L'oiseau miraculeux

Javais une heure dattente pour le train de Cerbre, alors, pour viter la
cohue du hall principal de la gare, je choisis mclipser sur les quais,
dserts cette heure creuse de la matine. Et en effet, jtais le seul
pquenot tre assis sur un banc froid, dans ce havre de silence, planqu
entre deux hauts piliers pour fumer une cigarette tranquillement.

Cest alors quil mapparut, cet trange bonhomme, sur les quais infinis
den face. Il tenait dans ses deux mains, tendues devant lui, un volatile,
quelque pigeon sans doute. Et de la faon dont il le manipulait
dlicatement je compris quil avait trouv cette pauvre petite crature par
terre, quelque part dans la gare, et quil tentait de la sauver.

Jobservai son mange touchant, lorsquil atteignit une sortie des quais qui
donnait sur lextrieur, o slevait une sympathique haie de roseaux. Il
leva ses bras au ciel, vers la clart du jour, vers la vie et la libert puis il
lcha loiseau quil dsirait sauver, dans un geste grandiose et beau,
comme il a d sans doute le voir la tl.

Effectivement le piaf jet dans les airs voleta un moment, mais cet
imbcile, au lieu de slancer vers limmense et belle troue bleue, fit un
brusque retour vers les quais glauques et retomba stupidement plus bas,
carrment entre les rails. Je regardais cette scne captivante et
pathtique la fois, pathtique car lhomme sembla dpit, contrari dans
son bel lan de gnrosit. Il fit moult gestes vers lanimal perdu, mit
quelques bruits saugrenus, chuinta, siffla pour faire ragir loiseau ttu,
mais cet idiot de volatile restait immobile sur le ballast, promis une mort
certaine, horrible.

Maintes fois lhomme fit mine de partir, il nallait quand mme pas
descendre sur la voie interdite, mais son idal de hros tait le plus fort :
il regarda gauche, droite, et comme il croyait quil ny avait personne
pour le voir, il enjamba le rebord du quai, rsolu de sauver le pigeon
malgr lui. Le bonhomme fit deux pas chancelants vers la petite bte
quand soudain un vilain train de marchandises dboula du gouffre du
tunnel dans une vitesse denfer, sans crier gare, couvrant les gestes et les
cris dsesprs du malheureux, englouti dans le vacarme diabolique du
bolide.

Jen fus liqufi, ananti dhorreur, regardant le train disparatre
rapidement comme un ouragan dacier, emportant son fracas mtallique
au loin.Et cest alors que je vis loiseau miraculeux prendre son envol
vers le ciel bleu, dans un doux froufrou dailes.

Le train train quotidien