle de Jésus, dans le couloir à moitié
obscur... Elle va vers la sortie. Elle y est presque arrivée quand elle rencontre la servante
d'auparavant qui pousse un cri de joie effrayée... Les autres serviteurs accourent, craignant que ce
ne soit signe de mort. Ils voient leur maîtresse, tout à l'heure mourante et avec de la rancoeur pour
Marie de Simon, qui court, les bras tendus, après avoir quitté Jésus, vers Marie humiliée, elle
l'appelle, l'accueille sur son coeur, et toutes les deux pleurent ...
...Pendant le retour à sa maison, après l'adieu de paix, Marie de Simon remercie le Seigneur et
demande: «Quand viendras-tu faire d'autres bienfaits?»
«Jamais plus, ô femme. Je l'ai déjà dit aux habitants. Mais mon coeur sera toujours avec toi.
Rappelle-toi, rappelle-toi toujours que je t'ai aimée et que je t'aime. Rappelle-toi que je sais que tu
es bonne, et que Dieu t'aime pour cela. Rappelle-le-toi toujours. Même au moment des heures
terribles. Que jamais l'idée ne te vienne que Dieu te juge coupable. A ses yeux ton âme apparaîtra
toujours comme ornée des pierres précieuses de tes vertus et des
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perles de ta souffrance. Marie de Simon, mère de Judas, je veux te bénir, je veux
t'embrasser et te donner un baiser pour que ton baiser maternel, sincère, fidèle, soit
pour Moi une compensation de tout autre... pour que mon baiser soit pour toi une
compensation de toute douleur. Viens, mère de Judas. Et merci, merci pour tout ce
que tu m'as donné d'amour et d'honneur» et il l'embrasse et il la baise au front, comme
il le fait pour Marie d'Alphée.
«Mais, nous nous verrons encore! Je viendrai à la Pâque...»
«Non. Ne viens pas. Je t’en prie. Veux-tu me faire plaisir? Ne viens pas. Les femmes à la Pâque
prochaine, non!»
«Mais pourquoi?...»
«Parce qu'il y aura un terrible soulèvement à Jérusalem, à la prochaine Pâque. Ce ne sera pas la
place des femmes! Et même... Marie, j'ordonnerai à ton parent de te rejoindre. Restez ensemble. Tu
en as besoin car... désormais Judas ne pourra plus t'aider, ni venir... »
«Je ferai comme tu dis... Donc jamais plus, jamais plus je ne verrai ton visage où se reflète la paix
du Ciel? Quelle paix tu as déversé de tes yeux dans mon coeur douloureux...» Marie pleure.
«Ne pleure pas. La vie est courte. Ensuite tu me verras pour toujours dans mon Royaume.»
«Alors tu penses que ton humble servante y entrera?...»
«Je vois déjà ta place dans la troupe des martyrs et des corédempteurs. Ne crains
pas, ô Marie. Le Seigneur sera ton éternelle récompense. Allons. Le soir arrive et c'est
l'heure de se remettre en route...»
Et ils refont la route à travers les champs et les pommeraies jusqu'à la maison où les apôtres
attendent. Jésus brusque les adieux, bénit, se met à la tête des siens... Il s'en va... Marie pleure, à
genoux...

86. ADIEU A JUTTA

En une tranquille matinée, Jésus parle au peuple de Jutta. Oh! on peut vraiment
dire que Jutta toute entière est à ses pieds. Même les bergers, habituellement dispersés
sur les mamelons des montagnes, sont là, en arrière de la foule avec leurs brebis.
Même ceux qui d'habitude vont ailleurs, aux champs, aux bois, aux marchés,
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sont là. Et ils y sont les vieillards croulants et, tout autour de Jésus, les enfants
rieurs, et les fillettes et les jeunes mariées et celles qui mettront bientôt au monde un
enfant et celles qui le portent sur leur sein. Jutta toute entière.
L'éperon de la montagne qui s'étend vers le sud est l'amphithéâtre qui accueille ce passable
rassemblement. Assis sur l'herbe ou à cheval sur le muret de pierres sèches, avec autour un vaste
horizon, au-dessus le ciel sans limites, en bas le torrent qui rit et scintille au soleil du matin, dans la
beauté des monts herbeux, boisés, eux, les gens de Jutta, écoutent le Maître qui parle, debout,
adossé à un noyer très élevé, la blancheur de son vêtement de lin se détachant sur le fond sombre du
tronc, le visage souriant, les yeux brillants de la joie d'être aimé, les cheveux illuminés par la
caresse des rayons venant de l'orient. Dans un silence respectueux, attentif, rompu seulement par les
chants des oiseaux et le bruit du torrent qui coule en bas, ses paroles descendent lentement dans les
coeurs et sa voix parfaite emplit l’air tranquille de son harmonie.
Pendant que j'écris, il est en train de répéter encore une fois la nécessité d'obéir au
Décalogue, perfectionné, dans son application aux coeurs, par sa doctrine d'amour
«pour édifier dans les esprits la demeure où le Seigneur habitera jusqu'au jour où ceux
qui ont vécu dans la fidélité à la Loi iront habiter en Lui dans le Royaume des Cieux.»
Ce sont ses paroles. Et il continue: «Parce qu'il en est ainsi. L'inhabitation de Dieu
dans les hommes et des hommes en Dieu se fait par l'obéissance à sa Loi, qui
commence par un commandement d'amour et qui est toute amour du premier au
dernier précepte du Décalogue. C'est la vraie maison que Dieu veut, où Dieu habite, et
la récompense du Ciel, possédée par l'obéissance à la Loi, est la vraie Maison où vous
habiterez avec Dieu, éternellement.
Car - rappelez-vous Isaïe dans son chapitre 66 - Dieu n'a pas de demeure sur la
Terre, qui n’est qu'un escabeau, un escabeau seulement pour son immensité, et Il a
pour trône le ciel, qui est toujours petit, un rien, pour contenir l'Infini, mais Il l'a dans
le coeur des hommes. Seule la très parfaite bonté du Père de tout amour peut accorder
à ses fils de l'accueillir, et c'est un mystère infini, qui se perfectionne de plus en plus,
que le Dieu Un et Trine, le très pur Esprit Triniforme, puisse être dans le coeur des
hommes. Oh! quand, quand, ó Père Saint, me permettras-Tu de faire de ceux qui
t'aiment non plus seulement un temple pour notre Esprit, mais grâce à ta perfection
d'amour et de pardon, un tabernacle, en fai-
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sant de tout coeur fidèle l'arche où se trouve le vrai Pain du Ciel, comme il le fut dans
le sein de celle qui est Bénie entre toutes les femmes?
Oh! très aimés disciples de Jutta qui m'a été préparée par un juste, ayez à l'esprit
le Prophète et ce qu'il dit, et c'est le Seigneur qui parle, en s'adressant à ceux qui
construisent des vides temples de pierre, où il n'y a pas de justice ni d'amour, et qui ne
savent pas construire en eux-mêmes le trône de leur Seigneur par l'obéissance à ses
commandements. Le Prophète dit: "Qu'est-ce que cette maison que vous m'édifiez et
qu’est-ce que ce lieu de mon repos?" Et il veut dire: "Croyez-vous me posséder parce
que vous m'élevez de pauvres murs? Croyez-vous me rendre heureux par vos
pratiques mensongères auxquelles ne correspond pas la sainteté de la vie?" Non. On
ne possède pas Dieu par des choses extérieures qui cachent des plaies et le vide,
comme un manteau d'or jeté sur un lépreux ou sur une statue d'argile dont l'intérieur
est creux, sans la vie de l'âme.
Et le Seigneur le dit, en reconnaissant, Lui, le Maître du monde, sa pauvreté de Roi qui a trop peu
de sujets, de Père qui a trop de fils qui ont fui de sa demeure: "Vers qui tournerai-je mon regard
sinon vers le pauvre, vers celui qui a un coeur contrit qui tremble à mes paroles?" Pourquoi
tremble-t-il? Par la seule peur de Dieu? Non. Par un profond respect, par un amour véritable. Par
humilité de sujet, de fils qui dit, qui reconnaît que le Seigneur est le Tout et que lui n’est rien et qui
tremble d'émotion en se sentant aimé, pardonné, aidé par le Tout.
Oh! Ne cherchez pas Dieu parmi les orgueilleux! Il n'est pas là. Ne le cherchez pas parmi les coeurs
durs. Il n’est pas là. Ne le cherchez pas parmi ceux qui sont endurcis. Il n’est pas là. Il est chez les
simples, chez les purs, chez les miséricordieux, chez ceux qui sont pauvres en esprit, chez les doux,
chez ceux qui pleurent sans faire d'imprécations, chez ceux qui recherchent la justice, chez les
persécutés, chez les pacifiques. C'est là qu'est Dieu. Il est en ceux qui se repentent et qui veulent le
pardon et qui cherchent l'expiation. Et eux ne font pas le sacrifice d'un boeuf ou d'une brebis,
l'offrande de ceci ou de cela, pour être applaudis, par la superstitieuse terreur d'un châtiment, par
l'orgueil de paraître parfaits. Mais ils font le sacrifice de leur coeur contrit et humilié, s'ils sont
pécheurs; de leur coeur obéissant jusqu'à l'héroïsme, s'ils sont justes. Voilà ce qui plaît au Seigneur.
Voilà pour quelles offrandes Il se donne avec ses ineffables trésors d'amour et de délices
surnaturelles. Aux
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autres, Il ne se donne pas. Eux ont déjà leurs pauvres délices dans les abominations, et
il est inutile que Dieu les appelle sur ses chemins, puisqu'ils ont déjà choisi le leur. A
eux, Il n'enverra que l'abandon, l'épouvante et la punition, parce qu'ils n’ont pas
répondu au Seigneur, ils n’ont pas obéi, ils ont fait le mal sous les yeux de Dieu, avec
le mépris et la perversité qu'ils ont choisie.
Mais vous, vous mes aimés de Jutta, vous qui tremblez d'amour dans la
connaissance de Dieu, vous qui, à cause de Moi, êtes méprisés comme des sots par les
puissants, et qui continuez de m'aimer malgré les mépris, vous qui êtes repoussés, et
le serez de plus en plus à cause de mon Nom et de Moi, répudiés comme des bâtards
d'Israël, comme des bâtards de Dieu, alors que justement en vous et en ceux qui sont
comme vous est greffée la bouture de la Vie éternelle, de Celui qui a sa racine dans le
Père, et qui pour cela êtes une partie de Dieu, qui êtes de Dieu, vous qui vivez de sa
sève, vous à qui on voudrait persuader que vous êtes dans l'erreur, vous dont les yeux
sont simples mais éclairés par la Grâce. Ils voudraient se justifier à vos yeux pour ne
pas paraître sacrilèges et malfaiteurs, à vous auxquels il est dit: "Que le Seigneur
montre sa gloire et nous le reconnaîtrons par votre joie elle-même". Vous aurez la
joie. Eux seront confondus.
Oh! J'entends déjà, après la confusion qui les écrasera, mais ne les rendra pas meilleurs, j'entends
déjà les vipères qui ne cessent d'être nuisibles que quand on a écrasé leurs têtes exécrables, et qui
mordent et tuent même si elles sont coupées en deux, même s'il n'émerge que leurs têtes d'une
manifestation écrasante de Dieu, déjà je les entends crier: "Comment le Seigneur peut-Il avoir
enfanté tout d'un coup son nouveau peuple, si nous, portés depuis si longtemps dans son sein, nous
ne sommes pas encore nés à la Lumière? Est-ce que quelqu'une peut enfanter sans que le cri des
douleurs emplisse la maison? Le Seigneur a-t-Il pu enfanter avant le temps? La Terre peut-elle
jamais enfanter en un seul jour et est-ce qu'un peuple entier peut être enfanté en même temps?"
Moi, je réponds et rappelez-vous-la cette réponse pour la donner à ceux qui vous persécuteront en
vous méprisant: "Ils n'auraient jamais pu naître à la Lumière ceux qui sont un fruit mort dans le sein
de Dieu, fruit qui s'est desséché parce qu'il s'est détaché de la matrice et est resté inerte, comme un
mal caché dans le sein au lieu d'être un embryon qui se développe. Et pour rejeter de son sein la
semence morte et avoir des fils, pour que son Nom ne meure pas
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sur la Terre, Dieu s'est rendu fécond de nouveaux fils, marqués de son Tau et, dans le
secret, dans le silence, pour que Satan et les satans qui servent Lucifer ne puissent
nuire, en devançant le temps par l'ardeur de son amour, Il a enfanté son Fils et Il
enfante en même temps son nouveau peuple, car le Seigneur peut tout". Oh! Lui le dit
par la bouche du prophète Isaïe: "Est-ce que peut-être Je ne pourrai pas enfanter, Moi
qui fais enfanter les autres? Moi qui donne aux autres la fécondité, Je serai stérile?"
Réjouissez-vous avec la Jérusalem des Cieux, exultez avec elle, vous tous qui
aimez le Seigneur! Réjouissez-vous avec elle d'une vraie joie, vous qui attendez, vous
qui espérez, vous qui souffrez!
Oh! revenez, revenez à Moi, paroles! Paroles venues du Verbe de Dieu. Paroles dites par le
porte-parole de Dieu: Isaïe, son prophète. Venez, revenez à la Source, ô paroles éternelles, pour être
répandues sur ce parterre de Dieu, sur ce troupeau, sur cette race!
Oh! Venez! C'est une des heures et des assemblées pour lesquelles vous avez été données, ô paroles
prophétiques, ô résonances d'amour, ô voix de vérité!
Voici qu'elles viennent! Voici qu'elles reviennent à Celui qui les a inspirées! Voici que Moi, au nom
du Père, de mon Etre, et de l'Esprit, je les dis à ceux qui sont aimés de Dieu, choisis parmi le
troupeau de Dieu, qui ne devait compter que des agneaux, et s'est corrompu avec des béliers et des
animaux encore plus immondes. Vous boirez et serez rassasiés aux mamelles de la Consolation
Divine et tirerez d'abondantes délices de la gloire multiforme de Dieu.
Voilà! Le Seigneur vous dit: Je verserai sur vous comme un fleuve de paix et comme un torrent qui
inonde, il y aura sur vous beaucoup plus que la gloire des nations. La gloire du Ciel vous inondera.
Vous la sucerez portés sur son sein, et sur ses genoux vous recevrez ses caresses. Oui, comme une
mère caresse son enfant, comme Moi je caresse ce petit auquel j'ai donné mon nom (et Jésus prend
le petit Jésaï des bras de sa mère qui est presque à ses pieds, au milieu de ses trois enfants) ainsi je
vous consolerai vous qui m'aimez et continuerez de m'aimer et bientôt vous serez consolés pour
toujours dans mon Royaume. Vous le verrez et votre coeur sera dans la joie, et vos os reverdiront
comme l'herbe, étant libérés de toute peur à cause de votre fidélité, quand le Seigneur viendra dans
le feu, sur un bige semblable à un tourbillon, pour conduire dans le feu de l'amour et de la justice, et
pour punir ou
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exalter, en séparant les agneaux des loups, c'est-à-dire de ceux qui croyaient se
sanctifier et se rendre purs et qui, au contraire, se rendaient idolâtres.
Le Seigneur, qui part maintenant, viendra, et bienheureux ceux qu'Il trouvera
persévérants jusqu'à la fin.
Voici mon adieu et avec lui ma bénédiction. Agenouillez-vous pour que je vous fortifie par elle.
Que le Seigneur vous bénisse et vous garde. Que le Seigneur vous montre sa face et ait pitié de
vous. Que le Seigneur vous donne sa paix.
Allez! Laissez-moi congédier les bons d'entre les bons de Jutta.»
Les gens s'en vont à regret. Mais voilà qu'un enfant dit à Jésus: «Seigneur, laisse-moi te baiser la
main", et comme Jésus y consent, tous veulent donner un baiser à la chair sainte de l'Agneau de
Dieu. Même ceux qui s'étaient éloignés vers le village reviennent et c'est une pluie de baisers:
baisers d'enfants sur le visage, baisers des vieillards sur les mains, et baisers des femmes sur les
pieds nus dans l'herbe, avec des larmes et des paroles d'adieu et de bénédiction.
Jésus les accueille patiemment et il a pour tous un salut particulier.
Finalement il a satisfait tout le monde... Il reste la famille hospitalière... Et elle se serre contre Jésus.
Et Sara dit: «Tu ne viendras vraiment plus ?»
«Non, femme, jamais plus. Mais nous ne serons pas séparés. Mon amour sera toujours avec toi,
avec vous, et le vôtre avec Moi. Vous ne m'oublierez pas, je le sais. Mais je vous dis: même aux
heures les plus terribles qui viendront, n'accueillez pas le Mensonge, pas même comme hôte de
passage ou comme envahisseur imprévu... Donne-moi le petit, Sara.»
La femme donne Jésaï, et Jésus s'assoit sur l'herbe avec Jésai sur son sein et il parle penché sur les
cheveux du bébé: «Rappelez-vous toujours que je suis l'Agneau qu'Isaac vous a fait aimer avant
même que vous me connaissiez, et qu'un agneau est toujours innocent, comme ce petit, même si on
le couvre d'une peau de loup pour le faire passer pour un malfaiteur. Rappelez-vous que je suis
encore plus innocent que ce tout petit... qui, lui bienheureux! à cause de son innocence et de sa
jeunesse ne pourra comprendre les calomnies des hommes sur son Seigneur et ainsi n'en sera pas
troublé... et il continuera de m'aimer ainsi... comme maintenant... Ayez son coeur, ayez-le pour
l'Agneau, pour l'Ami, pour l'Innocent, pour le Sauveur, qui vous aime et vous bénit d'une manière
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toute spéciale. Adieu, Marie! Viens me donner un baiser... Adieu, Emmanuel! Viens
toi aussi... Adieu, Jésaï, agnelet de l'Agneau... Soyez bons... Aimez-moi...»
«Tu pleures, Seigneur!?» demande la fillette étonnée, en voyant briller une larme
dans les cheveux de Jésaï.
«Il pleure?» demande le mari de Sara.
«Tu pleures, ô Maître! Pourquoi?» demande la femme.
«Ne vous affligez pas de mes larmes. Elles sont amour et bénédiction... Adieu,
Sara. Adieu, homme. Venez comme les autres, baiser votre Ami qui part...» et, après
avoir reçu sur les mains les baisers des deux époux, il remet l'enfant dans les bras de
la mère. Il bénit encore et puis rapidement commence la descente par le sentier par où
il était venu.
Les voix d'adieu de ceux qui sont restés le suivent: profonde celle de 1'homme, émue celle de la
femme, perçantes celles des enfants, jusqu'au bas de la colline. Puis ce n'est plus que le torrent,
qu'ils remontent vers le nord, qui salue encore le Maître qui quitte pour toujours la terre de Jutta.

87. ADIEU A HEBRON

Et voici Hébron au milieu de ses bois et de ses prés. L'entrée de Jésus est saluée
par des cris d'hosannas par les premiers qui le voient et qui en partie vont l'annoncer
dans tout le village.
Le chef de la synagogue accourt, accourent les miraculés de l'année précédente et puis les notables.
Chacun veut avoir le Seigneur comme hôte. Mais Jésus dit, en remerciant tout le monde: «Non, je
ne reste que le temps de vous parler... Allons donc à la pauvre, à la sainte maison du Baptiste. Que
je la salue elle aussi... C'est une terre de miracle. Vous ne le savez pas.»
«Oh! nous le savons, Maître. Ceux qui ont été guéris là sont parmi nous!...» disent plusieurs.
«Bien avant l’an dernier elle a été une terre de miracle. Elle 1'a été il y a trente-trois ans pour la
première fois, quand la grâce du Seigneur reverdit les entrailles desséchées afin d'en faire un arbre
pour la douce pomme de mon Précurseur. Elle le fut il y a trente-deux ans quand par une opération
mystérieuse, je l'ai présanctifié alors que nous étions, lui et Moi, deux fruits qui mûrissaient dans
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un sein profond. Et puis quand j'ai rendu au père de Jean l'usage de la parole. Mais,
aux secrètes opérations de l'Incarné pas encore né, se rattache depuis deux ans un
grand miracle que vous tous ignorez. Vous rappelez-vous la femme qui habitait à
l'intérieur de cette maison?...»
«Qui? Aglaé?» demandent plusieurs.
«Elle. Je lui ai rendu la vie, non pas dans ses entrailles mais dans son âme desséchée par le
paganisme et par le péché, et je l'ai rendue féconde en justice, en la délivrant de ce qui la retenait,
aidé par sa bonne volonté. Et je vous la donne en modèle. Ne vous scandalisez pas. En vérité je
vous dis qu'elle mérite d'être citée en exemple et imitée, car il y en a peu en Israël qui ont fait autant
de chemin que cette païenne pécheresse pour rejoindre les sources de Dieu.»
«Nous la croyions enfuie avec d'autres amants... Certains disaient qu'elle était changée, qu'elle était
bonne... Mais nous disions: "C'est un caprice!" Et il y en avait même qui disaient qu'elle était venue
à Toi pour... pécher...» explique le chef de la synagogue.
«Elle est venue en fait me trouver, mais pour être rachetée.»
«Nous avons fait un péché de jugement...»
«Pour cela je vous dis: "Ne jugez pas".»
« Et où est-elle maintenant?»
«Dieu seul le sait. Dans une dure pénitence, certainement. Priez pour la soutenir... Je to salue, ô
maison sainte de mon Parent et Précurseur! Paix à toi! Bien que maintenant tu sois vide et désolée,
toujours paix à toi, ô sainte demeure de paix et de foi!» Jésus entre, en bénissant, dans le jardin
devenu inculte et avance au milieu des herbes envahissantes. Il côtoie ce qui autrefois était une
tonnelle ou des espaliers bien rangés de lauriers et de buis, et qui maintenant sont un fouillis
ébouriffé de lierres, de clématites, de liserons qui les étouffent. Il va au fond, vers les restes de ce
qui était le tombeau, et il reste là.
Les gens forment un cercle silencieux autour de Lui.
«Fils de Dieu, peuple d'Hébron, écoute!
Pour que vous ne soyez pas troublés et induits en erreur de jugement sur votre
Sauveur comme vous l'avez été pour la pécheresse, je viens vous confirmer et vous
fortifier dans la foi. Je viens vous donner le viatique de ma parole pour qu'elle reste
lumineuse en vous à l'heure des ténèbres et pour que Satan ne vous fasse pas perdre le
chemin du Ciel.
II viendra bientôt des heures où vos coeurs diront en gémissant
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les paroles du psaume d'Asaph, chantre prophétique, et vous direz: "Pourquoi, ó Dieu,
nous as-tu rejetés pour toujours? Pourquoi ta fureur s'enflamme-t-elle contre les
petites brebis que Tu fais paître?" et vous pourrez vraiment alors élever comme un
droit de protection la Rédemption désormais accomplie, et crier: "Ce peuple est le tien
et Tu l'as racheté!" pour invoquer la protection contre les ennemis qui auront fait tout
le mal possible dans le Sanctuaire véritable où Dieu réside comme au Ciel, dans le
Christ du Seigneur, et qui, après avoir, pour commencer, abattu le Saint, chercheront
ensuite à abattre ses murs: ses fidèles. Vrais profanateurs et persécuteurs de Dieu, plus
que Nabuchodonosor et qu'Antiochos, plus que ceux qui viendront après, ils lèvent
déjà les mains pour m'abattre dans leur orgueil sans limites qui ne veut pas de
conversion, qui ne veut pas de foi, de charité, de justice et qui, comme le levain dans
une masse de pâte, gonfle et déborde du Sanctuaire, devenu la citadelle des ennemis
de Dieu.
Fils, écoutez! Quand vous serez persécutés pour m'avoir aimé, fortifiez votre
coeur en pensant qu'avant vous j'ai été le Persécuté. Souvenez-vous qu'ils ont déjà
dans la gorge le hurlement de leur cri de triomphe et qu'ils préparent les bannières
pour qu'elles flottent au vent dans une heure de victoire, et que sur chaque bannière il
y aura un mensonge contre Moi qui semblerai être le Vaincu, le Malfaiteur, le Maudit.
Vous secouez la tête? Vous ne croyez pas? Votre amour vous empêche de
croire... C'est une grande chose que l'amour! Une grande force... et un grand danger!
Oui, un danger. Le choc de la réalité à l'heure des ténèbres sera d’une violence
surhumaine dans les coeurs que l'amour, pas encore parfaitement réglé, rend
aveugles. Vous ne pouvez pas croire que Moi, le Roi, le Puissant, je puisse être à la
merci de gens de rien. Vous ne pourrez le croire alors surtout, et un doute naîtra:
"Etait-ce vraiment Lui? Et s'il l'était, comment a-t-il pu être vaincu?"
Rendez vos coeurs plus forts pour cette heure-là! Sachez-le: "en un instant" les
ennemis du Saint auront brisé les portes, jetant tout par terre, et allumé un feu de
haine pour le Saint de Dieu; ils auront abattu et jeté par terre le Tabernacle du Nom
très Saint, en disant dans leurs coeurs: "Faisons cesser sur la Terre toutes les fêtes de
Dieu" car c'est une fête d'avoir Dieu parmi vous, en disant: "Que ne se voient plus ses
enseignes, qu'il n'y ait plus aucun prophète qui nous connaisse pour ce que nous
sommes". Mais rapidement, plus rapidement encore, Celui qui a donné ses
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limites à la mer et qui a écrasé dans les eaux les têtes immondes des crocodiles sacrés
et de leurs adorateurs, Celui qui a fait jaillir les sources et couler les torrents et
desséché des fleuves pérennes, Celui qui a fait le jour et la nuit, l'été et le printemps,
la vie et la mort, Celui qui a tout fait, fera ressusciter, comme il est dit, son Christ, et
Il sera Roi. Roi pour l'éternité. Et ceux qui seront restés fermes dans la foi règneront
avec Lui au Ciel.
Rappelez-vous cela. Et quand vous me verrez élevé et méprisé, ne chancelez pas.
Et quand vous serez élevés et méprisés, ne chancelez pas.
Oh! Père! mon Père! Moi, je te prie, au nom de ceux-ci qui te sont chers et qui me sont chers.
Exauce ton Verbe, écoute le Propitiateur! N'abandonne pas aux animaux les âmes de ceux qui to
louent en m'aimant, n'oublie pas pour toujours les âmes de tes petits. Prends soin, ô Dieu bon, de tes
promesses parce que les lieux ténébreux de la Terre sont des repaires d'iniquité d'où sort la terreur
pour effrayer tes petits. Père! Oh! mon Père! Que l'humble qui espère en Toi ne reparte pas
confondu! Que le pauvre et le besogneux louent ton Nom pour l'aide que Tu leur donneras!
Lève-toi, ô Dieu! Je t’en prie pour cette heure, pour ces heures! Lève-toi, ô Dieu! A cause du
sacrifice de Jean et de la sainteté de tes patriarches et de tes prophètes! A cause de mon sacrifice,
mon Père, défends ce troupeau qui est le tien et le mien! Donne-lui la lumière dans les ténèbres, la
foi et la force contre les séducteurs! Donne-toi, ô Père! Donne-nous, maintenant, demain et toujours
jusqu'à l'entrée dans ton Royaume! Nous, dans leurs coeurs jusqu'au moment où eux soient là où
Nous sommes dans les siècles des siècles. Et qu'il en soit ainsi.»
Comme il n'y a pas de miracles à accomplir, Jésus passe dans les rangs de la foule extasiée et il
bénit, un par un, ses auditeurs. Il reprend sa marche sous le soleil déjà haut que rendent supportable
les frondaisons des arbres et l’air de la montagne. Par derrière, en groupes, les apôtres parlent entre
eux.
Ils parlent sans arrêt. «Quels discours! Ils font frémir!» dit Barthélemy.
«Mais comme ils sont tristes! Ils font pleurer!» soupire André.
«Hé! c'est son adieu. J'ai raison, moi. Il va vraiment vers le trône» s'exclame Judas Iscariote.
«Le trône? Hum! Il me semble qu'il parle de persécutions plutôt que d'honneurs!» observe Pierre.
«Mais non! Le temps des persécutions est fini! Ah! moi, je suis
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heureux!» crie l'Iscariote.
«Tant mieux pour toi! Moi je voudrais être encore aux jours où nous étions inconnus, il y a deux
ans... ou à "La Belle Eau"... J'ai peur des jours à venir...» dit Jean.
«Parce que tu as un coeur de faon... Mais moi! Je vois déjà l'avenir... Des cortèges!... Des
chanteurs!... Un peuple prosterné!... Les honneurs des autres nations!... Oh! c'est l'heure! Les
chameaux de Madian et les foules de partout viendront... et ce ne seront pas les trois pauvres
Mages... mais une multitude... Israël grand comme Rome. Plus que Rome... Dépassées les gloires
des Macchabées, celles de Salomon... toutes les gloires... Lui, le Roi des rois... et nous ses amis...
Oh! Dieu Très-Haut! Qui me donnera la force pour cette heure?... Si mon père vivait encore!...»
Judas est exalté. Son visage resplendit quand il évoque l’avenir qu'il rêve de vivre...
Jésus est très en avant. Mais il s'arrête, le futur roi selon Judas, et assoiffé, il joint ses mains pour
prendre de l'eau dans un ruisselet et boire... comme l'oiseau du bois ou l'agneau en train de paître.
Puis il se retourne et dit: «Ici il y a des fruits sauvages. Cueillons-en pour apaiser notre faim...»
«Tu as faim, Maître?» demande le Zélote.
«Oui» avoue humblement Jésus.
«Bien sûr! Hier soir tu as tout donné à ce malheureux!» s'exclame Pierre.
«Mais pourquoi n'as-tu pas voulu t'arrêter à Hébron?» demande Philippe.
«Parce que Dieu m'appelle ailleurs. Vous, vous ne savez pas.»
Les apôtres haussent les épaules et se mettent à cueillir les petits fruits encore verts des arbres
sauvages épars sur les pentes des montagnes. Il semble que ce sont des petites pommes sauvages. Et
le Roi des rois s'en nourrit en même temps que ses compagnons qui font des grimaces à cause de
l'âpreté du fruit sauvage et vert. Jésus, absorbé, mange et sourit.
«Tu me fais presque enrager!» s'exclame Pierre.
«Pourquoi?»
«Parce que tu pouvais être bien et faire plaisir à ceux d'Hébron et, au contraire, tu te fais mal au
ventre et tu t'agaces les dents sur ce poison amer et plus acide que de l'herbe au vitriol!»
«Oh! J'ai vous qui m'aimez! Quand je serai élevé et que j'aurai soif et faim, je penserai avec regret à
cette heure, à cette nourriture, à vous qui maintenant êtes avec Moi, et qui alors...»
«Mais alors to n'auras ni soif ni faim! Un roi a de tout! Et nous te
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serons encore plus proches!» s'exclame l'Iscariote.
«Tu le dis.»
«Et tu penses que cela ne sera pas, Maître?» demande Barthélemy.
«Non, Barthélemy. Quand je t'ai vu sous le figuier, ses fruits étaient si verts que qui les aurait
cueillis en aurait eu la langue et la gorge brûlées... Mais plus doux que les rayons de miel sont les
fruits verts du figuier ou de ces arbres en comparaison de ce que sera pour Moi mon élévation...
Allons...» et il se remet en marche le premier, tout en avant, méditatif, alors que, derrière, les douze
bavardent sans arrêt.

88. ADIEU A BETHSUR

Il fait à peine jour quand les voyageurs infatigables arrivent en vue de Béthsur.
Fatigués, les vêtements fripés à cause d'un repos certainement très inconfortable dans
les bois, ils regardent avec joie la ville désormais proche où ils sont certains de
trouver l'hospitalité.
Les paysans qui se rendent à leurs travaux sont les premiers à rencontrer Jésus, et ils pensent bien
faire de laisser en plan leurs travaux pour revenir à la ville écouter le Maître. Et ainsi font des
bergers après Lui avoir demandé s'il reste ou non.
«Je quitterai Béthsur ce soir» répond Jésus.
«Et tu parleras, Maître?»
«Certainement.»
«Quand?»
«Tout de suite.»
«Nous avons les troupeaux... Ne pourrais-tu pas parler ici, dans la campagne? Les brebis
brouteraient l'herbe et nous ne perdrions pas ta parole.»
«Suivez-moi. Je le ferai sur les pâtures au nord. Je dois d'abord voir Elise.»
Les bergers avec leurs bâtons font revenir leurs brebis, et ils se mettent en arrière des hommes avec
leurs troupeaux bêlants. Ils traversent le village. Mais la nouvelle est déjà parvenue à la maison
d'Elise, et c'est sur la place qui se trouve devant la maison
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qu'Elise et Anastasica rendent leurs hommages de disciples au Maître qui les bénit.
«Entre dans ma maison, Seigneur. Tu l'as libérée de la douleur et elle veut être
pour Toi un réconfort en tous ses habitants et en ses meubles» dit Elise.
«Oui, Elise. Mais tu vois quelle foule nous suit? Maintenant je vais parler à tous et puis, après
l'heure de tierce, je viendrai et je resterai dans ta maison pour repartir le soir. Et nous parlerons
entre nous...» promet Jésus pour consoler Elise qui espérait un plus long séjour et qui montre un
visage déçu en apprenant les intentions de Jésus. Mais Elise est une bonne disciple et elle n'objecte
rien. Elle demande seulement la permission de donner des ordres aux serviteurs avant d’aller avec
les autres là où Jésus se dirige. Et elle le fait avec empressement, bien différente de la femme inerte
de l'année précédente...
Jésus est déjà en place dans un pré où joue le soleil dont les rayons passent à travers le mince
feuillage des arbres de haute futaie qui, si je ne me trompe, sont des frênes. Il est en train de guérir
un jeune enfant et un vieillard qui sont malades, le premier d'un mal interne, l'autre des yeux. Il n'y
a pas d'autres malades et Jésus bénit les petits que les mères Lui présentent, en attendant
patiemment qu'Elise le rejoigne avec Anastasica.
Les voilà enfin, et Jésus commence tout de suite à parler.
«Peuple de Béthsur, écoute.
L'an dernier je vous ai dit ce qu'il fallait faire pour gagner le Royaume de Dieu. Maintenant je vous
le confirme pour que vous ne perdiez pas ce que vous avez gagné. C'est la dernière fois que le
Maître vous parle ainsi, à une réunion où il ne manque personne. Par la suite, je pourrai vous
rencontrer encore, par hasard, en particulier ou en petits groupes, sur les routes de notre patrie
terrestre. Ensuite, plus tard encore, je pourrai vous voir dans mon Royaume. Mais ce ne sera jamais
plus comme maintenant.
Dans l'avenir, tant de choses vous seront dites sur Moi, contre Moi, de vous et contre vous. Ils
voudront vous terroriser.
Moi, je vous dis avec Isaïe: Ne craignez pas car je vous ai rachetés et je vous ai appelés par votre
nom. Seuls ceux qui voudront m'abandonner auront une raison de craindre. Pas ceux qui, m'étant
fidèles, m'appartiennent. Ne craignez pas! Vous êtes miens et je suis vôtre. Ni les eaux des fleuves,
ni les flammes des bûchers, ni les pierres, ni les épées, ne pourront vous séparer de Moi si vous
restez en Moi. Au contraire, de plus en plus les flammes, les eaux,
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les épées et les pierres vous uniront à Moi, et vous serez d'autres Moi-même et vous aurez ma
récompense. Je serai avec vous à l'heure des tourments, avec vous dans les épreuves, avec vous
jusqu'à la mort; et ensuite, rien ne pourra plus nous séparer.
Oh! mon peuple! Peuple que j'ai appelé et rassemblé, que j'appellerai et
rassemblerai plus encore quand je serai élevé pour attirer tout à Moi, ô peuple choisi,
peuple saint, ne crains pas car je suis et je serai avec toi, et tu m'annonceras, mon
peuple, et pour cela vous qui le composez serez appelés mes ministres et à vous je
donnerai, je donne dès maintenant l'ordre de parler au septentrion, à l'orient, à
l'occident et au midi, de faire en sorte que les fils et les filles du Dieu Créateur, même
ceux des extrêmes confins du monde, me reconnaissent pour leur Roi et m'appellent
par mon vrai Nom, et possèdent la gloire pour laquelle ils ont été créés et soient la
gloire de Celui qui les a faits et formés.
Isaïe le dit que, pour croire, les tribus et les nations appelleront des témoins de ma gloire. Et où
trouverai-je des témoins si le Temple et le palais royal, si les castes puissantes me haïssent et
mentent parce qu'elles ne veulent pas dire que je suis Celui que Je suis? Où les trouverai-je? Les
voilà, ô Dieu, mes témoins! Ceux que j'ai instruits dans la Loi, ceux que j'ai guéris dans leur corps
et leur esprit, ceux qui étaient aveugles et qui voient maintenant, sourds et maintenant entendent,
muets et qui savent maintenant dire ton Nom, ceux qui étaient opprimés et sont maintenant délivrés,
tous, tous ceux pour lesquels ton Verbe a été Lumière, Vérité, Chemin, Vie.
Vous êtes mes témoins, les serviteurs que j'ai choisis pour que vous sachiez et croyiez et
compreniez qui je suis vraiment. Moi, je suis le Seigneur, le Sauveur. Croyez-le pour votre bien. En
dehors de Moi, il n'y a pas d'autre Sauveur. Sachez-le croire contre toute insinuation humaine ou
satanique. Oubliez toute chose qui vous a été dite par une bouche autre que la mienne et qui est
différente de ma parole. Repoussez tout autre chose qui pourra vous être dite dans l'avenir. A
quiconque voudra vous faire abjurer le Christ, dites: "Ses oeuvres parlent à notre esprit" et soyez
persévérants dans la foi.
J'ai beaucoup fait pour vous donner une foi intrépide. J'ai guéri vos malades et soulagé vos
douleurs, comme un bon Maître je vous ai instruits, et comme un Ami je vous ai écoutés, j'ai rompu
avec vous le pain et partagé la boisson. Mais ces choses sont encore oeuvres de saint et de prophète.
Yen ferai d'autres, et qui seront ca-
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pables d'enlever tout doute que pourront susciter les ténèbres, comme un tourbillon
soulève des nuages de tempête dans la sérénité d'un ciel d'été. Laissez passer la nuée
en restant fermes dans la charité pour votre Jésus, pour ce Jésus qui a laissé le Père
pour venir vous sauver et qui laissera la vie pour vous donner le Salut.
Vous, vous que j'ai aimés et que j'aime bien plus que Moi-même, car il n'y a pas
d'amour plus grand que de s'immoler pour le bien de ceux qu'on aime, veuillez n'être
pas inférieurs à ceux qui dans la prophétie d'Isaïe sont appelés bêtes sauvages,
dragons et autruches, c'est-à-dire gentils, idolâtres, païens, immondes. Eux, quand
j'aurai donné par Moi-même le témoignage de la puissance de mon amour et de ma
Nature, en triomphant par Moi seul même de la Mort - c'est en effet une chose que
l'on peut constater et que personne, s'il n’est menteur, ne pourra nier - diront: "C'était
le Fils de Dieu!" et triomphant des obstacles en apparence insurmontables, de siècles
et de siècles d'un paganisme immonde, de ténèbres, de vices, viendront à la Lumière,
à la Source, à la Vie. Ne soyez, ne soyez pas comme trop en Israël qui ne m'offrent
pas d'holocauste, qui ne m'honorent pas par des victimes, mais au contraire me
peinent par leurs iniquités et me rendent victime de la dureté de leur âme, qui à mon
amour qui pardonne répondent par une haine souterraine qui mine le terrain pour me
faire tomber et pour pouvoir dire: "Vous voyez? Il est tombé parce que Dieu l'a
foudroyé".
Habitants de Béthsur, soyez forts. Aimez ma Parole parce qu'elle est vraie, et mon Signe parce qu'il
est saint. Que le Seigneur soit toujours avec vous et que vous soyez avec les serviteurs du Seigneur,
tous unis, pour que chacun de vous soit là où je vais et qu'il se fasse une éternelle demeure dans le
Ciel, pour tous ceux qui, après avoir surmonté la tribulation et remporté la victoire, mourront dans
le Seigneur et dans le Seigneur ressusciteront pour toujours!»
«Seigneur, mais qu'as-tu voulu dire? Il y avait dans ton discours des cris de triomphe et des cris de
douleur!» disent certains.
«Oui. Tu ressembles à quelqu'un qui se sait environné d'ennemis» disent d'autres.
«Et tu as l'air de dire que nous aussi le serons» disent d'autres.
«Qu'y a-t-il dans ton avenir, ô Seigneur?» disent d'autres encore.
«La gloire!» dit Judas de Kériot.
«La mort!» soupire Elise en pleurant.
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«La Rédemption. L'accomplissement de ma mission. Ne craignez pas. Ne pleurez
pas. Aimez-moi. Je suis heureux d'être le Rédempteur. Viens, Elise. Allons à ta
maison...» et il se met en tête pour s'y diriger en fendant la foule troublée par des
émotions contraires.
«Mais pourquoi, Seigneur, toujours ces discours?!» demande sur un ton de reproche Judas. Et il
ajoute: «Ils ne sont pas d'un roi.»
Jésus ne lui répond pas. Il répond par contre à son cousin Jacques qui Lui demande, avec des larmes
qui brillent dans ses yeux: «Pourquoi, ô Frère, cites-tu toujours des passages du Livre dans tes
adieux?»
«Pour que ceux qui m'accusent ne disent pas que je délire et que je blasphème, et
pour que ceux qui ne veulent pas se rendre à la réalité comprennent que depuis
toujours la Révélation m'a montré comme le Roi d'un Royaume qui n’est pas humain,
qui se dessine, se construit et se cimente par l'immolation de la Victime, de l'unique
Victime qui peut recréer le Royaume des Cieux détruit par Satan et les premiers
parents. L'orgueil, la haine, le mensonge, la luxure, la désobéissance, ont détruit.
L'humilité, l'obéissance, l'amour, la pureté, le sacrifice, reconstruiront... Ne pleure pas,
femme. Ceux que tu aimes et qui m'attendent soupirent après l'heure de mon
immolation...
Ils entrent dans la maison et pendant que les apôtres s'occupent à se reposer et à
calmer leur faim, Jésus va dans le jardin rangé, fleuri, et, seul avec Elise, il l'écoute
parler: «Maître, moi seule sais que Jeanne veut te parler en secret. Elle m'a envoyé
Jonathas. Il m'a dit: "Pour des choses très graves". Même la fille que tu m'as donné -
et que tu en sois béni -l'ignore. Jeanne a envoyé des serviteurs dans toutes les
directions pour te chercher. Mais ils ne t'ont pas trouvé...»
«J'étais très loin et je serais allé encore plus loin si l'esprit ne m'avait pas poussé à revenir... Elise, tu
vas venir avec Moi et le Zélote chez Jeanne. Les autres resteront ici pendant deux jours à se reposer
et puis ils viendront à Béther. Tu reviendras avec Jonathas.»
«Oui, mon Seigneur...» Elise le regarde, maternelle, elle le scrute... Elle ne peut retenir une parole:
«Tu souffres?»
Jésus hoche la tête sans dire vraiment non, mais avec un découragement visible.
«Je suis une mère... Tu es mon Dieu... mais... Oh! mon Seigneur! Que penses-tu que veuille Jeanne?
Tu as parlé de mort, et moi je l'ai compris parce qu'au Temple les jeunes filles lisaient beaucoup
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les Ecritures qui parlent de Toi Sauveur, et je me souviens de ces paroles. Tu parlais
de mort et ton visage resplendissait d'une joie céleste... Maintenant ton visage ne
resplendit pas... Marie était pour moi comme une fille... et to es son Fils... Aussi, si ce
n'est pas péché de le dire, je te vois un peu comme mon fils... Ta Mère est au loin...
Mais c’est une mère qui est à côté de Toi. Béni de Dieu, ne puis-je soulager ta peine?»
«Déjà tu la soulages parce que tu m'aimes. Qu’est-ce je pense de ce que Jeanne
doit me dire? Ma vie est comme ce rosier. Les roses c'est vous, bonnes disciples.
Mais, les roses enlevées, que reste-t-il? Des épines...»
«Mais nous te resterons fidèles jusqu'à la mort.»
«C'est vrai. Jusqu'à la mort! Et le Père vous bénira pour le réconfort que vous me donnez. Entrons
dans la maison. Reposons-nous. Au crépuscule nous partirons pour Béther.»
89. A BETHER

Jésus, suivi du Zélote qui conduit par la bride l'âne monté par Elise, frappe à la porte du gardien de
Béther. Ils n'ont pas fait la même route que l'autre fois et ils sont arrivés aux possessions de Jeanne
du petit village qui s'étale sur les pentes occidentales de la montagne sur laquelle s'élève le château.
Le gardien, qui reconnaît le Seigneur, s'empresse d'ouvrir toute grande la grille qui est à côté de sa
petite maison et qui donne accès au jardin qui précède l'habitation. C'est le commencement de ce
lieu de rêve que sont les jardins des roseraies de Jeanne. Une odeur pénétrante de roses fraîches et
d'essence de rose flotte dans l’air chaud du crépuscule et, quand la brise du soir venant de l’orient
passe en faisant onduler les rosiers en fleurs, le parfum se fait plus pénétrant, plus frais, plus vrai,
car il provient des coteaux plantés de rosiers et il triomphe du lourd parfum d'essence qui sort d'un
bas et large appentis appuyé contre le mur occidental de la propriété.
Le gardien explique: «Ma maîtresse est là. Chaque soir elle y vient à l'heure où se rassemblent ceux
qui s'occupent de la cueillette et de l'essence. Elle leur parle, les interroge, les soigne, les
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réconforte. Oh! Elle est bonne, notre maîtresse! Elle l'a toujours été. Mais depuis
qu'elle est ta disciple!... Maintenant je vais l'appeler. C'est une période de gros travaux
et les cueilleurs habituels ne suffisent pas, bien que depuis Pâque il y a en plus de
nouveaux serviteurs et de nouvelles servantes qu'elle a engagés. Attends-moi,
Seigneur...»
«Non, j'y vais Moi. Que Dieu te bénisse et te donne la paix» dit Jésus en levant la
main pour bénir le vieux gardien que jusqu'alors il a écouté patiemment. Et après
l'avoir quitté, il s'en va vers le bas et large appentis.
Mais le bruit des pas sur la terre dure du sentier fait lever la tête à Mathias quelque peu curieux et,
avec un cri, l'enfant se précipite dehors, les bras déjà ouverts et levés pour inviter à l'embrassement
qu'il désire. «Il y a Jésus! Il y a Jésus!» crie-t-il en courant. Et quand il est déjà dans les bras du
Seigneur qui le baise, Jeanne s'avance au milieu de ses serviteurs.
«Le Seigneur!» crie-t-elle à son tour, et elle tombe à genoux pour le vénérer tout de suite de
l'endroit où elle se trouve. Elle se prosterne et puis se relève, avec un visage que l'émotion colore
d'une teinte pourpre semblable aux pétales d'une rose épanouie. Puis elle vient vers Jésus et se
prosterne encore pour baiser ses pieds.
«La paix à toi, Jeanne. Tu voulais me voir? Je suis venu.»
«Je voulais te voir... Oui, Seigneur...» Jeanne devient pâle et sérieuse. Jésus le remarque.
«Lève-toi, Jeanne. Chouza se porte bien?»
«Oui, mon Seigneur.»
«Et la petite Marie, que je ne vois pas ici?»
«Elle aussi, Seigneur... Elle est allée avec Esther apporter des remèdes à un serviteur malade.»
«C'est pour ce serviteur que tu m'as appelé?»
«Non, Seigneur... Pour... Toi.» Jeanne, c'est bien visible, ne veut pas parler en présence de tous les
gens qui les ont entourés.
Jésus le comprend et il dit: «C'est bien. Allons voir tes rosiers...»
«Tu dois être fatigué, Seigneur. Tu as besoin de manger... Tu as soif...»
«Non. Nous nous sommes arrêtés pendant les heures chaudes dans une maison des disciples des
bergers. Je ne suis pas fatigué...»
«Alors allons... Jonathas, to prépareras tout pour le Seigneur et pour ceux qui
l'accompagnent... Descends, Mathias...» commande-t-elle à l'intendant qui se tient
respectueusement près d'elle et à l'enfant qui s'est fait un nid dans les bras de Jésus et,
caressant,
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tient sa petite tête brune dans le creux du cou de Jésus comme un tourtereau sous l'aile
paternelle. L'enfant soupire de peine, pourtant il s'apprête à obéir.
Mais Jésus dit: «Non. Il va venir avec nous et ne nous dérangera pas. Ce sera le
petit ange devant lequel il ne peut y avoir d'actes ou d'entretiens scandaleux, et qui
empêchera le plus léger soupçon de naître dans les coeurs. Allons...»
«Maître, Elise et moi, nous entrons dans la maison ou bien nous veux-tu tout près?» demande le
Zélote.
«Allez, vous aussi.»
Jeanne conduit Jésus par une large allée qui traverse le jardin. Ils se dirigent vers les roseraies qui
descendent et remontent les versants opposés qui forment le domaine fleuri de la disciple. Et Jeanne
continue. On dirait qu'elle veut vraiment s'isoler là où il n'y a que des rosiers et des arbres et des
oiseaux dans les branches, qui se disputent une place pour dormir ou font un dernier tour à leurs
nids.
Les roses, ce soir encore en boutons et qui demain épanouies tomberont sous les ciseaux, exhalent
un puissant parfum avant de se reposer sous la rosée. Ils s'arrêtent dans une petite vallée entre deux
replis de terrain sur lesquels forment de riants festons d'un côté des roses carnées et de l'autre des
roses rouges comme des taches de sang en train de se coaguler. Il y a là un rocher qui peut servir de
siège ou d'appui pour poser les paniers des cueilleurs. Il y a dans l'herbe et sur le rocher des roses et
des pétales froissés qui témoignent du travail de la journée.
Jeanne, de sa main ornée de bagues, dégage le siège de ces débris et elle dit: «Assieds-toi, Maître.
Je dois te parler... longuement.»
Jésus s'assoit et Mathias se met à courir ça et là sur l'herbette jusqu'à ce qu'il s'intéresse grandement
à la poursuite d'un gros crapaud venu prendre le frais dans la soirée, et il s'éloigne en criant et en
sautant de joie, allant et venant derrière le pauvre crapaud, jusqu'à ce que le distraie le gîte d'un
grillon dans lequel il se met à fouiller avec une petite brindille.
«Jeanne, je suis ici pour t'écouter... Tu ne parles pas?» demande Jésus après un moment de silence
et il cesse d'observer l'enfant pour regarder la disciple qui se tient debout devant Lui, sérieuse et
silencieuse.
«Oui, Maître. Mais... c'est très difficile... et je crois que ce sera pénible à entendre...»
«Parle avec simplicité et confiance...»
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Jeanne se laisse glisser sur l'herbe et à moitié assise sur les talons en contre bas
par rapport à Jésus qui est assis sur le rocher, dans une pose austère et raide, distant
comme homme plus que s'il était séparé par plusieurs mètres et de nombreux
obstacles, mais voisin comme Dieu et Ami grâce à la bonté du regard et du sourire. Et
Jeanne le regarde, le regarde dans la douceur du crépuscule d'un soir de mai. Enfin
elle parle: «Mon Seigneur... avant de parler... j'ai besoin de t'interroger... de connaître
ta pensée... de comprendre si je me suis trompée sur le sens de tes paroles... Je suis
une femme, une sotte femme... peut-être ai-je rêvé... et que maintenant seulement je
me rends compte... des choses comme tu les as dites, comme tu les as préparées,
comme tu les veux pour ton Royaume... Peut-être Chouza a-t-il raison et moi tort...»
«Chouza t'a fait des reproches?»
«Oui et non, Seigneur. Il m'a seulement dit, au nom de sa puissance maritale, que
s'il en est comme les derniers faits le font penser, je dois te quitter car lui, dignitaire
d'Hérode, ne peut permettre que son épouse conspire contre Hérode.»
«Et quand donc as-tu été conspiratrice? Qui pense à faire du tort à Hérode? Son pauvre trône si
dégoûtant ne vaut pas ce siège au milieu des rosiers. Je m'assois ici, mais je ne m'assoirais pas sur
son siège. Que Chouza se rassure! Ni le trône d'Hérode, ni même celui de César ne me font envie.
Ce ne sont pas mes trônes et ce ne sont pas mes royaumes.»
«Oh! Oui, Seigneur?! Béni que tu es! Quelle paix tu me donnes! Cela fait des
jours que j'en souffre! Mon Maître, saint et divin, mon cher Maître, mon Maître de
toujours, tel que je t'ai compris, vu, aimé, tel que je t'ai cru, si élevé, si élevé au-dessus
de la Terre, si... si divin, ô mon Seigneur et Roi céleste!» et Jeanne, ayant pris la main
de Jésus, en baise respectueusement le dos, en restant à genoux comme en adoration.
«Mais qu’est-il donc arrivé? Une chose que j'ignore, capable de te troubler ainsi,
de brouiller en toi la limpidité de ma figure morale et spirituelle? Parle!»
«Quoi? Maître, les fumées de l'erreur, de l'orgueil, de la cupidité, de l'entêtement
se sont élevées comme de puants cratères et ont embrouillé ton image dans la pensée
de certains, de certaines... et ont essayé de faire la même chose en moi. Mais moi, je
suis ta Jeanne, ta grâce, ô Dieu! Et je ne me serais pas perdue. Au moins je l'espère,
sachant combien Dieu est bon. Mais celui qui n’est qu'un embryon d'âme qui lutte
pour se former, peut bien mourir à cause
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d'une déception. Mais celui qui n’est que quelqu'un qui dune mer fangeuse, troublée
par des courants violents, essaie de gagner le rivage, le port, de se purifier, de
connaître d'autres lieux de paix, de justice, peut bien être vaincu par la fatigue s'il perd
la confiance en ce rivage, en ces lieux, et se laisser reprendre par les courants, par la
fange. Et moi j'étais affligée, torturée, par cette ruine des âmes, pour lesquelles
j'implore Lumière. Les âmes que nous formons pour la Lumière éternelle nous sont
encore plus chères que les corps auxquels nous donnons la lumière terrestre.
Maintenant je comprends ce que c'est que d'être mère d'une chair et d'être mère d'une
âme. On pleure pour notre petit enfant qui est mort, mais c'est seulement notre
douleur. Pour un esprit que nous avons essayé de faire grandir dans ta Lumière et qui
meurt, nous ne souffrons pas pour nous seuls. Mais avec Toi, avec Dieu... car notre
douleur pour la mort spirituelle d'une âme est aussi ta douleur, une infinie douleur de
Dieu... Je ne sais pas si je m'explique bien...»
«Oh! très bien. Mais fais un récit ordonné, si tu veux que je te console.»
«Oui, Maître. Tu as envoyé à Béthanie Simon le Zélote et Judas de Kériot,
n’est-ce pas? Pour cette jeune fille hébraïque que les romaines t'ont donnée et que tu
as envoyée a Nike...»
«Oui! Eh bien?...»
«Elle a voulu saluer ses bonnes maîtresses et Simon et Judas l’ont accompagnée à l'Antonia. Tu le
sais?»
«Je le sais. Eh bien?»
«Maître... je dois te donner une douleur... Maître, tu n’es vraiment qu'un Roi de l’esprit? Tu ne
penses pas à des royaumes terrestres?»
«Mais non, Jeanne! Comment peux-tu encore le penser?»
«Maître pour avoir la joie de te voir une fois de plus divin, seulement divin. Mais précisément parce
que to es tel, je dois te causer une douleur... Maître, l'homme de Kériot ne te comprend pas, et il ne
comprend pas celle qui te respecte comme un sage, comme un grand philosophe, comme une Vertu
sur la Terre, mais t'admire seulement pour cela et pour cela se fait to protectrice. C'est étrange que
des païennes comprennent ce que ne comprend pas un de tes apôtres, après avoir été si longtemps
avec Toi...»
«Il est aveuglé par l'humanité, l'amour humain.»
«Tu l'excuses... Mais il te nuit, Maître. Pendant que Simon parlait avec Plautina, Lidia et Valeria,
Judas a parlé avec Claudia en ton nom, comme ton ambassadeur. Il voulait lui arracher des
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promesses pour une restauration du royaume d'Israël. Claudia l'a longuement
interrogé... Lui a beaucoup parlé. Il pense certainement être au seuil de son rêve fou,
là où le rêve se change en réalité. Maître, Claudia en est indignée. C'est une fille de
Rome... Elle a l'empire dans le sang... Comment veux-tu qu'elle, justement elle, la
fille de la gens Claudia, marche contre Rome? Elle en a été si profondément
choquée qu'elle a douté de Toi et de la sainteté de ta doctrine. Elle ne peut encore
concevoir, comprendre la sainteté de ton Origine... Mais elle y arrivera parce qu'elle
a bonne volonté. Elle y arrivera quand elle se sera rassurée sur ton compte. Pour
l'instant tu lui parais un rebelle, un usurpateur, avide, faux... Plautina et les autres
ont essayé de la rassurer... Mais elle veut de Toi une réponse immédiate.»
«Dis-lui qu'elle ne craigne pas. Je suis le Roi des rois, Celui qui les crée et qui
les juge, mais je n'aurai pas d'autre trône que celui de l'Agneau, d'abord immolé,
ensuite triomphant au Ciel. Fais-le-lui savoir sans tarder.»
«Oui, Maître, je vais y aller personnellement. Avant qu'elles ne quittent Jérusalem, car Claudia est
tellement indignée qu'elle ne reste pas davantage à l'Antonia... pour ne pas... voir les ennemis de
Rome, dit-elle.»
«Qui t'a dit cela?»
«Plautina et Lidia. Elles sont venues... et Chouza était présent... et depuis... il m'a posé le dilemme.
Ou bien tu es le Messie spirituel, ou bien je to quitte pour toujours.»
Jésus a un sourire lassé sur son visage qui a pâli de douleur au récit de Jeanne, et il dit: «Chouza ne
vient-il pas ici?»
«Demain c'est le sabbat et il y sera.»
«Et Moi je le rassurerai. Ne crains pas. Que personne ne craigne. Ni Chouza pour sa place à la
Cour, ni Hérode pour d'éventuelles usurpations, ni Claudia pour l'amour de Rome, ni toi par la
crainte de t'être trompée, de pouvoir être séparée... Que personne ne craigne... Moi seul je dois
craindre... et souffrir...»
«Maître, cette douleur, je n'aurais pas voulu te la donner. Mais le silence aurait été une tromperie...
Maître, comment te comporteras-tu avec Judas?... J'ai peur de ses réactions... pour Toi, toujours
pour Toi...»
«Avec vérité. Je lui ferai comprendre que je sais et que je désapprouve son acte et son obstination.»
«Il me haïra car il comprendra que c'est par moi que to sais...»
«Tu en souffres?»
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«Ta haine serait pour moi une douleur. Pas la sienne. Je suis une femme, mais
plus virile que lui à ton service. Je te sers parce que je t'aime, non pour avoir des
honneurs de Toi. Si demain, à cause de Toi, je perdais les richesses, l'amour de mon
époux et même la liberté et la vie, je t'aimerais davantage parce que, alors, je n'aurais
que Toi à aimer et pour m'aimer» dit Jeanne impétueusement en se levant.
Jésus aussi se lève et il dit: «Sois bénie, Jeanne, pour cette parole. Et reste en paix. Ni la haine ni
l'amour de Judas ne peuvent changer ce qui est écrit dans le Ciel. Ma mission sera accomplie
comme c'est décidé. N'aie pas de remords, jamais. Sois tranquille comme le petit Mathias qui, après
avoir travaillé à faire une maison selon lui plus belle à son grillon, s'est endormi le front sur des
pétales de roses et qui sourit... en croyant l'avoir sur les roses. Car la vie est belle quand on est
innocent. Moi aussi je souris, même si ma vie humaine n'a pas de fleurs mais des pétales effeuillés,
fanés. Mais au Ciel j'aurai toutes les roses de ceux qui sont sauvés... Viens. La nuit tombe. Bientôt
nous n'allons plus voir le sentier.»
Jeanne va prendre l'enfant dans ses bras.
«Laisse... Je le prends. Regarde comme il sourit! Certainement il rêve au Ciel, à sa maman. Et toi...
Moi aussi, dans mes peines de toutes les heures, je rêve au Ciel, à Maman et aux bonnes disciples.»
Et lentement ils se dirigent vers la maison...

90. JESUS AVEC PIERRE ET BARTHELEMY A BETHER

Jésus se promène à travers les bosquets de roses où s'active le travail des


cueilleurs. Il trouve ainsi le moyen de parler avec tel ou tel et aussi avec la veuve et
ses enfants, que Jeanne par amour pour Lui a prise comme servante à Pâque, après le
banquet des pauvres. Ils ne semblent plus les mêmes. Refleuris, sereins, ils
accomplissent joyeusement leur travail chacun selon ses capacités et les plus petits,
qui ne savent pas encore distinguer une rose d'une autre pour la fraîcheur ou la
couleur, pour le triage, jouent avec d'autres petits dans des endroits plus tranquilles et
leurs cris d'oisillons humains se confondent avec ceux des oiseaux qui pépient dans le
feuillage des arbres pour saluer leurs parents qui reviennent avec
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la becquée.
Jésus se dirige vers ces petits oisillons humains et il se penche, s'intéresse,
caresse, apaise les petites disputes, relève ceux qui sont tombés et qui pleurnichent,
souillés de terre, le front ou les menottes égratignées par le sol. Et les pleurs, les rixes,
les jalousies s'arrêtent sur le coup sous la caresse et la parole de l'Innocent aux
innocents, elles se changent en offrande de l'objet de la contestation ou de la chute du
carabe doré, du caillou coloré ou brillant, de la fleur cueillie... Jésus en a les mains et
la ceinture pleines, et il ne se fait pas voir quand il dépose les carabes ou les
coccinelles sur les feuillages pour les rendre à la liberté. Combien de fois j'ai
remarqué le tact parfait de Jésus même avec les tout petits, pour ne pas les mortifies,
pour ne pas les décevoir! Il a fart et le charme de savoir les rendre meilleurs et de se
faire aimer avec des riens, en apparence, qui en réalité sont des perfections d'un amour
adapté à la petitesse de l'enfant...
Voici que je vois s'avancer d'un pas rapide, au point que ses vêtements s'agitent comme une voile
remuée par le vent, Pierre, suivi de Barthélemy qui marche plus lentement.
Il arrive derrière le Maître penché sur des bébés qu'il caresse, certainement des enfants des
cueilleuses, installés sur des paillasses à l'ombre des arbres. «Maître!»
«Simon, comment donc es-tu ici? Et toi, Barthélemy? Vous deviez partir demain soir après le
crépuscule du sabbat...»
«Maître, ne nous fais pas de reproches... Ecoute-nous d'abord.»
«Je vous écoute. Et je ne vous fais pas de reproches, car je pense que c'est pour un motif grave que
vous avez désobéi. Donnez-moi seulement l'assurance que personne de vous n’est malade ou
blessé»
«Non, non, Seigneur, aucun mal n’est arrivé» s'empresse de dire Barthélemy.
Mais Pierre, sincère et toujours impétueux dit: «Hum! Moi, je dis qu'il vaudrait mieux
que nous ayions tous les jambes cassées, et même la tête, plutôt que...»
«Qu'est-il arrivé alors?»
«Maître, nous avons pensé qu'il valait mieux venir pour mettre fin à...» est en train de dire
Barthélemy, quand Pierre l'interrompt: «Mais dépêche-toi de le dire!» Et il termine: «Judas est
devenu un démon depuis que tu es parti. On ne pouvait plus parler, plus discuter. Il querelle tout le
monde... Et il a scandalisé tous les serviteurs d'Elise et d'autres encore...»
«Peut-être est-il devenu jaloux parce que tu as pris Simon avec
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Toi...» dit Barthélemy pour l'excuser en voyant que le visage de Jésus devient très
sévère.
«Bien sûr, de la jalousie! Vas-tu finir de l'excuser!... Ou bien je me querelle avec toi pour me
défouler de n'avoir pu le quereller... Parce que, Maître, j'ai réussi à me taire! Pense donc, à me taire!
Justement par obéissance et par amour pour Toi... Mais quel mal pour y arriver! Bon! A un moment
que Judas s'est éloigné en claquant les portes, nous nous sommes consultés... Et nous avons pensé
qu'il valait mieux partir pour mettre fin au scandale à Béthsur et... éviter de... de le gifler... Et je suis
parti tout de suite avec Barthélemy. J'ai prié les autres qu'ils me laissent partir sans tarder avant son
retour... car... car je sentais que je ne me serais plus contenu... Voilà. J'ai parlé. Maintenant fais-moi
des reproches s'il te paraît que je me suis trompé.»
«Tu as bien fait. Vous avez tous bien fait.»
«Même Judas? Ah! non, mon Seigneur! Ne dis pas cela! Il a donné un indigne spectacle!»
«Non. Lui n'a pas bien agi. Mais toi, ne le juge pas.»
«...Non, Seigneur...» Le «non» a du mal à sortir. Un silence. Puis Pierre demande: «Mais au moins,
dis-moi pourquoi Judas est devenu ainsi tout d'un coup? Il paraissait devenu si bon! On était si bien!
J'avais fait des prières et des sacrifices pour que cela dure... Car je ne peux pas te voir affligé. Et tu
es affligé quand nous agissons mal... Et depuis les Encénies je sais que même le sacrifice d'une
cuillerée de miel a de la valeur... Il a fallu que me l'enseigne un disciple, le plus petit des disciples,
un pauvre enfant, cette vérité, à moi, ton sot apôtre. Mais je ne l'ai pas négligée, car j'en ai vu le
fruit. Car j'ai compris, moi aussi, tête dure, quelque chose grâce à la lumière de la Sagesse qui s'est
penchée avec bonté sur moi, qui est descendue jusqu'à moi, le grossier pêcheur, l'homme pécheur.
J'ai compris qu'il ne faut pas seulement t'aimer en paroles mais en te sauvant les âmes par le
sacrifice. Pour te donner une joie. Pour ne pas te voir comme tu es maintenant, comme tu étais au
mois de Scebat. Si pâle et si affligé, mon Maître et Seigneur que nous ne sommes pas dignes
d'avoir, nous qui ne te comprenons pas, nous vers de terre près de Toi, Fils de Dieu, nous fange près
de Toi, Etoile, nous ténèbres près de Toi, Lumière. Mais cela n'a servi à rien! A rien! C'est vrai.
Mes pauvres offrandes... si pauvres... si mal faites... A quoi devaient-elles servir? J'ai été
orgueilleux en croyant qu'elles pouvaient servir... Pardonne-moi. Mais je t'ai donné ce que j'avais.
Je me suis offert pour te donner tout ce que
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j'ai. Et je croyais être justifié, parce que je t'ai aimé, ô mon Dieu, avec tout moi-même,
avec tout mon coeur, avec toute mon âme, avec toutes mes forces, comme il est dit. Et
maintenant je comprends cela aussi et je le dis, moi comme le dit toujours Jean, notre
ange, et je to prie (et il s'agenouille aux pieds de Jésus) d'augmenter ton amour en ton
pauvre Simon, pour augmenter mon amour pour Toi, ô mon Dieu.» Et Pierre se
courbe pour baiser les pieds de Jésus et reste ainsi. Barthélemy qui a écouté,
l'admirant et l'approuvant, l'imite.
«Levez-vous, amis. Mon amour ne cesse de grandir en vous et il grandira de plus
en plus. Et soyez bénis pour le coeur que vous avez. Quand les autres vont-ils venir?»
«Avant le crépuscule.»
«C'est bien. Jeanne aussi, avec Elise et Chouza, reviendra avant le crépuscule. Nous passerons le
sabbat ici et puis nous partirons.»
«Oui, Seigneur. Mais pourquoi Jeanne t'a-t-elle appelé d'une manière si pressante? Ne pouvait-elle
pas attendre? Il était décidé que l'on venait ici! Par son imprudence elle a été cause de toute cette
histoire!...»
«Ne lui fais pas de reproches, Simon de Jonas. Elle a agi avec prudence et amour. Elle m'a appelé
parce qu'il y avait des âmes dont il fallait raffermir la bonne volonté.»
«Ah! Alors je ne parle plus... Mais, Seigneur, pourquoi Judas a-t-il ainsi changé?»
«N'y pense pas! N'y pense pas! Jouis de cet Eden tout fleuri et paisible. Jouis de ton Seigneur.
Laisse et oublie l'humanité sous ses pires formes, dans les assauts qu'elle livre à l'esprit de ton
pauvre compagnon. Rappelle-toi seulement de prier pour lui, beaucoup, beaucoup. Venez. Allons
trouver ces petits qui nous regardent étonnés. Je leur parlais de Dieu, il y a un instant, d'âme à âme,
avec amour, et aux plus grands avec les beautés de Dieu...» Et il prend par la taille ses deux apôtres
tout en se dirigeant vers un groupe d'enfants qui l'attendent.
91. ADIEU A BETHER

Je ne sais pas comment je vais faire pour écrire, à bout de forces comme je suis
par suite de continuelles crises cardiaques de jour et de nuit... Mais je vois et je dois
écrire.
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Je vois Jésus devant le palais de Jeanne à Béther. A cet endroit le jardin qui
précède la maison s’élargit, en faisant deux ailes qui l’encerclent, formant ainsi une
petite place semi-circulaire, sans arbres au milieu, entourée d’arbres très élevés et très
vieux. Leur feuillage touffu frissonne sous la brise qui souffle sur le sommet de la
colline et ils projettent une ombre favorable pour protéger du soleil quand il est à
l’occident. Sous les arbres une haie de roses décrit un demi-cercle coloré et parfumé
au bord de l’esplanade. C’est le crépuscule. En effet, à cause de la position élevée du
château, on voit nettement que le soleil est descendu d’un arc important de son orbite
sur l’horizon, et qu’il va se coucher derrière les montagnes qui sont à l’occident.
André les montre à Philippe en rappelant la peur qu’ils ont éprouvée, là-bas à
Bétginna, de devoir annoncer le Seigneur. On comprend que c’est sur ces montagnes
que se trouve Bétginna où le Seigneur, il y a un an, guérit la fille de l’hôtelier, au
commencement de sa pérégrination vers les rivages de la Méditerranée, si j’ai bon
souvenir. Je suis seule, je ne puis me faire donner les fascicules des mois écoulés pour
vérifier, et ma tête n’arrive pas à se rappeler.
Les apôtres sont tous présents. Je ne sais pas comment s’est passée la rencontre de Jésus avec Judas.
En apparence il semble pour le mieux, en effet son visage ne trahit pas de réserve ni d’altération et
Judas est désinvolte, gai, comme si de rien n’était. C’est au point qu’il est tout à fait aimable même
avec les serviteurs les plus humbles, chose qui ne lui arrive pas facilement et qui disparaît
complètement quand il est fâché.
Il y a encore Elise et, certainement venue avec les apôtres et la servante d’Elise, il y a Anastasica. Il
y a aussi Chouza tout obséquieux et qui tient Mathias par la main; et Jeanne près d’Elise avec la
petite Marie à son côté. Jonathas est en arrière de sa maîtresse.
Jésus est abrité du soleil, qui encore tape dur sur la façade occidentale, par une toile tendue au
moyen de cordes et de poteaux, comme un baldaquin. En face de Lui sont tous les serviteurs et
jardiniers de Béther et non seulement ceux qui sont au service habituel de la propriété, mais aussi
les auxiliaires venus du village qui dépend du château. Ils sont à l’ombre du demi-cercle, abrités du
soleil par le feuillage des arbres, silencieux, en rangs, attendant la bénédiction de Jésus qui semble
prêt à partir attendant seulement que le crépuscule marque la fin du sabbat.
Jésus est maintenant un peu à part, en train de parler avec Chouza. Je ne sais pas ce qu’ils disent car
ils parlent à voix basse,
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mais je vois que Chouza se confond en inclinations et en protestations, en mettant sa
main droite sur sa poitrine comme pour dire: «Sur ma parole, tu peux être sûr que
pour mon compte» et caetera.
Les apôtres par discrétion se sont groupés dans un coin. Mais personne ne peut
les empêcher d’observer. Sur le visage de Pierre et de Barthélemy c’est le simple
regard de quelqu’un qui sait un peu de quoi il s’agit. Sur le visage des autres, sauf de
Judas, il y a de la crainte, une expression pénible spécialement sur les visages de
Jacques d’Alphée, de Jean, de Simon et d’André alors que Jude d’Alphée paraît
inquiet et sévère, et que Judas qui veut paraître désinvolte, regarde plus attentivement
que tous et semble vouloir déchiffrer, d’après les gestes et le mouvement des lèvres,
ce que disent Jésus et Chouza.
Les femmes disciples, silencieuses, respectueuses, observent elles aussi. Jeanne esquisse un sourire
involontaire, un peu ironique dans sa tristesse, et elle semble avoir pitié de son époux quand
Chouza, élevant la voix à la fin de l’entretien, proclame: «Ma dette de reconnaissance est telle qu’en
aucune manière je ne pourrai jamais m’en acquitter. Aussi je t’accorde tout ce que j’ai de plus cher:
ma Jeanne... Mais tu dois comprendre mon prévoyant amour pour elle... L’indignation d’Hérode...
sa légitime défense... auraient éclaté en représailles sur nos biens, sur... sur notre influence... et
Jeanne est habituée à ces choses, elle est délicate... elle en a besoin... Je veille sur ses intérêts. Mais
je te jure, maintenant que je suis sûr qu’Hérode n’aura pas à s’indigner contre moi, comme d’un
serviteur complice de son ennemi, que je ne ferai que te servir avec une joie complète, en accordant
à Jeanne toute liberté...»
«C’est bien. Mais rappelle-toi que troquer les biens éternels contre un honneur humain temporel
c’est comme troquer le droit d’aînesse contre un plat de lentilles. Et bien pire encore...»
Les paroles ont été entendues par les femmes disciples, mais aussi par les apôtres. A la plupart elles
ont fait l’effet d’un discours académique, mais Judas de Kériot y a trouvé une intonation spéciale et
il change de couleur et de physionomie en jetant un regard à la fois effrayé et irrité sur Jeanne... Je
comprends que jusqu’à présent Jésus ne lui a pas parlé de ce qui est arrivé et que seulement
maintenant Judas commence à soupçonner que son jeu est découvert.
Jésus s’adresse à Jeanne en lui disant: «Eh bien, maintenant faisons plaisir à la bonne disciple.
Comme tu l’as désiré, je parlerai à
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tes serviteurs avant de partir.»
Il s’avance jusqu’à la limite de l’ombre qui s’allonge de plus en plus à mesure
que le soleil descend. Il descend lentement et il ressemble déjà à une orange coupée à
sa base et la coupure s’élargit alors que l’astre descend derrière les montagnes de
Bétginna en laissant une rougeur de feu sur le ciel clair.
«Chers amis Chouza et Jeanne, et vous, leurs bons serviteurs qui connaissez déjà le Seigneur grâce
à mon disciple Jonathas depuis de longues années, et grâce à Jeanne depuis qu’elle est ma disciple
fidèle, écoutez.
J’ai fait mes adieux à tous les villages de Judée, où j’ai des disciples plus nombreux, grâce au travail
des premiers disciples, les bergers, et à cause de la manière dont ils ont répondu au Verbe qui est
passé en instruisant pour sauver. Maintenant je prends congé de vous, car jamais plus je ne
reviendrai dans cet Eden si beau. Mais sa beauté ne lui vient pas seulement des rosiers et de la paix
qui y règne, pas seulement de la bonne maîtresse qui en est la reine, mais de ce qu’ici on croit au
Seigneur et qu’on vit selon sa Parole. Un paradis! Oui. Qu’était le paradis d’Adam et d’Eve? Un
splendide jardin où on vivait sans pécher et où retentissait la voix de Dieu, aimée, accueillie avec
joie par ses deux premiers enfants...
Eh bien, je vous exhorte à veiller pour que n’arrive pas ce qui est survenu dans
l’Eden: que ne s’y insinue pas le serpent du mensonge, de la calomnie, du péché, pour
qu’il ne morde pas votre coeur en vous séparant de Dieu. Veillez et restez fermes dans
la Foi... Ne vous agitez pas. Ne faites pas des actes d’incrédulité. Cela pourrait arriver
parce que le Maudit entrera, essaiera d’entrer, partout, comme il est déjà entré en
beaucoup d’endroits pour détruire l’oeuvre de Dieu. Et tant qu’il entre dans l’endroit,
le Subtil, l’Astucieux, l’Infatigable, et qu’il scrute et qu’il prête l’oreille, dresse des
embûches, bave, tente de séduire, il y a encore peu de mal. Rien ni personne ne peut
l’empêcher de le faire. Il l’a fait au Paradis Terrestre... Mais le plus grand mal c’est
de le laisser séjourner sans le chasser. L’ennemi que l’on ne chasse pas finit par
devenir le maître de l’endroit car il s’y installe et y construit ses repaires et ses
citadelles. Donnez-lui tout de suite la chasse, mettez-le en fuite avec l’arme de la Foi,
de la Charité, de l’Espérance dans le Seigneur. Mais le plus grand mal, le mal
suprême, ensuite, c’est quand non seulement on le laisse vivre tranquillement parmi
les hommes, mais quand on le laisse pénétrer de l’exté-
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rieur à l’intérieur, et qu’on le laisse se faire un nid dans le coeur de l’homme. Oh!
alors!! Et pourtant déjà beaucoup d’hommes l’ont accueilli dans leur coeur pour faire
échec au Christ.
Ils ont accueilli Satan avec ses mauvaises passions en chassant le Christ. Et si
encore ils n’avaient pas connu le Christ dans la vérité, si leur connaissance avait été
superficielle, comme on se connaît entre voyageurs en se rencontrant par hasard sur
une route, en ne se regardant souvent qu’un instant, en inconnus qui se voient pour la
première et la dernière fois, parfois pour échanger seulement quelques mots pour
s’enquérir du bon chemin, pour demander une pincée de sel, pour demander le briquet
pour allumer le feu ou le couteau pour préparer la viande, s’il en avait été ainsi de la
connaissance du Christ dans des coeurs qui maintenant, et davantage demain, de plus
en plus, chassent le Christ pour faire place à Satan, on pourrait encore avoir pitié
d’eux et les traiter avec miséricorde parce qu’ils ignorent le Christ. Mais malheur à
ceux qui me connaissent pour ce que je suis, réellement, qui se sont nourris de ma
parole et de mon amour et maintenant me chassent pour accueillir Satan qui les séduit
par des promesses trompeuses de triomphes humains dont la réalité sera l’éternelle
damnation.
Vous, vous qui êtes humbles et ne rêvez pas aux trônes ni aux couronnes, vous qui ne cherchez pas
les gloires humaines, mais la paix et le triomphe de Dieu, son Royaume, son amour, la vie éternelle,
et cela seulement, ne les imitez jamais. Veillez! Veillez! Gardez-vous purs de toute corruption, forts
contre les insinuations, contre les menaces, contre tout.»
Judas, qui a compris que Jésus sait quelque chose, est devenu un masque terreux. Ses yeux dardent
des éclairs mauvais sur le Maître et Jeanne... Il se retire derrière ses compagnons, comme pour
s’appuyer au mur. En réalité il le fait pour cacher son désappointement.
Jésus continue après une brève interruption qui semble destinée à séparer la première partie de son
instruction de la seconde.
Il dit: «Il fut un temps où le jezraélite Naboth avait une vigne près du palais d’Achab, roi de
Samarie. C’était une vigne de ses pères, très chère par conséquent à son coeur, quasi sacrée pour lui
car c’était l’héritage que lui avait laissé son père, après l’avoir hérité à son tour de son propre père,
et ce dernier du sien, et ainsi de suite. Des générations d’ancêtres avaient sué dans cette vigne pour
la rendre toujours plus florissante et plus belle. Naboth l’aimait beaucoup. Achab lui dit: “Céde-moi
ta vigne qui touche
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ma maison et me sera donc très utile pour en faire un jardin pour moi et pour ceux qui
sont avec moi. En échange, je te donnerai une vigne meilleure, ou de l’argent si tu
préfères”. Mais Naboth répondit: “Je regrette de te déplaire, ô roi mais je me peux te
faire ce plaisir. Cette vigne est un héritage de mes pères et elle est sacrée pour moi.
Dieu me garde de te céder l’héritage de mes pères”.
Méditons cette réponse. Trop peu la méditent, trop peu en Israël. Beaucoup, la
plupart, ceux dont j’ai parlé d’abord, chassent facilement le Christ pour accueillir
Satan, sans respect pour l’héritage des pères, pourvu qu’ils aient beaucoup d’argent ou
beaucoup de terrain, c’est-à-dire beaucoup d’honneurs et l’assurance de n’être pas
supplantés facilement, ils consentent à céder l’héritage des pères, c’est-à-dire l’idée
messianique pour ce qu’elle est en vérité, ainsi qu’elle a été révélée aux saints d’Israël
et qui devrait être sacrée dans ses plus petits détails, pas négligée, pas altérée, pas
rabaissée par des limitations humaines. Combien, combien, combien troquent la
lumineuse idée messianique, toute sainte et toute spirituelle, contre un fantoche de
royauté humaine agité comme un épouvantail pour contrer, pour blasphémer les
autorités et la vérité!
Moi, qui suis Miséricorde, je n’arrive pas à les maudire par les terribles malédictions de Moïse aux
transgresseurs de la Loi. Mais derrière la Miséricorde il y a la Justice. Que chacun s’en souvienne!
Moi, pour mon compte, je leur rappelle - et s’il y a quelqu’un d’eux parmi ceux qui sont ici, qu’il
reçoive de bonne grâce l’avertissement - je rappelle d’autres paroles de Moïse dites à ceux qui
voulaient être plus que ce que Dieu avait fixé pour eux. Moïse dit à Coré, Dathan et Abiron, qui se
disaient égaux à Moïse et Aaron et qui se révoltaient de n’être que des fils de Lévi dans le peuple
d’Israël: “Demain le Seigneur fera connaître qui Lui appartient et Il fera approcher de Lui les saints,
ceux qu’Il aura choisis s’approcheront de Lui. Mettez du feu dans vos encensoirs et sur le feu de
l’encens en présence du Seigneur, et venez vous et les vôtres avec Aaron. Et nous verrons qui le
Seigneur choisit. Vous vous élevez un peu trop, fils de Lévi!”
Vous, bons israélites, vous savez quelle fut la réponse de Dieu à ceux qui voulaient s’élever un peu
trop, en oubliant que Dieu choisit les places de ses fils, et choisit, et choisit avec justice, et choisit
avec exactitude. Moi aussi, je dois dire: “Il y en a certains qui veulent s’élever un peu trop et seront
punis de façon que les bons comprendront qu’eux ont blasphémé le Seigneur”.
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Ceux qui troquent l’idée messianique, telle que l’a révélée le Très-Haut, contre
leur pauvre idée, humaine, lourde, bornée, vindicative, ne sont-ils pas semblables à
ceux qui voulaient juger le saint qui était en Moïse et Aaron? Ceux qui pour atteindre
leur but, la réalisation de leur pauvre idée, veulent d’eux- mêmes prendre des
initiatives, par orgueil en les disant plus justes que celles de Dieu, ne vous semble- t- il
pas qu’ils veulent trop s’élever et de race de Lévi devenir illégalement race d’Aaron?
Ceux qui rêvent d’un pauvre roi d’Israël et le préfèrent au Roi des rois spirituel, ceux
qui, à cause de leurs pupilles malades secrètent l’orgueil et la cupidité qui leur
donnent une image déformée des vérités éternelles écrites dans les livres saints, et
auxquels la fièvre d’une humanité pleine de désirs charnels rend incompréhensibles
les paroles claires de la Vérité révélée, ne sont-ils pas peut-être ceux qui troquent
contre un rien sans valeur l’héritage de toute leur race? L’héritage le plus sacré?
Mais si eux le font, Moi, je ne troquerai pas l’héritage du Père et des pères et je mourrai fidèle à
cette promesse qui vit depuis le moment où la Rédemption fut nécessaire, à cette obéissance qui est
de toujours, car je n’ai jamais déçu mon Père et jamais ne le décevrai par la crainte d’une mort si
horrible qu’elle soit. Qu’ils procurent, mes ennemis, les faux témoins, qu’ils feignent le zèle et des
pratiques parfaites, cela ne changera rien à leur crime et à ma sainteté. Mais celui et ceux qui seront
ses complices après l’avoir corrompu, croiront pouvoir étendre la main sur ce qui est à Moi,
trouveront les chiens et les vautours qui se repaîtront de leur sang, de leur corps sur la Terre, et les
démons qui se repaîtront de leur esprit sacrilège, sacrilège et déicide, dans l’Enfer.
Je vous ai dit cela pour que vous le sachiez. Pour que chacun le sache. Pour que
celui qui est mauvais puisse se repentir, pendant qu’il peut encore le faire en imitant
Achab, et pour que celui qui est bon ne soit pas troublé à l’heure des ténèbres.
O fils de Béther, adieu. Que le Dieu d’Israël soit toujours avec vous et que la Rédemption fasse
descendre sa rosée sur un champ qui est pur pour qu’y germent toutes les semences répandues dans
vos coeurs par le Maître qui vous a aimés jusqu’à la mort.»
Jésus les bénit et les regarde s’en aller lentement. Le crépuscule est arrivé. Seule une coloration
rouge, qui se dégrade lentement en une couleur violacée, reste comme simple souvenir du soleil. Le
repos sabbatique est fini. Jésus peut partir. Il embrasse les petits, salue les femmes disciples, salue
Chouza. Et sur le seuil
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du portail, il se retourne encore et dit à haute voix, de manière que tous entendent: «Je
parlerai, quand je pourrai le faire, à ces créatures. Mais toi, Jeanne, veille à leur faire
savoir qu’en Moi il n’y a que l’ennemi de la Faute et le Roi de l’esprit. Et
souviens-t-en, toi aussi, Chouza. Et ne crains pas. Personne n’a à craindre de Moi. Pas
même les pécheurs puisque je suis le Salut. Seuls les impénitents jusqu’à la mort
auront à craindre du Christ qui sera le Juge après avoir été le Tout Amour... La paix
soit avec vous» et il sort en tête et commence la descente...

92. LUTTE ET VICTOIRE SPIRITUELLE DE SIMON DE JONAS

Je puis te contempler, mon Seigneur, pendant que tu descends par des chemins
rapides vers une fertile vallée en laissant derrière Toi le château de Béther, encore
lumineux dans le jour qui meurt là-haut, au sommet de sa colline fleurie... Laissant
là-haut l’amour des femmes disciples, des petits, des humbles, et descendant vers les
routes qui vont à Jérusalem, vers le monde, vers le bas... Et elles ne sont pas
seulement plus obscures que les sommets parce que ce sont des «vallées» et que par
conséquent le soleil, la lumière les a quittées depuis un moment, mais parce que
surtout en bas, dans le monde, il y a l’embuscade, il y a la haine, il y a tant de mal qui
t’attendent, mon Seigneur...
Jésus est tout à fait en tête. Forme blanche et silencieuse qui avance, majestueuse même en
descendant par des sentiers malaisés et irréguliers qu’il a pris pour raccourcir le chemin. Dans la
descente son long vêtement, son large manteau, balaient la pente et Jésus paraît déjà enveloppé du
manteau royal qui fait une traîne derrière ses pas.
Derrière Lui, moins majestueux mais pareillement silencieux, les apôtres... Le dernier, à quelque
distance, Judas dans son sombre dépit qui le rend laid. Parfois les plus simples: André, Thomas, se
retournent pour le regarder et André lui dit même «Pourquoi restes-tu ainsi seul, si loin en arrière?
Tu te sens mal?» Cela provoque une brutale repartie: «Pense pour toi» qui étonne André, d’autant
plus qu’elle est accompagnée d’une épithète grossière.
Pierre est le second de la file des apôtres, derrière Jacques
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d’Alphée qui suit immédiatement le Maître. Et, dans le grand silence du soir dans les
montagnes, Pierre a entendu. Il se retourne brusquement, et brusquement il va aller en
arrière vers Judas. Puis il s’arrête. Il réfléchit un moment, et il court vers Jésus. Il le
saisit rudement par un bras et le secoue en disant, angoissé: «Maître, tu m’assures
qu’il en est bien comme tu l’as dit l’autre soir? Que les sacrifices et les prières ne
restent jamais sans résultat, même s’il semble qu’ils ne servent pas?...»
Jésus, doux, triste, pâle, regarde son Simon qui sue dans l’effort qu’il fait pour ne
pas réagir tout de suite à l’insulte, qui est tout rouge, qui tremble même, qui peut-être
Lui fait mal tellement il Lui serre le bras, et il lui répond avec un sourire paisible et
attristé: «Ils ne sont jamais sans récompense. Sois-en certain.»
Pierre le quitte et s’en va, non pas à sa place, mais sur la pente de la montagne parmi les arbres, et il
se défoule en brisant, en brisant arbustes et jeunes plantes avec une violence qui visait ailleurs et qui
se décharge ici sur les plantes.
«Mais que fais-tu? Tu es fou?» lui demandent plusieurs.
Pierre ne répond pas: il casse, casse, casse. Il se fait dépasser de tous les apôtres, de Judas... et il
casse, casse, casse. Il semble travailler aux pièces tant il y met d’entrain. A ses pieds il a tout un
fagot qui suffirait à rôtir un veau. Il s’en charge péniblement et se met à rejoindre ses compagnons.
Je ne sais comment il fait ainsi empêtré par son manteau, le fardeau, la besace, sur le sentier
malaisé. Mais il avance tout courbé, comme sous un joug...
Judas rit en le voyant arriver et lui dit: «Tu ressembles à un esclave!»
Pierre a du mal à détourner la tête de dessous le joug et il va lui dire quelque chose, mais il se tait,
serre les dents et avance.
«Je vais t’aider, frère» dit André.
«Non.»
«Mais pour un agneau cela fait trop de bois» observe Jacques de Zébédée.
Pierre ne répond pas. Il avance, ainsi chargé et il n’en peut plus, semble-t-il, mais il tient bon.
Enfin Jésus s’arrête près d’une grotte, presque au bas de la descente et tous avec Lui. «Nous allons
rester ici pour partir au point du jour» ordonne le Maître. «Préparez le souper.»
Alors Pierre jette son chargement par terre et il s’assoit dessus, sans expliquer à personne le motif
de sa grande fatigue, alors qu’il y a du bois partout.
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Mais pendant que l’un va ici, l’autre là pour prendre de l’eau de boisson, pour
nettoyer le sol de la grotte et laver l’agneau qu’on va cuire, et Pierre reste seul avec
son Maître, Jésus, debout, pose sa main sur la tête grisonnante de son Simon et il
caresse cette tête honnête... Alors Pierre prend cette main et la baise. Il la tient contre
sa joue et il la baise de nouveau, la caresse... Une goutte tombe sur la main blanche,
qui n’est pas de la sueur de son rude et honnête apôtre, mais une larme silencieuse
d’amour et de peine, de victoire après l’effort. Jésus se penche et l’embrasse en lui
disant: «Merci, Simon!»
Voilà: Pierre n’est sûrement pas un bel homme, mais quand il renverse sa tête en arrière pour
regarder son Jésus qui l’a embrassé et remercié, car Lui, Lui seul a compris, la vénération, la joie le
rendent beau...
C’est sur cette transformation que la vision cesse pour moi.

93. EN ALLANT VERS EMMAUS DE LA PLAINE

L’aube met une clarté verte laiteuse sur la voûte du ciel, au-dessus de la vallée
fraîche et silencieuse. Puis cette clarté si indéfinie, qui est et qui n’est pas encore de la
lumière, baigne le haut des deux pentes. Elle semble caresser doucement les plus
hauts sommets des monts de Judée et dire aux vieux arbres qui les couronnent: «Me
voici, je descends du ciel, je viens de l’orient, précédant l’aurore, chassant les ombres,
apportant la lumière, l’activité, la bénédiction d’un nouveau jour que Dieu vous
accorde.» Et les cimes s’éveillent avec le soupir des feuillages, le pépiement des
premiers oiseaux, réveillés par ce premier frémissement des branchages, par cette
première clarté. Et l’aube continue de descendre vers les buissons du sous-bois, puis
vers les herbes, puis vers les pentes, de plus en plus bas et elle est saluée par des
gazouillements de plus en plus nombreux dans les feuillages et le bruissement dans
les herbes des lézards réveillés. Et puis elle atteint le petit torrent du fond, change ses
eaux sombres en un opaque scintillement d’argent qui ne cesse de s’éclaircir et de
devenir brillant. Et là-haut, dans le ciel, où l’indigo de la nuit s’était à peine éclarci en
un pâle bleu verdâtre d’aube, se dessine la première annonce de l’aurore en le colorant
de bleu clair teinté de rose... Et puis voici un
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cirrus léger, floconneux, qui arrive, déjà tout mousseux et rosé...
Jésus sort de la grotte et regarde... Puis il se lave au torrent, se coiffe, s’habille,
jette un coup d’oeil dans la grotte... Il n’appelle pas... Il gravit au contraire la
montagne et il va prier sur un pic qui fait saillie et qui est déjà assez élevé pour donner
une large vue sur l’orient déjà tout rosi par l’aurore, sur l’occident encore teinté
d’indigo. Il prie... il prie ardemment à genoux, les coudes à terre, presque allongé... Et
il prie ainsi jusqu’à ce que d’en bas montent les voix des douze qui se sont réveillés et
qui l’appellent.
Il se lève et répond: «J’arrive!» et l’écho de l’étroite vallée répercute plusieurs fois l’écho de la voix
parfaite. Il semble que la vallée transmette à la plaine, qu’on entrevoit à l’occident, la promesse du
Seigneur: «J’arrive» pour que la plaine s’en réjouisse à l’avance.
Jésus se met en route en soupirant et en prononçant une phrase qui résume sa longue prière et
l’explique: «Et Toi, Père, donne-moi ton réconfort...»
Il descend rapidement et, arrivé en bas, il salue d’un sourire très doux ses apôtres et avec les paroles
habituelles: «La paix soit avec vous en cette nouvelle journée.» «Et à Toi, Maître» répondent les
apôtres. Tous, même Judas. Je ne sais pas s’il est rassuré par le silence de Jésus qui ne lui a pas fait
de reproches et qui le traite comme tous les autres, ou si pendant la nuit il a médité un plan pour se
tirer d’affaire. Son regard est moins torve et il se tient moins à l’écart, et même c’est justement lui
qui pose la question au nom de tous: «Nous allons à Jérusalem? Si oui, il faut revenir un peu en
arrière et prendre ce pont. Au-delà il y a une route qui va directement à Jérusalem.»
«Non. Nous allons à Emmaüs de la plaine.»
«Mais pourquoi? Et la Pentecôte?»
«Il y a le temps. Je veux aller chez Nicodème et chez Joseph, par les plaines vers la mer...»
«Mais pourquoi?»
«Parce que je n’y suis pas encore allé et ce peuple m’attend... Et parce que les bons disciples l’ont
désiré. Nous aurons le temps de tout faire.»
«C’est cela que t’a dit Jeanne? C’est pour cela qu’elle t’a appelé?»
«Il n’en était pas besoin. C’est à Moi, directement à Moi qu’ils l’ont dit, dans les
jours de Pâque. Et je suis fidèle au rendez-vous.»
«Moi, je n’y irais pas... Ils sont peut-être déjà à Jérusalem... La fête est proche...
Et puis... Tu pourrais rencontrer des ennemis, et...»
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«Des ennemis, j’en rencontre partout et je les ai toujours près de Moi...» et Jésus
darde son regard sur l’apôtre qui est sa douleur... Judas ne parle plus. Il est trop
dangereux d’aller plus loin! Il le sent et se tait.
Jean et André reviennent avec des petits fruits qui semblent appartenir à la famille des framboises
ou des caprons, mais plus foncés, presque comme des mûres pas encore mûres, et ils les offrent au
Maître: «Ils vont te plaire. Nous les avons remarqués hier soir, et nous sommes montés les cueillir
pour Toi. Mange-les, Maître. Ils sont bons.»
Jésus caresse les deux bons et jeunes apôtres qui Lui offrent leurs fruits sur une large feuille lavée
au torrent et qui, plus que les fruits, Lui offrent leur amour. Jésus choisit les plus beaux fruits et en
donne un peu à chaque apôtre. Ils les mangent avec du pain.
«Nous avons cherché du lait pour Toi, mais il n’y avait pas encore de bergers...» dit André en
s’excusant.
«N’importe. Allons vite pour être à Emmaüs avant la grande chaleur.»
Ils s’en vont et ceux qui ont le plus d’appétit mangent encore en marchant. La fraîche vallée
s’élargit de plus en plus et elle finit par déboucher dans une plaine fertile où déjà les moissonneurs
sont en plein travail.
«Je ne savais pas que Nicodème avait des maisons à Emmaüs» remarque Barthélemy.
«Pas à Emmaüs, plus loin. Des champs de parents dont il a hérité...» explique Jésus.
«Quelles belles campagnes!» s’exclame le Thaddée.
En effet c’est une mer d’épis dorés où s’intercalent des vergers de rêve, des vignes qui déjà
promettent une gloire de grappes. Arrosées comme elles sont par les centaines de petits torrents qui
descendent des montagnes toutes proches, aux mois où l’irrigation est la plus nécessaire, avec des
veines d’eaux souterraines, c’est un véritable eden agricole.
«Hum! elle est plus belle que celle de l’an dernier. Au moins, il y a de l’eau et des fruits...»
murmure Pierre.
«Celle de Saron est encore plus belle» lui répond le Zélote.
«Mais n’est-ce pas déjà celle-là?»
«Non, elle vient après celle-là. Mais celle-là s’en rapproche...» Les deux apôtres se mettent à parler
entre eux, en s’éloignant un peu.
«Propriétés de pharisiens, hein?» demande Jacques de Zébédée
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en montrant la belle campagne.
«De juifs certainement. Ils ont pris les meilleures terres en les enlevant de mille
manières aux premiers possesseurs!» lui répond le Thaddée qui peut-être se souvient
des biens paternels de Judée dont ils furent chassés en perdant une grande partie de
leur fortune.
L’Iscariote est piqué au vif: «S’ils vous ont été pris, c’est parce que vous, galiléens, vous êtes moins
saints, inférieurs...»
«Je te prie de to souvenir qu’Alphée et Joseph étaient de la race de David. Si bien
que l’Edit les obligea d’aller s’inscrire à Bethléem de Juda. Et Lui, il est né là pour ce
motifs» répond calmement Jacques d’Alphée, en prévenant la riposte mordante de son
fougueux frère, et en montrant le Seigneur qui est en train de parler avec Mathieu et
Philippe.
«Oh! c’est bien!» dit Thomas conciliant et juste. «Moi, pour mon compte, je dis que du bon et du
mauvais il y en a partout. Dans notre commerce, nous avons approché des gens de toutes races et je
vous assure que j’ai trouvé des gens honnêtes et des gens malhonnêtes dans toutes les races. Et
puis... Pourquoi se vanter d’être juifs? Est-ce que par hasard c’est nous qui l’avons voulu? Hum!
Est-ce que je savais quand j’étais dans le sein de ma mère ce que c’était que d’être juif ou galiléen?!
J’étais là... et j’y restais. Une fois né, j’étais dans les langes, bien au chaud, sans me demander si
l’air que je respirais était juif ou galiléen... Je ne connaissais que le sein maternel... Et nous tous
comme moi. Maintenant pourquoi se fâcher ainsi parce que l’un est né plus haut et l’autre plus bas?
Ne sommes-nous pas pareillement d’Israël?»
«Tu as raison, Thomas» répond Jean. Et il conclut: «Et puis maintenant, nous
sommes d’une seule race, celle de Jésus.»
«Oui, Lui - et je crois que cela a été voulu par le Très-Haut, pour nous apprendre
que les divisions vont contre l’amour du prochain et que Lui est envoyé pour nous
rassembler tous comme l’affectueuse poule dont parlent les livres saints - Lui est
d’origine juive, mais conçu et habitant en Galilée, après être né à Bethléem, comme
pour nous dire par la voix des faits que Lui est le Rédempteur d’Israël tout entier, du
nord au midi. Et pour la seule raison qu’il est appelé “le Galiléen” on ne devrait pas
avoir de mépris pour les galiléens» dit Jacques d’Alphée avec douceur et fermeté.
Jésus, qui en avant de quelques mètres semblait occupé à parler avec Mathieu et
Philippe, se retourne pour dire: «Tu as bien parlé, Jacques d’Alphée. Tu comprends la
Vérité et les vérités, et la jus-
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tice de tous les actes de Dieu. En effet, rappelez-vous tous et toujours, que Dieu ne
fait jamais rien sans but de même qu’Il ne laisse sans récompense rien de ce qu’ont
fait ceux qui ont le coeur droit. Bienheureux ceux qui savent voir les raisons de Dieu
dans les événements même les plus insignifiants et les réponses de Dieu aux sacrifices
des hommes.»
Pierre se retourne et il est sur le point de parler. Puis il se tait et se borne à sourire
à son Maître qui maintenant se réunit à ses apôtres car ils marchent maintenant sur
une route de grande circulation à travers des champs dorés.
Ils marchent vers Emmaüs qui est déjà proche, un groupe de maisons d’un blanc aveuglant au
milieu de la couleur blonde des grains mûrs et des vergers verdoyants.
«Maître! Maître! Arréte-toi! Tes disciples!» crient des voix lointaines, et une poignée d’hommes,
laissant en plan des paysans qui se reposent un peu à l’ombre d’un pommier, courent vers Jésus par
un sentier ensoleillé. Ce sont Mathias et Jean, ex-bergers, et disciples ensuite du Baptiste, et avec
eux il y a Nicolaï, Abel ex-lépreux, Samuel, Hermastée et d’autres encore.
«Paix à vous. Vous êtes ici?»
«Oui, Maître. Nous avons fait toutes les côtes de la mer. Maintenant nous allions vers Jérusalem.
Plus haut se trouve Etienne avec d’autres, et plus haut encore, Hermas et d’autres. Et puis Isaac,
notre petit maître à tous, est encore plus haut, du moins il y était. Comme Timon était au-delà du
Jourdain. Mais désormais ils seront tous en train d’aller à la fête de la Pentecôte. Nous nous
sommes répartis en tant de groupes, petits, mais pas inactifs. Ainsi s’ils nous persécutent, ils
pourront en capturer quelques-uns, mais pas tous» explique Mathias.
«Vous avez bien fait. Je me suis étonné de ne pas vous avoir trouvés dans toute la Judée
méridionale...»
«Maître... Tu y allais... Qui mieux que Toi? Et puis... Oh! elle a eu plus qu’il ne faut pour devenir
sainte!... Et au contraire!... Elle donne des pierres à qui apporte la parole du Ciel. Dans les gorges
du Cédron, Elie et Joseph ont été frappés et ils sont allés au-delà du Jourdain, dans la maison de
Salomon. Joseph a failli être tué par une Pierre à la tête. Pendant huit jours, ils ont vécu dans une
grotte profonde, avec quelqu’un que tu avais envoyé qui connaissait tous les secrets des montagnes.
Puis, de nuit, lentement, ils sont allés de l’autre côté...»
Les disciples et les apôtres sont agités par le souvenir et la nou-
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velle de ces persécutions, mais Jésus les calme en disant: «Les Innocents ont teint de
la pourpre de leur sang innocent le chemin du Christ. Mais ce chemin devra être
toujours empourpré pour effacer les empreintes du Mal sur le chemin de Dieu. C’est
le chemin royal. Les martyrs l’empourprent par amour pour Moi. Bienheureux, entre
les bienheureux, ceux qui à cause de Moi souffrent la persécution.»
«Maître, nous parlions à ces paysans. Toi, maintenant, ne vas-tu pas parler?»
«Allez leur dire qu’au crépuscule je parlerai près de la porte d’Emmaüs. Maintenant le soleil m’en
empêche. Allez. Et que Dieu soit avec vous. Je serai au bout de cette route.»
Il les bénit et reprend sa marche en cherchant de l’ombre, car le soleil est brûlant sur la route
blanche sur laquelle donnent un peu d’ombre des platanes plantés sur les bords, à cet effet.

94. PREDICATION PRES D’EMMAUS DE LA PLAINE

Près de la porte d’Emmaüs il y a une maison de paysans. Silencieuse car tout le


monde est aux champs, au travail. Sur l’aire il y a déjà des tas de gerbes des jours
précédents et les foins sont entassés dans les fenils rustiques. Le soleil brûlant de midi
dégage une odeur chaude des foins et des gerbes. Il n’y a pas d’autres bruits que le
roucoulement des colombes et le piaillement des moineaux, toujours bruyants et
querelleurs. Les uns et les autres vont sans arrêt du toit ou des arbres voisins aux tas
de gerbes et de foin et, les premiers parmi ceux qui goûteront de ces produits,
becquettent les épis dressés, se battent à coups d’ailes, luttent pour prendre le plus de
graines possible, pour s’emparer des brins de foin les plus soyeux, avides, batailleurs,
sans scrupules. Les uniques voleurs que l’on rencontre en Israël où, je l’ai remarqué,
on a un très grand respect pour la propriété d’autrui. On laisse ouvertes les maisons et
l’on ne garde pas les aires ou les vignobles! A part les très rares voleurs de métier, les
vrais brigands qui attaquent les gens dans les gorges des montagnes, il n’y a pas de
petits voleurs ou même simplement... de gourmands qui mettent la main sur les arbres
à fruits ou sur le pigeonneau d’autrui. Chacun va son chemin, et même en traversant
la propriété du prochain, c’est comme s’il
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n’avait pas d’yeux ni de mains. Il est vrai que l’on pratique si largement l’hospitalité,
qu’il n’est pas nécessaire de voler pour pouvoir manger. C’est seulement pour Jésus,
et à cause d’une haine si grande qu’elle fait négliger l’habitude séculaire de
l’hospitalité pour le pèlerin, seulement pour Lui que se vérifie le fait de maisons qui
refusent l’hospitalité et la nourriture. Mais pour les autres il y a généralement de la
pitié et spécialement dans les classes les plus humbles.
Aussi c’est sans peur que les apôtres, après avoir frappé à la porte de la maison
fermée et n’avoir trouvé personne, se sont mis à l’abri d’un hangar sous lequel se
trouvent des outils agricoles et des jarres vides. Comme s’ils étaient les maîtres, ils
ont pris comme sièges des bottes de foin, des seilles pour puiser de l’eau au puits, des
cruches pour boire et pour tremper les bouchées de pain rassis et d’agneau froid qu’ils
mangent quasi en silence tant ils sont engourdis et abasourdis par le soleil. Et c’est
avec la même liberté avec laquelle ils ont utilisé les bottes de foin et les vases qu’ils
s’allongent ensuite sur le foin odorant et c’est tout de suite un choeur de ronflements
aux tons et aux rythmes variés.
Jésus Lui-méme est fatigué, attristé plus que fatigué. Il regarde pendant un moment les douze
dormeurs. Il prie, il réfléchit... Il réfléchit en suivant machinalement des yeux les combats des
moineaux et ceux des colombes, et le vol en flèche des hirondelles sur l’aire ensoleillée. II semble
que les cris stridents de ces rapides maîtresses de l’air apportent des réponses précises aux questions
douloureuses que se pose Jésus. Puis Lui aussi s’allonge sur le foin et bientôt ses yeux tristes et
doux de saphir se voilent sous ses paupiéres. Son visage s’immobilise dans le sommeil et, peut-étre
parce qu’il s’abîme dans le sommeil avec la tristesse au coeur, son visage prend beaucoup de
1’expression d’épuisement et de douleur qu’il aura dans la mort...
Puis reviennent les paysans propriétaires de la maison: hommes, femmes, enfants. Et avec eux les
disciples vus auparavant. Ils voient Jésus et les siens qui dorment sur le foin et leurs voix
s’éteignent en un murmure pour ne pas les éveiller. Quelque mère donne une gifle à son petit qui ne
veut pas se taire, ou du moins elle fait semblant. Un petit va, de son pas de tourtereau, et un doigt à
la bouche, pour observer Jésus, «le plus beau» dit-il, qui dort, la tête appuyée sur son bras replié qui
Lui sert d’oreiller. Et tous, déchaussés, sur la pointe des pieds, finissent par l’imiter, les premiers de
tous, Mathias et Jean qui s’émeuvent de le voir ainsi sur
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le foin, et Mathias observe: «Comme dans son premier sommeil, maintenant aussi
notre Maître, et moins heureux qu’alors... Sa Mère aussi Lui manque...»
«Oui. Il n’a que la persécution toujours proche. Mais nous, nous l’aimerons
toujours, nous l’aimons toujours comme à cette heure-là...» répond Jean.
«Davantage encore, Mathias, davantage encore. Alors nous l’aimions seulement par notre foi et
parce qu’il est doux d’aimer un bébé. Mais maintenant nous l’aimons aussi parce que nous avons la
connaissance...»
«Tout petit il a été haï, Jean. Rappelle-toi ce qui arriva pour le frapper!...» et Mathias change de
couleur à ce souvenir.
«C’est vrai... Mais qu’elle soit bénie cette douleur! Nous avons tout perdu, sauf Lui. Et cela seul
compte. A quoi nous aurait servi d’avoir encore les parents, la maison, notre petit bien-être, si Lui
était mort?»
«C’est vrai, tu as raison Mathias. Et à quoi nous servira d’avoir même le monde entier quand Lui ne
sera plus dans le monde?»
«Ne m’en parle pas... Alors nous serons vraiment abandonnés... Allez vous autres, nous allons
rester près du Maître» dit ensuite Jean en congédiant les paysans.
«Nous regrettons de n’avoir pas pensé à leur donner la clef. Ils auraient pu entrer dans la maison et
être mieux...» dit l’homme le plus âgé de la maison.
«Nous le Lui dirons... Mais Lui sera heureux, rien qu’à cause de votre amour. Allez, allez...»
Les paysans vont à la maison et bientôt une fumée qui s’élève de la cheminée dit qu’ils sont en train
de préparer la nourriture. Mais ils le font gentiment, en retenant les petits, en faisant peu de bruit...
et sans bruit ils apportent ensuite la nourriture aux disciples et murmurent: «Pour eux, nous l’avons
mise de côté... Pour quand ils s’éveilleront»...
Puis le silence enveloppe la maison. Peut-être les moissonneurs, au travail depuis l’aube, se sont
jetés sur les lits en ces heures où il serait impossible de rester dans les champs sous le soleil brûlant.
Les disciples aussi sommeillent... Même les colombes et les moineaux restent tranquilles. Seules les
hirondelles dardent inlassablement, et leur vol rapide écrit des paroles azurées dans l’espace et des
paroles d’ombre sur faire blanche...
Le petit de tout à l’heure, très beau dans la courte chemise à laquelle s’est réduit son vêtement à
cette heure torride, met sa
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petite tête brune dans l’ouverture de la cuisine, jette un coup d’oeil, avance avec précaution
de ses pieds délicats qui souffrent sur le sol que le soleil rend brûlant. Sa chemise décolletée
glisse presque en bas de son épaule grassouillette. Il rejoint les disciples, essaie de passer
dessus pour aller de nouveau regarder Jésus. Mais ses petites jambes sont trop courtes pour
pouvoir enjamber les corps musculeux des adultes et il bute en tombant sur Mathias qui
s’éveille et voit le petit visage attristé presque aux larmes. Il sourit et dit en comprenant la
manoeuvre de l’enfant: «Viens ici, je vais te mettre entre Jésus et moi, mais reste silencieux
et tranquille. Laisse-le faire dodo car il est fatigué.» Et le petit, heureux, s’assoit et reste en
admiration devant le beau visage de Jésus. Il le regarde, l’étudie et il a bien envie de Lui
faire une caresse, de toucher ses cheveux d’or. Mais Mathias veille en souriant et ne le lui
permet pas. Alors le petit demande doucement: «Fait-il dodo toujours ainsi?»
«Toujours ainsi» répond Mathias.
«Il est fatigué? Pourquoi?»
«Parce qu’il marche tant, et il parle tant.»
«Pourquoi parle-t-il et marche-t-il?»
«Pour apprendre aux enfants à être bons, à aimer le Seigneur pour aller avec Lu! au
Ciel.»
«Là-haut? Comment fait-on? C’est loin...»
«L’âme, sais-tu ce que c’est que l’âme?»
«Non!»
«C’est la chose la plus belle qu’il y a en toi, et...»
«Plus belle que les yeux? Maman dit que mes yeux sont deux étoiles. Elles sont belles
les étoiles, sais-tu?!»
Le disciple sourit et répond: «Elle est plus belle que les petites étoiles de tes yeux, car l’âme bonne
est plus belle que le soleil.»
«Oh! Et où est-elle? Où est-ce que je I’ai?»
«Ici, dans ton petit coeur. Et elle voit, entend tout, et ne meurt jamais. Et quand
quelqu’un ne fait jamais le méchant, et meurt en juste, son âme vole là-haut, avec le
Seigneur.»
«Avec Lui?» et le petit montre Jésus.
«Avec Lui.»
«Mais Lui, il l’a l’âme?»
«Il a l’âme et la divinité, car il est Dieu cet Homme que te regardes.»
«Comment le sais-tu? Qui to l’a dit?»
«Les anges.»
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L’enfant, qui était complètement assis sur Mathias, ne peut recevoir
tranquillement cette nouvelle et il se lève vivement en disant: «Tu as vu les anges?» et
il regarde Mathias en écarquillant les yeux. Si étonnante est la nouvelle qu’un instant
il oublie Jésus et ainsi ne voit pas qu’il entrouvre ses yeux, réveillé par le léger cri de
l’enfant et puis, avec un sourire, les referme en détournant la tête.
«Tais-toi! Tu vois? Tu l’éveilles... Je vais te renvoyer.»
«Je reste tranquille. Mais comment sont les anges. Quand les as-tu vus?» La petite voix est devenue
un murmure et Mathias patiemment raconte la nuit de Noël au petit qui est revenu s’asseoir sur sa
poitrine, extasié. Patiemment il répond à tous ses pourquoi: «Pourquoi était-il né dans une étable? Il
n’avait pas de maison? Si pauvre au point de ne pas trouver une maison? Et maintenant il n’a pas de
maison? Il n’a pas sa Mère? Où est sa Mère? Pourquoi le laisse-t-elle seul, elle qui sait que déjà on
a voulu le tuer? Elle ne l’aime pas?...» Une pluie de questions et une pluie de réponses. Et la
dernière - à laquelle Mathias répond: «Cette Mère sainte aime beaucoup son divin Fils, mais elle
fait le sacrifice de sa douleur de le laisser aller pour que les hommes se sauvent. Pour se consoler,
elle pense qu’il y a encore des hommes bons capables de l’aimer...» - cela provoque cette réponse:
«Et elle ne sait pas qu’il y a des enfants bons qui l’aiment? Où est-elle? Dis-le-moi que j’aille lui
dire: “Ne pleure pas. Moi je donne l’amour à ton Fils”. Qu’en dis-tu? Sera-t-elle contente?»
«Tellement, enfant» dit Mathias en l’embrassant.
«Et Lui sera content?»
«Tellement, tellement. Tu vas le Lui dire quand il va s’éveiller.»
«Oh! oui!... Mais quand va-t-il s’éveiller?» L’enfant est anxieux.
Jésus n’y tient plus. Il se tourne, les yeux grand ouverts et avec un sourire lumineux, et il dit: «Tu
me l’as déjà dit car j’ai tout entendu. Viens ici, enfant.»
Oh! l’enfant ne se le fait pas dire deux fois. Il se renverse sur Jésus, le caresse, Lui donne des
baisers, touche son front avec le doigt et aussi ses sourcils, ses cils d’or, en se regardant dans les
yeux bleus, en caressant sa barbe et ses cheveux soyeux, et en disant à chaque découverte: «Comme
to es beau! Beau! Beau!»
Jésus sourit et aussi Mathias. Et puis, à mesure que les autres s’éveillent, parce que maintenant le
petit ne prend plus tant de précautions, les disciples et les apôtres sourient à la vue de cet examen
attentif, répété de l’homme en miniature, à moitié nu, grassouillet, qui prend plaisir à passer sur le
corps de Jésus pour
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l’observer de la tête aux pieds et finit par Lui dire: «Tourne-toi!» et explique ensuite:
«Pour voir les ailes» et qui demande, déçu: «Pourquoi ne les as-tu pas?»
«Je ne suis pas un ange, mon enfant.»
«Mais to es Dieu! Comment fais-tu pour être Dieu, si tu n’es pas plein d’ailes? Comment feras-tu
pour aller au Ciel?»
«Je suis Dieu. Et justement parce que je suis Dieu, je n’ai pas besoin d’ailes. Je fais ce que je veux
et je puis tout.»
«Alors fais-moi des yeux comme les tiens. Ils sont beaux.»
«Non. Ceux que tu as, c’est Moi qui te les ai donnés, et ils me plaisent ainsi. Demande plutôt que je
te donne une âme de juste pour que tu m’aimes de plus en plus.»
«Elle aussi, c’est Toi qui me l’as donnée et alors elle te plaira comme elle est» dit le petit avec sa
logique enfantine.
«Oui, elle me plaît maintenant parce qu’elle est innocente. Mais alors que tes yeux seront toujours
de cette couleur d’olive mûre, ton âme de blanche, peut devenir noire, si tu deviens méchant.»
«Méchant, non. Je t’aime bien et je veux faire comme disaient les anges quand tu es né: “Paix à
Dieu au Ciel, et gloire aux hommes de bonne volonté”» dit le petit en se trompant, ce qui provoque
un bruyant éclat de rire chez les adultes, ce qui le mortifie et le rend muet.
Mais Jésus le console tout en rectifiant: «Dieu est toujours Paix, mon enfant. Il est la Paix. Mais les
anges Lui donnaient gloire pour la naissance du Sauveur, et ils donnaient aux hommes la première
règle pour obtenir la paix qui serait venue de ma naissance: “avoir bonne volonté”. Celle que tu
veux.»
«Oui. Alors donne-la-moi. Mets-la à l’endroit où cet homme dit que j’ai l’âme» et avec les deux
index, il frappe plusieurs fois sur sa petite poitrine.
«Oui, petit ami. Comment t’appelles-tu?»
«Micaël!»
«Le nom du puissant Archange. Alors, la bonne volonté pour toi, Micaël. Et que tu sois un
confesseur du Dieu vrai, en disant aux persécuteurs comme ton angélique patron: “Qui est comme
Dieu?” Sois béni maintenant et toujours» et il lui impose les mains.
Mais le petit n’est pas convaincu. Il dit: «Non. Baise ici, sur l’âme. Et c’est à l’intérieur qu’entrera
ta bénédiction et elle y restera enfermée» et il découvre sa petite poitrine pour que Jésus la baise
afin qu’aucun obstacle ne s’interpose entre son petit corps et les lèvres divines.
103
Ceux qui sont là sourient et en même temps sont émus. Et il y a de quoi! La foi
merveilleuse de l’innocent qui, par instinct diraient certains, moi je dis sous la
poussée de l’esprit, est allé vers Jésus, est vraiment émouvante et Jésus le fait
remarquer en disant: «Ah! si tous avaient le coeur des enfants!...»
Pendant ce temps les heures ont passé. La maison se ranime: des voix de femmes, d’enfants,
d’hommes se font entendre. Et une mère crie: «Micaël! Micaël! Où es-tu?» et on la voit apeurée qui
regarde le puits profond avec une atroce pensée dans le coeur.
«Ne crains pas, femme. Ton fils est avec Moi.»
«Oh! je craignais... Il aime tant l’eau...»
«Et en effet il est venu à l’Eau Vive qui descend du Ciel pour donner la Vie aux hommes.»
«Il t’a dérangé... Il m’a échappé si doucement que je ne m’en suis pas aperçue...»
dit la femme pour s’excuser.
«Oh! non! Il ne m’a pas dérangé. Il m’a consolé! Les enfants ne donnent jamais
de douleur à Jésus.»
Les hommes s’approchent et les autres femmes. Le chef de famille dit: «Entre pour te restaurer. Et
pardonne-nous si nous ne t’avons pas fait le maître de la maison du moment où nous t’avons vu...»
«Je n’ai rien à pardonner. Je me suis trouvé bien ici. Ton respect me donne tout honneur. Nous
avions de la nourriture et ton puits est frais, le foin est moelleux. C’est plus qu’il n’en faut pour le
Fils de l’Homme. Je ne suis pas un satrape syrien.»
Et Jésus, suivi des siens, entre dans la vaste cuisine pour prendre la nourriture, pendant que sur
l’aire les hommes s’arrangent pour qu’il y ait de la place pour ceux qui déjà viennent de tous côtés
afin d’entendre le Maître, et d’autres se hâtent de préparer des boissons, des vivres et à dépouiller
un agnelet pour donner une provision de voyage aux évangélisateurs, et les femmes apportent des
oeufs et du beurre. Le beurre provoque les protestations de Pierre qui a raison de dire qu’on ne peut
porter dans les besaces un aliment qui fond si facilement par ces chaleurs. Mais ce n’est pas pour
rien qu’il y a des cruches... Et elles en emplissent une de beurre, la ferment et la descendent dans le
puits pour la refroidir le plus possible.
Jésus remercie et voudrait limiter ces offrandes. Mais oui! C’est peine perdue. D’autres dons
arrivent de tous côtés et tous s’excusent de donner peu de chose...
Pierre murmure: «On voit bien qu’ici il y a eu les bergers. C’est
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une terre amendée... une bonne terre.»
L’aire est pleine de gens, impassibles, bien que la fraîcheur ne soit pas encore
venue et qu’un dernier rayon de soleil effleure encore l’aire.
Jésus commence à parler: «La paix soit avec vous! Je ne suis pas ici, où je vois que déjà est connue
la doctrine du Maître d’Israël par les soins des bons disciples, pour répéter ce que vous savez déjà.
Je laisse aux bons disciples la gloire et le soin de vous avoir instruits et de le faire de plus en plus
jusqu’à vous donner la parfaite assurance que je suis le Promis de Dieu et que ma Parole est de
Dieu.»
«Et tes miracles sont de Dieu, Béni que tu es!» crie une voix de femme du milieu de la foule, et
beaucoup se retournent pour regarder dans cette direction. La femme élève en l’air un enfant rieur à
la mine florissante et elle crie: «Maître, c’est le petit Jean que tu as guéri à “La Belle Eau”.
L’enfant, aux hanches brisées qu’aucun médecin ne pouvait guérir, que je t’ai apporté avec foi et
que tu as guéri, en le tenant assis sur ton sein.»
«Je m’en souviens, femme. Ta foi a mérité le miracle.»
«Elle a grandi, Maître. Toute ma parenté croit en Toi. Va, fils, remercier le Sauveur. Laissez-le aller
à Lui...» prie la femme. Et la foule s’écarte pour laisser passer l’enfant qui s’en va vivement vers
Jésus en Lui tendant les bras pour pouvoir l’embrasser. Ce qui se produit au milieu des hosannas et
des commentaires des gens de la ville ou des environs, car ceux de la campagne connaissent déjà le
fait et n’en sont pas surpris.
Jésus reprend la parole en tenant l’enfant par la main.
«Et voici confirmée par une mère reconnaissante ma Nature, et confirmé le pouvoir de la foi sur le
coeur de Dieu qui ne déçoit jamais les confiantes et justes demandes de ses fils.
Je vous invite à vous rappeler Judas Maccabée, quand il se présenta sur cette plaine pout étudier le
formidable campement de Gorgias, fort de cinq mille fantassins et de mille cavaliers exercés à la
bataille, bien pourvus de cuirasses, d’armes et de tours de guerre. Judas regardait avec ses trois
mille fantassins, sans boucliers ni épées, et il sentait la crainte s’insinuer dans le coeur de ses
soldats. Alors il parla, fort de son bon droit que Dieu approuvait parce qu’il ne visait pas l’injustice,
mais la défense de la patrie envahie et profanée. Et il dit: “Que leur nombre ne vous effraie pas,
n’ayez pas peur de leur attaque. Rappelez-vous comment nos pères furent sauvés dans la Mer
Rouge, quand le Pharaon les poursuivait avec sa grande armée”. Et ayant ranimé la foi dans la puis-
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sance de Dieu qui est toujours avec les justes, il apprit aux siens le moyen d’obtenir
de l’aide. Il dit: “Elevons donc la voix vers le Ciel, et le Seigneur aura pitié de nous,
et se rappelant de l’alliance faite avec nos pères, aujourd’hui Il détruira devant nous
cette armée, et toutes les nations sauront qu’il y a un Sauveur qui délivre Israël”.
Voilà: je vous indique deux éléments capitaux pour avoir Dieu avec soi, pour
nous aider dans les justes entreprises. Le premier: pour posséder l’alliance, avoir
l’âme juste de nos pères. Rappelez-vous la sainteté, la promptitude des patriarches
dans l’obéissance au Seigneur, que la chose demandée fût de faible ou de très grande
importance. Rappelez-vous avec quelle fidélité ils restèrent fidèles au Seigneur. Nous
nous lamentons beaucoup en Israël de ne plus avoir le Seigneur avec nous,
bienveillant comme il l’était autrefois. Mais Israël a-t-il encore l’âme de ses pères?
Qui a rompu et ne cesse de rompre l’alliance avec le Père?
Seconde chose capitale pour avoir Dieu avec soi: l’humilité. Judas Maccabée était un grand israélite
et un grand soldat, mais il ne dit pas: “Aujourd’hui je vais détruire cette armée et les nations sauront
que je suis le sauveur d’Israël”. Non. Il dit: “Et le Seigneur détruira cette armée devant nous, qui
sommes incapables de le faire, faibles comme nous sommes”. Car Dieu est Père et Il a soin de ses
petits et, pour les empêcher de périr, Il envoie ses puissants bataillons combattre avec des armes
surhumaines les ennemis de ses enfants. Quand Dieu est avec nous, qui peut nous vaincre? Ne
cessez pas de vous dire cela maintenant et davantage dans l’avenir, quand on voudra vous vaincre et
non plus pour une chose d’importance relative comme une lutte nationale, mais pour une chose
d’importance beaucoup plus grande dans le temps et dans ses conséquences comme elle l’est pour
votre âme. Ne vous laissez pas dominer par la frayeur ou l’orgueil. Les deux sont dommageables.
Dieu sera avec vous si vous serez persécutés à cause de mon Nom et Il vous donnera la force dans
les persécutions. Dieu sera avec vous si vous êtes humbles, si vous reconnaissez que vous, par
vous-mêmes, n’êtes capables de rien, mais que vous pouvez tout si vous êtes unis au Père.
Judas ne se fit pas valoir en se parant du titre de Sauveur d’Israël. Mais c’est au Dieu éternel qu’il
donna ce titre. En effet c’est inutilement que les hommes s’agitent si Dieu n’est pas présent à leurs
efforts. Au contraire, sans s’agiter est victorieux celui qui se fie dans le Seigneur. Lui sait quand il
est juste de
106
récompenser par des victoires et quand il est juste de punir par des défaites. Bien sot
est l’homme qui veut juger Dieu, le conseiller ou le critiquer. Vous imaginez une
fourmi qui en observant le travail d’un sculpteur dirait: “Tu ne sais pas y faire, je
ferais mieux et plus vite que toi”? L’homme lui ressemble tout à fait quand il veut
faire la leçon à Dieu. Et à sa figure ridicule, il unit celle d’un ingrat et d’un
prétentieux, oublieux de ce qu’il est: une créature, et de ce qu’est Dieu: le Créateur.
Donc si Dieu a créé un être si bien créé qu’il peut se croire capable de conseiller Dieu
Lui-même, quelle sera la perfection de l’Auteur de toute créature? Cette seule pensée
devrait suffire pour rabaisser l’orgueil, pour détruire cette plante mauvaise et
satanique, ce parasite qui, en s’insinuant dans un esprit, l’envahit, la supplante,
l’étouffe, tue tout arbre bon, toute vertu qui sur la Terre rend l’homme grand,
vraiment grand, non par la richesse ni par les couronnes, mais par la justice et la
sagesse surnaturelle, et bienheureux dans le Ciel pour l’éternité.
Et regardons un autre conseil que nous donne le grand Judas Maccabée et les
événements de ce jour-là dans cette plaine.
S’étant engagées dans la bataille, les troupes de Judas avec lesquelles Dieu était, vainquirent et
mirent en déroute les ennemis, en les poursuivant jusqu’à Jézeron, Azot, Idumée et Jamnia, dit
l’histoire, et en passant une partie au fil de l’épée, en laissant sur les champs plus de trois mille
cadavres. Mais Judas dit à ses soldats que la victoire avait enivrés: “Ne restez pas là à faire du butin
car la guerre n’est pas finie, et Gorgias, avec son armée, est dans la montagne près de nous.
Maintenant nous avons encore à combattre nos ennemis et à les vaincre complètement, et ensuite,
tranquillement, vous ferez le butin”. Et ils agirent ainsi et ils eurent une victoire assurée et un riche
butin, et la délivrance, et en rentrant ils chantaient des bénédictions à Dieu car “Il est bon et sa
miséricorde est éternelle”.
L’homme aussi, n’importe quel homme, est comme les champs qui entourent la cité sainte des juifs.
Entouré d’ennemis extérieurs et intérieurs, tous cruels, ayant tous l’espoir de livrer bataille à la cité
sainte de chaque homme: son esprit, et de la livrer à l’improviste pour la prendre par surprise par
mille ruses et la détruire. Les passions, que Satan cultive et excite, et que l’homme ne surveille pas
par toute sa volonté pour les freiner, dangereuses s’il n’arrive pas à les maîtriser, mais inoffensives
si elles sont surveillées comme un voleur enchaîné, et avec lesquelles le monde complote au moyen
de toutes les séductions de la chair, de l’argent, de
107
l’orgueil, ressemblent aux puissantes armées de Gorgias, cuirassées, pourvues de
tours de guerre, d’archers, excellents tireurs, de cavaliers rapides, toujours prêts à
commencer l’attaque sur les ordres du Mal.
Mais que peut le Mal si Dieu est avec l’homme qui veut être juste? L’homme
souffrira, restera blessé, mais sauvera sa liberté et sa vie, et il connaîtra la victoire
après la bataille favorable. Mais celle-ci ne se produit pas une seule fois, mais
recommence toujours, tant que dure la vie, ou tant que l’homme ne se dépouille pas
suffisamment de son humanité et ne devient pas esprit plus que chair, esprit fondu
avec Dieu que les flèches, les morsures, les feux de guerre ne peuvent blesser
profondément et tombent après l’avoir frappé superficiellement comme peut le faire
une goutte d’eau tombant sur un jaspe dur et brillant.
Ne vous arrêtez pas à faire du butin, ne vous distrayez pas tant que vous n’êtes pas au seuil de la
vie, non pas de cette vie de la terre, mais de la vraie Vie des Cieux. Alors, victorieux, rassemblez
votre butin et entrez, avancez glorieux devant le Roi des rois et dites: “J’ai vaincu. Voici mon butin.
Je l’ai fait avec ton aide et ma bonne volonté, et je te bénis, Seigneur, parce que Tu es bon et que ta
miséricorde est éternelle”.
Cela c’est pour la vie en général, pour tout le monde. Mais pour vous, pour vous qui croyez en Moi,
il y a une autre bataille qui vous guette. Plusieurs batailles. La bataille contre le doute, contre les
paroles que l’on viendra vous dire, contre les persécutions.
Moi, je vais être élevé au lieu pour lequel je suis venu du Ciel. Ce lieu vous fera peur, vous paraîtra
un démenti à mes paroles. Non. Regardez l’événement avec l’oeil de l’esprit et vous verrez que ce
qui arrivera sera la confirmation de ce que je suis réellement: non le pauvre roi d’un pauvre
royaume, mais le Roi prédit par les prophètes, et aux pieds de son trône unique, immortel, comme
les fleuves vont à l’océan, toutes les nations de la Terre viendront, en disant: “Nous t’adorons, ô Roi
des rois et Juge éternel, parce que par ton saint Sacrifice tu as racheté le monde”.
Résistez au doute. Moi, je ne mens pas. Je suis Celui dont parlent les prophètes. Comme la mère de
Jean il y a un instant, élevez le souvenir de ce que j’ai fait pour vous, et dites: “Telles sont les
oeuvres de Dieu. Il nous les a laissées comme un souvenir, une confirmation, une aide pour croire et
pour croire justement en cette heure”. Luttez et vous vaincrez le doute qui étrangle la respiration de
l’âme. Luttez contre les paroles qui vous seront dites. Rappelez-
108
vous les prophètes et mes oeuvres, et répondez aux paroles hostiles par les prophètes
et par les miracles que vous m’avez vu faire. N’ayez pas peur et ne soyez pas ingrats
par peur, en taisant les miracles que j’ai faits pour vous. Luttez contre les
persécutions, mais ne luttez pas en persécutant ceux qui vous persécutent, mais en
donnant une confession héroïque à ceux qui voudront, par des menaces de mort, vous
persuader de me renier. Luttez sans cesse contre les ennemis. Tous. Contre votre
humanité, contre vos peurs, contre les compromissions indignes, les alliances
intéressées, les pressions, les menaces, les tortures, la mort.
La mort!
Je ne suis pas un chef de peuple qui dit à son peuple: “Souffrez pour moi, alors que moi, je jouis”.
Non. Je souffre le premier pour vous donner l’exemple. Je ne suis pas un chef d’armées qui dit à ses
armées: “Combattez pour me défendre, mourez pour me donner la vie”. Non. Je combats le premier.
Je mourrai le premier pour vous apprendre à mourir. Ainsi, comme j’ai toujours fait ce que j’ai dit
de faire, prêchant la pauvreté je suis resté pauvre, la continence chaste, la tempérance tempérant, la
justice juste, le pardon et j’ai pardonné et je pardonnerai. Comme j’ai fait tout cela, je ferai encore
la dernière chose. Je vous apprendrai comment on rachète. Je vous l’enseignerai non pas avec des
paroles mais avec des faits. Je vous apprendrai à obéir, en me soumettant à la plus dure obéissance:
celle de ma mort...
Je vous apprendrai à pardonner, en pardonnant dans les derniers tourments
comme j’ai pardonné sur la paille de mon berceau à l’Humanité qui m’avait arraché
au Ciel. Je pardonnerai comme j’ai toujours pardonné. A tous. Pour ce qui me
concerne, à tous. A mes petits ennemis, à ceux qui sont passifs, indifférents,
changeants, et aux grands ennemis qui non seulement me donnent la douleur d’être
apathiques à mon pouvoir et à mon désir de les sauver, mais qui me donnent et me
donneront la douleur d’être les déicides. Je pardonnerai. Et comme je ne pourrai
donner l’absolution aux déicides impénitents, je prierai encore, par les dernières
douleurs, le Père pour eux... pour qu’Il leur pardonne... parce qu’ils sont enivrés d’une
liqueur satanique... Je pardonnerai... Et vous, pardonnez en mon Nom. Et aimez,
aimez comme Moi j’aime, comme je vous aime et vous aimerai, éternellement.
Adieu. Le soir descend. Prions ensemble et puis que chacun retourne chez lui
avec les paroles du Seigneur dans le coeur, et qu’elles se transforment en épis grenus
pour vos faims futures,
109
quand vous désirerez entendre encore l’Ami, le Maître, votre Sauveur, et seulement
en lançant votre esprit dans les Cieux vous pourrez trouver Celui qui vous a aimés
plus que Lui-même.
Notre Père qui êtes aux Cieux...» et Jésus, les bras ouverts, haute et blanche croix
contre le mur foncé de la façade du nord, dit lentement le Pater.
Puis il bénit avec la bénédiction mosaïque. Il embrasse les enfants, il les bénit encore. Il prend
congé et s’en va vers le nord en côtoyant Emmaüs sans y entrer.
Les teintes violacées du crépuscule absorbent lentement la douce vision du Maître qui s’en va, qui
s’en va de plus en plus vers son destin. Dans la cour demi-obscure, c’est un silence de douleur
paisible... Une sorte d’attente.
Puis les pleurs du petit Micaël, les pleurs d’un agnelet qui se trouve seul, rompt l’enchantement, et
beaucoup d’yeux se baignent de larmes et beaucoup de lèvres répètent les paroles innocentes du
petit: «Oh! pourquoi es-tu parti? Reviens! Reviens!... Fais-le revenir. Seigneur!» et quand Jésus est
vraiment disparu, la constatation désolée du fait accompli: «Jésus n’est plus là!» C’est inutilement
que cherche à le consoler la mère du petit Micaël qui pleure comme s’il avait perdu plus que sa
mère, et qui dans ses bras n’a plus d’yeux que pour le point où est disparu Jésus, et tend les bras en
appelant: «Jésus! Jésus!»... Jésus attend d’être un peu loin, puis il dit: «Nous irons à Joppé. Les
disciples y ont beaucoup travaillé et on y attend la parole du Seigneur.»
Il n’y a pas beaucoup d’enthousiasme pour le projet d’allonger encore la route, mais Simon le
Zélote fait observer que de Joppé aux domaines de Nicodème et de Joseph on y va rapidement et
par de belles routes. Jean est content d’aller vers la mer. Et les autres, entraînés par ces
considérations, finissent par aller plus volontiers par la route qui se dirige vers la mer.

95. A JOPPE JESUS PARLE A JUDAS DE KERIOT ET A DES GENTILS

Je vois Jésus assis dans la cour intérieure d’une maison d’aspect convenable sans
être luxueuse. Il paraît très fatigué. Il est assis sur un banc de pierre situé près d’un
puits aux rebords peu élevés, que
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recouvre l’arceau d’une tonnelle verte. Les grappes de raisin commencent à se former.
La fleur doit être tombée depuis peu et les grains semblent être des grains de mil
suspendus à des pédoncules verts. Jésus tient sur son genou droit la pointe du coude
droit et il appuie son menton dans le creux de la main. Parfois, comme pour trouver
une position plus confortable, il appuie son bras replié sur le rebord du puits et sa tête
repose sur son bras, comme s’il voulait dormir. Alors ses cheveux voilent son visage
fatigué, qui autrement apparaît pâle et sérieux entre les boucles d’un blond roux.
Une femme va et vient les mains enfarinées, en passant d’une pièce de la maison
à un cagibi situé du côté opposé de la cour et où doit se trouver le four. A chaque fois,
elle regarde Jésus, mais elle ne trouble pas son repos. Le soir doit être proche car le
soleil effleure à peine le haut de la terrasse au-dessus du toit, de moins en moins,
jusqu’à ce qu’il la quitte.
Une dizaine de colombes descendent en roucoulant dans la cour pour leur dernier repas. Elles
tournoient autour de Jésus comme pour voir quel est cet inconnu et, défiantes, elles n’osent se poser
sur le sol. Jésus quitte ses réflexions, il sourit, tend une main, la paume en dessus, et il dit: «Vous
avez faim? Venez» comme s’il parlait à des humains. La plus audacieuse se pose sur cette main et,
après elle, une autre et une autre. Jésus sourit. «Je n’ai rien, Moi» dit-il devant leur roucoulement
insistant. Et puis il appelle à haute voix: «Femme! Tes colombes ont faim. As-tu du grain pour
elles?»
«Oui, Maître. Il est dans un sac sous le portique. J’arrive.»
«Laisse-moi faire. Je vais le donner. Cela me plaît.»
«Elles ne viendront pas. Elles ne te connaissent pas.»
«Oh! J’en ai sur les épaules et jusque sur la tête!...»
Jésus, en fait, marche avec son étrange plumet fait d’une colombe à la poitrine couleur de plomb qui
semble une cuirasse précieuse aux reflets changeants.
La femme, incrédule, se montre et dit: «Oh!»
«Tu le vois? Les colombes sont meilleures que les hommes. Elles comprennent qui les aime. Les
hommes... non.»
«Ne pense pas, Maître, à ce qui est arrivé. Il y en a peu ici qui te haïssent. Les autres, à peu près
tous, t’aiment, te respectent au moins.»
«Oh! Je ne me trouble pas pour cela. Je le dis pour te faire remarquer que souvent les bêtes sont
meilleures que les hommes.»
Jésus a ouvert le sac, y a plongé sa longue main et il en a sorti du grain blond
qu’il a mis dans un repli de son manteau. Il referme le
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sac et revient au milieu de la cour en se défendant contre l’invasion des colombes qui
veulent se servir elles-mêmes. Il ouvre le pli de son manteau et jette le grain sur le sol,
et il rit de voir la lutte et les rixes des oiseaux goulus. Le repas est vite consommé, et
les colombes boivent à un plat creux qui est près du puits, en regardant encore Jésus.
«Allez maintenant, il n’y a plus rien.»
Les bestioles volettent encore un peu sur les épaules et les genoux de Jésus, et puis elles retournent
à leurs nids. Jésus retombe dans sa méditation.
Des coups violents à la porte. La femme court ouvrir: ce sont les disciples.
«Venez» dit Jésus. «Avez-vous distribué l’argent aux pauvres?»
«Oui, Maître.»
«Jusqu’à la dernière piécette? Rappelez-vous que ce qui nous est donné n’est pas
pour nous, mais pour la Charité. Nous sommes pauvres et nous vivons de la pitié
d’autrui. Malheureux l’apôtre qui exploite sa mission à des fins humaines!»
«Et si un jour on se trouve sans pain et que l’on est accusé de violer la Loi parce
qu’on égrène des épis comme font les moineaux?»
«As-tu jamais manqué de quelque chose, Judas? De quelque chose d’essentiel depuis que tu es avec
Moi? Es-tu quelquefois tombé de langueur sur la route?»
«Non, Maître.»
«Quand je t’ai dit: “Viens” t’ai-je promis du confort et des richesses? Et dans mes paroles à ceux
qui m’écoutent ai-je jamais dit que je donnerai aux “miens” des avantages sur la Terre?»
«Non, Maître.»
«Et alors, Judas? Pourquoi es-tu à ce point changé? Ne sais-tu pas, ne sens-tu pas que ton
mécontentement, ta froideur me donnent de la douleur? Ne vois-tu pas que ce mécontentement se
communique à tes frères? Pourquoi, Judas, ami, toi appelé à un pareil sort, toi venu avec tant
d’enthousiasme à mon amour et à ma Lumière, m’abandonnes-tu maintenant?»
«Maître, moi je ne t’abandonne pas. Je suis celui qui se soucie le plus de Toi, de tes intérêts, de ta
réussite. Je voudrais te voir triompher partout, crois-le.»
«Je le sais. Humainement tu veux cela. C’est déjà beaucoup. Mais ce n’est pas cela que je veux,
Judas, mon ami... Je suis venu pour bien autre chose qu’un triomphe humain et une royauté
humaine... Je suis venu, non pas pour donner à des amis des bribes d’un triom-
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phe humain, mais pour vous donner une récompense large, bien tassée, abondante,
une récompense qui n’est plus une récompense tellement elle est pleine: c’est une
participation à mon Règne éternel, c’est une union dans les droits des fils de Dieu...
Oh! Judas! Pourquoi ce sublime héritage ne t’exalte-t-il pas? On y accède par le
renoncement, mais il ne connaît pas de crépuscule. Viens encore plus près, Judas.
Tu le vois? Nous sommes seuls. Les autres ont compris que je voulais te parler, à
toi, distributeur de mes... richesses, des aumônes que le Fils de l’Homme, que le Fils
de Dieu reçoit pour les donner au nom de Dieu et de l’Homme à l’homme. Ils sont
rentrés. Nous sommes seuls, Judas, dans cette heure si douce du soir dans laquelle nos
coeurs volent vers nos maisons lointaines, vers nos mères qui certainement, en
préparant leur souper solitaire, pensent à nous et caressent de la main la place où nous
nous assoyions avant cette heure de Dieu en laquelle le Vouloir très Saint nous a pris
pour le faire aimer en esprit et en vérité.
Nos mères! La mienne, si sainte et si pure, qui vous aime tant et prie pour vous,
amis de son Jésus... La mienne, qui n’a que cette paix dans l’angoisse de sa Maternité
de Mère du Christ: celle de me savoir entouré de votre affection... Ne décevez pas, ne
blessez pas ce coeur de Mère, amis. Ne le brisez pas par une seule mauvaise action!
Ta mère, Judas. Ta mère, la dernière fois que nous sommes passés par Kériot, elle
n’en finissait pas de me bénir et elle voulait me baiser les pieds parce qu’elle est
heureuse que son Judas soit dans la Lumière de Dieu, et elle me disait: “Oh! Maître!
Rends-le saint mon Judas! Que veut un coeur de mère, sinon le bien de son enfant? Et
quel bien qui soft plus grand que le Bien éternel?” En effet quel bien plus grand,
Judas, que celui auquel je veux vous amener et auquel on arrive en suivant mon
Chemin? C’est une sainte femme que ta mère, Judas, une vraie fille d’Israël. Je n’ai
pas voulu qu’elle me baise les pieds, car vous êtes mes amis et parce que dans toutes
vos mères, dans toute mère bonne, je vois la mienne, Judas. Et je voudrais que vous,
dans la vôtre, vous voyiez la mienne dans son redoutable destin de Corédemptrice, et
vous ne voudriez pas, non, vous ne voudriez pas la tuer parce que... parce qu’il vous
semblerait tuer la vôtre.
Judas, ne pleure pas. Pourquoi pleurer? Si tu n’as rien sur le coeur qui soit un
remords envers ta mère et la mienne, pourquoi répandre ces larmes? Viens ici, mets ta
tête sur mon épaule et dis à ton Ami ton angoisse. Tu as manqué? Tu te sens près de
manquer?
113
Oh! ne reste pas seul! Triomphe de Satan avec l’aide de Celui qui t’aime. Je suis
Jésus, Judas. Je suis le Jésus qui guérit les malades et qui chasse les démons. Je suis le
Jésus qui sauve... et qui t’aime tant, et qui se tourmente de te voir ainsi affaibli. Je suis
le Jésus qui enseigne à pardonner soixante-dix fois sept fois. Mais Moi, Moi, en ce qui
me concerne, ce n’est pas soixante-dix fois, mais sept cent fois, sept mille fois sept
fois que je vous pardonne... et il n’y a pas de faute, Judas, il n’y a pas de faute, Judas,
il n’y a pas de faute, Judas, que Moi je ne pardonne, que Moi je ne pardonne, que
Moi je ne pardonne si le coupable repentant me dit: “Jésus, j’ai péché”. Moins encore:
s’il dit seulement: “Jésus!”. Encore moins: s’il me regarde seulement, suppliant. Et les
premières fautes que je pardonne, sais-tu, ami, à qui je les pardonne? Aux plus
coupables et aux plus repentis. Et les toutes premières que je pardonne, sais-tu quelles
elles sont: celles faites contre Moi.
Judas?... Tu ne trouves pas un mot à répondre à ton Maître?... Si lourde est ton
angoisse qu’elle te coupe la parole? Crains-tu que je te dénonce? Ne le crains pas! Il y
a si longtemps que je veux te parler ainsi, en te tenant sur mon coeur, comme deux
jumeaux dans un seul berceau, enfantés ensemble, presque une seule chair, deux
enfants qui ont échangé entre eux les seins tièdes et senti le goût de la salive du frère
en même temps que la douceur du lait maternel. Maintenant je to possède et je ne te
quitte pas jusqu’à ce que tu me dises que je t’ai guéri. Ne crains pas, Judas. C’est une
confession que je veux. Mais tes compagnons penseront que c’est un colloque
d’amour, tant rayonneront de paix réciproque, d’amour réciproque nos visages après
ce colloque. Et je ferai en sorte qu’ils le croient de plus en plus en to tenant contre ma
poitrine ce soir au souper, en trempant mon propre pain et en te le présentant comme à
un préféré, et c’est à toi le premier que je donnerai la coupe après avoir rendu grâces à
Dieu. Tu seras le roi du banquet, Judas, et to le seras réellement. Epouse de l’Epoux tu
seras, ô âme que j’aime, si tu te rends pure et libre, en déposant ta poussière en mon
sein purificateur.
Tu ne parles pas encore pour me dire ton chagrin?»
«Tu m’as parlé avec tant de douceur... de la mère... de la maison... de ton amour... Un moment de
faiblesse... Je suis tellement las!... Et il me semblait que tu ne m’aimais plus ainsi depuis quelque
temps...»
«Non. Ce n’est pas cela. Dans tes paroles il n’y a qu’une seule vérité, et c’est que
tu es las. Pas de la route, de la poussière, du
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soleil, de la boue, de la foule. Tu es las de toi. Ton âme est lasse de ta chair et de ton
esprit. Si lasse qu’elle finira par s’éteindre de lassitude mortelle. Pauvre âme que Moi
j’ai appelée aux splendeurs éternelles! Pauvre âme qui sait que je t’aime, et qui te
reproche de l’arracher à mon amour! Pauvre âme qui te reproche, inutilement, comme
Moi je te caresse inutilement de mon amour, d’agir sournoisement avec ton Maître.
Mais ce n’est pas toi qui agis. C’est celui qui te hait et qui me hait. C’est pour cela
que je te disais: “Ne reste pas seul”. Eh bien, écoute. Mes nuits, tu sais que je les
passe en grande partie à prier. Si un jour tu sens en toi le courage d’être un homme et
la volonté d’être mien, viens à Moi pendant que tes compagnons dorment. Les étoiles,
les fleurs, les oiseaux sont des témoins prudents et bons, silencieux, pleins de pitié.
Les étoiles sont saisies d’horreur devant le crime qui arrive sous leur lumière, mais
elles n’ont pas de voix pour dire aux hommes: “Celui-ci est un Caïn de son frère”. Tu
as compris, Judas?»
«Oui, Maître. Mais crois-moi: je n’ai rien d’autre que de la lassitude et de
l’émotion. Moi je t’aime de tout mon coeur et...»
«C’est bien. Il suffit.»
«Tu me donnes un baiser, Maître?»
«Oui, Judas, et je t’en donnerai d’autres...»
Jésus pousse un profond soupir, avec peine. Mais il baise Judas sur la joue. Et puis il lui prend la
tête dans ses mains, et la tenant bien serrée en face de Lui à quelques décimètres, il la fixe, l’étudie,
la transperce de son regard magnétique. Et Judas, ce malheureux, ne tressaille pas. Il reste en
apparence imperturbable sous cet examen. Il devient seulement un peu pâle et pendant un instant il
ferme les yeux.
Et Jésus baise ses paupières abaissées, et puis sa bouche, et puis son coeur, baissant la tête pour
trouver le coeur du disciple... et il dit: «Voilà: pour chasser les nuées, pour te faire sentir la douceur
de Jésus, pour fortifier ton coeur.» Puis il le laisse et se dirige vers la maison, suivi de Judas.
«Tu arrives bien, Maître! Tout est prêt, on n’attendait que Toi» dit Pierre.
«Bien. Je parlais avec Judas de tant de choses... N’est-ce pas, Judas? Il faudrait s’occuper de ce
pauvre vieux qui a eu son fils tué.»
«Ah!» Judas saisit au vol l’occasion pour achever de se remettre et pour détourner, si jamais ils
existaient, les soupçons des autres. «Ah! Sais-tu, Maître? Aujourd’hui nous avons été arrêtés par un
115
groupe de gentils mêlés à des juifs des colonies romaines de Grèce. Ils voulaient
savoir beaucoup de choses. Nous avons répondu comme nous avons pu. Mais nous ne
les avons sûrement pas convaincus. Pourtant ils ont été bons et ils nous ont donné
beaucoup d’argent. Le voilà, Maître. Nous pourrons faire beaucoup de bien.» Et Judas
met un gros sac de peau luxueuse sur la table et en tombant il émet un son argentin. Il
est gros comme la tête d’un enfant.
«C’est bien, Judas, tu distribueras l’argent avec équité. Que voulaient savoir ces
gentils?»
«Des choses de la vie future... si l’homme a une âme et si elle est immortelle. Ils donnaient des
noms de leurs maîtres. Mais nous... que pouvions-nous dire?»
«Vous deviez leur dire de venir.»
«Nous le leur avons dit. Ils viendront, peut-être.»
Le repas se poursuit.
Jésus a pour voisin Judas et il lui donne du pain trempé dans la sauce qui se trouve sur le plat de la
viande rôtie. Ils sont en train de manger des petites olives noires, quand on entend frapper à la porte.
Et peu après la maîtresse de maison entre et elle dit: «Maître, c’est Toi qu’ils veulent.»
«Qui est-ce?»
«Des étrangers.»
«Mais c’est impossible!» «Le Maître est fatigué!» «C’est toute la journée qu’il marche et qu’il
parle!» «Et puis! Des gentils dans la maison! Allons donc!» Les douze sont en émoi comme un
essaim que l’on a dérangé.
«Chut! Paix! Ce n’est pas une fatigue pour Moi d’écouter qui me cherche. C’est mon repos.»
«Ce pourrait être un piège, à cette heure!...»
«Non. Ce ne l’est pas. Restez tranquilles et reposez-vous. Moi, je me suis déjà reposé en vous
attendant. J’y vais. Je ne vous demande pas de venir avec Moi... bien que... bien que je vous le dis:
c’est justement parmi les gentils que vous devrez porter votre judaïsme qui ne sera plus que
christianisme. Attendez-moi ici.»
«Tu y vas seul? Ah! cela jamais!» dit Pierre, et il se lève.
«Reste où tu es. J’y vais seul.»
Il sort. Il se présente à la porte qui donne sur la route. Dans le crépuscule, il y a une quantité
d’hommes qui attendent.
«La paix soit avec vous. Vous voulez me voir?»
«Salut, Maître!» C’est un vieillard imposant qui parle enveloppé dans un vêtement romain qui
dépasse d’un petit manteau rond
116
avec un capuchon relevé sur la tête. «Nous avons parlé aujourd’hui avec tes disciples,
mais ils n’ont pas su nous donner beaucoup d’explications. Nous voudrions parler
avec Toi.»
«Vous êtes ceux de la riche obole? Merci pour les pauvres de Dieu.» Jésus
s’adresse à la maîtresse de maison et lui dit: «Femme, je sors avec eux. Dis aux miens
qu’ils viennent me retrouver près de la rive car, si je vois juste, ces gens sont des
commerçants des magasins...»
«Et des navigateurs, Maître. Tu as vu juste.»
Ils sortent tous ensemble sur la route illuminée par un beau clair de lune.
«Vous venez de loin?» Jésus est au milieu du groupe avec, à côté de Lui, le vieillard qui a parlé le
premier, un beau vieillard avec un net profil latin. De l’autre côté se trouve un autre d’un certain
âge, au visage nettement hébraïque, et puis autour deux ou trois plutôt maigres au teint olivâtre, aux
yeux éveillés et un peu ironiques, et d’autres plus robustes d’âges variables. Une dizaine de
personnes.
«Nous sommes des colonies romaines de Grèce et d’Asie. En partie des juifs et en partie des
gentils... Nous n’osions pas venir à cause de cela... Mais on nous a assuré que tu ne méprises pas les
gentils... comme font les autres... Les juifs scrupuleux, je veux dire, ceux d’Israël, car ailleurs il y a
aussi des juifs... moins rigides. Si bien que moi, romain, j’ai pour épouse une juive de Lycaonie,
alors que lui a pour épouse une romaine, lui hébreux d’Ephèse.»
«Je ne méprise personne, mais il faut être indulgent envers ceux qui ne savent pas
encore penser que: 1e Créateur étant un, tour les hommes sont d’un même sang.»
«Nous savons que tu es grand parmi les philosopher. Et ce que tu dis le confirme:
grand et bon.»
«Est bon celui qui fait le bien, non celui qui parle bien.»
«Tu parles bien et tu agis bien. Tu es donc bon.»
«Que voulez-vous savoir de Moi?»
«Aujourd’hui, Maître, pardonne-nous si nous te fatiguons par notre curiosité. Mais il y a une
curiosité qui est bonne parce qu’elle cherche la Vérité... Aujourd’hui nous voulions savoir des tiens
la vérité sur une doctrine déjà ébauchée par les philosophes de l’Antiquité grecque et que Toi, nous
dit-on, tu reviens enseigner plus vaste et plus belle. Eunique, mon épouse, a parlé avec des juifs qui
t’ont entendu, et elle m’a répété ces paroles. Tu sais, Eunique qui est grecque, est cultivée et elle
connaît les paroles des sages de sa patrie. Elle a trouvé des correspondances entre tes paroles et
celles
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d’un grand philosophe grec, et même les paroles que tu as dites sont arrivées à Ephèse. Aussi, venus
dans ce port, les uns pour le commerce, les autres pour les rites, nous nous sommes retrouvés entre
amis et nous avons parlé. Les affaires n’empêchent pas de penser aussi à des choses plus élevées.
Ayant rempli les magasins et chargé les bateaux, nous avons le temps de résoudre ce doute. Tu dis
que l’âme est éternelle. Socrate a dit qu’elle est immortelle. Connais-tu les paroles du maître grec?»
«Non. Je n’ai pas étudié dans les écoles de Rome et d’Athènes, mais parle. Je te
comprends quand même. Je n’ignore pas la pensée du philosophe grec.»
«Socrate, contrairement à ce que nous de Rome croyons, et contrairement aussi à ce que croient vos
sadducéens, admet et soutient que l’homme a une âme et qu’elle est immortelle. Il dit que l’âme
étant telle, la mort n’est pour elle qu’une libération et le passage d’une prison à un lieu libre où elle
rejoint ceux qu’elle a aimés, et là elle connaît les sages, de la pensée desquels elle a entendu parler,
et les grands, les héros, les poètes, et elle n’y trouve plus d’injustices ni de douleur, mais une félicité
éternelle dans un séjour de paix, ouvert aux âmes immortelles qui ont vécu avec justice. Toi, Maître,
qu’en dis-tu?»
«En vérité je te dis que le maître grec, tout en étant dans l’erreur d’une religion
qui n’est pas vraie, était dans la vérité en disant l’âme immortelle. En quête du Vrai et
pratiquant la Vertu, il sentait au fond de son esprit murmurer la Voix du Dieu
inconnu, du Vrai Dieu, du Dieu Unique: le Père très Haut, d’où je viens pour amener
les hommes à la Vérité. L’homme a une âme, Une, Vraie, Eternelle, Maîtresse,
capable de mériter la récompense ou le châtiment. Toute sienne, créée par Dieu,
destinée dans la Pensée Créatrice à retourner à Dieu. Vous, gentils, vous vous
adonnez trop au culte de la chair, oeuvre admirable en vérité, sur laquelle se trouve la
marque du Pouce éternel. Vous admirez trop l’intelligence, joyau renfermé dans
l’écrin de votre tête et faisant couler de là ses rayons sublimes. Grand don, don
supérieur du Dieu Créateur qui vous a formés selon sa Pensée et conforme à elle, et
donc oeuvre parfaite d’organes et de membres, et vous a donné la ressemblance avec
sa Pensée et avec son Esprit. Mais la perfection de la ressemblance se trouve dans
l’esprit. Car Dieu n’a pas les membres et l’opacité de la chair, comme Il n’a pas les
sens et le foyer de la luxure. Mais c’est un Esprit très pur, éternel, parfait, immuable,
infatigable en son action, se renouvelant sans cesse dans ses oeu-
118
vres qu’Il adapte paternellement au chemin d’ascension de sa créature. L’esprit, créé
pour tous les hommes à partir d’une même Source de puissance et de bonté, ne
connaît pas de différence de perfection initiale. Il n’y a qu’un seul Esprit Incréé,
parfait et resté tel. Il y a trois esprits créés parfaits...»
«Tu es l’un d’eux, Maître.»
«Pas Moi. Moi, dans ma chair, j’ai l’Esprit qui n’a pas été créé, mais qui a été engendré par le Père,
par exubérance d’Amour.»
«Qui donc?»
«Les deux premiers parents d’où vient la race, créés parfaits et puis tombés, volontairement, dans
l’imperfection. Le troisième, créé pour la joie de Dieu et de l’Univers, est trop au-dessus des
possibilités de pensée et de foi du monde de maintenant pour que Moi je vous l’indique. Les esprits,
disais-je, créés, venant d’une même Source avec une égale mesure de perfection, subissent ensuite,
d’après leur mérite et leur volonté, une double métamorphose.»
«Alors to admets une seconde vie?»
«Il n’y a qu’une seule vie. En elle, l’âme, qui a eu la ressemblance initiale avec
Dieu, passe, grâce à la justice fidèlement pratiquée en toutes choses, à une plus
parfaite ressemblance, je dirais à une seconde création d’elle-même, par laquelle elle
évolue vers une double ressemblance avec le Créateur, en se rendant capable de
posséder la sainteté qui est perfection de justice et ressemblance des fils avec le Père.
Elle se trouve chez les bienheureux, c’est-à-dire en ceux dont votre Socrate dit qu’ils
habitent l’Hadés. Mais je vous dis que quand la Sagesse aura dit ses paroles et les aura
confirmées par le sang, ils seront les bienheureux du Paradis, du Royaume,
c’est-à-dire, de Dieu.»
«Et où sont-ils maintenant?»
«Dans l’attente.»
«De quoi?»
«Du Sacrifice, du Pardon, de la Libération.»
«On dit que le Messie sera le Rédempteur et que c’est Toi... C’est vrai?»
«C’est vrai. Je le suis, Moi qui vous parle.»
«Alors, tu devras mourir? Pourquoi, Maître? Le monde a tant besoin de Lumière, et tu veux le
quitter?»
«C’est toi, grec, qui me demande cela? Toi, en qui trônent les paroles de Socrate?»
«Maître, Socrate était un juste. Toi, tu es saint. Regarde quel besoin de sainteté a la Terre.»
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«Elle croîra de dix mille puissances pour chaque douleur, pour chaque blessure,
pour chaque goutte de mon Sang.»
«Par Jupiter! Jamais stoïque ne fut plus grand que Toi, qui ne te bornes pas à prêcher le mépris de la
vie, mais qui t’apprêtes à t’en débarrasser.»
«Je ne méprise pas la vie. Je l’aime comme la chose la plus utile pour acheter le salut du monde.»
«Mais tu es jeune, Maître, pour mourir!»
«Ton philosophe dit qu’il est cher aux dieux celui qui est saint, et tu m’as appelé saint. Si je suis
saint, je dois avoir soif de retourner à la Sainteté d’où je suis venu. On n’est jamais assez jeune, par
conséquent, pour n’avoir pas cette soif. Socrate dit aussi que celui qui est saint aime à faire des
choses agréables aux dieux. Quelle chose plus agréable que de rendre à l’embrassement du Père les
enfants que la faute a éloignés et de donner à l’homme la paix avec Dieu, source de tout bien?»
«Tu dis que tu ne connais pas les paroles de Socrate. Comment alors sais-tu ce que tu dis?»
«Moi, je sais tout. La pensée des hommes, en tant que pensée bonne, n’est que la
réflexion d’une de mes pensées. Ce qui n’est pas bon n’est pas de Moi, mais je l’ai lu
dans la succession des temps, et j’ai su, je sais et je saurai quand cela a été, est, et
sera dit. Moi, je sais.»
«Seigneur, viens à Rome, phare du monde. Ici la haine t’environne. Là-bas la
vénération t’environnera.»
«Elle entourera l’homme, pas le Maître du surnaturel. Moi, je suis venu pour le surnaturel. Je dois
l’apporter aux fils du Peuple de Dieu, bien qu’ils soient les plus durs avec le Verbe.»
«Rome et Athènes ne to posséderont pas, alors?»
«Elles me posséderont, ne craignez pas. Elles me posséderont. Ceux qui me voudront me
posséderont.»
«Mais s’ils te tuent...»
«L’esprit est immortel. Celui de tout homme. Ne le sera-t-il pas le mien, l’Esprit du Fils de Dieu? Je
viendrai par mon Esprit qui agira... Je viendrai... Je vois les foules sans nombre, et les Maisons que
l’on élève en mon Nom... Je suis partout... Je parlerai dans les cathédrales et dans les coeurs... Mon
évangélisation ne connaîtra pas de répit... L’Evangile parcourra la Terre... Tous les bons vers Moi...
Et voilà... Je passe à la tête de mon armée de saints et je les amène au Ciel. Venez à la Vérité...»
«Oh! Seigneur! Nous avons l’âme enveloppée de formules et
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d’erreurs. Comment ferons-nous pour lui ouvrir les portes?»
«Moi, je desserrerai les portes de l’Enfer. J’ouvrirai les pontes de votre Hadès et
de mes Limbes. Et je ne pourrai pas ouvrir les vôtres? Dites: “Je veux” et comme une
serrure faite d’ailes de papillons, elles tomberont en poussière au passage de mon
Rayon.»
«Qui viendra en ton Nom?»
«Vous voyez cet homme qui vient en ce moment avec un autre un peu plus qu’adolescent? Ils
viendront à Rome et à la Terre. Et avec eux, beaucoup d’autres. Empressés, comme maintenant, à
cause de mon amour qui les pousse et ne leur fait trouver de repos qu’à côté de Moi, ils viendront,
pour l’amour de ceux qui sont rachetés par mon Sacrifice, vous chercher, vous rassembler, vous
amener à la Lumière. Pierre! Jean! Venez. J’ai fini, je crois, et je suis à vous. Avez-vous autre chose
à me dire?»
«Rien d’autre, Maître. Nous partons emmenant avec nous tes paroles.»
«Qu’elles germent en vous et poussent avec des racines éternelles. Allez. La paix soit avec vous.»
«Salut à Toi, Maître.»
Et la vision se termine...

Mais Jésus dit encore: «Tu es épuisée? Une lourde dictée, plutôt dictée que
vision. Mais c’est un exposé que certains désirent. Qui? Tu le saunas en mon Jour.
Maintenant va en paix toi aussi.»

J’ajoute de moi-même que la conversation entre Jésus et les gentils avait lieu le
long d’un quai d’une ville maritime. Bien visibles au clair de lune les flots tranquilles
qui venaient mourir avec leur ressac sur les écueils de la digue avancée d’un grand
port rempli de navires. Je n’ai pas pu en parler auparavant car le groupe n’a pas cessé
de parler, et si j’avais décrit l’endroit j’aurais perdu le fil des paroles. Ils parlaient en
allant et venant sur une partie du rivage, près du port. La route est solitaire, car il n’y a
pas de passagers et les navigateurs sont tous revenus à leurs navires dont on voit les
fanaux rouges briller dans la nuit comme des étoiles de rubis. Je ne sais quelle ville
c’est. Elle est sûrement belle et importante.

96. DANS LE DOMAINE DE NICODEME

Jésus y arrive par une fraîche aurore. Et elles sont belles ces fertiles campagnes
du bon Nicodème aux premiers rayons du soleil. Belles, bien que beaucoup de
champs soient déjà fauchés et présentent le morne aspect des champs après la mort
des blés, qui en meu-
121
les d’or ou encore étendus comme des cadavres sur le sol, attendent d’être transports
sur les aires. Et avec eux meurent les bluets étoilés couleur de saphir, les geules-de-
loup violettes, les corolles minuscules des scabieuses, les calices fragiles des
campanules, les corolles riantes des camomilles et des marguerites, les coquelicots
aux couleurs criardes, et cent autres fleurs en étoiles, en épis, en grappes, en corolles,
riaient auparavant là où s’étend maintenant la couleur jaune des chaumes. Mais pour
consoler le deuil de la terre dépouillée des blés il y a les frondaisons des arbres
fruitiers de plus en plus pimpants avec leurs fruits qui grossissent et prennent des
teintes variées et qui, en ce moment, brillent d’une poussière de diamants formée par
la rosée que le soleil n’a pas encore évaporée.
Les paysans sont déjà au travail, heureux d’arriver à la fin du pénible travail de la
moisson. Ils chantent tout en fauchant et rient gaiement rivalisant à qui sera le plus
agile et le plus adroit à manier la faux et lier les gerbes... De nombreux bataillons de
paysans bien nourris qui sont heureux de travailler pour un bon maître. Et, aux bords
des champs ou derrière ceux qui lient les gerbes, des enfants, des veuves, des
vieillards qui attendent pour glaner et qui attendent sans inquiétude, parce qu’ils
savent qu’il y en aura pour tout le monde, comme toujours, «par ordre de Nicodème»
comme l’explique une veuve à Jésus qui l’interroge.
«Lui surveille» dit-elle «pour qu’on laisse exprès de nombreux épis hors des gerbes, pour nous. Et
non content encore d’une telle charité, après avoir pris une quantité convenable proportionnée à la
semence, il nous distribue le reste. Oh! il n’attend pas pour le faire l’année sabbatique! Mais
toujours il fait bénéficier le pauvre de son blé et il fait de même pour les oliviers et les vignes. C’est
pour cela que Dieu le bénit par des récoltes miraculeuses. Les bénédictions des pauvres sont comme
la rosée sur les graines et sur les fleurs et font que chaque graine produise plus d’épis et qu’aucune
fleur ne tombe sans qu’un fruit se forme. Puis, cette année, il nous a fait savoir que tout est pour
nous, parce que c’est une année de grâce. De quelle grâce parle-t-il, je ne sais pas. Si ce n’est qu’on
dit entre nous les pauvres et parmi ses heureux serviteurs, que lui est secrètement un disciple de
Celui qui se dit le Christ qui prêche l’amour pour les pauvres pour témoigner de l’amour à Dieu...
Peut-être Toi tu le connais si tu es un ami de Nicodème... Car les amis ont habituellement les
mêmes affections... Joseph d’Arimathie, par exemple, est un grand ami de Nicodème
122
et on dit aussi de lui qu’il est un ami du Rabbi... Oh! Qu’ai-je dit! Que Dieu me
pardonne! J’ai nui à deux bons de la plaine!...» La femme est consternée.
Jésus sourit et demande: «Pourquoi, femme?»
«Parce que... Oh! Dis-moi, es-tu un véritable ami de Nicodème et de Joseph, ou es-tu quelqu’un du
Sanhédrin, un des faux amis qui nuiraient aux deux bons s’ils avaient la certitude qu’ils sont des
amis du Galiléen?»
«Rassure-toi. Je suis un véritable ami des deux bons. Mais tu sais beaucoup de choses, ô femme!
Comment les sais-tu?»
«Oh! nous les connaissons tous! Ceux de la haute avec haine, les petits gens avec amour. Parce que,
même si nous ne le connaissons pas, nous aimons le Christ, nous les abandonnés que Lui seul aime
et qu’il apprend à aimer. Et nous tremblons pour Lui... Si perfides sont les juifs, les pharisiens, les
scribes et les prêtres!... Mais je te scandalise... Pardonne-moi. C’est une langue de femme et qui ne
sait pas se taire... Mais c’est parce que toute la douleur nous vient d’eux, les puissants qui nous
oppriment sans pitié et qui nous obligent à des jeûnes que ne prescrit pas la Loi, mais qui sont
imposés par la nécessité de trouver de l’argent pour payer toutes les dîmes qu’eux, les riches, ont
mises sur les pauvres... Et c’est pour cela que tout l’espoir est dans le Royaume de ce Rabbi qui, s’il
est si bon maintenant qu’il est persécuté, que sera-t-il donc quand il pourra être roi?»
«Son Royaume n’est pas de ce monde, ô femme. Lui n’aura ni palais ni armées. Il
n’imposera pas de lois humaines. Il ne distribuera pas de l’argent, mais il apprendra
aux meilleurs à le faire. Et les pauvres trouveront non pas deux ou dix ou cent amis
parmi les riches, mais tous ceux qui croient dans le Maître uniront leurs biens pour
aider leurs frères sans biens. Car, désormais, on n’appellera plus “prochain” son
semblable, mais “frère”, au nom du Seigneur.»
«Oh!...» La femme est stupéfaite en songeant à cette ère d’amour. Elle caresse ses
enfants, sourit, puis elle lève la tête, et elle dit: «Alors tu m’assures que je n’ai pas nui
à Nicodème... en parlant avec Toi? Cela m’est venu si spontanément... Tes yeux sont
si doux!... Si serein est ton aspect!... Je ne sais pas... Je me sens en sécurité comme si
j’étais près d’un ange de Dieu... C’est pour cela que j’ai parlé...»
«Tu ne lui as pas nui, sois-en certaine. Au contraire tu as donné à mon ami une grande louange pour
laquelle je le féliciterai, et il me
123
sera plus cher que jamais. Tu es de cette région?»
«Oh! non, Seigneur. Je suis d’entre Lida et Bettegon. Mais quand il s’agit d’être
soulagé, Seigneur, on court, même si la route est longue! Plus longs sont les mois
d’hiver et de faim...»
«Et plus longue que la vie est l’éternité. Il faudrait avoir pour l’âme la sollicitude que l’on a pour la
chair, et courir là où sont les paroles de vie...»
«C’est ce que je fais avec les disciples du Rabbi Jésus, cet homme bon, sais-tu? Le seul qui soit bon
des trop nombreux rabbins que nous avons.»
«Tu fais bien, femme» dit Jésus en souriant. Mais il fait signe à André et à Jacques de Zébédée qui
sort avec Lui, pendant que les autres sont allés à la maison de Nicodème, de ne pas faire tout un
manège pour faire comprendre à la femme que le Rabbi Jésus est celui qui lui parle.
«Certes que je fais bien. Moi, je veux être exempte du péché de ne pas l’avoir aimé et cru... Ils
disent que c’est le Christ... Moi, je ne le connais pas, mais je veux croire car je pense qu’il arrivera
malheur à ceux qui ne veulent pas le reconnaître comme tel.»
«Et si ses disciples se trompaient?» dit Jésus pour la tenter.
«Cela ne peut-être, Seigneur. Ils sont trop bons, humbles et pauvres pour penser qu’ils suivent
quelqu’un qui n’est pas saint. Et puis... J’ai parlé avec des gens guéris par Lui. Ne fais pas le péché
de ne pas croire, Seigneur! Tu damnerais ton âme... Enfin... moi je pense que, même si nous nous
trompions tous et si Lui n’était pas le Roi promis, il est certainement saint et ami de Dieu, s’il dit
ces paroles et guérit les âmes et les corps... Et avoir de l’estime pour les bons, cela fait toujours du
bien.»
«Tu as bien parlé, persiste dans ta foi... Voilà Nicodème...»
«Oui. Avec des disciples du Rabbi. En effet ils sont dans les campagnes en train
d’évangéliser les moissonneurs. Pas plus tard qu’hier, nous avons mangé de leur
pain.»
Nicodème, en vêtements courts, avance pendant ce temps sans apercevoir le
Maître et il ordonne aux paysans de ne pas enlever un seul des épis qu’ils ont coupés.
«Pour nous, nous en avons, du pain... Donnons le don de Dieu à ceux qui en sont
privés. Et donnons-le sans crainte. Nous aurions pu avoir les moissons détruites par
une gelée tardive. Il ne s’en est pas perdu un grain. Rendons à Dieu son pain en le
donnant à ses enfants malheureux. Et je vous assure qu’elle sera encore plus
fructueuse, à mille pour cent, la récolte de l’année prochaine parce que Lui a dit: “Une
124
mesure débordante sera donnée à celui qui a donné”.»
Les paysans, respectueux et joyeux, écoutent et approuvent le Maître. Et
Nicodème, de champ en champ, de groupe en groupe, répète son bon ordre.
Jésus, à demi caché par un rideau de roseaux près d’un fossé de séparation, approuve et sourit. Il
sourit d’autant plus que Nicodème approche davantage et est imminente la rencontre et la surprise.
Le voilà qui saute le petit fossé pour aller vers d’autres champs... Et voilà qu’il reste pétrifié en face
de Jésus qui lui tend les bras.
Il retrouve enfin la parole: «Maître saint, mais comment donc chez moi, Toi bénit?»
«Pour te connaître, s’il y en avait encore besoin, par les paroles de tes témoins les plus vrais: ceux
que tu combles de bienfaits...»
Nicodème est à genoux, courbé jusqu’au sol, et à genoux aussi les disciples dirigés par Etienne et
Joseph d’Emmaüs de la montagne. Les paysans comprennent, les pauvres comprennent, et tous sont
à terre, dans leur stupeur pleine de vénération.
«Levez-vous. Jusqu’à tout à l’heure, j’étais le voyageur qui inspire confiance... Voyez-moi encore
comme tel, et aimez-moi sans peur. Nicodème, j’ai envoyé chez toi les dix qui manquent...»
«J’ai passé la nuit dehors pour veiller à ce que fût exécuté un ordre...»
«Oui. Dieu te bénit pour cet ordre. Quelle voix t’a dit que c’est une année de grâce, et pas l’année
qui vient, par exemple?»
«...Je ne sais pas... et je sais... Je ne suis pas prophète. Mais je ne suis pas obtus et à mon
intelligence s’est unie une lumière du Ciel. Mon Maître... je voulais que les pauvres jouissent des
dons de Dieu, pendant que Dieu est encore parmi les pauvres... Et je n’osais pas espérer te posséder,
pour donner une suave saveur et une puissance sanctificatrice à ces blés, à mes olives, et aux vignes
et aux vergers qui seront pour les pauvres enfants de Dieu, mes frères... Mais maintenant que tu es
ici, lève to main bénie et donne ta bénédiction, afin que, avec la nourriture de la chair, descende sur
ceux qui s’en nourriront la sainteté qui émane de Toi.»
«Oui, Nicodème, c’est un juste désir que le Ciel approuve.» Et Jésus ouvre les bras pour bénir.
«Oh! Attends! Que j’appelle les paysans» et avec un sifflet, il siffle par trois fois, un sifflement aigu
qui se répand dans l’air tranquille et provoque la course des moissonneurs, des glaneurs, des curieux
qui arrivent de tous côtés. Une petite foule...
125
Jésus ouvre les bras et dit: «Par la vertu du Seigneur, par le désir de son serviteur,
que la grâce du salut de l’esprit et de la chair descende dans chaque graine, chaque
grain de raisin, et toute olive ou en tout fruit, qu’elle rende prospères et sanctifie ceux
qui s’en nourrissent avec un esprit bon, pur de concupiscence et de haine, et désireux
de servir le Seigneur en obéissant à sa divine et parfaite Volonté.»
«Qu’il en soit ainsi» répondent Nicodème, André, Jacques et les autres disciples... «Qu’il en soit
ainsi» répète la petite foule, en se levant, car elle s’était agenouillée pour que Jésus la bénisse.
«Suspends les travaux, ami. Je veux leur parler.»
«Un don dans le don. Merci pour eux, ô Maître!»
Ils vont à l’ombre d’un verger feuillu et attendent d’être rejoints par les dix envoyés à la maison qui
accourent essoufflés et déçus de ne pas avoir trouvé Nicodème.
Puis Jésus parle:
«La paix soit avec vous. A vous tous qui m’entourez, je veux proposer une parabole et que chacun
en recueille l’enseignement et la partie qui lui convient davantage.
Ecoutez: un homme avait deux fils. S’étant approché du premier, il lui dit: “Mon fils, viens
travailler aujourd’hui dans la vigne de ton père”. C’était une grande marque d’honneur de son père!
Il jugeait le fils capable de travailler là où jusqu’alors c’était le père qui avait travaillé. C’était signe
qu’il voyait en son fils de la bonne volonté, de la constance, des capacités, de l’expérience, et de
l’amour pour le père. Mais le fils, un peu distrait par des choses du monde, craignant de paraître un
serviteur - Satan use de ces mirages pour éloigner du bien - craignant des moqueries et peut-être
aussi des représailles des ennemis de son père, qui n’osaient pas lever la main sur lui mais qui
auraient eu moins d’égards pour le fils, répondit: “Je n’y vais pas. Je ne désire pas y aller”. Le père
alla alors trouver l’autre fils pour lui dire ce qu’il avait dit au premier. Et le second fils répondit
aussitôt: “Oui, père, j’y vais tout de suite”.
Pourtant qu’arriva-t-il? Le premier fils avait l’âme droite. Après un moment de faiblesse dans la
tentation, de révolte, il se repentit d’avoir déplu à son père, et sans rien dire il s’en alla à la vigne. Il
travailla tout le jour jusque tard dans la soirée. Il revint satisfait à la maison avec dans le coeur la
paix du devoir accompli. Le second, au contraire, menteur et faible, sortit de la maison, c’est vrai,
mais ensuite il perdit son temps à flâner dans le village, à faire des visi-
126
tes inutiles à des amis influents dont il espérait tirer du profit. Et il disait dans son
coeur: “Le père est vieux et il ne sort pas de la maison. Je lui dirai que j’ai obéi, et il
le croira...”
Mais le soir venu pour lui aussi, il revint à la maison, son aspect las d’homme
oisif, ses vêtements sans faux plis, le manque d’assurance du salut donné au père qui
l’observait et le comparaît avec l’aîné, qui était revenu fatigué, sale, mal peigné, mais
joyeux et sincère avec son regard franc, humble et bon, qui, sans vouloir se vanter du
devoir accompli, voulait pourtant dire au père: “Je t’aime et avec vérité, tellement que
pour te faire plaisir, j’ai vaincu la tentation”, parlaient clairement à l’intelligence du
père, qui embrassa son fils fatigué en lui disant: “Tu es béni parce que tu as compris
l’amour!”
En effet qu’en pensez-vous? Lequel des deux avait aimé? Certainement vous dites: “Celui qui avait
fait la volonté de son père”. Et qui l’avait faite? Le premier ou le second fils?»
«Le premier» répond la foule unanime.
«Le premier. Oui. En Israël aussi, et vous vous en lamentez, ce ne sont pas ceux qui disent:
“Seigneur! Seigneur!” en se frappant la poitrine sans avoir au coeur un vrai repentir de leurs péchés
- et c’est si vrai que leur coeur devient de plus en plus dur - ce ne sont pas ceux qui observent les
rites avec ostentation pour qu’on les appelle saints, mais dans la vie privée sont sans charité et sans
justice; ce ne sont pas eux, qui se révoltent, en vérité, contre la Volonté de Dieu qui m’envoie et qui
l’attaquent comme si c’était la volonté de Satan, et cela ne sera pas pardonné; ce ne sont pas eux qui
sont les saints aux yeux de Dieu. Mais ce sont ceux qui, en reconnaissant que Dieu fait bien tout ce
qu’Il fait, accueillent l’Envoyé de Dieu et écoutent ses paroles pour savoir mieux faire, toujours
mieux ce que veut le Père, qui sont saints et chers au Très-Haut.
En vérité je vous le dis: les ignorants, les pauvres, les publicains, les courtisanes passeront avant
beaucoup de ceux que l’on appelle “maîtres”, “puissants”, “saints”, et entreront dans le Royaume de
Dieu. Et ce sera justice. En effet Jean est venu vers Israël pour le conduire sur les chemins de la
Justice, et une trop grande partie en Israël ne l’a pas cru, l’Israël qui se donne à lui-même les titres
de “docte et saint”, mais les publicains et les courtisanes ont cru en lui. Et Moi je suis venu, et les
doctes et les saints ne me croient pas, mais croient en Moi les pauvres, les ignorants, les pécheurs.
Et j’ai fait des miracles, et à ces miracles ils n’ont même pas cru, et il ne leur est pas venu le
repentir de ne pas croire en Moi. Au contraire
127
leur haine est venue sur Moi et sur ceux qui m’aiment.
Eh bien je dis: “Bienheureux ceux qui savent croire en Moi, et faire cette volonté
du Seigneur en laquelle se trouve le salut éternel”. Augmentez votre foi et soyez
constants. Vous posséderez le Ciel parce que vous aurez su aimer la Vérité.
Allez. Dieu soit avec vous, toujours.»
Il les bénit et les congédie, et puis, à côté de Nicodème, il va vers la maison du disciple pour y rester
pendant la grosse chaleur...

l97. CHEZ JOSEPH D’ARIMATHIE

Là aussi on est en pleine moisson. Il vaudrait mieux dire: on était... maintenant


les faux ne servent plus car il n’y a plus un seul épi dans ces champs encore plus
proches du rivage de la Méditerranée que ceux de Nicodème. En effet Jésus n’est pas
allé à Arimathie mais dans le domaine que Joseph possède dans la plaine, du côté de
la mer, et qui, avant la moisson, devait être une autre petite mer d’épis tant il est
étendu.
Une maison large, basse, toute blanche se trouve là, au milieu des champs moissonnés. Une maison
de campagne, mais bien tenue. Ses quatre aires sont remplies de quantité de gerbes, disposées en
faisceaux comme font les soldats avec leurs armes quand ils font la pause au camp. Des nombreux
chars amènent ce trésor des champs aux aires, et des hommes nombreux les déchargent et les
mettent en tas. Joseph va d’une aire à l’autre et veille à ce que tout soit fait et bien fait.
Un paysan, du haut d’un tas de gerbes amoncelées sur un char, annonce: «Nous avons fini, maître.
Tout le grain est sur tes aires. C’est le dernier char de la dernière pièce.»
«C’est bien. Décharge les gerbes et puis dételle les boeufs et conduis-les aux abreuvoirs et aux
étables. Ils ont bien travaillé et mérité leur repos. Vous aussi vous avez bien travaillé et mérité le
repos. Mais la dernière fatigue sera légère car, pour des bons coeurs, la joie d’autrui est un
soulagement. Maintenant nous allons faire venir les fils de Dieu pour leur donner le don du Père.
Abraham, va les appeler» dit-il ensuite en s’adressant à un patriarche qui est peut-être le premier
des serviteurs paysans de ce domaine de Joseph. Je le pense, en voyant le respect évident des autres
ser-
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viteurs pour ce vieillard qui ne travaille pas mais qui surveille et donne des conseils
pour aider le maître.
Et le vieillard s’en va... Je le vois qui se dirige vers une construction vaste et très
basse, plus semblable à un hangar qu’à une maison, pourvue de deux portails
gigantesques qui montent jusqu’à la gouttière. Je pense que c’est une sorte de
magasin où l’on abrite les chars et tout l’attirail agricole. Il entre à l’intérieur et en
sort suivi d’une foule hétérogène de tous les âges... et de toutes les misères... Il y a
des êtres efflanqués mais sans disgrâces physiques, et il y a des estropiés, des
aveugles, des manchots, des yeux malades... Beaucoup de veuves entourées de
nombreux orphelins et aussi des femmes dont le mari est malade, tristes, abattues,
décharnées à cause des veilles et des sacrifices qu’elles font pour soigner le malade.
Ils avancent avec cet aspect particulier des pauvres qui se rendent là où ils vont recevoir des
bienfaits: regards timides, embarras de pauvres honnêtes, et pourtant un sourire qui affleure par
dessus la tristesse que des jours de douleur ont imprimée sur les pâles visages et pourtant une petite
étincelle triomphale, une sorte de réponse à l’acharnement du destin dans la longue série des jours
tristes, un défi: «Pour nous aussi, c’est un jour de fête. Aujourd’hui, c’est fête réjouissance, et
soulagement pour nous!»
Les petits écarquillent les yeux devant les tas de gerbes plus hauts que la maison, et en les montrant
disent à leurs mères: «Pour nous? Oh! c’est beau!» Les vieillards murmurent: «Que le Bénit bénisse
celui qui a pitié!» Les mendiants, les estropiés, les aveugles, les manchots, ceux qui ont les yeux
malades: «Nous aurons du pain, nous aussi, sans devoir tendre la main!» Et les malades à leurs
parents: «Au moins nous pourrons nous soigner en sachant que vous ne souffrirez pas pour nous.
Les remèdes nous feront du bien, maintenant.» Et les parents aux malades: «Vous voyez?
Maintenant vous ne direz plus que nous jeûnons pour vous laisser une bouchée de pain. A présent,
soyez donc heureux!...» Et les veuves aux orphelins: «Mes enfants, il faudra bénir beaucoup le Père
des Cieux qui vous tient lieu de père et le bon Joseph qui est son administrateur. Maintenant nous
ne vous entendrons plus pleurer de faim, ô fils qui n’avez que vos mères pour vous donner de
l’aide... Les pauvres mères qui n’ont de riche que leur coeur...»
C’est un choeur et un spectacle réjouissant, mais qui fait venir aussi les larmes aux yeux...
Joseph, qui a devant lui ces malheureux, se met à parcourir les
129
rangs, appelant les gens un par un, leur demandant combien ils sont dans la famille, de
quand date le veuvage, ou la maladie, et le reste... et il prend note. Et pour chaque cas
il commande aux paysans serviteurs: «Donnes-en dix.» «Donnes-en trente.»
«Donnes-en soixante» dit-il après avoir entendu un vieillard à moitié aveugle qui
vient à lui avec dix-sept petits-enfants, tous au-dessous de douze ans, enfants de ses
enfants, morts l’un pendant la moisson de l’année précédente, l’autre en enfantant...
«et» dit le vieillard «le mari s’est consolé en se remariant au bout d’un an, me laissant
les cinq fils en me disant qu’il s’en serait occupé. Jamais d’argent par contre!...
Maintenant ma femme est morte, et je suis seul... avec eux...»
«Donnes-en soixante au vieux père. Et toi, père, reste pour que je te donne des vêtements pour les
petits.»
Le serviteur fait remarquer que s’il en donne soixante chaque fois, il n’y aura pas assez de grain
pour tout le monde.
«Et où est ta foi? Est-ce pour moi, peut-être, que j’entasse les gerbes et que je les distribue? Non.
Pour les fils les plus chers au Seigneur. Le Seigneur, Lui-même, pourvoira à ce qu’il y en ait assez
pour tous» répond Joseph au serviteur.
«Oui, maître. Mais le nombre, c’est le nombre...»
«Mais la foi, c’est la foi. Et moi, pour te montrer que la foi peut tout, j’ordonne de doubler la
mesure déjà donnée aux premiers. Qui a eu dix en ait dix autres, et qui vingt, vingt autres, et qu’on
en donne cent vingt au vieillard. Fais! Faites!»
Les serviteurs haussent les épaules et obéissent.
Et la distribution continue au milieu de l’étonnement joyeux des bénéficiaires qui se voient donner
une mesure dépassant leurs plus folles espérances.
Et Joseph en sourit, caressant les petits qui s’affairent à aider leurs mères, ou aide les estropiés à
faire leur petit tas, aide les vieux trop chancelants pour le faire, ou les femmes trop affaiblies. Il fait
mettre de côté deux malades pour les faire bénéficier d’autres secours, comme il a fait pour le
vieillard aux dix-sept petits-enfants. Les tas qui étaient plus hauts que la maison sont maintenant
très bas, presque au sol. Mais tous ont eu leur part, et abondamment. Joseph demande: «Combien de
gerbes reste-t-il encore?»
«Cent douze, maître» disent les serviteurs après avoir compté les gerbes qui restent.
«Bien. Vous en prendrez...» Joseph parcourt la liste des noms qu’il a relevés et puis il dit: «Vous en
prendrez cinquante. Vous les
130
emporterez pour la semence car c’est une semence sainte, et que le reste soit donné
aux chefs de familles à raison d’une gerbe par tête. Ils sont exactement soixante-deux
ici.»
Les serviteurs obéissent. Ils portent les cinquante gerbes et donnent le reste.
Maintenant les aires n’ont plus les gros tas d’or, mais par terre il y a soixante-deux tas
de tailles différentes. Leurs propriétaires s’affairent à les lier et à les charger sur des
carrioles primitives, ou sur des ânes qu’ils sont allés détacher d’une palissade à
l’arrière de la maison.
Le vieil Abraham, qui a parlé avec les principaux des paysans serviteurs, s’avance avec eux vers le
maître qui leur demande: «Eh bien? Vous avez vu? Il y en a eu pour tous et il en restait!»
«Mais, maître, ici il y a un mystère! Nos champs ne peuvent pas donner le nombre de gerbes que tu
as distribuées. Je suis né ici et j’ai soixante-dix-huit ans. Je fais la moisson depuis soixante-six ans.
Et je sais. Mon fils avait raison. Sans un mystère, nous n’aurions pas pu donner autant!...»
«Mais nous les avons pourtant bien données, Abraham. Tu étais à côté de moi. Les gerbes ont été
données par les serviteurs. Il n’y a pas de sortilège, ce n’est pas une irréalité. Les gerbes, on peut
encore les compter. Elles sont encore là, bien que séparées en tant de parties.»
«Oui, maître. Mais... il n’est pas possible que les champs en aient donné autant!»
«Et la foi, mes fils? Et la foi? Qu’en faites-vous? Le Seigneur pouvait-il démentir son serviteur qui
promettait en son Nom et pour une fin qui était sainte?»
«Alors tu as fait un miracle?!» disent les serviteurs déjà prêts pour l’hosanna.
«Je ne suis pas un homme à faire des miracles, moi. Je suis un pauvre homme. C’est le Seigneur qui
a agi. Il a lu dans mon coeur et Il y a vu deux désirs: le premier était de vous amener à ma propre
foi. Le second était de donner tant, tant, tant à mes frères malheureux. Dieu a consenti à mes
désirs... et Il a agi... Que Lui en soit béni!» dit Joseph en s’inclinant respectueusement comme s’il
était devant un autel.
«Et son serviteur avec Lui» dit Jésus qui jusqu’alors était resté caché au coin d’une maisonnette
entourée d’une haie, four ou pressoir, et qui maintenant apparaît ouvertement sur l’aire où se trouve
Joseph.
«Mon Maître et mon Seigneur!!» s’écrie Joseph en tombant à
131
genoux pour vénérer Jésus.
«La paix à toi. Je suis venu pour te bénir au nom du Père, pour récompenser ta
charité et ta foi. Je suis ton hôte, ce soir. Veux-tu?»
«Oh! Maître! Tu me le demandes? Seulement... Seulement, ici, je ne pourrai te faire honneur... Je
suis au milieu des serviteurs et des paysans... dans ma maison de campagne... Je n’ai pas de nappes
fines, je n’ai pas de majordomes ni de serviteurs qualifiés... Je n’ai pas de mets raffinés... Je n’ai pas
de vins choisis... Je n’ai pas d’amis... Ce sera une bien pauvre hospitalité... Mais tu m’excuseras...
Pourquoi, Seigneur, ne m’as-tu pas fait prévenir? J’aurais pourvu à tout... Mais, avant hier, Hermas
avec les siens était ici... Je m’en suis même servi pour prévenir ceux auxquels je voulais donner,
rendre, ce qui appartient à Dieu... Mais, il ne m’a rien dit, Hermas! Si j’avais su!... Permets-moi,
Maître, de donner des ordres, que je cherche à y remédier... Pourquoi souris-to ainsi?» demande
Joseph, finalement. Il est tout sens dessus dessous à cause de la joie imprévue et de la situation que
lui juge... désastreuse.
«Je souris pour tes tracas inutiles. Mais, Joseph, que cherches-tu? Ce que tu as?»
«Ce que j’ai? Je n’ai rien.»
«Oh! comme tu es homme maintenant! Pourquoi n’es-tu plus le Joseph spirituel d’il y a un instant,
quand tu parlais en sage? Quand tu promettais avec assurance à cause de ta foi, et pour donner la
foi?»
«Oh! Tu as entendu?»
«J’ai entendu et vu, Joseph. Cette haie de lauriers est très pratique pour voir que ce que j’ai semé
n’est pas mort en toi, et c’est pour cela que je te dis que tu te donnes des tracas inutiles. Tu n’as pas
de majordomes ni de domestiques qualifiés? Mais où la charité s’exerce il y a Dieu, et où il y a
Dieu, il y a ses anges. Et quels majordomes veux-tu avoir qui soient plus capables qu’eux? Tu n’as
pas de mets ni de vins recherchés? Et quelle nourriture veux-tu me donner et quelle boisson plus
recherchée que l’amour que tu as eu pour eux et que celui que tu as pour Moi? Tu n’as pas d’amis
pour me faire honneur? Et eux? Quels amis plus chers que les pauvres et les malheureux pour le
Maître qui a nom Jésus? Allons, Joseph! Même si Hérode se convertissait et m’ouvrait ses
appartements pour me recevoir et me faire honneur dans un palais purifié, et s’il y avait avec lui,
pour m’honorer, les chefs de toutes les castes, je n’aurais pas une cour plus choisie que celle-là à
laquelle je
132
veux Moi aussi dire une parole et faire un cadeau. Permets-tu?»
«Oh! Maître! Mais tout ce que tu veux, je le veux! Commande.»
«Dis-leur qu’ils se réunissent, ainsi que les serviteurs. Pour nous il y aura
toujours un pain... Il vaut mieux qu’ils écoutent ma parole que courir çà et là affairés
en pauvres soins.»
Les gens s’entassent, empressés, étonnés...
Jésus parle: «Ici vous avez déjà appris que la foi peut multiplier le grain quand ce
désir vient d’un désir d’amour. Mais ne bornez pas votre foi aux besoins matériels.
Dieu a créé le premier grain de froment et, depuis lors, le froment a épié pour fournir
le pain des hommes. Mais Dieu a créé aussi le Paradis qui attend ses habitants. Et il a
été créé pour ceux qui vivent dans la Loi et restent fidèles malgré les épreuves
douloureuses de la vie. Ayez foi, et vous réussirez à vous garder saints avec l’aide du
Seigneur, tout comme Joseph a réussi à vous distribuer le grain en double mesure
pour vous rendre deux fois heureux et confirmer ses serviteurs dans la foi. En vérité,
en vérité je vous dis que si l’homme avait foi dans le Seigneur, et s’il agissait pour un
juste motif, les montagnes elles-mêmes, enracinées dans le sol par leurs viscères de
roches, ne pourraient résister et, sur l’ordre de celui qui a foi dans le Seigneur, elles se
déplaceraient. Avez-vous foi en Dieu?» demande-t-il en s’adressant à tous.
«Oui, ô Seigneur!»
«Qui est Dieu pour vous?»
«Le Père très Saint, comme les disciples du Christ l’enseignent.»
«Et le Christ, qui est-il pour vous?»
«Le Sauveur, le Maître, le Saint!»
«Cela seulement?»
«Le Fils de Dieu. Mais il ne faut pas le dire car les pharisiens nous persécutent si
nous le disons.»
«Mais vous, vous croyez qu’il l’est?»
«Oui, ô Seigneur.»
«C’est bien, croissez dans votre foi. Même si vous vous taisez, les pierres, les
arbres, les étoiles, le sol, toutes les choses, proclameront que le Christ est le vrai
Rédempteur et Roi. Ils le proclameront à l’heure de son élévation, quand Lui sera
dans la pourpre très sainte et avec la couronne de la Rédemption. Bienheureux ceux
qui sauront le croire dès maintenant, et le croiront davantage à ce moment-là, et
auront foi dans le Christ et par conséquent la vie éternelle. L’avez-vous cette foi
inébranlable dans le Christ?»
«Oui, ô Seigneur. Apprends-nous où Il est, et nous le prierons
133
d’augmenter notre foi pour être heureux ainsi.» Et la dernière partie de la prière, la
font non seulement les pauvres, mais aussi les serviteurs, les apôtres et Joseph.
«Si vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, et si cette foi qui est
une perle précieuse vous la gardez dans votre coeur, sans vous la faire enlever par
aucune chose humaine, ou surhumaine et mauvaise, vous pourriez tous même dire à
ce mûrier puissant qui ombrage le puits de Joseph: “Déracine-toi et transplante-toi
dans les flots de la mer”.»
«Mais le Christ, où est-Il? Nous l’attendions pour être guéris. Les disciples ne nous ont pas guéris,
mais ils nous ont dit: “Lui le peut”. Nous, nous voudrions guérir pour travailler» disent les hommes
malades ou handicapés.
«Et croyez-vous que le Christ le puisse?» demande Jésus en faisant signe à Joseph de ne pas dire
que le Christ c’est Lui.
«Nous le croyons. Lui est le Fils de Dieu. Il peut tout.»
«Oui. Il peut tout... et il veut tout!» crie Jésus en étendant avec autorité le bras droit et en l’abaissant
comme pour jurer. Et il termine par un cri puissant: «Et qu’il en soit ainsi, pour la gloire de Dieu!»
Et il va s’en aller vers la maison. Mais ceux qui ont été guéris, une vingtaine, crient, accourent, et
l’enserrent dans un emmêlement de mains tendues pour le toucher, le bénir, chercher ses mains, ses
vêtements, pour le baiser, le caresser. Ils l’isolent de Joseph, de tout le monde...
Et Jésus sourit, caresse, bénit... Il se dégage lentement et, encore poursuivi, il disparaît dans la
maison alors que les hosannas s’élèvent dans le ciel qui prend des couleurs violacées au
commencement du crépuscule.

98. LE SABBAT DANS LA MAISON DE JOSEPH D’ARIMATHIE.


LE SYNHEDRISTE JEAN

Joseph d’Arimathie se repose dans une pièce à demi-obscure car tous les rideaux
sont descendus pour s’abriter du soleil. Un silence absolu règne dans toute la maison.
Joseph sommeille sur un siège bas couvert d’une natte... Entre un serviteur qui se
dirige vers son maître et le touche pour l’éveiller. Joseph ouvre les yeux encore mal
éveillés et lève vers son serviteur un regard interrogatif.
134
«Maître, il y a ton ami Jean...»
«Mon ami Jean?! Comment est-il ici si le sabbat n’est pas fini?!»Joseph est
réveillé sur le coup par la surprise de la visite d’un synhédriste un jour de sabbat et il
ordonne: «Fais-le entrer tout de suite.»
Le serviteur sort, et pendant qu’il attend, Joseph va et vient pensif, dans la pièce à demi-obscure et
fraîche...
«Dieu soit avec toi, Joseph!» dit le synhédriste Jean, celui que nous avons vu lors du premier
banquet donné pour Jésus à Arimathie et aussi dans la maison de Lazare à la dernière Pâque,
toujours en qualité, sinon de disciple, du moins de personne qui n’a pas de haine pour Jésus.
«Et avec toi, Jean! Mais... te sachant juste, je m’étonne de te voir avant le crépuscule...»
«C’est vrai. J’ai violé la loi du Sabbat. Et j’ai péché, sachant que je péchais. Il est donc grand mon
péché... Et grand sera le sacrifice que je consommerai pour être pardonné. Mais beaucoup plus
grand encore le motif qui m’a poussé à ce péché... Jéhovah, qui est juste, aura pitié de son serviteur
coupable, à cause du grand motif qui m’a poussé à la faute...»
«Autrefois tu ne parlais pas ainsi. Pour toi le Très-Haut était seulement rigoureux, inflexible. Et tu
étais parfait parce que tu le craignais comme un Dieu inexorable...»
«Oh! parfait!... Joseph, je ne t’ai jamais confessé mes fautes secrètes... Mais, c’est
vrai, je jugeais Dieu inexorable, comme beaucoup de personnes en Israël. On nous a
appris à le croire ainsi: le Dieu des vengeances...»
«Et tu as continué de le croire même après que le Rabbi est venu pour faire
connaître à son peuple le vrai Visage de Dieu, son vrai Coeur... Un Visage, un Coeur
de Père...»
«C’est vrai. C’est vrai. Mais... je ne l’avais pas encore entendu parler longuement... Cependant... tu
te rappelleras que dès la première fois que je l’ai vu au banquet dans ta maison, j’ai eu une attitude
de respect... sinon d’amour pour le Rabbi.»
«C’est vrai... Mais pour le bien que je te veux, je voudrais que tu arrives à une attitude d’amour
pour Lui. C’est trop peu que le respect...»
«Toi, tu l’aimes, nest-ce pas, Joseph?»
«Oui. Et je te le dis bien que je sache que les Princes des Prêtres haïssent ceux qui
aiment le Rabbi. Mais tu n’es pas capable d’être un délateur...»
135
«Non. Je n’en suis pas capable... Et je voudrais être comme toi. Mais y
arriverai-je jamais?»
«Je prierai pour que to y arrives. Ce serait ton salut éternel, mon ami...»
Un silence plein de réflexions...
Puis Joseph demande: «Tu m’as dit qu’un grand motif t’a poussé à violer le sabbat. Quel est-il?
Puis-je te le demander sans être trop indiscret? Je pense que tu es venu pour avoir de l’aide de ton
ami... Et pour t’aider, je dois savoir...»
Jean se passe la main sur le front, large, légèrement dégarni d’un homme fait, il se serre le front,
caresse machinalement ses cheveux qui commencent seulement à grisonner, sa barbe touffue et
carrée... Puis il lève la tête et fixe Joseph en disant: «Oui, un grand motif et un motif pénible. Et... et
une grande espérance...»
«Lesquels?»
«Joseph, tu penses que ma maison est un enfer et bientôt ce ne sera plus une maison mais... mais
une chose dévastée, perdue, détruite, finie?»
«Quoi? Que dis-tu? Tu divagues?»
«Non, je ne délire pas. Ma femme veut s’en aller... Cela t’étonne?»
«...Oui... parce que... je l’ai toujours connue bonne et... parce que votre famille me paraissait
exemplaire... toi, toute bonté... elle, toute vertu...»
Jean s’assoit, la tête dans les mains...
Joseph poursuit: «Maintenant... cette... cette décision... Moi... Voilà... je ne puis croire qu’elle ait
manqué... ou que tu aies manqué... Mais je le crois encore moins d’elle... qui ne connaît que sa
maison, ses enfants... Non!... En elle il ne peut y avoir de faute!...»
«En es-tu sûr? Vraiment sûr?»
«Oh! pauvre ami! Moi je n’ai pas l’oeil de Dieu, mais pour autant que je puisse en juger, je le juge
ainsi...»
«Tu ne penses pas qu’Anne soit.. infidèle...?»
«Anne?! Mais, mon ami! Le soleil d’été t’a fait perdre la tête? Infidèle avec qui? Elle ne sort jamais
de la maison, elle préfère la campagne à la ville. Elle travaille comme la première des servantes, elle
est humble, réservée, travailleuse, affectueuse pour toi, pour les enfants. Une femme légère n’aime
pas ces choses. Crois-le. Oh! Jean, mais sur quoi fondes-tu tes soupçons? Depuis quand?»
«Depuis toujours.»
«Depuis toujours? Mais alors, c’est une maladie!...»
136
«Oui. Et... Joseph, moi j’ai beaucoup de torts. Mais je ne veux pas les avouer à toi
seul. Avant hier, sont passés chez moi des disciples et des pauvres. Ils disaient que le
Rabbi venait chez toi. Et hier... hier ce fut une journée de grande tempête pour ma
maison... si bien qu’Anne a pris la décision que j’ai dite... Pendant la nuit, et quelle
nuit, j’ai beaucoup réfléchi... Et j’ai conclu que seulement Lui, le Rabbi parfait...
«Divin, Jean, divin!»
«...Comme tu veux... Que Lui seul peut me guérir et réparer... reconstruire ma
maison, me rendre mon Anne... mes enfants... tout...» L’homme pleure et au milieu de
ses larmes, il continue: «Parce que Lui seul voit et dit la vérité... Et je croirai à Lui...
Joseph, mon ami, laisse-moi rester ici à l’attendre...»
«Le Maître est ici. Il va partir après le crépuscule. Je vais te le chercher» et
Joseph sort...
Quelques minutes d’attente, puis de nouveau le rideau s’écarte pour laisser passer Jésus... Jean se
lève, puis se courbe en un salut respectueux.
«La paix à toi, Jean. Pour quel motif m’as-tu cherché?»
«Pour que tu m’aides à voir... et pour que tu me sauves. Je suis très malheureux. J’ai péché contre
Dieu et contre ma chair jumelle. Et de péché en péché, j’en suis venu à violer la loi du sabbat.
Absous-moi, Maître.»
«La loi du sabbat! Grande et sainte loi! Et loin de Moi la pensée de la juger de peu d’importance et
périmée. Mais pourquoi la places-tu avant le premier des commandements? Et quoi? Tu demandes
l’absolution pour avoir violé le sabbat et tu ne demandes pas de l’être pour avoir manqué à l’amour
et avoir torturé une innocente et pour avoir amené au désespoir et au seuil du péché l’âme de ton
épouse? Mais c’est de cela que tu devais te tourmenter plus que de toute autre chose! De la
calomnie que tu as commise à son égard...»
«Seigneur, je n’en ai parlé qu’avec Joseph, il y a un instant, avec personne d’autre, crois-le. Je
tenais ma douleur tellement cachée que Joseph, mon bon ami, ne s’est aperçu de rien et qu’il en a
été étonné. Maintenant, lui t’en a parlé, mais pour me venir en aide. Avec personne d’autre le juste
Joseph ne parlera.»
«Avec Moi, il n’a pas parlé, il m’a seulement dit que tu me cherchais.»
«Oh! alors, comment sais-tu?»
«Comment je sais? Comme Dieu connaît les secrets des coeurs.
137
Veux-tu que je te dise l’état du tien?»...
Joseph est sur le point de se retirer discrètement, mais Jean lui-même l’arrête en
disant: «Oh! reste! Tu es pour moi un ami! Tu peux m’aider auprès du Rabbi, toi
paranymphe de mon mariage!...» et Joseph revient.
«Veux-tu que je te le dise? Veux-tu que je t’aide à te connaître? Oh! ne crains pas! Je n’ai pas la
main cruelle. Je sais découvrir les blessures, mais je ne les fais pas saigner pour les soigner. Je sais
comprendre et être indulgent. Et je sais soigner et guérir, il suffit que l’on veuille être guéri. Toi tu
as cette volonté, c’est pourquoi tu m’as cherché. Assois-toi ici, à côté de Moi, entre Joseph et Moi.
Il a été le paranymphe de tes noces terrestres, je voudrais être Moi, le paranymphe de tes noces
spirituelles... Oh! si je le veux!... Ainsi! Et maintenant écoute bien, et réponds avec franchise à tout.
Toi, que penses-tu que soit l’acte de Dieu de la création de l’homme et de la femme pour qu’ils
fussent unis? Un acte bon ou un acte mauvais?»
«Bon, Seigneur, comme toutes les choses faites par Dieu.»
«Tu as bien répondu. Maintenant, dis-moi: si l’acte était bon, quelles devaient être ses
conséquences?»
«Bonnes pareillement, ô Seigneur. Et elles furent bonnes, bien que Satan soit entré pour les
troubler, car Adam eut toujours réconfort d’Eve, et Eve réconfort d’Adam, et même le réconfort fut
encore plus sensible lorsque seuls, exilés sur la terre, ils furent le soutien l’un de l’autre. Et bonnes
les conséquences matérielles, c’est-à-dire les enfants par lesquels se propagea l’homme, et à travers
lesquels brilla la puissance et la bonté de Dieu.»
«Pourquoi? Quelle puissance et quelle bonté?»
«Mais... celle qui s’exerce en faveur des hommes. Si nous regardons en arrière... oui... il y a de
justes punitions mais il y a, et plus nombreuses, les bontés... et c’est une bonté infinie que le pacte
conclu avec Abraham et répété à Jacob et puis, et puis... répété jusqu’au jour d’aujourd’hui et répété
par des bouches sans mensonge: les prophètes... jusqu’à Jean...»
«Et par celle du Rabbi, Jean» interrompt Joseph.
«Celle-là n’est pas une bouche de prophète... Ce n’est pas une bouche de Maître... C’est...
davantage.»
Jésus a un sourire à peine esquissé devant la... profession de foi encore implicite du synhédriste qui
n’arrive pas à dire: «C’est une bouche divine» mais qui déjà le pense.
«Donc Dieu a bien fait d’unir l’homme et la femme. C’est dit. Mais comment veut-Il que soient
homme et femme?» demande
138
Jésus.
«Une seule chair.»
«C’est bien. Alors la chair peut-elle se haïr elle-même?»
«Non.»
«Un membre peut-il haïr l’autre membre?»
«Non.»
«Un membre peut-il se séparer de l’autre membre?»
«Non. Une gangrène seule, ou une lèpre, ou un malheur peuvent couper un membre du reste du
corps.»
«Très bien. Par conséquent seule une chose douloureuse ou mauvaise peut
séparer ce qui de par la volonté de Dieu, n’est qu’une unité?»
«C’est ainsi, Maître.»
«Et alors, pourquoi toi, convaincu de ces choses, n’aimes-tu pas ta chair, et pourquoi la hais-tu au
point de faire naître une gangrène entre l’un et l’autre membre à cause de laquelle le membre
mortifié, le membre le plus faible se sépare et te laisse seul?»
Jean baisse la tête silencieusement en tordant les franges de son vêtement.
«Je vais te dire le pourquoi. C’est que Satan est entré, perturbateur comme
toujours, entre toi et ton épouse. Ou plutôt: il est entré en toi avec un amour
désordonné pour ton épouse. L’amour, quand il est désordonné, devient de la haine,
Jean. Satan a travaillé ta sensualité de mâle pour arriver à te faire pécher. C’est par là
qu’a commencé ton péché. Par un désordre qui a produit de plus en plus de nouveaux
et graves désordres. En ton épouse, tu n’as pas vu seulement la bonne compagne et la
mère de tes enfants, mais aussi un objet de plaisir, et cela a fait devenir tes pupilles
comme celles du boeuf qui voit tout altéré. Tu as vu comme tu voyais. C’est ainsi que
tu as vu ton épouse. Objet de plaisir pour toi, tu l’as jugée telle aussi pour les autres,
d’où ta jalousie fiévreuse, ta peur sans raison, ta tyrannie coupable qui a fait d’elle
une apeurée, une prisonnière, une torturée, une calomniée. Et qu’importe si tu ne lui
donnes pas des coups de bâton, si tu ne lui fais pas des reproches publics? Mais ton
soupçon est bâton! Mais ton doute est calomnie! Tu la calomnies en pensant qu’elle
est capable d’arriver à te trahir. Qu’importe si tu la traites comme son rang te
l’impose? Mais elle est pour toi pire qu’une esclave dans l’intimité de la maison, à
cause de tu luxure bestiale qui l’avilit plus que tout, qu’elle a toujours supporté en
silence et avec docilité, espérant te calmer, te persuader, te rendre bon, et qui n’a servi
qu’à t’exaspérer de plus
139
en plus, jusqu’à faire de ta maison un enfer où rugissent les démons de la luxure et de
la jalousie. La jalousie! Mais que veux-tu qu’il y ait de plus calomnieux pour une
femme que la jalousie? Et quelle chose indique plus clairement l’état réel d’un coeur
que la jalousie? Crois bien que là où elle se niche, si sotte, si déraisonnable, si dénuée
de fondements, si outrageante, si obstinée, non, il n’existe pas d’amour du prochain ni
de Dieu, mais il y a l’égoïsme. C’est de cela, pas d’une fin de sabbat violée, que tu
dois te tourmenter! Pour que l’on te pardonne, tu dois remédier à la dévastation que tu
as provoquée...»
«Mais Anne veut s’en aller désormais... Viens la persuader, Toi... Toi seul, en
l’entendant parler, tu peux juger si elle est réellement innocente et...»
«Jean!! Tu veux guérir et tu ne veux pas croire ce que je te dis?»
«Tu as raison, Seigneur. Change-moi le coeur. C’est vrai: je n’ai pas de motif d’un soupçon fondé.
Mais je l’aime tant... luxurieusement, c’est vrai... Tu as bien vu... et tout me porte ombrage...»
«Entre dans la Lumière, sors de la fièvre ardente des sens si atroce. Cela te coûtera au début... Mais
il te coûterait beaucoup plus de perdre une bonne épouse et de gagner l’enfer pour payer ton péché
de manque d’amour, de calomnie et d’adultère, et le sien, car je te rappelle que celui qui pousse une
femme au divorce se met et la met sur le chemin de l’adultère. Si tu sais résister pendant une lune,
au moins pendant une lune à ton démon, Moi, je te promets que ton cauchemar sera fini. Me le
promets-tu?»
«Oh! Seigneur! Seigneur! Je voudrais... mais c’est un feu... Eteins-le-moi, Toi, Toi qui es
puissant!...» Le synhédriste Jean est glissé à genoux devant Jésus et il pleure la tête dans ses mains
qu’il appuie au sol.
«Je vais te l’apaiser, te le circonscrire. Je vais mettre un frein et des limites à ce démon. Mais tu as
beaucoup péché, Jean, et tu dois travailler par toi-même à te relever. Ceux que j’ai convertis sont
venus à Moi avec une volonté entière de devenir nouveaux, libres... Ils avaient déjà opéré, par leurs
seules forces, le commencement de leur rédemption. Ainsi Mathieu, ainsi Marie de Lazare et
d’autres encore. Tu es venu ici seulement pour savoir si elle était coupable et pour que je t’aide à ne
pas perdre la source où s’abreuvait ton plaisir. Je circonscrirai le pouvoir de ton démon, non
pendant une lune mais pendant trois lunes. Pendant ce temps, médite et élève-toi. Propose-toi de
prendre une nouvelle vie d’époux, une vie d’homme doté d’une âme, et non la vie de brute que to as
menée
140
jusqu’à présent. Et fortifie-toi par la prière et par la méditation, par la paix que je te
donne pour trois mois, sache lutter et te conquérir la Vie éternelle et te reconquérir
l’amour et la paix de ton épouse et de ta maison. Va!»
«Mais que vais-je dire à Anne? Peut-être je vais la trouver déjà prête à partir...
Quelles paroles après tant d’années... d’offenses, pour la persuader que je l’aime et
que je ne veux pas la perdre? Viens, Toi...»
«Je ne puis. Mais c’est si simple... Sois humble. Prends-la à part et avoue ton tourment. Dis-lui que
tu es venu à Moi parce que tu veux que Dieu te pardonne. Et dis-lui de te pardonner car le pardon de
Dieu te sera donné seulement si elle le demande pour toi et d’abord te le donne... Oh! malheureux!
Quel bien, quelle paix tu as perdus avec ta fièvre! Quel mal crée l’indiscipline des sens, le désordre
dans les affections! Allons, lève-toi, et va tranquille. Mais ne comprends-tu pas qu’elle, parce
qu’elle est bonne et qu’elle t’est fidèle, est plus déchirée que toi à la pensée de te quitter et qu’elle
n’attend qu’une parole de toi pour te dire: “Tout est pardonné”? Allons, va. Le crépuscule est
accompli désormais. Tu ne commets donc pas de péché en retournant à la maison... Et de l’avoir fait
pour venir à ton Sauveur, ton Sauveur t’en absout. Va en paix et ne pèche plus.»
«Oh! Maître! Maître... je ne mérite pas ces paroles!... Maître... moi... Je voudrais t’aimer
désormais...»
«Oui, oui. Va. Ne tarde pas. Et souviens-toi de cette heure, à l’heure où je serai l’Innocent
calomnié.»
«Que veux-tu dire?»
«Rien. Va. Adieu» et Jésus se retire en quittant les deux synhédristes émus et enflammés de le juger
vraiment saint et sage, comme Dieu seul peut l’être.

99. LES APOTRES PARLENT

«J’ai hâte d’arriver sur les montagnes!» s’écrie Pierre haletant et essuyant la
sueur qui coule le long des joues et du cou.
«Comment? Toi qui haïssais les montagnes, tu les désires maintenant?» demande, sarcastique,
Judas l’Iscariote qui voyant s’évanouir la peur d’être découvert est redevenu prétentieux et inso-
141
lent.
«Oui, vraiment, maintenant je les désire. En cette saison, elles sont favorables.
Jamais comme ma mer... Elle, ah!... Mais d’ailleurs... je ne sais pas pourquoi les
champs sont plus chauds après la moisson. C’est toujours le même soleil, pourtant...»
«Ce n’est pas qu’ils soient plus chauds. C’est qu’ils sont plus tristes et que l’on se lasse de les voir
ainsi plus que quand ils ont les blés» répond avec bon sens Mathieu.
«Non, Simon a raison. Ils sont chauds de manière insupportable après la moisson. On n’a jamais eu
pareille chaleur» dit Jacques de Zébédée.
«Jamais? Et que fais-tu de celle que nous avons ressentie en allant chez Nike?» réplique Judas.
«Jamais comme celle-ci» lui répond André.
«Bien sûr! L’été est en avance de quarante jours et le soleil tape en conséquence» insiste Judas.
«C’est un fait que les chaumes dégagent plus de chaleur que les champs couverts d’épis, et cela
aussi s’explique. Le soleil, qui auparavant s’arrêtait sur la surface des épis, échauffe maintenant
directement le sol dénudé et brûlé. Ce dernier réverbère sa chaleur vers le haut, au contraire du
soleil dont les rayons descendent vers le bas et l’homme se trouve entre deux feux» dit
sentencieusement Barthélemy,
L’Iscariote rit ironiquement et il fait un grand salut à son compagnon en disant: «Rabbi Nathanaël,
je te salue et je te remercie de tu docte leçon.» Il est insolent comme jamais.
Barthélemy le regarde... et se tait. Mais Philippe le défend: «Il n’y a pas de quoi ironiser! Son
explication est juste! Tu ne voudrais sûrement pas nier une vérité que des millions de cerveaux de
bon sens ont jugée vraie, logique, facile à constater.»
«Mais oui, mais oui! Je le sais, je le sais que vous êtes doctes, expérimentés, pleins de bon sens,
bons, parfaits... Vous êtes tout! Tout! Moi seul suis la brebis noire du blanc troupeau!... Moi seul
suis l’agneau bâtard, l’opprobre qui se révèle et prend des cornes de bélier... Moi seul suis le
pécheur, l’imparfait, la cause de tout le mal parmi nous, en Israël, dans le monde... peut-être aussi
dans les étoiles... Je n’en puis plus! Je n’en puis plus de voir que je suis le dernier, de voir que des
nullités comme ces deux imbéciles qui parlent avec le Maître sont admirés comme deux oracles
saints, je suis las de...»
«Ecoute, mon garçon...» se met à dire Pierre qui est rouge plus
142
par l’effort qu’il fait pour se contenir que par la chaleur.
Mais Jude Thaddée l’interrompt: «Tu mesures les autres avec ta mesure? Toi,
cherche à être une “nullité” comme le sont mon frère Jacques et Jean de Zébédée, et il
n’y aura plus d’imperfections dans le groupe apostolique.»
«Mais, n’ai-je pas raison! L’imperfection, c’est moi. Ah! c’en est trop! Mais c’en est...»
«Oui, en effet je crois que Joseph nous a fait boire trop de vin... et avec cette chaleur, cela fait mal...
Cela fait tourner le sang...» dit calmement, très calmement Thomas pour faire tourner en
plaisanterie la dispute qui s’enflamme.
Mais Pierre a épuisé ses ressources de patience. Serrant les dents, fermant les poings, pour continuer
de se dominer, il dit: «Ecoute, mon garçon. Pour toi, il n’y a qu’un conseil à te donner: sépare-toi
pour un peu de temps...»
«Moi? Moi me séparer? Sur ton ordre? Seul le Maître peut me donner des ordres et c’est à Lui seul
que j’obéis. Qui es-tu, toi? Un pauvre...»
«Pêcheur, ignorant, grossier, bon à rien. Tu as raison... C’est ce que je me dis
avant toi. Et devant notre Jéhovah omniprésent et qui voit tout, j’affirme que je
préférerais la dernière place à la première, j’affirme que je voudrais te voir, toi, ou
tout autre à ma place, mais plutôt toi, pour que tu sois délivré du monstre de la
jalousie qui te rend injuste, et n’avoir qu’à obéir, à t’obéir, mon garçon... Et crois bien
que cela me coûterait moins de fatigue que de devoir te parler en tant que “premier”.
Mais c’est Lui, le Maître, qui m’a fait le “premier” parmi vous... Et c’est à Lui que je
dois obéir pour commencer, et à Lui plus qu’à tout autre... Et toi, tu dois obéir. Et
avec mon bon sens de pêcheur, je te dis, non pas de te séparer, comme toi tu l’as
compris en voyant du feu dans mes paroles les plus fraîches, mais de t’éloigner pour
un peu de temps, de rester seul, de réfléchir... Tu te tenais bien de Béther à la vallée,
derrière tout le monde? Fais de même maintenant aussi... Le Maître en tête... toi en
queue... Au milieu nous autres... les nullités... Il n’y a qu’à rester seul pour
comprendre et se calmer... Crois-moi... cela vaut mieux pour tous, pour toi tout le
premier...» Et il le prend par le bras et le sort du groupe, en disant: «Reste ici pendant
que nous rejoignons le Maître. Et puis... avance lentement, lentement... et tu verras
passer... ton orage» et il le plante là pour rejoindre ses compagnons qui ont avancé de
quelques mètres.
«Ouf! J’ai plus sué en lui parlant qu’en marchant... Quel tempé-
143
rament! Mais on ne pourra jamais rien obtenir de lui?»
«Jamais, Simon. Mon Frère s’obstine à le garder. Mais... il n’en fera jamais rien
de bon», lui répond Jude Thaddée.
«C’est un vrai fléau que nous avons parmi nous!» murmure André et il dit pour finir: «Jean et moi,
nous en avons presque peur et nous nous taisons toujours par crainte d’autres disputes.»
«C’est la meilleure façon de faire” dit Barthélemy.
«Moi, je n’arrive pas à me taire» avoue le Thaddée.
«J’y arrive mal moi aussi... Mais j’ai trouvé le secret pour le faire» dit Pierre.
«Lequel? Lequel? Enseigne-le nous...» disent-ils tous.
«En travaillant comme un boeuf à la charrue. Un travail inutile, sûrement... Mais qui me sert à me
faire déverser ce qui bout en mon intérieur sur... quelque chose qui ne soit pas Judas.»
«Ah! J’ai compris! C’est pour cela que tu as fait cette hécatombe d’arbustes à la descente de la
vallée! C’est pour cela, hein?» lui demande Jacques de Zébédée.
«Oui, c’est pour cela... Mais aujourd’hui... ici... je n’avais rien à briser sans faire de dégâts. Il n’y a
que des arbres fruitiers et c’était dommage de les saccager... J’ai eu trois fois plus de fatigue à... me
briser moi-même... pour ne pas être le vieux Simon de Capharnaüm... J’en ai les os endoloris...»
Barthélemy et le Zélote ont le même mouvement et les mêmes paroles: ils embrassent Pierre en
s’écriant: «Et tu t’étonnes que Lui t’ait fait le premier parmi nous? Tu es pour nous un maître…»
«Moi? Pour cela?... Cette bagatelle!... Je suis un pauvre homme... Mais je vous demande seulement
de m’aimer en me donnant de doctes conseils, des conseils affectueux et simples. De l’amour et de
la simplicité pour que je devienne comme vous... Et uniquement par amour pour Lui qui a déjà tant
de peines...»
«Tu as raison. Que nous au moins nous ne Lui en donnions pas!» s’exclame Mathieu.
«J’ai eu une grande peur quand Jeanne l’a appelé. Vous ne savez vraiment rien, vous deux qui étiez
allés en avant?» demande Thomas.
«Non, certainement pas. Mais nous avons pensé intérieurement que c’était celui qui est derrière
qui... en a fait une belle» répond Pierre.
«Tais-toi! J’ai eu la même pensée en entendant le Maître parler le jour du sabbat» avoue Jude
Thaddée.
«Moi aussi» ajoute Jacques de Zébédée.
144
«Tiens!... Je n’y avais pas pensé... pas même en voyant Judas Si sombre, ce
soir-là, et aussi grossier, il faut le dire» dit Thomas.
«Bon! N’en parlons plus. Et cherchons à... le rendre meilleur par tant d’amour, tant de sacrifices,
comme nous l’a appris Margziam...» dit Pierre.
«Que peut bien faire Margziam?» demande André en souriant.
«Mais!... Nous serons bientôt avec lui. Je meurs d’impatience... Elles me coûtent vraiment ces
séparations.»
«Qui sait pourquoi le Maître les veut. Désormais... Margziam pourrait rester avec nous. Ce n’est
plus un enfant et il n’est pas délicat» observe Jacques de Zébédée.
«Et puis... s’il a fait tant de chemin l’an passé alors qu’il 6tait Si grêle, à plus forte raison pourrait-il
maintenant» dit Philippe.
«Moi, je pense que c’est pour lui éviter d’être présent à certaines choses déplaisantes...» dit
Mathieu.
«Ou pour lui éviter certains contacts...» murmure le Thaddée qui ne supporte vraiment pas
l’Iscariote.
«Peut-être avez-vous raison tous les deux» dit Pierre.
«Mais non! Il doit le faire pour qu’il achève de devenir robuste! Vous verrez que l’an prochain il va
être avec nous» affirme Thomas.
«L’an prochain! Le Maître sera-t-il encore avec nous, l’an prochain?» demande Barthélemy pensif.
«Ses discours me semblent à moi si... suggestifs...»
«N’en parle pas!» supplient les autres.
«Je ne voudrais pas en parler, mais s’en abstenir n’éloigne pas ce qui est marqué.»
«Eh bien... Raison de plus pour nous de devenir bien meilleurs en ces mois... Pour ne pas Lui
donner de douleurs et pour être prêts. Je veux Lui dire que maintenant, que nous allons être au repos
en Galilée, il nous instruise beaucoup, beaucoup, spécialement nous les douze... Nous allons y être
bientôt...»
«Oui, et il me tarde d’y être. Je suis âgé, et ces marches, par cette chaleur me donnent beaucoup
d’ennuis secrets» avoue Barthélemy.
«A moi aussi. J’ai été un débauché et je suis plus vieux que l’on ne pense en comptant les années.
Les débauches... hein! Maintenant je les ressens toutes dans mes os... Et puis nous, fils de Lévi,
nous souffrons de douleurs, vraiment par nature...»
«Et moi, j’ai été malade pendant des années... et cette vie, dans les cavernes, avec une nourriture
peu abondante et misérable.
145
Tout cela se ressent...» dit le Zélote.
«Mais si tu as toujours dit que depuis que tu as été guéri, tu t’es senti toujours
fort?» demande derrière lui Judas qui les a rejoints. «L’effet du miracle est peut-être
fini pour toi?»
Le Zélote a une moue typique sur son visage laid et expressif. Il semble dire: «Il est ici! Seigneur,
donne-moi la patience!» Mais il répond avec la plus grande politesse: «Non. L’effet du miracle
n’est pas fini. Et cela se voit. Je n’ai plus été malade, je suis fort, résistant. Mais les années sont les
années et les fatigues sont les fatigues. Et ces chaleurs qui nous mettent en sueur comme si nous
étions tombés dans un fossé, et puis ces nuits, je dirais glaciales en comparaison de la chaleur du
jour, et qui gèlent la sueur sur nous, alors que la rosée finit d’humidifier les vêtements déjà trempés
de sueur, tout cela ne me fait sûrement pas de bien. Et il me tarde d’être au repos pour m’occuper un
peu de moi. Le matin, surtout si on dort à la belle étoile, je suis tout endolori. Si je deviens
complètement malade, à quoi puis-je servir?»
«A souffrir. Lui dit que la souffrance vaut le travail et la prière» lui répond André.
«Cela va bien, mais je préférerais le servir apostoliquement et...»
«Et tu es las, toi aussi. Avoue-le. Tu es las de continuer cette vie sans la perspective d’heures
agréables, mais au contraire avec la perspective de persécutions et... de défaites. Tu commences à
réfléchir que tu risques de redevenir le proscrit» dit Judas de Kériot.
«Je ne réfléchis à rien. Je dis que je me sens devenir malade.»
«Oh! comme il t’a guéri une fois!...» et Judas a un rire ironique.
Barthélemy sent l’imminence d’une autre discussion et il la détourne en appelant Jésus. «Maître! Il
n’y a rien pour nous? Tu es toujours en avant! ...»
«Tu as raison, Barthélemy. Mais nous allons nous arrêter. Tu vois cette maisonnette? Allons-y car
le soleil est trop fort. Ce soir nous reprendrons la marche. Il faut se hâter pour le retour à Jérusalem
car la Pentecôte est toute proche.»
«De quoi parliez-vous entre vous?» demande Jude Thaddée à son frère.
«Mais figure-toi! Nous avions commencé à parler de Joseph d’Arimathie et nous en sommes arrivés
à parler de l’ancien domaine de Joachim à Nazareth et de son habitude, tant que cela lui fut
possible, de garder pour lui la moitié des récoltes et de donner le reste aux pauvres, chose dont les
anciens de Nazareth se sou-
146
viennent si bien. Que de privations pour les deux justes Anne et Joachim! Forcément,
ils ont obtenu le miracle de la Fille, de cette Fille!... Et avec Jésus, j’évoquais nos
années d’enfance...» La conversation continue alors qu’ils avancent vers la maison au
milieu des champs ensoleillés.

100. MIRACLE DU GLANAGE DANS LA PLAINS

C’est par une campagne toute blonde de moissons que Jésus passe avec ses
disciples. Il fait très chaud bien que l’on soit aux premières heures de la journée. Les
moissonneurs fauchent les sillons tout garnis d’épis, en faisant des vides dans l’or des
blés. Les faux brillent un instant au soleil, disparaissent dans les épis pour réapparaître
de l’autre côté pour un autre instant, et les javelles plient et se couchent comme si
elles étaient lasses d’être restées debout pendant des mois sur la terre échauffée par le
soleil.
Des femmes passent, liant les gerbes derrière les faucheurs. Partout la campagne est occupée à ce
travail. La moisson a été très bonne et les moissonneurs en sont tout réjouis.
Quand le groupe apostolique passe le long du chemin et quand les travailleurs en sont proches,
plusieurs suspendent un instant leur travail. Ils s’appuient à leur faux, essuient leur sueur et
regardent, et de même les femmes qui lient les gerbes. Dans leurs vêtements clairs, la tête couverte
d’un linge blanc, elles paraissent autant de fleurs qui émergent de la terre dépouillée des blés,
coquelicots, bleuets et marguerites. Les hommes, en tuniques courtes, bises ou jaunâtres, attirent
moins le regard. Ils n’ont de clair que le linge lié par une ficelle sur la tête et qui retombe sur le cou
et les joues. Dans cette blancheur, les visages bronzés par le soleil paraissent encore plus noirs.
Jésus, quand il voit qu’on le remarque, passe en saluant: «La paix et la bénédiction de Dieu soient
avec vous» et les autres répondent: «Que la bénédiction de Dieu vienne sur Toi» ou bien plus
simplement: «Qu’elle soit aussi avec Toi.»
Certains, plus loquaces, intéressent Jésus aux moissons en disant: «Elle a été bonne cette année.
Regarde ces épis grenus et comme ils sont serrés dans les sillons. On fatigue à les couper, mais c’est
le pain!...»
147
«Soyez-en reconnaissants au Seigneur. Et vous savez que ce n’est pas en paroles,
mais en actes, que l’on doit montrer sa reconnaissance. Soyez miséricordieux avec
cette récolte en pensant que le Tout Puissant a été miséricordieux en donnant ses
rosées et son soleil à vos champs pour que vous ayez beaucoup de grain.
Rappelez-vous le précepte du Deutéronome. En récoltant la richesse que Dieu vous a
donnée, pensez à celui qui n’a rien, et laissez-lui un peu du vôtre. Saint mensonge que
celui-là qui est charité pour votre prochain et que Dieu voit. Il vaut mieux en laisser
que de tout ramasser avec avidité. Dieu bénit ceux qui sont généreux. Donner vaut
mieux que recevoir parce que cela oblige Dieu qui est juste à donner une récompense
plus copieuse à celui qui a eu pitié.»
Jésus passe et répète ses conseils d’amour.
Le soleil devient plus chaud. Les moissonneurs cessent le travail. Ceux qui sont à proximité rentrent
chez eux, les autres se mettent à l’ombre des arbres et là se reposent, mangent, sommeillent.
Jésus aussi s’abrite dans un bosquet très touffu à l’intérieur de la campagne et, assis sur l’herbe,
après avoir prié et offert la nourriture frugale de pain, de fromage et d’olives, il distribue les parts et
mange en parlant avec les siens.
Il y a de l’ombre, de la fraîcheur et un grand silence. Le silence des heures ensoleillées de l’été. Un
silence qui invite au sommeil et, en effet, la plupart sommeillent après le repas.
Jésus, non. Il repose, les épaules appuyées à un arbre, et pendant ce temps il s’intéresse au travail
des insectes sur les fleurs. A un certain moment il fait signe à Jean, à Judas l’Iscariote et à un des
plus âgés, qu’il appelle Barthélemy, et quand il les a autour de Lui, il dit: «Mais regardez ce petit
insecte, quel travail il est en train de faire. Regardez: cela fait un moment que je le surveille. Il veut
enlever à ce calice si petit le miel qui en remplit le fond et, comme il ne peut y arriver, regardez: il
allonge d’abord une de ses petites pattes et puis l’autre, la plonge dans le miel et puis s’en nourrit.
Au bout d’un moment il l’a vidé. Voyez quelle admirable chose est la Providence de Dieu!
N’ignorant pas que sans certains organes l’insecte, créé pour être une chrysolite volante au-dessus
de la verdure des prés, n’aurait pu se nourrir, voilà qu’elle a muni les petites pattes de ces poils
minuscules. Vous les voyez? Toi, Barthélemy? Non? Regarde. Maintenant je le prend et je te le
montre à contre-jour» et délicatement il prend le scarabée qui semble d’or bruni et il le renverse sur
sa main. Le scarabée fait le mort et tous les trois observent ses petites pattes. Et puis il remue ses
pattes
148
pour s’enfuir. Naturellement il n’y arrive pas, mais Jésus l’aide et le met sur ses
pattes. La bestiole avance sur la paume et s’en va au bout des doigts, elle se penche,
ouvre ses ailes, mais elle est méfiante. «Elle ne sait pas que Moi, je ne veux que le
bien de tout être. Elle n’a que son petit instinct, parfait si on le compare à sa nature,
suffisant pour tout ce dont elle a besoin, mais si inférieur à la pensée humaine. Aussi
l’insecte n’est pas responsable s’il fait de mauvaises actions. L’homme, non.
L’homme possède en lui-même une lumière de l’intelligence supérieure et il la
possédera d’autant plus qu’il sera davantage instruit des choses de Dieu. Il sera donc
responsable de ses actions.
«Alors, Maître» dit Barthélemy «nous que tu instruis, nous avons une grande
responsabilité?»
«Grande. Et dans l’avenir, vous en aurez davantage, quand le Sacrifice sera accompli et que la
Rédemption sera venue, et avec elle la Grâce qui est force et lumière. Et après elle, viendra Celui
qui vous rendra encore plus capable de vouloir. Celui, ensuite, qui ne voudra pas, sera très
responsable.»
«Alors, bien peu se sauveront!»
«Pourquoi, Barthélemy?»
«Parce que l’homme est si faible!»
«Mais s’il fortifie sa faiblesse par sa confiance en Moi, il devient fort. Croyez-vous que Moi je ne
comprends pas vos luttes? Et que je ne compatis pas à vos faiblesses? Vous voyez? Satan est
comme cette araignée qui est en train de tendre son piège, de cette petite branche à cette tige. Il est
si fin et si traître! Regardez comme resplendit ce fil. Il paraît être de l’argent d’un filigrane
impalpable. Il sera invisible pendant la nuit et demain, à l’aube, il sera couvert de gemmes
splendides, et les mouches imprudentes, qui tourniquent pendant la nuit à la recherche de
nourritures plus ou moins propres, tomberont dedans, et aussi les légers papillons qui sont attirés
par ce qui brille...»
Les autres apôtres se sont approchés, et ils écoutent la leçon tirée du règne végétal et du règne
animal.
«...Eh bien, mon amour fait, a l’égard de Satan, ce que fait maintenant ma main.
Il détruit la toile. Regardez comment l’araignée fuit et se cache. Elle a peur du plus
fort. Satan aussi a peur du plus fort. Et le plus fort c’est l’Amour.»
«Ne vaudrait-il pas mieux détruire l’araignée?» dit Pierre, très pratique dans ses
conclusions.
«Cela vaudrait mieux. Mais cette araignée fait son devoir. Il est
149
vrai qu’elle tue les pauvres petits papillons si beaux, mais elle extermine aussi un
grand nombre de mouches sales qui transportent les germes de maladies des malades
à ceux qui sont sains, des morts aux vivants.»
«Mais dans notre cas, que fait l’araignée?»
«Que fait-elle Simon? (Simon aussi est très âgé, et c’est lui qui se plaignait des rhumatismes.) Elle
fait ce que fait la bonne volonté en vous. Elle détruit les tiédeurs, les apathies, les vaines
présomptions. Elle vous oblige à rester vigilants. Quelle est la chose qui vous rend dignes de
récompense? La lutte et la victoire. Pouvez-vous avoir la victoire si vous n’avez pas de lutte? La
présence de Satan oblige à une vigilance continuelle. L’Amour, ensuite, qui vous aime, fait que
cette présence n’est pas forcément nocive. Si vous restez près de l’Amour, Satan tente, mais il
devient incapable de nuire vraiment.»
«Toujours?»
«Toujours, dans les grandes et les petites choses. Par exemple: une petite chose. A toi il conseille
inutilement d’avoir soin de ta santé. Conseil rusé pour chercher à t’enlever à Moi. L’Amour te tient
étroitement Simon, et tes douleurs perdent leur importance même à tes yeux.»
«Oh! Seigneur, tu sais?...»
«Oui. Mais ne t’en accable pas. Allons, allons! L’Amour te donnera tant de courage qu’il est
maintenant le premier à sourire de ton humanité qui tremble à cause de ses rhumatismes...» Jésus rit
de la confusion du disciple et il le serre contre Lui pour le consoler. Même en riant, il est plein de
dignité. Les autres aussi rient.
«Qui vient aider cette pauvre vieille?» dit Jésus en montrant une petite vieille qui, bravant la
canicule, glane dans les sillons fauchés.
«Moi» dit Jean et avec lui Thomas et Jacques.
Mais Pierre tire Jean par la manche et, l’amenant un peu de côté, il lui dit: «Demande au Maître ce
qui le rend si heureux. Je le Lui ai demandé, mais il m’a seulement dit: “Mon bonheur est de voir
une âme qui recherche la Lumière”. Mais si tu le Lui demandes... à toi il dit tout.»
Jean est pris entre la retenue et, d’autre part, le désir de savoir et de contenter Pierre. Il rejoint
lentement Jésus qui est déjà dans le champ en train de glaner. La petite vieille en voyant tous ces
jeunes a un geste de désolation et se fatigue à s’activer.
«Femme! Femme!» crie Jésus. «Je glane pour toi. Ne reste pas au soleil, mère. Je vais venir.»
150
La petite vieille, interdite par tant de bonté, le regarde fixement, puis elle obéit, et
elle dirige sa mince personne, courbée et un peu tremblante le long du filet d’ombre
du talus qui limite le champ. Jésus marche rapidement en ramassant des épis. Jean le
suit de près, plus loin Thomas et Jacques.
«Maître» dit Jean haletant «comment trouves-tu tant d’épis? Moi, dans le sillon à côté, j’en trouve si
peu!»
Jésus sourit et ne parle pas. Je ne pourrais le jurer, mais il me semble que les épis fauchés et non
récoltés se lèvent là où l’oeil divin se pose. Jésus ramasse et sourit. Il a une vraie gerbe d’épis dans
les bras.
«Tiens, Jean, prends la mienne. Ainsi tu en as une quantité toi aussi, et la petite mère va être
heureuse.»
«Mais, Maître... Tu fais un miracle? Il n’est pas possible que tu en trouves tant!»
«Chut! C’est pour la petite mère... en pensant à la mienne et à la tienne. Regarde quelle petite vieille
c’est!... Le bon Dieu, qui rassasie l’oiseau à peine né, veut remplir le minuscule grenier de cette
petite grand-mère. Cela lui fera du pain pour les mois qui lui restent encore. Elle ne verra pas la
prochaine moisson. Mais je ne veux pas qu’elle ait faim pendant son dernier hiver. Maintenant tu
vas entendre ses exclamations. Prépare-toi, Jean, à en avoir les oreilles déchirées, comme Moi, je
me prépare à être baigné de larmes et de baisers...»
«Comme tu es gai, Jésus, depuis quelques jours! Pourquoi?»
«C’est toi qui veux le savoir ou quelqu’un qui t’envoie?»
Jean, déjà rouge par la fatigue, devient cramoisi.
Jésus comprend: «Dis à celui qui t’envoie qu’il y a un de mes frères qui est malade et qui cherche sa
guérison. Sa volonté de guérir me remplit de joie.»
«Qui est-ce, Maître?»
«Un de tes frères. Quelqu’un que Jésus aime. Un pécheur.»
«Alors, ce n’est pas l’un de nous.»
«Jean, tu crois que parmi vous il n’y a pas de péché? Tu crois que je n’ai de joie qu’à cause de
vous?»
«Non, Maître. Je sais que nous aussi, nous sommes pécheurs, et que to veux sauver tous les
hommes.»
«Et alors? Je t’ai dit: “Ne cherche pas à savoir” quand il s’agissait de découvrir le mal. Je te dis la
même chose maintenant qu’il s’agit d’une aurore de bien... La paix à toi, mère! Voici nos épis. Mes
compagnons vont venir avec les leurs.»
151
«Dieu te bénisse, fils. Comment donc en as-to trouvé autant? Il est vrai que je n’y
vois pas bien clair, mais ce sont deux gerbes, grosses, grosses...» La vieille les palpe,
de sa main tremblante, elle les caresse, elle veut les soulever... Mais elle ne le peut.
«Nous allons t’aider. Où est ta maison?»
«Celle-là» et elle montre une maisonnette au-delà des champs.
«Tu es seule, nest-ce pas?»
«Oui. Comment le sais-tu? Et Toi, qui es-tu?»
«Je suis quelqu’un qui a une mère.»
«Et lui, c’est ton frère?»
«C’est mon ami.»
Par derrière Jésus, l’ami fait de grands signes à la vieille, mais elle a ses pupilles voilées et elle ne
les voit pas, et d’autre part elle est trop occupée à regarder Jésus. Son coeur de vieille mère est tout
ému.
«Tu es en sueur, fils. Viens ici, à l’abri de cet arbre. Assieds-toi. Regarde comme la sueur coule!
Essuie-toi avec mon voile. Il est usé, mais propre. Prends, prends, mon fils.»
«Merci, mère.»
«Bénie celle qui est ta mère, à Toi si bon. Dis-moi ton nom et le sien, pour que moi je les dise à
Dieu afin qu’il vous bénisse.»
«Marie et Jésus.»
«Marie et Jésus... Marie et Jésus... Attends. Une fois j’ai beaucoup pleuré... Le fils de mon fils fut
tué en défendant son garçon et cela fit mourir mon fils de chagrin... On disait que l’innocent fut tué
parce qu’on cherchait quelqu’un du nom de Jésus... Maintenant je suis au seuil de la mort, et ce
Nom revient...»
«Alors, tu pleurais à cause de ce Nom, mère. Que maintenant ce Nom te donne la bénédiction...»
«Tu es ce Jésus... Dis-le à une femme qui va mourir et qui a vécu sans maudire, parce qu’on lui dit
que sa douleur servait à sauver le Messie pour Israël.»
Jean redouble ses gestes. Jésus se tait.
«Oh! dis-le-moi. Est-ce Toi? Toi qui me bénirais à la fin de ma vie? Au nom de Dieu, parle.»
«C’est Moi.»
«Ah!» La petite vieille se prosterne contre terre. «Mon Sauveur! J’ai vécu dans l’attente et je
n’espérais pas te voir. Est-ce que je verrai ton triomphe?»
«Non, mère. Comme Moïse, tu mourras sans connaître ce jour. Mais je te donne à l’avance la paix
de Dieu. Je suis la Paix. Moi la
152
Route. Moi la Vie. Toi, mère et grand-mère de justes, tu me verras dans un autre
triomphe qui sera éternel, et c’est Moi qui t’ouvrirai les portes, à toi, à ton fils, au fils
de ton fils et à son garçon. Il est sacré pour le Seigneur ce garçon qui est mort pour
Moi! Ne pleure pas, mère...»
«Et moi, je t’ai touché! Et Toi, tu as glané pour moi les épis! Oh! comment ai-je
mérité cet honneur?!»
«A cause de tu sainte résignation. Viens, mère, à ta maison. Et que ce grain te donne du pain pour
l’âme plus que pour le corps. Moi, je suis le vrai Pain qui est descendu du Ciel pour rassasier la
faim de tous les coeurs. Vous (Thomas et Jacques les ont rejoints avec leurs javelles) prenez ces
gerbes. Et allons.»
Ils s’en vont tous les trois avec leur chargement d’épis. Jésus les suit avec la petite grand-mère qui
pleure et murmure des prières. Ils arrivent à la maisonnette: deux petites pièces, un four minuscule,
un figuier, un peu de vigne. Propreté et pauvreté.
«C’est ton asile?»
«Oui. Bénis-le, Seigneur!»
«Appelle-moi: fils. Et prie pour que ma Mère ait du réconfort dans sa douleur, toi qui sais ce que
c’est que la douleur d’une mère. Adieu, mère. Je te bénis au nom du Dieu vrai.»
Et Jésus lève la main et bénit la petite demeure et puis il se penche, embrasse la petite vieille et la
serre contre son coeur et baise sa tête couverte de quelques cheveux blancs. Elle pleure et effleure
de ses lèvres les mains de Jésus, le vénère, l’aime...

Jésus dit:
«Il y a beaucoup de pourquoi dans ton coeur après cette dictée.
Un pourquoi que to as dans le coeur, est toujours si je savais que Judas ne se serait pas sauvé malgré
cet effort vers le salut.
Je le savais.
Et alors pourquoi étais-je heureux?
Parce que ce seul désir présent, fleur dans la lande du coeur de Judas, faisait
regarder avec bienveillance par mon Père mon disciple que j’aimais et que je n’aurais
pas pu sauver. L’oeil de Dieu sur un coeur! Que voudrais-je sinon que le Père vous
regarde tous et avec amour?
Et je devais être heureux pour donner à ce malheureux jusqu’à ce moyen pour se
relever. L’aiguillon de ma joie de le voir revenir à Moi.
Un jour, après ma Mort, Jean connut cette vérité et il la dit à Pierre, Jacques,
André et aux autres, parce que j’en avais donné l’ordre au Préféré, auquel ne fut
inconnu aucun secret de mon coeur. Il le sut et le dit pour que tous eussent une règle
de conduite pour la direction des disciples et des fidèles.
A l’âme, qui après une chute, vient au ministre de Dieu et avoue son erreur
envers l’ami ou le fils, envers 1’époux ou le frère, et qui après s’être trompée vient
dire:
153
“Garde-moi avec toi, je ne veux plus errer pour ne pas donner de douleur à Dieu
et à toi”, on ne doit pas, entre autres choses, refuser la satisfaction de voir notre
bonheur de la voir désireuse de nous rendre heureux.
Il faut un tact infini dans le soin des coeurs. Moi, la Sagesse, tout en sachant que
dans le cas de Judas c’était inutile, je l’ai eu pour enseigner à tous l’art de racheter,
d’aider celui qui se rachète.
Et maintenant, je te dis, à toi aussi comme à Simon le chananéen: “Allons,
allons!” et je te serre contre Moi, pour te faire sentir qu’il y a quelqu’un qui t’aime.
De ces mains descendent les punitions, mais aussi les caresses, et de mes lèvres, des paroles
sévères, mais aussi, plus nombreuses et dites avec plus de joie, des paroles de complaisance.
Va en paix, Marie. Tu n’as pas donné de peine à ton Jésus, et que cela soit ton réconfort.»

TABLE DES MATIÈRES


Vol. 7°
La troisième année de la vie publique
(troisième partie)
* 20 % en ligne *

156 Dans la maison de campagne de Chouza au-delà du Jourdain. *


157 Jésus parle du préféré.
158 A Bethsaïda et Capharnaüm. Départ pour un nouveau voyage apostolique.
159 Chez Jude et Anne près du lac de Méron.
160 Jésus dit la parabole sur la distribution des eaux.

161 Je n’ai pas de meilleur repos que de dire: j’ai sauvé quelqu’un qui
périssait».
162 «Toute chute a sa préparation dans le temps».
163 L’adieu aux fidèles peu nombreux de Corozaïn.
164 Jésus parle des devoirs entre belle-mère et belle-fille.
165 Jésus parle de son Royaume et de sa loi.
166 Un jugement de Jésus.
167 Jésus guérit l’enfant aveugle-né de Sidon.
168 «L’enseignement de la vision réside dans la fidélité au conjoint».
169 En revenant des confins syro-phéniciens.
170 En allant vers Sephoris.
171 Jésus chez les pécheurs lépreux de Bethléem de Galilée.
172 Jésus et sa Mère dans le bois de Mathatias.
173 Jésus en conversation avec Joseph d’Alphée.
174 en attendant les paysans de Giocana près de la tour de Jezraël.
125
175 En allant vers Engannim.
176 Arrivée de Jésus et de Jean à Engannim.
177 Jésus et le berger samaritain.
178 Les dix lépreux près d’Ephraïm.
179 Jésus à Ephraïm. Parabole de la grenade.
180 Jésus à Béthanie pour les Tabernacles. *

181 Jésus au Temple pour les Tabernacles. «Le Royaume de Dieu ne vient pas avec apparat».
182 Au Temple. «Savez-vous qui je suis et d’où je viens?»
183 Au Temple. «Pour peu encore je suis avec vous».
184 A Nobé. Miracle sur le vent.
185 Jésus au champ des Galiléens avec ses cousins apôtres.
186 Le dernier grand jour des Tabernacles.
187 A Béthanie. «On peut tuer de beaucoup de façons».
188 Près de la fontaine de En Rogel.
189 Jésus, les pharisiens, l’adultère.
190 «A la coupable j’indique la voie à suivre pour se racheter».

191 Instructions aux apôtres et aux disciples.


192 Au village et dans la maison de Salomon.
193 Jésus et Simon de Jonas.
194 Jésus au Thaddée et à Jacques de Zébédée.
195 Jésus et l’homme de Pétra (près d’Hesbon).
196 En descendant du Nébo.
197 «Les Ténèbres ne veulent pas la Lumière».
198 Jésus réconforte ses apôtres.
199 La femme du sadducéen nécromancien.
200 «Une prière peut vous unir à Dieu, pas une formule magique».

201 «Ceux qui m’aiment s’en vont».


202 La parabole du juge inique.
203 «Je suis la Lumière du monde».
204 «Nous sommes la descendance d’Abraham».
205 Dans la maison de Joseph de Sephoris.
206 Le vieux prêtre Matân (ou Natân).
207 Guérison de l’aveugle-né.
208 Jésus à Nobé. Judas de Kériot ment.
209 Jésus dans les ruines d’un village détruit.
210 Jésus parle à Emmaüs de la montagne.

211 A Beteron.
212 Vers Gabaon.
213 A Gabaon.
214 En revenant à Jérusalem.
215 «Je suis le bon Pasteur».
216 En allant à Béthanie et chez Lazare.
217 En allant à Tecua. Le vieil Eli-Anna.
218 Jésus parle à Tecua.
219 A Jéricho.
220 Prédication à Jéricho.

221 Dans la maison de Zachée avec les convertis.


222 Jésus se prononce sur Sabéa de Betléchi.
223 A Bethabara.
224 Sur le chemin du retour à Nobé
225 A Nobé. Judas de Kériot n’est plus soumis.
226 A Nobé les jours suivants.
227 Jésus attend Judas de Kériot qui est luxurieux.
228 Jésus et Valeria. Le miracle du petit Lévi à Nobé.
229 Jésus et la pécheresse envoyée pour le tenter.
230 Jésus et Judas de Kériot vers Jérusalem.

231 Jésus à la synagogue des affranchis romains.


232 Judas et les ennemis de Jésus.
233 Les sept 1épreux guéris. Jésus aux ap6tres et à Marthe et Marie.
234 Jésus à la fête de la dédicace du Temple.
235 Jésus va à la grotte de la Nativité pour s’isoler.
236 Jésus et Jean de Zébédée.
237 Jésus, Jean et Manaën.
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Maria Valtorta

L’ EVANGILE
TEL QU’IL M’A ETE REVELE

Traduit de l’italien par Félix Sauvage

Volume 7.e
LA TROISIEME ANNEE
DE LA VIE PUBLIQUE
(troisième partie)

156. DANS LA MAISON DE CAMPAGNE DE CHOUZA,


AU-DELA DU JOURDAIN

Sur l’autre rive, au sortir d’un pont, déjà attend un char couvert.
«Monte, Maître. Tu ne te fatigueras pas, malgré la longueur du trajet, pas tellement à cause de la
durée du parcours que parce que j’ai commandé de tenir toujours ici tout prêts des paires de boeufs
pour ne pas porter ombrage aux hôtes plus respectueux de la Loi... Il faut les plaindre...»
«Mais où sont-ils?»
«Ils nous ont précédés sur d’autres chars. Tobit!»
«Maître?» dit le conducteur qui est en train d’atteler les boeufs au joug.
«Les autres hôtes, où sont-ils?»
«Oh! très en avant. Ils vont arriver à la maison.»
«Tu l’entends, Maître?»
«Mais si je n’étais pas venu?»
«Oh! Nous étions certains que tu serais venu. Pourquoi n’aurais-tu pas dû venir?»
«Pourquoi!! Chouza, je suis venu pour te montrer que je ne suis pas un lâche. Il n’y a de lâches que
les mauvais, ceux qui ont des fautes qui leur font craindre la justice... La justice des hommes,
malheureusement, alors qu’ils devraient craindre d’abord, uniquement, celle de Dieu. Mais Moi, je
n’ai pas de fautes et je n’ai pas peur des hommes.»
«Mais Seigneur! Ceux qui sont avec moi ont tous de la vénération pour Toi!
Comme moi. Et nous ne devons absolument pas te faire peur! Nous voulons te faire
honneur, non t’insulter!» Chouza est affligé et presque indigné.
Jésus, assis en face de lui, alors que le char avance lentement, tout en grinçant, parmi les vertes
campagnes, répond: «Plus que la guerre ouverte des ennemis, je dois craindre la guerre sournoise
des faux amis, ou le zèle injuste des vrais amis, mais qui ne m’ont pas encore compris, et tu es de
ceux-là. Ne te rappelles-tu pas ce que j’ai dit à Béther?»
«Moi, je t’ai compris, Seigneur» murmure Chouza, mais pas très sûr de lui et sans répondre
directement à la question.
«Oui, tu m’as compris. Sous le coup de la douleur et de la joie ton coeur est devenu limpide, comme
après un orage et un arc-en-ciel est limpide l’horizon. Et tu voyais juste. Puis... Tourne-toi,
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Chouza, pour regarder notre Mer de Galilée. Elle paraissait si limpide à l’aurore!
Pendant la nuit, la rosée avait purifié l’atmosphère et la fraîcheur nocturne avait ralenti
l’évaporation des eaux. Le ciel et le lac étaient deux miroirs de pur saphir qui se
renvoyaient mutuellement leurs beautés. Les collines, tout autour, étaient fraîches et
pures comme si Dieu les avait créées pendant la nuit. Maintenant, regarde. La
poussière des routes de la côte, parcourues par des gens et des animaux, l’ardeur du
soleil qui fait fumer les bois et les jardins comme des chaudières sur un foyer et qui
incendie le lac en en faisant évaporer l’eau, regarde comme tout cela a terni l’horizon.
Auparavant les bords paraissaient tout proches, limpides comme ils l’étaient dans la
grande limpidité de l’air; maintenant, regarde... Ils semblent trembler offusqués
brouillés, semblables à des objets que l’on voit à travers un voile d’eau impure. C’est
ce qui est arrivé pour toi. La poussière: l’humanité; le soleil: l’orgueil. Chouza, ne
trouble pas ton moi...»
Chouza baisse la tête, jouant machinalement avec les ornements de son vêtement
et la boucle de sa riche ceinture qui soutient son épée.
Jésus se tait, en restant les yeux presque fermés comme s’il avait sommeil. Chouza respecte son
sommeil ou ce qu’il prend pour tel.
Le char avance lentement en direction sud-est, vers de légères ondulations qui sont, du moins je le
crois, le premier échelon du haut plateau qui borde la vallée du Jourdain de ce côté oriental.
Certainement à cause de la richesse des eaux souterraines ou de quelques cours d’eau, les
campagnes sont très fertiles et belles; des grappes et des fruits apparaissent au milieu du feuillage.
Le char prend un chemin privé en quittant la route principale et s’enfonce dans une allée très
touffue où il trouve l’ombre et la fraîcheur, du moins relative, en comparaison de la fournaise de la
grand-route ensoleillée.
Une maison basse, blanche, d’aspect distingué, se trouve au fond de l’allée. Des maisons plus
humbles sont çà et là dans les champs et les vignobles.
Le char franchit un petit pont et une barrière au-delà de laquelle le verger fait place à un jardin dont
l’allée est couverte de gravier. Au bruit différent que font les roues sur le gravier, Jésus ouvre les
yeux.
«Nous sommes arrivés, Maître. Voici les hôtes qui nous ont entendu et accourent» dit Chouza.
Et en effet un grand nombre de gens, tous de riche condition, se
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groupent au commencement de l’allée et ils saluent avec de pompeuses révérences le
Maître qui arrive. Je vois et reconnais Manaën, Timon, Eléazar, et il me semble en
voir d’autres qui ne me sont pas inconnus mais dont je ne puis dire les noms. Et puis
un très grand nombre que je n’ai jamais vus, ou que du moins je n’ai jamais
remarqués particulièrement. Il y en a beaucoup avec des épées et d’autres qui n’en ont
pas étalent les abondantes fanfreluches des pharisiens, des prêtres ou des rabbins.
Le char s’arrête, et Jésus en descend le premier en s’inclinant pour saluer
collectivement. Les disciples Manaën et Timon s’avancent pour échanger un salut
particulier. Et puis c’est Eléazar (le bon pharisien du banquet dans la maison
d’Ismaël) et avec lui s’amènent deux scribes qui tiennent à se faire reconnaître. Il y a
celui qui à Tarichée eut son petit fils guéri, le jour de la première multiplication des
pains, et l’autre qui nourrit la foule au pied de la montagne des béatitudes. Et un autre
encore se fraie un passage: le pharisien qui dans la maison de Joseph, au temps de la
moisson, fut instruit par Jésus sur le vrai motif de son injuste jalousie.
Chouza procède aux présentations et je les passe sous silence, car c’est à en perdre la tête dans la
foule des Simon, des Jean, des Lévi, des Eléazar, Nathanaël, Philippe, Joseph etc, etc; les
sadducéens, les scribes, les prêtres, des hérodiens en grand nombre, et même je devrais dire que ces
derniers sont les plus nombreux, et une poignée de prosélytes et de pharisiens, deux synhédristes et
quatre chefs de synagogues et, perdu je ne sais comment dans cette foule, un essénien.
Jésus s’incline à chaque nom, regardant intensément chaque visage et esquissant parfois un léger
sourire comme quand quelqu’un, pour préciser son identité, spécifie quelque fait qui l’a mis en
rapport avec Jésus.
C’est ainsi qu’un certain Joachim de Bozra Lui dit: «Ma femme Marie a été guérie de la lèpre par
Toi. Sois béni.»
Et l’essénien: «Je t’ai entendu quand tu as parlé près de Jéricho et un de nos frères a quitté les rives
de la Mer Salée pour te suivre. Et j’ai encore entendu parler de Toi à propos du miracle d’Elisée
d’Engaddi. Sur ces terres nous vivons purs, en attendant...»
Qu’attendent-ils je ne sais. Je sais qu’en le disant, cet homme regarde avec un air de supériorité un
peu exaltée les autres qui ne jouent certainement pas aux mystiques mais qui, pour la plupart,
paraissent jouir allégrement du bien-être que leur situation leur permet.
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Chouza soustraie son Hôte aux cérémonies des salutations et le conduit dans une
salle de bains confortable où il le laisse pour les ablutions d’usage, certainement
agréables par cette chaleur, et il revient vers ses hôtes, avec lesquels il parle avec
animation, et ils en arrivent presque à une dispute à cause de la diversité des avis.
Certains veulent commencer de suite le discours. Quel discours? D’autres, au
contraire, proposent de ne pas assaillir tout de suite le Maître mais de commencer par
le persuader de leur profond respect. C’est cet avis qui prévaut car il a pour lui le plus
grand nombre, et Chouza, en qualité de maître de maison, appelle ses serviteurs pour
commander un banquet qu’ils feraient vers le soir pour laisser du temps à Jésus, «qui
est visiblement fatigué, de se reposer» ce que tout le monde accepte et quand Jésus
revient, les hôtes prennent congé de Lui en s’inclinant profondément, le laissant avec
Chouza qui le conduit dans une pièce à l’ombre, où se trouve une couchette basse
couverte de riches tapis.
Jésus, resté seul, confie à un serviteur ses sandales et son vêtement pour qu’il les dépoussière et
enlève les traces des pérégrinations du jour précédent. Il ne dort pas; assis sur le bord de la
couchette, les pieds nus sur la natte qui recouvre le pavé, avec la courte tunique ou sous-vêtement
qui Lui arrive aux coudes et aux genoux, il pense intensément. Si l’habillement ainsi réduit le fait
paraître plus jeune dans la splendide et parfaite harmonie de son corps viril, l’intensité de sa pensée,
qui n’est certainement pas gaie, marque son front de rides et contracte son visage en Lui dormant
une expression de douloureuse fatigue qui le vieillit.
Aucun bruit dans la maison, personne dans la campagne où dans la lourde chaleur les grappes
mûrissent. Les rideaux sombres qui pendent devant les portes et aux fenêtres n’ont pas la moindre
ondulation.
Ainsi passent les heures...
La pénombre augmente avec le coucher du soleil, mais la chaleur persiste et aussi la méditation de
Jésus.
Enfin la maison semble se réveiller. On entend des voix, des bruits de pas, des ordres.
Chouza écarte doucement le rideau pour observer, sans déranger Jésus.
«Entre! Je ne dors pas» dit Jésus.
Chouza entre: il est déjà dans le vêtement d’apparat du banquet. Il regarde et il voit que la couchette
ne semble pas avoir accueilli un corps. «Tu n’as pas dormi? Pourquoi? Tu es fatigué...»
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«J’ai reposé dans le silence et à l’ombre. Cela me suffit.»
«Je vais te faire apporter un vêtement...»
«Non. Le mien est certainement sec. Je préfère le prendre. J’ai l’intention de
partir dès la fin du banquet. Je te prie de tenir prêts dans ce but le char et la barque.»
«Comme tu veux, Seigneur. J’aurais voulu te garder jusqu’à demain à l’aurore...»
«Je ne puis. Je dois aller...»
Chouza sort en s’inclinant...
On entend de nombreux chuchotements...
Il se passe un certain temps. Le serviteur revient avec le vêtement de lin, tout frais lavé, parfumé de
soleil, et avec les sandales nettoyées et bien graissées toutes brillantes et assouplies. Un autre le suit
avec un bassin, une amphore et des essuie-mains, et dépose le tout sur une table basse. Ils sortent...
...Jésus rejoint les hôtes dans l’atrium qui divise la maison du nord au sud, formant un lieu aéré et
agréable, pourvu de sièges et orné de rideaux légers, multicolores, qui modifient la lumière sans
gêner l’aération. Maintenant, tirés de côté, ils laissent voir le cadre de verdure qui entoure la
maison.
Jésus est imposant. Bien qu’il n’ait pas dormi, il semble avoir pris des forces et sa démarche est
celle d’un roi. Le lin du vêtement qu’il vient de mettre est très blanc et les cheveux, rendus
lumineux par le bain du matin, brillent avec délicatesse, encadrant le visage de leur couleur dorée.
«Viens, Maître. Nous n’attendions que Toi» dit Chouza, et il le conduit le premier dans la pièce où
sont les tables.
On s’assoit après la prière et une ablution supplémentaire pour les mains, et le repas commence,
pompeux comme toujours, et silencieux au début. Puis la glace se rompt.
Jésus est voisin de Chouza, et de l’autre côté se trouve Manaën avec comme compagnon Timon.
Les autres sont placés par Chouza, avec son savoir faire de courtisan, sur les côtés de la table en
forme de U. Seul l’essénien a refusé obstinément de prendre part au banquet et de s’asseoir à la
table commune avec les autres. Ce n’est que lorsque un serviteur, sur l’ordre de Chouza, lui offre un
petit panier précieux rempli de fruits, qu’il accepte de s’asseoir devant une table basse, après je ne
sais combien d’ablutions, et après avoir relevé les larges manches de son vêtement blanc par crainte
de les tacher ou pour suivre un rite, je ne sais.
C’est un banquet bizarre où l’on communique plus par les
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regards que par les discours. Tout juste de brèves phrases de politesse et l’on s’étudie
réciproquement: Jésus étudie les convives et eux l’étudient.
Enfin Chouza fait signe aux serviteurs de se retirer après avoir apporté de grands
plateaux de fruits qui sont frais pour avoir peut-être été conservés dans le puits, très
beaux, je dirais presque glacés, avec ce givre qui caractérise les fruits conservés dans
la glace.
Les serviteurs sortent après avoir aussi allumé les lampes, inutiles pour l’instant car il fait encore
clair dans le long crépuscule d’été.
«Maître» commence Chouza «tu dois t’être demandé le pourquoi de cette réunion
et du silence que nous observons. Mais ce que nous devons te dire est très grave et ne
doit pas être entendu par des oreilles imprudentes. Maintenant nous sommes seuls et
nous pouvons parler. Tu le vois, tous ont pour Toi le plus grand respect. Tu es parmi
des hommes qui te vénèrent comme Homme et comme Messie. Ta justice, ta sagesse,
les dons dont Dieu t’a donné la maîtrise, nous sont connus et nous les admirons. Tu es
pour nous le Messie d’Israël, le Messie selon l’idée spirituelle et selon l’idée
politique. Tu es l’Attendu qui doit mettre fin à la douleur, à l’humiliation de tout un
peuple, et non seulement de ce peuple renfermé dans les confins d’Israël, ou plutôt de
la Palestine, mais pour le peuple d’Israël tout entier, des milliers et des milliers de
colonies de la Diaspora répandues par toute la Terre, et qui font retentir le nom de
Jéhovah sous tous les cieux et qui font connaître les promesses et les espérances, qui
maintenant se réalisent, d’un Messie restaurateur, d’un Vengeur, d’un Libérateur et
créateur de l’indépendance véritable et de la Patrie d’Israël, c’est-à-dire de la Patrie la
plus grande qui soit au monde, la Patrie: reine et dominatrice, qui annule tout
souvenir du passé et tout signe vivant d’esclavage, l’Hébraïsme qui triomphe sur tout
et sur tous, et pour toujours, parce qu’ainsi il a été dit et qu’ainsi la chose s’accomplit.
Seigneur, ici, devant Toi, tu as Israël tout entier dans les représentants des différentes
classes de ce peuple éternel, châtié par le Très-Haut mais bien-aimé de Lui qui le
proclame “sien”. Tu as le coeur vivant et sain d’Israël avec les membres du Sanhédrin
et les prêtres, tu as la puissance et la sainteté avec les pharisiens et les sadducéens, tu
as la sagesse avec les scribes et les rabbis, tu as la politique et la valeur avec les
hérodiens, tu as la richesse avec ceux qui sont fortunés, le peuple avec les marchands
et les propriétaires, tu
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as la Diaspora avec les prosélytes, tu as jusqu’à ceux qui sont séparés et qui
maintenant sont prêts à se réunir, parce qu’ils voient en Toi l’Attendu: les esséniens,
les esséniens irréconciliables. Regarde, ô Seigneur, ce premier prodige, ce grand signe
de ta mission, de ta vérité. Toi, sans violence, sans moyens, sans serviteurs, sans
soldats, sans épées, tu rassembles tout ton peuple comme une citerne rassemble les
eaux de mille sources. Toi, presque sans paroles, sans, absolument sans ordres, tu
nous réunis, nous, peuple divisé par les malheurs, les haines, des idées politiques et
religieuses et tu nous réconcilies. O Prince de la Paix, réjouis-toi d’avoir racheté et
restauré avant même d’avoir pris le sceptre et la couronne. Ton Royaume, le
Royaume attendu d’Israël est né. Nos richesses, nos puissances, nos épées, sont à tes
pieds. Parle! Commande! L’heure est venue.»
Tous approuvent le discours de Chouza. Jésus, les bras croisés, se tait.
«Tu ne parles pas? Tu ne réponds pas, ô Seigneur? Peut-être la chose t’a étonné... Peut-être tu sens
que tu n’es pas préparé et tu doutes surtout qu’Israël soit préparé... Mais il n’en est pas ainsi. Ecoute
nos voix. Je parle, et avec moi Manaën, pour le palais royal. Il ne mérite plus d’exister. C’est
l’opprobre et la pourriture d’Israël. C’est la tyrannie honteuse qui opprime le peuple et s’abaisse
servilement pour flatter l’usurpateur. Son heure est venue. Lève-toi, ô Etoile de Jacob, et mets en
fuite ce choeur de crimes et de hontes. Ici sont ceux qui, appelés hérodiens, sont les ennemis des
profanateurs du nom des Hérodes, sacré pour eux. A vous la parole.»
«Maître, je suis âgé et je me rappelle ce qu’était la splendeur d’autrefois. Comme le nom héros
donné à une charogne puante, tel est le nom d’Hérode porté par des descendants dégénérés qui
avilissent notre peuple. C’est le moment de répéter le geste qu’a fait plusieurs fois Israël quand des
monarques indignes régnaient sur les souffrances du peuple. Toi seul es digne de faire ce geste.»
Jésus se tait.
«Maître, tu semble-t-il que l’on puisse douter? Nous avons scruté les Ecritures: tu es celui-ci, tu
dois régner» dit un scribe.
«Tu dois être Roi et Prêtre. Nouveau Néhémie, plus grand que lui, tu dois venir et
purifier. L’autel est profané. Que le zèle du Très-Haut te presse» dit un prêtre.
«Beaucoup d’entre nous t’ont combattu. Ceux qui craignent ton règne sage, mais
le peuple est avec Toi, et les meilleurs de nous
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avec le peuple. Nous avons besoin d’un sage.»
«Nous avons besoin d’un pur.»
«D’un vrai roi.»
«D’un saint.»
«D’un Rédempteur. Nous sommes, de plus en plus, esclaves de tout et de tous. Défends-nous,
Seigneur!»
«Dans le monde, nous sommes piétinés car, malgré notre nombre et notre richesse, nous sommes
comme des brebis sans berger. Appelle au rassemblement par le vieux cri: “A tes tentes, ô Israël!”
et de tous les points de la Diaspora comme une levée de troupes surgiront tes sujets pour renverser
les trônes vacillants des puissants qui ne sont pas aimés de Dieu.»
Jésus se tait toujours. Lui seul est assis, calme comme s’il ne s’agissait pas de Lui au milieu de cette
quarantaine de forcenés. Je me rappelle à peine un dixième de leurs raisons car ils parlent tous
ensemble comme dans la confusion d’un marché. Lui garde son attitude et continue de se taire.
Tous crient: «Dis un mot! Réponds!»
Jésus se lève lentement, en appuyant ses mains sur le bord de la table. Il se fait un silence profond.
Brûlé par le feu de quatre-vingt pupilles, il ouvre les lèvres, et les autres les ouvrent comme pour
aspirer sa réponse, et la réponse est brève mais nette: «Non.»
«Mais comment? Mais pourquoi? Tu nous trahis? Tu trahis ton peuple! Il renie sa mission! Il
repousse l’ordre de Dieu!...» C’est un vacarme! Un tumulte! Les visages deviennent cramoisis, les
yeux s’enflamment, les mains semblent menacer... Plutôt que des fidèles, ils semblent des ennemis.
Mais c’est ainsi: quand une idée politique domine les coeurs, même ceux qui sont doux deviennent
des fauves pour ceux qui s’opposent à leurs idées.
Au tumulte succède un étrange silence. Il semble qu’après avoir épuisé leurs forces ils se sentent
épuisés, à bout. Ils se regardent en s’interrogeant, désolés... certains fâchés...
Jésus promène son regard tout autour. Il dit: «Je savais que c’était pour cela que vous me vouliez
ici. Et je savais l’inutilité de votre démarche. Chouza peut dire que je l’ai dit à Tarichée. Je suis
venu pour vous montrer que je ne crains aucune embûche, parce que ce n’est pas mon heure, et je
ne la craindrai pas quand l’heure de l’embûche sera venue pour Moi, car c’est pour cela que je suis
venu. Et je suis venu pour vous persuader. Vous, non pas tous, mais plusieurs d’entre vous, êtes de
bonne foi. Mais je dois corriger l’erreur dans laquelle, de bonne foi, vous êtes tombés. Vous voyez?
Je ne
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vous fais pas de reproches. Je n’en fais à personne, pas même à ceux qui, étant mes
disciples fidèles, devraient être conduits par la justice et régler leurs propres passions
avec justice. Je ne te fais pas de reproches, juste Timon, mais je te dis qu’au fond de
ton amour qui veut m’honorer, il y a encore ton moi qui s’agite et rêve d’un temps
meilleur, où tu pourras voir frappés ceux qui te frappèrent. Je ne te fais pas de
reproches, Manaën, bien que tu montres que tu as oublié la sagesse et l’exemple tout
spirituels que tu avais de Moi, et auparavant du Baptiste, mais je te dis qu’en toi aussi
se trouve une racine d’humanité qui renaît après l’incendie de mon amour. Je ne te
fais pas de reproches, Eléazar, homme juste tant pour la vieille femme qu’on t’a
laissée, juste toujours, mais pas maintenant. Et je ne fais pas de reproches, Chouza,
bien que je devrais le faire parce qu’en toi, plus qu’en tous ceux qui de bonne foi
veulent me faire roi, est vivant ton moi. Roi, oui, tu veux que je le sois. Il n’y a pas de
piège dans ta parole. Tu ne viens pas pour me prendre en faute, pour me dénoncer au
Sanhédrin, au roi, à Rome. Mais plus que par amour - tu crois n’agir que par amour,
mais cela n’est pas - plus que par amour, tu agis pour te venger des offenses qui te
sont venues du palais royal. Je suis ton hôte et je devrais taire la vérité sur tes
sentiments, mais je suis la Vérité en toutes choses, et je parle pour ton bien. Et il en
est ainsi de toi, Joachim de Bozra, et de toi, scribe Jean, et de toi aussi, et de toi, et de
toi, et de toi.» Il montre celui-ci, celui-là, sans rancoeur, mais avec tristesse... et il
continue: «Je ne vous fais pas de reproches, car je sais que ce n’est pas vous qui
voulez cela, spontanément. C’est l’Embûche, c’est l’Adversaire qui travaille et vous...
vous êtes, sans le savoir, vous êtes des instruments entre ses mains. Même l’amour,
même de votre amour, ô Timon, ô Manaën, ô Joachim, ô vous qui réellement
m’aimez, même de votre vénération, ô vous qui pressentez en Moi le Rabbi parfait,
même de cela, lui, le Maudit, se sert pour nuire et me nuire. Mais Moi, je vous dis à
vous et à ceux qui n’ont pas vos sentiments, et qui avec des buts qui descendent de
plus en plus bas jusqu’à la trahison et au crime voudraient que j’accepte d’être roi, je
dis: Non. Mon Royaume n’est pas de ce monde. Venez à Moi, pour que j’établisse
mon Royaume en vous, rien d’autre. Et maintenant, laissez-moi aller.»
«Non, Seigneur, nous sommes bien décidés. Nous avons déjà mis en mouvement
nos richesses, préparé des plans, nous avons décidé de sortir de cette incertitude qui
entretient l’inquiétude d’Israël et de laquelle profitent les autres pour lui nuire. On te
dresse des
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embûches, c’est vrai. Tu as des ennemis au Temple lui-même. Moi, l’un des Anciens,
je ne le nie pas, mais pour y mettre fin, voilà ce qu’il faut: ton onction. Et nous
sommes tout disposés à te la donner. Ce n’est pas la première fois qu’en Israël
quelqu’un est ainsi proclamé roi, pour mettre fin aux malheurs de la nation et aux
discordes. Il y a ici quelqu’un qui, au nom de Dieu, peut le faire. Laisse-nous faire»
dit un des prêtres.
«Non! Cela ne vous est pas permis. Vous n’en avez pas l’autorité.»
«Le Grand Prêtre est le premier à le vouloir, même s’il ne semble pas. Il ne peut plus tolérer la
situation actuelle de la domination romaine et le scandale royal.»
«Ne mens pas, prêtre. Sur tes lèvres le blasphème est doublement impur.
Peut-être tu ne le sais pas et tu te trompes, mais au Temple, on ne le veut pas.»
«Tu prends donc pour un mensonge notre affirmation?»
«Oui, sinon pour vous tous, pour beaucoup d’entre vous. Ne mentez pas. Je suis
la Lumière et j’éclaire les coeurs...»
«Nous, tu peux nous croire» crient les hérodiens. «Nous n’aimons pas Hérode
Antipas ni aucun autre.»
«Non. Vous n’aimez que vous-mêmes, c’est vrai, et vous ne pouvez m’aimer. Je vous servirais de
levier pour renverser le trône, pour ouvrir le chemin à un pouvoir plus puissant et pour faire
supporter au peuple une oppression plus mauvaise. Une tromperie pour Moi, pour le peuple, et pour
vous-mêmes. Quand vous auriez anéanti le roi, Rome vous anéantirait tous.»
«Seigneur, dans les colonies de la Diaspora, il y a des hommes prêts à s’insurger... Nous les
soutenons de nos ressources» disent les prosélytes.
«Et des miennes, et tout l’appui de l’Auranitide et de la Trachonitide» crie l’homme de Bozra. «Je
sais ce que je dis. Nos montagnes peuvent nourrir une armée, et à l’abri des embûches, pour les
lancer comme un vol d’aigles à ton service.»
«La Pérée aussi.»
«La Gaulanitide aussi.»
«La vallée de Gahas avec Toi!»
«Et avec Toi les rives de la Mer Salée avec les nomades qui nous croient des dieux, si tu consens à
t’unir à nous» crie l’essénien et il continue en un verbiage d’exalté qui se perd dans le bruit.
«Les montagnards de la Judée sont de la race des rois courageux.»
«Et ceux de la Haute Galilée sont des héros de la trempe de
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Déborah. Même les femmes, même les enfants sont des héros!»
«Tu nous crois peu nombreux? Nous sommes des troupes nombreuses. Le peuple
est tout entier avec Toi. Tu es le roi de la race de David, le Messie! C’est le cri sur les
lèvres des sages et des ignorants parce que c’est le cri des coeurs. Tes miracles... tes
paroles... Les signes...» C’est une confusion que je ne r6ussis pas à suivre.
Jésus, comme un rocher bien ferme enveloppé par un tourbillon, ne bouge pas, ne
réagit même pas. Il est impassible. Et la ronde des prières, des supplications, des
raisons, continue.
«Tu nous déçois! Pourquoi veux-tu notre ruine? Tu veux n’agir que par Toi-même? Tu ne peux.
Matthatias Maccabée ne refusa pas l’aide des Assidéens et Judas libéra Israël avec leur aide...
Accepte!!!» De temps à autre, les cris s’unissent sur ce mot.
Jésus ne cède pas.
Un des Anciens, très âgé, parlote avec un prêtre et un scribe plus âgés que lui. Ils viennent en avant.
Ils imposent le silence. C’est le vieux scribe qui parle, après avoir appelé aussi à lui Eléazar et les
deux scribes Jean: «Seigneur, pourquoi ne veux-tu pas ceindre la couronne d’Israël?»
«Parce qu’elle ne m’appartient pas. Je ne suis pas fils d’un prince hébreu.»
«Seigneur, peut-être tu ne le sais pas. Eux deux et moi-même, nous fûmes appelés
un jour parce que trois Sages étaient venus pour demander où était Celui qui était né
roi des hébreux. Comprends-tu? “Né roi”. On nous réunit, nous les princes des prêtres
et des scribes du peuple sur l’ordre d’Hérode le Grand pour répondre à la question. Et
avec nous, il y avait Hillel le Juste. Notre réponse fut: “à Bethléem de Juda”. Toi,
nous le savons, c’est là que tu es né et de grands signes accompagnèrent ta naissance.
Parmi tes disciples, il y a des témoins. Peux-tu nier que tu as été adoré comme Roi par
les trois Sages?»
«Je ne le nie pas.»
«Peux-tu nier que le miracle te précède, t’accompagne et te suit comme signe du Ciel?»
«Je ne le nie pas.»
«Peux-tu nier que tu es le Messie promis?»
«Je ne le nie pas.»
«Et alors, au nom du Dieu vivant, pourquoi veux-tu tromper les espérances d’un peuple?»
«Je viens pour accomplir les espérances de Dieu.»
«Lesquelles?»
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«Celles de la Rédemption du monde, de la formation du Royaume de Dieu. Mon
Royaume n’est pas de ce monde. Reprenez vos ressources et vos armes. Ouvrez vos
yeux et vos esprits pour lire les Ecritures et les Prophètes et pour accueillir ma Vérité,
et vous aurez le Royaume de Dieu en vous.»
«Non. Les Ecritures parlent d’un Roi libérateur.»
«De l’esclavage de Satan, du péché, de l’erreur, de la chair, du gentilisme, de l’idolâtrie. Oh! que
vous a fait Satan, ô hébreux, peuple sage, pour vous faire tromper sur les vérités prophétiques? Que
vous fait-il, ô hébreux, mes frères, pour vous rendre si aveugles? Que, que vous fait-il, ô mes
disciples, pour que vous aussi vous ne compreniez plus? Le plus grand malheur d’un peuple et d’un
croyant c’est de tomber dans une fausse interprétation des signes, et ici se produit ce malheur. Des
intérêts personnels, des préjugés, des exaltations, un amour mal compris de la patrie, tout sert à
créer l’abîme... L’abîme de l’erreur dans lequel un peuple périra en méconnaissant son Roi.»
«C’est Toi qui te méconnais.»
«C’est vous qui vous méconnaissez, et me méconnaissez. Je ne suis pas un roi humain. Et vous...
vous, les trois quarts de vous rassemblés ici, vous le savez et vous voulez mon malheur et non mon
bien. Vous le faites par rancoeur, non par amour. Je vous pardonne. Je dis à ceux qui ont le coeur
droit: “Revenez à vous, ne soyez pas les serviteurs inconscients du mal”. Laissez-moi aller. Il n’y a
pas autre chose à dire.»
Un silence plein de stupeur...
Eléazar dit: «Je ne suis pas ton ennemi. Je croyais bien faire, et je ne suis pas le seul... De bons amis
pensent comme moi.»
«Je le sais. Mais dis-moi, toi, et sois sincère: que dit Gamaliel?»
«Le rabbi?... Il dit... Oui, il dit: “Le Très-Haut donnera un signe si lui est son Christ”.»
«Il a raison. Et Joseph l’Ancien?»
«Que tu es le Fils de Dieu et que tu régneras en Dieu.»
«Joseph est un juste. Et Lazare de Béthanie?»
«Il souffre... Il parle peu... Mais il dit... que tu régneras seulement quand nos esprits
t’accueilleront.»
«Lazare est sage. Quand vos esprits m’accueilleront. Pour le moment, vous, même ceux que je
croyais des esprits accueillants, vous n’accueillez pas le Roi et le Royaume, et c’est cela qui fait ma
douleur.»
«En somme, tu refuses?» crient-ils en grand nombre.
18
«Vous l’avez dit.»
«Tu nous as fait nous compromettre, tu nous fais du tort, tu...» crient d’autres: hérodiens, scribes,
pharisiens, sadducéens, prêtres...
Jésus quitte la table et il va vers ce groupe, les yeux flamboyants. Quel regard!
Eux, involontairement, se taisent, se serrent contre le mur... Jésus va vraiment visage
contre visage, et il dit, doucement, mais d’une manière incisive qui tranche comme un
coup de sabre: «Il est dit: “Malheur à celui qui frappe en cachette son prochain et
accepte des cadeaux pour condamner à mort un innocent”. Moi, je vous dis: je vous
pardonne, mais votre péché est connu du Fils de l’homme. Si je ne vous pardonnais
pas, Moi... Pour bien moins, Jéhovah a réduit en cendres plusieurs Israélites.» Mais il
est tellement terrible en le disant, que personne n’ose bouger, et Jésus relève le lourd
double rideau et sort dans l’atrium sans que personne ose faire un geste.
Ce n’est que lorsque le rideau cesse de remuer, c’est-à-dire après quelques minutes, qu’ils se
remettent.
«Il faut le rejoindre... Il faut le retenir...» disent les plus acharnés.
«Il faut se faire pardonner» soupirent les meilleurs, c’est-à-dire Manaën, Timon,
des prosélytes, l’homme de Bozra, en somme ceux qui ont le coeur droit.
Ils se pressent hors de la salle. Ils cherchent, ils interrogent les serviteurs: «Le
Maître? Où est-il?»
Le Maître? Personne ne l’a vu, pas même ceux qui étaient aux deux portes de l’atrium. Pas de
Maître... Avec des torches et des lanternes, ils le cherchent dans l’obscurité du jardin, dans la pièce
où il avait reposé. Personne! Et il n’y a plus son manteau laissé sur le lit, son sac laissé dans
l’atrium...
«Il nous a échappé! C’est un Satan!... Non. Il est Dieu. Il fait ce qu’il veut. Il va nous trahir! Non. Il
nous connaîtra pour ce que nous sommes.» Une clameur d’opinions et d’insultes mutuelles. Les
bons crient: «Vous nous avez séduits. Traîtres! Nous devions l’imaginer!» Les mauvais, c’est-à-dire
le plus grand nombre, menacent, et après avoir perdu le bouc émissaire contre lequel ils ne peuvent
se tourner, les deux partis se tournent contre eux-mêmes...
Et Jésus où est-il? Moi, je le vois, parce qu’il le veut, très loin, vers le pont à l’embouchure du
Jourdain. Il va rapidement comme si le vent le portait, ses cheveux flottent autour de son visage
pâle,
19
son vêtement bat comme une voile dans la rapidité de la marche. Puis, quand il est sûr
de se trouver à bonne distance, il s’enfonce dans les joncs et il prend la rive orientale.
Dès qu’il a trouvé les premiers récifs de la haute falaise, il y monte sans se soucier du
manque de lumière qui rend dangereuse l’escalade de la côte escarpée. Il monte, il
monte jusqu’à un rocher qui surplombe le lac et où veille un chêne séculaire. Il
s’assoit là, un coude sur le genou, il appuie le menton sur la paume de la main, le
regard fixé sur l’immensité qui s’embrune, à peine visible par la blancheur de son
vêtement et la pâleur de son visage, il reste immobile...
Mais quelqu’un l’a suivi. C’est Jean. Un Jean à peine vêtu, avec seulement son
court vêtement de pécheur, les cheveux raides de quelqu’un qui a été dans l’eau,
haletant et pourtant pâle. Il approche doucement de son Jésus. Il semble une ombre
qui glisse sur la falaise raboteuse. Il s’arrête à quelque distance, il surveille Jésus... Il
ne bouge pas, il semble faire partie du rocher. Sa tunique de couleur sombre le
dissimule encore plus, seul le visage, les jambes et les bras nus se voient à peine dans
l’ombre de la nuit.
Mais quand, plutôt qu’il ne le voit, il entend pleurer Jésus, alors il ne résiste plus et il s’approche et
puis l’appelle: «Maître!»
Jésus l’entend murmurer et lève la tête; prêt à fuir il relève son vêtement.
Mais Jean crie: «Que t’ont-ils fait, Maître, que tu ne reconnais plus Jean?»
Et Jésus reconnaît son Préféré. Il lui tend les bras et Jean s’y élance et les deux pleurent pour deux
douleurs différentes et un unique amour.
Mais ensuite les pleurs se calment et Jésus, le premier, revient à la vision nette des choses. Il se rend
compte que Jean est à peine vêtu, avec sa tunique humide, déchaussé, glacé. «Comment donc es-tu
ici, dans cet état! Pourquoi n’es-tu pas avec les autres?»
«Oh! ne me gronde pas, Maître. Je ne pouvais rester... Je ne pouvais te laisser aller... J’ai quitté mon
vêtement, tout sauf cela, et je me suis jeté à la nage pour revenir à Tarichée et de là par la rive, puis
j’ai franchi le pont et puis je t’ai suivi et je suis resté caché dans le fossé près de la maison, prêt à
venir à ton aide, au moins pour savoir s’ils t’enlevaient, s’ils te faisaient du mal, et j’ai entendu que
l’on se disputait et puis je t’ai vu passer rapidement devant moi. Tu paraissais un ange. Pour te
suivre sans te perdre de vue, je suis tombé dans des fossés et des marécages et je suis tout couvert
de boue. Je dois avoir taché ton vêtement... Je te regarde depuis
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que tu es ici... Tu pleurais?... Que t’ont-ils fait, mon Seigneur? T’ont-ils insulté?
Frappé?»
«Non. Ils voulaient me faire roi. Un pauvre roi, Jean! Et plusieurs voulaient le
faire de bonne foi, par un amour vrai, dans une bonne intention... Le plus grand
nombre... pour pouvoir me dénoncer et se débarrasser de Moi...»
«Qui sont-ils?»
«Ne le demande pas.»
«Et les autres?»
«Ne demande pas non plus leurs noms. Tu ne dois pas haïr et tu ne dois pas critiquer... Moi, je
pardonne...»
«Maître... Il y avait-il des disciples?... Dis-moi cela seulement.»
«Oui.»
«Et des apôtres?»
«Non, Jean, aucun apôtre.»
«Vraiment, Seigneur?»
«Vraiment, Jean.»
«Ah! Louange à Dieu pour cela... Mais pourquoi pleures-tu encore, Seigneur? Je suis avec Toi.
Moi, je t’aime pour tous. Et même Pierre et André et les autres... Quand ils m’ont vu me jeter dans
le lac, ils m’ont traité de fou. Pierre était furieux, et mon frère disait que je voulais mourir dans les
remous. Mais ensuite ils ont compris et ils ont crié: “Que Dieu soit avec toi. Va, va!...” Nous
t’aimons nous, mais personne comme moi, pauvre enfant.»
«Oui, personne comme toi. Tu as froid, Jean! Viens ici sous mon manteau...»
«Non, à tes pieds, ainsi... Mon Maître! Pourquoi ne t’aiment-ils pas tous comme le pauvre enfant
que je suis?»
Jésus l’attire sur son coeur en s’assoyant à côté de lui. «Parce qu’ils n’ont pas ton coeur d’enfant...»
«Ils voulaient te faire roi? Mais ils n’ont pas encore compris que ton Royaume n’est pas de cette
Terre?»
«Ils n’ont pas compris!»
«Sans donner de noms, raconte-moi, Seigneur...»
«Mais tu ne diras pas ce que je t’ai dit?»
«Si tu ne veux pas, Seigneur, je ne le dirai pas...»
«Tu ne le diras que quand les hommes voudront me présenter comme un ordinaire chef populaire.
Un jour cela viendra. Tu seras là et tu diras: “Lui n’a pas été un roi de la Terre parce qu’il ne l’a pas
voulu, parce que son Royaume n’était pas de ce monde. Lui était le Fils de Dieu, le Verbe Incarné,
et il ne pouvait pas accepter
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ce qui est terrestre. Il a voulu venir dans le monde et revêtir une chair pour racheter la
chair et les âmes et le monde, mais il n’a pas voulu accepter les pompes du monde et
les foyers du péché, et il n’a eu en Lui rien de charnel ni de mondain. La Lumière ne
s’est pas enveloppée de ténèbres, l’Infini n’a pas accueilli des choses finies, mais des
créatures, limitées par la chair et le péché, il a fait des créatures qui désormais Lui
ressembleraient davantage en amenant ceux qui croient en Lui à la vraie royauté et en
établissant son Règne dans les coeurs, avant de l’établir dans les Cieux, où il sera
complet et éternel avec tous ceux qui seront sauvés”. Tu diras cela, Jean, à ceux qui
ne voudront voir en Moi qu’un homme, et à ceux qui ne verront en Moi qu’un esprit,
à ceux qui nieront que j’ai subi la tentation... et la douleur... Tu diras aux hommes que
le Rédempteur a pleuré... et qu’eux, les hommes, ont été rachetés aussi par mes
larmes...»
«Oui, Seigneur. Comme tu souffres, Jésus!...»
«Comme je rachète! Mais toi, tu me consoles de la souffrance. A l’aube, nous allons partir d’ici.
Nous trouverons une barque. Me crois-tu si je te dis que nous pouvons aller sans rames?»
«Je croirais même si tu disais que nous irons sans barque...»
Ils restent enlacés, enveloppés dans le seul manteau de Jésus, et Jean finit par s’endormir dans la
tiédeur, fatigué, comme un enfant dans les bras de sa maman.

157. JESUS PARLE DU PREFERE


Jésus dit:
«C’est pour ceux qui ont le coeur droit qu’a été donnée cette page évangélique inconnue et
tellement, tellement explicative. Jean, en écrivant après de nombreux lustres son Evangile, fait une
brève allusion au fait. Obéissant au désir de son Maître, dont il met en lumière plus que tout autre
évangéliste la nature divine, il révèle aux hommes ce détail ignoré, et il le révèle avec cette retenue
virginale qui enveloppait toutes ses actions et toutes ses paroles d’une pudeur humble et réservée.
Jean, mon confident pour les faits les plus graves de ma vie, ne s’est jamais pompeusement prévalu
de ces faveurs que je lui faisais. Mais, au contraire, lisez attentivement, il semble souffrir de
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les révéler et dire: “Je dois dire cela parce que c’est une vérité qui exalte mon
Seigneur, mais je vous demande pardon de devoir montrer que je suis seul à la
connaître” et c’est par des paroles concises qu’il fait allusion au détail connu de lui
seul.
Lisez le premier chapitre de son Evangile où il raconte sa rencontre avec Moi:
“Jean Baptiste se trouvait de nouveau avec deux de ses disciples... Les deux disciples,
ayant entendu ces paroles... André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui
avaient entendu les paroles de Jean et qui avaient suivi Jésus. Le premier que André
rencontra...” Lui ne se nomme pas, au contraire il se cache derrière André qu’il met en
lumière.
A Cana, il était avec Moi, et il dit: “Jésus était avec ses disciples... et ses disciples crurent en Lui”.
C’étaient les autres qui avaient besoin de croire. Lui croyait déjà, mais il ne fait qu’un avec les
autres, comme s’il avait besoin de voir des miracles pour croire.
Témoin à la première fois que j’ai chassé les marchands du Temple, à l’entretien avec Nicodème, à
l’épisode de la Samaritaine, il ne dit jamais: “J’y étais”, mais il garde la ligne de conduite qu’il avait
prise à Cana et il dit: “Ses disciples” même quand il était seul ou avec un autre. Et il continue ainsi,
sans jamais se nommer, en mettant toujours en avant ses compagnons, comme s’il n’avait pas été le
plus fidèle, le toujours fidèle, le parfaitement fidèle.
Rappelez-vous la délicatesse avec laquelle il fait allusion à l’épisode de la Cène, dont il résulte que
c’était lui le préféré reconnu comme tel même par les autres, qui ont recours à lui quand ils veulent
connaître les secrets du Maître: “Les disciples commencèrent donc à se regarder l’un l’autre, ne
sachant pas à qui le Maître faisait allusion. L’un d’eux, le préféré de Jésus, reposait sur sa poitrine.
Simon Pierre lui fit signe et il demanda: ‘De qui parle-t-il?’ Celui-ci, appuyé comme il était sur la
poitrine de Jésus, Lui demanda: ‘Qui est-ce donc, Seigneur?’”
Il ne se nomme pas non plus en tant qu’appelé au Gethsémani avec Pierre et Jacques. Il ne dit pas
non plus: “J’ai suivi le Seigneur”. Il dit: “Simon Pierre le suivit avec un autre disciple, et cet autre
étant connu par le Pontife entra avec Jésus dans l’atrium du Pontife”. Sans Jean, je n’aurais pas eu
le réconfort de le voir, lui et Pierre, dans les premières heures où je fus arrêté, mais Jean ne s’en
vante pas. Un des principaux personnages dans les heures de la Passion, l’unique apôtre qui ne
cessa pas d’y être présent, plein d’amour, plein de pitié, héroïquement présent près du Christ, près
23
de la Mère, en face de Jérusalem déchaînée, il tait son nom même dans l’épisode
saillant de la Crucifixion et des paroles du Mourant: “Femme, voici ton fils” “Voici ta
mère”. C’est “le disciple”, le sans nom, sans autre nom que celui qui a été sa gloire
après avoir été sa vocation: “le disciple”.
Devenu le “fils” de la Mère de Dieu, même après cet honneur il ne s’exalte pas et
dans la Résurrection il dit encore: “Pierre et l’autre disciple (auxquels Marie de
Lazare avait parlé du sépulcre vide) sortirent et allèrent... Ils coururent... mais l’autre
disciple courut plus vite que Pierre et il arriva le premier et, s’étant penché, il vit...
mais il n’entra pas...” Trait de suave humilité! Lui, le préféré, le fidèle, il laisse entrer
Pierre le premier, Pierre, le chef, bien qu’il eut péché par lâcheté. Il ne le juge pas.
C’est son Pontife. Il le secourt même par sa sainteté, car les “chefs” eux-mêmes
peuvent avoir besoin, et même ont besoin de leurs sujets pour en être aidés. Combien
de sujets sont meilleurs que des “chefs”! Ne refusez jamais, ô sujets saints, votre pitié
aux “chefs” qui fléchissent sous un fardeau qu’ils ne savent pas porter ou qui sont
aveuglés et enivrés par la fumée des honneurs. Soyez, ô sujets saints, les Cyrénéens
de vos Supérieurs, soyez, sois, ô mon petit Jean, car c’est à toi que je parle pour tous,
les “Jean” qui courent en avant et qui guident les “Pierre”, et ensuite s’arrêtent pour
les laisser entrer par respect pour leur charge, et qui - oh! chef d’oeuvre d’humilité! -
et qui, pour ne pas mortifier les “Pierre” qui ne savent pas comprendre et croire, en
arrivent à paraître et à laisser croire, qu’ils sont obtus et incrédules eux aussi, comme
les “Pierre”.
Lisez le dernier épisode sur le lac de Tibériade. C’est encore Jean qui, en répétant l’acte fait
d’autres fois, reconnaît le Seigneur dans l’Homme qui est debout sur la rive et, après que l’on eut
partagé la nourriture ensemble, dans la demande de Pierre: “Et de celui-ci, qu’en sera-t-il?” c’est
toujours “le disciple”, rien de plus.
Pour ce qui le concerne, lui, il s’anéantit. Mais quand il s’agit de dire quelque
chose qui fasse resplendir d’une lumière de plus en plus divine le Verbe de Dieu
Incarné, voilà que Jean relève les voiles et révèle un secret.
Au sixième chapitre de l’Evangile, il dit: “S’étant aperçu qu’ils voulaient
l’enlever pour le faire roi, il s’enfuit de nouveau tout seul sur la montagne”. Et il fait
connaître aux croyants cette heure du Christ, pour que les croyants sachent que
multiples et complexes furent les tentations et les luttes auxquelles on soumit le
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Christ en ses diverses qualités d’Homme, de Maître, de Messie, de Rédempteur, de
Roi, et que les hommes et Satan, l’éternel instigateur des hommes, n’épargnèrent
aucune embûche au Christ pour le diminuer, l’abattre, le détruire. Contre l’Homme,
contre le Prêtre Eternel, contre le Maître, aussi bien que contre le Seigneur, montèrent
à l’assaut les méchancetés sataniques et humaines, larvées de prétextes présentés
comme bons. Les passions du citoyen, du patriote, du fils, de l’homme, furent toutes
piquées ou essayées pour découvrir le point faible sous lequel on ferait levier.
Oh! mes enfants, vous qui ne réfléchissez qu’à la tentation du début et à la
tentation de la fin. De mes fatigues de Rédempteur ne vous paraissent “fatigues” que
les dernières, et douloureuses seules les dernières heures, et amères et décevantes les
seules dernières expériences. Mettez-vous pour un instant à ma place. Imaginez que
c’est à vous que l’on fait entrevoir la paix avec les compatriotes, leur aide, la
possibilité d’accomplir les purifications nécessaires pour rendre saint le Pays aimé, la
possibilité de restaurer, de réunir les membres séparés d’Israël, de mettre fin à la
douleur, au servage, au sacrilège. Et je ne dis pas de vous mettre à ma place en
pensant que l’on vous offre une couronne. Je vous dis seulement d’avoir pour une
heure mon coeur d’Homme, et dites-moi: la proposition séduisante, comment vous
aurait-elle laissés? Triomphateurs fidèles à la divine Idée, ou plutôt vaincus? En
seriez-vous sortis plus que jamais saints et spirituels, ou vous seriez-vous détruits
vous-mêmes en adhérant à la tentation ou en cédant aux menaces? Et avec quel coeur
en seriez-vous sortis, après avoir constaté jusqu’à quel point Satan poussait ses armes
pour me blesser dans ma mission et dans mes affections, en faisant égarer sur le
mauvais chemin mes bons disciples et en me mettant en lutte ouverte avec mes
ennemis, désormais démasqués, rendus féroces pour avoir été découverts dans leurs
complots?
Ne restez pas avec le compas et la mesure en mains, avec le microscope et la science humaine, ne
restez pas avec des raisonnements pédants de scribes à mesurer, à confronter, à discuter, si Jean a
bien parlé, jusqu’à quel point est vrai ceci ou cela. Ne superposez pas la phrase de Jean à l’épisode
donné hier pour voir si les circonstances correspondent. Jean ne s’est pas trompé par faiblesse
sénile, et le petit Jean ne s’est pas trompé par faiblesse de malade. Ce dernier a dit ce qu’il a vu. Le
grand Jean, après de nombreux lustres du fait, a raconté ce qu’il savait et avec un fin enchaînement
des lieux et des faits a révélé le secret connu de lui
25
seul de la tentative, non sans malice, de couronnement du Christ.
C’est à Tarichée, après la première multiplication des pains, que prit naissance
dans le peuple l’idée de faire du Rabbi de Nazareth le roi d’Israël. Il y avait là
Manaën, le scribe et plusieurs autres qui, imparfaits encore dans leurs esprits mais
d’un coeur honnête, recueillent l’idée et s’en font les propagateurs pour honorer le
Maître, pour mettre fin à la lutte injuste contre Lui. C’était une erreur dans
l’interprétation des Ecritures, erreur répandue dans tout Israël aveuglé par des rêves
de royauté humaine et par l’espoir de sanctifier la Patrie souillée par beaucoup de
choses.
Et beaucoup, comme c’était naturel, adhérèrent à l’idée avec simplicité. Un grand
nombre feignirent sournoisement d’y adhérer pour me nuire. Ces derniers, unis par
leur haine pour Moi, oublièrent les haines de castes qui les avait toujours tenus
divisés, et s’allièrent pour me tenter afin de donner une apparence de légalité au crime
que déjà ils avaient décidé dans leurs coeurs. Ils espérèrent de ma part une faiblesse,
de l’orgueil. Cet orgueil et cette faiblesse, et par suite l’acceptation de la couronne
qu’ils m’offraient, auraient justifié les accusations qu’ils voulaient lancer contre Moi.
Et ensuite... Et ensuite ils s’en seraient servi pour donner la paix à leurs esprits
sournois et pris de remords, parce qu’ils se seraient dit, en espérant de pouvoir le
croire: “C’est Rome, pas nous, qui a puni l’agitateur Nazaréen”. L’élimination légale
de leur Ennemi, tel était pour eux leur Sauveur...
Voici les raisons de cette tentative de proclamation. Voici la clef des haines plus
fortes qui s’ensuivirent. Voici, enfin, la profonde leçon du Christ. La
comprenez-vous? C’est une leçon d’humilité, de justice, d’obéissance, de courage, de
prudence, de fidélité, de pardon, de patience, de vigilance, de résignation, envers
Dieu, envers ma propre mission, envers mes amis, envers les rêveurs, envers mes
ennemis, envers Satan, envers les hommes dont il se servait pour me tenter, envers les
choses, envers les idées. Tout doit être contemplé, accepté ou repoussé, aimé ou non,
en regardant la sainte fin de l’homme: le Ciel, la Volonté de Dieu.

Petit Jean, telle a été une des heures de Satan pour Moi. Comme le Christ les a
eues, ainsi les ont les petits “Christ”. Il faut les subir et les surmonter sans orgueil et
sans découragement. Elles ne sont pas sans but, sans un but qui est bon. Ne crains pas,
cependant. Dieu, pendant ces heures, n’abandonne pas mais secourt celui qui est
fidèle. Et ensuite descend l’Amour pour faire des fidèles des rois. Et, en outre encore,
une fois finie l’heure de la Terre, les fidèles montent au Royaume, dans la paix pour
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toujours, victorieux pour toujours...
Ma paix, petit Jean, couronné d’épines. Ma paix...»

158. A BETHSAIDA ET CAPHARNAUM.


DEPART POUR UN NOUVEAU VOYAGE APOSTOLIQUE

«Dirige la barque vers Bethsaïda» commande Jésus qui est avec Jean dans une
petite barque, une vraie coquille de noix, au milieu du lac qui s’éclaircit lentement en
même temps que la lumière du jour.
Jean obéit sans parler. Un petit vent plutôt énergique tend la petite voile et fait
glisser rapidement la barque qui penche même d’un côté, tant est rapide sa marche. La
côte orientale court rapidement et la courbe du côté nord du lac devient de plus en
plus proche.
«Aborde avant le village. Je veux aller chez Porphyrée sans être vu par d’autres,
et toi, rejoins-moi ensuite à l’endroit habituel et attends-moi dans la barque.»
«Oui, Maître. Et si quelqu’un me voit?»
«Retiens-les tous sans dire où je suis. J’aurai vite fait.»
Jean remarque sur la plage un point qui est favorable pour l’abordage et il le
trouve dans un semblant, un vrai semblant de torrent sableux dans lequel on a enlevé
du sable pour quelque besoin, de sorte qu’il forme un petit golfe de quelques mètres
mais dans lequel une barque peut accoster au bord qui est à environ cinquante
centimètres au-dessus de l’eau.
C’est là qu’il va. La barque frôle légèrement la grève mais réussit à accoster et
Jean la tient arrêtée contre le bord en s’agrippant à une racine qui sort du sable. Jésus
saute sur la rive. Jean appuie la rame contre le bord et il force pour pousser de
nouveau la barque dans le lac. Il y parvient. Il lève son visage qu’éclaire son bon
sourire et il dit: «Adieu, Maître.»
«Adieu, Jean» et Jésus s’éloigne au milieu des arbres alors que Jean louvoie avec sa petite barque.
Jésus tourne vers l’intérieur, passe à travers les jardins en arrière de Bethsaïda. Il va rapidement
pour éviter d’entrer dans le village quand il va s’animer. Il arrive, sans rencontrer personne, à la
maison de Pierre et frappe à la porte de la cuisine. Après quel-
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ques secondes, la tête de Porphyrée se fait voir hésitante au-dessus du muret du toit.
Elle voit et pousse un «Oh!» de stupeur. Elle rassemble avec la main sa splendide
chevelure - son unique beauté - toute défaite sur ses épaules, et elle court en bas par le
petit escalier, déchaussée comme elle l’est, dans la toilette rapide du matin.
«Seigneur, Toi! Seul?»
«Oui, Porphyrée. Où est Margziam?»
«Il dort. Il dort encore. Il est resté un peu triste, un peu languissant le petit... et je
le ménage un peu. C’est l’âge aussi... la croissance... Quand il dort, il ne pense pas et
ne pleure pas...»
«Il pleure souvent?»
«Oui, Maître. Je crois que c’est sa faiblesse actuelle et je cherche à le fortifier... et
à le consoler... Mais lui dit: “Je reste seul. Tous ceux que j’aime s’en vont. Quand
Jésus ne sera plus là...” et il le dit comme si tu devais nous quitter... Certes... il a eu
beaucoup de peines dans sa vie... Mais moi, mais Simon, nous l’aimons... tant,
crois-le, Maître.»
«Je le sais. Mais son âme devine... Porphyrée, j’ai besoin justement de te parler de ces choses. C’est
pour cela que je suis venu, sans Simon, à cette heure. Où devons-nous aller pour que Margziam
n’entende pas et que personne ne nous dérange?»
«Seigneur... Je n’ai que... la chambre nuptiale, ou bien la pièce des filets...
Margziam est au-dessus, j’y étais moi aussi car, pour fuir la chaleur, nous sommes
allés dormir là-haut...»
«Allons dans la pièce des filets. Elle est plus loin et Margziam n’entendra pas, même s’il s’éveille.»
«Viens, Seigneur» et Porphyrée le conduit dans la pièce rustique encombrée de toutes sortes de
choses: filets, rames, provisions, de foin pour les brebis, d’un métier à tisser...
Porphyrée se hâte de débarrasser une sorte de table appuyée contre le mur et de l’essuyer avec un
paquet d’étoupe pour que le Maître s’y assoie.
«Peu importe, femme, je ne suis pas fatigué.»
Porphyrée lève ses yeux pleins de douceur sur le visage défait, fatigué de Jésus, et
elle semble vouloir Lui dire: «Si, tu l’es.» Mais, habituée à se taire, elle ne parle pas.
«Ecoute, Porphyrée. Tu es une brave femme et une bonne disciple. Je t’ai
beaucoup aimée depuis que je te connais et c’est avec une grande joie que je t’ai
accueillie comme disciple et que je t’ai confié l’enfant. Je sais que tu es prudente et
vertueuse comme il y en a peu. Et je sais que tu sais te taire, vertu très rare chez les
fem-
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mes. Pour toutes ces raisons, je suis venu te parler en secret et te confier une chose
que personne ne connaît, pas même les apôtres, pas même Simon. Je te la confie parce
que je dois te dire comment tu dois te comporter à l’avenir avec Margziam... et avec
tout le monde... Je suis sûr que tu contenteras ton Maître pour ce que je te demande et
que tu seras prudente comme toujours...»
Porphyrée, qui est devenue vraiment rouge en entendant l’éloge de son Seigneur,
n’acquiesce que de la tête, trop émue - elle si timide et si habituée à être dominée par
des volontés autoritaires qui s’imposent à elle sans savoir si elle est disposée à
consentir... - trop émue pour dire par des mots qu’elle consent.
«Porphyrée... je ne reviendrai jamais plus par ici, jamais plus jusqu’à ce que tout soit accompli... Tu
sais, n’est-ce pas, ce que je dois accomplir?...»
Porphyrée, à ces mots, a laissé aller ses cheveux qu’elle retenait encore sur la nuque de la main
gauche et elle a, plus qu’un cri, un sanglot qu’elle étouffe en portant ses deux mains à son visage,
alors qu’elle glisse à genoux en gémissant: «Je le sais, Seigneur, mon Dieu...» et elle pleure d’un
pleur silencieux qui ne se manifeste que par les larmes qui dégouttent par terre des doigts appuyés
sur le visage.
«Ne pleure pas, Porphyrée. C’est pour cela que je suis venu. Je suis prêt... et ils
sont prêts ceux qui, en servant le Mal, serviront le Bien, en vérité, parce qu’ils feront
lever l’heure de la Rédemption. Elle pourrait s’accomplir dès maintenant parce que
Moi, aussi bien qu’eux, nous sommes préparés... et toute autre heure qui passe, ou
tout événement qui surviendra ne seront que... un perfectionnement pour leur crime
et... pour mon Sacrifice. Mais même ces heures, nombreuses encore, qui passeront
avant cette heure, serviront... Il y a encore quelque chose à accomplir et à dire pour
que tout ce qui était à accomplir, en me faisant connaître, soit fait... Mais je ne
reviendrai plus ici... Je regarde pour la dernière fois cet endroit... et j’entre pour la
dernière fois dans cette maison honnête... Ne pleure pas... Je n’ai pas voulu m’en aller
sans te dire adieu et te donner la bénédiction de ton Maître. Je vais emmener
Margziam avec Moi. Je vais l’emmener avec Moi maintenant, en allant vers les
confins de la Phénicie, et puis quand je descendrai en Judée pour les Tabernacles. Il
ne me manquera pas la possibilité de le renvoyer avant le plein hiver. Pauvre enfant!
Il va jouir de Moi pendant quelque temps. Et puis... Porphyrée, il n’est pas bien que
Margziam soit présent à mon heure. Tu ne le laisseras donc pas
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partir pour la Pâque...»
«Le précepte, Seigneur...»
«Je l’absous du précepte. Je suis le Maître, Porphyrée, et je suis Dieu, tu le sais. Comme Dieu, je
puis l’absoudre à l’avance d’une omission qui n’en est même pas une, puisque je la commande pour
un motif de justice. L’obéissance à mon ordre est déjà par elle-même une absolution à l’omission du
précepte, car l’obéissance à Dieu - et c’est aussi un sacrifice pour Margziam - est toujours
supérieure à toute autre chose. Et je suis le Maître. N’est pas un bon Maître celui qui ne sait pas
mesurer les possibilités et les réactions de son disciple, et ne sait pas réfléchir aux conséquences
qu’un effort supérieur à ce qu’un disciple peut supporter, peut produire en lui. Même en imposant
les vertus, il faut être prudent et ne pas demander un maximum que la formation spirituelle et les
ressources générales de l’être ne peuvent donner. En exigeant une vertu ou une maîtrise spirituelle
trop forte, par rapport au degré des forces spirituelles, morales et même physiques, atteint par une
créature, on peut produire une dispersion des forces déjà accumulées et un brisement de l’être dans
ses trois degrés: spirituel, moral, physique. Margziam, pauvre enfant, a déjà trop souffert et a trop
connu la brutalité de ses semblables, jusqu’à éprouver de la haine pour eux. Il ne pourrait supporter
ce que sera ma Passion: une mer d’amour douloureux dans laquelle je laverai les péchés du monde,
et une mer de haine satanique qui essaiera de submerger tous ceux que j’ai aimés et d’anéantir tout
mon travail de Maître. En vérité je te dis que même les plus forts ploieront sous la marée de Satan,
du moins pour un court laps de temps... Mais je ne veux pas que Margziam ploie et boive cette eau
désolante... C’est un innocent... et il m’est cher... J’ai pitié, grande pitié, de celui qui a déjà souffert
plus que ses forces ne le lui permettaient... J’ai rappelé dans l’au-delà l’esprit de Jean d’Endor...»
«Il est mort Jean? Oh! Margziam avait écrit plusieurs rouleaux pour lui... Une autre souffrance pour
l’enfant...»
«Moi, je lui parlerai de la mort de Jean... Je disais que je l’ai enlevé de la vie pour
le préserver lui aussi du choc de cette heure. Jean aussi avait trop souffert des
hommes. Pourquoi réveiller les sentiments assoupis? Dieu est bon. Il éprouve ses
enfants, mais ce n’est pas un expérimentateur imprudent... Oh! si les hommes savaient
en faire autant! Combien moins de ruines des coeurs, ou même simplement combien
moins de bourrasques dangereuses dans les coeurs!... Mais, pour revenir à Margziam,
il ne doit pas
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venir à la prochaine Pâque. Pour le moment, tu ne lui en parleras pas. Quand ce sera le
moment, tu lui parleras ainsi: “Le Maître m’a donné l’ordre de ne pas t’envoyer à
Jérusalem, et il te promet une récompense singulière si tu Lui obéis”. Margziam est
bon et il obéira... Porphyrée, c’est cela que je veux de toi: ton silence, ta fidélité, ton
amour.»
«Tout ce que tu veux, mon Seigneur. Tu honores trop ta pauvre servante... Je ne
mérite pas tant... Va en paix, mon Maître et mon Dieu. Je ferai ce que tu veux...» mais
la douleur a raison d’elle et elle tombe le visage contre terre - tout d’abord, elle était
restée à genoux, reposant sur ses talons, les yeux fixés sur le visage de Jésus - elle
tombe à terre, toute couverte du manteau de ses cheveux de jais, et elle éclate en
sanglots: «Mais quelle douleur, Maître! Oh! quelle douleur! Qu’est-ce qui finit!
Qu’est-ce qui finit pour le monde! Pour nous qui t’aimons! Pour ta servante! Le Seul!
Le Seul qui m’a vraiment aimée! qui ne m’a jamais méprisée! qui n’a pas été
autoritaire avec moi! qui m’a traitée comme les autres, moi si ignorante, si pauvre, si
sotte! Oh! Margziam et moi, car c’est Margziam qui me l’avait dit le premier, puis
nous nous étions tranquillisés... Tout le monde disait que cela ne pouvait être vrai...
Tous: Simon, Nathanaël, Philippe... leurs femmes... et eux savent, eux sont sages... et
Simon... hé! mon Simon, si tu l’as choisi, il doit valoir quelque chose!... et tous! tous
disaient que cela ne peut être... Mais maintenant, c’est Toi qui le dis, c’est Toi qui le
dis... et on ne peut douter de ta parole...» Elle est vraiment désolée, et sa douleur est
émouvante.
Jésus se penche assez pour lui mettre une main sur la tête: «Ne pleure pas ainsi... Margziam va
entendre... Je le sais... Personne n’y croit, personne ne veut arriver à croire... et leur sagesse elle-
même et leur amour lui-même sont la cause de leur refus de croire... Mais c’est ainsi... Porphyrée, je
m’en vais. Avant de te quitter, je te bénis pour maintenant et pour toujours. Pense toujours que je
t’ai aimée et que j’ai été content de ton amour pour Moi. Je ne te dis pas: persévère en lui. Je sais
que tu le feras car le souvenir de ton Maître sera toujours ta douceur et tu y trouveras ton refuge. Ta
douceur et ta paix, même à l’heure de la mort. Pense à ce moment-là que ton Maître est mort pour
t’ouvrir le Paradis et qu’il t’y attend... Allons, lève-toi! Je vais éveiller Margziam et le retenir. Toi,
efface les traces de tes pleurs et puis rejoins-nous. Jean m’attend pour me conduire à Capharnaüm.
Si tu as des choses à envoyer à Simon, prépare-les. Rappelle-toi qu’il va avoir besoin
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de ses vêtements lourds...»
Porphyrée, créature toute soumise et prompte à obéir, baise les pieds de Jésus et
elle va se lever, puis une vague d’amour lui fait perdre la tête et, en rougissant
vivement, elle prend les deux mains de Jésus et les baise une, deux, dix fois, puis elle
se lève et le laisse aller...
Jésus sort, monte sur la terrasse, pénètre sous une sorte de pavillon fait de voiles tendues sur des
cordes, sous lequel se trouvent deux couchettes. Margziam dort encore, le visage presque baissé,
appuyé sur le petit oreiller. On ne voit qu’une pommette de son visage brun et un bras long et
maigre qui sort de sous le drap qui le couvre.
Jésus s’assoit par terre, près du petit lit, et caresse légèrement les mèches
dépeignées qui retombent sur la joue pâle du dormeur, qui fait un mouvement sans
encore s’éveiller. Jésus répète son geste, et se penche pour déposer un baiser sur le
front le visage qui maintenant est découvert. Margziam ouvre les yeux et voit Jésus à
côté de lui, penché vers lui. Il a du mal à croire, peut-être pense-t-il qu’il rêve, mais
Jésus l’appelle et alors le jeune garçon se dresse et se jette dans les bras de Jésus, s’y
réfugie...
«Toi ici, Maître?»
«Je suis venu te prendre pour t’emmener avec Moi pour quelques mois. Es-tu content?»
«Oh! Et Simon?»
«Il est à Capharnaüm. Moi, je suis venu avec Jean...»
«Il est revenu lui aussi? Il doit être heureux! Je lui donnerai ce que j’ai écrit.»
«Je ne parle pas de Jean d’Endor, mais de Jean de Zébédée. N’es-tu pas content?»
«Si, je l’aime bien. L’autre aussi... presque davantage...»
«Pourquoi, Margziam? Jean de Zébédée est si bon.»
«Oui, mais l’autre est si malheureux et moi aussi je l’ai été et je le suis encore un peu... Entre gens
qui souffrent, on se comprend et on s’aime...»
«Serais-tu content de savoir qu’il ne souffre plus et qu’il est très heureux?»
«Oui, je le serais. Mais il ne peut être heureux que s’il est avec Toi. Ou bien... Il est peut-être mort,
Seigneur?»
«Il est dans la paix, et il faut en être content, sans égoïsme, car il est mort en juste et parce que
maintenant il n’y a plus de séparation entre son esprit et le nôtre. Nous avons un ami de plus qui
prie
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pour nous.»
Margziam a deux grosses larmes sur son visage vraiment très amaigri et pâle,
mais il murmure: «C’est vrai.»
Jésus ne dit rien d’autre à ce sujet, et il ne fait pas d’observations sur l’état physique et moral de
Margziam qui est visiblement très affaibli. Mais, au contraire, il dit: «Allons, partons! J’ai déjà
parlé à Porphyrée qui a certainement préparé tes vêtements. Prépare-toi, toi aussi, car Jean nous
attend. Nous allons faire une surprise à Simon. N’est-ce pas sa barque qui revient à Capharnaüm? Il
a peut-être pêché au retour...»
«Oui, c’est elle. Où allons-nous, Seigneur?»
«Au nord, et puis en Judée.»
«Pour longtemps?»
«Pour longtemps.»
Margziam, réjoui à la pensée de rester avec Jésus, se lève promptement et court se laver au lac; il
revient avec les cheveux encore humides, en criant: «J’ai vu Jean, il m’a fait un signe pour me
saluer. Il est à l’embouchure, au milieu des roseaux...»
«Allons.»
Ils descendent. Porphyrée est en train de finir de fermer deux sacs, et elle explique: «J’ai pensé
envoyer plus tard les vêtements lourds, par mon frère, pour les Tabernacles, au Gethsémani. Vous
marcherez plus à l’aise, aussi bien toi que ton père» et tout en finissant de lier les courroies, elle
montre ce qu’elle a préparé: lait, pain, fruits...
«Nous allons tout prendre et nous mangerons dans la barque. Je veux partir avant qu’il n’y ait trop
de monde sur la rive. Adieu, Porphyrée. Que Dieu te bénisse toujours et que la paix des justes soit
toujours en toi. Viens, Margziam.»...
Ils ont vite fait le court trajet et pendant que Margziam va trouver Jean, Jésus va à la barque, rejoint
tout de suite par les deux qui courent à travers les roseaux. Ils sautent dans la barque en appuyant la
rame contre le bord pour se mettre ex eau profonde.
Le bref parcours est vite accompli, et ils s’arrêtent sur la plage de Capharnaüm, pour attendre la
barque de Pierre qui va arriver. L’heure leur permet d’échapper à l’assaut des gens et ils peuvent
manger en paix leur pain et leurs fruits, étendus sur le sable, à l’ombre de la barque.
Simon ne connaît pas la petite barque. Aussi, seulement quand il met le pied sur la rive et quand il
voit Jésus se dresser de derrière la barque, qu’il le remarque.
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«Maître! et toi, Margziam! Mais depuis quand?»
«Depuis tout à l’heure. Je suis passé par Bethsaïda. Fais vite. Il faut partir tout de suite...»
Pierre le regarde et ne dit rien. Lui et ses compagnons déchargent la barque du poisson qu’il a pris,
des sacs de vêtements, y compris celui de Jean qui peut finalement s’habiller. Et Simon demande
quelque chose à son compagnon, qui lui fait un signe comme pour lui dire: «Attends...»
Ils vont à la maison. Ils entrent. Les apôtres qui étaient restés accourent.
«Faites vite. On part tout de suite. Prenez tout, car on ne revient pas ici» commande Jésus.
Les apôtres se regardent entre eux, et c’est une mimique de signes entre les deux groupes. Mais ils
obéissent. Je crois même qu’ils le font avec empressement pour pouvoir parler entre eux dans les
autres pièces...
Jésus reste dans la cuisine avec Margziam et prend congé des propriétaires de la maison, mais il ne
leur dit pas: «Je ne reviens plus» et il ne le dit pas non plus à ceux de Capharnaüm qui le voient et le
saluent. Il les salue simplement, comme il le fait toutes les fois qu’il s’en va. Il s’arrête seulement à
la maison de Jaïre, mais Jaïre n’est pas revenu...
Il rencontre, près de la fontaine, la petite vieille qui habite près de la maison du petit Alphée et il lui
dit: «Sous peu, une veuve va venir ici. Elle te cherchera. Elle s’établit ici. Sois une amie pour elle et
aimez beaucoup l’enfant et ses frères... Faites-le saintement, en mon nom...»
Il reprend sa marche en disant: «J’aurais voulu saluer tous les enfants...»
«Tu peux le faire, Maître. Pourquoi ne t’es-tu pas reposé? Tu es bien las. Ton visage est pâle et ton
oeil fatigué. Cela va te faire mal... Il fait encore chaud et tu n’as certainement pas dormi, ni à
Tibériade, ni là-bas chez Chouza...»
«Je ne peux pas, Simon. Je dois aller dans certains endroits et le temps presse...»
Ils sont près de la rive. Jésus appelle les garçons de Pierre et il les salue, en leur donnant l’ordre de
reconduire la petite barque dans le village avant Ippo et de la rendre à Saül de Zacharie.
Il prend la route ombragée qui côtoie le fleuve, il la suit jusqu’à une bifurcation dans laquelle il
s’engage.
«Où allons-nous, Seigneur?» demande Simon qui jusqu’alors
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avait parlé à voix basse avec ses compagnons.
«Chez Jude et Anne, et ensuite à Corozaïn. Je veux saluer mes bons amis...»
Autres coups d’oeil des apôtres entre eux et autre murmure à voix basse. Enfin Jacques d’Alphée
s’avance et rejoint Jésus qui est tout en avant avec Margziam.
«Frère, nous ne revenons plus par ici, puisque tu dis que tu veux saluer les amis?
Nous désirerions le savoir.»
«Certainement que vous y reviendrez, mais dans plusieurs mois.»
«Et Toi?»
Jésus fait un geste évasif... Margziam se retire discrètement et se joint aux autres, c’est-à-dire à
tous, sauf Jacques d’Alphée qui est avec Jésus et l’Iscariote qui est seul, en derrière, plutôt sombre
et comme nonchalant.
«Frère, que test-il arrivé?» dit Jacques en mettant une main sur l’épaule de Jésus.
«Pourquoi le demandes-tu?»
«Parce que... Je ne sais pas. Nous nous le demandons tous. Tu nous sembles différent... Tu es venu
seul avec Jean... Simon a dit que tu as été l’hôte de Chouza... Tu ne reposes pas... Tu ne salues que
peu de gens... Il semble que tu ne veux plus revenir ici... Et ton visage... Nous ne méritons plus de
savoir? Pas même moi... Tu m’aimais... Tu m’as dit des choses que seul je connais...»
«Je t’aime encore, mais je n’ai rien à dire. J’ai perdu un jour de plus que prévu. Je
le rattrape.»
«Etait-il nécessaire d’aller au nord?»
«Oui, frère.»
«Alors... Oh! tu as souffert, je le sens...»
Jésus enlace son cousin en lui passant un bras derrière les épaules: «Jean d’Endor est mort. Tu le
sais?»
«Simon me l’a dit pendant que je préparais les vêtements. Et puis?...»
«Je me suis séparé de ma Mère.»
«Et puis?» Jacques, plus petit que Jésus, le regarde par en dessous, insistant, inquisiteur.
«Et puis je suis content d’être avec toi, avec vous, avec Margziam. Je vais le garder avec moi,
quelques mois. Il en a besoin. Il est triste et souffrant. L’as-tu vu?»
«Oui, mais il ne s’agit pas de cela... Tu ne veux pas le dire, n’importe. Je t’aime
bien, même si tu ne me traites pas en ami.»
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«Jacques, tu es pour Moi plus qu’un ami. Mais mon coeur a besoin de repos...»
«Et donc de ne pas parler de ce qui te fait souffrir. J’ai compris. C’est Judas qui t’afflige?»
«Qui? Ton frère?»
«Non, l’autre.»
«Pourquoi cette question?»
«Je ne sais. Pendant que tu étais absent, un envoyé de nous ne savons pas qui a cherché Judas
plusieurs fois. Lui l’a toujours repoussé, mais...»
«Pour vous tout acte de Judas est toujours un crime. Pourquoi manquer à la charité?...»
«C’est qu’il est tellement torve, troublé. Il fuit ses compagnons. Il est nonchalant...»
«Laisse-le faire. Depuis plus de deux années qu’il est avec nous, il a toujours été ainsi... Pense aux
deux petits vieux, comme ils vont être heureux. Et sais-tu pourquoi je vais là? Je veux leur
recommander le petit menuisier de Corozaïn...»
Ils s’éloignent en parlant. Derrière eux, en groupe, viennent les apôtres qui ont attendu Judas pour
ne pas le laisser seul en arrière, bien qu’il soit si visiblement ennuyé que cela n’incite vraiment pas
à l’avoir avec soi.

159. CHEZ JUDE ET ANNE PRES DU LAC DE MERON

Ils arrivent tout échauffés, bien qu’ils aient marché à travers les vergers touffus
dont les branches ploient sous le poids des fruits mûrs. Des vignes nombreuses et
magnifiques, arrive l’odeur caractéristique du raisin quand les grappes sont déjà
mûres et que les feuilles commencent à se flétrir à l’automne.
On voit arriver d’abord deux paysans qui reviennent des vergers, chargés de paniers de pommes
superbes et ils préviennent un serviteur qui fait la commission. Pendant ce temps les deux paysans
saluent Jésus et annoncent que «de nombreux disciples se sont arrêtés dans la maison venant des
montagnes de la Gaulanitide et de l’Iturée, et se dirigeant vers Jérusalem» et que «leurs maîtres ont
décidé d’aller avec eux aux Tabernacles par la Décapole et la
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Pérée.» Mais ils n’ont pas fini de donner les nouvelles que déjà les maîtres, précédés
et suivis de nombreux disciples, accourent hors de la maison à la rencontre du Maître.
Parmi les disciples il y a presque tous ceux qui étaient bergers à Bethléem et avec
eux il y en a d’autres, comme le premier lépreux guéri et l’estropié miraculé, son ami
et d’autres encore, c’est-à dire ceux de l’au-delà du Jourdain, moins Timon. Je ne vois
pas Isaac, ni Etienne, ni Hermas, ni Hermastée, ni Joseph d’Emmaüs, ni non plus
Abel de Bethléem, ni Nicolaï d’Antioche, ni Jean d’Ephèse. A eux se mêlent
serviteurs et paysans parmi lesquels l’enfant guéri de la paralysie à l’autre vendange
et sa mère.
«La paix soit avec vous tous et à cette maison» dit Jésus en levant la main pour bénir.
«Entre, Maître, et repose-toi sous notre toit. La saison est encore chaude pour marcher à ces heures,
mais nous allons te donner de quoi te restaurer, et les pièces sont fraîches pour la nuit.»
«Je ne vais rester ici que quelques heures. Ce soir, je vais partir. Il y a peu de temps avant les
Tabernacles et je dois aller dans plusieurs endroits.»
Les maîtres sont déçus, mais n’insistent pas. Ils disent seulement: «Nous
espérions que tu nous attendrais. Demain c’est la vendange et la récolte des fruits est
déjà commencée. Et après le foulage du raisin, nous serions tous partis avec tes
disciples qui sont là. Nous sommes âgés, et les routes sont peu sûres depuis que des
bandes de voleurs sont venues, nous ne savons pas d’où, infester cette rive du
Jourdain. Ils se cachent dans les montagnes de Rabbath Ammon et de Galaad, le long
de la vallée du Jaboc, et ils tombent sur les caravanes. Les légionnaires de Rome leur
donnent la chasse... Mais... sont-elles bonnes les rencontres avec eux? Nous préférons
être avec eux. Ce sont tes disciples et Dieu les protège certainement.»
Jésus a un fin sourire, mais il ne dit rien à ce sujet. Il entre dans la maison et apprécie les
rafraîchissements que les hôtes offrent aux membres et aux gorges desséchées, et ensuite il écoute
les disciples qui racontent le travail qu’ils ont fait sur les montagnes: «Mais avec peu de fruit,
Maître. Peu, même à Césarée de Philippe, où pourtant nous n’avons pas été molestés. Mais nous y
retournerons avec Toi. Et alors!»
Jésus les regarde, ne les déçoit pas et répond: «En persévérant, vous les convertirez certainement.
Dieu aide toujours ses serviteurs.»
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Et puis Jésus les quitte pour rejoindre la maîtresse de maison qui prépare
personnellement les tables et il l’invite à sortir avec Lui parce qu’il doit lui parler. La
bonne petite vieille ne se le fait pas dire deux fois et, pour ne pas aller à la chaleur, au
dehors, elle conduit Jésus dans une longue pièce, fraîche, au nord.
«Anne, tu dis toujours que tu voudrais me servir de toutes manières...»
«Oui, mon Seigneur, Jude et moi. Mais tu ne recours jamais à nous. C’est grande
fête maintenant pour nous parce que tes disciples sont un peu de Toi, et les avoir dans
la maison nous semble te servir.»
«Ce l’est en effet, car ce qui est fait à un disciple est fait au Maître, et même une seule coupe d’eau
ou un pain donné pour secourir quelqu’un qui se fatigue pour Moi trouvera une récompense auprès
de Dieu Lui-même. Les disciples prennent soin de l’esprit des fidèles et les fidèles doivent avoir de
l’amour pour les disciples et subvenir à leurs besoins en pensant qu’ils ont renoncé à tout, prêts
même à renoncer à leur vie pour donner aux fidèles la Voie, la Vie et la Vérité que leur Maître leur
a données avec l’ordre de les donner aux fidèles.»
«Oh! Seigneur, permets-moi d’appeler mon Jude. Ta parole est si sainte!...»
«Appelle ton Jude» consent en souriant Jésus. Et la femme sort pour revenir avec son mari, auquel
elle est en train de répéter les paroles du Maître.
«Nous, crois-le, nous le ferions volontiers. Mais nous sommes à l’écart de la route et, certainement
à cause de cela, tes disciples viennent peu ici» dit le vieillard et on sent son regret d’être ainsi laissé
de côté.
«Je leur dirai de venir souvent. Et, en attendant, je vous demande une grâce...»
«Toi? Mais c’est une grâce pour nous de te servir! Commande, Seigneur. Nous
sommes âgés et nous ne pouvons te suivre comme beaucoup le font, mais nous avons
le désir de te servir. Que veux-tu? Quand bien même ce serait ces vignes et cette
maison, si chères parce qu’elles viennent de mon père et parce que c’est ici que sont
nés nos enfants, dis-nous si cela t’agrée, si tu les veux nous te les donnons,
promets-nous seulement la miséricorde divine sur nos esprits.»
«Ne doutez pas qu’elle puisse vous manquer, mais je ne vous demande pas un si
grand sacrifice. Ecoutez. Je vais en Judée, et
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l’hiver arrive. A Corozaïn, il y a une veuve avec de nombreux enfants, et l’aîné est un
peu plus qu’enfant. Son père était menuisier...»
«Ah! Le menuisier! oh! tout le monde a parlé de ce que tu as fait... Mais Corozaïn
ne s’est pas convertie, bien que plus que ta parole ce que tu as fait aurait dû l’obtenir.
La mère a travaillé au grain... Mais elle a peu de santé... Nous savons, nous savons.»
«Eh bien, je ne vous demande pas d’en faire des oisifs, mais de les aider. Vous trouverez l’occasion
de les occuper à ceci ou cela. Pensez à Joseph, et que la juste rétribution soit complétée par votre
affectueuse pitié.»
«Oh! Maître! Si peu? Moi, je dirais, qu’en dis-tu, ma femme? Moi, je dirais de prendre les deux
fillettes qui glaneront chez nous. La maison est grande et toi, tu es vieille et vieilles sont Marie et
Noémi... Pour les petites choses...»
«C’est ce que nous ferons, Jude, en souvenir de notre petite... De l’unique fille, Seigneur... Elle a
fleuri trois printemps... et puis... Tant les années passées, mais la douleur est toujours là... Si tu
avais été parmi nous elle ne serait pas morte... Je ne l’aurais pas perdue... Une fille c’est toujours un
sourire...» La petite vieille est émue et le vieillard soupire.
«Elle n’est pas perdue... Elle vous attend... C’est un esprit innocent et vous soyez certains de le
retrouver. Il faut craindre davantage pour les fils qui sont adultes et qui ne sont pas complètement
sur les chemins du Seigneur...»
«C’est vrai! C’est vrai!... Tu sais, Seigneur... Tu sais tout. Dans cette maison si tranquille, il y a
cette douleur... Maître, le sacrifice peut obtenir grâce, parfois?»
«Non pas parfois. Toujours.»
«Ah! c’est doux de t’entendre le dire. Va en paix, Maître. La veuve de Corozaïn sera aidée et tu les
trouveras contents au printemps, car si tu les recommandes pour l’hiver, c’est signe que tu ne
reviens pas avant le printemps.»
«Je ne reviens pas... Je descends en Judée et je ne reviens pas.»
«Et il vient aussi en Judée le petit disciple?»
«Oui, Margziam vient en Judée...»
«Long voyage, Maître. Il est très hâve...»
«Il a perdu son dernier parent. Vous connaissez son histoire... et cette nouvelle douleur l’a affaibli.»
«C’est aussi l’âge et la croissance... Mais nous savons... et nous savons aussi le bien qu’il fait. Un
petit maître, vraiment un petit
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maître... Son parent était dans la plaine d’Esdrelon, n’est-ce pas? Et il est mort là? Et
lui a beaucoup souffert en cet endroit?»
«Oui, femme. Pourquoi le demandes-tu?»
«Parce que... Maître, je ne devrais pas le dire à Toi qui es Maître, mais moi, je suis femme et mère,
et j’ai pleuré... Je te dis: pourquoi veux-tu l’emmener vers ces lieux? Laisse-le-moi jusqu’à
Jérusalem... Il me semblera descendre encore à la Cité sainte avec nos jeunes enfants... et lui ne se
fatiguera pas et ne souffrira pas davantage. Les autres disciples viennent aussi...»
Jésus réfléchit. Il objecte: «Margziam est heureux d’être avec Moi, et Moi avec lui.»
«Oui, mais si tu le lui dis, il obéira avec plaisir. Ce ne seront que quelques jours
de séparation. Qu’est-ce qu’un peu plus de deux semaines pour qui est si jeune? Il a le
temps de jouir de Toi...»
Jésus la regarde, regarde son mari. Tous les deux ignorent qu’il n’est pas long le
temps qui reste pour jouir du Sauveur. Mais il ne dit rien. Il ouvre les bras comme
pour dire: «Qu’il soit comme vous voulez» et il dit seulement: «Alors, appelez
Margziam et Simon.»
Le vieil homme sort et revient avec les deux. Simon a le regard inquisiteur. Il semble soupçonner je
ne sais quoi. Mais quand il entend le motif, il se calme et dit: «Que Dieu vous récompense! Le fils
est très fatigué et, à dire vrai, il me paraissait imprudent de le faire tant marcher...»
«Mais je venais volontiers! J’étais avec le Maître, et si le Maître m’emmenait avec Lui, c’était signe
que je pouvais aller... Lui fait tout très bien...» et il y a presque des larmes dans la voix de
Margziam.
«C’est vrai, Margziam. Mais aussi il faut être condescendant. Ce sont deux bons amis, pour Moi, et
pour tous mes amis. Pour Moi, je consens à leur désir et toi...»
«Comme tu veux, mon Maître. Mais à Jérusalem, pourtant...»
«A Jérusalem, tu viens avec Moi» promet Jésus. Et le brave Margziam ne réplique rien.
Ils sortent de la pièce, et Jésus va trouver les disciples qui sont heureux ce cette rencontre inespérée.
Le vieux maître tourne autour du groupe. Jésus le remarque et l’interroge.
«Voilà, je voudrais ta parole. Tu es fatigué, je le vois. Mais avant le repas qui précède le repos,
parce que tu vas te reposer au moins jusqu’au soir, ne diras-tu rien?»
«Je parlerai avant de partir. Ainsi même les serviteurs de la mai-
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son et ceux des champs pourront m’entendre. Maintenant ta femme nous appelle, tu le
vois?...»
Et Jésus se lève pour entrer dans la pièce où on a préparé les tables pour les hôtes
bénis.

160. JESUS DIT LA PARABOLE SUR LA DISTRIBUTION DES EAUX

Certainement s’est répandue la nouvelle que le Maître est là et qu’il va parler


avant le soir. Les alentours de la maison fourmillent de gens qui parlent tout bas,
sachant que le Maître se repose et ne voulant pas l’éveiller, ils attendent patiemment
sous les arbres qui les défendent du soleil mais pas de la chaleur qui est encore forte.
Il n’y a pas de malades, il me semble du moins, mais comme toujours il y a des
enfants, et Anne, pour les tenir tranquilles, fait distribuer des fruits.
Mais Jésus ne dort pas longtemps, et le soleil est encore haut sur l’horizon quand il apparaît,
écartant le rideau et souriant à la foule. Il est seul. Les apôtres probablement continuent de dormir.
Jésus se dirige vers les gens pour aller se placer du côté de la margelle basse d’un puits qui
certainement sert pour arroser les arbres de ce verger, parce que de petits canaux partent en éventail
du puits pour s’en aller ensuite à travers les arbres. Il s’assoit sur la margelle basse, et aussitôt il se
met à parler.
«Ecoutez cette parabole.
Un riche seigneur avait beaucoup de gens, qui dépendaient de lui, disséminés dans de nombreux
endroits de ses possessions. Ces dernières n’étaient pas toutes riches en eau et en terres fertiles. Il y
avait aussi des endroits qui souffraient du manque d’eau et plus que les lieux c’étaient les personnes
qui souffraient, car si le terrain était cultivé avec des plantes qui résistaient à la sécheresse, les gens
souffraient beaucoup de la rareté de l’eau. Le riche seigneur avait au contraire, à l’endroit où il
habitait, un lac tout plein d’eau où s’écoulaient des sources souterraines.
Un jour le seigneur se décida à faire un voyage à travers ses possessions. Il vit que certaines, les
plus proches du lac, avaient de l’eau en abondance; les autres, éloignées, en étaient privées: ils
n’avaient que le peu d’eau que Dieu leur envoyait avec les pluies. Il vit aussi que ceux qui avaient
de l’eau en abondance n’étaient pas bons avec leurs frères qui manquaient d’eau et ils lésinaient
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même une seille d’eau s’excusant par la crainte de rester privés d’eau. Le seigneur
réfléchit. Il prit une décision: “Je vais dévier les eaux de mon lac vers les plus
proches, et je leur donnerai l’ordre de ne plus refuser l’eau à mes serviteurs éloignés
et qui souffrent de la sécheresse du sol”.
Il entreprit tout de suite les travaux. Il fit creuser des canaux qui amenaient la
bonne eau du lac aux possessions les plus proches où il fit creuser de grandes citernes,
de façon que l’eau se réunisse en quantité augmentant ainsi les ressources d’eau qui
étaient dans le lieu. De celles-ci, il fit partir des canaux moins importants pour
alimenter d’autres citernes plus éloignées. Ensuite il appela ceux qui vivaient dans ces
endroits et il leur dit: “Souvenez-vous que ce que j’ai fait, je ne l’ai pas fait pour vous
donner le superflu, mais pour favoriser par votre intermédiaire ceux qui manquent
même du nécessaire. Soyez donc miséricordieux comme je le suis” et il les congédia.
Il se passa du temps, et le riche seigneur se décida à faire un nouveau voyage à travers toutes ses
possessions. Il vit que celles qui étaient les plus proches s’étaient embellies et qu’elles n’étaient pas
seulement riches de plantes utiles, mais aussi de plantes ornementales, de bassins, de piscines, de
fontaines établis dans leurs maisons un peu partout et dans le voisinage.
“Vous avez fait de ces demeures des maisons de riches” observa le seigneur. “Même moi, je n’ai
pas tant de beautés superflues” et il demanda: “Mais les autres viennent? Leur avez-vous donné
abondamment? Les petits canaux sont-ils alimentés?”
“Oui, ils ont eu tout ce qu’ils ont demandé. Ils sont même exigeants, ils ne sont
jamais contents, ils n’ont ni prudence ni mesure, ils viennent demander à toutes les
heures comme si nous étions leurs serviteurs, et nous devons nous défendre pour
protéger ce que nous avons. Ils ne se contentaient plus des canaux et des petites
citernes, ils viennent jusqu’aux grandes”.
“Et c’est pour cela que vous avez enclos les propriétés et mis en chacune des
chiens féroces?”
“Pour cela, seigneur. Ils entraient sans précautions, ils prétendaient tout nous enlever et abîmaient
tout...”
“Mais leur avez-vous réellement donné? Vous savez que c’est pour eux que j’ai fait cela, et que je
vous ai faits intermédiaires entre le lac et leurs terres arides? Je ne comprends pas... J’avais fait
prendre du lac suffisamment pour qu’il y en ait pour tous, mais sans gaspillage”.
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“Et pourtant, crois bien que nous n’avons jamais refusé l’eau”.
Le seigneur se dirigea vers ses possessions plus lointaines. Les grands arbres adaptés à l’aridité du
sol étaient verts et feuillus. “Ils ont dit vrai” dit le seigneur en les voyant de loin qui frémissaient au
vent. Mais il s’en approcha et vit par dessous le terrain brûlé, presque mortes les herbes que
broutaient péniblement des brebis épuisées, envahis par le sable les jardins près des maisons, et puis
il vit les premiers cultivateurs, souffrants, l’oeil fébrile et humiliés... Ils le regardaient et baissaient
la tête en s’éloignant comme s’ils avaient peur.
Etonné de cette attitude, il les appela à lui. Ils s’approchèrent, tremblants. “Que craignez-vous? Ne
suis-je plus votre bon seigneur qui a eu soin de vous et qui par des travaux prévoyants vous a
soulagé de la pénurie de l’eau? Pourquoi ces visages de malades? Pourquoi ces terres arides?
Pourquoi les troupeaux sont-ils si petits? Et pourquoi semblez-vous avoir peur de moi? Parlez sans
crainte, dites à votre seigneur ce qui vous fait souffrir”.
Un homme parla au nom de tous. “Seigneur, nous avons eu une grande déception et beaucoup de
peine. Tu nous avais promis du secours et nous avons perdu même ce que nous avions auparavant et
nous avons perdu l’espoir en toi”.
“Comment? Pourquoi? N’ai-je pas fait venir l’eau en abondance aux plus proches, en leur donnant
l’ordre de vous faire profiter de l’abondance?”
“C’est ce que tu as dit? Vraiment?”
“Bien sûr, certainement. Le sol m’empêchait de faire arriver l’eau jusqu’ici directement, mais avec
de la bonne volonté, vous pouviez aller aux petits canaux des citernes, y aller avec des outres et des
ânes prendre autant d’eau que vous vouliez. N’aviez-vous pas assez d’ânes et d’outres? Et n’étais-je
pas là pour vous les donner?”
“Voilà! Moi, je l’avais dit! J’ai dit: ‘Ce ne peut être le seigneur qui a donné l’ordre de refuser l’eau’.
Si nous étions allés!”
“Nous avons eu peur. Ils nous disaient que l’eau était une récompense pour eux et
que nous étions punis”. Et ils racontèrent au bon patron que les fermiers des
possessions bénéficiaires leur avaient dit que le seigneur, pour punir les serviteurs des
terres arides qui ne savaient pas produire davantage, avait donné l’ordre de mesurer
non seulement l’eau des citernes, mais celle des puits primitifs. De cette façon, si
auparavant ils en avaient jusqu’à deux cent bâtés par jour pour eux et leurs terres qu’il
leur fallait porter pénible-
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ment sur un long parcours, ils n’en avaient maintenant que cinquante et, pour avoir
cette quantité pour les hommes et pour les animaux, ils devaient aller aux ruisselets
voisins des lieux bénis, là où débordait l’eau des jardins et des bains, pour y prendre
une eau trouble, et ils mouraient. Ils mouraient de maladie et de soif, et les jardins
mouraient et aussi les brebis...
“Oh! c’en est trop! Il faut que cela finisse. Prenez votre mobilier et vos animaux
et suivez-moi. Vous allez fatiguer un peu, épuisés comme vous l’êtes, mais ensuite ce
sera la paix. J’irai lentement, pour permettre à votre faiblesse de me suivre. Je suis un
bon maître, un père pour vous, et je pourvois aux besoins de mes enfants”. Et il se mit
lentement en chemin, suivi de la triste foule de ses serviteurs et de leurs animaux tout
heureux cependant du réconfort de l’amour de leur bon maître.
Ils arrivèrent aux terres bien pourvues d’eau. En y arrivant, le maître en prit quelques-uns parmi les
plus forts et il leur dit: “Allez en mon nom demander de quoi vous désaltérer”.
“Et s’ils lancent les chiens contre nous?”
“Je suis derrière vous, ne craignez pas. Allez dire que je vous envoie et qu’ils ne ferment pas leurs
coeurs à la justice parce que toutes les eaux appartiennent à Dieu, et que les hommes sont frères.
Qu’ils ouvrent tout de suite les canaux”.
Ils allèrent, et le maître derrière eux. Ils se présentèrent à un portail, et le maître
resta caché derrière le mur de clôture. Ils appelèrent. Les fermiers accoururent.
“Que voulez-vous?”
“Ayez miséricorde de nous, nous mourons. Le maître nous envoie avec l’ordre de
prendre l’eau qu’il a fait venir pour nous. Il dit que c’est Dieu qui lui l’a donnée; et
que lui vous l’a donnée pour nous, car nous sommes frères, et il dit d’ouvrir tout de
suite les canaux”.
“Ah! Ah!” dirent en riant les cruels. “Des frères, cette troupe de déguenillés?
Vous mourez? Tant mieux. Nous prendrons vos terrains, nous y amènerons l’eau.
Alors, oui, nous l’amènerons et nous rendrons ces lieux fertiles. L’eau pour vous?
Imbéciles! L’eau nous appartient”.
“Pitié, nous mourons. Ouvrez, c’est l’ordre du maître”.
Les fermiers méchants se consultèrent puis ils dirent: “Attendez un moment” et ils s’en allèrent en
courant. Puis ils revinrent et ouvrirent, mais ils avaient des chiens et de lourdes matraques... Les
pauvres prirent peur. “Entrez, entrez... Vous n’entrez pas maintenant que nous avons ouvert?
Ensuite vous direz que nous
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n’étions pas généreux...” Un imprudent entra et une grêle de coups de bâtons lui
tombèrent dessus, pendant que les chiens détachés s’élançaient sur les autres.
Le maître sortit de derrière le mur. “Que faites-vous, cruels? Maintenant je vous
connais, vous et vos animaux, et je vous frappe” et il lança des flèches contre les
chiens et entra ensuite, sévère et courroucé. “C’est ainsi que vous exécutez mes
ordres? C’est pour cela que je vous ai donné ces richesses? Appelez tous les vôtres, je
veux vous parler. Et vous” dit-il en s’adressant aux serviteurs assoiffés, “entrez avec
vos femmes et vos enfants, vos brebis et vos ânes, vos pigeons et vos autres animaux,
buvez, rafraîchissez-vous et cueillez ces fruits juteux, et vous, petits innocents, courez
parmi les fleurs. Profitez-en. La justice est dans le coeur du bon maître et la justice
sera pour tous”:
Et pendant que les assoiffés couraient aux citernes et se plongeaient dans les piscines, que les
bestiaux allaient aux bassins, et que tout était allégresse pour eux, les autres accouraient de tous
côtés, craintifs.
Le maître monta sur le bord d’une citerne et il dit: “J’avais fait ces travaux et je
vous avais fait dépositaires de mes ordres et de ces trésors, car je vous avais choisis
pour être mes ministres. Vous avez échoué dans l’épreuve. Vous paraissiez bons.
Vous deviez l’être, car le bien-être devrait rendre bons, reconnaissants envers le
bienfaiteur, et je vous avais toujours favorisés en vous donnant la location de ces
terres bien arrosées. L’abondance et mon élection vous ont rendu durs ; plus arides
que les terres que vous avez rendues complètement arides, plus malades que ces
assoiffés. Eux, en effet, avec l’eau peuvent guérir, alors que vous, avec votre égoïsme,
avez brûlé votre esprit qui aura beaucoup de mal à guérir, et c’est bien difficilement
que reviendra en vous l’eau de la charité. Maintenant, je vous punis. Allez dans leurs
terres et souffrez ce qu’eux ont souffert ! »
“Pitié, Seigneur! Pitié pour nous! Tu veux donc nous y faire périr? Tu as moins
de pitié pour nous hommes que nous pour les animaux?”
“Et eux, que sont-ils? Ne sont-ils pas des hommes vos frères? Quelle pitié
aviez-vous? Ils vous demandaient de l’eau, vous leur donniez des coups de bâtons et
des sarcasmes. Ils vous demandaient ce qui m’appartient et que je vous avais donné,
et vous le refusiez en disant que c’était à vous. A qui est l’eau? Je ne dis même pas
moi, que l’eau du lac m’appartient bien que le lac m’appartient.
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L’eau appartient à Dieu. Qui de vous a créé une seule goutte de rosée? Allez!... Et à
vous je dis, à vous qui avez souffert: soyez bons. Faites-leur ce que vous auriez voulu
qu’il vous soit fait. Ouvrez les canaux qu’eux ont fermés et faites-leur couler l’eau dès
que vous le pourrez. Je vous fais mes distributeurs pour ces frères coupables auxquels
je laisse la possibilité et le temps de se racheter. Et c’est le Seigneur Très-Haut, plutôt
que moi, qui vous confie la richesse de ses eaux pour que vous deveniez la providence
de ceux qui en manquent. Si vous savez le faire avec amour et justice, en vous
contentant du nécessaire, en donnant le superflu aux malheureux, en étant justes, en
n’appelant pas vôtre ce qui est don reçu et plutôt don confié, grande sera votre paix, et
l’amour de Dieu et le mien seront toujours avec vous”.
La parabole est finie, et tout le monde peut la comprendre. Je vous dis seulement
que celui qui est riche est le dépositaire de la richesse que Dieu lui accorde avec
l’ordre d’en être le distributeur pour ceux qui souffrent. Réfléchissez à l’honneur que
Dieu vous fait en vous appelant à collaborer à l’oeuvre de la Providence en faveur des
pauvres, des malades, des veuves, des orphelins. Dieu pourrait faire pleuvoir de
l’argent, des vêtements, des vivres sur les pas des pauvres. Mais alors il enlèverait au
riche de grands mérites: ceux de la charité envers les frères. Tous les riches ne
peuvent être savants, mais tous peuvent être bons. Tous les riches ne peuvent soigner
les malades, ensevelir les morts, visiter les malades et les prisonniers. Mais tous les
riches, ou même simplement ceux qui ne sont pas pauvres, peuvent donner un pain,
une gorgée d’eau, un vêtement qu’on ne porte plus, accueillir près du feu celui qui
tremble de froid, sous son toit celui qui n’a pas de maison, et qui est sous la pluie ou
en plein soleil. Le pauvre, c’est celui qui manque du nécessaire pour vivre. Les autres
ne sont pas pauvres, ils ont des moyens limités, mais ils sont toujours riches par
rapport à ceux qui meurent de faim, de privations, de froid.
Je m’en vais. Je ne puis faire de bien aux pauvres de ces parages. Et mon coeur souffre en pensant
qu’ils perdent un ami... Eh bien, Moi qui vous parle, et vous savez qui je suis, je vous demande
d’être la providence des pauvres qui restent sans leur Ami miséricordieux. Faites l’aumône, et
aimez-les en mon nom, en souvenir de Moi... Soyez mes continuateurs. Soulagez par cette promesse
mon coeur accablé: que dans les pauvres, vous me verrez toujours, et que vous les accueillerez
comme les plus vrais représentants du Christ qui est pauvre, qui a voulu être pauvre pour l’amour de
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ceux qui sont les plus malheureux sur la Terre, et pour expier par ses privations et son
poignant amour les prodigalités injustes et les égoïsmes des hommes.
Souvenez-vous! La charité, la miséricorde est récompensée éternellement.
Souvenez-vous! La charité, la miséricorde est l’absolution des fautes. Dieu pardonne
beaucoup à celui qui aime, et l’amour pour les indigents qui ne peuvent rien donner en
échange est l’amour le plus méritoire aux yeux de Dieu. Rappelez-vous les paroles
que je vous dis jusqu’à la fin de la vie et vous serez sauvés et bienheureux dans le
royaume de Dieu.
Que ma bénédiction descende sur ceux qui reçoivent la parole du Seigneur et la font action.»
Les apôtres et Margziam avec les disciples sont sortis tout doucement de la maison pendant qu’il
parlait et ils forment un groupe compact derrière les gens. Mais ils s’avancent quand Jésus a fini de
parler et recueillent en passant l’obole de ceux qui l’offrent et ils apportent l’argent à Jésus.
Derrière eux s’insinue un homme souffreteux qui a bien pauvre mine. Il avance la
tête si penchée que je ne puis voir son visage. Il va aux pieds de Jésus et en se battant
la poitrine, il gémit: «J’ai péché, Seigneur, et tu m’as puni. Je l’ai mérité, mais
donne-moi au moins ton pardon avant de partir. Aie pitié de Jacob le pécheur!» Il lève
le visage, et je reconnais, plutôt parce qu’il se nomme que par son aspect ravagé, le
paysan favorisé une fois, puni une autre fois à cause de sa dureté envers les deux
orphelins.
«Mon pardon! Tu voulais guérir de cela autrefois, et tu t’inquiétais parce que ton grain était abîmé.
Eux ont semé pour toi. Es-tu sans pain, par hasard?»
«J’en ai suffisamment.»
«Et n’est-ce pas peut-être du pardon?» Jésus est très sévère.
«Non, je voudrais mourir de faim, mais sentir que mon âme est en paix. Avec le peu que j’avais, j’ai
essayé de réparer... J’ai prié et pleuré... Mais Toi seul peut pardonner et donner la paix à mon esprit.
Seigneur, je ne te demande que le pardon...»
Jésus le regarde fixement... Il lui fait lever le visage, que l’homme a baissé, et il le sonde de ses
yeux splendides en restant un peu penché sur lui... Puis il dit: «Va, tu auras ou n’auras pas le pardon
selon la façon dont tu vivras dans le temps qui te reste.»
«Oh! mon Seigneur, pas ainsi! Tu as pardonné à des fautes plus grandes...»
«Ce n’étaient pas des personnel qui avaient reçu des bienfaits
47
comme toi et elles n’avaient pas péché contre des innocents. Le pauvre est toujours
sacré, mais plus sacrés que tour l’orphelin et la veuve. Tu ne connais pas la Loi?...»
L’homme pleure. Il voulait un pardon immédiat.
Jésus résiste: «Tu es descendu deux fois et tu ne t’es pas pressé de remonter... Souviens-toi. Ce que
tu t’es permis, toi, homme, Dieu peut se le permettre. Dieu est toujours très bon s’Il te dit qu’Il ne te
refuse pas absolument le pardon, mais le fait dépendre de ta façon de vivre jusqu’à la mort. Va.»
«Bénis-moi, au moins... Pour que j’aie davantage la force d’être juste.»
«J’ai déjà béni.»
«Non, pas ainsi. Bénis-moi en particulier. Tu vois mon coeur...»
Jésus lui met la main sur la tête et lui dit: «J’ai dit. Mais que cette caresse te persuade que si je suis
sévère, je ne te hais pas. Mon amour sévère c’est pour te sauver, pour te traiter en ami malheureux,
non parce que tu es pauvre, mais parce que tu as été mauvais. Souviens-toi que je t’ai aimé, que j’ai
eu compassion de ton esprit, et que ce souvenir te rende désireux de m’avoir pour ami, qui ne soit
plus sévère.»
«Quand, Seigneur? Où te trouverai-je, si tu dis que tu t’en vas?»
«Dans mon Royaume.»
«Quel royaume? Où le fondes-tu? Moi, j’y viendrai...»
«Mon Royaume sera dans ton coeur si tu le rends bon, et puis il sera au Ciel. Adieu. Je dois partir
parce que le soir arrive et je dois bénir ceux que je quitte» et Jésus le congédie, en s’adressant
ensuite aux disciples et aux maîtres de la maison qu’il bénit un par un. Puis il reprend la route après
avoir donné l’argent à Judas...
Le vert de la campagne l’engloutit alors qu’il marche vers le sud-ouest en direction de
Capharnaüm...
«Tu marches trop, Maître!» s’écrie Pierre. «Nous sommes las. Nous avons déjà fait tant de
stades...»
«Sois bon, Simon. Nous allons être en vue de Corozaïn. Vous y entrerez et irez dans les quelques
maisons qui nous sont amies et spécialement chez la veuve, et vous direz au petit Joseph que je
veux le saluer à l’aube. Vous me le conduirez sur la route qui monte vers Giscala...»
«Mais tu n’entres pas dans Corozaïn?»
«Non, je vais prier sur la montagne.»
«Tu es à bout, tu es pâle. Pourquoi tu négliges-tu? Et pourquoi ne viens-tu pas
avec nous? Pourquoi n’entres-tu pas dans la ville?» Ils
48
l’accablent de questions. Leur affection est parfois fatigante.
Mais Jésus est patient... et patiemment il répond: «Vous le savez! Pour Moi
l’oraison est repos. Et fatigue d’être parmi les gens quand je n’y suis pas pour guérir
ou pour évangéliser. J’irai donc sur la montagne, là où je suis allé d’autres fois. Vous
connaissez l’endroit.»
«Sur le sentier qui va chez Joachim?»
«Oui, vous savez où me trouver. A l’aube, je viendrai à votre rencontre...»
«Et... nous irons vers Giscala?»
«C’est la bonne route pour aller vers les confins syro-phéniciens. J’ai dit à Afec que j’y serais allé.
J’y irai.»
«C’est que... Tu ne te rappelles pas l’autre fois?»
«Ne crains as, Simon. Ils ont changé de manière. Pour le moment, ils m’honorent...»
«Oh! Ils t’aiment alors?»
«Non, ils me haïssent plus qu’avant. Mais ne pouvant pas m’abattre par la force, ils essaient d’y
arriver par leurs ruses. Ils essaient de séduire l’Homme... Et pour séduire, ils se servent des
honneurs, même s’ils sont faux. Au contraire... Venez tous près de Moi» dit-il ensuite aux autres qui
avançaient en groupe, voyant que Jésus parlait avec Pierre en particulier.
Ils se réunissent. Jésus dit: «Je disais à Simon - et je le dis à tous, car je n’ai pas de secret pour mes
amis - je disais à Simon que ceux qui sont mes ennemis ont changé de manière pour me nuire, mais
qu’ils n’ont pas changé de pensée à mon égard. Aussi, de même qu’auparavant ils se servaient de
l’insulte et de la menace, maintenant ils se servent des honneurs. Pour Moi, et sûrement aussi pour
vous. Soyez forts et sages. Ne vous laissez pas tromper par des paroles mensongères, par des
cadeaux, par des séductions. Rappelez-vous ce que dit le Deutéronome: “Les cadeaux aveuglent les
yeux des sages et altèrent les paroles des justes”. Rappelez-vous Samson. Il était nazir de Dieu,
depuis sa naissance, dès le sein de sa mère, qui le conçut et le forma dans l’abstinence par l’ordre de
l’ange pour qu’il fût un juste juge d’Israël. Mais tant de bien, où finit-il? Et comment? Et par qui?
Et pas autrement que par les honneurs et l’argent, et par des femmes payées dans ce but, sa force fut
abattue pour faire le jeu des ennemis? Maintenant prenez garde, veillez pour n’être pas surpris par
le mensonge et pour ne pas servir les ennemis, même inconsciemment. Sachez vous garder libres
comme les oiseaux qui préfèrent une nourriture frugale et une
49
branche pour se reposer, plutôt que des cages dorées où la nourriture est abondante et
où il y a un nid confortable, mais où le caprice des hommes les retient prisonniers.
Pensez que vous êtes mes apôtres, donc serviteurs seulement pour Dieu, comme Moi
je suis voué seulement à la Volonté du Père. Ils chercheront à vous séduire, peut-être
ils l’ont déjà fait, en vous prenant chacun par votre point faible, car les serviteurs du
Mal sont rusés, étant instruits par le Malin. Ne croyez pas à leurs paroles: elles ne sont
pas sincères. Si elles l’étaient, je vous dirais tout le premier: “Saluons-les comme nos
bons frères”. Au contraire, il faut se défier de leurs actions et prier pour eux pour
qu’ils deviennent bons. Moi, je le fais. Je prie pour vous, pour que vous ne soyez pas
trompés par cette nouvelle guerre, et pour eux, pour qu’ils cessent d’ourdir des
complots contre le Fils de l’homme et d’offenser Dieu son Père. Et vous, imitez-moi.
Priez beaucoup l’Esprit-Saint, qu’Il vous donne des lumières pour y voir clair et soyez
purs si vous voulez l’avoir pour ami. Moi, avant de vous quitter, je veux vous
fortifier. Je vous absous si jusqu’à présent vous avez péché. Je vous absous de tout.
Soyez bons à l’avenir. Bons, sages, chastes, humbles et fidèles. Que la grâce de mon
absolution vous fortifie... Pourquoi pleures-tu, André? Et toi, pourquoi te troubles-tu,
mon frère?»
«Parce que cela me semble un adieu...» dit André.
«Et crois-tu que c’est avec si peu de paroles que je vous saluerais? Ce n’est qu’un conseil pour ces
temps. Je vois que vous êtes tous troublés. Cela ne doit pas se produire. Le trouble trouble la paix.
La paix doit toujours être en vous. Vous êtes au service de la Paix et elle vous aime tant qu’elle
vous a choisis comme ses premiers serviteurs. Elle vous aime. Vous devez donc penser qu’elle vous
aidera toujours, même quand vous serez restés seuls. La Paix c’est Dieu. Si vous êtes fidèles à Dieu,
Il sera en vous. Et avec Lui en vous, qu’avez-vous à craindre? Et qui pourra vous séparer de Dieu, si
vous ne vous mettez pas dans le cas de le perdre? Seul le péché sépare de Dieu. Mais le reste:
tentations, persécutions, mort, même la mort, ne séparent pas de Dieu. Mais elles unissent
davantage à Lui, car toute tentation vaincue vous fait monter d’un degré vers le Ciel, car les
persécutions vous obtiennent un redoublement d’amour protecteur de Dieu et la mort d’un saint ou
d’un martyr n’est qu’une fusion avec le Seigneur Dieu. En vérité je vous dis que, sauf les fils de
perdition, aucun de mes grands disciples ne mourra plus avant que j’aie ouvert les portes des Cieux.
Aucun donc de mes disciples fidèles ne devra attendre l’embrassement
50
de Dieu après être passé de cet exil ténébreux aux lumières de l’autre vie. Je ne vous
le dirais pas si ce n’était pas vrai. Vous voyez. Même aujourd’hui vous avez vu
quelqu’un qui, après l’égarement, est revenu sur les chemins de la justice. Il ne
faudrait pas pécher, mais Dieu est miséricordieux et Il pardonne à celui qui se repent.
Et celui qui se repent peut surpasser même celui qui n’a pas péché, si son repentir est
absolu et héroïque la vertu qui succède au repentir. Il sera si doux de se trouver
là-haut! Vous voir monter vers Moi et Moi courir à votre rencontre pour vous
embrasser, et vous conduire à mon Père en disant: “Voici un des mes bien-aimés. Il
m’a toujours aimé et il t’a donc toujours aimé du moment où je lui ai parlé de Toi.
Maintenant il est venu. Bénis-le mon Père, et que ta bénédiction soit sa couronne
resplendissante”. Mes amis... Amis ici, et amis au Ciel. Ne vous semble-t-il pas que
tout sacrifice soit léger pour obtenir cette éternelle joie? Vous êtes rassérénés
désormais. Séparons-nous ici. Moi, je monte là-haut et vous soyez bons...
Donnons-nous un baiser...»
Et il les embrasse un par un. Judas pleure en l’embrassant. Il a attendu d’être le
dernier, lu! qui cherche toujours à être le premier, et il reste enlacé à Jésus, Lui
donnant plusieurs baisers et Lui murmurant dans les cheveux près de l’oreille: «Prie,
prie, prie pour moi...»
Ils se séparent. Jésus va vers la colline et les autres poursuivent jusqu’à Corozaïn qui déjà blanchit
dans la verdure des arbres.
161. «JE N’AI PAS DE MEILLEUR REPOS QUE DE DIRE:
J’AI SAUVE QUELQU’UN QUI PERISSAIT»

Jésus dit:
«Entre temps je te dis que l’épisode de mercredi (20-9-1944), si vous faites une
oeuvre régulière, vous devez le placer un an avant ma mort car il tombe à l’époque de
la moisson de ma trente-deuxième année1.
Des nécessités de réconfort et d’instruction pour toi, mon aimée, et pour d’autres,
m’ont contraint à suivre un ordre spécial pour donner les visions et les dictée qui s’y
rapportaient. Mais je vous indiquerai, au moment voulu, comment répartir les episo-

1 Paragraphe 95, vol. VI.


51
des des trois années de vie publique. L’ordre des Evangiles est bon, mais pas parfait
comme ordre chronologique. Un observateur attentif le remarque.
Celui qui aurait pu donner l’ordre exact des faits car il est resté avec Moi depuis
le commencement de l’évangélisation jusqu’à mon Ascension, ne l’a pas fait. En effet
Jean, vrai fils de la Lumière, s’est occupé et préoccupé de faire briller la Lumière à
travers son vêtement de Chair aux yeux des hérétiques qui attaquaient la réalité de la
Divinité enfermée dans une chair humaine. Le sublime Evangile de Jean a atteint son
but surnaturel, mais la chronique de ma vie publique n’en a pas été aidée.
Les trois autres évangélistes se présentent semblables entre eux pour les faits,
mais ils altèrent l’ordre du temps, car des trois un seul a été présent à presque toute
ma vie publique: Mathieu, et il ne l’avait écrite que quinze ans plus tard, alors que
les autres l’ont écrite encore plus tard, et pour en avoir entendu le récit de ma Mère,
de Pierre, des autres apôtres et disciples.
Je veux vous guider pour réunir les faits des trois ans, année par année.
Et maintenant, vois et écris: l’épisode suit celui de mercredi (20- 9-1944).»

Je vois Jésus qui lentement va et vient sur un sentier champêtre éclairé par la
lune. C’est la pleine lune, et sa face riante resplendit dans un ciel absolument serein
mais, en raison de sa position dans le ciel, où elle se prépare à se coucher, je déduis
qu’il doit être plus de minuit.
Jésus marche en réfléchissant et en priant certainement, bien que je n’entende pas de paroles. Mais
il ne perd pas de vue les choses qui l’entourent. Une fois il s’arrête pour écouter, souriant, le long
chant d’un rossignol énamouré qui exécute toute une mélodie d’arpèges et de trilles et de notes
a-solo, bien tenues, si fortes et si prolongées qu’il parait impossible que cela vienne de ce petit être
qui n’est que plumes. Pour ne pas le troubler, même pas par le bruit des sandales sur le gravier du
sentier et du vêtement frôlant l’herbe, Jésus s’est arrêté, les bras croisés, le visage levé et souriant. Il
va jusqu’à fermer à demi les yeux pour s’appliquer mieux à l’audition, et quand le rossignol termine
par un son aigu qui monte, monte, monte par intervalles de tierce (si j’ai bon souvenir) et finit par
une note suraiguë, tenue aussi longtemps que le souffle le lui permet, il approuve et applaudit sans
mot dire en inclinant deux ou trois fois la tête avec un sourire de satisfaction.
Maintenant, d’autre part, il se penche sur une touffe de chévre-feuille en fleurs
dont les mille et mille calices blancs répandent une odeur pénétrante. Ils ressemblent à
des bouches de serpents qui bâillent, où tremble la langue des pistils jaunâtres et où
brille une trace d’or sur le pétale inférieur. Les fleurs, sous le rayon de lune, paraissent
encore plus blanches, comme argentées. Jésus les admire, respire leur parfum et les
caresse de la main.
Il revient sur ses pas. L’endroit doit être légèrement élevé car le
52
clair de lune fait voir au sud une partie du lac certainement, car c’est quelque chose
qui brille comme du verre éclairé par la lune et qui n’est pas un fleuve ni la mer, étant
donné qu’on le voit bordé de collines du côté opposé à celui où se trouve Jésus.
Jésus regarde ce tranquille miroir d’eau paisible dans le calme d’une nuit d’été.
Puis il fait un demi-tour sur Lui-même, du sud à l’ouest, et regarde un village qui
blanchit, éloigné au maximum de deux kilomètres, plutôt moins que plus. Un beau
village. Il s’arrête pour le regarder, et secoue la tête en suivant une pensée qui l’afflige
beaucoup.
Il reprend ensuite sa promenade lente et sa prière jusqu’au moment où il s’assoit sur une grosse
pierre, au pied d’un arbre très élevé, et prend sa position habituelle: les coudes sur les genoux et les
avant-bras en avant, avec les mains jointes pour la prière.
Il reste ainsi un moment et serait resté plus longtemps si un homme, une ombre, ne s’était avancée
de la touffe d’arbres vers Lui et ne l’avait appelé: «Maître?»
Jésus se retourne, car celui qui s’avance arrive par derrière, et il lui dit: «Judas? Que veux-tu?»
«Où es-tu, Maître?»
«Au pied du noyer. Avance.» Et Jésus se lève et vient sur le sentier au clair de la lune, pour que
Judas puisse le voir.
«Tu es venu, Judas, pour tenir un peu compagnie à ton Maître?» Maintenant ils sont l’un près de
l’autre et Jésus met affectueusement un bras sur l’épaule du disciple. «Ou bien a-t-on besoin de Moi
à Corozaïn?»
«Non, Maître. Aucunement. J’ai eu le désir de venir te trouver.»
«Viens alors. Il y a de la place pour tous les deux sur ce rocher.»
Ils s’assoient tout près l’un de l’autre. Silence. Judas ne parle pas. Il regarde Jésus. Il lutte.
Jésus veut l’aider. Il le regarde avec douceur, mais avec pénétration. «Quelle belle nuit, Judas!
Regarde comme tout est pur! Je crois que ne fut pas plus pure la première nuit qui a ri sur la Terre et
sur le sommeil d’Adam dans le Paradis terrestre. Sens le parfum de ces fleurs, respire, mais ne les
cueille pas. Elles sont si belles et si pures! Je m’en suis abstenu, Moi aussi, parce que les cueillir,
c’est les profaner. Il est toujours mal d’user de violence, pour la plante comme pour l’animal, pour
l’animal comme pour l’homme. Pourquoi enlever la vie? Elle est si belle la vie quand elle est bien
employée!... Et ces fleurs l’emploient bien car elles exhalent leur parfum, réjouissent par leur vue et
leur odeur, donnent du miel
53
aux abeilles et aux papillons et leur cèdent l’or de leur pistil pour mettre des petites
gouttes de topaze sur la perle de leurs ailes, et servent de lit aux nids... Si tu avais été
là, il y a un moment, tu aurais entendu un rossignol chanter si doucement la joie de
vivre et de louer le Seigneur. Chers oiseaux! Comme ils sont un exemple pour les
hommes! Ils se contentent de peu, et seulement de ce qui est permis et saint: un grain
et un petit ver car c’est le Père Créateur qui le leur donne. Et s’ils n’en ont pas, ils
n’éprouvent pas de colère ou de dépit, mais ils trompent la faim de leur chair par le
trop plein de leur coeur qui leur fait chanter les louanges du Seigneur et les joies de
l’espérance. Ils sont heureux d’être las pour avoir voleté de l’aube jusqu’au soir pour
se faire un nid tiède, douillet, sûr, non par égoïsme, mais par amour de leurs petits. Et
ils chantent de la joie de s’aimer honnêtement, le rossignol pour sa compagne et tous
les deux pour leurs oisillons. Les animaux sont toujours heureux car ils n’éprouvent
pas de remords dans leurs coeurs qui ne leur reprochent rien. C’est nous qui les
rendons malheureux parce que l’homme est méchant, sens respect, dominateur, cruel.
Et il ne lui suffit pas de l’être avec ses semblables, sa méchanceté se déverse sur les
êtres inférieurs. Plus il a en lui de remords, plus sa conscience le pique, et plus il
exerce sa méchanceté sur les autres. Je suis certain que le cavalier qui aujourd’hui
éperonnait jusqu’au sang son cheval tout en sueur et tellement fatigué, et le cravachait
jusqu’à lui faire dresser le poil sur le cou et sur les flancs et jusque sur ses naseaux et
sur ses sombres paupières qui se fermaient douloureusement sur ses yeux si résignés
et si doux, que ce cavalier n’avait pas l’âme tranquille: ou bien il allait commettre un
crime contre l’honnêteté, ou il en venait.» Jésus se tait et pense.
Judas se tait. Il pense lui aussi, puis il parle: «Comme c’est beau, Maître, de
t’entendre parler ainsi! Tout devient clair aux yeux, à l’esprit, au coeur... et tout
redevient facile, même de dire: “Je veux être bon!” Même de te dire... même de te
dire... de te dire: “Maître, moi aussi j’ai l’âme troublée! N’aie pas de dégoût pour moi,
Maître, Toi qui aimes celui qui est pur!”»
«Oh! mon Judas! Moi, du dégoût? Ami, fils, qu’as-tu qui te trouble?»
«Garde-moi avec Toi, Maître. Tiens-moi étroitement... J’ai juré d’être bon depuis que tu m’as parlé
si doucement. J’ai juré de redevenir le Judas des premiers jours, je te suivais et je t’aimais comme
un époux aime son épouse, et je ne rêvais qu’à Toi, trouvant
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en Toi toute satisfaction. C’est ainsi que je t’aimais Jésus...»
«Je le sais... et c’est pour cela que je t’ai aimé... Mais je t’aime encore, mon
pauvre ami blessé...»
«Comment sais-tu que je le suis? Sais-tu de quoi?...»
Silence. Jésus regarde Judas d’un oeil si doux... Il semble qu’une larme le rende
plus large et plus doux en tempérant son éclat: un oeil d’enfant innocent et désarmé,
qui se donne tout entier dans l’amour.
Judas glisse à ses pieds, le visage sur ses genoux, les bras serrés à ses côtés et il gémit: «Garde-moi
avec Toi, Maître... garde-moi... Ma chair crie comme un démon... et, si je cède, voilà que vient tout
le mal... Je sais que tu sais et que pourtant tu attends que je le dise... Mais il est difficile de dire,
Maître: “J’ai péché”.»
«Je le sais, ami. C’est pour cela qu’il faudrait bien agir, pour ne pas s’avilir en
disant: “J’ai péché”. Mais pourtant, Judas, il y a en cela un grand remède, de devoir
faire effort en disant la faute retient de la faire; et si elle est accomplie, la peine de
s’accuser est déjà une pénitence qui rachète. Si ensuite quelqu’un souffre, non pas
tant par orgueil ni par peur du châtiment, mais parce qu’il sait qu’en manquant il a
causé de la douleur, alors, c’est Moi qui le dis, la faute disparaît. C’est l’amour qui
sauve.»
«Moi, je t’aime, Maître, mais je suis si faible... Oh! Tu ne peux pas m’aimer! Tu
es pur et tu aimes les purs... Tu ne peux pas m’aimer parce que je suis... je suis... Oh!
Jésus, enlève-moi la faim des sens! Tu sais quel démon il est?»
«Je le sais. Je ne l’ai pas exaucée, mais je sais quelle voix elle a.»
«Le vois-tu? Le vois-tu? Tu en as un tel dégoût que seulement à le dire, ton visage est bouleversé...
Oh! Tu ne peux pas me pardonner!»
«Judas. Et tu ne te rappelles pas Marie? Mathieu? Ce publicain devenu lépreux? Cette femme,
courtisane romaine, à laquelle j’ai prophétisé une place dans le Ciel parce que, après mon pardon,
elle aura la force de vivre saintement?»
«Maître... Maître... Maître... Oh! quel mal j’ai dans le coeur!... Ce soir j’ai fui...
j’ai fui Corozaïn... car si j’étais resté... si j’étais resté... j’étais perdu. Tu sais... c’est
comme celui qui boit et en devient malade... Le médecin lui enlève le vin et toute
boisson enivrante, et il guérit et reste sain tant qu’il ne ressent pas ce goût... Mais s’il
cède, une seule fois, et en sent de nouveau le goût... il lui vient une soif... une soif de
cette boisson... telle qu’il n’y résiste plus... et il boit et il boit... et il est de nouveau
malade... malade pour tou-
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jours... fou... possédé... possédé par son démon... par son démon... Oh! Jésus, Jésus,
Jésus!... N’en parle pas aux autres... Ne le dis pas... J’ai honte devant tous...»
«Mais pas devant Moi.»
Judas comprend mal. «C’est vrai! Pardon! Je devrais être plus honteux devant Toi que devant tout
autre, car tu es parfait...»
«Non, fils. Ce n’est pas cela que je disais. Que ta douleur, ton angoisse, ton
humiliation ne te cachent pas la vérité. J’ai dit que tu peux être honteux devant tous,
mais pas devant Moi. Un fils n’a pas de peur ni de honte devant un bon père, ni un
malade devant un médecin compétent. Et à l’un comme à l’autre, il fait son aveu sans
crainte puisque l’un aime et pardonne, l’autre comprend et guérit. Moi, je t’aime et te
comprends, aussi je te pardonne et te guéris. Mais dis-moi, Judas. Qu’est-ce qui te
livre à ton démon? Moi? Tes frères? Les femmes débauchées? Non. C’est ta volonté.
Maintenant je te pardonne et to guéris... Quelle joie tu m’as donnée, ô mon Judas!
Déjà je jouissais tant de cette nuit sereine, parfumée, que les chants rendaient joyeuse,
et j’en louais le Seigneur. Mais maintenant la joie que tu me donnes surpasse ce clair
de lune, ces parfums, cette paix, ces chants. Entends-tu? Le rossignol semble s’y unir
pour te dire avec Moi qu’il est heureux de ton bon vouloir, lui, le petit chanteur, si
plein de bonne volonté pour faire ce pourquoi il a été créé. Et aussi ce premier vent du
matin, qui passe sur les fleurs et les éveille, en faisant glisser dans le creux de leur
calice un diamant de rosée pour que la trouvent bientôt le papillon et le rayon de
soleil, et que l’un s’en désaltère et que l’autre s’en fasse un miroir minuscule pour son
grand éclat. Regarde: la lune va se coucher. L’aube s’annonce avec ce chant lointain
du coq. Les ténèbres nocturnes et les fantômes de la nuit disparaissent: Vois comme il
est passé rapide et doux le temps qui, si tu n’étais pas venu à Moi, serait passé dans le
dégoût et le remords? Viens toujours quand tu as peur de toi. Le propre moi!!! Grand
ami, grand tentateur, grand ennemi, et grand juge, Judas! Et, vois-tu? Alors qu’il est
un ami sincère et fidèle si tu as été bon, il sait être un ami sans sincérité si tu n’es pas
bon et, après avoir été pour toi un complice, il s’élève à, être un juge inexorable et te
torture par ses reproches... Lui est féroce dans ses reproches... pas Moi! Eh bien,
allons, la nuit est passée...»
«Maître, je ne t’ai pas laissé reposer... et aujourd’hui, tu devras tant parler...»
«J’ai reposé dans la joie que tu m’as donnée. Je n’ai pas de meil-
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leur repos que celui de dire: “Aujourd’hui j’ai sauvé quelqu’un qui périssait”. Viens,
viens... Descendons à Corozaïn! Oh! si cette ville savait t’imiter, Judas!»
«Maître... que diras-tu à mes compagnons?»
«Rien s’ils ne demandent pas... S’ils demandent, je dirai que nous avons parlé des miséricordes de
Dieu... C’est un vrai sujet, et tellement illimité que la plus longue vie ne suffit pas à le développer.
Allons...»
Et ils descendent, grands, d’une beauté différente mais également jeune, l’Un
près de l’autre, et ils disparaissent derrière un bouquet d’arbres...

162. «TOUTE CHUTE A SA PREPARATION DANS LE TEMPS»

Jésus dit:

«C’est un épisode de miséricorde comme ceux de Marie-Magdeleine. Mais si


vous faites un livre, il vaudra mieux mettre les événements à la file dans L’ordre
chronologique plutôt que par catégories, en vous limitant à dire au début ou dans un
renvoi à quelle catégorie appartient chaque épisode.

Pourquoi je mets en lumière la figure de Judas? Plusieurs se le demanderont.


Je réponds. La figure de Judas a été trop déformée au cours des siècles. Et, ces derniers temps, elle a
été complètement dénaturée. Dans certaines écoles, on en a fait presque son apothéose comme s’il
était l’artisan secondaire et indispensable de la Rédemption. Beaucoup, ensuite, pensent qu’il a
succombé à un assaut imprévu, féroce, du Tentateur. Non. Toute chute a sa préparation dans le
temps. Plus la chute est grave, et plus elle est préparée. Les antécédents expliquent le fait. On ne se
précipite pas à l’improviste et on ne monte pas de même, ni dans le Bien, ni dans le Mal. Il y a des
causes longues et insidieuses pour les descentes, et patientes et saintes pour les montées.
Le drame malheureux de Judas peut vous donner tant d’enseignements pour vous
sauver, et connaître la méthode de Dieu et ses miséricordes pour sauver et pardonner
ceux qui descendent vers
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l’Abîme.
On n’arrive pas au délire satanique, où tu as vu Judas se débattre après son
Crime, si on n’est pas totalement corrompu par des habitudes d’Enfer recherchées
pendant des années avec volupté. Quand quelqu’un accomplit même un crime, mais
entraîné par un événement imprévu qui trouble sa raison, il souffre mais il sait expier,
car il y a encore des parties de son coeur qui sont indemnes du poison infernal. Au
monde qui nie Satan, parce qu’il l’a tellement en lui-même qu’il n’en a plus
conscience, qu’il l’a aspiré et qu’il fait partie de son moi, je montre que Satan existe,
éternel et immuable dans la méthode qu’il met en oeuvre pour faire de vous ses
victimes.

Cela suffit pour l’instant. Toi, reste avec ma paix.»

163. L’ADIEU AUX FIDELES PEU NOMBREUX DE COROZAIN

Ce n’est pas encore l’aurore quand Jésus se rencontre avec les onze qui ont, au
milieu d’eux, le petit menuisier Joseph qui part comme une flèche dès qu’il voit Jésus
et se serre à ses genoux avec la simplicité de celui qui est encore enfant. Jésus se
penche pour lui déposer un baiser sur le front et puis, le tenant par la main, il va
trouver Pierre et les autres.
«La paix à vous. Je ne croyais pas vous trouver déjà ici.»
«L’enfant s’est éveillé alors qu’il faisait encore nuit, et il a voulu venir, par crainte d’arriver en
retard» explique Pierre.
«La mère sera ici sous peu, avec les autres enfants. Elle veut te saluer» ajoute Jude d’Alphée.
«Et de même la femme qui était toute déformée, la fille d’Isaac, la mère d’Elie, et d’autres que tu as
guéris. Ils nous ont logés...»
«Et les autres?»
«Seigneur...»
«Corozaïn garde la dureté de son esprit. Je comprends. N’importe. Le bon grain est semé et il
germera un jour... grâce à eux...» et il regarde l’enfant.
«Il sera disciple et il convertira?»
«Disciple il l’est, n’est-ce pas, Joseph?»
«Oui. Mais je ne sais pas parler et, pour ce que je sais, ils ne
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m’écoutent pas.
«N’importe. Tu parleras par ta bonté.»
Jésus prend dans ses longues mains le petit visage de l’enfant et il lui parle un peu penché sur le
petit visage haut levé.
«Je m’en vais, Joseph. Sois bon, sois travailleur. Pardonne à ceux qui ne vous aiment pas. Sois
reconnaissant à ceux qui to font du bien. Pense toujours ceci: qu’en celui qui te rend service, Dieu
est présent et, par conséquent, accueille avec respect tout bienfait sans y prétendre, sans dire: “Je
resterai à rien faire car il y a quelqu’un qui pense à moi”, sans gâcher le secours obtenu. Travaille,
car le travail est saint et, toi, enfant, tu es le seul homme dans ta famille. Rappelle-toi qu’aider la
mère, c’est l’honorer. Rappelle-toi que c’est un devoir de donner le bon exemple à tes petits frères
et de veiller sur l’honneur de tes soeurs. Désire avoir ce qu’il faut, et travaille pour l’avoir, mais
n’envie pas le riche et ne désire pas les richesses pour jouir beaucoup. Rappelle-toi que ton Maître
t’a enseigné non seulement la parole de Dieu, mais l’amour du travail, l’humilité et le pardon. Sois
toujours bon, Joseph, et nous serons de nouveau ensemble un jour.»
«Mais tu ne reviens plus? Où vas-tu, Seigneur?»
«Je vais où le veut la Volonté du Père des Cieux. Sa Volonté doit toujours être
plus forte que la nôtre, et plus chère pour nous que la nôtre, parce qu’elle est toujours
une volonté parfaite. Toi aussi, dans la vie, ne fais pas passer ta volonté avant celle de
Dieu. Tous les obéissants se retrouveront au Ciel et ce sera une grande fête alors.
Donne-moi un baiser, enfant.»
Un baiser! C’est une infinie de baisers et de larmes que Lui donne l’enfant et
c’est ainsi, attaché au cou de Jésus, que le trouve sa mère qui survient au milieu d’une
nichée d’enfants, et d’autres personnes très peu nombreuses, sept en tout, de
Corozaïn.
«Pourquoi pleure-t-il mon enfant?» demande la femme après avoir salué le Maître.
«Parce que tout adieu est douloureux. Mais même si nous sommes séparés, nous serons toujours
unis si votre coeur continue de m’aimer. Vous savez ce qu’est l’amour pour Moi, et en quoi il
consiste: à faire ce que je vous ai enseigné, car celui qui fait ce que quelqu’un lui a enseigné montre
qu’il a de l’estime - et l’estime, c’est toujours de l’amour - pour cette personne. Faites donc ce que
je vous ai enseigné par la parole et l’exemple, et faites ce que vous enseigneront mes disciples en
mon nom. Ne pleurez pas. Le temps passe vite, et bientôt nous serons réunis dans des conditions
meil-
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leures. Et aussi ne pleurez pas par égoïsme. Pensez à ceux nombreux qui encore
m’attendent, à ceux nombreux qui devront mourir sans m’avoir vu, à ceux nombreux
qui devront m’aimer sans m’avoir jamais connu. Vous vous m’avez eu plus d’une fois
et cela a pu vous faciliter la foi et l’espérance de la charité qui existe parmi vous. Eux,
par contre, devront avoir une grande foi, une foi aveugle, pour pouvoir arriver à dire:
“Lui est vraiment le Fils de Dieu, le Sauveur, et sa parole est véridique”. Une grande
foi pour pouvoir avoir la grande espérance de la vie éternelle et de l’immédiate
possession de Dieu après une vie de justice. Ils devront aimer celui qu’ils n’ont pas
connu, celui qu’ils n’ont pas entendu, celui qu’ils n’ont pas vu opérer des prodiges. Et
pourtant, ce n’est qu’en aimant ainsi qu’ils auront la Vie éternelle. Vous, bénissez le
Seigneur qui vous a comblé de bienfaits en me faisant connaître à vous. Maintenant,
allez. Soyez fidèles à la Loi du Sinaï et à mon commandement nouveau de vous aimer
tous comme des frères, parce que c’est dans l’amour que se trouve Dieu. Aimer même
ceux qui vous haïssent, car Dieu vous a le premier donné l’exemple d’aimer les
hommes qui par le péché montrent de la haine à Dieu. Pardonnez toujours comme
Dieu a pardonné aux hommes en envoyant son Verbe Rédempteur pour effacer la
Faute, motif de rancoeur et de séparation. Adieu. Qu’en vous soit ma paix. Gardez
dans vos coeurs le souvenir de mes actions, pour les fortifier contre les paroles de
ceux qui voudront vous persuader que je ne suis pas votre Sauveur. Conservez ma
bénédiction pour avoir la force dans les épreuves de l’avenir.»
Jésus étend les mains pour bénir en disant la bénédiction mosaïque sur le petit
troupeau prosterné à ses pieds. Puis il se retourne et s’en va...

164. JESUS PARLE DES DEVOIRS ENTRE BELLE-MERE ET BELLE-FILLE

Les monts boisés et fertiles, où se trouve Giscala, présentent un repos de verdure,


de brises, d’eaux et d’horizons toujours magnifiques et variés selon le point cardinal
vers lequel on se tourne. Au nord, c’est une succession de cimes boisées avec les verts
les plus variés, on dirait que la Terre s’élève vers l’azur du firmament
60
auquel elle parait offrir, en hommage reconnaissant de ,’eau et des rayons de soleil
qu’il lui donne, toutes les beautés de sa végétation. Au nord-est, l’oeil après s’être
arrêté fasciné sur le joyau, dont les couleurs changent selon les heures et la lumière,
du grand Hermon qui dresse son plus haut sommet, semblable à un gigantesque
obélisque de diamant, d’opale, de très pâle saphir, ou de rubis très adouci, ou d’acier à
peine trempé - selon que le soleil le baise ou le quitte et les nuées ébouriffées,
amenées par les vents, font des jeux de lumière sur ses neiges éternelles - descend le
long des pentes couleur d’émeraude de ses plateaux, de ses crêtes, des gorges et des
pics, qui forment la base du géant royal. Et puis, voilà qu’en tournant un peu plus vers
l’est, s’étend le vaste haut plateau vert de la Gaulanitide et de l’Auranitide, borné à
son extrémité orientale par des monts qui s’estompent dans le brouillard lointain, et à
l’occident par le vert différent qui longe le Jourdain et en marque la vallée. Et plus
proches, splendides comme deux saphirs, les deux lacs de Méron qui forme le fond
d’une plaine bien irriguée, et de Tibériade, gracieux comme un délicat pastel au
milieu des collines qui l’entourent, différentes de formes et de teintes et ses rives
éternellement fleuries: rêve d’orient avec ses bouquets de palmiers dont la brise des
monts proches fait onduler la cime, poésie de nos plus beaux lacs pour la paix de ses
eaux et les cultures de ses rives. Et puis, au sud, le Thabor avec son sommet
caractéristique, et le petit Hermon tout vert qui veille sur la plaine d’Esdrelon dont on
mesure l’étendue dans le cadre d’un horizon que n’interrompe aucune élévation
montagneuse, et encore plus bas, vers le midi, les monts élevés et puissants de la
Samarie qui se perdent au-delà de la vue en direction de la Judée. Le seul côté qu’on
ne voit pas est le côté ouest, où doit se trouver le Carmel et la plaine qui remonte vers
Ptolémaïs, cachés par une chaîne plus haute que celle-ci et qui coupe la vue. On a là
une des vues les plus belles de la Palestine.
Jésus avance en suivant la route au milieu des montagnes, tantôt seul, tantôt
rejoint par l’un ou l’autre de ses apôtres.
Il s’arrête une fois pour caresser les enfants d’un berger qui jouent près du troupeau, et il accepte le
lait que le berger Lui offre «pour Toi et pour les tiens» car il a reconnu en Jésus le Rabbi que lui ont
décrit d’autres qui l’ont vu.
Une autre fois il écoute une petite vieille qui, ne sachant pas qui il est, Lui raconte
les peines de famille que lui donne sa bru grincheuse et sans respect.
Tout en compatissant la petite vieille, Jésus l’exhorte à être
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patiente, pour amener à la bonté par la bonté: «Tu dois être pour elle une mère, même
si elle n’est pas une fille pour toi. Sois sincère: si au lieu d’être une bru, c’était ta fille,
ses défauts te paraîtraient-ils aussi graves?»
La petite vieille réfléchit et puis elle avoue: «Non... Mais une fille c’est toujours
une fille...»
«Et si une de tes filles te disait que dans la maison de son époux sa belle-mère la maltraite, que
dirais-tu?»
«Qu’elle est méchante. Car elle devrait lui apprendre les usages de la maison - chaque maison a les
siens - avec bonté, surtout si l’épouse est jeune. Je dirais qu’elle devrait se rappeler du temps où elle
était nouvelle épouse, et comme elle était charmée par l’amour de sa belle-mère si elle avait eu
assez de chance pour la trouver bonne, et comme elle avait souffert si elle avait eu une belle-mère
méchante. Et ne pas faire souffrir ce qu’elle n’avait pas souffert, ou ne pas faire souffrir parce
qu’elle sait ce que c’est que de souffrir. Oh! je la défendrais ma fille!»
«Quel âge a ta bru?»
«Dix-huit, Rabbi. Elle a épousé Jacob il y a trois ans.»
«Très jeune. Est-elle fidèle à son mari?»
«Oh! oui. Toujours à la maison et toute aimante pour lui et le petit Lévi, et la petite, la petite qui
s’appelle Anne, comme moi. Elle est née à Pâque... Elle est si belle!...»
«Qui a voulu qu’elle s’appelle Anne?»
«Marie, hein! Lévi était le nom du beau-père et Jacob l’a donné au premier-né. Et Marie, quand elle
a eu la petite, a dit: “A celle-ci le nom de ta mère”.»
«Et cela ne te paraît pas amour et respect?»
La petite vieille réfléchit... Jésus enchaîne: «Elle honnête, elle toute à sa maison, elle épouse
affectueuse et mère aimante, elle soucieuse de te faire plaisir... Elle pouvait donner à la fille le nom
de sa propre mère: elle a donné le tien. Elle honore ta maison par sa conduite...»
«Oh! pour cela, oui! Elle n’est pas comme cette malheureuse de Jisabel. »
«Alors, pourquoi ces lamentations et ces plaintes à son sujet? Ne te paraît-il pas d’avoir deux
mesures en portant sur la bru un jugement différent de celui que tu porterais sur une fille?»
«C’est que... c’est que... elle m’a pris l’amour de mon fils. Avant, il était tout pour moi, maintenant,
il l’aime plus que moi...» L’éternelle véritable raison des préjugés des belles-mères déborde finale-
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ment du coeur de la petite vieille en même temps que les larmes de ses yeux.
«Ton fils te fait-il manquer de quelque chose? Te néglige-t-il depuis qu’il est
marié?...»
«Non, je ne puis le dire. Mais, en somme, maintenant il appartient à sa femme...» elle gémit et
pleure plus fort.
Jésus a un sourire apaisé de compassion pour la petite vieille jalouse. Mais, doux
comme il l’est toujours, il ne lui fait pas de reproches. Il compatit à la souffrance de la
mère et cherche à l’apaiser. Il pose sa main sur l’épaule de la petite vieille, comme
pour la guider car les larmes l’aveuglent, peut-être pour lui faire sentir par ce contact
tant d’amour qu’elle en soit consolée et guérie, et il lui dit: «Mère, n’est-ce pas bien
qu’il en soit ainsi? Ton mari l’a fait avec toi, et sa mère l’a, non pas perdu comme tu
le dis et tu le penses, mais elle a eu moins son amour parce que ton époux le
partageait entre sa mère et toi. Et le père de ton mari, de son côté, a cessé d’appartenir
tout entier à sa mère pour aimer la mère de ses enfants. Et ainsi de génération en
génération, en remontant le long des siècles jusqu’à Eve: la première mère qui vit ses
enfants partager avec leurs épouses l’amour qu’ils avaient d’abord exclusivement
pour leurs parents. Mais la Genèse ne dit-elle pas: “Voilà finalement l’os de mes os et
la chair de ma chair... L’homme quittera pour elle son père et sa mère et il s’unira à sa
femme et les deux seront une seule chair”? Tu diras: “Ce fut une parole d’homme”.
Oui, mais de quel homme? Il était en état d’innocence et de grâce. Il reflétait donc
sans ombre la Sagesse qui l’avait créé, et il en connaissait la vérité. Par la Grâce et
l’innocence, il possédait aussi les autres dons de Dieu dans une mesure toute pleine.
Ses sens étant soumis à la raison, il avait un esprit que n’offusquaient pas les vapeurs
de la concupiscence. Grâce à la science proportionnée à son état, il disait des paroles
de vérité. Il était donc prophète, car tu sais que prophète veut dire qui parle au nom
d’un autre. Et puisque les vrais prophètes parlent toujours de choses qui se rapportent
à l’esprit et à l’avenir, même si en apparence elles se rapportent au présent et à la
chair. En effet, c’est dans les péchés de la chair et les faits du temps présent que se
trouvent les semences des punitions futures, ou bien les faits de l’avenir ont leur
racine dans un événement ancien: par exemple la venue du Sauveur tire son origine de
la faute d’Adam, et les punitions d’Israël, prédites par les prophètes, ont leur semence
dans la conduite d’Israël. Ainsi Celui qui meut les lèvres des prophètes pour
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dire des choses de l’esprit ne peut être que l’Esprit éternel qui voit tout dans un éternel
présent. Et c’est l’Esprit Eternel qui parle dans les saints, car il ne peut habiter chez
les pécheurs. Adam était saint, c’est-à-dire la justice était pleine en lui, et il avait en
lui la présence de toutes les vertus car Dieu avait versé dans sa créature la plénitude
de ses dons. A présent, pour arriver à la justice et à la possession des vertus, l’homme
doit beaucoup peiner, parce qu’il porte en lui les foyers du mal. Mais en Adam ces
foyers n’existaient pas, mais au contraire il avait la Grâce pour le rendre inférieur de
peu à son Créateur. C’étaient donc des paroles de grâce que disaient ses lèvres. C’est
donc une parole de vérité que celle-ci: “L’homme quittera pour sa femme son père et
sa mère, et il s’unira à sa femme, et ils seront une seule chair”. Cela est tellement
absolu et vrai, que le très Bon, pour réconforter les pères et mères, mit ensuite dans la
Loi le quatrième commandement: “Honore ton père et ta mère”. Ce commandement
ne prend pas fin avec le mariage de l’homme, mais dure après le mariage.
Auparavant, instinctivement, ceux qui étaient bons honoraient leurs parents même
après les avoir quittés pour fonder une nouvelle famille. Depuis Moïse, c’est une
obligation de la Loi. Et cela pour tempérer les douleurs des parents qui trop souvent
étaient oubliés par leurs enfants après le mariage. Mais la Loi n’a pas annulé la parole
prophétique d’Adam: “L’homme pour sa femme quittera père et mère”. C’était une
parole juste et vivante: elle reflétait la pensée de Dieu. Et la pensée de Dieu est
immuable parce que parfaite. Toi, mère, tu dois donc accepter, sans égoïsme, l’amour
de ton fils pour sa femme, et tu seras sainte toi aussi. Du reste tout sacrifice a sa
récompense dès cette Terre. Ne t’est-il pas doux d’embrasser tes petits-enfants, les
enfants de ton fils? Et ne sera-t-il pas paisible le soir de ta vie et ton dernier sommeil
avec, tout proche, le délicat amour d’une fille pour prendre la place de celles que tu
n’as plus dans ta maison?...»
«Comment sais-tu que mes filles, toutes plus âgées que le garçon, sont mariées et
loin d’ici?... Es-tu prophète aussi? Tu es un rabbi. Les noeuds de ton vêtement
l’indiquent et même si tu ne les avais pas, ta parole le dirait, car tu parles comme un
grand docteur. Serais-tu ami de Gamaliel? Il était ici avant-hier. Maintenant, je ne sais
pas... Et il avait beaucoup de rabbis avec lui et beaucoup de ses disciples préférés.
Mais Toi tu es peut-être arrivé en retard.»
«Je connais Gamaliel, mais je ne vais pas le trouver. Je n’entre même pas à Giscala...»
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«Mais qui es-tu? Un rabbi certainement, et tu parles encore mieux que
Gamaliel...»
«Et alors, fais ce que je t’ai dit, et tu auras la paix en toi. Adieu, mère. Moi, je continue. Toi,
certainement, tu entres dans la ville.»
«Oui... Mère!... Les autres rabbis ne sont pas si humbles devant une pauvre femme... Certainement
Celle qui t’a porté est sainte plus que Judith, si elle t’a donné ce doux coeur pour toute créature.»
«Elle est sainte, en vérité.»
«Dis-moi son nom»
«Marie.»
«Et le tien?»
«Jésus.»
«Jésus!...» La petite vieille est stupéfaite. La nouvelle la paralyse et la cloue sur place.
«Adieu, femme. La paix soit avec toi» et Jésus s’en va rapidement, presque en courant, avant
qu’elle revienne de sa réflexion. Les apôtres le suivent du même pas, alors que volent au vent leurs
vêtements, poursuivis vainement par les cris de la femme qui supplie: «Arrêtez-vous! Rabbi Jésus!
Arrête-toi! Je veux te dire quelque chose...» Ils ralentissent lorsque désormais le feuillage des monts
boisés les a de nouveau cachés, et on ne voit plus le chemin qui mène à Giscala en partant de ce
sentier muletier.
«Comme tu as bien parlé à la femme» dit Barthélemy.
«Une leçon de docteur! Dommage qu’elle était seule...» remarque Jacques d’Alphée.
«Je veux me rappeler ces paroles...» s’écrie Pierre.
«La femme a compris, ou presque, après avoir su ton Nom... Maintenant elle va aller parler de Toi
dans la ville...» dit Thomas.
«Pourvu qu’elle ne pique pas les guêpes et ne les lance pas à notre poursuite!» murmure Judas de
Kériot.
«Oh! nous sommes loin désormais!... Et on ne laisse pas de traces à travers ces bois, et nous ne
serons pas dérangés» dit André optimiste.
«Même si on l’était!... C’est la paix dans une famille que j’ai reconstruite» répond Jésus à tout le
monde.
«Mais comme elles sont! Toutes pareilles les belles-mères!» dit Pierre.
«Non. Nous en avons connu de bonnes. Tu te rappelles la belle-mère de Jérusa de Doco? Et la
belle-mère de Dorca de Césarée de Philippe?»
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«Mais oui, Jacques... Il y en a quelques unes de bonnes...» reconnaît Pierre, mais
certainement il pense que la sienne est une plaie.
«Arrêtons-nous ici et mangeons. Nous nous reposerons ensuite pour arriver au village de la vallée
pour la nuit» ordonne Jésus.
Ils s’arrêtent dans une petite cuvette de verdure qui semble l’intérieur d’une grande coquille
smaragdine incrustée dans la montagne et ouverte pour accueillir les pèlerins dans sa paix. La
lumière est douce, malgré l’heure, à cause des arbres hauts et puissants qui forment sur le pré une
voûte bruissante. La brise, qui court sur les montagnes, adoucit la température. Une petite source
fait courir un filet d’argent entre deux rochers sombres et elle chante doucement en se perdant parmi
les herbes épaisses, dans un lit minuscule qu’elle s’est creusé, large d’une palme et tout couvert par
les herbes de la rive qui ondulent au vent léger, et elle descend ensuite, par une petite cascade, à
l’escarpement situé plus bas. L’horizon encadre entre deux troncs puissants un horizon vaporeux et
lointain, dans la direction des monts du Liban: c’est un spectacle merveilleux...

165. JESUS PARLE DE SON ROYAUME ET DE SA LOI

Elle est douce la pause sur le petit plateau, mais il est prudent de descendre dans
la vallée pendant qu’il fait encore jour car la nuit viendrait vite et serait sombre sous
cette voûte de feuillage des arbres qui couvre la montagne.
Jésus se lève le premier et il va se rafraîchir le visage, les mains et les pieds dans le ruisselet que
forme la petite source. Puis il appelle ses apôtres, endormis dans l’herbe, et les invite à se préparer
et à partir. Et pendant qu’ils l’imitent, en se lavant l’un après l’autre dans le frais ruisseau, et qu’ils
remplissent les gourdes au filet d’eau qui sort du rocher, Lui va les attendre au bout du petit pré,
près des deux arbres centenaires qui le bornent à l’est, et il regarde l’horizon lointain.
Philippe est le premier à le rejoindre et regardant là où son Maître regarde, il dit: «Elle est belle
cette vue! Tu l’admires...»
«Oui. Mais je ne regardais pas seulement sa beauté.»
«Et quoi, alors? Tu pensais peut-être, au moment où Israël sera
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grand, de ces lieux au-delà du Liban et de l’Oronte, qui au cours des siècles nous ont
affligés et ils sont encore affliction pour nous, parce que c’est là que réside le coeur de
la puissance qui nous opprime avec le Légat? Elle est redoutable, en effet, la prophétie
qu’a faite sur eux un prophète et même plusieurs: “J’écraserai l’assyrien dans ma
terre, je le piétinerai sur mes montagnes... C’est la main qui s’étend sur les nations...
Et qui pourra la retenir?... Voilà, Damas cessera d’exister et il restera comme le tas de
pierres d’une ruine... C’est ce qui arrivera à ceux qui nous ont saccagés”. C’est Isaïe
qui parle! Et Jérémie parle aussi: “Je mettrai le feu aux murs de Damas et il dévorera
les murs de Benadab”. Et cela arrivera quand le Roi d’Israël, le Promis, prendra son
sceptre, et que Dieu aura pardonné à son peuple en lui donnant le Roi Messie... Oh!
c’est Ezéchiel qui le dit! “Vous, montagnes d’Israël, faites pousser vos branches,
portez vos fruits pour mon peuple d’Israël, car il va bientôt revenir... Je vous
reconduirai mon peuple et eux t’auront comme une possession héréditaire... Je ne
ferai plus entendre contre toi les outrages des nations...” Et les psaumes chantent avec
Etân Esraita: “J’ai trouvé mon serviteur David et je l’ai oint de mon huile sainte. Ma
main l’assistera... L’ennemi ne pourra rien contre lui... En mon nom, il grandira en
puissance... Il étendra sur la mer sa main, sur les fleuves sa main droite... Et moi, j’en
ferai l’aîné, le souverain parmi les rois de la Terre”. Et Salomon chante: “Il restera
autant que le soleil et la lune... Il dominera d’une mer à l’autre, et du fleuve jusqu’aux
extrémités de la Terre... Tous les rois de la Terre l’adoreront, tous les peuples seront
ses sujets...” Toi, Messie, car en Toi se trouvent tous les signes de l’esprit et de la
chair, tous les signes donnés par les prophètes. Alléluia à Toi, fils de David, Roi
Messie, Roi saint!»
«Alléluia!» crient en choeur les autres qui se sont réunis à Jésus et à Philippe et
ont entendu les paroles de ce dernier. Et l’alléluia se répercute, par l’écho, de gorge en
gorge, de colline en colline...
Jésus les regarde, très triste... Et il dit en réponse: «Mais vous ne vous rappelez
pas ce que dit David du Christ, et ce que du Christ dit Isaïe... Vous prenez le doux
miel, le vin enivrant des prophètes... mais vous ne réfléchissez pas que pour être le
Roi des rois, le Fils de l’homme devra boire le fiel et le vinaigre et se revêtir de la
pourpre de son Sang... Mais ce n’est pas votre faute si vous ne comprenez pas... Et
votre erreur de compréhension, c’est de l’amour. Je voudrais en vous un autre amour.
Mais, pour le moment, vous ne pouvez pas... Des siècles de péché sont contre les
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hommes pour empêcher en eux la Lumière. Mais la Lumière abattra les murailles et
entrera en vous... Allons.»
Ils reviennent sur le chemin muletier qu’ils avaient quitté pour monter au plateau
éloigné et descendent vivement vers la vallée. Les apôtres parlent entre eux à voix
basse...
Puis Philippe court en avant, rejoint le Maître, demande: «Je t’ai déplu, Seigneur? Je ne voulais
pas... As-tu de la rancoeur contre moi?»
«Non, Philippe. Mais je voudrais que vous au moins compreniez.»
«Tu regardais là-bas avec tant de désir...»
«Parce que je pensais à tant de lieux qui ne m’ont pas encore eu et qui ne m’auront pas... car mon
temps s’enfuit... Comme il est court le temps de l’homme! Et comme l’homme est lent à agir!...
Comme l’esprit ressent ces limites de la Terre!... Mais... Père, que soit faite ta volonté!»
«Pourtant toutes les régions des anciennes tribus, tu les as parcourues, mon Maître. Au moins une
fois tu les as sanctifiées, on peut donc dire que tu as pris en mains les douze tribus...»
«C’est vrai. Vous, ensuite, vous ferez ce que le temps ne m’a pas permis de faire.»
«Toi qui arrêtes les fleuves et qui calmes les mers, ne pourrais-tu pas ralentir le temps?»
«Je le pourrais. Mais le Père dans le Ciel, le Fils sur la Terre, l’Amour au Ciel et sur la Terre,
brûlent d’accomplir le Pardon...» et Jésus se plonge dans une méditation profonde que Philippe
respecte en le laissant seul pour aller retrouver ses compagnons auxquels il rapporte le dialogue.
...La vallée désormais est proche et déjà on voit une route, une vraie grand-route qui vient du sud et
se dirige vers l’ouest, en faisant un virage juste au pied de la montagne pour en suivre la base et
continuer ensuite en direction d’un beau village qui s’étend dans la verdure près d’un ruisseau, dont
le lit à présent n’est guère occupé que par des pierres avec de ci de là quelques roseaux qui ont
résisté, surtout au milieu où un filet, un vrai filet d’eau, s’obstine à s’écouler vers la mer.
Tous se réunissent avant de prendre la grand-route, mais ils n’ont fait que quelques mètres quand
deux hommes viennent à leur rencontre en les saluant.
«Deux disciples des rabbis, et l’un d’eux est lévite. Que veulent-ils?» disent entre eux les apôtres
qui ne sont pas du tout contents
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de la rencontre. Moi, je ne sais pas de quoi ils déduisent que ce sont des disciples, et
que l’un d’eux est lévite. Je ne comprends pas encore bien le langage des noeuds et
des franges et autres secrets de l’habillement Israélite.
Jésus, quand il se trouve à deux mètres environ des deux, et quand aucune
équivoque n’est possible, car la route est désormais libre de voyageurs qui, à pied ou à
cheval, se hâtent vers le village, répond à leurs salutations répétées et s’arrête pour les
attendre.
«La paix à Toi, Rabbi» dit maintenant le lévite qui s’était borné d’abord à saluer
profondément.
«La paix à toi, et à toi» dit Jésus en s’adressant à l’autre.
«Es-tu le Rabbi nommé Jésus?»
«Je le suis.»
«Une femme est entrée avant sexte dans la ville et elle a dit qu’elle avait parlé en
route avec un rabbi plus grand que Gamaliel, parce qu’en plus d’être sage, il est bon.
La nouvelle nous est arrivée, et les maîtres nous ont envoyés tous, tant que nous
étions, en suspendant le départ pour Jérusalem, pour te trouver: deux pour chaque
route qui descend de Giscala vers les chemins de la plaine. En leur nom et par notre
entremise, ils te disent: “Viens dans la ville, car nous voulons t’interroger”.»
«Et pour quel motif?»
«Pour que tu te prononces sur un fait survenu à Giscala, et dont durent les
conséquences.»
«Et n’avez-vous pas les grands docteurs d’Israël pour rendre un jugement? Pourquoi vous adresser
au Rabbi inconnu?»
«Si tu es Celui que disent les rabbis, tu n’es pas inconnu. N’es-tu pas Jésus de Nazareth?»
«Je le suis.»
«Ta sagesse est connue des rabbis.»
«Et Moi, je connais leur rancoeur à mon égard.»
«Pas tous, Maître. Le plus grand et le plus juste ne te hait pas.»
«Je le sais. Il ne m’aime pas non plus. Il m’étudie. Mais le rabbi Gamaliel est-il à Giscala?»
«Non, il est déjà parti pour être à Sephoris avant le sabbat. Il est parti tout de suite
après le jugement.»
«Et alors, pourquoi me cherchez-vous? Moi aussi, je dois respecter le sabbat et il m’est à peine
possible d’arriver à temps à cet endroit. Ne me retenez pas davantage.»
«Tu as peur, Maître?»
«Je n’ai pas peur, car je sais qu’aucun pouvoir n’est donné, pour l’instant, à mes ennemis. Mais je
laisse aux sages le plaisir de
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juger.»
«Que veux-tu dire?»
«Que Moi, je ne juge pas. Moi, je pardonne.»
«Tu sais juger mieux que tout autre. Gamaliel l’a dit. Il a dit: “Seul Jésus de Nazareth jugerait avec
justice ici”.»
«C’est bien. Mais désormais, vous avez jugé et la chose ne peut plus être remise en question.
J’aurais donné l’avis de faire calmer les passions avant de juger. S’il y avait faute, le coupable
pouvait se repentir et se racheter. S’il n’y avait pas eu faute, il n’y aurait pas eu le supplice qui pour
quelqu’un est, aux yeux de Dieu, pareil à un homicide prémédité.»
«Maître! Mais comment sais-tu? La femme a juré que tu n’as parlé avec elle que de ses affaires...
et... tu sais... Tu es alors vraiment un prophète?»
«Je suis qui je suis. Adieu. La paix à toi. Le soleil descend à l’horizon» et il tourne le dos pour aller
vers le village.
«Tu as bien fait, Maître! Certainement ils te tendaient un piège!» Les apôtres sont solidaires du
Maître. Mais leurs louanges, leurs raisons sont interrompues par les deux de tout à l’heure qui les
rejoignent pour supplier Jésus de remonter à Giscala.
«Non. Le coucher du soleil me surprendrait en chemin. Dites à ceux qui vous envoient que Moi,
j’observe la Loi, toujours, quand son observation ne lèse pas un commandement plus grand que
celui du sabbat: celui de l’amour.»
«Maître, Maître, nous t’en supplions. Ici c’est justement une question d’amour et de justice. Viens
avec nous, Maître.»
«Je ne puis. Et vous non plus vous ne pouvez pas y remonter à temps.»
«Nous avons la permission de le faire pour ce cas.»
«Et quoi? On a élevé la voix quand je guérissais un malade et quand je l’absolvais un jour de
sabbat, et à vous il est permis de violer le sabbat pour une discussion oiseuse? Il y a donc deux
mesures en Israël? Allez! Allez! Et laissez-moi aller.»
«Maître, tu es prophète. Tu sais par conséquent. Moi, je le crois et lui le croit. Pourquoi nous
repousses-tu?»
«Pourquoi!...» Jésus les regarde fixement, en s’arrêtant. Ses yeux sévères qui traversent et pénètrent
au-delà des voiles de la chair pour lire les coeurs, regardent, dominateurs, les deux qu’il a devant
Lui. Et ses yeux si insoutenables dans la rigueur, si doux dans l’amour, changent de regard et
prennent une expression si affectueuse, si miséricordieuse que si d’abord le coeur tremblait de
70
crainte devant la puissance du regard, maintenant il tremble d’émotion devant l’éclat
de l’amour du Christ. «Pourquoi!» répète-t-il... «Ce n’est pas Moi qui repousse, mais
les hommes qui repoussent le Fils de l’homme, et ce dernier doit se défier de ses
frères. Mais à ceux qui n’ont pas de malice dans le coeur, je dis: “Venez” et je dis
encore: “Aimez-moi” à ceux qui me haïssent...»
«Et alors, Maître...»
«Et alors, je vais au village pour le sabbat.»
«Attends-nous, au moins.»
«Au crépuscule du sabbat, je pars. Je ne puis attendre.»
Les deux se regardent et ils restent en arrière pour se consulter, puis l’un d’eux, celui dont le visage
est le plus ouvert et qui a presque toujours parlé, revient en courant.
«Maître, je reste avec Toi jusqu’après le sabbat.»
Pierre, qui est à côté de Jésus, tire son vêtement pour l’obliger à se tourner de son
côté, et lui murmure: «Non. Un espion.» Jude Thaddée derrière son cousin Lui
souffle: «Méfie-toi.» Nathanaël, qui est allé en avant avec Simon et Philippe, se
retourne et Lui fait les gros yeux pour dire: «Non.» Jusqu’aux deux plus confiants,
André et Jean, font signe que non par derrière l’importun.
Mais Jésus ne tient pas compte de leur peur soupçonneuse et répond brièvement: «Reste» et les
autres doivent se résigner.
L’homme, content, se sent moins étranger, éprouve le besoin de dire son nom, qui il est, pourquoi il
est en Palestine lui qui est né dans la Diaspora, mais consacré à Dieu dès sa naissance parce qu’il fut
une «consolation pour ses parents» qui, reconnaissants au Seigneur de l’avoir, le confièrent à des
parents à Jérusalem pour qu’il appartînt au Temple. Là, en servant la Maison de Dieu, il connut le
rabbi Gamaliel et devint son disciple attentif et aimé: “Ils m’ont appelé Joseph parce que, comme
l’ancien Joseph, j’ai enlevé à ma mère la peine d’être stérile. Mais ma mère disait toujours “ma
consolation” pendant qu’elle me nourrissait, et je suis devenu Barnabé pour tous. Même le grand
rabbi m’appelle ainsi parce qu’il trouve sa consolation dans ses meilleurs élèves.»
«Fais en sorte que Dieu aussi te donne ce nom, et même pardessus tout que Dieu t’appelle ainsi» dit
Jésus.
Ils entrent dans le village.
«Le connais-tu?» demande Jésus.
«Non. Je n’y ai jamais été. C’est la première fois que je viens ici, en Nephtali. Le rabbi m’a amené
avec lui, avec d’autres, parce que je suis resté seul...»
71
«As-tu Dieu pour ami?»
«Je l’espère. J’essaie de le servir le mieux possible.»
«Alors, tu n’es pas seul. Seul est le pécheur.»
«Je puis pécher moi aussi...»
«Toi, disciple d’un grand rabbi, tu connais certainement les conditions pour qu’une action devienne
péché.»
«Tout est péché, Seigneur. L’homme pèche continuellement car les préceptes sont plus nombreux
que les moments d’une journée. Et pas toujours la réflexion et les circonstances nous aident à ne
plus pécher.»
«En vérité même les circonstances, surtout elles, nous amènent souvent à pécher. Mais as-tu une
idée claire du principal attribut de Dieu?»
«Justice.»
«Non.»
«Puissance.»
«Non.»
«... Rigueur.»
«Moins que jamais.»
«Et pourtant... elle se manifesta sur le Sinaï et plus tard encore...»
«Alors on vit le Très-Haut au milieu des éclairs. Ils ceignaient d’une auréole terrible le visage du
Père et Créateur. En vérité vous ne connaissez pas le vrai visage de Dieu. Si vous le connaissiez et
si vous en connaissiez l’esprit, vous sauriez que le principal attribut de Dieu c’est l’Amour et
l’Amour miséricordieux.»
«Je sais que le Très-Haut nous a aimés. Nous sommes le peuple élu, mais il est terrible de le
servir!»
«Si tu sais que Dieu est Amour, comment peux-tu dire qu’Il est redoutable?»
«C’est qu’en péchant, nous perdons son amour.»
«Je t’ai demandé avant si tu connais les conditions pour lesquelles une action devient péché.»
«Quand ce n’est pas une action des six-cent-treize préceptes, des traditions, des décisions, des
coutumes, des bénédictions et des prières, en plus des dix commandements de la Loi, ou bien quand
ce n’est pas comme les scribes enseignent ces choses, alors c’est un péché.»
«Même si l’homme ne le fait pas avec une pleine advertance et un parfait consentement de la
volonté?»
«Même en ce cas. Aussi, qui peut dire: “Moi, je ne pèche pas”?
72
Qui peut avoir à sa mort la paix en Abraham?»
«Les hommes ont-ils un esprit parfait?»
«Non. Car Adam a péché, et nous avons cette faute en nous. Elle nous rend
faibles. L’homme a perdu la Grâce du Seigneur, unique force pour nous conduire...»
«Et le Seigneur le sait?»
«Lui sait tout.»
«Et alors crois-tu qu’Il n’ait pas de miséricorde en tenant compte de tout ce qui
affaiblit l’homme? Crois-tu qu’Il exige de ceux qui ont été frappés ce qu’Il pouvait
exiger du premier Adam? Il y a là une différence que vous ne considérez pas. Dieu est
Justice, oui. Il est Puissance, oui. Il peut être aussi Rigueur pour l’impénitent qui
continue de pécher. Mais quand Il voit que son enfant - vous êtes tous enfants sur la
Terre qui est une heure d’éternité pour l’esprit, qui devient adulte à son examen
spirituel de majorité éternelle dans le jugement particulier - quand Il voit donc que son
enfant a un manquement parce qu’il est distrait, qu’il est lent pour arriver à discerner,
parce qu’il est peu instruit, parce qu’il est si faible en une ou plusieurs choses,
penses-tu que le Père très Saint puisse le juger avec une inexorable rigueur? Tu l’as
dit: l’homme a perdu la Grâce, la force qui permet de lutter contre les tentations et les
appétits. Et Dieu le sait. Il ne faut pas avoir peur de Dieu et le fuir comme Adam après
la faute, mais se rappeler qu’Il est Amour. Son visage resplendit sur les hommes, non
pas pour les réduire en cendres, mais plutôt pour les réconforter comme le soleil
réconforte par ses rayons. C’est l’amour, et non pas la rigueur, qui rayonne de Dieu.
Rayons de soleil et non pas flèches foudroyantes. Et, du reste... Qu’est-ce que, de
lui-même, a imposé l’Amour? Un fardeau que l’on ne peut porter? Un code aux
innombrables articles que l’on peut oublier? Non. Seulement les dix commandements.
Pour brider comme un poulain l’homme animal qui, sans bride, va à sa ruine. Mais
quand l’homme sera sauvé, quand la Grâce lui sera rendue, quand ce sera le Royaume
de Dieu, c’est-à-dire le Règne de l’amour, aux fils de Dieu et aux sujets du Roi il sera
donné un seul commandement en lequel il y aura tout: “Aime ton Dieu avec tout
toi-même, et ton prochain comme toi-même”. Parce que, crois, ô homme, que
Dieu-Amour ne peut qu’alléger le joug et le rendre plus doux, et avec l’amour il sera
doux servir Dieu, non plus craint, mais aimé. Aimé seulement, aimé pour Lui-même,
et aimé dans nos frères. Comme elle sera simple la dernière Loi! Comme l’est Dieu
qui est parfait dans sa simplicité. Ecoute: aime Dieu avec
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tout toi-même, aime ton prochain comme toi-même. Réfléchis: les lourds
six-cent-treize préceptes, et toutes les prières et bénédictions ne sont-elles pas déjà
énumérées dans ces deux phrases, en les débarrassant des détails inutiles qui ne sont
pas de la religion mais de l’esclavage à l’égard de Dieu? Si tu aimes Dieu,
certainement tu l’honores à toutes les heures. Si tu aimes le prochain, certainement tu
ne fais pas de choses qui le fassent souffrir. Tu ne mens pas, tu ne dérobes pas, tu ne
tues ni ne blesses, tu n’es pas adultère. N’est-ce pas ainsi?»
«C’est ainsi... Maître juste, je voudrais rester avec Toi. Mais Gamaliel a déjà
perdu à cause de Toi, ses meilleurs disciples... Moi...»
«Ce n’est pas encore l’heure de venir à Moi. Quand elle arrivera, ton maître lui-même te le dira car
c’est un juste.»
«Il l’est, c’est vrai? Tu le dis?»
«Je le dis parce que c’est la vérité. Je ne suis pas homme à abattre pour m’élever sur celui que j’ai
abattu. Je reconnais à chacun le sien... Mais ils nous appellent... Ils ont certainement trouvé où nous
loger. Allons-y...»

166. UN JUGEMENT DE JESUS

«Elle ne me plaît pas du tout cette halte avec cet homme qui s’est uni à nous...»
bougonne Pierre qui est avec Jésus dans un verger touffu.
Ce doit être déjà l’après-midi du sabbat car le soleil est encore haut sur l’horizon alors que c’était
déjà le crépuscule quand ils sont arrivés au village.
«Après les prières, nous partirons. C’est le sabbat. Nous ne pouvions pas voyager, et le repos ici
nous a fait du bien. Nous ne nous arrêterons plus jusqu’au prochain sabbat.»
«Mais tu t’es si peu reposé. Tous ces malades!...»
«Autant qui maintenant louent le Seigneur. Pour vous épargner tant de route, je serais resté ici deux
jours, pour donner à ceux qui ont été guéris le temps d’apporter la nouvelle au-delà des frontières.
Mais vous n’avez pas voulu.»
«Non! Non! Je voudrais être déjà loin. Et... n’aie pas trop con-
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fiance, Maître. Tu parles! Tu parles! Mais sais-tu que chacune de tes paroles en
certaines bouches se change en poison pour Toi? Pourquoi nous l’ont-ils envoyé?»
«Tu le sais.»
«Oui. Mais pourquoi est-il resté?»
«Ce n’est pas le premier qui reste après m’avoir approché.»
Pierre secoue la tête. Il n’est pas convaincu. Il mâchonne: «Un espion! Un
espion!…»
«Ne juge pas, Simon. Tu pourrais te repentir un jour de ton jugement actuel...»
«Je ne juge pas. J’ai peur, pour Toi. E cela c’est de l’amour. Et le Très-Haut ne
peut me punir de t’aimer.»
«Je ne dis pas que tu te repentirais de cela, mais d’avoir pensé du mal de ton frère.»
«Lui est frère de ceux qui te haïssent. Il n’est donc pas mon frère.»
Le raisonnement, humainement, est juste, mais Jésus observe: «Il est disciple de Gamaliel. Gamaliel
n’est pas contre Moi.»
«Mais il n’est pas non plus avec Toi.»
«Qui n’est pas contre Moi, est avec Moi, même s’il ne semble pas. On ne peut pas demander qu’un
Gamaliel, le plus grand docteur que possède Israël, aujourd’hui, un puits de savoir rabbinique, une
vraie mine dans laquelle se trouve toute la... substance de la science rabbinique, puisse rapidement
tout répudier pour me prendre... Moi. Simon, il est difficile même à vous de me prendre en laissant
de côté tout le passé...»
«Mais nous, nous t’avons pris!»

«Non. Sais-tu ce que c’est que de me prendre, Moi? Ce n’est pas seulement
m’aimer et me suivre. Cela est plutôt le mérite de l’Homme que je suis et qui attire
vos sympathies. Me prendre, c’est prendre ma doctrine, qui est pareille à l’ancienne
pour la Loi divine, mais qui est complètement différente de cette loi, de cet amas de
lois humaines qui se sont accumulées au cours des siècles pour former tout un code et
un formulaire qui n’a rien de divin. Vous, tous les humbles d’Israël, et aussi quelque
grand très juste, vous vous lamentez et vous critiquez les subtilités formalistes des
scribes et des pharisiens, leurs intransigeances et leurs duretés... mais vous aussi vous
n’en êtes pas exempts. Ce n’est pas votre faute. Pendant des siècles et des siècles,
vous, les hébreux, avez assimilé lentement les... exhalaisons humaines de ceux qui ont
manipulé la Loi de Dieu, pure et surhumaine. Tu le sais. Quand
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quelqu’un continue pendant des années et des années à vivre d’une certaine manière
différente de celle de son pays natal, parce qu’il est dans un pays qui n’est pas le sien,
et qu’y vivent ses enfants et ses petits-enfants, il arrive que sa descendance finisse par
devenir comme celle de l’endroit où elle se trouve. Elle s’acclimate au point de perdre
jusqu’à l’aspect physique de sa nation en plus des habitudes morales et,
malheureusement, au point de perdre la religion de ses pères... Mais voici les autres.
Allons à la synagogue.»
«Tu parles?»
«Non. Je suis un simple fidèle. J’ai parlé par les miracles ce matin...»
«Pourvu que cela ne t’ait pas été nuisible...» Pierre est vraiment mécontent et
préoccupé, mais il suit le Maître qui s’est joint aux autres apôtres et qui se trouve
rejoint en route par l’homme de Giscala, et d’autres qui sont peut-être du village.
Dans la synagogue le chef de la synagogue, se tourne vers Jésus avec respect en disant: «Veux-tu, ô
Rabbi, expliquer la Loi?»
Mais Jésus refuse et c’est comme simple fidèle qu’il suit toutes les cérémonies baisant comme les
autres le rouleau que Lui présente l’adjoint (je l’appelle ainsi ne sachant quel nom donner à cet
assistant du chef de la synagogue) et écoutant l’explication du point qui a été choisi. Certainement
pourtant, même s’il ne parle pas, son attitude est déjà une prédication de la façon dont il prie...
Beaucoup le regardent. Le disciple de Gamaliel ne le perd pas de vue une seule minute. Et les
apôtres, soupçonneux comme ils sont, ne perdent pas de vue le disciple.
Jésus ne se retourne pas même quand sur le seuil de la synagogue se produit un bourdonnement qui
distrait beaucoup de gens. Mais la cérémonie prend fin et les gens sortent sur la place où se trouve
la synagogue. Jésus, bien qu’étant plutôt vers le fond de la synagogue, sort un des derniers, et se
dirige vers la maison pour prendre son sac et partir. Beaucoup de gens de l’endroit le suivent et
parmi eux le disciple de Gamaliel qu’appellent à un certain moment trois hommes adossés au mur
d’une maison. Il parle avec eux, et avec eux se fraie un chemin vers Jésus.
«Maître, ces gens veulent te parler» dit-il pour attirer l’attention de Jésus qui parlait avec Pierre et
son cousin Jude.
«Des scribes! Je l’avais dit!» s’écrie Pierre déjà troublé.
Jésus salue profondément les trois qui le saluent et demande: «Que voulez-vous?»
Le plus âgé parle: «Tu n’es pas venu. Nous, nous venons. Et pour
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que personne ne pense que nous n’avons pas respecté le sabbat, nous disons à tous
que nous avons partagé le parcours en trois temps: le premier jusqu’à ce que la
dernière lueur du crépuscule eût vécu; le second, de six stades, pendant que la lune
éclairait les sentiers; le troisième se termine maintenant et n’a pas dépassé la mesure
1égale. Ceci dit pour nos âmes et les vôtres. Mais pour notre esprit, nous te
demandons ta sagesse. Tu es au courant de ce qui est arrivé dans la ville de Giscala?»
«Je viens de Capharnaüm, je ne sais rien.»
«Ecoute. Un homme s’était absenté pour de longues affaires de sa maison; en revenant, il apprit que
pendant son absence, sa femme l’avait trahi, et jusqu’au point d’avoir un fils qui ne pouvait être du
mari puisqu’il avait été absent pendant quatorze mois. L’homme a tué secrètement sa femme. Mais,
dénoncé par quelqu’un qui l’avait appris de la servante, il a été mis à mort conformément à la loi
d’Israël. L’amant, qui selon la Loi devrait être lapidé, s’est réfugié à Cédès, et certainement il
cherchera à rejoindre de là d’autres lieux. Le bâtard, que le mari voulait avoir pour le tuer lui aussi,
ne fut pas remis par la femme qui l’allaitait, et elle est allée à Cédès pour demander au vrai père du
bébé de s’occuper de son enfant, car le mari de la nourrice ne veut pas garder le bâtard chez lui.
Mais l’homme l’a repoussée en lui disant que son fils le gênerait dans sa fuite. Selon Toi, comment
juges-tu le fait?»
«Je ne pense pas que désormais on puisse le juger. Tout jugement, juste ou injuste, a déjà été
prononcé.»
«Quel est, selon Toi, le jugement juste et celui qui est injuste? Il y a eu divergence d’idées entre
nous au sujet du supplice de l’homicide.»
Jésus les regarde, fixement, l’un après l’autre. Puis il dit: «Je vais parler. Mais
d’abord, répondez à mes questions, quel que soit leur poids. Et soyez sincères.
L’homme homicide de la femme était il de l’endroit?»
«Non. Il s’y était établi après avoir épousé la femme qui, elle, en était.»
«L’adultère était-il de l’endroit?»
«Oui. »
«Comment l’homme trahi sut-il qu’il l’était? La faute était-elle publique?»
«Non, vraiment, et on ne comprend pas comment l’homme put le savoir. La femme s’était absentée
depuis des mois en disant que, pour ne pas rester seule, elle allait à Ptolémaïs chez ses parents, et
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elle revint en disant qu’elle avait pris avec elle le bébé d’une parente morte.»
«Quand elle était à Giscala, sa conduite était-elle effrontée?»
«Non. Au contraire nous avons tous été étonnés de sa relation avec Marc.»
«Mon parent n’est pas un pécheur. C’est un accusé innocent» dit l’un des trois qui n’a encore jamais
parlé.
«C’était ton parent? Qui es-tu?» demande Jésus.
«Le premier des Anciens de Giscala. C’est pour cela que j’ai voulu la mort de l’homicide, car non
seulement il a tué, mais il a tué une innocente» et il regarde de travers le troisième qui a environ
quarante ans, et qui répond: «La Loi dit de tuer l’homicide.»
«Tu voulais la mort de la femme et de l’adultère.»
«C’est la Loi.»
«S’il n’y avait pas d’autre raison, personne n’aurait parlé.»
La discussion s’enflamme entre les deux antagonistes qui oublient presque Jésus. Mais celui qui a
parlé le premier, le plus âgé, impose le silence en disant avec impartialité: «On ne peut nier que
l’homicide ait été consommé, comme on ne peut nier qu’il y ait eu faute. La femme l’a avouée à son
mari. Mais laissons parler le Maître.»
«Moi, je dis: comment le mari l’a-t-il su? Vous ne m’avez pas répondu.»
Celui qui défend la femme dit: «Parce que quelqu’un a parlé dès le retour du mari.»
«Et alors Moi je dis que celui-là n’avait pas l’âme pure» dit Jésus en abaissant ses
paupières pour voiler son regard et l’empêcher d’accuser.
Mais l’homme de quarante ans qui voulait la mort de la femme et de l’adultère s’emporte: «Moi, je
ne désirais pas cette femme.»
«Ah! maintenant c’est clair! C’est toi qui as parlé! Je le soupçonnais, mais maintenant tu t’es trahi!
Assassin!»
«Et toi qui favorise l’adultère. Si tu ne l’avais pas averti, il ne se serait pas enfui. Mais c’est ton
parent! C’est ainsi que se fait la justice en Israël! C’est pour cela que tu défends aussi la mémoire de
la femme: pour défendre ton parent. S’il n’y avait qu’elle tu ne t’en soucierais pas.»
«Et toi, alors? Toi qui as jeté l’homme contre la femme pour te venger de ses refus?»
«Et toi, le seul qui as témoigné contre l’homme? Toi qui dans cette maison payais une servante pour
qu’elle te favorise? Un seul
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témoignage n’est pas valide: c’est la Loi qui le dit.» Un brouhaha de marché!
Jésus et le plus âgé cherchent à calmer les deux hommes qui représentent deux
intérêts et deux courants opposés et qui révèlent une haine inguérissable entre deux
familles. Ils y réussissent non sans peine, et maintenant c’est Jésus qui parle. Calme,
solennel, il commence par se défendre de l’accusation venue de l’un des deux
adversaires: «Toi qui protèges les prostituées...»
«Moi, non seulement je dis que l’adultère consommé est un crime contre Dieu et le prochain, mais
je dis: même celui qui a des désirs impurs pour la femme d’un autre est adultère dans son coeur et
commet le péché. Malheur si tout homme qui a désiré la femme d’autrui devait être mis à mort! Les
lapideurs devraient avoir toujours des cailloux à la main. Mais si bien des fois le péché reste impuni
de la part des hommes sur la Terre, le péché sera expié dans l’autre vie, parce que le Très-Haut a
dit: “Tu ne forniqueras pas et tu ne désireras pas la femme d’autrui”, et il faut obéir à la parole de
Dieu. Cependant, je dis aussi: “Malheur à celui par qui se commet un scandale et malheur à celui
qui dénonce son prochain”. Ici, il y a eu des manquements de la part de tous. De la part du mari. Y
avait-il pour lui une véritable nécessité d’abandonner sa femme pendant si longtemps? L’avait-il
toujours traitée avec cet amour qui gagne le coeur de la compagne? S’est-il examiné lui-même pour
voir si avant d’être offensé par sa femme, il ne l’avait pas offensée, lui? La loi du talion dit: “Oeil
pour oeil, dent pour dent”. Mais si elle le dit pour exiger réparation, cette réparation doit-elle être
donnée par un seul? Je ne défends pas la femme adultère, mais je dis: “Combien de fois aurait-elle
pu accuser son conjoint de ce péché?”»
Les gens murmurent: «C’est vrai! C’est vrai!» et ils approuvent aussi le vieillard de Giscala et le
disciple de Gamaliel.
Jésus poursuit: «...Moi, je dis: comment n’a-t-il pas craint Dieu celui qui par
vengeance a causé une pareille tragédie? L’aurait-il voulue au sein de sa famille? Moi,
je dis: l’homme qui s’est enfui et qui, après avoir joui et causé des malheurs, repousse
aussi maintenant l’innocent, croit-il qu’en fuyant il échappera au Vengeur éternel?
Voilà ce que je dis. Et je dis encore: la Loi exigeait la lapidation des adultères et la
mise à mort de l’homicide. Mais un jour viendra où la Loi, nécessaire pour contenir la
violence et la luxure des hommes qui ne sont pas fortifiés par la Grâce du Seigneur,
sera modifiée, et s’il restera les commandements: “Ne pas tuer et ne pas
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commettre l’adultère”, les sanctions contre ces péchés seront remises à une justice
plus élevée que celle de la haine et du sang. Une justice, par rapport à laquelle la
justice existante toujours fallacieuse et injuste des juges humains, tous adultères et
peut-être plusieurs fois, sinon homicides, sera moins que rien. Je parle de la justice de
Dieu qui demandera raison aux hommes même des désirs impurs d’où viennent les
vengeances, les délations, les homicides, et qui surtout demandera raison des motifs
pour lesquels on refuse aux coupables le temps de se racheter et pour lesquels on
impose aux innocents de porter le poids des fautes d’autrui. Tous sont coupables ici.
Tous. Même les juges mûs par des motifs opposés de vengeance personnelle. Il n’y a
qu’un innocent, et c’est à lui que va ma pitié. Moi, je ne peux revenir en arrière. Mais
qui de vous sera charitable pour le petit et pour Moi qui souffre pour lui?» Jésus jette
sur la foule un regard de prière attristée.
Plusieurs disent: «Que veux-tu? Mais rappelle-toi: c’est un bâtard.»
«A Capharnaüm, il y a une femme qui s’appelle Sara. Elle est d’Aféc. Une de mes disciples.
Conduisez-lui l’enfant, et dites-lui: “Jésus de Nazareth te le confie”. Quand le Messie que vous
attendez aura fondé son Royaume, et apporté ses lois qui n’annulent pas la Parole du Sinaï, mais la
perfectionnent avec la charité, les bâtards ne seront plus sans mère, car je serai le Père de ceux qui
n’ont pas de père, et je dirai à mes fidèles: “Aimez-les par amour pour Moi”. Et d’autres choses
seront changées car la violence sera remplacée par l’amour.
Vous croyiez peut-être, en m’interrogeant, que je m’opposerais à la Loi. Et c’est
pour cela que vous m’avez cherché. Dites-vous à vous-mêmes et dites à ceux qui vous
ont envoyés que je suis venu pour perfectionner la Loi, jamais pour la contredire.
Dites-vous à vous-mêmes et dites aux autres que Celui qui prêche le Royaume de
Dieu ne peut certes enseigner ce qui dans le Royaume de Dieu serait horreur et ne
pourrait par conséquent être accueilli. Dites-vous à vous-mêmes et dites aux autres de
se souvenir du Deutéronome: ‘Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi, de ta nation,
d’entre tes frères, un prophète. Ecoute-le. C’est ce que tu as demandé au Seigneur ton
Dieu près de l’Oreb et tu as dit: , Que je n’entende plus la voix du Seigneur mon Dieu
et que je ne voie plus cet immense feu, et que je ne meure pas’. Et le Seigneur m’a dit:
‘Ils ont bien parlé et Moi, Je leur susciterai d’entre leurs frères un prophète semblable
à toi et Je mettrai mes paroles sur ses lèvres
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et il leur dira tout ce que Je lui aurai commandé. Et si quelqu’un ne voudra pas
écouter les paroles qu’il dira en mon nom, J’en tirerai vengeance’ ’.
Dieu vous a envoyé son Verbe pour qu’il parle sans que sa voix vous tue. Dieu
avait déjà tant parlé à l’homme, plus que l’homme n’avait mérité de l’entendre. Tant,
par la Loi du Sinaï et par les prophètes. Mais il y avait encore tant à dire, et Dieu l’a
réservé pour son prophète du temps de Grâce, pour celui qui a été Promis à son
peuple, en qui est la Parole de Dieu et en qui s’accomplira le pardon. Fondateur du
Royaume de Dieu, il codifiera la Loi avec de nouveaux préceptes d’amour, car le
temps de l’amour est venu. Et il ne demandera pas vengeance au Très-Haut pour ceux
qui ne l’écoutent pas, mais seulement que le feu de Dieu fonde le granit des coeurs et
que la Parole de Dieu puisse les pénétrer et y fonder le Royaume qui est le Royaume
de l’esprit de même que son Roi est un Roi spirituel. A quiconque aimera le Fils de
l’Homme, le Fils de l’Homme donnera le Chemin, la Vérité, la Vie pour aller à Dieu,
le connaître, et vivre la Vie éternelle. Pour quiconque recevra ma parole, s’ouvriront
en lui des sources de lumière grâce auxquelles il connaîtra le sens caché des paroles
de la Loi et il verra que les interdictions ne sont pas des menaces, mais des invitations
de Dieu, qui veut les hommes bienheureux et non pas damnés, bénis et non pas
maudits.
Une fois de plus, d’une chose désormais résolue, comme la sainteté ne l’aurait pas résolue, vous
avez fait un instrument d’inquisition pour me prendre en péché. Mais Moi, je sais que je ne pèche
pas. Et je ne crains pas de dire ma pensée: l’homme homicide a expié, d’abord par le déshonneur et
puis par la mort, d’avoir fait du gain le but de sa vie. La femme a expié par sa mort son péché et -
cela vous étonnera, mais il en est ainsi - et son aveu dans l’intention d’amener son mari à la pitié
pour l’innocent, a diminué auprès de Dieu le poids de son péché. Les autres: toi et toi, et celui qui
s’est enfui sans même avoir pitié de son enfant, vous êtes plus coupables que les deux premiers.
Vous murmurez? Vous n’avez pas expié par la mort et vous n’avez pas les circonstances
atténuantes du mari trahi, ni celles de la femme délaissée et qui avait avoué sa faute. Et tous vous
avez un péché, tous, sauf la nourrice de l’innocent: le péché de repousser cet innocent comme s’il
était un mal honteux. Vous avez su tuer l’homicide, vous auriez su aussi tuer les adultères. Ce qui
est justice sévère, vous avez su le faire et vous auriez su le faire. Mais aucun n’a su et ne sait ouvrir
les bras à la
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pitié pour l’innocent. Mais vous n’êtes pas complètement responsables. Vous ne savez
pas... Vous ne savez jamais exactement ce que vous faites et ce qu’il faudrait faire. Et
en cela vous avez une excuse.
Quand ce disciple de Gamaliel est venu me trouver, il m’a dit: “Viens. Ils veulent
t’interroger sur un fait dont les conséquences durent”. Les conséquences, c’est
l’innocent. Eh bien? Maintenant que vous connaissez ma pensée, changez-vous
peut-être votre jugement là où il peut l’être? A lui, j’ai dit: “Moi, je ne juge pas. Je
pardonne”. Gamaliel a dit: “Seul Jésus de Nazareth jugerait ici avec justice”. Moi,
comme je l’ai dit à celui-ci, j’aurais conseillé à tous, je dis à tous, d’attendre pour
frapper un examen attentif et que les passions se soient calmées. Beaucoup de choses
pouvaient être changées sans offenser la Loi. La chose est passée désormais. Et que
Dieu pardonne à qui s’est repenti ou se repentira. Je n’ai pas autre chose à dire. Ou
plutôt, j’ai encore une chose: que Dieu vous pardonne, une fois encore, d’avoir tenté
le Fils de l’homme.»
«Pas moi, Maître! Pas moi! Moi... j’aime le rabbi Gamaliel comme un disciple
doit aimer son maître: plus qu’un père. Davantage parce qu’un rabbi forme
l’intelligence qui est quelque chose de plus grand que la chair. Et... je ne puis quitter
mon rabbi pour Toi. Mais, voici. Pour te saluer, je ne trouve que les paroles du
cantique de Judith. Elles fleurissent du fond de mon coeur, car j’ai senti la justice et la
sagesse en toutes tes paroles. “Adonaï, Seigneur, tu es grand et magnifique dans ta
puissance. Personne ne peut te surpasser. Personne ne peut résister à ta voix. Ceux qui
te craignent, seront toujours devant Toi!”... Seigneur, je vais descendre à Capharnaüm
chez la femme dont tu parles... Et Toi, prie pour moi pour que mon granit fonde et
qu’y pénètre la Parole qui établit le Royaume de Dieu en nous... Maintenant j’ai
compris. Nous sommes dans l’erreur. Et nous disciples, nous sommes les moins
coupables...»
«Que dis-tu, imbécile?» interrompt violemment l’Ancien de Giscala en s’adressant au disciple de
Gamaliel.
«Ce que je dis? Je dis que mon maître a raison et que celui qui offre à Lui pour le tenter un royaume
temporel est un Satan, car Lui est un vrai Prophète du Très-Haut et la Sagesse parle par ses lèvres.
Dis-moi, Maître, que dois-je faire?»
«Méditer.»
«Mais...»
«Méditer. Tu es un fruit vert et il te faut une greffe. Je prierai
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pour toi. Vous, venez...» Et, avec les apôtres chargés de leurs sacs, il se met en route,
laissant derrière Lui les commentaires.

167. JESUS GUERIT L’ENFANT AVEUGLE-NE DE SIDON

Je vois Jésus qui, entouré des apôtres et du peuple, sort de la synagogue. Je


comprends que c’est une synagogue parce que, par la porte grande ouverte, je vois le
même mobilier que j’ai vu dans celle de Nazareth, dans une des visions préparatoires
à la Passion.
La synagogue se trouve sur la place centrale du village. Une place nue, seulement
entourée de maisons, un bassin au milieu, alimenté par une fontaine d’où coule une
belle eau limpide par une bouche unique faite d’une pierre creusée comme une tuile.
Le bassin sert à abreuver les quadrupèdes et les nombreuses colombes qui volettent
d’une maison à l’autre; la fontaine pour remplir les brocs des femmes, de belles
amphores beaucoup en cuivre repoussé, d’autres en cuivre uni, qui brillent au soleil.
En effet il fait du soleil et il est chaud. La terre de la place est sèche, jaunâtre, comme
elle l’est lorsque un chaud soleil la dessèche. Il n’y a pas un seul arbre sur la place,
mais des touffes de figuiers et des sarments de vignes débordent par dessus les murets
des jardins qui s’alignent sur les quatre routes qui débouchent sur la place. Ce doit
être la fin de l’été et la fin de la journée. En effet il y a du raisin mûr sur les tonnelles,
et le soleil ne tombe pas à pic, mais il a les rayons obliques du crépuscule.
Sur la place, des malades attendent Jésus. Je ne vois pourtant pas de miracle parmi eux. II passe, se
penche sur eux, les bénit et les réconforte, mais ne les guérit pas, du moins en ce moment. Il y a
aussi des femmes avec des enfants et des hommes de tout âge. Ils semblent connus du Sauveur car il
les salue par leurs noms et ils se serrent autour de Lui avec familiarité. Jésus caresse les enfants en
se penchant affectueusement sur eux.
Dans un coin de la place, il y a une femme avec un petit garçon ou une petite fille
(ils sont tous vêtus de la même tunicelle de couleur claire). Elle ne semble pas être de
l’endroit. Je dirais qu’elle est d’une condition sociale plus élevée que les autres. Son
vêtement est plus ouvragé, avec des galons et des plis; ce n’est pas la simple tunique
des femmes du peuple qui a, à la taille, un cordon comme unique ornement et unique
adaptation du vêtement. Cette femme a, au contraire, un habit plus compliqué qui,
sans être le chef-
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d’oeuvre de vêtements qu’étaient ceux de Marie Magdeleine, est déjà très orné. Sur la
tête un voile léger, beaucoup plus que celui des autres femmes qui est de lin fin, alors
que le sien est presque de la mousseline tant il est léger. Il est fixé au milieu de la tête,
avec grâce, et il laisse voir et entrevoir une chevelure châtaine bien peignée; les
mèches sont tressées simplement mais avec plus de soins que celles des autres
femmes, qui ont des tresses groupées sur la nuque ou enroulées sur la tête. Sur les
épaules un véritable manteau, je ne sais si l’étoffe est cousue ou tissée en rond, qui a
au cou un galon terminé par une boucle d’argent. Le manteau tombe très ample avec
des plis jusqu’à la cheville.
La femme tient par la main le petit ou la petite dont j’ai parlé, un bel enfant
d’environ sept ans. Il est même robuste, mais dépourvu de vivacité. Il reste tranquille,
la tête penchée, à la main de la maman, indifférent à ce qui se passe.
La femme regarde, mais elle n’ose s’approcher du groupe qui s’est formé autour de Jésus. Elle
semble indécise, se demandant si elle va y aller et craignant d’avancer. Mais ensuite elle prend un
moyen terme: attirer l’attention de Jésus. Elle voit qu’il a pris dans ses bras un bébé tout rose et tout
riant qu’une mère Lui a présenté et que, tout en parlant avec un petit vieux, il le serre contre son
coeur en le berçant. Elle se penche sur son enfant et lui dit quelque chose.
L’enfant lève la tête. Je vois alors un visage triste, aux yeux fermés. Il est aveugle. «Pitié de moi,
Jésus!» dit-il.
La voix enfantine fêle l’air tranquille de la place et arrive, avec sa plainte, jusqu’au groupe.
Jésus se retourne et voit. Il se déplace immédiatement avec une sollicitude affectueuse, sans même
rendre à sa mère le bébé qu’il a dans les bras. Il va, grand et très beau, vers le pauvre petit aveugle
qui, après avoir crié, a de nouveau baissé la tête, inutilement sollicité par sa mère de répéter le cri.
Jésus est en face de la femme. Il la regarde. Elle aussi le regarde puis, timidement, elle baisse les
yeux. Jésus l’aide. Il a rendu l’enfant qu’il avait dans les bras à la femme qui le Lui avait donné.
«Femme, c’est ton fils?»
«Oui, Maître, c’est mon premier-né.»
Jésus caresse sa petite tête inclinée. Jésus paraît n’avoir pas vu la cécité du petit.
Mais je pense qu’il le fait intentionnellement pour que la mère formule sa demande.
«Le Très-Haut a donc béni ta maison avec de nombreux enfants
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et en te donnant d’abord le garçon consacré au Seigneur.»
«Je n’ai qu’un garçon: lui, et trois fillettes, et je n’en aurai pas d’autres...» Elle
sanglote.
«Pourquoi pleures-tu, femme?»
«Parce que mon garçon est aveugle, Maître!»
«Et tu voudrais qu’il voie. Peux-tu croire?»
«Je crois, Maître. On m’a dit que tu as ouvert des yeux qui étaient fermés. Mais mon petit est né
avec des yeux desséchés. Regarde-le, Jésus. Sous les paupières, il n’y a rien...»
Jésus lève vers Lui le petit visage précocement sérieux et le regarde en soulevant les paupières avec
le pouce. Dessous, c’est le vide. Il recommence à parler en tenant d’une main le petit visage levé
vers Lui.
«Pourquoi es-tu venue, alors, femme?»
«Parce que... je sais que c’est plus difficile pour mon enfant... mais s’il est vrai que tu es l’Attendu,
tu peux le faire. Ton Père a fait les mondes... Ne pourrais-tu faire, Toi, deux pupilles à mon
enfant?»
«Tu crois que je viens du Père, le Seigneur Très-Haut?»
«Je le crois et que Toi, tu peux tout.»
Jésus la regarde comme pour apprécier la foi qui est en elle et la pureté de cette foi. Il sourit, puis il
dit: «Enfant, viens vers Moi» et il le conduit par la main sur un muret haut d’un demi-mètre qui
s’élève le long de la route devant une maison, une sorte de parapet pour la protéger de la route qui a
un tournant en cet endroit.
Quand l’enfant est bien en place sur le muret, Jésus devient sérieux, imposant. La
foule se presse autour de Lui, de l’enfant et de sa mère anxieuse. Je vois Jésus de côté,
de profil, tout enveloppé dans son manteau bleu très foncé sur son vêtement un peu
plus clair. Son visage est inspiré. Il paraît plus grand et même plus robuste, comme
toujours quand il libère une puissance miraculeuse. Et c’est une des fois qu’il me
paraît le plus imposant. Il pose ses mains sur la tête de l’enfant, ses mains ouvertes,
mais avec les deux pouces sur les orbites vides. Il lève la tête et prie intensément mais
sans remuer les lèvres. Un colloque, certainement, avec son Père. Puis il dit: «Vois! Je
le veux! Et loue le Seigneur!» et à la femme: «Que ta foi soit récompensée. Voici ton
fils qui sera ton honneur et ta paix. Montre-le à ton mari et il reviendra à ton amour, et
ta maison connaîtra de nouveaux jours de bonheur.»
La femme a poussé un cri aigu de joie en voyant qu’une fois enlevés les pouces divins, à la place
des orbites vides, deux yeux
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magnifiques bleu foncé, comme ceux du Maître, la fixent étonnés et heureux sous la
frange des cheveux noir foncé. Mais elle pousse un autre cri et, tout en tenant son fils
serré contre son coeur, elle s’agenouille aux pieds du Maître en disant: «Cela aussi, tu
le sais? Ah! Tu es vraiment le Fils de Dieu» et elle baise son vêtement et ses sandales
et puis elle se lève transfigurée par la joie. Elle dit: «Ecoutez tous. Je viens de la terre
lointaine de Sidon. Je suis venue parce qu’une autre mère m’a parlé du Rabbi de
Nazareth. Mon mari, juif et marchand, a dans cette ville ses comptoirs pour le
commerce avec Rome. Riche et fidèle à la Loi, il cessa de m’aimer quand, après lui
avoir donné un garçon malheureux, je lui ai enfanté trois filles et qu’ensuite je suis
devenue stérile. Lui s’est éloigné de sa maison et, sans être répudiée, j’étais dans la
même situation que si je l’avais été. Je savais déjà qu’il voulait se libérer de moi pour
avoir, d’une autre femme, un héritier capable de continuer le commerce et jouir des
richesses paternelles. Avant de partir, je suis allée trouver mon époux et je lui ai dit:
“Attends, seigneur. Attends que je revienne. Si je reviens avec un fils encore aveugle,
répudie-moi. Mais autrement ne blesse pas à mort mon coeur et ne refuse pas un père
à tes enfants”. Et lui m’a juré: “Pour la gloire du Seigneur, femme, je te jure que si tu
me ramènes l’enfant sain - je ne sais pas comment tu pourras faire puisque ton ventre
n’a pas su lui donner des yeux - je reviendrai à toi comme aux jours de notre premier
amour”. Le Maître ne pouvait rien savoir de mon chagrin d’épouse et pourtant il m’a
consolée même pour cela. Gloire à Dieu et à Toi, Maître et Roi.» La femme est de
nouveau à genoux, et elle pleure de joie.
«Va! Dis à Daniel, ton mari, que Celui qui a créé les mondes, a donné deux
claires étoiles pour pupilles au petit consacré au Seigneur. Car Dieu est fidèle à ses
promesses et Il a juré que celui qui croit en Lui verra toutes sortes de prodiges. Qu’il
soit maintenant fidèle au serment qu’il a fait et qu’il ne commette pas de péché
d’adultère. Dis cela à Daniel. Va! Sois heureuse. Je te bénis toi et cet enfant et avec
toi, ceux qui te sont chers.»
La foule forme un choeur de louanges et de félicitations, et Jésus entre dans une maison voisine
pour se reposer.
La vision cesse ainsi. Et je vous assure qu’elle m’a profondément frappée.
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168. «L’ENSEIGNEMENT DE LA VISION RESIDE DANS LA FIDELITE AU


CONJOINT»

Jésus dit:
«Pour ceux qui ont foi en Lui, Dieu dépasse toujours les demandes de ses enfants et Il leur donne
encore davantage. Crois-le cela et croyez-le tous. La femme qui était venue de Sidon pour me
trouver, avec les deux épées enfoncées dans le secret de son coeur, n’osa me dire le nom que de
l’une. C’est qu’il est plus pénible de dévoiler certaines souffrances intimes que de dire: “Je suis
malade”. Mais je lui donne aussi le second miracle.
Aux yeux du monde, il aura semblé et il semblera toujours qu’il est beaucoup
plus facile de rétablir la concorde entre deux époux séparés par un motif qui
désormais est surmonté, et heureusement, que de donner deux pupilles à deux yeux
qui sont nés sans les avoir. Mais non, il n’en est pas ainsi. Pour Celui qui est le Sei-
gneur et le Créateur, faire deux pupilles est une chose très simple comme de rendre à
un cadavre le souffle de la vie. Le Maître de la Vie et de la Mort, le Maître de tout ce
qui existe dans la Création, ne manque certainement pas de souffle vital pour l’infuser
de nouveau aux morts et de deux gouttes de liquide humoral pour un oeil desséché. Il
suffit qu’Il le veuille pour le pouvoir. Car cela dépend de sa seule volonté. Mais quand
il s’agit de concorde entre les hommes, il faut la “volonté” des hommes unie au désir
de Dieu. Dieu ne fait que rarement violence à la liberté humaine. La plupart du temps,
Il vous laisse libres d’agir comme vous voulez.
Cette femme qui vivait dans un pays d’idolâtres et était restée croyante comme
son époux envers le Dieu de ses pères, méritait déjà la bienveillance de Dieu.
Poussant ensuite sa foi au-delà des limites des mesures humaines, surmontant les
doutes et les négations de la majorité des croyants juifs - et le prouve ce qu’elle dit à
son époux: “Attends mon retour”, certaine de revenir avec son fils guéri - elle mérite
un double miracle. Elle mérite aussi ce difficile miracle d’ouvrir les yeux de l’esprit à
son conjoint, des yeux qui s’étaient éteints à la vision de l’amour et de la souffrance
de son épouse et lui imputaient une faute qui n’en était pas une.
Je veux aussi, et cela pour les épouses, que l’on réfléchisse à l’humilité respectueuse de leur soeur.
“Je suis allée trouver mon époux, et je lui ai dit: ‘Attends, sei-
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gneur’ ” . Elle avait pour elle la raison, car inculper une mère pour un défaut de
naissance, c’est de la sottise et de la cruauté. Déjà son coeur est brisé par la vue de son
enfant malheureux. Elle a deux fois pour elle la raison car, abandonnée par son mari
depuis qu’elle est stérile et connaissant son intention de divorcer, elle reste cependant
“l’épouse”, c’est-à-dire la compagne fidèle et soumise à son compagnon, comme cela
est voulu par Dieu et enseigné par l’Ecriture. Pas de révolte ni de soif de vengeance
ou d’intention de trouver un autre homme pour ne pas être “la femme seule”. “Si je ne
reviens pas avec l’enfant guéri, répudie-moi. Mais autrement ne blesse pas mon coeur
à mort et ne refuse pas un père à tes enfants”. Ne semble-t-il pas entendre parler Sara
et les anciennes femmes hébraïques?
Comme il est différent, ô épouses, votre langage de maintenant! Mais aussi
comme c’est différent ce que vous obtenez de Dieu et de votre époux. Et les familles
se détruisent de plus en plus.
Comme toujours, en accomplissant le miracle, j’ai dû donner un signe qui le rendît encore plus
incisif. Je devais persuader tout un monde renfermé dans les barrières de toute une séculaire
manière de penser et dirigé par une secte qui m’était hostile. De là, la nécessité de faire resplendir
clairement mon pouvoir surnaturel. Mais l’enseignement de la vision n’est pas là. Il est dans la foi,
dans l’humilité, mais dans la fidélité au conjoint, dans le bon chemin qu’il vous faut prendre, ô
épouses et mères qui avez trouvé des épines là où vous vous promettiez des roses, pour voir naître
sur les piquants qui vous blessent de nouvelles branches fleuries.
Tournez-vous vers le Seigneur votre Dieu qui a créé le mariage pour que
l’homme et la femme ne soient pas seuls et s’aiment en formant pour toujours une
seule chair et indissoluble, puisqu’elle a été unie, et qui vous a donné le Sacrement
pour que sur votre union descende sa bénédiction, et que grâce à Moi vous ayez ce qui
vous est nécessaire dans votre nouvelle vie de conjoints et de procréateurs. Et pour
vous tourner vers Lui, avec un visage et une âme bien assurés, soyez honnêtes,
bonnes, respectueuses, fidèles, de vraies compagnes de l’époux, non pas de simples
hôtes de sa maison ou pis encore: des étrangères que le hasard réunit sous un même
toit, comme le hasard réunit des pèlerins dans un hôtel.
Trop souvent, ceci arrive maintenant. L’homme manque-t-il à ses devoirs? Il agit
mal. Mais cela ne justifie pas la manière d’agir de trop d’épouses. Cela la justifie
encore moins quand à un bon compagnon vous ne savez pas rendre le bien pour le
bien et l’amour
88
pour l’amour. Je ne veux même pas m’arrêter au cas trop fréquent de vos infidélités
charnelles, qui ne vous rendent pas différentes à des prostituées avec la circonstance
aggravante d’être hypocritement vicieuses, et de souiller l’autel de la famille autour
duquel se trouvent les âmes angéliques de vos innocents. Mais je parle de votre
infidélité morale au pacte d’amour juré devant mon autel.
Eh bien, j’ai dit: “Celui qui regarde une femme en la désirant, commet l’adultère
dans son coeur”; j’ai dit: “Celui qui renvoie son épouse avec un libelle de divorce,
l’expose à l’adultère”. Mais maintenant, maintenant que trop de femmes sont des
étrangères pour leur mari, je dis: “Celles qui n’aiment pas leur compagnon avec leur
âme, leur esprit et leur chair, le poussent à l’adultère, et si à lui je demanderai le
pourquoi de son péché, je le ferai aussi pour celle qui ne l’a pas exécuté, mais en est la
cause”. La Loi de Dieu, il faut savoir la comprendre dans toute son étendue et toute sa
profondeur, et il faut savoir la vivre en pleine vérité.

Reste avec ma paix toi que ceci ne regarde pas, et garde ton coeur fixé en Moi.»

169. EN REVENANT DES CONFINS SYRO-PHENICIENS

Comme souvent ils le font pendant qu’ils cheminent, peut-être pour alléger par
cette distraction la monotonie de la marche continuelle, les apôtres parlent entre eux
en rappelant et commentant les derniers événements, questionnant de temps à autre le
Maître qui généralement parle peu, seulement pour n’être pas discourtois, réservant
cette fatigue seulement pour le cas où il faut instruire les gens ou ses apôtres, en
corrigeant les idées fausses, en réconfortant des malheureux.
Jésus était la «Parole», mais il n’était certainement pas le «bavardage»! Patient et
gentil comme nul autre, sans jamais montrer d’être ennuyé de devoir répéter une idée,
une, deux, dix, cent fois, pour la faire entrer dans les têtes cuirassées par les préceptes
pharisaïques et rabbiniques, sans se soucier de sa fatigue, qui parfois est si grande
qu’elle devient une souffrance, pour enlever la souffrance physique ou morale à une
créature. Mais il est visible qu’il préfère se taire, s’isoler dans un silence méditatif qui
peut
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durer plusieurs heures s’il n’y est pas arraché par quelqu’un qui l’interroge.
Généralement, il est un peu en avant de ses apôtres et il va alors la tête un peu
inclinée, la levant de temps en temps pour regarder le ciel, la campagne, les
personnes, les animaux. Regarder, ai-je dit, mais c’est mal dit. Je dois dire: aimer. Car
c’est un sourire, un sourire de Dieu, qui se déverse de ces pupilles pour caresser le
monde et les créatures, un sourire-amour. Car c’est un amour qui transparaît, qui se
répand, qui bénit, qui purifie la lumière de son regard, toujours intense, mais
extrêmement intense quand il sort du recueillement...

Que peuvent bien être ses recueillements? Je pense - et je suis certaine de ne pas
me tromper, car il suffit d’observer l’expression de son visage pour voir ce qu’ils sont
- je pense qu’ils sont bien plus que nos extases dans lesquelles la créature vit déjà au
Ciel. Ce sont «la réunion sensible de Dieu avec Dieu». La Divinité était toujours
présente et unie au Christ qui était Dieu comme le Père. Sur la Terre comme au Ciel le
Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père qui s’aiment et qui en s’aimant
engendrent la Troisième Personne. La puissance du Père, c’est la génération du Fils,
et l’acte d’engendrer et d’être engendré crée le Feu, c’est-à-dire l’Esprit de l’Esprit de
Dieu. La Puissance se tourne vers la Sagesse qu’elle a engendrée, et celle-ci se tourne
vers la Puissance dans la joie d’être l’Un pour l’Autre et de se connaître pour ce qu’ils
sont. Et comme toute bonne connaissance réciproque crée l’amour - même nos
connaissances imparfaites - voici l’Esprit Saint... Voilà Celui qui, s’il était possible
d’établir une perfection dans les perfections divines, devrait être appelé la Perfection
de la Perfection. L’Esprit Saint! Celui dont la seule pensée remplit de lumière, de joie,
de paix...
Dans les extases du Christ, quand l’incompréhensible mystère de l’Unité et de la Trinité de Dieu se
renouvelait dans le très Saint Coeur de Jésus, quelle complète, parfaite, incandescente, sanctifiante,
joyeuse, pacifique production d’amour ne devait pas s’engendrer et se répandre comme la chaleur
venant d’une ardente fournaise, comme l’encens d’un encensoir allumé, pour baiser avec le baiser
de Dieu les choses créées par le Père, faites par l’intermédiaire du Fils-Verbe, faites pour l’Amour,
pour le seul Amour, parce que toutes les opérations de Dieu sont Amour?
Et cela c’est le regard de l’Homme-Dieu, quand en Homme et en Dieu, il lève ses yeux, qui ont
contemplé en Lui-même le Père, Lui-même et l’Amour, pour regarder l’Univers en admirant la
puissance créatrice de Dieu, comme Homme, dans la jubilation de pouvoir la sauver dans les
créatures royales de cette création: les hommes, comme Dieu.
Oh! On ne peut, personne ne pourra, ni poète, ni artiste, ni peintre, rendre visible
aux foules ce regard de Jésus sortant de l’embrassement, de l’union sensible avec la.
Divinité, unie hypostatiquement à l’Homme toujours, mais pas toujours si
profondément sensible à l’Homme qui était Rédempteur et qui par conséquent à ses
nombreuses souffrances, à ses nombreux anéantissements, devait ajouter aussi
celui-là, très grand, de ne pouvoir plus être toujours dans le Père, dans le grand
tourbillon de l’Amour comme il était au Ciel: tout-puissant... libre... joyeux.
Splendide la puissance de son regard de miracle, très douce l’expression de son regard
d’homme, très triste la lumière de douleur dans les heures de douleur... Mais ce sont
des regards encore humains, bien que parfaits d’expression. Celui-là, ce regard de
Dieu qui s’est con-
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templé et aimé dans l’Unité Triniforme ne peut plus se comparer, il n’y a pas d’adjectif pour lui...
Et ainsi les discours des apôtres sur l’épisode de Giscala, sur le miracle de
l’enfant aveugle, sur Ptolémaïs vers laquelle ils se dirigent, sur la route à gradins
taillés dans le roc où ils se sent engagés pour arriver au dernier village de frontière
entre la Syro-Phénicie et la Galilée - et ce doit être celle que j’ai vue quand ils allaient
à Alexandroscène - sur Gamaliel, etc., s’en sent allés. Ou plutôt, pour ce que j’en ai
senti, ils sent restés dans mon coeur. Je dis seulement que je voulais dire cela. Que

….les apôtres qui, dans les premiers temps, moins spirituellement formés,
dérangeaient facilement le Maître, maintenant, plus évolués spirituellement,
respectent sa solitude et préfèrent parler entre eux, en arrière de deux ou trois mètres.
Ce n’est que lorsqu’ils ont besoin d’un renseignement, d’un jugement, ou bien quand
devient plus pressant leur amour pour le Maître, qu’ils s’approchent de Lui.

170. EN ALLANT VERS SEPHORIS

«Levez-vous et partons» commande Jésus aux siens qui dorment lourdement sur
du foin, plutôt des joncs que du foin, entassés sur un champ près d’un ruisseau qui
attend les pluies d’automne pour remplir d’eau son lit.
Les apôtres obéissent sans parler, encore à moitié endormis. Ils ramassent les sacs, mettent leurs
manteaux dont ils s’étaient servis comme couvertures pendant la nuit, et se mettent en route avec
Jésus.
«Nous allons par le Carmel?» demande Jacques d’Alphée.
«Non, par Sephoris. Et ensuite nous prendrons la route pour Mageddo. Nous avons à peine le
temps...» répond Jésus.
«Oui. Et les nuits se font trop humides et trop fraîches pour dormir dans les champs, quand pour
quelque raison une maison ne nous accueille pas» observe Mathieu.
«Les hommes! Mais comme ils oublient facilement!... Seigneur? Mais en sera-t-il toujours ainsi?»
demande André.
«Toujours.»
«Et alors! S’il en est ainsi avec Toi, quand ce sera nous qui agirons, dès que l’on aura tourné le dos,
tout sera effacé» dit Thomas découragé.
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«Moi, je dis pourtant qu’il y a ici quelqu’un qui fait oublier. Car les hommes, oui,
oublient facilement. Mais ils n’oublient pas toujours. Je vois que parmi nous, parmi
nous hommes, nous nous souvenons des choses que nous avons eues et données. Pour
Toi, par contre... Non. Ce sont toujours les mêmes qui travaillent à effacer le souvenir
de Toi» dit Pierre.
«Ne juge pas sans avoir une base certaine» dit Jésus.
«Maître, c’est que la base, je l’ai!»
«Tu l’as? Qu’as-tu découvert?» demande l’Iscariote très intéressé, et avec lui d’autres demandent
également. Mais l’intérêt de Judas est le plus vif, je dirais inquiet.
Pierre, qui regardait Jésus, se tourne et regarde l’Iscariote... un regard attentif,
éveillé, soupçonneux, et il se tait, en le regardant, pendant un moment. Puis il dit:
«Oh! rien... et tout, si cela ne t’ennuie pas de le savoir. Au point, si j’étais un homme
à employer tous les moyens pour réussir, au point de courir dénoncer beaucoup de
choses à ceux qui nous gouvernent, et je suis sûr que quelqu’un aurait des ennuis.
Mais je préfère ne pas réussir plutôt que d’avoir de l’aide de ce côté. Dans les choses
de Dieu, je n’admets que l’aide de Dieu, et il me semblerait apporter la profanation
dans les choses de Dieu à employer... leur... aide pour écraser les reptiles. Eux aussi
sont des reptiles... et... je ne m’y fierais pas... Capables d’écraser en même temps ceux
qui sont dénoncés et les dénonciateurs... Ainsi... j’agis par moi-même. Voilà!»
«Mais tu ne t’aperçois pas que tu offenses le Maître?»
«Moi? Pourquoi?»
«Parce que Lui les fréquente.»
«Lui, c’est Lui, et s’il les fréquente, ce n’est pas par intérêt mais pour les amener à Dieu. Lui peut le
faire... et il le fait. Mais il ne court pas après eux... Tu vois que... c’est à eux de venir à Lui pour
entendre le “philosophe”, comme ils disent. Mais maintenant ils ne le désirent plus autant, me
semble-t-il. Et moi, je ne pleure pas.»
«Tu paraissais content toi aussi à Pâque!»
«Il semblait. L’homme est souvent un sot. Mais il ne semble plus, et cela n’est
plus. Et j’ai raison.»
«Comme créature qui ne mélange pas l’intérêt humain aux choses spirituelles, tu as raison, Simon»
dit Jésus. «Mais comme apôtre qui se réjouit que d’autres s’éloignent de la Lumière, non. Tu n’as
pas raison. Si tu réfléchissais que toute âme gagnée à la Lumière est une gloire pour ton Maître, tu
ne parlerais pas ainsi.»
Judas Iscariote regarde Pierre avec un sourire sarcastique.
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Pierre le voit... mais il se domine et ne dit rien.
Jésus le voit aussi, et s’adressant à Pierre, mais comme s’il parlait pour tous, il
dit: «Sachez pourtant que plus excusable est un excès de scrupule religieux, pour une
bonne fin, que de passer sans souci sur tout pour atteindre un but humain. Je vous l’ai
dit plusieurs fois: c’est la volonté bonne ou mauvaise qui donne du poids à l’action. Et
dans ce cas, c’est une volonté bonne, même si elle est imparfaite dans sa forme, de
s’opposer à amener l’humain dans le surhumain, et ce que l’on considère comme
immonde auprès de Dieu. Son intransigeance n’est pas juste parce que je suis venu
pour tout le monde. Mais il est très voisin de la perfection son jugement que, dans les
choses de Dieu, on ne doit recourir qu’à son aide surnaturelle, sans mendier une aide
humaine intéressée ou utilitaire.» Et avec cette appréciation équitable, Jésus met fin à
la discussion.
Ils ont passé à pied sec un autre lit de ruisseau brûlé par l’été et rejoint la route
principale qui va de Sicaminon vers la Samarie. Je crois, si j’ai bon souvenir, que
c’est un endroit que j’ai vu une autre fois. La route est très fréquentée à cause de la
proximité de la fête et elle a déjà pris l’aspect caractéristique des routes palestiniennes
aux époques des pèlerinages obligatoires au Temple. Voyageurs, ânes, chars qui
portent des personnes, avec des tentes, du mobilier pour les haltes entre les étapes, et
dans Jérusalem elle-même, toujours envahie lors des solennités, au point de conseiller
de camper sur les collines qui l’entourent, pourvu que la saison le permette.
Puis, dans cette fête des Tabernacles, elle est encore plus sensible cette émigration de familles
entières, non pas que les pèlerins soient plus nombreux que pour la Pâque ou la Pentecôte, mais
parce que, devant vivre sous des cabanes pendant plusieurs jours, ils ont le mobilier que dans les
autres solennités tous évitent de traîner derrière eux. C’est vraiment l’exode d’un peuple qui se
déverse de toutes les routes vers la capitale, comme le sang afflue au coeur par toutes les veines.

Pour comprendre même maintenant la religion obstinée d’Israël, si tenace, si unie


- c’est pourquoi les coreligionnaires s’aident entre eux, en quelque endroit qu’ils se
trouvent poussés par le sort et, quelle que soit la Nation où ils sont nés, et cela n’est
pas un obstacle, car un autre juif d’une autre nation se sent toujours frère et
compatriote du coreligionnaire qu’il rencontre - il faut se souvenir qu’eux, disperses,
persécutés, méprisés, apparemment sans une vraie Patrie, ne se sentent rien de tout
cela. Ils ont leur Patrie, celle que leur Jéhovah leur a donnée, ils ont leur capitale:
Jérusalem, et c’est là, de toutes les parties du monde, que converge le meilleur de leur
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être: leur esprit, leur coeur. Ils ont péché? Dieu les a punis? Les prophéties se sont
réalisées? Oui, c’est vrai. Mais il reste celle-là, lumineuse, cause pour eux dune
lumineuse espérance, de la reconstruction du royaume d’Israël... de ce Messie qui doit
venir... Et dans la douleur qui craint d’avoir démérité de Dieu, et dans une perpétuelle
question: «Mais Jésus de Nazareth était-il le vrai Messie?», ils cherchent à se
reconstituer en Nation, pour l’avoir, ce Messie, ils cherchent à conserver cette foi
tenace à leur religion pour mériter le pardon de Dieu et voir s’accomplir la promesse.
Je suis une pauvre femme, et je ne connais rien aux problèmes politiques, je ne
me suis jamais intéressée aux hébreux d’aujourd’hui et à leurs malheurs. Quelquefois
même, j’ai ri d’eux de ce qu’ils attendent encore Celui qui est venu et qu’ils ont
crucifié, il me semblait qu’ils versaient peut-être des larmes de crocodiles, leur
conduite ne m’a pas semblé et ne me semble pas telle qu’elle puisse mériter ce qu’ils
espèrent de Dieu, non pas le Christ qui désormais ne viendra qu’au Dernier Jour, mais
pas non plus le rassemblement de la race hébraïque dispersée dans une Nation
indépendante. Mais pourtant, maintenant que je vois, spirituellement, les pères des
hébreux actuels, je comprends leur drame séculaire et leur ténacité, la source de cette
ténacité qu’ils gardent toujours. C’est encore le Peuple de Dieu qui, par la volonté de
Dieu, converge vers la Terre promise aux Pères, aux Patriarches, le peuple qui depuis
des centaines de siècles accomplit le rite mosaïque, en pensant à Jérusalem, à son
Temple qui resplendit sur le Moriah. Ils ne peuvent y aller? Si. Mais ils s’y rendent en
esprit.
Les baïonnettes, les canons, les prisons servent contre l’homme, pas contre l’esprit. Israël ne peut
périr, car il est resté dans sa religion. Théorique, pharisaïque, rituelle, privée de ce qui est la vraie
vie d’une religion: la correspondance de l’esprit au rite matériel? Tout ce que vous voulez. Mais
autour de ce corps émietté qui fut une Nation, et qui est maintenant une infinité de fragments épars
sur toute la Terre, il reste pour les garder unis un ensemble d’idées, de rites, de préceptes séculaires,
venus des prophètes et des rabbis et, comme un phare visible de toutes les parties du monde, un lieu
resplendit: Jérusalem, et son nom est comme un appel au rassemblement, il est comme un étendard
déployé pour le rappel, le souvenir, la promesse. Non. Ce peuple ne peut être réduit au silence par
aucune force humaine.
Il y a en lui une force plus qu’humaine. Tout cela se comprend quand on observe ce peuple qui s’en
va par des chemins impossibles, dans des saisons pénibles, insoucieux de tout ce qui est peine,
joyeux de la joie d’aller à la Cité Sainte. Tout cela se comprend quand on les voit aller, les riches
avec les pauvres, les enfants avec les vieux, de la Palestine ou de la Diaspora, vers leur coeur:
Jérusalem. Tout cela se comprend quand on les entend chanter leurs cantiques... Et, je l’avoue, moi
je voudrais que nous, les chrétiens et les catholiques, nous soyons comme eux, que nous ayons pour
le coeur du Catholicisme, Rome, l’Eglise, et pour celui qui y vit: le Pierre d’aujourd’hui, les
sentiments de ceux que je vois aller, aller, aller; je voudrais que nous ayons ce qu’ils ont eux, en
plus de notre Foi parfaite parce que chrétienne.
On me dira: «Ils sont pleins de défauts.» Et nous? En sommes-nous exempts?
Exempts, nous fortifiés par la Grâce et les Sacrements? Nous qui devrions être
«parfaits comme le Père qui est dans les Cieux?»
J’ai fait une digression. Mais, en suivant la marche des apôtres, confondus avec les foules d’Israël,
ma pensée travaillait...

Et elle travaille jusqu’au moment où, à un croisement de routes, un groupe de


disciples aperçoit le Maître et se serre autour de Lui. Parmi eux se trouve Abel de
Bethléem, qui se jette tout de suite
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aux pieds de Jésus en disant: «Maître, j’ai tant prié le Très-Haut pour qu’il me fit te
rencontrer. Je ne l’espérais plus. Mais Il m’a exaucé. Toi, maintenant, exauce ton
disciple.»
«Que veux-tu, Abel? Viens là, au bord du champ. Ici, il y a trop de gens, et nous
dérangeons.»
Ils se rendent en masse à l’endroit que Jésus indique et là Abel dit ce qu’il veut.
«Maître, tu m’as sauvé de la mort et de la calomnie et tu as fait de moi un de tes disciples. Tu
m’aimes donc beaucoup?»
«Peux-tu le demander?»
«Je le demande pour être certain que tu exauces ma prière. Quand tu m’as sauvé,
tu as infligé à mes ennemis un horrible châtiment. Tu l’as infligé, il est certainement
juste. Mais, oh! Seigneur! il est bien horrible! J’ai cherché ces trois. Chaque fois que
je venais chez ma mère, je les cherchais, sur les montagnes, dans les cavernes, dans
ma ville. Et je ne les trouvais jamais.»
«Pourquoi les as-tu cherchés?»
«Pour leur parler de Toi, Seigneur. Pour que, croyant en Toi, ils t’invoquent et obtiennent le pardon
et la guérison. C’est seulement pendant l’été que je les ai trouvés, et pas ensemble. L’un d’eux,
celui qui me haïssait à cause de ma mère, s’est séparé des autres qui sont allés plus haut, vers les
monts plus élevés de Jiphtaël. Ils m’ont dit où il est... Et de ceux-ci j’ai eu la trace par des bergers
de Bethléem qui t’ont donné l’hospitalité ce soir-là. Les bergers, avec leurs troupeaux, vont de tous
côtés, et ils savent tant de choses. Ils savaient que c’était à la montagne de la Belle Source que se
trouvaient les deux lépreux que je cherchais. J’y suis allé. Oh!...» L’horreur se peint sur le visage du
jeune homme, encore tout jeune.
«Continue.»
«Ils m’ont reconnu. Moi, je ne pouvais reconnaître mes concitoyens en ces deux monstres... Ils
m’ont appelé... et ils m’ont prié, comme si j’étais un dieu... Le serviteur surtout m’a fait pitié, à
cause de son pur repentir. Il ne veut que ton pardon, Seigneur... Aser veut aussi la guérison. Il a une
vieille mère, Seigneur, une vieille mère qui meurt de chagrin dans la ville...»
«Et l’autre? Pourquoi s’est-il séparé?»
«Parce que c’est un démon. Principal coupable, déjà adultère quand il est devenu homicide, il a
poussé Aser, corrompu le serviteur de Joël, qui est un peu sot et facilement influençable, il continue
à être un démon. De sa bouche sort la haine et le blasphème, de son coeur la haine et la cruauté. Je
l’ai vu lui aussi... Je voulais le
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rendre bon. Il s’est rué sur moi comme un vautour et ce n’est qu’à ma fuite, rapide et
résistante pour moi parce que je suis jeune et sain, que j’ai dû mon salut. Mais je ne
désespère pas de le sauver. Je retournerai... Une fois, deux fois, autant qu’il faudra
avec des secours, avec amour. Je me ferai aimer. Lui croit que je vais pour me moquer
de son malheur. Moi, j’y vais pour le réédifier. S’il peut arriver à m’aimer, il
m’écoutera; s’il m’écoute, il finira par croire en Toi. C’est ce que je veux. Les autres,
oh! cela a été facile car par eux-mêmes ils ont médité et compris. Et le serviteur est
devenu le simple maître de l’autre parce qu’il a tant de foi, un si grand désir de
pardon. Viens, Seigneur! Je leur ai promis de te conduire à eux quand je t’aurais
rencontré.»
«Abel, leur crime était grand: plusieurs crimes en un. Bien court est le temps
qu’ils ont expié...»
«Grand a été leur tourment et leur repentir. Viens.»
«Abel, eux te voulaient mort.»
«N’importe, Seigneur. Je veux pour eux la vie.»
«Quelle vie?»
«Celle que tu donnes, celle de l’esprit, le pardon, la rédemption.»
«Abel, c’étaient tes Caïns et ils t’ont haï comme on ne le peut davantage. Ils voulaient t’enlever
tout: la vie, l’honneur et ta mère...»
«Ils ont été mes bienfaiteurs, puisque c’est grâce à eux que je t’ai eu, Toi. Moi, je
les aime pour ce don qu’ils m’ont fait, et je te demande qu’ils soient où moi je suis: à
ta suite. Je veux leur salut comme le mien, plus que le mien, car plus grand est leur
péché.»
«Quelle offrande ferais-tu à Dieu en échange de leur salut, s’Il te le demandait?»
Abel réfléchit un moment... puis il dit avec assurance: «Même moi-même, ma vie. Je perdrais une
poignée de boue, pour posséder le Ciel. Une perte heureuse. Un profit grand, infini: Dieu, le Ciel. Et
deux pécheurs sauvés: les premiers-nés du troupeau que j’espère te conduire et t’offrir, ô Seigneur.»
Jésus fait un geste qu’il ne fait jamais ainsi en public. Il se penche car il est beaucoup plus grand
qu’Abel et, prenant la tête d’Abel dans ses mains, il dépose un baiser sur la bouche en disant: «Qu’il
en soft ainsi», je crois du moins que c’est ce que signifie son «Maranata». Et il ajoute: «Pour tes
sentiments, qu’il te soit fait selon ce que demandent tes paroles. Viens avec Moi, tu me conduiras.
Jean, viens avec Moi. Et vous, allez en avant, par la route de Mageddo à Engannim. Vous
m’attendrez là, si vous ne m’avez
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pas encore rencontré.»
«Et nous prêcherons Toi et ta doctrine» dit l’Iscariote.
«Non. Vous m’attendrez, simplement, en vous comportant comme de justes et humbles pèlerins et
rien de plus. En étant entre vous comme des frères. Et vous passerez, en allant, chez les paysans de
Giocana pour leur donner ce que vous avez, et leur dire que le Maître, s’il le peut, passera par
Jezraël à l’aurore d’après demain. Allez. La paix soit avec vous.»
171. JÉSUS CHEZ LES PECHEURS LEPREUX DE BETHLEEM DE GALILEE

Le massif escarpé de Jiphtaël domine au nord en fermant l’horizon. Mais là où


commencent les pentes éboulées de ce groupe de montagnes, et surplombent presque
à pic, la route des caravanes qui de Ptolémaïs va vers Sephoris et Nazareth, il y a de
nombreuses cavernes entre les blocs de roches qui débordent de la montagne,
suspendus sur les abîmes, établis pour servir de toits et de bases à ces antres.
Comme toujours, près des routes les plus importantes, isolés, mais en même temps assez proches
pour être vus et secourus par les voyageurs, se tiennent des lépreux. Une petite colonie de lépreux
qui jettent leurs cris d’avertissement et d’appel en voyant Jésus passer avec Jean et Abel. Abel lève
son visage vers eux en disant: «Celui-ci est Celui dont je vous ai parlé. Je le conduis aux deux que
vous savez. N’avez-vous rien à demander au Fils de David?»
«Ce que nous demandons à tout le monde: du pain, de l’eau, pour nous rassasier pendant que
passent les pèlerins. Après, en hiver, c’est la faim...»
«Je n’ai pas de nourriture aujourd’hui, mais j’ai avec moi le Salut...»
Mais l’invitation suggestionnante de recourir au Salut n’est pas accueillie. Les lépreux quittent la
pente, tournent le dos et font le tour de l’éperon de la montagne pour voir si d’autres pèlerins
arrivent par l’autre route.
«Je crois que ce sont des marins gentils ou tout à fait idolâtres. Ils sont venus depuis peu, chassés de
Ptolémaïs. Ils venaient d’Afrique. Je ne sais pas comment ils sont tombés malades. Je sais que,
partis sains de leurs pays, et après avoir fait un long parcours
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autour des côtes africaines pour charger de l’ivoire, et aussi je crois, des perles pour
les vendre aux marchands latins, ils sont arrivés ici malades. Les magistrats du port
les ont isolés et ils ont même brû1é leur bateau. Les uns sont allés vers les routes de la
Syro-Phénicie, les autres ici. Ces derniers sont les plus malades, car ils ne marchent
quasi plus. Mais ils ont l’âme encore plus malade. J’ai essayé de leur donner un peu
de foi... Ils ne demandent que de la nourriture...»
«Dans les conversions, il faut avoir de la constance. Ce qui ne réussit pas en une
année, réussit en deux ou davantage. Il faut insister pour leur parler de Dieu, même
s’ils ressemblent aux rochers qui les abritent.»
«Je fais mal alors de penser à leur nourriture?... Je m’étais mis à leur apporter toujours de la
nourriture avant le sabbat car, pendant le sabbat, les hébreux ne voyagent pas et personne ne pense à
eux...»
«Tu as bien fait. Tu l’as dit. Ce sont des païens, par conséquent plus soucieux de la chair et du sang
que de l’âme. L’affectueux souci que tu as de leur faim, éveille leur affection envers l’inconnu qui
pense à eux. Et quand Ils t’aimeront, ils t’écouteront même si tu parles d’autre chose que de la
nourriture. L’amour dispose toujours a suivre celui que l’on a appris à aimer. Ils te suivront un jour
sur les chemins de l’esprit.
Les oeuvres de miséricorde corporelle aplanissent le chemin pour celles
spirituelles, et elles le rendent tellement libre et aplani que l’entrée de Dieu en un
homme, préparé de cette manière à la divine rencontre, arrive à l’insu de l’individu
lui- même. Il trouve Dieu en lui-même, et il ne sait pas par où Il est entré. Par où!
Parfois derrière un sourire, derrière une parole de pitié, derrière un pain a
commencé l’ouverture de la porte d’un coeur fermé à la Grâce et a commencé le
chemin de Dieu pour entrer dans ce coeur. Les âmes! C’est ce qu’il y a de plus varié.
Aucune matière, et elles sont si nombreuses les matières qui existent sur la Terre,
n’est aussi variée dans ses aspects que le sont les âmes dans leurs tendances et leurs
réactions.
Voyez-vous ce térébinthe puissant? Il est au milieu de tout un bois d’arbres qui
lui ressemblent, étant de la même espèce. Combien il y en a-t-il? Des centaines et des
centaines, mille peut-être, peut-être davantage. Ils couvrent ce flanc abrupt de la
montagne, écrasant de leur parfum âpre et salutaire de résine toutes les autres odeurs
de la vallée et de la montagne. Mais regardez. Il y en a mille
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et plus et il n’y en a pas un qui pour la grosseur, la hauteur, la puissance, l’inclinaison,
la disposition, soit pareil à un autre, si on observe bien. L’un est droit comme une
lame, d’autres tournés vers le nord, le midi, l’orient ou l’occident. L’un a poussé en
pleine terre, un autre sur une saillie dont on ne sait comment elle peut le porter et
comment lui peut tenir ainsi suspendu dans le vide, formant presque un pont avec
l’autre versant, élevé au-dessus de ce torrent, maintenant à sec mais si tourbillonnant
aux époques de pluie. L’un est tordu comme si un homme cruel l’avait accablé alors
qu’il était un arbuste encore tendre, un autre est sans défauts. L’un est couvert de
feuilles presque jusqu’à la base, un autre en a tout juste une houppette à la cime. L’un
n’a des branches qu’à droite, un autre est feuillu tout en bas et brûlé à son sommet,
calciné par la foudre. Tel autre qui est mort revit dans un surgeon obstiné, unique, qui
a poussé presque à la racine, recueillant le reste de sève qui ne montait plus au
sommet. Et celui-là que je vous ai montré pour commencer, beau comme il ne
pourrait l’être davantage, a-t-il une branche, une ramille, une feuille - que dis-je en
parlant d’une seule feuille sur les milliers qu’il porte - qui soit semblable à une autre?
Il semble que les feuilles soient semblables, mais elles ne le sont pas. Regardez cette
branche, la plus basse. Observez-en l’extrémité, seulement l’extrémité de la branche.
Combien peut-il s’y trouver de feuilles? Peut-être deux cents aiguillettes vertes et
fines. Et pourtant, regardez. Y en a-t-il une semblable à une autre pour la couleur, la
robustesse, la fraîcheur, la flexibilité, l’allure, l’âge? Il n’y en a pas.
Ainsi pour les âmes. Aussi nombreuses qu’elles soient, aussi grande est leur
différence de tendances et de réactions. Et n’est pas un bon maître ni un bon médecin
des âmes celui qui ne sait pas les connaître et les travailler selon leurs diverses
tendances et réactions. Ce n’est pas un travail facile, mes amis. Il faut une étude
continue, l’habitude de la méditation qui éclaire plus qu’une longue lecture de textes
fixés. Le livre que doit étudier un maître et un médecin des âmes, ce sont les âmes
elles-mêmes. Autant de feuilles que d’âmes, et dans chaque feuille, beaucoup de
sentiments et de passions passées, présentes et embryonnaires. Il faut pour cela une
étude continue, attentive, méditative, une patience constante, du courage pour savoir
soigner les plaies les plus putrides, pour les panser sans montrer un dégoût qui
humilie celui qui en est affligé, et sans une fausse pitié qui, pour ne pas mortifier en
découvrant la pourriture et ne pas purifier, par crainte de faire
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souffrir la partie corrompue, la laisse se gangrener en corrompant l’être tout entier;
de la prudence en même temps pour ne pas exacerber par des manières trop rudes les
blessures des coeurs et pour ne pas s’infecter à leur contact, en voulant montrer
qu’on ne craint pas de s’infecter en entrant en relation avec les pécheurs.
Et toutes ces vertus nécessaires au maître et médecin des âmes, où trouvent- elles
leur lumière pour voir et comprendre, leur patience parfois héroïque, pour
persévérer, malgré les froideurs, parfois les offenses, leur courage pour soigner
sagement, leur prudence pour ne pas nuire au malade et à, eux-mêmes? Dans
l’amour, toujours dans l’amour. C’est lui qui donne la lumière pour tout, qui donne
la sagesse, le courage et la prudence. Il préserve des curiosités qui peuvent prendre
les fautes qui ont été guéries. Quand quelqu’un est tout amour, il ne peut entrer en lui
un autre désir et une autre science qui n’est pas celle de l’amour. Voyez-vous? Les
médecins disent que quand quelqu’un a failli mourir d’une maladie, il ne la contracte
jamais plus que difficilement car désormais son sang l’a reçue et l’a vaincue. L’idée
n’est pas parfaite mais elle n’est pas non plus complètement erronée. Mais l’amour,
qui est santé au lieu d’être maladie, fait ce que disent les médecins, et pour toutes les
passions qui ne sont pas bonnes. Celui qui aime fortement Dieu et ses frères ne fait
rien qui puisse causer de la douleur à Dieu et à ses frères, pour cela même en
approchant des malades de l’esprit, et en ayant connaissance des choses que jusque
là, l’amour avait tenues cachées, il ne se corrompt pas, car il reste fidèle à l’amour et
le péché n’entre pas. Que voulez-vous que soient les sens pour quelqu’un qui a vaincu
les sens par la charité? Les richesses, pour celui qui trouve tout son trésor dans
l’amour de Dieu et des âmes? La gourmandise, l’avarice, l’incrédulité, la paresse,
l’orgueil, pour celui qui ne désire que Dieu, pour celui qui se donne lui-même, jusqu’à
lui-même pour servir Dieu, pour celui qui dans sa Foi trouve tout son bien, pour celui
qu’aiguillonne la flamme toujours active de la charité et qui travaille inlassablement
pour procurer de la joie à Dieu, pour celui qui connaît Dieu - l’aimer, c’est le
connaître - et ne peut plus s’enorgueillir, parce qu’il sait ce qu’il est par rapport à
Dieu.
Un jour vous serez prêtres de mon Eglise. Vous serez donc les médecins et les
maîtres de l’esprit. Rappelez- vous ces paroles que je vous dis. Ce ne sera pas le nom
que vous porterez, ni votre habit, ni les fonctions que vous exercerez, qui vous feront
prêtres, c’est- à-dire ministres du Christ, maîtres et médecins des âmes, mais ce
100
sera l’amour que vous posséderez qui vous fera tels. Il vous donnera tout ce qu’il faut
pour l’être, et les âmes, toutes différentes entre elles, arriveront à une unique
ressemblance: celle du Père, si vous savez les travailler avec l’amour.»
«Oh! quelle belle leçon, Maître!» dit Jean.
«Mais nous, arriverons-nous jamais à être ainsi?» ajoute Abel.
Jésus regarde l’un et l’autre, puis il passe un bras au cou des deux et les attire à Lui, l’un à droite,
l’autre à gauche, et il dépose un baiser sur les cheveux en disant: «Vous y arriverez car vous avez
compris l’amour.»
Ils marchent encore pendant quelque temps, de plus en plus difficilement à cause des difficultés du
chemin taillé presque au bord de la montagne. Au-dessous, tout au loin, il y a une route sur laquelle
on voit cheminer les gens.
«Arrêtons-nous là, Maître. Là-bas, tu vois, de cette plate-forme rocheuse, les deux descendent avec
une corde un panier aux passants, et au-delà de cette plate-forme se trouve leur grotte. Maintenant je
les appelle.» Et, s’avançant, il jette un cri, alors que Jésus et Jean restent en arrière, cachés par des
arbres touffus.
Quelques instants, et puis un visage... appelons-le visage parce qu’il est au sommet d’un corps, mais
cela pourrait aussi s’appeler museau, monstre, cauchemar... se montre au-dessus d’un bouquet de
mûries.
«Toi? Mais tu n’étais pas parti pour les Tabernacles?»
«J’ai trouvé le Maître, et je suis revenu en arrière. Il est ici!»
Si Abel avait dit: «Jéhovah est suspendu sur votre tête» très probablement aurait été moins soudain
et moins respectueux le cri, le geste, l’élan des deux lépreux - car pendant qu’Abel parlait, l’autre
aussi s’était amené - en se jetant dehors, sur la plate-forme, en plein soleil, et en se prosternant le
visage contre terre, tout en criant: «Seigneur, nous avons péché. Mais ta miséricorde est plus grande
que notre péché!» Ils le crient sans même s’assurer si Jésus est vraiment là, ou s’il est encore loin,
en train de venir vers eux. Leur foi est telle qu’elle leur fait voir, même ce que leurs yeux à cause
des plaies des paupières et de la rapidité de leur prosternement, n’ont certainement pas vu.
Jésus avance pendant qu’ils répètent: «Seigneur, notre péché ne mérite pas le pardon, mais tu es la
Miséricorde! Seigneur Jésus, par ton Nom, sauve-nous. Tu es l’Amour qui peut vaincre la Justice.»
«Je suis l’Amour. C’est vrai. Mais au-dessus de Moi, il y a le Père. Et Lui est la Justice» dit avec
sévérité Jésus, en s’avançant avec
101
Jean sur le sentier.
Les deux lèvent leurs visages défigurés, et ils le regardent à travers les larmes qui
coulent mêlées à la pourriture. Horrible la vue de ces visages! Vieux? Jeunes? Qui est
le serviteur? Qui est Aser? Impossible de le dire. La maladie les a rendus égaux, en en
faisant deux formes horribles et nauséabondes.
Comment doit leur apparaître Jésus, debout au milieu du sentier, avec le soleil qui l’enveloppe de
ses rayons et fait resplendir ses blonds cheveux, je ne sais. Je sais qu’ils le regardent et puis se
couvrent le visage en gémissant: «Jéhovah! La Lumière!» Mais ensuite, ils crient encore: «Le Père
t’a envoyé pour sauver. Lui t’appelle sa dilection. Lui se complaît en Toi. Lui ne refusera pas que tu
nous donnes le pardon.»
«Le pardon ou la santé?»
«Le pardon» crie l’un. Et l’autre: «...et puis la santé. Ma mère meurt de chagrin à
cause de moi.»
«Si Moi je vous pardonne, il reste toujours la justice des hommes, pour toi,
surtout. Que vaut alors mon pardon pour rendre ta mère heureuse?» tente Jésus pour
faire dire les paroles qu’il attend pour opérer le miracle.
«Il vaut. Elle est une vraie israélite. Elle veut pour moi le sein d’Abraham. Et il n’est pas pour moi
ce lieu où l’on attend le Ciel, car j’ai trop péché.»
«Trop, tu l’as dit.»
«Trop!... C’est vrai... Mais Toi... Oh! ce jour-là, il y avait ta Mère... Où est ta Mère maintenant?
Elle avait pitié de la mère d’Abel. Je l’ai vu. Et si maintenant elle entendait, elle aurait pitié de la
mienne. Jésus, Fils de Dieu, pitié au nom de ta Mère!...»
«Et que feriez-vous après?»
«Après?» Ils se regardent effrayés. «Après» c’est la condamnation des hommes, c’est le mépris ou
la fuite, l’exil. Devant la perspective de la guérison, ils tremblent comme s’ils perdaient le salut.
Comme l’homme tient à la vie! Les deux, pris dans le dilemme de guérir et d’être
condamnés par la loi humaine, ou de vivre lépreux, préfèrent presque vivre lépreux.
Ils le disent, ils l’avouent par ces paroles: «Le supplice est horrible!» Il le dit surtout
celui que je comprends qu’il est Aser, l’un des deux homicides...
«C’est horrible. Mais, au moins ce n’est que justice. Vous, vous le donniez à cet innocent, toi, pour
quelle fin louche, toi, pour une poignée d’argent.»
«C’est vrai! O mon Dieu! Mais lui nous a pardonné. Pardonne Toi
102
aussi. Eh bien, nous mourrons, mais notre âme sera sauvée.»
«La femme de Joël fut lapidée comme adultère. Les quatre enfants vivent dans la
gêne avec sa mère, car les frères de Joël les ont chassés comme bâtards, pour
s’emparer des biens de leur frère. Vous le savez?»
«Abel nous l’a dit...»
«Et qui remédie à leur malheur?» La voix de Jésus est un tonnerre, c’est vraiment la voix du Dieu
Juge, et elle est effrayante. Seul, dans le soleil, debout et raide, c’est vraiment une figure
d’épouvante. Les deux le regardent effrayés. Bien que le soleil doive exacerber leurs plaies, ils ne
bougent pas, comme ne bouge pas Jésus qui en est tout enveloppé. Les éléments perdent leur
puissance dans ces heures des âmes...
Aser dit après un moment: «Si Abel veut m’aimer tout à fait, qu’il aille trouver ma mère et qu’il lui
dise que Dieu m’a pardonné et...»
«Moi, je ne t’ai pas pardonné encore.»
«Mais tu vas le faire parce que tu vois mon coeur... Et il lui dira que tout ce qui m’appartient aille
aux enfants de Joël, de par ma volonté. Que je meure ou que je vive, je renonce à la richesse qui
m’a rendu vicieux.»
Jésus sourit. Il se transfigure en son sourire qui le fait passer d’un visage sévère à un visage plein de
pitié, et c’est d’une voix toute changée qu’il dit: «Je vois votre coeur. Levez-vous, et élevez votre
esprit vers Dieu pour le bénir. Séparés comme vous l’êtes du monde, vous pouvez vous en aller,
sans que le monde s’enquière de vous. Et le monde vous attend pour vous donner la possibilité de
souffrir et d’expier.»
«Tu nous sauves, Seigneur?! Tu nous pardonnes?! Tu nous guéris?!»
«Oui. Je vous laisse la vie car la vie est une souffrance surtout pour qui a des souvenirs comme les
vôtres. Mais maintenant vous ne pouvez sortir d’ici. Abel doit venir avec Moi, il doit aller comme
tous les hébreux à Jérusalem. Attendez son retour: il coïncidera avec votre guérison. Il s’occupera
de vous amener au prêtre et de prévenir ta mère. Je dirai à Abel ce qu’il doit faire et comment il doit
le faire. Pouvez-vous croire à mes paroles, même si je m’en vais sans vous guérir?»
«Oui, Seigneur. Cependant, répète-nous que tu pardonnes à notre esprit. Cela, oui. Ensuite, tout
viendra quand tu voudras.»
«Je vous pardonne. Renaissez avec un esprit nouveau et ayez la
103
volonté de ne plus pécher. Souvenez-vous qu’en plus de vous abstenir du péché, vous
devez accomplir des actes de justice destinés à annuler complètement votre dette aux
yeux de Dieu, et que par conséquent votre pénitence doit être continue parce que
grande, bien grande, est votre dette! Les tiennes en particulier concernent tous les
commandements du Seigneur. Penses-y et tu verras qu’il n’en faut exclure aucun. Tu
as oublié Dieu, tu as fait de tes sens ton idole, tu as fait des jours de fête des délires
d’oisiveté, tu as offensé et déshonoré ta mère, tu as contribué au meurtre et à la
volonté du meurtre, tu as volé l’existence et as voulu voler un fils à sa mère, et tu as
privé quatre enfants de père et de mère, tu as été luxurieux, tu as fait de faux
témoignages, tu as désiré impudiquement la femme qui était fidèle à son époux
défunt, tu as désiré ce qui appartenait à Abel, au point de vouloir supprimer Abel pour
t’emparer de ses biens.»
Aser gémit à chaque affirmation: «C’est vrai, c’est vrai!»
«Comme tu vois, Dieu aurait pu te réduire en cendres sans recourir aux châtiments des hommes. Il
t’a épargné pour que Moi, je puisse en sauver un de plus. Mais l’oeil de Dieu te surveille et son
Intelligence se souvient. Allez» et il se tourne pour revenir dans le bois près d’Abel et de Jean qui
s’étaient mis à l’abri sous les arbres de la pente.
Et les deux, encore défigurés, souriants peut-être - mais qui peut dire quand sourit un lépreux? -
avec la voix particulière des lépreux, stridente, métallique, discontinue, avec de brusques
changements de ton, pendant que Lui descend la montagne par le sentier effrayant, entonnent le
psaume 114°...
«Ils sont heureux!» dit Jean.
«Moi aussi» dit Abel.
«Je croyais que tu allais les guérir tout de suite» dit encore Jean.
«Moi aussi, comme tu fais toujours.»
«C’étaient de grands pécheurs. Cette attente est juste pour qui a tant péché. Maintenant écoute,
Ananias...»
«Je m’appelle Abel, Seigneur» dit le jeune homme étonné et il regarde Jésus comme pour se
demander: «Pourquoi se trompe-t-il?»
Jésus sourit: «Pour Moi, tu es Ananias, car vraiment tu sembles né de la bonté du
Seigneur. Sois-le de plus en plus et écoute. Au retour des Tabernacles, tu iras dans ta
ville pour dire à la mère d’Aser de faire ce que veut son fils, et le plus rapidement
possible, en donnant pour réparer tout sauf un dixième. Et cela par pitié
104
pour la vieille mère qui avec toi quittera Bethléem de Galilée et ira à Ptolémaïs
rejoindre son fils qui, avec toi, la rejoindra avec son compagnon. Toi, après avoir
installé la femme chez une disciple de la ville, tu iras prendre ce qu’il faut pour la
purification des lépreux et tu ne les quitteras pas avant que tout soit fait. Que le prêtre
ne soit pas de ceux qui connaissent le passé, mais quelqu’un d’autres endroits.»
«Et ensuite?»
«Ensuite, tu reviens chez toi ou bien tu te réunis aux disciples. Et eux, une fois guéris, prendront le
chemin de l’expiation. Moi, je dis l’indispensable et je laisse ensuite l’homme libre d’agir...»
Et ils descendent, descendent, infatigables malgré les difficultés du chemin et la chaleur du soleil...
Infatigables, mais silencieux pendant un long moment.
Puis Abel rompt le silence pour dire: «Seigneur, puis-je te demander une grâce?»
«Laquelle?»
«De me laisser aller dans ma ville. Je regrette de te quitter. Mais cette mère...»
«Va, mais ne t’attarde pas. Tu auras à peine le temps de rejoindre Jérusalem.»
«Merci, Seigneur! Je n’irai trouver qu’elle, la pauvre vieille, qui a honte de tout, depuis qu’Aser a
péché. Mais elle va encore sourire. Que dois-je lui dire, en ton nom?»
«Que ses larmes et ses prières ont obtenu grâce et que Dieu l’engage à espérer de plus en plus et la
bénit. Mais avant de nous quitter, faisons la pause pendant une heure, pas plus. Ce n’est pas le
moment de s’arrêter. Et puis tu iras de ton côté, Jean et Moi du nôtre, et par des raccourcis. Et toi,
Jean, tu iras en avant, chez ma Mère. Tu lui porteras ce sac avec les vêtements de lin et tu viendras
avec ceux de laine. Tu iras lui dire que je veux la voir et que je l’attends dans le bois de Mathatias,
celui de l’épouse. Tu le connais. Ne parle qu’avec elle et reviens vite.»
«Je sais où est le bois. Et Toi? Seul? Tu restes seul?»
«Je reste avec mon Père. Ne crains pas» dit Jésus en levant la main et en la mettant sur la tête du
disciple préféré, assis sur l’herbe à côté de Lui. Et lui sourit en disant: «Mais nous devrons y être au
soir...»
«Maître, quand je dois te faire plaisir, je ne sens pas la fatigue, tu le sais. Et aller chez la Mère!...
C’est comme si les anges me portaient. Et puis, ce n’est pas très loin.»
105
«Ce n’est jamais loin ce que l’on fait avec joie... Mais tu passeras la nuit à
Nazareth.»
«Et Toi?»
«Et Moi... Je resterai avec mon Père, après avoir été avec ma Mère un peu. Et puis je me mettrai en
route à l’aube, pour prendre la route du Thabor sans entrer à Nazareth. Tu sais que je dois être à
Jezraël à l’aurore d’après-demain.»
«Tu seras très fatigué, Maître. Tu l’es déjà.»
«Nous aurons le temps de nous reposer pendant l’hiver. Ne crains pas, et n’espère pas pouvoir, en
toute paix comme ici, évangéliser toujours. Nous connaîtrons beaucoup d’arrêts...» Jésus baisse la
tête, pensif, en grignotant son pain, pour tenir compagnie aux deux qui, jeunes et heureux d’être
avec le Maître, mangent de bon appétit, plutôt que par désir de manger. C’est au point qu’il oublie
de le faire et s’absorbe dans un de ses silences que les deux respectent en se taisant, en reposant à
l’ombre de la montagne, les pieds nus pour chercher la fraîcheur sur l’herbe qui a poussé aux pieds
des troncs puissants, et ils somnoleraient même, mais Jésus lève la tête et dit: «Allons. Au carrefour,
nous nous quitterons.»
Et après avoir lacé de nouveau leurs sandales, ils se mettent en route. L’ombre du bois et le vent qui
vient du nord les aident à supporter la lourdeur de l’heure encore chaude, bien qu’elle ne soit plus
torride comme dans les mois de plein été.

172. JESUS ET SA MERE DANS LE BOIS DE MATHATIAS

Jésus est seul. Seul sur un plateau un peu en forme de cuvette qui, par une légère
ondulation, pourtant continue, monte par le versant des collines qui entourent
certainement le lac de Galilée, car je le vois en bas, à droite, qui assombrit son azur
splendide à cause de l’arrivée du coucher du soleil qui enlève à une grande partie du
lac la fulguration des rayons solaires. En arrière de la cuvette, au nord, la montagne
d’Arbela et, au-delà, plus élevées, celles d’au-delà du lac où s’élèvent Meiron et
Giscala, et au nord-est, lointain, mais puissant et royal, le Grand Hermon dont le soleil
à son coucher frappe bizarrement son pic le plus élevé, en le faisant d’un topaze rose à
l’occident, et en lui laissant sa couleur opaline, qui tend à cette indéfinissable nuance
d’un azur neigeux que j’ai vu
106
quelquefois sur les cimes de nos Alpes de la frontière.
Je regarde vers le nord, et c’est ce que je vois, comme je vois sans difficulté, à
droite, tout en bas, le lac, à gauche, et plus élevées, les collines qui empêchent de voir
la plaine de la côte. Mais si je me tourne vers le midi, je vois le Thabor, au-delà des
collines en pente douce qui sont certainement celles qui entourent Nazareth. Il y a une
petite ville, tout en bas, près d’une route de grande circulation où les gens se hâtent
pour gagner les lieux de repos entre les étapes.
Jésus ne regarde rien de ce que moi, je regarde. Il cherche seulement un endroit pour s’asseoir, et le
choisit au pied d’un énorme chêne vert dont le feuillage a protégé de la canicule l’herbe du sol, et
qui est encore fraîche et touffue comme si la chaleur n’était pas passée en brûlant tout.
Jésus se trouve ainsi avoir en face de Lui le lac, à côté de Lui le sentier parmi les arbres par lequel il
est monté, et de l’autre côté les ondulations qui entourent au nord la cuvette de prés et de bois où il
se trouve, et qui est toute verte grâce aux chênes verts et à d’autres arbres au feuillage persistant que
l’automne ne touche pas. Çà et là seulement on y voit une tache rouge sang: c’est celle d’une feuille
qui change de couleur avant de tomber, pour céder la place à une feuille naissante qui naît déjà tout
près de celle qui meurt.
Jésus, très fatigué, s’appuie contre le tronc puissant et il reste un moment, les yeux clos, comme
pour se reposer. Mais, ensuite, il prend sa pose habituelle, en se séparant du tronc, penché un peu en
avant, les coudes sur les genoux, les avant-bras en avant, les mains jointes, les doigts entrelacés. Et
il pense. Il prie certainement. De temps à autre, à cause de quelque bruit qui Lui arrive - oiseaux qui
se battent en cherchant une place pour la nuit, quelque animal dans l’herbe qui fait tomber une
pierre le long de la pente, une branche qui en heurte une autre par suite d’un coup de vent - il lève
les yeux, et d’un regard pensif qui sûrement ne voit pas, il les tourne dans la direction du bruit,
surtout si c’est dans la direction du sentier qui monte à travers les chênes verts. Puis il baisse de
nouveau les yeux pour se concentrer en Lui-même. Par deux fois il regarde avec attention le lac qui
est déjà dans l’ombre, et puis il tourne la tête pour regarder vers l’occident où le soleil est disparu
derrière les collines boisées, et la seconde fois il se lève et va vraiment sur le sentier, pour regarder
s’il monte quelqu’un, puis il retourne à sa place.
107
Enfin voilà un bruit de pas et deux figures qui pointent: Marie vêtue de bleu
foncé, et Jean chargé de sacs. Et Jean crie deux fois: «Maître!» et dès que Jésus se
tourne, il ajoute: «Voilà ta Mère» et il l’aide à franchir un petit ruisseau et des
cailloux mis sur le sentier dans le but de le consolider et de le rendre pratique pour la
montée ou la descente, en réalité avec le résultat d’en faire de vrais pièges pour les
pieds à demi-chaussés.
Jésus se lève immédiatement pour aller a la rencontre de sa Mère et il l’aide avec Jean à monter la
masse éboulée qui devrait retenir le plateau, mais en réalité seules les racines des chênes
remplissent cette charge. Maintenant Marie est soutenue par son Fils qui l’observe et lui demande:
«Tu es fatiguée?»
«Non, Jésus» et elle Lui sourit.
«Il me semble au contraire que tu l’es. Je regrette de t’avoir fait venir. Mais Moi, je ne pouvais pas
venir...»
«Oh! ce n’est rien, mon Fils. Je suis un peu en sueur, mais ici, on est bien... C’est plutôt Toi qui es
fatigué et aussi le pauvre Jean...»
Mais Jean secoue la tête en riant et en déposant le sac neuf et bien plein de Jésus et le sien sur
l’herbe, au pied du chêne, et il se retire en disant: «Je vais plus bas. J’ai vu une petite source et je
vais me rafraîchir un peu dans cette eau. Mais j’entendrai, si vous m’appelez» et il se retire pour
laisser liberté aux Deux.
Marie desserre son manteau et enlève son voile pour essuyer la sueur qui perle à son front. Elle
regarde Jésus et Lui sourit, et elle boit son sourire car Lui aussi lui sourit en caressant sa main et en
la passant sur sa joue pour en avoir la caresse. Tellement «fils» en cet acte que je Lui ai vu faire
autre fois! Marie dégage sa main et remet en ordre les cheveux de Jésus, Lui enlevant un petit
morceau d’écorce d’arbre resté dans les mèches des cheveux, et chaque mouvement de ses doigts
est une caresse, si grand est l’amour avec lequel elle le fait. Elle parle: «Tu es tout en sueur, Jésus.
Ton manteau sur les épaules est humide comme s’il avait plu dessus, mais maintenant tu vas
pouvoir en prendre un autre. Celui-ci, je le retire. Il est déteint par le soleil et la poussière. J’avais
tout préparé, et... Attends! Je sais que tu as à peine mangé: une croûte de pain rassis avec une
poignée d’olives salées au point de te mordre le gosier. C’est Jean qui me l’a dit. Il ne faisait que
boire à son arrivée. Mais je t’ai apporté du pain frais. Je venais de le défourner, et un rayon de miel
que j’avais enlevé hier pour le donner aux enfants de Simon. Mais pour eux, j’ai d’autres rayons.
Prends-le, mon Fils. Il vient de notre maison...» et elle se penche pour ouvrir
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le sac, qui contient par dessus tout le reste, un petit panier d’osier plein de fruits, avec
au-dessus un rayon de miel enveloppé dans de longues feuilles de vigne et elle offre le
tout à son Fils avec du pain frais et croustillant.
Et pendant que Jésus mange, elle tire du sac les vêtements qu’elle a préparés pour
les mois d’hiver, solides, chauds, capables d’abriter du froid et de l’eau, et elle les
montre à Jésus qui lui dit: «Que de travail, Maman! J’avais encore ceux de l’hiver
dernier...»
«Les hommes, quand ils sont loin de leurs femmes, doivent tout renouveler, afin de ne rien avoir à
réparer pour être impeccables. Mais, je n’ai rien gaspillé. Le manteau que j’ai, c’est le tien que j’ai
raccourci et reteint. Pour moi, il va encore bien, mais pour Toi, il n’allait plus. Tu es Jésus...»
Dire ce qu’il y a dans cette phrase, c’est impossible. «Tu es Jésus» . Une phrase simple, mais tout
l’amour de la Mère, de la disciple, de l’ancienne israélite pour le Messie Promis et de l’israélite du
temps béni qui possède Jésus, se trouve dans ces quelques mots. Si la Mère s’était prosternée en
adorant son Fils comme Dieu, ce n’était encore qu’une forme bornée dans sa manifestation
respectueuse. Mais en ces mots, il y a davantage qu’une adoration des genoux qui se ploient, de
l’échine qui se penche, du front qui touche le sol: il y a là tout l’être de Marie, sa chair, son sang,
son âme, son coeur, son esprit, son amour qui adore totalement, parfaitement le Dieu-Homme.
Je n’ai jamais rien vu de plus grand, de plus absolu, que ces adorations de Marie pour le Verbe de
Dieu qui est son Fils, mais dont elle se rappelle toujours qu’il est Dieu. Aucune des créatures,
guéries ou converties par Jésus, que je vois adorer leur Sauveur, pas même les plus ardentes, pas
même celles qui sans le remarquer sont théâtrales dans l’impétuosité de leur amour, n’a quelque
chose qui ressemble à cela. Elles aiment totalement, mais toujours en créatures auxquelles il
manque quelque chose pour être parfaites. Marie aime, j’ose le dire, divinement. Elle aime plus
qu’une créature. Oh! Elle est vraiment la fille de Dieu exempte de faute! C’est pour cela qu’elle
peut aimer ainsi!... Et je pense à ce qu’a perdu l’homme avec le Péché d’origine... Je pense à ce que
nous a volé Satan en entraînant les Premiers Parents. Il nous a enlevé ce pouvoir d’aimer Dieu
comme l’a aimé Marie... Il nous a enlevé le pouvoir d’aimer comme il faut.
Pendant que je fais ces réflexions en regardant le Couple parfait, Jésus, qui a fini son repas, a glissé
pour s’asseoir sur l’herbe aux
109
pieds de sa Mère en mettant sa tête sur les genoux de Marie comme un enfant las et
attristé aussi qui se réfugie auprès de la seule qui puisse le conforter. Et Marie caresse
ses cheveux, effleure le front lisse de son Jésus. Elle semble vouloir mettre en fuite
toutes les lassitudes et toutes les peines qui affectent son Fils, grâce à cette caresse.
Jésus ferme les yeux, et Marie arrête sa caresse gardant la main sur les cheveux de
Jésus, regardant devant elle, pensive, sans bouger. Elle croit peut-être que Jésus s’est
endormi. Il est si las...»
Mais Jésus rouvre les yeux presque tout de suite, il voit que le soir arrive, il voit
qu’il ne Lui est pas permis de prolonger cette heure de réconfort. Alors il relève la tête
en restant assis où il est, et il parle: «Tu sais, Maman, d’où je viens?»
«Je le sais. Jean me l’a dit. Deux âmes qui reviennent à Dieu. Une joie pour Toi et pour moi.»
«Oui, avec cette joie, je descends à Jérusalem.»
«Pour te réconforter de la déception que tu as eue le jour même où nous nous sommes quittés.»
«Comment le sais-tu? Jean te l’a dit? Lui seul le sait...»
«Non. Je le lui ai demandé. Mais Jean m’a répondu: “Mère, tu vas le voir bientôt.
Demande-le-Lui”.»
Jésus sourit en disant: «Jean est fidèle jusqu’au scrupule.» Une pause. Puis Jésus demande: «Qui
donc t’en a parlé?»
«Pas à moi. Il est venu des... des hommes chez Joseph, ton frère. Et... lui est venu
chez moi. Il était encore un peu... Oui, mon Fils, il vaut mieux dire la vérité, un peu
fâché après ta rencontre avec lui à Capharnaüm, et particulièrement après la
conversation avec Jude et Jacques. Ils se sont vus en ton absence, et aussi Jacques, ou
pour mieux dire: surtout Jacques fut sévère... Très... Je dirais trop. Cependant
l’Eternel, toujours bon, a tiré un bien de ce léger désaccord. Certainement parce que
c’était un désaccord venu de deux sources d’amour. Différentes, c’est vrai, mais c’est
toujours de l’amour. Imparfaites, c’est vrai, car si elles avaient été parfaites, au moins
chez l’un des deux, il n’aurait pas provoqué la colère... Parler de colère c’est peut-être
un peu trop fort pour donner un nom à l’état d’âme de Jacques, mais certainement lui
fut sévère, très sévère... Tu l’aurais certainement rappelé à la charité. Moi... je ne l’ai
pas approuvé, mais j’ai compati, car j’ai compris ce qui rendait si fâché Jacques, qui
est toujours patient. On ne peut demander qu’il soit parfait... C’est un homme. Il est
encore très homme lui aussi. Oh! il y a encore du chemin à parcourir pour que
Jacques arrive à être un juste comme l’était mon Joseph! Lui...
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savait toujours se dominer... et être toujours bon... Mais moi, je divague! Je parlais de
l’amour imparfait des deux pour Toi - en effet ils t’aiment, oh! tellement. Même
Joseph, bien que cela ne paraisse pas à première vue. Mais c’est de l’amour pour Toi,
tous les soins qu’il prend de cette pauvre femme. Et c’est de l’amour pour Toi, sa
manière de penser en vieil israélite attaché à ses idées comme son père. Que ne
donnerait-il pas pour te voir aimé de tous! A sa façon... sûrement... - Mais, pour venir
au fait, je dois te dire que Joseph, auquel n’a pas fait de mal l’attitude tranchante de
Jacques, s’est mis à venir chez moi, chaque jour, et sais-tu pourquoi? Pour que je lui
explique les Ecritures “comme toi et ton Fils vous les comprenez” m’a-t-il dit.
Expliquer les Ecritures à la lumière de la Vérité!... C’est difficile quand celui qui
écoute est un Joseph d’Alphée, c’est-à-dire quelqu’un qui croit fermement au règne
temporel du Messie, à sa naissance royale et à tant d’autres choses!
Mais pour lui faire accepter l’idée que le Roi d’Israël doit être de souche royale,
descendant de David, oui, mais qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit né dans un palais
royal, son orgueil lui-même m’a servi. Lui... oh! comme il tient à être de la race de
David! Je lui ai dit doucement tant de choses... et cette idée, je l’ai redressée en lui. Il
admet maintenant, conformément aux prophéties, que tu es celui qu’elles ont annoncé.
Mais je n’aurais pas réussi, oh! non, je n’aurais pas réussi, à le convaincre que Toi,
que ta vraie grandeur c’est justement le fait d’être le Roi de l’esprit, la seule chose qui
puisse te rendre le Roi universel et éternel, s’il n’était venu à deux reprises des gens
pour le chercher... Les premiers, ceux de Capharnaüm et d’autres avec eux, après
l’avoir de nouveau séduit par des promesses éblouissantes de grandeur pour toute la
maison, le voyant moins disposé à céder en leur faveur - ils prétendaient qu’il te force
et me force à te faire accepter une couronne - ils se sont trahis en passant à des
menaces... Les habituelles menaces voilées dont ils se servent. Couteaux tranchants
enveloppés de laine soyeuse pour les faire paraître inoffensifs... Et Joseph a réagi en
leur disant: “Je suis le plus âgé, mais Lui est majeur et, dans notre famille, il ne me
semble pas qu’il y ait jamais eu des sots ou des fous. Comme il est majeur depuis déjà
quatre lustres, Lui sait ce qu’il fait. Allez donc l’interroger, et si Lui refuse, laissez-le
tranquille. Il est responsable de ses actes”.
Mais ensuite, et précisément la veille du sabbat, il est venu de tes disciples... Tu me regardes, Fils?
Permets-moi de ne pas te dire leurs noms, mais permets-moi de te dire de leur pardonner... Un
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fils qui aurait levé la main sur les cheveux blancs de son père, un lévite qui aurait
profané l’autel et craindrait la colère de Jéhovah, ne seraient pas comme ils étaient...
Ils venaient de Capharnaüm où ils t’avaient cherché... Ils avaient fait les routes du lac,
de Capharnaüm à Magdala, et puis à Tibériade, espérant te trouver, et ils s’étaient
rencontrés avec Hermas et Etienne qui descendaient avec d’autres à Jérusalem, après
avoir été quelques jours les hôtes de Gamaliel. Je ne veux pas dire ce qu’eux ont dit,
ce qu’ils veulent te dire, et brûlent de te dire. Mais leurs paroles avaient augmenté
encore plus la douleur des disciples qui furent égarés au point de s’unir à ceux qui
voulaient te trahir par une onction trompeuse. Quand ils sont venus, Joseph était chez
moi, et cela tombait bien. Oh! Joseph n’est pas encore arrivé à la Lumière, mais il en
est déjà à la naissance de son aurore. Joseph a compris le piège et... il t’aime
maintenant beaucoup, notre Joseph. Il t’aime, je n’ose pas dire justement, mais au
moins, comme un aîné qui souffre de ta souffrance, qui veille sur ta sauvegarde, qui
connaît tes ennemis...
Voilà pourquoi je sais ce qu’ils t’ont fait, mon Fils. Une douleur... Et une joie,
parce que plus d’un t’a reconnu pour ce que tu es. Pour Toi et pour moi, cette douleur
et cette joie. Et nous pardonnons à tous, n’est-ce pas? Moi, j’ai déjà pardonné à ceux
qui se sont repentis, dans la mesure où cela m’était permis.»
«Maman, tu pouvais donner tout pardon, même pour Moi, car Moi, j’avais déjà
pardonné en voyant leurs coeurs. Ce sont des hommes... Tu l’as bien dit!... Mais j’ai
aussi la joie de voir Joseph avancer vers l’aurore de la vraie Lumière...»
«Oui, lui espérait te voir. C’était bien que tu le voies. Aujourd’hui, il était absent jusqu’au coucher
du soleil, et il sera peiné de ne pas te voir. Mais il pourra le faire à Jérusalem.»
«Non, Mère. Je ne resterai pas à Jérusalem de manière à être vu. J’ai besoin d’évangéliser la Cité et
les alentours, et on m’en chasserait tout de suite si l’on me découvrait. Je devrai donc agir comme
quelqu’un qui fait le mal alors que je ne veux faire que du bien... Mais c’est ainsi.»
«Alors tu ne verras pas Joseph? Il part demain pour les Tabernacles. Vous pouviez faire le voyage
ensemble...»
«Je ne puis...»
«C’est à ce point qu’ils te persécutent déjà, mon Fils?» Quelle angoisse il y a
dans la voix de la Mère!
«Non, Mère, non. Pas plus qu’auparavant. Rassure-toi. Et même... de bons esprits viennent à Moi.
D’autres, qui ne sont pas
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bons, s’arrêtent à réfléchir, alors qu’auparavant ils frappaient sans raison; les disciples
augmentent, les anciens se forment de plus en plus, les apôtres se perfectionnent. Je
ne parle pas de Jean: il a toujours été une grâce que le Père m’a faite, mais je parle de
Simon de Jonas et des autres. Simon, dont je puis dire que de jour en jour il change,
d’homme qu’il était en apôtre, et tu sais ce que je veux dire. Et il me donne tant de
joie. Et Nathanaël et Philippe qui se détachent des liens de leurs idées. Et Thomas et...
Mais que dis-je! Tous. Oui, crois-le. Tous à cette heure sont bons: ma joie. Tu dois
être tranquille, me sachant avec eux: amis, consolateurs, défenseurs de ton Fils.
Puisse-tu être ainsi défendue et aimée!»
«Oh! moi, j’ai Marie, j’ai les épouses de Joseph et de Simon et eux-mêmes et
leurs enfants. J’ai le bon Alphée. Et puis, à Nazareth, qui n’aime pas Marie de
Nazareth? Tu dois être tranquille... Tout un village aime ta Mère.»
«Mais ils ne m’aiment pas encore, sauf quelques-uns. Je le sais, et je sais que leur amour pour toi
est imprégné de la compassion que l’on a pour la mère d’un fou et d’un vagabond. Mais tu sais que
je ne le suis pas et que je t’aime. Tu sais que me séparer de toi c’est l’obéissance, je ne dis pas la
plus grande, mais la plus affectueusement douloureuse que me demande le Père...»
«Oui, mon Fils! Oui, je le sais. Moi, je ne me plains de rien. Certainement je
voudrais, je préférerais être avec Toi, dans la boue, dans le vent, à la belle étoile,
persécutée, lasse, sans toit ni feu, sans pain, comme Toi tant de fois, au lieu d’être
dans ma maison, pendant que tu es au loin et que je ne sais pas comment tu es quand
je pense à Toi. Toi avec moi, et moi avec Toi, tu souffrirais moins, et moi, je
souffrirais moins... Parce que tu es mon Fils et que je pourrais toujours te prendre
dans mes bras et te défendre du froid, de la dureté des pierres et surtout de la dureté
des coeurs, par mon amour, sur ma poitrine, dans mes bras. Tu es mon Fils. Je t’ai tant
gardé sur mon coeur dans la grotte, dans le voyage en Egypte, et au retour, toujours,
quand les traîtrises de la saison et des hommes pouvaient te nuire. Pourquoi ne
pourrais-je pas le faire maintenant? Ne suis-je peut-être plus ta Mère, parce que
maintenant tu es l’Homme? Une mère ne peut-elle donc plus être tout pour son Fils
parce qu’il n’est plus petit? Je pense que si je suis avec Toi, ils ne pourront pas te faire
du mal... car personne... Non. Je suis sotte... Tu es le Rédempteur... et les hommes, je
l’ai vu, n’ont pas pitié, même de leur propre mère... Mais laisse-moi venir près de Toi.
Tout vaut mieux pour moi que d’être au loin.»
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«Si les hommes étaient meilleurs, je serais revenu encore à Nazareth. Mais
même Nazareth... N’importe. Ils viendront à Moi. Pour le moment, je vais vers les
autres... et je ne peux t’emmener avec Moi. Je ne reviendrai plus ici que quand ils
sauront qui je suis. Maintenant je vais en Judée... Je monte au Temple... Puis je
resterai dans ces contrées... Je parcourrai encore une fois la Samarie. Je travaillerai
là où il y a le plus à faire. Aussi, ô Mère, je te conseille de te préparer à me
rejoindre au début du printemps et de t’établir près de Jérusalem. Nous nous
verrons plus facilement. Je remonterai jusqu’à la Décapole encore quelques fois et
nous nous verrons encore... Je l’espère. Mais je resterai généralement en Judée.
Jérusalem est la brebis qui a le plus besoin de soins car, en vérité, elle est plus têtue
qu’un vieux mouton et plus querelleuse qu’un bouc sauvage. Je vais y répandre la
Parole comme une rosée qui ne se lasse pas de tomber sur son aridité...»
Jésus se lève, s’arrête, regarde sa Mère qui le fixe attentivement. Il ouvre la bouche, puis il secoue
la tête en disant: «Il y a encore cela à dire, avant la dernière chose... Mère, si Joseph veut me parler,
qu’il soit vers l’aube d’après-demain sur la route qui de Nazareth va à Jezraël par le Thabor. J’y
serai seul ou avec Jean.»
«Je le dirai, mon Fils.»
Un silence, un silence profond, car les oiseaux ont fini de se quereller dans les feuillages et le vent
aussi se tait, alors que le crépuscule s’assombrit. Puis Jésus, qui semble avoir cherché péniblement
les dernières paroles à dire, dit: «Maman, la pause est finie... Un baiser, Maman, et ta bénédiction.»
Ils s’embrassent et se bénissent mutuellement.
Puis Jésus, se penchant pour ramasser le voile de sa Mère, appelle Jean comme pour rendre moins
solennelles ses paroles, et il dit: «Quand tu viendras en Judée, apporte-moi mon vêtement le plus
beau, celui que tu m’as tissé pour les fêtes solennelles. A Jérusalem, je dois être le “Maître” au sens
le plus large, et même plus sensiblement humain, puisque ces esprits fermés et hypocrites regardent
davantage l’extérieur: le vêtement, que l’intérieur: la doctrine. Et ainsi même Judas de Kériot sera
content... et content aussi Joseph qui me verra vraiment en vêtement royal. Oh! ce sera un triomphe!
Et le vêtement que tu as tissé y contribuera...» et il sourit en hochant la tête pour atténuer la vérité
cruelle que cachent ces paroles.
Mais Marie ne s’y trompe pas. Elle se lève et s’appuie au bras de Jésus en s’écriant: «Fils!» avec un
déchirement qui me fait souffrir.
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Jésus la serre sur son coeur, et elle pleure sur ce coeur...
«Maman, j’ai voulu te parler en cette heure de paix pour ceci... Je te confie
mon secret et ce que j’ai de plus cher ici-bas. Aucun des disciples ne sait que nous
ne reviendrons plus de ce côté, que quand tout sera accompli. Mais toi... Pour toi, il
n’y a pas de secrets... Je te l’avais promis, Maman. Ne pleure pas. Nous avons
encore beaucoup d’heures à rester ensemble. C’est pour cela que je te dis: “Viens
en Judée”. De t’avoir près de Moi, me dédommagera de la fatigue de la plus
difficile évangélisation à ces coeurs durs qui font obstacle à la Parole de Dieu.
Viens avec les disciples galiléennes. Vous me serez si utiles! Jean s’occupera de
trouver un asile pour toi et pour elles. Maintenant, avant qu’il ne vienne, prions
ensemble. Puis tu retourneras au village, et Moi aussi je viendrai de nuit...»
Ils prient ensemble et sont aux derniers mots du Pater quand Jean apparaît et dans la pénombre,
quand il est proche, voit avec étonnement les traces de larmes sur le visage de Marie. Mais il ne dit
rien à ce propos. Il salue le Maître et Lui dit: «Je serai à l’aurore sur la route, hors de Nazareth...
Viens, Mère. En dehors du bois, il fait encore clair, et en bas, la route est bien éclairée par les
lanternes des chars qui y circulent...»
Marie embrasse encore Jésus en pleurant dans son voile et puis, aidée par Jean qui la tient par le
coude, elle descend le sentier et puis en bas, vers la vallée.
Jésus reste seul à prier, à réfléchir, à pleurer. Car Jésus pleure en regardant sa Mère qui descend. Et
puis il revient où il était avant et reprend la position qu’il avait alors que l’ombre et le silence
deviennent de plus en plus épais autour de Lui.

173. JESUS EN CONVERSATION AVEC JOSEPH D’ALPHEE

Le soleil se lève à peine sur la nature rendue humide par une averse, tombée
depuis peu certainement parce que la poussière de la route en est encore humectée,
sans pourtant avoir fait de la boue. Voilà pourquoi je dis qu’il a plu depuis peu et
que cela n’a été qu’une averse. Une première pluie d’automne, l’annonce des
pluies de novembre qui changeront les routes de Palestine en un
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ruban visqueux de boue. Mais celle-ci 1égère, favorable aux voyageurs, n’a fait
qu’humecter la poussière -l’autre fléau de la Palestine réservé aux mois d’été,
comme la boue l’est à ceux d’hiver - et laver l’atmosphère, les feuilles et les herbes
qui, propres, brillent toutes au premier rayon du soleil. Un petit vent, doux et pur,
court à travers les oliviers qui couvrent les collines de Nazareth et il semble qu’un
grand vol d’anges court à travers les arbres pacifiques, tellement leurs frondaisons
rappellent dans leur bruissement le bruit des grandes ailes qui se meuvent dans le
vol, et elles brillent avec leur argent lumineux, toutes penchées du même côté,
comme si à l’arrière du vol angélique il restait un sillage de lumière paradisiaque.
La ville est déjà dépassée de quelques stades quand Jésus, qui a marché par
des raccourcis à travers les collines, entre dans la grand-route qui, de Nazareth, va
à la plaine d’Esdrelon, la route des caravanes qui de minute en minute s’anime
avec le passage des pèlerins. Il fait quelques autres stades sur la route. A un
endroit, elle bifurque près d’une pierre milliaire, qui sur deux côtés porte
l’inscription: «Jafia Simonia - Bethléem Carmel» à l’ouest, et: «Xalot - Naïm
Scythopolis –Engannim» à l’est. Là Jésus voit, arrêtés sur le bord de la route, ses
cousins Joseph et Simon qui, avec Jean de Zébédée, le saluent tout de suite.
«Paix à vous! Vous êtes déjà ici? Je pensais m’arrêter ici pour vous attendre et être le premier... et je
vous trouve déjà» et il les embrasse visiblement content de les voir.
«Tu ne pouvais arriver le premier. Craignant que tu passes avant que nous arrivions, nous sommes
partis à la clarté des étoiles, tout de suite cachées par des nuages.»
«Je vous avais dit que vous m’auriez vu. Alors, toi, Jean, tu n’as pas dormi.»
«Peu, Maître, mais toujours plus que Toi certainement. Mais cela ne fait rien» et le visage serein de
Jean sourit, vrai miroir de son excellent caractère toujours content de tout.
«Eh bien, mon frère, tu voulais me parler?» dit Jésus à Joseph.
«Oui... Viens un peu à l’intérieur de cette vigne. Nous serons plus tranquilles» et Joseph d’Alphée
le premier pénètre entre deux rangs de vignes déjà dépouillées de leurs fruits. Seuls quelques
grappillons restent encore sur les sarments, au milieu des feuilles qui blondissent et vont bientôt
tomber, réservés à la faim du pauvre et du pèlerin, suivant les prescriptions mosaïques.
Jésus le suit avec Simon. Jean reste sur la route, mais Jésus
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l’appelle en disant: «Tu peux venir, Jean. Tu es mon témoin.»
«Mais...» dit l’apôtre en regardant interdit les deux fils d’Alphée.
«Oui, oui, viens aussi. Et même nous voulons que tu entendes nos paroles» dit Joseph, et alors Jean
descend à son tour dans le vignoble où tous ensemble ils s’enfoncent en suivant les courbes des
rangées, au point que l’on ne peut plus les voir de la route.
«Jésus, j’ai été heureux de voir que tu m’aimes» dit Joseph.
«Et pouvais-tu en douter? Ne t’ai-je pas toujours aimé?»
«Moi aussi, je t’ai toujours aimé. Mais... dans notre amour, depuis quelque
temps, nous ne nous comprenions plus. Moi... je ne pouvais approuver ce que tu
faisais, car cela me paraissait ta ruine, celle de ta Mère et la nôtre. Tu sais... Nous
tous les vieux galiléens, nous nous rappelons comment fut frappé Jude le galiléen
et comment furent dispersés ses parents et ses disciples dont les biens furent
confisqués. Ceux qui ne furent pas tués, furent envoyés aux galères et eurent leurs
biens confisqués. Moi, je ne voulais pas cela pour nous. C’est que... Oui, il me
semblait que cela ne devait pas être vrai que justement chez nous, de la
descendance de David, oui, mais ainsi... Nous ne manquons pas de pain, pour cela
non, et que le Très-Haut en soit loué. Mais où se trouve la grandeur royale que
toutes les prophéties attribuent à celui qui sera le Messie? Et Toi, es-tu la verge qui
frappe pour dominer? Tu n’as pas été la lumière à ta naissance. Tu n’es même pas
né dans ta maison!... Oh! je les connais bien les prophéties! Nous, bois sec
désormais, mais rien ne disait que le Seigneur l’aurait revêtu d’une frondaison. Et
Toi, qu’es-tu sinon un juste?
C’étaient les idées à cause desquelles je te combattais en gémissant sur notre ruine. Et pendant que
je gémissais ainsi, voici venir des tentateurs pour faire enflammer encore plus mes idées de
grandeur, de royauté... Jésus, ton frère a été un imbécile. Je les ai crus, et je t’ai déplu. C’est dur de
l’avouer, mais je dois le dire. Et toi pense qu’Israël tout entier était en moi, imbécile comme moi,
sûr comme moi que l’apparence du Messie n’est pas celle que tu nous donnes... Il est dur de dire:
“Je me suis trompé! Nous nous sommes trompés et nous nous trompons! Depuis des siècles”. Mais
ta Mère m’a expliqué les paroles des prophètes.
Oh! oui! Jacques a raison, et Jude a raison. Entendues de sa bouche, comme eux les ont entendues
tout enfants, on voit que tu es le Messie. Voilà, mes cheveux blanchissent car je ne suis plus un
enfant, et je ne l’étais pas non plus quand Marie revint du Temple comme épouse de Joseph. Et je
me souviens de ces jours-là, et de la
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réprobation stupéfaite de mon père quand il vit que son frère ne faisait pas les
noces au plus vite. Sa stupeur, stupeur de Nazareth, et aussi les médisances. Car il
n’est pas d’usage de laisser passer tant de mois avant les noces, en se mettant dans
les conditions de pécher et de... Jésus, j’estime Marie, et j’honore la mémoire de
mon parent. Mais le monde... Pour le monde, cela n’a pas été un bon moment...
Toi... Oh! maintenant je sais. Ta Mère m’a expliqué les prophéties. Voilà pourquoi
Dieu a voulu que les noces soient retardées. Pour que ta naissance coïncide avec le
grand Edit et que tu naisses à Bethléem de Juda. Et... Marie m’a tout expliqué, tout
oui, et il y a eu une sorte de lumière pour que je comprenne ce qu’elle a tu par
humilité. Et je dis: tu es le Messie. C’est ce que j’ai dit et ce que je dirai. Mais le
dire, ce n’était pas encore changer l’esprit... car mon esprit pense que le Messie est
Roi. Les prophéties parlent... et il est difficile de pouvoir comprendre dans le
Messie un caractère autre que celui de Roi... Me suis-tu? Tu es fatigué?»
«Non, j’écoute.»
«Eh bien... Ceux qui cherchaient à séduire mon coeur sont revenus et ils
voulaient que je te contraigne... Et parce que je n’ai pas voulu, le voile est tombé
de leurs visages et ils sont apparus pour ce qu’ils sont: de faux amis, de vrais
ennemis... Et d’autres sont venus, pleurant comme des pécheurs, et je les ai
entendus. Ils ont répété tes paroles dans la maison de Chouza... Maintenant je sais
que tu régneras sur les esprits, c’est-à-dire que tu seras Celui en qui toute la
sagesse d’Israël se centralise pour donner des lois nouvelles et universelles. En Toi
la sagesse des patriarches et celle des juges, et celle des prophètes, et celle de nos
aïeux David et Salomon, en Toi la sagesse qui a guidé les rois, Néhémie et Esdras,
en Toi celle qui a conduit les Maccabées. Toute la sagesse d’un peuple, de notre
peuple, du Peuple de Dieu. Je comprends que tu donneras au monde, tout entier
soumis à ton pouvoir, tes lois très sages. Et c’est vraiment un peuple de saints que
sera ton peuple. Mais, mon Frère, tu ne peux faire cela tout seul. Moïse pour bien
moins se choisit des aides. Et ce n’était qu’un peuple! Toi... Tout le monde. Tout
entier à tes pieds!... Ah! Mais pour faire cela, tu dois te faire connaître... Pourquoi
ce sourire sur tes lèvres, tout en restant les yeux fermés?»
«Parce que j’écoute et que je me demande: “Mon frère oublie-t-il qu’il m’a
fait des reproches parce que je me faisais connaître, disant que j’aurais nui à toute
la famille!” Voilà pourquoi je souris. Et je pense aussi que depuis deux ans et six
mois, je ne fais que
118
me faire connaître.»
«C’est vrai. Mais... Qui te connaît? Des pauvres, des paysans, des pécheurs,
des pécheurs, et des femmes! Les doigts de la main suffisent pour compter, parmi
ceux qui te connaissent, ceux qui ne sont pas des nullités sans valeur. Je dis que tu
dois te faire connaître des grands d’Israël, des Prêtres, des Princes des Prêtres, des
Anciens, des Scribes, des grands Rabbis d’Israël, de tous ceux qui sont peu
nombreux mais valent une multitude. C’est eux qui doivent te connaître! Eux, ceux
qui ne t’aiment pas, parmi leurs accusations dont maintenant je comprends la
fausseté, en ont une de vraie, de juste: celle que tu les négliges. Pourquoi ne te
présentes-tu pas pour ce que tu es? Et pourquoi ne les conquiers-tu pas par ta
sagesse? Monte au Temple et siège dans le Portique de Salomon - tu es de la
souche de David et prophète, cette place te revient, elle ne revient à personne
comme à Toi, de droit - et parle.»
«J’ai parlé. C’est pour cela qu’ils m’ont haï.»
«Insiste, et parle en roi. Ne te rappelles-tu pas la puissance, la majesté des actes de Salomon? Si (il
est splendide ce “si”!) tu es vraiment celui qu’ont prophétisé les prophètes, comme le montrent les
prophéties vues avec les yeux de l’esprit, tu es plus qu’un Homme. Lui, Salomon, n’était qu’un
homme. Alors, montre-toi pour ce que tu es, et ils t’adoreront.»
«M’adoreront-ils les juifs, les princes, et les chefs des familles et des tribus d’Israël? Pas tous, mais
quelques-uns qui ne m’adorent pas, m’adoreront en esprit et en vérité. Mais pas maintenant. Je dois
avant ceindre la couronne et prendre le sceptre et revêtir la pourpre.»
«Ah! alors, tu es roi, tu vas l’être bientôt! Tu le dis! C’est comme je pensais! C’est comme
beaucoup le pensent!»
«En vérité, tu ne sais pas comment je régnerai. Seul le Très-Haut et Moi, et quelques âmes
auxquelles l’Esprit du Seigneur s’est plu à le révéler, maintenant et dans les temps passés, nous
savons comment régnera le Roi d’Israël, l’Oint de Dieu»
«Pourtant, écoute-moi aussi, Frère» dit Simon d’Alphée. «Pourtant Joseph a
raison. Comment veux-tu qu’ils t’aiment ou qu’ils te craignent si tu évites toujours
de les stupéfier? Ne veux-tu pas appeler Israël aux armes? L’ancien cri de guerre et
de victoire ne veux-tu pas le dire? Mais, au moins - ce n’est pas la première fois
que se produisent ainsi les appels au trône en Israël - mais au moins par les
hosannas du peuple, mais au moins pour avoir su arracher ces hosannas par ta
puissance de Rabbi et de Prophète,
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deviens roi.»
«Je le suis déjà. Depuis toujours.»
«Oui» réplique Simon. «C’est ce que nous a dit un chef du Temple. Tu es né roi des juifs. Mais tu
n’aimes pas la Judée. Tu es un roi déserteur puisque tu ne vas pas à elle. Tu es un roi qui n’est pas
saint si tu n’aimes pas le Temple où la volonté d’un peuple te consacrera roi. Sans la volonté d’un
peuple, si tu ne veux pas t’imposer à lui par la violence, tu ne peux régner.»
«Sans la volonté de Dieu, tu veux dire, Simon. Qu’est-ce que la volonté du
peuple? Qu’est le peuple? Par qui est-il peuple? Qui le soutient comme tel? Dieu.
Ne l’oublie pas, Simon. Et Moi, je serai ce que Dieu veut. C’est par sa volonté que
je serai ce que je dois être, et rien ne pourra empêcher que je le sois. Moi, je
n’aurai pas à jeter le cri de rassemblement. Israël sera tout entier présent à ma
proclamation. Moi, je n’aurai pas besoin de monter au Temple pour être acclamé.
Ils m’y porteront. Un peuple tout entier m’y portera pour que je monte sur mon
trône. Vous m’accusez de ne pas aimer la Judée... C’est au coeur de cette Judée, à
Jérusalem, que je deviendrai le “Roi des Juifs”. Saül n’a pas été proclamé roi à
Jérusalem, et David non plus, ni non plus Salomon. Mais Moi, je serai consacré
Roi à Jérusalem. Mais je n’irai pas maintenant publiquement au Temple, et je n’y
siégerai pas car ce n’est pas mon heure.»
Joseph reprend la parole. «Tu laisses passer ton heure. C’est moi qui te le dis.
Le peuple est las des oppresseurs étrangers et de nos chefs. C’est l’heure, je te le
dis. Toute la Palestine, à l’exception de la Judée, et encore pas toute, te suit en
qualité de Rabbi et plus encore. Tu es comme un étendard élevé sur une hauteur et
tous te regardent. Tu es comme un aigle et tous suivent ton vol. Tu es comme un
vengeur et tous attendent que tu décoches la flèche. Va, quitte la Galilée, la
Décapole, la Pérée, les autres régions, et va au coeur d’Israël, dans la citadelle où
tout le mal est renfermé et d’où doit venir tout le bien, et conquiers-la. Là aussi tu
as des disciples, mais qui sont tièdes, parce qu’ils te connaissent peu; mais peu
nombreux parce que tu n’y séjournes pas; mais incertains parce que tu n’y as pas
fait les oeuvres que tu as faites ailleurs. Va-t-en en Judée pour qu’eux aussi voient
qui tu es par tes oeuvres. Tu reproches aux juifs de ne pas t’aimer. Mais comment
peux-tu prétendre de l’être, si tu leur restes caché? Personne, qui cherche à être
acclamé en public et le désire, ne fait ses oeuvres en cachette, mais il les fait de
façon que le public les voie. Si donc tu peux faire des prodiges sur les coeurs, sur
les corps et sur les é1éments, va là et
120
fais-toi connaître au monde.»
«Je vous l’ai dit: ce n’est pas mon heure. Mon temps n’est pas encore venu. Il
vous semble toujours que ce soit le bon moment, mais il n’en est pas ainsi. Je dois
prendre le temps qui est le mien; pas avant, pas après. Avant, ce serait inutile. Je
me ferais effacer du monde et des coeurs avant d’avoir achevé mon oeuvre et le
travail déjà fait ne donnerait pas de fruit, parce qu’il ne serait pas achevé ni aidé
par Dieu, qui veut que je l’accomplisse sans négliger une seule parole ou une seule
action. Je dois obéir à mon Père, et je ne ferai jamais ce que vous espérez, car cela
servirait à nuire au dessein de mon Père.
Je vous comprends et vous excuse. Je n’ai pas de rancoeur pour vous. Je n’éprouve pas de lassitude,
d’ennui pour votre cécité... Vous ne savez pas, mais Moi, je sais. Vous ne savez pas, vous voyez la
surface du visage du monde. Moi, je vois la profondeur. Le monde vous montre encore bon visage.
Il ne vous hait pas, non qu’il vous aime, mais parce que vous ne méritez pas sa haine. Vous êtes
trop peu de chose. Mais il me hait Moi, parce que je suis un danger pour le monde: un danger pour
la fausseté, pour la cupidité, pour la violence qu’est le monde.
Je suis la Lumière, et la lumière illumine. Le monde n’aime pas la lumière car elle manifeste les
actions du monde. Le monde ne m’aime pas, il ne peut pas m’aimer car il sait que je suis venu pour
le vaincre dans le coeur des hommes et dans le roi ténébreux qui le domine et le dévoie. Le monde
ne veut pas se convaincre que je suis son Médecin et son Remède et, comme un fou, il voudrait
m’abattre pour n’être pas guéri. Le monde encore ne veut pas se persuader que je suis le Maître
parce que ce que je dis est contraire à ce qu’il dit. Et alors il cherche à étouffer la Voix qui parle au
monde afin de l’instruire à Dieu, de lui montrer la vraie nature de ses actions qui sont mauvaises.
Entre le Monde et Moi, il y a un abîme, et pas par ma faute. Je suis venu pour donner au monde la
Lumière, le Chemin, la Vérité, la Vie. Mais le monde ne veut pas m’accueillir et pour lui ma
lumière devient ténèbres parce qu’elle sera la cause de la condamnation de ceux qui n’ont pas voulu
de Moi. Dans le Christ se trouve toute la Lumière pour ceux d’entre les hommes qui veulent
l’accueillir, mais dans le Christ aussi se trouvent toutes les ténèbres pour ceux qui me haïssent et me
repoussent. C’est pour cela qu’au commencement de mes jours mortels, j’ai été prophétiquement
indiqué comme “un signe de contradiction” parce que, selon
121
la manière dont je serai accueilli, ce sera salut ou condamnation, mort ou vie,
lumière ou ténèbres.
Mais ceux qui m’accueillent, en vérité, en vérité je vous dis qu’ils deviendront
des fils de la Lumière, c’est-à-dire de Dieu, car ils sont nés à Dieu pour avoir
accueilli Dieu. Par conséquent, si je suis venu pour faire des hommes des fils de
Dieu, comment puis-je faire de Moi un roi, comme, par amour ou par haine, par
simplicité ou par malice, beaucoup en Israël vous voulez faire? Vous ne
comprenez pas que je me détruirais Moi-même, le vrai Moi-même, c’est-à-dire le
Messie, non pas le Jésus de Marie et Joseph de Nazareth. Je détruirais le Roi des
rois, le Rédempteur, celui qui est né d’une Vierge, appelé Emmanuel, appelé
l’Admirable, le Conseiller, le Fort, le Père du siècle futur, le Prince de la Paix,
Dieu, Celui dont l’empire et la paix n’auront pas de limites, en s’assoyant sur le
trône de David à cause de la descendance humaine, mais ayant le monde pour
escabeau de ses pieds, pour escabeau de ses pieds tous ses ennemis et le Père à ses
côtés, comme il est dit au livre des Psaumes, par droit surhumain d’origine divine?
Vous ne comprenez pas que Dieu ne peut être Homme, autrement que par
perfection de bonté, pour sauver l’homme, mais ne peut pas, ne doit pas s’abaisser
Lui-même à de pauvres choses humaines? Vous ne comprenez pas que si
j’acceptais la couronne, la royauté comme vous la comprenez, j’avouerais que je
suis un faux Christ, je mentirais à Dieu, je me renierais Moi-même, et je renierais
le Père, et je serais pire que Lucifer, car je priverais Dieu de la joie de vous avoir,
je serais pire que Caïn pour vous, car je vous condamnerais à être perpétuellement
exilé de Dieu dans les Limbes sans espérance de Paradis?
Tout cela, vous ne le comprenez .pas? Ne comprenez-vous pas le piège où les
hommes veulent me faire tomber? Le piège de Satan pour frapper l’Eternel dans
son Aimé et dans ses créatures: les hommes? Ne comprenez-vous pas que c’est le
signe que je suis plus qu’un homme, que je suis l’Homme-Dieu? Le fait que je
n’aspire qu’à des choses spirituelles pour vous donner le Royaume spirituel de
Dieu?... Vous ne comprenez pas que le signe que je...»
«Les paroles de Gamaliel!» s’écrie Simon.
«...que je ne suis pas un roi, mais le Roi, c’est cette haine de tout l’enfer et du
monde entier envers Moi? Je dois enseigner, souffrir, vous sauver. C’est cela que
je dois faire. Et cela Satan ne le veut pas et les satans ne le veulent pas. L’un de
vous a dit: “Les paroles de Gamaliel”. Voici: lui n’est pas mon disciple et il ne le
sera ja-
122
mais tant que je serai de ce monde, mais c’est un juste. Eh bien: parmi ceux qui me
proposent et qui vous proposent le pauvre royaume humain, y a-t-il par hasard
Gamaliel?»
«Oh! non!» dit Simon. «Etienne a dit que le rabbi, ayant appris ce qui est
arrivé chez Chouza, s’est écrié: “Mon esprit tressaille en se demandant si Lui peut
être vraiment ce qu’il dit. Mais toute question serait morte avant de se former dans
mon esprit, et pour toujours, s’il avait consenti à cette chose. L’Enfant, que j’ai
entendu, a dit que l’esclavage comme la royauté ne seront pas ce que nous croyons,
en comprenant mal les prophètes, c’est-à-dire matérielles, mais de l’esprit, grâce au
Christ, Rédempteur de la Faute et Fondateur du Royaume de Dieu dans les esprits.
Je me rappelle ces paroles, et c’est sur elles que je juge le Rabbi. Si, en le jugeant,
je le trouvais au-dessous de cette hauteur, je le repousserais comme un pécheur et
un menteur. Et j’ai tremblé de voir se dissoudre dans le néant l’espérance que cet
Enfant m’a donnée”.»
«Oui, mais en attendant, il ne l’appelle pas le Messie» dit Joseph.
«Il attend un signe, dit-il» répond Simon.
«Et Toi, donne-le-lui, alors! Et qu’il soit puissant.»
«Je lui donnerai ce que je lui ai promis, mais pas maintenant. Vous, allez à cette fête. Moi je n’y
viens pas publiquement, comme rabbi, comme prophète, pour m’imposer, car ce n’est pas encore
mon temps.»
«Mais, au moins, tu viendras en Judée? Tu donneras aux juifs des preuves qui les convainquent?
Pour qu’ils ne puissent pas dire...»
«Oui. Mais crois-tu qu’elles serviront à me procurer la paix? Frère, plus j’agirai et plus je serai haï.
Mais je te contenterai. Je leur donnerai les preuves les plus grandes qui puissent exister... et je leur
dirai des paroles capables de changer des loups en agneaux, des pierres dures en cire molle. Mais
cela ne servira à rien...» Jésus est triste.
«Je t’ai fait souffrir? Je le disais pour ton bien.»
«Non, tu ne me donnes pas du chagrin... Je voudrais pourtant que tu me comprennes, que toi, mon
frère, tu me voies pour ce que je suis... Je voudrais m’en aller avec la joie de te savoir mon ami.
L’ami comprend et il veille sur les intérêts de l’ami...»
«Et moi, je te dis que je le ferai. Je sais qu’ils te haïssent. Désormais, je le sais.
C’est pour cela que je suis venu. Mais tu le sais: je veillerai sur Toi. Je suis l’aîné,
je réfuterai les calomnies et je penserai à ta Mère» promet Joseph.
«Merci, Joseph. Il est grand mon fardeau et tu l’allèges. La dou-
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leur, une mer, s’avance avec ses flots pour me submerger et avec elle la haine...
Mais si j’ai votre amour, ce n’est rien. C’est que le Fils de l’homme a un coeur... et
ce coeur a besoin d’amour...»
«Et moi, je te le donne. Oui. Sous l’oeil de Dieu qui me voit, je te dis que je te
le donne. Va en paix, Jésus, à ton travail. Je t’aiderai. Nous nous aimions bien.
Puis...Mais maintenant redevenons ce que nous étions autrefois, l’un pour l’autre.
Toi: le Saint; moi: l’homme, mais unis pour la gloire de Dieu. Adieu, Frère.»
«Adieu, Joseph.»
Ils s’embrassent. C’est le tour de Simon qui demande: «Bénis-nous pour que nos coeurs s’ouvrent à
toute la Lumière.»
Jésus les bénit et, avant de les quitter, il leur dit encore: «Je vous confie ma Mère...»
«Va en paix. Elle aura deux fils en nous.»
Ils se quittent.
Jésus revient sur la route et, avec Jean à côté de Lui, il se met à marcher vite, très vite.
Après un bon moment, Jean rompt le silence pour demander: «Mais Joseph d’Alphée, il est
convaincu ou non, désormais?»
«Pas encore.»
«Et alors, Toi, qu’es-tu pour lui? Messie? Homme? Roi? Dieu? Je n’ai pas bien compris. Il me
semble qu’il...»
«Joseph est comme dans un de ces rêves du matin où l’esprit se rend déjà à la réalité en se
dégageant d’un lourd sommeil qui lui donnait des rêves irréels, parfois des cauchemars. Les
fantômes de la nuit s’éloignent, mais l’esprit flotte encore dans le rêve qu’on ne voudrait pas voir
finir parce qu’il est beau... Pour lui, c’est cela. Il approche du réveil, mais pour l’instant il caresse
encore son rêve. Il le retient pour ainsi dire car, pour lui, il est beau... Mais il faut savoir prendre ce
que l’homme peut donner, et louer le Très-Haut pour la transformation survenue jusqu’à présent.
Bienheureux les enfants! Il est si facile pour eux de croire!» et Jésus passe un bras à la taille de
Jean, qui sait être enfant et croire, pour lui faire sentir son amour.
124

174. EN ATTENDANT LES PAYSANS DE GIOCANA


PRES DE LA TOUR DE JEZRAEL

«Tu es bien las, Jean. Et pourtant il faudrait arriver à Engannim avant le


coucher du soleil de demain.»
«Nous y arriverons, Seigneur» dit Jean, et il sourit bien qu’il soit tout pâle de fatigue, lui qui a
marché plus que tous. Et il essaie de prendre un pas plus dégagé pour persuader le Maître qu’il n’est
pas très fatigué. Mais il reprend bien vite la démarche de quelqu’un qui n’en peut plus, le dos
courbé, la tête penchée en avant, comme si un joug l’accablait, les pieds qui traînent et butent à
chaque instant.
«Donne-moi au moins les sacs. Le mien est lourd.»
«Non, Maître. Tu n’es pas moins las que moi.»
«Tu l’es davantage, car tu es venu de Nazareth dans le bois de Mathatias et puis tu es retourné à
Nazareth.»
«Et j’ai dormi dans un lit. Toi, non. Tu as veillé dans le bois et tu es parti de bonne heure.»
«Toi aussi. Joseph l’a dit. Vous êtes partis avec les étoiles.»
«Oh! mais les étoiles durent jusqu’à l’aube!...» dit Jean en souriant. Puis il ajoute, en devenant
sérieux: «Et ce n’est pas le manque de sommeil qui fait souffrir...»
«Quoi d’autre, Jean? Qu’est-ce qui t’a causé de la douleur? Peut-être que mes frères...»
«Oh! non, Seigneur! Même eux... Mais ce qui m’alourdit... non ... Ce qui me vieillit, c’est d’avoir
vu pleurer ta Mère... Elle ne m’a pas dit pourquoi elle pleurait et je ne le lui ai pas demandé, malgré
le désir que j’en avais. Mais je l’ai tant regardée qu’elle m’a dit: “A la maison, je te parlerai.
Maintenant non, parce que je pleurerais plus fort”. Et à la maison elle m’a parlé avec tant de
douceur et de tristesse que j’ai pleuré moi aussi.»
«Que t’a-t-elle dit?»
«Elle m’a dit de t’aimer beaucoup, de ne te donner jamais même la plus petite
peine, car après j’en aurais tant de remords. Elle m’a dit: “Faisons tout notre devoir
dans les mois qui nous restent, et plus que notre devoir”. Car le devoir seulement,
c’est peu pour Toi qui es Dieu. Et elle m’a dit aussi - et cela m’a tant fait souffrir,
et si elle ne l’avait pas dit elle, je ne pourrais le croire - et elle m’a dit: “Et c’est
peu aussi de faire seulement son devoir envers quelqu’un qui s’en va, que nous ne
pourrons plus servir après...
125
Pour pouvoir nous résigner quand il ne sera plus parmi nous, il faut avoir fait plus que
le devoir, il faut avoir tout donné, tout l’amour, les soins, l’obéissance, tout, tout.
Alors dans le déchirement de la séparation, on dit: ‘Oh! Je puis dire que tant que cela
a été la volonté de Dieu que je le possède, je n’ai pas cessé un instant de l’aimer et de
le servir’ “. Et moi, j’ai dit: “Mais vraiment le Maître s’en va-t-il? Il a encore tant à
faire! Il y aura du temps...” Et elle a secoué la tête en disant, et deux grosses larmes
coulaient de ses yeux: “La vraie Manne, le Pain vivant, retournera au Père quand
l’homme se félicitera de goûter de nouveau la saveur du grain nouveau... Et nous
serons seuls, alors, Jean”. Moi, pour la réconforter, j’ai dit: “Une grande douleur, mais
si Lui retourne au Père, nous devons nous en réjouir. Personne ne pourra plus Lui
faire de mal”. Et elle a gémi: “Oh! mais avant!” et j’ai cru comprendre. Mais en
sera-t-il vraiment ainsi, Seigneur? Vraiment, vraiment? Tu vois, ce n’est pas que nous
ne croyons pas à tes paroles, mais c’est que nous t’aimons et... Je ne te dirai pas
comme Simon, un jour: cela ne peut t’arriver. Je crois, nous croyons tous... mais nous
t’aimons et... Oh! mon Seigneur! Les péchés de l’amour sont-ils vraiment des
péchés?»
«L’amour ne pèche jamais, Jean.»
«Et alors nous, qui t’aimons, nous sommes prêts à combattre et à tuer pour te défendre. Les
galiléens ne sont pas aimés des autres, justement parce qu’ils nous disent querelleurs. Eh bien, nous
justifierons la réputation que nous avons en te défendant. Nous sommes sur les lieux où, au temps
de Déborah, Barac détruisit l’armée de Sisara avec ses dix mille hommes et ces dix mille étaient de
Nephtali et de Zabulon. Et nous venons d’eux. Le nom maintenant est différent, mais le coeur est le
même.»
«Ils étaient dix mille... Mais maintenant, même si vous étiez dix fois dix mille, que pourriez-vous?»
«Quoi? Tu crains les cohortes? Elles ne sont pas si nombreuses, et puis... Eux ne te haïssent pas. Tu
ne leur causes pas d’ennuis. Tu ne penses pas à la royauté, à la royauté qui arrache une proie aux
aigles romaines. Ils n’interviendront pas entre nous et tes ennemis, et eux seront bientôt vaincus.»
«Seriez-vous mille, dix mille, cent mille, que serait-ce contre la volonté du Père? Moi, je dois
l’accomplir...»
Jean, accablé, ne parle plus. C’est étrange cet entêtement, cette impuissance mentale même chez les
meilleurs de ceux qui suivent Jésus à comprendre sa plus grande mission! Ils l’acceptent comme
126
Maître, comme Messie, ils croient à son pouvoir de sauver et de racheter. Mais quand
ils se trouvent en face de la manière dont il rachètera, voilà que leur intelligence se
ferme. Il semble même que pour eux les prophéties perdent leur valeur. Et c’est tout
dire pour des israélites qui, si on peut dire, respirent et marchent, et se nourrissent et
vivent au moyen des prophéties! Tout est vrai de ce que portent les Livres sacrés,
excepté ceci: que le Messie doit souffrir et mourir, et être vaincu par les hommes.
Cela, ils ne peuvent pas l’accepter. Ils me semblent des aveugles et des sourds
auxquels Jésus se fatigue à montrer des tableaux de sa future Passion pour qu’ils
puissent y lire ce qu’elle sera. Mais ils ferment les yeux et, pour ce motif, ils ne voient
ni ne comprennent.
La soirée, un peu sombre, s’avance alors qu’ils arrivent en vue de Jezraël.
Jésus réconforte Jean qui a cessé de parler et qui marche comme un somnambule, tellement il est
fatigué. Il lui dit: «Nous y serons bientôt. Tu vas y entrer pour chercher un abri pour toi.»
«Et pour Toi.»
«Non, Jean. Moi je vais rester près de la route qui vient de la plaine. Je pense qu’ils vont venir de
nuit et je veux les consoler et les renvoyer avant l’aube.»
«Tu es si las... et peut-être il va pleuvoir comme la nuit dernière. Viens, au moins jusqu’au milieu
de la veille du chant du coq.»
«Non, Jean.»
«Alors, je reste avec Toi. Nous sommes près des terres des pharisiens et... Et puis je l’ai promis à ta
Mère et à moi-même. Je ne veux pas avoir à me faire des reproches, moi...»
Des tours, qui servent à je ne sais quoi, se trouvent aux quatre coins de Jezraël. Elles doivent être
déjà vieilles au moment où je les vois. Elles semblent quatre géants renfrognés que l’on a mis pour
servir de geôliers à la petite ville située sur une hauteur qui domine la plaine, qui est en train de
disparaître dans l’ombre précoce d’une soirée nuageuse.
«Montons sur cette pente près de la tour. Nous verrons toute la route sans être vus. Il y a de l’herbe
pour s’étendre, et le perron devant la porte nous accueillera, s’il vient de l’eau» dit Jésus.
Ils montent. Ils s’assoient sur un muret très bas, à moitié ruiné, qui est à une
dizaine de mètres de la tour. On dirait un rempart qui autrefois avait été construit
autour de cette grosse tour. Maintenant il est presque entièrement écroulé et une herbe
épaisse en recouvre les ruines avec de grandes chutes de liserons sauvages et
127
une quantité d’autres plantes, particulières aux ruines, aux larges feuilles poilues, dont
je ne connais pas le nom.
Aux dernières lueurs du jour, ils grignotent un peu de pain. Ils n’ont rien d’autre.
Jean, bien que très las, jette un coup d’oeil vers les branches d’un figuier qui a poussé
parmi les pierres, tout tordu et échevelé, et il découvre parmi les feuilles qui
commencent à jaunir quelques pauvres figues épargnées par les oiseaux et les enfants.
Ils les mangent, complétant ainsi leur repas; ils ont de l’eau dans leurs gourdes. Le
repas est vite fini.
«La tour serait-elle habitée?» demande Jean somnolent.
«Je ne crois pas. Il n’en sort ni lumière ni voix. Tu voulais demander un abri? Tu n’en peux plus...»
«Oh! non. Je parlais pour parler... Mais on est bien ici...»
«Allonge-toi au moins, Jean. L’herbe est épaisse, et ici il ne doit pas avoir encore plu. Le sol est
sec.»
«...Non... Non... Seigneur. Je n’ai pas sommeil... Parlons. Dis-moi quelque chose... Une parabole...
Je m’assois ici à tes pieds. Il me suffit de poser ma tête sur tes genoux...» et il s’assoit, en appuyant
sa tête sur les genoux de Jésus, le visage tourné vers le ciel. Il fait des efforts héroïques pour ne pas
dormir. Il essaie de parler pour vaincre le sommeil... Il cherche à s’intéresser à ce qu’il voit... des
étoiles dans le ciel, des lumières sur la route. Toujours plus nombreuses les premières, car le vent a
chassé les nuages; toujours plus rares les secondes, car la nuit a arrêté la marche des pèlerins. Seul
un obstiné continue d’aller avec son char pourvu d’une lanterne qui se dandine, attachée en haut des
nattes ou des couvertures tendues sur les arceaux du char.
Mais le silence de plus en plus profond favorise le sommeil...
Jean dit, d’une voix de plus en plus lointaine: «Que de lumières dans le ciel! Et
regarde: il semble que quelques-unes soient descendues sur la Terre et qu’elles
tremblent et palpitent comme là-haut... Mais elles sont plus petites et plus effacées...
Nous nous ne pouvons pas faire des étoiles... Dans les nôtres, il y a la fumée et
l’odeur de lumignon... et tout peut les éteindre... Toi tu l’as dit une fois que, pour
éteindre la lumi6re en nous, il suffit d’un papillon, et tu comparais aux papillons les
séductions du monde... Et puis tu disais que... alors que les papillons peuvent éteindre
une lumière, l’aile des anges, et tu appelais anges les choses spirituelles, rendent plus
vive la lumière qui est en nous... Moi... l’ange... la lumière...» Jean glisse tout
doucement dans le sommeil et il s’allonge sans le vouloir, terrassé par la fatigue.
128
Jésus attend qu’il soit vraiment étendu et puis lui glisse le sac sous la tête, étend
son manteau sur lui, avec des gestes paternels. Dans un dernier éclair de lucidité, Jean
murmure encore: «Je ne dors pas, sais-tu, Maître?... Seulement ainsi je vois davantage
d’étoiles et je te vois mieux...» et pour mieux voir Jésus et le ciel étoilé, il tombe en y
rêvant dans un sommeil profond.
Jésus retourne s’asseoir sur son siège de verdure. Il appuie son coude droit sur son genou, appuie sa
joue sur la paume de sa main et il réfléchit, il prie, en regardant la route désormais déserte, alors
qu’à ses pieds le Préféré, un bras replié sous la tête, dort tranquille comme un enfant.

175. EN ALLANT VERS ENGANNIM

«Jean, c’est l’aurore. Lève-toi et partons» dit Jésus en secouant l’apôtre pour qu’il
se réveille.
«Maître! Le soleil est déjà levé! Comme j’ai dormi! Et Toi?»
«Moi aussi, à côté de toi, sous nos manteaux.»
«Ah! Tu t’es persuadé que les paysans n’allaient pas venir, et tu t’es couché! Je l’avais prévu...»
Jésus sourit et répond: «Ils sont venus quand la position des étoiles de l’Ourse indiquait que
commençait le chant du coq.»
«Oh! Je n’ai rien entendu!...» Jean est mortifié. «Pourquoi ne m’as-tu pas tenu éveillé?»
«Tu étais si fatigué. Tu semblais un enfant endormi dans son berceau. Pourquoi t’éveiller?»
«Pour te tenir compagnie!»
«Mais tu le faisais dans ton sommeil tranquille. Tu t’es endormi en parlant des anges, des étoiles,
des âmes, de la lumière... et sûrement tu as continué dans ton sommeil à voir des anges, des étoiles,
et ton Jésus... Pourquoi te ramener aux méchancetés du monde quand tu en étais si loin?»
«Et si... si au lieu des paysans il était monté ici des malfaiteurs?»
«Je t’aurais appelé, alors. Mais qui pouvait bien venir?»
«Mais... Je ne sais pas... Giocana, par exemple... Il te hait...»
«Je le sais. Mais ne sont venus que ses serviteurs. Personne n’a trahi... car tu as pensé aussi cela:
que quelqu’un aurait parlé pour me nuire et leur nuire. Mais personne n’a trahi et j’ai bien fait
129
de les attendre ici. Le nouvel intendant est digne de son maître, et il a des ordres très
sévères. Je ne manque pas à la charité en disant: cruels. Un autre nom serait
mensonge... Ils sont accourus dès qu’il a fait nuit en priant le Seigneur qu’Il les fasse
me rencontrer. Dieu récompense toujours la foi, et réconforte ses enfants malheureux.
S’ils ne m’avaient pas trouvé, ils seraient restés ici jusqu’au matin et puis ils seraient
revenus pour qu’on les trouve à l’aurore dans les champs... Et ainsi, je les ai vus et
bénis...»
«Et tu es triste de les avoir vus si accablés.»
«C’est vrai. Tant de tristesses... Pour ce que tu dis, pour n’avoir rien à donner à leurs corps épuisés,
à la pensée que je ne les verrai plus...»
«Tu leur en as parlé?»
«Non, pourquoi ajouter une douleur là où déjà tout est douleur?»
«Je les aurais salué volontiers, moi aussi, pour la dernière fois.»
«Pour toi, ce n’est pas la dernière fois. Toi, au contraire, avec tes condisciples, tu t’occuperas
beaucoup d’eux, quand Moi je m’en serai allé. Je vous confie à vous tous ceux qui me suivent et
spécialement ceux qui sont les plus malheureux et qui ont dans la foi leur unique soutien et leur
unique joie dans l’espérance du Ciel.»
«Oh! mon Maître! Je vais dire moi aussi comme ton frère Joseph: va en paix, Maître. Moi, comme
je le pourrai, je te continuerai. Crois-le.»
«J’en suis sûr. Allons... La route s’anime. Les nuages s’amoncellent dans le ciel et la lumière
diminue au lieu de croître. Il va pleuvoir et tout le monde se hâte vers la prochaine halte. Mais les
nuages ont été bons avec nous. La nuit a été tiède et il n’y a pas eu de pluie pour nous qui étions au
grand air. Le Père veille toujours sur ses fils aimés.»
«Aimé, Toi, Maître. Moi...»
«Tu es aimé parce que tu m’aimes.»
«Oh! cela oui, jusqu’à la mort...»
Et mêlés à la foule, ils s’éloignent vers le sud...

176. ARRIVEE DE JESUS ET DE JEAN A ENGANNIM

Le temps a vraiment tenu ses promesses et il s’est résolu en une pluie maussade,
fine, persistante. Ceux qui sont sur les chars se
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défendent bien. Mais ceux qui sont à pied ou à dos d’âne se trempent et en souffrent,
surtout ceux qui, à l’ennui de la pluie qui leur mouille la tête et les épaules, ajoutent
celui de la boue toujours plus molle qui pénètre dans les sandales, se colle aux
chevilles et gicle sur les vêtements. Les pèlerins se sont mis sur la tête, et même pliés
en double, leurs manteaux ou des couvertures et ils semblent tous autant de moines
encapuchonnés.
Jésus et Jean, à pied, sont absolument trempés. Mais ils se préoccupent de
protéger plutôt qu’eux-mêmes les sacs où sont les vêtements de rechange. Ils arrivent
ainsi à Engannim où ils se mettent à chercher les apôtres en se séparant pour les
trouver plus vite. C’est Jean qui les trouve, ou plutôt qui trouve Jacques de Zébédée
qui a fait les provisions pour le sabbat.
«Nous étions préoccupés, et si nous ne vous avions pas vus, nous allions revenir en arrière malgré le
sabbat... Où est le Maître?»
«Il est allé vous chercher. Le premier qui trouve va près du forgeron.»
«Alors... Regarde. Nous sommes dans cette maison: une brave femme avec ses trois filles. Va tout
de suite trouver le Maître, et viens...» Jacques baisse la voix et murmure en regardant autour de lui:
«Ici, il y a beaucoup de pharisiens... et... avec de mauvaises intentions certainement. Ils nous ont
demandé pourquoi Lui n’était pas avec nous. Ils voulaient savoir s’il est allé en avant ou s’il est en
arrière. Nous avons dit d’abord: “Nous ne savons pas”. Ils ne nous ont pas cru. Et c’était juste, car
comment pouvons-nous dire, nous, que nous ne savons pas où il est? Alors l’Iscariote, lui qui n’a
pas tant de scrupules, a dit: “Il est allé en avant” et comme ils n’étaient pas convaincus et posaient
des questions: avec qui, avec quoi, quand il était parti, si on savait que le vendredi précédent il était
vers Giscala, il a dit: “A Ptolémaïs il a pris place sur un navire et nous a donc précédés. Il descendra
à Joppé pour entrer à Jérusalem par la Porte de Damas, pour aller tout de suite chez Joseph
d’Arimathie dans sa maison de Bézéta”.»
«Mais pourquoi tant de mensonges?» demande Jean scandalisé.
«Qui sait? Nous le lui avons dit, nous aussi. Mais il a ri en disant: “Oeil pour oeil, dent pour dent, et
mensonge pour mensonge. Il suffit que le Maître soit sauf. Ils le cherchent pour Lui nuire, je le
sais”. Pierre lui a fait remarquer que de donner le nom de Joseph, cela pouvait lui donner des
ennuis. Mais Judas a répondu: “Ils vont y accourir, et voyant la stupeur de Joseph, ils comprendront
que ce n’est pas vrai”. “Ils vont te haïr alors pour la
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farce que tu leur as faite...” avons-nous objecté. Mais lui a ri en disant: “Oh! Je me ris
de leur haine. Je sais comment la rendre inoffensive...” Mais va, Jean. Essaie de
trouver le Maître et reviens avec Lui. La pluie nous rend service. Les pharisiens sont
dans les maisons pour ne pas tremper leurs vêtements encombrants...»
Jean donne le sac à son frère et il va s’éloigner en courant, mais Jacques le retient
pour lui dire: «Et ne dis pas au Maître les mensonges de Judas. Même dits dans un but
qui est bon, ce sont toujours des mensonges et le Maître hait le mensonge...»
«Je ne le dirai pas» et Jean s’en va en courant.
Jacques a bien dit. Les riches sont déjà dans les maisons. Dans les rues s’agitent, à la recherche d’un
abri, seulement les pauvres gens...
Jésus est sous une entrée, près de la maréchalerie. Jean le rejoint et Lui dit: «Viens vite, je les ai
trouvés. Nous pourrons mettre des vêtements secs.» Il ne dit rien de plus pour expliquer sa hâte.
Ils rejoignent bientôt la maison. Ils entrent par la porte qui n’est que poussée. Là, tout de suite
derrière, les onze apôtres entourent Jésus comme s’ils ne l’avaient pas vu depuis plusieurs mois. La
maîtresse de la maison, une petite femme fanée, amaigrie, donne un coup d’oeil par une porte
entrouverte.
«Paix à vous» dit Jésus avec un sourire, et il les embrasse tous avec la même affection.
Tous parlent ensemble, ayant tant de choses à dire. Mais Pierre crie: «Silence! Et laissez-1e. Vous
ne voyez pas comme il est trempé et fatigué?» et au Maître: «Je t’ai fait préparer un bain chaud et...
donne-moi ce manteau trempé... et les vêtements chauds. Je les ai pris dans ton sac...» Puis il se
tourne vers l’intérieur de la maison et il crie: «Hé! femme! L’hôte est arrivé. Apporte l’eau, pour le
reste, moi je m’en charge.»
Et la femme, timide comme tous les gens qui ont souffert - et son visage dit qu’elle a souffert -
traverse en silence le couloir, suivie des trois jeunes filles fluettes comme elle et avec la même
expression, pour aller à la cuisine prendre les chaudrons d’eau bouillante.
«Viens, Maître. Et toi aussi, Jean. Vous êtes froids comme des noyés. Mais j’ai fait bouillir du
genièvre avec du vinaigre pour le mettre dans l’eau. Cela fait du bien.» En effet les chaudrons, en
passant, ont répandu une odeur de vinaigre et d’autres aromes.
Jésus entre dans une petite pièce où se trouvent deux grands
132
baquets de bois servant peut-être à la lessive, regarde la femme qui sort avec ses filles
et la salue: «Paix à toi et à tes filles. Et que le Seigneur te récompense.»
«Merci, Seigneur...» et elle s’éclipse.
Pierre entre avec Jésus et Jean. Il ferme la porte et murmure: «Attention qu’elle
ne sache pas qui tu es... Nous sommes tous des pèlerins, et Toi, tu es un rabbi et nous,
tes amis. C’est vrai, au fond... Ce n’est... Hum! ce n’est qu’une vérité voilée... Trop de
pharisiens et... qui s’intéressent trop à Toi. Mets-toi en tenue... Après, nous parlerons»
et il s’en va, les laissant seuls et revient vers ses compagnons qui sont assis dans une
petite pièce.
«Et maintenant, qu’allons-nous dire au Maître? Si nous disons que nous avons
menti, il en aura de la peine. Mais... nous ne pouvons pas ne pas le Lui dire» dit
Pierre.
«Mais ne te sacrifie pas! C’est moi qui ai menti, et je le Lui dirai.»
«Et cela le rendra plus triste encore. Tu n’as pas vu comme il est attristé?»
«Je l’ai vu. Mais c’est parce qu’il est fatigué... Du reste... Je pourrai même dire aux pharisiens: “Je
vous ai menti”. Ce ne sont que des vétilles. L’important c’est que Lui n’ait pas à souffrir.»
«Moi, je ne dirais rien. A personne. Si tu le dis à Lui, tu n’arriveras pas à le tenir caché. Si tu le dis
à eux, tu n’arriveras pas à le sauver des embûches...» observe Philippe.
«Nous le verrons» dit Judas avec assurance.
Il se passe un moment, et Jésus rentre avec des vêtements secs, restauré par le bain. Jean le suit.
Ils parlent de tout ce qui est arrivé au groupe apostolique ainsi qu’au Maître et à Jean. Mais
personne ne parle des pharisiens jusqu’au moment où Judas déclare: «Maître, je suis certain que tu
es recherché par ceux qui te haïssent. Et pour te sauver, j’ai répandu le bruit que tu ne vas pas à
Jérusalem par les chemins habituels, mais par mer jusqu’à Joppé. Eux vont se diriger de ce côté, ah!
ah!»
«Mais pourquoi mentir?»
«Et eux, pourquoi mentent-ils?»
«Eux, ce sont eux, et toi, tu n’es pas, tu ne devrais pas être comme eux...»
«Maître, je ne suis que cela: quelqu’un qui les connaît et qui t’aime. Veux-tu te
ruiner? Moi, je suis prêt à l’empêcher. Ecoute-moi bien, et sens mon coeur dans mes
paroles. Demain tu ne sors pas d’ici...»
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«Demain, c’est le sabbat...»
«C’est bien. Mais tu ne sors pas d’ici. Tu te reposes, tu...»
«Tout, sauf le péché, Judas. Aucune considération ne me fera accepter de manquer à la
sanctification du sabbat.»
«Eux...»
«Qu’ils fassent ce qu’ils veulent. Moi, je ne pécherai pas. Si je le faisais, outre mon péché qui
pèserait sur Moi, je mettrais en leurs mains une arme pour me ruiner. Tu ne te souviens pas qu’ils
disent déjà que je suis un profanateur du sabbat?»
«Le Maître a raison» disent les autres.
«C’est bien... Tu feras ce que tu veux pour le sabbat, mais pour la route, non. Ne suivons pas le
chemin de tout le monde, Maître. Ecoute-moi, désoriente-les...»
«Mais, enfin! Que sais-tu de précis, toi qui parles?» crie Simon en agitant ses bras courts. «Maître,
ordonne-lui de parler!»
«Paix, Simon. Si ton frère a eu connaissance d’un danger, peut-être avec un danger pour lui-même,
et qu’il nous en avertit, nous ne devons le traiter en ennemi, mais lui en être reconnaissant. Si lui ne
peut tout dire parce qu’il pourrait compromettre des tierces personnes pas assez courageuses pour
prendre l’initiative de parler, mais encore assez honnêtes pour ne pas permettre un crime, pourquoi
voulez-vous le forcer à parler? Laissez-le donc parler, et Moi, je prendrai ce qu’il y a de bon dans
son projet en repoussant ce qui pourrait ne pas l’être. Parle, Judas.»
«Merci, Maître. Toi seul me connais vraiment pour ce que je suis. Je disais: à l’intérieur des
frontières de la Samarie, nous pourrons aller en sécurité. Car en Samarie, Rome commande plus
qu’en Galilée et en Judée, et eux, qui te haïssent, ne veulent pas d’ennuis avec Rome. Pourtant,
toujours pour désorienter les espions, je dis de ne pas suivre le chemin direct, mais en sortant d’ici,
de se diriger vers Dothaïn et puis, sans rejoindre la Samarie, de couper le pays et de passer par
Sichem, puis de descendre à Ephraïm, par l’Adomin et le Carit, et de passer de là à Béthanie.»
«Route longue et difficile, surtout s’il pleut.»
«Dangereuse! L’Adomin...»
«Il semble que tu cherches le danger...»
Les apôtres ne sont pas enthousiastes. Mais Jésus dit: «Judas a raison. Nous prendrons ce chemin.
Après, nous aurons le temps de nous reposer. J’ai encore autre chose à faire avant que l’heure arrive
et soit achevée, et je ne dois pas, par sottise, me livrer à eux jusqu’à ce que tout soit accompli. Nous
passerons ainsi chez Laza-
134
re. Il est certainement très malade, et il m’attend... Vous, mangez. Moi, je me retire. Je
suis fatigué...»
«Mais même pas un peu de nourriture! N’es-tu pas malade, hein?»
«Non, Simon. Mais cela fait sept jours que je ne dors pas dans un lit. Adieu, amis. La paix soit avec
vous...» Et il se retire.
Judas jubile: «Vous avez vu? Lui est humble et juste et il ne repousse pas ce qu’il sent être bon...»
«Oui... mais... Crois-tu qu’il soit content? Vraiment content?»
«Je ne le crois pas... Mais il comprend que j’ai raison...»
«Je voudrais savoir comment tu as fait pour savoir tant de choses. Et pourtant... tu as toujours été
avec nous!...»
«Oui, et vous me surveillez comme une bête dangereuse. Je le sais, mais cela ne fait rien.
Rappelez-vous cela: même un mendiant et même un voleur peut servir pour savoir, et même une
femme. J’ai parlé avec un mendiant, et je lui ai fait l’aumône. Avec un voleur et j’ai découvert...
Avec une... femme et... que de choses peut savoir une femme!»
Les apôtres se regardent stupéfaits. Du regard ils s’interrogent. Quand? Où Judas a-t-il su et
approché?...
Il rit et dit: «Et avec un soldat! Oui, car la femme avait tant parlé au point de m’envoyer chez le
soldat. Et j’ai eu confirmation, et j’ai fait savoir... Tout est permis quand c’est nécessaire, même les
courtisanes et les troupes!»
«Tu es... tu es!...» dit Barthélemy, en retenant ce qu’il allait dire.
«Oui, je suis moi. Rien de plus que moi. Un pécheur pour vous. Mais moi, avec tous mes péchés, je
sers mieux le Maître que vous. Et du reste... Si une courtisane sait ce que veulent faire les ennemis
de Jésus, c’est signe qu’eux vont chez les courtisanes ou les ont avec eux, ballerines et mimes, pour
se récréer... Et s’ils les ont auprès d’eux... je peux les avoir moi aussi. Cela m’a servi, vous voyez?
Réfléchissez qu’aux frontières de la Judée, Lui pouvait être pris. Et dites que je suis sage pour
l’avoir évité...»
Tous sont songeurs et mangent à contrecoeur leur nourriture. Puis Barthélemy se lève.
«Où vas-tu.?»
«Le trouver... Je ne suis pas convaincu qu’il dort. Je vais Lui porter du lait chaud... et je verrai.»
Il sort, reste absent un moment, il revient.
«Il était assis sur le lit... et il pleurait... Tu l’as affligé, Judas. Je le pensais bien.»
«Il l’a dit, Lui? Je vais m’expliquer.»
135
«Non. Il ne l’a pas dit. Au contraire, il a dit que tu as tes mérites, toi aussi. Mais
je l’ai compris. N’y va pas. Laisse-le en paix.»
«Vous êtes tous des imbéciles. Il souffre parce qu’il est persécuté, entravé dans sa mission. Voilà ce
qu’il y a» dit Judas révolté.
Et Jean confirme: «C’est vrai. Il a pleuré même avant de vous rejoindre. Il souffre beaucoup, même
pour sa Mère, pour ses frères, pour les paysans malheureux. Oh! tant de souffrances!...»
«Raconte, raconte...»
«Quitter sa Mère, c’est une souffrance. Voir qu’on ne le comprend pas, que personne ne le
comprend, c’est une souffrance. Voir que les serviteurs de Giocana...»
«Hé! oui! C’est vraiment une souffrance de les voir, eux!... Je suis content que Margziam ne les ait
pas vus. Il aurait souffert et haï le pharisien...» dit Pierre.
«Mais mes frères ont encore fait souffrir Jésus?» demande sévèrement Jude Thaddée.
«Non, au contraire! Ils se sont vus et ont parlé affectueusement et ils se sont quittés en paix et avec
de bonnes promesses. Mais Lui les voudrait... comme nous... et plus que nous tous... Il nous
voudrait tous convaincus de son Règne et de la nature de celui-ci. Et nous...» Jean n’en dit pas
davantage... Et le silence descend dans la petite pièce qu’éclaire une lampe à deux becs en éclairant
douze visages diversement pensifs.

177. JESUS ET LE BERGER SAMARITAIN

Je ne sais pas dire en quel endroit de la Samarie on se trouve. Certainement au


beau milieu des monts de la Samarie, bien que ceux-ci ne soient pas les plus élevés.
En effet les plus élevés sont plus au sud, avec leurs pics escarpés contre le ciel qui est
maintenant rasséréné.
Les apôtres avancent le plus possible autour de Jésus, mais le sentier, un
raccourci, ne le permet pas souvent et le groupe se forme et se défait continuellement.
Il y a beaucoup de bergers avec leurs troupeaux sur les montagnes, et c’est à eux que
s’adressent les apôtres pour demander si c’est bien toujours le sentier qui
136
mène à la route des caravanes qui va de la mer à Pella. Bien que samaritains, ils
répondent toujours sans grossièretés aux questions. L’un d’eux, même, à un carrefour
de petites routes qui vont dans tous les sens pour bifurquer encore en d’autres noeuds,
leur dit: «Sous peu, je descends dans la vallée. Reposez-vous un peu, et nous ferons
route ensemble. Si vous vous perdiez dans ces montagnes... ce ne serait pas bonne
chose...» Il baisse la voix et il ajoute: «Les larrons!...» il regarde tout autour comme
s’il craignait de les avoir tout près et menaçants. Puis, rassuré, il dit encore: «Des
pentes du Garizim et de l’Ebal, ils descendent et se répandent en ces temps de
pèlerinages et ils trouvent toujours à faire, bien que les romains renforcent la
surveillance des routes... car il y a toujours des gens qui évitent les chemins battus
pour faire plus vite ou pour d’autres motifs.»
«Vous avez beaucoup de brigands, hein?» dit Philippe avec un sourire
significatif.
«Toi, galiléen, tu crois que ce sont des samaritains?» dit le berger soudain blessé.
L’Iscariote intervient, car c’est lui qui a eu l’initiative de cette déviation de l’itinéraire, et il se sent
obligé d’éviter tout incident fâcheux. «Non, non! Mais c’est que l’on vous sait hospitaliers, et les
gens qui ont mal agi viennent se réfugier ici. C’est comme si... si vous étiez tout un lieu d’asile. Les
malfaiteurs savent bien que personne, galiléen ou juif, ne les poursuivrait ici, et ils en profitent. Et
la nature aussi leur sert. Ces monts...»
«Ha! je croyais que vous pensiez... Mais les montagnes, oui, leur servent beaucoup. Les deux les
plus élevées, puis... Oui... mais... combien en amènent l’Adomin et la gorge d’Ephraïm! De toutes
les races, hé! hé! et... les soldats de Rome sont rusés... Ils ne vont pas les dénicher. Seuls les
serpents et les aigles peuvent connaître leurs tanières et y pénétrer. Et on raconte des choses
effroyables. Mais assoyez-vous, je vous donne du lait... Samaritain oui, mais je connais moi aussi le
Pentateuque! Et je n’offensé pas ceux qui ne m’offensent pas. Vous... vous ne m’offensez pas et
pourtant vous êtes galiléens et juifs. Mais on dit qu’il vous est venu un prophète qui enseigne à nous
aimer. Si je ne pensais pas que selon les scribes et les pharisiens d’Israël, nous sommes maudits,
comme ils disent, je dirais que les grands prophètes qui nous ont aimés, bien que samaritains, sont
revenus vivre en Lui, comme disent certains. Mais moi, je n’y crois pas... Voici le lait... Pourtant
j’aimerais rencontrer ce prophète. On dit que l’autre prophète, celui qui s’était
137
réfugié à nos frontières et que nous n’avons pas trahi - ceux qui nous insultent
devraient s’en souvenir - a dit que ce prophète qui s’est levé en Israël est plus grand
qu’Elie. Il l’a appelé l’Agneau de Dieu, le Christ. Et des samaritains de Sichem Lui
ont parts, et ils disent de grandes choses de Lui, et beaucoup se sont mis sur les
grandes routes pensant qu’il va y passer. Et même - c’est la première fois que cela
arrive - même des juifs, des pharisiens et des docteurs nous ont interrogés dans toutes
les villes, en nous disant que si nous le voyons, nous courions en avant pour dire qu’il
arrive parce qu’ils veulent Lui faire grande fête.»
Les apôtres se regardent par en dessous, mais par prudence évitent de parler.
Judas, dont on voit briller les yeux noirs, pleins d’une lumière triomphale, semble
dire: «Vous avez entendu? Etes-vous persuadés maintenant que j’ai raison?»
Le berger continue de parler: «Vous le connaissez certainement. D’où venez-vous?»
«De la haute Galilée» répond de suite Judas.
«Ha! vous êtes... Non. Toi, tu n’es pas galiléen.»
«Nous sommes de tous les endroits. Nous sommes allés en pèlerinage aux tombeaux des docteurs.»
«Ha! Vous êtes des disciples, peut-être... Mais cet homme n’est-il pas lui-même un rabbi?» dit-il en
montrant Jésus.
«Nous sommes des disciples, tu as bien dit. Oui, cet homme est un rabbi. Mais tu sais que d’un
rabbi à un autre rabbi, il y a de la différence...»
«Je le sais. Certes que celui-ci est jeune et qu’il doit encore avoir beaucoup à
apprendre des grands docteurs de votre Temple» et il y a une pointe de mépris
évidente dans l’adjectif possessif, mais Judas toujours si prompt à répliquer, est d’un à
propos merveilleux.
Les autres ne parlent pas. Jésus est comme absorbé, et ainsi la flèche ne provoque
pas de réplique. Au contraire Judas dit en souriant: «Il est très jeune, en effet, mais
c’est le plus sage d’entre nous» et, pour mettre fin à la conversation qui pourrait
devenir dangereuse, il dit: «Tu as à rester longtemps encore ici? Car nous voudrions
être en bas à la nuit.»
«Non. J’arrive. Je rassemble les brebis et je viens.»
«C’est bien. Nous allons en avant pendant ce temps...» et il se lève avec les autres pour prendre tout
de suite le sentier.
Et quand un bosquet touffu se trouve entre lui et le berger, il rit, il rit, en disant: «Mais comme il est
facile de se moquer des gens! Et
138
êtes-vous persuadés maintenant que je ne mentais pas et que je n’étais pas un
imbécile?»
«Non. Tu ne mentais pas... Mais tu viens de mentir maintenant.»
«J’ai menti? Non. Comment peux-tu le dire, Philippe? J’ai su dire la vérité sans
entraîner de dommage. Est-ce peut-être nous ne venons pas de la haute Galilée? Ne
sommes-nous pas peut-être de tous les endroits? Ne sommes-nous pas peut-être allés
un jour nous faire lapider pour vénérer les tombeaux des docteurs? Et n’y
sommes-nous pas passés tout près, même dans le dernier voyage vers Giscala? Ai-je
nié, peut-être, que Jésus est un rabbi? Ai-je dit, peut-être, qu’il n’est pas le plus sage
de nous tous?... En le disant je pensais, et je riais intérieurement, qu’en disant “nous”
j’offensais les rabbis, tous inférieurs au Maître, bien qu’ils croient ne pas l’être et je
me moquais du berger... Ha! Ha! Ha! Les choses, il faut savoir les dire... et on dit tout
sans péché et sans dommage.»
Jude d’Alphée fait une grimace de dégoût et dit: «Pour moi c’est toujours
mentir.»
«Eh bien, je l’ai fait, moi! Mais tu as entendu, hein? Ils ont laissé tomber leurs préventions, leurs
dégoûts, leur suffisance pour dire à des samaritains de signaler le passage du Maître pour Lui faire
fête aux frontières! Ha! Ha! Quelle fête!»
«La fête! Eux aussi ont su parler et penser, en parlant mensongèrement, à une vérité... Judas de
Kériot a raison» dit Thomas.
Jésus se tourne et il dit: «Oui. Leurs paroles: une tromperie, et odieuse. Mais dire une chose pour
une autre, dans une bonne intention, c’est toujours répréhensible. Crois-tu que le Seigneur ait besoin
de cela pour protéger son Messie? Ne mens plus, même pour une bonne fin. L’âme s’habitue à
imaginer le mensonge et les lèvres à le proférer. Non, Judas. Evite le manque de sincérité»
«Je le ferai, Maître. Mais taisons-nous à présent. Le berger nous rejoint en courant.»
En effet, poussant en avant les brebis qui, sentant la proximité du bercail, se mettent à courir dans
leur course sautillante, en bêlant, en se heurtant entre elles passant de force entre les apôtres, et les
bousculant presque, voilà le berger suivi d’un pastoureau et d’un chien, et il ne s’arrête qu’après
avoir réussi avec l’aide de l’enfant et du chien à ralentir les brebis et à les réunir pour les empêcher
de s’éparpiller ou de descendre seules dans la vallée.
«Ce sont les bêtes les plus stupides qui existent sur la Terre. Mais elles sont si utiles!» dit-il en
essuyant la sueur, et il soupire: «Ah! s’il y avait encore Ruben! Mais avec cet enfant seulement!...»
Il
139
secoue la tête, en descendant derrière ses brebis que le chien et l’enfant, en tête du
troupeau, tiennent groupées. Et il monologue: «Si j’arrivais à le trouver ce prophète,
samaritain comme je suis, je Lui parlerais...»
«Et que lui dirais-tu?» demande Jésus.
«Je dirais: “J’avais une épouse bonne comme une eau de montagne pour un assoiffé, et le Très-Haut
me l’a prise. J’avais une fille bonne comme sa mère, mais un romain la vit et la voulut pour femme
et l’emmena au loin. J’avais un garçon, mon aîné, qui était tout pour moi... il a glissé sur la
montagne un jour qu’il pleuvait, et il s’est rompu la colonne vertébrale et il est immobile et
maintenant il est malade, car l’intérieur est tombé malade et les médecins disent qu’il va mourir.
Moi, je ne te demande pas pourquoi l’Eternel m’a puni, mais je te prie de guérir mon fils”.»
« Et crois-tu qu’il pourrait te le guérir?»
«Oui, certainement que je le crois! Mais je ne le verrai jamais...»
«Pourquoi en es-tu certain? Lui n’est pas samaritain.»
«C’est un juste, et c’est le Fils de Dieu, dit-on.»
«Vous, en vos pères, avez offensé Dieu.»
«C’est vrai. Mais il est dit aussi que Dieu pardonnera la Faute de l’homme en
envoyant le Rédempteur. Dans le Pentateuque, à côté de la condamnation pour Adam
et Eve, on lit cette promesse. Et le Livre la porte en plusieurs endroits. S’Il pardonne
cette faute, peut-Il ne pas avoir de la miséricorde pour moi qui ne suis pas coupable
d’être né samaritain? Je crois que si le Messie connaissait ma souffrance, il en aurait
pitié.»
Jésus sourit, mais ne dit rien. Les apôtres aussi ont un sourire entendu, que
pourtant le berger ne remarque pas.
«Cet enfant, alors, n’est pas ton fils?» demande Jésus.
«Non. C’est le fils d’une veuve qui a huit garçons et qui souffre de la faim. Je l’ai pris comme
aide... et comme fils... pour n’être pas seul, ensuite... quand Ruben sera au tombeau...» et il soupire.
«Mais si ton fils guérissait, que ferais-tu de celui-ci?»
«Je le garderais. Il est bon et j’en ai pitié...» et il baisse la voix pour dire: «Lui ne sait pas... mais
son père est mort aux galères.»
«Qu’avait-il fait pour le mériter?»
«Rien de volontaire. Mais son char avait renversé un soldat ivre et il fut accusé
d’avoir voulu le faire...»
«Comment savez-vous qu’il est mort?»
«Oh! on ne survit pas beaucoup à la rame! Mais on en a eu la certitude par l’intermédiaire d’un
marchand de Samarie qui le vit enle-
140
ver mort des fers, et jeter à la mer au-delà des Colonnes.»
«Et vraiment le garderais-tu avec toi?»
«Je suis prêt à le jurer. Lui est malheureux, moi malheureux. Et je ne suis pas seul. D’autres ont pris
les fils de la veuve et elle est restée avec ses trois filles. C’est toujours trop, mais il vaut mieux être
à quatre qu’à douze... Mais il n’est pas nécessaire que je le jure!... Ruben va mourir...»
Déjà on voit la route et elle est très fréquentée par des pèlerins qui se hâtent vers un lieu de halte. Le
soir est proche.
«As-tu où dormir?» demande le berger.
«Non, en vérité.»
«Je te dirais bien: “Viens”, mais la maison est petite pour tous. Pourtant le parc à
moutons est grand.»
«Que Dieu t’en récompense comme si tu m’avais logé, mais je continue encore jusqu’au coucher de
la lune.»
«Comme tu veux. Mais ne crains-tu pas de t’égarer et de faire de mauvaises rencontres?»
«Pour les larrons, je suis protégé par ma pauvreté et celle de mes compagnons. Pour la route, je
m’en remets à l’ange des pèlerins.»
«Je dois aller en avant du troupeau. L’enfant ne sait pas encore... Et la route est pleine de chars...» et
il court en avant pour conduire les brebis en lieu sûr.
«Maître, maintenant c’est un mauvais moment. Il y a un bout de route à parcourir au milieu des
gens...» chuchotent les apôtres.
Les voilà sur la route derrière les brebis qui avancent en rang, serrées par la montagne, la houlette
du berger et la surveillance du chien. L’enfant se trouve maintenant près de Jésus qui le caresse.
Ils arrivent à une bifurcation. Le berger a arrêté le troupeau en disant: «Voilà ton chemin, et l’autre,
c’est le mien. Mais si tu viens vers le village, tu vas en trouver un troisième plus court pour arriver
au village voisin. Regarde: tu vois ce sycomore géant? Va jusque là, et puis tourne à droite. Tu vas
voir une petite place avec une fontaine et ensuite une maison noircie par la fumée: c’est le forgeron.
Après sa maison, il y a la route. Tu ne peux pas te tromper. Adieu.»
«Adieu! Tu as été bon, et Dieu te consolera.»
Le berger prend son chemin et Jésus le sien. Autour du premier, les brebis, autour du second, les
apôtres. Deux bergers au milieu de leur troupeau...
Ils sont désormais séparés, cachés par un groupe de maisons qui sépare la route principale que suit
le berger, du petit chemin qui
141
pénètre dans un pauvre faubourg du village, le plus pauvre, je crois... silencieux,
solitaire... Les pauvres gens sont déjà dans leurs maisons, et les portes entrouvertes
permettent de voir les feux dans les cuisines... Le soir descend avec la brume du
crépuscule.
«Nous allons nous arrêter au sortir du village» dit Judas. «Je vois des maisons
dans les champs.»
«Non. Il vaut mieux continuer.» Les avis sont différents.
Ils arrivent à la fontaine et y accourent pour s’y laver et remplir leurs gourdes. Voici le forgeron, il
est en train de fermer son noir atelier. Voici le chemin qui va vers les champs... Ils s’y engagent.
Mais un cri arrive de loin, du village: «Rabbi! Rabbi! Mon fils! Citoyens! Venez! Où est le
Pèlerin?»
«Mais ils nous cherchent, Seigneur! Qu’as-tu fait?»
«Courez. Si nous arrivons à ce bois, personne ne nous voit plus.»
Ils courent à travers un pré couvert du dernier foin coupé. Ils rejoignent un talus, ils le gravissent,
disparaissent, poursuivis par les voix qui maintenant sont nombreuses, et par des gens qui
s’éparpillent hors du village, appelant plutôt que regardant, car désormais la pénombre dissimule
beaucoup de choses. Ils s’arrêtent au pied du talus.
«C’était le Rabbi qui allait à Sichem, je vous dis. Ce ne pouvait être que Lui, et il m’a guéri Ruben.
Et moi, je ne l’ai pas reconnu. Rabbi! Rabbi! Rabbi! Permets-moi de te vénérer! Dis-moi où tu te
caches!»
L’écho seul répond et il semble dire: «Abbi! Abbi! Abbi!»
«Mais il ne peut être loin» dit le forgeron. «Il est passé devant moi avant que tu arrives...»
«Et pourtant, il n’est pas là. Tu vois. Personne sur le chemin. Il devait le prendre.»
«Ne serait-il pas dans le bois?»
«Non. Il était pressé...» Puis il appelle son chien à l’aide, il l’excite: «Cherche! Cherche!» Et
pendant un moment, il semble que le chien puisse découvrir la cachette, car il se dirige vers le bois
après avoir flairé le pré. Mais ensuite l’animal s’arrête, interdit, une patte levée, le museau en l’air...
puis, trompé par je ne sais quoi, il part en aboyant dans la direction opposée avec les gens qui
courent derrière lui...
«Oh! que le Seigneur soit loué!» s’exclament les apôtres en poussant un soupir de soulagement, et
ils ne peuvent se retenir de dire au Maître: «Mais, qu’as-tu fait, Seigneur!» et il le réprimandent
presque de l’avoir fait. «Tu sais qu’il est bien que l’on ne te signale
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pas, et Toi...»
«Et ne devais-je pas récompenser une foi? Et n’est-ce pas bien qu’ils me croient
sur la route qui va de Dothaïn à Pella? Ne voulez-vous pas peut-être qu’ils ne
comprennent plus rien?»
«C’est vrai. Tu as raison! Mais si la bête t’avait découvert?»
«Oh! Simon! Et tu ne penses pas que Celui qui impose sa volonté, même à distance, aux maladies et
aux éléments, et qui chasse les démons, ne puisse pas l’imposer à un animal? Maintenant cherchons
à rejoindre la route au-delà de la courbe qu’elle fait. Ils ne nous verront plus. Allons.»
Et presque à tâtons ils avancent dans le petit bois de la colline, jusqu’à ce qu’ils
reviennent sur la petite route, éclairée par la lune qui se lève, loin du village que la
colline cache entièrement...

178. LES DIX LEPREUX PRES D’EPHRAIM

Ils sont toujours dans les montagnes, des montagnes escarpées, sur certains petits
chemins où ne passent certes pas des chars, mais seulement des voyageurs à pied ou
des gens montés sur des ânes vigoureux de la montagne, plus grands et plus robustes
que les ânes que l’on rencontre habituellement dans les régions moins accidentées.
Une observation qui à plusieurs paraîtra inutile, mais que je fais quand même. En
Samarie il y a des usages différents de ceux des autres lieux, en fait de vêtements et
pour beaucoup d’autres choses. Et l’un c’est la quantité de chiens, insolite ailleurs, qui
me frappe, comme m’a frappée la présence des porcs dans la Décapole. Beaucoup de
chiens peut-être parce que la Samarie a beaucoup de bergers et doit avoir beaucoup de
loups dans ces montagnes si sauvages. Beaucoup aussi parce que les bergers, en
Samarie, je les vois le plus souvent seuls, tout au plus avec un enfant, faisant paître
leurs propres troupeaux, alors qu’ailleurs, la plupart du temps, ils sont à plusieurs
pour garder des troupeaux nombreux de quelque riche. Le fait est qu’ici chaque berger
a son chien ou plusieurs, selon le nombre de brebis de son troupeau. Une autre
caractéristique c’est précisément ces ânes presque aussi grands qu’un cheval,
robustes, capables d’escalader ces montagnes avec un lourd chargement sur le bât,
même de grosses bûches, forts
143
comme ils en descendent de ces magnifiques montagnes couvertes de bois séculaires.
Autre particularité: les manières dégagées des habitants qui, sans être des «pécheurs»
comme les jugent les juifs et les galiléens, sont ouverts, francs, sans bigoterie, sans
toutes ces histoires qu’ont les autres, et hospitaliers. Cette constatation me fait penser
que dans la parabole du bon samaritain, il n’y a pas eu seulement l’intention de faire
ressortir que le bon et le mauvais existent partout, dans tous les lieux et chez toutes les
races, et même chez les hérétiques il y en a qui peuvent avoir le coeur droit, mais
vraiment aussi la description réelle des habitudes samaritaines envers ceux qui ont
besoin d’être aidés. Ils se sont arrêtés au Pentateuque - je ne les entends parler que de
cela - mais ils le pratiquent, du moins envers le prochain, avec plus de droiture que les
autres, avec leurs six-cent-treize articles de préceptes, et caetera.
Les apôtres parlent avec le Maître, et bien qu’ils soient incorrigiblement
israélites, ils doivent reconnaître et louer l’esprit qu’ils ont trouvé chez les habitants
de Sichem qui, je le comprends par les conversations que j’entends, ont invité Jésus à
séjourner au milieu d’eux.
«Tu as entendu, hein?» dit Pierre «comme ils ont dit clairement qu’ils connaissent la haine des
juifs? Ils ont dit: “Pour Toi et sur Toi il y a plus de haine que pour nous samaritains pour tous ceux
que nous sommes et que nous avons été. Leur haine pour Toi est sans bornes”.»
«Et ce vieillard? Comme il a bien parlé: “C’est juste, au fond, qu’il en soit ainsi, parce que tu n’es
pas un homme mais tu es le Christ, le Sauveur du monde et donc tu es le Fils de Dieu, car seul un
Dieu peut sauver le monde corrompu. Par conséquent, étant sans limites comme Dieu, sans limites
dans ta puissance, dans ta sainteté et dans ton amour, comme sera sans limites ta victoire sur le Mal,
ainsi il est naturel que le Mal et la Haine, qui n’est qu’une seule chose avec le Mal, soient sans
limites contre Toi”. Il a vraiment bien parlé! Et cette raison explique tant de choses!» dit le Zélote.
«Qu’explique-t-elle, selon toi? Moi... je dis qu’elle explique seulement que ce sont des sots» dit
Thomas expéditif.
«Non. La sottise serait encore une excuse, mais ils ne sont pas sots.»
«Ils sont ivres alors, ivres de haine» réplique Thomas.
«Pas même. L’ivresse cède après s’être déchaînée. Cette rancoeur ne cède pas.»
144
«Et plus déchaînée que cela! Et depuis si longtemps... qu’elle aurait dû tomber
maintenant.»
«Amis, elle n’a pas encore touché le but» dit Jésus avec calme comme si le but de la haine n’était
pas son supplice.
«Non?! Mais s’ils ne nous laissent jamais en paix?!»
«Maître, eux ne sont pas encore convaincus que j’ai dit la vérité. Mais je l’ai dite. Oh! oui, je l’ai
dite! Et je dis aussi que si cela avait dépendu de vous, vous seriez tous tombés dans le piège comme
y est tombé le Baptiste. Mais ils ne réussiront pas, car je veille...» dit l’Iscariote.
Et Jésus le regarde. Et je le regarde, moi aussi, me demandant, et je me le
demande depuis quelques jours, si la conduite de l’Iscariote est due à un bon et réel
retour sur le chemin du bien et de l’amour pour son Maître, une libération des forces
humaines et extra-humaines qui le possédaient, ou si c’est un travail plus raffiné de
préparation au coup final, un asservissement plus grand aux ennemis du Christ et à
Satan. Mais Judas est un être tellement spécial, qu’il est impossible de le déchiffrer.
Seul Dieu peut le comprendre. Et Dieu: Jésus, laisse tomber un voile de miséricorde et
de prudence sur toutes les actions et la personnalité de son apôtre... un voile qui se
déchirera, en éclairant parfaitement tant de pourquoi, maintenant mystérieux, quand
seront ouverts les livres des Cieux.
Les apôtres sont tellement préoccupés par l’idée que la haine des ennemis n’a pas
encore atteint son but, qu’ils ne parlent plus pendant un moment. Puis Thomas
s’adresse encore au Zélote pour lui dire: «Et alors, s’ils ne sont ni ivres ni sots, si leur
haine explique tant de choses sans expliquer celle-ci, qu’explique-t-elle alors? Que
sont-ils? Tu ne l’as pas dit...»
«Que sont-ils? Des possédés. Ils sont ce qu’ils disent de Lui. Cela explique leur acharnement qui ne
connaît pas de trêve, qui au contraire croît davantage à mesure que se manifeste sa puissance. Il a
bien parlé, ce samaritain. En Lui, Fils du Père et de Marie, Homme et Dieu, existe l’Infinité de
Dieu, et infinie est la Haine qui s’oppose à cette Infinité parfaite, même si tout en étant sans limites
la Haine n’est pas parfaite, car seul Dieu est parfait dans ses actions. Mais si la Haine pouvait
atteindre l’abîme de la perfection, elle descendrait pour l’atteindre, se précipiterait même pour
l’atteindre, pour rebondir ensuite, par la violence même de sa chute dans l’abîme infernal, contre le
Christ, afin de le blesser avec toutes les armes arrachées à l’abîme infernal. Le firmament, réglé
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par Dieu, a un seul soleil. Il se lève et rayonne et disparaît, en laissant la place au
soleil plus petit qu’est la lune, et celle-ci, après avoir rayonné à son tour, se couche
pour céder la place au soleil. Les astres enseignent beaucoup de choses aux hommes,
car ils se soumettent aux volontés du Créateur, mais les hommes non. Et c’en est un
exemple de vouloir s’opposer au Maître. Qu’arriverait-il si, à une aurore, la lune
disait: “Je ne veux pas disparaître, et je reviens par le chemin déjà fait”?
Certainement, elle irait heurter le soleil, avec horreur et au détriment de toute la
Création. C’est ce qu’eux veulent faire, croyant pouvoir briser le Soleil...»
«C’est la lutte des Ténèbres contre la Lumière. Nous la voyons chaque jour dans
les aubes et les soirées, les deux forces qui se combattent, qui exercent, tour à tour,
leur empire sur la Terre. Mais les ténèbres sont toujours vaincues car elles ne sont
jamais absolues. Il émane toujours un peu de lumière, même dans la nuit la plus
privée d’étoiles. On dirait que l’air la crée de lui-même dans les espaces infinis du
firmament et la répande, même si elle est très limitée, pour persuader les hommes que
les astres ne sont pas éteints. Et je dis que pareillement, dans ces ténèbres particulières
du Mal contre la Lumière qu’est Jésus, toujours, malgré tous les efforts des Ténèbres,
la Lumière sera là pour réconforter ceux qui croient en Elle» dit Jean en souriant à sa
pensée, tout recueilli en lui-même comme s’il monologuait.
Sa pensée est recueillie par Jacques d’Alphée. «Dans les Livres, le Christ est appelé “Etoile du
matin”. Lui aussi connaîtra donc une nuit, et - je m’en épouvante - nous aussi la connaîtrons, une
nuit, un moment où la Lumière semblera avoir perdu sa force et où les Ténèbres sembleront
victorieuses. Mais puisqu’il est appelé “Etoile du matin” d’une manière qui exclut toute limite dans
le temps, je dis qu’après la nuit momentanée, Lui sera la Lumière matinale, pure, fraîche, virginale,
qui renouvellera le monde, pareille à celle qui succéda au Chaos le premier jour. Oh! oui, le monde
sera créé de nouveau dans sa Lumière.»
«Et la malédiction sera sur les réprouvés qui auront voulu lever la main pour frapper la Lumière, en
répétant les erreurs déjà faites, depuis Lucifer jusqu’aux profanateurs du peuple saint. Jéhovah
laisse l’homme libre de ses actions, mais par amour pour l’homme lui-même, Il ne permettra pas
que l’Enfer prévale.»
«Oh! heureusement qu’après un si long assoupissement des esprits, qui semblait les fermer et les
engourdir comme par l’effet d’une vieillesse précoce, la sagesse refleurisse sur nos lèvres! Nous
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ne semblions plus être nous! Maintenant je retrouve le Zélote, et Jean, les deux frères
d’autrefois!» dit l’Iscariote, en se félicitant.
«Il ne me semble pas que nous ayons changé au point de ne plus paraître
nous-mêmes» dit Pierre.
«Si nous sommes changés! Tous. Toi le premier, et puis Simon et les autres, moi
y compris. S’il y a quelqu’un qui est à peu près ce qu’il a toujours été, c’est Jean.»
«Hum! Je ne sais vraiment pas en quoi...»
«En quoi? Nous sommes taciturnes, comme las, indifférents, pensifs... Jamais plus on n’entendait
de conversations semblables à celles d’autrefois, semblables à celle de maintenant, qui sont si
utiles...»
«Pour se disputer» dit le Thaddée en rappelant comme souvent, en effet, elles dégénéraient en prises
de becs.
«Non. Pour nous former, car nous ne sommes pas tous comme Nathanaël, ni comme Simon, ni
comme vous d’Alphée, par naissance et par sagesse, et celui qui l’est moins apprend toujours de
celui qui l’est plus» réplique l’Iscariote.
«Vraiment... moi je dirais qu’il est par-dessus tout nécessaire de se former en justice, et de cela
Simon nous en a donné de magnifiques leçons» dit Thomas.
«Moi? Tu y vois mal. Je suis le plus sot de tous» dit Pierre.
«Non. Tu es celui qui a le plus changé. Pour cela Judas de Kériot a raison. Il n’y a
plus beaucoup en toi du Simon que j’ai connu quand je suis venu avec vous et qui,
pardonne-moi, resta quelque temps ce qu’il était. Depuis le moment où je t’ai
retrouvé, après la séparation pour les Encénies, tu n’as fait que te transformer.
Maintenant tu es... oui, je le dis, plus paternel et en même temps plus austère. Tu
compatis avec tous tes pauvres frères, alors qu’avant... Et on le voit, moi du moins, je
le vois, que cela te coûte, mais tu te domines. Et tu ne nous inspirais jamais le respect
comme maintenant que tu parles peu et que tu ne nous fais que peu de reproches...»
«Mais, mon ami! Tu es bien bon de me voir ainsi... Moi, à part l’amour que j’ai pour le Maître, et
qui grandit toujours, je n’ai vraiment changé en rien.»
«Non. Thomas a raison, tu as beaucoup changé» confirment plusieurs.
«Mais, c’est vous qui le dites...» dit Pierre en haussant les épaules. Et il ajoute: «Il n’y a que le
jugement du Maître qui serait sûr. Mais je me garde bien de le Lui demander. Il connaît ma
faiblesse,
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et il sait que même une louange intempestive pourrait nuire à mon esprit. Aussi il ne
me louerait pas, et il ferait bien. Je comprends de mieux en mieux son coeur et sa
méthode et j’en vois toute la justice.»
«C’est que tu as l’âme droite et que tu aimes de plus en plus. Ce qui te fait voir et
comprendre, c’est ton amour pour Moi. Ton Maître, le véritable et plus grand Maître,
qui te fait comprendre ton Maître, c’est l’Amour» dit Jésus qui jusqu’à ce moment a
écouté sans parler.
«Je crois que... c’est aussi la souffrance que j’ai là-dedans...»
«Souffrance? Pourquoi?» demandent quelques-uns.
«Oh! pour tant de choses qui, au fond, ne sont qu’une seule chose: tout ce que
souffre le Maître... et la pensée de ce qu’il souffrira. On ne peut plus être distraits
comme les premiers temps, distraits comme des enfants qui ne savent pas, maintenant
que l’on connaît de quoi sont capables les hommes et comme on doit souffrir pour les
sauver. Oh! nous croyions tout facile les premiers temps! Nous croyions qu’il suffirait
de nous présenter pour que les autres viennent de notre bord! Nous croyions que de
conquérir Israël et le monde, ce serait comme... de jeter le filet sur un fond
poissonneux. Pauvres de nous! Je pense que si Lui ne réussit pas à faire bonne pêche,
nous, nous ne ferons rien. Mais cela n’est rien encore! Je pense qu’eux sont méchants
et le font souffrir. Et je crois que c’est là le motif de notre changement en général...»
«C’est vrai. Pour mon compte, c’est vrai» confirme le Zélote.
«Pour moi aussi, pour moi aussi» disent les autres.
«Moi, il y a si longtemps que j’étais inquiet pour cela et j’ai cherché à... avoir des aides valables.
Mais ils m’ont trahi... et vous vous ne m’avez pas compris... Et moi, je ne vous ai pas compris. Je
croyais que vous étiez comme vous êtes par lassitude de l’esprit, par découragement, par
déception...»
«Moi, je n’ai jamais espéré des joies humaines et par conséquent je ne suis pas déçu» dit le Zélote.
«Mon frère et moi, nous le voudrions victorieux, mais pour sa joie. Nous l’avons suivi par amour de
parents avant de le faire comme disciples. Nous l’avons toujours suivi depuis l’enfance, Lui le plus
jeune de nous, ses frères, mais toujours tellement plus grand de nous...» dit Jacques, avec son
admiration sans bornes pour son Jésus.
«Si nous avons une souffrance, c’est que nous tous de sa parenté nous ne l’aimons pas en esprit et
avec notre seul esprit. Mais nous
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ne sommes pas les seuls en Israël à l’aimer mal» dit le Thaddée.
Judas l’Iscariote le regarde, et peut-être il parlerait, mais il en est empêché par un
cri qui arrive à eux d’un monticule dominant le petit village qu’ils sont en train de
côtoyer, en cherchant la route pour y entrer.
«Jésus! Rabbi Jésus! Fils de David et notre Seigneur, aie pitié de nous.»
«Des lépreux! Allons, Maître, autrement le village va accourir et nous retenir dans ses maisons»
disent les apôtres.
Mais les lépreux ont l’avantage d’être en avance sur eux, montés sur le chemin,
mais à cinquante mètres au moins du village. Ils descendent en boitant et courent vers
Jésus en répétant leur cri.
«Entrons dans le village, Maître, eux ne peuvent pas y entrer» disent certains apôtres, mais d’autres
répliquent: «Déjà des femmes viennent regarder. Si nous entrons, nous éviterons les lépreux, mais
pas d’être reconnus et retenus.»
Et pendant qu’ils se demandent ce qu’il faut faire, les lépreux s’approchent de
plus en plus de Jésus, qui sans souci des mais et des si des apôtres, poursuit son
chemin. Les apôtres se résignent à le suivre alors que des femmes, avec des enfants à
leurs jupons, et quelques vieillards restés dans le village viennent voir, en se tenant à
distance prudente des lépreux, qui cependant s’arrêtent à quelques mètres de Jésus et
supplient encore: «Jésus, aie pitié de nous!»
Jésus les regarde un instant, puis sans s’approcher de ce groupe de douleur, il
demande: «Etes-vous de ce village?»
«Non, Maître, de différents endroits. Mais cette montagne où nous restons donne de l’autre côté sur
la route de Jéricho et cet endroit est bon pour nous...»
«Allez alors au village le plus proche de votre montagne, et montrez-vous aux prêtres.»
Et Jésus reprend sa marche en se déplaçant sur le bord du chemin pour ne pas effleurer les lépreux
qui le regardent avancer, sans avoir autre chose qu’un regard d’espoir dans leurs pauvres yeux
malades. Et Jésus, arrivé à leur hauteur, lève la main pour les bénir.
Les gens du village, déçus, retournent dans leurs maisons... Les lépreux grimpent de nouveau sur la
montagne pour aller vers leur grotte ou vers le chemin de Jéricho.
«Tu as bien fait de ne pas les guérir. Ceux du village ne nous auraient plus laissé aller...»
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«Oui, et il faudrait arriver à Ephraïm avant la nuit.»
Jésus marche en silence. Désormais le village est caché à la vue par les détours de la route très
sinueuse car elle suit les caprices de la montagne au pied de laquelle elle est taillée.
Mais une voix les rejoint: «Louange au Dieu Très-Haut et à son vrai Messie. En
Lui se trouve toute puissance, sagesse et pitié! Louange au Dieu Très-Haut, qui en Lui
nous a accordé la paix. Louez-le, vous tous, hommes de Judée et de Samarie, de la
Galilée et d’au-delà du Jourdain, jusqu’aux neiges du très haut Hermon, jusqu’aux
pierres brûlées de l’Idumée, jusqu’aux sables baignés par les eaux de la Mer Grande,
que résonne la louange au TrèsHaut et à son Christ. Voici accomplie la prophétie de
Balaam. L’Etoile de Jacob resplendit sur le ciel rétabli de la patrie réunie par le vrai
Berger. Voilà accomplies aussi les promesses faites aux patriarches! Voici, voici la
parole d’Elie qui nous aima. Ecoutez-la, ô peuples de Palestine, et comprenez-la. On
ne doit plus boiter des deux côtés, mais on doit choisir pour la lumière de l’esprit, et si
l’esprit est droit, il fera un bon choix. Lui est le Seigneur, suivez-le! Ah! jusqu’à
présent nous avons été punis parce que nous ne nous sommes pas efforcés de
comprendre! L’homme de Dieu a maudit le faux autel en prophétisant: “Voici que va
naître de la maison de David un Fils appelé Josias qui immolera sur l’autel et
consumera les os d’Adam. Et alors l’autel se déchirera jusqu’aux viscères de la Terre
et les cendres de l’immolation se répandront au nord et au midi, à l’orient et là où le
soleil se couche”. Ne faites pas comme le sot d’Ochosias, qui envoyait consulter le
dieu d’Acaron alors que le Très-Haut était en Israël. Ne soyez pas inférieurs à l’ânesse
de Balaam qui pour son respect à l’esprit de lumière aurait mérité la vie, alors que
serait tombé frappé le prophète qui ne voyait pas. Voici la Lumière qui passe parmi
nous. Ouvrez les yeux, ô aveugles de l’esprit, et voyez» et l’un des lépreux les suit de
plus en plus près même sur la grand-route désormais rejointe, en indiquant Jésus aux
pèlerins.
Les apôtres, fâchés, se retournent deux ou trois fois en intimant au lépreux, parfaitement guéri,
l’ordre de se taire. Et ils vont jusqu’à le menacer la dernière fois.
Mais lui, cessant d’élever ainsi la voix pour parler à tout le monde, répond: «Et que voulez-vous?
Que je ne glorifie pas les grandes choses que Dieu m’a faites? Voulez-vous que je ne le bénisse
pas?»
«Bénis-le dans ton coeur et tais-toi» lui répondent-ils, fâchés.
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«Non, je ne puis me taire. Dieu met les paroles sur mes lèvres» et il reprend à
haute voix: «Gens des deux endroits de frontière, gens qui passez par hasard,
arrêtez-vous pour adorer Celui qui régnera au nom du Seigneur. Je me moquais de
tant de paroles, mais maintenant je les répète car je les vois accomplies. Voici que
toutes les nations s’ébranlent et viennent joyeuses vers le Seigneur par les chemins
des mers et des déserts, par les collines et les monts. Et nous aussi, peuple qui avons
cheminé dans les ténèbres, nous allons marcher vers la grande Lumière qui a surgi,
vers la Vie, en sortant de la région de la mort. Loups, léopards et lions que nous
étions, nous allons renaître dans l’Esprit du Seigneur et nous nous aimerons en Lui, à
l’ombre du Rejeton de Jesse devenu un cèdre sous lequel campent les nations
rassemblées par Lui aux quatre coins de la Terre. Voici venir le jour où la jalousie
d’Ephraïm prendra fin parce qu’il n’y a plus Israël et Juda, mais un seul Royaume:
celui du Christ du Seigneur. Voila, je chante les louanges du Seigneur qui m’a sauvé
et consolé. Voila, je dis: louez-le et venez boire le salut à la source du Sauveur.
Hosanna! Hosanna aux grandes choses que Lui fait! Hosanna au Très-Haut qui a
placé au milieu des hommes son Esprit en le revêtant de chair, pour qu’il devienne le
Rédempteur!»
Il est inépuisable. Les gens viennent plus nombreux, se groupent, encombrent la route. Ceux qui
étaient en arrière accourent, ceux qui étaient en avant rebroussent chemin. Les gens d’un petit
village, près duquel ils sont maintenant, s’unissent aux passants.
«Mais fais-le taire, Seigneur. C’est un samaritain: les gens le disent. Il ne doit pas parler de Toi si tu
ne permets même pas que nous te précédions en t’annonçant!» disent les apôtres indisposés.
«Mes amis, je répète les paroles de Moïse à Josué, fils de Num, qui se lamentait de ce que Eldad et
Madad prophétisaient dans les campements: “Es-tu jaloux pour moi, à ma place? Oh! si le peuple
tout entier prophétisait ainsi et si le Seigneur pouvait donner à tous son esprit!” Mais cependant je
vais m’arrêter et je vais le renvoyer pour vous faire plaisir.»
Et il s’arrête en se retournant et en appelant à Lui le lépreux guéri, qui accourt et
se prosterne devant Jésus en baisant la poussière.
«Lève-toi. Et les autres où sont-ils? N’étiez-vous pas dix? Les neufs autres n’ont pas éprouvé le
besoin de remercier le Seigneur. Et quoi? Sur dix lépreux dont un seul était samaritain, il ne s’est
trouvé que cet étranger pour éprouver le besoin de revenir pour
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rendre gloire à Dieu, avant de se rendre lui-même à la vie et à sa famille? Et on
l’appelle “samaritain”. Ils ne sont plus ivres alors les samaritains, puisqu’ils voient
sans avoir la berlue et accourent sans chanceler sur le chemin du Salut? La Parole
parle donc un langage étranger, s’il est compris par les étrangers et pas par ceux de
son peuple?»
Il tourne ses yeux magnifiques sur une foule de tous les lieux de la Palestine qui
se trouve là. Et ces yeux dans leur éclat sont insoutenables... Plusieurs baissent la tête
et poussent leurs montures ou s’éloignent...
Jésus abaisse les yeux sur le samaritain agenouillé à ses pieds, et son regard devient très doux. Il
lève la main, qui pendait le long de son côté, en un geste de bénédiction et dit: «Lève-toi et va-t-en.
Ta foi a sauvé en toi quelque chose de plus que ta chair. Avance dans la Lumière de Dieu. Va.»
L’homme baise de nouveau la poussière et, avant de se lever, demande: «Un
nom, Seigneur. Un nom nouveau, puisque tout est nouveau en moi, et pour toujours.»
«Dans quelle terre nous trouvons-nous?»
«Dans celle d’Ephraïm.»
«Et désormais tu t’appelleras Ephrem, parce que c’est deux fois que la Vie t’a donné la vie. Va.»
L’homme se lève et s’en va.
Les gens de l’endroit et quelques pèlerins voudraient retenir Jésus, mais Lui les subjugue par son
regard qui n’est pas sévère, mais au contraire est très doux quand il les regarde, mais qui doit
dégager une puissance car personne ne fait un geste pour le retenir.
Et Jésus quitte la route sans entrer dans le petit village, traverse un champ, puis un ruisselet et un
sentier, et il monte sur le coteau oriental couvert de bois, et s’y enfonce avec les siens en disant:
«Pour ne pas nous tromper, nous allons suivre la route, mais en restant dans le bois. Après cette
courbe, la route s’appuie à cette montagne. Nous y trouverons quelque grotte pour dormir, pour
franchir à l’aube Ephraïm ...»

179. JESUS A EPHRAIM. PARABOLE DE LA GRENADE

Jésus croit en effet pouvoir traverser, aux premières lueurs de l’aube, Ephraïm
encore silencieuse et avec ses rues désertes, sans
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que personne le voie. Par prudence, il fait le tour de la ville sans y entrer, malgré
l’heure plus que matinale.
Mais quand du petit chemin qu’ils ont parcouru, en arrière du village, ils
débouchent sur la grand-route, ils se trouvent en face tout le village pourrait-on dire
et, avec le village, d’autres venus d’autres lieux déjà dépassés, qui montrent Jésus dès
son arrivée aux gens d’Ephraïm. Heureusement sont absolument absents les
pharisiens, les scribes et leurs pareils.
Ceux d’Ephraim envoient en avant les notables du village dont l’un, après un solennel salut, dit au
nom de tous: «Nous avons su que tu étais parmi nous et que tu n’avais pas dédaigné d’avoir pitié de
certains. Nous savions déjà que tu avais été plein de pitié pour ceux de Sichem, et nous avons désiré
te voir. Or Celui qui voit les pensées des hommes t’a conduit parmi nous. Séjourne et parle, car
nous aussi nous sommes les fils d’Abraham.»
«Il ne m’est pas permis de séjourner...»
«Oh! Nous savons qu’ils te cherchent. Mais pas de ce côté. Cette ville est à la limite du désert et des
Montagnes du sang. Ils ne passent pas ici volontiers. Et puis cette fois, après les premiers, nous n’en
avons plus vu un seul.»
«Je ne puis rester...»
«Le Temple t’attend, nous le savons. Mais crois à nous. Vous nous regardez comme des proscrits,
parce que nous ne nous inclinons pas devant les Pontifes d’Israël. Mais est-il Dieu, par hasard, le
Pontife? Nous sommes loin. Mais pas assez pour ne pas savoir que vos prêtres ne sont pas moins
indignes que les nôtres. Et nous pensons que Dieu ne peut plus être avec eux. Non, le Très-Haut ne
se cache plus dans la fumée de l’encens. On pourrait cesser de le brûler, et on pourrait entrer dans le
Saint des Saints sans avoir peur d’être réduit en cendres par la splendeur de Dieu qui repose sur sa
gloire. Et nous adorons Dieu le sentant hors des pierres qui ne sont plus habitées des temples vides.
Et nous ne disons pas que notre temple est plus vide que le vôtre, si vous voulez nous accuser
d’avoir un temple d’idoles. Tu vois que nous sommes équitables, mais pour cette raison,
écoute-nous.»
Il prend un ton solennel: «Il vaudrait mieux que tu t’arrêtes pour adorer le Père parmi ceux qui, au
moins, reconnaissent qu’ils ont un esprit de religion vide de vérité comme les autres qui ne veulent
pas le reconnaître et nous offensent. Seuls, repoussés comme des lépreux, sans prophètes et sans
docteurs, au moins nous avons su être unis en sentant que nous étions frères. Et notre loi
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c’est de ne pas trahir, car il est écrit: “Ne suis pas la foule pour faire le mal, et quand
tu juges, ne dévie pas de la vérité pour t’en tenir à l’avis du plus grand nombre”. Il est
écrit: “Ne fais pas mourir l’innocent et le juste car j’ai en haine l’impie. N’accepte pas
de cadeaux qui aveuglent même les sages et troublent les paroles des justes. Ne
tourmentez pas l’étranger, car vous savez ce que cela veut dire d’être étranger sur la
terre d’autrui”. Et dans les bénédictions dites justement du Garizim, montagne chère
au Seigneur puisqu’Il l’a choisie comme montagne de bénédiction, tout bien est
promis à celui qui s’en tient à la vraie Loi qui se trouve dans le Pentateuque. Or, si
nous repoussons comme idolâtres les paroles des hommes mais gardons celles de
Dieu, pouvons-nous, peut-être, être appelés idolâtres? La malédiction de Dieu est sur
celui qui frappe en cachette le prochain et accepte une récompense pour condamner à
mort un innocent. Nous ne voulons pas être maudits par Dieu à cause de nos actions.
Car nous ne serons pas maudits parce que nous sommes samaritains, car Dieu est le
Juste qui récompense le bien là où Il le trouve. C’est ce que nous espérons du
Seigneur.»
Il se recueille un instant, puis il reprend: «C’est à cause de tout cela que nous te
disons: il vaudrait mieux pour Toi rester parmi nous. Le Temple te hait et il te cherche
pour te faire souffrir. Et pas lui seulement. Tu resteras toujours trop parmi ceux qui te
rejettent comme un opprobre. Ce n’est pas des juifs que te viendra l’amour.»
«Je ne puis rester, mais je me rappellerai vos paroles. Je vous dis de toutes façons de persévérer
dans l’observance des lois de justice que vous avez rappelées et qui découlent du précepte d’amour
du prochain. Le précepte qui, avec celui de l’amour pour Dieu, forme le commandement principal
de la Religion ancienne et de la mienne. Pour celui qui vit en juste, il n’est pas loin le chemin du
Ciel. Il suffira d’un pas pour amener ceux qui sont sur le sentier voisin, séparés seulement
désormais par un point d’honneur, plus que par conviction, sur le chemin du Royaume de Dieu.»
«Le tien!»
«Le mien. Mais non pas le Royaume tel que l’imaginent les hommes, royaume de pouvoir temporel
juste, et à l’occasion violent pour être puissant. Mais plutôt le Royaume qui commence dans le
coeur des hommes auxquels le Roi spirituel donne un code spirituel, et donnera une récompense
spirituelle. Il donnera le Royaume. Ce Royaume dans lequel il n’y aura pas exclusivement des juifs,
ou des galiléens, ou des samaritains, mais où seront tous
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ceux qui sur la Terre auront eu une foi unique: la mienne, et qui dans le Ciel porteront
un nom unique: saints. Les races et les divisions entre races restent sur la Terre,
limitées à elle. Dans mon Royaume, il n’y aura pas des races différentes, mais
uniquement celle des fils de Dieu. Les fils d’Un Seul ne peuvent appartenir qu’à une
seule souche. Maintenant laissez-moi aller. Long encore est le chemin que je dois
parcourir avant la nuit.»
«Tu vas à Jérusalem?»
«A Ensémès.»
«Alors nous allons t’indiquer un chemin que nous sommes seuls à connaître pour aller au gué, sans
halte et sans risques. Tu n’as pas de charges ni de chars, et tu peux le suivre. A none, tu y seras, et il
te sera utile de connaître ce sentier. Mais repose-toi une heure parmi nous et accepte le pain et le
sel, et donne-nous en échange ta parole.»
«Qu’il en soit comme vous voulez, mais restons là où nous sommes. La journée est si douce et
l’endroit si beau.»
En effet ils sont dans une conque qui est toute en vergers. Au milieu coule un petit torrent que les
premières pluies ont alimenté et qui s’en va bruyant et éclairé par le soleil, descendant entre les
pierres qui le brisent en écume nacrée, vers le Jourdain. Les arbustes, qui ont résisté à l’été,
semblent jouir sur les deux rives des embruns de l’eau réduite en écume, et brillent en frémissant
doucement sous un vent tempéré qui apporte un parfum de pommes mûres et de moût en
fermentation.
Jésus va justement près du torrent et s’assoit sur un rocher, ayant sur la tête l’ombre légère d’un
saule et à côté les eaux riantes qui descendent dans la vallée. Les gens s’installent sur l’herbe qui a
poussé sur les deux rives.
Entre-temps, on apporte du village du pain, du lait qu’on vient de traire, des fromages, des fruits et
du miel, et on offre le tout à Jésus pour qu’il se restaure avec les siens. Et on le regarde manger,
après qu’il ait offert et béni la nourriture, simple comme un mortel, souverainement beau, et
spirituellement imposant comme un dieu. Il a un vêtement en laine de couleur blanche tirant sur
l’ivoire comme celle de la laine filée à la maison, et un manteau bleu foncé jeté sur ses épaules. Le
soleil, qui filtre à travers le feuillage du saule, fait briller dans ses cheveux des étincelles d’or qui se
déplacent en même temps que les feuilles légères du saule. Un rayon réussit à Lui caresser la joue
gauche en faisant de la boucle souple qui termine la mèche retombant le long de la joue, un
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écheveau de fils d’or dont la couleur se retrouve plus pâle dans la barbe soyeuse et
légère qui couvre le menton et le bas du visage. La peau, couleur d’ivoire ancien, fait
voir dans la lumière du soleil la délicate broderie des veines sur les joues et sur les
tempes et l’une d’elles traverse du nez aux cheveux le front lisse et haut...

Je pense que c’est justement de cette veine que j’ai vu couler tant de sang à cause
d’une épine qui la transperçait durant la Passion... Toujours, quand je vois Jésus si
beau et si ordonné dans sa tenue virile, je me rappelle à quoi l’ont réduit les
souffrances et les insultes qui Lui sont venues des hommes...

Jésus mange et il sourit à des enfants qui se sont serrés contre ses genoux y
posant leurs têtes, ou le regardant manger comme s’ils voyaient je ne sais quoi. Jésus,
arrivé aux fruits et au miel, leur en donne, en mettant dans la bouche des plus petits
des grains de raisin ou des bouchées couvertes de miel filant, comme si c’étaient des
oisillons.
Un enfant - certainement elles lui plaisent et il espère en avoir - s’en va en courant à travers les gens
vers un verger et il revient avec les bras serrés contre sa petite poitrine pour en faire un petit panier
vivant ou reposent trois grenades d’une beauté et d’une grosseur merveilleuses, et il les offre avec
insistance à Jésus.
Jésus prend les fruits et il en ouvre deux pour faire autant de parts qu’il a de petits amis, et il les
distribue. Puis, prenant dans la main la troisième, il se lève et commence à parler en tenant dans la
main gauche bien en vue, la magnifique grenade.
«A quoi comparerai-je le monde en général, et en particulier la Palestine, autrefois, et dans la
pensée de Dieu, unie en une Nation unique et puis séparée par une erreur et une haine opiniâtre
entre frères? A quoi comparerai-je Israël comme il s’est réduit volontairement? Je le comparerai à
cette grenade.
Et en vérité je vous dis que les dissentiments qui existent entre juifs et samaritains, se reproduisent
sous des formes et dans des mesures différentes, mais avec un même fond de haine, entre toutes les
nations du monde, et parfois entre les provinces d’une même nation.
Et on dit que ces dissentiments sont insurmontables comme si c’étaient des
choses créées par Dieu Lui-même. Non. Le Créateur n’a pas fait autant d’Adam et
autant d’Eve qu’il y a de races opposées l’une à l’autre, qu’il y a de tribus, qu’il y a de
familles qui sont dressées l’une contre l’autre comme des ennemis. Il a fait un seul
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Adam et une seule Eve, et d’eux sont venus tous les hommes, qui se sont répandus
ensuite pour peupler la Terre, comme si c’était une seule maison qui s’enrichit de plus
en plus de pièces à mesure que grandissent les enfants et qu’ils contractent mariage
pour procréer des descendants à leurs pères.
Pourquoi alors tant de haine entre les hommes, tant de barrières, tant
d’incompréhensions? Vous avez dit: “Nous savons être unis, en sentant que nous
sommes frères”. Ce n’est pas assez. Vous devez aimer aussi ceux qui ne sont pas
samaritains.
Regardez ce fruit: vous en connaissez la saveur et non seulement la beauté. Fermé comme il l’est, il
vous promet déjà le doux suc de son intérieur. Une fois ouvert, il réjouit aussi la vue avec ses
rangées serrées de grains semblables à autant de rubis enfermés dans un coffre-fort. Mais malheur à
l’imprudent qui le mord sans l’avoir débarrassé des séparations très amères qui se trouvent entre les
familles de grains. Il s’empoisonnerait les lèvres et les viscères, et il rejetterait le fruit en disant:
“C’est du poison”.
Il en est de même des séparations et des haines entre un peuple et un autre peuple, entre une tribu et
une autre tribu, elles rendent “poison” ce qui avait été créé pour être douceur. Elles sont inutiles et
elles ne font, comme dans ce fruit, que créer des limites qui réduisent l’espace, compriment et font
souffrir. Elles sont amères et à celui qui mord, ou à celui qui mord le voisin qu’il n’aime pas, pour
l’offenser et le faire souffrir, elles donnent une amertume qui empoisonne l’esprit. Sont-elles
ineffaçables? Non. La bonne volonté les supprime, comme la main d’un enfant enlève ces
séparations amères qui se trouvent dans le doux fruit que le Créateur a fait pour les délices de ses
enfants.
Et la bonne volonté, le premier à l’avoir, c’est le même Unique Seigneur qui est
le Dieu des juifs comme des galiléens, et des samaritains comme des batanéens. Il le
montre en envoyant l’Unique Sauveur qui sauvera les uns et les autres sans demander
autre chose que la foi dans sa Nature et sa Doctrine. Le Sauveur qui vous parle
passera pour abattre les barrières inutiles, pour effacer le passé qui vous a divisé, pour
mettre à la place un présent qui vous rend frères en son Nom. Vous tous d’ici et
d’au-delà des frontières, vous n’avez qu’à le seconder, et la haine tombera, et tombera
l’avilissement qui suscite la rancoeur, et tombera l’orgueil qui suscite l’injustice.
Voici mon commandement: que les hommes s’aiment comme des frères qu’ils
sont. Qu’ils s’aiment comme le Père des Cieux les ai-
157
me et comme les aime le Fils de l’homme qui, par la nature humaine qu’il a prise, se
sent frère des hommes, et qui par sa Paternité se sent maître de vaincre le Mal avec
toutes ses conséquences. Vous avez dit: “C’est notre loi de ne pas trahir”. Alors
commencez par ne pas trahir vos âmes en les privant du Ciel. Aimez-vous les uns les
autres, aimez-vous en Moi, et la paix arrivera aux esprits des hommes, comme il a été
promis. Et il viendra le Règne de Dieu qui est un Règne de paix et d’amour pour tous
ceux qui ont la volonté sincère de servir le Seigneur leur Dieu.
Je vous quitte. Que la Lumière de Dieu illumine vos coeurs... Allons...»
Il s’enveloppe dans son manteau, prend son sac en bandoulière, et il marche en tête, ayant de
chaque côté Pierre et le notable qui a parlé au début. En arrière les apôtres, et plus en arrière, car il
n’est pas possible d’avancer en groupe sur le sentier qui longe le torrent, des jeunes gens
d’Ephraïm...

180. JESUS A BETHANIE POUR LES TABERNACLES

Les verts de toutes nuances des campagnes qui entourent Béthanie se présentent à
la vue dès que l’on a franchi le sommet de la colline et que l’on pose le pied sur son
versant sud, qui descend par une route en zigzag vers Béthanie. Le vert argenté des
oliviers, le vert bien marqué des pommiers, parsemé ici et là par les premières feuilles
jaunes, le vert rare et plus jaunâtre des vignes, le vert foncé et compact des chênes et
des caroubiers, mêlés au marron des champs déjà labourés et qui attendent la semence
et au vert tendre des prés où pousse une herbe nouvelle et des jardins fertiles, forment
une sorte de tapis multicolore pour celui qui d’en haut domine Béthanie et ses
alentours. Et, se détachant sur le vert, plus en bas, les pinceaux des palmiers dattiers
toujours, élégants et qui rappellent l’Orient.
La petite ville d’Ensémès, groupée au milieu de la verdure et illuminée par le soleil qui va bientôt se
coucher, est bien vite franchie et aussi la source abondante qui est un peu au nord de l’endroit où
commence Béthanie, et puis voilà les premières maisons dans la verdure...
Ils sont arrivés après tant de chemin, de chemin fatigant et,
158
malgré leur fatigue extrême, ils semblent reprendre des forces rien que par la
proximité de la maison amie de Béthanie.
La petite ville est tranquille, presque vide. Beaucoup d’habitants doivent être déjà
à Jérusalem pour la fête. Aussi, Jésus passe inaperçu jusque dans le voisinage de la
maison de Lazare. C’est seulement quand il est près du jardin en friche de la maison,
où il y avait tant d’échassiers, qu’il rencontre deux hommes. Ils le reconnaissent et le
saluent et puis Lui demandent: «Tu vas chez Lazare, Maître? Tu fais bien. Il est si
malade. Nous en venons après lui avoir apporté le lait de nos ânesses, la seule
nourriture que son estomac digère encore avec un peu de jus de fruits et de miel. Les
deux soeurs ne font que pleurer, épuisées par les veilles et la douleur... Et lui ne fait
que te désirer. Je crois qu’il serait déjà mort, mais l’anxiété de te revoir l’a fait vivre
jusqu’ici.»
«J’y vais tout de suite. Dieu soit avec vous.»
«Et... tu le guériras?» demandent-ils curieux.
«La volonté de Dieu se manifestera sur lui, et avec elle la puissance du Seigneur» répond Jésus en
quittant les deux, perplexes, et il se hâte vers le portail du jardin.
Un serviteur le voit et court Lui ouvrir, mais sans aucun cri de joie. Sitôt le portail ouvert, il
s’agenouille pour vénérer Jésus, et il dit d’une voix attristée: «Tu tombes bien, ô Seigneur! Et
veuille ta venue être un signe de joie pour cette maison éplorée. Lazare, mon maître...»
«Je le sais. Soyez tous résignés à la volonté du Seigneur. Il récompensera le
sacrifice de votre volonté à la sienne. Va et appelle Marthe et Marie. Je les attends
dans le jardin.»
Le serviteur s’éloigne en courant et Jésus le suit lentement après avoir dit à ses apôtres: «Je vais
près de Lazare. Reposez-vous car vous en avez besoin...»
Les deux soeurs se présentent sur le seuil, et elles ont du mal à reconnaître le Seigneur tant leurs
yeux sont fatigués par les veilles et les larmes, et le soleil qui les frappe en face augmente la
difficulté qu’elles éprouvent pour le voir. Pendant ce temps, d’autres serviteurs sortent par une porte
secondaire à la rencontre des apôtres pour les emmener avec eux.
«Marthe! Marie! C’est Moi. Vous ne me reconnaissez pas?»
«Oh! le Maître!» s’écrient les deux soeurs, et elles se mettent à courir vers Lui, se jetant à ses pieds,
et étouffant difficilement leurs sanglots. Baisers et larmes tombent sur les pieds de Jésus comme
autrefois dans la maison de Simon le pharisien.
159
Mais cette fois Jésus ne reste pas raide comme alors pour recevoir la pluie de
larmes de Marthe et de Marie. Maintenant il se penche et il touche leurs têtes, les
caresse et les bénit par ce geste et les force à se lever, en disant: «Venez. Allons sous
la tonnelle des jasmins. Pouvez-vous quitter Lazare?»
Plus par signes que par paroles, tout en sanglots, elles disent que oui. Et ils vont sous le pavillon
ombragé, sous le feuillage fourni et sombre duquel quelque tenace étoile de jasmin blanchit et
exhale son parfum.
«Parlez donc...»
«Oh! Maître! Tu viens dans une maison bien triste! Nous sommes abêties par la douleur. Quand le
serviteur nous a dit: “Il y a quelqu’un qui vous cherche” nous n’avons pas pensé à Toi. Quand nous
t’avons vu, nous ne t’avons pas reconnu. Mais tu vois? Nos yeux sont brûlés par les larmes. Lazare
se meurt!...» et les pleurs reprennent interrompant les paroles des deux soeurs qui ont parlé
alternativement.
«Et je suis venu...»
«Pour le guérir?! Oh! mon Seigneur!» dit Marie rayonnante d’espoir à travers ses larmes.
«Oh! Moi, je le disais! Si le Maître vient...» dit Marthe en joignant les mains en un geste de joie.
«Oh! Marthe! Marthe! Que sais-tu des opérations et des décrets de Dieu?»
«Hélas, Maître! Tu ne vas pas le guérir?!» s’écrient-elles ensemble en retombant dans leur peine.
«Je vous dis: ayez une foi sans bornes dans le Seigneur. Continuez de l’avoir malgré toute
insinuation et tout événement, et vous verrez de grandes choses quand votre coeur n’aura plus de
raison d’espérer les voir. Que dit Lazare?»
«Il y a un écho de tes paroles dans les siennes. Lui nous dit: “Ne doutez pas de la bonté et de la
puissance de Dieu. Quoi qu’il arrive, Il interviendra pour votre bien et le mien, et pour le bien d’un
grand nombre, de tous ceux qui, comme moi et comme vous, sauront rester fidèles au Seigneur”. Et
quand il est en mesure de le faire, il nous explique les Ecritures; il ne lit plus qu’elles désormais, et
il nous parle de Toi, et il dit qu’il meurt dans un temps heureux parce que l’ère de la paix et du
pardon est commencée. Mais tu l’entendras... car il dit aussi d’autres choses qui nous font pleurer
aussi, plus que pour notre frère...» dit Marthe.
«Viens, Seigneur. Toute minute qui passe est dérobée à l’espoir
160
de Lazare. Il comptait les heures... Il disait: “Et pourtant, pour la fête, il sera à
Jérusalem et il viendra...” Nous, nous qui savons beaucoup de choses que nous ne
disons pas à Lazare pour ne pas le faire souffrir, nous avions moins d’espoir, car nous
pensions que tu ne viendrais pas pour échapper à ceux qui te cherchent... C’était ce
que pensait Marthe. Moi non, car... si j’étais à ta place, je défierais les ennemis. Je ne
suis pas de celles qui ont peur des hommes, moi. Et maintenant, je n’ai même plus
peur de Dieu. Je sais combien Il est bon pour les âmes repenties...» dit Marie, et elle le
regarde de son regard d’amour.
«Tu n’as peur de rien, Marie?» demande Jésus.
«Du péché... et de moi-même... J’ai toujours peur de retomber dans le mal. Je pense que Satan doit
me haïr beaucoup.»
«Tu as raison. Tu es une des âmes que Satan hait le plus, mais tu es aussi une des plus aimées de
Dieu. Souviens-toi de cela.»
«Oh! je m’en souviens. C’est ma force ce souvenir! Je me rappelle ce que tu as
dit dans la maison de Simon. Tu as dit: “Il lui est beaucoup pardonné, parce qu’elle a
beaucoup aimé”, et à moi: “Les péchés te sont pardonnés. Ta foi t’a sauvée. Va en
paix”. Tu as dit: “les péchés”. Non pas plusieurs, tous. Et alors je pense que tu m’as
aimée, ô mon Dieu, sans mesure. Or, si ma pauvre foi d’alors, telle qu’elle pouvait
surgir dans une âme appesantie par les fautes, a tant obtenu de Toi, ma foi de
maintenant ne pourra-t-elle pas me défendre du Mal?»
«Oui, Marie. Veille et surveille toi-même. C’est humilité et prudence. Mais aie
foi dans le Seigneur. Il est avec toi.»
Ils entrent dans la maison. Marthe va trouver son frère. Marie voudrait servir
Jésus, mais il veut d’abord aller voir Lazare. Ils entrent dans la pièce dans la
pénombre, où se consomme le sacrifice.
«Maître!»
«Mon ami!»
Les bras squelettiques de Lazare se tendent vers le haut, ceux de Jésus se
penchent pour embrasser le corps de l’ami languissant. Un long embrassement. Puis
Jésus recouche le malade sur les oreillers et le contemple avec pitié. Mais Lazare
sourit. Il est heureux. Dans son visage ravagé, ne resplendissent vivants que les yeux
enfoncés, mais rendus lumineux par la joie d’avoir là Jésus.
«Tu vois? Je suis venu, et pour rester beaucoup avec toi.»
«Oh! tu ne peux Seigneur. A moi, on ne dit pas tout, mais j’en sais assez pour te dire que tu ne le
peux. A la douleur qu’ils te donnent,
161
ils ajoutent la mienne, ma part, en ne me laissant pas expirer dans tes bras. Mais moi
qui t’aime, je ne puis par égoïsme te retenir près de moi, en danger. Pour Toi... j’ai
déjà pourvu... Tu dois changer d’endroit sans cesse. Toutes mes maisons te sont
ouvertes. Les gardiens ont des ordres et de même les intendants de mes champs. Mais
ne va pas séjourner au Gethsémani, l’endroit est très surveillé. Je parle de la maison.
Car dans les oliviers, surtout ceux du haut, tu peux y aller et par plusieurs chemins,
sans qu’ils le sachent. Margziam, tu sais qu’il est déjà ici? Margziam a été interrogé
par certains alors qu’il était dans le pressoir avec Marc. Ils voulaient savoir où tu
étais, si tu venais. L’enfant a très bien répondu: “Il est israélite et il viendra. Par où, je
ne sais pas, l’ayant quitté au Méron”. Ainsi il les a empêchés de te dire pécheur et il
n’a pas menti.»
«Je te remercie, Lazare. Je t’écouterai, mais nous nous verrons souvent tout de
même.» Il le contemple encore.
«Tu me regardes, Maître? Tu vois à quel point je suis réduit? Comme un arbre qui se dépouille de
ses feuilles à l’automne, je me dépouille d’heure en heure de chair, de forces et d’heures de vie.
Mais je dis la vérité quand je dis que, si je regrette de ne pas vivre assez pour voir ton triomphe, je
suis heureux de m’en aller pour ne pas voir, impuissant comme je le suis pour la freiner, la haine
qui grandit autour de Toi.»
«Tu n’es pas impuissant; tu ne l’es jamais. Tu pourvois aux besoins de ton Ami, dès avant qu’il
n’arrive. J’ai deux maisons de paix, et je pourrais dire également chères: celle de Nazareth, et
celle-ci. Si là-bas se trouve ma Mère: l’amour céleste pour ainsi dire aussi grand que le Ciel pour le
Fils de Dieu, ici j’ai l’amour des hommes pour le Fils de l’homme, l’amour amical, plein de foi et
de vénération... Merci, mes amis!»
«Ta Mère ne viendra jamais?»
«Au début du printemps.»
«Oh! alors, je ne la verrai plus...»
«Si. Tu la verras. C’est Moi qui te le dis. Tu dois me croire.»
«Je crois à tout, Seigneur, même à ce que les faits démentent.»
«Margziam, où est-il?»
«A Jérusalem avec les disciples, mais il vient ici le soir, d’ici peu, désormais. Et tes apôtres, ils ne
sont pas avec Toi?»
«Ils sont à côté avec Maximin qui vient au secours de leur fatigue et de leur épuisement.»
«Vous avez beaucoup marché?»
162
«Beaucoup, sans arrêt. Je te raconterai... Pour l’instant, repose-toi. Je te bénis
pour maintenant.» Et Jésus le bénit et se retire.
Les apôtres sont maintenant avec Margziam et avec presque tous les bergers, et ils parlent de
l’insistance des pharisiens pour savoir quelque chose de Jésus. Il disent que cela a éveillé leurs
soupçons, de sorte que leurs disciples ont pensé à se mettre de garde sur toutes les routes qui
conduisent à l’intérieur de Jérusalem pour avertir le Maître.
«En effet» rapporte Isaac «nous sommes disséminés sur toutes les routes à quelques stades des
Portes, et à tour de rôle nous passons une nuit ici. C’est notre tour.»
«Maître» dit en riant Judas «ils disent qu’à la porte de Jaffa il y avait la moitié du Sanhédrin. Ils se
disputaient entre eux, car certains rappelaient mes paroles d’Engannim; d’autres juraient avoir
appris que tu avais été à Dothaïn; d’autres, au contraire, disaient qu’il t’avaient vu près d’Ephraïm,
et cela les rendait furieux de ne pas savoir où tu étais...» et il rit de la farce qu’il a jouée aux
ennemis de Jésus.
«Demain ils me verront.»
«Non, demain, c’est nous qui y allons. C’est déjà convenu: tous en groupe, et en nous mettant bien
en vue.»
«Je ne veux pas. Tu mentirais.»
«Je te jure que je ne mentirai pas. S’ils ne me disent rien, je ne leur dis rien. S’ils
nous demandent si tu es avec nous, je dirai: “Et ne voyez-vous pas qu’il n’y est pas?”,
et s’ils veulent savoir où tu es, je répondrai: “Cherchez-le, vous. Comment
voulez-vous que je sache où est le Maître, en ce moment?” En effet, je ne pourrais
certes pas savoir si tu es à la maison, ici, ou dans les vergers, ou bien je ne sais où.»
«Judas, Judas, je t’ai dit...»
«Et moi, je te dis que tu as raison. Mais ce ne sera pas toujours de ma part simplicité de colombe,
mais prudence de serpent. Toi la colombe, moi le serpent. Et ensemble nous formerons cette
perfection que tu as enseignée.» Il prend le ton qu’a Jésus quand il instruit, et il dit, en imitant le
Maître à la perfection: «“Je vous envoie comme des brebis parmi des loups. Soyez donc prudents
comme les serpents et simples comme les colombes... Ne vous préoccupez pas comment répondre,
car à ce moment-là vous seront mises sur les lèvres les paroles car ce n’est pas vous qui parlez, mais
l’Esprit qui parle en vous... Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre jusqu’à
ce qu’arrive le Règne du
163
du Fils de l’homme...” Je les rappelle et c’est le moment de les appliquer.»
«Je ne les ai pas dites ainsi, et pas celles- ci seulement» objecte Jésus.
«Oh! pour le moment, il ne faut se rappeler que celles-là, et les dire ainsi. Je sais
ce que tu veux dire. Mais si la foi en Toi ne s’est pas bien établie, et c’est une pierre
dans ton Royaume, il ne convient pas de se livrer aux ennemis. Ensuite... nous dirons
et ferons le reste...»
L’expression de Judas est si brillante d’intelligence et d’espièglerie qu’il conquiert tout le monde,
sauf Jésus qui soupire. C’est vraiment le séducteur auquel rien ne manque pour triompher des
hommes.
Jésus soupire et réfléchit... Mais il se rend, en remarquant que la prévoyance de Judas n’est pas
entièrement mauvaise. Judas expose triomphalement tout son plan.
«Nous irons donc demain et après-demain jusqu’au lendemain du sabbat, et nous
resterons dans une cabane de branchages dans la vallée du Cédron, en parfaits
israélites. Eux se lasseront de t’attendre... et alors tu viendras. En attendant, tu resteras
ici, tranquille, à te reposer. Tu es épuisé, mon Maître, et nous ne le voulons pas. Les
portes closes, l’un de nous viendra te dire ce qu’ils font. Oh! ce sera beau de les voir
déçus!»
Tous sont d’accord, et Jésus n’oppose pas de résistance. Peut-être son extrême fatigue, peut-être le
désir de réconforter Lazare, de lui donner tout le réconfort avant la lutte finale, le décident à céder..
Peut-être aussi la nécessité réelle de se garder libre tant que ne sont pas accomplies toutes les
oeuvres qui sont nécessaires pour qu’Israël ne doute pas de sa Nature avant de le juger comme
coupable... Il dit, ce qui est sûr: «Et qu’il en soit ainsi. Pourtant ne cherchez pas querelle, et évitez
les mensonges. Taisez-vous plutôt, mais ne mentez pas. Allons maintenant, car Marthe nous
appelle. Viens, Margziam. Je te trouve meilleure mine...» il s’éloigne tout en parlant, un bras autour
des épaules du tout jeune disciple.
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Maria VALTORTA
Volume 8

L’EVANGILE TEL QU’ IL M’A ETE REVELE

Préparation à la Passion * 20% en ligne *

Vol 8 : Chapitres 1-10


1. Les juifs chez Lazare *
2. Les juifs avec Marthe et Marie
3. Marthe fait prévenir la Maître
4. La mort de Lazare
5. L’annonce à Jésus
6. Aux funérailles de Lazare
7. « Allons trouver notre ami Lazare qui dort ! »
8. La résurrection de Lazare
9. Réflexions sur la résurrection de Lazare
10. Dans la ville de Jérusalem et au Temple après la résurrection de Lazare *

Vol 8 : Chapitres 11 – 20
11. Jésus à Béthanie
12. En allant à Ephraïm
13. Le premier jour à Ephraïm
14. « Si grande est la loi du sabbat, très grande est le précepte de l’amour »
15. Le jour suivant
16. La nuit du même jour
17. Au cours d’un sabbat à Ephraïm
18. Les parents des enfants et les gens de Sichem
19. La leçon secrète
20. Ce qui arrive dans la Décapole et la Judée

Vol 8 : Chapitres 21 – 30
21. Ce qui arrive en Judée et en particulier à Jérusalem
22. Le saphorim Samuel, ex-disciple de Jonathas ben Uziel et puis disciple de Jésus
23. Ce qui arrive en Galilée et en particulier à Nazareth
24. Ce qui arrive en Samarie et parmi les romaines
25. Jésus et l’homme de Jabnia
26. Jésus, Samuel, Judas et Jean
27. Arrivée de la Mère et des disciples à Ephraïm
28. Judas de Kériot est un voleur.
29. Le voyage en Samarie avant la pâque. D’Ephraïm à Silo.
30. A Silo. Les mal conseillés.

Vol 8 : Chapitres 31 – 40
31. A Lébona. Les mal conseillés. Encore sur la valeur des conseils
32. A Sichem
33. La valeur que le juste donne aux conseils.
34. Jésus va à Enon
35. A Enon. Le jeune Benjamin
36. Jésus repoussé par les samaritains
37. La rencontre avec le jeune homme riche
38. Troisième prophétie de la Passion
39. A Jéricho avant de se rendre à Béthanie
40. Jésus parle à des disciples inconnus.

Vol 8 : Chapitres 41 – 47
41. Les deux aveugles de Jéricho
42. Jésus arrive à Béthanie
43. Le vendredi avant l’entrée à Jérusalem. I -Jésus et Judas de Kériot
44. Le vendredi avant l’entrée à Jérusalem. II -Jésus et les femmes disciples
45. Le sabbat avant l’entrée à Jérusalem. I -Le miracle de Mathusalem ou Scialem
46. Le sabbat avant l’entrée à Jérusalem. II -Les pèlerins et les juifs à Béthanie
47. Le sabbat avant l’entrée à Jérusalem. III -La cène de Béthanie
1. LES JUIFS CHEZ LAZARE

Un groupe nombreux et pompeux de juifs sur des montures de luxe entre dans Béthanie. Ce sont
des scribes et des pharisiens, sans compter quelques sadducéen et hérodiens, déjà vus une autre fois,
si je ne me trompe au banquet da la maison de Chouza afin de tenter Jésus pour qu’il se proclame
roi. Ils sont suivis de serviteurs à pied.
La cavalcade traverse lentement la petite ville, et le bruit des sabots sur le terrain durci, le
tintement des harnachements, les voix des hommes, attirent hors de chez les habitants qui regardent,
et avec une frayeur visible s’inclinent en salutations profondes pour ensuite se redresser et se réunir
en groupes qui bavardent.
« Avez-vous vu ? »
« Tous les synhédristes de Jérusalem. »
« Non Joseph l’Ancien, Nicodème et d’autres n’y étaient pas. »
« Et les pharisiens les plus connus. »
« Et les scribes. »
« Et celui qui était à cheval, qui était-ce ? »
« Et certainement ils vont chez Lazare. »
« Il doit être près de mourir. »
« Je ne puis pas comprendre pourquoi le Rabbi n’y est pas. »
« Et comment veux-tu, puisqu’ils le cherchent pour le faire mourir, ceux de Jérusalem ? »
« Tu as raison. Et de plus, certainement, ces serpents qui sont passés viennent pour voir si le
Rabbi est ici. »
« Dieu soit loué qu’il n’y soit pas. »
« Sais-tu ce qu’ils ont dit à mon époux, au marché de Jérusalem ? D’être prêts, que bientôt Lui va
se proclamer roi et que nous devrons tous l’aider à faire… Comment ont dit-ils ? Bah ! Une parole
qui voulait dire comme si moi je disais que je renvoie tout le monde de la maison et que je deviens
la maîtresse. »
« Un complot ?... Une conjuration ?... Une révolte ?... » demandent-ils et suggèrent-ils ?
Un homme dit : « Oui, ils m’en ont parlé à moi aussi. Mais je n’y crois pas. »
« Mais ce sont des disciples du Rabbi qui le disent !... »
« Hum ! Que le Rabbi use de la violence et destitue le Tétrarque pour usurper un trône qui, avec
justice ou non, appartient aux hérodiens, je ne crois pas. Tu ferais bien de dir à Jérusalem de ne pas
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croire à tous ces bruits… »
« Mais sais-tu que celui qui l’aidera sera récompensé sur la Terre et au Ciel ! Moi, je serais bien
contente que mon mari le soit. J’ai une quantité d’enfants, et la vie est difficile. Si on pouvait avoir
une place parmi les serviteurs du Roi d’Israël ! »
« Ecoute, Rachel, moi je pense qu’il vaut mieux que je garde mon jardin et mes dattiers. S’il me le
disait, Lui, oh ! alors je laisserais tout pour le suivre. Mais dit par d’autres ! …»
« Mais ce sont ses disciples ! »
« Je ne les ai jamais vus avec Lui, et puis… Non. Ils se font passer pour des agneaux, mais ils ont
certaines figures de bandits qui ne me persuadent pas. »
« C’est vrai. Depuis quelque temps il se passe des choses étranges et on dit toujours que ce sont
des disciples du Rabbi qui en sont les auteurs. Le dernier est d’avant le sabbat. Certains d’entre eux
ont malmené une femme qui portait des œufs au marché et lui ont dit : ‘Nous les voulons au nom du
Rabbi galiléen !’ »
« Tu crois qu’il pourrait vouloir ces choses ? Lui qui donne et ne prend pas ? Lui qui pourrait
vivre parmi les riches et préfère rester parmi les pauvres, et donner son manteau, comme le disait à
tout le monde cette lépreuse guérie qu’a rencontré Jacob ? »
Un autre homme, qui s’est joint au groupe et qui a écouté, dit : « Tu as raison. Et cette autre chose
qu’on dit, alors ? Que le Rabbi nous fera arriver de grands malheurs car les romains nous puniront
tous à cause de ses excitations ? Vous y croyez, vous ? Moi, je dis- et je ne me trompe pas car je
suis vieux et sage- moi, je dis que ceux qui nous disent à nous pauvres gens que le Rabbi veut
prendre le trône par la violence et chasser aussi les romans- s’il pouvait en être ainsi ! si c’était
possible de le faire !- aussi bien que ceux qui commettent des violences en son nom, et que ceux qui
poussent à la révolte en promettant des avantages pour l’avenir, comme ceux qui voudraient faire
haïr le Rabbi en tant qu’individu dangereux qui amènera des malheurs, je dis que tous ces gens sont
des ennemis du Rabbi, qui cherchent sa ruine pour triompher à sa place. N’y croyez pas ! Ne croyez
pas aux faux amis des pauvres gens ! Voyez comme ils sont passés orgueilleusement ? A moi, pour
un peu, ils allaient me donner une volée de coups de bâton parce que je mettais du temps à faire
rentrer les brebis et que je gênais leur marche… Nos amis ceux-là ? Jamais. Ce sont nos vampires
et, que le Seigneur ne le veuille pas, des vampires pour Lui aussi. »
« Toi, qui es près des champs de Lazare, sais-tu s’il est mort ? »
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« Non, il n’est pas mort. Il est entre la mort et la vie… J’en ai demandé des nouvelles à Sara qui
cueillait des feuilles de plantes aromatiques pour les lavages. »
« Et alors pourquoi ceux-ci sont-ils venus ? »
« Bah ! Ils ont tourné autour de la maison, sur l’arrière, sur les côtés, autour de l’autre maison du
lépreux, et puis ils sont partis vers Bethléem. »
« Mais je vous l’ai dit, moi ! Ils sont venus voir si le Rabbi était là ! Pour Lui faire du mal. Sais-tu
ce que c’était pour eux de pouvoir Lui faire du mal ? Et justement dans la maison de Lazare ? Dis
donc, Natân. Cet hérodien n’était-il pas celui qui autrefois était l’amant de Marie de Théophile ? »
« C’était lui. Il voulait peut-être se venger, de cette façon, sur Marie… »
Un jeune garçon arrive en courant. Il crie : « Que de gens dans la maison de Lazare ! Je venais du
ruisseau avec Lévi, Marc et Isaïe, et nous avons vu. Les serviteurs ont ouvert le portail et pris les
montures, et Maximin est accouru à la rencontre des juifs et d’autres sont accourus avec des grandes
inclinaisons. Marthe et Marie sont sorties de la maison avec leurs servantes pour les saluer. On
voulait en voir davantage, mais ils ont fermé le portail et sont tous allé dans la maison. » L’enfant
est tout ému à cause des nouvelles qu’il apporte et de ce qu’il a vu…
Les adultes en parlent entre eux.

2. LES JUIFS AVEC MARTHE ET MARIE

Bien que brisée de douleur et de fatigue, Marthe est toujours la maîtresse de maison qui sait
accueillir et recevoir, en faisant honneur avec cette distinction parfaite de la vraie maîtresse de
maison. Ainsi, maintenant, après avoir conduit toute cette compagnie dans une des salles, elle donne
des ordres pour que l’on apporte les rafraîchissements qui sont d’usage et pour que les hôtes aient
tout ce qui peut être de confort.
Les serviteurs circulent mélangeant des boissons chaudes ou des vins précieux et offrant des fruits
magnifiques, des dattes blondes comme le topaze, du raisin sec, quelque chose qui rassemble à
notre raisin de Damas, dont les grappes sont d’une perfection fantastique, du miel filant, le tout dans
des amphores, des coupes, des
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plats, des plateaux précieux. Et Marthe veille attentivement pour que personne ne soit laissé de côté,
et même selon l’âge et peut-être les individus, dont les goûts lui sont connus, elle contrôle ce que les
serviteurs offrent. Ainsi elle arrête un serviteur qui allait vers Elchias avec une amphore remplie de
vin, et une coupe, et elle lui dit : « Tobie, pas de vin, mais de l’eau de miel et du jus de dattes ». Et à
un autre : « Certainement Jean préfère le vin. Offre-lui le vin blanc de raisin sec. » Et elle-même
offre au vieux scribe Cananias du lait chaud abondamment sucré avec du miel blond en disant :
« Ce sera bon pour ta toux. Tu t’es sacrifié pour venir, souffrant comme tu l’es, et par ce temps
froid. Je suis émue de vous voir si prévenants. »
« C’est notre devoir, Marthe. Euchérie était de notre race, une vraie juive qui nous a tous
honorés. »
« L’honneur à la mémoire vénérée de ma mère me touche le cœur. Je répéterai à Lazare ces
paroles. »
« Mais nous volons le saluer, un si bon ami ! » dit, faux comme toujours, Elchias qui s’est
approché.
« Le saluer ? Ce n’est pas possible. Il est trop épuisé. »
« Oh ! Nous ne le dérangerons pas, ce n’est pas, vous tous ? Il nous suffit un adieu du seuil de sa
chambre » dit Félix.
« Je ne puis, je ne puis vraiment pas. Nicomède s’oppose à toute fatigue et à toute émotion. »
« Un regard à l’ami mourant ne peut le tuer, Marthe » dit Collascebona. « Nous aurions trop de
peine de ne pas l’avoir salué ! »
Marthe est agitée, hésitante. Elle regarde vers la porte, peut-être pour voir si Marie vient à son
aide, mais Marie est absente.
Les juifs remarquent cette agitation et Sadoc, le scribe, le fait remarque à Marthe: « On dirait que
notre venue te trouble, femme. »
« Non. Non, pas du tout. Comprenez ma douleur. Cela fait des mois que je vis près d’un mourant
et … je ne sais plus … je ne sais plus me comporter comme autrefois aux fêtes … »
« Oh ! ce n’est pas une fête ! » dit Elchias. « Nous ne voulions même pas pour nous tant
d’honneurs ! Mais peut-être … Peut-être tu veux nous cacher quelque chose et c’est pour cela que
tu ne nous montres pas Lazare et que tu nous interdis sa chambre. Eh ! Eh ! On sait ! Mais ne crains
pas ! La chambre d’un malade est un asile sacré pour quiconque, crois-le … »
« Il n’y a rien à cacher dans la chambre de notre frère. Il n’y a rien de caché. Elle n’accueille
qu’un mourant auquel ce serait pitié
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d’épargner tout souvenir pénible. Et toi, Elchias, et vous tous, vous êtes pour Lazare des souvenirs
pénibles » dit Marie de sa splendide voix d’orgue, en apparaissant sur le seuil et en tenant écarté de
la main le rideau pourpre.
« Marie ! » gémit Marthe suppliante, pour l’arrêter.
« Rien, ma sœur, laisse-moi parler …. » Elle s’adresse aux autres : « Et pour vous enlever tout
doute, que l’un de vous –ce sera un seul souvenir du passé qui revient pour l’affliger- vienne avec
moi si la vue d’un mourant ne le dégoûte pas et la puanteur de la chair qui meure ne lui donne pas la
nausée. »
« Et toi, tu n’es pas un souvenir affligeant ? » dit ironiquement l’hérodien, que j’ai déjà vu je ne
sais pas où, en quittant son coin et en se mettant en face de Marie.
Marthe exhale un gémissement. Marie a le regard d’une aigle inquiet. Ses yeux lancent des
éclairs. Elle se redresse hautaine, oubliant la fatigue et la douleur qui la courbaient, et avec
l’expression d’une reine offensée, elle dit : « Oui, moi aussi je suis un souvenir. Mais non pas de
douleur, comme tu dis. Je suis le souvenir de la Miséricorde de Dieu. Et en me voyant Lazare meurt
en paix car il sait qu’il remet son esprit entre les mains de l’infinie Miséricorde. »
« Ha ! Ha ! Ha ! Ce n’était pas ainsi que tu parlais autrefois ! Ta vertu ! A celui qui ne te connaît
pas, tu pourrais la mettre bien en vue … »
« Mais pas à toi, n’est-ce pas ? Au contraire, je la mets justement sous tes yeux, pour te dire que
l’on devient comme ceux que l’on fréquent. Autrefois, malheureusement, je te fréquentais, et j’étais
comme toi. Maintenant je fréquent le Saint et je deviens honnête. »
« Une chose détruite ne se reconstruit pas, Marie. »
« En effet le passé : toi, vous tous, vous ne pouvez plus le reconstruire. Vous ne pouvez pas
reconstruire ce que vous avez détruit. Pas toi qui m’inspires du dégoût, pas vous qui au temps de la
douleur avez offensé mon frère, et maintenant, dans un but qui n’est pas clair, voulez montrer que
vous êtes ses amis. »
« Oh ! Tu es audacieuse, femme. Le Rabbi t’aura chassé plusieurs démons, mais il ne t’a pas
rendue douce ! » dit un homme d’environ quarante ans.
« Non, Jonathas ben Anna. Il ne m’a pas rendue faible, mais forte de l’audace de qui est honnête,
de qui a voulu redevenir honnête et qui a rompu tout lien avec le passé pour se faire une nouvelle
vie.
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Allons ! Qui vient voir Lazare ? » Elle est impérieuse comme une reine, elle les domine tous par sa
franchise, impitoyable jusque contre elle-même. Marthe, au contraire, est angoissée, elle a des
larmes dans les yeux qui fixent en suppliant Marie pour qu’elle se taise.
« Moi, je viens ! » dit avec un soupir de victime, Elchias, faux comme un serpent.
Ils sortent ensemble. Les autres s’adressent à Marthe : « Ta sœur ! … toujours ce caractère. Elle
ne devrait pas. Elle a tant à se faire pardonner » dit Uriel, le rabbi vu à Giscala, celui qui a frappé
d’une pierre Jésus.
Marthe, sous le fouet de ces paroles, retrouve sa force et elle dit : « Dieu l’a pardonnée. Tout autre
pardon est sans valeur après celui là. Et sa vie actuelle est un exemple pour le monde. » Mais
l’audace de Marthe a vite fait de tomber et elle fait place aux pleurs. Elle gémit toute en larmes :
« Vous êtes cruels ! Envers elle … et envers moi … Vous n’avez pas pitié, ni de la douleur passée,
ni de la douleur actuelle. Pourquoi êtes-vous venus ? Pour offenser et faire souffrir ? »
« Non, femme. Non. Uniquement pour saluer le grand juif qui meurt. Pas pour autre chose ! Tu ne
dois pas mal interpréter nos intentions qui sont droites. Nous avons appris l’aggravation par Joseph
et Nicodème et nous sommes venus … comme eux, les deux grands amis du Rabbi et de Lazare.
Pourquoi voulez-vous nous traiter d’une manière différente, nous qui aimons comme eux le Rabbi
et Lazare ? Vous n’êtes pas justes. Peux-tu peut-être dire qu’eux, ainsi que Jean, Eléazar, Philippe,
Josué et Joachim, ne sont pas venus prendre des nouvelles de Lazare, et que Manaën aussi, n’est pas
venu ? »
« Je ne dis rien, mais je m’étonne que vous soyez si bien informés de tout. Je ne pensais pas que
même l’intérieur des maisons était surveillé par vous. Je ne savais pas qu’il existait un précepte
nouveau en plus des six cent treize : celui d’enquêter, d’épier l’intimité des familles… Oh !
excusez, je vous offense ! la douleur m’affole et vous l’exaspérez. »
« Oh ! nous te comprenons, femme. Et c’est parce que nous avons pensé que vous étiez affolées
que nous sommes venus vous donner un bon conseil. Envoyez chercher le Maître. Même hier, sept
lépreux sont venus louer le Seigneur parce que le Rabbi les a guéris. Appelez-le aussi pour
Lazare. »
« Il n’est pas lépreux, mon frère » crie Marthe bouleversée. « C’est
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pour cela que vous avez voulu le voir ? C’est pour cela que vous êtes venus. Non. Il n’est pas
lépreux ! Regardez mes mains ! Je le soigne depuis des années et il n’y a pas de la lèpre sur moi.
J’ai la peau rougie par les aromates, mais je n’ai pas la lèpre. Je ne … »
« Paix ! Paix , femme. Et qui te dit que Lazare est lépreux ? Et qui vous soupçonne d’un péché
aussi horrible que celui que cacher un lépreux ? Et crois-tu que malgré votre puissance, nous ne
vous aurions pas frappé si vous aviez péché ? Même sur le corps d’un père et d’une mère, d’une
épouse et des enfants nous sommes capables de passer afin de faire respecter les préceptes. Je te le
dis, moi, Jonathas d’Uziel. »
« Mais certainement ! C’est ainsi ! » dit Archelaüs. « Et maintenant nous te disons, pour le bien
que nous te voulons, pour l’amour que nous avions pour ta mère, pour l’amour que nous avons pour
Lazare : appelez la Maître. Tu secoues la tête ? Veux-tu dire que désormais c’est trop tard ?
Comment ? Tu n’as pas foi en Lui, toi, Marthe, disciple fidèle ? C’est grave cela ! Commences-tu,
toi aussi, à douter ? ».
« Tu blasphèmes, ô scribe. Moi, je crois au Maître comme au Dieu vrai. »
« Et alors, pourquoi ne veux-tu pas essayer ? Lui a ressuscité les morts… Du moins c’est ce que
l’on dit… Peut-être ne sais-tu pas où il est ? Si tu veux, nous allons le chercher, nous allons t’aider,
nous » insinue Félix.
« Mais non ! » dit Sadoc pour l’éprouver. « Certainement dans la maison de Lazare on sait où est
le Rabbi. Dis-le franchement, femme, et nous partirons à sa recherche et nous te l’amènerons, et
nous serons présents au miracle pour jouir avec toi, avec vous tous. »
Marthe est hésitante, presque tentée de céder. Les autres la pressent alors qu’elle dit : « Où il est je
ne le sais pas … Je ne le sais pas vraiment… Il est parti il y a plusieurs jours et il nous a saluées
comme quelqu’un qui part pour longtemps … Ce serait un réconfort pour moi de savoir où il est …
Au moins de le savoir … mais je ne le sais pas, en vérité … »
« Pauvre femme ! Mais nous t’aiderons !... Nous te l’amènerons » dit Cornélius.
« Non ! Il ne faut pas. Le Maître … c’est de Lui que vous parlez, n’est-ce pas ? Le Maître a dit
que nous devons espérer au-delà de ce qu’il est possible d’espérer, et en Dieu. Et nous le ferons »
tonne Marie qui revient avec Elchias, qui la quitte tout de suite et
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se penche pour parler avec trois pharisiens.
« Mais il meurt, à ce que j’entends dire ! » dit l’un de ces trois qui est Doras.
« Et avec cela ? Qu’il meure ! Je ne m’opposerai pas au décret de Dieu et je ne désobéirai au
Rabbi. »
« Et que veux-tu espérer au-delà de la mort, ô folle ? » dit l’hérodien en se moquant d’elle.
« Quoi ? La Vie ! » C’est un cri de foi absolue.
« La Vie ? Ha ! Ha ! Sois sincère. Tu sais que devant une mort véritable, son pouvoir est nul, et
dans ton sot amour pour Lui, tu ne veux pas que cela paraisse ! »
« Sortez tous ! Ce serait Marthe de le faire, mais elle vous craint. Moi je crains seulement
d’offenser Dieu qui m’a pardonnée et je le fais donc à la place de Marthe. Sortez tous. Il n’y a pas
de place dans cette maison pour ceux qui haïssent Jésus Christ. Dehors ! A vos tanières
ténébreuses ! Dehors tous. Ou je vous ferai chasser par les serviteurs comme un troupeau de gueux
immondes. »
Elle est imposante dans sa colère. Les juifs s’esquivent, lâches à l’extrême, devant cette femme.
Il est vrai que cette femme semble un archange irrité….
La salle se désencombre et les regards de Marie, à mesure qu’ils franchissent le seuil un par un en
passant devant elle, créent une immatérielle fourche caudines sous laquelle doit s’abaisser l’orgueil
des juifs vaincus. La salle reste vide finalement.
Marthe s’écrase sur le tapis et éclate en sanglots.
« Pourquoi pleures-tu, ma sœur ? Je n’en vois pas la raison… »
« Oh ! tu les as offensés … et eux t’ont offensée, nous ont offensées et maintenant ils vont se
venger … et … »
« Mais tais-toi, femmelette ! Sur qui veux-tu qu’ils se vengent ? Sur Lazare ? Auparavant ils
doivent délibérer, et avant qu’ils décident … Oh ! on ne se venge pas sur un gulal. Sur nous ? Et
avons-nous besoin de leur pain pour vivre ? Nos biens, ils n’y toucheront pas. Sur eux se projette
l’ombre de Rome. Et sur quoi, alors ? Et même s’ils pouvaient, ne sommes-nous pas deux femmes
jeunes et fortes ? Ne pouvons-nous pas travailler ? Est-ce que peut-être Jésus n’est pas pauvre ?
N’a-t-il pas été un ouvrier notre Jésus ? Ne serions-nous pas plus semblables à Lui étant pauvres et
travailleuses ? Mais glorifie-toi de le devenir ! Espère-le ! Demande-le à Dieu ! »
« Mais ce qu’ils t’ont dit … »
« Ha ! Ha ! Ce qu’ils m’ont dit ! C’est la vérité. Je me le dis moi aussi. J’ai été une immonde.
Maintenant je suis l’agnelle du Pasteur ! Et le passé est mort. Allons, viens auprès de Lazare. »
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3. MARTHE FAIT PREVENIR LE MAITRE


Je me souviens encore de la maison de Lazare et je vois que Marthe et Marie sortent dans le jardin
pour accompagner un homme plutôt âgé, d’aspect très digne et je dirais que ce n’est pas un hébreu
car il a le visage complètement rasé comme les romains.
Une fois qu’ils sont un peu éloignés de la maison, Marie lui demande : « Eh bien, Nicomède ?
Que dis-tu de notre frère ? Nous le voyons très … malade…. Parle. »
L’homme ouvre les bras dans un geste de commisération qui constate le caractère inéluctable du
fait, et il dit en s’arrêtant : « Il est très malade…. Je ne vous ai jamais trompées depuis les premiers
temps où je l’ai soigné. J’ai tout essayé, vous le savez. Mais cela n’a pas servi. J’ai aussi … espéré,
oui, j’ai espéré qu’il pourrait au moins vivre en réagissant contre l’épuisement de la maladie grâce à
la bonne nourriture et aux cordiaux que je lui préparais. J’ai aussi essayé des poisons indiqués pour
préserver le sang de la corruption et pour soutenir les forces selon les vieux principes des grands
maîtres de la médecine. Mais le mal est plus fort que les remèdes employés. Ces maladies sont une
sorte de corrosion. Elles détruisent, et quand elles apparaissent à l’extérieur, l’intérieur des os est
déjà envahi. Comme la sève d’un arbre monte du bas jusqu’au sommet, ainsi, dans ce cas, la
maladie s’est étendue depuis le pied à tout le corps… »
« Mais il n’a que les jambes de malades… » dit Marthe en gémissant.
« Oui. Mais la fièvre détruit là où vous pensez qu’il n’y a que la santé. Regardez cette petite
branche tombée de cet arbre : elle paraît rongée ici près de la cassure. Mais, voilà… (il la brise entre
ses doigts). Voyez-vous ? Sous l’écorce lisse, il y a la carie jusqu’à l’extrémité qui semble encore
vivante parce qu’il y a encore des petites feuilles. Lazare, désormais est.. mourant, pauvres sœurs !
Le Dieu de vos pères, les dieux et les demi-dieux de notre médecine n’ont rien pu faire… ou voulu
faire…. Je parle de votre Dieu… Et donc …oui, je prévois que désormais la mort est très proche à
cause aussi de l’augmentation de la fièvre, symptôme de la corruption entrée dans le sang, des
mouvements désordonnés du cœur et de l’absence de stimulations et de réactions chez le malade et
dans tous les organes. Vous voyez ! Il ne sourit plus, il ne retient pas le peu qu’il prend, et il
n’assimile pas ce qu’il retient. C’est la fin…
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Et –croyez à un médecin qui vous est reconnaissant en souvenir de Théophile- et ce qu’il faut plutôt
désirer, c’est la mort désormais … Ce sont des maux effroyables. Depuis des milliers d’années ils
détruisent l’homme et l’homme n’arrive pas à les détruire. Les dieux seulement le pourraient si … »
Il s’arrête, les regarde en passant ses doigts sur son menton rasé. Il réfléchit puis il dit : « Pourquoi
n’appelez-vous pas le Galiléen ? C’est votre ami. Lui peut, car il peut tout. J’ai contrôlé des
personnes qui étaient condamnées et qui sont guéries. Il sort de Lui une force étrange. Un fluide
mystérieux qui ranime et rassemble les réactions dispersées et leur impose de vouloir guérir… Je ne
sais pas. Je sais que j’ai suivi aussi, en restant mêlé à la foule, et j’ai vu des choses merveilleuses….
Appelez-le. Moi, je suis un gentil, mais j’honore le Thaumaturge mystérieux de votre peuple. Et je
serais heureux si Lui pouvait ce que moi je n’ai pas pu. »
« Lui est Dieu, Nicomède. Il peut donc tout. La force que tu appelles fluide, c’est sa volonté de
Dieu » dit Marie.
« Je ne me moque pas de votre foi. Au contraire je la pousse à grandir jusqu’à l’impossible. Du
reste… On lit que les dieux sont descendus parfois sur la Terre. Moi… je n’y avais jamais cru…
Mais avec la science et la conscience d’homme et de médecin, je dois dire qu’il en est ainsi, car le
Galiléen opère des guérisons que seul un dieu peut opérer. »
« Non pas un dieu, Nicomède. Le vrai Dieu » insiste Marie.
« C’est bien. Comme tu veux. Et moi j’e croirai en Lui et je deviendrai son disciple si je vois que
Lazare… ressuscite. Car désormais, plutôt que de guérison, c’est de la résurrection qu’il faut parler.
Appelez-le donc et d’urgence… car, si je ne suis pas devenu idiot, il mourra tout au plus d’ici le
troisième crépuscule à partir de celui-ci. J’ai dit ‘tout au plus’ . Ce pourrait être avant, désormais.. »
« Oh ! si nous pouvions ! Mais nous ne savons pas où il est… » dit Marthe.
« Moi, je le sais. C’est un de ses disciples qui me l’a dit et qui allait le rejoindre en accompagnant
des malades, et deux étaient des miens. Il est au-delà du Jourdain, près du gué. C’est ce qu’il a dit.
Vous, peut-être, savez mieux l’endroit. »
« Ah ! dans la maison de Salomon, certainement ! » dit Marie.
« C’est très loin ? »
« Non, Nicomède. »
« Et alors, envoyez-lui tout de suite un serviteur pour Lui dire de venir. Je vais revenir plus tard et
je reste ici pour voir son action
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sur Lazare. Salut, dominae. Et … réconfortez-vous mutuellement. »
Il s’incline et s’en va vers la sortie où un serviteur l’attend pour tenir son cheval et lui ouvrir le
portail.
« Que faisons-nous, Marie ? » demande Marthe après avoir vu partir le médecin.
« Nous obéissons au Maître. Il a dit de le faire appeler après la mort de Lazare. Et nous le
ferons. »
« Mais, une fois qu’il va être mort… à quoi servira-t-il d’avoir le Maître ici ? Pour notre cœur,
oui, ce sera utile. Mais pour Lazare !... J’envoie un serviteur l’appeler. »
« Non. Tu détruirais le miracle. Lui a dit de savoir espérer et croire contre toute réalité contraire.
Et si nous le faisons, nous aurons le miracle, j’en suis sûre. Si nous ne savons pas le faire, Dieu nous
laissera avec notre présomption de vouloir faire mieux que Lui, et Il ne nous accordera rien. »
« Mais tu ne vois pas combien souffre Lazare ? Tu ne te rends pas compte comment, dans le
moment où il est conscient, il désire le Maître ? Tu n’as pas de cœur, toi de refuser cette dernière
joie à notre pauvre frère !... Notre pauvre frère !.Notre pauvre frère !..Bientôt nous n’aurons plus de
frère ! Plus de père, plus de mère, plus de frère ! La maison détruite, et nous seules, comme deux
palmiers dans un désert. » Elle est prise d’une crise de douleur, je dirais même d’une crise de nerfs
toute orientale, et elle s’agite, se frappe le visage et se décoiffant.
Marie la saisit, lui impose : « Tais-toi ! Tais-toi ! te dis-je ! Il peut entendre. Je l’aime plus et
mieux que toi et je sais me dominer. Tu sembles une femmelette malade. Tais―toi, dis-je ! Ce n’est
pas par cette agitation que l’on change les destinées, ni non plus que l’on émeut les cœurs. Si tu le
fais pour émouvoir le mien, tu te trompes. Penses-y bien. Le mien se brise dans l’obéissance. Mais
il tient bon par elle. »
Marthe, dominée par la force de sa sœur et par ses paroles, se calme quelque peu. Mais dans sa
douleur, plus calme maintenant, elle gémit en appelant sa mère : « Maman ! Oh ! Maman !,
console-moi. Il n’y a plus d paix en moi depuis que tu es morte. Si tu étais ici, maman ! Si le
chagrin ne t’avait pas tuée ! Si tu étais ici, tu nous guiderais et nous t’obéirons pour le bien de
tous… Oh !... »
Marie change de couleur. Sans faire de bruit elle pleure le visage angoissé et se tordant les mains
sans parler.
Marthe la regarde et elle dit : « Notre mère, quand elle fut près de mourir, me fit promettre que je
serais un mère pour Lazare. Si
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elle était ici !
« Elle obéirait au Maître, car c’était une femme juste. C’est inutilement que tu essaies de
m’émouvoir. Dis-moi donc que j’ai assassiné ma mère par les douleurs que je lui ai données. Je te
dirai : ‘Tu as raison’. Mais si tu veux me faire dire que tu as raison de vouloir le Maître, je te dis :
‘Non’. Et je dirai toujours : ‘Non’. Et je suis certaine que du sein d’Abraham elle m’approuve et me
bénit. Allons à la maison ! »
« Plus rien ! Plus rien ! »
« Tout ! C’est tout que tu devrais dire. En vérité tu écoutes le Maître et tu sembles attentive
pendant qu’Il parle, mais ensuite tu ne te rappelles pas ce qu’Il dit. Ne nous a-t-il pas toujours dit
qu’aimer et obéir nous rend fils de Dieu et héritiers de son Royaume ? Et alors comment peux-tu
dire que nous allons rester sans plus rien, si nous avons Dieu et si nous possédons le Royaume grâce
à notre fidélité ? Oh ! comme, en vérité, il faut être absolues, comme je l’ai été, dans le mal, pour
pouvoir être aussi, et savoir, et vouloir être absolues dans le bien, dans l’obéissance, dans
l’espérance, dans la foi, dans l’amour !... »
« Tu permets aux juifs de se moquer du Maître et de faire des insinuations sur son compte. Tu les
as entendus avant-hier.. »
« Et tu pense encore aux croassements de ces corneilles et aux cris de ces vautours ? Mais laisse-
les cracher ce qu’ils ont en eux ! Que t’importe le monde ? Qu’est le monde par rapport à Dieu ?
Regarde : moins que ce taon dégoûtant, engourdi par le froid ou empoisonné par avoir sucé des
ordures et que j’écrase ainsi » et elle donne un énergique coup de talon à un taon qui chemine
lentement sur le gravier du sentier. Puis elle prend Marthe par les bras en disant : « Allons, viens à
la maison et … »
« Au moins faisons le savoir au Maître. Envoyons Lui dire qu’il est mourant, sans dire autre
chose… »
« Comme s’Il avait besoin de l’apprendre de nous ! Non, je te l’ai dit. C’est inutile. Lui a dit :
‘Quand il sera mort, faits-le moi savoir’. Et nous le ferons. Pas avant. »
« Personne, personne n’a pitié de ma douleur ! Et toi moins que tous… »
« Et cesse de pleurer ainsi. Je ne puis le supporter…. » dans sa douleur elle se morde les lèvres
pour se donner du courage à sa sœur et ne pas pleurer elle aussi.
Marcelle sort en courant de la maison, suivie de Maximin : « Marthe ! Marie ! Accourez ! Lazare
est mal, il ne répond plus… »
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Les deux sœurs arrivent en courant pour entrer dans la maison… et après un moment, on entend la
forte voix de Marie qui donne des ordres pour les secours qui s’imposent et on voit les serviteurs
qui accourent avec des cordiaux et des bassins d’eau bouillante, et on entend des chuchotements et
on voit des gestes de douleur…
La calme revient tout doucement après tant d’agitation. On voit les serviteurs qui parlotent entre
eux, moins agités, mais qui ponctuent leurs dires par des gestes qui marquent un grand
découragement. Certains hochent la tête, d’autres ouvrent les bras et les lèvent vers le ciel comme
pour dire : « C’est ainsi », d’autres pleurent et d’autres encore veulent espérer un miracle.
Voici de nouveau Marthe, pâle comme une morte. Elle regarde derrière elle pour voir si on la suit.
Elle regarde les serviteurs qui se serrent anxieux autour d’elle. Elle se tourne pour regarder si de la
maison il sort quelqu’un pour la suivre. Puis elle dit à un serviteur : « Toi ! Viens avec moi. »
Le serviteur se détache du groupe et la suit vers la tonnelle des jasmins et y entre. Marthe parle
sans quitter des yeux la maison qu’elle peut voir à travers l’entrelacement des branches : « Ecoute
bien. Quand tous les serviteurs vont être rentrés, et que leur aurai donné les ordres pour qu’ils soient
occupés dans la maison, tu iras aux écuries, tu prendras un cheval des plus rapides, tu le selleras…
Si par hasard quelqu’un te voit, dis que tu vas chercher le médecin… Tu ne mens pas et je ne
t’apprends pas à mentir car vraiment j t’envoie au Médecin béni… Prends avec toi de l’avoine pour
la bête et de la nourriture pour toi et cette bourse pour tout ce qui pourrait arriver. Sors de la petite
porte et passe par les champs labourés pour que les sabots ne fassent pas de bruit. Eloigne-toi de la
maison, puis prends la route de Jéricho et galope sans jamais t’arrêter, même la nuit. As-tu
compris ? Sans jamais t’arrêter. La nouvelle lune éclaira ta route si l’obscurité vient pendant que tu
galopes encore. Pense que la vie de ton Maître est entre tes mains et dépend de ta rapidité. Je me fie
à toi. »
« Maîtresse, je te servirai comme un esclave fidèle. »
« Va au gré de Béthabara. Passe-le et va au village après Béthanie d’au-delà le Jourdain. Sais-tu ?
Là où Jean Baptiste baptisait au début. »
« Je sais. J’y suis allé moi aussi pour me purifier. »
« Dans ce village se trouve le Maître. Tout le monde t’indiquera la maison où il habite. Mais, si au
lieu de suivre la route principale, tu suis les rives du fleuve, cela vaut mieux. On te voit moins et tu
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trouves la maison par toi-même. C’est la première de l’unique route du village qui va de la
campagne au fleuve. Tu ne peux te tromper : une maison baisse, sans terrasse ni chambre du haut,
avec le jardin qui se trouve, quand on vient du fleuve, avant la maison, un jardin fermé par un petit
portail de bois et une haie d’aubépine, je crois, une haie, en somme. Tu as compris ? Répète. »
Le serviteur répète patiemment.
« C’est bien. Demande de parler avec lui, avec Lui seul, et dis Lui que tes maîtresses t’envoient
pour Lui dire que Lazare est très malade, qu’il va mourir, que nous n’en pouvons plus, que Lazare
veut le voir et qu’Il vienne tout de suite, tout de suite par pitié. As-tu bien compris ? »
« J’ai compris, maîtresse. »
« Et ensuite, reviens tout de suite, de façon que personne ne remarque trop ton absence. Prends
une lanterne avec toi pour les heures sombres. Va, cours, galope, crève le cheval, mais reviens vite
avec la réponse du Maître. »
« Je le ferai, maîtresse. »
« Va ! Va ! Et que Dieu soit avec toi. Va ! »
Elle le pousse, anxieuse,et puis court rapidement à la maison en prenant toutes les précautions et
tout de suite se glisse au dehors par une porte secondaire, du côté sud, avec un petit sac dans les
mains, rase une haie jusqu’à la première ouverture, tourne, disparaît…

4. LA MORT DE LAZARE

On a ouvert toutes les portes et toutes les fenêtres de la pièce de Lazare pour lui rendre moins
difficile la respiration. Autour de lui, absent, dans le coma –un lourd coma qui rassemble à la mort
dont il ne diffère que par le mouvement de la respiration. Sont les deux sœurs, Maximin, Marcelle
et Noémi, attentifs au plus léger mouvement du mourant.
Chaque fois qu’une contraction de douleur déforme la bouche, et qu’il semble qu’elle s’apprête à
parler, ou que les yeux se découvrent par un mouvement des paupières, les deux sœurs se pen-
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chent pour saisir une parole, un regard… Mais c’est inutile. Ce ne sont que les actes incordonnés,
indépendants de la volonté et de l’intelligence, qui toutes les deux sont désormais inertes, perdues.
Des actes qui viennent de la souffrance de la chair, comme vient d’elle la sueur qui rend brillant le
visage du mourant et le tremblement qui par intervalles secoue les doigts squelettiques et en
contracte les articulations. Les deux sœurs l’appellent aussi, avec dans leur voix tout leur amour.
Mais le nom et l’amour se heurtent aux barrières de l’insensibilité de l’intelligence et, comme
réponse à leur appel, le silence de la tombe.
Noémi, toute en pleurs, continue de mettre contre les pieds, certainement gelés, des briques
enveloppées dans des bandes de laine. Marcelle tient dans ses mains une coupe dans laquelle trempe
un linge fin dont Marthe se sert pour humecter les lèvres desséchées de son frère. Marie, avec un
autre linge, essuie la sueur abondante qui ruisselle du visage squelettique et baigne les mains du
mourant. Maximin, appuyé à un chiffonnier élevé et sombre, près du lit du mourant, observe
débout, par derrière Marie penchée sur son frère.
Rien d’autre. Un silence absolu, comme s’ils étaient dans une maison vide, dans un lieu désert.
Les servantes qui apportent les briques chaudes ont les pieds nus et marchent sans faire de bruit sur
le dallage. Elles semblent des apparitions.
Marie dit à un moment donné : « Il me semble que la chaleur revient dans les mains. Regarde,
Marthe, ses lèvres sont moins pâles. »
« Oui. Même la respiration est plus libre. Je le regarde depuis un moment » observe Maximin.
Marthe se penche et l’appelle doucement mais intensément : « Lazare ! Lazare ! Oh ! regarde,
Marie ! Il a eu comme un sourire et un battement des paupières. Il va mieux, Marie ! Il va mieux !
Quelle heure avons-nous ? »
« Nous avons dépassé d’un moment le crépuscule. »
« Ah » et Marthe se redresse en serrant ses mains sur sa poitrine, en levant les yeux dans un geste
visible de muette mais confiante prière. Un sourire éclaire son visage.
Les autres la regardent étonnés et Marie lui dit : « Je ne vois pourquoi doit te rendre heureuse le
fait d’avoir dépassé le crépuscule… » et elle la scrute, soupçonneuse, anxieuse.
Marthe ne répond pas, mais reprend la pose qu’elle avait avant. Une servante entre avec les
briques qu’elle passe à Noémi.
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Marie lui commande : « Apporte deux lampes. La lumière baisse et je veux voir. » La servante sort
sans bruit et revient de suite avec deux lampes allumés. Elle en met une sur le chiffonnier, sur
lequel s’appuie Maximin, et l’autre sur une table encombrée de bandes et de petites amphores,
placée de l’autre côté du lit.
« Oh ! Marie ! Marie ! regarde ! Il est vraiment moins pâle. »
« Et il parait moins épuisé. Il se réanime » dit Marcelle.
« Donnez-lui encore une goutte de ce vin aromatisé qu’a préparé Sara. Il lui a fait du bien »
suggère Maximin.
Marie prend sur le dessus du chiffonnier une petite amphore au col très fin en forme de bec
d’oiseau, et avc précaution elle fait descendre une goutte de vin dans les lèvres entrouvertes.
« Va doucement, Marie. Qu’il n’étouffe pas ! » conseille Noémi.
« Oh ! Il aval ! Il l cherche ! Regarde, Marthe ! Regarde ! Il tire la langue pour chercher… »
Tous se penchent pour regarder et Noémi l’appelle : « Trésor ! Regarde ta nourrice, âme
sainte ! ». Et elle s’avance pour le baiser.
« Regarde, Noémi ! Il boit la larme ! Elle est tombée près des lèvres et il l’a sentie, il l’a cherchée
et avalée. »
« Oh ! Ma joie ! Si j’avais mon lait d’autrefois, je te le ferai passer goutte à goutte dans la bouche,
mon agnelet, même si je devais m’épuiser le cœur et mourir ensuite ! » Je comprends que Noémi,
nourrice de Marie, a été aussi la nourrice de Lazare.
« Maîtresses, Nicomède est revenu » dit un serviteur en apparaissant sur le seuil.
« Qu’il vienne ! Qu’il vienne ! Il nous aidera à le réanimer. »
« Observez ! Observez ! Il ouvre les yeux, il remue les lèvres » dit Maximin.
« Il me serre les doigts avec ses doigts ! » crie Marie et elle se penche pour dire : « Lazare,
m’entends-tu ? Qui suis-je ? »
Lazare ouvre réellement les yeux et il regarde : un regarde vague, voilé, mais c’est toujours un
regard. Il remue les lèvres non sans peine et il dit : « Maman ! »
« Je suis Marie. Marie ! Ta sœur ! »
« Maman ! »
« Il ne te reconnaît pas et il appelle sa mère. Les mourants, c’est toujours ainsi » dit Noémi, le
visage baigné de larmes.
« Mais il parle, après si longtemps, il parle. Et c’est déjà beaucoup !... Ensuite, il ira mieux. Oh !
mon Seigneur, récompense ta servante ! » dit Marthe avec encore ce geste de fervente et confiante
prière.
22
« Mais que t’est-il arrivé ? Peut-être as-tu vu le Maître ? T’est-il apparu ? Dis-le moi, Marthe !
Tire-moi d’angoisse ! » dit Marie.
L’entrée de Nicomède empêche la réponse. Tous s’adressent à lui pour lui raconter comment,
après son départ, l’état de Lazare s’était aggravé au point d’être mourant, et qu’on l’avait cru déjà
mort, et puis comment, avec des soins, on l’avait fait revenir mais pour la respiration seulement. Et
comment depuis peu, après qu’une de leurs femmes avait préparé du vin aromatisé, la chaleur lui
était revenue et il avait avalé et cherché à boire et avait aussi ouvert les yeux et parlé…
Ils parlent tous ensemble avec leurs espoirs rallumés qui se heurte à la tranquillité quelque peu
sceptique du médecin qui les laisse parler sans dire un mot.
Finalement ils ont terminé et le médecin dit : « C’est bien. Laissez-moi voir. » Il les écarte pour
s’approcher du lit et en ordonnant d’apporter les lampes et de fermer la fenêtre, parce qu’il veut
découvrir le malade. Il se penche sur lui, l’appelle, l’interroge, fait passer la lampe devant le visage
de Lazare qui maintenant a les yeux ouverts et semble comme étonné de tout. Ensuite il le
découvre, étudie sa respiration, les battements du cœur, la température et la rigidité des membres…
Tous sont anxieux dans l’attente de ce qu’il va dire. Nicomède recouvre le malade, le regarde
encore, réfléchit, puis il se tourne pour regarder ceux qui sont là et il dit : « Il est indéniable qu’il a
repris de la vigueur. Actuellement il va mieux que quand je l’ai vu, mais ne vous faits pas
d’illusion. Ce n’est qu’une remissions. J’en suis tellement certain, comme je l’étais qu’il s’approche
de sa fin que, comme vous le voyez, je suis revenu, après m’être dégagé de tout occupation, pour lui
rendre la mort moins pénible pour autant qu’il m’est permis de faire… ou pour voir le miracle si …
Avez-vous pourvu ? »
« Oui, oui, Nicomède » interrompt Marthe, et pour empêcher toute autre parole, elle dit : « Mais
n’avais tu dit que … d’ici trois jours … Moi … » Elle pleure.
« Je l’ai dit. Je suis un médecin. Je vis au milieu des agonies et des pleurs. Mais l’habitude de voir
les douleurs ne m’a pas encore donné un cœur de pierre. Et aujourd’hui… je vous ai préparées…
par un terme suffisamment long… et vague… Mais ma science me disait que la solution était plus
rapide et mon cœur mentait pour vous tromper par pitié…. Allons ! Soyez courageuses… Sortez…
On ne sait jamais jusqu’à quel point les mourants entendent… » Il les pousse dehors, toutes en
pleurs, en répétant : « Soyez courageuses !
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Soyez courageuses ! »
Près du mourant reste Maximin… le médecin aussi s’est éloigné pour préparer des médicaments,
susceptibles de rendre moins angoissée l’agonie, que dit il : « Je prévois très douloureuse… »
« Fais-le vivre jusqu’à demain. Il va faire nuit. Tu vois, ô Nicomède. Qu’est-ce pour ta science de
tenir une vie éveillée pour moins d’un jour ? Fais-le vivre. »
« Domina, je fais ce que je puis. Mais quand la mèche est à bout, il n’y a plus rien pour maintenir
la flamme ! » répond le médecin et il s’en va.
Les deux sœurs s’embrassent et elles pleurent désolées, et celle qui pleure le plus, maintenant,
c’est Marie. L’autre a son espérance au cœur…
La voix de Lazare arrive de la pièce. Forte, impérieuse. Elle les fait tressaillir, inattendue qu’elle
est dans tant de langueur. Il les appelle : « Marthe ! Marie ! Où êtes-vous ? Je veux me lever,
m’habiller ! Dire au Maître que je suis guéri ! Je dois aller trouver le Maître ! Un char ! Tout de
suite. Et un cheval rapide. Certainement c’est Lui qui m’a guéri… » Il parle rapidement, en
marquant les mots, assis sur son lit, brûlé par la fièvre, cherchant à sauter du lit, empêché de le faire
par Maximin qui dit aux femmes qui entrent en courant : « Il délire ! »
« No ! Laissez-le. Le miracle ! Le miracle ! Oh ! Je suis heureuse de l’avoir suscité ! Dès que
Jésus a su, Dieu des pères, sois béni et loué pour ta puissance et ton Messie… » Marthe, tombée à
genoux, est ivre de joie.
Pendant ce temps Lazare continue, toujours plus pris par la fièvre. Marthe ne comprend pas que
c’est la cause de tout : « Il est venu tant de fois me voir malade, il est juste que j’aille le trouver
pour Lui dire : ‘Je suis guéri’. Je suis guéri ! Je n’ai plus de douleurs ! je suis fort. Je veux me lever.
Aller. Dieu a voulu éprouver ma résignation, on m’appellera le nouveau Job… » Il prend un ton
hiératique en faisant des grands gestes : « ‘Le Seigneur s’émut de la pénitence de Job… et lui rendit
le double de ce qu’il avait eu. Et le Seigneur bénit les dernières années de Job, plus encore que les
premières…et il vécut jusqu’à… ? Mais non, je ne suis pas Job ! J’étais dans les flammes et m’en a
retiré, j’étais dans le ventre du monstre et je suis revenu à la lumière. Je suis donc Jonas, et les trois
enfants de Daniel… »
Le médecin survient, appelé par quelqu’un. Il observe : « C’est le délire. Je m’y attendais. La
corruption du sang brûle le cerveau. » Il
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s’efforce de le recoucher et recommande de le tenir, puis il retourne dehors, à ses décotions.
Lazare se fâche un peu qu’on le tienne et entre-temps se met à pleurer comme un enfant.
« Il délire vraiment » dit Marie en gémissant.
« Non. Personne ne comprend rien. Vous ne savez pas croire. Mais oui ! Vous ne savez pas… A
cette heure, le Maître sait que Lazare est mourant. Oui, je l’ai fait, Marie ! Je l’ai fait sans rien te
dire… »
« Ah ! malheureuse ! Tu as détruit le miracle » crie Marie.
« Mais non ! Tu le vois, il a commencé à aller mieux à l’heure où Jonas a rejoint le Maître. Il
délire… Certainement … Il est faible, et il a encore le cerveau obnubilé par la mort qui déjà le
tenait. Mais c n’est pas le délire que le médecin croit. Ecoute-le ! Est-ce que ce sont des paroles de
délire ? »
En effet Lazare dit : « J’ai incliné ma tête au décret d mort et j’ai goûté combien il est amer de
mourir. Et voilà que Dieu s’est dit satisfait d ma résignation et me rend à la vie et à mes sœurs. Je
pourrai encore servir le Seigneur et me sanctifier avec Marthe et Marie… Avec Marie ! Qu’est-ce
Marie ? Marie c’est le don de Jésus au pauvre Lazare. Il me l’avait dit… Combien de temps depuis
lors ! ‘Votre pardon fera plus que tout. Il m’aidera.’ Il me l’avait promis : ‘Elle sera ta joie’. Et ce
jour que j’étais fâché parce qu’elle avait amené sa honte ici, près du Saint, quelles paroles pour
l’inviter au retour! La Sagesse et la Charité s’étaient unies pour toucher son cœur… Et l’autre jour,
qu’il me trouva à m’offrir pour elle, pour sa rédemption ? … Je veux vivre, pour jouir d’elle qui est
rachetée ! Je veux louer avec elle le Seigneur ! Fleuves de larmes, affronts, honte, amertume… tout
m’a pénétré et a tué ma vie par sa faute…. Voici le feu, le feu de la fournaise ! Il revint, avec le
souvenir… Marie de Théophile et d’Euchérie, ma sœur : la prostituée. Elle pouvait être reine et elle
s’est rendue fange, une fange que même le porc piétine. Et ma mère qui meurt. Et ne plus pouvoir
aller parmi les gens sans devoir supporter leurs mépris. A cause d’elle ! Où es-tu, malheureuse ? Le
pain te manquait, peut-être, pour que tu te vendes comme tu t’es vendue ? Qu’as-tu sucé au sein de
ta nourrice ? Ta mère, que t’a-t-elle enseigné ? L’une de la luxure’ L’autre le péché ? Va-t-en !
Déshonneur de notre maison ! »
Sa voix est un cri. Il semble fou. Marcelle et Noémi se hâtent de fermer hermetiquement les portes
et de descendre les lourds rideaux pour atténuer la résonance, alors que le médecin, revenu dans la
pièce, s’efforce inutilement de calmer le délire qui devient
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de plue en plus furieux.
Marie, jetée à terre comme une loque, sanglote sous l’inexorable accusation du mourant qui
continue : « Un, deux, dix amants. L’opprobre d’Israël passait de bras en bras… Sa mère mourait.
Elle frémissait dans ses amours obscènes. Bête fauve ! Vampire ! Tu as sucé la vie de ta mère ! Tu
as détruit notre joie. Marthe sacrifiée à cause de toi. On n’épouse pas la sœur d’une courtisane.
Moi… Ah ! moi ! Lazare cavalier, fils de Théophile… Sur moi crachaient les gamins d’Orphel !!
‘Voilà le complice d’une adultère et d’une immonde’ disaient scribes et pharisiens et ils secouaient
leurs vêtements pour marquer qu’ils repoussaient le péché dont j’étais souillé à son contact ! ‘Voici
le pécheur ! Celui qui ne sait pas frapper la coupable est coupable lui aussi’ criaient les rabbis quand
je montais au Temple, et moi je suais sous le feu des pupilles des prêtres… Le feu ! Toi ! Tu
vomissais le feu que tu avais en toi car tu es un démon, Marie. Tu es dégoûtante. Tu es l’anathème.
Ton feu prenait tous, car il était fait de nombreux feux et il y en avait pour les luxurieux qui
paraissaient des poissons pris au tramail, quand tu passais… Pourquoi ne t’ai-je pas tuée ? Je
brûlerai dans la Géhenne pour t’avoir laissée vivre en ruinant tant de familles, en donnant du
scandale à mille… Qui dit :’Malheur à celui par qui vient le scandale’ ? Qui le dit ? Ah ! Le
Maître ! Je veux le Maître ! Je le veux ! Pour qu’Il me pardonne. Je veux Lui dire que je ne pouvais
pas la tuer parce que je l’aimais. .. Marie était le soleil de notre maison…. Je veux le Maître !
Pourquoi n’est-il pas ici ? Je ne veux pas vivre ! Mais avoir le pardon du scandale que j’ai donné en
laissant vivre le scandale. Je suis déjà dans les flammes. C’est le feu de Marie. Il m’a pris. Il prenait
tout le monde. Afin de donner de la luxure pour elle, de la haine pour nous, et brûler ma chair. Au
loin ces couvertures, au loin tout ! J suis dans le feu. Il m’a pris chair et esprit. Je suis perdu à cause
d’elle. Maître ! Maître ! Ton pardon ! Il ne vient pas. Il ne peut pas venir dans la maison de Lazare.
C’est une fosse à fumier à cause d’elle. Alors… je veux oublier. Tout. Je ne suis plus Lazare.
Donnez-moi du vin. Salomon le dit : ‘Donnez du vin à ceux qui ont le cœur déchiré, qu’ils boivent
et oublient leur misère et qu’ils ne se rappellent plus leur douleur’. Je ne veux plus me rappeler. Ils
disent tous : ‘Lazare est riche, c’est l’homme le plus riche de la Judée’. Ce n’est pas vrai. Tout n’est
que paille. Ce n’est pas or. Et les maisons ? Des nouages. Les vignes, les oasis, les jardins, les
oliveraies ? Rien. Tromperie. Je suis Job. Je n’ai plus rien. J’avais une perle. Belle ! De valeur
infinie. C’était mon
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orgueil. Elle s’appelait Marie. Je ne l’ai plus. Je suis pauvre. Le plus pauvre de tous. De tous le plus
trompé… Même Jésus m’a trompé. Car Il m’avait dit qu’Il me l’aurait rendue, et au contraire elle…
Où est-elle ? La voilà. On dirait une courtisane païenne, la femme d’Israël, fille d’une sainte ! A
demi nue, ivre, folle… Et autour… les yeux fixés sur le corps nu de ma sœur, la meute de ses
amants… Et elle rit d’être admirée et convoité ainsi. Je veux réparer mon crime. Je veux aller à
travers Israël pour rire : ‘N’allez pas chez ma sœur. Sa maison, c’est le chemin de l’enfer, et il
descend dans les abîmes de la mort’. Et puis je veux aller la trouver et la piétiner, car il est dit :
‘Toute femme impudique sera piétinée comme une ordure sur le chemin’. Oh ! Tu as le courage de
te montrer à moi qui meurs déshonoré, détruit par toi ? A moi qui ai offert ma vie pour le rachat de
ton âme, et sans résultat ? Comment je te voulais, dis-tu ? Comment je te voulais pour ne pas mourir
ainsi ? Voici comment je te voulais : comme Suzanne, la chaste. Tu dis qu’ils t’ont tentée ? Et
n’avais pas tu un frère pour te défendre ? Suzanne elle-même, a répondu : ‘Il vaut mieux pour moi
tomber entre vos mains que de pécher en présence du Seigneur’, et Dieu fit briller sa candeur. Moi,
je les aurais dites les paroles contre ceux qui te tentaient et je t’aurais défendue. Mais toi ! Tu t’en
es allée. Judith était veuve, et elle vivait seule dans sa pièce écartée, portant le cilice sur ses côtés et
jeûnant, et elle était en grande estime auprès de tous parce qu’elle craignait le seigneur, et d’elle on
chante : ‘Tu es la gloire de Jérusalem, la joie d’Israël, l’honneur de notre peuple parce que tu as
aimé la chasteté et qu’après ton mariage tu n’as pas connu d’autre homme. A cause de cela, le
seigneur t’a rendue forte et tu seras bénie éternellement’. Si Marie avait été comme Judith, le
Seigneur m’aurait guéri. Mais il ne l’a pas pu à cause d’elle. C’est pour cela que je n’ai pas
demandé de guérir. Il ne peut y avoir de miracle là où elle est. Mais mourir, souffrir, ce n’est pas
rien. Dix et dix fois plus, une mort et une mort pour qu’elle se sauve. Oh ! Seigneur Très-Haut !
Toutes les morts ! Toute la douleur ! mais Marie sauvée ! Jouir d’elle une heure, une seule heure !
D’elle redevenue sainte, pure comme dans son enfance ! Une heure de cette joie ! Me glorifier
d’elle, la fleur d’or de ma maison, la gentille gazelle aux doux yeux, le rossignol du soir,
l’amoureuse colombe… Je veux le Maître pour Lui dire que je veux cela : Marie ! Marie ! Viens !
Marie ! Quelle douleur a ton frère, Marie ! Mais si tu viens, si tu te rachètes, ma douleur devient
douce. Cherchez Marie ! C’est la
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fin ! Je meurs ! Marie ! Faites de la lumière ! De l’air… je.. J’étouffe… Oh ! quelle chose je
ressens !... »
Le médecin fait un geste et dit : « C’est la fin. Après le délire, la torpeur et puis la mort. Mais il
peut avoir un réveil de l’intelligence. Approchez-vous, toi surtout. Il en aura de la joie » et, après
avoir recouché Lazare, épuisé après tant d’agitation, il va trouver Marie qui n’a pas cessé de pleurer
par terre en gémissant : « Faites-le taire ! ». Il la relève et l’amène au lit.
Lazare a fermé les yeux, mais il doit souffrir atrocement. Ce n’est qu’un frémissement et
contraction. Le médecin essaie de le secourir avec des potions… Il se passe ainsi un certain temps.
Lazare ouvre les yeux. Il parait avoir oublié ce qu’il était auparavant, mais il est conscient. Il
sourit à ses sœurs et cherche à prendre leurs mains, à répondre à leurs baisers. Il pâlit mortellement.
Il gémit : « J’ai froid… » et il claque des dents en cherchant à se couvrir jusqu’à la bouche. Il
gémit : « Nicomède, je ne résiste plus à la souffrance. Les loups m’écharnent les jambes et me
dévorent le cœur. Quelle douleur ! Et si l’agonie est ainsi, que sera la mort ? Comment faire ? Oh !
si j’avais le Maître ici ! Pourquoi ne me l’a-t-on pas amené ? Je serai mort heureux sur son sein.. » il
pleure.
Marthe regarde Marie sévèrement. Marie comprend son coup d’œil et, encore accablé par le délire
de son frère, elle se trouve prise de remords. Elle se penche, agenouillée comme elle l’est contre le
lit, pour baiser la main de son frère et elle gémit : « C’est moi la coupable. Marthe voulait le faire
depuis deux jours déjà. Mais je n’ai pas voulu, car Lui nous avait dit de ne le prévenir qu’après ta
mort. Pardonne-moi ! Toute la douleur de la vie, je t’ai donné… Et pourtant je t’ai aimé et je t’aime,
frère,. Après le Maître, c’est toi que j’aime plus que tous, et Dieu voit que je ne mens pas. Dis-moi
que tu m’absous du passé, donne-moi la paix… »
« Domina ! » rappelle le médecin. « Le malade n’a pas besoin d’émotions. »
« C’est vrai… Dis-moi que tu me pardonnes de t’avoir refusé Jésus… »
« Marie ! C’est pour toi que Jésus est venu ici… et c’est pour toi qu’il y vient… car tu as su aimer
plus que tous… Tu m’as aimé plus que tous… Une vie .. de délices ne m’aurait pas … ne m’aurait
pas donné la … joie dont tu m’as fait jouir… Je te bénis … Je te dis.. que tu as bien fait.. d’obéir à
Jésus… Je ne savais pas… Je sais… Je dis.. c’est bien… Aidez-moi à mourir !... Noémi… tu étais
capable de …. Me faire dormir… autrefois…. Marthe… bénie… ma paix…
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Maximin… avec Jésus. Aussi … pour moi … Ma part … aux pauvres… à Jésus … pour les
pauvres…. Et pardonnez … à tous… Ah ! quels spasmes ! … De l’air !... De la lumière !... Tout
tremble… Vous avez comme une lumière autour de vous et elle m’éblouit quand… je vous
regarde… Parlez … fort… » Il a mis sa main gauche sur la tête de Marie, et il a abandonné la droite
dans les mains de Marthe. Il halète…
On le soulève avec précaution pour ajouter des oreillers, et Nicomède lui fait prendre encore des
gouttes de potion. Sa pauvre tête s’enfonce et retombe dans un abandon mortel. Toute sa vie est
dans la respiration. Pourtant il ouvre les yeux et regarde Marie qui soutient sa tête, et il lui sourit en
disant : « Maman ! Elle est revenue…. Maman ! parle ! Ta voix. Tu sais … le secret … de Dieu…
Ai-je servi … le Seigneur ? »
Marie, d’une voix rendue blanche par la peine, murmure : « Le Seigneur te dit : ‘Viens avec Moi,
serviteur bon et fidèle, car tu as écoutés toutes mes paroles et aimé le Verbe que j’ai envoyé’. »
« Je n’entends pas ! Plus fort ! »
Marie répète plus fort…
« C’est vraiment maman ! … » dit Lazare satisfait et il abandonne sa tête sur l’épaule de sa
sœur…
Il ne parle plus. Seulement des gémissements et des tremblements spasmodiques, seulement la
sueur et le râle. Insensible désormais à la Terre, aux affections, il sombre dans le noir toujours plus
absolu de la mort. Les paupières descendent sur les yeux devenus vitreux où brille une dernière
larme.
« Nicomède ! Il se laisse aller ! Il se refroidit !... » dit Marie.
« Domina, la mort est un soulagement pour lui. »
« Garde-le en vie ! Demain Jésus est certainement ici. Il sera parti tout de suite. Peut-être il a pris
le cheval du serviteur ou une autre monture » dit Marthe. Et s’adressant à sa sœur : « Oh ! si tu
m’avais laissée l’appeler plus tôt ! » Puis au médecin : « Fais-le vivre ! » lui impose-t-elle
convulsée.
Le médecin ouvre les bras. Il essaie des cordiaux, mais Lazare n’avale plus.
Le râle augmente … augmente … Il est déchirant…
« Oh ! on ne peut plus l’entendre ! » gémit Noémi.
« Oui. Il a une longue agonie… » dit le médecin.
Mais il n’a pas encore fini de le dire que, avc une convulsion de toute sa personne qui se cambre
et puis s’abandonne, Lazare exhale le dernier soupir.
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Les sœur crient… en voyant ce spasme, en voyant cet abandon. Marie appelle son frère en le
baisant. Marthe s’accroche au médecin qui se penche sur le mort et dit : « Il a expiré. Désormais il
est trop tard pour attendre le miracle. Il n’y a plus à attendre. Trop tard !... Je me retire, dominae. Il
n’y a plus de raison pour rester. Ne tardez pas pour les funérailles car il est déjà décomposé. » Il
abaisse les paupières sur les yeux du mort et dit encore en le regardant : « Malheur ! C’était un
homme vertueux et intelligent. Il ne devait pas mourir ! » Il s’incline vers les deux sœurs, qu’il
salue : « Dominae ! Salve ! » et il s’en va.
Les pleurs remplissent la pièce. Marie désormais n’a plus de force et elle se renverse sur le corps
de son frère en criant ses remords, en demandant son pardon. Marthe pleure dans les bras de Noémi.
Puis Marie s’écrie : « Tu n’as pas eu foi ni obéissance. Je l’ai tué une première fois ; toi, tu le tues
maintenant ; moi par mon péché, toi, par la désobéissance. » Elle est comme folle. Marthe la
soulève, l’embrasse, s’excuse. Maximin, Noémi, Marcelle essaient de les ramener toutes les deux à
la raison et à la résignation. Ils y parviennent en rappelant Jésus…. La douleur devient plus
ordonnée et, pendant que la pièce se remplit de serviteurs en larmes et que pénètrent ceux qui sont
chargés de l’ensevelissement, on conduit les deux sœurs autre part pour qu’elles pleurent leur
douleur.
Maximin qui les conduit dit : « Il a expiré à la fin du second temps de la nuit. »
Et Noémi : « Il faudra l’ensevelir dans la journée de demain, avant le coucher du soleil, car le
sabbat arrive. Vous avez dit que le Maître veut des grands honneurs…. »
« Oui. Maximin, à toi de t’en occuper. Moi, je suis sotte » dit Marthe.
« Je vais envoyer les serviteurs à ceux qui sont loin et à ceux qui sont proches, et donner des
ordres » dit Maximin qui se retire.
Les deux sœurs pleurent embrassées. Elles ne se font plus reproches mutuels. Elles pleurent. Elles
essaient de se réconforter…
Les heures passent. Le mort est préparé dans sa pièce. Une longue forme enveloppée dans des
bandes sous le suaire.
« Pourquoi déjà couvert ainsi ? » s’écrie Marthe, qui en fait des reproches.
« Maîtresse… Son nez était une puanteur et quand on l’a remué, il a rejeté du sang corrompu » dit
en s’excusant un vieux serviteur.
Les sœurs pleurent plus fort. Lazare est déjà plus loin sous ces
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bandes… Un autre pas dans l’éloignement d la mort. Elles le veillent en pleurant jusqu’à l’aube,
jusqu’au retour du serviteur d’au-delà du Jourdain. Du serviteur qui reste abasourdi mais qui se
rapporte de la course qu’il a faite pour apporter la réponse que Jésus vient.
« Il a dit qu’Il vient ? Il n’a pas fait de reproches ? » demande Marthe.
« Non, maîtresse. Il a dit : ‘Je viendrai. Dis-leur que je viendrai, et qu’elles aient foi.’ Et
auparavant il avait dit : ‘Dis-leur de rester tranquilles. Ce n’est pas une maladie mortelle, mais c’est
la gloire de Dieu, pour que sa puissance soit glorifiée en son Fils’. »
« C’est vraiment ce qu’il a dit ? En es-tu sur ? » demande Marie.
« Maîtresse, tout le long de la route, j’ai répété les paroles ! »
« Va, va. Tu es fatigué. Tu as tout bien fait. Mais il est trop tard, désormais.. ! » soupire Marthe.
Et dès qu’elle reste avec sa sœur, elle éclate bruyamment en sanglots.
« Marthe, pourquoi ? »
« Oh ! En plus d la mort, c’est la désillusion ! Marie ! Marie ! Tu ne réfléchis pas que cette fois le
Maître s’est trompé ? Regarde Lazare. Il est bien mort ! Nous avons espéré au-delà de ce qui est
croyable, et cela n’a pas servi. Quand je l’ai fait appeler, j’ai certainement mal fait, Lazare était déjà
plus mort que vif. Et notre foi n’a pas eu de résultat et de récompense. Et le Maître nous fait dire
que ce n’est pas une maladie mortelle ! Le Maître, alors, n’est plus la Vérité ? Il ne l’est plus ?...
Oh ! Tout ! Tout ! Tout est fini ! »
Marie se tord les mans. Elle ne sait que dire. La réalité est la réalité…. Mais elle ne parle pas. Elle
ne dit pas un mot contre son Jésus. Elle pleure. Elle est vraiment à bout.
Marthe a une idée fixe dans le cœur : celui d’avoir trop tardé : « C’est ta faute » reproche-t-elle.
« Il voulait éprouver ainsi notre foi. Obéir, oui. Mais désobéir aussi à cause de notre foi, et Lui
montrer que nous croyons que Lui seul pouvait et devait faire le miracle. Mon pauvre frère ! Et il l’a
tant désiré ! Au moins cela : le voir ! Notre pauvre Lazare ! Pauvre ! Pauvre ! » Et les pleurs se
changent en un cri lugubre auquel font écho de l’autre côté de la porte les cris des servantes et des
serviteurs, selon les coutumes de l’orient…
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5. L’ANNONCE A JESUS

La nuit commence déjà à tomber. Le serviteur, remontant les bosquets du fleuve, éperonne son
cheval qui fume de sueur pour lui faire franchir la dénivellation qui existe en ce point entre le fleuve
et le chemin du village. Les flancs de la pauvre bête palpitent à cause de la course rapide et longue.
La sueur moire sa robe noire, et halète en cambrant son cou et en secouant sa tête.
Le voilà sur le sentier Il a vite fait de rejoindre la maison. Le serviteur saute à terre, attache le
cheval à la haie, et appelle.
De derrière la maison se présente la tête de Pierre et, de sa voix un peu rauque, il demande : « Qui
appelle ? La Maître est fatigué. Cela fait des heures qu’il n’est pas tranquille. Il fait presque nuit.
Revenez demain. »
« Je ne veux rien du Maître, moi. Je suis en bonne santé et je n’ai qu’un mot à dire. »
Pierre s’avance en disant : « Et de la part de qui, si on peut le demander ? Si je ne puis pas
reconnaître à coup sûr, je ne fais passer personne, et surtout quelqu’un qui pue Jérusalem comme
toi. » Il s’est avancé lentement, rendu plus soupçonneux par la beauté du cheval maure richement
harnaché, que par l’homme. Mais quand ils sont en face l’un de l’autre, il fait un geste étonné :
« Toi ? mais n’es-tu pas un serviteur de Lazare, toi ? »
Le serviteur ne sait quoi dire. Sa maîtresse lui a dit de ne parler qu’à Jésus, mais l’apôtre semble
bien décidé à ne pas le faire passer. Le nom de Lazare, il le sait, est puissant auprès des apôtres. Il
se décide à dire : « Oui, je suis Jonas, serviteur de Lazare. Je dois parler au Maître. »
« Lazare est-il mal ? Est-ce lui qui t’envoie ? »
« Il est mal, oui. Mais ne me fais pas perdre de temps. Je dois retourner au plus tôt. » Et pour
décider Pierre, il dit : « Il y a eu les synhédristes à Béthanie… »
« Les synhédristes !!! passe ! Passe ! » et il ouvre le portail en disant : « Détache le cheval. Nous
allons lui donner à boire et de l’herbe, si tu veux. »
« J’ai de l’avoine, mais un peu d’herbe ne lui fera pas de mal. De l’eau après ; tout de suit, cela lui
ferait du mal. »
Ils entrent dans la pièce où se trouvent les couchettes et attachent la bête dans un coin pour la
garder à l’abri de l’air ; le servi-
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teur la couvre avc la couverture que était attachée à la selle, lui donne de l’avoine et de l’herbe que
Pierre a prise je ne sais où. Puis ils reviennent dehors et Pierre conduit le serviteur dans la cuisine et
lui donne une tasse de lait chaud qu’il prend dans un petit chaudron qui est près du feu allumé, au
lieu de l’eau que le serviteur avait demandée. Pendant que le serviteur boit et se réchauffe auprès du
feu, Pierre, qui s’abstient héroïquement de poser des questions, dit : « Le lait vaut mieux que l’eau
que tu voulais. Et puisque nous en avons ! Tu as fait tout n une étape ? »
« En une étape et je ferai ainsi au retour. »
« Tu vas être fatigué. Et le cheval va tenir le coup ? »
« Je l’espère. Et puis, au retour, je ne galoperai pas comme à l’aller. »
« Mais il va faire nuit bientôt. La lune commence déjà à se lever… Comment vas-tu faire au
fleuve ? »
« J’espère y arriver avant qu’elle se couche, autrement je resterai dans le bois jusqu’à l’aube. Mais
j’arriverais avant. »
« Et après ? La route est longue du fleuve à Béthanie et la lune se couche de bonne heure. Elle est
à ses premiers jours. »
« J’ai une bonne lanterne, je l’allumerai et j’irai doucement. Si doucement que j’aille, je
m’approcherai toujours de la maison. »
« Veux-tu du pain et du fromage ? Nous en avons et aussi du poisson. C’est moi qui l’ai pêché.
Parce qu’aujourd’hui je suis resté ici avec Thomas. Mais maintenant Thomas est allé prendre du
pain chez une femme qui nous rend service. »
« Non, ne te prive de rien. J’ai mangé en route, mais j’avais soif et besoin aussi de quelque chose
de chaud. Maintenant, je suis bien. Mais veux-tu aller voir le Maître ? Est-il ici ? »
« Oui, oui. S’il n’y avait pas été, je te l’aurai dit tout de suite. Il est à côté qui se repose, car il
vient tant de gens ici… J’ai même peur que la chose fasse du bruit et vienne à alarmer les
pharisiens. Prend encore un peu de lait. D’ailleurs tu devras laisser manger le cheval… et le faire
reposer. Ses flancs battaient comme une voile mal tendue… »
« Non. Le lait, vous en avez besoin. Vous êtes si nombreux ! »
« Oui, mais sauf Jésus qui parle tant qu’il en a la poitrine fatiguée, et le plus âgés, nous qui
sommes robustes, nous mangeons des choses qui font travailler les dents. Prends. C’est celui des
brebis laissées par le vieillard. Quand nous sommes ici, la femme nous l’apporte, mais si nous en
voulons davantage, tous nous en donnent. Ils nous aiment bien ici et ils nous aident. Et … dis-moi
un
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peu... : ils étaient si nombreux les synhédristes ? »
« Oh ! presque tous et d’autres avec eux : sadducéens, scribes, pharisiens, juifs de grande fortune,
et aussi quelques hérodiens… »
« Et qu’étaient venus faire ces gens à Béthanie ? Est-ce que Joseph et Nicodème y étaient ? »
« Non. Ils étaient venus les jours d’avant, et Manaën aussi était venu. Ceux-ci n’étaient pas de
ceux qui aiment le Seigneur. »
« Ah ! je le crois ! Il y en a tellement peu au Sanhédrin qui l’aiment. Mais que voulaient-ils
exactement ? »
« Saluer Lazare, ont-ils dit en entrant. »
« Hum ! Quel amour étrange ! Ils l’ont toujours écarté pour tant de raisons ! … Bien !... Croyons-
le aussi… Ils y sont restés longtemps ? »
« Assez : Et ils sont partis fâchés. Moi je ne sers pas à la maison et donc je ne servais pas aux
tables, mais ceux qui étaient à l’intérieur pour servir, disent qu’ils ont parlé avec les maîtresses et
qu’ils ont voulu voir Lazare. C’est Elchias qui est allé voir Lazare et … »
« La bonne peau ! … » murmure Pierre entre ses dents.
« Qu’as-tu dit ? »
« Rien ! Rien ! Continue. Et il a parlé avec Lazare ? »
« Je crois. Il est allé avec Marie. Mais ensuite, je ne sais pas pourquoi … Marie s’est agitée et les
serviteurs, prêts à accourir des pièces voisines, disent qu’elle les a chassés comme des chiens… »
« Vive elle ! Ce qu’il faut ! Et elles t’ont envoyé le dire ? »
« Ne me fais pas perdre plus de temps, Simon de Jonas. »
« Tu as raison. Viens. »
Il le conduit a une porte, il frappe. Il dit : « Maître, il y a un serviteur de Lazare. Il veut te parler. »
« Entre » dit Jésus.
Pierre ouvre la porte, fait entrer le serviteur, ferme et se retire, méritoirement, près du feu pour
mortifier sa curiosité.
Jésus est assis sur le bord de sa couchette dans la petite pièce où il a à peine de la place pour la
couchette et la personne qui l’habite. Ce devait être auparavant un abri pour les vivres car il y a
encore des crochets aux murs et des planches sur les chevilles. Jésus regarde en souriant le serviteur
qui s’est agenouillé, et il le salue : « La paix soit avec toi. » Puis Il ajoute : « Quelles nouvelles
m’apportes-tu ? Lève-toi et parle. »
« Mes maîtresses m’envoient te dire d’y aller tout de suite, car Lazare est très malade et la
médecin dit qu’il va mourir. Marthe et Marie t’en supplient et elles m’ont envoyé te dire : ‘Viens,
car Toi
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seul peux le guérir’. »
« Dis-leur de rester tranquilles, ce n’est pas une maladie mortelle, mais c’est la gloire de Dieu
pour que sa puissance soit glorifiée en son Fils. »
« Mais il est très grave, Maître ! Sa chair est gangrenée, et il ne se nourrit plus. J’ai éreinté le
cheval pour arriver plus tôt… »
« Peu importe. C’est comme je dis. »
« Mais viendrais-tu ? »
« Je viendrai. Dis-leur que je viendrai et qu’elles aient foi. Qu’elles aient foi. Une foi absolue. Tu
as compris ? Va. Paix à toi et à celles qui t’envoient. Je te répète : ‘Qu’elles aient foi. Absolue.’
Va. »
Le serviteur salue et se retire. Pierre court à sa rencontre : « Tu as eu vite fait de le dire. Je pensais
à un long discours… » Il le regarde, le regarde… le désir de savoir transsude par tous les pores de
son visage, mais il se retient…
« Je pars. Veux-tu me donner de l’eau pour le cheval ? Après, je partirai. »
« Viens. De l’eau !... Nous avons tout un fleuve pour t’en donner, en plus du puits pour nous » et
Pierre, muni d’une lampe, le précède et donne l’eau demandée.
Ils font boire le cheval. Le serviteur soulève la couverture, examine les fers, la sous ventre, les
rênes, les étriers. Il explique : « Il a tant couru ! Mais tout est en bon état. Adieu, Simon Pierre, et
prie pour nous. »
Il conduit le cheval dehors, ils sort sur la route en le tenant par la bride, met un pied dans l’étrier,
va monter en selle. Pierre le retient en lui mettant une main sur le bras et en disant : « La seule
chose que je veux savoir : y a-t-il danger pour Lui à rester ici ? Ont-ils fait cette menace ?
Voulaient-ils savoir des deux sœurs où nous étions ? Dis-le, au nom de Dieu ! »
« Non, Simon, non. On n’en a pas parlé. C’est pour Lazare qu’ils sont venus… Entre nous on
soupçonne que c’était pour voir si le Maître était là et si Lazare était lépreux, car Marthe criait très
fort qu’il n’est pas lépreux et elle pleurait… Adieu, Simon, paix à toi. »
« Et à toi et à tes maîtresses. Que Dieu t’accompagne dans ton retour à la maison…. » Il le
regarde partir … disparaître bientôt au bout d la rue, car le serviteur préfère prendre la grande route
éclairée par la lumière de la lune plutôt que le sentier obscur du bois le long du fleuve. Il reste
pensif, puis il ferme la grille et revient à la maison.
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Il va trouver Jésus qui est toujours assis sur sa couchette, les mains appuyées sur le bord et pensif.
Mais il se secoue en sentant près de Lui Pierre qui le regarde comme pour l’interroger. Il sourit.
« Tu souris, Maître ? »
« Je te souris, Simon de Jonas. Assieds-toi près de Moi. Les autres sont-ils revenus ? »
« Non, pas même Thomas. Il aura trouvé à parler. »
« C’est bien. »
« Bien qu’il parle ? Bien que les autres tardent ? Lui ne parle que trop. Lui est toujours gai ! Et les
autres ? Je suis toujours inquiet tant qu’ils ne sont pas de retour. J’ai toujours peur, moi. »
« Et de quoi, mon Simon ? Il n’arrive rien de mal pour le moment, crois-le. Mets-toi en paix et
imite Thomas qui est toujours gai. Toi, au contraire, tu es très triste depuis quelque temps. »
« Je défie quiconque t’aime de ne pas l’être ! Je suis vieux désormais, et je réfléchis plus que les
jeunes. Car eux aussi t’aiment, mais ils sont jeunes et réfléchissent moins… Mais s’il te plait que je
sois plus gai, je le serai, je m’efforcerai de l’être. Dis-moi la vérité mon Seigneur. Je te le demande
à genoux (et il glisse en fait à genoux) : Que t’a dit le serviteur de Lazare ? Qu’ils te cherchent ?
Qu’ils veulent te nuire ? Que … »
Jésus met sa main sur la tête de Pierre : « Mais non, Simon ! Rien de cela. Il est venu me dire que
l’état de Lazare s’est beaucoup aggravé, et on n’a parlé que de Lazare. »
« Vraiment ? Vraiment ? »
« Vraiment Simon. Et j’ai répondu qu’elles aient foi. »
« Mais à Béthanie y sont allés ceux du Sanhédrin, tu le sais ? »
« Chose naturelle ! la maison d Lazare est une grande maison, et nos usages comportent que l’on
donne ces honneurs à un homme puissant qui meurt. Ne t’agite pas, Simon. »
« Mais tu crois vraiment qu’ils n’ont pas profité de cette excuse pour … »
« Pour voir si j’étais là. Eh bien, ils ne m’ont pas trouvé. Allons, ne t’effraye pas ainsi, comme si
déjà ils m’avaient pris. Reviens ici, pauvre Simon, qui ne veut absolument pas se persuader que rien
ne peut m’arriver de mal jusqu’au moment décrété par Dieu, et que alors… rien ne pourra me
défendre du mal… »
Pierre s’accroche à son cou et Lui ferme la bouche en y posant un baiser et en disant : « Tais-toi !
Tais-toi ! Ne me dis pas ces choses ! je
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ne veux pas les entendre ! »
Jésus réussit à se dégager assez pour pouvoir parler et il murmure : « Tu ne veux pas les entendre
et c’est une erreur ! Mais je t’excuse… Ecoute, Simon. Puisque tu étais seul ici, toi et Moi seuls
nous devons savoir ce qui est arrivé. Tu m’as compris ? »
« Oui, Maître, je ne parlerai avec aucun des compagnons. »
« Que de sacrifices, n’est-ce pas, Simon ? »
« Sacrifices ? Lesquels ? Ici on est bien. Nous avons le nécessaire. »
« Sacrifices de ne pas questionner, de ne pas parler, de supporter Judas… d’être loin de ton lac…
mais Dieu te donnera une compensation pour tout. »
« Oh ! si c’est de cela que tu veux parler !... Au lieu du lac, j’ai le fleuve et … je m’en contente.
Pour Judas … J’ai Toi qui es une large compensation… et pour les autres choses ! … Bagatelles !
Et elles me servent à devenir moins rustre et plus semblable à Toi. Comme je suis heureux d’être ici
avc Toi ! Dans tes bras ! Le palais de César ne me paraîtrait pas plus beau que cette maison, si je
pouvais rester toujours ainsi, dans tes bras. »
« Qu’en sais-tu du palais de César ? L’as-tu vu peut-être ? »
« Non, et j ne le verrai jamais. Mais je n’y tiens pas.. Pourtant j’imagine qu’il est grand, beau,
rempli de belles choses… et d’ordures, comme Rome toute entière. Je n’y resterais pas même si on
me couvrait d’or ! »
« Où ? Au palais de César où à Rome ? »
« Aux deux endroits. Anathème ! »
« Mais c’est justement parce qu’ils sont tels qu’il faut les évangéliser. »
« Et que veux-tu faire à Rome ? Ce n’est qu’un lupanar ! Rien à faire, là-bas, à moins que tu y
viennes, Toi, alors… ! »
« J’y irai. Rome c’est la capitale du monde. Rome, une fois conquise, c’est le monde qui est
conquis. »
« Nous allons à Rome ? Tu te proclameras roi, là-bas ! Miséricorde et puissance de Dieu ! Cela
c’est un miracle ! »
Pierre s’est levé et il reste le bras tendu devant Jésus qui sourit et lui répond : « J’y irai dans la
personne de mes apôtres. Vous me la conquerrez et je serai avec vous. Mais à côté il y a quelqu’un.
Allons, Pierre. »

6. AUX FUNERAILLES DE LAZARE

La nouvelle de la mort de Lazare doit avoir produit l’effet d’un bâton que l’on remue à l’intérieur
d’une ruche. Jérusalem toute entière en parle. Notables, marchands, menu peuple, pauvres, gens de
la ville, des campagnes voisines, étranger de passage mais pas tout à fait ignorants de l’endroit,
étranges qui s’y trouvent pour la première fois et qui demandent quel est celui dont la mort
occasionne un tel remue-ménage, romains, légionnaires, employés du Temple, lévites et prêtres qui
se rassemblent et se quittent continuellement en courant ça et là… . Groupes de gens qui en termes
et expressions différents parlent du fait. Certains louent, d’autres pleurent, d’autres se sentent plus
mendiants qu’à l’ordinaire maintenant que leur bienfaiteur est mort, quelqu’un gémit : « Je n’aurai
plus, jamais plus un maître comme lui », certains énumèrent ses mérites et d’autres mettent en
lumière sa richesse et sa parenté, les fonctions et les charges de son père, la beauté et la richesse de
sa mère et sa naissance ‘royale’. D’autres, malheureusement, rappellent aussi des souvenirs
familiaux sur lesquels il serait beau de laisser tomber un voile surtout quand il s’agit d’un mort qui
en a souffert …
Les nouvelles les plus disparates sur la cause de la mort, sur l’emplacement du tombeau, sur
l’absence du Christ de la maison de son grand ami et protecteur, justement en cette circonstance,
font parler les petits groupes. Et il y a deux opinions qui prévalent : l’une c’est que cela est arrivé,
ou plutôt a été provoqué par l’attitude hostile des juifs, synhédristes, pharisiens, et gens de même
acabit à l’égard du Maître ; l’autre c’est que le Maître, se trouvant en face d’une vraie maladie
mortelle, s’est dérobé parce que devant ce cas ses procédés frauduleux n’auraient pas réussi. Même
sans être astucieux, il est facile de comprendre de quelle source vient cette dernière opinion. Elle
heurte un grand nombre de gens qui répliquent : « Es-tu pharisien toi aussi ? Si oui, attention à toi,
car avec nous on ne blasphème pas le Saint ! Vipères maudites, engendrées par des hyènes mariées
au Léviathan ! Qui vous paie pour blasphémer le Messie ? » Prises de becs, insultes, quelques coups
de poing aussi, et des invectives mordantes aux pharisiens couverts de riches manteaux et aux
scribes qui passent avec des airs de dieux sans daigner regarder la plèbe qui vocifère pour et contre
eux, pour et contre le Maître,résonnent dans les rues. Et des
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accusations ! Combien !
« Tel dit que Jésus est un faux Maître ! C’est certainement un de ceux qui ont été achetés avec les
deniers de ces serpents qui viennent de passer. »
« Avec leurs deniers ? Avec les nôtres, dois-tu dire ! C’est pour cela qu’ils nous plument ! mais
où est-il que je veux voir si c’est un de ceux qui hier sont venus me parler … »
« Il s’est enfui, mais vive Dieu ! Ici il faut s’unir et agir. Ils sont trop imprudents. »
Autre conversation : « Je t’ai entendu et je te connais. Je dirai à qui de droit comment tu parles du
tribunal suprême ! »
« J’appartiens au Christ et la bave de démon ne me nuit pas. Dis-le même à Anna et Caïphe, si tu
veux, et que cela serve à les rendre plus justes. »
Et plus loin : « C’est moi, moi qui tu traites de parjure et de blasphémateur parce que je suis le
Dieu vivant ? C’est toi le parjure et le blasphémateur qui l’offenses et les persécutés. Je te connais,
sais-tu ? Je t’ai vu et entendu. Espion ! Vendu ! Saisissez-vous de lui … » et en attendant, il se met
à lui appliquer sur la figure de ces gifles qui font rougir le visage osseux et verdâtre d’un juif.
« Cornélius, Siméon, regardez ! Ils me bousculent » dit un autre plus loin en s’adressant à un
groupe de synhédristes.
« Supporte cela pour la foi et ne te souille pas les lèvres et les mains la veille du sabbat » répond
un de ceux qui sont appelés, sans même se détourner pour regarder le malheureux sur lequel un
groupe de gens du peuple exerce une justice sommaire…
Les femmes crient pour rappeler leurs maris, en les suppliant de ne pas se compromettre.
Les légionnaires de patrouille font dégager les roues à coups de hampes et menaçant de faire des
arrestations et de prendre des sanctions.
La mort de Lazare, le fait principal, donne l’occasion de passer à des faits secondaires qui
défoulent la longue tension des cœurs…
Les synhédristes, les anciens, les scribes, les sadducéens, les notables juifs, passent indifférents,
sournois, comme si toute cette explosion de petites colères, de vengeances personnelles, de
nervosité, ne s’enracinaient pas en eux. Plus les heurs passent et plus les passions fermentent et plus
les cœurs s’enflamment.
« Eux disent, écoutez un peu, que le Christ ne peut guérir les malades. Moi, j’étais lépreux et
maintenant je suis en bonne santé. Les connaissez-vous ? Je ne suis pas de Jérusalem, mais jamais
je ne
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les ai vus parmi les disciples du Christ depuis deux ans. »
« Eux ? Fais-moi voir celui du milieu ! Ah1 le scélérat ! C’est lui qui à la dernière lune est venu
m’offrir de l’argent au nom du Christ, en disant que lui prend les hommes en solde pour s’emparer
de la Palestine. Et maintenant il dit … mais pourquoi l’as-tu laissé échapper ? »
« Vous avez compris, hein ! Quels malandrins ! Et pour un peu je me laissais prendre ! Il avait
raison mon beau père. Voilà Joseph l’Ancien avec Jean et Josué. Allons leur demander s’il est vrai
que le Maître veut rassembler des armées. Ils sont justes et sont au courant. » Ils courent en masse
vers les trois synhédristes et leur posent la question.
« Rentrez chez vous, hommes. Dans la rue on pèche et l’on se nuit. Ne vous disputez pas. Ne vous
alarmez pas. Occupez-vous de vos affaires et de vos familles. N’écoutez pas ceux qui agitent des
illusionnés et ne vous laissez pas illusionner. Le Maître est un Maître et non un guerrier. Vous le
connaissez et il dit ce qu’il pense. Il ne vous aurait pas envoyé d’autres pour vous dire de le suivre
comme guerriers, s’il vous avait voulu tels. Ne faites pas de tort à Lui, à vous, et à votre patrie.
Rentrez chez vous, hommes ! Rentrez chez vous ! Ne faites pas de ce qui est déjà un malheur, la
morte d’un juste, une suite de malheurs. Retournez chez vous, et priez pour Lazare qui faisait du
bien à tout le monde » dit Joseph d’Arimathie qui doit être très aimé et écouté par le peuple qui le
connaît comme juste.
Jean aussi (celui qui était jaloux) dit : « Lui est un homme de paix, pas de guerre. N’écoutez pas
les faux disciples. Rappelez-vous comme ils étaient différents les autres qui se disaient Messie.
Rappelez-vous, confrontez, et votre justice vous dira que ces incitations à la violence ne peuvent
venir de Lui. A vos maisons ! A vos maisons ! Auprès de vos femmes qui pleurent et de vos enfants
apeurés. Il est dit : ‘Malheureux aux violents et à ceux qui favorisent les rixes.’
Un groupe de femmes en larmes aborde les trois synhédristes et l’une d’elles dit : « Les scribes
ont menacé mon homme. J’ai peur ! Joseph, parle-leur ! »
« Je le ferai, mais que ton mari sache se taire. Croyez-vous par ces agitations rendre service au
Maître et honorer le mort ? Vous vous trompez. Vous nuisez à l’un et à l’autre » répond Joseph et il
les laisse pour aller à la rencontre de Nicodème qui arrive par une rue, suive de ses serviteurs : « Je
n’espérais pas te voir, Nicodème. Moi-
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même, je ne sais pas comment j’ai pu. Le serviteur de Lazare est venu après le chant du coq me dire
le malheur. »
« Et à moi, plus tard. Je suis parti tout de suite. Sais-tu si le Maître est à Béthanie ? »
« Non. Il n’y est pas. Mon intendant de Bézéta y était à l’heure de tierce et il m’a dit qu’il n’y est
pas. »
« Moi, je ne comprends pas comment … Pour tous les miracles et pas pour lui ! » s’écrie Jean.
« C’est peut-être qu’à la maison il a donné déjà plus qu’une guérison : il a racheté Marie et leur a
rendu paix et honneur… » dit Joseph.
« Paix et honneur ! Des bons pour les bons, car beaucoup … n’ont pas rendu et ne rendent pas
honneur même maintenant que Marie … Vous ne savez pas … Il y a trois jours, Elchias y est allé
avec beaucoup d’autres … et ils n’ont pas rendu honneur. Et Marie les a chassés. Ils me l’ont dit,
furieux, et je les ai laissés dire pour ne pas dévoiler mon cœur … » dit Josué.
« Et maintenant ils vont aux funérailles ? » demande Nicodème.
« Ils ont eu l’avis et se sont réunis au Temple pour discuter. Oh ! les serviteurs ont dû beaucoup
courir ce matin à l’aurore ! »
« Pourquoi précipite-t-on ainsi les funérailles ? Tout de suite après sexte. »
« Parce que Lazare était déjà décomposé quand il est mort. Mon intendant m’a dit que, malgré les
résines qui brûlent dans les pièces, et les aromates répandus sur le mort, la puanteur du cadavre se
sent dès le portique de la maison. Et puis au couchant le sabbat commence. Il n’était pas possible de
faire autrement. »
« Et tu dis qu’ils se sont réunis au Temple ? Pourquoi ? »
« Voilà !... en réalité, la réunion était déjà fixée pour discuter sur Lazare. Ils veulent dire qu’il
était lépreux…. » dit Josué.
« Cela non. Lui, tout le premier, se serait isolé pour obéir à la Loi » dit Joseph pour le défendre.
Et il ajoute : « J’ai parlé avec le médecin. Il a absolument exclu la lèpre. Il était malade d’une
consomption putride. »
« Et alors de quoi ont-ils discuté puisque Lazare était déjà mort ? » demande Nicodème.
« Sur la question d’aller ou non aux funérailles après que Marie les ait chassés. Les uns le
voulaient, les autres, non. Mais ceux qui voulaient y aller étaient les plus nombreux et cela pour
trois motifs. Voir si le Maître y est, première raison, commune à tous. Voir s’il fait le miracle,
deuxième raison. La troisième : le souvenir
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des paroles récentes du Maître aux scribes, près du Jourdain, non loin de Jéricho » explique encore
Josué.
« Le miracle ! Quel miracle s’il est mort ? » demande Jean avec un haussement d’épaules et il
termine en disant : « Toujours les mêmes qui cherchent l’impossible ? »
« Le Maître a ressuscité d’autres morts » fait remarquer Joseph.
« C’est vrai. Mais s’il avait voulu le garder vivant, il ne l’aurait pas laissé mourir. La raison que tu
as donnée avant c’est juste. Ils ont déjà eu un miracle. »
« Oui. Mais Uziel s’est souvenu, et avec lui Sadoc, d’un défi exprimé il y a plusieurs lunes. Le
Christ a dit qu’il prouvera qu’il sait recomposer un corps en décomposition. Et Lazare est tel. Et
Sadoc le scribe dit encore que, près du Jourdain, le Rabbi, lui a dit, de lui-même, qu’à la nouvelle
lune il verrait accomplir la moitié du défi. Celui-ci : d’un corps décomposé qui revit et sans plus de
tares ni de maladie. Et ils ont gagné, eux. Si cela. Arrive, il est certain que c’est parce qu’il y a le
Maître. Et aussi si cela arrive, il n’y a plus de doutes à son sujet. »
« Pourvu que ce ne soit pas un mal … » murmure Joseph.
« Un mal ? Pourquoi ? Les scribes et les pharisiens se persuaderont… »
« Oh ! Jean ! Mais es-tu donc un étranger pour pouvoir dire cela ? Tu ne connais pas te
concitoyens ? Quand donc la vérité les a-t-elle rendus saints ? Cela ne te dit rien que l’on n’a pas
apporté chez moi l’invitation à la réunion ? »
« Ni chez moi non plus. Ils doutent de nous et nous laissent souvent en dehors » dit Nicodème, et
il demande : « Gamaliel y était-il ? »
« Il y avait son fils. Et il viendra pour remplace son père qui est souffrant à Gamala de Judée. »
« Et que disait Siméon ? »
« Rien, absolument rien. Il a écouté et s’en est allé. Il y a un moment, il est passé avec des
disciples de son père, en allant à Béthanie. »
Ils sont presque à la porte qui ouvre sur le chemin de Béthanie et Jean s’écrie : « Regarde ! Elle
est gardée. Pourquoi, donc ? Et ils arrêtent ceux qui sortent. »
« Il y a de l’agitation dans la ville… »
« Oh ! Elle n’est pas pourtant des plus fortes… »
Ils arrivent à la porte et sont arrêtés comme tous les autres.
« Pour quelle raison, soldat ? Je suis connus de toute l’Antonia, et
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vous ne pouvez dire du mal de moi. Je vous respecte et je respecte vos lois » dit Joseph
d’Arimathie.
« Ordre du Centurion. Le Chef va entrer dans la ville et nous voulons savoir qui sort par les portes
et spécialement par celle-ci qui donne sur la route de Jéricho. Nous te connaissons, mais nous
connaissons vos sentiments pour nous. Toi et les tiens passez, et si vous avez de l’influence sur le
peuple, dites-leur qu’il est bien pour eux de rester tranquilles. Ponce n’aime pas changer ses
habitudes pour des sujets qui lui portent ombrage … et il pourrait être trop sévère. Un conseil loyal
pour toi qui es loyal. » Ils passent…
« Tu entends ? Je prévois de lourdes journées … Il faudra le conseiller aux autres plutôt qu’au
peuple… » dit Joseph.
La route pour Béthanie est remplie de gens qui vont tous dans la même direction, à Béthanie.
Tous se rendent aux funérailles. On voit des synhédristes et des pharisiens mêlés à des sadducéens
et des scribes, et ceux-ci à des paysans, des serviteurs, des intendants des différentes maisons et des
domaines que Lazare possède dans la ville et dans les campagnes, et plus on s’approche de
Béthanie, plus il y a de gens qui débouchent des sentiers et des chemins dans la route principale.
Voici Béthanie. Béthanie en deuil de son plus grand citoyen. Tous les habitants avec leurs
meilleurs habits sont déjà en dehors des maisons qui sont fermées comme s’il n’y avait personne à
l’intérieur. Mais ils ne sont pas encore dans la maison du mort. La curiosité les retient près de la
grille, le long du chemin. Ils observent ceux qui passent parmi les invités et ils échangent les noms
et les impressions.
« Voici Nathanaël ben Faba. Oh ! le vieux Mathatias, parent de Jacob ! Le fils d’Anna ! Regarde-
le avec Doras, Callascebona et Archélaüs. Oh ! comment ont-ils fait pour venir ceux de Galilée ? Ils
y sont tous…. Le vieux Canania avec Sadoc, Zacharie et Giocana sadducéens. Il y a aussi Siméon
de Gamailel, seul. Le rabbi n’est pas avec lui. Voilà Elchias avec Nahum, Félix, Anna le scribe,
Zacharie, Jonathas d’Uriel ! Saül avec Eléazar, Trifon et Joazar. Bons ces derniers ! Un autre des
fils d’Anna, le plus jeune. Il parle avec Simon Camit. Philippe avec Jean l’Antipatrides. Alexandre,
Isaac et Jonas de Babaon. Sadoc, Jude, descendant des Assidéens, le dernier, je crois de cette classe.
Voici les intendants des divers palais. Je ne vois pas les amis fidèles. Que de gens ! »
Vraiment ! Que de gens. Tous importants, une partie avec un
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visage de circonstance, ou avec sur leur visage les marques d’une vraie douleur. Le portail tout
grand ouvert engloutit tout le monde, et je vois passer tous ceux qu’à diverses reprises j’ai vus
bienveillants ou hostiles autour du Maître. Tous, sauf Gamaliel et le synhédriste Simon. Et j’en vois
d’autres encore que je n’ai jamais vus ou que j’aurai vus sans savoir leurs noms dans les discussions
autour de Jésus… Il passe des rabbins avec leurs disciples, et des scribes en groupes compacts, Il
passe des juifs dont j’entends énumérer les richesses … Le jardin est plein de gens. Ils vont
exprimer leurs condoléances aux sœurs –qui selon l’usage, sans doute, sont assises sous le portique
et dons en dehors de la maison- et se répandent ensuite dans le jardin en un continuel bariolage de
couleurs et en de continuelles inclinaisons.
Marthe et Marie sont bouleversées. Elles se tiennent par la main comme deux fillettes effrayées du
vide qui s’est fait dans leur maison, du rien qui emplit leur journée maintenant qu’elles n’ont plus
Lazare à soigner. Elles écoutent les paroles des visiteurs, pleurent avec les vrais amis, leurs
employés fidèles, s’inclinent devant les synhédristes à l’air glacial, imposants, rigides, venus plutôt
pour se faire voir que pour honorer le défunt. Elles répondent, lasses de répéter les mêmes choses
des centaines de fois, à ceux qui les interrogent sur les derniers moments de Lazare.
Joseph, Nicodème, les amis plus sûrs, se mettent à côté d’elles, sobres en paroles, mais
manifestant une amitié plus réconfortante que de longs discours.
Elchias revient avec les plus intransigeants avec lesquels il a parlé longuement et il demande :
« Ne pourrions-nous pas voir le mort ? »
Marthe, avec tristesse, se passe la main sur le front et demande : « Quand donc cela se fait-il in
Israël ? Il est déjà préparé… » et des larmes descendent lentement de ses yeux.
« Ce n’est pas l’usage, c’est vrai, mais nous le désirons. Les amis les plus fidèles ont bien le droit
de voir une dernière fois l’ami. »
« Même nous, ses sœurs, nous aurions eu ce droit. Mais il a été nécessaire de l’embaumer tout de
suite … Et quand nous sommes revenues dans la chambre de Lazare nous n’avons plus vu que sa
forme enveloppés par les bandelettes… »
« Vous deviez donner des ordres clairs. Ne pouviez-vous pas, ne pourriez-vous pas enlever le
suaire de son visage ? »
« Oh ! il est déjà décomposé … Et l’heure des funérailles est
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arrivée. »
Joseph intervient : « Elchias, il me semble que nous … par excès d’amour, nous leurs faisons de
la peine. Laissons les sœurs en paix … »
Siméon, fils de Gamaliel, s’avance, empêchant la réponse d’Elchias : « Mon père viendra dès
qu’il pourra. Je le représente. Il appréciait Lazare, et moi de même. »
Marthe s’incline en répondant : « Que l’honneur du rabbi pour notre frère soit récompensé par
Dieu. »
Elchias, à cause du fils de Gamaliel, s’écarte sans insister davantage et il discute avec les autres
qui lui font observer : « Mais tu ne sens pas la puanteur ? Tu veux doute ? Du reste, nous verrons
s’ils murent le tombeau. On ne vit pas sans air. »
Un autre groupe de pharisiens s’approche des sœurs. Ce sont presque tous ceux de Galilée.
Marthe, après avoir reçu leurs hommages, ne peut s’empêcher de dire son étonnement de leur
présence.
« Femme, le Sanhédrin siège en ses délibérations d’un extrême importance et c’est pour cela que
nous sommes dans la ville » explique Simon de Capharnaüm et il regarde Marie dont il se rappelle
certainement la conversion, mais il se borne à la regarder.
Voici que s’avancent Giocana, Doras fils de Doras et Ismaël avec Canania et Sadoc et d’autres
que je ne connais pas. Ils parlent, bien avant de parler, par leurs visages de vipères. Mais ils
attendent que Joseph s’éloigne avec Nicodème pour parler à trois juifs, pour pouvoir blesser. C’est
le vieux Canania qui de sa vois éraillée de vieillard croulant commence l’attaque : « Qu’en dis-tu,
Marie ? Votre Maître est le seul absent des nombreux amis de ton frère. Singulière amitié ! Tant
d’amour tant que Lazare se portait bien ! Et de l’indifférence quand c’était le moment de l’aimer !
Tous ont des miracles de Lui, mais ici, il n’y a pas de miracle. Qu’en dis-tu, femme, de pareille
chose ? Il t’a trompée beaucoup, beaucoup, le beau rabbi galiléen. Eh ! Eh ! Ne disais-tu pas qu’il
t’avait dit d’espérer au-delà de ce que l’on peut espérer ? Tu n’as donc pas espéré, ou bien il ne sert
à rien d’espérer en Lui ? Tu espérais dans la Vie, sa-tu dit. C’est vrai ! Lui se dit ‘la Vie’ eh ! eh !
mais là-dedans se trouve ton frère mort, et là-bas est déjà ouverte la bouche du tombeau. Et pas de
Rabbi ! Eh ! Eh ! »
« Lui sa donner la mort, pas la vie » dit Doras avec un sourire.
Marthe incline son visage dans les mains et pleure. C’est bien la réalité. Son espérance est bien
déçue. Le Rabbi n’est pas là. Il n’est
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même pas pour les réconforter. Et pourtant il aurait pu être là maintenant. Marthe pleure, elle ne sait
plus que pleurer.
Marie aussi pleure. Elle aussi est en face de la réalité. Elle a cru, elle a espéré au-delà de ce qui est
croyable … mais rien n’est arrivé et déjà les serviteurs enlèvent la pierre de l’entrée du tombeau car
le soleil commence à descendre, et le soleil descend vite en hiver, et c’est vendredi, et tout doit être
fit à temps de façon que les hôtes ne doivent pas transgresser les lois du sabbat qui va bientôt
commencer. Elle a tant espéré, toujours, trop espéré. Elle a consumé ses puissances dans cette
espérance. Et elle est déçue.
Canania insiste : Tu ne me réponds pas ? Es-tu convaincue à présent que Lui est un imposteur qui
vous a exploitées et méprisées ? Pauvres femmes ! » et il hoche la tête parmi ses comparses qui
l’imitent, en disant eux aussi. « Pauvres femmes ! »
Maximin s’approche : « C’est l’heure. Donnez l’ordre. C’est à vous de le faire. »
Marthe s’écroule. On la secourt et on l’emporte à bras au milieu des cris des serviteurs qui
comprennent que l’heure est venue de la descente dans le tombeau et qui entonnent les
lamentations. »
Marie se tord convulsivement les mains. Elle supplie : « Encore un peu ! Encore un peu ! Envoyez
les serviteurs sur la route envers Ensémès et la fontaine, sur toutes les routes. Des serviteurs à
cheval. Qu’ils voient s’Il vient … »
« Mais tu espère encore, ô malheureuse ? Mais que te faut-il pour te persuader qu’Il vous a trahies
et trompées ? Il vous haïes et méprises… »
C’est trop ! Le visage baigné de larmes, torturée et pourtant fidèle, dans le demi-cercle de tous les
hôtes rassemblées pour voir sortir la dépouille. Marie proclame : « Si Jésus de Nazareth a ainsi agi,
c’est bien, et c’est un grand amour le sien pour nous tous de Béthanie. Tout pour la gloire de Dieu et
la sienne ! Il a dit que de cela il en viendra de la gloire pour le Seigneur parce que la puissance de
son Verbe resplendira complètement. Exécute, Maximin. Le tombeau n’est pas un obstacle au
pouvoir de Dieu … »
Elle s’écarte, soutenue par Noémi qui est accourue, et elle fait un signe … La dépouille, dans ses
bandelettes, sort de la maison, traverse le jardin entre deux haies de gens, au milieu des cris de
deuil. Marie voudrait la suivre, mais elle chancelle. Elle se joint quand déjà tous sont vers le
tombeau. Elle arrive juste pour voir disparaître la longue forme immobile dans la nuit du tombeau
où rougissent les torches que tiennent haut les serviteurs pour éclai-
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rer les marches pour ceux qui descendent avec le mort. En effet le tombeau de Lazare est plutôt
enterré, peut-être pour utiliser des couches de roches souterraines.
Marie crie… Elle est déchirée… Elle crie … Et avec le nom de son frère, il y a celui de Jésus. Ils
semblent lui arracher le cœur. Mais elle ne dit que ces deux noms, et elle les répète jusqu’au
moment où la lourde rumeur de la fermeture, remise à l’entrée de la tombe, lui dit que Lazare n’est
plus sur la terre même avec son corps. Alors elle cède et perd complètement la connaissance. Elle
s’abat sur celle qui la soutient et soupire encore, pendant qu’elle s’abîme et s’anéantit dans son
évanouissement : « Jésus ! Jésus ! » On l’éloigne.
Maximin reste pour congédier les hôtes et les remercier au nom de toute la parenté. Il reste pour
s’entendre dire par tous qu’ils reviendront chaque jour pour le deuil …
La foule s’écoule lentement. Les derniers à partir sont Joseph, Nicodème, Eléazar, Jean, Joachim,
Josué. Au portail ils trouvent Sadoc avec Uriel qui rient méchamment en disant : « Son défi ! Et
nous l’avons craint ! »
« Oh ! Il est bien mort. Comme il puait malgré les aromates ! Il n’y a pas de doute, non ! Il n’y
avait pas besoin d’enlever le suaire. Je crois qu’il y avait déjà les vers. » Ils sont heureux.
Joseph les regarde. Un regard si sévère qu’il leur coupe la parole et les rires. Tout le monde se
hâte de repartir pour être dans la ville avant la fin du crépuscule.

7. « ALLONS TROUVER NOTRE AMI LAZARE QUI DORT. »

La lumière, ce n’est déjà plus de la lumière dans le petit jardin de la maison de Salomon. Les
arbres, les contours des maisons au-delà de la route, et surtout le bout de la route elle-même, là où le
petit chemin disparaît dans les bois qui bordent le fleuve, perdent de plus en plus la netteté de leurs
contours pour s’unir dans une seule ligne d’ombres plus ou moins claires, plus ou moins sombres,
dans l’ombre qui s’épaissit de plus en plus. Plutôt que des couleurs les choses répandues sur la terre
sont désormais des sons. Voix d’enfants dans les maisons, appels des mères, cris des hommes pour
faire renter les brebis ou l’âne, quelques derniers grincement des poulies aux puits, bruissement des
feuilles dans le vent du soir, bruits secs comme de petites branches qui se heurtent
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entre elles, des broussins répandus dans les bosquets. Là-haut la première palpitation des étoiles,
encore indécise parce qu’il reste un semblant de lumière et que les premiers rayons phosphorescents
de la lune commencent à se répandre dans le ciel.
« Le reste, vous le dira demain. Pour l’instant cela suffit. Il fait nuit. Et que chacun aille à la
maison. La paix à vous. La paix à vous. Oui … Oui … Demain. Eh ? Que dis-tu ? Tu as un
scrupule ? La nuit porte conseil, et puis s’il ne passe pas, tu viendras. Il ne manquerait plus que
cela ! Les scrupules aussi pour le fatiguer davantage ! Et ceux qui ne rêvent que de profit ! Et les
belles-mères qui veulent rendre sages les épouses, et les épouses qui veulent rendre les belles-mères
moins acariâtres, et des uns et des autres, toutes les deux mériteraient d’avoir la langue coupée. Et à
part cela ? Toi ? Que dis-tu ? Oh ! Oui, ce pauvre petit ! Jean, conduis-le au Maître. Il a sa mère
malade et elle l’envoie à dire à Jésus qu’il prie pour elle. Pauvre petit ! Il est resté en arrière à cause
de sa petite taille, et il vient de loin. Comment va-t-il faire pour retourner à la maison ? Hé ! Vous
tous ! Au lieu de rester ici pour jouir de Lui, ne pourriez-vous pas mettre en pratique ce que le
Maître vous a dit : de vous aider mutuellement et que les plus forts aident les plus faibles ? Allons !
Qui accompagne l’enfant à la maison ? Il pourrait, que Dieu ne le veuille pas, trouver morte sa
mère… Qu’au moins il la voie. Vous avez des ânes … Il fait nuit ? Et quoi de plus beau que la
nuit ? Moi, j’ai travaillé pendant des lustres à la lueur des étoiles, et je suis sain et robuste. Tu le
conduis à la maison ? Dieu te bénisse, Ruben. Voici l’enfant. Le Maître t’a-t-il consolé ? Oui. Alors
va et sois heureux. Mais il faudra lui donner à manger. C’est peut-être depuis ce matin qu’il ne
mange pas. »
Le Maître lui a donné du lait chaud, du pain et des fruits. Il les a dans sa tunicelle » dit Jean.
« Alors va avec cet homme. Il va te conduire à la maison avec l’âne. »
Finalement les gens sont tous partis, et Pierre peur se reposer avec Jacques, Jude, l’autre Jacques
et Thomas, qui l’ont aidé à renvoyer chez eux les plus obstinés.
« Fermons. Pourvu qu’il n’y ait pas quelqu’un qui regrette et revienne sur ses pas, comme ces
deux là. Ouf ! Mais le lendemain du sabbat est bien fatigant ! » dit encore Pierre en entrant dans la
cuisine et en fermant la porte. « Oh ! maintenant, nous allons être tranquilles. » Il regarde Jésus qui
est assis près de la table, sur laquelle il appuie son coude et de sa main il soutient sa tête, pensif,
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absorbé. Il va près de Lui, Lui met la main sur l’épaule et Lui dit : « Tu es fatigué, hein ! Tant de
gens ! Ils viennent de tous les endroits malgré la saison. »
« Ils semblent avoir peur de nous perdre bientôt » remarque André qui est en train d’éventrer des
poissons. Les autres aussi s’emploient à faire du feu et à le préparer pour griller les poissons, ou à
remuer des chicorées dans un chardon qui bout. Leurs ombres se projettent sur les murs sombres,
éclairés plutôt par le feu que par la lampe.
Pierre cherche une tasse pour donner du lait à Jésus qui semble très fatigué. Mais il ne trouve pas
le lait et en demande aux autres la raison.
« C’est l’enfant qui a but le dernier lait que nous avions. Le reste a été donné à ce vieux mendiant
et à la femme du mari infirme » explique Barthélemy.
« Et le Maître est resté sans rien ! Vous ne deviez pas tout donner. »
« C’est Lui qui l’a voulu. »
« Oh ! Lui veut toujours ainsi, mais on ne doit pas le laisser faire. Lui donne ses vêtements, Lui
donne son lait, il se donne Lui-même et se consume… » Pierre est mécontent.
« Du calme, Pierre ! Il vaut mieux donner que recevoir » dit Jésus tranquillement en sortant de son
abstraction.
« Oui ! Et tu donnes, tu donnes et tu te consumes. Et plus tu te fais voir disposé à toutes les
générosités et plus les hommes en profitent. » Et, tout en parlant, avec des feuilles rêches qui
dégagent une odeur mélangée d’amandes amères et de chrysanthèmes, il frotte la table, la rend bien
nette pour y déposer le pain, l’eau, et il met une coupe devant Jésus.
Jésus se verse tout de suite à boire comme s’il avait grand soif. Pierre met une autre coupe de
l’autre côté de la table près d’un plat qui contient des olives et des tiges de fenouil sauvage. Il
ajoute le plateau de chicorées que Philippe a déjà assaisonnées et, avec ses compagnons, il apporte
des tabourets très primitifs pour les ajouter aux quatre sièges qui sont dans la cuisine, qui ne
suffisent pas pour treize personnes. André, qui a surveillé la cuisson du poisson grillé sur la braise,
met le poisson sur un autre plat et va vers la table avec d’autres pains. Jean enlève la lampe de
l’endroit où elle était et la place au milieu de la table.
Jésus se lève alors que tous s’approchent de la table pour le souper et il prie à haute voix pour
offrir le pain et puis il bénit la table. Il s’assoit, imités par les autres, et distribue le pain et les
poissons,
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ou plutôt il dépose les poissons sur les tranches épaisses et larges de pain, en partie frais, en partie
rassasies, que chacun a placé devant soi. Puis les apôtres se servent de la chicorée avec la grande
fourchette de bois qui sert à la piquer. Même pour les légumes, le pain sert de plat. Seul Jésus a
devant Lui un plat de métal, large et en assez mauvais état, et il s’en sert pour partager le poisson,
en donnant tantôt à l’un tantôt à l’autre un excellent morceau. On dirait un père parmi ses enfants,
toujours père même si Nathanaël, Simon le Zélote et Philippe semblent un père pour Lui, tandis que
Mathieu et Pierre peuvent être des frères aînés.
Ils mangent et parlent des événements du jour. Jean rit de bon cœur à cause de l’indignation de
Pierre pour ce berger des monts de Galaad, qui prétendait que Jésus aille là-haut où était son
troupeau pour le bénir et lui faire gagner beaucoup d’argent pour faire une dot à sa fille.
« Il n’y a pas de quoi rire. Tant qu’il a dit : ‘J’ai des brebis malades et si elles meurent, je suis
ruiné’ j’ai eu pitié de lui. C’est comme si pour nous pêcheurs la barque devenait vermoulue. On ne
peut pêcher ni manger, et tout le monde a le droit de manger. Mais quand il a dit : ‘Et je les veux
saines car je veux devenir riche et étonner le village avec la dot que je ferai à Esther et la maison
que je me construirai’, alors je suis devenu mauvais. Je lui ai dit : ‘ Et c’est pour cela que tu as fait
une si longue route ? Tu ne penses qu’à la dot et à la richesse et à tes brebis ? Tu n’as pas une
âme ?’ Il m’a répondu : ‘Pour elle, j’ai le temps. Pour l’instant je me préoccupe davantage des
brebis et des noces car c’est un bon parti pour Esther, et elle commence à vieillir’. Alors, voilà, si
ce n’était que je me rappelais que Jésus dit que l’on doit être miséricordieux avec tout le monde, il
était frais ! Je lui ai parlé vraiment entre tramontane et sirocco … »
« Et il semblait que tu n’allais plus en finir. Tu ne prenais pas le temps de souffler. Les veines de
ton cou s’étaient gonflées et tendues comme deux baguettes » dit Jacques de Zébédée.
« Le berger était parti depuis un bon moment et toi, tu continuais de prêcher. Heureusement que tu
dis que tu ne sais pas parler aux gens ! » ajoute Thomas, et il l’embrasse en disant : « Pauvre
Simon ! Quelle grosse colère tu as prise ! »
« Mais n’avais-je pas raison, peut-être ? Qu’est-il le Maître ? Le faiseur de fortunes de tous les
sots d’Israël ? Le paranymphe des mariages d’autrui, peut-être ?
« Ne te fâche pas, Simon. Le poisson va te faire mal si tu le man-
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ges avec ce poison » plaisante Mathieu, débonnaire.
Tout le monde rit. Jésus sourit et se tait.
Ils sont à la fin du repas. Repus de nourriture et contents de la chaleur, ils restent un peu
somnolents autour de la table. Ils parlent mois aussi, quelques-uns sommeillent. Thomas s’amuse à
dessiner avec son couteau une branche fleurie sur le bois se la table.
Ils sont réveillés par la voix de Jésus qui desserrant les bras qu’il tenait croisées sur le bord de la
table et présentant les mains comme fait le prêtre quand il dit : ‘Dominus vobiscum’, dit : « Et
pourtant, il faut partir ! »
« Où, Maître ? Chez l’homme aux brebis ? » demande Pierre.
« Non, Simon. Chez Lazare. Nous retournons en Judée. »
« Maître, rappelle-toi que les juifs t’haïssent ! » s’écrie Pierre.
« Ils voulaient te lapider, il n’y a pas si longtemps » dit Jacques d’Alphée.
« Mais Maître, c’est une imprudence ! » s’écrie Mathieu.
« Tu te ne soucies pas de nous ? » demande l’Iscariote.
« Oh ! mon Maître et frère, je t’en conjure au nom de ta Mère, et au nom aussi de la Divinité qui
est en Toi : ne permets pas que les satans mettent al main sur ta personne pour étouffer ta parole. Tu
es seul, trop seul, contre tout un monde qui te hait et qui sur la Terre est puissant » dit le Thaddée.
« Maître, protège ta vie ! Qu’adviendrait-il de nous, de tous, si nous ne t’avions plus ? » Jean,
bouleversé, le regarde avec les yeux dilatés d’un enfant effrayé et affligé.
Pierre, après sa première exclamation, s’est tourné pour parler avec animation avec les plus âgés
et avec Thomas et Jacques de Zébédée. Ils sont tous de l’avis que Jésus ne doit pas retourner près de
Jérusalem, au moins tant que le temps pascal ne rend pas plus sûr son séjour là-bas car, disent-ils, la
présence d’un très grand nombre de fidèles du Maître, venus pour les fêtes pascales de tous les
points de la Palestine, sera une défense pour le Maître. Personne de ceux qui le haïssent n’osera le
toucher quand tout un peuple sera serré affectueusement autour de Lui … Et ils le Lui disent, avec
angoisse, le Lui imposant presque … L’amour les fait parler.
« Paix ! Paix ! la journée n’est-elle pas peut-être de douze heures ? Si quelqu’un marche de jour, il
ne trébuche pas car il voit la
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lumière de ce monde ; mais s’il marche de nuit, il trébuche, car il n’y voit pas. Je sais ce que je me
fais car j’ai la lumière en moi. Vous, laissez-vous guider par celui qui voit. Et puis, sachez que tant
que ce n’est pas l’heure, des ténèbres, rien de ténébreux ne pourra arriver. Quand ensuite ce sera
cette heure, aucun éloignement ni aucune force, même pas les armées de César, ne pourront me
sauver des juifs. Car ce qui est écrit doit arriver et les forces du mal travaillent déjà en secret pour
accomplir leur œuvre. Laissez-moi donc faire, et faire du bien tant que je suis libre de le faire
L’heure viendra où je ne pourrai remuer un doigt ni dire une parole pour opérer le miracle. Le
monde sera vide de ma force. Heure redoutable de châtiment pour l’homme. Pas pour Moi. Pour
l’homme qui n’aura pas voulu m’aimer. Heure qui se répétera, par la volonté de l’homme qui aura
repoussé la Divinité, jusqu’à faire de lui-même sans un Dieu, un disciple de Satan et de son fils
maudit. Heure qui viendra quand sera proche la fin de ce monde. La non-foi devenue maîtresse
souveraine rendra nulle ma puissance de miracle. Ce n’est pas que je puisse la perdre, mais c’est
que le miracle ne peut être accordé là où il n’y a pas de foi ni de désir de l’obtenir, là où on ferait
du miracle un objet de mépris et un instrument au service du mal, en se servant du bien obtenu
pour faire un plus grand mal.
Maintenant je puis encore faire le miracle, et le faire pour donner gloire à Dieu. Allons donc chez
notre ami Lazare qui dort. Allons l’éveiller de ce sommeil afin qu’il soit frais et dispos pour servir
son Maître. »
« Mais, s’il dort, c’est bien. Il va finir de guérir. Le sommeil est déjà un remède. Pourquoi
l’éveiller ? » Lui fait-on remarquer.
« Lazare est mort. J’ai attendu qu’il soit mort pour aller là-bas, pas à cause de ses sœurs ni de lui,
mais à cause de vous pour que vous croyiez, pour que votre foi grandisse. Allons chez Lazare. »
« Bon. Allons-y ! Nous mourrons comme il est mort et comme tu veux mourir » dit Thomas en
fataliste résigné.
« Thomas, Thomas, et vous tous qui intérieurement critiquez et grommelez, sachez que celui qui
veut me suivre doit avoir pour sa vie le même souci qu’a l’oiseau pour la nuée qui passe. La laisser
passer comme le vent l’entraîne. Le vent, c’est la volonté de Dieu qui peut vous donner ou vous
enlever la vie comme il Lui plait, sans que vous ayez ò vous en plaindre, comme l’oiseau ne se
plaint pas de la nuée qui passe, mais chante quand même, sûr qu’ensuite reviendra le beau temps.
Car la nuée c’est l’incident. Le ciel c’est la réalité. Le ciel reste toujours bleu même si les nuées
semblent le
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rendre gris. Il est et reste bleu au-delà des nuages. Il en est ainsi de la Vie véritable. Elle est et
demeure, même si tombe la vie humaine. Celui qui veut me suivre ne doit pas connaître l’angoisse
de la vie ni la peur pour sa vie. Je vous montrerai comment on conquiert le Ciel. Mais comment
pourrez-vous m’imiter si vous avez peur de venir en Judée, vous à qui il ne sera rien fait de mal
présentement ? Avez-vous peur de vous montrer avec moi ? Vous êtes libres de m’abandonner.
Mais si vous voulez rester, vous devez apprendre à défier le monde avec ses critiques, ses
embûches, se moqueries, ses tourments, pour conquérir mon Royaume. Allons donc tirer de la mort
Lazare qui dort depuis deux jours au tombeau, puisqu’il est mort le soir qu’est venu ici le serviteur
de Béthanie. Demain, à l’heure sexte, quand j’aurai congédie ceux qui attendent demain pour avoir
de Moi un réconfort et une récompense pour leur foi, nous partirons d’ici et passerons le fleuve.
Nous passerons la nuit dans la maison de Nique puis, à l’aurore nous partirons pour Béthanie en
prenant la route qui passe par Ensèmés. Nous serons à Béthanie avant sexte. Il y aura beaucoup de
gens et les cœurs seront ébranlés. J’en ai fait la promesse et je la tiendrai… »
« A qui, Seigneur ? » demande Jacques d’Alphée presque craintif.
« A ceux qui me haïssent et à ceux qui m’aiment, aux deux d’une manière absolue. Ne vous
rappelez-vous pas la discussion à Cédès avec les scribes ? Ils pouvaient encore me traiter de
menteur parce que j’avais ressuscité une fillette qui venait de mourir et un mort d’un jour. Ils ont
dit : ‘Tu n’as pas encore su refaire quelqu’un qui était décomposé’. En effet, Dieu seul peut tirer un
homme de la fange et de la pourriture refaire un corps intact et vivant. Eh bien, je vais le faire. A la
lune de Casleu, sur les rives du Jourdain, j’ai rappelé Moi-même aux scribes ce défi et j’ai dit : ‘A la
nouvelle lune cela s’accomplira’. Cela pour ceux qui me haïssent. Aux sœurs ensuite, qui m’aiment
d’une manière absolue, j’ai promis de récompenser leur foi si elles avaient continué d’espérer au-
delà de ce qui est croyable. Je les ai beaucoup éprouvées et beaucoup affligées, Et Moi seul connais
les souffrances de leurs cœurs en ces jours et leur parfait amour. En vérité je vous dis qu’elles
méritent une grande récompense car, plus que de ne pas voir leur frère ressuscité, elles sont
angoissées que je puisse être méprisé. Je vous paraissais absorbé, las et triste. J’étais près d’elles par
mon esprit, j’entendais leurs gémissements et je comptais leurs larmes. Pauvres sœurs ! maintenant
je brûle de ramener un juste sur la Terre,
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un frère dans les bras de ses sœurs, un disciple parmi mes disciples. Tu pleures Simon ? Oui. Toi et
Moi, nous sommes les plus grands amis de Lazare, et dans tes pleurs il y a la douleur pour la
douleur de Marthe et Marie et l’agonie de l’ami, mais il y a aussi déjà la joie de le savoir bientôt
rendu à notre amour. Levons-nous pour préparer le sac et aller nous reposer pour nous lever à l’aube
et mettre tout en ordre ici où … il n’est pas sûr que nous reviendrons. Il faudra distribuer aux
pauvres ce que nous avons et dire aux plus actifs, d’empêcher les pèlerins de me chercher tant que
je ne serai pas dans un autre lieu sûr. Il faudra encore leur dire de prévenir les disciples qu’ils me
cherchent chez Lazare. Tant de choses à faire. Elles seront toutes faites avant que les pèlerins
arrivent … Allons, éteignez le feu et allumez les lampes, et que chacun aille faire ce qui lui incombe
et puis se reposer. Paix à vous tous. » Il se lève, les bénit et se retire dans sa petite pièce…
« Il est mort depuis plusieurs jours ! » dit le Zélote.
« Cela c’est un miracle ! » s’écrie Thomas.
« Je veux voir ce qu’ils vont trouver ensuite pour douter ! » dit André.
« Mais quand le serviteur est-il venu ? » demande Judas Iscariote.
« Le soir d’avant le vendredi » répond Pierre.
« Oui ? Et pourquoi ne l’as pas tu dit ? » demande encore l’Iscariote.
« Parce que le Maître m’avait dit de me taire » réplique Pierre.
« Donc … quand nous arrivons là-bas … il sera depuis quatre jours au tombeau ? »
« Certainement ! Le soir du vendredi un jour, le soir du sabbat deux jours, ce soir trois jours,
demain quatre … Donc quatre jours et demi… Puissance éternelle ! Mais il sera déjà en morceau ! »
dit Mathieu.
« Il sera déjà en morceaux … Je veux voir aussi cela et puis … »
« Quoi, Simon Pierre ? » demande Jacques d’Alphée.
« Et puis si Israël ne se convertit pas, Jéhovah Lui-même, au milieu des foudres, ne peut le
convertir. »
Ils s’en vont en parlant ainsi.

8. LA RESURRECTION DE LAZARE.

Jésus vient à Béthanie par Ensémès. Ils doivent avoir fait une marche vraiment fatigante part les
sentiers casse-cou des monts
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Adamin. Les apôtres, essoufflée, ont du mal à suivre Jésus qui va rapidement, comme si l’amour
l’emportait sur ses ailes de feu. Jésus sourit radieux alors qu’il marche en avant de tous, la tête
droite sous les rayons tièdes du soleil de midi.
Avant qu’ils arrivent aux premières maisons de Béthanie, les voit un jeune garçon déchaussé qui
va vers la fontaine près du village avec un broc de cuivre vide. Il pousse un cri, met le broc par terre
et s’en va en courant, de toute la vitesse de ses petites jambes, vers le village.
« Certainement il va prévenir que tu arrives » observe Jude Thaddée après avoir souri comme tous
de la résolution… énergique du jeune garçon qui a même abandonné son broc à la merci du premier
passant.
La petite ville, vue ainsi d’auprès de la fontaine, qui est un peu en haut, paraît tranquille, comme
déserte. Seule la fumée grise qui s’élève des cheminées indique que dans la maison des femmes
sont occupées à préparer le repas de midi. Quelque grosse voix d’homme parmi les oliviers et les
vergers vastes et silencieux avertit que les hommes sont au travail. Malgré cela Jésus préfère
prendre un petit chemin qui passe en arrière du village pour pouvoir arriver chez Lazare sans attirer
l’attention des habitants.
Ils sont presque à moitié route quand ils entendent derrière eux le jeune garçon de tout à l’heure
qui les dépasse en courant et puis s’arrête au milieu de la route pour, pensif, regarder Jésus….
« Paix à toi, petit Marc, tu as eu peur de Moi que tu t’es enfoui ? » demande Jésus en le caressant.
« Moi, non, Seigneur, je n’ai pas eu peur. Mais comme pendant plusieurs jours Marthe et Marie ont
envoyé des serviteurs sur les routes qui viennent ici pour voir si tu venais, maintenant que je t’ai vu,
je suis accouru pour dire que tu venais… »
« Tu as bien fait. Les sœurs vont préparer leurs cœurs à me voir. »
« Non, Seigneur. Les sœurs ne vont rien se préparer car elles ne savent rien. Ils n’ont pas voulu que
je le dise. Ils m’ont pris quand j’ai dit, entrant dans le jardin : ‘Il y a le Rabbi’, et ils m’ont chassé
dehors en disant : ‘Tu es un menteur ou un sot. Lui désormais ne vient plus car il est certain
désormais qu’il ne peut pas faire le miracle’. Et comme je disais que c’était bien Toi, ils m’ont
donné deux gifles comme je n’en avais encore jamais reçus… Regarde ici mes joues rouges. Elles
me brûlent ! Et ils m’ont poussé dehors en disant : ‘Cela pour te purifier d’avoir regardé un démon’.
Et je te regardais pour voir si tu étais devenu un démon.
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Mais je ne le vois pas. Tu es toujours mon Jésus beau comme les anges dont parle maman. »
Jésus se penche pour baiser ses petites joues souffletées en disant : « Ainsi va passer la
démangeaison. Je suis peiné que tu aies souffert pour Moi… »
« Moi, non, mon Seigneur, car ces gifles m’ont valu deux baisers de Toi » et il s’attache en en
espérant d’autres.
« Dis un peu, Marc, qui t’as chassé ? Ceux de Lazare ? » demande le Thaddée.
« Non. Les juifs. Ils viennent pour le deuil tous les jours. Il y en a tant ! Ils sont dans la maison et
dans le jardin. Ils viennent tôt, et s’en vont tard. Ils semblent les maîtres. Ils maltraitent tout le
monde. Tu vois qu’il n’y a personne dans les rues ? Les premiers jours, on venait pour voir … mais
ensuite… Maintenant il n’y a que nous les enfants qui tourniquons pour … Oh ! mon broc ! Maman
qui attend l’eau ! Elle va me battre aussi… »
Tous sourient de sa désolation devant la perspective d’autres claques et Jésus lui dit : « Va vite
alors… »
« C’est que… je voulais entrer avc Toi et te voir faire le miracle… » et il termine : « … et voir
leurs figures … pour me venger des gifles… »
« Cela non. Tu ne dois pas désirer la vengeance. Tu dois être bon et pardonner… Mais ta mère
attend l’eau… »
« Moi, j’y vais, Maître !. Je sais où habite Marc. J’expliquerai à la femme et je te joindrai… » dit
Jacques de Zébédée. Et il s’en va en courant.
Ils se remettent en marche lentement et Jésus tient par la main l’enfant ravi…
Les voilà à la grille du Jardin. Ils la suivent. De nombreuses montures y sont attachés, surveillés
par les serviteurs de chaque propriétaire. Le chuchotement qui vient d’eux attire l’attention de
quelques juifs qui se tournent vers le portail ouvert, juste au moment où Jésus pose le pied à la
limite du jardin.
« Le Maître ! » disent les premiers qui le voient, et ce mot court comme le bruissement du vent
d’un groupe à l’autre, se propage, s’en va comme une vague venue de loin et qui se brise sur la rive,
jusque contre les murs de la maison et y pénètre, apporté certainement par de nombreux juifs
présents ou par quelques pharisiens, rabbi ou scribe ou sadducéen, répandus çà et là.
Jésus y entre lentement alors que tous, tout en accourant de tous côtés, s’écartent du sentier où il
marche. Et comme personne
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ne le salue, Lui ne salue personne comme s’il ne connaissait même pas un grand nombre de ceux
qui sont rassemblés là pour le regarder la colère et la haine dans les yeux, sauf un petit nombre qui
sont secrètement ses disciples ou qui du moins ont le cœur droit et qui s’ils ne l’aiment pas comme
disciples, le respectent comme juste. De ce nombre sont Joseph, Nicodème, Jean, Eléazar, un autre
scribe, qui rassasia les gens à la descente de la montagne des béatitudes, Gamaliel avec son fils,
Josué, Joachim, Manaën, le scribe Joël d’Abia, rencontré au Jourdain dans l’épisode de Sabéa,
Joseph Barnabé disciple de Gamaliel, Chouza qui regarde Jésus de loin, un peu intimidé de le revoir
après sa méprise, ou peut-être retenu par le respect humain et n’osant pas s’avancer comme ami.
Il est certain qu’il n’est salué ni par les amis, ni par ceux qui l’observent sans rancœur, ni par ses
ennemis, et Jésus ne salue pas. Il a seulement fait une vague inclination en mettant le pied dans
l’allée. Puis il a continué tout droit comme s’il était étranger à la foule nombreuse qui l’entoure. Le
jeune garçon marche toujours à son côté, dans ses vêtements de petit paysan, avec ses pieds nus
d’enfant pauvre, mais le visage lumineux de quelqu’un qui est en fête, avec ses petits yeux noirs,
vifs, bien ouverts pour tout voir… et pour défier tout le monde…
Marthe sort de la maison au milieu d’un groupe de juifs venus pour rendre visite et parmi lesquels
se trouvent Elchias et Sadoc. De sa main elle protège ses yeux las de pleurer, gênés par la lumière,
pour voir où est Jésus. Elle le voit. Elle se détache de ceux qui l’accompagnent et court vers Jésus à
quelques pas du bassin rendu tout brillant par les rayons du soleil., Elle se jette aux pieds de Jésus
après s’être inclinée et elle les baise et, en éclatant en sanglots, elle dit : « Paix à Toi, Maître ! »
Jésus aussi, dès qu’il l’a vue près de Lui, lui a dit : Paix à Toi ! et il a levé la main pour la bénir,
en laissant aller celle de l’enfant que Barthélemy a prise tout en l’attirant un peu en arrière.
Marthe poursuit : « Mais il n’y a plus d paix pour ta servante. »
Elle lève son visage vers Jésus en restant encore à genoux. Et dans un cri de douleur que l’on
entend bien dans le silence qui s’est fait elle s’écrie : « Lazare est mort ! Si tu avais été là il ne serait
pas mort. Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt, Maître ? » Elle a un ton involontaire de reproche en
posant cette question. Puis elle revient au ton accablé de quelqu’un qui n’a plus la force de faire des
reproches et dont l’unique réconfort est de rappeler les dernières actions et les
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derniers d’un parent auquel on a cherché à donner ce qu’il désirait et pour qui on n’a pas de remords
dans le cœur : « Il t’a tant appelé, Lazare, notre frère ! … Maintenant, tu vois ! Je suis désolée et
Marie pleure sans pouvoir se donner la paix. Et lui n’est plus ici. Tu sais si nous l’aimions ! Nous
espérions tout de Toi !... »
Un murmure de compassion pour la femme et de reproche à l’adresse de Jésus, un assentiment à
la pensée sous-entendue : « et tu pouvais nous exaucer car nous le méritions à cause de l’amour que
nous avons pour Toi, et Toi, au contraire, tu nous as déçues’. Court de groupe en groupe parmi des
hochements de tête ou des regards moqueurs. Seuls quelques secrets disciples, disséminés dans la
foule ont des regards de compassion pour Jésus qui écoute, très pâle et affligé, la femme désolée qui
Lui parle. Gamaliel, les bras croisées dans son ample et riche vêtement de laine très fine, orné de
nœuds bleus, un peu à part dans le groupe des jeunes où se trouve son fils et Joseph
Barnabé, regarde fixement Jésus, sans haine et sans amour.
Marthe, après s’être essuyé le visage, recommence à parler : « Mais même maintenant j’espère car
je sais que tout ce que tu demanderas à ton Père, te sera accordé ». Une douloureuse, héroïque
profession de foi, dite d’une voix que les larmes font trembler, avec un regard qui tremble
d’angoisse, avec l’ultime espérance qui lui tremble dans le cœur.
« Ton frère ressuscitera, Marthe. »
Marthe se lève tout n restant courbé en vénération devant Jésus auquel elle répond : « Je le sais,
Maître. Il ressuscitera au dernier jour. »
« Je suis la Résurrection et la Vie. Quiconque croit en moi, me s’il est mort, vivra. Et celui qui
croit en moi ne mourra pas éternellement. Crois-tu tout cela ? »
Jésus, qui d’abord avait parlé d’une voix plutôt basse uniquement à Marthe, élève la voix pour dire
ces phrases où il proclame sa puissance de Dieu, et son timbre parfait résonne comme une trompette
d’or dans le vaste jardin. Un frémissement presque d’épouvante secoue l’assistance. Mais ensuite
certains raillent en secouant la tête.
Marthe, à laquelle Jésus semble vouloir transfuser une espérance de plus en plus forte en tenant la
main appuyée sur son épaule, lève son visage qu’elle gardait penché. Elle le lève vers Jésus, en
fixant ses yeux affligés dans les lumineuses pupilles du Christ et serrant ses mains sur sa poitrine,
elle répond avec une angoisse différente : « Oui, Seigneur. Je crois cela. Je crois que tu es
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le Christ, le Fils du Dieu Vivant, venu dans le monde. Et que tu peux tout ce que tu veux. Je crois.
Maintenant je vais prévenir Marie » et elle s’éloigne rapidement en disparaissent dans la maison.
Jésus reste où il était, ou plutôt il fait quelques pas en avant et s’approche du parterre qui entoure
le bassin. Le parterre est tout éclairé de ce côté par la fine poussière du jet d’eau qu’un vent léger
pousse de c côté comme un plumet d’argent, et il paraît se perdre, Jésus, dans la contemplation du
frétillement des poissons sous le voile de l’eau limpide, dans leurs jeux qui mettent des virgules
d’argent et des reflets d’or dans le cristal des eaux frappées par le soleil.
Les juifs l’observent. Ils se sont involontairement séparés en groupes bien distincts. D’un côté, en
face de Jésus, tous ceux qui Lui sont hostiles, habituellement divisés entre eux par esprit sectaire,
maintenant d’accord pour s’opposer à Jésus. A côté de Lui, derrière les apôtres, auxquels s’est réuni
Jacques de Zébédée, Joseph, Nicodème et les autres d’esprit bienveillant. Plus loin, Gamaliel,
toujours à sa place et avec la même attitude, est seul, car son fils et ses disciples s sont séparés de
lui pour se repartir entre les deux groupes principaux pour être plus près de Jésus.
Avec son cri habituel. « Rabboni ! » Marie sort de la maison en courant, les bras tendus vers
Jésus. Elle se jette à ses pieds qu’elle bais en sanglotant. Divers juifs, qui étaient dans la maison
avec elle et qui l’ont suivie, unissent à ses pleurs leurs pleurs d’une sincérité douteuse. Maximin
aussi, Marcelle, Sara, Noémi ont suivi Marie ainsi que tous ses serviteurs et de fortes lamentations
s’élèvent. Je crois que dans la maison n’est resté personne. Marthe, en voyant pleurer ainsi Marie,
redouble elle aussi ses pleurs.
« Paix à Toi, Mari. Lève-toi ! Regarde-moi ! Pourquoi ces pleurs semblables à ceux des gens qui
n’ont pas d’espérance ? » Jésus se penche pour dire doucement ces paroles, ses yeux dans les yeux
de Marie qui, restant à genoux, reposant sur ses talons, tend vers Lui ses mains dans un geste
d’invocation et ne peut parler tant elle sanglote : « Ne t’ai-je pas dit d’espérer au-delà de ce qui est
croyable pour voir la gloire de dieu ? Est-ce que par hasard ton Maître est changé pour que tu aies
raison d’être ainsi angoissée ? »
Mais Marie ne recueille pas les mots qui veulent déjà préparer à une joie trop forte après tant
d’angoisse, et elle crie, finalement maîtresse de sa voix : « Oh ! Seigneur ! Pourquoi n’es-tu pas
venu plus tôt ? Pourquoi t’es-tu tellement éloigné de nous ? Tu le savais
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que Lazare était malade ! Si tu avais été ici, il ne serait pas mort, mon frère. Pourquoi n’es-tu pas
venu ? Je devais lui monter encore que je l’aimais. Il devait vivre.. Je devais lui montrer que je
persévérais dans le bien. Je lai tant angoissé, mon frère ! Et maintenant ! Maintenant que je pouvais
le rendre heureux, il m’a été enlevé ! Tu pouvais me le laisser, donner à la pauvre Marie la joie de le
consoler après lui avoir donné tant de douleur. Oh ! Jésus ! Jésus ! Mon Maître ! Mon Sauveur !
Mon espérance ! » et elle s’abat de nouveau, le front sur les pieds de Jésus qui se trouvent de
nouveau lavés par les pleurs de Marie, et elle gémit : « Pourquoi as-tu fait cela, ô Seigneur ? Même
à cause de ceux qui te haïssent, et se réjouissent de ce qui arrive…. Pourquoi as-tu fait cela,
Jésus ? » Mais il n’y a pas de reproches dans le ton de la voix de Marie comme dans celui de
Marthe, il y a seulement l’angoisse de quelqu’une qui autre sa douleur de sœur, a aussi celle d’une
disciple qui sent amoindrie dans le cœur d’un grand nombre l’opinion de son Maître.
Jésus, très penché pour entendre ces paroles qu’elle murmure la face contre terre, se redresse et
dit à haute voix : « Marie, ne pleure pas ! Ton Maître aussi souffre de la mort de l’ami fidèle…car
il a dû le laisser mourir… »
Oh ! quelles railleries et quel regards de joie livide il y a sur les visages des ennemis du Christ !
Ils le voient vaincu, et s’en réjouissent, alors que les amis deviennent de plus en plus tristes.
Jésus encore dit plus fort : « Mais, je te le dis : ne pleure pas. Lève-toi ! Regarde-moi ! Crois-tu
que Moi qui t’ai tant aimée j’ai fait cela sans motif ? Peux-tu croire que je t’ai donné cette douleur
inutilement ? Viens. Allons vers Lazare. Où l’avez-vous mis ? »
Jésus, plutôt que Marie et Marthe, qui ne parlent pas prises comme elles le sont par des pleurs
plus forts, interroge tous les autres, surtout ceux qui, sortis avec Marie de la maison, semblent les
plus troublés. Ce sont, peut-être des parents plus âgés, je ne sais pas. Et ceux-ci répondent à Jésus,
visiblement affligé : « Viens et vois » et ils se dirigent vers l’endroit où se trouve le tombeau à
l’extrémité du verger, là où le sol a des ondulations et des veines de roche calcaire qui affleurent à
la surface du sol.
Marthe, à côté de Jésus qui a forcé Marie à se lever et il la conduit, car elle est aveuglée par ses
larmes, montre de la main à Jésus où se trouve Lazaro et quand ils sont près de l’endroit elle dit
aussi : « C’est ici, Maître, que ton ami est enseveli » et elle indique la pierre posée obliquement à
l’entrée du tombeau.
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Jésus pour s’y rendre, suivi de tout le monde, a dû passer devant Gamaliel. Mais ils ne se sont pas
salués. Ensuite Gamaliel s’est uni aux autres en s’arrêtant comme tous les pharisiens les plus rigides
à quelques mètres du tombeau, alors que Jésus s’avance tout près avec les sœurs, Maximin et ceux
qui sont peut-être des parents. Jésus contemple la lourde pierre qui sert de porte au tombeau et
forme un lourd obstacle entre Lui et l’ami éteint, et il pleure. Les larmes des sœurs redoublent et
même celles des intimes et familiers.
« Enlevez cette pierre » crie Jésus tout d’un coup, après avoir essuyé ses larmes.
Tous ont un geste d’étonnement et un murmure court dans le rassemblement qui a grossi de
quelques habitants de Béthanie qui sont entrés dans le jardin et se sont mis à la suite des hôtes. Je
vois certains pharisiens qui se touchent le front en secouant la tête comme pour dire : « Il est fou ! »
Personne n’exécute l’ordre. Même chez les plus fidèles, on éprouve de l’hésitation, de la
répugnance à le faire.
Jésus répète plus fort son ordre, effrayant encore davantage les gens, pris par deux sentiments
opposés et qui, après avoir pensé à fuir, s’approchent tout à coup davantage pour voir, défiant la
puanteur toute proche du tombeau que Jésus veut faire ouvrir.
« Maître, c n’est pas possible » dit Marthe en s’efforçant de retenir ses pleurs pour parler : « Il y a
déjà quatre jours qu’il est là-dessous. Et tu sais de quel mal il est mort ! Seul notre amour pouvait le
soigner… Maintenant la puanteur est certainement plus forte malgré les onguents… Que veux-tu
voir ? Sa pourriture ?... On ne peut pas… même à cause de l’impureté de la corruption.. et … »
« Ne t’ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu ? Enlevez cette pierre, je le veux ! »
C’est un cri de volonté divine… Un « oh ! » étouffé sort de toutes les poitrines. Les visages
deviennent blêmes, certains tremblent comme s’il était passé sur tous un vent glacial de mort.
Marthe fait un signe à Maximin et celui-ci ordonne aux serviteurs de prendre les outils pouvant
servir à remuer la lourde pierre.
Les serviteurs s’en vont rapidement pour revenir avec des pics et des leviers robustes. Ils
travaillent en faisant entrer la pointe brillante des pics entre la roche et la pierre, et ensuite ils
remplacent les pics par des leviers robustes, et enfin ils soulèvent avc attention la pierre en la faisant
glisser d’un côté et en la traînant ensuite
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avec précaution contre la paroi rocheuse. Une puanteur infecte sort du sombre trou et fait reculer
tout le monde.
Marthe demande tout bas : « Maître, tu veux y descendre ? Si oui, il faut des torches… » mais elle
est livide à la pensée qu’il doit le faire.
Jésus ne lui répond pas. Il lève les yeux vers le ciel, met ses bras en croix et prie d’une voix très
forte, en scandant les mots : « Père ! Je te remercie de m’avoir exaucé. Je le savais que Tu
m’exauces toujours, mais je le dis pour qu’ils croient en Toi, en Moi, et que Tu m’as envoyé. »
Il reste encore ainsi un moment et il semble ravi en extase tellement il est transfiguré alors que,
sans plus émettre aucun son, il dit des paroles sécrètes de prière ou d’adoration, je ne sais. Ce que je
sais, c’est qu’il a tellement outrepassé l’humain, qu’on ne peut le regarder sans se sentir le cœur
trembler dans la poitrine. Il semble devenir lumière en perdant son aspect corporel, se spiritualiser,
grandir et même s’élever de terre. Tout en gardant la couleur de ses cheveux, de ses yeux, de sa
peau, des ses vêtements, au contraire de ce qui s passa à la transfiguration du Thabor durant laquelle
tout devint lumière et éclat éblouissant, il paraît dégager de la lumière et que tout c qui est de Lui
devient lumière. La lumière semble l’entoure d’un halo, en particulier son visage levé vers le ciel,
certainement ravi dans la contemplation du Père.
Il reste ainsi quelques temps, pis Il redevient Lui : l’Homme, mais d’une majesté puissante. Il
s’avance jusqu’au seuil du tombeau. Il déplace ses bras –que jusqu’à ce moment il avait gardés
ouverts en croix, les paumes tournées vers le ciel- en avant, les paumes vers la terre, et par
conséquent les mains se trouvent déjà à l’intérieur du tunnel du tombeau, toutes blanches dans ce
tunnel obscur. Il plonge l feu bleu de ses yeux, dont l’éclat miraculeux est aujourd’hui insoutenable,
dans cette obscurité muette, et d’une voix puissante, avec un cri plus fort que celui par lequel il
commanda sur le lac aux vents de tomber, d’une voix que je ne Lui ai jamais entendue dans aucun
miracle, il crie : « Lazare ! Viens dehors ! ». L’écho répercute sa voix dans la cavité du tombeau et
se répand ensuite à travers tout le jardin, se répercute contre les ondulations du terrain de Béthanie,
je crois qu’il s’en va jusqu’aux premiers escarpements au-delà des champs et revient de là, répété et
amorti, comme un ordre qui ne peut faillir. Il est certain que d tous les côtés, on entend à nouveau :
« dehors ! dehors ! dehors ! »
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Tous éprouvent un frisson plus intense, et si la curiosité les cloue tous à leurs lacs, les visages
pâlissent et les yeux s’écarquillent alors que les bouches s’entrouvrent involontairement avec déjà
dans la gorge le cri d stupeur.
Marthe, un peu en arrière et de côté, est comme fascinée en regardant Jésus. Marie tombe à
genoux, elle qui ne s’est jamais écartée de son Maître, elle tombe à genoux au bord du tombeau, une
main sur sa poitrine pour calmer les palpitations de son cœur, l’autre qui inconsciemment et
convulsivement tient un pan du manteau de Jésus, et on se rend compte qu’elle tremble car le
manteau a des légères secousses imprimées par la main qui le tient.
Quelque chose de blanc semble émerger du plus profond du souterrain. C’est d’abord une petite
ligne convexe, puis elle fait place à une forme ovale, puis à l’ovale se substituent des lignes plus
amples, plus longues, de plus en plus longus. Et celui qui était mort, serré dans ses bandes, avance
lentement, toujours plus visible, fantomatique, impressionnant.
Jésus recule, recule, insensiblement, mais continuellement à mesure que Lazare avance. La
distance entre les deux reste donc la même.
Marie est contrainte de lâcher le pan du manteau, mais elle ne bouge pas de l’endroit où elle est.
La joie, l’émotion, tout, la cloue à l’endroit où elle étai.
Un « oh ! » de plus en plus net sort des gorges d’abord fermées par la douleur de l’attente. C’est
d’abord un murmure à peine distinct qui se change en voix, et la voix devient un cri puissant.
Lazare est désormais au bord du tombeau et il s’arrête là, raide, muet, semblable à une statue de
plâtre à peine ébauchée et donc informe, une longue chose, mince à la tête, mince aux jambes, plus
large au tronc, macabre comme la mort elle-même, spectrale, dans la blancheur des bandes contre le
fond sombre du tombeau. Au soleil qui l’enveloppe, les bandes paraissent çà et là laisser couler la
pourriture.
Jésus crie d’une voix forte : « Débarrassez-le et laissez-le aller. Donnez-lui des vêtements et de la
nourriture. »
« Maître !... » dit Marthe, et elle voudrait peut-être en dire davantage, mais Jésus la regarde
fixement, la subjuguant de son regard étincelant, et il dit : « Ici ! Tout de suite ! Tout de suite,
apportez un vêtement. Habillez-le en présence de tout le monde et donnez-lui à manger. » Il
commande et ne se retourne jamais pour regarder ceux qui sont derrière et autour de Lui. Son œil
regarde seulement
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Lazare. Marie qui est près du ressuscité sans souci de la répulsion que donnent à tous les bandes
souillées, et Marthe qui halète comme si son cœur allait éclater et qui ne sait si elle doit crier sa joie
ou pleurer… Les serviteurs se hâtent d’exécuter les ordres. Noémi s’en va en courant la première
et la première revient avec les vêtements qu’elle tient pliés sur son bras. Quelques-uns délient les
lacets des bandelettes après avoir retroussé leurs manches et relevé leurs vêtements pour qu’ils ne
touchent pas la pourriture qui coule. Marcelle et Sara reviennent avec des amphores de parfums,
suivies de serviteurs les uns avec des bassins et des brocs fumants d’eau chaude, les autres avec des
plateaux, des bois pleins de lait, du vin, des fruits, des fouaces recouvertes de miel.
Les bandelettes étroites et très longues, de lin, me semble-t-il, avec des lisières des deux côtés,
certainement tissées pour cet usage, se déroulent comme des rouleaux de ganse d’une grande bobine
et s’entassent sur le sol, alourdies par les aromates et la pourriture. Les serviteurs les écartent en se
servant de bâtons. Ils ont commencé par la tête, et là aussi il y a de la pourriture qui s’est écoulé du
nez, des oreilles, de la bouche. Le suaire placé sur le visage est tout trempé de ces souillures et le
visage de Lazare que l’on voit très pâle, squelettique, avec les yeux tenus fermés par des pommades
mises dans les orbites, avec les cheveux collés et de même la barbiche du menton, en est tout
souillé. Le drap descend lentement, le suaire mis autour du corps, à mesure que les bandelettes
descendent, descendent, descendent, libérant le tronc qu’elles avaient comprimé pendant de
nombreux jours, et rendant une forme humaine à celles qu’avaient d’abord rendu semblable à une
chrysalide. Les épaules osseuses, les bras squelettiques, les côtes à peine couvertes de peau, le
ventre creusé, apparaissent lentement. A mesure que les épaules tombent, les sœurs, Maximin, les
serviteurs, s’empressent d’enlever la première couche de crasse et de baume, et s’y appliquent en
changeant continuellement l’eau rendue détergente par les aromates qu’on y a mis jusqu’à ce que la
peau apparaisse nette.
Lorsqu’on a dégagé le visage de Lazare et qu’il peut regarder, il dirige son regard vers Jésus avant
me de regarder ses sœurs. Il oublie tout et s’abstrait de tout ce qui arrive pour regarder, avec un
sourire d’amour sur ses lèvres pâles et une larme lumineuse au fond des yeux, son Jésus, Jésus aussi
lui sourit et a une lueur de larme dans le colin, mais sans parler il dirige le regard de
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Lazare vers le ciel. Lazare comprend et remue les lèvres dans une prière silencieuse.
Marthe croit qu’il veut dire quelque chose sans avoir encore de voix et elle demande : « Que me
dis-tu, mon Lazare ? »
« Rien, Marthe. Je remerciais le Très-Haut. » La prononciation est assurée, la voix forte.
Les gens poussent de nouveau un ‘oh !’ étonné.
Désormais ils l’ont dégagé jusqu’aux hanches, libéré et propre, et ils peuvent le revêtir de la
tunique courte, une sorte de chemisette qui dépasse l’aine pour retomber sur les cuisses.
On le fait asseoir pour dégager ses jambes et les laver. Quand elles apparaissent, Marthe et Marie
poussent un grand cri en montrant les jambes et les bandelettes. Sur les bandelettes qui serrent les
jambes, et sur le suaire posé par-dessous, les écoulements purulents sont si abondants qu’ils forment
des grosses gouttes sur les toiles, mais les jambes visiblement sont tout à fait cicatrisées. Seules les
cicatrices rouges-bleuâtres indiquent où elles étaient gangrenées.
Tous les gens crient plus fort leur étonnement. Jésus sourit et aussi Lazare qui regarde un instant
ses jambes guéries, puis s’abstrait de nouveau pour regarde Jésus. Il semble ne pouvoir se rassasier
de le voir. Les juifs, pharisiens, sadducéens, scribes, rabbis, s’approchent avec précaution pour ne
pas souiller leurs vêtements. Ils regardent de tout près Lazare, ils regardent tout près Jésus. Mais ni
Lazare ni Jésus ne s’occupent d’eux : ils se regardent et tout le reste est inexistant.
Voilà qu’on met les sandales à Lazare. Il se lève, agile, sûr de lui. Il prend le vêtement que Marthe
lui présente et l’enfile tout seul, lie sa ceinture, ajuste les plis. Le voilà, maigre et pâle, mais
semblable à tout le monde. Il se lave encore les mains et les bras jusqu’aux coudes après avoir
retroussé ses manches. Et puis avec une nouvelle eau se lave de nouveau le visage et la tête, jusqu’à
ce qu’il se sente tout à fait net. Il essuie ses cheveux et son visage, rend la serviette au serviteur et
va tout droit vers Jésus. Il se prosterne, Lui baise les pieds.
Jésus se penche, le relève, le serre contre son cœur en lui disant : « Bien revenu, mon ami. Que la
paix soit avec toi et la joie. Vis pour accomplir ton heureuse destinée. Lève ton visage pour que je te
donne le baiser de salutation. » Il dépose un baiser sur les joues et Lazare Lui rend son baiser.
C’est seulement après avoir vénéré et embrassé le Maître que
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Lazare parle à ses sœurs et les embrasse, puis il embrasse Maximin et Noémi qui pleurent de joie,
et certains dont je crois qu’ils lui sont apparentés ou amis très intimes. Puis il embrasse Joseph,
Nicodème, Simon le Zélote et quelques autres.
Jésus va personnellement trouver un serviteur qui a sur les bras un plateau avec de la nourriture et
il prend une fouace avec du miel, une pomme, une coupe de vin et il offre le tout à Lazare, après les
avoir offerts et bénits, pour qu’il se restaure. Et Lazare mange avec l’appétit de quelqu’un qui se
porte bien. Tout le monde pousse encore un ‘oh !’ d’étonnement.
Jésus semble ne voir que Lazare, mais en réalité il observe tout et tout le monde. Voyant qu’avec
des gestes de colère Sadoc avec Elchias, Canania, Félix, Doras et Cornélius et d’autres sont sur le
point de s’éloigner, il dit à haute voix : « Attends un moment, Sadoc. J’ai un mot à te dire, à toi et
aux tiens. »
Ils s’arrêtent avec une figure de criminels.
Joseph d’Arimathie fait un geste effaré et fait un signe au Zélote de retenir Jésus. Mais Lui est
déjà en train d’aller vers le groupe haineux, et il dit à haute voix : « Est-ce que cela te suffit, Sadoc,
ce que tu as vu ? Tu m’as dit un jour que pour croire tu avais besoin, toi et tes pareils, de voir
recomposé, en bonne santé, un homme décomposé. Es-tu rassasié de la putréfaction que tu as vue ?
Es-tu capable de reconnaître que Lazare était mort et que maintenant il est vivant et sain comme il
ne l’était pas depuis des années ? Je le sais. Vous êtes venus ici pour les tenter, pour mettre en eux
plus de douleur et le doute. Vous êtes venus ici pour me chercher, espérant me trouver caché dans la
pièce du mourant. Vous es venus ici, non pas pour un sentiment d’amour et le désir d’honorer celui
qui s’était éteint mais pour vous assurer que Lazare était réellement mort, et vous avez continué de
venir, vous réjouissant toujours plus à mesure que le temps passait. Si les choses étaient allées
comme vous l’espériez, comme désormais vous croyez qu’elles iraient, vous auriez eu raison de
vous réjouir. L’Ami qui guérit tout le monde, mais ne guérit pas l’ami. La Maître qui récompense la
foi de tout le monde, mais pas celle de ses amis de Béthanie. Le Messie impuissant devant la réalité
de la mort. Voilà ce qui vous donnait raison de vous réjouir. Mais voilà : Dieu vous a répondu. Nul
prophète n’a jamais pu rassembler ce qui était décomposé, en plus que mort. Dieu l’a fait. Voilà l
témoignage vivant de ce que je suis. Il eut un jour où Dieu prit de la boue, lui donna une forme et y
insuffla l’esprit de vie et ce fut l’homme. J’y étais pour dire : « Que l’on
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fasse l’homme à notre image et à notre ressemblance » car je suis l Verbe du Père. Aujourd’hui,
Moi, le Verbe, j’ai dit ce qui était encore moins que de la boue : ‘Vis’ et la corruption s’est faite de
nouveau chair, une chair intègre, vivante, palpitante. La voici qui vous regarde. Et à la chair j’ai
réuni l’esprit qui gisait depuis des jours dans le sein d’Abraham. Je l’ai rappelé par ma volonté car
je puis tout. Moi, le Vivant, Moi le Roi des rois auquel sont soumises toutes les créatures et toutes
les choses. Maintenant que me répondez-vous ? »
Il est devant eux, grand, fulgurant de majesté, vraiment Juge et Dieu. Ils ne répondent pas.
Lui insiste : « Ce n’est pas encore assez pour croire, pour accepter l’inéluctable ? »
« Tu n’as tenu qu’une partie de ta promesse. Ce n’est pas le signe de Jonas…. » dit brutalement
Sadoc.
« Vous aurez aussi celui-là. J’ai promis et je tiendrai ma promesse » dit le Seigneur. « Un autre
présent ici, attend un autre signe, et il l’aura. Et comme c’est un juste, il l’acceptera. Vous non.
Vous resterez ce que vous êtes. »
Il fait un demi-tour sur Lui-même et il voit Simon, le synhédriste, fils d’Eli-Anna. Il le fixe, le
fixe. Il laisse de côté ceux d tout à l’heure et, arrivé en face de lui, il lui dit, à voix basse mais nette :
« C’est heureux pour toi que Lazare ne se rappelle pas son séjour parmi les morts ! Qu’as-tu fait de
ton père, Caïn ? »
Simon s’enfuit en poussant un cri de peur qui se change en un hurlement de malédiction : « Sois
maudit, Nazaréen ! » à laquelle Jésus répond : « Ta malédiction monte vers le Ciel et du Ciel le
Très-Haut te la revoie. Tu es marqué du signe, ô malheureux ! »
Il revient en arrière, parmi les groupes étonnés, presque effrayés. Il rencontre Gamaliel qui se
dirige vers la route. Il le regard et Gamaliel le regarde. Jésus lui dit sans s’arrêter : « Tiens-toi prêt,
ô rabbi. Le signe viendra bientôt. Je ne mens jamais. »
Le jardin se vide lentement. Les juifs sont abasourdis, mais la plupart giclent de colère par tous
leurs pores. Si leurs regards pouvaient le réduire en cendres, Jésus serait complètement pulvérise.
Ils parlent. Ils parlent, discutent entre eux en s’en allant, si bouleversés maintenant par leur défaite
qui ne peuvent plus cacher sous une apparence hypocrite d’amitié le but de leur présence à cet
endroit. Ils s’en vont sans saluer ni Lazare ni ses sœurs.
Il reste en arrière certains qui ont été conquis par le Seigneur par le miracle. Parmi eux se trouve
Joseph Barnabé qui se jette à genoux
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devant Jésus et l’adore. Un autre est le scribe Joël d’Abia qui fait la même chose avant de partir à
son tour, et d’autres encore que je ne connais pas mais qui doivent être influents.
Pendant ce temps, Lazare, entouré de ses plus intimes, s’est retiré dans la maison. Joseph,
Nicodème et les autres bons saluent Jésus et s’en vont. Partent avec des profondes salutations les
juifs qui étaient restés auprès de Marthe et Marie. Les serviteurs ferment la grille. La maison
redevient tranquille.
Jésus regarde autour de Lui. Il voit de la fumée et des flammes au fond du jardin, dans la direction
du tombeau. Jésus seul, debout au milieu d’un sentier, dit : « La putréfaction qui va être annulée par
le feu…. La putréfaction de la mort…. Mais celle des cœurs… de ces cœurs, aucun feu ne
l’annulera.. Pas même le feu de l’Enfer… Elle sera éternelle…. Quelle horreur !... Plus que la
mort… Plus que la corruption… Et …. Mais qui te sauvera, ô Humanité, si tu aimes tant d’être
corrompue… ! Tu veux être corrompue. Et Moi … Moi j’ai arraché au tombeau un homme par une
seule parole.. Et avc un flot de paroles… et de douleurs, je ne pourrai arracher au péché l’homme,
les hommes, des millions d’hommes… » Il s’assoit et avec ses mains se couvre le visage, accablé…
Un serviteur qui passe le voit. Il va à la maison. Peu après Marie sort de la maison. Elle va trouver
Jésus, légère comme si elle ne touchait pas le sol. Elle s’approche, Lui dit doucement : « Rabboni,
tu es las… Viens ô mon Seigneur. Tes apôtres fatigués sont allés dans l’autre maison, tous, sauf
Simon le Zélote… Tu pelures, Maître. Pourquoi ? »
Elle s’agenouille aux pieds de Jésus… l’observe … Jésus la regarde. Il ne répond pas. Il se lève et
se dirige vers la maison, suivi de Marie.
Ils entrent dans une salle. Lazare n’y est pas, ni non plus le Zélote, mais il y a Marthe, heureuse,
transfigurée par la joie. Elle s’adresse à Jésus pour Lui expliquer : « Lazare est allé au bain pour se
purifier encore. Oh ! Maître, Maître ! Que te dire ». Elle l’adore d toute elle-me. Elle remarque la
tristesse de Jésus et elle dit : « Tu es triste, Seigneur ? Tu n’es pas heureux que Lazare… » Il lui
vient un soupçon : « Oh ! Tu es réservé avec moi. J’ai péché. C’est vrai. »
« Nous avons péché, ma sœur » dit Marie.
« Non pas toi… Oh ! Maître ! Marie n’a pas péché. Marie a su obéir, moi seule ai désobéi. Je t’ai
envoyé appeler, parce que… parce que je ne pouvais plus les entendre insinuer que tu n’étais pas le
messie, le Seigneur… et je ne pouvais plus le voir souffrir… Lazare te
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désirait tant. Il t’appelait tant… Pardonne-moi, Jésus. »
« Et toi, tu ne parles pas, Marie ? » Demande Jésus.
« Maître… moi … je n’ai souffert alors que comme femme. Je souffrais parce que … Marthe,
jure, jure, ici devant le Maître que jamais, jamais tu ne parleras à Lazare de son délire… Mon
Maître … je t’ai connu tout à fait, ô Divine Miséricorde, dans les dernières heures de Lazare. Oh !
Mon Dieu Mas comme tu m’as aimée, Toi, Toi qui m’as pardonnée, Toi, Dieu, Toi, Pur, Toi … si
mon frère, qui portant m’aime, mais qui est homme, seulement homme, au fond de son cœur ne m’a
pas tout pardonné ! Non, je m’exprime mal. Il n’a pas oublié mon passé et quand la faiblesse de la
mort a émoussé en lui sa bonté que je croyais oublieuse du passé, il a crié sa douleur, son
indignation pour moi … Oh ! … » Marie pleure…
« Ne pleure pas, Marie. Dieu t’a pardonnée et a oublié. L’âme de Lazare aussi a pardonné et a
oublié, a voulu oublier. L’homme n’a pas pu tout oublier, et quand la chair a dominé par son dernier
spasme la volonté affaiblie, l’homme a parlé. »
« Je n’en éprouve pas d’indignation, Seigneur. Cela m’a servi à t’aimer davantage et à aimer
encore plus Lazare. Dès lors moi aussi je t’ai désiré, car j’étais trop angoissée de penser que Lazare
était mort sans paix à cause de moi … et ensuit, ensuite, quand je t’ai vu méprisé par les juifs…
quand j’ai vu que tu ne venais pas même après la mort, pas même après que je t’avais obéi en
espérant au-delà de ce qui est croyable, en espérant jusqu’à ce que le tombeau s’ouvre, alors mon
esprit aussi a souffert. Seigneur, si j’avais à expier, et certainement je l’avais, j’ai expié,
Seigneur… »
« Pauvre Marie ! Je connais ton cœur. Tu as mérité le miracle et que cela t’affermisse dans ton
espérance et ta foi. »
« Mon Maître, j’espérerai et je croirai toujours désormais. Je ne douterai plus, jamais plus,
Seigneur. Je vivrai de foi. Tu m’as donné la capacité de croire ce qui est incroyable. »
« Et toi, Marthe, as-tu appris ? Non, pas encore. Tu es ma Marthe mais tu n’es pas encore ma
parfaite adoratrice. Pourquoi agis-tu au lieu de contempler ? C’est plus saint. Tu vois ? Ta force,
parce qu’elle était trop tournée vers les choses terrestres, a cédé à la constatation de faits terrestres
qui semblent parfois sans remède. En vérité les choses humaines n’ont pas de remède, si Dieu
n’intervient pas. La créature, à cause de cela, a besoin de savoir croire et contempler, d’aimer
jusqu’au bout des forces de l’homme tout entier, avec sa pensée, son âme, sa chair, son sang, avec
toutes les
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forces de l’homme, je le répète. Je te veux forte, Marthe. Je te veux parfaite. Tu n’as pas su obéir
parce que tu n’as pas su croire et espérer complètement, et tu n’as pas su croire et espérer
totalement car tu n’as pas su aimer totalement. Mais Moi, je t’en absous. Je te pardonne, Marthe.
J’ai ressuscité Lazare aujourd’hui. Maintenant je te donne un cœur plus fort. A lui j’ai rendu la vie.
A toi j’infuse la force d’aimer, croire et espérer parfaitement. Maintenant soyez heureuses et en
paix. Pardonnez à ceux qui vous ont offensé ces jours ci … »
« Seigneur, en cela j’ai péché. Il y a un instant j’ai dit au vieux Canania qui t’avait méprisé les
autres jours : ‘Qui a triomphé ? Toi ou Dieu ? Ton mépris ou ma foi ? Le Christ est le Vivant et il
est la Vérité. Moi, je savais que sa gloire aurait resplendi plus grande, et toi, vieillard, refais ton âme
si tu ne veux pas connaître la mort’. »
« Tu as bien parlé. Mais ne discute pas avec les méchants, Marie. Et pardonne. Pardonne si tu
veux m’imiter… Voici Lazare. J’entends sa voix. »
En effet Lazare rentre, vêtu à neuf et bien rasé, bien peigné et la chevelure parfumée. Avec lui se
trouvent Maximin et le Zélote. « Maître ! » Lazare s’agenouille encore pour l’adorer.
Jésus lui met la main sur la tête et sourit en disant : « L’épreuve est surmontée, mon ami. Pour toi
et pour tes sœurs. Maintenant soyez heureux et forts pour servir le Seigneur. Que te rappelles-tu,
ami, di passé ? Je veux parler de tes derniers moments ? »
« Un grand désir de te voir et une grande paix au milieu de l’amour des sœurs. »
« Et qu’est-ce qui t’affligeait le plus de quitter en mourant ? »
« Toi, Seigneur, et mes sœurs. Toi, parce que je ne pouvais plus te servir, elles parce qu’elles
m’ont donné toute joie… »
« Oh ! moi, mon frère ! » soupire Marie.
« Toi plus que Marthe. Tu mas donné Jésus et la mesure de ce qu’est Jésus. Et Jésus t’a donné à
moi. Tu es le don de Dieu, Marie. »
« Tu le disais aussi en mourant… » dit Marie et elle étudie le visage de son frère.
« Parce que c’est ma constante pensée. »
« La maladie aussi m’a donné de la douleur. Mais, par elle, j’espère avoir expié les fautes du
vieux Lazare et d’être ressuscité, purifié pour être digne de Dieu. Toi et moi : tous deux ressuscités
pour servir le Seigneur, et Marthe au milieu de nous, elle qui fut
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toujours la paix de la maison. »
« Tu l’entends, Marie ? Lazare dit des paroles de sagesse et de vérité. Maintenant je me retire et
vous laisse à votre joie…. »
« Non, Seigneur, reste avec nous. Ici. Reste à Béthanie et dans ma maison. Ce sera beau… »
« Je resterai. Je veux te récompenser de tout ce que tu as souffert. Marthe, ne sois pas triste.
Marthe pense de m’avoir affligé. Mais ma peine n’est pas autant pour vous que pour ceux qui ne
veulent pas se racheter. Eux haïssent de plus en plus. Ils ont le venin dans le cœur…. Eh bien…
pardonnons. »
« Pardonnons, Seigneur » dit Lazare avec son doux sourire … et sur cette parole tout prend fin.

Jésus dit : « On peut mettre ici la dicté du 23-3-44 pour le commentaire de la résurrection de
Lazare. »

En marge de la résurrection de Lazare et en rapport avec une phrase de Saint Jean.


Jésus dit : « Dans l’Evangile de Jean, comme on le lit désormais depuis des siècles, il est écrit :
‘Jésus n’était pas encore entré dans le village de Béthanie’ (Jean 9, 30). Pour Prévenir toutes
objections possibles, je fais remarquer que entre cette phrase et celle de l’œuvre, que je rencontrai
Marthe à quelques pas du bassin dans le jardin de Lazare. Il n’y a pas de contradiction de faits, mais
seulement de traduction et de descriptions.
Béthanie appartenait pour les trois quarts à Lazare, on pouvait dire : Béthanie de Lazare. Par
conséquent le texte ne serait pas erroné même si j’avais rencontré Marthe dans le village où à la
fontaine, comme certains veulent dire. Mais en réalité je n’étais pas entré dans le village pour éviter
qu’occurrent les béthanites, tous hostiles aux gens du Sanhédrin. J’étais passé en arrière de Béthanie
pour rejoindre la maison de Lazare, qui était à l’extrémité opposée pour qui entrait à Béthanie par
Ensémés.
Justement pour cela Jean dit que Jésus n’était pas encore entré dans le village. Et avec autant de
justesse le petit Jean dit que je m’étais arrêté près du bassin (fontaine pour les hébreux) déjà dans le
jardin d Lazare, mais encore très loin de la maison.
Que l’on considère en outre que, durant le temps du deuil et l’impureté (ce n’était pas encore le
septième jour après la mort), les sœurs ne sortaient pas de la maison. C’est donc dans l’enceinte de
leur propriété qu’est arrivée la rencontre.
Noter que le petit Jean parle de la venue des béthanites dans le jardin seulement quand déjà
j’ordonne d’enlever la pierre. Auparavant Béthanie ne savait pas que j’étais à Béthanie et c’est
seulement quand le bruit s’en est répandu qu’ils sont accourus chez Lazare. »

9. REFLEXIONS SUR LA RESURRECTION DE LAZARE

Jésus dit :
« J’aurais pu intervenir à temps pour empêcher la mort de Lazare, mais je n’ai pas voulu le faire.
Je savais que cette résurrection aurait été une arme à double tranchant car j’aurais converti les juifs
dont la pensée était droit et rendu plus haineux ceux dont la pensée n’était pas droite. De ceux-ci, et
après de dernier coup de ma puissance, serait venue ma sentence de mort. Mais j’étais venu pour
cela et désormais l’heure était mûre pour que cela s’accomplisse. J’aurais pu aussi accourir tout de
suite, mais j’avais besoin de persuader par la résurrection d’une putréfaction déjà avancée les
incrédules plus obstinés. Et mes apôtres aussi qui, destinés à porter ma Foi dans le monde, avaient
besoin de posséder une foi soutenue par des miracles de première grandeur.
Chez les apôtres il y avait tant d’humanité, je te l’ai déjà dit. Ce n’était pas un obstacle
insurmontable. C’était au contraire une conséquence logique de leur condition d’hommes appelés à
m’appartenir à un âge déjà adulte. On ne change pas une mentalité, une tournure d’esprit du jour au
lendemain. Et Moi, dans ma sagesse, je n’ai pas voulu choisir ou éduquer des enfants et les faire
grandir selon ma pensée pour en faire mes apôtres. J’aurais pu le faire, mais je n’ai pas voulu le
faire pour que les âmes ne me reprochent pas d’avoir méprisé ceux qui ne sont pas innocents et
qu’elles ne portent à leur décharge et à leur excuse que Moi aussi j’aurais signifié par mon choix
que ceux qui sont déjà formés ne peuvent changer.
Non. Tout peut se changer quand on le veut. Et Moi, en effet, avec des pusillanimes, des
querelleurs, des usuriers, des sensuels, des incrédules, j’ai fait des martyres et des saints, des
évangélisateurs du monde. Seul celui qui ne voulut pas ne changea pas. J’ai aimé et j’aime les
petitesses et les faiblesses – tu en es un exemple- pourvu que se trouve en elles la volonté de
m’aimer et de me suivre, et de ces ‘riens’ je fais des privilégiés, mes amis, mes ministres. Je m’en
sers toujours, et c’est un miracle continuel que j’opère, pour amener les autres à croire en Moi, à ne
pas tuer les possibilités de miracle. Comme elle est languissante, maintenant, cette possibilité !
Comme une lampe à laquelle l’huile manque, elle agonise et meurt, tuée par le manque ou l’absence
de foi dans le Dieu du miracle. Il y a deux formes d’exigence dans la demande du
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miracle. A l’une Dieu se soumet avc amour. A l’autre, il tourne le dos avec indignation. La
première est celle qui demande, comme j’ai enseigné à demander, sans défiance et sans
découragement, et qui ne pense pas que Dieu ne puisse pas l’écouter parce que Dieu est bon, et que
celui qui est bon exauce, parce que Dieu est puissant et peut tout. Cela c’est de l’amour et Dieu
exauce celui qui aime. L’autre forme, c’est l’exigence des révoltés qui veulent que Dieu soit leur
serviteur et se plie à leurs méchancetés et leur donne ce qu’eux ne Lui donnent pas : l’amour et
l’obéissance. Cette forme est une offense que Dieu punit par le refus de ses grâces.
Vous vous plaignez que je n’accomplisse plus des miracles collectifs. Comment pourrais-je les
accomplir ? Où sont les collectivités qui croient en Moi ? Où sont les vrais croyants ? Combien y a-
t-il de vrais croyants dans une collectivité ? Comme des fleurs qui survivent dans un bois brûlé par
un incendie, je vois de temps à autre un esprit croyant. Le reste, Satan l’a brûlé par ses doctrines, et
il les brûlera de plus en plus.
Je vous prie, pour vous conduire surnaturellement, de garder présente à vos esprits ma réponse à
Thomas. On ne peut être mes vrais disciples si on ne sait pas donner à la vie humaine le poids
qu’elle mérite en tant que moyen pour conquérir la vraie vie et non en tant que fin. Celui qui
voudra sauver sa vie en ce monde perdra la vie éternelle. Je l’ai dit et je le répète. Que sont les
épreuves ? La nuée qui passe. Le Ciel reste et vous attend au-delà de l’épreuve.
Moi, j’ai conquis le Cil pour vous par mon héroïsme. Vous devez m’imiter. L’héroïsme n’est pas
réservé seulement à ceux qui doivent connaître le martyre. La vie chrétienne est un perpétuel
héroïsme car c’est une lutte perpétuelle contre le monde, le démon et la chair. Je ne vous force pas
à me suivre..., je vous laisse libres, mais je ne veux pas d’hypocrites. Ou bien avec Moi et comme
Moi, ou bien contre moi. Bien sûr vous ne pouvez pas me tromper. Moi, vous ne pouvez pas me
tromper. Et Moi, je ne dais pas d’alliances avec l’Ennemi. Si vous le préférez à Moi, vous ne
pouvez penser m’avoir en même temps pour ami. Ou lui ou Moi. Choisissez.
La douleur de Marthe est différente de celle de Marie à cause de l’esprit diffèrent des deux sœurs
et de la conduite différente qu’elles ont eue. Heureux ceux qui se conduisent d manière à n’avoir
pas des remords d’avoir affligé quelqu’un qui maintenant est mort et qui ne peut plus se consoler
des douleurs qu’on lui a données. Mais encore plus heureux celui qui n’a pas le remords
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d’avoir affligé son Dieu. Moi, Jésus, et qui ne craint pas de me rencontrer, mais au contraire soupire
après ma rencontre comme le rêve anxieux de toute sa vie et enfin atteint.
Je suis pour vous Père, Frère, Ami. Pourquoi donc me blessez-vous si souvent ? Savez-vous
combien de temps il vous reste à vivre ? A vivre pour réparer ? Vous ne le savez pas. Et alors, heure
par heure, jour après jour, conduisez-vous bien, toujours bien. Vous me rendrez toujours heureux.
Et même si la douleur vient à vous, car la douleur c’est la sanctification, c’est la myrrhe qui
préserve de la putréfaction de la chair, vous aurez toujours en vous la certitude que je vous aime, et
que je vous aime même dans cette douleur, et la paix qui vient de mon amour. Toi, petit Jean, tu le
sais si moi je sais consoler même dans la douleur.
Dans ma prière au Père se trouve répété ce que j’ai dit au début : il était nécessaire de secouer par
un miracle de première grandeur l’opacité des juifs et du monde en général. La résurrection d’un
homme enseveli depuis quatre jours et descendu au tombeau après une maladie bien connue, longue
chronique, répugnante, n’était pas une chose qui pût laisser indifférent ni non plus incertain. Si je
l’avais guéri alors qu’il vivait, ou si je lui avis infusé le souffle sitôt qu’il avait expiré, l’âcreté des
ennemis aurait pu créer des doutes sur la réalité du miracle. Mais la puanteur du cadavre, la
pourriture des bandelettes, le long séjour au tombeau, ne laissent pas de doute. Et, miracle dans le
miracle, j’ai voulu que Lazare fût dégagé et purifié en présence de tout le monde pour que l’on vît
que non seulement la vie, mais l’intégrité des membres était revenue là où auparavant l’ulcération
de la chair avait répandu dans le sang les germes de la mort. Quand je fais grâce, je donne toujours
plus que vous ne demandez.
J’ai pleuré devant la tombe de Lazare et on a donné à ces pleurs tant de noms. Pourtant sachez
que les grâces s’obtiennent par la douleur mêlée à une foi assurée dans l’Eternel. J’ai pleuré non
pas tant à cause de la perte de l’ami et de la douleur de ses sœurs, que parce que, comme un fond
qui se soulève, ont affleuré à cette heure, plus vives que jamais, trois idées qui, comme trois clous,
m’avaient toujours enfoncé leur pointe dans le cœur.
La constatation de la ruine que Satan avait apportée à l’homme en l’amenant au Mal. Ruine dont
la condamnation humaine était la douleur et la mort. La mort physique, emblème et image vivante
de la mort spirituelle, que la faute donne à l’âme en la plongeant, elle reine destinée à vivre dans le
royaume de la Lumière, dans les
74
ténèbres infernales.
La persuasion que même ce miracle, mis pour ainsi dire comme le corollaire sublime de trois
années d’évangélisation, n’aurait pas convaincu le monde judaïque de la Vérité que je lui avais
apportée, et qu’aucun miracle n’aurait fait du monde à venir un converti au christ. Oh ! douleur
d’être près de mourir pour un si petit nombre !
La vision mentale de ma mort prochaine. J’étais Dieu, mais j’étais homme aussi. Et pour être le
Rédempteur je devais sentir le poids de l’expiation, donc aussi l’horreur de la mort et d’une telle
mort. J’étais un homme vivant, en bonne santé qui se disait : ‘Bientôt l’agonie la plus atroce sera ma
compagne. Je dois mourir’. La bonté de Dieu vous épargne la connaissance de l’avenir, mais à
Moi, elle n’a pas été épargnée.
Oh ! croyez-le, vous qui vous plaignez de votre sort. Aucun n’a été plus triste que le mien, de
Moi qui ai eu la constante prescience de tout ce qui devait m’arriver, jointe à la pauvreté, aux
privations, aux aigreurs qui m’ont accompagné de ma naissance à ma mort. Ne vous plaignez donc
pas et espérez en Moi. Je vous donne ma paix. »

10. DANS LA VILLE DE JERUSALEM ET AU TEMPLE APRES LA


RESURRECTION DE LAZARE

Si la nouvelle de la mort de Lazare avait remué et agité Jérusalem et une bonne partie de la Judée,
la nouvelle de sa résurrection finit de remuer et de pénétrer même là où n’avait pas produit
d’agitation la nouvelle de sa mort.
Sans doute les quelques pharisiens et scribes, c’est-à-dire les synhédristes présents à la
résurrection, n’en avaient pas parlé au peuple, mais certainement les juifs en ont parlé et la nouvelle
s’est répandue comme un éclair, et d’une maison à l’autre, d’une terrasse à l’autre, des voix des
femmes se la répètent, alors qu’en bas le petit peuple la propage en se réjouissant grandement pour
le triomphe de Jésus et pour Lazare. Les gens remplissent les rues en courant çà et là, croyant
toujours arriver les premiers pour donner la nouvelle, mais restent déçus car on la connaît à Ophel
comme à Bézéta, dans Sion comme au Sixte. On la connaît dans les synagogues et dans les
magasins, au Temple et dans le palais d’Hérode.
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On la connaît à l’Antonia et de l’Antonia elle se répand dans les postes de garde aux portes, ou vice
versa. Elle emplit les palais comme le taudis : « Le Rabbi de Nazareth a ressuscité Lazare de
Béthanie qui est mort la veille du vendredi et a été mis au tombeau avant le début du sabbat et est
ressuscité à l’heure de sexte d’aujourd’hui. »
Les acclamations hébraïques au Christ et au Très-Haut se croisent avec celles variées des
romains : « Par Jupiter ! Par Pollux ! Par Libitinia ! » et cætera.
Les seuls qui je ne vois pas dans la foule qui parle dans les rues sont ceux du Sanhédrin. Je n’en
vois pas un seul, alors que je vois Chouza et Manaën qui sortent d’un splendide palais et que
j’entend Chouza qui dit : « Grand ! Grand ! J’ai envoyé tout de suite la nouvelle à Jeanne. Il est
réellement Dieu ! » et Manaën lui répond : « Hérode, venu de Jéricho pour présenter ses hommages
… au Maître : Ponce Pilate semble fou dans son palais, alors qu’Hérodiade est furieuse et le pousse
à donner des ordres pour arrêter le Christ. Elle tremble de sa puissance, lui de ses remords. Il claque
des dents en disant aux plus fidèles de le défendre … des spectres. Il s’est enivré pour se donner du
courage et le vin lui tourne dans la têt en lui faisant voir des fantômes. Il crie que le christ a aussi
ressuscité Jean qui lui crie maintenant aux oreilles les malédictions de Dieu. Je me suis enfui de
cette Géhenne. Je me suis contenté de lui dire : ‘Lazare a été ressuscité par Jésus de Nazareth.
Garde-toi de le toucher, car il est Dieu’. Je le garde dans cette peur pour qu’il ne cède pas à la
volonté homicide de sa femme. »
« Moi, je devrai y aller au contraire… Je dois y aller. Mais avant j’ai voulu passer chez Eliel et
Elcana. Ils vivent à part, mais ce sont toujours de grandes voix en Israël ! Et Jeanne est contente que
je les honore. Et moi… »
« Une bonne protection pour toi, c’est vrai. Mais jamais telle que l’amour du Maître. C’est
l’unique protection qui ait de la valeur… »
Chouza ne réplique rien. Il réfléchit… Je les perds de vue.
De Bézéta arrive tout en hâte Joseph d’Arimathie. On l’arrête. C’est un groupe d’habitants
incrédules qui se demandent s’il faut croire la nouvelle et ils l’interrogent.
« C’est vrai ! C’est vrai ! Lazare est ressuscité et il est guéri aussi. Je l’ai vu de mes yeux. »
« Mais alors… il est vraiment le Messie ! »
« Ses œuvres sont telles. Sa vie est parfaite. C’est le temps. Satan le combat. Que chacun conclue
dans son cœur ce qu’est le Naza-
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réen » dit Joseph prudemment et aussi avec exactitude. Il salue et s’en va.
Ils discutent et finissent par conclure : « Il est vraiment le messie. »
Un légionnaire parle dans un groupe : « Si je le puis, demain je vais à Béthanie. Par Venus et
Mars, mes dieux préférés ! je pourrai faire le tour de l’Orbe des déserts brûlants aux terres glacées
germaniques, mais me trouver là où ressuscite quelqu’un mort depuis des jours, cela ne m’arrivera
plus. Je veux voir comme est quelqu’un qui revient de la mort. Il sera noirci par l’eau des fleuves
d’outre-tombe… »
«S’il était vertueux, il sera blême après avoir bu l’eau céruléenne des Champs Elysées. Il n’y a pas
que Styx là-bas… »
« Il nous dira comment sont les prairies d’asphodèles de l’Hadès… je viens moi aussi. »
« Si Ponce le veut… »
« Oh ! Bien sûr qu’il le veut ! Il a expédié tout de suite un courrier à Claudia pour qu’elle vienne.
Claudia aime ces choses. Je l’ai entendue plus d’une fois avec les autres et avec ses affranchis grecs
discuter de l’âme et de l’immortalité. »
« Claudia croit au Nazaréen. Pour elle il est plus grand que tout autre homme. »
« Oui. Mais pour Valeria, il est plus qu’un homme, c’est Dieu. Une espèce de Jupiter et d’Apollon
pour la puissance et la beauté, disent-elles, et il est plus sage que Minerve. L’avez-vous vu ? Moi, je
suis venu ici pour la première fois avec Ponce et je ne sais pas.. »
« Je crois que tu es arrivé à temps pour voir beaucoup de choses. Tout à l’heure, Ponce criait
d’une voix de Stentor : ‘Ici, tout doit changer. Ils doivent comprendre que c’est Rome qui
commande et qu’eux, tous, sont asservis. Et plus ils sont grands, plus ils sont asservis, parce que
plus dangereux’. Je crois que c’est à cause de cette tablette qui lui avait été apportée par les
serviteurs d’Anna… »
« Bien sûr, il ne veut pas les écouter… Et il nous change tous car… il ne veut pas d’amitié entre
nous et eux. »
« Entre nous et eux ? Ha ! Ha ! Ha ! Avec ceux au gros nez qui sentent mauvais ? Ponce digère
mal la trop grande quantité de porc qu’il mange. A moins… qu’il ne s’agisse de l’amitié avec
quelque femme qui ne dédaigne pas de baiser des bouches rasées… » dit quelqu’un en riant
malicieusement.
« C’est un fait que depuis les troubles des Tabernacles il a demandé et obtenu le changement de
toutes les troupes, et qu’il nous fait partir… »
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« C’est vrai. On a déjà signalé à Césarée l’arrivée de la galère qui transporte Longin et sa centurie.
De nouveaux gradés, de nouvelles troupes… et tout cela à cause de ces crocodiles du temple. J’étais
bien ici. »
« Moi, j’étais mieux à Brindisi… mais je m’habituerai » dit celui qui vient d’arriver en Palestine.
Ils s’éloignent eux aussi.
Des gardes du temple passent avec des tablettes de cire. Les gens les observent et disent : « Le
Sanhédrin se réunit d’urgence. Que veulent-ils faire ? »
Quelqu’un répond : « Montons au temple et voyons… » Ils se dirigent vers la rue qui va au
Moriah.
Le soleil disparaît derrière les maisons de Sion et les monts de l’occident. Le soir tombe et va
bientôt débarrasser les rues des curieux. Ceux qui sont montés au Temple en descendent fâchés
parce qu’ils ont été chassés même des portes où ils s’étaient attardés pour voir passer les
synhédristes.
L’intérieur du Temple, vide, désert, enveloppé par la lumière de la lune, paraît immense. Les
synhédristes s rassemblent lentement dans la salle du Sanhédrin. Ils y sont tous, comme pour la
condamnation de Jésus. Pourtant ne s’y trouvent pas ceux qui alors faisaient office de greffiers. Il
n’y a que les synhédristes, en partie à leurs places, en partie en groupes près des portes.
Caïphe entre avec sa figure et son corps de crapaud obèse et méchant, et il va à sa place.
Ils commencent de suit à discuter sur les faits survenus et ils se passionnent tellement pour la
chose que bientôt la séance devient animée. Ils quittent leurs places, descendent dans l’espace vide
en gesticulant et en parlant à haute voix. Quelques-uns conseillent le calme et de bien réfléchir
avant de prendre des décisions.
D’autres répliquent : « Mais n’avez-vous pas entendu ceux qui sont venus ici après none ? Si nous
perdons les juifs les plus influents, à quoi nous sert alors d’accumuler les accusations ? Plus il vit et
moins on nous croira si nous l’accusons. »
« Et ce fait, on ne peut le nier. On ne peut dire aux gens nombreux qui étaient là : ‘Vous avez mal
vu. C’est une illusion. Vous étiez ivres.’ Le mort était mort, putréfié, décomposé. Il avait été déposé
dans un tombeau fermé et le tombeau était bien muré. Le mort était sous des bandelettes et les
baumes depuis plusieurs jours. Le mort était lié. Et pourtant il est sorti de s place, il est venu de lui-
même sans marcher jusqu’à l’ouverture. Et une fois libéré, il
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n’était plus mort en son corps. Il respirait. Il n’y avait plus de corruption, alors qu’auparavant quand
il vivait, il était couvert de plaies et, dès sa mort, il était tout décomposé. »
« Vous avez entendu les juifs les plus influents, ceux qui nous avions poussés là pour les
conquérir complètement à notre cause ? Ils sont venus nous dire : ‘Pour nous, il est l messie’.
Presque tous sont venus ! Le peuple ensuite !... »
« Et ces maudits romains pleins de fables ! Qu’en faites-vous ? Pour eux, il est Jupiter
Maximus. Et s’ils se mettent cette idée en têt ! Ils nous ont fait connaître leurs histoires, et cela a été
une malédiction. Anathème sur ceux qui ont voulu l’hellénisme en nous, et pour les flatter nous ont
profané par des coutumes qui ne sont pas nôtres ! Mais pourtant cela sert aussi à notre information,
et nous savons que le romain a vite fait d’abattre et élever par des conjurations et des coups d’état.
Or si certains de ces fous s’enthousiasment pour le Nazaréen et le proclament César, et par
conséquent divin, qui pourra le toucher ? »
« Mais non ! Qui veux-tu qui fasse cela ? Eux se rient de Lui et de nous. Pour grand que ce soit ce
qu’il accomplit, pour eux il est toujours ‘un juif’, et donc un misérable. La peur te rend stupide, ô
fils d’Anna ! »
« La peur ? As-tu entendu comment Ponce a répondu à l’invitation de mon père ? Il est
bouleversé, te dis-je, il est bouleversé par ce dernier fait et il craint le Nazaréen. Malheureux que
nous sommes ! Cet homme est venu pour notre ruine ! »
« Si au moins nous n’y étions pas allés et si nous n’avions pas presque commandé aux plus
puissants des juifs d’y aller ! Si Lazare était ressuscité sans témoins ! »
« Eh, bien ? Qu’est-ce que cela aurait changé ? Nous ne pouvions sûrement pas le faire disparaître
pour faire croire qu’il était toujours mort »
« Cela non. Mais nous pouvions dire que cela avait été une fausse mort. Des témoins payés pour
dire le faux, on en trouve toujours. »
« Mais pourquoi tant d’agitation ? Je n’en vois pas la raison ! A-t-il, par hasard, provoqué le
Sanhédrin et le Pontificat ? Non. Il s’est borné à accomplir un miracle. »
« Il s’est borné ? Mais tu es sot ou vendu à Lui, Eléazar’ Il n’a pas provoqué l Sanhédrin et l
Pontificat’ Et que veux-tu de plus ? Les gens… »
« Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, mais les choses sont comme le dit Eléazar. Le Nazaréen
n’a fait qu’un miracle. »
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« Voilà l’autre qui le défend ! Tu n’es plus un juste, Nicodème ! Tu n’es pli us un juste ! C’est un
acte contre nous, contre nous, comprends-tu ? Plus rien ne persuadera la foule Ah ! malheureux que
nous sommes ! Moi, aujourd’hui, j’ai été bafoué par certains juifs. Moi, bafoué ! Moi ! »
« Tais-toi, Doras ! Tu n’es que un homme, mais c’est l’idée qui est frappée ! Nos lois. Nos
prérogatives ! »
« Tu parles bien, Simon, et il faut les défendre. »
« Mais comment ? »
« En attaquant, en détruisant les siennes ! »
« C’est vite dit, Sadoc. Mais comment les détruis-tu si de toi-même tu ne sais pas faire revivre un
moucheron ? Ici, il nous faudrait un miracle plus grand que le sien, mais aucun de nous ne peut le
faire parce que … Celui qui parle ne sait pas dire pourquoi.
Joseph d’Arimathie termine la phrase : « Parce que nous sommes des hommes, seulement des
hommes. »
Ils se jettent sur lui en demandant : « Et Lui, qui est-il alors ? »
L’homme d’Arimathie répond avec assurance : « Il est Dieu. Si j’avais encore des doutes…. »
« Mais tu n’en avais pas. Nous le savons, Joseph. Nous le savons. Dis-le donc ouvertement que tu
l’aimes ! »
« Il n’y a rien de mal que Joseph l’aime. Moi-même je le reconnais pour le plus grand Rabbi
d’Israël »
« C’est toi, Gamaliel, qui dis cela ? »
« Je le dis. Et je m’honore d’être… détrôné par Lui. Jusqu’à présent j’avais conservé la tradition
des grands rabbis, dont le dernière était Hillel, mais après moi je n’aurais pas su qui pouvait
recueillir la sagesse des siècles. Maintenant je m’en vais content parce que je sais qu’elle ne mourra
pas, mais au contraire deviendra plus grande parce qu’elle sera accrue de la sienne, à laquelle est
certainement présent l’Esprit de Dieu. »
« Mais que dis-tu, Gamaliel ? »
« La vérité. Ce n’est pas en se fermant les yeux que l’on peut ignorer ce que nous sommes. Nous
ne sommes plus sages car le principe de la sagesse c’est la crainte de Dieu. Si nous avions cette
crainte, nous ne piétinerons pas le juste et nous n’aurions pas la sotte avidité des richesses du
monde. Dieu donne et Dieu enlève, selon les mérites et les démérites. Et si maintenant Dieu nous
enlève ce qu’il nous avait donné, pour le donner à d’autres, qu’Il soit béni car saint est le Seigneur,
et saintes sont toute ses
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actions. »
« Mais nous ne parlions pas de miracle et nous voulions dire que personne de nous ne peut les
faire parce que Satan n’est pas avec nous. »
« Non. Parce que Dieu n’est pas avc nous. Moïse sépara les eaux et ouvrit le rocher, Josué arrêta
le soleil, Elie ressuscita l’enfant et fit tomber la pluie, mais dieu était avec eux. Je vous rappelle
qu’il y a six choses que Dieu hait et qu’Il exècre la septième : les yeux orgueilleux, la langue
menteuse, les mains qui répandent le sang innocent, le cœur qui médite des desseins mauvais, les
pieds qui courent rapidement vers le mal, le faux témoin qui dit des mensonges et celui qui met la
discorde parmi ses frères. Nous faisons toutes ces choses. Je dis ‘nous’, mais c’est vous seuls qui les
faites, car moi je m’abstins de crier : ‘Hosanna’ et de crier ‘Anathème’. J’attends. »
« Le signe ! Naturellement, tu attends le signe ! Mais quel signe attends-tu d’un pauvre fou, si
vraiment nous voulons Lui donner tous les pardons ? »
Gamaliel lève les mains et, les bras en avant, les yeux fermés, la tête légèrement inclinée,
hiératique d’autant plus qu’il parle lentement et d’une voix lointaine : ‘J’ai interrogé anxieusement
le Seigneur pour qu’Il m’indiquât la vérité, et Lui a éclairé pour moi les paroles de Jésus fils de
Sirac, celles-ci : ‘Le Créateur de toutes choses m’a parlé et m’a donné ses ordres, et Celui qui m’a
crée a reposé dans mon Tabernacle et Il m’a dit : ,Habite en Jacob, que ton héritage soit en Israël,
jette tes racines parmi mes élis’…. Et encore Il m’a éclairé celles-ci, et je les ai reconnues : , Venez
à Moi, vous tous qui me désirez et rassasiez-vous de mes fruits, car mon esprit est plus doux que le
miel et mon héritage plus qu’un rayon de miel. Mon souvenir durera dans les générations des
siècles. Celui qui me mange aura faim d Moi, et celui qui boit de Moi, aura soif de Moi, et celui qui
m’écoute n’aura plus à rougir, et celui qui travaille pour Moi ne pêche pas, et celui qui me met en
lumière aura la vie éternelle’. Et la lumière de Dieu s’accrut en mon esprit alors que mes yeux
lisaient ces paroles : ‘Ce sont toutes ces choses que contient le livre de la Vie, le testament du Très-
Haut, la doctrine d la Vérité… Dieu a promis à David de faire naître de lui le Roi très puissant qui
doit rester assis éternellement sur le trône de la gloire. Lui regorge de sagesse comme le Phison et le
Tigre au temps des nouveaux fruits, comme l’Euphrate regorge d’intelligence, et il croît comme le
Jourdain au temps de la moisson. Il répand la
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sagesse comme la lumière… Lui, l premier, l’a parfaitement connue’. Voilà les lumières que Dieu
m’a données ! Mais, hélas ! que dis-je, que la sagesse qui est parmi nous est trop grande pour que
nous la comprenions et que nous accueillons une pensée plus vaste que la mer et un conseil plus
profond que le grand abîme. Et nous l’entendons crier : ‘Comme un canal d’eaux immenses j’ai
jaillit du Paradis et j’ai dit : , J’arroserai mon jardin’. Et voilà que mon canal devient un fleuve, et le
fleuve une mer. Comme l’aurore, je diffuse à tous ma doctrine et je la ferai connaître à ceux qui
sont les plus loin. Je pénétrerai dans les parties les plus basses, je jetterai mon regard sur ceux qui
dorment, j’éclairai ceux qui espèrent dans le seigneur. Et je répandrai encore ma doctrine comme
une prophétie et je la laisserai à ceux qui cherchent la sagesse, je ne cesserai pas de l’annoncer
jusqu’au siècle saint. Je n’ai pas travaillé pour moi seulement, mais pour tous ceux qui cherchent la
vérité’. Voilà ce que m’a fait lire Jéhovah, le Très-Haut’ et il abaisse les bras en relevant la tête.
« Mais alors pour toi il est le messie ?! Dis-le ! »
« Ce n’est pas le messie. »
« Il ne l’est pas ? Mais alors, qu’est-il pour toi ? Un Démon, non. Un ange, non. Le Messie,
non… »
« Il est Celui qui est. »
« Tu délires ! Il est Dieu ? Il est Dieu pour toi, ce fou ? »
« Il est Celui qui est. Dieu sait ce qu’il est. Nous voyons ses œuvres, Dieu voit aussi ses pensées.
Mais il n’est pas le Messie car, pour nous, Messie veut dire ‘Roi’ Lui n’est pas, ne sera pas roi.
Mais il est saint, et ses œuvres sont celles d’un saint. Et nous, nous ne pouvons pas lever la main sur
l’Innocent, sans commettre un péché. Moi, je ne souscrirai pas au péché. »
« Mais par ces paroles tu l’as presque appelé l’Attendu ! »
« C’est ce que j’ai dit. Tant qu’a duré la lumière du Très-Haut, je l’ai vu tel. Puis … quand m’a
abandonné la main du Seigneur, élevé dans sa lumière, je suis redevenu homme, l’homme d’Israël,
moi, vous, ceux d’avant nous et, que Dieu n le permette pas, ceux d’après nous, donnent le sens de
leur, de notre pensée, pas le sens qu’elles ont dans la pensée éternelle qui les a dictées à son
serviteur. »
« Nous parlons, nous divaguions, nous perdons du temps et, pendant ce temps-là, le peuple
s’agite » dit Canania de sa voix rauque.
« Bien dit ! Il faut décider et agir, pour se sauver et triompher. »
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« Vous dites que Pilate n’a pas voulu nous écouter quand nous demandions son aide contre le
Nazaréen. Mais si nous lui faisions savoir … Vous avez dit auparavant que si les troupes s’exaltent
elles peuvent le proclamer César… Eh ! Eh ! C’est une bonne idée ! Allons exposer au Proconsul
ce danger. Nous serons honorés comme des fidèles serviteurs de Rome et … si lui intervient nous
serons débarrassés du Rabbi. Allons, allons ! Toi, Eléazar d’Anna, qui es plus que tous son ami,
sois notre chef » dit en riant Elchias de sa voix de serpent.
Il y a un peu d’hésitation, mais ensuit un groupe des plus fanatiques sort pour se rendre à
l’Antonia. Caïphe reste avec les autres.
« A cette heure ! Ils ne seront pas reçus » objecte quelqu’un
« Non ! Au contraire ! C’est la meilleure. Ponce est toujours de bonne humeur quand il a bu et
mangé comme boit et mange un païen… »
Je les laisse là à discuter, et pour moi s’éclaire la scène d l’Antonia.
Le parcours est fait vite et sans difficulté tant est limpide la clarté de la lune qui contraste
grandement avc la lumière rouge des lampes allumées dans le vestibule du palais prétorien.
Eléazar réussit à se faire annoncer à Pilate, et on les fait passer dans une salle vide, absolument
vide. Il n’y a qu’un siège massif, avec un dossier bas, couvert d’un drap pourpre qui ressort
vivement dans la blancheur absolue de la salle. Ils se tiennent en groupe, un peu craintifs, transis de
froid, debout sur le marbre blanc du pavé. Il n vient personne. Le silence est absolu. Pourtant, par
intervalles, une musique lointaine rompt ce silence.
« Pilate est à table, certainement avec des amis. Cette musique vient du triclinium. Il y aura des
danses en l’honneur des hôtes » dit Eléazar d’Anna.
« Corromps ! Demain je me purifierai. La luxure transpire d ces murs « dit avec dégoût Elchias.
« Pourquoi es-tu venu, alors’ C’est toi qui l’as proposé » lui réplique Eléazar.
« Pour l’honneur de Dieu et le bien de la Patrie, je sais faire n’importe quel sacrifice. Et c’est un
grand sacrifice ! Je m’étais purifié pour m’être approché de Lazare … et maintenant ! … Journée
terrible, aujourd’hui !... »
Pilate ne viens pas. Le temps passe. Eléazar, habitué à l’endroit, essaie les portes. Elles sont toutes
fermées. La crainte s’empare de ceux qui sont présents. Des histoires effrayantes reviennent à
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l’esprit. Ils regrettent d’être venus. Ils se sentent déjà perdus.
Finalement, du côté qui est opposé à eux, qui sont près de la porte par laquelle ils sont entrés, et
par conséquent près de l’unique siège de la pièce, voilà que s’ouvre une porte et qu’entre Pilate avec
un vêtement tout blanc comme la salle. Il entre en parlant avec des invités. Il rit. Il se tourne pour
commander à un esclave qui soulève un rideau au-delà de la sorti, de jeter des essences dans un
brasier et d’apporter des parfumes et de l’eau pour les mains, et qu’un esclave vienne avec un miroir
et des peignes. Il ne s’occupe pas des hébreux, c’est comme s’ils n’existaient pas. Ceux-ci sont en
colère, mais n’osent pas bouger…
Là-bas , pendant ce temps, on apporte des brasiers, on répand des résines sur le feu, on verse de
l’eau parfumée sur les mains des romains. Un esclave, par des mouvements adroits, peigne les
cheveux selon la mode des riches romains de l’époque. Et les hébreux s’emportent.
Les romains rient entre eux et plaisantent en regardant de temps en temps le groupe qui attend là-
bas, au fond, et quelqu’un parle à Pilate qui ne s’est jamais tourné pour regarder ; mais Pilat hausse
les épaules avc un geste d’ennui et bat des mains pour appeler un esclave au quel il ordonne à haute
voix d’apporter des friandises et de faire entrer les danseuse. Les hébreux, scandalisés, frémissent
de colère. Pensez à Elchias obligé de voir des danseuses ! Son visage est un poème de souffrance et
de haine.
Les esclaves arrivent avec des friandises dans des coupes précieuses, et derrière les danseuses
couronnées de fleurs et à peine couvertes de toiles si légères qu’elles semblent des voiles. Les chairs
très blanches transparaissent à travers les vêtements légers, teints de ros et bleu clair, quand elles
passent devant les brasiers allumés et les lampes nombreuses posées au fond. Les romains admirent
la grâce des corps et des mouvements et Pilate redemande un pas de danse qui lui a plu
particulièrement. Elchias, imité par ses compagnons, se tourne indigné contre le mur pour ne pas
voir les danseuses voler comme des papillons dans un balancement d’habits inconvenants.
Une fois fini la courte danse, Pilate les congédies en mettant dans la main d chacune une couple
remplie de friandises où il jette nonchalantement un bracelet. Finalement il daigne se tourner pour
regarder les hébreux et il dit à ses amis d’un air ennuyée : » Et maintenant … je devrai passer du
rêve à la réalité .. de la poésie à… l’hypocrisie … de la grâce aux ordures de la vie. Misère d’être
Pro-
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consul !... Salut, amis, et ayez compassion de moi. »
Il reste seul et lentement il s’approche des hébreux. Il s’assoit, observe ses mains bien soignées, et
découvre sous un ongle quelque chose qui ne va pas. Il s’en occupe et s’en occupe en sortant de son
vêtement une fine baguette d’or avec laquelle il remédie au grand dommage d’un ongle imparfait…
Puis il fait la grâce de tourner lentement la tête. Il ricane à la vue des juifs encore inclinés
servilement, et leur dit : « Vous ! Ici ! Et soyez brefs. Je n’ai pas de temps à perdre à des choses
sans importance. »
Les hébreux s’approchent dans une attitude toujours servile jusqu’à ce qu’un : « Assez ! Pas trop
près ! » les cloue au sol. « Parlez ! Et redressez-vous. Il ne convient qu’à des animaux de rester
courbés vers le sol » et il rit.
Les hébreux se redressent sous le mépris et se tiennent plastronnant.
« Donc ? Parlez ! Vous avez absolument venir. Maintenant que vous êtes ici, parlez. »
« Nous voulons te dire … Pour autant que nous sachions… Nous sommes des serviteurs fidèles de
Rome… »
« Ha ! Ha ! Ha ! Des serviteurs fidèles de Rome ! Je le ferai savoir au divin César et il en sera
heureux Il sera heureux ! Parlez, farceurs ! Et faites vite ! »
Les synhédristes trépignent, mais ne réagissent pas. Elchias prend la parole au nom de tous : « Tu
dois savoir, ô Ponce, qu’aujourd’hui à Béthanie un homme a été ressuscité… »
« Je le sais. C’est pour me dire cela que vous êtes venus ? Je le savais déjà depuis plusieurs
heures. Il a de la chance de savoir déjà ce que c’est de mourir et que c’est que l’autre monde ! Et
que puis-je faire si Lazare de Théophile est ressuscité ? Peut-être il m’a apporté un message d
l’Hadès ? » Il est ironique.
« Non. Mais sa résurrection est un danger… »
« Pour lui ? Certainement ! Le danger de devoir mourir de nouveau. Opération très agréable. Eh
bien ! Que puis-je faire ? Suis-je Jupiter, moi ? »
« Un danger, non pour Lazare, mais pour césar. »
« Pour ? … Domine ! mais peut-être ai-je bu ! Vous avez dit : ‘Pour César ? Et en quoi Lazare
peut-il nuire à César ? Vous craignez peut-être que la puanteur de son tombeau puisse corrompre
l’air que respire l’Imperator ? Rassurez-vous ! C’est trop loin ! »
« Ce n’est pas cela. C’est que Lazare, en ressuscitant, peut faire détrôner l’Imperator. »
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« Détrôner ? Ha ! Ha !Ha ! C’est plus grand que le monde ! Mais alors ce n’est pas moi qui suis
ivre, mais vous. Peut-être l’épouvante vous a bouleversé l’esprit. Voir ressusciter … Je crois, je
crois que cela peut troubler. Allez, allez au lit. Un bon repos. Et un bain chaud, bien chaud, salutaire
contre les délires. »
« Nous ne délirons pas, Ponce. Nous te disons que si tu n’y mets pas bon ordre, tu passeras de
tristes heures. Tu seras certainement puni, si même tu n’es pas tué par l’usurpateur. D’ici peu, le
Nazaréen sera proclamé roi, roi du monde, comprends-tu ? Les légionnaires eux-mêmes le feront.
Ils sont séduits par le Nazaréen et l’événement d’aujourd’hui les a exaltés. Quel serviteur de Rom
es-tu si tu ne te préoccupes pas de s paix ? Veux-tu donc voir Rome vaincue, et les enseignes
abattues, l’Imperator tué, tout détruit… »
« Silence ! C’est moi qui parle, et je vous dis : vous êtes des fous ! Davantage encore : vous êtes
des menteurs, vous êtes des malandrins. Vous mériteriez la mort. Sortez d’ici, hideux serviteurs de
vos intérêts, de votre haine, de votre bassesse. Vous êtes esclaves, pas moi. Je suis citoyen romain et
les citoyens romains ne sont assujettis à personne. Je suis le fonctionnaire impérial et je travaille
pour les intérêts de la patrie. Vous … vous êtes les sujets. Vous … vous êtes sous notre
domination. Vous … vous êtes les galériens attachés aux bancs, et vous frémissez inutilement. Le
fouet du chef est sur vous. Le nazaréen !... Vous voudriez que je tue le Nazaréen ? Vous voudriez
que je l’emprisonne ? Par Jupiter ! Si pour le salut de Rome et du divin Imperator je devais
emprisonner les sujets dangereux, ou les tuer ici où je gouverne, C’est le Nazaréen et ses partisans,
eux seuls, que je devrais laisser libres et vivants. Allez. Dégagez et ne revenez plus jamais devant
moi. Turbulents ! Fauteurs de troubles ! Voleurs et complices de voleurs ! Aucune de vos
manigances ne m’est inconnue. Sachez-le, et sachez aussi que des armes toutes neuves et des
nouveaux légionnaires ont servi à découvrir vos pièges et vos instruments. Vous criez pour les
impôts romains, mais que vous a coûté Melchias de Galaad, et Jonas de Scythopolis, et Philippe de
Soco, et Jean de Bétaven, et Joseph de Ramaot, et tous les autres qui vont bientôt être pris ? Et
n’allez pas près des grottes de la vallée car il s’y trouve plus de légionnaires que de pierres, et les
lois et la galère sont les mêmes pour tous. Pour tous ! Vous comprenez ? Pour tous. Et j’espère
vivre assez pour vous voir tous enchaînés, esclaves parmi les esclaves sous le talon
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de Rome. Sortez ! Allez et rapportez ma réponse, même toi, Eléazar d’Anna que je ne veux plus
voir dans ma maison, car le temps de la clémence est fini, car moi je suis le Proconsul et vous les
sujets. Les sujets. C’est moi qui commande, au nom de Rome. Sortez ! Serpents de nuit !
Vampires ! Et le Nazaréen veut vous racheter ? S’il était Dieu, il devrait vous foudroyer ! Et du
monde serait disparue la tâche la plus dégoûtante. Dehors ! Et n’osez pas faire de conjurations, ou
vous connaîtrez le glaive et le fouet. »
Il se lève et s’en va en claquant la porte devant les synhédristes interdits qui n’ont pas le temps de
se remettre car un détachement en armes les chasse hors de la salle et du palais comme des chies.
Ils reviennent à la salle du Sanhédrin. Ils racontent. L’agitation est à son comble. La nouvelle de
l’arrestation de plusieurs voleurs et des battues dans les grottes pour prendre les autres trouble
fortement tous ceux qui sont restés, car plusieurs, lassés d’attendre, s’en sont allés.
« Et pourtant nous ne pouvons pas le laisser vivre » crient des prêtres.
« Nous ne pouvons pas le laisser faire. Lui agit. Nous nous ne faisons rien, et jour après jour nous
perdons du terrain. Si nous l laissons encore libre, il continuera de faire des miracles et tous croiront
en Lui. Et les romains finiront par être contre nous, et nous détruire complètement. Ponce parle
ainsi, mais si la foule le proclamait roi, oh ! alors Ponce a le devoir de nous punir, tous. Nous ne
devons pas le permettre » crie Sadoc.
« C’est bien. Mais comment ? La voie … légale romaine a failli. Ponce est sûr du Nazaréen. Notre
voie… légale est rendue impossible. Lui ne pèche pas… » objecte quelqu’un.
« On invente la faute, si elle n’existe pas » insinue Caïphe.
« Mais c’est un péché de faire cela ! Jurer ce qui est faux ! Faire condamner un innocent ! C’est…
trop !... » disent la plupart avec horreur. « C’est un crime car ce sera la mort pour Lui. »
« Hé bien ? Cela vous effraye ? Vous es des sots et n’y comprenez rien. Après ce qui est arrivé,
Jésus doit mourir. Vous ne réfléchissez pas vous tous qu’il vaut mieux qu’il meure un homme plutôt
qu’un grand nombre ? Par conséquent que Lui meure pour sauver son peuple pour que ne périsse
pas toute la nation. Du reste… Lui dit qu’il est la Sauveur. Qu’il se sacrifie donc pour sauver tout le
monde » dit Caïphe, odieux par sa haine froide et astucieux.
« Mais Caïphe ! Réfléchis ! Lui … »
« J’ai parlé. L’esprit du Seigneur est sur moi, le Grand Prêtre. Malheur à qui ne respecte pas Le
Pontife d’Israël. Les foudres de Dieu sur lui ! C’est assez attendu ! C’est assez discuté ! J’ordonne
et décrète que quiconque sait où se trouve le Nazaréen vienne dénoncer l’endroit, et anathème sur
qui n’obéira pas à ma parole. »
« Mais Anna … » objectent certains.
« Anna m’a dit : ‘Tout ce que tu feras sera saint’. Levons la séance. Vendredi, entre terce et sexte,
tous ici pour délibérer. J’ai dit tous, faites-le savoir aux absents. Et que soient convoqués tous les
chefs de famille et de classes, toute l’élite d’Israël. Le Sanhédrin a parlé. Allez. »
Il se retire le premier là d’où il était venu, alors que les autres prennent d’autres directions, et ils
sortent du Temple en parlant à voix basse pour rentrer chez eux.

TABLE DES MATIÈRES


Vol 9°
La Passion
* 20 % en ligne *
1 Introductions diverses: «Le Fils de Dieu et de la Femme sans
tache apparut comme un ver» *
2 Introductions diverses: «Il suffit de dire la vérité pour être haïs»
3 Introductions diverses: «J’ai souffert de voir souffrir ma Mère»
4 Introductions diverses: «J’étais, je suis le Fils de Dieu. Mais j’étais aussi le Fils de
l’homme»
5 Introductions diverses: «Vous ne réfléchissez jamais à ce que vous m’avez coûté
6 L’adieu à Lazare
7 Judas va trouver les chefs du Sanhédrin
8 De Béthanie à Jérusalem
9 L’entrée de Jésus à Jérusalem
10 Le soir du dimanche des Rameaux *

11 Le lundi après l’entrée à Jérusalem: le jour


12 Le lundi d’avant Pâque: la nuit
13 Le mardi d’avant Pâque: le jour
14 Le mardi d’avant Pâque: la nuit
15 Le mercredi d’avant Pâque: le jour
16 Le mercredi d’avant Pâque: la nuit
17 Le jeudi d’avant Pâque: le jour
18 Description du Cénacle et adieu à la Mère avant la dernière Cène
19 La Cène pascale
20 Réflexions sur la dernière Cène

21 L’agonie et la capture au Gethsémani


22 Les différents procès
23 Réflexions sur la conduite de Pilate envers Jésus
24 Judas de Kériot après sa trahison
25 «Si Judas s’était jeté aux pieds de la Mère en disant: “Pitié”, la Mère de Pitié l’aurait
recueilli comme un blessé»
26 «Marie doit annuler Eve» 251
27 Jean va prendre la Mère
28 Du Prétoire au Calvaire
29 La Crucifixion
30 Le tombeau de Joseph d’Arimathie. La terrible angoisse de Marie.
L’embaumement du Sauveur

31 Le retour au Cénacle
32 La nuit du Vendredi saint
33 La lamentation de la Vierge
34 Dans la journée du Samedi saint
35 La nuit du Samedi saint
Maria Valtorta

L’ EVANGILE
TEL QU’IL M’A ETE REVELE

Traduit de l’italien par Félix Sauvage

Volume 9.e
LA PASSION

1. INTRODUCTIONS DIVERSES:
I «LE FILS DE DIEU ET DE LA FEMME SANS
TACHE APPARUT COMME UN VER»

Jésus dit:
«Et maintenant, viens. Bien que tu sois ce soir comme quelqu’un qui
va expirer, viens, que je t’amène vers mes souffrances. Long sera le chemin
que nous devrons faire ensemble, car aucune douleur ne m’a été épargnée:
ni celle de la chair, ni celle de la pensée, ni celle du coeur, ni celle de
l’esprit. Toutes je les ai éprouvées, de toutes je me suis nourri, de toutes je
me suis désaltéré, jusqu’à en mourir.
Si to posais ta bouche sur mes lèvres, tu sentirais qu’elles gardent
encore l’amertume de tant de douleur. Si tu pouvais voir mon Humanité
dans son vêtement, maintenant éclatant, tu verrais que cet éclat émane de
milliers et de milliers de blessures qui couvrirent d’un vêtement de pourpre
vivante mes membres déchirés, exsangues, marqués de coups, transpercés
par amour pour vous.
Maintenant mon Humanité est éclatante. Mais il y eut un jour où elle fut semblable à celle d’un
lépreux tant elle était frappée et humiliée. L’Homme-Dieu, qui avait en Lui-même la perfection de
la beauté physique en tant que Fils de Dieu et de la Femme sans tache, apparut alors, aux yeux de
ceux qui le regardaient avec amour, avec curiosité, ou avec mépris, laid: un “ver” comme dit David,
l’opprobre des hommes, le rebut du peuple.
Mon amour pour mon Père et pour les enfants de mon Père m’a amené à abandonner mon corps à
ceux qui me frappaient, à offrir mon visage à ceux qui me giflaient et me couvraient de crachats, à
ceux qui croyaient faire une oeuvre méritoire en m’arrachant les cheveux, la barbe, en me
transperçant la tête avec les épines, en rendant la terre et ses fruits complices des tourments infligés
à son Sauveur, en déboîtant mes membres, en découvrant mes os, en arrachant mes vêtements et
donnant ainsi à ma pureté la plus grande des tortures, en m’attachant à un bois, en m’élevant
comme un agneau égorgé aux crocs d’un boucher, et aboyant autour de mon agonie comme une
meute de chiens affamés que l’odeur du sang rend encore plus féroces.
Accusé, condamné, tué. Trahi, renié, vendu. Abandonné même par
Dieu à cause des crimes que j’avais pris sur Moi. Devenu plus pauvre qu’un
mendiant dépouillé par des brigands puisqu’on ne
7
me laissa même pas mes vêtements pour couvrir ma nudité livide de martyr.
Pas même épargné au-delà de la mort par l’insulte d’une blessure et les
calomnies de mes ennemis. Submergé sous la boue de tous vos péchés,
précipité jusqu’au fond des ténèbres de la douleur, sans aucune lumière du
Ciel qui répondît à mon regard mourant, et sans un mot de Dieu qui
répondît à mon dernier appel.
Isaïe dit la raison de tant de douleur: “Il a vraiment pris sur Lui nos
maux et il a porté nos douleurs”.
Nos douleurs! Oui, je les ai portées à votre place! Pour soulever les
vôtres, les adoucir, les supprimer, si vous m’aviez été fidèles. Mais vous
n’avez pas voulu l’être. Et qu’en ai-je eu? Vous m’avez “regardé comme un
lépreux, comme quelqu’un frappé par Dieu”. Oui, j’avais sur Moi la lèpre
de vos péchés sans nombre, elle était sur Moi comme un vêtement de
pénitence, comme un cilice; mais comment n’avez-vous pas vu
transparaître Dieu dans son infinie charité de ce vêtement que pour vous Il
avait mis sur sa sainteté?
“Blessé à cause de nos iniquités, transpercé à cause de nos crimes” dit
Isaïe qui, de son regard prophétique, voyait le Fils de l’homme devenu une
immense plaie pour guérir celles des hommes. Et s’il n’y avait eu que les
blessures de ma chair!
Mais ce que vous m’avez le plus blessé c’est le sentiment et l’esprit. De l’un et de l’autre, vous avez
fait un jouet et une cible et vous m’avez frappé dans l’amitié que je vous avais donnée, par
l’intermédiaire de Judas; dans la fidélité que j’espérais de vous, par l’intermédiaire de Pierre qui me
renia; dans la reconnaissance pour mes bienfaits, par l’intermédiaire de ceux qui me criaient:
“Meurs!” après que je les ai eus tirés de tant de maladies; à travers l’amour, pour les déchirements
infligés à ma Mère; à travers la religion, en déclarant que je blasphémais Dieu, Moi, qui pour le zèle
de la cause de Dieu, m’étais mis entre les mains de l’homme en m’incarnant, en souffrant toute ma
vie, et en m’abandonnant à la férocité humaine sans proférer un mot ou une plainte.
Il aurait suffi d’un regard pour réduire en cendres accusateurs, juges
et bourreaux. Mais j’étais venu volontairement pour accomplir le sacrifice
et comme agneau, parce que j’étais l’Agneau de Dieu et je le suis pour
l’éternité, je me suis laissé conduire au dépouillement et à la mort pour faire
de ma Chair votre Vie.
Quand j’ai été élevé, j’étais déjà consumé par des souffrances sans
nom, avec tous les noms. J’ai commencé de mourir à Bethléem, en voyant
la lumière de la Terre qui était si différente d’une façon angoissante pour
Moi qui étais le Vivant du Ciel. J’ai conti-
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nué à mourir dans la pauvreté, dans l’exil, dans la fuite, dans le travail, dans
l’incompréhension, dans la fatigue, dans la trahison, dans les affections
qu’on m’enlevait, dans les tortures, dans les mensonges, dans les
blasphèmes. Voilà ce qu’a donné l’homme à Moi qui venais pour l’unir à
Dieu!
Marie, regarde ton Sauveur. Il n’a pas son vêtement blanc, ni sa tête
blonde. Il n’a pas le regard de saphir que tu Lui connais. Son habit est rouge
de sang, il est déchiré et couvert de saleté et de crachats. Son visage est
tuméfié et défiguré, son regard voilé de sang et de pleurs, et ses yeux te
regardent à travers la croûte qu’ils forment et la poussière qui alourdit les
paupières. Mes mains, tu les vois?, elles ne sont déjà qu’une plaie en
attendant la plaie finale.
Regarde, petit Jean, comme me regarda ton frère Jean. Derrière mes pas, il reste des empreintes
sanglantes. La sueur délave le sang qui coule des écorchures des fouets, de ce qui restait encore de
l’agonie du Jardin. La parole sort, dans l’essoufflement de l’angoisse d’un coeur qui meurt déjà de
tortures de tous noms, de mes lèvres brûlées et contusionnées.
Dorénavant, to me verras souvent ainsi. Je suis le Roi de la douleur et
je viendrai te parler de ma douleur dans mon vêtement royal. Suis-moi,
malgré ton agonie. Je saurai, car je suis plein de pitié, devant tes lèvres
empoisonnées par ma souffrance, mettre aussi le miel parfumé des plus
sereines contemplations. Mais tu dois plutôt préférer ces contemplations
sanglantes, car c’est par elles que tu as la Vie et avec elles que tu
amèneras les autres à la Vie. Baise ma main sanglante et veille en méditant
sur Moi le Rédempteur.»

Je vois Jésus comme Lui-même se dépeint. Ce soir, depuis 19h (il est
1h. et quart du 11 février, désormais) je suis vraiment en agonie.

Jésus me dit ce matin 11 février à 7h.30:


«Hier soir, je n’ai voulu te parler que de Moi en proie à la souffrance, car j’ai commence la
description et la vision de mes douleurs. Hier soir, c’était l’introduction. Et tu étais tellement
épuisée, mon amie! Mais avant que l’agonie revienne, je dois te faire un doux reproche.
Hier matin, tu as été égoïste. Tu as dit au Père: “Espérons que je dure
parce que ma fatigue est la plus grande”. Non, la sienne est la plus grande
car elle est fatigante, sans être compensée par la béatitude de voir et de
posséder Jésus comme tu l’as jusqu’avec sa sainte Humanité. Ne sois
jamais égoïste, même dans les choses les plus petites. Une disciple, un petit
Jean, doit être très humble et très charitable comme son Jésus.
Et maintenant reste avec Moi. “Les fleurs sont apparues... le temps de
la taille est venu... et on a entendu dans les campagnes la voix de la
tourterelle...” Et ce sont les fleurs qui sont nées dans les flaques de Sang de
ton Christ. Et Celui que l’on coupera
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comme une branche que l’on taille, c’est le Rédempteur. Et la voix de la
tourterelle qui appelle l’épouse à son festin de noces douloureuses et
saintes, c’est la mienne qui t’aime.
Lève-toi et viens, comme dit la Messe d’aujourd’hui. Viens contempler
et souffrir. C’est le don que j’accorde à mes privilégiés.»

2. INTRODUCTIONS DIVERSES:
II. «IL SUFFIT DE DIRE LA VERITE POUR ETRE HAIS»

Jésus dit:
«Mon regard avait lu dans le coeur de Judas Iscariote. Personne ne doit penser que la Sagesse de
Dieu n’a pas été capable de comprendre ce coeur. Mais, comme je l’ai dit à ma Mère, il le fallait.
Malheur à Lui d’avoir été le traître! Mais un traître il le fallait. Plein de duplicité, d’astuce, avide,
luxurieux, voleur, et intelligent et cultivé plus que la masse des gens, il avait su s’imposer à tous.
Audacieux, il m’aplanissait le chemin même s’il était difficile. Il aimait surtout sortir du rang et
faire valoir sa place de confiance auprès de Moi. Sa serviabilité ne venait pas de la charité. Mais il
était uniquement ce que vous appelleriez un “faiseur”. Cela lui permettait de garder la bourse et
d’approcher des femmes. Deux choses, qu’avec la troisième: sa charge humaine, il aimait
effrénément.
La Femme pure, humble, détachée des richesses terrestres, ne pouvait ne pas éprouver de dégoût
pour ce serpent. Moi aussi, j’en éprouvais du dégoût. Moi seul, et le Père, et l’Esprit, nous savons
quels efforts j’ai dû soutenir pour pouvoir le supporter près de Moi. Mais je te l’expliquerai une
autre fois.
Je n’ignorais pas non plus l’hostilité des prêtres, des pharisiens, scribes
et sadducéens. C’étaient des renards rusés qui cherchaient à me pousser
dans leur tanière pour me mettre en pièces. Ils avaient faim de mon Sang.
Et ils cherchaient à me tendre partout des pièges pour s’emparer de Moi,
pour avoir l’arme des accusations, pour me faire disparaître. Pendant trois
ans longue a été l’embûche et elle ne s’est apaisée que quand ils m’ont su
mort. Ce soir-là, ils ont dormi heureux. La voix de leur accusateur était
pour toujours éteinte. Ils le croyaient. Non, elle n’était pas encore éteinte.
Elle ne le sera jamais et elle tonne, elle tonne et elle maudit leurs
semblables d’aujourd’hui. Que de douleurs eut ma Mère à
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cause d’eux! Et cette douleur Moi, je ne l’oublie pas.
Que la foule fût changeante, ce n’était pas chose nouvelle. C’est le
fauve qui lèche la main du dompteur, s’il est armé de la cravache ou s’il lui
offre un morceau de viande pour calmer sa faim. Mais il suffit que le
dompteur tombe et ne puisse pas se servir de la cravache, ou bien n’ait plus
de proie pour le rassasier, pour qu’il se jette sur lui et le mette en pièces. Il
suffit de dire la vérité et d’être bon pour être haï par la foule après le
premier moment d’enthousiasme. La vérité est reproche et avertissement.
La bonté dépouille de la cravache et fait que ceux qui ne sont pas bons ne
craignent plus. De là viennent les “crucifie-le” après que l’on a dit
“hosanna”. Ma vie de Maître est pleine de ces deux voix. Et la dernière a
été “crucifie-le”. L’hosanna est comme la respiration du chanteur afin
d’avoir du souffle pour monter à l’aigu. Marie, le soir du Vendredi Saint, a
entendu de nouveau en elle tous les hosannas mensongers, devenus des cris
de mort pour son Enfant, et elle en est restée brisée. Cela aussi, je ne
l’oublie pas.
L’humanité des apôtres! Combien grande! Je portais sur mes bras, pour
les élever vers le Ciel, des blocs qu’attirait la terre. Même ceux qui ne se
voyaient pas comme les ministres d’un roi terrestre, comme Judas
l’Iscariote, ceux qui ne pensaient pas comme lui à monter, à l’occasion, à
ma place sur le trône, étaient toujours cependant désireux de gloire. Un jour
vint où même mon Jean et son frère désirèrent cette gloire, qui vous éblouit
comme un mirage même dans les choses célestes. Ce n’est pas l’aspiration
sainte au Paradis que je veux que vous ayez, mais un désir humain que votre
sainteté soit connue. Non seulement cela, mais avidité de changeur,
d’usurier pour lequel, en échange d’un peu d’amour donné à celui auquel
je vous ai dit que vous devez donner tout vous- mêmes, prétendez avoir une
place à sa droite dans le Ciel.
Non, fils. Non. Auparavant il faut savoir boire tout le calice que j’ai bu. Tout: avec sa charité
donnée en échange de la haine, avec sa chasteté contre les appels des sens, avec son héroïsme dans
les épreuves, avec son holocauste pour l’amour de Dieu et des frères. Puis, quand tout est accompli
du propre devoir, dire encore: “Nous sommes des serviteurs inutiles” et attendre que mon Père et le
vôtre, vous accorde, grâce à sa bonté, une place dans son Royaume. Il faut se dépouiller, comme tu
as vu qu’on me dépouillait dans le Prétoire, de tout ce qui est humain, en gardant seulement
l’indispensable qui est respect envers le don de Dieu qu’est la vie, et envers les frères auxquels nous
pouvons être utiles plutôt du Ciel
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que sur la Terre, et laisser que Dieu vous revête du vêtement immortel,
purifié dans le Sang de l’Agneau.

Je t’ai montré les douleurs préparatoires de la Passion. Les autres, je te


les montrerai. Bien que ce soit toujours des douleurs, cela a été un repos
pour ton âme de les contempler. Maintenant, cela suffit. Reste en paix.»

3. INTRODUCTIONS DIVERSES:
III. «J’AI SOUFFERT DE VOIR SOUFFRIR MA MERE»

Jésus me dit:
«Je n’ai pas oublié non plus les douleurs de Marie, ma Mère. Avoir dû la déchirer par la perspective
de ma souffrance, avoir dû la voir pleurer. C’est pour cela que je ne lui refuse rien. Elle m’a tout
donné. Moi, je lui donne tout. Elle a souffert toute la douleur. Je lui donne toute la joie.
Je voudrais que quand vous pensez à Marie, vous méditiez la longue agonie qu’elle a souffert
pendant trente-trois ans et couronnée au pied de la Croix. Elle l’a soufferte pour vous. Pour vous,
les moqueries de la foule qui la considérait la mère d’un fou. Pour vous, les reproches des parents et
des personnages importants. Pour vous, mon désaveu apparent: “Ma Mère et mes frères, ce sont
ceux qui font la volonté de Dieu”.
Et qui la faisait plus qu’elle, et une Volonté redoutable qui lui imposait la torture de voir supplicier
son Fils?
Pour vous, les fatigues de me rejoindre ici et là. Pour vous, les sacrifices: depuis celui de quitter sa
maisonnette et de se mêler à la foule, jusqu’à celui de quitter sa petite patrie pour le tumulte de
Jérusalem. Pour vous, de devoir rester au contact de celui qui couvait dans son coeur la trahison.
Pour vous, la douleur de m’entendre accuser de possession diabolique, d’hérésie. Tout, tout, pour
vous.
Vous ne savez pas à quel point je l’ai aimée, ma Mère. Vous ne réfléchissez pas à quel point le
coeur du Fils de Marie était sensible aux affections. Et vous croyez que ma torture a été purement
physique, tout au plus vous ajoutez la torture spirituelle de l’abandon final du Père.
Non, fils. Même les passions de l’homme, je les ai éprouvées. J’ai
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souffert de voir souffrir ma Mère, de devoir la conduire comme une douce agnelle au supplice, de
devoir la déchirer par les adieux successifs, à Nazareth avant l’évangélisation, en celui que je vous
ai montré et qui précède mon imminente Passion, en celui où elle était déjà en acte avec la trahison
de Judas, avant la Cène, dans l’adieu atroce sur le Calvaire.
J’ai souffert de me voir méprisé, haï, calomnié, entouré de curiosités
malsaines qui ne se tournaient pas vers le bien, mais au contraire vers le
mal. J’ai souffert de tous les mensonges que j’ai dû entendre ou voir agir à
mss côtés. Ceux des pharisiens hypocrites qui m’appelaient Maître et me
posaient des questions non parce qu’ils avaient foi en mon intelligence,
mais pour me tendre des pièges, les mensonges de ceux que j’avais comblés
de bienfaits et qui se firent des accusateurs au Sanhédrin ou au Prétoire, le
mensonge, celui prémédité, prolongé, subtil de Judas qui m’a vendu et a
continué de se faire passer pour disciple, qui m’a indiqué aux bourreaux par
le signe de l’amour. J’ai souffert du mensonge de Pierre pris par une peur
humaine.
Que de mensonges, et tellement révoltants pour Moi qui suis la Vérité! Combien aussi maintenant il
en est qui me concernent! Vous dites que vous m’aimez, mais vous ne m’aimez pas. Vous avez mon
Nom sur vos lèvres, et dans votre coeur vous adorez Satan et vous suivez une loi contraire à la
mienne.
J’ai souffert en pensant que devant la valeur infinie de mon Sacrifice:
le Sacrifice d’un Dieu, trop peu se seraient sauvés. Tous, je dis: tous ceux
qui, au cours des siècles de la Terre, auraient préféré la mort à la vie
éternelle, en rendant vain mon Sacrifice, m’ont été présents. Et c’est avec
cette connaissance que je suis allé à la rencontre de la mort.

Vois, petit Jean, que ton Jésus et sa Mère, ont souffert profondément
dans leur moi moral. Et longuement. Patience donc si tu dois souffrir.
“Aucun disciple n’est plus que son Maître”. Je l’ai dit.
Demain, je parlerai des douleurs de l’esprit. Maintenant, repose. La
paix soit avec toi.»

Ensuite Marie, répondant à une prière qui était sortie de mon coeur
après avoir dit celle écrite sous l’image du Coeur Immaculé: «Notre Mère
toute tendre, révélez-nous les secrets de votre Coeur Immaculé. Faites
qu’un de vos rayons très doux et très purs pénètre nos coeurs et les
transforme et les prépare aux divines visites du Saint-Esprit.» J’avais
ajouté: «Oui, Maman de Jésus et la mienne, révèle-moi les secrets de ton
Coeur et prépare le mien par ta lumière.»
Et Elle: «Je t’ai plongée dans mon Coeur dont je t’ai fait connaître les joies et les lar-
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mes. J’ai passé dans ton coeur avec le rayon de ma charité pour to rendre
capable de comprendre la voix de mon Fils et les lumières du Divin Esprit.
Car sans les lumières du Paraclet, c’est l’obscurité et le silence qui restent
dans les coeurs. C’est toujours l’Esprit dont je suis l’épouse, Celui qui vous
fait comprendre la Vérité et vous sanctifie pour Dieu. Le Père, le Fils, le
Saint-Esprit doivent être dans vos coeurs pour que vous puissiez
comprendre les secrets de Dieu dans ses triples manifestations de
Puissance, de Rédemption, d’Amour. Le Père est toujours présent dans ses
vrais fils par sa Bonté, le Fils par sa Doctrine, et le Saint-Esprit par sa
Lumière, car jamais Il n’est absent là où il y a sanctification, et la parole de
mon Jésus est la sanctification permise par la volonté du Père qui vous
aime.»

4. INTRODUCTIONS DIVERSES:
IV. «J’ETAIS, JE SUIS, LE FILS DE DIEU. MAIS J’ETAIS AUSSI
LE FILS DE L’HOMME»

Jésus dit:
«La souffrance de mon agonie spirituelle, to l’as contemplée dans la soirée du Jeudi. Tu as vu ton
Jésus s’affaisser comme un homme frappé mortellement qui sent fuir sa vie à travers les blessures
qui lui font perdre son sang, ou comme une créature dominée par un traumatisme psychique
au-dessus de ses forces. Tu as vu la croissance de ce trauma qui a atteint son point extrême dans
l’effusion du sang, provoquée par le déséquilibre circulatoire que produisait l’effort de me vaincre
et de résister au poids qui s’était abattu sur Moi.
J’étais, je suis le Fils du Dieu Très-Haut, mais j’étais aussi le Fils de l’homme. Je veux que, de ces
pages, se dégage nettement cette double nature pareillement totale et parfaite.
De ma Divinité fait foi ma parole qui a des accents que seul un Dieu peut avoir. De mon Humanité
les besoins, les passions, les souffrances que je vous présente et que je souffris dans ma chair
d’Homme véritable, et que je vous propose comme modèle de votre humanité, de même que je vous
instruis l’esprit par ma doctrine de vrai Dieu.
Au cours des siècles, aussi bien ma très sainte Divinité que ma très parfaite Humanité, par l’action
de désagrégation de “votre” humanité imparfaite, ont été diminuées, déformées dans leur
présentation. Vous avez rendue irréelle mon Humanité, vous l’avez rendue inhumaine comme vous
avez rendue petite ma figure divine, en la niant sur tant de points que vous ne vouliez pas
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reconnaître ou que vous ne pouviez plus reconnaître avec vos esprits
diminués par les corruptions du vice et de l’athéisme, de l’humanisme, du
rationalisme.
Je viens, en cette heure tragique, prodrome de malheurs universels, je
viens rafraîchir dans vos esprits ma double figure de Dieu et d’Homme,
pour que vous la connaissiez telle qu’elle est, pour que vous la
reconnaissiez après tant d’obscurantisme dont vous l’avez couverte pour
vos esprits, pour que vous l’aimiez et reveniez à elle et que vous vous
sauviez par son intermédiaire. C’est la figure de votre Sauveur, et celui qui
la connaîtra et l’aimera sera sauvé.
Ces jours-ci, je t’ai fait connaître mes souffrances physiques. Elles ont
torturé mon Humanité. Je t’ai fait connaître mes souffrances morales liées,
entrelacées, fondues avec celles de ma Mère comme le sont les lianes
inextricables des forêts équatoriales, que l’on ne peut séparer pour en
couper une seule mais que l’on doit briser d’un seul coup de hache pour
s’ouvrir un passage, en les coupant toutes ensemble; ou encore comme sont
les veines du corps dont on ne peut priver une seule de sang parce qu’un
seul liquide les emplit; comme, c’est encore mieux, comme on ne peut
empêcher que pour l’enfant qui se forme dans le sein de la mère qu’entre la
mort si la mère meurt, car c’est la vie, la chaleur, la nourriture, le sang de la
mère qui, par un rythme accordé avec le mouvement du coeur maternel,
pénètre, à travers les membranes internes, jusqu’à l’enfant qui doit naître
pour faire de lui un être vivant.
Elle, oh! elle, la Mère pure m’a porté non seulement les neufs mois pendant lesquels une femme
porte le fruit de l’homme, mais pendant toute sa vie. Nos coeurs étaient unis par des fibres
spirituelles et ont palpité ensemble toujours, et il n’y avait pas une larme maternelle qui tombât sans
humecter mon coeur de son sel, et il n’y avait pas une seule de mes plaintes intérieures qui ne
résonnât en elle pour éveiller sa douleur.
Vous souffrez de voir la mère d’un enfant destiné à mourir par suite
d’une maladie incurable, la mère de quelqu’un condamné au dernier
supplice par la rigueur de la justice humaine. Mais pensez à ma Mère qui,
dès le moment où elle m’a conçu, a tremblé en pensant que j’étais le
Condamné, à cette Mère qui, quand elle m’a donné le premier baiser sur ma
peau douce et rose de nouveau-né, a senti les plaies futures de son Enfant, à
cette Mère qui aurait donné dix, cent, mille fois sa vie pour m’empêcher de
devenir Homme et d’arriver au moment de l’Immolation, à cette Mère qui
savait et
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qui devait désirer cette heure terrible pour accepter la volonté du Seigneur,
pour la gloire du Seigneur, par bonté envers l’Humanité. Non, il n’y a pas
eu d’agonie plus longue, et qui ait pris fin en une douleur plus grande, que
celle de ma Mère.
Et il n’y a pas eu une douleur plus grande, plus complète que la
mienne. J’étais Un avec le Père. Il m’avait de toute éternité aimé comme
Dieu seul peut aimer. Il s’était complu en Moi et avait trouvé en Moi sa
divine joie. Et Moi, je l’avais aimé comme seul un Dieu peut aimer et
j’avais trouvé dans l’union avec Lui ma joie divine. Les ineffables rapports
qui lient ab aeterno le Père avec son Fils ne peuvent vous être expliqués
même par ma Parole, car si elle est parfaite votre intelligence ne l’est pas et
vous ne pouvez comprendre et connaître ce qu’est Dieu tant que vous n’êtes
pas avec Lui dans le Ciel.
Eh bien, je sentais, comme l’eau qui monte et fait pression contre une digue, croître, heure par
heure, la rigueur de mon Père envers Moi. En témoignage contre les hommes-brutes, qui ne
voulaient pas comprendre qui j’étais, Il avait, durant le temps de ma vie publique, ouvert par trois
fois le Ciel: au Jourdain, au Thabor et à Jérusalem la veille de la Passion. Mais Il l’avait fait pour les
hommes, non pour me donner un soulagement à Moi. J’étais, désormais, l’Expiateur.
Souvent, Marie, Dieu fait connaître aux hommes un de ses serviteurs
pour les secouer et les entraîner, par son intermédiaire, vers Lui, mais cela
arrive aussi à travers la douleur de ce serviteur. C’est lui- même qui paie
personnellement, en mangeant le pain amer de la rigueur de Dieu, les
réconforts et le salut de ses frères. Nest-ce pas? Les victimes d’expiation
connaissent la rigueur de Dieu. Ensuite vient la gloire, mais après que la
Justice est apaisée. Ce n’est pas comme pour mon amour qui à ses victimes
donne ses baisers. Je suis Jésus, je suis le Rédempteur, Celui qui a souffert
et sait, par expérience personnelle, ce que c’est que la douleur d’être
regardé avec sévérité par Dieu et d’être abandonné par Lui, et je ne suis
jamais sévère, et je n’abandonne jamais. Je consume pareillement, mais
dans un incendie d’amour.
Plus l’heure de l’expiation approchait et plus je sentais le Père
s’éloigner. Toujours plus séparé du Père, mon Humanité se sentait moins
soutenue par la Divinité de Dieu. Et j’en souffrais de toutes les manières.
La séparation d’avec Dieu amène avec elle la peur, elle amène avec elle l’attachement à la vie, elle
amène avec elle la langueur, la
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lassitude, l’ennui. Plus elle est profonde et plus fortes sont ses
conséquences. Quand elle est totale, elle amène au désespoir. Et plus celui
qui, par suite d’un décret de Dieu, l’éprouve sans l’avoir méritée, plus il en
souffre parce que l’esprit vivant sent la séparation d’avec Dieu comme une
chair vivante sent l’amputation d’un membre. C’est un étonnement
douloureux, accablant, que ne comprend pas celui qui ne l’a pas éprouvé. Je
l’ai éprouvé. J’ai dû tout connaître pour pouvoir plaider sur tout sujet
auprès du Père en votre faveur. Même vos désespoirs. Oh! Je l’ai éprouvé
ce que veut dire: “Je suis seul. Tous m’ont trahi, abandonné. Même le Père,
même Dieu ne m’aide plus”.
Et c’est pour cela que j’opère des prodiges mystérieux de grâce chez
les pauvres coeurs que le désespoir accable et que je demande à mes
privilégiés de boire mon calice si amer d l’expérience, pour que ceux, qui
font naufrage dans la mer du désespoir, ne refusent pas la croix que je leur
offre comme ancre de salut, mais qu’ils s’y accrochent et que je puisse les
amener à la rive bienheureuse où ne vit que la paix.
Dans la soirée du Jeudi, Moi seul sais si j’aurais eu besoin du Père!
J’étais un esprit déjà à l’agonie à cause de l’effort d’avoir dû surmonter les
deux plus grandes douleurs d’un homme: l’adieu à une Mère très aimée, le
voisinage de l’ami infidèle. C’étaient deux plaies qui me brûlaient le coeur:
l’une par ses larmes, l’autre par sa haine.
J’avais dû rompre mon pain avec mon Caïn. J’avais dû lui parler en
ami pour ne pas le dénoncer aux autres dont je pouvais redouter la violence,
et pour empêcher un crime, inutile d’ailleurs, puisque tout était déjà marqué
dans le grand livre de la vie: et ma Mort sainte et le suicide de Judas.
Inutiles d’autres morts réprouvées par Dieu. Aucun autre sang que le mien
ne devait être répandu, et ne fut pas répandu. La corde étrangla cette vie en
renfermant dans le sac immonde du corps du traître son sang impur vendu à
Satan, ce sang qui ne devait pas se mélanger, en tombant sur la Terre, au
sang très pur de l’Innocent.
Elles auraient bien suffi ces deux plaies pour faire de Moi un agonisant dans mon Moi. Mais j’étais
l’Expiateur, la Victime, l’Agneau. L’Agneau, avant d’être immolé, connaît la marque au fer rouge,
il connaît les coups, il connaît le dépouillement, il connaît la vente au boucher. Ce n’est qu’à la fin
qu’il connaît le froid du couteau qui pénètre dans la gorge et saigne et tue. Auparavant il doit tout
quitter: le pâturage où il a grandi, la mère au sein
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de laquelle il s’est nourri et réchauffé, les compagnons avec lesquels il a
vécu. Tout. Moi j’ai tout connu: Moi, Agneau de Dieu.
Satan est donc venu alors que le Père se retirait dans les Cieux. Il était
déjà venu au commencement de ma mission pour essayer de m’en
détourner. Maintenant il revenait. C’était son heure. L’heure du sabbat
satanique.
Des foules et des foules de démons étaient cette nuit-là sur la Terre
pour mener à terme la séduction dans les coeurs et les disposer à vouloir le
lendemain le meurtre du Christ. Chaque synhédriste avait le sien, Hérode le
sien, Pilate le sien, et le sien chacun des juifs qui aurait appelé mon Sang
sur lui. Les apôtres aussi avaient près d’eux leur tentateur qui les
assoupissait pendant que je languissais, qui les préparait à la lâcheté.
Remarque le pouvoir de la pureté. Jean, le pur, fut le premier de tous à se
libérer de la griffe démoniaque et revint tout de suite vers son Jésus et
comprit son désir inexprimé et m’amena Marie.
Mais Judas avait Lucifer et Moi j’avais Lucifer. Lui dans le coeur, Moi
à mon côté. Nous étions les deux principaux personnages de la tragédie, et
Satan s’occupait personnellement de nous. Après avoir amené Judas au
point de ne plus pouvoir revenir en arrière, il se tourna vers Moi.
Avec sa ruse parfaite, il me présenta les tortures de ma chair avec un
réalisme insurpassable. Au désert aussi, il avait commencé par la chair. Je
le vainquis en priant. Mon esprit domina la peur de la chair.
Il me présenta alors l’inutilité de ma mort, l’utilité de vivre pour Moi-même sans m’occuper des
hommes ingrats. Vivre riche, heureux, aimé. Vivre pour ma Mère, pour ne pas la faire souffrir.
Vivre pour amener à Dieu, par un long apostolat tant d’hommes qui, une fois que je serais mort,
m’auraient oublié; alors que si j’avais été Maître non pas pendant trois ans, mais pendant des lustres
et des lustres, j’aurais fini par les pénétrer de ma doctrine. Ses anges m’auraient aidé à séduire les
hommes. Est-ce que je ne voyais pas que les anges de Dieu n’intervenaient pas pour m’aider?
Ensuite, Dieu m’aurait pardonné en voyant la moisson de croyants que je Lui aurais amenés. Dans
le désert aussi il m’avait poussé à tenter Dieu par l’imprudence. Je le vainquis par la prière. Mon
esprit domina la tentation morale.
Il me présenta l’abandon de Dieu. Lui, le Père, ne m’aimait plus. J’étais
chargé des péchés du monde. Je Lui faisais horreur. Il était absent, Il me
laissait seul. Il m’abandonnait aux moqueries d’une
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foule féroce, et Il ne m’accordait même pas son divin réconfort. Seul, seul,
seul. A cette heure, il n’y avait que Satan près du Christ. Dieu et les
hommes étaient absents parce qu’ils ne m’aimaient pas. Ils me haïssaient ou
étaient indifférents. Je priais pour couvrir par mon oraison les paroles
sataniques. Mais ma prière ne montait plus vers Dieu. Elle retombait sur
Moi comme les pierres de la lapidation et m’écrasait sous sa masse. La
prière qui pour Moi était toujours une caresse donnée au Père, une voix qui
montait et à laquelle répondait la caresse et la parole paternelle, maintenant
elle était morte, pesante, lancée en vain contre les Cieux fermés.
Alors j’ai senti l’amertume du fond du calice. La saveur du désespoir.
C’était ce que voulait Satan. M’amener à désespérer pour faire de Moi son
esclave. J’ai vaincu le désespoir et je l’ai vaincu par mes seules forces,
parce que j’ai voulu le vaincre. Avec mes seules forces d’Homme. Je
n’étais plus que l’Homme. Et je n’étais plus qu’un homme qui n’est plus
aidé par Dieu.
Quand Dieu aide, il est facile de soulever le monde lui-même et de le
soutenir comme un jouet d’enfant. Mais quand Dieu n’aide plus, même le
poids d’une fleur est une fatigue.
J’ai vaincu le désespoir et Satan son créateur pour servir Dieu et vous,
en vous donnant la Vie. Mais j’ai connu la Mort. Non pas la mort physique
du crucifié - elle fut moins atroce - mais la Mort totale, consciente, du
lutteur qui tombe après avoir triomphé, le coeur brisé et le sang se
répandant dans le trauma d’un effort au-dessus du possible. Et j’ai sué
sang. J’ai sué sang pour être fidèle à, la volonté de Dieu.
Voilà pourquoi l’ange de ma douleur m’a présenté l’espérance de tous ceux qui sont sauvés par
mon sacrifice comme un remède à ma mort. Vos noms! Chacun a été pour Moi une goutte de
remède infusé dans mes veines pour leur redonner tonus et fonctionnement, chacun a été pour Moi
la vie qui revient, la lumière qui revient, la force qui revient. Dans les tortures inhumaines, pour ne
pas crier ma douleur d’Homme, et pour ne pas désespérer de Dieu et dire qu’Il était trop sévère et
injuste envers sa Victime, je me suis répété vos noms, je vous ai vus. Je vous ai bénis depuis lors.
Depuis lors, je vous ai porté dans mon coeur. Et quand pour vous est venue votre heure d’être sur la
Terre, je me suis penché du Ciel pour accompagner votre venue, jubilant à la pensée qu’une
nouvelle fleur d’amour était née dans le monde et qu’elle aurait vécu pour Moi.
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Oh! mes bénis! Réconfort du Christ mourant! Ma Mère, le Disciple, les
pieuses Femmes entouraient ma mort, mais vous aussi y étiez. Mes yeux
mourants voyaient, en même temps que le visage déchiré de ma Mère, vos
visages affectueux et ils se sont fermés ainsi, heureux de se fermer parce
qu’ils vous avaient sauvés, ô vous qui méritez le Sacrifice d’un Dieu.»

5. INTRODUCTIONS DIVERSES:
V. «VOUS NE REFLECHISSEZ JAMAIS A CE QUE VOUS M’AVEZ COUTE»

Jésus dit:
«Désormais tu as pris connaissance de toutes les douleurs qui ont précédé ma Passion proprement
dite. Maintenant je vais te faire connaître les douleurs de ma Passion en acte. Ces douleurs qui
frappent davantage votre esprit quand vous les méditez. Mais vous les méditez très peu, trop peu.
Vous ne réfléchissez pas à ce que vous m’avez coûté et de quelle torture est fait votre salut.
Vous qui vous plaignez d’une écorchure, d’un coup contre un coin, d’un mal de tête, vous ne
réfléchissez pas que Moi, je n’étais qu’une plaie, que ces plaies étaient envenimées par beaucoup de
choses, que les choses elles-mêmes servaient à tourmenter leur Créateur parce qu’elles torturaient le
Dieu-Fils déjà torturé, sans respect pour Celui qui, Père de la Création, les avait formées.
Mais les choses n’étaient pas coupables. C’était encore et toujours l’homme le coupable. Le
coupable depuis le jour où il écouta Satan dans le Paradis terrestre. Elles n’avaient pas d’épines, de
poison, de cruauté jusqu’à ce moment-là les choses de la Création pour l’homme créature choisie.
Dieu l’avait fait roi cet homme, fait à son image et à sa ressemblance et, dans son paternel amour, Il
n’avait pas voulu que les choses puissent être un piège pour l’homme. Satan mit le piège. Dans le
coeur de l’homme pour cômmencer, puis il produisit pour l’homme, avec la punition du péché, des
ronces et des épines.
Et voici que Moi, l’Homme, j’ai dû souffrir aussi pour les choses et par les choses en plus que par
les personnes. Ces dernières m’ont donné insultes et sévices; les choses en furent les armes.
La main que Dieu avait faite pour l’homme pour le distinguer
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des brutes, la main dont Dieu avait enseigné l’usage à l’homme, la main
que Dieu avait mise en rapport avec l’esprit en lui donnant le pouvoir
d’exécuter les commandements de l’esprit, cette partie de vous si parfaite et
qui n’aurait dû avoir que des caresses pour le Fils de Dieu dont elle n’avait
eu que des caresses et la guérison si elle était malade, se révolta contre le
Fils de Dieu et elle le frappa de soufflets, de coups de poing, elle s’arma de
fouets, se fit tenaille pour arracher les cheveux et la barbe, et marteau pour
enfoncer les clous.
Les pieds de l’homme, qui auraient dû uniquement courir avec agilité
pour adorer le Fils de Dieu, furent rapides pour venir me capturer, pour me
pousser et me traîner par les chemins, vers mes bourreaux, et me frapper de
coups de pied comme il n’est pas juste de le faire pour un mulet rétif.
La bouche de l’homme, qui aurait dû user de la parole, la parole qui n’a été donnée qu’à l’homme
de tous les animaux créés, pour louer et bénir le Fils de Dieu, s’emplit de blasphèmes et de
mensonges et les lança, en même temps que sa bave, contre ma personne.
L’esprit de l’homme, qui est la preuve de son origine céleste, s’est épuisé pour imaginer des
tourments d’une rigueur raffinée. L’homme, l’homme tout entier, s’est servi de tout ce qui le
constitue pour torturer le Fils de Dieu.
Et il a appelé la terre, sous toutes ses formes, à l’aider dans la torture. Il a fait des pierres du torrent
des projectiles pour me blesser, des branches des arbres des matraques pour me frapper, du chanvre
tordu une corde pour me traîner en coupant la chair, des épines une couronne de feu qui piquait ma
tête lasse, des minéraux un fouet exaspéré, du roseau un instrument de torture, des pierres du
chemin un piège pour le pied vacillant de Celui qui montait, en mourant, pour mourir crucifié.
Et aux choses de la terre se joignaient les choses du ciel: le froid de l’aube pour mon corps déjà
épuisé par l’agonie du Jardin, le vent qui exaspère les blessures, le soleil qui augmente la brûlure et
la fièvre et amène les mouches et la poussière, qui éblouit les yeux fatigués que les mains
prisonnières ne peuvent protéger.
Et aux choses du ciel se joignent les fibres données à l’homme pour couvrir sa nudité: le cuir qui
devient un fouet, la laine du vêtement qui s’attache aux plaies ouvertes par les fouets et donne
torture à chaque mouvement par frottement et déchirement.
Tout, tout, tout a servi pour tourmenter le Fils de Dieu. Lui, par
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qui toutes les choses ont été créées, à l’heure où il était l’Hostie offerte à
Dieu, eut contre Lui toutes les choses devenues hostiles. Il n’a pas reçu de
soulagement d’aucune chose, Marie, ton Jésus. Comme des vipères
devenues furieuses, tout ce qui existe s’est mis à mordre ma chair et à
accroître ma souffrance.
Il faudrait bien y penser quand vous souffrez et, en comparant vos
imperfections à ma perfection, et ma douleur à la vôtre, reconnaître que le
Père vous aime, comme Il ne m’a pas aimé à cette heure-là, et l’aimer par
conséquent de tout vous-mêmes, comme Moi je l’ai aimé malgré sa
rigueur.»

6. L’ADIEU A LAZARE

Jésus est à Béthanie. C’est le soir, un soir tranquille d’avril. Par les
larges fenêtres de la salle du banquet on voit le jardin de Lazare tout en
fleurs et, au-delà, le verger qui semble une nuée de pétales légers. Un
parfum de verdure nouvelle, du doux-amer des fleurs des arbres à fruits, de
roses et d’autres fleurs se mélange, en entrant avec le tranquille vent du soir
qui fait onduler légèrement les rideaux tendus sur les portes et trembler les
lumières du lampadaire du milieu de la pièce, à un vif parfum de tubéreuse,
de muguet, de jasmin, mélangés à l’essence rare, qui reste encore du baume
dont Marie de Magdala a parfumé son Jésus dont les cheveux sont restés
plus sombres par suite de l’onction.
Dans la salle se trouvent encore Simon, Pierre, Mathieu et Barthélemy. Les autres manquent comme
s’ils étaient déjà sortis pour leurs occupations.
Jésus s’est levé de table et observe un rouleau de parchemin que Lazare Lui a montré. Marie de
Magdala circule dans la salle... on dirait un papillon attiré par la lumière. Elle ne sait que tourner
autour de son Jésus. Marthe surveille les serviteurs qui enlèvent les splendides nappes précieuses
étendues sur la table.
Jésus pose le rouleau sur une haute crédence à incrustations d’ivoire qui ressortent du bois noir et
brillant, et il dit: «Lazare, viens dehors. J’ai besoin de te parler.»
«Tout de suite, Seigneur» et Lazare se lève de son siège près de la fenêtre et suit Jésus dans le jardin
où la dernière lumière du jour se mêle aux premiers rayons d’un splendide clair de lune.
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Jésus marche en se dirigeant au-delà du jardin, là où se trouve le
tombeau qui fut celui de Lazare et qui maintenant présente un grand
encadrement de roses toutes en fleurs sur la bouche vide. En haut, sur la
roche légèrement inclinée, est gravé: «Lazare, viens dehors!» Jésus s’arrête
là. La maison ne se voit plus, cachée qu’elle est par des arbres et des haies.
Il y a un silence absolu et une absolue solitude.
«Lazare, mon ami» demande Jésus en restant debout en face de son ami, et en le fixant avec une
ombre de sourire sur son visage amaigri et pâle plus qu’à l’ordinaire. «Lazare, mon ami, sais-tu qui
je suis?»
«Toi? Mais tu es Jésus de Nazareth, mon doux Jésus, mon saint Jésus, mon puissant Jésus!»
«Cela pour toi. Mais pour le monde, qui suis-je?»
«Tu es le Messie d’Israël.»
«Et puis?»
«Tu es le Promis, l’Attendu... Mais pourquoi me demandes-tu cela? Doutes-tu de ma foi?»
«Non, Lazare. Mais je veux te confier une vérité. Personne ne la sait,
sauf ma Mère et l’un des miens. Ma Mère parce qu’elle n’ignore rien. Un
autre parce qu’il participe à cette chose. Aux autres je l’ai dite, pendant ces
trois années qu’ils sont avec Moi, maintes et maintes fois. Mais leur amour
leur a fait l’effet du népenthès et fait obstacle à la vérité annoncée. Ils n’ont
pas pu tout comprendre... Et il vaut mieux qu’ils n’aient pas compris,
autrement, pour empêcher un crime, ils en auraient commis un autre.
Inutile, car ce qui doit arriver arrivera, malgré tout meurtre. Mais à toi, je
veux la dire.»
«Penses-tu que je t’aime moins qu’eux? De quel crime parles-tu? Quel crime doit arriver? Parle, au
nom de Dieu!» Lazare est agité.
«Je parle, oui. Je ne doute pas de ton amour. J’en doute si peu que c’est
à toi que je confie mes volontés...»
«Oh! mon Jésus! Mais cela on le fait quand on est près de mourir! Moi, je l’ai fait quand j’ai
compris que tu ne viendrais pas et que je devais mourir.»
«Et Moi, je dois mourir.»
«Non!» Lazare pousse un profond gémissement.
«Ne crie pas. Que personne n’entende. J’ai besoin de parler à toi seul. Lazare, mon ami, sais-tu ce
qui arrive en ce moment où tu es près de Moi, dans l’amitié fidèle que tu m’as donnée dès le
premier moment, et qui n’a jamais été troublée par aucun motif? Un
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homme, avec d’autres hommes, est en train de débattre le prix de l’Agneau.
Tu sais quel nom a cet Agneau? Il s’appelle: Jésus de Nazareth.
«Non! Tu as des ennemis, c’est vrai. Mais personne ne peut te vendre!
Qui? Qui est-ce?»
«C’est un des miens. Ce ne pouvait être que quelqu’un de ceux que j’ai
le plus fortement déçus et qui, las d’attendre, veut se débarrasser de Celui
qui désormais n’est plus qu’un danger personnel. Il croit se refaire une
réputation, d’après ce qu’il pense, auprès des grands du monde. Au
contraire, il sera méprisé par le monde des bons et par celui des criminels. Il
est arrivé à se lasser ainsi de Moi, de l’attente de ce que par tous les moyens
il a essayé d’atteindre: la grandeur humaine, qu’il a poursuivi d’abord au
Temple, qu’il a cru atteindre avec le Roi d’Israël, et que maintenant il
cherche de nouveau, au Temple et auprès des romains... Il espère... Mais
Rome, si elle sait récompenser ses serviteurs fidèles... sait piétiner sous son
mépris les vils délateurs. Il est las de Moi, de l’attente, du fardeau qu’il a
d’être bon. Pour celui qui est mauvais, être bon, devoir feindre de l’être,
c’est un fardeau accablant. Il peut être supporté pendant quelque temps... et
puis... et puis on ne peut plus... et on s’en débarrasse pour redevenir libre.
Libre? C’est ce que croient les mauvais. C’est ce qu’il croit. Mais ce n’est
pas la liberté. Appartenir à Dieu, c’est la liberté. Etre contre Dieu, c’est
une prison avec des fers et des chaînes, des fardeaux et des coups de fouet,
qu’aucun galérien à la rame, qu’aucun esclave aux constructions, ne
supporte sous le fouet du garde- chiourme.»
«Qui est-ce? Dis-le-moi. Qui est-ce?»
«C’est inutile.»
«Si, c’est utile... Ah!... Ce ne peut être que lui: l’homme qui a toujours été une tache dans ton
groupe, l’homme qu’il n’y a pas longtemps a offensé ma soeur. C’est Judas de Kériot!»
«Non. C’est Satan. Dieu a pris chair en Moi: Jésus. Satan a pris chair
en lui: Judas de Kériot. Un jour... très lointain... ici, dans ton jardin, j’ai
consolé des pleurs et j’ai excusé un esprit tombé dans la boue. J’ai dit que
la possession c’est la contagion de Satan qui inocule ses sucs dans l’être et
le dénature. J’ai dit que c’est le mariage d’un esprit avec Satan et avec
l’animalité. Mais la possession est encore peu de chose par rapport à
l’incarnation. Je serai possédé par mes saints, et eux seront possédés par
Moi. Mais c’est seulement en Jésus Christ qu’est Dieu tel qu’il est au Ciel,
car je suis le Dieu fait Chair. Il n’y a qu’une Incarnation divine. De même
aussi
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dans un seul sera Satan, Lucifer, comme il est dans son royaume, car c’est
seulement dans l’assassin du Fils de Dieu que Satan s’est incarné. Lui,
pendant que je te parle, est devant le Sanhédrin. Il s’occupe de mon meurtre
et s’y emploie. Mais ce n’est pas lui: c’est Satan. Maintenant écoute,
Lazare, ami fidèle. Je te fais certaines requêtes. Tu ne m’as jamais rien
refusé. Ton amour a été si grand que, sans enfreindre le respect, il a été
toujours actif à mes côtés par mille aides, par tant d’aides prévoyantes et de
sages conseils que j’ai toujours reçus, parce que je voyais dans ton coeur un
vrai désir de mon bien.»
«Oh! mon Seigneur! Mais c’était ma joie de m’occuper de Toi! Que
ferai-je maintenant si je n’ai plus à m’occuper de mon Maître et Seigneur?
C’est trop peu, trop peu que tu m’as permis de faire! Ma dette envers Toi,
qui as rendu Marie à mon amour et à l’honneur, et qui m’as rendu la vie est
telle que... Oh! pourquoi m’as-tu rappelé de la mort pour me faire vivre
cette heure? Désormais toute l’horreur de la mort et toute l’angoisse de
l’esprit, porté à la peur par Satan au moment de me présenter au Juge
Eternel, je l’avais surmontée, et c’était l’obscurité... Qu’as-tu, Jésus?
Pourquoi frémis-tu et deviens-tu plus pâle encore que to n’étais? Ton visage
est plus pâle que cette rose de neige qui languit sous la lune. Oh! Maître! Il
semble que le sang et la vie t’abandonnent...»
«Je suis en fait comme quelqu’un qui meurt, les veines ouvertes. Jérusalem toute entière, et par là je
veux dire “tous mes ennemis parmi les puissants d’Israël”, attache à Moi ses bouches avides et
aspire ma vie et mon sang. Ils veulent faire taire la Voix qui pendant trois ans les a tourmentés, tout
en les aimant... parce que toutes mes paroles, même si c’étaient des paroles d’amour, étaient une
secousse qui invitait leurs âmes à se réveiller, et ils ne voulaient pas entendre cette âme qui était la
leur et qu’ils avaient liée par la triple sensualité. Et non seulement les grands... Mais Jérusalem toute
entière va s’acharner sur l’Innocent et vouloir sa mort... et avec Jérusalem, la Judée... et avec la
Judée, la Pérée, l’Idumée, la Décapole, la Galilée, la Syro-Phénicie... Israël tout entier s’est
rassemblé à Sion pour le “Passage” du Christ de la vie à la mort... Lazare, toi qui es mort et qui es
ressuscité, dis-moi: qu’est-ce que la mort? Qu’as-tu éprouvé? De quoi te souviens-tu?»
«La mort?... Je ne me rappelle pas exactement ce que ce fut. A la grande souffrance succéda une
grande langueur... Il me semblait ne plus souffrir et d’avoir seulement un profond sommeil... La
lumière et le bruit devenaient de plus en plus faibles et lointains...
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Mes soeurs et Maximin disent que je donnais les signes d’une âpre
souffrance... Mais moi, je ne m’en souviens pas...»
«Oui. La pitié du Père émousse pour les mourants le sensorium
intellectuel de sorte qu’ils souffrent uniquement dans la chair qui elle doit
être purifiée par ce prépurgatoire qu’est l’agonie. Mais Moi... Et de la mort
que te rappelles-tu?»
«Rien, Maître. J’ai un espace obscur dans l’esprit, un espace vide. J’ai,
dans le cours de ma vie, une interruption que je ne sais comment remplir. Je
n’ai pas de souvenirs. Si je regardais au fond de ce trou noir qui m’a gardé
pendant quatre jours, bien que ce soit la nuit et que j’y serais comme une
ombre, je sentirais sans le voir le froid humide monter de ses viscères et me
souffler en face. C’est déjà une sensation. Mais si je pense à ces quatre
jours, je n’ai rien. Rien. C’est le mot.»
«Oui. Ceux qui reviennent ne peuvent parler... Le mystère se dévoile graduellement pour celui qui y
entre. Mais Moi, Lazare, je sais ce que je souffrirai. Je sais que je souffrirai en pleine conscience. Il
n’y aura aucun adoucissement de boissons ou de langueur pour que mon agonie devienne moins
atroce. Je me sentirai mourir. Déjà je le sens... Déjà je meurs, Lazare. Comme quelqu’un qui
souffre d’une maladie incurable, j’ai continué de mourir pendant ces trente-trois ans. Et la mort
s’est toujours plus accélérée à mesure que le temps me rapprochait de cette heure. Tout d’abord, la
mort c’était de savoir que j’étais né pour être le Rédempteur. Puis, ce fut la mort de Celui qui se voit
combattu, accusé, ridiculisé, persécuté, entravé... Quelle fatigue! Puis... la mort d’avoir à mes côtés
de plus en plus près, jusqu’à l’avoir enlacé à Moi comme une pieuvre au naufragé, celui qui devait
être pour Moi le traître. Quelle nausée! Maintenant je meurs déchiré de devoir dire “adieu” aux
amis les plus chers, et à ma Mère...»
«Oh! Maître! Tu pleures?! Je sais que tu as pleuré aussi devant mon
tombeau parce que tu m’aimais. Mais maintenant... Tu pleures de nouveau.
Tu es tout glacé. Tu as les mains déjà froides comme un cadavre. Tu
souffres... Tu souffres trop!...»
«Je suis l’Homme, Lazare. Je ne suis pas seulement le Dieu. De
l’homme j’ai la sensibilité et les affections. Et mon âme éprouve de
l’angoisse quand je pense à ma Mère... Et même, je te le dis, elle est
devenue tellement monstrueuse ma torture de subir le voisinage du Traître,
la haine satanique de tout un monde, la surdité de ceux qui, sans haïr, ne
savent pas aimer activement, car aimer activement c’est d’arriver à être tel
que l’aimé le veut et l’enseigne, et au
26
contraire, ici!... Oui, beaucoup m’aiment. Mais ils sont restés “eux”. Ils
n’ont pas pris un autre “moi” par amour pour Moi. Sais-tu qui, parmi mes
plus intimes, a su changer sa nature pour devenir du Christ, comme le
Christ le veut? Une seule: ta soeur Marie. Elle est partie d’une animalité
complète et pervertie pour atteindre une spiritualité angélique. Et cela par
l’unique force de l’amour.»
«Tu l’as rachetée.»
«Je les ai tous rachetés par la parole. Mais elle seule s’est changée
totalement par activité d’amour. Mais je disais: elle est tellement
monstrueuse la souffrance qui me vient de toutes ces choses que je ne
soupire qu’après le complet accomplissement. Mes forces plient... La croix
sera moins lourde que cette torture de l’esprit et du sentiment...»
«La croix?! Non! Oh! non! C’est trop atroce! C’est trop infamant!
Non!» Lazare, qui a tenu depuis un moment les mains glacées de Jésus dans
les siennes, debout en face de son Maître, les laisse et il s’affaisse sur le
siège de pierre qui est près de lui. Il cache son visage dans ses mains et il
pleure désespérément.
Jésus s’approche de lui, met la main sur ses épaules que secouent des
sanglots, et il dit: «Et quoi? C’est Moi qui meurs qui dois te consoler toi qui
vis? Ami, j’ai besoin de force et d’aide. Et je te le demande. Je n’ai que toi
qui puisses me le donner. Les autres, il est bon qu’ils ne sachent pas, car
s’ils savaient... Il coulerait du sang. Et je ne veux pas que les agneaux
deviennent des loups, même par amour pour l’Innocent. Ma Mère... oh!
comme j’ai le coeur transpercé de parler d’elle!... Ma Mère est déjà
tellement angoissée! Elle aussi est une mourante épuisée... Voilà trente-trois
ans qu’elle meurt, elle aussi, et maintenant elle n’est qu’une plaie comme la
victime d’un atroce supplice. Je te jure que cela a été un combat entre mon
esprit et mon coeur, entre l’amour et la raison, pour décider s’il était juste
de l’éloigner, de la renvoyer dans sa maison où elle ne cesse de rêver à
l’Amour qui l’a rendu Mère, goûte la saveur de son baiser de feu, tressaille
dans l’extase de ce souvenir, et avec les yeux de l’âme ne cesse de voir
souffler l’air frappé et remué par la lueur angélique. En Galilée la nouvelle
de la Mort arrivera quasi au moment où je pourrai lui dire: “Mère, je suis le
Victorieux!” Mais je ne puis pas, non, je ne puis pas faire cela. Le pauvre
Jésus, chargé des péchés du monde, a besoin d’un réconfort, et ma Mère me
le donnera. Le monde encore plus pauvre a besoin de deux Victimes. Parce
que l’Homme a péché avec la femme; et la
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Femme doit racheter, comme l’Homme rachète. Mais tant que l’heure ne
sera pas sonnée, je donne à ma Mère un sourire assuré... Elle tremble... je le
sais. Elle sent que la Torture s’approche. Je le sais. Et elle la repousse par
dégoût naturel et par un saint amour, comme Moi je repousse la Mort parce
que je suis un “vivant” qui doit mourir. Mais malheur si elle savait que d’ici
cinq jours... Elle n’arriverait pas vivante à cette heure, et je la veux vivante
pour tirer de ses lèvres la force comme j’ai tiré la vie de son sein. Et Dieu la
veut sur mon Calvaire pour mêler l’eau de ses larmes virginales au vin du
Sang divin et célébrer la première Messe. Sais-tu ce que sera la Messe? Tu
ne sais pas. Tu ne peux pas savoir. Ce sera ma mort appliquée
perpétuellement au genre humain vivant ou souffrant. Ne pleure pas,
Lazare. Elle est forte. Elle ne pleure pas. Elle a pleuré pendant toute sa vie
de Mère. Maintenant elle ne pleure plus. Elle a crucifié le sourire sur son
visage... As-tu vu quel visage elle a pris ces derniers temps? Elle a crucifié
le sourire sur son visage pour me réconforter. Je te demande d’imiter ma
Mère. Je ne pouvais plus garder pour Moi seul mon secret. J’ai regardé
autour de Moi pour chercher un ami sincère et sûr. J’ai rencontré ton regard
loyal. J’ai dit: “A Lazare”. Moi, quand tu avais un poids sur le coeur, j’ai
respecté ton secret et je l’ai défendu contre la curiosité même naturelle du
coeur. Je te demande le même respect pour le mien. Plus tard... après ma
mort, tu en parleras. Tu parleras de cette conversation. Pour que l’on sache
que Jésus est allé consciemment à la mort, et à des tortures connues et que
l’on sache aussi qu’il n’avait rien ignoré ni pour les personnes ni pour son
destin. Pour que l’on sache que pendant qu’il pouvait encore se sauver il
ne l’a pas voulu, parce que son amour infini pour les hommes ne brûlait
que de consommer son sacrifice pour eux.»
«Oh! Sauve-toi, Maître! Sauve-toi! Je peux te faire fuir, cette nuit
même. Une fois aussi tu as fui en Egypte! Fuis aussi maintenant. Viens,
partons. Nous prenons avec nous Marie et mes soeurs, et nous partons.
Aucune de mes richesses ne me retient, tu le sais. Ma richesse et celle de
Marie et de Marthe, c’est Toi. Partons.»
«Lazare, alors j’ai fui car ce n’était pas l’heure. Maintenant c’est l’heure. Et je reste.»
«Et alors je viens avec Toi. Je ne te quitte pas.»
«Non. Tu restes ici. Puisqu’il est permis quand la demeure n’est pas
plus loin que le chemin du sabbat de consommer l’agneau dans sa maison,
voilà que comme toujours, tu consommeras ici ton agneau. Pourtant, laisse
venir tes soeurs... A cause de Maman...
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Oh! que te cachaient, ô Martyr, les roses de l’amour divin! L’abîme!
L’abîme! Et de là, maintenant s’élèvent et s’élancent les flammes de la
Haine pour te mordre le coeur! Tes soeurs, oui. Elles sont courageuses et
actives... et Maman sera un être qui agonise, penché sur ma dépouille. Jean
ne suffit pas. C’est l’amour, Jean, mais il manque encore de maturité. Oh! il
mûrira pour devenir un homme dans le déchirement de ces prochains jours.
Mais la Femme a besoin des femmes sur ses terribles blessures. Me les
donnes-tu?»
«Mais je t’ai toujours tout donné, absolument tout, avec joie, et je
souffrais seulement que to me demandes si peu!...»
«Tu le vois. De personne d’autre je n’ai accepté autant que de mes amis
de Béthanie. Cela a été une des accusations que l’injuste m’a faite plus
d’une fois. Mais je trouvais ici, parmi vous, assez pour consoler l’Homme
de toutes ses amertumes d’homme. A Nazareth, c’était le Dieu qui se
consolait auprès de l’Unique délice de Dieu. Ici, c’était l’Homme. Et avant
de monter vers la mort, je te remercie, ami fidèle, affectueux, gentil,
empressé, réservé, docte, discret et généreux. Je te remercie de tout. Mon
Père, plus tard, t’en récompensera...»
«J’ai tout eu déjà avec ton amour et avec la rédemption de Marie.»
«Oh! non. Tu dois encore avoir beaucoup. Et tu l’auras. Ecoute. Ne te
désespère pas ainsi. Donne-moi ton intelligence pour que je puisse te dire
ce que je te demande encore. Tu resteras ici à attendre...»
«Non. Cela, non. Pourquoi Marie et Marthe, et pas moi?»
«Parce que je ne veux pas que tu te corrompes comme tous les hommes se corrompront. Jérusalem,
dans les jours qui viennent, sera corrompue comme l’est l’air autour d’une charogne en
décomposition, qui éclate à l’improviste par un imprudent coup de talon d’un passant. Infectée et
répandant l’infection. Ses miasmes rendront fous même les moins cruels, et jusqu’à mes disciples.
Ils s’enfuiront. Et où iront-ils dans leur désarroi? Chez Lazare. Que de fois, en ces trois années, ils
sont venus pour chercher du pain, un lit, protection, un abri, et le Maître!... Maintenant ils vont
revenir. Comme des brebis débandées par le loup qui s’est emparé du berger, ils courront à un
bercail. Rassemble-les. Rends-leur courage. Dis-leur que je leur pardonne. Je te confie mon pardon
pour eux. Ils n’auront pas de paix à cause de leur fuite. Dis-leur de ne pas tomber dans un plus
grand péché en désespérant de mon pardon.»
«Tous fuiront?»
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«Tous, sauf Jean.»
«Maître, tu ne me demanderas pas d’accueillir Judas? Fais-moi mourir
torturé, mais cela, ne me le demande pas. Plusieurs fois ma main a frémi sur
mon épée anxieuse de tuer l’opprobre de la famille, et je ne l’ai pas fait
parce que je ne suis pas un violent. Je fus seulement tenté de le faire. Mais
je te jure que si je revois Judas je l’égorge comme un bouc émissaire.»
«Tu ne le verras jamais plus. Je te le jure.»
«Il fuira? N’importe. J’ai dit: “Si je le vois”. Maintenant je dis: “Je le
rejoindrai, fût-ce aux confins du monde, et je le tuerai”.»
«Tu ne dois pas le désirer.»
«Je le ferai.»
«Tu ne le feras pas car où il sera, tu ne pourras aller.»
«Au sein du Sanhédrin? Dans le Saint? Là aussi je le rejoindrai et je le tuerai.»
«Il ne sera pas là.»
«Chez Hérode? Je serai tué, mais auparavant je le tuerai.»
«Il sera chez Satan, et toi, tu ne seras jamais chez Satan. Mais
abandonne tout de suite cette pensée homicide, car autrement je te quitte.»
«Oh! oh!... Mais... Oui, pour Toi... Oh! Maître! Maître! Maître!»
«Oui, ton Maître... Tu accueilleras les disciples, tu les réconforteras. Tu les ramèneras vers la paix.
Je suis la Paix. Et même ensuite... Ensuite tu les aideras. Béthanie sera toujours Béthanie tant que la
Haine ne fouillera pas en ce foyer d’amour croyant en disperser les flammes, et au contraire elle les
répandra sur le monde pour l’allumer tout entier. Je te bénis, Lazare, pour tout ce que tu as fait et
pour ce que tu feras...»
«Rien, rien. Tu m’as tiré de la mort et tu ne me permets pas de te défendre. Qu’ai-je fait alors?»
«Tu m’as donné tes maisons. Tu vois? C’était écrit. Le premier
logement à Sion dans une terre qui t’appartient. Le dernier encore dans
l’une d’elles. C’était mon destin d’être ton Hôte. Mais de la mort, tu ne
pourrais pas me défendre. Je t’ai demandé au commencement de cette
conversation: “Sais-tu qui je suis?” Maintenant je réponds: “Je suis le
Rédempteur”. Le Rédempteur doit consommer le sacrifice jusqu’à la
dernière immolation. Du reste, crois-le: Celui qui montera sur la croix et
qui sera exposé aux regards et au mépris du monde, ne sera pas un vivant
mais un mort. Je suis déjà un mort, tué par l’absence d’amour davantage et
avant de l’être par la torture. Et encore une chose, ami. Demain, à l’aurore,
je vais
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à Jérusalem, et tu entendras dire que Sion a acclamé comme un
triomphateur son Roi plein de douceur, qui y entrera monté sur un ânon.
Que ce triomphe ne t’illusionne pas et ne te fasse pas juger que la Sagesse
qui te parle n’a pas été sage dans cette paisible soirée. Plus rapide que
l’astre qui raie le ciel et disparaît à travers des espaces inconnus, disparaîtra
la faveur du peuple, et dans cinq soirs, à cette même heure, je commencerai
la torture avec un baiser trompeur qui ouvrira les bouches, occupées demain
à clamer des hosannas, en un choeur d’atroces blasphèmes et de cris féroces
de condamnation.
Oui, tu vas l’avoir finalement, ô cité de Sion, ô peuple d’Israël,
l’Agneau pascal! Tu vas l’avoir dans ce prochain rite. Le voici. C’est la
Victime préparée depuis des siècles. L’amour l’a engendrée, en préparant
comme couche nuptiale un sein où il n’y avait pas de tache. Et l’Amour la
consume. Voilà. C’est la Victime consciente. Non comme l’agneau qui,
pendant que le boucher affile son couteau pour l’égorger, broute encore
l’herbe du pré, ou ignorant heurte de son museau rose contre le sein
maternel. Mais Moi, je suis l’Agneau qui conscient dit: “Adieu!” à sa vie, à
sa Mère, à ses amis, et va vers le sacrificateur en disant: “Me voici!” Je suis
la Nourriture de l’homme. Satan a mis une faim qui n’est jamais rassasiée,
qui ne peut se rassasier. Il n’y a qu’un aliment qui le rassasie car il calme
cette faim. Et cet aliment, le voici. Homme, voici ton pain, voici ton vin.
Consomme ta Paque, ô Humanité! Traverse ta mer rouge des flammes
sataniques. Teinte de mon Sang, tu passeras, race de l’homme, préservée du
feu infernal. Tu peux passer. Les Cieux, pressés par mon désir, entrouvrent
déjà les portes éternelles. Regardez, ô esprits des morts! Regardez, ô
hommes vivants! Regardez, ô âmes qui prendrez un corps dans l’avenir!
Regardez, anges du Paradis! Regardez, démons de l’Enfer! Regarde, ô Père,
regarde, ô Paraclet! La Victime sourit, elle ne pleure plus...
Tout est dit. Adieu, ami. Toi aussi, je ne te verrai plus avant de mourir. Donnons-nous le baiser
d’adieu. Et ne doute pas. Ils te diront: “C’était un fou! C’était un démon! Un menteur! Il est mort
alors qu’il disait qu’il était la Vie”. A eux, et spécialement à toi-même, réponds: “Il était et il est la
Vérité et la Vie. Il est le Vainqueur de la mort. Je le sais. Il ne peut être mort pour toujours. Je
l’attends. Et elle ne sera pas consumée toute l’huile de la lampe que l’ami tient toute prête pour
faire de la lumière au monde invité aux notes du Triomphateur que Lui, l’Epoux, reviendra. Et la
lumière, cette fois, ne pourra jamais plus être éteinte. Crois-le,
31
Lazare. Obéis à mon désir. Tu entends ce rossignol comme il chante après
s’être tu à cause de tes sanglots? Fais comme lui. Ton âme, après les
inévitables pleurs sur la Victime, qu’elle chante avec assurance l’hymne de
ta foi. Sois béni, par le Père, par le Fils, par le Saint-Esprit.»

Combien j’ai souffert! Pendant toute la nuit depuis 23h. de jeudi 1er
Mars jusqu’à 5h. du matin du vendredi. J’ai vu Jésus dans une angoisse de
peu inférieure à celle du Gethsémani, en particulier quand il parle de sa
Mère, du traître, et quand il montre son horreur de la mort. J’ai obéi au
commandement de Jésus d’écrire sur un carnet à part, pour en faire une
Passion plus détaillée. Vous avez vu mon visage ce matin... faible image de
la souffrance que j’ai endurée... et je n’en dis pas davantage car il y a des
pudeurs insurmontables.
7. JUDAS VA TROUVER LES CHEFS DU SANHEDRIN

Judas arrive à la nuit à la maison de campagne de Caïphe. Mais il y a la


lune qui se fait complice de l’assassin en éclairant la route. Il doit être bien
sûr de trouver là, dans cette maison hors les murs, ceux qu’il cherchait, car
je pense qu’autrement il aurait cherché à entrer dans la ville et serait allé au
Temple. Au contraire, il monte avec assurance à travers les oliviers de la
petite colline et il est plus sûr de lui que l’autre fois. C’est qu’il fait nuit et
les ombres et l’heure le protègent de toute surprise possible. Les chemins de
la campagne sont déserts désormais, après avoir été parcourus toute la
journée par les foules de pèlerins qui vont à Jérusalem pour la Pâque. Les
pauvres lépreux eux-mêmes sont dans leurs cavernes et dorment leur
sommeil de malheureux oublieux pour quelques heures de leur sort.
Voilà Judas à la porte de la maison toute blanche au clair de lune. Il
frappe: trois coups, un coup, trois coups, deux coups... C’est qu’il connaît à
merveille le signe conventionnel!
Et ce doit être vraiment un signal sûr car la porte s’entrouvre sans que le portier jette au préalable
un coup d’oeil par l’ouverture pratiquée dans la porte.
Judas se glisse à l’intérieur et au portier qui lui rend honneur demande: «L’assemblée est réunie?»
«Oui, Judas de Kériot. Au complet, pourrais-je dire.»
«Conduis-moi. Je dois parler de choses importantes. Vite!»
L’homme ferme la porte avec tous les verrous et il le précède par
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le couloir presque sombre, et s’arrête devant une lourde porte à laquelle il
frappe. Le bruit des voix cesse dans la pièce fermée, remplacé par le bruit
de la serrure et le grincement de la porte qui s’ouvre en projetant un cône de
lumière vive dans le couloir obscur.
«Toi? Entre!» dit celui qui a ouvert la porte et que je ne connais pas.
Et Judas entre dans la salle alors que celui qui a ouvert ferme de nouveau à clef.
Il y a un mouvement de stupeur, ou du moins d’agitation, quand ils voient entrer Judas. Mais ils le
saluent en choeur: «Paix à toi, Judas de Simon.»
«Paix à vous, membres du Sanhédrin saint» répond Judas.
«Avance. Que veux-tu?» lui demandent-ils.
«Vous parler... Vous parler du Christ. Il n’est plus possible continuer ainsi. Je ne peux plus vous
aider si vous ne vous décidez pas à prendre des décisions extrêmes. L’homme soupçonne
désormais.»
«Tu t’es fait découvrir, sot?» interrompent-ils.
«Non. C’est vous qui êtes sots, vous qui par une hâte stupide avez fait de fausses manoeuvres. Vous
le saviez bien que je vous aurais servis? Vous ne vous êtes pas fiés à moi.»
«Tu as la mémoire courte, Judas de Simon! Ne te rappelles-tu pas
comment tu nous as quittés la dernière fois? Qui pouvait penser que tu nous
étais fidèle, à nous, quand tu as proclamé de cette façon que Lui, tu ne
pouvais pas le trahir?» dit Elchias plus ironique, plus serpentin que jamais.
«Et vous croyez qu’il est facile de tromper un ami, le Seul qui m’aime
vraiment, l’Innocent? Vous croyez qu’il est facile d’arriver au crime?»
Judas est déjà agité.
Ils cherchent à le calmer et le flattent. Ils le séduisent, ou du moins
essaient de le faire, en lui faisant observer que son crime n’en est pas un
«mais une oeuvre sainte envers la Patrie, à laquelle il évite des représailles
de la part de ceux qui la dominent, et qui déjà donnent des signes de
mécontentement pour ces continuelles agitations et ces divisions de partis
et de foules dans une province romaine, et envers l’Humanité, s’il est
vraiment convaincu de la nature divine du Messie et de sa mission
spirituelle.»
«Si ce qu’il dit est vrai - loin de nous de le croire - n’es-tu pas le
collaborateur de la Rédemption? Ton nom sera associé au sien au cours des
siècles, et la Patrie te comptera parmi ses preux, et t’honorera des charges
les plus hautes. Un siège est tout prêt pour
33
toi parmi nous. Tu monteras, Judas. Tu donneras des lois à Israël. Oh! nous
n’oublierons pas ce que tu as fait pour le bien du Temple sacré, du
Sacerdoce sacré, pour la défense de la Loi très sainte, pour le bien de toute
la Nation! Aide-nous seulement et ensuite, nous te le jurons, je te le jure au
nom de mon puissant père et de Caïphe qui porte l’éphod, tu seras l’homme
le plus grand d’Israël, plus que les tétrarques, plus que mon père lui-même,
désormais pontife déposé. Comme un roi, comme un prophète tu seras servi
et écouté. Que si ensuite Jésus de Nazareth n’était qu’un faux Messie,
même si en réalité il n’était pas passible de mort parce que ses actions ne
sont pas d’un larron mais d’un fou, voilà que nous te rappelons les paroles
inspirées du pontife Caïphe - tu sais que celui qui porte l’éphod et le
rational parle par suggestion divine et prophétise ce qui est bien et ce qu’il
faut faire pour le bien - Caïphe, t’en souviens-tu? Caïphe a dit: “Il est bien
qu’un homme meure pour le peuple et que toute la Nation ne périsse pas”.
C’était une parole de prophétie.»
«En vérité, il était prophète. Le Très-Haut a parlé par la bouche du
Grand Prêtre. Qu’il soit obéi!» disent en choeur, déjà théâtraux et
semblables à des automates qui doivent faire des gestes donnés, ces
hideuses marionnettes que sont les membres du grand conseil du Sanhédrin.
Judas est suggestionné, séduit... mais un reste de bon sens, sinon de bonté,
subsiste encore en lui et le retient de prononcer les paroles fatales.
L’entourant avec respect, avec une affection simulée, ils le pressent: «Tu ne nous crois pas?
Regarde: nous sommes les chefs des vingt-quatre familles sacerdotales, les Anciens du peuple, les
scribes, les plus grands pharisiens d’Israël, les rabbis sages, les magistrats du Temple. L’élite
d’Israël est ici, autour de toi, prête à t’acclamer, et qui te dit d’une seule voix: “Fais cela que c’est
saint”.»
«Et Gamaliel, où est-il? Et Joseph et Nicodème, où sont-ils? Et Eléazar, l’ami de Joseph, et Jean de
Gaas? Je ne les vois pas.»
«Gamaliel est en grande pénitence, Jean auprès de sa femme enceinte et souffrante ce soir.
Eléazar... nous ne savons pas pourquoi il n’est pas venu. Mais un malaise peut frapper n’importe qui
et à l’improviste, n’est-ce pas? Pour ce qui est de Joseph et de Nicodème nous ne les avons pas
avisés de cette séance secrète, par amour pour toi, par souci de ton honneur... Pour que, dans le cas
malheureux où la chose échouerait, ton nom ne soit pas rapporté au Maître... Nous protégeons ton
nom, nous t’aimons Judas, nou-
34
veau Maccabée, sauveur de la Patrie.»
«Le Maccabée combattait le bon combat. Moi... je commets une
trahison.»
«Ne regarde pas les détails de l’acte, mais la justice du but. Parle toi, ô
Sadoc, scribe d’or. De ta bouche coulent de précieuses paroles. Si Gamaliel
est docte, toi tu es sage, car sur tes lèvres se trouve la sagesse de Dieu. Parle
toi à celui qui hésite encore.»
Cette bonne peau de Sadoc s’avance et avec lui Canania tout décrépit: un renard squelettique et
mourant à côté d’un rusé chacal robuste et féroce.
«Ecoute, ô homme de Dieu!» commence pompeusement Sadoc en prenant une pose inspirée et
oratoire, le bras droit levé en un geste cicéronien, le gauche occupé à soutenir tout cet
encombrement de plis que forme son habit de scribe. Et puis il lève aussi le bras gauche, laissant
son vêtement monumental perdre ses plis et se mettre en désordre et ainsi, le visage et les bras levés
vers le plafond de la pièce, il tonne: «Moi, je te le dis! Je te le dis devant la Très Haute Présence de
Dieu!»
«Maran-Atà!» font tous écho en se courbant comme si un souffle d’en haut les courbait et puis se
relevant les bras croisés sur la poitrine.
«Moi, je te le dis: c’est écrit dans les pages de notre histoire et de notre destin! C’est écrit dans les
signes et les figures laissés par les siècles! C’est écrit dans le rite qui n’a pas cessé depuis la nuit
fatale aux Egyptiens! C’est écrit dans la figure d’Isaac! C’est écrit dans la figure d’Abel! Et que ce
qui est écrit se réalise.»
«Maran-Atà!» disent les autres dans un choeur assourdi et lugubre, suggestionnant, avec les gestes
déjà faits, les visages bizarrement frappés par la lumière des deux lampadaires allumés aux
extrémités de la salle, aux micas violet pâle, qui émanent une lumière fantasmagorique. Et cette
assemblée d’hommes presque tous vêtus de blanc, avec les couleurs pâles et olivâtres de leur race
rendues encore plus pâles et plus olivâtres par la lumière diffuse, semble vraiment une assemblée de
spectres.
«La parole de Dieu est descendue sur les lèvres des prophètes pour marquer ce décret. Il doit
mourir! C’est dit!»
«C’est dit! Maran-Atà!»
«Il doit mourir, et son sort est marqué!»
«Il doit mourir. Maran-Atà!»
«Dans les plus minutieux détails est décrit son destin fatal, et on ne brise pas la fatalité!»
35
«Maran-Atà!»
«Est indiqué jusqu’au prix symbolique qui sera versé à celui qui se fait
l’instrument de Dieu pour la consommation de la promesse.»
«C’est indiqué! Maran-Atà!»
«Comme Rédempteur, ou comme faux prophète, il doit mourir!»
«Il doit mourir! Maran-Atà!»
«L’heure est venue! Jéhovah le veut! J’entends sa voix! Elle crie: “Que cela s’accomplisse”!»
«Le Très-Haut a parlé! Que cela s’accomplisse! Que cela s’accomplisse! Maran-Atà!»
«Que le Ciel te donne le courage comme Il en a donné à Jahel et à Judith, qui étaient des femmes et
surent être des héros; comme Il en a donné à Jephté qui, étant père, sut sacrifier sa fille à la Patrie;
comme Il en a donné à David contre Goliath, et a accompli le geste qui rendra Israël éternel dans le
souvenir des peuples!»
«Que le Ciel te donne le courage! Maran-Atà!»
«Que tu sois victorieux!»
«Que tu sois victorieux! Maran-Atà!»
S’élève la voix éraillée et sénile de Canania: «Celui qui hésite devant l’ordre sacré est condamné au
déshonneur et à la mort!»
«Il est condamné. Maran-Atà!»
«Si tu ne veux pas écouter la parole du Seigneur ton Dieu, et si tu n’agis pas selon son
commandement, en faisant ce qu’Il t’ordonne par notre bouche, que toutes les malédictions tombent
sur toi!»
«Toutes les malédictions! Maran-Atà!»
«Que le Seigneur te frappe par toutes les malédictions mosaïques et te disperse parmi les nations.»
«Qu’Il te frappe et te disperse! Maran-Atà!»
Un silence de mort suit cette scène suggestionnante... Tout s’immobilise dans une immobilité
effrayante.
Finalement, voilà la voix de Judas qui s’élève, et j’ai du mal à la
reconnaître tellement elle est changée: «Oui, je le ferai. Je dois le faire. Et
je le ferai. Déjà la dernière partie des malédictions mosaïques me concerne
et j’en dois sortir car j’ai déjà trop tardé. Et je deviens fou n’ayant ni trêve
ni repos, et le coeur effrayé, et les yeux égarés, et l’âme consumée par la
tristesse. Tremblant d’être découvert et foudroyé par Lui dans mon double
jeu - car je ne sais pas, je ne sais pas jusqu’à quel point il connaît ma pensée
- je vois ma vie suspendue à un fil, et matin et soir je demande d’en finir
avec cette heure à cause de l’épouvante qui me serre le coeur. A
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cause de l’horreur que je dois accomplir. Oh! hâtez cette heure! Tirez-moi
de l’angoisse qui m’étreint! Que tout s’accomplisse. Tout de suite!
Maintenant! Et que je sois délivré! Allons!»
La voix de Judas s’est affermie et est devenue forte à mesure qu’il
parlait. Ses gestes, d’abord automatiques et incertains comme ceux d’un
somnambule, sont devenus libres, volontaires. Il se redresse de toute sa
taille, en prenant une beauté satanique, et il crie: «Que tombent les liens
d’une folle terreur! Je suis délivré d’une sujétion effrayante. Christ! Je ne te
crains plus et je te livre à tes ennemis! Allons!» Un cri de démon
victorieux, et réellement il se dirige hardiment vers la porte.
Mais ils l’arrêtent: «Doucement! Réponds-nous: où est Jésus de Nazareth?»
«Dans la maison de Lazare, à Béthanie.»
«Nous ne pouvons pas entrer dans cette maison bien défendue par des serviteurs fidèles. Maison
d’un favori de Rome. Nous irions au-devant d’ennuis certains.»
«A l’aurore, nous venons dans la ville. Mettez les gardes sur la route de Bethphagé, faites du
tumulte et saisissez-le.»
«Comment sais-tu qu’il vient par cette route? Il pourrait aussi prendre l’autre...»
«Non. Il a dit à ceux qui le suivent qu’il la prendra pour entrer dans la ville par la porte d’Ephraïm
et de l’attendre près de En Rogel. Si vous le prenez avant...»
«Nous ne pouvons pas. Nous devrions entrer dans la ville avec Lui au milieu des gardes et tous les
chemins qui conduisent aux portes, et toutes les rues de la ville sont pleines de la foule depuis
l’aube jusqu’à la nuit. Il y aurait du tumulte et cela ne doit pas arriver.»
«Il montera au Temple. Appelez-le pour l’interroger dans une salle. Appelez-le au nom du Grand
Prêtre. Il viendra car il a plus de respect pour vous que pour sa vie. Une fois qu’il est seul avec
vous... vous aurez bien manière de l’amener en lieu sûr et de le condamner à l’heure favorable.»
«Il y aurait également du tumulte. Tu devrais t’en être aperçu que la foule est fanatique pour Lui. Et
ce n’est pas seulement le peuple, mais aussi les grands et les espoirs d’Israël. Gamaliel perd ses
disciples et de même Jonatas ben Uziel et d’autres parmi nous, et tous nous quittent séduits par Lui.
Et même les gentils le vénèrent, ou le craignent, ce qui est déjà de la vénération, et ils sont prêts à se
révolter contre nous si nous le malmenons. Par ailleurs
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certains larrons, que nous avions payés pour faire les faux disciples et
provoquer des rixes, ont été arrêtés et ils ont parlé espérant la clémence à
cause de leurs délations, et le Prêteur sait... Tout le monde le suit alors que
nous ne concluons rien. Mais il faut agir avec finesse pour que les foules ne
s’en aperçoivent pas.»
«Oui, c’est ce qu’il faut faire! Anna aussi le recommande. Il dit: “Que
cela n’arrive pas pendant la fête et qu’il ne naisse pas de tumulte parmi le
peuple fanatique”. C’est ce qu’il a décidé, en donnant des ordres même
pour qu’il soit traité avec respect dans le Temple et ailleurs, et qu’il ne soit
pas molesté afin de pouvoir le tromper.»
«Et alors, que voulez-vous faire? Moi, j’étais bien disposé cette nuit, mais vous hésitez...» dit Judas.
«Voilà: tu devrais nous amener à Lui à une heure où il est seul. Tu
connais ses habitudes. Tu nous as écrit qu’il te garde près de Lui plus que
tous. Tu dois donc savoir ce qu’il veut faire. Nous serons toujours prêts.
Quand tu jugeras favorable l’heure et le lieu, viens, et nous viendrons.»
«C’est dit. Et quelle compensation en aurai-je?» Désormais Judas parle
froidement comme s’il s’agissait d’un commerce quelconque.
«Ce qui est dit par les prophètes, pour être fidèle à la parole inspirée: trente deniers...»
«Trente deniers pour tuer un homme, et cet Homme? Le prix d’un
agneau ordinaire en ces jours de fête?! Vous êtes fous! Non que j’aie besoin
d’argent. J’en ai une bonne provision. Ne pensez donc pas me persuader par
besoin d’argent. Mais c’est trop peu pour payer ma douleur de trahir Celui
qui m’a toujours aimé.»
«Mais nous t’avons dit ce que nous ferons pour toi. Gloire, honneur!
Ce que tu attendais de Lui et que tu n’as pas eu. Nous guérirons ta
déception. Mais le prix est fixé par les prophètes! Oh! une formalité! Un
symbole et rien de plus. Le reste viendra après...»
«Et l’argent, quand?»
«Au moment que tu diras: “Venez”. Pas avant. Personne ne paie avant d’avoir les mains sur la
marchandise. Cela ne to paraît-il pas juste peut-être?»
«C’est juste. Mais triplez au moins la somme...»
«Non. C’est dit par les prophètes. C’est ce qu’on doit faire. Oh! nous
saurons obéir aux prophètes! Nous n’omettrons pas un iota de ce qu’ils ont
écrit de Lui. Eh! Eh! Eh! Nous sommes fidèles à la parole inspirée! Eh! Eh!
Eh!» dit en riant ce rebutant squelette de Canania. Et plusieurs font chorus
avec des ricanements lugubres,
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sournois, sans sincérité, vrais rires de démons qui ne savent que ricaner.
C’est que le rire est le propre de l’homme serein et aimant, et le ricanement
celui des coeurs troublés et saturés de rancoeur.
«Tout est dit. Tu peux aller. Nous attendons l’aube pour rentrer dans la
ville par divers chemins. Adieu. La paix soit avec toi, brebis perdue qui
reviens au troupeau d’Abraham. Paix à toi! Paix à toi! Et la reconnaissance
d’Israël tout entier! Compte sur nous! Un désir de toi est pour nous une loi.
Que Dieu soit avec toi, comme Il l’a été avec tous ses serviteurs les plus
fidèles! Toutes les bénédictions sur toi!»
Avec des embrassements et des protestations d’amour, ils
l’accompagnent jusqu’à la sortie... ils le regardent s’éloigner par le corridor
à demi obscur... ils écoutent le grincement des verrous de la porte qui
s’ouvre et se referme...
Ils rentrent dans la salle en jubilant.
Seulement deux ou trois voix s’élèvent, celles des moins démoniaques: «Et maintenant? Comment
allons-nous faire avec Judas de Simon? Nous savons bien que nous ne pourrons lui donner ce que
nous lui avons promis, à part ces trente pauvres deniers!... Que va-t-il dire quand il va se voir trahi
par nous? N’aurons-nous pas encouru un dommage plus grand? Ne va-t-il pas aller dire au peuple
ce que nous faisons? Qu’il soit un homme qui n’est pas ferme dans ses résolutions nous le savons
bien.»
«Vous êtes bien naïfs et bien sots d’avoir ces pensées et de vous donner
ces tracas! On a déjà décidé ce que nous ferons à Judas. Décidé depuis
l’autre fois. Ne vous rappelez-vous pas? Et nous nous ne changeons pas
d’idée. Lorsque tout sera fini pour le Christ, Judas mourra. C’est dit.»
«Mais s’il parlait auparavant?»
«A qui? Aux disciples et au peuple, pour être lapidé? Il ne parlera pas. L’horreur de son action sera
pour lui un bâillon...»
«Mais il pourrait se repentir après cela, avoir des remords, devenir fou aussi... Car si son remords
venait à s’éveiller, il ne pourrait que faire de lui un fou...»
«Il n’en aura pas le temps. Nous y pourvoirons avant. Chaque chose en son temps. D’abord le
Nazaréen, et ensuite celui qui l’a trahi» dit Elchias avec une lenteur terrible.
«Oui. Et attention! Pas un mot aux absents. Ils sont déjà trop au courant de notre pensée. Je ne me
fie pas à Joseph et à Nicodème, et peu aux autres.»
«Tu doutes de Gamaliel?»
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«Lui s’est mis à l’écart depuis plusieurs mois. Sans un ordre directe du
Pontife, il ne prendra pas part à nos séances. Il dit qu’il écrit son oeuvre
avec l’aide de son fils. Mais je parle d’Eléazar et de Jean.
«Oh! ils ne nous ont jamais contredits» dit tout de suite un synhédriste que j’ai vu d’autres fois avec
Joseph d’Arimathie, mais dont je ne me rappelle pas le nom.
«Et même, ils nous ont trop peu contredits. Eh! Eh! Eh! Et il faudra les
surveiller! Beaucoup de serpents se sont nichés au Sanhédrin, je crois... Eh!
Eh! Eh! Mais ils seront dénichés... Eh! Eh! Eh!» dit Canania en marchant
courbé et tremblant, appuyé sur son bâton pour chercher une place
confortable sur l’un des sièges larges et bas couverts de lourds tapis qui
sont le long des murs de la salle. Il s’y étend satisfait et a vite fait de
s’endormir, la bouche ouverte, répugnant dans sa vieillesse méchante.
On l’observe. Et Doras, fils de Doras, dit: «Il a la satisfaction de voir ce
jour. Mon père y rêva, mais il ne l’eut pas. Mais je porterai dans mon coeur
son esprit pour qu’il soit présent le jour où on se vengera du Nazaréen et
qu’il ait sa joie...»
«Rappelez-vous que nous devrons, à tour de rô1e, et plusieurs à la fois, être constamment au
Temple.»
«Nous y serons.»
«Nous devrons ordonner qu’à n’importe quelle heure Judas de Simon
soit introduit chez le Grand Prêtre.»
«Nous le ferons.»
«Et maintenant, préparons notre coeur au dénouement.»
«C’est déjà fait! C’est déjà fait!»
«Avec ruse.»
«Avec ruse.»
«Avec finesse.»
«Avec finesse.»
«Pour calmer tout soupçon.»
«Pour séduire tous les coeurs.»
«Quelque chose qu’il dise ou fasse, pas de réaction. Nous nous
vengerons de tout en une seule fois.»
«C’est ce que nous ferons. Et ce sera une vengeance féroce.»
«Complète!»
«Terrible!»
Et ils s’assoient pour se reposer en attendant l’aube.
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8. DE BETHANIE A JERUSALEM

Jésus marche parmi des vergers et des oliviers tout en fleurs. Elles
paraissent des fleurs même les feuilles argentées des oliviers ainsi
emperlées de rosée qui brille frappée par le premier rayon de l’aurore et
remuée par un léger vent parfumé. Chaque frondaison est un travail
d’orfèvre et l’oeil en regarde avec admiration la beauté. Les amandiers, déjà
tout couverts de leurs feuilles vertes, se détachent des masses blanc-rosées
des autres arbres fruitiers, et par dessous, les vignes montrent les
découpures de leurs premières tendres feuilles si claires et soyeuses qu’elles
semblent un éclat d’émeraude très fine ou un lambeau de soie précieuse. En
haut, un ciel de turquoise foncée, uni, tranquille, solennel. Partout, des
chants d’oiseaux et des parfums de fleurs. Un air frais refait les forces et
réjouit. C’est vraiment la gaieté d’avril qui sourit partout.
Jésus est au milieu de ses apôtres, des douze, et il parle.
«J’ai envoyé les femmes en avant car c’est à vous seuls que je veux
parler. Dans les premiers temps que j’étais avec vous je vous ai dit, à ceux
qui étaient avec Moi: “Ne troublez pas ma Mère en lui racontant des
mauvaises actions contre Moi”. Elles paraissaient des actions si graves,
celles-là... Maintenant vous, les trois témoins de celles qui ont été le
commencement de la chaîne avec laquelle sera conduit à la mort le Fils de
l’homme - toi, Jean, toi, Simon, et toi, Judas de Kériot - vous pouvez bien
voir qu’elles étaient comparables à des grains de sable qui tombent d’en
haut en comparaison de la roche, des roches que sont les actions de
maintenant. Mais alors ni vous, ni ma Mère, ni Moi, nous n’étions préparés
à la méchanceté humaine. Dans le Bien comme dans le Mal, voilà: l’homme
n’atteint pas le sommet tout d’un coup. Il monte ou descend graduellement.
C’est ainsi dans la douleur. Maintenant vous qui êtes bons, vous êtes
montés dans le Bien et vous pouvez constater, sans le scandale qu’alors
vous en auriez eu, à quel point de perversion peut descendre l’homme qui
se voue au satanisme, de même que ma Mère et Moi, nous pouvons
supporter sans en mourir toute la douleur qui vient de l’homme. Nous avons
fortifié notre âme. Tous. Dans le Bien, dans le Mal, ou dans la Douleur.
Pourtant nous n’avons pas encore atteint le sommet. Nous n’avons pas
encore atteint le sommet... Oh! si vous saviez quel est le sommet et
combien il est haut le sommet du Bien, du Mal, de la Douleur! Mais
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je vous répète mes paroles d’alors. Ne répétez pas à ma Mère ce que le Fils
de l’homme va vous dire. Elle en aurait trop de douleur. Celui qui doit être
mis à mort boit le breuvage qu’on lui donne par pitié, qui étourdit, pour
qu’il puisse attendre sans frémir à chaque instant, l’heure du supplice. Votre
silence sera comme le breuvage de pitié pour elle, Mère du Rédempteur!
Maintenant je veux, pour que rien ne reste obscur pour vous, vous ouvrir le
sens des prophéties. Et je vous demande de rester avec Moi, beaucoup,
beaucoup. Dans la journée, j’appartiendrai à tout le monde. La nuit, je vous
prie d’être avec Moi car je veux être avec vous. J’ai besoin de ne pas me
sentir seul...»
Jésus est très triste. Les apôtres le voient et ils sont angoissés. Ils se
serrent autour de Lui. Même Judas sait se serrer près du Maître comme s’il
était le plus affectueux des disciples.
Jésus les caresse et il poursuit: «Je veux en cette heure qui m’est encore donnée, achever la
connaissance du Christ en vous. Au commencement, avec Jean, Simon et Judas, j’ai fait connaître la
vérité des prophéties sur ma naissance. Les prophéties m’ont peint comme le meilleur peintre ne
pourrait le faire de mon aube à mon crépuscule. Et même, ce sont justement l’aube et le crépuscule,
les deux passages les plus mis en lumière par les prophètes. Or le Christ descendu du Ciel, le Juste
que les nuées ont laissé pleuvoir sur la Terre, le Germe sublime, va être mis à mort, brisé comme un
cèdre par la foudre. Parlons alors de sa mort. Ne soupirez pas, ne hochez pas la tête. Ne murmurez
pas en votre coeur, ne maudissez pas les hommes. Cela ne sert à rien. Nous montons à Jérusalem.
Pâque est proche désormais.
“Ce mois sera pour vous le premier des mois de l’année”. Ce mois sera
pour le monde le commencement d’un temps nouveau. Il ne cessera plus
jamais. Inutilement, de temps à autre, l’homme cherchera à en mettre de
nouveaux. Ceux qui voudront mettre un temps nouveau, portant leur nom
d’idole, seront foudroyés et frappés. Il n’y a qu’un Dieu au Ciel et un
Messie sur la Terre: le Fils de Dieu: Jésus de Nazareth. Lui, puisqu’il
donne tout de Lui-même, peut tout vouloir et mettre son sceau royal non
pas sur ce qui est chair et boue, mais sur ce qui est temps et esprit.
“Au dixième jour de ce mois, que chacun prenne un agneau par famille
et par maison. Et si le nombre des personnes de la maison n’est pas
suffisant pour consommer l’agneau, que l’on prenne le voisin avec sa
famille de façon à pouvoir consommer tout l’agneau”. Car le sacrifice et
l’hostie doivent être complets et con-
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sommés. Il ne doit pas en rester une parcelle. Il n’en restera pas. Trop
nombreux sont ceux qui vont se repaître de l’agneau. Un nombre qu’on ne
peut compter, pour un banquet sans limite de temps, et il n’est pas besoin
de feu pour consumer les restes parce qu’il n’y a pas de restes. Les parties
qui seront offertes et seront repoussées par la haine seront consumées par le
feu même de la victime, par son amour. Je vous aime, ô hommes. Vous,
mes douze amis que j’ai choisis Moi-même, vous en qui sont les douze
tribus d’Israël et les treize veines de l’humanité. J’ai tout rassemblé en vous
et en vous je vois tout rassemblé... Tout.»
«Mais dans les veines du corps d’Adam se trouve aussi celle de Caïn.
Personne de nous n’a levé la main sur son compagnon. Abel, où est-il
alors?» demande l’Iscariote.
«Tu l’as dit. Dans les veines du corps d’Adam se trouve aussi celle de
Caïn. Et L’Abel, c’est Moi, le doux Abel pasteur des troupeaux, agréable
au Seigneur parce qu’il offrait ses prémices et ce qui était sans imperfection
et, parmi toutes les offrandes, lui-même. Je vous aime, ô hommes. Même si
vous ne m’aimez pas, Moi, je vous aime. L’amour accélère et achève le
travail des sacrificateurs.
“Que l’agneau soit sans tache, mâle, d’un an”. Le temps n’existe pas
pour l’Agneau de Dieu. Lui est. Pareil au dernier jour comme il l’était au
premier de cette Terre. Celui qui est comme le Père, ne connaît pas de
vieillissement dans sa nature divine. Et sa personne ne connaît qu’un seul
vieillissement, qu’une seule lassitude: celle de la déception d’être venu en
vain pour un trop grand nombre. Quand vous saurez comment j’ai été mis à
mort - et les yeux, qui verront leur Seigneur changé en lépreux couvert de
plaies, sont maintenant pleins de larmes à côté de Moi, et ne voient plus
cette riante colline car les larmes les aveuglent de leur liquide visière - dites
aussi: “Ce n’est pas de cela qu’il est mort, mais d’avoir été un inconnu pour
ceux qui Lui étaient le plus chers et repoussé par trop d’humanité”. Mais
s’il n’est pas question de temps pour le Fils de Dieu, et ainsi il diffère de
l’agneau du rite, il lui est semblable parce qu’il est sans tache et que c’est
un mâle consacré au Seigneur. Oui. C’est inutilement que les bourreaux,
ceux qui me tueront par les armes, ou par leur vouloir, ou par leur trahison,
voudront s’excuser en disant: “Il était coupable”. Aucune personne sincère
ne peut m’accuser de péché. Le pouvez-vous?
Nous sommes en face de la mort. Je le suis. D’autres encore le sont. Qui? Tu veux savoir qui,
Pierre? Tous. La mort avance heure
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après heure et saisit celui qui s’y attend le moins. Mais même ceux qui ont
encore une longue vie à tisser, heure après heure sont en face de la mort,
parce que le temps est un éclair comparé à l’éternité et qu’à l’heure de la
mort même la plus longue vie se réduit à rien et les actions des nombreuses
décennies lointaines, depuis celles du premier âge, reviennent en foule pour
dire: “Voilà: hier, tu faisais telle chose”. Hier! C’est toujours hier, quand on
meurt! Et c’est toujours de la poussière, l’honneur et l’or que la créature
désirait si ardemment! Et il perd toute saveur le fruit dont on était fou! La
femme? L’argent? Le pouvoir? La science? Que reste-t-il? Rien! Seulement
la conscience et le jugement de Dieu devant lequel se présente la
conscience pauvre et dénuée des protections et des richesses humaines et
chargée seulement de ses actions.
“Qu’ils prennent son sang et en mettent sur les montants et l’architrave
et l’Ange ne frappera pas, quand il passera, les maisons sur lesquelles se
trouve la marque du sang”. Prenez mon sang. Mettez-le non sur les pierres
mortes, mais sur votre coeur mort. C’est la nouvelle circoncision. Et Moi, je
me circoncis pour le monde entier. Je ne sacrifie pas l’inutile partie, mais je
brise ma magnifique, saine, pure virilité, je la sacrifie complètement, et de
mes membres mutilés, de mes veines ouvertes, je prends mon sang, et je
trace sur l’Humanité des anneaux de salut, des anneaux d’éternelles
épousailles avec Dieu qui est dans les Cieux, avec le Père qui attend, et je
dis: “Voilà, maintenant Tu ne peux plus les repousser parce que Tu
repousserais ton sang”.
“Et Moïse dit: ‘... et puis plongez une touffe d’hysope dans le sang et
aspergez-en les montants’ ”. Alors le sang ne suffit pas? Il ne suffit pas. A
mon sang, il faut joindre votre repentir. Sans le repentir, amer et salutaire,
c’est inutilement que je serai mort pour vous.
C’est la première parole qui dans le Livre parle de l’Agneau Rédempteur. Mais le Livre en est
rempli. De même qu’à chaque nouveau lever du soleil plus épaisse se fait la floraison sur ces
branches, ainsi, à mesure qu’une année succède à une qui est finie et qu’on approche du temps de la
Rédemption, voici que la floraison se multiplie.
Et maintenant avec Zacharie, je vous dis, à vous pour Jérusalem: “Voici que vient le Roi plein de
douceur, monté sur une ânesse et un ânon. Il est pauvre”. Mais il dispersera les puissants qui
oppriment l’homme. Il est doux, et pourtant son bras levé pour bénir vaincra le démon et la mort. “Il
annoncera la paix parce qu’il en est
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le Roi”. Lui, étant crucifié, étendra sa domination d’une mer à l’autre. “Lui
qui ne crie pas, qui ne brise pas, qui n’éteint pas celui qui n’est pas lumière
mais fumée, celui qui n’est pas force mais faiblesse, celui qui mérite tous
les reproches, il fera justice selon la vérité”. Ton Messie, ô cité de Sion, ton
Messie, ô peuple du Seigneur, ton Messie, ô peuple de la Terre.
“Sans être triste ni turbulent” et vous voyez comme il n’y a pas en Moi
la tristesse irritée du vaincu, ni la tristesse rancunière du pervers, mais
seulement le sérieux de celui qui voit à quel point peut arriver la possession
de Satan dans l’homme, et vous voyez comment, pouvant réduire en
cendres et disperser par une seule palpitation de ma volonté, Moi, pendant
trois ans, j’ai tendu les mains pour inviter à l’amour, à tous, sans arrêt, et
maintenant encore mes mains se tendront et seront blessées! “Sans être
triste ni turbolent, j’arriverai à établir mon Royaume”. Ce Royaume du
Christ où se trouve le salut du monde.
Le Père, Seigneur éternel, me dit: “Je t’ai appelé, Je t’ai pris par la
main, Je t’ai fait alliance entre les peuples et Dieu, Je t’ai fait la lumière des
nations”. Et j’ai été lumière. Lumière pour ouvrir les yeux aux aveugles,
parole pour donner la parole aux sourds, clef pour ouvrir les prisons
souterraines de ceux qui étaient dans les ténèbres de l’erreur.
Et maintenant, Moi qui suis tout cela, je vais mourir. J’entre dans l’obscurité de la mort. La mort,
comprenez-vous?...
Les premières choses annoncées, voilà qu’elles vont s’accomplir, je le dis Moi aussi avec le
prophète. Les autres, je vous les dirai avant que le Démon ne nous sépare.
Voilà Sion là-bas au fond. Allez prendre l’ânesse et l’ânon. Dites à l’homme: “Il les faut pour le
Rabbi Jésus”. Et dites à ma Mère que je vais la rejoindre. Elle est là, sur le talus avec les Marie. Elle
m’attend. C’est mon triomphe humain... Qu’il soit son triomphe. Toujours unis. Oh! unis!...
Et quel est le coeur de hyène qui, d’un coup de griffes de sa patte,
arrache le coeur du coeur maternel: Moi, son Fils? Un homme? Non. Tout
homme naît d’une femme, et par instinct et réflexion morale il ne peut
frapper une mère parce qu’il pense à la sienne. Ce n’est donc pas un
homme. Qui alors? Un démon. Mais un démon peut-il offenser la
Victorieuse? Pour l’offenser, il doit la toucher. Et Satan ne supporte pas la
lumière virginale de la Rose de Dieu. Et alors? Qui dites-vous que c’est?
Vous ne parlez pas? Moi alors je le dis.
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Le démon le plus rusé s’est fondu à l’homme le plus corrompu et, ainsi
que le venin enfermé dans les dents de l’aspic, il est enfermé en lui qui peut
approcher de la Femme et ainsi, traîtreusement, la mordre. Maudit soit
l’hybride monstrueux qui est Satan et qui est homme! Je le maudis? Non.
Elle n’est pas du Rédempteur cette parole. Et alors je dis à l’âme de cet
hybride monstrueux ce que j’ai dit à Jérusalem, monstrueuse cité de Dieu et
de Satan: “Oh! si en cette heure qui t’est encore donnée, tu savais venir au
Sauveur!” Il n’y a pas d’amour plus grand que le mien! Et il n’y a pas de
plus grand pouvoir. Même le Père consent quand je dis: “Je veux”, et je ne
sais dire que des paroles de pitié pour ceux qui sont tombés et qui, de leur
abîme, me tendent les bras. Ame du plus grand pécheur, ton Sauveur, au
seuil de la mort, se penche sur ton abîme et il t’invite à prendre sa main. Ma
mort ne sera pas empêchée... Mais toi... mais toi... tu serais sauvé, toi, que
j’aime encore, et l’âme de ton Ami ne frémirait pas d’horreur en pensant
que c’est par l’oeuvre de l’ami qu’il connaît l’horreur de la mort, et de cette
mort...»
Jésus se tait... accablé...
Les apôtres bavardent et se demandent entre eux: «Mais de qui parle-t-il? Qui est-ce?»
Et Judas sans aucune honte de mentir: «C’est certainement un des faux
pharisiens... Moi, je pense à Joseph ou Nicodème, ou bien à Chouza et
Manaën... Tous sont avides de pouvoir et d’argent... Je sais que Hérode... Et
je sais que le Sanhédrin. Il s’est trop fié à eux! Vous voyez que hier aussi
ils n’étaient pas présents?! Ils n’ont pas la hardiesse de l’affronter...»
Jésus n’entend pas. Il est allé en avant et a rejoint sa Mère qui est avec
les Marie et avec Marthe et Suzanne. Il ne manque que Jeanne de Chouza
dans le groupe des pieuses femmes.

9. L’ENTREE DE JÉSUS A JERUSALEM

Jésus passe son bras autour des épaules de sa Mère qui s’est levée
quand Jean et Jacques d’Alphée l’ont rejointe pour lui dire: «Ton Fils
arrive», et puis ils sont revenus en arrière pour se réunir à leurs
compagnons qui avancent lentement en parlant, alors que Thomas et André
ont couru vers Bethphagé pour chercher l’ânesse
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et l’ânon et les amener à Jésus.
Jésus, pendant ce temps, parle aux femmes: «Nous voici près de la
ville. Je vous conseille d’y aller et d’y aller en toute sûreté. Entrez dans la
ville avant Moi. Près de En Rogel, se trouvent les bergers et les disciples les
plus fidèles. Ils ont l’ordre de vous accompagner et de vous protéger.»
«C’est que... Nous avons parlé avec Aser de Nazareth et Abel de Bethléem de Galilée et aussi avec
Salomon. Ils étaient venus jusqu’ici pour guetter ton arrivée. La foule prépare une grande fête. Et on
voulait voir... Tu vois comme remue le haut des oliviers? Ce n’est pas le vent qui les agite ainsi.
Mais ce sont des gens qui coupent des branches pour en joncher le chemin et t’abriter du soleil. Et
là-bas?! Regarde, ils sont en train de dépouiller les palmiers de leurs éventails. On dirait des grappes
et ce sont des hommes grimpés sur les fûts qui n’en finissent pas de cueillir... Et sur les pentes tu
vois des enfants qui se baissent pour cueillir des fleurs. Et certainement les femmes dépouillent les
jardins des fleurs et des plantes odorantes pour en joncher le chemin. Nous voulions voir... et imiter
le geste de Marie de Lazare qui recueillit toutes les fleurs foulées par ton pied quand tu es entré
dans le jardin de Lazare» demande Marie de Cléophas au nom de toutes.
Jésus caresse sur la joue sa vieille parente qui semble une enfant désireuse de voir un spectacle, et il
lui dit: «Dans la grande foule, tu ne verrais rien. Allez en avant, à la maison de Lazare, celle qui a
Mathias comme gardien. Je passerai par là, et vous me verrez d’en haut.»
«Mon Fils... et tu vas seul? Je ne puis rester près de Toi?» dit Marie en levant son visage si triste et
en fixant ses yeux de ciel sur son doux Fils.
«Je voudrais te prier de rester cachée. Comme la colombe dans le creux du rocher. Plus que ta
présence, ta prière m’est nécessaire, Maman aimée!»
«Si c’est ainsi, mon Fils, nous prierons, toutes, pour Toi.»
Oui. Après l’avoir vu passer, vous viendrez avec nous dans mon palais
de Sion. Et j’enverrai des serviteurs au Temple et toujours à la suite du
Maître pour qu’ils nous apportent ses ordres et ses nouvelles» décide Marie
de Lazare toujours rapide pour saisir ce qu’il y a de mieux à faire et pour le
faire sans retard.
«Tu as raison, ma soeur. Bien qu’il me peine de ne pas le suivre, je comprends le bien fondé de cet
ordre. Et du reste Lazare nous a dit de ne contredire le Maître en rien, et de Lui obéir même dans les
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plus petits détails. Et nous le ferons.»
«Et alors, allez. Vous voyez? Les routes s’animent. Les apôtres vont
me rejoindre. Allez. La paix soit avec vous. Je vous ferai venir aux heures
que je jugerai bonnes. Maman, adieu. Sois en paix. Dieu est avec nous.» Il
l’embrasse et la congédie. Et les disciples obéissantes s’en vont sans tarder.
Les dix apôtres rejoignent Jésus: «Tu les as envoyées en avant?»
«Oui. Elles verront mon entrée d’une maison.»
«De quelle maison?» demande Judas de Kériot.
«Eh! elles sont désormais si nombreuses les maisons amies!» dit Philippe.
«Pas chez Annalia?» insiste l’Iscariote.
Jésus répond négativement et se met en chemin vers Bethphagé qui est peu éloignée.
Il en est tout proche quand reviennent les deux qu’il a envoyés prendre l’ânesse et l’ânon. Ils crient:
«Nous avons trouvé comme tu l’as dit, et nous t’aurions amené les animaux. Mais leur maître a
voulu les étriller et les orner des meilleurs harnachements pour te faire honneur. Et les disciples,
unis à ceux qui ont passé la nuit dans les rues de Béthanie pour t’honorer, veulent avoir l’honneur
de te les conduire, et nous avons consenti. Il nous a paru que leur amour méritait une récompense.»
«Vous avez bien fait. Avançons, en attendant.»
«Sont-ils nombreux les disciples?» demande Barthélemy.
«Oh! une multitude. On n’arrive pas à passer par les rues de Bethphagé. Aussi j’ai dit à Isaac de
conduire l’âne chez Cléonte, le fromager» répond Thomas.
«Tu as bien fait. Allons jusqu’à cet escarpement des collines, et attendons un peu à l’ombre de ces
arbres.»
Ils vont à l’endroit indiqué par Jésus.
«Mais nous nous éloignons! Tu dépasses Bethphagé en la contournant par derrière!» s’écrie
l’Iscariote.
«Et si je veux le faire, qui peut m’en empêcher? Suis-je peut-être déjà prisonnier, pour qu’il ne me
soit pas permis d’aller où je veux? Et est-on pressé que je le sois et craint-on que je puisse échapper
à la capture? Et si j’estimais juste de m’éloigner pour des lieux plus sûrs, y a-t-il quelqu’un qui
pourrait m’en empêcher?» Jésus darde son regard sur le Traître qui ne parle plus et hausse les
épaules, comme pour dire: «Fais ce que bon to semble.»
Ils tournent en effet en arrière du petit village, je dirais un faubourg de la ville elle-même car, du
côté ouest, il est vraiment peu
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éloigné de la ville, faisant déjà partie des pentes de l’Oliveraie qui couronne
Jérusalem du côté oriental. En bas, entre les pentes et la ville, le Cédron
brille au soleil d’avril.
Jésus s’assoit dans cette silencieuse verdure et se concentre dans ses
pensées. Puis il se lève et va réellement sur la cime de l’escarpement.

Jésus me dit: «Ici tu mettras la vision du 31 Juillet 1944: Jésus qui


pleure sur Jérusalem, à partir de la phrase que je t’ai dite pour commencer
la vision.» Et ensuite, il recommence à me montrer les phases de son entrée
triomphale.

30 Juillet.
Je ne sais comment faire pour décrire, car je ressens au coeur un tel malaise que j’ai peine à rester
assise. Mais il y a si longtemps que c’est ainsi. Je dois écrire ce que je vois.
Pour moi s’éclaire l’Evangile d’aujourd’hui: 9ème dimanche après la Pentecôte.

D’un coteau près de Jérusalem, Jésus regarde la ville qui s’étend à ses
pieds.
Le coteau n’est pas très haut. Au maximum comme peut l’être la petite place S. Miniato du
mont, à Florence; mais cela suffit pour que l’oeil domine l’étendue de toutes les maisons et des rues
qui montent et descendent sur les petits accidents de terrain sur lesquels se trouve Jérusalem. Cette
colline est certainement bien plus haute, si on prend le niveau le plus bas de la ville, que ne l’est le
Calvaire, mais elle est plus proche de l’enceinte que ce dernier. Elle commence exactement tout
près des murs et s’élève rapidement en s’éloignant de ceux-ci, alors que de l’autre côté elle descend
mollement vers une campagne toute verte qui s’étend vers l’est, vers l’orient si j’en juge du moins
par la lumière solaire.
Jésus et les siens sont sous un bosquet, à l’ombre, assis. Ils se reposent du chemin parcouru. Puis
Jésus se lève, quitte l’endroit boisé où ils étaient assis et s’en va tout à fait au sommet du coteau.
Sa haute personne se détache nettement dans l’espace vide qui l’entoure. Il paraît encore plus grand
ainsi, debout, et seul. Il tient les mains serrées sur sa poitrine, sur son manteau bleu, et regarde
extrêmement sérieux.
Les apôtres l’observent, mais ils le laissent faire sans bouger ni parler. Ils doivent penser qu’il s’est
éloigné pour prier.
Mais Jésus ne prie pas. Après avoir longuement regardé la ville en tous ses quartiers, en toutes ses
élévations, en toutes ses particularités, parfois avec de longs regards sur tel ou tel point, parfois en
insistant moins, Jésus se met à pleurer sans sanglots ni bruit.
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Les larmes gonflent ses yeux, puis coulent et roulent sur ses joues et
tombent par terre... des larmes silencieuses et tellement tristes, comme
celles de quelqu’un qui sait qu’il doit pleurer, seul, sans espérer de
réconfort ni de compréhension de personne. A cause d’une douleur qui ne
peut être annulée et qui doit être soufferte absolument.
Le frère de Jean, à cause de sa position, est Ie premier à voir ces pleurs
et il le dit aux autres qui se regardent entre eux, étonnés.
«Personne de nous n’a fait de mal» dit quelqu’un, et un autre: «La foule aussi ne nous a pas
insultés. Il ne s’y trouve personne qui Lui soit ennemi.»
«Pourquoi pleure-t-il alors?» demande le plus âgé de tous.
Pierre et Jean se lèvent ensemble et s’approchent du Maître. Ils pensent que l’unique chose à faire
c’est de Lui faire sentir qu’ils l’aiment et de Lui demander ce qu’il a.
«Maître, tu pleures?» dit Jean en mettant sa tête blonde sur l’épaule de Jésus, qui le dépasse de la
tête et du cou.
Et Pierre, en Lui mettant une main à la taille, en l’entourant presque d’un embrassement pour
l’attirer à lui, Lui dit: «Quelque chose te fait souffrir, Jésus? Dis-le à nous qui t’aimons.»
Jésus appuie sa joue sur la tête blonde de Jean et, desserrant ses bras, il passe à son tour son. bras
autour de l’épaule de Pierre. Ils restent ainsi embrassés tous les trois, dans une pose si affectueuse.
Mais les larmes continuent de couler.
Jean, qui les sent tomber dans ses cheveux, recommence à Lui demander: «Pourquoi pleures-tu,
mon Maître? Peut-être que de nous il te vient de la peine?»
Les autres apôtres se sont réunis au groupe affectueux et attendent anxieusement une r6ponse.
«Non» dit Jésus. «Pas de vous. Vous êtes pour Moi des amis et l’amitié, quand elle est sincère, est
baume et sourire, jamais larme. Je voudrais que vous restiez toujours mes amis. Même maintenant
que nous allons entrer dans la corruption qui fermente et qui corrompt celui qui n’a pas une volonté
décidée de rester honnête.»
«Où allons-nous, Maître? Pas à Jérusalem? La foule t’a déjà salué joyeusement. Veux-tu la
décevoir? Allons-nous peut-être en Samarie pour quelque prodige? Justement maintenant que la
Pâque est proche?»
Les questions viennent en même temps de diff6rents côtés.
Jésus lève la main pour imposer le silence et puis, de sa main droite, il montre la ville. Un geste
large comme celui du semeur qui
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jette son grain devant lui et il dit: «Elle est la Corruption. Nous entrons dans
Jérusalem. Nous y entrons. Et seul le Très-Haut sait comment je voudrais la
sanctifier en y amenant la Sainteté qui vient des Cieux. La resanctifier,
cette ville qui devrait être la Cité Sainte. Mais je ne pourrai rien lui faire.
Corrompue elle est, et corrompue elle reste. Et les fleuves de sainteté qui
coulent du Temple vivant, et qui couleront encore davantage dans peu de
jours jusqu’à le vider de la vie, ne suffiront pas pour la racheter. Ils
viendront au Saint la Samarie et le monde païen. Sur les temples
mensongers s’élèveront les temples du vrai Dieu. Les coeurs des gentils
adoreront le Christ. Mais ce peuple, cette ville sera toujours pour Lui une
ennemie et sa haine l’amènera au plus grand péché. Cela doit arriver. Mais
malheur à ceux qui seront les instruments de ce crime. Malheur!...»
Jésus regarde fixement Judas qui est presque en face de Lui.
«Cela ne nous arrivera jamais. Nous sommes tes apôtres et nous croyons en Toi, prêts à mourir pour
Toi.» Judas ment effrontément et soutient sans embarras le regard de Jésus.
Les autres unissent leurs protestations.
Jésus répond à tous pour éviter de répondre directement à Judas.
«Veuille le Ciel que vous soyez tels, mais vous avez encore beaucoup de faiblesse en vous et la
tentation pourrait vous rendre semblables à ceux qui me haïssent. Priez beaucoup et veillez
beaucoup sur vous. Satan sait qu’il va être vaincu et il veut se venger en vous arrachant à Moi.
Satan est autour de nous tous: de Moi, pour m’empêcher de faire la volonté du Père et d’accomplir
ma mission; de vous, pour faire de vous ses serviteurs. Veillez. Dans ces murs Satan prendra celui
qui ne saura pas être fort. Celui pour lequel cela aura été une malédiction d’être choisi parce qu’il a
donné à ce choix un but humain. Je vous ai choisis pour le Royaume des Cieux et non pour celui du
monde. Souvenez-vous-en.
Et toi, cite qui veux ta ruine et sur qui je pleure, sache que ton Christ
prie pour ta rédemption. Oh! si au moins en cette heure qui te reste tu savais
venir à Celui qui serait ta paix! Si au moins tu comprenais à cette heure
l’Amour qui passe au milieu de toi et si tu te dépouillais de la haine qui te
rend aveugle et folle, cruelle pour toi-même et pour ton bien! Mais un jour
viendra où tu te rappelleras cette heure! Trop tard alors pour pleurer et te
repentir! L’Amour sera passé et sera disparu de tes routes et il restera la
Haine que to as préférée. Et la haine se tournera vers toi, vers tes enfants.
Car on a ce qu’on a voulu, et la haine se paie par la haine.
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Et ce ne sera pas alors la haine des forts contre le désarmé. Mais ce sera
haine contre haine, et donc guerre et mort. Entourée de tranchées et de gens
armés, tu souffriras avant d’être détruite et tu verras tomber tes fils tués par
les armes et par la faim, et les survivants être prisonniers et méprisés, et tu
demanderas miséricorde, et tu ne la trouveras plus parce que tu n’as pas
voulu connaître ton Salut.
Je pleure, amis, car j’ai un coeur d’homme et les ruines de la patrie
m’arrachent des larmes. Mais que ce qui est juste s’accomplisse puisque
dans ces murs la corruption dépasse toute limite et attire le châtiment de
Dieu. Malheur aux citoyens qui sont la cause du mal de leur patrie!
Malheur aux chefs qui en sont la principale cause! Malheur à ceux qui
devraient être saints pour amener les autres à être honnêtes, et qui au
contraire profanent la Maison de leur ministère et eux-mêmes! Venez. A
rien ne servira mon action. Mais faisons en sorte que la Lumière brille
encore une fois au milieu des Ténèbres!»
Et Jésus descend suivi des siens. Il s’en va rapidement par le chemin, le visage sérieux et je dirais
presque renfrogné. Il ne parle plus. Il entre dans une maisonnette au pied de la colline et je ne vois
pas autre chose.

Jésus dit:
«La scène racontée par Luc paraît sans liaison, pour ainsi dire illogique. Je déplore les malheurs
d’une ville coupable et je ne sais pas compatir aux habitudes de cette ville?
Non. Je ne sais pas, je ne puis les compatir, puisque même ce sont
justement ces habitudes qui engendrent les malheurs, et de les voir rend
plus aiguë ma douleur. Ma colère contre les profanateurs du Temple est la
conséquence logique de ma méditation sur les malheurs prochains de
Jérusalem.
Ce sont toujours les profanations du culte de Dieu, de la Loi de Dieu,
qui provoquent les châtiments du Ciel. En faisant de la Maison de Dieu une
caverne de voleurs, ces prêtres indignes et ces indignes croyants (de nom
seulement) attiraient sur tout le peuple malédiction et mort. Inutile de
donner tel ou tel nom au mal qui fait souffrir un peuple. Cherchez le nom
exact en ceci: “Punition d’une vie de brutes”. Dieu se retire et le Mal
s’avance. Voilà le fruit d’une vie nationale indigne du nom de chrétienne.
Comme alors, maintenant aussi, dans cette partie de siècle, je n’ai pas
manqué par des prodiges de secouer et de rappeler. Mais comme alors, je
n’ai attiré sur Moi et mes instruments que moquerie, indifférence et haine.
Pourtant que les particuliers et les nations se souviennent que c’est
inutilement qu’ils pleurent quand auparavant ils ne veulent reconnaître
leur salut. Inutilement qu’ils m’invoquent quand à l’heure où j’étais avec
eux ils m’ont chassé par une guerre sacrilège qui en partant de consciences
particulières, vouées au Mal, s’est répandue dans toute la Nation. Les
Patries ne se sauvent pas tant par les armes que par une forme de vie qui
attire les protections du Ciel.
Repose, petit Jean, et fais en sorte d’être toujours fidèle au choix que
j’ai fait de toi.
52
Va en paix.»
Quelle fatigue! Je n’en peux vraiment plus...

Jésus a à peine le temps d’entrer dans la maison pour en bénir les


habitants que l’on entend une gaie sonnerie de grelots et des voix en fête. Et
tout de suite après, le visage émacié et pâle d’Isaac apparaît dans
l’ouverture de la porte et le fidèle berger entre et se prosterne devant son
Seigneur Jésus.
Dans l’encadrement de la porte grande ouverte se pressent de nombreux visages et en arrière on en
voit d’autres... On se bouscule, on se presse, on veut s’avancer... Quelques cris de femmes, quelques
pleurs d’enfants pris au milieu de la cohue, et des salutations, des cris joyeux: «Heureux jour qui te
ramène à nous! La paix à Toi, Seigneur! C’est un heureux retour, ô Maître, pour récompenser notre
fidélité.»
Jésus se lève et fait signe qu’il va parler. Tout le monde se tait, et on entend nettement la voix de
Jésus.
«Paix à vous! Ne vous entassez pas. Maintenant nous allons monter ensemble au Temple. Je suis
venu pour être avec vous. Paix! Paix! Ne vous faites pas de mal. Faites place, mes aimés! Laissez-
moi sortir et suivez-moi, pour que nous entrions ensemble dans la Cité Sainte.»
Les gens obéissent tant bien que mal, et font un peu de place, assez pour que Jésus puisse sortir et
monter sur l’ânon. Car Jésus indique le poulain jamais monté jusqu’alors comme sa monture. Alors
de riches pèlerins, qui se pressent dans la foule, étendent sur la croupe de l’ânon leurs somptueux
manteaux et quelqu’un met un genou à terre et l’autre à servir de marchepied au Seigneur qui
s’assoit sur l’ânon, et le voyage commence. Pierre marche à côté du Maître et de l’autre côté Isaac
tient la bride de la bête qui n’est pas entraînée, et qui pourtant marche tranquillement comme si elle
était habituée à cet office sans s’emballer ou s’effrayer des fleurs qui, jetées comme elles le sont
vers Jésus, frappent souvent les yeux et le museau de la bête, ni des branches d’olivier et des
feuilles de palmiers agitées devant et autour de lui, jetées par terre pour servir de tapis avec des
fleurs, ni des cris de plus en plus forts: «Hosanna, Fils de David!» qui montent vers le ciel serein
pendant que la foule se tasse de plus en plus et grossit à cause des nouveaux venus.
Passer par Bethphagé, par les rues étroites et contournées, n’est pas chose facile et les mères doivent
prendre les enfants dans leurs
53
bras, et les hommes protéger les femmes de coups trop violents, et il arrive
qu’un père place son fils sur ses épaules à califourchon et le porte élevé
au-dessus de la foule alors que les voix des petits semblent des bêlements
d’agneaux ou des cris d’hirondelles et que leurs menottes jettent des fleurs
et des feuilles d’oliviers que leurs mères leur présentent, et envoient aussi
des baisers au doux Jésus...
Une fois sorti des rues étroites de la petite bourgade, le cortège se range
et se déploie, et de nombreux volontaires s’en vont en avant pour prendre la
tête et désencombrer le chemin, et d’autres les suivent en jonchant le sol de
branches et quelqu’un, le premier, jette son manteau pour servir de tapis, et
un autre, et quatre, et dix, et cent, et mille, l’imitent. Le chemin a en son
milieu une bande multicolore de vêtements étendus sur le sol, et après le
passage de Jésus ils sont repris et portés plus en avant, avec d’autres, avec
d’autres, et toujours des fleurs, des branchages, des feuilles de palmiers
s’agitent ou sont jetés par terre, et des cris plus forts s’élèvent tout autour en
l’honneur du Roi d’Israël, à l’adresse du Fils de David, de son Royaume!
Les soldats de garde à la porte sortent pour voir ce qui arrive. Mais ce n’est pas une sédition et,
appuyés sur leurs lances, ils se rangent de côté pour observer, étonnés ou ironiques, le cortège
étrange de ce Roi assis sur un ânon, beau comme un dieu, simple comme le plus pauvre des
hommes, doux, bénissant... entouré de femmes et d’enfants et d’hommes désarmés criant: «Paix!
Paix!», de ce Roi qui, avant d’entrer dans la ville, s’arrête un moment à la hauteur des tombeaux des
lépreux de Hinnon et de Siloan (je crois bien parler de ces lieux où j’ai vu d’autres fois des miracles
de lépreux) et s’appuyant sur l’unique étrier sur lequel il appuie son pied, puisqu’il est assis sur
l’âne et non à cheval, il se lève et ouvre les bras en criant dans la direction de ces pentes horribles,
où des visages et des corps effrayants se montrent en regardant vers Jésus et élèvent le cri
lamentable des lépreux: «Nous sommes infectés!», pour écarter des imprudents qui pour bien voir
Jésus monteraient aussi sur les terrasses contaminées: «Que celui qui a foi invoque mon Nom et ait
la santé grâce à cela!» et il les bénit en reprenant sa route et en ordonnant à Judas de Kériot: «Tu
achèteras de la nourriture pour les lépreux et avec Simon tu la leur porteras avant le soir.»
Le cortège entre sous la voûte de la Porte de Siloan et puis comme un torrent se déverse dans la
ville en passant par le fau-
54
bourg d’Ophel - où chaque terrasse est devenue une petite place aérienne
remplie de gens qui crient des hosannas, jettent des fleurs et renversent des
parfums en bas, sur la route, en essayant de les jeter sur le Maître, et l’air
est saturé par l’odeur des fleurs qui meurent sous les pas de la foule et des
essences qui se répandent dans l’air avant de tomber dans la poussière de la
route - le cri de la foule semble augmenter et se renforcer comme si chacun
criait dans un porte-voix, car les nombreux archivoltes dont Jérusalem est
remplie l’amplifient ne cessant pas de le faire résonner.
J’entends crier, et je crois que cela veut dire ce que disent les
évangélistes: «Scialem, Scialem melchil!» (ou malchit: je m’efforce à
rendre le son des paroles, mais il est difficile car elles ont des aspirations
que nous n’avons pas). C’est un bruit continu, semblable à celui d’une mer
en tempête dans laquelle n’est pas encore tombé le bruit de la lame qui
fouette la plage et les écueils, qu’une autre lame ramasse et relève en un
nouveau claquement sans jamais s’arrêter. J’en suis assourdie!
Parfums, odeurs, cris, des branches et des vêtements qui s’agitent, couleurs... C’est une vision
étourdissante.
Je vois la foule qui n’en finit pas de se mélanger, des visages connus qui apparaissent et
disparaissent: tous les disciples de tous les coins de la Palestine, tous ceux qui suivent Jésus... Je
vois pendant un instant Jaïre, je vois Jaia l’adolescent de Pella (me semble-t-il) qui était aveugle
avec sa mère et que Jésus guérit, je vois Joachim de Bozra et ce paysan de la plaine de Saron avec
ses frères, je vois le vieux et solitaire Mathias de cet endroit près du Jourdain (rive orientale) auprès
duquel Jésus se réfugia alors que tout était inondé, je vois Zachée avec ses amis convertis, je vois le
vieux Jean de Nobé avec presque tous ses concitoyens, je vois le mari de Sara de Jutta... Mais qui
peut retenir ces visages et ces noms si c’est un kaléidoscope de visages connus et inconnus, vus
plusieurs fois ou une seule?... Voici maintenant le visage du pastoureau pris à Ennon. Et près de lui
le disciple de Corozaïn qui quitta la sépulture de son père pour suivre Jésus; et tout près, pour un
instant, le père et la mère de Benjamin de Capharnaüm avec leur jeune fils qui manque de tomber
sous les pieds de l’ânon en se jetant en avant pour recevoir une caresse de Jésus. Et -
malheureusement - des visages de pharisiens et de scribes, livides de colère à cause de ce triomphe,
qui, arrogants, fendent le cercle d’amour qui se serre autour de Jésus, et Lui crient: «Fais taire ces
fous! Rappelle-les à la raison! Ce n’est qu’à Dieu que l’on adresse des hosannas. Dis-leur
55
de se taire!»
A quoi Jésus répond doucement: «Même si je leur disais de se taire et
qu’ils m’obéissent, les pierres crieraient les prodiges du Verbe de Dieu.»
En effet les gens crient: «Hosanna, hosanna au fils de David! Béni Celui qui vient au nom du
Seigneur! Hosanna à Lui et à son Règne! Dieu est avec nous! L’Emmanuel est venu! Il est venu le
Royaume du Christ du Seigneur! Hosanna! Hosanna de la Terre jusqu’en haut des Cieux! Paix!
Paix, mon Roi! Paix et bénédiction à Toi, Roi saint! Paix et gloire dans les Cieux et sur la Terre!
Gloire à Dieu pour son Christ! Paix aux hommes qui savent l’accueillir! Paix sur la Terre aux
hommes de bonne volonté et gloire dans les Cieux très Hauts car l’heure du Seigneur est venue!»
(et ceux qui poussent ce dernier cri, c’est le groupe compact des bergers qui répètent le cri de la
naissance). Outre ces cris continuels, les gens de Palestine racontent aux pèlerins de la Diaspora les
miracles qu’ils ont vus et à ceux qui ne savent pas ce qui arrive, aux étrangers qui passent par
hasard par la ville et qui demandent: «Mais qui est Celui-là? Qu’arrive-t-il?», ils expliquent: «C’est
Jésus! Jésus, le Maître de Nazareth de Galilée! Le Prophète! Le Messie du Seigneur! Le Promis! Le
Saint!»
D’une maison dont on a dépassé depuis peu la porte, car la marche est très lente dans une telle
confusion, il sort un groupe de robustes jeunes gens portant en l’air des vases de cuivre pleins de
charbon allumé et d’encens qui brûle en répandant des nuages de fumée odorante. Et leur geste est
bien vu et on le répète. Plusieurs courent en avant ou reviennent en arrière vers leurs maisons pour
se faire donner du feu et des résines odorantes pour les brûler en hommage au Christ.
La maison d’Annalia apparaît. La terrasse enguirlandée de vigne avec ses feuilles nouvelles qui
tremble à un doux vent d’avril, a sur le côté qui donne sur la rue toute une rangée de jeunes filles
vêtues de blanc et voilées de blanc, au milieu desquelles se trouve Annalia, avec des corbeilles de
pétales de roses effeuillées et de muguets qui déjà voltigent en l’air.
«Les vierges d’Israël te saluent, Seigneur!» dit Jean qui s’est frayé un chemin et qui maintenant est
à côté de Jésus, pour attirer son attention sur la guirlande de pureté qui se penche en souriant du
parapet pour joncher le chemin de pétales rouges comme du sang et de muguets blancs comme des
perles.
Jésus retient un instant les rênes et arrête l’ânon. Il lève son
56
visage et sa main pour bénir cette virginité énamourée de Lui, jusqu’à
renoncer à tout autre amour terrestre.
Et Annalia se penche et crie: «Ton triomphe, je l’ai vu, ô mon
Seigneur! Prends ma vie pour ta glorification universelle!» et en criant très
fort, pendant que Jésus passe au-dessous de sa maison et avance, elle le
salue: «Jésus!»
Et un autre cri, différent, dépasse la clameur de la foule. Mais les gens, bien qu’ils l’entendent, ne
s’arrêtent pas. C’est un fleuve d’enthousiasme, un fleuve de peuple en délire qui ne peut s’arrêter.
Et alors que les derniers flots de ce fleuve sont encore en dehors de la porte, les premiers montent
déjà les pentes qui conduisent au Temple.
«Ta Mère!» dit Pierre en montrant une maison presque à l’angle d’un chemin qui monte au Moriah
et par lequel le cortège s’est engagé. Et Jésus lève son visage pour sourire à sa Mère qui est en haut,
parmi les femmes fidèles.
La rencontre d’une caravane nombreuse arrête le cortège quelques mètres après que la maison est
dépassée. Et pendant que Jésus s’arrête avec les autres, en caressant les enfants que les mères Lui
présentent, un homme accourt et se fraie un passage en criant: «Laissez-moi passer! Une femme est
morte. Une jeune fille. Subitement. Sa mère appelle le Maître. Laissez-moi passer! Lui l’a déjà
sauvée une fois!»
Les gens lui font place et l’homme accourt près de Jésus: «Maître, la fille d’Elise est morte. Elle t’a
saluée de ce cri, puis elle s’est affaissée en disant: “Je suis heureuse”, et elle a expiré. Son coeur
s’est brisé dans l’allégresse de te voir triomphant. Sa mère m’a vu sur la terrasse près de sa maison
et elle m’a envoyé t’appeler. Viens, Maître.»
«Morte! Morte Annalia! Mais hier seulement, elle était saine, en bonne santé, heureuse?» Les
apôtres se groupent agités, les bergers aussi. Tout le monde l’a vue hier en parfaite santé. Tout à
l’heure ils l’ont vue rose, riante... Ils n’arrivent pas à se persuader du malheur... Ils demandent,
s’informent des détails...
«Je ne sais pas. Vous avez tous entendu ses paroles. Elle parlait fort, avec assurance. Puis je l’ai vue
s’affaisser plus blanche que ses vêtements et j’ai entendu crier sa mère... Je ne sais pas autre chose.»
«Ne vous agitez pas, elle n’est pas morte. Une fleur est tombée et les anges de Dieu l’ont recueillie
pour la porter dans le sein d’Abraham. Bientôt le lys de la Terre s’ouvrira heureux au Paradis, igno-
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rant pour toujours l’horreur du monde. Homme, dis à Elise qu’elle ne
pleure pas le sort de son enfant. Dis-lui qu’elle a eu une grande grâce de
Dieu, et que d’ici six jours elle comprendra quelle grâce Dieu a faite à sa
fille. Ne pleurez pas. Que personne ne pleure. Son triomphe est encore plus
grand que le mien parce que les anges escortent la vierge pour la conduire à
la paix des justes. Et c’est le triomphe éternel qui grandira sans jamais
connaître de descente. En vérité je vous dis que c’est pour vous tous, mais
non pour Annalia, que vous avez raison de pleurer. Allons.» Et il répète aux
apôtres et à ceux qui l’entourent: «Une fleur est tombée. Elle s’est couchée
en paix et les anges l’ont recueillie. Bienheureuse celle qui est pure de chair
et de coeur car bientôt elle va voir Dieu.»
«Mais comment, de quoi est-elle morte, Seigneur?» demande Pierre qui
ne peut y croire.
«D’amour. D’extase. De joie infinie. Heureuse mort!»
Ceux qui sont loin en avant ne savent pas; ceux qui sont très en arrière ne savent pas. Aussi les
hosannas continuent, bien qu’auprès de Jésus il s’est formé un cercle de pensif silence.
C’est Jean qui le rompt: «Oh! je voudrais le même sort avant les heures qui vont venir!»
«Moi aussi» dit Isaac. «Je voudrais voir le visage de la jeune fille morte d’amour pour Toi...»
«Je vous prie de me sacrifier votre désir. J’ai besoin de vous près de Moi...»
«Nous ne te laisserons pas, Seigneur. Mais pour cette mère aucun réconfort?» demande Nathanaël.
«J’y pourvoirai...»
Ils sont aux portes de l’enceinte du Temple. Jésus descend de l’ânon que quelqu’un de Bethphagé
prend en garde.
Il faut se rappeler que Jésus ne s’est pas arrêté à la première porte du Temple, mais qu’il a suivi
l’enceinte, en s’arrêtant seulement quand il se trouve sur le côté nord de l’enceinte, près de
l’Antonia. C’est là qu’il descend et entre dans le Temple comme pour faire voir qu’il ne se cache
pas au pouvoir qui domine, se sentant innocent dans toute sa conduite.
La première cour du Temple présente le chahut habituel des changeurs et des vendeurs de
colombes, passereaux et agneaux, seulement que maintenant les vendeurs sont délaissés car tout le
monde est accouru pour voir Jésus.
Et Jésus entre, solennel dans son vêtement de pourpre, et il tourne ses regards sur ce marché et sur
un groupe de pharisiens et
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de scribes qui l’observent de dessous un portique.
Son regard est fulgurant d’indignation. Il se précipite au milieu de la
cour. Son saut inattendu paraît un vol. Le vol d’une flamme, car son
vêtement est une flamme dans le soleil qui inonde la cour. Et il tonne d’une
voix puissante: «Hors de la maison de mon Père! Ce n’est pas un lieu
d’usure et de marché. Il est écrit: “Ma maison sera appelée maison de
prière”. Pourquoi donc en avez-vous fait une caverne de voleurs, de cette
maison où on invoque le Nom du Seigneur? Hors d’ici! Purifiez ma
Maison. Qu’il ne vous arrive pas qu’au lieu de me servir de cordes je vous
frappe avec les foudres de la colère céleste. Hors d’ici! Hors d’ici les
voleurs, les brocanteurs, les impudiques, les homicides, les sacrilèges, les
idolâtres de la pire idolâtrie: celle du propre moi orgueilleux, les
corrupteurs et les menteurs. Dehors! Dehors! Ou bien le Dieu Très-Haut
balayera pour toujours ce lieu et exercera sa vengeance sur tout un peuple.»
Il ne répète pas la fustigation de l’autre fois, mais comme les marchands et
les changeurs tardent à obéir, il va au comptoir le plus proche et le renverse
en répandant balances et pièces de monnaie sur le sol.
Les vendeurs et les changeurs se hâtent de suivre l’ordre de Jésus,
après avoir eu ce premier exemple. Et Jésus crie derrière eux: «Combien de
fois devrai-je vous dire que ce ne doit pas être un lieu de souillure mais de
prière?» Et il regarde ceux du Temple qui, obéissant aux ordres du Pontife,
ne font pas un geste de représailles.
La cour purifiée, Jésus va vers les portiques où sont rassemblés des aveugles, des paralytiques, des
muets, des estropiés et autres affligés qui l’invoquent à grands cris.
«Que voulez-vous que je vous fasse?»
«La vue, Seigneur! Les membres! Que mon fils parle! Que ma femme guérisse! Nous croyons en
Toi, Fils de Dieu!»
«Que Dieu vous écoute. Levez-vous et dites des hosannas au Seigneur!.»
Ce n’est pas un par un qu’il guérit les nombreux malades, mais il fait de la main un geste large, et
grâce et santé en descendent sur les malheureux qui se dressent sains avec des cris de joie qui se
mêlent à ceux des nombreux enfants qui se serrent près de Lui en répétant: «Gloire, gloire au Fils de
David! Hosanna à Jésus de Nazareth, Roi des Rois, et Seigneur des Seigneurs!»
Des pharisiens, en feignant le respect, Lui crient: «Maître, tu les entends? Ces enfants disent ce
qu’il ne faut pas dire. Reprends-les!
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Qu’ils se taisent!»
«Et pourquoi? Le roi prophète, le roi de ma race n’a-t-il pas dit
peut-être: “De la bouche des enfants et des nourrissons tu as fait sortir la
louange parfaite pour confondre tes ennemis”? N’avez-vous pas lu ces
paroles du psalmiste? Permettez aux petits de dire mes louanges. Elles leur
sont suggérées par leurs anges qui voient sans cesse mon Père et
connaissent ses secrets et les suggèrent à ces innocents. Maintenant
laissez-moi tous aller prier le Seigneur» et passant devant les gens il passe
dans l’atrium des israélites pour prier...
Et puis, sortant par une autre porte, en frôlant la piscine probatique, il sort de la ville pour revenir
sur les collines du mont des Oliviers.
Les apôtres sont enthousiastes... Le triomphe leur a donné de l’assurance, et ils sont oublieux,
complètement oublieux de toutes les terreurs que les paroles du Maître avaient suscitées... Ils
parlent de tout... Ils brûlent d’être renseignés sur Annalia. Jésus les retient, non sans peine, d’y aller,
en les assurant qu’il y pourvoira d’une manière qu’il sait, Lui... Sourds, sourds, sourds à toute
parole d’avertissement divin... Hommes, hommes, hommes, qu’un cri d’hosanna rend oublieux de
tout...
Jésus parle aux serviteurs de Marie de Magdala qui l’ont rejoint au Temple et puis les congédie...
«Et maintenant, où allons-nous?» demande Philippe.
«A la maison de Marc de Jonas?» dit Jean.
«Non. Au camp des galiléens. Peut-être que mes frères sont venus et je veux les saluer» dit Jésus.
«Tu pourrais le faire demain» Lui fait observer le Thaddée.
«C’est une bonne chose de le faire pendant qu’on peut le faire. Allons
chez les galiléens. Ils seront contents de nous voir. Vous aurez des
nouvelles de vos familles. Moi, je verrai les enfants...»
«Et ce soir? Où allons-nous dormir? Dans la ville? En quel endroit? Là
où est ta Mère? Ou bien chez Jeanne?» demande Judas Iscariote.
«Je ne sais. Certainement pas dans la ville. Peut-être encore sous quelques tentes galiléennes...»
«Mais pourquoi?»
«Parce que je suis le Galiléen et que j’aime ma Patrie. Allons»
Ils se remettent en route pour monter vers le camp des galiléens, qui est sur l’oliveraie du côté de
Béthanie et c’est tout un groupement de tentes toutes blanches sous le gai soleil d’avril.
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10. LE SOIR DU DIMANCHE DES RAMEAUX

Jésus est avec les siens dans la paix du Jardin des Oliviers. C’est le
soir, un tiède soir de pleine lune. Ils sont assis sur les sièges naturels que
sont les talus de l’Oliveraie, exactement les premiers, qui se présentent sur
cette petite place naturelle que forme une clairière située à l’entrée. Le
Cédron fait entendre son bruissement en heurtant les cailloux de son lit et
semble se parler à lui-même. Un chant de rossignol; la brise qui soupire et
rien d’autre.
Jésus parle.
«Après le triomphe de ce matin, bien différent est votre esprit. Que dois-je dire? Qu’il est soulagé?
Oh! oui! Selon l’humanité il est soulagé. Vous êtes entrés dans la ville, tout tremblants à cause de
mes paroles. Il semblait que chacun craignait, pour lui-même, les sicaires au-delà des murs, prêts à
l’assaillir et à le faire prisonnier.
En tout homme il y a un autre homme qui se révèle aux heures les plus
graves. Il y a le héros qui, aux heures du plus grand danger, bondit de
l’homme doux que le monde a l’habitude de voir et juge insignifiant, le
héros qui dit à la lutte: “Me voici”, qui dit à l’ennemi, à l’arrogant:
“Mesure-toi avec moi”. Et il y a le saint qui, alors que tous s’enfuient
terrorisés devant les tyrans qui veulent des victimes, dit: “Prenez-moi en
otage et en sacrifice. Je paie pour tous”. Et il y a le cynique qui profite
personnellement des malheurs de tous et rit sur les corps des victimes. Il y a
le traître qui a son courage particulier: celui du mal. Le traître qui est
l’amalgame du cynique et du lâche, qui est aussi une catégorie qui se
manifeste dans les heures graves. Car cyniquement il tire profit d’un
malheur et lâchement il passe au parti le plus fort, osant, pour en tirer profit,
affronter le mépris des ennemis et les malédictions de ceux qu’il
abandonne. Il y a enfin le type le plus répandu, le lâche qui, aux heures
graves, n’est capable que de regretter d’avoir fait connaître son
appartenance à un parti et à un homme, maintenant frappé par l’anathème,
et de s’enfuir... Ce lâche n’est pas aussi criminel que le cynique ni aussi
dégoûtant que le traître. Mais il montre toujours l’imperfection de sa
structure spirituelle.
Vous... vous êtes tels. Ne le niez pas. Je lis dans les consciences. Ce matin, vous pensiez entre vous:
“Qu’est-ce qui va nous arriver? Allons-nous à la mort, nous aussi?” Et la partie la plus basse
gémissait: “Que jamais!...”
Oui. Mais vous ai-je jamais trompés? Dès mes premières paroles,
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je vous ai parlé de persécution et de mort. Et quand l’un d’entre vous, par
excès d’admiration, a voulu voir en Moi un roi et a voulu me présenter
comme un roi, un des pauvres rois de la Terre, toujours pauvre même s’il
est roi et qu’il restaure le royaume d’Israël, j’ai tout de suite corrigé son
erreur, et j’ai dit: “Je suis Roi de l’esprit. J’offre privations, sacrifices,
douleurs. Je n’ai pas autre chose. Ici, sur la Terre, je n’ai pas autre chose.
Mais après ma mort, et votre mort dans ma foi, je vous donnerai un
Royaume éternel: celui des Cieux”. Vous ai-je dit, peut-être, quelque chose
de différent? Non. Vous dites non.
Et vous, alors, vous disiez aussi: “Nous ne voulons que cela. Avec Toi,
comme Toi, à cause de Toi, nous voulons être, et être traités, et souffrir”.
Oui, vous parliez ainsi. Et vous étiez sincères aussi. Mais c’était parce que
vous ne raisonniez que comme des enfants, comme des enfants étourdis.
Vous pensiez qu’il était facile de me suivre, et vous étiez tellement
imprégnés de la triple sensualité que vous ne pouviez admettre que fût vrai
ce à quoi je faisais allusion. Vous pensiez: “Lui est le Fils de Dieu. Il le dit
pour éprouver notre amour. Mais Lui ne pourra être frappé par l’homme.
Lui qui opère des miracles saura bien faire un grand miracle en sa faveur!”
Et chacun ajoutait: “Je ne puis croire que Lui soit trahi, pris, tué”. Si forte
était la foi humaine que vous aviez en ma puissance que vous arriviez à
n’avoir pas foi dans mes paroles, la Foi vraie, spirituelle, sainte et
sanctifiante.
“Lui qui fait des miracles pourra en faire un en sa faveur!” disiez-vous.
Ce n’est pas un, mais un grand nombre encore que je ferai. Et deux seront
tels qu’aucune intelligence ne peut y penser. Ils seront tels que seulement
ceux qui croient dans le Seigneur pourront les admettre. Tous les autres,
dans les siècles des siècles, diront: “Impossible!” Et même au-delà de la
mort je serai un objet de contradiction pour beaucoup.
En une douce matinée de printemps j’ai annoncé d’une montagne les diverses béatitudes. Il y en a
encore une: “Bienheureux ceux qui savent croire sans voir”. J’ai déjà dit en allant à travers la
Palestine: “Bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent”, et encore:
“Bienheureux ceux qui font la volonté de Dieu” et d’autres, j’en ai dit d’autres, car dans la maison
de mon Père nombreuses sont les joies qui attendent les saints. Mais il y a aussi celle-ci. Oh!
bienheureux ceux qui croient sans avoir vu avec leurs yeux corporels! Ils seront tellement saints
que, étant sur la Terre, ils verront déjà Dieu, le Dieu caché dans le Mystère
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d’amour.
Mais vous, depuis trois ans que vous êtes avec Moi, vous n’êtes pas
encore arrivés à cette foi. Et vous croyez seulement à ce que vous voyez.
C’est pour cela que depuis ce matin, après le triomphe, vous dites: “C’est ce
que nous disions. Il triomphe, et nous avec Lui”. Et comme des oiseaux qui
remettent en place leurs plumes froissées par quelqu’un de cruel, vous vous
levez pour voler, ivres de joie, pleins d’assurance, libres de cette
constriction que mes paroles vous avaient mise dans le coeur.
Etes-vous plus soulagés alors, même dans votre esprit? Non. En lui,
vous êtes encore moins soulagés, car vous êtes encore plus impréparés à
l’heure qui arrive. Vous avez bu les hosannas comme du vin fort et
agréable. Et vous en êtes ivres. Un homme ivre est-il jamais fort? Il suffit
d’une main d’enfant pour le faire chanceler et tomber. C’est ainsi que vous
êtes. Et il suffira qu’apparaissent des sicaires pour vous faire fuir comme de
timides gazelles qui voient se présenter près d’un rocher de la montagne le
museau pointu du chacal, et rapides comme le vent se dispersent à travers
les solitudes du désert.
Oh! prenez garde de ne pas mourir d’une horrible soif dans ce sable
brûlé qu’est le monde sans Dieu! Ne dites pas, ne dites pas, ô mes amis, ce
que dit Isaïe en faisant allusion à votre état d’esprit faux et dangereux. Ne
dites pas: “Celui-là ne parle que de conjurations. Mais il n’y a pas à
craindre, il n’y a pas lieu de s’épouvanter. Nous ne devons pas craindre ce
que Lui nous prophétise. Israël l’aime, et nous l’avons vu”. Que de fois le
tendre pied nu d’un petit enfant foule les herbes fleuries du pré, pour
cueillir des fleurs qu’il portera à sa mère, et croit ne trouver que des fleurs,
et au contraire posé son talon sur la tête d’un serpent, en est mordu et en
meurt! Les fleurs cachaient le serpent.
Ce matin aussi... ce matin aussi c’était ainsi! Je suis le Condamné couronné de roses. Les roses!...
Combien de temps durent les roses? Que reste-t-il d’elles lorsque leurs corolles se sont effeuillées
en une neige de pétales parfumés? Des épines.
Moi - Isaïe l’a dit - je serai pour vous, et je dis qu’avec vous je serai
pour le monde, sanctification, mais aussi pierre d’achoppement, pierre de
scandale et lacs et ruine pour Israël et pour la Terre. Je sanctifierai ceux qui
auront bonne volonté et je ferai tomber et briser en mille morceaux ceux
qui auront mauvaise volonté.
Les anges ne disent pas des paroles mensongères, ni des paroles de peu
de durée. Ils viennent de Dieu, qui est Vérité et qui est Eter-
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nel, et ce qu’ils disent est vérité et parole immuable. Ils ont dit: “Paix aux
hommes de bonne volonté”. Il naissait alors, ô Terre, ton Sauveur.
Maintenant il va à la mort ton Rédempteur. Mais pour avoir de Dieu la
paix, c’est-à-dire sanctification et gloire, il faut avoir “bonne volonté”.
Inutile ma naissance, inutile ma mort pour ceux qui n’ont pas cette volonté
bonne. Mon vagissement et mon râle, le premier pas et le dernier, la
blessure de la circoncision et celle de la consommation, auront existé en
vain si en vous, si dans les hommes, il n’y aura pas la bonne volonté de se
racheter et de se sanctifier.
Et je vous le dis: un très grand nombre de gens se butteront contre Moi
qui ai été placé comme colonne de soutènement et non comme un piège
pour l’homme, et ils tomberont parce qu’ivres d’orgueil, de luxure,
d’avarice, et ils seront enfermés dans le filet de leurs péchés et pris et
donnés à Satan. Mettez ces paroles dans vos coeurs et scellez-les pour les
futurs disciples.
Allons. La Pierre se lève. Un autre pas en avant. Sur la montagne. Elle doit resplendir au sommet
car Il est le soleil, Il est la Lumière, Il est l’Orient. Et le Soleil brille sur les cimes. Il doit être sur la
montagne car le vrai Temple doit être vu du monde entier. Et de Moi-même je l’édifie avec la Pierre
vivante de ma Chair immolée. J’en assemblerai les parties avec le mortier fait de ma sueur et de
mon sang. Et je serai sur mon trône recouvert d’une pourpre vivante, couronné d’une couronne
nouvelle, et ceux qui sont au loin viendront à Moi, ils travailleront dans mon Temple, autour de lui.
Je suis la base et le sommet. Mais tout autour, toujours plus grande, s’étendra la demeure. Et
Moi-même, je travaillerai mes pierres et mes artisans. Comme j’ai été travaillé au ciseau par le Père,
par l’Amour, et par l’homme et par la Haine, de même je les travaillerai. Et après qu’en un seul jour
aura été enlevée l’iniquité de la Terre, sur la pierre de celui qui est Prêtre pour l’éternité viendront
les sept yeux pour voir Dieu et déboucheront les sept sources pour vaincre le feu de Satan.
Satan... Judas, allons. Et rappelle-toi que le temps presse et que pour le soir du Jeudi l’Agneau doit
être livré.»
64

L'Evangile tel qu'il m'a été revelé


Vol 10
* 20 % en ligne *
TABLE DES MATIÈRES
La Glorification
1 Le matin de la Résurrection
2 Aube pascale. Lamentation. Prière de Marie
3 La Résurrection
4 Jésus apparaît à sa Mère
5 Les pieuses femmes au Tombeau
6 En relation avec la scène précédente
7 Les apparitions aux amis. A Lazare
8 Jésus apparaît à Jeanne
9 Jésus apparaît à Joseph, Nicodème et Manaën
10 Jésus apparaît aux bergers

11 Jésus apparaît aux disciples d’Emmaüs


12 Jésus apparaît aux autres amis
13 Jésus apparaît aux dix apôtres
14 Le retour de Thomas
15 Jésus apparaît aux apôtres avec Thomas
16 Jésus ressuscité au Gethsémani
17 Les apôtres vont sur le Golgotha. Et après…
18 Jésus confirme par sa Résurrection ceux qui croient en Lui dans
divers endroits
19 Jésus apparaît sur les rives du lac
20 Jésus sur le Thabor

21 Jésus aux apôtres et aux disciples


22 La Pâque supplémentaire
23 L’Ascension du Seigneur
24 L’élection de Mathias
25 La descente de l’Esprit-Saint *
26 Pierre qui n’est plus le pêcheur fruste en qualité de Pontife
27 Marie reçoit Lazare et Joseph d’Arimathie
28 Marie et Jean aux lieux de la Passion
29 Le Linceul du Tombeau est donné à Marie
30 Le martyre d’Etienne *

31 Les effets divers et les conséquences des rencontres avec le Christ


32 La déposition de Saint Etienne
33 Gamaliel se fait chrétien
307
34 Colloque entre Pierre et Jean
35 Le bienheureux passage de Marie
36 L’Assomption de Marie
37 Considérations et explications sur l’Assomption et le Passage de
Marie Très Sainte
38 Adieu à l’Oeuvre

26. PIERRE QUI N’EST PLUS LE PECHEUR FRUSTE


EN QUALITE DE PONTIFE

Conclusion de l’Oeuvre, c’est-à-dire: de la Pentecôte à l’Assomption


de Marie S.S. 1er épisode (3-6-44).

C’est une des toutes premières réunions de chrétiens, dans les jours qui
ont suivi immédiatement la Pentecôte.
Les douze apôtres sont de nouveau douze car Mathias, déjà élu à la place du traître, est parmi eux.
Et le fait que sont là tous les douze montre qu’ils ne s’étaient pas encore séparés pour aller
évangéliser selon l’ordre du Maître. La Pentecôte doit donc être arrivée depuis peu et le Sanhédrin
ne doit pas encore avoir commence ses persécutions contre les serviteurs de Jésus Christ. En effet,
autrement, ils ne célébreraient pas avec tant de calme et sans prendre aucunes précautions, dans une
maison qui n’est que trop connue à ceux du Temple, c’est-à-dire dans la maison du Cénacle, et
précisément dans la pièce où fut consommée la dernière Cène, où fut instituée l’Eucharistie, et
commencée la trahison vraie et totale, et la Rédemption.
La vaste pièce a pourtant subi une modification, nécessaire pour sa nouvelle destination d’église, et
imposée par le nombre des fidèles.
La table n’est plus près du mur de l’escalier, mais près, ou plutôt contre, celui qui est en face, de
façon que ceux qui ne peuvent entrer dans le Cénacle déjà comble - dans le Cénacle, première église
du monde chrétien - puissent voir ce qui y arrive, en se mettant, en s’entassant dans le corridor
d’entrée, près de la petite porte, complètement ouverte, qui donne accès à la pièce.
Dans la pièce il y a des hommes et des femmes de tout âge. Dans
228
un groupe de femmes, près de la table, mais dans un coin, se trouve Marie,
la Mère, entourée de Marthe et Marie de Lazare, de Nique, Elise, Marie
d’Alphée, Salomé, Jeanne de Chouza, en somme de beaucoup de femmes
disciples, hébraïques et aussi non hébraïques, que Jésus avait guéries,
consolées, évangélisées et devenues brebis de son troupeau. Parmi les
hommes il y a Nicodème, Lazare, Joseph d’Arimathie, des disciples très
nombreux parmi lesquels se trouvent Etienne, Hermas, les bergers, Elisée,
fils du chef de la synagogue d’Engaddi, et d’autres très nombreux. Et il y a
aussi Longin qui n’a pas sa tenue militaire mais un long et simple vêtement
bis comme un habitant quelconque. Puis d’autres qui certainement sont
entrés dans le troupeau du Christ depuis la Pentecôte et les premières
évangélisations des Douze.
Pierre parle aussi maintenant, pour évangéliser et instruire ceux qui
sont presents. Il parle encore une fois de la dernière Cène. Encore, car on
comprend d’après ses paroles qu’il en a déjà parlé d’autres fois. Il dit: «Je
vous parle encore une fois» et il appuie fortement sur ces mots «de cette
Cène dans laquelle, avant d’être immolé par les hommes, Jésus Nazaréen,
comme on l’appelait, Jésus Christ, Fils de Dieu et notre Sauveur, comme il
faut le dire et le croire de tout notre coeur et de tout notre esprit, car en
cette croyance réside notre salut, s’immola de sa propre volonté et par
excès d’amour, en se donnant en Nourriture et en Boisson aux hommes et
en nous disant, à nous ses serviteurs et ses continuateurs: “Faites ceci en
mémoire de Moi”. Et c’est ce que nous faisons. Mais, ô hommes, de même
que nous, ses témoins, nous croyons qu’il y a dans le Pain et dans le Vin,
offerts et bénits comme il l’a fait, en souvenir de Lui et pour obéir à son
divin commandement, son Corps très Saint et son Sang très Saint, ce Corps
et ce Sang qui appartiennent à un Dieu, Fils du Dieu Très-Haut, et qui ont
été répandus et crucifies pour l’amour et la vie des hommes, de la même
façon, vous aussi, vous tous, entrés à faire partie de la véritable, nouvelle,
immortelle Eglise prédite par les prophètes et fondée par le Christ, vous
devez le croire. Croyez et bénissez le Seigneur qui à nous - qui l’avons
crucifié sinon matériellement certainement moralement et spirituellement à
cause de notre faiblesse en le servant, de notre manque d’ouverture pour le
comprendre, de notre lâcheté en l’abandonnant par la fuite à son heure
suprême, dans notre, non, dans ma personnelle trahison d’homme peureux
et lâche au point de le renier, de ne pas le reconnaître et de nier que je suis
son disciple, moi le premier même de ses serviteurs
229
(et deux grosses larmes descendent le long du visage de Pierre) peu avant
l’heure de prime, là, dans la cour du Temple - croyez et bénissez, disais-je,
le Seigneur qui nous laisse ce signe éternel de son pardon. Croyez et
bénissez le Seigneur, qui à ceux qui ne l’ont pas connu quand il était le
Nazaréen, permet qu’ils le connaissent maintenant qu’il est le Verbe
Incarné revenu au Père. Venez et prenez. Lui l’a dit: “Celui qui mange ma
Chair et qui boit mon Sang aura la Vie éternelle”. Nous alors nous n’avons
pas compris (et Pierre pleure de nouveau). Nous n’avons pas compris car
nous étions lents pour comprendre. Mais maintenant l’Esprit-Saint a
enflammé notre intelligence, fortifié notre foi, infusé la charité, et nous
comprenons. Et au nom du Dieu Très-Haut, du Dieu d’Abraham, de Jacob,
de Moïse, au nom très haut du Dieu qui a parts à Isaïe, Jérémie, Ezéchiel,
Daniel, et aux autres Prophètes, nous vous jurons que c’est la vérité et nous
vous conjurons de croire pour que vous puissiez avoir la Vie éternelle.»
Pierre est plein de majesté quand il parle. Il n’a plus rien du pécheur un
peu rustre d’il y a seulement quelque temps. Il est monté sur un tabouret
pour parler et être mieux vu et entendu, car, avec sa petite taille, s’il était
resté debout sur le sol de la pièce, il n’aurait pas pu être vu des plus
éloignés et lui, au contraire, veut dominer la foule. Il parle avec mesure, une
voix appropriée, et les gestes d’un véritable orateur. Ses yeux, toujours
expressifs, sont maintenant plus éloquents que jamais. Amour, foi, autorité,
contrition, tout transparaît par ce regard, annonce et renforce ses paroles.
Il a maintenant fini de parler. Il descend du tabouret et il passe derrière la table entre celle-ci et le
mur, et il attend.
Jacques et Jude, c’est-à-dire les deux fils d’Alphée et cousins du Christ, étendent maintenant sur la
table une nappe très blanche. Pour y arriver, ils soulèvent le coffre large et bas qui se trouve au
milieu de la table, et étendent aussi sur son couvercle un linge très fin.
L’apôtre Jean va maintenant trouver Marie et lui demande quelque chose. Marie enlève de son cou
une sorte de petite clef et la donne à Jean. Jean la prend, revient au coffre, l’ouvre, en rabattant la
partie antérieure qui vient se coucher sur la nappe et que l’on recouvre d’un troisième linge.
A l’intérieur du coffre il y a une séparation horizontale qui le divise en deux compartiments. Dans le
compartiment inférieur il y a un calice et un plat de métal. Dans le compartiment le plus élevé,
230
au milieu, le calice qui a servi à Jésus à la Dernière Cène et pour la
première Eucharistie, les restes du pain partagé par Lui, déposés sur un petit
plat précieux comme le calice. A côté du calice et du petit plat qui est posé
dessus, il y a d’un côté la couronne d’épines, les clous et l’éponge. De
l’autre côté un des Linceuls enroulé, le voile avec lequel Nique avait essuyé
le visage de Jésus, et celui que Marie avait donné à son Fils pour qu’il
s’enveloppe les reins. Au fond il y a d’autres choses, mais comme elles
restent plutôt cachées et que personne n’en parle ni ne les montre, on ne sait
pas ce que c’est. Les autres, par contre, qui sont visibles, Jean et Jude
d’Alphée les montrent à ceux qui sont présents et la foule s’agenouille
devant elles. Cependant on ne les touche pas et on ne montre pas le calice et
le petit plat qui contient le pain, et on ne déplie pas le Linceul, mais on
montre le rouleau en disant ce que c’est. Peut-être Jean et Jude ne le
déplient pas pour ne pas réveiller en Marie le souvenir douloureux des
sévices atroces subits par son Fils.
Une fois terminée cette partie de la cérémonie les apôtres, en choeur,
entonnent des prières, je dirais des psaumes, car elles sont chantées comme
les hébreux le faisaient dans leurs synagogues ou dans leurs pèlerinages à
Jérusalem, pour les solennités prescrites par la Loi. La foule s’unit au
choeur des apôtres qui de cette façon devient de plus en plus imposant.
Enfin on apporte des pains et on les place sur le petit plat de métal qui était dans le compartiment
inférieur du coffre, et aussi des petites amphores de métal elles aussi.
Pierre reçoit de Jean, qui est agenouillé de l’autre côté de la table - pendant que Pierre est toujours
entre la table et le mur, donc tourné vers la foule - le plateau avec des pains, l’élève et l’offre. Puis il
le bénit et le pose sur le coffre.
Jude d’Alphée, qui se tient aussi à genoux à côté de Jean, présente à son tour à Pierre le calice du
compartiment inférieur et les deux amphores qui étaient d’abord près du petit plat des pains, et
Pierre verse leur contenu dans le calice qu’il élève ensuite et offre comme il a fait pour le pain. Il
bénit aussi le calice et le pose sur le coffre à côté des pains.
Ils prient encore. Pierre fragmente les pains en nombreuses bouchées pendant que la foule se
prosterne encore davantage, et il dit: «Ceci est mon Corps. Faites ceci en mémoire de Moi.»
Il sort de derrière la table, en portant avec lui le plateau chargé des bouchées de pain, va d’abord
vers Marie et lui donne une bouchée. Il passe ensuite sur le devant de la table et il distribue le
231
Pain consacré à tous ceux qui s’approchent pour le recevoir. Il reste
quelques bouchées toujours sur leur plateau que l’on dépose sur le coffre.
Maintenant il prend le calice et l’offre à ceux qui sont présents, en
commençant toujours par Marie. Jean et Jude le suivent avec les petites
amphores, et ajoutent des liquides quand le calice est vide, pendant que
Pierre répète l’élévation, l’offrande et la bénédiction pour consacrer le
liquide. Une fois que l’on a contenté tous ceux qui demandaient de se
nourrir de l’Eucharistie, les apôtres consomment le pain et le vin qui
restent. Ensuite on chante un autre psaume ou un hymne et, après cela,
Pierre bénit la foule qui, après sa bénédiction, s’en va peu à peu.
Marie, la Mère, qui est restée toujours à genoux pendant toute la cérémonie de la consécration et de
la distribution des espèces du Pain et du Vin, se lève et va près du coffre. Elle se penche par dessus
la table et touche du front le compartiment du coffre où sont déposés le calice et le petit plat qui a
servi à Jésus à la Dernière Cène, et dépose un baiser sur leur bord. Le baiser est aussi pour toutes les
reliques qui y sont rassemblées. Puis Jean ferme le coffre et rend la clef à Marie qui la remet à son
cou.
27. MARIE RECOIT LAZARE ET JOSEPH D’ARIMATHIE

Marie est encore dans la maison du Cénacle. Seule, dans sa pièce


habituelle, elle coud des linges très fins qui ressemblent à des nappes
longues et étroites. De temps en temps, elle lève la tête pour regarder dans
le jardin et relever l’heure du jour d’après la position du soleil sur ses murs.
Si elle entend un bruit dans la maison ou dans la rue, elle écoute
attentivement. Il semble qu’elle attend quelqu’un.
Il se passe ainsi un certain temps. Puis on entend un coup à la porte de la maison, et ensuite un bruit
de sandales qui vont rapidement ouvrir. Dans le couloir résonnent des voix d’hommes qui
deviennent de plus en plus fortes et plus rapprochées. Marie écoute... Puis elle s’écrie: «Eux ici?!
Que peut-il bien être arrivé?!» Pendant qu’elle prononce encore ces paroles, quelqu’un frappe à
l’entrée de la pièce: «Avancez, frères en Jésus, mon Seigneur» répond Marie.
232
Lazare et Joseph d’Arimathie entrent, la saluent avec une profonde
vénération et lui disent: «Bénie es-tu entre toutes les mères! Les serviteurs
de ton Fils et notre Seigneur te saluent», et ils se prosternent pour baiser le
bord de son vêtement.
«Que le Seigneur soit toujours avec vous. Pour quelle raison, et alors que ne cesse pas encore
l’agitation des persécuteurs du Christ et de ceux qui le suivent, venez-vous me trouver?»
«Pour te voir avant tout. Car te voir c’est encore le voir Lui, et se sentir ainsi moins affligés pour
son départ de la Terre. Et puis pour te proposer, après une réunion dans ma maison, des plus
affectueux et des plus fidèles serviteurs de Jésus, ton Fils et notre Seigneur, ce que nous avons
décidé de faire» lui répond Lazare.
«Parlez. Ce sera votre amour qui me parle, et moi je vous écouterai avec mon amour.»
Maintenant c’est Joseph d’Arimathie qui prend la parole pour dire: «Femme, tu ne l’ignores pas, et
tu l’as dit, que l’agitation, et pire encore, dure toujours envers ceux qui ont été proches de ton Fils et
de Dieu, ou par parenté, ou par foi, ou par amitié. Et nous, nous n’ignorons pas que tu n’as pas
l’intention de quitter ces lieux où tu as vu la parfaite manifestation de la nature divine et humaine de
ton Fils, sa totale mortification et sa totale glorification, vrai Homme, par le moyen de sa Passion et
de sa Mort; et vrai Dieu, par le moyen de sa glorieuse Résurrection et de son Ascension. Et nous
n’ignorons pas non plus que tu ne veux pas laisser seuls les apôtres pour lesquels tu veux être Mère
et guide dans leurs premières épreuves, toi, Siège de la Sagesse Divine, toi, Epouse de l’Esprit qui
révèle les Vérités Eternelles, toi, Fille aimée depuis toujours par le Père qui t’a choisie
éternellement pour Mère de son Unique, toi, Mère de ce Verbe du Père qui certainement t’a instruite
de ses infinies et toutes parfaites Sagesse et Doctrine, avant même qu’il ne ftît en toi, créature qui se
formait, ou qu’il fût avec toi comme Fils qui grandit en âge et en sagesse, jusqu’à devenir le Maître
des maîtres. Jean nous l’a dit le lendemain de la stupéfiante prédication et manifestation
apostolique, arrivée dix jours après l’Ascension de Jésus au Ciel. Toi, de ton côté, tu sais pour
l’avoir vu au Gethsémani le jour de l’Ascension de ton Fils vers le Père, et pour l’avoir su de Pierre,
de Jean et des autres apôtres, comme Lazare et moi, tout de suite après la Mort et la Résurrection,
nous avons commencé des travaux de maçonnerie autour de mon jardin près du Golgotha et au
Gethsémani sur le Mont des Oliviers, pour que ces lieux, sanctifiés par le Sang du divin Martyr, qui
coula, hélas! brû-
233
lant de fièvre au Gethsémani, et glacé et grumeleux dans mon jardin, ne
soient profanés par des ennemis de Jésus. Maintenant les travaux sont
terminés et aussi bien Lazare que moi, et avec lui ses soeurs et les apôtres,
qui aurions trop de douleur de ne plus t’avoir ici, nous te disons: “Prends ta
demeure dans la maison de Jonas et de Marie, les gardiens du
Gethsémani”.»
«Et Jonas et Marie? Cette maison est petite, et moi j’aime la solitude.
Je l’ai toujours aimée. Et je l’aime plus encore maintenant car j’en ai besoin
pour me perdre en Dieu, en mon Jésus, pour ne pas mourir d’angoisse de ne
l’avoir plus ici. Sur les mystères de Dieu, car Lui est maintenant Dieu plus
que jamais, il n’est pas juste que se pose un oeil humain. Je suis Femme, et
Jésus Homme. Mais notre Humanité était, et est une Humanité différente de
toute autre, à la fois par exemption de la faute, même celle d’origine, et par
les rapports avec le Dieu Un et Trin. Nous sommes uniques en ces choses
parmi toutes les créatures passées, présentes et futures. Maintenant
l’homme, même le meilleur et le plus prudent, est naturellement,
inévitablement curieux, spécialement s’il est proche d’une manifestation
extraordinaire. Et seuls Jésus et moi, tant qu’il fut sur la Terre, nous savons
quelle souffrance, quelle... oui, même quelle gêne, quel ennui, quel
tourment on éprouve quand la curiosité humaine scrute, surveille, épie nos
rapports secrets avec Dieu. C’est quelque chose comme si on nous mettait
nus au milieu d’une place. Pensez à mon passé, à la façon dont j’ai toujours
cherché le secret, le silence, au fait que j’ai toujours caché, sous les
apparences d’une vie commune de pauvre femme, les mystères de Dieu en
moi. Rappelez-vous comment, pour ne pas révéler à mon époux Joseph,
même à lui, il s’en est fallu de peu que je fasse de lui qui était juste un
injuste. Seule l’intervention d’un ange empêcha ce danger. Pensez à la vie
si humble, si cachée, si commune que Jésus mena pendant trente ans, à la
facilité avec laquelle il se mettait à part, s’isolait quand il devint Maître. Il
devait faire des miracles et instruire, car c’était sa mission. Mais, je le
savais de Lui, il souffrait - c’était un des nombreux motifs de sa sévérité et
de la tristesse qui brillaient dans ses yeux grands et puissants - il souffrait,
disais-je, de l’exaltation des foules, de la curiosité plus ou moins bonne
avec laquelle on observait tous ses actes. Que de fois n’a-t-il pas dit à ses
disciples et aux miraculés: “Ne dites pas ce que vous avez vu. Ne dites pas
ce que je vous ai fait”!... Maintenant je ne voudrais pas qu’un oeil humain
cherchât à connaître les mystères de Dieu en moi, mystères qui n’ont pas
234
cessé avec le retour au Ciel de Jésus, mon Fils et mon Dieu, mais au
contraire continuent et je dirais grandissent, grâce à sa bonté et pour me
garder en vie jusqu’à ce que l’heure que je désire tant de le rejoindre pour
l’éternité soit venue. Je voudrais seulement Jean avec moi. Car il est
prudent, respectueux, affectueux avec moi comme un second Jésus. Mais
Jonas et Marie sauront...»
Lazare l’interrompt: «C’est déjà fait, ô Bénie! Nous y avons déjà
pourvu. Marc, fils de Jonas, est maintenant parmi les disciples. Marie, sa
mère, et Jonas, son père, sont déjà à Béthanie.»
«Mais l’oliveraie? Elle a bien besoin qu’on s’en occupe!» lui répond Marie.
«C’est seulement au moment de la taille, du défonçage, de la cueillette. Peu de jours par an, par
conséquent, et il en faudra moins encore car j’enverrai mes serviteurs de Béthanie avec Marc, à ces
époques. Toi, Mère, si tu veux nous faire plaisir, à mes soeurs et à moi, viens à Béthanie pendant
ces jours, dans la maison solitaire du Zélote. Nous serons voisins, mais notre regard ne sera pas
indiscret dans tes rencontres avec Dieu.»
«Mais le pressoir?...»
«Il a déjà été transporté à Béthanie. Le Gethsémani, complètement clôturé, propriété encore plus
réservée de Lazare de Théophile, t’attend, ô Marie. Et je t’assure que les ennemis de Jésus n’oseront
pas, par crainte de Rome, violer sa paix et la tienne.»
«Oh! puisqu’il en est ainsi!» dit Marie. Et de ses mains elle serre son
coeur et les regarde, avec un visage presque extasié tant il est heureux, avec
un sourire angélique sur les lèvres et des larmes de joie sur ses cils blonds.
Elle continue: «Jean et moi! Seuls! Nous deux seuls! Il me semblera être de
nouveau à Nazareth avec mon Fils! Seuls! Dans la paix! Dans cette paix!
Là où Lui, mon Jésus, a répandu tant de paroles et tant d’esprit de paix! Là
où, il est vrai, il a souffert jusqu’à suer du sang et jusqu’à recevoir la
suprême souffrance morale du baiser infâme et les premiers...» Un sanglot
et un souvenir très douloureux lui coupent la parole et bouleversent son
visage qui, pendant de courts instants, reprend l’expression de douleur qu’il
avait dans les jours de la Passion et de la Mort de son Fils. Puis elle se
ressaisit et dit: «Là où Lui est retourné dans la paix infinie du Paradis! Je
vais envoyer sans tarder à Marie d’Alphée l’ordre qu’elle garde ma
maisonnette de Nazareth, qui m’est si chère parce que c’est là que s’est
accompli le mystère et qu’est mort mon époux, si pur et si saint, et où a
grandi Jésus. Si chère! Mais jamais comme ces lieux où il a institué le Rite
des rites,
235
et s’est fait Pain, Sang, Vie pour les hommes, et où il a souffert, et racheté,
et fondé son Eglise et, par sa dernière bénédiction, rendu bonnes et saintes
toutes les choses de la Création. Je resterai. Oui, je resterai ici. J’irai au
Gethsémani. Et de là je pourrai, en suivant les murs, à l’extérieur, aller au
Golgotha et dans ton jardin, Joseph, où j’ai tant pleuré, et venir à ta maison,
Lazare, où j’ai toujours eu, en mon Fils d’abord, et pour moi ensuite, tant
d’amour. Mais je voudrais...»
«Quoi, Bénie?» lui demandent les deux.
«Je voudrais pouvoir retourner ici aussi. Car, avec les apôtres, nous aurions décidé, pourvu que
Lazare le permette...»
«Tout ce que tu veux, Mère. Tout ce qui est à moi, est à toi. Je le disais d’abord à Jésus. Maintenant
je le dis à toi. Et celui qui reçoit une grâce, c’est toujours moi, si tu acceptes mon cadeau.»
«Fils, laisse-moi t’appeler ainsi, je voudrais que tu nous accordes de faire de cette maison,
c’est-à-dire du Cénacle, le lieu de la réunion et de l’agape fraternelle.»
«C’est juste. C’est en ce lieu que ton Fils a institué le nouveau Rite éternel, a établi la nouvelle
Eglise, en élevant au nouveau Pontificat et au Sacerdoce ses apôtres et disciples. Il est juste que
cette pièce devienne le premier temple de la nouvelle religion. La semence qui demain sera un
arbre, et ensuite une forêt immense, le germe qui demain sera un organisme vivant, complet et qui
grandira toujours de plus en plus en hauteur, en profondeur et largeur, pour s’étendre sur toute la
Terre. Quelle table et quel autel sont plus saints que ceux sur lesquels Lui a partagé le Pain et pose
le Calice du nouveau Rite qui durera tant que durera la Terre?»
«C’est vrai, Lazare. Et, tu vois? C’est pour lui que je suis occupée à coudre les nappes pures. Car je
crois, comme personne ne croira avec une pareille puissance, que le Pain et le Vin, c’est Lui, dans
sa Chair et dans son Sang, Chair toute sainte et toute innocente, Sang Rédempteur, donnés aux
hommes en nourriture et en Boisson de Vie. Que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint vous bénissent,
vous qui êtes toujours bons, sages, pleins de pitié pour le Fils et sa Mère.»
«Alors, c’est dit. Prends. Voici la clef qui ouvre les différentes grilles de l’enceinte du Gethsémani,
et voilà la clef de la maison. Et sois heureuse autant que Dieu t’accorde de l’être, et autant que notre
pauvre amour voudrait que tu le sois.»
Joseph d’Arimathie, maintenant que Lazare a fini de parler, dit à son tour: «Et voici la clef de
l’enceinte de mon jardin.»
«Mais toi... Tu as bien le droit d’y entrer, toi!»
236
«J’en ai une autre, Marie. Le jardinier est un juste, et de même son fils.
Tu pourras trouver là eux seulement et moi. Et nous serons tous prudents et
respectueux.»
«Que Dieu vous bénisse de nouveau» répète Marie.
«A toi nos remerciements, ô Mère. Notre amour et la paix de Dieu pour toi, toujours.» Ils se
prosternent après ce dernier salut, baisent de nouveau le bord de son vêtement et s’en vont.
Ils viennent de sortir de la maison quand on entend un autre coup discret à la porte de la pièce où est
Marie.
«Entre donc» dit Marie.
Jean ne se le fait pas dire deux fois. Il entre et ferme, un peu agité: «Que voulaient Joseph et
Lazare? Y a-t-il quelque danger?»
«Non, fils. Il n’y a que l’exaucement de mon désir. Mon désir et celui des autres. Tu sais comment
Pierre et Jacques d’Alphée, le premier Pontife, et l’autre chef de l’Eglise de Jérusalem, sont désolés
à la pensée de me perdre, et effrayés par la crainte de ne pas savoir faire sans moi. Jacques surtout.
Même l’apparition spéciale de mon Fils à lui, son élection voulue par Jésus, ne le consolent pas et
ne lui donnent pas courage. Mais aussi les autres!... Maintenant Lazare satisfait ce désir général et
nous rend maîtres du Gethsémani. Toi et moi. Seuls, là. Voici les clefs. Et celle-ci est du jardin de
Joseph... Nous pourrons aller au Tombeau, à Béthanie, sans passer par la ville... Et aller au
Golgotha... Et venir ici chaque fois qu’il y aura l’agape fraternelle. Tout nous est accordé par Lazare
et Joseph.»
«Ce sont deux véritables justes. Lazare a eu beaucoup de Jésus. C’est vrai. Mais aussi, avant
d’avoir, il a toujours tout donné à Jésus. Es-tu heureuse, Mère?»
«Oui, Jean, tellement! Je vivrai, tant que Dieu le voudra, pour assister Pierre et Jacques, et vous
tous, et j’aiderai les premiers chrétiens de toutes les façons. Si les juifs, les pharisiens et les prêtres
ne seront pas aussi des fauves contre moi, comme ils font été pour mon Fils, je pourrai exhaler mon
esprit là où Lui est monté vers le Père.»
«Tu monteras aussi, ô Mère.»
«Non. Je ne suis pas Jésus, moi. Je suis née humainement.»
«Mais sans la tache d’origine. Moi, je suis un pauvre pécheur ignorant. En fait de doctrine et
d’écritures, je ne sais rien d’autre que ce que le Maître m’a enseigné. Pourtant je suis comme un
enfant car je suis pur. Et à cause de cela, peut-être, j’en sais plus que les rabbis d’Israël parce que,
Lui l’a dit, Dieu cache les choses
237
aux sages et Il les révèle aux petits, aux purs. Et à cause de cela je pense, je
dis plutôt: je sens que tu auras le sort qu’aurait eu Eve si elle n’avait pas
péché. Et plus encore, puisque tu n’as pas été épouse d’un Adam-homme,
mais de Dieu pour donner à la Terre le nouvel Adam fidèle à la Grâce. Le
Créateur, en créant les premiers parents, ne les avait pas destinés à la mort,
c’est-à-dire à la corruption du corps le plus parfait créé par Lui, et rendu le
plus noble de tous les corps créés parce que doué d’une âme spirituelle et
des dons gratuits de Dieu, grâce auxquels ils pouvaient se dire “fils adoptifs
de Dieu”, mais Il voulait pour eux seulement le passage du Paradis terrestre
au Paradis céleste. Or tu n’as jamais eu de tache d’aucun péché sur ton âme.
Même le grand péché commun à tous, héritage d’Adam pour tous les
humains ne t’a pas frappé, car Dieu t’en a préservée par un privilège
singulier, unique, puisque depuis toujours tu étais destinée à devenir
l’Arche du Verbe. Et l’Arche aussi qui, hélas! ne contient que des choses
froides, arides, mortes, puisqu’en vérité le peuple de Dieu ne les met pas en
pratique comme il devrait, est, et devrait être, toujours toute pure. L’Arche,
oui. Mais qui, parmi ceux qui s’en approchent, Pontife et Prêtres, l’est
réellement comme tu l’es? Personne. C’est pourquoi je sens qu’à toi,
seconde Eve, et Eve fidèle à la Grâce, la mort ne sera pas donnée.»
«Mon Fils, second Adam, la Grâce elle-même, toujours obéissant au
Père, à moi, d’une manière parfaite, est mort. Et de quelle mort!»
«Il était venu pour être le Rédempteur, Mère. Il a quitté le Père, le Ciel,
pour prendre Chair afin de racheter les hommes par son Sacrifice, leur
rendre la Grâce, et donc de les élever de nouveau au rang de fils adoptifs de
Dieu, héritiers du Ciel. Lui devait mourir, et mourir avec son Humanité très
Sainte. Et toi, tu es morte dans ton coeur, en voyant son supplice atroce et
sa Mort. Tu as déjà tout souffert pour être Rédemptrice avec Lui. Je suis un
pauvre sot, mais je sens que toi, Arche véritable du Dieu vrai et vivant, tu
ne seras pas, tu ne peux être soumise à la corruption. Comme la nuée de feu
protégea et dirigea l’Arche de Moïse vers la Terre promise, ainsi le Feu de
Dieu t’attirera à son Centre. Comme la verge d’Aaron ne sécha pas, ne
mourut pas, mais au contraire, bien que détachée de l’arbre, produisit des
bourgeons, des feuilles et des fruits, et vécut dans le Tabernacle, ainsi toi,
choisie par Dieu entre toutes les femmes qui ont habité et habiteront la
Terre, tu ne mourras pas comme une plante qui se dessèche, mais dans
l’éternel
238
Tabernacle des Cieux tu vivras éternellement, avec toute toi-même. Comme
les eaux du Jourdain s’ouvrirent pour laisser passer l’Arche et ceux qui la
portaient, et le peuple tout entier, au temps de Josué, ainsi pour toi
s’ouvriront les barrières que le péché d’Adam a mises entre la Terre et le
Ciel, et tu passeras de ce monde au Ciel éternel. J’en suis certain car Dieu
est juste. Et pour toi s’applique le décret émis par Lui pour celui qui n’a ni
le péché héréditaire, ni un péché volontaire sur son âme.»
«Jésus t’a-t-il révélé cela?»
«Non, Mère. Celui qui me l’a dit, c’est l’Esprit Paraclet. Celui dont le Maître nous a avertis qu’Il
nous aurait révélé les choses futures et toute vérité. Le Consolateur déjà me l’a dit en mon esprit
pour me rendre moins amère la pensée de te perdre, ô Mère bénie que j’aime et vénère autant et plus
que la mienne pour ce que tu as souffert, pour ce que tu es bonne et sainte, inférieure seulement à
ton Fils très Saint, entre tous les saints présents et à venir. La plus grande Sainte.» Et Jean, tout
ému, se prosterne pour la vénérer.

28. MARIE ET JEAN AUX LIEUX DE LA PASSION

C’est l’aube, une claire aube d’été. Marie, avec son fidèle Jean, sort de
la petite maison du Gethsémani et marche promptement à travers l’oliveraie
silencieuse et déserte. Seul quelque chant d’oiseau et le pépiement des
petits dans les nids rompent le grand silence de l’endroit. Marie se dirige
avec assurance vers le rocher de l’Agonie. Elle s’agenouille contre lui,
dépose un baiser là où de fines lézardes du rocher présentent encore des
traces rouge rouille du Sang de Jésus, qui a pénétré dans les fissures et s’y
est coagulé. Elle les caresse comme si elle caressait son Fils ou quelque
chose de Lui.
Jean, debout derrière elle, l’observe et pleure sans bruit, essuyant rapidement ses yeux quand Marie
se relève; il l’aide à le faire et le fait avec tant d’amour, de vénération et de pitié.
Marie descend maintenant vers l’endroit où on s’empara de Jésus. Elle s’y agenouille aussi et se
penche pour baiser la terre après avoir demandé à Jean: «Est-ce bien l’endroit du baiser horrible et
infâme qui a contaminé ce lieu plus encore que n’a souillé le Paradis terrestre le colloque infâme et
corrupteur du Serpent avec
239
Eve?»
Puis elle se dresse pour dire:«Mais moi je ne suis pas Eve. Je suis la
Femme de l’Ave. J’ai retourné les choses. Eve a jeté dans la boue horrible
ce qui était chose du Ciel. Moi, j’ai tout accepté: incompréhensions,
critiques, soupçons, douleurs - que de douleurs et de toutes sortes, avant la
suprême douleur - pour relever de la fange souillée ce que Eve et Adam y
avaient jeté, et le relever vers le Ciel. A moi le démon n’a pu parler bien
qu’il fait essayé, comme il l’a essayé avec mon Fils, pour détruire
définitivement le dessein rédempteur. Avec moi il n’a pu parler car j’ai
fermé mes oreilles et mes yeux à sa vue et à sa voix, et surtout j’ai fermé
mon coeur et mon esprit contre tout assaut de ce qui n’est pas saint et pur.
Mon moi limpide, mais que comme un pur diamant on ne peut rayer, ne
s’est ouvert qu’à l’Ange annonciateur. Mes oreilles n’ont écouté que cette
voix spirituelle, et ainsi j’ai réparé, réédifié ce que Eve avait lézardé et
détruit. Je suis la Femme de l’Ave et du Fiat. J’ai rétabli l’ordre bouleversé
par Eve. Et maintenant je puis enlever et laver par mon baiser et mes pleurs
l’empreinte de ce baiser maudit et de cette contamination, la plus grande de
toutes car elle n’a pas été faite par une créature à une créature, mais par une
créature à son Maître et Ami, à son Créateur et Dieu.»
Puis elle se dirige vers la grille que Jean ouvre. Ils sortent ensemble du
Gethsémani, descendent le Cédron, franchissent le petit pont, et là aussi
Marie s’agenouille pour baiser la rustique balustrade du pont, à l’endroit où
y était tombé son Fils. Elle dit: «Tout endroit m’est sacré, où Lui a souffert
les suprêmes douleurs et outrages. Je voudrais avoir tout dans ma petite
maison, mais on ne peut tout avoir!» Elle soupire, puis ajoute: «Allons vite,
avant que les gens ne circulent.»
Et avec Jean elle reprend la marche. Elle n’entre pas dans la ville. Elle
côtoie la vallée d’Hinnon et les cavernes où vivent les lépreux. Elle lève les
yeux vers ces antres de douleur. Elle fait un signe à Jean, qui met tout de
suite sur un rocher des vivres qu’il avait dans un sac, en jetant en même
temps un cri d’appel. Des lépreux se présentent et viennent vers le rocher en
remerciant. Mais personne ne demande la guérison. Marie le remarque et
elle dit: «Ils savent que Lui n’est plus et, frappes comme ils sont restés à
cause de sa mort horrible, ils ne savent plus avoir foi en Lui, ni en ses
disciples. Deux fois malheureux! Deux fois lépreux! Deux fois? Non, plutôt
totalement malheureux, lépreux, morts! Sur la Terre et dans l’autre monde.»
240
«Mère, veux-tu que j’essaie de leur parler?»
«C’est inutile! Ils y ont essayé Pierre, Jude d’Alphée, Simon le
Zélote... Ils se sont moqués d’eux. Marie de Lazare est venue. Elle les
secourt toujours en souvenir de Jésus et ils se sont moqués d’elle aussi.
Lazare lui-même y est allé, et avec Joseph et Nicodème, pour les persuader
que Lui était le Christ en leur racontant sa résurrection, opérée par Jésus,
après quatre jours au tombeau et celle de l’Homme-Dieu par son propre
pouvoir, et son Ascension. Tout a été inutile. Ils ont répondu: “Ce sont des
mensonges. C’est ce que disent ceux qui savent la vérité”.»
«Et eux sont certainement les pharisiens et les prêtres. Ce sont eux qui travaillent pour abattre la foi
en Lui. J’en suis sûr que ce sont eux!»
«C’est possible, Jean. Ce qui est certain, c’est que les lépreux qui ne se sont pas convertis
auparavant, même pas devant les miracles de Jésus, ne se convertiront plus, jamais plus. Signe et
symbole de tous ceux qui, au cours des siècles, ne se convertiront pas au Christ et seront, par leur
libre volonté, atteints par la lèpre du péché, morts à la Grâce qui est Vie, symbole de tous ceux pour
lesquels Lui est mort inutilement... Et de cette manière!...» et elle pleure paisiblement, sans
sanglots, mais avec un vrai déluge de larmes.
Jean la prend par un bras quand Marie, pour cacher ses pleurs à des
passants qui l’observent, se couvre le visage avec son voile. Jean, en la
conduisant affectueusement, lui dit: «Est-il possible que tes pleurs, tes
prières, ton, ou plutôt vôtre amour pour tous les hommes, le vôtre parce que
le tien est actif comme est actif, parfaitement actif, celui de Jésus glorieux
au Ciel, est-il possible que vôtre douleur, la tienne à cause de la surdité des
hommes, la sienne à cause de l’obstination dans le péché d’un trop grand
nombre, ne donnent pas de fruits? Espère, ô Mère! Les hommes t’ont donné
beaucoup de douleur et t’en donneront encore, mais ils te donneront aussi
amour et joie. Qui ne t’aimera pas quand il te connaîtra? Maintenant tu es
ici, ignorée, inconnue du monde. Mais quand la Terre saura, parce que
devenue chrétienne, combien d’amour viendra vers toi! J’en suis sûr, ô
Mère sainte.»
Le Golgotha désormais est proche, et plus proche encore le jardin de
Joseph. Quand ils arrivent à ce dernier, Marie n’y entre pas. Elle va d’abord
au Golgotha et dans les endroits marqués par des épisodes particuliers
durant la Passion, c’est-à-dire aux endroits des chutes, de la rencontre avec
Nique, et avec elle-même, elle s’agenouille et baise le sol.
241
Arrivée au sommet, ses baisers se multiplient sur le lieu de la
Crucifixion. Baisers et larmes, les premiers presque convulsifs, les
secondes calmes, mais serrées comme la pluie, tombent sur la terre jaunâtre,
baignant cette dernière et accentuant sa couleur jaunâtre. Une petite plante a
poussé justement là où la terre a été remuée pour y planter la Croix, une
humble petite plante de pré, aux feuilles en forme de coeur, aux fleurettes
rouges comme des rubis. Marie la regarde, réfléchit, puis délicatement
l’enlève du sol en même temps qu’un peu de terreau et la met dans un pli de
son manteau en disant à Jean: «Je vais la mettre dans un vase. On dirait son
Sang, et elle a poussé sur la terre rougie par son Sang. C’est certainement
une semence apportée par le tourbillon de ce jour-là, venue qui sait d’où,
tombée là qui sait pourquoi, pour pousser des racines dans la poussière
fécondée par ce Sang. S’il pouvait en être ainsi pour toutes les âmes!
Pourquoi le plus grand nombre d’entre elles sont-elles plus rétives que la
terre aride et maudite du Golgotha, lieu de supplice pour les larrons et les
meurtriers, et du déicide de tout un peuple? Maudite? Non. Lui l’a
sanctifiée cette poussière. Maudits par Dieu sont ceux qui ont fait de cette
colline le lieu du crime le plus horrible, injuste, sacrilège qu’aura jamais vu
la Terre.» Maintenant ses sanglots se mêlent à ses larmes.
Jean entoure de son bras ses épaules pour lui faire sentir tout son amour et lui persuader de quitter
cet endroit, trop douloureux pour elle.
Ils descendent de nouveau au pied de la colline. Ils entrent dans le jardin de Joseph. Le Tombeau
montre son intérieur avec sa large ouverture, qui n’est plus fermée par la pierre, qui git encore dans
l’herbe, renversée sur le sol. L’intérieur est vide. Toute trace de la Déposition et de la Résurrection
est disparue. On dirait un tombeau qui n’a jamais servi. Marie baise la pierre de l’Onction, caresse
les murs du regard. Puis elle demande à Jean: «Répète-moi une autre fois comment tu as trouvé les
choses ici, quand tu es venu dans ce lieu avec Pierre, à l’aurore de la Résurrection.»
Et Jean commence à décrire, en se déplaçant ici et là, à l’extérieur et à l’intérieur du Tombeau,
comment étaient les choses, et ce qu’ils ont fait lui et Pierre, et il termine en disant: «Nous aurions
dû retirer les linges, mais nous étions tellement secoués par tous les événements de ce jour que nous
n’y avons pas pensé Quand nous sommes revenus ici, il n’y avait plus de linges.»
«Ceux du Temple les auront pris pour les profaner» dit Marie toute en larmes en l’interrompant. Et
elle conclut: «Même Marie de
242
Magdala n’a pas pensé qu’il était bien de les enlever pour me les donner.
Elle était trop troublée.»
«Le Temple? Non. Je pense que Joseph les a pris.»
«Il me l’aurait dit... Oh! pour un dernier affront les ennemis de Jésus
les auront pris!» dit Marie en gémissant.
«Ne pleure plus, ne souffre plus. Lui désormais est dans la gloire, dans
l’amour parfait et infini. La haine et le mépris ne peuvent plus le frapper.»
«C’est vrai, mais ces linges...»
«Ils te donneraient de la douleur, comme t’en donne le premier Linceul, que tu n’as pas la force de
déplier car, outre les traces de son Sang, il porte celles des choses immondes jetées sur ce corps très
Saint.»
«Celui-là, oui. Mais ces linges, non. Ils ont absorbé ce qui suintait de Lui, alors qu’il ne souffrait
plus... Oh! tu ne peux comprendre!»
«Je comprends, Mère. Mais je croyais que toi, qui certainement n’es
pas séparée de Lui Dieu, comme nous le sommes, et plus encore comme le
sont les simples croyants en Lui, tu ne ressentais si fortement le désir et
même le besoin d’avoir quelque chose de Lui, Homme torturé. Pardonne
ma sottise. Viens... Nous reviendrons encore ici. Maintenant partons car le
soleil monte de plus en plus, et il est fort, et le chemin est long pour nous
qui devons éviter la ville.»
Ils sortent du Tombeau et puis du jardin et, par le même chemin qu’ils
ont pris pour venir, ils reviennent au Gethsémani. Marie marche rapidement
et en silence, toute enveloppée dans son manteau. Elle a seulement un
mouvement de dégoût et d’horreur quand elle passe près de l’oliveraie où
Judas s’est pendu et près de la maison de campagne de Caïphe, et elle
murmure: «Ici lui a accompli sa damnation d’impénitent désespéré, et là
s’est conclu l’horrible marché»

29. LE LINCEUL DU TOMBEAU EST DONNE A MARIE

Il fait nuit. La pleine lune éclaire de sa lumière argentée le Gethsémani


tout entier et la petite maison de Marie et de Jean. Tout est silencieux.
Même le Cédron, réduit à un filet d’eau, ne fait pas de bruit. Tout à coup,
un bruit de sandales se fait entendre
243
dans le grand silence et se fait de plus en plus distinct et plus proche, et
avec lui, un murmure de voix mâles et profondes. Puis voilà trois personnes
qui sortent de l’enchevêtrement des arbres et se dirigent vers la
maisonnette. Ils frappent à la porte close. Une lampe s’allume et une petite
lumière tremblante filtre par une fissure de l’entrée. Une main ouvre, une
tête se penche, une voix, celle de Jean, demande: «Qui êtes-vous?»
«Joseph d’Arimathie, et avec moi Nicodème et Lazare. L’heure est
indiscrète, mais la prudence nous l’impose. Nous apportons quelque chose
à Marie, et Lazare nous accompagne.»
«Entrez. Je vais l’appeler. Elle ne dort pas. Elle prie là-haut, dans sa petite pièce, sur la terrasse.
Cela lui plaît tellement!» dit Jean, et il monte rapidement par le petit escalier qui conduit à la
terrasse et à la pièce.
Les trois, restés dans la cuisine, parlent doucement entre eux, à la faible lumière de la lampe,
groupés près de la table, encore tout couverts de leurs manteaux, mais la tête découverte.
Jean rentre avec Marie qui salue les trois en disant: «Paix à vous tous.»
«Et à toi, Marie» lui répondent les trois en s’inclinant.
«Y a-t-il quelque danger? Est-il arrivé quelque chose aux serviteurs de Jésus?»
«Rien. Femme. C’est nous qui avons décidé de venir pour te donner quelque chose que -
maintenant, nous le savons avec certitude, mais déjà nous le pressentions - que tu désirais avoir.
Nous ne sommes pas venus plus tôt, car il y avait des divergences d’idées entre nous et aussi entre
nous et Marie de Lazare. Marthe ne s’est pas prononcée à ce sujet. Elle a seulement dit: “Le
Seigneur, ou directement ou en inspirant à d’autres de parler, vous dira ce que faire”. Et en vérité il
nous a été dit ce que faire et nous sommes venus pour cela» explique Joseph.
«Le Seigneur vous a-t-il parlé? Est-il venu à vous?»
«Non, Mère. Plus depuis sa montée au Ciel. Avant, oui. Il nous est apparu, nous te l’avons dit,
d’une manière surnaturelle, après sa Résurrection, dans ma maison. Ce jour-là il est apparu à un
grand nombre, en même temps, pour donner un témoignage de sa Divinité et de sa Résurrection.
Puis nous l’avons encore vu tant qu’il a été parmi les hommes, mais plus d’une manière
surnaturelle, mais comme l’ont vu les apôtres et les disciples» lui répond Nicodème.
«Et alors? Comment vous a-t-il indiqué la voie à suivre?»
244
«Par la bouche de l’un de ses préférés et successeurs.»
«Pierre? Je ne crois pas. Il est encore effrayé à la fois du passé et de sa
nouvelle mission.»
«Non, Marie, pas Pierre. Cependant, en vérité, il a toujours plus
d’assurance. Maintenant qu’il sait à quel usage Lazare a affecté la maison
du Cénacle, il a décidé de commencer les agapes régulières et de célébrer
les mystères réguliers le lendemain de chaque sabbat. Car il dit que c’est
maintenant le jour du Seigneur puisque c’est le jour où il est ressuscité et
est apparu à un grand nombre, pour les confirmer dans la foi en sa Nature
éternelle de Dieu. Il n’y a plus le sabbat tel qu’il est pour les hébreux,
peut-être tel de Shabaôt. Il n’y a plus le sabbat, car pour les chrétiens il n’y
a plus la synagogue, mais l’Eglise, comme l’avaient prédit les prophètes.
Mais il y a encore, et il y aura toujours, le jour du Seigneur, en souvenir de
l’Homme-Dieu, du Maître, Fondateur, Pontife éternel, après avoir été
Rédempteur, de l’Eglise chrétienne. Le lendemain du prochain sabbat, il y
aura donc les agapes entre les chrétiens et ils seront si nombreux dans la
maison du Cénacle. Ce n’était pas possible avant à cause de la rancoeur des
pharisiens, prêtres, sadducéens et scribes, et de la dispersion momentanée
de nombreux fidèles de Jésus, ébranlés dans leur foi en Lui et effrayés de la
haine des juifs. Mais maintenant ceux qui haïssent, à la fois par peur de
Rome, qui a blâmé le comportement du Proconsul et de la foule, et parce
qu’ils croient finie “l’exaltation des fanatiques”, comme ils définissent la
foi des chrétiens dans le Christ, à cause de la dispersion momentanée des
fidèles qui en vérité a duré bien peu et est maintenant finie, car toutes les
brebis sont revenues au Bercail du vrai Pasteur, ils sont moins attentifs, je
dirais qu’ils s’en désintéressent comme d’une chose morte, finie. Et ceci
permet qu’on se réunisse pour les agapes. Nous voulons que tu puisses,
même pour la première d’elles, avoir ce souvenir de Lui à montrer aux
fidèles pour les confirmer dans la foi et sans que cela te fasse trop souffrir.»
Et Joseph lui présente un rouleau
volumineux enveloppé dans un drap rouge foncé qu’il avait jusqu’à ce
moment tenu caché sous son manteau.
«Qu’est-ce?» demande Marie en pâlissant. «Ses vêtements, peut-être?
Ceux que je Lui ai fait pour... Oh!» et elle pleure.
«Nous n’avons pu les trouver à aucun prix. Qui sait comment et où ils ont fini!» répond Lazare, et il
ajoute: «Mais ceci aussi est un de ses vêtements, son dernier vêtement. C’est le Linceul propre dans
lequel fut enveloppé le très Pur après la torture et - bien que
245
rapide et relative - et la purification de ses membres souillés par ses
ennemis, et l’embaumement sommaire. Joseph, quand Lui ressuscita, les
retira tous les deux du Tombeau et les porta chez nous, à Béthanie, pour
empêcher qu’ils ne soient soumis à des profanations sacrilèges. Dans la
maison de Lazare, les ennemis de Jésus n’osent pas beaucoup se hasarder,
et moins que jamais depuis qu’ils savent comment Rome a blâmé la
conduite de Ponce Pilate. Puis, après un premier temps, le plus dangereux,
nous t’avons donné le premier Linceul et Nicodème a pris l’autre et l’a
porté dans sa maison de campagne.»
«Vraiment, ô Lazare, ils appartenaient à Joseph» observe Marie.
«C’est vrai, Femme. Mais la maison de Nicodème est hors de la ville. Elle attire donc moins
l’attention et elle est plus sûre pour plusieurs raisons» lui répond Joseph.
«Oui, spécialement depuis que Gamaliel, avec son fils, la fréquente avec assiduité» ajoute
Nicodème.
«Gamaliel?!» dit Marie grandement étonnée.
Lazare ne peut s’empêcher de sourire sarcastiquement en lui répondant:
«Oui. Le signe, le fameux signe qu’il attendait pour croire que Jésus était le
Messie, l’a ébranlé. On ne peut nier que le signe ait été capable de briser
même les têtes et les coeurs les plus durs à se rendre. Et Gamaliel, par ce
signe très puissant, fut ébranlé, secoué, abattu plus que les maisons qui
s’écroulèrent au jour de la Parascève alors qu’il semblait que le monde
périssait en même temps que la Grande Victime. Le remords l’a déchiré
plus que ne s’est déchiré le voile du Temple, le remords de n’avoir jamais
compris Jésus pour ce qu’il était réellement. Le tombeau fermé de son
esprit de vieil hébreu entêté s’est ouvert comme les tombeaux qui ont laissé
apparaître les corps des justes, et il cherche maintenant, avec angoisse, la
vérité, la lumière, le pardon, la vie. La nouvelle vie: celle que l’on ne peut
avoir que par Jésus et en Jésus. Oh! Il devra encore travailler beaucoup
pour libérer totalement son vieux moi du maquis de son ancienne manière
de penser! Mais il y arrivera. Il cherche la paix, le pardon, la connaissance.
Paix pour ses remords, et pardon pour son obstination. Et connaissance
complète de Celui que, quand il pouvait le faire, il n’a pas voulu connaître
complètement. Et il va chez Nicodème pour atteindre le but qu’il s’est
désormais fixé.»
«Es-tu sûr qu’il ne te trahira pas, Nicodème?» demande Marie.
«Non, il ne me trahira pas. Au fond, c’est un juste. Rappelle-toi qu’il a osé s’imposer au Sanhédrin,
durant le procès infâme, et
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qu’il a montré ouvertement son indignation et son mépris pour les juges
injustes en s’en allant et en commandant à son fils de s’en aller pour ne pas
être complice, même par une présence passive, de ce crime suprême. Ceci
pour Gamaliel. Pour les Linceuls, ensuite, j’ai pensé, d’autant que je ne suis
plus hébreu et donc plus sujet à l’interdiction du Deutéronome sur les
sculptures et représentations, de faire, comme je sais le faire, une statue de
Jésus Crucifié - j’emploierai un de mes cèdres géants du Liban - et de
cacher à l’intérieur un des Linceuls, le premier, si toi, Mère, tu nous le
rends. Cela te ferait toujours trop de mal de le voir, parce que sur lui sont
visibles les immondices avec lesquelles Israël a frappé de manière sacrilège
le Fils de son Dieu. En outre, certainement par suite des secousses reçues
dans la descente du Golgotha, secousses qui déplacèrent continuellement sa
tête martyrisée, l’image est si confuse qu’il est difficile de la distinguer.
Mais pour moi cette toile, bien que l’image soit confuse et qu’elle soit
souillée, m’est toujours chère et sacrée parce que sur elle il y a toujours de
son sang et de sa sueur. Cachée dans cette sculpture, elle sera sauver-
gardée, car aucun israélite des hautes classes n’osera jamais toucher une
sculpture. Mais l’autre, le second Liceul qui fut sur Lui depuis le soir de la
Parascève jusqu’à l’aurore de la Résurrection, doit te revenir. Et - je t’en
avertis, pour que tu ne sois pas trop émue en la voyant - et sache que plus
les jours ont passé et plus sa figure est apparue nettement, comme elle était
après qu’on l’a eue lavée. Quand nous l’avons enlevée du Tombeau elle
paraissait avoir simplement conservé l’empreinte de ses membres couverts
par les huiles auxquelles s’étaient mêlées des traces de sang et de sérosités
venant des nombreuses blessures. Mais, ou bien par un processus naturel,
ou, ce qui est bien plus certain, par une volonté surnaturelle, un de ses
miracles pour te donner une joie, plus le temps avançait, plus l’empreinte
devenait précise et claire. Il est là, sur cette toile, beau, majestueux, bien
que blessé, serein, paisible, même après tant de tortures. As-tu le courage de
le voir?»
«Oh! Nicodème! Mais c’était mon suprême désir! Tu dis qu’il a l’air
paisible... Oh! pouvoir le voir ainsi et non avec cette expression torturée
qu’il a sur le voile de Nique» répond Marie en joignant les mains sur son
coeur.
Alors les quatre déplacent la table pour avoir plus de place, puis avec Lazare et Jean d’un côté,
Nicodème et Joseph de l’autre, ils déroulent lentement la longue toile. On voit d’abord la partie
dorsale, en commençant par les pieds, puis, après la quasi jonction des
247
têtes, la partie frontale. Les lignes sont bien claires, et claires les marques,
toutes les marques de la flagellation, de la couronne d’épines, frottements
de la croix, contusions des coups qu’il a reçus et des chutes qu’il a faites, et
les blessures des clous et de la lance.
Marie tombe à genoux, baise la toile, caresse les empreintes, baise les
blessures. Elle est angoissée, mais aussi visiblement contente de pouvoir
avoir cette surnaturelle, miraculeuse image de Lui.
Après l’avoir vénérée elle se tourne et dit à Jean, qui ne peut être près d’elle, occupé comme il l’est
à tenir un coin de la toile: «C’est toi qui le leur as dit, Jean. Il n’y a que toi qui as pu le dire car toi
seul connaissais le désir que j’en avais.»
«Oui, Mère, c’est moi. Et je n’ai pas achevé de leur dire ton désir que tout de suite ils y ont adhéré.
Ils ont pourtant dû attendre le moment favorable pour le faire...»
«C’est-à-dire une nuit très claire pour pouvoir venir sans torches et sans lanternes, et une période
sans solennités réunissant ici, à Jérusalem et dans son voisinage, le peuple et les notables, et cela par
prudence...» explique Nicodème.
«Et moi, je suis venu avec eux pour plus de sécurité. Comme maître du Gethsémani, il m’était
permis de venir voir l’endroit sans attirer l’attention de quelqu’individu... chargé de surveiller toutes
choses et toutes gens» termine Lazare.
«Que Dieu vous bénisse tous. Pourtant les frais des Linceuls, c’est vous qui les avez faits... Et ce
n’est pas juste...»
«C’est juste, Mère. Moi, j’ai eu du Christ, ton Fils, un don que l’on ne se procure pas à prix
d’argent: la vie qu’il m’a rendue après quatre jours de tombeau, et auparavant la conversion de ma
soeur Marie. Joseph et Nicodème ont eu de Jésus la Lumière, la Vérité, la Vie qui ne meurt pas. Et
toi... toi, avec ta douleur de Mère, et ton amour de Mère très sainte pour tous les hommes, tu as
acquis non pas une toile, mais tout le monde chrétien, qui sera toujours plus grand, pour Dieu. Il n’y
a pas d’argent qui puisse compenser ce que tu as donné. Prends cela au moins. C’est à toi. Il est
juste qu’il en soit ainsi. Marie, ma soeur, est aussi de cet avis. Elle l’a toujours pensé, depuis le
moment où il est ressuscité, et plus encore depuis qu’il t’a quitté pour monter vers le Père» lui
répond Lazare.
«Et qu’il en soit ainsi alors. Je vais prendre l’autre. Il m’est en fait si douloureux de le voir...
Celui-ci, c’est différent. Il donne la paix, celui-ci! Car Lui ici est serein, en paix désormais. Il paraît
sentir déjà, dans son sommeil mortel, la vie qui revient, et la gloire
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que personne ne pourra jamais plus atteindre et abattre. Maintenant je ne
désire plus rien, sauf de me réunir à Lui. Mais cela arrivera au moment que
Dieu a fixé et de la manière dont Il l’a fixé. Je m’en vais. Et que Dieu vous
donne à vous le centuple de la joie que vous m’avez donnée.»
Elle prend avec respect le Linceul que les quatre ont replié, sort de la
cuisine, monte rapidement l’escalier... Et redescend bientôt et elle entre
avec le premier Linceul. Elle le remet à Nicodème qui lui dit: «Que Dieu te
remercie, Femme. Maintenant nous partons, car l’aube approche et il vaut
mieux être à la maison avant que la lumière se lève et que les gens sortent
de leurs maisons.»
Les trois la vénèrent avant de partir et puis, rapidement pour reprendre la route qu’ils ont prise pour
venir, ils se dirigent vers une des grilles du Gethsémani, la plus proche du chemin qui mène à
Béthanie.
Marie et Jean restent à l’entrée de la maison jusqu’à ce qu’ils les voient disparaître, puis rentrent
dans la cuisine et ferment la porte en parlant doucement entre eux.
30. LE MARTYRE D’ETIENNE

La salle du Sanhédrin, pareille pour la disposition et pour les personnes


à ce qu’elle était, dans la nuit du jeudi au vendredi, pendant le procès de
Jésus. Le Grand Prêtre et les autres sont sur leurs sièges. Au centre, dans
l’espace vide, devant le Grand Prêtre, où était Jésus durant le procès, il y a
maintenant Etienne. Il doit déjà avoir parlé pour confesser sa foi et apporter
son témoignage sur la vraie Nature du Christ et sur l’Eglise, car le tumulte
est à son comble et dans sa violence il est en tout semblable à celui qui
s’agitait contre le Christ dans la nuit fatale de la trahison et du déicide.
Coups de poing, malédictions, blasphèmes horribles sont lancés contre le diacre Etienne qui, sous
les coups brutaux, vacille et chancelle alors que férocement ils le tirent çà et là.
Mais lui garde son calme et sa dignité et même plus encore. Il est non seulement calme et digne,
mais même bienheureux, presque en extase. Sans se soucier des crachats qui coulent sur son visage,
ni du sang qui descend de son nez brutalement frappé, il lève à un certain moment son visage
inspiré et son regard lumineux et sou-
249
riant pour regarder fixement une vision connue de lui seul. Ensuite il ouvre
ses bras en croix et les lève comme pour embrasser ce qu’il voit. Après cela
il tombe à genoux en s’écriant: «Voici que je vois les Cieux ouverts et le
Fils de l’Homme, Jésus, le Christ de Dieu, que vous avez tué, qui siège à la
droite de Dieu.»
Alors le tumulte perd le minimum d’humanité et de légalité qu’il
gardait encore, et avec la furie d’une meute de loups, de chacals, de fauves
enragés, tous s’élancent sur le diacre, le mordent, le piétinent, le saisissent,
le relèvent en le soulevant par les cheveux, le traînent, le faisant tomber de
nouveau, la furie s’opposant à la furie, car dans la rixe ceux qui cherchent à
entraîner le martyr dehors sont contrariés par ceux qui le tirent dans une
autre direction pour le frapper, le piétiner de nouveau.
Parmi les furieux les plus furieux il y a un jeune homme de petite taille et laid, qu’on appelle Saul.
Il est impossible de décrire la férocité de son visage.
Dans un coin de la salle se tient Gamaliel. Il n’a jamais pris part à la bagarre, ni jamais adressé la
parole à Etienne, ni à aucun puissant. Son dégoût devant la scène injuste et féroce est bien visible.
Dans un autre coin, dégoûté et étranger au procès et à la mêlée, se trouve Nicodème, qui regarde
Gamaliel dont le visage a une expression plus claire que toute parole. Mais tout à coup, et
précisément quand il voit que pour la troisième fois on soulève Etienne par les cheveux, Gamaliel
s’enveloppe dans son ample manteau et il se dirige vers une sortie opposée à celle vers laquelle on
traîne le diacre.
Son action n’échappe pas à Saul qui crie: «Rabbi, tu t’en vas?»
Gamaliel ne répond pas. Saul qui craint que Gamaliel n’ait pas compris que la question s’adressait à
lui, répète et précise: «Rabbi Gamaliel, tu te détournes de ce jugement?»
Gamaliel se tourne tout d’une pièce et, avec un regard terrible tellement
il est dégoûté, hautain et glacial, il répond seulement: «Oui.» Mais c’est un
«oui» qui a plus de portée qu’un long discours.
Saul comprend tout ce qu’il y a dans ce «oui» et, abandonnant la meute
féroce, il court vers Gamaliel, le rejoint, l’arrête et lui dit: «Tu ne voudrais
pas me dire, ô rabbi, que tu désapprouves notre condamnation.»
Gamaliel ne le regarde pas et ne lui répond pas. Saul poursuit: «Cet homme est doublement
coupable pour avoir renié la Loi en suivant un samaritain possédé par Belzébuth, et pour l’avoir fait
après avoir été ton disciple.»
250
Gamaliel continue à ne pas le regarder et à se taire. Saul, alors,
demande: «Mais serais-tu peut-être, toi aussi, un partisan de ce malfaiteur
appelé Jésus?»
Gamaliel parle maintenant et dit: «Je ne le suis pas encore. Mais si Lui
était ce qu’il disait, et en vérité beaucoup de choses tendent à prouver qu’il
l’était, je prie Dieu de le devenir.»
«Horreur!» crie Saul.
«Aucune horreur. Chacun a une intelligence pour s’en servir et une liberté pour l’appliquer. Que
chacun s’en serve donc d’après la liberté que Dieu a donnée à tout homme et la lumière qu’il a mise
dans le coeur de chacun. Les justes, maintenant ou plus tard, emploieront ces deux dons de Dieu
pour le Bien, et les mauvais pour le Mal.» Et il s’en va en se dirigeant vers la cour où se trouve le
trésor et il va s’appuyer contre la même colonne contre laquelle Jésus avait parlé de la pauvre veuve
qui donne au Trésor du Temple tout ce qu’elle a: deux piécettes. Il est là depuis peu de temps quand
Saul le rejoint de nouveau et se plante devant lui.
Il y a entre les deux un très grand contraste. Gamaliel grand, à l’aspect noble, beau, aux traits
fortement sémitiques, un front haut, des yeux très noirs, intelligents, pénétrants, longs et très
enfoncés sous les sourcils épais et droits, aux côtés d’un nez droit, long et fin qui rappelle un peu
celui de Jésus. La couleur de la peau, aussi, la bouche aux lèvres fines, rappellent celles du Christ.
Seulement les moustaches et la barbe de Gamaliel, autrefois très noires, sont maintenant
grisonnantes et plus longues.
Saul, au contraire, est petit, trapu, presque rachitique, avec des jambes courtes et grosses, un peu
écartées aux genoux que l’on voit bien car il a enlevé son manteau et a seulement un vêtement à
tunique courte et grise. Il a les bras courts et musclés comme les jambes, le cou court et trapu qui
porte une tête grosse, brune, avec des cheveux courts et rêches, des oreilles plutôt écartées, un nez
camus, de grosses lèvres, des pommettes hautes et grosses, un front bombé, des yeux sombres,
plutôt bovins, sans douceur, mais très intelligents sous des sourcils très arqués, épais et hérissés. Les
joues sont couvertes d’une barbe hirsute comme les cheveux et très épaisse, qu’il garde courte.
Peut-être à cause de son cou si court, il paraît légèrement bossu ou avec des épaules très voûtées.
Il se tait un moment en fixant Gamaliel, puis il dit quelque chose à voix basse. Gamaliel lui répond
d’une voix bien nette et forte: «Je n’approuve pas la violence. Pour aucun motif. Tu n’auras jamais
de moi une approbation pour un dessein violent. Je l’ai
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même dit publiquement, à tout le Sanhédrin, quand on a pris pour la
seconde fois Pierre et les autres apôtres et qu’ils ont été amenés devant le
Sanhédrin pour être jugés. Et je répète la même chose: “Si c’est un dessein
et une oeuvre humaine, il périra par lui-même; si cela vient de Dieu, les
hommes ne pourront le détruire, mais au contraire ils pourront être frappés
par Dieu”. Ne l’oublie pas.»
«Es-tu le protecteur de ces blasphémateurs, disciples du Nazaréen, toi,
le plus grand rabbi d’Israël?»
«Je suis le protecteur de la justice. Et elle enseigne à être prudent et juste dans les jugements. Je te
le répète: si c’est une chose qui vient de Dieu, elle résistera, sinon elle tombera d’elle-même. Mais
moi, je ne veux pas me tacher les mains avec un sang dont je ne sais pas s’il mérite la mort.»
«C’est toi, toi, pharisien et docteur, qui parles ainsi? Tu ne crains pas le Très-Haut?»
«Plus que toi. Mais je réfléchis. Et je me souviens... Tu n’étais qu’un enfant, pas encore un fils de la
Loi, et j’enseignais déjà dans ce Temple avec le rabbi le plus sage de ce temps... et avec d’autres qui
étaient sages, mais pas justes. Notre sagesse eut, dans ces murs, une leçon qui nous donna à
réfléchir pour le reste de notre vie. Les yeux du plus sage et du plus juste de notre temps se
fermèrent sur le souvenir de cette heure, et son esprit sur l’étude de ces vérités, entendues des lèvres
d’un enfant qui se révélait aux hommes, spécialement aux justes. Mes yeux ont continué à veiller, et
mon esprit à réfléchir, en coordonnant les événements et les choses... J’ai eu le privilège d’entendre
le Très-Haut parler par la bouche d’un enfant qui fut ensuite un homme juste, sage, puissant, saint,
et qui fut mis à mort justement à cause de ces qualités. Les paroles qu’il a dites alors ont pu être
confirmées par des faits arrivés plusieurs années après, à l’époque dite par Daniel... Malheureux que
je suis de n’avoir pas compris avant! D’avoir attendu le dernier terrible signe pour croire, pour
comprendre! Malheureux peuple d’Israël qui n’a pas compris alors et ne comprend pas, même
maintenant! La prophétie de Daniel et celle d’autres prophètes et de la Parole de Dieu continuent, et
elles s’accompliront pour Israël entêté, aveugle, sourd, injuste, qui continue de persécuter le Messie
dans ses serviteurs!»
«Malédiction! Tu blasphèmes! Vraiment il n’y aura plus de salut pour le peuple de Dieu si les
rabbis blasphèment, reniant Jéhovah, le Dieu vrai, pour exalter et croire un faux Messie!»
«Ce n’est pas moi qui blasphème, mais tous ceux qui ont insulté
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le Nazaréen, et continuent de le mépriser, en méprisant ses fidèles. Toi, oui,
tu le blasphèmes parce que tu le hais, en Lui et dans les siens. Mais tu as
parlé juste en disant qu’il n’y a plus de salut pour Israël. Mais ce n’est pas
parce qu’il y a des israélites qui passent dans son troupeau, mais parce que
Israë1 l’a frappé à mort, Lui.»
«Tu me fais horreur! Tu trahis la Loi, le Temple!»
«Alors dénonce-moi au Sanhédrin, pour que j’aie le même sort que celui que l’on va lapider. Ce
sera le commencement et la fin heureuse de ta mission. Et moi, à cause de mon sacrifice, je serai
pardonné de n’avoir pas reconnu et compris le Dieu qui passait, Sauveur et Maître, parmi nous, ses
fils et son peuple.»
Saul, avec un geste de colère, s’éloigne impoliment, pour retourner dans la cour qui donne sur la
salle du Sanhédrin et où continue la clameur de la foule exaspérée contre Etienne. Saul rejoint les
argousins dans cette cour, s’unit à eux, qui l’attendaient, et il sort avec les autres du Temple, et puis
des murs de la ville. Insultes, moqueries, coups, continuent à l’adresse du diacre qui avance déjà
épuisé, blessé, chancelant vers le lieu du supplice.
Hors des murs, il y a un espace inculte et pierreux, absolument désert. Arrivés là, les bourreaux
forment un cercle en laissant le condamné seul au milieu, avec des vêtements déchirés et couverts
de sang en plusieurs parties du corps à cause des blessures déjà reçues. Ils les lui arrachent avant de
s’écarter. Etienne reste avec une tunique très courte. Tous enlèvent leurs vêtements longs pour
rester avec les seules tuniques courtes comme celle de Saul, à qui ils confient leurs vêtements. Saul
ne prend pas part à la lapidation soit qu’il ait été impressionné par les paroles de Gamaliel, soit qu’il
sait qu’il est incapable de viser.
Les bourreaux ramassent des grosses pierres et des silex coupants qui abondent en ce lieu, et ils
commencent la lapidation.
Etienne reçoit les premiers coups en restant debout, et avec un sourire de pardon sur sa bouche
blessée. Un instant avant le début de la lapidation il a crié à Saul, occupé à rassembler les vêtements
des bourreaux: «Mon ami, je t’attends sur le chemin du Christ.»
A quoi Saul lui avait répondu: «Porc! Obsédé!» en unissant aux injures un vigoureux coup de pied
dans les jambes du diacre qui est sur le point de tomber par le coup et la souffrance.
Après plusieurs coups de pierre qui l’atteignent de tous côtés, Etienne tombe à genoux, appuyé sur
ses mains blessées et, se rappelant certainement un lontain épisode, il murmure en touchant ses
tempes et son front blessés: «Comme Lui me l’avait prédit! La
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couronne... les rubis... ô mon Seigneur, mon Maître, Jésus, reçois mon
esprit!»
Une autre grêle de coups sur sa tête déjà blessée l’allongent
complètement sur le sol qui s’imprègne de son sang. Pendant qu’il
s’abandonne au milieu des pierres, toujours sous une grêle d’autres pierres,
il expire en murmurant: «Seigneur... Père... pardonne-leur... ne leur garde
pas rancune pour leur péché... Ils ne savent pas ce que...» La mort coupe la
phrase sur ses lèvres. Un dernier sursaut le pelotonne sur lui-même et il
reste ainsi. Mort.
Les bourreaux s’avancent, lancent sur lui une autre charge de pierres sous lesquelles ils
l’ensevelissent presque. Puis ils reprennent leurs habits et s’en vont, en revenant au Temple, pour
rapporter, ivres d’un zèle satanique, ce qu’ils ont fait.
Pendant qu’ils parlent avec le Grand Prêtre et d’autres personnages puissants, Saul va à la recherche
de Gamaliel. Il ne le trouve pas tout de suite. Il revient, enflammé de haine contre les chrétiens, va
trouver les Prêtres, parle avec eux, se fait donner un parchemin avec le sceau du Temple qui
l’autorise à persécuter les chrétiens. Le sang d’Etienne doit l’avoir rendu furieux comme un taureau
qui voit du rouge, ou un vin généreux donné à un alcoolique.
Il va sortir du Temple quand il voit Gamaliel sous le Portique des Païens. Il va vers lui. Peut-être
veut-il commencer une discussion ou se justifier. Mais Gamaliel traverse la cour, entre dans une
salle, ferme la porte au nez de Saul qui, offensé et furieux, sort en courant du Temple pour
persécuter les chrétiens.

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