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MUSIQUES ACTUELLES

La bataille du raï
PAR SQUAALY

Musique du bled par excellence, le raï, aujourd’hui diffusé sur toute


la planète, est toujours célébré à Oran.
Place d’Armes à Oran, enlaçant l’un des deux le voyage. International ou pas, ils auraient été là
lions qui encadrent les marches d’escaliers de la de toutes façons. “C’est ici que ça se vit. C’est
mairie, Cheb Ghazi, un des invités de la XIe édi- d’ici que partent les réputations, explique Ghazi,
tion du Festival international de raï qui a démarré on ne peut jamais être loin d’Oran.” Pourtant le
le 2 août, s’enflamme pour sa ville : “Oran, c’est raï, à travers ses derniers succès, qu’ils soient
ma ville. C’est le cœur du raï”, avoue ce chanteur chantés par Khaled, Mami ou Faudel, est infidèle
et auteur-compositeur âgé de 38 ans, qui a fait le à sa ville. Son jus est aussi pressé désormais sur
grand saut en 1986 en venant s’installer en d’autres continents, comme pour mieux s’empé-
France, à Marseille. guer les ailes au contact de canons épisodiques
Cheb Ghazi n’a rien oublié de ses débuts, de son de la consommation à l’occidentale.
apprentissage “J’ai commencé à chanter dans les Musique rurale, le raï est le chant des Bédouins de
mariages à l’âge de 9 ans. Dès 14, 15 ans, j’ai l’Ouest algérien. Il est véhiculé au début du siècle
démarré ma carrière dans les cabarets”, se sou- dernier par les meddahates. Ces groupes constitués
vient-il, comme un toxico répéterait l’engrenage essentiellement de femmes, se produisent lors des
infernal des drogues dures. Fatalitas et dépen- cérémonies religieuses (baptême, mariage,
dance ! Pourtant ses parents ont tout fait pour décès…), où elles chantent des louanges à Dieu et
l’empêcher de prendre cette route. “Ils ne vou- au prophète Mahomet avec comme seul accompa-
laient pas que je chante, ils me frappaient. Les gnement des percussions (bendir, gallal). Il n’en
nuits dans les cabarets, l’alcool, la drogue, tout ça existe pratiquement pas d’enregistrement. Mais ce
leur faisait peur. Ils pensaient que j’allais vivre sont bien elles qui ont posé les bases d’un genre
dans le péché.” qui n’a cessé d’évoluer depuis. Dans les années
En ce début août, Ghazi n’est pas le seul cheb à trente, en parallèle de ces groupes de femmes,
arpenter la place d’Armes. Créé en 1985, le festi- apparaissent, dans les cafés et cabarets des bas-
val est le rendez-vous de tous les chanteurs de ce fonds des villes, des orchestres de chioukhs (vieux
genre qui a envahi le Maghreb et séduit de nom- au masculin pluriel) et des cheikhates (au féminin
breux pays à travers le vaste monde. Au théâtre pluriel). Jouant des percussions et soufflant dans
de verdure, le soir venu, dix nuits durant, les plus des gasbas, cette flûte de roseau au son fortement
jeunes viennent chercher sur scène l’adoube- identifiable que remplacera plus tard la trompette,
ment du public, en espérant décrocher rapide- ils développent un style plus poétique (pour ne pas
ment un contrat avec un éditeur pour dire paillard) que religieux, en vantant les plaisirs
l’enregistrement d’une cassette. Les plus vieux, de la vie, l’amour et l’alcool. Dans les cabarets, le
aux succès reconnus, sont là juste parce qu’un raï s’encanaille. La communauté juive d’Oran par-
succès populaire se partage toujours avec son ticipe à cette mutation. N’ayant aucune interdic-
public. Aujourd’hui, les stars ont pour nom Chei- tion quant à l’alcool, ils peuvent en servir dans
kha Nedjma, Houari Dauphin, Cheikha Khouira, leurs bars. Les musiciens juifs sont parmi les pre-
Cheb Djelloul ou Cheb Hindi. Chaque édition a miers à faire la jonction entre la musique arabo-
les siennes. Mais la nouveauté cette année est andalouse et la variété. Cette nouvelle poésie du
l’apparition du terme “international” dans l’inti- réel, ce blues du bled prend bien évidemment en
tulé de la manifestation. Miloud le Marseillais ou compte les expériences personnelles, les joies et
Cheb Ghazi de Marseille, Cheb Bloufa de Mont- les peines de ces paroliers du quotidien.
pellier, Cheb Bouaa d’Anvers en Belgique ont fait “C’est un chant bédouin traditionnel qui s’est

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urbanisé”, analyse Hadj Miliani, un universitaire diffusés à la télé algérienne les incitent à monter
algérien qui a co-écrit avec le journaliste Bouziane leur propre studio (une rareté à l’époque) dans leur
Daoudi (Libération) L’Aventure du Raï (coll. “Points ville natale. Ils créent un label. Rachid s’occupe de
Virgule”, Seuil). Décrié par les élites et le pouvoir, l’artistique en tant qu’ingénieur du son, tandis que
qui n’entendent là que l’expression spontanée de la Féthi gère l’administratif.
lie de la société, le raï invente ses propres codes et “En 1976, un éditeur de cassettes d’Oran m’a
ses propres stars. Les plus célèbres ont pour nom : envoyé un très jeune chanteur de raï, c’était Sah-
Cheikh Bourass, Cheikh Hamada, Cheikh raoui” racontait Rachid Baba-Ahmed à Nidam
Madani, Cheikh Adda, Cheikha Habiba, Cheikha Abdi1 et Bouziane Daoudi, deux journalistes de
Rabia, Cheikha Djénia et Cheikha Rimitti. Libération. “A l’époque, le raï ne me disait absolu-
C’est l’apparition de la cassette en Algérie qui, en ment rien. J’ai fait ça en musique synthétique. Je
court-circuitant les réseaux officiels de distribution, m’inspirais de Jean-Michel Jarre. C’était très neuf.
permet le développement de cette musique malgré Les gens n’avaient jamais ça entendu auparavant.
sa mauvaise réputation. Si, de peur du qu’en-dira-t- Tous les éditeurs sont venus me voir à Tlemcen,
on, certaines personnes hésitent à l’époque à se chez moi, en me disant : ‘Rachid, mon frère, fais-
rendre au cabaret, elles ont enfin, grâce à ce nou- moi ceci, fais-moi cela.’ Le succès de ces premières
veau support copiable à volonté, le loisir de savourer productions lança la mode. Par magie, le pop-raï
cette musique tranquillement à la maison. Le raï était sorti du chapeau.
profite donc de la cassette pour se développer et Pour bien comprendre cette époque, il faut savoir
réciproquement. Aujourd’hui encore, elle demeure, qu’avant l’avènement du pop-raï les enregistre-
malgré l’apparition du CD, le principal moyen de ments étaient réalisés dans des conditions rudi-
diffusion sur tout le continent africain. Commercia- mentaires : en une prise le plus souvent et sur un
lisés en Algérie, mais aussi dans toutes les échoppes deux-pistes au mieux. Producteur au look cas-
des ghettos à émigrés en France (Barbès à Paris, triste, Rachid Baba-Ahmed révolutionne la
Belsunce à Marseille, Paul Bert à Lyon), ces tubes en musique en Algérie. Il enregistre le chanteur puis
puissance ne sortiront pas de la communauté pose ensuite les instruments, piste par piste,
maghrébine où ils continuent de tourner sur des bidouillant alors les arrangements. Tous les chan-
cassettes sans âge au son 100 % roots. teurs, tous les éditeurs en pincent pour le pop-raï.
Si Oran est encore aujourd’hui la capitale du raï, Le public chaque jour plus nombreux impose son
c’est à Tlemcen, à cent vingt kilomètres à l’ouest de goût, que les éditeurs (équivalent algérien du pro-
cette dernière, qu’est né le pop-raï, le raï d’aujour- ducteur, du label), tentent de transformer en
d’hui, celui que les Européens ont appris à aimer. monnaie sonnante et trébuchante. L’heure est à la
Tout démarre au milieu des seventies dans le studio production à tous crins. Une boutade circule
d’enregistrement de Rachid et Féthi Baba-Ahmed. aujourd’hui encore pour décrire cette efferves-
Ces deux frères sont issus d’une famille de riches cence. “Quand un client demande une cassette de
bijoutiers tlemcéniens. Au lendemain de l’indé- tel chanteur à la mode, il n’est pas rare qu’une voix
pendance algérienne Rachid avait fondé Les Vau- lui réponde de derrière le comptoir : ‘Laquelle,
tours, un groupe de reprises rock et twist. A la fin celle du matin ou du soir ?’” “C’est étonnant
des années soixante, il se lance avec son jeune comme ces éditeurs, ces patrons de PME dont
frère Féthi dans un duo pop mêlant rythmes certains sont encore presque analphabètes ont su
modernes et variété algérienne. Quelques tubes inventer intuitivement un fonctionnement qui

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n’est pas si éloigné de celui des patrons de majors l’Algérie. Elle unifie toutes les régions (et plus lar-
companies et de leurs imposants services marke- gement tous les pays du Maghreb) autour d’un
ting”, avance Hadj Miliani. “Comme en Europe répertoire commun, où chacun selon son quartier,
ou aux Etats-Unis, dès qu’une nouvelle tendance sa ville ou sa wilaya peut s’approprier tel ou tel
s’affirme, ils s’empressent de signer tout ce qui cheb. Elle l’est aussi d’un point de vue économique
bouge, tout ce qui émerge. Il faut avoir l’artiste parce que sur la corniche oranaise, longue de
qui va défoncer la baraque, rembourser les frais quelques dizaines de kilomètres, on dénombre une
engagés sur ses confrères moins chanceux et sur- soixantaine de boîtes, qui emploient chacune plus
tout faire gagner de l’argent.” Les artistes l’ont de dix personnes, sans compter tous les chauffeurs
bien compris. N’espérant de leur producteur de taxi, vendeurs de cigarettes, de sandwichs ou de
aucune autre rémunération en cas de succès, ils calentica (spécialité culinaire à base de farine de
font eux jouer la loi de la surenchère et zappent pois chiche) qui vivent de cette activité nocturne. La
d’un éditeur à l’autre, d’où une inflation du fierté du peuple Algérien est aussi gratifiée par le
nombre d’albums. Tout est pensé, réfléchi. Les succès du raï à travers le monde. Qui aurait misé
meilleurs titres d’un album sont le premier et le sur des chansons chantées en arabe, il y a encore
dernier morceau, car facilement repérables sur vingt ans ? Qui aurait pu imaginer cette aventure
une cassette. Comme dans le show-biz en Occi- folle surtout aux heures les plus noires de l’inté-
dent, on peut chercher à construire les stars d’une grisme religieux en Algérie ? A l’heure du succès
saison. Mais là, plus qu’ici encore, c’est le public de quelques-uns, c’est toute une génération qui se
qui fait la loi. met à rêver à des jours meilleurs. Pourtant le raï
Après l’explosion en Algérie, l’onde de choc remue n’a rien résolu. Il a juste mis sur la table les pro-
naturellement la France et l’Europe. Clandestin, blèmes et les angoisses trop longtemps dissi-
embarqué dans les valises des travailleurs immi- mulés d’une jeunesse, d’un pays qui n’a obtenu
grés algériens, pendant de nombreuses années, le son indépendance qu’il y a tout juste quarante
raï attendra le milieu des années quatre-vingt pour ans. Ne nous trompons pas, quand Cheb Hasni et
débarquer en France avec un visa dûment tam- Chaba Zahouania chantent l’amour dans des
ponné. Depuis, tout comme les bardes bretons des cabanes déglinguées (“La Baraka”), ce n’est pas
bandes dessinées, il fait danser les “Gaulois” et que par goût de l’interdit, mais surtout pour poin-
passionne la terre entière. Khaled est connu jus- ter du doigt les mauvaises conditions de loge-
qu’au Brésil. Son “Didi” a fait le tour de la planète. ment. Un double langage, qui permet de mieux
Martin Meissonnier, qui avait produit son premier saisir la portée et le succès du raï.
vinyle sur le marché européen, revient en cette fin
d’année 2001 avec Big Men, un album produit par
le label français de reggae Tabou et distribué par
Virgin. Cette nouvelle production aventureuse
réussit le pari de la rencontre entre reggae et raï ;
deux musiques qui ont plus de points communs
en matière de réalisation et de distribution que de
kilomètres entre elles deux.
Dancehall à Kingston, cabaret sur la corniche ora-
naise. Les musiciens qui ont accompagné tous les
groupes durant les dix soirées du festival cet été – à
l’exception des quelques rappeurs venus avec leurs
bandes – nous rappellent ces musiciens de studio,
tourneurs de riddims en Jamaïque qui sont de toutes
1. Nidam Abdi dirige par ailleurs la collection de CD Barbès Café
les productions du label auquel ils sont attachés. pour Night & Day, collection dont le but est de “rendre hommage
Aujourd’hui cette musique est un vecteur fort pour aux femmes et aux hommes qui ont participé depuis la deuxième
guerre à faire de Paris une capitale des musiques du monde”.

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s’ingéniaient à leur sectionner), souvent galvaudé : World Beat.


DISQUES jetant un pont définitif entre les
cultures. Mais c’est aussi le “F…
Traduire approximativement :
tempo du monde ?
You” punk, signe de ralliement I-Quality/nocturne
Ghalia Benali & Timnaa, des révoltés sociaux, mouvement
Wild Harissa dont est issu Aki Nawaz, leader de
Fun>Da>Mental et patron du
label Nation Records ; label qui a A LIRE
lancé quelques-unes des
pointures de la musique actuelle René Robert,
(Transglobal Underground,
Natacha Atlas, Asian Dub
Foundation…).
There Shall Be Love ! est la
démonstration parfaite des liens
qui peuvent unir musique
électronique et musiques
traditionnelles de tous horizons,
Violons virtuoses, guitares s’enlaçant l’une l’autre sur une
flamencas, percussions arabes, communauté rythmique,
Ghalia Benali, chanteuse d’origine unissant mélopées vocales et
tunisienne, de sa voix rauque, nappes synthétiques.
émotionnelle et expressive, définit
ainsi son nouveau projet : “Une
musique arabe enveloppée dans
de nouvelles formes, parfois La Rage et la Grâce
festive, jamais profane, de temps “L’une des qualités les plus
à autre élégiaque, romantique, émouvantes de la photographie
même classique médiévale, et est bien celle de fixer l’éphémère,
puis de nouveau fougueuse, de laisser détailler le fugace, l’état
excessive – un visa global pour de de grâce, la vitalité rageuse.”
nombreuses cultures, un René Robert, photographe de
microcosme dans lequel les référence du monde flamenco,
siècles se réunissent pour créer rend hommage à quelques figures
quelque chose de nouveau.” Le de ce monde dans son livre La
répertoire balaie les rives de la Rage et la Grâce, suite et
Méditerranée, passe par les En témoignent les invités actualisation de l’album
Balkans pour revenir au Maghreb. exceptionnels participant à ce Flamencos, aujourd’hui épuisé
Network/harmonia mundi projet transcontinental : Rizwan- paru aux éditions Alternatives en
Muazzam Qawwali Group (petits- 1993. Chano Lobato, La Macanita,
neveux de Nusrat Fateh Ali Khan), Enrique Morente, Carmen
FUN>DA>MENTAL, Ghulam Hassan Shaggan (maître Linares, José Mercé, Antonio
There Shall Be Love ! du chant traditionnel Bara-Khyal Carrasco, Maria Vargas,
La sensation londonienne du du Pakistan), Bapi Das Baul Duquende, El Pele, Camaron de la
moment sort son nouvel album ! (représentant du style Baul du Isla, Pepe Habichuela, Paco de
There Shall Be Love ! Traduire Bengale), Huun Tuur Tu (groupe Lucia, Paco Cortes, José Luis
approximativement : “il y aura de référence de la tradition Tuva, Monton, Diego Moreno, Manolo
l’amour”, ou “l’amour viendra”. Le Mongolie), Zamo Mhbuto & Franco, La China… pour n’en citer
disque a un visuel provocant. Comrades (choral d’Afrique du que quelques-uns. Avec la
Préparé évidemment avant le Sud) et Mahalia Jackson (grande présentation luxueuse sur 160
11 septembre 2001, il a et n’a pas à voix américaine du gospel) pages de 128 artistes (62
voir avec les événements habilement samplée. Le tout chanteuses ou chanteurs, 26
tragiques. Un enfant du Pakistan sublimement et subtilement mixé guitaristes, 40 danseuses et
récupère le symbole de révolte de par Aki Nawaz. danseurs), ce livre offre le
ses conquérants historiques Plus que la fusion parfaite entre panorama le plus complet de la
(doigts tendus des légendaires musique traditionnelle et scène flamenca contemporaine.
archers anglais que leurs ennemis musique électronique, cet album Éditions Alternatives, 2001
délivre l’authenticité d’un terme
C.P.

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