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LA CONCEPTION EUROPEENNE DU SERVICE

PUBLIC BOULEVERSE T’ELLE LA CONCEPTION


FRANCAISE ?
HLIOUA RABIE
Droit Public Economique
« L’apparition de la théorie du service public, « … » a (fait) se produire un
véritable basculement. Cette affirmation est historiquement datée. Elle coïncide avec les
progrès du libéralisme politique et des idéologies solidaristes. Elle traduit, dans le registre du
droit, l'effort conduit au niveau politique pour consolider le pacte républicain »1

En droit français, on parle de théorie générale du service public. C'est déjà souligner que
la notion de service public occupe une place à part en droit français. A la base de toutes les
notions du droit administratif, il est un élément structurant de l'action administrative et plus
largement de l'action publique. C'est qu'en droit français, et de l’avis de tous, le service public
est plus qu'un concept juridique, c'est avant tout une idée, dont certains auteurs se sont
emparés pour développer une philosophie de l'Etat et partant, des obligations assignées à
l'Etat. Certains auteurs2, distinguent parmi toutes les conceptions du service public en Europe
les conceptions « valorisantes » et les conceptions « banalisantes » ; les premières sont
fortement idéologisées et la France en est le modèle type ; les secondes, au contraire, partent
d'une approche fortement pragmatique sans contenu idéologique3.

Dans cette conception, le service public est à la fois une mission, des prestations offertes au
public, des structures chargées de fournir ces prestations et un régime (le droit public) ; on
peut ajouter qu'il est aussi une compétence (celle du juge administratif4). Cette notion
juridique « globalisante » se justifiait d'ailleurs à une époque où effectivement,

1
Extrait du Rapport public pour 1994 du Conseil d’État, Service public, services publics : déclin ou
renouveau, EDCE, n° 46, la Documentation française, 1995, pp. 15-125.
2
F. Moderne et G. Marcou « L'idée de service public dans le droit des Etats de l'Union européenne »,
L'Harmattan, 2001
3
C’est le cas du droit anglais
4
Arrêt Tribunal des conflits 8 février 1873, Blanco ; « Considérant que la responsabilité, qui peut incomber
à l'État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service
public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil, pour les rapports de
particulier à particulier, que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue; qu'elle a ses règles
spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les
droits privés; que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, I'autorité administrative est seule
compétente pour en connaître ».
l'administration se définissait essentiellement par rapport à des personnes publiques à qui l'on
appliquait exclusivement un droit dérogatoire, le droit administratif.

L'originalité de la théorie générale du service public (et de ses émanations) est telle en droit
français que l'on parle depuis quelques décennies de « service public à la française ». Cette
dernière référence est souvent utilisée dans les débats institutionnels et politiques. La notion a
été redécouverte par le Conseil d'Etat lui-même qui s'en est emparé : après son rapport public
de 19945.

Il semble intéressant de faire remarquer que, la notion de service public industriel et


commercial (SPIC) ne peut se comprendre que replacée dans la théorie générale du service
public. C'est en effet une émanation de la théorie du service public, d’aucuns d’ailleurs, en
parle comme d’une traduction juridique de la dite théorie. Plus précisément, le SPIC apparaît
comme un « moyen d’instrumentalisation du service public » à l'époque de
l'interventionnisme naissant. L'activité de service public est devenue progressivement le
vecteur de l'action économique publique. Justifiant cet interventionnisme, il s'est identifié à la
notion de SPIC qui a permis aux personnes administratives de se constituer un vaste secteur
industriel et commercial. Dans ce contexte, le SPIC apparaît bien comme une traduction de
l’activisme du service public, comme un instrument économique auquel, au demeurant, le
juge a par la suite attaché un certain nombre de conséquences juridiques.

Insistant sur l'ancrage historique de l'idée française de service public, le rapport 6 du vice
préside du Conseil d’Etat, Renaud Denoix de Saint Marc remis au Premier ministre de
l’époque, évoquait cette notion de « service public à la française » et avait invité à s'interroger
sur la compatibilité de la notion avec la construction européenne. A notre tour, il est légitime
nous interroger ; la conception européenne du service public bouleverse t’elle la conception
française ? et dans la perspective d’une réponse affirmative, de se demander, dans quelles
mesures, au regard des impératifs européens, cette conception française du service public à
t’elle mutée7 ?

5
« Service public-services publics : déclin ou renouveau ? »
6
Intitulé « Le service public », La documentation française 1996, et remis au Premier ministre
7
Synonyme ici de ‘’Bouleverser’’
Expression juridique d’une certaine philosophie nationale (I), le service public dit « à la
française », comme instrument d'intervention économique est aujourd’hui contesté comme
jamais. Le SPIC, pour ce qu'il est et pour ce qu'il entraîne (régime monopolistique) est
confronté directement aux exigences du droit de l'Union européenne et plus exactement aux
règles de la concurrence8 de l'Union européenne, ce qui va, au total, révéler une nécessaire
adaptation et un réajustement de la notion (II).

I. Le « service public à la française », expression juridique d’une philosophie


historique, sociale et républicaine

Il semble convenir de rappeler que, l'idée de service public s'est construite en deux temps :
d'abord conçue comme une philosophie de l'Etat sous l'impulsion de Duguit, elle acquiert,
grâce à ses disciples, une consistance juridique (A). Par ailleurs la confrontation certaine du
droit de l'Union européenne et du service public est une question passionnée, à forte charge
symbolique9.

A. un service public ancré dans les mœurs de l’Etat français

Pour bien comprendre la généalogie du service public en droit français, il faut, à l'instar
de certains auteurs10, parler de deux générations de service public. La construction de cette
notion n'est pas linéaire. Elle a d'abord été un concept idéologique (ce qu'elle est encore)
correspondant à une certaine conception de l'Etat (1), avant de devenir un instrument
d'intervention économique de l'Etat (2).

1) le service public comme fondement d’une certaine conception de l’Etat

La conception française du service public, est très tôt « globalisante et systématique »11.
La notion de service public est en effet devenue un concept de réflexion juridique et surtout
de théorie politique de l'Etat ainsi qu'un modèle de relations entre l'Etat et les citoyens. Cette
conception idéologique est le fait de l'Ecole de Bordeaux sous la houlette du Doyen Duguit

8
art. 101 et s. TFUE (traité sur le fonctionnement de l'union européenne)
9
Derrière cette question juridique se cache, on le sait, un arrière fond très politique : la confrontation de la
souveraineté nationale et du droit supranational (droit de l'Union européenne...)
10
H. G. Hubrecht, « Droit public économique », p.159 et s.
11
Pierre Delvolvé, « Droit public de l'économie » Dalloz, 1998
(1859-1928). Duguit est parti d'une théorie de l'Etat particulière pour ensuite insérer une
théorie du service public, conçue comme une limitation à la toute puissance de l'Etat. Il
considère que l'Etat serait un phénomène social et non une volonté supérieure ; en
conséquence, il est limité par un droit dit objectif, c'est-à-dire un droit issu de la société elle-
même qui lui est supérieur et extérieur ; ce droit objectif serait issu des exigences sociales et
de la solidarité. C'est alors que prend corps sa théorie du service public : pour parvenir à cet
encadrement de l'Etat par le droit objectif, l'élément déterminant doit être la notion de service
public. Cette dernière permettrait de limiter le champ d'action et les moyens de l'Etat, de les
soumettre à des contraintes de but : il n'y a alors plus de place pour une puissance étatique aux
prérogatives inconditionnées. Plus tard les disciples de Duguit vont tirer toutes les
conséquences juridiques de son œuvre, sous la conduite de G. Jèze. Un autre des disciples de
Duguit, L. Rolland donnera également un contenu juridique du service public à travers la
définition d'un certain nombre de principes, les lois de Rolland. De ces apports, il en ressort
une traduction juridique de l'idée de service public qui a trois caractéristiques. D'abord, la
notion de service public devient l'élément clé du droit administratif et, par là, de la
détermination de la compétence du juge administratif. Jusqu'au début du XXe siècle, la
matière administrative et donc la compétence du juge administratif était définie par rapport
aux moyens utilisés par l'administration, les prérogatives de puissance publique : ce critère a
été dégagé par Barthélémy et Laferrière, à partir de l'arrêt Blanco de 1873, et débouchait sur
une distinction entre les actes d'autorité, pris en vertu de prérogatives de puissance publique et
relevant de la compétence du juge administratif, et les actes de gestion, qui, en l'absence de
toute référence à ces prérogatives, étaient de la compétence du juge judiciaire. L'école de
Bordeaux réinterprétera l'arrêt Blanco (qui mentionne la notion de service public). Ils
entendent se fonder sur la notion fonctionnelle de service public pour élargir le champ de
compétence du juge administratif12. Ils font du service public, la notion clé de la
détermination de la compétence du juge administratif et la notion explicative du droit
administratif. D'ailleurs, toutes les notions du droit administratif seront réexaminées à l'aune
du service public : acte unilatéral, contrat, domaine public, travail public, ou même
responsabilité.

2) le SPIC comme instrument optimal de l’Etat interventionniste

12
Voir, CE 6 février 1903, Terrier ; TC 28 février 1908, Feutry ; CE 24 mars 1910, Thérond
« Le service public à la française n'est pas seulement une notion idéologique, elle devient
aussi par la suite une notion instrumentale »13: elle sert à justifier une forme d’activisme
politique et d'interventionnisme économique. Le SPIC apparaît dans un contexte historique
précis : il correspond au passage de l'Etat libéral colbertiste (ou Etat gendarme) à l'Etat
entrepreneur (ou Etat providence). Il apparaît au moment où les pouvoirs publics modifient
l'appréhension du rôle de l'Etat dans l'économie. C'est le début de l'interventionnisme après la
1ère Guerre mondiale.

Notons que le SPIC est avant tout une notion jurisprudentielle14. Dans l'arrêt Bac d'Eloka15, le
juge des conflits n'utilise pas l'expression de SPIC. L'expression apparaît en réalité
progressivement. Elle apparaît en jurisprudence dans un autre arrêt de 1921, l'arrêt Sté
générale d'armement16. L'expression de SPIC sera ensuite systématisée par les membres du
Conseil d'Etat à partir des années 30. Le plus important ici est que la notion de SPIC va
emporter une double conséquence. La première porte sur la nature du droit applicable : en
principe, le régime est entièrement soumis au droit privé et donc à la compétence du juge
judiciaire. La deuxième conséquence a trait à l'organisation même des SPIC surtout les grands
SPIC nationaux (transport aérien et ferroviaire, poste et télécommunication, gaz et électricité).
C'est là certainement que l'on peut parler de « service public à la française » et de « notion

13
M.Lombard
14
Elle apparaît avec l'arrêt du TC 22 janvier 1921, Bac d'Eloka. Cette décision consacre la scission de deux
catégories de services publics : les services publics administratifs et les services publics industriels et
commerciaux. Avant cette décision, bien des services publics qui allaient devenir des SPIC existaient déjà
(eau, transport...) mais leur régime juridique ne se différenciait pas de celui des autres services publics qui
allaient devenir des SPA. Si la notion de SPIC est apparue dans les années 20, il existait quelques
prémisses puisque déjà, on s'était demandé si une personne publique ne pouvait pas utiliser des procédés
de gestion privée. C'était le sens des conclusions de Romieu sur l'arrêt Terrier du 6 février 1903 : le
commissaire du gouvernement introduisit la distinction entre gestion publique et gestion privée et admet
que la personne publique peut agir comme une personne privée dans les conditions du droit commun.
C'était aussi le sens de l'arrêt Sté des granits porphyroïdes des Vosges (CE 31 juillet 1912) qui admet que
la personne publique peut recourir à un contrat de droit privé. L'arrêt Bac d'Eloka va plus loin puisqu'il
reconnaît la possibilité d'une gestion privée d'un service public. Cet arrêt reconnaît qu'il existe des
services ' qualifiés ensuite de SPIC ' exploités par des personnes publiques (en l'espèce régie directe d'un
service de bacs) et qui, par leur objet et les conditions d'exploitation, sont semblables à des activités
privées. En conséquence, rien ne justifie que ces services soient soumis au droit administratif et au juge
administratif. Au contraire la similitude de ces SPIC avec des entreprises privées impose de les soumettre
au droit privé et au juge judiciaire. Matter fait d'ailleurs une distinction essentielle entre SPA et SPIC
fondée sur la nature des activités : pour Matter, « certains services sont de la nature, de l'essence même
de l'Etat ou de l'administration publique ; il est nécessaire que le principe de séparation en garantisse le
plein exercice, et leur contentieux sera de la compétence administrative. D'autres services au contraire
sont de nature privée et s'ils sont entrepris par l'Etat, ce n'est qu'occasionnellement (...) ; les
contestations que soulève leur exploitation relève naturellement de la juridiction de droit commun '. Cette
nouvelle distinction suscite deux remarques. »
15
Arrêt du Tribunal des Conflits, 22 janvier 1921, Bac d'Eloka, (voir note de bas de page 10)
16
CE 23 décembre 1921, où le service des assurances maritimes est qualifié de « service industriel public »
instrumentale du service public »17 à travers cette théorie du SPIC. Pourquoi ? D'abord parce
qu'il permet aux personnes publiques de se mêler d'activités normalement dévolues au privé
tout en ayant la qualité de service public : le SPIC permet ainsi d'investir l'espace industriel et
commercial. Ensuite parce qu'il permet d'autant plus de l'investir que les SPIC nationaux ont
été organisés de telle manière qu'ils peuvent jouer ce rôle interventionniste. En effet, ces SPIC
nationaux ont acquis très vite, et dès la fin de la 2nde guerre mondiale, une organisation
particulière. Cette organisation possède quelques caractéristiques :

 Le premier est relatif à la gestion directe du service par l'Etat ou par une personne
sous tutelle directe de l'Etat.
 La deuxième caractéristique est relative à la grande intégration de ces services
rendus par une seule entreprise exploitant sous monopole des réseaux et activités
commerciales afférentes.
 La troisième caractéristique a trait au personnel de ces SPIC : ils sont en général
soumis au statut de la fonction publique.

Ces traits ont caractérisés tous les grands SPIC français après la guerre qui ont constitué de
grands monopoles fermés totalement à la concurrence. il semble de convenance de noter que
cette organisation particulière des SPIC appelle deux remarques ;

Remarque 1 - La France n'est pas spécifique contrairement à ce que


l'on peut croire. Cette organisation a caractérisé l'organisation de
l'économie de la quasi-totalité de l'Europe occidentale après la
seconde guerre mondiale. Mais ce qui a de spécifique, c'est que cette
constitution des grands monopoles se soit faite dans le cadre de la
théorie du service public et plus exactement dans le cadre d'une de
ses traductions, le SPIC. Seule la notion de SPIC pouvait justifier une
telle organisation puisqu'elle se rattache à la notion et aux lois du
service public. Par ailleurs, il faut relever que le régime
monopolistique fait l'objet en France d'une véritable «mystique»,
comme le service public lui-même. D'ailleurs, l'atteinte à ce régime
est analysée souvent comme une atteinte au service public lui-même.

17
Gérard Marcou, Franck Moderne, in « Droit de la régulation, service public et intégration régionale »,
2005
Remarque 2 – Comme le rapporte Jacques Chevallier « le régime
monopolistique n'est pas naturel. Ce n'est en aucun cas une loi du
service public (comme l'égalité, la continuité...). C'est d'ailleurs un
paradoxe : le régime de monopole intervient au moment même où
s'affirme le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et de
la liberté d'entreprendre (…) et l’auteur de poursuivre, « mais ce
régime répond à certains soucis des pouvoirs publics : souci de
protection de certains services contre la concurrence privée
(notamment ceux non rentables) limitant de fait la liberté du
commerce et de l'industrie.»18

L'intégration d'activités spécifiquement économiques dans le service public ont procédé de


raisonnements éminemment politiques dans la mesure où le monopole a permis de préserver
une forme de souveraineté sur des activités économiques. Et c’est ce régime monopolistique
qui est aujourd'hui fortement contesté, et est d'ailleurs en voie de démantèlement sous
l'influence du droit de la concurrence tant d'origine national (ordonnance 1er décembre 1986
sur la liberté des prix et de la concurrence19) que communautaire.

B. la contestation idéologique du « service public à la française » par un droit


européen néo-libérale

Des le premier abord, il semble y avoir une évidente et irréductible opposition originelle entre
les conceptions françaises et les conceptions européennes du service public (1). En réalité, le
droit communautaire connaît deux notions au départ, assez antinomiques avec la notion
française de service public (2).

1) l’irréductible opposition première entre les conceptions françaises et européennes

18
Jacques Chevallier, « le service public », 1997
19
Le droit français de la concurrence a été instauré par l'ordonnance du 1er décembre 1986. « Les prix des
biens, produits et services relevant antérieurement de ladite ordonnance sont librement déterminés par le
jeu de la concurrence ». L'ordonnance a institué le Conseil de la concurrence, remplacé depuis 2009 par
l'Autorité de la concurrence4. Ses dispositions ont été codifiées dans le livre IV (articles 410-1 à 470-8)
du Code de commerce.
Certes, le traité de Rome est plutôt muet sur la question : les pays européens étant
différents quant à leurs conceptions des missions d'intérêt général, ils préfèrent laisser le droit
communautaire dans l'imprécision. Quelques articles comportent des allusions à la notion de
service public mais ils ne sont pas décisifs. L'art 93 TFUE20 sur transports évoque « les
servitudes inhérentes à la notion de service public » : c'est la seule référence explicite à la
notion ; de même que selon la doctrine l'art. 45 TFUE21 relatif à la libre circulation des
travailleurs mentionneraient, l'administration au sens organique du terme, ce qui pourrait viser
le sens organique du service public.

Il y a d'abord la notion de service d'intérêt économique général (SIEG) de l'art. 106§2


TFUE. Cette notion apparaît très restrictive dans le traité puisqu'elle n'est relative qu'au
champ d'application du droit de la concurrence : les entreprises chargées de la mission d'un
SIEG sont soumises aux règles de la concurrence dans les limites où l'application de ces
règles ne fait pas obstacle à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière
qui leur est impartie. La notion apparaît comme une dérogation à l'application des règles de la
concurrence. L’exclusion des SIEG est très encadrée. D'emblée, cette notion parait n'avoir
aucune vocation légitimante ou positive : c'est un « concept minimal, dérogatoire à l'image
négative »22, « Il fait même figure de gêneur »23 selon l'expression de L. Boulouis et C.
Blumann.

D'ailleurs, on peut relever que dans les premiers temps, la CJCE ne lui a donné aucun
contenu; la dérogation qu'elle représente devait être strictement interprétée. Elle recouvre
alors quatre éléments : la qualité d'entreprise (au sens matériel du terme) ; une activité
économique (activités de caractère industriel et commercial), ce qui exclut les activités de
puissance publiques et les missions de solidarité (qui ne sont pas comprises dans les notions
d'entreprise soumise au droit de la concurrence) ; l'investiture étatique résultant d'un acte de
puissance publique ; une mission d'intérêt général. Cette dernière condition est appréciée de
manière étroite traditionnellement : elle devait présenter un caractère suffisamment spécifique
par rapport aux activités d'une entreprise privée ordinaire24. Jusque au début des années 90, le

20
ex 73 TCE
21
ex art. 39 TCE
22
L. Boulouis et C. Blumann, Droit matériel de l'Union européenne, Montchrestien, 5ème éd. 2009, p. 616
23
Ibidem
24
CJCE 10 décembre 1991, Porto di Genova
droit communautaire prenait visiblement donc peu en compte les contraintes de service
public.

Il y a ensuite cette notion de service universel qui apparaît dans les années 80. Cette
notion diffère de la notion de SIEG au départ tout au moins. Cette notion est d'origine
américaine25 et s'y applique dans le secteur des télécommunications : elle vise des prestations
de base offertes au grand public dans certains secteurs. La notion est donc avant tout
sectorielle. C'est d'ailleurs comme telle qu'elle apparaît en droit communautaire. La mention
apparaît pour la première fois en 1987 dans le Livre vert de la Commission sur les
télécommunications : elle correspond aux prestations minimums qui devraient être remplies.
Depuis, on constate que la notion est fréquemment utilisée dans la politique de régulation des
grands réseaux26. La notion a été par la suite précisée, elle définit en réalité des obligations
standards, un minimum de principes à respecter. Ces derniers sont au nombre de trois : accès
ouvert à tous ceux qui en font la demande dans un territoire déterminé, prestation présentant
un niveau de qualité fixé au préalable, service rendu à prix abordable.

2) deux visions a priori antinomiques du service public

On voit bien que ces deux notions sont antinomiques du service public à la française. Ce
dernier est une idée générale, plus qu’un fondement juridique27historique, une mentalité
républicaine et sociale; le SIEG est presque comme une notion accidentelle, une limite de
circonstance. Le service public implique des conséquences fortes (ce sont les lois du service
public), le service universel n'implique que des conséquences minimales et, au surplus,
d'inspiration très libérale. Pour résumer, on peut ainsi caractériser l'opposition irréductible
entre les obligations engendrées par le service public français et celle engendrées par le
service universel communautaire : les premières sont fondées sur un principe de solidarité
nationale, ce qui implique la société toute entière, c’est l’idée même du pacte républicain,
elles sont donc objectives ; les secondes sont davantage fondées sur un principe de

25
La notion d' « Universal service » existe aux Etats-Unis depuis le début du XXe
26
Voir récemment notamment la 3ème directive postale qui a été adoptée le 31 janvier 2008 et transposée en
droit français par la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux
activités postales
27
Arrêt BLANCO (TC 08/02/1873) consacre l'autonomie du droit administratif. De plus cet arrêt donne une
définition du service public: il s'agit d'une activité d'intérêt général exercée par ou sous le contrôle de
l'administration.
citoyenneté européenne, elles sont donc plus tournées vers les droits de l'usagers (ou plutôt
consommateur), elles sont en quelque sorte subjectives.

Si certains auteurs s’accorde pour dire que « la notion de service public n’est pas en tant que
telle, une source de conflit entre la communauté et la France, car disent ils, il n’existe pas de
déférents majeurs entre l’Etat et la commission en ce qui concerne la définition du service
public »,28 il est pourtant évident que la mentalité d’une Europe libérale ou les enjeux de la
libre concurrence et de la liberté de commerce et d’industrie sont primordiaux, la conception
européenne du service public a tendu à impacter la vieille conception française. En droit
interne, deux courants s'affrontent. Le premier est très critique à l'égard du droit
communautaire, il est incarné par le rapport public du Conseil d'Etat de 199429 pour qui
« l'Europe n'instruit pas le procès du ou des services publics ; elle fait pire, elle ignore
largement la notion de service public et l'existence des services publics »; le second, lui, est
plus conciliant et tente une synthèse, il est incarné par le Colloque de Strasbourg tenu en
199630, qui a tenté de définir un ‘’service public européen’’ respectueux des intérêts généraux
des Etats et des individus. En réalité, il y a deux temps qui se sont succédé : un temps de
l'opposition et un temps de rapprochement qui est en oeuvre depuis maintenant quelques
temps31. Et la réponse n’est pas venue seulement de l’attitude française, mais bien plus, de la
Cour de justice des communautés européennes qui par deux arrêts, en 1993 et 1994, va laisser
entrevoir possibilité de « l’existence d’une conception du service public correspondant
matériellement à ce qu'on fait en France, et qui s'insère dans le droit de l'union
européenne »32.

II. Un bouleversement à relativiser ? : les tentatives pragmatiques de conciliation

On constate depuis quelques années quelques signes forts de rapprochement tant du côté du
droit communautaire33(A) que du côté du droit français (B).

28
Pour une citoyenneté européenne: quels services publics? Par Pierre Bauby,Jean-Claude Boual
29
Service public-services publics : déclin ou renouveau ?, La documentation française 1995
30
Service public et Communauté européenne : entre l'intérêt général et le marché
31
S. Rodrigues, Les services publics locaux face au droit communautaire, La documentation française, 2007
32
Gilles GUGLIELMI, Professeur à l'université Paris-II, in La conception du service public « à la française
»
33
«Union Européenne»
A. les transfigurations des concepts Européens: l’assouplissement de la
position européenne

Il y a une volonté de tenir compte des exigences d'un service public européen que les acteurs
communautaires s'efforcent de construire. Cette volonté se réalise de deux manières.

1) la transformation de la notion de SIEG, comme prise de conscience des logiques


nationales

Il y avait tout d'abord la volonté depuis plusieurs années de donner un contenu substantiel
à la notion de SIEG. Il s'était agit de définir cette notion non plus dans un sens négatif de
dérogation exceptionnelle aux règles de la concurrence, mais dans un sens constructif de prise
en compte d'une mission de service public. Cette attitude est d’ailleurs palpable dans la
jurisprudence de la CJCE qui a semblé plus ouverte vis-à-vis de la notion SIEG. L'arrêt
Corbeau de 199334, va venir admettre que l'existence d'un droit exclusif pouvait être admis
dans la mesure où des restrictions, voire une exclusion de toute concurrence de la part d'autres
opérateurs économiques, sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission
particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires de droits exclusifs. Cet arrêt admet la
mise en place de mécanismes de péréquation35 dans un but d'intérêt général, mécanisme qui
est à la base du service public français. Dans l'arrêt Commune d'Almelo de 199436, la CJCE
est venue étendre cette jurisprudence. Elle va réaffirmer la possibilité de mise en place de
mécanismes de péréquation entre activités rentables et activités non rentables. Mais elle est
allé même plus loin car elle avait indiqué qu'il fallait tenir compte, pour apprécier la capacité
de l'entreprise à déroger aux règles de la concurrence, de la totalité des contraintes d'intérêt
général, y compris les préoccupations de préservation de l'environnement et plus largement
l'ensemble des contraintes économiques dans lesquelles se trouve l'entreprise. La Cour
s'appuie donc ici pour apprécier l'activité de SIEG sur un critère objectif : la soumission par
l'Etat de l'activité à des obligations spécifiques de services publics. Ces deux arrêts marquent
une évolution dans l'appréhension de la notion de SIEG : le juge s'intéresse plus aux
contraintes résultant de la mission d'intérêt général que des limitations qu'elles engendrent

34
CJCE 19 mai 1993, relatif à la compatibilité du monopole postal belge qui institue un droit exclusif de
ramassage de transport et de distribution avec le traité de Rome
35
Notons que la péréquation désigne la compensation entre le service rentable et le service non rentable.
36
CJCE 27 avril 1994, relatif à une entreprise d'électricité néerlandaise bénéficiant d'un droit exclusif.
pour la concurrence et cette jurisprudence fut réitérée dans les arrêts Deutsche Post37 de 2000
et l’arrêt Poste italiane de 200138. Cette jurisprudence s’est vue renforcée par la position
ouverte prise récemment par le juge communautaire à l'égard des compensations pour charge
de service public accordées à certaines entreprises par l'Etat. Le problème etait en effet de
savoir si ces compensations sont qualifiables d'aides publiques et donc sont soumises à la
réglementation de l'ancien article 87 du TCE39. La Cour a rendu un arrêt important en 2003,
l’arrêt Altmark Trans40, où elle confirme qu'une subvention accordée pour compenser une
obligation de service public n'est pas une aide d'Etat. La CJCE avait fixé alors 4 conditions :
l'entreprise bénéficiaire doit avoir été chargée de l'exécution d'obligations de service public
clairement définies ; les paramètres sur la base desquels a été calculée la compensation
doivent avoir été établis de manière objective et transparente ; la compensation ne doit pas
dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts ; le niveau de la compensation doit avoir
été déterminée sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne aurait eu à
supporter. Cette solution a été précisée par la CJCE dans son arrêt du 20 novembre 2003
GEMO, mais cet arrêt fixe une limite : une mesure étatique de financement d'un service
public constitue une aide d'Etat dès lors que le service public est fourni à titre gratuit. Cette
position sur les compensations pour charge de service public va véritablement dans le sens
d'une prise en compte par la CJCE de la notion de service public41.

De manière très récente, les « pouvoirs publics communautaires » vont plus loin que la
simple volonté de donner un contenu à la notion de SIEG. L'effort communautaire se porte
également sur la nouvelle dimension donnée au SIEG. Cette notion n'a plus simplement une
vocation économique, elle peut avoir une dimension politique, idéologique. C'est l'aspect le
plus novateur du droit communautaire : il s'agit de construire une Idée communautaire du
SIEG, d'en faire un élément de cohésion sociale communautaire à l'instar du service public à
la française. Est-ce alors réellement la conception européenne du service public qui
bouleverse la conception française ou l’inverse (?).

Le traité d'Amsterdam avait ainsi introduit un nouvel art. 16 TCE qui consacre cette vision
politique et structurante de la notion.

37
CJCE 10 févr. 2000, Deutsche Post
38
CJCE 17 mai 2001, Poste italiane
39
nouvellement article 107 du traité sur le fonctionnement de l'UE
40
CJCE 24 juillet 2003, Altmark Trans
41
Le problème du financement du service public face au droit communautaire est complexe, AJDA 2004, p.
1011 ; voir aussi AJDA 2004, p. 851
L'art. 16 TCE dispose : « eu égard à la place qu'occupent les SIEG parmi les
valeurs communes de l'Union, ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion
de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses Etats
membres (...) veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes
et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leur mission ».

D'autres textes se sont multipliés et font état de la même vision, comme l'annexe II
du traité de Nice42, qui comporte une déclaration sur les SIEG qui évoque le lien du SIEG
avec le modèle social européen et insiste sur le rôle du service public. On doit évoquer
également l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (incluse
dans le traité de Nice) qui proclame un droit à l'accès aux SIEG en soulignant le lien étroit de
ce droit avec la cohésion économique et sociale de l'Union. Cet article 36 fait de l'accès aux
SIEG un droit fondamental d'essence subjective ; en même temps que le SIEG acquiert
finalement une dimension objective comme instrument de cohésion sociale.

Dans le traité de Lisbonne43, il y a plusieurs choses. L'art. 14 du Traité sur le


fonctionnement de l'Union européenne (Traité CE modifié par Lisbonne) reprend l'art. 16
TCE et dispose : « eu égard à la place qu'occupent les SIEG parmi les valeurs communes de
l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale
de l'Union, l'Union et ses Etats membres (...) veillent à ce que ces services fonctionnent sur la
base des principes et dans les conditions, notamment économiques et financières, qui leur
permettent d'accomplir leur mission (...) ». Pareillement, le protocole n° 9 sur les services
d'intérêt général, dont l'article 1er porte sur la place des SIEG et précise notamment les
valeurs communes de l'union concernant les SIEG.
Ces textes ont tous un point commun : faire du SIEG un facteur de cohésion sociale
et territoriale à l’instar du service public à la française, on voir combien la conception
européenne de départ à elle-même était bouleversé par les conceptions nationales des services
publics des Etat membres et en particulier de celle l’Etat français.

2) le dépassement annoncé de la notion de SIEG

42
signé en décembre 2000
43
entré en vigueur en décembre 2009
On remarquera que, au fil du temps, la Commission a semblé vouloir dépasser la notion de
SIEG et l'englober dans des catégories plus larges. Elle a ainsi dégagé la notion de SIG
(service d'intérêt général). Deux communications sont intéressantes : celle du 11 septembre
1996 sur les services d'intérêt général en Europe, et celle du 20 septembre 2000 sur le même
thème. Dans ces textes, la Commission tente de distinguer les services d'intérêt général (SIG)
qui regroupent toutes les activités de service marchand ou non, des SIEG qui sont des
activités de services marchands soumis à des obligations. Par ailleurs cette position est
confirmée par le Livre vert de la Commission sur les SIEG en date du 21 mai 2003 (le livre
vert retient que l'expression de service public peut avoir différentes significations et être ainsi
source de confusion ; seule l'obligation de service public est évoquée). Cette notion de SIG à
été développée par le livre blanc sur les services d'intérêt général de 2004, suivie d’une
communication de la Commission sur les services sociaux d'intérêt général du 26 avril 2006,
et dernièrement une communication du 20 novembre 2007, sur les services d'intérêt général, y
compris les services sociaux d'intérêt général.

De cette littérature, il ressort des distinctions qui commencent à se dessiner. Le SIG regroupe
ainsi plusieurs catégories :

 Le SIEG est un service marchand. Pour ces SIEG s'appliquent les règles de la
concurrence et s'appliquent certaines obligations, comme celle de séparation des
fonctions de réglementation ou de régulation des fonctions de gestion, et comme celle
de service universel. Pour cette dernière, la communication de 2000 fait une synthèse.
Les obligations de service universel sont des obligations minimales (prestation
minimum pour les usagers) qui ont une composante territoriale : il doit être assuré sur
l'ensemble du territoire de l'Etat y compris dans les régions les plus reculées (c'est la
dimension territoriale du service universel) ; le service doit être assuré également dans
des conditions financières abordables.

 Les services non économiques dont la caractéristique est de constituer des services
non soumis au droit de la concurrence. Déjà la jurisprudence de la CJCE avait exclu
l'application du droit de la concurrence certains services qui ne sont pas des
entreprises au sens du droit communautaire, c’est à dire n'exercent pas une activité
économique : c'est ainsi que les activités purement sociales comme les régimes de
base de la sécurité sociale française ne sont pas concernées 44; en revanche, si l'activité
n'est pas purement sociale, on présume qu'elle est économique comme un régime
français complémentaire d'assurances vieillesses45. Les pouvoirs publics hésitent à
dénommer ces services non économiques : la directive service du 12 décembre 200646
parle de SIGNE (services d'intérêt général non économiques pour exclure ces SIGNE
du champ d'application de la nouvelle directive). Quant au protocole sur les SIG
annexé au traité de Lisbonne, il consacre la notion de SNEIG (services non
économiques d'intérêt général) ; art. 2 : « les dispositions des traités ne portent en
aucune manière atteinte à la compétence des Etats relative à la fourniture, à la mise
en service et à l'organisation de SNEIG ».

 Les services sociaux d'intérêt général (SSIG): c'est une catégorie nouvelle introduite
par la Commission47. La communication à défaut de les définir, énonce des objectifs :
« il s'agit de services à la personne, conçus pour répondre aux besoins vitaux de
l'homme en particulier à ceux des usagers en situation vulnérable. Ils jouent un rôle
de prévention et de cohésion sociale (...), ils sont généralement fondés sur le principe
de solidarité et dépendent fortement de financements publics... ».

Ces SSIG appellent une remarque : Ce qui est remarquable ce sont les éléments
d'identification utilisés par la Commission : cohésion sociale, solidarité... Ce sont des notions
à connotation très sociale et très proches de la philosophie de Duguit quand il évoque la
notion de service public. Le SSIG est donc finalement très proche de l'idée de service public à
la française. Cette évolution européenne vers une consécration d'une notion de SIG à forte
identification matérielle a conduit certains auteurs à proposer de « renoncer à l'expression
service public » et à consacrer désormais celle de SIG48. Cette proposition reste cependant très
controversée : malgré les rapprochements et les efforts de la Commission pour donner un
contenu (social et moins impactant) à cette notion de SIG, service public et SIG demeurent
des notions différentes, ne serait-ce par leur histoire et leur place respective49. Ainsi donc loin
d’avoir bouleversé les fondamentaux de la conception française de service public, c’est l’idée
44
CJCE 17 févr. 1993, Poucet
45
CJCE 16 nov. 1995, Fédération française des sociétés d'assurances
46
nouvelle directive Bolkenstein
47
Communication de la Commission sur les services sociaux d'intérêt général du 26 avril 2006, +
communication 20 nov. 2007, sur les services d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt
général
48
voir la tribune de D. Truchet, AJDA 2008, p. 553
49
cf la réponse de G. Marcou, « Maintenir l'expression et la notion de service public », AJDA 2008, p. 833
même de service public européenne qui a évolué, muté, s’est adaptée. L’Europe a toujours
voulu faire naitre chez ses citoyens un sentiment d’appartenance à l’Union et a une destiné
commune, et cette évolution de la notion européenne de service public ne nous semble pas
étrangère à cette velléité. Force est de constaté que le droit de l’union et ses juges ont opté
pour une socialisation plus accrue de la notion de service public. L’interaction des concepts
aura un effet revivifiant sur la notion française.

B. Un réajustement de la notion service public à la française au prix de réformes


significatives

Il y a un effort de rapprochement vis-à-vis du droit communautaire, qui est incontestable.

1) un effort de rapprochement au prix d’un bouleversement considérable

D'abord, la politique législative de régulation des grands services nationaux de réseaux


s'inspire très résolument des exigences européennes relatives au SIEG (référence ici aux lois
du 26 juillet 1996 de réglementation des communications, du 13 février 1997 portant création
de l'établissement public Réseau ferré de France en vue du renouveau du transport ferroviaire,
du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de
l'électricité). Ces lois réforment, en effet, le service public dans quatre directions :

 remise en cause des monopoles,


 soumission des activités de service public aux règles de la concurrence,
 séparation entre infrastructures et gestion du service,
 institution d'un régulateur indépendant.

Pour simplifier elles introduisent aussi en droit français le concept de service universel.
On peut évoquer la loi du 26 juillet 1996 qui définit le service universel des
télécommunications qui comprend : une offre de service à prix abordable, des services
d'appels des numéros d'urgence, l'édition d'un annuaire universel, l'installation de publiphones
sur le domaine public5051. On peut évoquer également la loi du 3 janvier 2003 sur la

50
voir également la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des
télécommunications et à France Télécom mais aussi : loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans
libéralisation du secteur gazier qui a transposé la directive gaz du 22 juin 1998 (également : la
loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises
électriques et gazières). Cette loi fait une importante référence à la notion de service universel
mais aussi, ce qui semble nouveau dans un texte de transposition d'une directive, de service
public. Le législateur fait évoluer les obligations traditionnelles de service public en ajoutant
de nouvelles lois inspirées du droit communautaire, comme la sécurité ou la protection de
l'environnement.

On peut enfin évoquer la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales.
Cette loi définit le service universel postal ; elle garantit la mission de service universel
confiée à la Poste dans un contexte d'ouverture progressive à la concurrence52. A cet effet, elle
prévoyait : une autorité indépendante de régulation (ARCEP : autorité de régulation des
communications électroniques et des postes), un régime d'autorisation pour les services
d'envois de correspondance réalisés par les concurrents de La Poste, ou bien par celle-ci
lorsqu'elle offre d'autres prestations que celles qui relèvent de ses obligations de service
universel ; elle confirmait également, La poste, comme seul prestataire du service universel,
qui continuait alors de bénéficier d'un secteur réservé. La 3ème directive postale qui a été
adoptée le 31 janvier 2008 a été transposée par la loi du 9 février 2010 qui, en dehors de la
transformation du statut de La poste (non imposée par la directive), prévoit l’ouverture totale
de son activité à la concurrence. Cette loi de 2010 confirme les missions de service universel
de La Poste (transformée en société dont le capital est entièrement détenu par l’Etat et qui sera
selon les mots du ministre Christian Estrosi « imprivatisable » (sic)) qui sont intégrées dans les
missions de service public et d’intérêt général assurée par la société.

Par ailleurs, les pouvoirs publics semblent depuis quelques années vouloir recentrer la
notion de service public : cette dernière est davantage valorisée non comme un instrument de
politique économique (on l’a déjà vu, c'est la théorie du SPIC) mais plus comme un
instrument de cohésion sociale, c'est en quelque sorte un certain retour à l'idée duguiste. Cette
volonté est très marquée dans les lois récentes sur l'aménagement du territoire qui font

l'économie numérique et loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services
de communication audiovisuelle
51
voir un commentaire de ces dernières lois : L. Rapp, «le droit des communications entre réglementation et
régulation», AJDA 2004, p. 2047
52
S. Rodrigues et F. Fages, « La loi du 20 mai 2005 : la nouvelle régulation des activités postales », AJDA
2005, p. 1896
référence explicitement à l'idée de service public, facteur de cohésion sociale53, on voit bien
ici que les réformes tendent vers un rapprochement des concepts européens.

Elle est également perceptible dans la dernière loi du 23 février 2005 sur le
développement des territoires ruraux54. Cette loi fait un véritable retour à « l'idée dynamique
de service public qui est conçue comme l'instrument nécessaire et indispensable de la
politique de lutte contre la désertification de certaines zones rurales »55. La défense de la
ruralité est profondément liée à l'idée de service public. La loi vise en effet en premier lieu à
maintenir la présence des services publics dans les zones peu denses (organisation territoriale
des services publics, présence postale territoriale), elle vise ensuite la création de services
nécessaires à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural (avec un rôle pivot
leur étant reconnu). Le juge a d’ailleurs développé une exception sociale au droit de la
commande publique. Dans un avis de 2003, Fondation Jean Moulin56, le Conseil d’Etat a
considéré que la Fondation pouvait se voir confier diverses prestations d'action sociale en
dehors d'un marché public ou délégation (les contrats conclus avec des opérateurs fournissant
une prestation non économique ne sont pas des marchés publics). Dans un arrêt de 2007 57, il
juge (entre autres car cet arrêt avait comporté plusieurs aspects touchant l'interventionnisme
local) qu'une collectivité peut ne pas passer un marché public « lorsque, eu égard à la nature
de l'activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l'exerce, le tiers auquel
elles s'adressent ne saurait être considéré comme un opérateur sur un marché concurrentiel
». En fait cette jurisprudence doit être mise en parallèle avec la jurisprudence de la CJCE qui
exclut l'application des règles de concurrence quand l'opérateur n'exerce pas une activité
économique, et n'est pas une entreprise au sens du droit communautaire58.

2) Conception européenne et conception française du service public : synthèse d’un


échange constructif
53
cf les lois du 4 juin 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ; loi du 25
juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire
54
Loi du 25 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, v. Dossier spécial « Le
développement des territoires ruraux », AJDA 2005, p. 1266 et s.
55
Gilles GUGLIELMI, Professeur à l'université Paris-II
56
CE Avis 23 oct. 2003, Fondation Jean Moulin
57
CE 6 avril 2007, Aix-en-Provence
58
CJCE 1993, Poucet
Mi figue mi raisin, tel peu résumé notre réflexion à la fin de ce travail. En effet à la
question de savoir si la conception européenne à bouleverser la conception française, Il est
nous à été difficile de répondre tout à fait, la matière étant encore très mouvante. Certains
auteurs de droit de l’union européenne n'hésitent pas à analyser le droit supranational comme
un facteur de renouveau et de revalorisation de la théorie du service public qui sont assez
proches des grandes lois du service public, la dimension désormais sociale de la notion de
SIEG on l’a constaté n'est pas si éloignée de l'idée de service public à la française. Pour notre
part on affirmera que le service public à la française a été complètement chamboulé peut-être
pas dans tout ses fondamentaux, mais ce chamboulement ne nullement pas à nuancer. Il y a
clairement un changement de mentalité chez les décideurs politiques contre le maintien du
service public à la française telle qu’il a longtemps été en France. En réalité on s’aperçoit
qu’il y a eu un échange entre les deux conceptions. Si la notion de service public à la française
à de toute évidence été ébranlé par les exigences du droit de la concurrence et de liberté
d’industrie et de commerce européennes, dans le même temps, la conception européenne a
subit de plein fouet la réalité historique du service public national, de sorte que elle-même à
été bouleverser et à muté au contact de fortes aspirations nationales. La notion de service
public française, après avoir recherché secours et protection, appelant la doctrine à des
innovations intellectuelles judicieuses faisant fi du mouvement néolibéral qui entraine les
élites politiques, semble en survivance. La doctrine de droit administratif est encore partagée
et circonspecte. Certains restent perplexes en particulier quant à la portée de cette notion de
service universel : il s'agirait davantage d'un service minimum, d'un service au rabais et à ce
moment là, radicalement incompatible avec les exigences françaises du service public. Mais
d'autres auteurs sont moins radicaux59, Martine Lombard évoque à propos du service
universel un concept à la fois plus dense et moins étendu que le service public. Il y a donc
place pour un large débat. Nous avons durant nos travaux démontré que l’union européenne
n’était finalement pas aussi intransigeante que cela et qu’elle a évolué. En fait rarement nous
n’avons vu les décideurs européens dans une telle posture d’indécision. Au regard de
l’expérience des 20 dernières années on peut dire qu’il s’est agit de faire émerger une
conception européenne moyenne du service public. On a bien senti l’appel à une certaine
convergence entre les intérêts nationaux et de l’union. Mais au fond, comme le rapporte
Michel Husson « (…) à l’intersection de l’économique et du social. Il n’existe pas de modèle

59
Voir en ce sens la position de M. Lombard dans « Service public et service universel ou la double
inconsistance », Mélanges B. Jeanneaud, Dalloz 2002, p. 509
établi de service public vers lequel il faudrait tendre. L’expérience la plus avancée, celle du
Royaume-Uni (la plus proche des conceptions européennes) ne livre pas un bilan convaincant
et souligne plutôt la simultanéité entre privatisations et montée des inégalités sociales et
pertes de cohésions. Et l’auteur de poursuivre, «pour reprendre une formule citée par le
Conseil d’Etat, la question-clé du service public se ramène peut-être (seulement) à celle-ci :
que veut la société ? »60.

60
Michel Husson SERVICES PUBLICS ET EUROPE : QUE CHOISIR ? Michel Husson
Indications bibliographiques

• LINOTTE, D, « Existe-t-il un principe général du droit de la libre concurrence ? », AJDA, 2005, p.


1549.
• D.TRUCHET, « renoncer à l’expression service public »
• M.LOMBARD « mots et valeurs du service public », AJDA, 2008, p.1225
• LOMBARD M, « À propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics opérateurs privés »,
1994, p. 163.
• N.Sudres « le droit administratif françis et le traité de Lisbonne » DA, 2008
• KARPENSHIF M. « vers une définition communautaire du service public », RFDA, 2008
• NICINSKI S, « Les évolutions du droit administratif de la concurrence », AJDA, 2004, p.751.
• NICINSKI, S, Droit public de la concurrence, Paris, LGDJ, 2005, 230 p.
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entre personnes publiques et personnes privées », in Mélanges Franck MODERNE, Paris, Dalloz,
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• Lefresne F, «Privatisation et accroissement des inégalités», Chronique Internationale de l’IRES n°33,
mars 1995.
• Pour une citoyenneté européenne: quels services publics? Par Pierre Bauby,Jean-Claude Boual
• Service public-services publics : déclin ou renouveau ?, La documentation française 1995
• Service public et Communauté européenne : entre l'intérêt général et le marché
• S. Rodrigues, Les services publics locaux face au droit communautaire, La documentation française,
2007
• Gilles GUGLIELMI, Professeur à l'université Paris-II, in La conception du service public « à la
française »

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