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LA SOUSCRIPTION OLYMPIA

Mon cher Rédacteur en chef,

Voulez-vous me permettre de rectifier les explications que M. Antonin Proust 1 a données, à


M. Gaston Calmette2, de l'affaire de l'Olympia ? J'y ai été mêlé — indirectement, il est vrai — et j'ai
suivi, jour après jour, les différentes phases de la souscription généreuse organisée par M. Claude
Monet3. J'en puis donc parler savamment.
Les choses ne se sont pas passées par la façon dont les conte M. Antonin Proust. M. Claude
Monet ne commença cette souscription qu'après s'être assuré du concours officieux et sympathique
de M. Antonin Proust. Or, cette souscription n'avait qu'un but — un but parfaitement déterminé —
acheter l'Olympia pour le donner au Louvre. Au lendemain de l'Exposition centennale4, M. Proust
était fort chaud pour Manet, qui avait permis que toutes les nations admirassent, dans la salle
d'honneur et à la meilleure place, les traits non pareils de M. l'ancien ministre des Beaux-Arts, et
son chapeau fameux5. M. Proust promit donc tout ce qu'on voulut. Je dois dire cependant que M.
Proust ne trouvait pas heureux le choix de l'Olympia.
Il manquait quelque chose à ce tableau... Quoi ?.. Il ne le savait au juste... Mais il manquait
quelque chose... probablement de n'être pas le portrait de M. Proust. M. Proust émit même ce
jugement hardi : “Si l'Olympia m'appartenait, j'en ferais une nature morte. Avec de bons ciseaux, je
découperais dans la toile le bouquet qu'apporte la négresse et je jetterais le reste au feu.” Malgré
cette incomparable et courageuse réserve, M. Proust assura qu'il se dévouerait au succès de cette
œuvre. Puis, tout à coup, le zèle de M. Proust se refroidit jusqu'au jour où, l'exposition fermée, il se
glaça tout à fait. Quelle fut la cause de ce revirement ? Il y a dans l'esthétique des anciens ministres
des Beaux-Arts des mystères insondables.
M. Proust affirme à M. Gaston Calmette que le temps n'est pas encore venu pour Édouard
1
Antonin Proust (1832-1905), journaliste et politicien, fut ministre des Beaux-Arts en 1881, dans le “grand
ministère” Gambetta, puis commissaire des Beaux-Arts à l'Exposition Universelle de 1889. Il écrivit des souvenirs sur
Édouard Manet (1913), dont il fut l'ami et dont il prononça l'éloge funèbre, le 3 mai 1883.
2
Gaston Calmette (1858-1914), journaliste du Figaro — dont il deviendra directeur en 1903. Il sera révolvérisé
me
par M Caillaux le 16 mars 1914. Son interview d'Antonin Proust a paru dans Le Figaro du 21 janvier 1890.
3
Monet a commencé à s'en occuper au mois de juillet 1889. Le 7 février 1890, il enverra au ministre des Beaux-
Arts et de l'Insruction Publique, Armand Fallières, la somme de 19 415 francs. Le 21 janvier, Monet a écrit, furieux, à
Geffroy, après la lecture de l'interview de Proust : “Vous me direz ce que vous pensez de M. Proust, qui s'érige ainsi en
arbitre sur toutes les questions d'art. Il ne juge pas Olympia digne du Louvre, il ne veut pas qu'elle y aille. [...] Faites
bien vite un bon article. [...] Il n'y a pas de ménagement à avoir avec ces gens-là” (Wildenstein, III, pp. 252-253). Dans
cette lettre il signale qu'il a également contacté Mirbeau (lettre non retrouvée) : “J'ai écrit à Mirbeau, j'espère qu'il va
donner carrément” (archives Durand-Ruel).
4
L’exposition centennale de l’art français du siècle écoulé s’est tenue dans le cadre de l’Exposition Universelle
de 1889, à l’occasion du centième anniversaire de la Révolution (du 6 mars au 6 novembre). C’est précisément Antonin
Proust qui en était le commissaire, secondé par Roger-Marx, Félix Bracquemond et Georges Petit. Si Renoir et Degas
ont refusé d’y participer, Monet y exposait trois toiles, Raffaëlli quatre, Pissarro deux, et Cézanne une. Quant à Édouard
Manet, il y était superbement représenté : quatorze toiles, dont la scandaleuse Olympia... et le Portrait d'Antonin Proust
!
5
Allusion au Portrait d'Antonin Proust, toile de 65 x 54cm, peinte vers 1880, et actuellement au Musée
Pouchkine de Moscou.
Manet d'entrer au Louvre. Nous connaissons ce raisonnement. Chaque fois qu'en politique une
réforme est proposée, chaque fois que, n'importe où, il s'agit de mener à bien une œuvre grande, ou
simplement utile, nous sommes sûrs de voir apparaître cet inéluctable “Il n'est pas temps encore”.
C'est très commode pour enterrer les questions et cela dispense de discuter. D'ailleurs, c'est avec cet
“Il n'est pas temps encore” qu'on achète cinq cent mille francs des tableaux fatigués qu'on pouvait
acquérir pour quinze cents6 — et que, tous les jours, on laisse échapper, pour nos collections
publiques, les plus belles œuvres de ce temps... de ce temps qui n'est jamais venu.
Enfin, M. Proust, soucieux de la mémoire de Manet, et par respect pour elle, ne veut pas que
Manet entre au Louvre, au moins quant à présent. Il attend des époques incertaines et très vagues
qui seront fixées par les Antonin Proust et les Gustave Larroumet7 de l'avenir. Nous voudrions bien
que M. Proust laissât, là où elle est, la mémoire de Manet8.
La mémoire de Manet, de grands artistes et des cœurs fidèles la gardent. Avec eux, on ne
risque pas de s'égarer dans les petites combinaisons des politiques, ni de se salir aux gluantes
paperasses des bureaux.
Agréez, mon cher rédacteur en chef, etc9.
Octave Mirbeau.

Le Figaro, 26 janvier 1890

6
Allusion au prix atteint par L'Angélus de Millet à la vente Secrétan, en juillet 1889.
7
Gustave Larroumet (1852-1903), plus tard professeur à la Sorbonne, critique dramatique au Temps, est alors
directeur des Beaux-Arts, depuis 1888. Le 27 mars et le 5 avril, Monet lui écrira pour obtenir le garantie qu'Olympia ne
partira pas en province (Wildenstein, III, p. 256).
8
Il ne restait plus à Antonin Proust qu'à désavouer les propos qui lui étaient prêtés et à souscrire personnellement
pour Olympia. Mais un moment Monet a envisagé de se battre en duel avec l'ancien ministre et regrettait que Mirbeau, à
Nice, ne pût lui servir de témoin.
9
Le 30 janvier 1890, la sœur de Manet écrit à Mirbeau pour le remercier de son article qui met “le public au
courant des véritables intentions des souscripteurs de l'Olympia” : “Votre spirituelle et mordante lettre a fait justice de
ce patronage sur le talent de mon frère que M. Antonin Proust impose un peu trop à sa famille et à ses amis. J'ai eu
plusieurs fois déjà à lutter contre sa personnalité par trop envahissante de cet indiscret mécène. Monet me donne
seulement aujourd'hui votre adresse à Nice” (catalogue de la vente du 18 juin 1970, Hôtel Drouot).

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