Introduction aux relations internationales: Cinquième édition mise à jour
By Diane Ethier
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Cette cinquième édition modifie substantiellement la précédente, notamment en raison de l'enrichissement de la littérature sur les relations internationales, dont elle rend compte, mais pas seulement. Le monde a changé: l'environnement est devenu une véritable préoccupation des États, sans parler du déclin apparent d'un système unipolaire largement dominé par la superpuissance américaine et de la remise en question du néolibéralisme avec la renaissance du protectionnisme et du nationalisme.
Conçu en priorité pour les étudiants de science politique et d'études internationales, ce manuel demeure très accessible aux étudiants d'autres disciplines et au grand public.
Diane Ethier
Diane Éthier est professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal. Elle est l’auteure de nombreuses publications sur les processus de libéralisation économique et de démocratisation politique.
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Introduction aux relations internationales - Diane Ethier
Diane Éthier
INTRODUCTION AUX
RELATIONS INTERNATIONALES
Cinquième édition mise à jour
Les Presses de l’Université de Montréal
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Les relations internationales / Diane Éthier.
Autres titres: Introduction aux relations internationales
Noms: Éthier, Diane, auteur.
Collections: Paramètres.
Description: 5e édition mise à jour. Mention de collection: Paramètres Publié antérieurement sous le titre: Introduction aux relations internationales. 2003. Comprend des références bibliographiques et un index.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 2019003534X Canadiana (livre numérique) 20190035358 ISBN 9782760641549 ISBN 9782760641556 (PDF) ISBN 9782760641563 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Relations internationales. RVM: Droit international. RVM: Organisations internationales.
Classification: LCC JZ1242 E83 2020 CDD 327—dc23
Dépôt légal: 1er trimestre 2020
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2020
www.pum.umontreal.ca
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
Table des matières
Liste des sigles
Avant-propos
Introduction
CHAPITRE 1
L’analyse des relations internationales
Les préalables épistémologiques
Les théories générales classiques
Le réalisme
Les précurseurs du réalisme
Les réalistes du XXe siècle3
Les principaux concepts du réalisme
Le libéralisme
Les précurseurs du libéralisme
Les libéraux du xxe siècle
Les principaux concepts du libéralisme
Le marxisme
Les fondateurs du marxisme
Les successeurs du marxisme
Les théories générales néoclassiques
Le néoréalisme
Le néolibéralisme
Néoréalisme et néolibéralisme
Le néomarxisme
La critique des théories générales
Le postmodernisme
Postpositivisme et postmodernisme
Le constructivisme
La perspective communautarienne
La perspective féministe
Les théories environnementalistes et écologiques
CHAPITRE 2
Les acteurs des relations internationales
Les États
Un espace territorial
L’espace territorial aérien et extra-atmosphérique
Une population
Un système de gouvernement
Le principe de non-ingérence
Les représentants de l’État
Une personnalité juridique internationale
La souveraineté
L’exclusivité de la compétence
L’autonomie de la compétence
La plénitude de la compétence
La reconnaissance internationale
Les organisations internationales6
Les éléments constitutifs
Le processus de création et de structures
Les règles d’adhésion
Nature et prérogatives des organes constitutifs
Pouvoirs, ressources et représentation
L’évolution historique
Le système des organisations internationales entre 1945 et 1990
Le système des organisations internationales au tournant du XXIe siècle
L’Organisation des Nations Unies9
Les étapes de la création de l’ONU
Les différences entre l’ONU et la SDN
Les principaux organes de l’ONU
L’Assemblée générale
Le Conseil de sécurité
Le Conseil économique et social
Le Conseil de tutelle
La Cour internationale de justice
Le Secrétariat
L’évolution de l’ONU
Pendant la guerre froide
Après la guerre froide
Un bilan de l’action de l’ONU
Les acteurs transnationaux
Les individus
Les firmes multinationales
Les ONG légales
Les ONG illégales
CHAPITRE 3
La politique étrangère des États
Qui décide?
Les détenteurs du pouvoir exécutif central
Le parlement national
Les citoyens et les gouvernements régionaux
Les facteurs d’influence
Les perceptions et la personnalité des dirigeants19
Les calculs coûts/bénéfices des dirigeants
Les marchandages bureaucratiques
Les rapports de force économiques
Les rapports de force politiques
Les pressions des acteurs nationaux
La culture identitaire des États
L’application de la politique étrangère
La diplomatie
L’essence de la diplomatie
Les fondements de la négociation
La portée du droit international
Le rôle et le personnel des missions diplomatiques
L’évolution de la diplomatie
La stratégie
La répartition de la puissance militaire
Un monde multipolaire ou bipolaire?
Les alliances de sécurité collective
Les guerres interétatiques
Les guerres civiles
Les stratégies des guerres interétatiques et civiles
Les causes des guerres civiles et leur résolution
Les autres menaces à la sécurité des États
Cyberattaques et pandémies
La prolifération des armes nucléaires, chimiques et bactériologiques
La destruction de l’environnement
CHAPITRE 4
Les relations économiques internationales
Les théories de l’économie internationale
Le mercantilisme40
Le libéralisme41
Le néomercantilisme
Le libéralisme hétérodoxe
Le néolibéralisme
Les échanges internationaux
La balance des paiements
Les flux commerciaux
La balance des comptes courants
Les orientations du commerce extérieur
Les mesures protectionnistes46
Les mesures néoprotectionnistes
Les flux financiers et monétaires
La balance des capitaux
Les mouvements monétaires
Le système économique international depuis 1945
Entre-deux-guerres et après-guerre
Le système de Bretton Woods51
L’intégration européenne 52
L’érosion du système de Bretton Woods
La crise monétaire de 1971
La crise financière de 1983
La prédominance du néolibéralisme
Les progrès de la libéralisation des échanges
L’augmentation des inégalités de revenus
La déréglementation des institutions financières
La diminution du taux de croissance des économies
La remise en question du néolibéralisme
La renaissance du protectionnisme
Le réveil du nationalisme
Bibliographie
Liste des sigles
Avant-propos
Cette cinquième édition modifie substantiellement la quatrième édition de 2010, qui elle-même reprenait dans une large mesure le contenu des éditions de 2003, 2004 et 2006. Or, entre 2003 et 2018, la littérature sur les relations internationales (RI) s’est enrichie et tant le système international que le domaine d’étude des RI se sont transformés. Il était donc nécessaire d’actualiser les références bibliographiques et la matière des quatre chapitres de ce manuel. Étant donné que les politiques environnementales des États et des organisations internationales (OI) sont devenues un sous-champ important des RI, le chapitre un comporte une nouvelle section sur les théories environnementalistes et écologiques. Le chapitre deux, consacré aux acteurs des RI, tient compte de plusieurs changements, en particulier ceux intervenus au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et des organisations non gouvernementales (ONG) légales et illégales. Le chapitre trois, centré sur la politique étrangère des États, est celui qui exigeait la mise à jour la plus approfondie. Au début des années 2000, en effet, nous étions encore dans un système unipolaire largement dominé par la superpuissance américaine. Depuis 2010, nous vivons dans un système multipolaire instable qui pourrait évoluer vers un système bipolaire mettant aux prises la Chine et ses alliés du Groupe de Shanghai, d’une part, et les États-Unis et leurs partenaires occidentaux, d’autre part. Mais il s’agit là d’une hypothèse dont le temps vérifiera la pertinence. Le chapitre quatre, consacré aux relations économiques internationales, demeure inchangé, sauf en ce qui concerne les nouvelles réalités susceptibles de remettre en question la prédominance du néolibéralisme: l’augmentation des inégalités de revenus; la déréglementation des institutions financières et l’augmentation de la dette publique des États; la diminution des taux de croissance des économies avancées et émergentes; la renaissance du protectionnisme et le reflux des firmes multinationales, ainsi que le réveil du nationalisme. Rappelons que cet ouvrage vise uniquement à analyser l’évolution des RI de 1945 à 2019. Il n’a absolument pas l’ambition de prévoir l’avenir des RI.
Introduction
L’expression «relations internationales» désigne généralement les rapports entre États alors que, au sens littéral, elle signifie rapports entre nations. Cela vient du fait qu’on a longtemps confondu l’État avec la nation, en raison de l’aspiration des États modernes, nés entre le XVIe et le XXe siècle, à unifier en une seule nation les différents groupes humains résidant sur leurs territoires. Si plusieurs y sont parvenus, la plupart sont demeurés des États plurinationaux. En outre, le caractère multiethnique des États s’est fortement accentué depuis le début du XXe siècle, en raison des déplacements de population et des mouvements migratoires engendrés par la décolonisation, les guerres et les inégalités de développement. L’expression «relations internationales» n’est donc plus justifiée. Mais elle continue néanmoins d’être largement utilisée.
Les relations internationales (RI) constituent un objet d’étude extrêmement vaste, puisqu’il englobe les rapports de toute nature que les organismes publics et privés, les groupements de personnes et les individus de divers États ont noués entre eux dans le passé, entretiennent dans le présent et prévoient développer dans le futur. Toutes les sciences, notamment les sciences sociales et humaines, telles que le droit, l’histoire, l’économie, la philosophie, la psychologie, la démographie, la sociologie et la science politique, s’y intéressent donc. Chacune de ces disciplines aborde évidemment ces relations sous un angle différent en privilégiant l’analyse de certains types d’interactions entre certaines catégories d’acteurs.
Depuis le début de l’humanité, les groupements d’individus ont développé diverses formes d’interactions: guerres, alliances, échanges de biens, mariages, etc. Ces relations se sont toutefois diversifiées et étendues à des espaces géographiques plus vastes au fil du temps, concurremment à l’expansion et aux conquêtes des entités politiques (cités, empires, principautés, États-nations), au développement de la production et du commerce et à l’évolution des moyens de transport et de communication. Ce n’est cependant qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle que les relations internationales sont véritablement devenues mondiales, englobant tous les pays de la planète et la plupart des activités humaines. Le terme «mondialisation», équivalent français du terme anglais globalization, a été inventé durant les années 1950 pour rendre compte de cette transformation des RI1. Selon plusieurs auteurs, ce sont l’extension géographique des activités économiques et l’essor des facilités de déplacement et de communication qui, à l’instar des stades antérieurs d’évolution des RI, ont déterminé la mondialisation. La planétisation du marché, engendrée par la multinationalisation des entreprises, la libéralisation des échanges et les innovations technologiques dans les transports (avions subsoniques et supersoniques, navettes spatiales, trains à grande vitesse, cargos géants) et les communications (Internet, téléphonie sans fil, satellites) constituent les principales sources et les traits distinctifs de la mondialisation.
La majorité des définitions du terme «mondialisation» insistent sur ces aspects. Ainsi, pour Pascal Boniface (2001, 9), ce qui distingue la mondialisation des stades antérieurs de l’évolution des relations internationales, ce ne sont pas «les interrelations entre les différentes parties du monde, mais la modification des notions d’espace et de temps […] le fait que les distances aient été supprimées». Pour Robert Reich (1993, 17), ce qui caractérise l’économie mondialisée, c’est que
L’argent, la technologie, l’information, les marchandises franchissent les frontières avec une rapidité et une facilité sans précédent. Le coût du transport et des télécommunications dégringole. Dans la plupart des pays industrialisés, les transferts de capitaux ne sont plus contrôlés. Même les drogues, les immigrants pénètrent dans les pays développés, et les armes secrètes en sortent, malgré les efforts des gouvernements .
Sans renier ces définitions, plusieurs spécialistes insistent sur les effets théoriques et sociologiques du concept de mondialisation. C’est ce que font notamment Bertrand Badie et al. (2000, 177-178) dans leur ouvrage.
Mondialisation. Concept de relations internationales décrivant l’état du monde contemporain marqué en même temps par un renforcement des interdépendances et des solidarités, par le désenclavement des États et des espaces régionaux et par une uniformisation des pratiques et des modèles sociaux à l’échelle de la planète tout entière. Ce processus n’a de sens que sur un plan macro-sociologique et ne renvoie pas à des indicateurs empiriques très précis ni très rigoureux. Son intérêt est davantage théorique: il suggère, en effet, que les phénomènes politiques, économiques et sociaux ne peuvent pas être étudiés en vase clos, indépendamment de leur insertion dans un système-monde qui, contrairement à autrefois, s’étend à l’ensemble du globe. Il suggère aussi que les catégories classiques de l’analyse internationale s’en trouvent ébranlées: distinction entre l’interne et l’externe, territoire, souveraineté… Son analyse est souvent associée à celle de l’essor du particularisme, de plus en plus conçu comme une réaction de protection face aux effets de la mondialisation.
S’il existe un large consensus sur l’essence de la mondialisation, les spécialistes divergent d’opinion quant à sa portée et à ses effets. Les auteurs réalistes et néoréalistes tendent généralement à relativiser son importance. Ainsi, pour Robert Gilpin (2001), l’activité économique est encore largement concentrée au sein des États. La libéralisation des échanges n’est pas plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du XXe siècle et elle est circonscrite à trois régions: Europe occidentale, Amériques du Nord et du Sud, Asie de l’Est. Bien que l’augmentation du nombre et du pouvoir des firmes multinationales (FMN) limite l’autonomie de décision des gouvernements nationaux, notamment dans le domaine économique, ces derniers demeurent les acteurs majeurs des RI, car ce sont eux qui dictent les normes et les règles du droit international. Les théoriciens néolibéraux, néomarxistes et constructivistes comme James Rosenau et E. O. Czempiel (1992), Robert Cox (2002), Barry Buzan (2004), Thomas Risse-Kapen, T. S. Ropp et K. Sikkink (1999) accordent une importance beaucoup plus grande à la mondialisation. Ils insistent sur le déclin du pouvoir des États, en raison de la montée en puissance des FMN, mais aussi de l’influence grandissante des ONG au sein de la société civile et des OI telles que l’ONU. Cela dit, ces auteurs reconnaissent que l’action des intervenants non étatiques demeure dépendante des décisions gouvernementales. En 2002, Thomas Risse-Kapen concluait qu’il était prématuré de proclamer la fin du système interétatique.
Pour les libéraux et les néolibéraux, la mondialisation est bénéfique, car elle contribue à l’enrichissement des nations, à l’atténuation des inégalités de développement et à l’expansion de la démocratie. Les autres écoles de pensée considèrent que la mondialisation n’élimine pas, et même accentue les disparités économiques, sociales ou culturelles au sein des États et entre eux. Certains auteurs néoréalistes comme Samuel Huntington (1997) ou néomarxistes tel Immanuel Wallerstein (1995) sont très pessimistes et considèrent que la mondialisation peut engendrer une multiplication des conflits, voire un état de chaos généralisé. La plupart des réalistes et néoréalistes sont fatalistes, car ils constatent que cet ordre mondial est difficile à changer. La majorité des néomarxistes et des constructivistes sont quant à eux plus optimistes, car ils croient à la capacité de mobilisation et de transformation de la société civile transnationale. Ces auteurs demeurent cependant très vagues sur les modalités d’organisation d’une telle contestation et les caractéristiques de la nouvelle société globale à laquelle elle donnerait naissance. La théorie écologique de la décroissance est la seule approche qui propose une solution de rechange concrète au modèle capitaliste néolibéral.
Ce manuel s’adresse principalement aux étudiants de divers programmes universitaires qui exigent ou recommandent une initiation aux relations internationales. Il est cependant accessible à tous ceux désireux de se familiariser avec le sujet. Il aborde les RI principalement du point de vue de la science politique, mais compte tenu du fait que cette discipline est devenue polyvalente au fil du temps, les lecteurs de divers horizons peuvent bénéficier de ses enseignements. Le premier chapitre expose les éléments essentiels des théories classiques, néoclassiques et critiques des RI. Le second chapitre définit les caractéristiques des acteurs des RI (États, OI, individus, FMN, ONG) et évalue leur rôle et leur poids respectifs au sein du système international. Le troisième chapitre examine les facteurs qui déterminent les décisions de la politique étrangère et analyse ses deux dimensions essentielles: la diplomatie, fondée sur le droit international et la négociation, et la stratégie, qui fait référence à la guerre. Enfin, il résume l’évolution des RI diplomatiques et stratégiques depuis 1945, en accordant une attention particulière à la période postérieure à 1990. Le quatrième chapitre traite des relations économiques internationales (REI), qui ont une influence très importante, quoique pas nécessairement décisive, sur les relations diplomatiques et stratégiques internationales. Il montre que les modèles de développement économique ont toujours été imposés au cours de l’histoire par les grandes puissances. Il s’intéresse plus particulièrement aux accords d’intégration économique de diverses natures (zones de libre-échange, unions douanières, marchés communs, unions économiques et monétaires) qui se sont multipliés, notamment depuis les années 1980-1990. Il constate l’énorme pouvoir que les FMN financières et économiques ont acquis grâce à ces accords. Il tient compte aussi du fait que depuis quelques années cette mondialisation triomphante est contestée par de nouveaux mouvements et partis politiques, tant en Europe occidentale qu’en Amérique du Nord.
1. Le terme a été répertorié par le Dictionnaire Robert en 1953.
CHAPITRE 1
L’analyse des relations internationales
Les préalables épistémologiques
Selon Philippe Braillard (1977, 12), «on peut dire, d’une façon tout à fait générale, qu’une théorie est une expression, qui se veut cohérente et systématique, de notre connaissance de ce que nous nommons la réalité. Elle exprime ce que nous savons ou ce que nous croyons savoir de la réalité». La principale fonction d’une théorie est d’expliquer un phénomène en établissant des liens, notamment causals, entre les éléments qui le composent. Une autre fonction de la théorie est de prévoir l’évolution future de la réalité qui constitue son objet.
Aucune théorie n’est en mesure d’expliquer une réalité dans toute sa complexité. Toute théorie est une simplification ou une schématisation d’un phénomène, l’expression abstraite de certains de ses aspects jugés importants. Cela signifie que «la théorie implique une activité de sélection et de mise en ordre des phénomènes et des données qui n’est jamais neutre» (Braillard, 1977, 13). Comme l’ont montré Jürgen Habermas (1973) et Thomas Kuhn (1972), divers facteurs déterminent cette structuration de la réalité, notamment l’intérêt, parfois inconscient, du chercheur pour telle épistémologie ou conception de la connaissance, le contexte socioculturel dans lequel se déroule la recherche, le système de valeurs et la méthodologie privilégiés par le chercheur.
Il existe différentes conceptions de ce qu’est une théorie dans le domaine des sciences. Dans le cadre des sciences de la nature et des sciences exactes, une théorie est un ensemble cohérent de propositions déductibles logiquement entre elles et vérifiables empiriquement. Selon Anatol Rapoport (1958, 972-988), c’est le lien déductif entre les propositions qui est la caractéristique fondamentale de cette théorie. En sciences sociales, il existe, selon Philippe Braillard (1977, 15-16), trois orientations fondamentales de la théorie. Premièrement, les théories essentialistes, dont le but est la mise à jour des diverses entités sociales «soit par le moyen d’une réflexion philosophique […] soit à travers une compréhension intuitive». Ces théories sont souvent dites «normatives» parce qu’elles tendent à montrer, plus explicitement que les autres théories, «quelle est la meilleure forme d’organisation sociale ou du moins quelles sont les valeurs qui doivent guider les conduites humaines». Deuxièmement, l’orientation empirique envisage la théorie comme un ensemble logiquement cohérent de propositions soumises à vérification ou à falsification par une confrontation avec les faits. Le but de ces théories n’est pas de découvrir l’essence des choses, mais d’expliquer les données qui se rapportent aux divers comportements, interactions et processus sociaux. Elles impliquent une description et une classification de ces données et tendent plus ou moins directement à une prévision des phénomènes qu’elles expliquent. Ces théories, tels le behavioralisme et le positivisme, procèdent d’une démarche analytique hypothético-déductive et tendent à se rapprocher des théories des sciences exactes, bien qu’elles éprouvent d’énormes difficultés à relier d’une manière précise leurs concepts aux phénomènes étudiés. Selon Karl Popper (1973), certaines d’entre elles font toutefois également appel à une démarche intuitive ou rationnelle pour comprendre les comportements sociaux. La troisième orientation théorique, illustrée notamment par le marxisme, procède d’une démarche dialectico-historique. Elle aborde la société comme une totalité et cherche à révéler ses antagonismes structurels et ses contradictions, d’une part, et à mettre à jour le sens objectif ou les lois dialectiques de l’Histoire, d’autre part. Elle se veut non seulement un outil de connaissance, mais un instrument de critique sociale et un guide pour l’action. Selon Braillard (1977, 17), on peut définir une théorie des relations internationales
comme un ensemble cohérent et systématique de propositions ayant pour but d’éclairer la sphère des relations sociales que nous nommons internationales. Une telle théorie est ainsi censée présenter un schéma explicatif de ces relations, de leur structure, de leur évolution, et notamment d’en mettre à jour les facteurs déterminants. Elle peut aussi, à partir de là, tendre à prédire l’évolution future de ces relations, ou au moins dégager certaines tendances de cette évolution. Elle peut également avoir pour but plus ou moins direct d’éclairer l’action. Comme toute théorie, elle implique un choix et une mise en ordre des données, une certaine construction de son objet, d’où sa relativité.
Dans les faits, les théories des relations internationales englobent un grand nombre d’approches qui ne répondent pas à cette définition restrictive. Il est d’usage courant, comme dans plusieurs disciplines des sciences sociales, de qualifier de «théories» des méthodes, des modèles, des typologies, des taxinomies ou des ensembles d’hypothèses qui n’aboutissent pas à la formulation d’un ensemble cohérent de propositions. Il est également fréquent de confondre théorie et paradigme. Un paradigme, selon Raymond Boudon et François Bourricaud (1990, 563), «est un ensemble d’énoncés portant, non sur tels aspects de la réalité sociale, mais sur la manière dont le chercheur doit procéder pour construire une théorie explicative de cette réalité».
L’analyse des relations internationales a été pendant plusieurs siècles l’apanage des juristes-philosophes qui ont tenté d’expliquer les relations d’État à État à l’aide de théories essentialistes normatives. Avec le développement des sciences sociales, aux XIXe et XXe siècles, les théories des relations internationales se sont multipliées et plusieurs ont tenté de se démarquer de ce cadre juridico-philosophique par l’emploi d’approches empiriques ou dialectico-historiques. L’élargissement, la complexification et la fragmentation du domaine d’études des relations internationales ont largement contribué à cette diversification théorique. Celle-ci a donné lieu à de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Ainsi, les partisans des théories essentialistes et dialectico-historiques ont accusé les théories empiriques positivistes et behavioralistes de camoufler leurs postulats normatifs «conservateurs» sous une pseudo-neutralité. Les théoriciens empiristes, pour leur part, ont critiqué la nature «aléatoire», «approximative» et «peu scientifique» des théories essentialistes.
Un des points sur lequel le débat s’est cristallisé est le recours à la formalisation et à la quantification. Comme le souligne Braillard (1977, 18-23), cette controverse a donné lieu à bien des confusions épistémologiques. D’une part, plusieurs empiristes ont eu tendance à surestimer la valeur du formalisme scientifique en considérant que l’on pouvait expliquer des phénomènes sociaux à l’aide des mêmes instruments mathématiques que ceux des sciences exactes. D’autre part, les tenants des approches essentialistes et dialectico-historiques ont sous-estimé l’apport de ces emprunts aux sciences exactes et la possibilité d’élaborer des outils de formalisation et de quantification plus conformes à l’essence des sciences sociales. Une autre polémique a opposé les ethnocentristes et les relativistes, les seconds dénonçant l’incapacité des théories des sciences sociales – et des relations internationales – à expliquer adéquatement la réalité globale en raison de leurs présupposés explicites ou implicites occidentalo-centristes, et les premiers reprochant aux relativistes leur idéalisme et leur subjectivisme.
Il existe plusieurs classifications différentes des théories des relations internationales. La plupart établissent néanmoins une distinction entre les théories générales, soit les trois philosophies qui ont proposé une explication normative, historique et relativement globale des relations internationales – le réalisme, le libéralisme et le marxisme –, et les autres théories. Cette deuxième catégorie regroupe les théories partielles propres aux divers champs de spécialisation des relations internationales et les théories normatives critiques des théories générales.
Le premier chapitre de cet ouvrage traite des théories générales des relations internationales, en distinguant toutefois les conceptions classiques et néoclassiques du réalisme, du libéralisme et du marxisme. Il examine ensuite les principales théories critiques des théories générales. Les théories partielles sur la politique étrangère des États et l’économie politique internationale forment le propos des chapitres trois et quatre.
Les théories générales classiques
Le réalisme
On a attribué le qualificatif «réaliste» aux auteurs qui prétendent considérer l’humain et les rapports sociaux – notamment les relations politiques – tels qu’ils sont et non tels que l’on voudrait qu’ils soient, au nom d’un idéal. C’est la raison pour laquelle leurs détracteurs les considèrent souvent comme des conservateurs ou des défenseurs du statu quo. En vérité, les réalistes croient que, le monde étant gouverné par certaines lois objectives ou par des caractéristiques naturelles immuables, le changement ou le progrès n’est possible que s’il est fondé sur la connaissance et la prise en compte de ces contraintes. La préoccupation première des réalistes est donc de comprendre ces contraintes grâce à une observation objective de la réalité. Dans les faits, toutefois, leur observation du réel demeure sélective et entachée de jugements de valeurs. En témoignent les quatre thèses qui constituent, selon Paul Viotti et Mark Kauppi (1999, 55-56), la quintessence de la pensée réaliste: les États sont