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Khalid Chraibi - Economia


Chroniques d'économie marocaine

La charia, le « riba » et la banque


Economia Mai 2007

Khalid Chraibi
Un courant religieux conservateur, prenant naissance dans les Etats du Golfe, se propage
depuis plusieurs années dans les autres pays musulmans, s’étendant à de nombreux aspects de la vie
quotidienne. Par exemple, sous l’influence des prédicateurs du Moyen Orient, des Marocains se
demandent, aujourd’hui, (comme beaucoup de musulmans résidant en Europe et en Amérique du
Nord), si les opérations de banque moderne sont conformes à la charia, alors que d’autres citoyens
n’hésitent pas à affirmer que seules les opérations des « banques islamiques » sont « halal ».
Cette influence des Etats du Golfe sur la culture des musulmans résidant dans d’autres pays,
ressort clairement de la question posée, au cours de l’été 2006, au prédicateur qatari Yusuf al-
Qaradawi, alors en visite au Maroc : un Marocain peut-il licitement contracter un prêt à intérêt auprès
d’une banque marocaine, pour financer l’achat d’un logement, puisqu’il n’existe pas au Maroc de
banques offrant des « produits islamiques » ?
Le prédicateur s’est référé à une décision du Conseil Européen de la Fatwa, qui autorise les
minorités islamiques vivant en Europe, sans accès à des banques opérant selon les règles de la charia,
à prendre de tels prêts, en se basant sur la règle : « La nécessité abolit les interdits » (addarouratou
toubihou al mahdhourat). D’après lui, cette règle s’applique parfaitement au cas marocain.
L’influence des prédicateurs du Moyen Orient sur les Marocains, en matière de choix
bancaires, s’amplifiera, sans doute, au cours des prochaines années, du fait que Bank al Maghrib a
maintenant autorisé le système bancaire national à commercialiser des « produits islamiques »
sélectionnés, dans le cadre de « fenêtres » spécialisées. Le revirement des autorités marocaines, qui se
sont opposées au cours des deux dernières décennies à ce genre d’opérations, s’explique, entre autres,
par l’engagement des opérateurs des pays du Golfe à investir plusieurs milliards de dollars dans
l’économie marocaine, à la seule condition qu’on leur fournisse les « conduits » adéquats.
Au cœur du débat sur les institutions bancaires des deux types, on trouve le concept d’intérêt.
La banque moderne l’applique dans ses opérations, alors que la banque « islamique » en nie
l’utilisation. Or, dans l’esprit de nombreux musulmans, le concept d’intérêt est inextricablement lié à
celui de « riba », que le Coran interdit de manière explicite et sans équivoque.
Le riba recouvre en premier lieu l’usure, sur l’interdiction de laquelle il y a unanimité. Mais,
d’après une majorité des oulémas, il englobe aussi « l’intérêt sous toutes ses formes ». Mais, de
nombreux experts estiment, depuis le milieu du 19è s., que l’extension de la notion de riba aux intérêts
bancaires, sur la base du « qiyas » et de l’ijtihad, s’est faite sur des bases juridiques discutables, dans
la mesure où les opérations de banque moderne sont de nature totalement différente de ce qui existait
en Arabie, au temps de la Révélation.
En effet, ce n’est qu’aux 19è et 20è s., suite à l’occupation de différents pays musulmans par
des Etats européens, que les structures bancaires modernes, utilisant des instruments financiers
incorporant le concept d’intérêt, ont fait leur apparition dans ces pays. Les oulémas ont assez
rapidement compris le fonctionnement du système, et réalisé que l’intérêt constituait une rémunération
justifiée du capital financier et de l’épargne.
C’est ce qui explique que, depuis un siècle et demi, les Grands Muftis d’Egypte et Sheikhs
d’Al-Azhar, ayant assimilé cette conclusion, déploient des efforts théoriques considérables pour établir
la différence entre les intérêts bancaires (aux retombées économiques positives et donc souhaitables) et
le riba prohibé.
Ce n’est guère le lieu de citer, ici, toutes les fatwas significatives énoncées sur ces questions,
en Egypte, pendant le dernier siècle. Muhammad Abduh, Mahmud Shaltut, Muhammad Sayyed
Tantawi ou Nasr Farid Wasil (tous Grands Muftis d’Egypte et Sheikhs d’Al-Azhar), sont les auteurs de
textes importants, pour ne citer que certains des noms connus sur le plan international. Tous ces
éminents experts de la charia considèrent que l’assimilation du riba à l’intérêt bancaire est discutable,
et constitue une interprétation abusive des règles du droit musulman.
Abd al Mun’im Al Nimr, ancien ministre des Habous d’Egypte, fournit une bonne illustration
de ces propos : « L’interdiction du riba se justifie par le tort porté au débiteur. Mais, puisqu’il n’y a
aucun tort porté aux personnes qui procèdent à des dépôts dans une banque, l’interdiction du riba ne
s’applique pas aux dépôts en banque. » Des raisonnements similaires s’appliquent aux divers autres
aspects des opérations bancaires.
Quand on limite le domaine du riba à celui de l’usure, comme le font ces juristes islamiques
éminents, la banque moderne n’est plus concernée par le riba, puisqu’elle ne se livre pas à l’usure. Et
c’est exactement cela le raisonnement marocain en la matière, par exemple.
Quant à la proposition selon laquelle les activités des banques islamiques
n’incorporent pas d’intérêt, elle soulève un débat de fond. D’après certains, ces
banques se contenteraient, dans certains cas, de procéder à des manipulations
sémantiques, substituant un mot à un autre (« loyer » au lieu d’ « intérêt », par
exemple) ou introduisant des étapes multiples dans une procédure (rédaction de
deux contrats au lieu d’un seul), pour atteindre leurs buts lucratifs, tout en
respectant, en apparence, les stipulations de la charia. Cela ferait partie des «
hiyals » (ruses juridiques) dans lesquelles les théologiens musulmans sont passés
maîtres, au cours des siècles.
Le défi de la qualité
Economia Avril 2007

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
A l’ère de la mondialisation, la qualité des produits et services constitue une condition essentielle de
succès sur le marché, compte tenu de l’intensification de la concurrence sur le plan mondial. Mais, au
Maroc, la qualité fait, depuis longtemps, figure de parent pauvre dans les préoccupations de nombreux
opérateurs économiques.

Les Marocains observent, depuis la fin des années 60, une détérioration graduelle, mais indiscutable,
de la qualité de nombreux produits agricoles, industriels ou de l’artisanat. Ainsi, des fruits et légumes
difformes et sans goût sont proposés aux ménagères qui font leur marché, sans commune mesure avec
la qualité des produits d’il y a une trentaine d’années. Des produits d’artisanat d’une grande médiocrité
sont proposés aux touristes. Même les produits de grande consommation et les produits industriels ne
font pas exception à cette tendance.

Le déclin de la qualité des produits marocains s’explique, en partie, par des considérations historiques.
Avec le retour en France des « colons » à partir des années 60 et la « marocanisation » de nombreuses
activités à partir des années 70, les activités de production sont passées sous le contrôle d’hommes
d’affaires marocains qui avaient fait leur fortune dans le commerce, l’immobilier, les professions
libérales ou les services. Ils n’avaient, en général, ni les connaissances techniques, ni l’expérience
spécifique requise pour gérer les entreprises qu’ils reprenaient.

Profitant de situations de rente sur des segments de marché captifs, efficacement « protégés » par les
barrières douanières, ils ont cherché à maximiser leur profit, et usé habilement de l’effet de levier pour
prendre progressivement le contrôle d’autres entreprises. Mais, l’amélioration de la qualité de
production, le développement de nouveaux produits, ou l’exploration de marchés étrangers ne faisaient
pas partie, en général, de leurs préoccupations prioritaires. Ils s’étaient contentés de faire un «
placement », qu’ils seraient prêts à céder à un bon prix, quand l’occasion s’en présenterait.

Ayant le plus souvent développé leur savoir-faire et aiguisé leurs talents en travaillant sur le tas, tout
au long d’une longue carrière, ces repreneurs n’ont pas ressenti le besoin de s’entourer de spécialistes
dans leurs nouveaux domaines d’activités. Ils ont préféré nommer aux postes-clés de ces entreprises
des hommes de confiance, ou des membres de leur famille.

Cette approche est parfaitement illustrée, dans le secteur agricole, par le peu d’intérêt que les grands
propriétaires terriens manifestent pour le recrutement d’ingénieurs agronomes. Ils ne mesurent que le
coût « élevé » de ces derniers, et non la contribution positive qu’ils pourraient faire au développement
des activités de leur propriété agricole. Ils préfèrent donc se contenter de petit personnel
d’encadrement, formé sur le tas, pour gérer les opérations.

L’ouverture des frontières marocaines aux opérateurs et aux produits étrangers bouscule aujourd’hui
toutes les données de cette situation. Pour survivre dans ce nouvel environnement, les opérateurs
économiques marocains devront impérativement faire preuve de grandes facultés d’adaptation, en
relevant, en premier lieu, le défi de la qualité. Mais, le peuvent-ils ?
Un premier élément de réponse est fourni par le secteur de la sous-traitance qui, depuis des décennies,
produit des articles de qualité, répondant à des cahiers de charges précis et rigoureux, à la satisfaction
des clients étrangers les plus divers. Les Marocains peuvent donc faire une production de qualité,
quand les circonstances l’exigent. Mais, peuvent-ils faire cela au niveau de l’ensemble des activités ?

L’expérience du Japon en matière d’amélioration de la qualité de production à l’échelle nationale


fournit des indications intéressantes à cet égard. A la fin des années 40, le Japon était un pays
complètement dévasté par la guerre, qui cherchait par tous les moyens à se reconstruire. L’économie
japonaise, basée depuis toujours sur les activités d’exportation, avait du mal à se relever des
décombres, et les produits japonais étaient devenus synonymes de médiocrité. Pourtant, en une dizaine
d’années, la situation fut radicalement transformée grâce à William E. Deming, un statisticien
américain en mission auprès des forces américaines au Japon, qui avait développé une méthodologie
originale de contrôle de qualité de production, basée sur l’utilisation des méthodes statistiques.

S’adressant aux Présidents des plus grandes entreprises japonaises en 1951, Deming leur déclara :
"Aujourd'hui, les produits que vous fabriquez sont considérés comme de la camelote. Mais, si vous
m’écoutez, et si vous faites ce que je vous dis, dans cinq ans on opposera des barrières douanières à
vos produits, et le niveau de vie au Japon finira par égaler celui des pays les plus prospères".

En appliquant les techniques de contrôle de qualité prônées par Deming, l’industrie japonaise connut
une transformation considérable en quelques années. Dès les années 60, elle figurait parmi les
industries les plus développées, en termes de savoir-faire. Le label « Made in Japan » devint synonyme
de qualité sur le plan mondial. Il l’est toujours.
Les « secrets » des entreprises compétitives
Economia Mars 2007

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
Au Maroc, les managers ont souvent tendance à considérer les effectifs d’une entreprise comme de
simples « postes de travail » à gérer de très près, afin de s’assurer que chacun remplit correctement la
fonction qui lui est dévolue. Ainsi, l’aide-comptable peut-il exercer pendant des années les activités
pour lesquelles il a été recruté, sans que l’entreprise n’attende rien de plus, de lui. Grâce à l’expérience
acquise sur le tas, il peut espérer gravir, au fil des ans, quelques échelons avant d’atteindre, selon
l’expression de Peter, le « seuil de son incompétence ».

Mais, est-ce vraiment ainsi qu’on tire le meilleur parti des hommes, dans la société moderne ?

Dans les pays du Tiers Monde, les chefs d’entreprise risquent de répondre par l’affirmative à cette
question, sans hésitation. De leur point de vue, l’entreprise comporte un vaste réseau de fonctions
spécifiques qui doivent être assurées de manière fiable, et les hommes sont recrutés pour répondre à
ces besoins.

Mais, dans les pays industrialisés, cette vision des choses est périmée depuis plus d’un demi-siècle.
Jack Welch, PDG de General Electric (GE) et l’un des maîtres à penser de la gestion moderne, en
fournit une bonne illustration.

Welch est un praticien chevronné de la gestion, ayant occupé les fonctions de PDG de General Electric
(GE) pendant deux décennies. Il en a fait l’une des entreprises les plus dynamiques sur le plan
mondial, employant près de 340 000 personnes dans 100 pays, opérant dans des domaines diversifiés
(ampoules électriques, générateurs électriques, appareils d’imagerie médicale, moteurs d’avion,
plastiques, services financiers…). Le chiffre d’affaires de la société est passé de 27 milliards $ en 1980
à 130 milliards $ en 2000. La capitalisation boursière est passée de 14 milliards $ à plus de 400
milliards $. La société est aussi l’une des entreprises les plus admirées du monde. Elle occupe en 2006,
pour la sixième fois, la place « numéro 1 » dans les classements préparés séparément par la revue
américaine « Fortune » et le « Financial Times » de Londres.

Welch attribue la croissance spectaculaire de son entreprise, au cours de ses deux décennies de
présidence, à la conjonction de deux facteurs : le choix des hommes et la libre circulation des idées.
D’après lui, l’entreprise doit constamment placer l’accent sur les valeurs d’abord, avant les chiffres.
Pour réussir dans ses activités, elle doit attirer les meilleurs talents et leur donner toutes les occasions
de s’épanouir, transformant ceux qui en ont le potentiel en véritables leaders. GE consacre à cet effet
un temps énorme et des sommes considérables à la formation et à la gestion de carrière de son
personnel, bien au-delà de tout ce qui se fait habituellement dans l’industrie américaine.

D’après Welch, les responsables de l’entreprise, à tous les niveaux, doivent avoir une vision claire de
comment « mieux faire » les choses qui doivent être faites. Ils doivent stimuler, motiver et inspirer les
gens autour d’eux, au lieu de les énerver, de les déprimer et de les contrôler. Les membres du
personnel doivent avoir l’autonomie nécessaire pour prendre leurs propres décisions, et ne pas être
traités en simples agents d’exécution de décisions prises aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie.
Les procédures doivent être simplifiées, l’atmosphère informelle et détendue, afin que les personnes
concernées puissent remettre en cause les décisions des patrons, à chaque fois qu’elles le jugent utile.

Les managers et l’ensemble du personnel doivent travailler comme des membres d’une seule équipe,
et être récompensés sur la base des résultats du travail de groupe.

L’entreprise doit être constamment en train d’améliorer la qualité de ses produits, pour qu’ils soient
incontournables pour les clients. A cet effet, elle doit innover en permanence, afin de rester dans la
course face à ses concurrents. Elle doit sans arrêt développer sa capacité à se renouveler, à se donner
des défis et à les remporter.

Les responsables doivent être à l’affût d’idées nouvelles, d’où qu’elles viennent, et apprendre à les
utiliser à l’avantage de la société. Ils doivent assurer un bon suivi de tout ce qui se décide, tout en
luttant contre les comportements bureaucratiques qui produisent des blocages. Le changement doit être
perçu à tous les niveaux de l’entreprise comme une chance à saisir, pour améliorer la situation de la
société, même quand il dérange les habitudes et les intérêts établis.

Le personnel de GE est constamment mobilisé pour atteindre les objectifs de la société, ne serait-ce
que pour éviter de faire partie des 10 % des effectifs dont GE se sépare chaque année, parce qu’ils sont
les plus mal classés, lors des évaluations annuelles. En les remplaçant par des personnes répondant
mieux à ses besoins, la société s’assure de rester à un niveau élevé de compétitivité.

Welch n’est pas un guru visionnaire, qui développe ses théories de gestion dans
une « tour d’ivoire », mais un véritable praticien de l’art de la gestion
d’entreprise. Ayant présidé pendant vingt ans aux destinées de l’une des plus
grandes entreprises du monde, avec le succès que l’on connaît, il mérite
certainement qu’on étudie ses idées avec la plus grande attention.
Plan « Emergence » et développement industriel :
Economia Février 2007

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
Avec l’ouverture progressive des frontières aux produits étrangers au cours des dernières années, le
marché marocain a été inondé de produits d’importation qui ont connu une grande faveur auprès du
public, au détriment des produits locaux. Des entreprises de plus en plus nombreuses connaissent de ce
fait des difficultés certaines, parce qu’elles n’ont pas su mettre en œuvre des stratégies industrielles et
commerciales efficaces pour protéger leurs parts de marché contre cette concurrence étrangère.
L’échec de la politique de mise à niveau n’a fait qu’exacerber la vulnérabilité de telles entreprises.

Nonobstant cela, les industriels marocains sont invités à se tourner vers les marchés étrangers, pour y
développer des débouchés pour leurs produits, afin de consolider leurs positions et de s’intégrer aux
nouvelles donnes de la mondialisation du commerce. Mais, le peuvent-ils réellement ? Dans un monde
industriel en mutation, à quel avenir l’industrie marocaine peut-elle raisonnablement aspirer ?

Les pouvoirs publics et les opérateurs industriels se sont évidemment sentis interpelés par ces
questions au cours des dernières années, ce qui les a conduits à l’élaboration du plan « Emergence ».
Ce dernier se propose de mettre en valeur les facteurs compétitifs d’industries marocaines choisies,
pour mieux les positionner sur le plan international. Il s’articule, on s’en souvient, autour de quatre
grands axes d’intervention :

Encouragement de la filière « offshore » de services et processus administratifs (tels que les « call-
centers », la comptabilité, la gestion administrative, etc.) ;

Création de zones de sous-traitance industrielle centrées sur les activités d’exportation dans les
domaines de l’automobile, de l’électronique, de l’aéronautique, etc. ;

La modernisation des secteurs agro-alimentaire (en particulier les fruits et légumes et les industries des
corps gras) ; industries de transformation des produits de la mer ; textile ; et artisanat orienté export ;
et

L’amélioration de l’environnement des affaires par la mise en œuvre de mesures appropriées d’ordre
administratif, fiscal, etc., afin de donner aux opérateurs économiques les incitations et les appuis dont
ils ont besoin pour développer leurs activités.

Le Plan « Emergence » constitue, ainsi, une sorte de plan de développement industriel axé sur les
nouvelles opportunités de production et de commercialisation offertes par la mondialisation. Mais,
peut-il réellement réaliser les objectifs ambitieux qu’il s’est fixés, tels que celui d’atteindre en dix ans
le niveau de développement de la Malaisie, et en vingt ans celui de l’Espagne ? Peut-il surtout
constituer des assises solides pour le développement de l’industrie marocaine de manière plus générale
?

La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) est précisément
spécialisée dans l’analyse de telles questions. Dans son « Rapport sur le commerce et le
développement , 2006 » publié en septembre 2006, elle analyse l’évolution de l’environnement
économique international et fait des recommandations au sujet des mesures de politique économique
susceptibles d’entraîner la croissance économique et la création d’emplois, en relevant le niveau de vie
à long terme dans les pays en développement.

La CNUCED observe que, dans de nombreux pays du Tiers Monde, « les mesures de libéralisation de
l’économie adoptées dans les années 80 et 90, à la demande des organisations financières
internationales, ont accentué les inégalités, au lieu de les atténuer. Elle souligne que toute prescription
relative au développement économique doit tenir compte de la situation propre de chaque pays : il n’y
a pas de solution unique et universelle. »

La CNUCED recommande aux gouvernements de renforcer les entreprises locales et de veiller à ce


que les règles du commerce international et les conditions imposées par les institutions financières
internationales ne brident pas de manière excessive ces pays en les empêchant d’adopter la ligne de
conduite la plus favorable à leurs intérêts. Elle leur recommande également de protéger les entreprises
naissantes, « en recourant avec circonspection aux subventions et aux droits de douane, jusqu’à ce que
les producteurs locaux puissent affronter la concurrence internationale en vendant des produits de plus
en plus élaborés ».

« Des subventions temporaires soigneusement conçues peuvent favoriser des investissements


novateurs, de même que des mesures temporaires de protection à l’encontre des importations peuvent
susciter des processus d’apprentissage parmi les entreprises locales. »

Elle recommande l’« intégration commerciale stratégique », permettant aux entreprises locales de
s’introduire prudemment et de façon ordonnée sur les marchés internationaux.

La CNUCED apporte, indirectement, un complément d’éclairage utile aux actions retenues dans le
cadre du Plan « Emergence », lorsqu’elle souligne que la restructuration économique ne peut être
confiée uniquement aux forces des marchés, et que les gouvernements doivent faire preuve de
volontarisme pour stimuler la dynamique de ces marchés.
Mise à niveau : les raisons d’un échec :
Economia Janvier 07

Chronique entreprise

Khalid Chraibi
Le programme de mise à niveau des entreprises marocaines a eu 10 ans en 2006, mais ni l’Union
Européenne qui l’a parrainé sur le plan financier et technique, ni les organismes marocains qui lui sont
associés n’ont songé à célébrer cet anniversaire, tant le bilan qui peut en être dressé est décevant,
comparé aux attentes.

Pourtant, lors de son lancement il y a 10 ans, le programme était doté, a priori, de tout ce qu’il fallait
pour réussir. Il se justifiait du fait que, depuis le milieu des années 1990, l’économie marocaine s’était
résolument ouverte sur le monde extérieur, avec l’adhésion du Maroc à l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) en 1994, suivie de la signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne
(1996). Au cours des années suivantes, des accords ont été signés avec l’Association européenne de
libre échange (1997) ; puis, avec la Turquie, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie (« accord d’Agadir ») ;
et enfin, avec les Etats-Unis (2004).

Dans l’optique de l’ouverture totale des frontières du Maroc aux produits et aux opérateurs étrangers
en 2010, il était nécessaire de placer l’entreprise marocaine dans les meilleures conditions possibles
pour assurer sa pérennité, conserver ses parts de marché sur le plan interne, et développer ses activités
d’exportation, afin de profiter de la dynamique de la mondialisation.

Le programme de mise à niveau devait ainsi permettre de mener des actions dans des domaines aussi
diversifiés que le renforcement des infrastructures ; l’amélioration de la formation professionnelle ; la
promotion des exportations ; le renforcement des associations professionnelles ; le développement de
l’infrastructure technologique ; la réalisation de diagnostics d’entreprises ; le financement de la mise à
niveau, etc. Les associations professionnelles étaient mobilisées pour encourager leurs adhérents à y
participer.

« Euro-Maroc Entreprise » fut créée pour gérer toutes ces activités sur le terrain. Elle devait réaliser
des activités de pré-diagnostics, organiser le financement et la réalisation de diagnostics approfondis et
de plans d’affaires, mettre en relation les entreprises marocaines avec des partenaires étrangers…

Mais, le programme eut beaucoup de mal à décoller, pour de multiples raisons. La multiplicité et la
complexité des règles de fonctionnement de l’Union Européenne et les innombrables conditions à
remplir pour le démarrage du programme entraînèrent des retards sévères dans sa mise en œuvre.

La démarche d’Euro-Maroc Entreprise était, de son côté, si pointilleuse et complexe, dans son souci de
respecter toutes les règles et contraintes établies par l’Union Européenne pour la mise en œuvre du
projet, qu’elle réduisit presque à néant son impact sur le secteur industriel. En 2002, Euro-Maroc
Entreprise dressait le bilan suivant de ses opérations cumulées sur plusieurs années :

« Sur un total de 250 entreprises ayant déposé un dossier de demande à Euro-Maroc Entreprise depuis
sa création, 150 ont été retenues et 100 pré-diagnostics ont été réalisés. Sur les 50 demandes déposées
pour le passage à la deuxième phase, 20 ont pu être retenues jusqu’à présent. Un plan d’affaires a été
réalisé pour une seule entreprise ».
Tirant la leçon de quelques cinq années de « démarrage » du programme, les différents partenaires
procédèrent à sa refonte en 2002. En vue de dynamiser le processus, l’Etat renforça sa position comme
acteur dans la mise en oeuvre du programme de mise à niveau. Mais, l’éparpillement des
responsabilités entre de nombreux intervenants, en même temps que la centralisation des décisions à
un niveau hiérarchique élevé, finit par gripper le système.

Une Agence nationale pour la promotion de la PME (ANPME) fut créée, devant jouer un rôle de
premier plan dans la mise en œuvre du programme révisé de mise à niveau. Mais, malgré le
regroupement des lignes de crédit étrangères auprès de cette agence, pour une plus grande efficacité,
les résultats continuèrent d’être décevants. Les procédures étaient interminables et les entreprises
avaient beaucoup de difficultés à accéder aux fonds, relativement modestes.

Les PME continuèrent d’expliquer leur peu d’empressement à y recourir par les nombreuses
contraintes auxquelles elles étaient confrontées, dans les domaines de la fiscalité, du foncier et du
crédit, entre autres.

Le programme continua d’être perçu par les utilisateurs potentiels comme un simple programme de
bailleurs de fonds étrangers, qui ne suscitait guère de véritable mobilisation au niveau national. Il a fini
par ressembler à une greffe que l’organisme aurait rejetée, pour de multiples raisons.

Seule, l’Union Européenne a sauvé la mise, grâce à sa stratégie gagnant-gagnant. En effet, si le


programme de mise à niveau réussissait, il donnait beaucoup de travail aux cabinets-conseils
européens qui devaient nécessairement être associés à l’opération de mise à niveau. Et s’il
s’embourbait, c’étaient les entreprises européennes qui profiteraient de la situation, et trouveraient plus
de facilité à s’imposer sur le marché marocain, face à des entreprises marocaines mal préparées à
défendre leurs parts de marché.
Il n’est de richesse que d’hommes :
Economia Décembre 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
L’Union Marocaine pour la Qualité (UMAQ) a organisé, du 13 au 17 novembre 2006, la Semaine
Nationale de la Qualité sous le thème : « Investir dans nos ressources humaines, c’est développer nos
performances ». Elle a également placé l’édition 2006 du Prix National de la Qualité sous le thème :
"Croire dans les ressources humaines, c'est la clé du succès". L’UMAQ appelle ainsi l’attention des
entreprises sur l’une des ressources les moins valorisées de notre pays.

En effet, quand le chef d’entreprise marocain dresse la liste des atouts dont son entreprise dispose pour
développer et diversifier ses activités, pour améliorer ses produits, ou pour étendre sa part de marché,
que ce soit sur le plan national ou à l’étranger, ce ne sont pas les ressources humaines de l’entreprise
qui lui viennent spontanément à l’esprit. Il pensera plutôt à des facteurs à son avis plus importants tels
que les infrastructures, les biens d’équipement et les ressources financières dont l’entreprise dispose,
les marques importantes qu’elle commercialise, les brevets qu’elle détient, la part de marché qu’elle
occupe, l’assistance technique étrangère qu’elle peut éventuellement mobiliser dans ses activités, etc.
Par contre, dans son esprit, le personnel sera le plus souvent considéré comme un facteur de
production de l’entreprise, qui fait partie des rubriques de charges, et non de celles des ressources.

Cette vision des choses n’est pas propre au secteur industriel. Elle prédomine dans tout le pays. Ainsi,
bien que le Maroc soit un pays à vocation agricole, et que le nombre des experts en agriculture y soit
des plus modestes, les ingénieurs agronomes marocains ont le plus grand mal à trouver un emploi dans
les grandes propriétés agricoles privées. Les propriétaires terriens préfèrent, en effet, faire l’économie
du salaire d’un ingénieur agronome, se contentant de petit personnel d’encadrement formé sur le tas
pour prendre soin de leurs activités agricoles. Dans leur esprit, l’ingénieur agronome ne leur apportera
pas grand’chose d’utile, pour justifier son salaire. Il ne sera pas une ressource qui enrichira leurs
activités, mais plutôt une charge à éviter. Des exemples similaires, se rapportant à tous les métiers,
viennent à l’esprit à foison.

En conséquence, on se retrouve dans la situation paradoxale où des diplômés de haut niveau, dans les
spécialités les plus diverses, sont au chômage dans un pays où tout, en vérité, reste à faire pour
répondre aux besoins quotidiens de la population ou pour améliorer son bien-être. Bien plus, ceux qui
en ont la possibilité sont encouragés à partir à l’étranger, pour y chercher du travail, comme si le
marché de l’emploi au Maroc était déjà saturé, et comme si ces diplômés ne pouvaient rien apporter
d’utile à l’économie marocaine. Cette approche témoigne d’une méconnaissance grossière des données
de la situation.

En effet, il y a cinq siècles déjà, le célèbre homme de loi et économiste français, Jean Bodin, affirmait
: « Il n’y a de richesse que d’hommes ». Il signifiait par là que, dans le domaine militaire, sur lequel
portait son analyse, ce sont les hommes, plus que tout autre facteur, qui font la puissance d’une nation.
L’expérience des pays industrialisés au cours des derniers siècles témoigne, s’il en était besoin, que la
proposition de Jean Bodin s’applique également à d’autres domaines, tels que ceux de l’économie ou
de l’entreprise. En effet, les grandes puissances économiques contemporaines ont énormément misé,
depuis plus d’un siècle, sur la valorisation de leurs ressources humaines, à travers l’enseignement
généralisé, le développement de l’enseignement supérieur, l’aide aux étudiants, la formation
professionnelle sur une grande échelle, la recherche, etc. Toutes ces mesures ont aidé à transformer les
ressources humaines de ces pays en autant de leviers de développement de leur puissance et de leur
richesse, tant au niveau des Etats qu’à celui des citoyens.

Aujourd’hui, les entreprises marocaines n’ont pas d’autre choix, si elles veulent survivre, que de se «
mettre à niveau », selon l’expression consacrée, pour faire face, dans des conditions viables, à la
concurrence internationale à laquelle elles seront confrontées, de manière de plus en plus vive, au
cours des prochaines années. Il faut souligner à cet égard que même les entreprises qui faisaient le plus
illusion, face à leurs concurrents nationaux, se sont révélées d’une grande vulnérabilité, ces dernières
années, une fois confrontées à une concurrence étrangère déterminée.

Elles devront donc développer leur capacité de performance, en mettant en place des structures
compétitives et des compétences techniques très fortes, que ce soit au niveau de leur organisation, de
leur encadrement, ou de la gestion de leurs ressources matérielles, humaines, financières, techniques
ou managériales.

La mise en place de structures et d’une politique de gestion méthodique des ressources humaines, à
l’instar de ce qui se pratique dans les grandes entreprises occidentales, jouera un rôle essentiel dans le
succès de cette opération, validant la proposition de l’UMAQ selon laquelle : « Croire dans les
ressources humaines, c'est la clé du succès ».
Réforme fiscale, privatisations et développement :
Economia Novembre 2006

Chronique entreprise

Khalid Chraibi
Au moment de présenter le projet de loi de finances 2007 au Parlement, le Ministre des Finances a
toutes les raisons de se réjouir. L’économie marocaine témoigne d’une bonne santé, avec une
croissance du PIB aux environs de 7,5 %, une inflation maîtrisée, un déficit inférieur à 3 %, malgré la
facture pétrolière en hausse, et un compte courant extérieur excédentaire, grâce aux performances du
tourisme (+ 29 %), aux recettes des MRE (+ 16,5 %) et à une amélioration des exportations (+ 11,7
%). Alors que les avoirs extérieurs sont à leur niveau le plus élevé, les recettes fiscales se sont
également nettement améliorées (IS + 27 %, TVA + 18 %), grâce à l’amélioration
aussi bien de l’activité économique que du rendement de l’administration.

Cette bonne tenue de l’économie marocaine en 2006 a rendu possible la mise en œuvre des
changements fiscaux programmés pour 2007, comprenant, en particulier, une réforme de l’impôt sur le
revenu (IGR, devenu IR), la promulgation du Code des impôts et la réforme de la fiscalité locale.

Le changement au niveau de l’IR touche aussi bien les taux que la grille des revenus : le seuil non
imposable est relevé de 20 000 dh à 24 000 dh ; le taux applicable au salaire annuel supérieur à 120
000 dh est ramené de 44% à 42 % et une nouvelle tranche de 60 000 dh à 120 000 dh est créée,
imposée au taux de 40 %. De ce fait, la pression sur les revenus salariaux enregistrera une baisse
d’environ 3 % sur pratiquement tous les niveaux de salaire, améliorant le pouvoir d’achat de la
population de manière générale.

Le code des impôts, qui sera promulgué en 2007, ne contiendra pas, quant à lui, de nouveautés
significatives, mais récapitulera tous les éléments introduits dans les Lois de
finances de 2004, 2005 et 2006. Placé sous les signes de l’harmonisation, la
simplification et la réduction du nombre des articles (ramenés à 252 au lieu de
415 auparavant), il consacrera l’amélioration de l’administration fiscale et sa
modernisation.

Quant à la réforme de la fiscalité locale, préparée par le ministère de l’Intérieur, avec l’appui de celui
des Finances, elle sera marquée par la réduction du nombre de taxes locales, ramenées à onze, et se
traduira par la mise en place de nombreux assouplissements. La taxe professionnelle se substituera à la
patente et la taxe d’habitation remplacera la taxe urbaine. Tous ces changements devraient déboucher
sur une simplification ainsi qu’une baisse de la pression fiscale locale.

La TVA, par contre, sera maintenue en l’état, sans changements majeurs en 2007. L’objectif de deux
taux de TVA, réclamé de nombreux côtés, continuera de faire l’objet d’étude de la part des services de
l’administration fiscale.

En ce qui concerne la réforme de l’IS, réclamée de longue date et avec


persistance par le patronat, le Ministre des Finances «comprend la légitimité de cette
revendication de la CGEM». Le principe d’une baisse de trois points du taux d’imposition des sociétés
(de 35 à 32 %) est, semble-t-il, déjà acquis. Le Ministre observe, dans ce contexte, qu’ «il est vrai
qu’à 35% le taux de l’IS est élevé mais, avec la provision pour investissement, il
n’est réellement que de 28 à 30% ». La baisse de l’IS pourrait être envisagée
pour l’année 2008, si les circonstances économiques et financières s’y prêtent. Si
l’Etat décide d’appliquer cette réforme, il faudra alors supprimer la provision pour
investissement dès 2007, puisque l’IS est toujours acquitté sur le bénéfice de
l’exercice précédent. Mais, l’Etat doit d’abord identifier d’autres ressources à lever, pour
compenser le manque à gagner important qui découlera de cette réforme.

Or, divers indicateurs économiques et financiers peuvent prêter à anxiété en


2007. A titre d’illustration, la croissance du PIB ne se situerait qu’à quelques 3,5
% par rapport à 2006. Le total des dépenses de la dette s’élèverait, quant à lui, à
quelques 59 milliards dh, dont 9,5 milliards dh pour la dette extérieure (+ 2,75
%) et 49,6 milliards dh pour la dette intérieure (+ 40,8 %). Le coût du service de la
dette s’accroîtra de quelques 33 % (correspondant à 30 % du budget général). Quant à la Caisse
de compensation, elle absorbera près de 16 milliards dh.

Un taux d’endettement aussi élevé se situe clairement à un seuil critique qu’il


n’est guère recommandable de dépasser, et rend les finances publiques bien
vulnérables. Si l’on écarte l’option du recours à l’emprunt, le Ministère des
finances en sera réduit à envisager d’autres options, telles que la privatisation de
grandes entités publiques, qui pourraient faire tomber des recettes substantielles
dans son escarcelle. Des organismes tels que l’OCP, la CDG, l’ODEP ou l’ONCF
pourraient ainsi se trouver dans la ligne de mire des experts du Ministère, au
cours des prochaines années.

Mais, la cession de tels organismes fera progressivement passer les fleurons de l’économie marocaine
aux mains des étrangers, seuls assez riches pour s’en porter acquéreurs, même s’ils ne sont pas
nécessairement aussi soucieux que les nationaux des besoins et des priorités du pays. Est-ce bien
raisonnable de mettre des étrangers aux commandes de ce que nous avons édifié de mieux au Maroc,
depuis un siècle, et d’en faire les décideurs de ce que sera le développement du pays à l’avenir ?

Par contre, le Ministère des Finances pourrait explorer avec profit les effets sur les
finances publiques d’une réduction substantielle des dépenses associées au train
de vie de l’Etat. Nul doute qu’il identifierait des économies considérables à
réaliser en ce domaine. La sagesse populaire n’enseigne-t-elle pas, à cet égard,
que le bon père de famille doit vivre selon ses moyens, sans commettre d’excès,
ni dilapider son héritage, s’il en a fait un, ni laisser de dettes à ses héritiers ?
Bâtisseurs d’empire :
Economia Octobre 2006

Chronique entreprise

Khalid Chraibi
Au cours des dernières années, quelques Groupes économiques et financiers marocains occupant des
positions-clé dans le paysage industriel, commercial et financier du pays ont saisi au vol les occasions
qui se présentaient (introductions en Bourse, « privatisation » des participations détenues par l’Etat,
etc.) pour procéder à une restructuration en profondeur du patrimoine économique qu’ils détenaient,
renforçant leur main-mise sur de nombreux secteurs d’activité.

Ils ont ainsi pris de plus en plus l’allure de « conglomérats », c’est-à-dire des regroupements au sein
d’un même holding d’entreprises hétéroclites, oeuvrant dans les secteurs les plus divers, dont le seul
point commun est qu’ils ont le même actionnaire de référence. Ce faisant, le pouvoir de décision
économique et financier s’est trouvé de plus en plus concentré, pour le meilleur comme pour le pire,
entre les mains de ces entrepreneurs reconvertis en « bâtisseurs d’empire ».

Parmi les nombreux Groupes qui relèvent de cette catégorie (AKWA, BMCE, Chaâbi, Holmarcom,
etc.), le Groupe ONA est particulièrement représentatif de la situation, que son Président décrit en
2006 comme suit : « Le groupe ONA est un groupe industriel à logique d’opérateur multipolaire centré
sur des positions de leadership, dans des métiers dont la croissance accompagne le développement
économique du Maroc et de la région. »

Aujourd’hui, les marques du Groupe, nombreuses et diversifiées, sont ultra-présentes dans les foyers
marocains, et pourraient accompagner tous les moments forts d’une journée normale (lait, yoghourt,
raïbi, sucre, huiles Lesieur, Cristal, Huilor ou Oléor, savons de ménage (dont La Main) et de toilette
(dont Le Paon) ; voitures de tourisme Peugeot, Citroën ou Renault, services bancaires et d’assurance
auprès d’AttijariWafa bank, AXA Assurance Maroc, Wafa Assurance ou le Cabinet Agma Lahlou-Tazi
; hypermarchés Marjane, supermarchés Acima ; télévision de 2M.

Mais les activités du Groupe ONA couvrent également d’autres créneaux très importants de biens
durables et de services, qui sont beaucoup moins connus du grand public, tels que : les mines
(Managem…), l’immobilier de luxe et de loisirs (Amelkis et golfs), la pêche en haute mer (Marona),
le conditionnement de produits de la mer (La Monégasque), le négoce international (Optorg), etc.

Si l’on continue avec l’exemple de l’ONA, on relève que le Groupe a renforcé en 2005 sa position
dans le secteur sucrier, avec la reprise des sucreries publiques par Cosumar. Mais il a également
manifesté sa volonté de se diversifier sur le plan de la région nord-africaine, avec l’acquisition par
Attijariwafa bank de 54 % de la Banque du Sud en Tunisie, par exemple.

Le Groupe entre également, en 2006, dans des activités à fort potentiel de croissance à moyen terme
comme les télécoms (obtention par Maroc Connect de la 3è licence de téléphonie fixe à mobilité
restreinte) et les « utilities » (services aux collectivités, notamment dans le secteur de l’eau, de
l’énergie, de l’environnement ou encore de l’assainissement). Le Groupe qualifie ces activités de relais
de croissance.
Grâce à toutes ces actions et initiatives, le Groupe ONA joue clairement le rôle de leader dans le
développement de nombreux secteurs économiques du pays. D’ailleurs, depuis que la SNI en a pris le
contrôle, le Groupe ONA a, encore plus que par le passé, les moyens de ses ambitions.

Cependant, l’expérience vécue des conglomérats incite à beaucoup de prudence à leur égard, comme
modèles d’organisation. Ils ont connu leur plus fort développement aux Etats-Unis, à partir des années
1960, et furent parés à l’origine de toutes les vertus. Mais ils prirent rapidement des allures de
prédateurs et de spéculateurs, prenant de grands risques dans leurs opérations, et finissant presque tous
par disparaître dans les décennies suivantes, à cause de leurs montages financiers très vulnérables.

Au Maroc aussi, de nombreux effets pervers peuvent être associés aux activités des conglomérats, et
toutes sortes de dangers peuvent les guetter, même quand ils semblent, aux yeux de l’observateur
externe, faire un parcours sans faute : bureaucratie, lenteurs (et parfois de l’improvisation) dans la
prise de décision, un certain arbitraire parfois dans les choix retenus par le management. La dispersion
de l’équipe dirigeante sur des activités qui n’ont rien de commun entre elles, conduit à des erreurs
d’appréciation, élimine le « professionnalisme » et le sens du « métier ».

Les relations privilégiées avec des banques importantes, membres du conglomérat, aboutissent à
biaiser les opérations de prêt de ces dernières, afin de sauvegarder les intérêts du conglomérat.

La facilité d’accès au financement auprès des banques du Groupe encourage les dérapages dans la
sélection des projets à développer, y compris les choix à caractère spéculatif. Elle favorise également
le surendettement du Groupe, source de tous les dangers. L’arbitrage financier entre le financement de
différents projets prioritaires devient difficile en cas de difficultés d’un projet important.

Le conglomérat essaiera toujours d’user de sa position dominante pour verrouiller ses secteurs
d’activités à l’entrée de concurrents, et a généralement divers moyens d’atteindre ses objectifs en la
matière ; parallèlement à cela, l’entreprise dominante a tendance à développer un laisser-aller dans
divers aspects de ses produits et de ses activités, en l’absence d’une concurrence sérieuse.

Finalement, même des équipes de management de premier plan connaissent des hauts et des bas dans
leur performance (exemple des dérives des équipes dirigeantes de la BNDE ou du CIH).

Les conglomérats peuvent donc être de mode actuellement au Maroc, et mener des opérations très
profitables pour leurs actionnaires, mais ce n’est pas sur eux qu’il faut compter pour le développement
économique et social du pays, à long terme. Une saine concurrence devrait être maintenue dans la
sphère économique, entre tous les opérateurs nationaux, afin d’éviter les dérapages auxquels les
opérations de ces « bâtisseurs d’empire » pourraient se prêter.
Paradoxes :
Economia n° 7 - septembre 2006

Chronique entreprise

Khalid Chraibi
A l’ère de la mondialisation, les marocains ressentent beaucoup d’attrait pour tout ce qui provient de
l’étranger, qu’il s’agisse de produits, de services ou de conseil. Mais, dans certaines situations, cet
intérêt devient manifestement excessif, et nous fait perdre de vue nos intérêts bien compris.

Ainsi, de nombreuses communes confient-elles à des organismes étrangers la gestion des activités de
distribution d’eau et d’électricité, ou de ramassage des ordures ménagères, etc. Ne serait-il pas plus
raisonnable de les confier à des opérateurs marocains expérimentés, à un moment où tout devrait être
mis en œuvre pour promouvoir l’emploi dans le pays ? Ou bien estime-t-on qu’ils ne peuvent pas
maîtriser la technicité de telles opérations ?

D’autres services nécessitant des investissements plus lourds mais générant aussi des bénéfices plus
intéressants, tels que la gestion d’autoroutes ou de ports, sont également souvent confiés à des
opérateurs étrangers, après un demi-siècle d’indépendance.

De même, au niveau du conseil d’entreprises, des commandes pour des montants considérables sont
régulièrement passées aux cabinets spécialisés étrangers, au détriment des professionnels marocains
oeuvrant dans les mêmes domaines d’activité. Pendant ce temps, les jeunes marocains diplômés
des meilleures écoles étrangères hésitent à rentrer au pays, une fois leurs études terminées, de peur de
se retrouver au chômage.

Lorsque ces jeunes marocains décrochent un travail à l’étranger, dans une multinationale, faut-il s’en
réjouir ? Car, la société marocaine perd tout le bénéfice de l’investissement national considérable
qu’elle a effectué dans leur formation pendant une vingtaine d’années, au profit d’opérateurs étrangers.

L’attrait de l’étranger se manifeste également, au niveau industriel, à l’occasion de la cession des


fleurons de l’industrie marocaine à des investisseurs étrangers. Il ne s’agit, le plus souvent, que d’un
transfert de titre de propriété, sans grande signification sur le plan économique, mais l’événement est
célébré comme une étape marquante dans le développement de l’industrie nationale. Est-ce bien
raisonnable de se réjouir de la cession de notre patrimoine, qui ne devrait s’effectuer que lorsque nous
y sommes contraints et forcés ?

Sur un plan un peu différent, au niveau des entreprises, le marché national a été
inondé, au cours des dernières années, dans le cadre de la « mondialisation », de
milliers de produits et de services de toutes provenances, répondant aux besoins
les plus courants comme aux goûts les plus exotiques des consommateurs et des
investisseurs.

Le consommateur marocain ne peut que s’en réjouir, bien sûr. Mais, de nombreux entrepreneurs
marocains voient la part de marché de leurs produits rétrécir comme une peau de chagrin, entraînant
des difficultés de tous ordres, qui mènent à des réductions de personnel ou même à des fermetures
d’usines.
Par ailleurs, les produits marocains connaissent souvent de grands déboires sur
les marchés étrangers. Où sont donc passés les bienfaits de la mondialisation,
tant vantés lors de la signature des accords internationaux ?

Enfin, certains marocains sont tellement subjugués par l’étranger qu’ils


demandent une nationalité étrangère dès qu’ils disposent du moindre prétexte
pour ce faire. Pendant ce temps, des citoyens moins favorisés perdent, semble-t-il, tout
espoir de trouver un travail dans leur pays, d’y fonder un foyer, ou d’y construire leur avenir. Ils
n’hésitent pas à traverser l’océan dans de frêles embarcations, au péril de leur vie, pour entrer sans
papiers dans des pays étrangers où ils espèrent, éventuellement, un jour, obtenir un travail et
régulariser leur situation.

Ne serait-il pas plus raisonnable, dans ces conditions, de faire preuve de plus de
solidarité au niveau national, et d’œuvrer tous ensemble pour réduire ces
paradoxes ? Ne pouvons-nous pas mettre en commun nos ressources, notre
savoir-faire, notre ingénuité, pour construire le Maroc de demain, au lieu d’offrir
ce que nous avons de mieux à des étrangers, au détriment de la communauté
nationale ?
La CGEM à l’ère du candidat unique :
Economia n° 6 Juillet 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
Le poste de Président de la CGEM comporte prestige, visibilité, et de réelles possibilités d’influer sur
le cours des événements dans le champ économique, pour celui qui se sent une vocation de leader.
L’élection du nouveau Patron des patrons, une fois tous les trois ans, est donc l’occasion d’une très
forte mobilisation des adhérents, dans cette organisation regroupant des milliers d’entreprises réparties
dans une multiplicité de fédérations. Mais, les élections de 2006 ont fait exception à cette règle.

Bien qu’une demi-douzaine de noms de candidats aient été avancés dans la presse, de manière
récurrente, pendant des mois, aucune des personnalités mentionnées n’a franchi le pas décisif de
déposer un dossier de candidature. Cet état des choses inquiéta suffisamment le Président sortant pour
qu’il demande à son Conseil juridique de lui indiquer la procédure légale à appliquer le 30 juin, le cas
échéant, si personne ne se portait candidat aux fonctions de Président dans les délais impartis.

La « frilosité » des candidats potentiels s’explique en partie, d’après certains, par les mésaventures que
le Président sortant de la Confédération patronale auraient connues, à la suite de sa mémorable sortie
médiatique de l’été 2005. Ayant fait part très franchement, dans une interview, de ses frustrations au
sujet de différentes questions d’ordre politique, économique et social, sans s’entourer des précautions
oratoires appropriées, il s’attira, semble-t-il, des vexations protocolaires et professionnelles
suffisamment significatives pour échauder des membres influents de la Confédération et refroidir les
ambitions des candidats potentiels à sa succession.

Mais, le facteur explicatif le plus important réside probablement dans les calculs électoraux pointus
auxquels les candidats peuvent se livrer, sur la base de la nouvelle distribution des voix électorales par
adhérent, après la réforme des statuts de 2005. Compte tenu de la multiplicité des « clans » au sein de
la CGEM, aux intérêts divergents et aux stratégies incompatibles entre elles, il est difficile à l’un de
leurs candidats de dégager une majorité viable. En contraste, le club très fermé des grands groupes a
énormément étendu son influence au sein de la Confédération, au cours des dernières années, et peut
mobiliser, aujourd’hui, un nombre considérable de voix électorales au profit du candidat de son choix.
Il peut ainsi faire pencher la balance de manière décisive, face à un électorat divisé.

La candidature « impromptue » de M. Hafid Elalamy à la présidence de la Confédération s’inscrit fort


logiquement dans cette optique. C’est un enfant de la maison, un homme connu de tous, au charme
débonnaire, aux grandes qualités humaines, à la grande expérience professionnelle également,
couvrant l’informatique et les assurances au Canada, l’ONA, Agma, la CNIA, l’offshoring, etc. au
Maroc. Non seulement a-t-il indéniablement réussi dans sa carrière d’homme d’affaires, mais il est très
bien introduit dans les cercles influents du pays, « un membre du sérail ». Fort intelligemment, il
explique les différents montages financiers et boursiers sur lesquels il a bâti sa fortune personnelle, au
cours des dernières années, pour bien montrer qu’il n’y a pas anguille sous roche.

Les grands groupes qui le parrainent le présentent comme un « candidat de la dernière chance »,
l’homme au profil idoine pour « débloquer la situation » et pour impulser la CGEM dans une nouvelle
direction, plus en ligne avec l’image et les besoins du « nouveau Maroc ».
Le candidat Elalamy observe : « Prendre la responsabilité de la CGEM, ce n’est pas chercher des
galons. Ce n’est pas un bâton de maréchal, c’est une responsabilité. Le Maroc n’est pas en situation où
l’économie va aller de mieux en mieux sans volonté de réformes et sans engagement de la part de tous
les opérateurs économiques. » Il pense qu’il faut régénérer la CGEM, qui doit adopter une démarche,
des positions et un mode de fonctionnement plus en phase avec la conjoncture marocaine actuelle, tant
sur le plan national qu’international. La CGEM doit revenir à sa mission première : défendre les
intérêts de ses adhérents et de l’économie, « en évitant les débats stériles ». Elle doit essayer,
autant que faire se peut, d’aider l’entreprise marocaine à mieux vivre son
époque. Elle doit contribuer à trouver, avec le Gouvernement, le Parlement et les différentes
institutions du pays, les moyens d’activer la croissance et la création de richesses pour tous.

La CGEM doit transmettre aux patrons le message qu’ils doivent prendre en main leur avenir,
ensemble, maintenant que l’Etat essaie de se désengager autant que faire se peut du champ
économique. Elle doit accompagner les entreprises dans leurs stratégies, les aider à se réadapter en cas
de besoin, pour s’intégrer dans le flux de la mondialisation. Elle doit donner aux opérateurs une vision
macroéconomique et une capacité d’anticipation. Ainsi, même s’ils sont pris dans l’engrenage des
activités quotidiennes, ils doivent pouvoir obtenir auprès d’elle une vision claire de l’économie
mondiale en évolution.

Le candidat veut établir un dialogue constructif avec l’ensemble des interlocuteurs : pouvoirs publics,
partenaires sociaux et autres. Les adhérents attendent de la CGEM qu’elle défende leurs intérêts, et
elle doit avoir les moyens de le faire. Or, demande-t-il, « si elle coupe les canaux de communication
avec le pouvoir, avec les partenaires syndicaux, comment peut-elle régler les problèmes » ?

Il insiste sur la nécessité d’éviter toute confusion entre le politique, l’économique et le stratégique. Il
est important que chacun joue sa partition, toute sa partition mais uniquement sa partition. Le candidat,
qui est féru de musique, explique : « Prenez un orchestre philharmonique. Vous avez des percussions,
des violons et un chef d’orchestre. Lorsque les violonistes déposent leurs violons et s’improvisent
percussionnistes, nous obtenons une cacophonie. Chacun doit assumer pleinement sa mission.
Lorsque, au sein de la CGEM, j’ai une politique économique que je souhaite voir mettre en place et
que je dois communiquer au législatif, est-ce de la politique que de lui expliquer comment l’économie
pourrait mieux fonctionner ? »

Le discours séduit, autant que la personnalité chaleureuse du candidat. Mais,


sera-t-il vraiment capable de traduire son discours dans les faits, et saura-t-il
maintenir l’équilibre indispensable entre les PME et les grandes entreprises, dans
les préoccupations de la Confédération ? Lui qui défend la création des
champions nationaux, pour des raisons économiques, saura-t-il faire en même
temps tout ce qui est nécessaire pour renforcer le tissu économique principal de
la CGEM : la PME/PMI ?
Formation et compétitivité :
Economia n° 5, juin 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
La formation continue du personnel est-elle un atout pour l’entreprise, dans ses efforts de
développement de produits compétitifs et dans sa lutte pour l’accroissement de ses parts de marché ?
Les chefs d’entreprise marocains ne le pensent pas, si l’on en croit une enquête citée dans le rapport de
la Banque Mondiale sur l’économie marocaine, rendu public en avril 2006, sous le titre « Promouvoir
la croissance et l’emploi à travers la diversification productive et la compétitivité ». Plus de 80 % des
chefs d’entreprise interrogés ont déclaré ne pas offrir de formation professionnelle à leur personnel «
parce qu’elle n’était pas nécessaire ».

Le dédain des entrepreneurs marocains pour les activités de formation « place le pays parmi ceux qui
ont le plus bas niveau de formation dans les entreprises». Pire encore, il constitue, de l’avis de la
Banque Mondiale, l’une des contraintes significatives qui réduisent la compétitivité des entreprises
marocaines et découragent l’innovation, débouchant sur un faible taux de croissance aussi bien des
unités concernées que de l’économie marocaine globalement.

Les auteurs du rapport observent, à cet effet, à titre d’illustration, qu’au Maroc « les travailleurs peu
qualifiés et à faible valeur ajoutée prédominent dans les entreprises orientées vers l’export. Ceux qui
ont passé moins de six ans à l’école représentent 45 % de leurs effectifs, et 7 % seulement ont effectué
plus de 12 années de scolarisation. » De manière plus générale, ils relèvent qu’à peine 9 % des
travailleurs marocains ont terminé leurs études secondaires.

Comment s’explique, dans ces conditions, le faible intérêt témoigné par les entreprises marocaines
pour les activités de formation alors que, en contraste, pratiquement toutes les entreprises américaines,
européennes ou asiatiques avec lesquelles elles risquent de se trouver en situation de concurrence sur
les mêmes marchés offrent des opportunités de formation continue à leur personnel ?

Les réponses des entreprises marocaines à ce sondage méritent qu’on s’y arrête, parce qu’elles aident à
identifier les vraies raisons pour lesquelles les activités de formation restent embryonnaires.

Ainsi, nombre d’entreprises déclarent-elles ne disposer que du strict volume de personnel nécessaire à
leur bon fonctionnement, et sont donc réticentes à le libérer à des fins de formation, pendant les heures
de travail.

D’autres unités craignent de voir le personnel qu’elles auront contribué à former les quitter pour un
poste plus attrayant ailleurs, réduisant à néant le bénéfice pour l’entreprise des efforts de formation
consentis.

Pour moins d’un-cinquième des chefs d’entreprise interrogés, ce sont des considérations d’ordre
financier qui justifient leur désintérêt pour les activités de formation. Ils soulignent la nature
fastidieuse et complexe du mécanisme de remboursement par les autorités concernées des frais des
activités de formation, et le caractère imprévisible du montant des remboursements qui seront
effectivement reçus par l’entreprise.
Les experts en formation ajoutent que la majorité des dirigeants marocains d’entreprises n’ont qu’une
connaissance approximative des besoins de formation de leur personnel. Nombre d’entre eux sont
habitués à gérer des « postes de travail » (et non pas les hommes qui les occupent), chaque membre du
personnel ayant une fonction spécifique à remplir, tel un rouage dans une machine. Le chef
d’entreprise est satisfait quand la machine tourne correctement, c’est-à-dire quand tous les participants
sont en place et accomplissent leur tâche de la manière qu’il attend d’eux.

Les sociologues pourraient ajouter, dans ce contexte, qu’une majorité des décideurs dans les
entreprises marocaines ne sont pas issus d’Ecoles Supérieures de Commerce, mais ont le plus souvent
développé leur savoir-faire et aiguisé leurs talents en travaillant sur le tas, tout au long d’une longue
carrière. Ne se basant que sur leur vécu, et en l’absence du référentiel culturel requis, il leur est
difficile d’apprécier à sa juste valeur la contribution positive pour l’entreprise d’une formation
continue du personnel, dont ils ne mesurent de manière évidente que le coût.

En tout état de cause, il est clair qu’une vision statique de l’employeur gérant des postes de travail ne
peut guère intégrer de la manière appropriée la nécessité des activités de formation. En effet, celle-ci
repose sur une vision dynamique des ressources humaines, intégrant comme paramètres de base la
mobilité du personnel entre différentes fonctions, ainsi que la possibilité de progression d’un employé
d’un niveau de responsabilité à un autre. Elle implique de ce fait l’existence de plans de carrière, ce
qui est en rupture totale avec une vision statique des « postes de travail ».

Au moment où le Maroc se prépare à l’ouverture totale de ses frontières aux produits et aux opérateurs
étrangers en 2010, il est plus nécessaire que jamais de placer l’entreprise marocaine dans les
meilleures conditions possibles pour assurer sa pérennité, conserver ses parts de marché sur le plan
interne, et développer ses activités d’exportation afin de profiter de la dynamique de la mondialisation.

Les activités de formation continue forment un élément essentiel de la mise à niveau du personnel des
entreprises, afin qu’il contribue à produire des produits de qualité, au moindre coût, sans gaspillage,
dans le respect des spécifications et des délais.

Il existe dans les grands centres industriels du pays une offre conséquente de programmes de
formation adaptés aux besoins des différentes catégories de personnel d’entreprise, ayant son origine
tant au niveau de l’OFPPT (Office de formation professionnelle) qu’à celui d’innombrables
organismes privés de formation qui se sont multipliés depuis les années 1980.

Un régime de contrats spéciaux de formation (CSF) a été mis en place pour permettre aux entreprises à
jour dans leurs contributions au titre de la taxe de formation professionnelle de se faire rembourser un
pourcentage variable de leurs dépenses de formation (70 à 90 %) pour des programmes de formation
essentiellement approuvés à l’avance. Mais les procédures des CSF sont « complexes, lentes et
arbitraires », de l’avis des entreprises qui y ont recours.

Afin d’encourager les entreprises à recourir sur une grande échelle aux activités de formation, il est
donc nécessaire de revoir l’ensemble du système de financement, en se fixant comme objectif le
remboursement intégral aux entreprises concernées du coût des formations réalisées, de manière
automatique, et sans délais. A cet effet, il serait temps d’assimiler le coût de ces formations, sur le plan
du principe, aux charges normales de gestion.

L’entreprise procédant à des actions de formation devrait donc pouvoir passer directement les coûts
encourus en charges, et réduire d’un montant correspondant les sommes qu’elle doit verser à l’Etat au
titre de la taxe de formation professionnelle. Les services de l’Administration fiscale devraient
procéder au contrôle de la véracité des charges de formation, selon les mêmes principes et modalités
qu’ils appliquent au contrôle des autres charges de fonctionnement de l’entreprise.
Ce n’est qu’à ce prix que le Maroc pourra définitivement lever les obstacles qui
se dressent dans la voie de la formation continue dans l’entreprise, garante elle-
même de la compétitivité des produits marocains à l’ère de la mondialisation.
La Banque Mondiale, la croissance et l’emploi :
Economia n° 4 mai 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
Depuis sa création au milieu des années 1940, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement (BIRD), également connue sous l’appellation de Banque Mondiale, procède à l’étude
approfondie et régulière de la situation économique et des perspectives d’évolution des pays les plus
divers de la planète.

Après avoir passé au peigne fin les économies dévastées des pays occidentaux, à la fin de la deuxième
guerre mondiale, et aidé à leur reconstruction, elle a étendu ses talents en matière de finance, d’analyse
et de conseil aux pays du Tiers Monde, à partir des années 1950, quand ils ont accédé en cascade à leur
indépendance, et souhaité bénéficier des prêts à taux d’intérêt subventionné (et du savoir-faire fourni
en bonus) de cette institution. Elle a ainsi développé une expertise sans pareil dans l’analyse des
questions associées à la croissance et au développement économiques, tant sur le plan théorique que
pratique, grâce aux ressources financières et humaines considérables qu’elle a pu mobiliser à cet effet,
ainsi qu’aux économistes de renom qu’elle associe régulièrement à ses activités.

Par conséquent, un rapport de la Banque Mondiale sur l’évolution de l’économie marocaine, comme
celui intitulé « Promouvoir la croissance et l’emploi par la diversification productive et la
compétitivité » du 14 mars 2006 est toujours d’une lecture enrichissante.

Une réflexion énigmatique d’Elhanan Helpman, placée en exergue, fournit le fil directeur de l’exposé :

« Pourquoi certains pays sont-ils riches et d'autres pauvres ? Les économistes s’interrogent depuis
l'époque d'Adam Smith. Pourtant, après plus de deux cents ans, le mystère de la croissance
économique n'est toujours pas résolu. »

La Banque Mondiale note, à cet égard, que « la problématique de croissance au Maroc reste une
énigme » et fait même au passage un mea culpa inattendu : « Dans la Stratégie de Coopération 2005-
2009 (CAS), la Banque reconnaît la mauvaise compréhension de l’évolution de la croissance
marocaine durant la dernière décennie, et d’une manière générale, de l’histoire de la croissance au
Maroc. »

Mais, une fois ceci dit, la Banque procède au diagnostic détaillé de la situation actuelle, et lance des
pistes de réflexion et des propositions pour montrer les voies par lesquelles le Maroc pourrait
enclencher une croissance forte et pérenne, génératrice d’emplois.

Elle rappelle les atouts importants dont le Maroc jouit aujourd’hui, tels que : sa position géographique
privilégiée, des prix relativement stables, une dette publique réduite, un système financier renforcé, de
bonnes infrastructures, une éducation réformée, une politique volontaire de développement du
tourisme et les réalisations de la politique de privatisation. L’image de marque du pays auprès des
agences internationales de notation de risque est également bonne, du fait de sa stabilité politique et
sociale.
Cependant, de l’avis de la Banque, la nécessaire transformation des structures de l’économie
marocaine se fait trop lentement ; les exportations sont confrontées à une forte concurrence sur les
principaux marchés étrangers ; le pays continue à réaliser une production à faible valeur ajoutée ; la
compétitivité des produits exportés laisse à désirer, tant au niveau de la qualité que des prix.

La Banque dresse alors la liste de certaines contraintes importantes qui se dressent, à son avis, dans la
voie d’une forte croissance :

un marché du travail rigide ;

une politique fiscale qui exerce une charge trop élevée sur les entreprises et représente un handicap
pour le recrutement ;

un régime de change à parité fixe qui ne favorise pas la compétitivité internationale des produits ;

un niveau de protectionnisme encore élevé malgré les récentes réductions tarifaires et la signature de
plusieurs accords de libre échange (ALE) ;

des défaillances de formation qui placent le Maroc parmi les pays qui ont le plus bas niveau de
formation dans les entreprises.

Pour relancer une croissance forte, le rapport propose une panoplie de mesures, telles que : maintenir
le salaire minimum à niveau constant ; réformer la fiscalité en réduisant l'impôt sur le bénéfice des
sociétés et le taux d'imposition de l'IGR ; simplifier le régime de la taxe sur la valeur ajoutée ;
effectuer progressivement la transition vers un régime de taux de change flexible ; accélérer la
réduction des barrières tarifaires et non tarifaires ; et octroyer aux entreprises des incitations
additionnelles au titre de la formation.

Le rapport propose également d’adopter des mesures pour encourager l’embauche des demandeurs
d'un premier emploi et des femmes, par une réduction temporaire du salaire minimum par exemple ;
l'introduction à terme d'un programme d'assurance chômage ; et la réforme du système de sécurité
sociale en vue de réduire la part de la pension dans le salaire brut, tout en renforçant les mécanismes
de cotisations volontaires.

Nombre de propositions contenues dans ce rapport reflètent le point de vue des opérateurs
économiques marocains et leur sembleront parfaitement légitimes. Différents groupes sociaux
considèreront certaines propositions comme plutôt discutables, en fonction de leurs intérêts et acquis.
Le lecteur marocain sera probablement déçu de voir qu’il est encore demandé aux classes sociales les
plus défavorisées de faire des sacrifices, en attendant les jours meilleurs.

Contrairement à ce que Elhanan Helpman affirme, depuis qu’Adam Smith a publié ses « Recherches
sur la nature et les causes de la richesse des nations » en 1776, les sciences économiques ont fait
preuve d’une grande richesse, vitalité et créativité dans l’analyse des rouages économiques nationaux,
l’identification des facteurs de croissance et l’évaluation de leur rôle dans les contextes économiques
les plus divers.

Le livre de théorie économique le plus célèbre du 20è s., « La théorie générale de l’Emploi, de
l’Intérêt et de la Monnaie » de John Maynard Keynes, publié en 1936, fut entamé comme une
réflexion sur les causes du chômage et les politiques susceptibles de le résorber, à la suite de la crise
de 1929. Mais Keynes se rendit vite compte que les emplois durables ne pouvaient pas être créés à
coups de palliatifs, et que c’étaient les mécanismes de base de l’économie qui devaient être réévalués
dans leur ensemble, en vue de créer les conditions propices à la croissance économique, seule capable
de générer des emplois.
Bien que des milliers de livres et d’articles aient été publiés depuis cette époque
sur ces questions, ils sont tous l’œuvre d’économistes issus de pays
industrialisés, ou formés dans le moule de pensée des universités européennes et
américaines. Ils abordent l’analyse de ces questions selon les paradigmes des
pays industrialisés, ce qui explique qu’il n’y ait pas eu beaucoup de progrès dans
l’analyse de ces questions, du point de vue des pays du Tiers Monde.
Le Groupe CDG :
Economia n° 4

Entreprise du mois

Une institution financière publique dédiée au développement

Khalid Chraibi
La Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) est une institution financière publique chargée de recevoir, de
conserver et de gérer des ressources d’épargne qui, de par leur nature ou leur origine, requièrent une
protection spéciale (dépôts, consignations, fonds de retraite…). Elle gère des actifs totalisant près de
100 milliards dhs, détenus en grande partie sous forme de valeurs du Trésor et de participations dans
des sociétés cotées en Bourse. A côté de ses missions financières de base, le groupe CDG a été chargé
dès ses débuts d’un rôle de levier de développement dans de nombreux secteurs économiques tels que
la promotion immobilière, le tourisme, l’aménagement de zones (touristiques, urbaines et
industrielles), les infrastructures, les services aux collectivités locales… De telles opérations
constituent, aujourd’hui encore plus qu’hier, un vecteur majeur d’activités du groupe.

Lors de sa création en 1959, la CDG avait eu pour mission de centraliser certains types d’épargne
requérant une protection spéciale (dépôts, consignations…), et de canaliser leur emploi dans des
investissements productifs dans des domaines où ils jouissaient d’une sécurité adéquate, tels que les
assurances, l’immobilier ou même le tourisme, désigné comme secteur prioritaire à l’époque. La
Compagnie Générale Immobilière (CGI) et la Société Centrale de Réassurance (SCR)
furent créées en 1960, suivies de Maroc Tourist en 1961.

Par la suite, la CDG développa très fortement aussi bien ses ressources que ses emplois, dans les
secteurs de la gestion de fonds institutionnels, la prévoyance, la finance et les assurances. Elle créa ou
prit le contrôle d’institutions spécialisées leaders dans leur domaine d’activité telles que CIH, Sofac-
Crédit, SNI, Maroc-Leasing, Caisse Nationale de Retraites et d’Assurances (CNRA), Régime Collectif
d’Allocation de Retraite (RCAR), Caisse Marocaine des Marchés (CMM)…

Pendant 45 ans, la CDG accompagna les transformations de l’économie nationale en s’adaptant pour
répondre aux besoins de chaque époque ou pour saisir les opportunités qui s’offraient à elle. Elle
développa ainsi une expertise et un savoir-faire propre dans de nombreux métiers, réalisant par
exemple de grands projets d’urbanisme tels que Hay Ryad à Rabat, tout en devenant un acteur
principal dans le marché financier.

Aujourd’hui, le Groupe CDG est un acteur de référence dans ses principaux métiers : Gestion des
fonds institutionnels et prévoyance, Banque finance et assurance, Développement territorial. Il
ambitionne aussi de devenir un catalyseur d’investissements dans le long terme, grâce à l’expertise et
au savoir-faire qu’il a développés dans la réalisation de grands projets territoriaux ainsi que dans
l’animation des marchés financiers.

Les ressources du Groupe à fin 2005 ont atteint 96,86 milliards dhs (+ 5 % par rapport à 2004). Son
bilan totalise 50 milliards dhs (+ 9 %), et les dépôts collectés près de 42 milliards dhs (+ 10 %). Le
portefeuille obligataire atteint 31,75 milliards dhs et le portefeuille « actions, placements et
participations » 9,18 milliards dhs.
Le résultat net s’est élevé à 1,66 milliards dhs contre 1,17 milliards dhs en 2004 (+ 41 %). Le produit
net bancaire de la seule CDG s’élève à 1,32 milliards dhs, comparé à 1,36 milliards dhs au cours de
l’année antérieure.

Le Groupe emploie près de 5000 personnes dans une trentaine de filiales métiers.

Parmi les faits marquants des activités du Groupe au titre de l’exercice 2005, on peut relever les
développements suivants par métier :

Au titre de la gestion des fonds institutionnels et prévoyance :

la CDG a conclu deux accords avec l’OCP et l’ONE pour le transfert global de leurs caisses de retraite
respectives au RCAR, portant sur plus de 36 000 salariés et 31 000 pensionnés.

Un accord d’absorption a également été conclu avec la JLEC (Jorf Lasfar Energy company) pour que
les droits à pension du personnel de cet organisme soient transférés au RCAR.

La CNRA prendra en charge la pension différentielle en complément de celle garantie par le RCAR en
faveur du personnel de l’OCP, l’ONE et la JLEC.

La CDG est désignée comme établissement dépositaire et gestionnaire des fonds issus de l’Assurance
Maladie Obligatoire.

Au volet Banque Finances et Assurances :

Le plan de redéploiement de la BNDE est parachevé. La CDG procède à la demande de retrait de son
agrément, en même temps qu’elle crée la banque d’investissement du groupe CDG, dénommée CDG
Capital.

La CDG prend le contrôle du CIH et confirme la volonté de développement de la banque.

La Société Centrale de Réassurance porte son capital à 1 milliard dhs.

La CDG développe un partenariat stratégique avec le Groupe Holmarcom visant à construire un pôle
d’assurance important centré sur les compagnies Atlanta et Sanad.

Au titre de la réalisation des grands projets territoriaux structurants :

CDG Développement met en place sa nouvelle organisation et porte son capital à 1,73 milliards dhs.

Elle prend en charge ou participe à la réalisation de projets importants et diversifiés dont on peut citer
à titre d’illustration : PDR de la ville de Fès, aménagement de la zone touristique Ghandouri , projet
Casashore (première zone d’offshoring du Maroc située à Casablanca), projet Technopolis (la future
cité de la technologie de Rabat-Salé), chantier de la Marina de Casablanca, et projet d’AMWAJ (dans
le cadre du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg).

Le groupe CDG a procédé par étapes, depuis le début des années 2000, à la redéfinition de ses
structures, à l’adaptation de son organisation, à la définition d’orientations stratégiques claires et à
l’adoption d’une déclaration de politique d’investissement visant à mieux gérer les risques afférents
aux activités du Groupe, dans le but :

- de rester garant de la sécurité des fonds des déposants, tout en gardant à l’esprit les notions de
performance et de rentabilité ; et
- de contribuer de manière significative à la réalisation des objectifs de développement économique et
social du Maroc, dans le cadre des missions qui lui sont confiées, et en tirant le meilleur parti du
savoir-faire de ses filiales.

Les principaux aspects de ces changements sont développés dans les différents
volets de ce dossier.
Le Groupe COSUMAR, locomotive de la filière sucrière :
Economia n° 3 Avril 2006

Entreprise du mois

Opportunités, menaces et défis

Khalid Chraibi
Le Groupe Cosumar est devenu l’opérateur incontournable dans le secteur du sucre au Maroc, depuis
sa reprise des 4 sucreries nationales privatisées par l’Etat en été 2005. Il doit maintenant jouer le rôle
de locomotive de toute la filière sucrière, que ce soit au niveau du développement de l’amont agricole
qui fait vivre 80 000 familles ; de la restructuration et de la mise à niveau des 14 usines qui produisent
près de la moitié du sucre consommé au Maroc ; ou des énormes défis que le secteur doit relever dans
le cadre de la politique de libéralisation.

Volet n° 1 : Le Groupe Cosumar aujourd’hui

Peu de Marocains savent aujourd’hui que le pain de sucre fut produit au Maroc dès le 12ème siècle, à
partir de la canne à sucre cultivée dans les régions de Souss et de Chichaoua. Pendant tout le Moyen
Age, le sucre resta une denrée rare et précieuse que l’on ne consommait que dans les demeures des
gens les plus aisés. Son commerce engendrait de grandes richesses, comme le rappellent les guides des
tombeaux saâdiens de Marrakech, qui expliquent que le roi Ahmed El Mansour Ed-Dahbi troquait le
sucre « poids pour poids, contre les matériaux les plus riches : or, onyx, marbre d’Italie » quand il
édifiait le Palais EI Badi.

Ce n’est cependant qu’à partir de 1929 que le pain de sucre apparaît de manière permanente sur la
scène marocaine, lorsque la société sucrière Saint Louis, de Marseille, s’implanta à Casablanca sous le
sigle de COSUMA, pour produire, à partir de sucre brut importé, le fameux pain de sucre « La
Panthère », compagnon indissociable, depuis lors, de toutes les cérémonies de thé au Maroc.

La société connut un développement exceptionnel au cours de sa longue existence, passant d’une


production de sucre raffiné de 100 t/j à ses débuts à un niveau de 2 100 t/j aujourd’hui, dans son usine
de Casablanca. En 1967, la société fut « marocanisée », cédant une part de 50 % de son capital à
l’Etat, et son sigle connut une légère extension pour devenir COSUMAR.

Dans les années 1970, elle accompagna la politique nationale de développement des cultures sucrières
en créant deux sucreries dans le périmètre agricole de Doukkala-Abda, l’une à Sidi Bennour et l’autre
à Khemis Zemamra. Ces deux unités enregistrèrent une forte croissance de leurs activités, avant d’être
fusionnées avec Cosumar en 1993.

La société entra dans le giron de l’ONA en 1985, consolidant ses assises dans l’économie marocaine
en s’adossant au groupe économique numéro un du pays. Ses principaux actionnaires aujourd’hui
comprennent l’ONA (56 %), la CIMR (13 %), la SNI (10 %) et diverses sociétés d’assurances et de
banque. Ses actions furent cotées à la Bourse des valeurs de Casablanca à partir de 1985.

COSUMAR a constamment œuvré pour l’amélioration de sa compétitivité, la modernisation de son


outil industriel, la formation de son personnel et l’application d’une démarche « qualité » et « sécurité
» rigoureuses dans ses activités.
En 2004, elle célébra ses 75 ans d’existence, et pouvait s’enorgueillir d’être en excellente forme. Elle
était toujours le numéro 1 du secteur sucrier. Ses ventes s’élevaient à 720 m t, correspondant à plus de
68 % du marché national. Elles se répartissaient entre le sucre granulé (46 % du marché), le pain de
sucre (88 %) et le sucre en morceaux et lingots (95 %).

La société avait des assises financières solides, ses fonds propres avoisinant 1.5 milliards dh, son
chiffre d’affaires 3.2 milliards dh, et son résultat net 250 mdh. Elle employait près de 1 900 personnes.

Sa raffinerie était implantée à Casablanca, et ses usines de transformation de betterave sucrière à Sidi
Bennour et Zemamra, avec une capacité de traitement de 14 000 tb/j.

Les 4/5è de sa production de sucre raffiné étaient réalisés à partir de sucre brut importé, et 1/5è était
obtenu à partir du sucre brut ayant son origine dans l’amont agricole marocain.

Malgré cette réussite exceptionnelle, Cosumar continue de se préoccuper constamment de la


compétitivité de ses produits, ce qui se traduit par un souci permanent de développer son outil
industriel et de l’adapter aux nouvelles donnes de situations changeantes. Ainsi, compte tenu de l’essor
considérable que connaît l’activité betteravière dans la région Abda-Doukkala, Cosumar a lancé début
2004 un grand projet d’extension des sucreries de Sidi Bennour, pour un investissement de 800 mdh.

Dans une première phase correspondant à la campagne 2004-2005, la capacité devait passer de 6000 à
10 000 tb/j, et dans une deuxième phase, en 2006, elle devait être portée à 15 000 tb/j, avec notamment
le transfert et l’installation des équipements de la sucrerie de Zemamra à la sucrerie de Sidi Bennour.
Le traitement de la betterave serait ainsi concentré sur Sidi Bennour alors que l’activité de
conditionnement des produits finis serait maintenue sur les deux sites, ce qui devrait optimiser
l’exploitation au niveau des deux sites. Le projet a été concrétisé dans de très bonnes conditions.

Cosumar a également lancé en 2004 un projet de construction de plate-forme de stockage de 12 000


m², et d’une capacité de 20 000 t, sur le site de la raffinerie de Casablanca, afin de rationaliser la
gestion des stocks et d’améliorer le service aux clients. Cette opération se justifie du fait que quelques
600 000 t de sucre transitent par l’espace de livraison casablancais, correspondant à 55 % de la
consommation nationale de sucre.

De même, Cosumar a participé à l’opération de privatisation des 4 sucreries SUTA, SURAC,


SUNABEL et SUCRAFOR, dont elle a acquis en été 2005 les participations détenues par l’Etat pour
un montant de 1367 mdh. Elle se retrouve ainsi l’unique opérateur sucrier au Maroc, désormais, avec
les capacités de traitement suivantes installées dans chaque région :

Casablanca , pour le raffinage du sucre brut importé (production de 2100 t/j de pain de sucre raffiné) et
le conditionnement des produits finis.

Région des Doukkala (Sidi Bennour et Zemamra), avec une capacité de transformation de 14 000TB/J.

Région du Tadla (Suta), avec une capacité de transformation de 14 400 tonnes betterave/Jour.

Région du Gharb-Loukkos (Sunabel), avec une capacité de transformation 15 000 tonnes


betterave/Jour.

Région du Gharb-Loukkos (Surac), avec une capacité de transformation de 9 500 tonnes canne/Jour.

Région de Moulouya (Sucrafor), avec une capacité de transformation de 3 000 tonnes betterave/Jour.
Il faut noter que les cultures sucrières, s’étendant sur une superficie de 90 000 ha, font vivre plus de 80
000 familles d’agriculteurs au niveau de l’amont agricole, soulignant l’ampleur de la tâche à laquelle
Cosumar sera confrontée. Cependant, la société a déjà accumulé une bonne expérience en la matière,
dans le cadre de la gestion de ses activités dans les sucreries de Doukkala.

A ce stade, Cosumar projette d’investir 1.6 milliard dh dans la restructuration et le développement de


la filière sucrière sur les six prochaines années. Elle espère élargir les superficies cultivées de 25 % et
augmenter le revenu des agriculteurs de 40 % sur la prochaine décennie. Elle compte aussi poursuivre
la mise à niveau de la filière sucrière en favorisant les synergies entre les différents sites de production
et l’amont agricole.

Rappelons que la privatisation des 4 sucreries s’est réalisée sans que le processus de libéralisation
initié en 1996 ait progressé. La libéralisation des prix à la consommation des matières premières et des
produits finis n’est toujours pas appliquée.
Volet n° 2 : Groupe Cosumar : Opportunités, menaces et défis

Rencontre avec M. Mohammed Fikrat, PDG de Cosumar :


Khalid Chraibi

Malgré un calendrier extrêmement chargé, coincidant avec la présentation des résultats de Cosumar
pour l’année 2005, M. Mohammed Fikrat, PDG de Cosumar, a très aimablement accepté de rencontrer
MM. Abdelmajid Ibenrissoul et Khalid Chraibi, respectivement rédacteur en chef et chroniqueur
d’Economia. Ci-dessous, la synthèse de leur entretien :

A la question : « Y a-t-il une situation de monopole de fait ? », Mr Fikrat observe que, bien que
Cosumar soit devenue l’unique opérateur au niveau du secteur sucrier, il serait abusif d’assimiler cela
à une situation classique de monopole. Ce sont clairement les Pouvoirs Publics qui définissent la ligne
de conduite de la filière sucrière et qui fixent, actuellement, les règles du jeu à tous les niveaux
névralgiques. L’administration détermine le prix payé aux producteurs de betterave et de canne à sucre
au niveau de l’amont agricole, le système de tarification douanière et les taux appliqués aux
importations, le forfait payé par la Caisse de compensation et le prix de vente des produits finis aux
consommateurs.

Le rôle de Cosumar se réduit, en quelque sorte, dans le système actuel, à une activité de façonnage
pour répondre aux besoins du marché, dans le cadre défini par l’Etat. De son côté, Cosumar a des
engagements à tenir vis-à-vis des agriculteurs, afin de sécuriser leurs revenus, et de préserver la
pérennité de l’amont agricole sucrier. Elle doit accompagner l’amont agricole, et y généraliser les
bonnes pratiques, pour améliorer la productivité des surfaces affectées aux cultures sucrières.

La filière de production du sucre, secteur intégré, est organisée autour de règles qui définissent les
rôles de tous les intervenants, et des dispositions pour les faire respecter. Cette organisation, si elle est
bien animée, fera sans doute que tous les intervenants contribueront de la manière requise au
développement compétitif de la filière sucrière, dans une stratégie gagnant-gagnant.

Il faut souligner à cet égard que la filière sucrière est régulée et organisée par l’Etat dans tous les pays,
quel que soit leur niveau de développement. D’une part, elle est souvent fortement intégrée dans
l’amont agricole, induisant ainsi une création et distribution de richesse importante. D’autre part,
chaque Etat producteur veut s’assurer de son bon développement, pour ne pas exposer son marché
domestique aux fluctuations de volumes et de prix sur les marchés internationaux très volatiles.

Loi sur la concurrence :

Ceux qui se réfèrent aux dispositions de la loi sur la concurrence peuvent être rassurés : non seulement
c’est l’Etat qui a bien mené le processus de la privatisation qui a mis Cosumar en situation d’opérateur
unique, mais les juristes de Cosumar se sont assurés, au cours de la concrétisation de cette
privatisation, que tous les aspects juridiques de l’opération étaient conformes aux exigences des lois
applicables.

Concentration de pouvoir au niveau d’un opérateur marocain unique :

Il y avait un prétendant français et un prétendant espagnol à la reprise des 4 sucreries. Aucun marocain
ne peut regretter que ce soit l’opérateur marocain numéro 1 du secteur qui ait fait la meilleure offre sur
les plans technique et financier, et qui ait remporté le résultat. Les décideurs économiques ont opté
pour l’offre de Cosumar parce qu’ils connaissent sa compétence dans ce domaine, parce que son offre
est crédible, et n’a rien à envier aux opérateurs étrangers.

Si on pense maintenant à la taille des unités de production elles-mêmes, il faut réaliser que nos grandes
unités ne sont que des PME quand elles sont comparées aux unités européennes ou américaines.

Intégration des sucreries nationales dans le Groupe Cosumar :

La société est consciente de la nécessité d’un projet concerté d’intégration et de développement de


l’industrie sucrière, englobant l’ensemble des 14 unités de raffinage et de transformation. A cet effet,
elle a élaboré un projet ambitieux, dénommé « Intégration, Développement Industriel, Mise A niveau
GlobalE » , soit « INDIMAGE 2012 », qui vise à améliorer sa compétitivité et à assurer une meilleure
satisfaction de ses clients.

Ce projet s’articule autour de cinq axes majeurs :

- L’accompagnement de l’amont agricole sucrier dans la définition et la réalisation d’un plan de


développement et d’amélioration des performances,

- La construction d’un solide partenariat gagnant-gagnant et pérenne avec tous les acteurs du secteur,

- La mise à niveau et le développement de l’outil industriel pour l’amener aux standards


internationaux,

- L’amélioration de l’organisation et des processus métiers et de gestion,

- Le partage des mêmes valeurs d’entreprise en vigueur dans le Groupe favorisant la culture de la
performance.

Afin de réussir ce grand défi, le Groupe Cosumar, a d’ores et déjà identifié différentes synergies,
immédiatement mobilisables, à travers la mise en œuvre de 18 chantiers d’intégration et de
développement qui couvrent les principaux champs d’action.

Investissements et financement :

Pour financer les investissements requis, le Groupe compte utiliser un emprunt bancaire d’un montant
de 700 mdh, et mobiliser en accompagnement les flux de trésorerie interne des sociétés.

Flambée du prix du sucre sur le marché international :

De nombreux facteurs ont été à l’origine d’une hausse considérable du prix du sucre depuis novembre
dernier. On peut en citer trois :

- une forte spéculation sur ce produit de la part des fonds de pension américains ;

- une baisse du volume de sucre brésilien offert sur le marché international. En effet, la hausse du prix
du pétrole a poussé les Brésiliens à se reporter sur l’utilisation de l’éthanol, fabriqué à base de canne à
sucre, comme carburant des véhicules, en substitution à l’essence devenu trop cher. Comme le Brésil
est le premier producteur mondial de sucre, l’effet de ce transfert est important, parce que les trois-
quarts des véhicules brésiliens vendus roulent indifféremment à l’éthanol ou à l’essence.

- les nouvelles orientations de l’Union européenne en matière sucrière ont également eu leur effet sur
le volume de sucre faisant l’objet du commerce international. Critiquée par de nombreux pays
producteurs de sucre, qui l’accusent de subventionner ses producteurs, l’Union Européenne se retire
actuellement du marché international du sucre, dans lequel elle traitait jusqu’à 5 mt.

Il faut savoir que 30 % seulement du sucre produit dans le monde fait l’objet de négoce international,
dont une grande partie est échangée dans le cadre d’accords bilatéraux. Donc, moins du cinquième de
la production mondiale se retrouve vraiment sur le marché international, d’où les fluctuations
importantes qu’on peut y observer.

Les autorités marocaines ont suspendu l’application de la tarification douanière, pour conserver le
niveau du prix cible actuellement en vigueur, soit un maximum de 4 700 dh/t, quel que soit le cours du
marché international. Etant donné que le Maroc dépend des importations de sucre brut pour assurer
plus de la moitié de la production nationale de sucre raffiné, c’est un problème important que les
autorités étudient actuellement, en vue de lui apporter la solution appropriée.

Accord de libre échange avec les Emirats Arabes Unis :

L’accord de libre échange spécifie clairement que les produits bénéficiant de ses dispositions doivent
avoir une valeur ajoutée de 40 % réalisée dans le pays d’origine. Les professionnels du sucre savent
que le sucre importé des EAU ne peut pas prétendre à ce taux de valeur ajoutée, pour des raisons
techniques, et ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de l’ALE.

Les relations avec l’ONA :

Elles sont, bien sûr, excellentes. En sa qualité de filiale du Groupe ONA, la gestion de Cosumar
s’inscrit dans le cadre des orientations stratégiques de ses actionnaires. Mais, chaque filiale a ses
propres organes de prise de décision et de management. Le Conseil d’administration de chaque filiale
contrôle et oriente le fonctionnement et le développement de la société concernée.
Volet n° 3 : La filière sucrière marocaine :
Khalid Chraibi

Dans les premières années suivant l’indépendance du Maroc, les Pouvoirs Publics ont appliqué une
stratégie de développement économique axée, entre autres priorités, sur le développement de
productions nationales en substitution aux importations, dans les secteurs où cela était faisable.

A l’époque, la consommation nationale de sucre était légèrement inférieure à 400 000 t. Les trois
usines de raffinage existantes (dont Cosuma, filiale de la société sucrière Saint-Louis de Marseille,
représentait plus de 80 % de la capacité installée) importaient du sucre brut qui était traité sur place,
pour satisfaire près de 90 % des besoins des consommateurs, le solde étant importé sous forme de
sucre blanc raffiné.

Les experts gouvernementaux estimèrent qu’il était possible de développer la production de sucre au
Maroc, à partir de la culture de betterave sucrière et de canne à sucre, en substitution aux importations.
Le projet se justifiait aux trois niveaux agronomique, économique et social. Il permettait de
promouvoir de nouvelles cultures capables de servir de pôles de développement pour les activités
agricoles au niveau des régions choisies, de réaliser des économies de devises considérables, et de
sécuriser l’approvisionnement du marché en visant à atteindre progressivement l’autosuffisance
alimentaire pour une denrée de première nécessité.

La première sucrerie nationale entra en activité à Sidi Slimane en 1963, pour traiter la production
betteravière lancée dans le périmètre irrigué du Gharb sur une surface de 4000 ha. Une production de
84 000 t de betteraves y fut récoltée, donnant 12 000 t de sucre brut. Ce premier succès fut suivi de
l’implantation de 11 autres unités sucrières dans 5 grandes zones de production : le Gharb, le
Loukkous, Tadla, Doukkala et Moulouya. Le financement de ces investissements se fit souvent dans le
cadre d’accords de coopération bilatérale avec des pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est, ce qui se
traduisit par l’utilisation de technologies de production de sucre très différentes, et d’inégale efficacité,
d’une unité à l’autre.

Une réglementation étatique rigoureuse fut appliquée à toute la filière sucrière. Les Offices de Mise en
Valeur Agricole (ORMVA) assuraient la gestion de l’amont agricole (organisation des campagnes
sucrières, approvisionnement en facteurs de production, financement, encadrement des
agriculteurs…). Ils jouaient également le rôle d’intermédiaire entre les producteurs de matières
premières (betterave et canne) et les sucreries. L’Office National du Thé et du Sucre (ONTS) importait
le sucre brut livré aux sucreries pour leurs activités de raffinage.

L’Etat fixait les prix payés par les usines aux producteurs de la betterave et de la canne à sucre, le prix
du sucre brut fourni aux raffineries, et celui du produit fini vendu au consommateur. Les Pouvoirs
Publics décidèrent de maintenir ce dernier prix inchangé à un bas niveau, quel que soit le prix de
revient du sucre produit localement dans les usines de transformation et les raffineries, parce que le
sucre était considéré comme une denrée de première nécessité.

A cet effet, l’Etat décida d’appliquer au secteur un système de subvention géré par la Caisse de
Compensation, dont les dispositions assuraient, entre autres, une marge bénéficiaire à chaque unité
sucrière, quel que soit son coût de production.

Cette politique ambitieuse de développement de la filière sucrière se poursuivit pendant des années. Il
en résulta une grande extension des périmètres irrigués affectés à ces cultures nouvelles. L’application
d’une politique favorable des prix pour soutenir la production de betterave et de canne à sucre se
traduisit par un développement continu de la production. Le taux d’autosuffisance passa de 4 % en
1960 à 28 % en 1970, dépassant 60 % dans les années 1980.

Comme il a été indiqué, Cosumar, l’opérateur privé dominant de la filière, dont l’Etat avait racheté la
moitié du capital en 1967, procéda à l’implantation d’une sucrerie à Sidi Bennour, et d’une autre à
Khemis Zemamra dans les Doukkala, dans les années 1970.

Au cours des années 1980, l’application par les Pouvoirs Publics marocains du Programme
d’Ajustement Structurel (PAS) recommandé par les organisations financières internationales se
traduisit par un désengagement progressif du secteur public de toutes sortes d’activités au niveau du
secteur sucrier. Puis, en 1996, d’autres mesures visant la dérégulation du secteur furent adoptées, dans
le cadre de la nouvelle politique de libéralisation.

Ainsi, le système de compensation fut modifié pour assurer aux usines une subvention forfaitaire de
2000 dh par tonne vendue, dans le but de les inciter à mieux gérer leurs coûts de production, qui
avaient connu une dérive sérieuse. L’augmentation régulière de la consommation de sucre, conjuguée
à de fortes hausses du prix d’achat sur le marché international, déboucha sur une forte croissance du
montant total de la compensation au sucre, qui passa de 50 mdh en 1985 à 800 mdh en 1996 et à 2
milliards dh en 2002.

Un nouveau système de tarification douanière fut également mis en place, s’appliquant aux
importations de sucre, visant à maintenir le prix de revient du sucre importé autour des niveaux
observés pour les produits locaux.

En 1997, en préparation de la libéralisation du secteur, l’Etat procéda au regroupement des entreprises


publiques du secteur sucrier en quatre sociétés : Sunabel, Surac, Suta et Sucrafor.

Leur transfert au secteur privé fut à l’examen pendant de nombreuses années, sans que se présente un
repreneur sérieux, à cause des difficultés financières importantes de ces sociétés et du manque de
visibilité du secteur sucrier, dans l’attente des dispositions spécifiques de la politique de libéralisation
qui devait lui être appliquée.

Ce n’est qu’en septembre 2005 que cette privatisation put être concrétisée, lorsque Cosumar, un
opérateur national chevronné, détenteur d’une expertise de 75 ans au niveau de la production
industrielle et de plus d’un quart de siècle au niveau de l’amont agricole, procéda à l’acquisition des
quatre sucreries pour un montant de 1367 mdh, donnant naissance à un opérateur unique au niveau de
la production de sucre au Maroc : le Groupe Cosumar.
Volet n° 4 : Le sucre dans le monde :
Khalid Chraibi

Le sucre est un glucide présent à l’état naturel dans tous les fruits et légumes. Produit par
photosynthèse, le processus naturel qui transforme la lumière du soleil en énergie vitale, il est présent
en grande quantité dans la canne à sucre et dans la betterave à sucre, toutes deux utilisées pour la
production commerciale de sucre.

La canne à sucre, une herbe géante qui croît en climat chaud et humide et emmagasine le sucre dans sa
tige, aurait d’abord poussé à l’état naturel dans les îles du Pacifique Sud il y a 4000 ans. On la retrouve
en Inde, où la technique d’extraction et de transformation du jus de canne en « sarkara » (origine
sanskrit du mot « sucre ») aurait été développée vers 500 av. J.C. Les Perses, puis les Grecs rapportent
chez eux ce « roseau qui produit du miel, sans le concours des abeilles ». Le savoir-faire se propage
vers la Chine, l’Iran et le monde musulman, avant d’atteindre, des siècles plus tard, le monde
occidental, lors des croisades.

La betterave, en tant que substitut de la canne, ne sera connue que vers le milieu du 18ème siècle, quand
le chimiste berlinois Andreas Sigismund Marggraf prouve que le sucre de betterave et celui de canne
sont identiques. S’acclimatant mieux en climat tempéré et emmagasinant le sucre dans sa racine
blanche, elle connaîtra son essor en France grâce aux mesures d’encouragement édictées par Napoléon
pour encourager la production de sucre de betterave à l’époque du « blocus continental ». En 1900,
près de la moitié de la production mondiale est à base de sucre de betterave, mais la proportion n’est
plus que d’un tiers à la fin du 20è s.

Le sucre est utilisé soit de manière directe, en tant que « sucre de bouche », présenté en morceaux ou
en poudre (20 % des ventes en France) ; ou de manière indirecte, quand il est incorporé par différentes
industries alimentaires, chimiques et pharmaceutiques dans leurs produits (80 %). Les sucres que l'on
trouve dans les aliments contenant des glucides se transforment tous en glucose dont le corps se sert
comme énergie.

En l’an 2000, 31 millions d’ha étaient affectés aux cultures sucrières dans 111 pays (38 pays cultivant
la betterave, 65 la canne, 8 les deux) ; 2440 sucreries étaient en activité (790 de betterave, 1560 de
canne) ; le chiffre d’affaires atteignait 65 milliards $ H.T., réparti entre 80 pays exportateurs et 150
pays importateurs ; l’activité générait 2 millions d’emplois.

En 2004-2005, la production mondiale de sucre blanc s’élevait à 142 m t, dont le tiers environ (54 m t)
était destiné aux exportations. Les principaux pays producteurs de sucre de canne sont : le Brésil (28 m
t), l’Inde (14 m t), la Chine (9 m t), le Mexique (6 m t), l’Australie (5.5 m t), la Thaïlande (5.4 m t).

Les plus grands producteurs de sucre de betterave incluent : l’Allemagne (4.7 m t), la France (4.5 m t),
les E.U. (4.2 m t).

Les principaux pays exportateurs sont : le Brésil (19.2 m t), l’U.E. (6.1 m t), l’Australie (4.2 m t), la
Thaïlande (3.2 m t), l’Afrique du Sud (1.2 m t), le Guatemala (1.1 m t), la Colombie (1.1 m t), Cuba
(0.9 m t).

Les principales multinationales opérant dans le secteur incluent des géants tels que : Tate & Lyle en
Grande Bretagne ; ou en France : Groupe Tereos (11 sucreries), Saint Louis Sucre (5 sucreries),
Groupe Cristal Union (4 sucreries), Groupe Vermandoise (4 sucreries).
Encadré indépendant sur

ETHANOL
La production d’alcool éthylique d’origine agricole (éthanol) se fait par fermentation du sucre contenu
dans les jus extraits de betterave ou de canne, dans les sirops issus de la cristallisation ou dans la
mélasse. L’alcool obtenu de la betterave a plusieurs destinations : alcool de bouche et d’industrie,
carburant, parfumerie ou encore pharmacie.

Il prend le nom de bioéthanol lorsqu’il est utilisé comme carburant. Soit il est incorporé directement à
l’essence à hauteur de 10 % à 25 %, soit il est utilisé pur dans certains moteurs. Il s’agit du
biocarburant le plus utilisé dans le monde à l'heure actuelle. En Europe, on utilise l’ETBE
(Ethyltertiobutyléther), un mélange contenant pour moitié du bioéthanol et un dérivé pétrolier.
L’ETBE est incorporé à l’essence super sans plomb jusqu’à 15 %.

A la fin de l’année 2005, le gouvernement français s’est engagé à promouvoir une incorporation
directe de bioéthanol dans les essences à hauteur de 5,75 % en 2008 et 7 % en 2010. Ces mesures
participent ainsi au programme écologique de réduction des émissions de gaz à effet de serre (accords
de Kyoto) ainsi qu’à la réduction de notre dépendance énergétique.

Marché français de l’éthanol : en 2005, les surfaces de « betterave alcool » s’élèvent à 39


000 hectares dont 11 000 hectares pour la production de bioéthanol. Pour la campagne betteravière
2004-2005, la production française totale d’éthanol est de 4,5 millions d’hectolitres, dont 1 million
d’hectolitres pour le bioéthanol.

Marché mondial de l’éthanol : en 2005, les 5 premiers pays producteurs


d’éthanol sont le Brésil, les Etats-Unis, l’Inde, l’Union Européenne et la Russie. Le
Brésil et les Etats-Unis occupent de très loin les deux premières positions : 167
millions d’hectolitres pour le Brésil (éthanol produit à partir de la canne) et 165
millions d’hectolitres pour les Etats-Unis (éthanol produit à partir du maïs).
(Source : CEDUS Centre d’Etudes et de Documentation du Sucre, Paris, Le Sucre,
Memo Statistique 2005).
La politique des « champions nationaux » :
Economia n° 3 avril 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
Une course soutenue à la concentration se déroule au Maroc depuis de nombreuses années. Elle
restructure le paysage industriel, commercial et financier du pays dans des secteurs aussi variés que
celui des holdings (rapprochement SNI/ONA) ; des banques (fusion BCM/Wafabank ; regroupement
CDG/BNDE/CIH ; absorption de SMDC par BP) ; des assurances (fusion RMA/Wataniya ; et
auparavant, fusions en cascade d’Al Amane - L’Entente – la Compagnie Africaine d’Assurances -
AXA Assurances Maroc) ; des produits et services pétroliers (fusion Samir/SCP ; rachat par AKWA de
participations importantes de Oismine dans le même domaine d’activités) ; du secteur sucrier
(privatisation par Cosumar des quatre sucreries SURAC, SUNABEL, SUTA et SUCRAFOR, qui
s’ajoutent à ses unités de production de Casablanca, Zemamra et Sidi Bennour) ; et du secteur des
huiles de table (fusion Lesieur Afrique/Unigral Cristal ; rachat de SEPO, d’Oléor… par le même
Groupe).

Certains de ces regroupements s’inscrivent dans le cadre de la politique de « privatisation » des


participations détenues par l’Etat, des introductions en Bourse, ou de l’évolution normale des affaires.
D’autres, tels que les fusions BCM/Wafabank ou RMA/Wataniya, se justifient, selon leurs promoteurs,
par la nécessité économique de créer des « champions nationaux » capables de servir de véritables
locomotives de développement dans leur secteur d’activité, et de faire face à la concurrence étrangère,
lorsqu’elle se manifestera en force à partir de l’échéance 2010, à l’occasion de l’ouverture totale des
frontières aux opérateurs et produits étrangers.

L’argument se défend, quand on songe que de nombreuses entreprises internationales ayant des
chiffres d’affaires se comptant en dizaines de milliards de dollars (banques, compagnies aériennes,
laboratoires pharmaceutiques, industries diverses…) cherchent elles-mêmes, aujourd’hui, à fusionner
avec certains de leurs concurrents, pour mieux se positionner sur la scène mondiale.

Nos grandes entreprises nationales ne sont que des PME, quand elles sont mesurées à l’aune des
standards européens ou américains. La consolidation de petites entreprises, en vue de créer de
nouveaux ensembles desservant des parts de marché de 15 à 20 % chacun, permettrait de les doter de
meilleurs atouts pour survivre, face aux menaces de la mondialisation. Leur « mise à niveau » de
manière organisée, en vue d’optimiser l’utilisation de leurs ressources matérielles, humaines,
techniques, financières et managériales et de leur know-how individuel, devrait logiquement se
traduire par un gain pour leurs actionnaires aussi bien que pour le consommateur, tout en assurant leur
pérennité.

Ceci dit, l’atteinte de la taille critique ne doit pas être parée de toutes les vertus. Elle ne constitue
nullement un remède-miracle. Un nombre restreint d’opérateurs marocains ont prédominé dans
différents secteurs économiques au cours du dernier quart de siècle, sans que cela se traduise
nécessairement par une prestation de service de haut niveau de leur part. Ils se sont parfois contentés
de rendre des prestations de qualité moyenne, tout en développant, quand ils le pouvaient, des
situations de rente dans un marché captif, en engrangeant des bénéfices qui les satisfaisaient.

Ce n’est donc pas uniquement au niveau de la taille qu’il faut rechercher les faiblesses des entreprises,
mais également à celui des compétences managériales de leurs dirigeants et du savoir-faire qu’ils
peuvent mobiliser dans leur gestion. Leur capacité à se mettre à l’écoute du client, leur volonté de le
servir, au lieu de l’exploiter, sont des indicateurs primordiaux. Les restructurations opérées à
l’occasion des fusions doivent ainsi se préoccuper autant des questions de qualité du management que
de qualité de production.

En tout état de cause, il ne s’agit pas, sous prétexte de consolider les assises des « champions
nationaux», de mettre les destinées d’un secteur d’activités entre les mains d’un nombre restreint
d’opérateurs (un « cartel » dans la terminologie économique), si distingués soient-ils, ni de leur
sacrifier le maintien d’une saine concurrence sur le marché, entre entreprises de taille comparable.
Comme l’expérience marocaine vécue le prouve, ce n’est qu’à ce prix que les entreprises resteront en
éveil, à l’écoute des besoins du consommateur, constamment à la recherche d’innovations et de
produits nouveaux, d’améliorations de qualité ou de réductions de coûts de revient, pour fidéliser leur
clientèle et améliorer leur taux de pénétration du marché.

L’analyse prend une toute autre dimension lorsque le regroupement concerne deux entreprises de taille
moyenne, dont chacune dessert déjà une part importante du marché national, aboutissant à créer une «
entreprise dominante » capable de desservir 60-70 % environ de ce marché,

Au niveau de la politique économique nationale, le devenir du secteur devient étroitement dépendant


des décisions d’une entreprise dominante. Selon les priorités qu’elle se fixe dans son plan
d’opérations, les investissements auxquels elle procède, la politique d’approvisionnements qu’elle
applique, les partenariats qu’elle noue avec des opérateurs nationaux et étrangers, les emprunts qu’elle
contracte, etc., elle devient un centre de décision économique principal du pays.

Elle se trouve alors confrontée à un arbitrage continu, et parfois difficile, entre ses propres intérêts, en
tant qu’opérateur privé, et les intérêts du secteur tout entier. Peut-elle, par exemple, maintenir une
situation de saine « concurrence » avec la multiplicité de PME dont chacune dessert des parts de
marché de 5 ou 10 %, sans succomber à la tentation de les « brider » dans leurs activités pour servir
ses propres intérêts ?

Or, la politique des « champions nationaux » ne doit pas se faire au détriment des PME. Comme
l’histoire des grandes réussites industrielles et commerciales le démontre abondamment, il n’est pas
nécessaire d’être riche pour entreprendre : il suffit de bonnes idées et d’une ferme volonté
d’entreprendre et de réussir dans les affaires, comme en témoignent nombre d’entreprises venues au
monde dans un garage avant de partir à la conquête du monde (Ford, Hewlett Packard, Motorola,
Microsoft…).

Toutes les précautions doivent donc être prises pour assurer la pérennité des PME, qui sont les
chevilles ouvrières du développement d’une économie performante et de création d’emplois, en même
temps qu’elles favorisent l’apparition d’une classe moyenne significative, tous trois facteurs
importants de stabilité sociale du pays.

Pour toutes ces raisons, les pays industrialisés (Etats-Unis, Union Européenne…)
ont mis en place des législations très sophistiquées, non seulement pour
empêcher le développement de monopoles ou de cartels, mais également pour
empêcher les entreprises géantes d’abuser de leur position dominante sur un
marché, et pour veiller au maintien d’une saine concurrence entre tous les
opérateurs économiques de manière plus générale. Au Maroc également, il serait
de la plus haute importance d’accompagner la mise en œuvre d’une politique des
« champions nationaux » de règles similaires, adaptées au contexte de notre
pays, pour assurer le respect des règles de bonne gouvernance dans la sphère
économique.
Intérêt public et intérêts privés :
Economia n° 2 Mars 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
Le rapport « 50 ans de développement humain », présente une remarquable rétrospective des
politiques appliquées et des résultats obtenus dans les principaux secteurs économiques et sociaux
depuis la proclamation de l’indépendance. Ceux qui s’intéressent au secteur privé marocain trouveront
matière à réflexion dans l’excellente contribution du professeur Mohamed Saïd Saâdi, retraçant
l’évolution du secteur privé au cours du demi-siècle écoulé et évaluant sa modeste contribution à la
croissance économique et au développement humain du pays.

De la lecture de ces rétrospectives, on retient que la panoplie de mesures édictées dans le but
d’améliorer le niveau de vie économique et social de la population en général au cours de ce demi-
siècle n’ont eu qu’une portée réduite par rapport aux objectifs visés, mais ont fourni à ceux qui ont su
profiter de leurs dispositions l’opportunité d’édifier des fortunes privées importantes. Le secteur
industriel en fournit une illustration intéressante.

Les pouvoirs publics se sont évertués à mettre en place, depuis l’indépendance, des institutions
appropriées, à même de favoriser la croissance industrielle et le développement humain, et à faire
émerger une classe d’entrepreneurs et de gestionnaires compétents, innovateurs et dynamiques,
capables de faire tourner les rouages de la machine économique.

La politique économique se fixa des objectifs raisonnables et viables, tels que le développement des
exportations agricoles et du tourisme, la substitution de productions nationales aux produits importés
et l’association de capitaux nationaux et étrangers dans les principaux domaines d’activité
économique.

Dans ce but, une politique de promotion du secteur privé fut mise en œuvre, basée sur un
impressionnant, mais tout à fait logique, système d’incitations.

Des codes d’investissement furent adoptés, accordant des avantages sous forme de primes
d’équipement, de bonification des taux d’intérêt, de couverture du risque de change, de garantie de
transfert des capitaux des investisseurs étrangers…

Des mesures de protection douanière (taxation et contrôle des importations…) furent édictées pour
favoriser le développement de productions nationales de biens de consommation courante, en
substitution aux importations. Afin d’encourager les industries orientées vers les exportations, des
régimes économiques spéciaux en douane furent mis en place, permettant l’importation en suspension
de droits de douane des matières premières destinées à être utilisées dans la production de produits
destinés à l’exportation.

Pour financer leurs investissements, les entrepreneurs purent bénéficier de crédits importants, octroyés
à des conditions avantageuses (faible taux d’intérêt, durée de remboursement étendue) par des
institutions spécialisées nouvellement créées ou remises à niveau telles que la Banque Nationale de
Développement Economique (BNDE), le Crédit Immobilier et Hôtelier (CIH), la Caisse Nationale de
Crédit Agricole (CNCA), etc.
D’autres institutions spécialisées, telles que l’Office de Développement Industriel (ODI) ou l’Office de
Commercialisation et d’Exportation (OCE) furent mis en place, pour aider les opérateurs économiques
à développer leurs activités sur des bases bien étudiées.

Afin de maintenir la compétitivité des produits marocains sur le plan international, qui était associée
dans l’esprit des décideurs économiques à un faible coût de main d’œuvre, une politique de bas
salaires fut appliquée, y compris le blocage du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) sur
des durées prolongées.

La décision de « marocanisation » des activités économiques vint à point nommé ajouter la dernière
pierre à l’édifice en 1973, en obligeant les propriétaires étrangers opérant dans de nombreux secteurs à
prendre des associés marocains.

Or, à l’heure où l’on dresse le bilan du cinquantenaire, on constate que toutes les mesures indiquées,
pourtant parfaitement justifiées et adaptées aux besoins de la situation de l’époque, n’ont eu qu’un
effet marginal sur le développement du secteur privé industriel. La contribution de ce secteur à la
valeur ajoutée nationale est restée modeste, les produits continuant d’être parfois de qualité moyenne
ou médiocre et les prix beaucoup plus élevés que ceux des produits étrangers comparables. Les
exportations ont continué d’être faibles et les importations plus nécessaires que jamais, alors que le
taux de chômage de la population urbaine continuait de grimper.

Pourquoi le secteur industriel n’a-t-il pas fait preuve du dynamisme, de l’esprit d’innovation, des
grandes réalisations escomptés, après que l’Etat lui ait fourni tous les moyens pour prendre son essor
et apporter une contribution importante au développement économique et humain du pays ?

Les principales sociétés industrielles ont été vendues par leurs propriétaires étrangers, depuis
l’indépendance, à des opérateurs marocains qui n’avaient ni la vocation d’entrepreneurs industriels, ni
l’expérience ou le profil requis, ayant fait fortune dans des activités liées au commerce, à l’immobilier
et à la propriété agricole. Ces opérateurs avaient simplement su tirer parti des avantages de la politique
économique appliquée par l’Etat, usant de leur accès privilégié à l’appareil administratif, de leurs liens
avec le pouvoir politique, ou encore des relations qu’ils entretenaient avec les banquiers de la place et
avec les opérateurs économiques étrangers.

Les nouveaux propriétaires se sont empressés de développer des situations de rente, sur des segments
de marché captifs, tout en usant habilement de l’effet de levier pour prendre progressivement le
contrôle d’autres entreprises.

La concentration de pouvoir économique qui en a résulté s’est parfois traduite par l’édification de
véritables conglomérats ayant des pôles diversifiés (financier, industriel, commercial), dont les
dirigeants étaient des membres d’une même famille, principalement intéressés par le brassage des
affaires en vue d’un gain rapide. En conséquence, ils n’accordaient qu’un intérêt de second ordre à
d’autres préoccupations telles que la gestion des ressources techniques, financières ou humaines d’une
entreprise déterminée, qu’ils étaient prêts à revendre à un bon prix quand l’occasion se présenterait. Le
développement de nouveaux produits, l’amélioration de la qualité de production ou l’exploration de
marchés étrangers ne faisaient pas partie de leurs préoccupations prioritaires, tant que les affaires «
rapportaient gros » par ailleurs.

Bien sûr, toutes généralisations sont excessives. Le tissu industriel a également


vu la multiplication de milliers de PME tout au long de cette période, à l’initiative,
cette fois, de véritables entrepreneurs fortement motivés, prêts à innover, à
prendre des risques, à sortir des sentiers battus pour développer des activités
pointues et pour se faire une place dans un créneau qu’ils étaient parfois les
seuls à avoir identifié. On connaît tous des « success stories » marocaines, des «
self made man » à l’américaine, mais ces entreprises restent pour l’essentiel
vulnérables et fragiles, des affaires de famille au vrai sens du terme, et leur
contribution à l’activité du secteur industriel reste mineure.
1er muharram : Calendrier lunaire ou islamique ?
Economia n° 2 Mars 2006

Société

Khalid Chraibi
Depuis que l’usage du calendrier grégorien s’est généralisé dans les pays musulmans, après leur
occupation par des puissances étrangères aux 19è et 20è siècles, le calendrier islamique s’est
progressivement trouvé relégué à des fonctions de protocole et de représentation, qu’il assume
essentiellement à l’occasion du 1er muharram, du 1er ramadan, de l’aïd el fitr ou de l’aid al adha. Nul ne
songerait, de nos jours, à dater un contrat, à faire des réservations de billets d’avion ou de chambres
d’hôtel, ou à programmer une conférence internationale sur la base des données de ce calendrier.

En effet, ses dates sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans et il ne permet
pas, à l’intérieur du même pays, de planifier d’activités au-delà du mois en cours.

A titre d’illustration, le 1er shawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr, correspondait au mercredi 2
novembre 2005 en Libye et au Nigéria ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays dont l’Algérie, la Tunisie,
l’Egypte, l’Arabie Saoudite et une partie des Etats-Unis ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays dont le
Maroc, l’Iran, le Bangladesh, l’Afrique du Sud, le Canada, une partie de l’Inde et une partie des Etats-
Unis ; et au samedi 5 novembre dans une partie de l’Inde. Cet état des choses n’est nullement
exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.

Faudrait-il conclure, à partir de cette illustration, que le calendrier lunaire doit être définitivement
abandonné, dans les sociétés musulmanes, au profit du calendrier grégorien ? Nullement. En fait,
comme nous le verrons, ce sont les procédures d’élaboration du calendrier islamique qui doivent être
réévaluées.

Sur le plan astronomique, les données de la situation sont simples. Le mois lunaire débute au moment
de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le
Soleil. Le mois est défini comme la durée d’une rotation de la Lune autour de la Terre (29,53 j),
donnant pour l’année de 12 mois une durée de 354,37 j. Les astronomes ont posé, il y a quelques
milliers d’années, la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succédaient en alternance, ce qui
permettait de faire correspondre la durée de rotation de la Lune sur deux mois successifs à un nombre
de jours entiers (59), laissant à peine un petit écart qui se cumulait pour atteindre 24 h (soit
l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans. Il suffisait d’ajouter un jour tous les trois ans au calendrier lunaire
pour solder cet écart, de la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au calendrier
grégorien.

Le calendrier islamique est basé sur de toutes autres conventions. Le Prophète a recommandé aux
fidèles de commencer le jeûne du mois du ramadan avec l’observation de la naissance de la nouvelle
lune [au soir du 29è j du mois] et d’arrêter le jeûne avec la naissance de la nouvelle lune (du mois de
shawal). « Si le croissant n'est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu'à 30 j. ».

Les théologiens et les autorités temporelles en ont déduit, à tort ou à raison, que chacun des Etats
islamiques devait (ou pouvait) procéder pour son propre compte à l’observation mensuelle de la
nouvelle lune dans le ciel (ou à défaut attendre l’achèvement d’un 30è j) avant de décréter le début
d’un nouveau mois sur son territoire, au lieu de faire démarrer le mois avec la conjonction mensuelle.
Or, le croissant lunaire ne devient vraiment visible que quelques 18 h après la conjonction, et sujet à
l’existence de conditions favorables relatives à des facteurs tels que le nombre d’heures écoulées
depuis la conjonction ; les positions relatives du Soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ;
l’altitude de la lune au coucher du soleil ; le lieu où l’on procède à l’observation ; l’angle formé avec
le soleil au moment du coucher ; les conditions d’observation (pollution, humidité, température de
l’air, altitude) ; les conditions météorologiques (absorption et extinction des rayons lumineux en
provenance de la Lune, la température au sol, les effets saisonniers) ; le contraste de brillance entre le
croissant lunaire et le ciel ; la limite de détection de l’œil humain…

Selon les mois et les saisons, les conditions favorables d’observation de la nouvelle lune seront réunies
en des sites différents du globe terrestre. Des astronomes et des informaticiens réputés ont établi des
procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions
optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien malais,
Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date
lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu
à l’est de cette ligne que le soir suivant.

Mais tous ces efforts, si admirables soient-ils, restent marginaux par rapport à la question centrale : «
qu’est-ce qui empêche l’adoption par les sociétés islamiques du calendrier lunaire basé sur le calcul
astronomique, puisqu’il répond parfaitement aux besoins de leur situation ? »

Il faut rappeler, dans ce contexte, que la dynastie des Fatimides en Egypte a utilisé ce calendrier au
cours d’une période de deux siècles, entre les 10è et 12è s., avant qu’il ne tombe dans l’oubli à la suite
d’un changement de régime.

Ce sont des arguments d’ordre théologique, fondés essentiellement sur deux ou trois hadiths du
Prophète, qui sont le plus souvent cités pour préserver le statu quo et empêcher l’utilisation du calcul
astronomique. Mais, ils laissent sceptiques.

En effet, le Coran n’interdit nulle part l’usage du calcul astronomique, qui est donc licite. Un verset
déclare : "C'est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé
les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps".

Le Prophète a simplement recommandé aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune
qui était parfaitement courante à l’époque, et adaptée au contexte de la région, quand les étoiles
servaient de points de repère aux Bédouins au cours de leurs déplacements dans le désert.

L’observation de la lune n’était qu’un moyen, pour déterminer le début du mois, et non pas une fin en
soi, un acte d’adoration. Le hadith relatif à l’observation n’établissait pas une règle immuable, pas plus
qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique.

A titre d’illustration, l’Arabie Saoudite a abandonné en 1999 la procédure d’observation de la nouvelle


lune, pour lui substituer une nouvelle procédure basée sur le calcul des horaires de coucher du soleil et
de la lune aux coordonnées de la Mecque, le soir du 29è j de chaque mois. Le coucher du soleil avant
la lune indique le début du nouveau mois. Dans le cas inverse, le mois en cours aura une durée de 30 j.

De nombreux experts défendent la notion que le hadith ne parle pas d’une observation visuelle de la
nouvelle lune, mais plutôt de l’acquisition de l’information, selon des sources crédibles, que le mois a
débuté. Cela ouvre de toutes autres perspectives dans la discussion de cette question.

Quant au hadith du Prophète selon lequel les bédouins ne savent ni lire ni compter, et doivent donc
éviter d’utiliser le calcul (astronomique), Ibn Taymiya observe que l’argument pouvait être fondé au
début du 7è s. mais conteste qu’il puisse encore s’appliquer aux musulmans des siècles plus tard, après
qu’ils aient été à l’avant-garde du développement de la connaissance scientifique, y compris en
astronomie, pendant des siècles. Il souligne que les musulmans n’auraient pas de quoi s’enorgueillir
s’ils étaient restés illettrés.

Plus généralement, on peut observer que les juristes musulmans


s’enorgueillissent de la capacité de la loi islamique à s’adapter en tous temps, en
tous lieux et en toutes circonstances aux besoins des sociétés les plus diverses.
Nombre de points fondamentaux de la loi ont fait l’objet d’interprétations
différentes, au fil des siècles. Pourquoi serait-il donc impossible de substituer une
autre interprétation au hadith du Prophète sur la question de l’utilisation par la
communauté musulmane du calendrier basé sur le calcul astronomique ?
La « mise à niveau » des entreprises est mal partie :
Par Khalid Chraibi
Depuis l’adhésion du Maroc à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994, l’économie
marocaine s’est résolument ouverte sur le monde extérieur. L’accord d’association avec l’Union
Européenne signé en 1996 fut rapidement suivi d’un accord de libre-échange avec l’Association
européenne de libre échange en 1997 ; puis d’accords similaires avec la Tunisie, l’Egypte et la
Jordanie (« accord d’Agadir ») en février 2004 ; et avec les Etats-Unis en mars 2004.

Ces accords, dictés par la nécessité pour le Maroc de s’intégrer aux nouvelles donnes de l’économie
mondiale, ouvrent de nouveaux débouchés aux produits marocains capables de se faire leur place sur
les marchés étrangers. Ils constituent également pour l’entrepreneur marocain un formidable défi à
relever, car il doit désormais faire face à la concurrence internationale sur le marché interne.

Opérant pendant des décennies sur un marché « captif » efficacement « protégé » par les barrières
douanières, dans lequel il pouvait développer une « situation de rente », l’entrepreneur marocain a
souvent été tenté par la solution de facilité de chercher à maximiser son profit, sans souci d’améliorer
la qualité de ses produits ou d’en réduire les coûts de production.

Ni les opérateurs dominants ni les PME n’ont vu la nécessité de développer des structures
compétitives ou des compétences techniques très fortes, que ce soit au niveau de leur organisation, de
leur encadrement, ou de leur gestion des ressources financières, techniques ou humaines. Même ceux
qui faisaient le plus illusion face à leurs concurrents nationaux pouvaient se révéler d’une grande
vulnérabilité, une fois confrontés à une concurrence étrangère déterminée.

A l’ère de l’ouverture des frontières, il était donc impératif d’aider l’entreprise marocaine à s’adapter
pour survivre dans cet environnement nouveau. Dès les lendemains de l’accord avec l’Union
Européenne, un programme de « mise à niveau » de l’entreprise marocaine fut développé à cet effet.

Le concept de « mise à niveau » avait été développé à la fin des années 1980, pour aider le Portugal à
s’intégrer à l’Europe. Le savoir-faire ainsi acquis fut étendu à l’occasion à d’autres pays se trouvant
dans des situations similaires (Jordanie, Egypte, Syrie, Tunisie, Maroc, Sénégal…). Au Maroc, il
devait développer la capacité de performance de l’économie marocaine dans son ensemble, afin
qu’elle puisse résister à la concurrence des pays de l’Union Européenne et des pays du Sud de la
Méditerranée.

Des actions devaient être menées dans des domaines aussi diversifiés que le renforcement des
infrastructures ; l’amélioration de la formation professionnelle ; la promotion des exportations ; le
renforcement des associations professionnelles ; le développement de l’infrastructure technologique ;
la réalisation de diagnostics d’entreprises ; le financement de la mise à niveau…

Les entreprises marocaines devaient passer d’un style de gestion souvent « patriarcal » à des méthodes
de gestion modernes. Des alliances entre entreprises dans les mêmes domaines d’activité devaient
déboucher sur la constitution de « grappes industrielles », qui les porteraient à la taille requise pour
améliorer leur productivité, réduire leurs coûts, mieux utiliser leur capital financier et leurs ressources
humaines.

Une entité spécialisée dénommée « Euro-Maroc Entreprise » fut créée pour gérer toutes ces activités
sur le terrain. Elle devait réaliser des activités de pré-diagnostics, organiser le financement et la
réalisation de diagnostics approfondis et de plans d’affaires, mettre en relation les entreprises
marocaines avec des partenaires étrangers…

A cause de la complexité des mesures institutionnelles requises et de l’éparpillement des efforts, le


programme de mise à niveau eut beaucoup de mal à démarrer. Un bilan de l’opération dresse le tableau
suivant, à l’issue de plusieurs années d’opération :

« Sur un total de 250 entreprises ayant déposé un dossier de demande à Euro-Maroc Entreprise depuis
sa création, 150 ont été retenues et 100 pré-diagnostics ont été réalisés. Sur les 50 demandes déposées
pour le passage à la deuxième phase, 20 ont pu être retenues jusqu’à présent. Un plan d’affaires a été
réalisé pour une seule entreprise ».

Tirant la leçon de quelques cinq années de « démarrage » du programme, les différents partenaires
procédèrent à sa refonte en 2002, l’axant entre autres mesures sur « l’amélioration de l’offre
marocaine sur les marchés extérieurs par l’exploitation de gisements de productivité et de niches ; la
diversification et l’intensification des exportations grâce à une politique de promotion de la qualité des
produits ; l’adaptation de la formation professionnelle aux besoins de l’économie ; une amélioration du
cadre institutionnel, des infrastructures et de l’organisation de l’administration… »

Dans ce but, le nouveau programme de mise à niveau s’est axé sur « le renforcement de la structure
d’accueil et l’infrastructure technologique ; l’appui aux associations professionnelles ; le
développement de la formation professionnelle ; et l’assistance technique aux entreprises. »

Une Agence nationale pour la promotion de la PME (ANPME) fut créée, devant jouer un rôle de
premier plan dans la mise en œuvre du programme révisé de mise à niveau.

Qu’en est-il de la réalisation de ce programme révisé ? Il semble qu’il progresse mieux que son
précecesseur, et que le nombre d’entreprises bénéficiaires des prestations du programme aient
notablement augmenté. Cependant, compte tenu de la complexité du système, de l’ampleur des
objectifs à atteindre et du retard accumulé (toutes ces « années perdues », pourrait-on dire), elles ne
dépasseront guère quelques 5 % des entreprises industrielles de plus de 10 salariés recensées.

Contrairement à ce qui avait été escompté lors de son lancement, au lendemain


de la conclusion de l’accord d’association avec l’Union Européenne, le
programme de mise à niveau, dans toutes ses versions, n’aura donc d’impact
que sur une fraction infime du tissu industriel marocain. Il ne jouera qu’un rôle
marginal dans la préparation de l’économie marocaine à faire face à la
concurrence internationale, à l’échéance de 2010. Pour résumer tous ces efforts,
le titre d’une pièce de Shakespeare vient à l’esprit : « Beaucoup de bruit pour
rien. »
M. Jettou s’attaque au chômage :
Economia n° 1 – Février 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
En 50 ans, les gouvernements successifs se sont attaqués au problème du chômage en multipliant les
mesures institutionnelles et les remèdes conjoncturels. Malgré cela, il y a aujourd’hui près d’un
million et demi de chômeurs au Maroc, et près d’une personne sur cinq de la population active en
milieu urbain est sans emploi.

Avec le temps, le chômage a changé de nature. Maintenant, il touche toutes les classes sociales, des
plus démunis aux mieux éduqués. Les jeunes diplômés qui effectuent leurs études à l’étranger sont
tentés d’y rester à la recherche d’un premier emploi, faute de débouchés visibles au Maroc.

L’« Initiatives Emploi » lancée par le Premier Ministre le 22 septembre dernier à Skhirat vise l’emploi
de quelques 200 000 diplômés chômeurs en trois ans. Tout comme le Plan français de lutte contre le
chômage élaboré par le gouvernement Villepin, il propose des mesures au niveau des entreprises et de
l’auto-emploi. Mais celles-ci, bien qu’attrayantes à première vue, sont entourées de contraintes qui en
réduisent sérieusement la portée.

Ainsi, le PM offre-t-il de bonnes incitations fiscales et sociales aux entreprises recrutant des diplômés
chômeurs dans le cadre d’un « contrat de premier emploi » à durée déterminée de 24 mois. Mais, les
entreprises peuvent être tentées de solder chaque contrat échu, remplaçant les anciennes recrues par de
nouveaux jeunes diplômés, afin de continuer à bénéficier des avantages fiscaux et sociaux associés à
l’opération.

L’obligation d’être inscrit pendant 12 mois à l’ANAPEC avant de pouvoir bénéficier des dispositions
du « contrat de 1er emploi » réduit également le nombre de chômeurs auxquels ces dispositions
profiteront dans l’immédiat. Enfin, on peut se demander où l’ANAPEC, déjà en difficulté, trouvera les
fonds nécessaires pour rémunérer les cabinets de placement qui seront associés à l’opération.

Au niveau de l’auto-emploi, le PM encourage les diplômés chômeurs dotés de plus d’esprit d’initiative
et de créativité à créer leur propre très petite entreprise (TPE). Avances en fonds propres (10% du
projet d'investissement jusqu’à concurrence de 15 000 dhs), et prêts bancaires jusqu’à hauteur de 90%
de l'investissement, plafonnés à 250 000 dhs/projet, avec garantie de l’Etat, rendent l’opération
plausible.

Indéniablement, certains jeunes diplômés talentueux sauront profiter de l’aubaine. Mais l’opération se
prêtera également à beaucoup d’abus, d’improvisation et d’accidents de parcours, transformant en
dépenses « à fonds perdus » une partie du fonds global de 2 milliards dhs alloué à ces actions. Les
contrôles rigoureux qui seront appliqués au lancement et à la gestion de chaque projet de TPE
réduiront les dégâts, mais freineront aussi l’éclosion des TPE. Pourra-t-on vraiment atteindre l’objectif
officiel de 30 000 TPE employant chacune 3 personnes (soit un total de 90 000 emplois) créées en 3
ans ?

En ce qui concerne la grande masse des chômeurs (plus des 4/5èmes de l’ensemble) , le Premier
Ministre compte essentiellement sur les « grands chantiers » en cours de réalisation pour assurer la
relance économique du pays au cours des trois prochaines années, aidant ce faisant à résorber une
partie du chômage et à créer des emplois nouveaux (complexe portuaire et commercial de Tanger
Méditerranée, mise en valeur de la vallée du Bouregreg, autoroutes, rocade méditerranéenne...).

La « politique des grands travaux » a souvent permis de relancer la croissance économique et l’emploi
dans les pays développés qui traversaient une mauvaise passe conjoncturelle. La raison en est que le
taux de valeur ajoutée dans la production nationale y est très élevé, et les effets d’entraînement très
forts. Un coup de pouce peut fort bien faire redémarrer la machine économique grippée, grâce aux
effets multiplicateurs qu’il engendre. Mais, le raisonnement ne s’applique guère (ou bien peu) à la
situation d’un pays du Tiers Monde.

Par exemple, s’agissant des « grands chantiers » auxquels le Premier Ministre fait référence, ce sont
des sociétés étrangères qui remportent l’essentiel des appels d’offres internationaux associés à leur
réalisation. Les sociétés adjudicatrices importent de leur propre pays une proportion écrasante des
produits, des services et de l’encadrement requis pour la réalisation du projet.

Les fortes retombées bénéfiques des grands chantiers ont donc bien lieu, mais… sur les économies des
pays étrangers qui obtiennent les marchés ! De grandes entreprises s’y épanouissent, et génèrent
chiffres d’affaires impressionnants, profits élevés et emplois nouveaux, aussi bien directs qu’induits…

Mais les retombées des grands chantiers sur l’économie marocaine sont bien modestes, en
comparaison de cela, à cause du peu d’argent qui y est réellement dépensé dans le cadre de ces «
grands chantiers », de la faiblesse du taux de valeur ajoutée dans la production nationale et de la
dilution rapide des effets d’entraînement (ou effets multiplicateurs).

Ainsi, les emplois créés pendant la période de réalisation du projet peuvent être importants (surtout au
niveau de la main d’œuvre temporaire), mais ils se situent à des niveaux marginaux en ce qui concerne
les emplois durables. Quant au transfert de technologie et de know-how associés à ces grands projets,
ils restent généralement bien en-deçà des niveaux escomptés.

Ajoutez à cela qu’une partie importante des fonds utilisés pour réaliser ces grands projets provient de
sources de financement étrangères (multilatérales, bilatérales ou crédits commerciaux). Le service de
la dette du projet (intérêts et échéances du principal) détourne encore une fois vers des opérateurs
étrangers, chaque année, une partie importante des fonds dégagés par la mise en œuvre du projet,
réduisant d’autant sa contribution à long terme au développement économique du pays.

Cela explique que l’on puisse être sceptique au sujet des résultats « escomptés » des mesures
annoncées à Skhirat. On peut regretter, à cet égard, que le PM n’ait pas jugé utile de présenter une
évaluation des résultats obtenus par les anciens programmes de lutte contre le chômage des diplômés
chômeurs (soutien financier aux jeunes promoteurs dans les années 1980, actions de formation-
insertion associées au CNJA dans les années 1990...). On se souvient que le premier a été comparé à
un gouffre financier, dont les résultats n’ont guère été probants, alors que l’opération « formation-
insertion », hautement médiatisée à l’époque, n’a contribué à employer que quelques 35 000 personnes
en 10 ans, autant dire une goutte d’eau dans l’océan du chômage. La publication d’un rapport annuel
sur la mise en œuvre du Plan de Skhirat sera, de ce point de vue, d’un intérêt certain.

Le chômage, assurément, n’est qu’une manifestation de l’état de santé précaire de l’économie


marocaine en général, et de celui des entreprises en particulier. D’évidence, c’est à ces deux niveaux
que les vrais problèmes se posent, et qu’ils doivent être étudiés et résolus. La « mise à niveau » de
l’économie dans son ensemble, et de l’entreprise en particulier, constituent des passages obligés si l’on
veut les doter de structures compétitives dans le cadre de la mondialisation des activités économiques.
Ce n’est qu’à ces conditions que les opérateurs économiques, ayant retrouvé des assises plus solides,
pourront procéder aux recrutements dont ils ont vraiment besoin, et dont le niveau sera d’autant plus
important que les perspectives de développement seront meilleures.

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