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Gouvernements et paysans boliviens


autour de la coca (1982-1990).
Vers l'inévitable affrontement ?

Joël DELHOM
Inédit - 1990

Les Boliviens plantent et utilisent la coca depuis des temps immémoriaux ; la


"feuille sacrée des Incas" constitue un des symboles fondamentaux de la culture andine.
Lorsqu'à la fin du XIXe siècle on parvient à en extraire la cocaïne, personne n'aurait
imaginé que moins de cent ans plus tard, en devenant la principale matière première de
la Bolivie, cette plante aux multiples vertus déclencherait une sorte de guerre larvée.
On distingue dans ce pays deux zones principales de culture de la coca. Les
Yungas, au nord-est de La Paz, constituent la zone de production traditionnelle ; le
Chapare, au nord-est de Cochabamba, a connu un fort développement à partir de 1970
et produit actuellement l'essentiel de la coca destinée à être transformée en pâte-base ou
en cocaïne(1). Six fédérations regroupent près de 36000 producteurs dans le Chapare,
dont la superficie plantée atteignait plus de 45000 hectares en 1988. Dans les Yungas,
environ 27000 paysans organisés en quatre fédérations cultivent près de 20000 ha(2).
Ajoutons, pour situer l'importance de la coca dans l'économie bolivienne,
qu'approximativement 10 % de la population (près de 20 % des actifs) en vivent
directement ou indirectement et que la valeur monétaire qui reste dans le pays est
considérablement plus élevée que le revenu des exportations légales. C'est
principalement le manque de terres et l'augmentation du chômage qui conduisent les
paysans et les anciens mineurs vers les plantations de coca(3).

1960-1980 : de l'Etat complice à l'Etat trafiquant

(1) Le Chapare représentait 56 % des superficies plantées en 1972 et 85 % en 1987, d'après


Alain LABROUSSE : "Bolivie : économie politique de la coca-cocaïne", Problèmes d'Amérique Latine,
Paris, n° 87, mai 1988, p. 109.
(2) Cf. Marcos DEVISSCHER : Análisis de la coyuntura boliviana, junio 1988-mayo 1989, La
Paz, mai 1989, document dactylo., Frères des Hommes (ci-après FDH), Paris. Ces chiffres correspondent
à peu près aux études menées par le Centro de Investigación y Desarrollo Regional de Cochabamba
(CIDRE). Signalons, toutefois, que certaines estimations avancent des chiffres beaucoup plus élevés. Par
exemple, le rapport de la Commission spéciale du Sénat bolivien sur le narcotrafic et la pharmaco-
dépendance, présenté par Gustavo MEJIA en 1986, annonce une superficie totale de 104000 ha. pour
1985 ; or, la production n'a pas cessé d'augmenter depuis lors. Cf. "La sola reducción de cultivos de coca
sería un suicidio nacional", Presencia, La Paz, 24 août 1986.
(3) Cf. Alain LABROUSSE (1988), op. cit., p. 110.
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Les premières tentatives de réduction de la production de coca en Bolivie datent


du début des années soixante, suite à la ratification, en 1964, de la Convention unique
des Nations Unies sur les stupéfiants (Vienne, 1961) qui assimilait la feuille de coca à
une substance dangereuse et prévoyait son éradication dans un délai de vingt-cinq
ans(4). Ne tenant pas compte des traditions et des besoins des peuples andins, elle fut, à
l'époque, violemment contestée par la majorité des partis politiques et des organisations
syndicales. La Convention constitue, depuis lors, le fondement juridique de la
législation bolivienne en la matière.
Comme cet accord ne fut guère suivi d'effets, la décennie suivante vit croître la
pression du grand voisin nord-américain. Peine perdue car la volonté d'agir, si tant est
qu'elle eût existé quelque part en Bolivie, n'habitait certainement pas le sommet de
l'Etat.

Durant la dictature du général Hugo Banzer Suárez (1971-1978), la bourgeoisie


financière et agro-industrielle met en place l'infrastructure nécessaire à la production et
à l'exportation de cocaïne, avec la complicité du gouvernement, dont Banzer en
personne, et de la hiérarchie militaire(5).
Craignant de perdre leurs privilèges, les trafiquants eux-mêmes portent le
dictateur Luis García Meza au pouvoir (1980-1982). Son bras droit, le colonel Luis
Arce Gómez, ministre de l'Intérieur, supervise le juteux commerce de la cocaïne(6). La
répression n'a alors d'autre but que d'éliminer la concurrence "illégale", mais elle a
l'avantage de répondre, en apparence, aux pressions des Etats-Unis.

1982-1985 : un gouvernement impuissant qui cède au chantage économique

Avec le retour à un régime démocratique en 1982, qui plus est d'Union de la


gauche (UDP), on aurait pu s'attendre à une action radicale pour démanteler le réseau de
protections dont bénéficiaient les trafiquants. Mais le gouvernement d'Hernán Siles
Suazo (1982-1985), manquant peut-être de volonté politique, restait impuissant face à
une administration corrompue(7). En 1983, il réorganise néanmoins les instruments de
répression et crée une unité mixte police-armée, l'UMOPAR (Unidad Móbil de
Patrullas Rurales, surnommée "Leopardos"), qui acquiert rapidement une sinistre
réputation.

L'événement le plus lourd de conséquences est la signature, le 11 août 1983,


d'un accord secret avec les Etats-Unis qui met en place un programme bilatéral de cinq
ans, destiné à éradiquer une grande partie de la production de coca et à en contrôler le

(4) Cf. Vincent BRACKELAIRE : Coca, cocaïne et développement, Repères pour la


coopération avec la Bolivie, Bruxelles Collectif d'Echanges pour la Technologie Appropriée (COTA),
1988, p. 42.
(5) Cf. Bulletin d'information Bolivie (ci-après BIB), Anvers, n° XIII/8, décembre 1985, p. 100-
104 et n° XIII/9, janvier-février 1986, p. 117-121.
(6) Sur l'implication du haut commandement militaire dans le trafic de drogue, lire Bolivia
Bulletin, La Paz, CEDOIN, n° 5, vol. 3, octobre 1987.
(7) Cf. Antoine DESJARDINS : "Coca in, coca out", Cahier des Amériques Latines, Paris, n° 6,
1987, p. 24-25.
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trafic, en échange d'une aide financière et technique(8). Cet accord ouvre la voie au
chantage américain qui dure encore de nos jours et aux futures interventions militaires
dans les zones de production. La première fut ordonnée en juillet 1984, sous la menace
de Washington d'interrompre toute aide économique, mais les trafiquants, bien
informés, avaient déjà pris leurs dispositions(9).
Les protestations des syndicats et les barrages dressés par les paysans sur les
routes furent vains. La Centrale ouvrière bolivienne (COB) et la Confédération
syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB) prirent la défense des
petits producteurs de coca qui étaient, avec le sous-prolétariat du trafic(10), les
principales victimes de la répression. Lors de son Congrès de septembre 1984, la COB
prit des résolutions en faveur des paysans, exigeant la démilitarisation des zones de
production et l'annulation des accords de 1983(11).

1985-1986 : répression des paysans et protection des trafiquants

La "Nouvelle Politique Economique" (NPE) du gouvernement néolibéral de


Víctor Paz Estenssoro ne peut se passer de l'économie souterraine de la coca-
cocaïne(12). Or, les Etats-Unis maintiennent leur pression sur la Bolivie sans vouloir
apporter une compensation financière à la hauteur des besoins. D'où l'ambiguïté de la
politique répressive de La Paz, qui s'appuie sur les accords passés par la précédente
législature : la répression ne doit avoir qu'une portée réduite. Le gouvernement a donc
pour unique objectif d'apaiser, à court terme, le courroux de l'Oncle Sam en harcelant
les petits producteurs de coca. Cette stratégie est toujours en vigueur en 1990.
L'opération Blast Furnace, (juillet-novembre 1986)(13) et "l'affaire
Huanchaca"(14) illustrent parfaitement cette politique. La première, que tout le monde a
analysée comme un échec cuisant, est en réalité un exemple de réussite. La seconde, en
mettant en évidence les liens entre le pouvoir politique, la hiérarchie militaro-policière
et les patrons du trafic(15), explique pourquoi les paysans sont les cibles privilégiées de
la répression.

(8) Cf. Ibid. et Henri PIERRE : "L'opération antidrogue menée en Bolivie donne peu de
résultats", Le Monde, Paris, 22 juillet 1986.
(9) Cf. BIB, n° XIII/10, mars 1986, p. 132-133.
(10) Cf. DESJARDINS (1987), p. 20 et "Estratificación social dentro del narcotráfico", BIB,
n° XVI/1, mai-juin 1988, p. 12.
(11) La COB rejetait les pressions extérieures et se prononçait pour une politique de contrôle et
de prévention dans les pays consommateurs de cocaïne. Elle proposait également que le gouvernement
soutienne les projets d'industrialisation de la coca à des fins médicinales ou alimentaires. Cf. BIB,
n° XIII/10, mars 1986, p. 134.
(12) Susanna RANCE écrit : "le narcotrafic est devenu l'axe de l'économie nationale et l'allié du
gouvernement en raison de sa capacité à engendrer des emplois et des devises", "Bolivia : decrece
narcotráfico pero permanecen tropas EE.UU.", Noticias Aliadas, Lima, 18 septembre 1986. Voir aussi
"La sola reducción de cultivos de coca sería un suicidio nacional", op. cit.
(13) Cf. Le Monde, 22 juillet 1986 ; El País, Madrid, des 17-18, 20, 22 juillet 1986 et du 28
septembre 1986 ; LABROUSSE (1988), p. 114-115.
(14) Voir DESJARDINS (1987), p. 27-30 et BIB, n° XIV/5, janvier 1987, p. 73.
(15) Les ministres de l'Intérieur, des Affaires extérieures, de la Défense ainsi que le Chef
national de la police, mis en cause par la Commission d'enquête parlementaire, ne seront pas inquiétés.
Cf. Pedro ABATTI : Analyse de la conjoncture bolivienne, Cochabamba, juin 1987, dactylo., FDH,
4

Alain Labrousse a montré que la répression affectait les producteurs et favorisait


les trafiquants en faisant baisser les prix de la feuille de coca(16). La suspension
temporaire des activités du trafic, en 1986, a produit le même résultat. Le deuxième
effet tangible de ce "coup d'épée dans l'eau" a été une poussée inflationniste, créée par
la pénurie soudaine de dollars. Par conséquent, cette intervention dont l'effet devait être
aussi minime que possible et sans portée sur l'organisation des trafiquants, a néanmoins
destabilisé l'économie(17) et fait ainsi la preuve des contradictions insurmontables de la
lutte anti-drogue auxquelles les Boliviens sont condamnés.

"L'invasion yankee" provoqua une vive agitation sociale à laquelle le


gouvernement répliqua par l'imposition de l'état de siège(18). Les producteurs
décidèrent alors de ne plus récolter les feuilles dont le prix de vente ne couvrait que la
moitié des coûts de production(19). En réponse à la répression, les fédérations de
producteurs du Chapare élaborèrent en 1986 un "Plan alternatif de développement"
présentant leurs principales revendications : création d'une instance de développement
du Chapare, électrification et construction d'infrastructures (routières, sanitaires et
éducatives), ouverture de marchés pour leurs produits, etc. Elles proposaient également
la création d'une industrie de transformation de la feuille de coca(20).
Une autre proposition, émise par le dirigeant du Parti Socialiste Un (PS-1),
Roger Cortez, et reprise par les paysans, demandait au gouvernement d'acheter au prix
du marché les excédents de feuilles, grâce à un financement des pays consommateurs,
tant qu'un plan de substitution digne de ce nom ne serait pas mis en oeuvre(21). La
CSUTCB, pour sa part, replaçait le problème de la coca dans le contexte global de la
situation agricole nationale. Elle rappelait que de nombreux paysans ne pouvaient plus
vivre sur leur lopin de terre et étaient contraints de migrer vers les zones tropicales, c'est
pourquoi elle mettait en avant son Projet de loi agraire fondamentale, élaboré en 1983 et
approuvé par son Congrès de 1986(22).

p. 17-19 ; CORACA : Análisis de coyuntura, julio-octubre 1987, Cochabamba, dactylo. FDH, p. 24 ; "La
mayoría de los acusados del crimen de Huanchaca cuyo único superviviente fue V. Castello, huyen de la
justicia", El Pais, 03 novembre 1987. Au printemps 1988, l'affaire des "narco-vidéos" démontrait à
nouveau la complicité de la classe politique. Cf. BIB n° XVI/1, mai-juin 1988, p. 14 et XVI/2, juillet-août
1988, p. 22-23.
(16) LABROUSSE (1988), p. 113-114.
(17) Cf. RANCE (1986). Voir aussi "La operación antidroga de las fuerzas policiales bolivianas
y del ejército US amenaza la economía del país", El País, 30 juillet 1986.
(18) Cf. "Respuesta del gobierno boliviano a las protestas sociales con la implantación del estado
de sitio", El País, 29 août 1986 ; Andrés SOLIZ RADA : "Un argumento peligroso", Diálogo Social,
XIX, n° 193, septembre 1986 ; RANCE (1986) ; ABATTI (1987) ; LABROUSSE (1988), p. 114-115.
(19) 20 dollars la "carga" de 100 livres en septembre 1986, selon RANCE (1986).
(20) En 1986, quatre fédérations de petits producteurs du Chapare (soit 35000 familles) créaient
le Conseil pour l'industrialisation de la coca (COINCOCA) qui demandait au ministère de la Santé
l'autorisation de commercialiser trois produits déjà au point. La réponse se fit attendre... Cf. Amanda DA-
VILA : "Bolivian peasants : restoring the dignity of coca", Panoscope, London, The Panos Institute,
n° 10, janvier 1989, p. 10-12.
(21) Cf. RANCE (1986), ; SOLIZ RADA (1986) et Bolivia Bulletin, vol. II, n° 3, juillet 1986.
(22) Cf. Sofia VEGA : "Campesinos demandan reforma agraria radical", BIB, n° XIII/4, p. 53-54
et BRACKELAIRE (1988), p. 50. Ce projet tente de corriger la réforme agraire de 1953.
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1987 : le gouvernement recule devant la mobilisation paysanne

L'année 1987, riche en événements, marque un tournant dans la gestion


politique du problème de la coca. Le gouvernement, des plus dociles vis-à-vis des Etats-
Unis, durcit le ton envers les producteurs. Mais la détermination des paysans, et le
soutien dont ils bénéficient, vont le contraindre à négocier.

En janvier 1987, le gouvernement présente au Parlement un Plan triennal de


lutte contre le narcotrafic qui prévoit l'éradication de toutes les cultures de coca du
Chapare et de 80 % de celles des Yungas. Ce plan repose sur un hypothétique
financement de 300 millions de dollars et ne propose aucune alternative crédible. Une
indemnisation de 2000 dollars par hectare volontairement arraché sera attribuée la
première année aux producteurs, ensuite l'éradication sera forcée et sans
compensation(23). Ce plan a été conçu en étroite concertation avec Washington, ce que
dénoncent avec véhémence les secteurs populaires. Pourtant, les Etats-Unis n'octroient
à la Bolivie que les deux-tiers de la somme demandée et conditionnent leur versement à
la promulgation d'une loi classant la feuille de coca parmi les stupéfiants. Le
gouvernement de La Paz accepte ces exigences.
Au printemps, des troupes américaines retournent en Bolivie pour la deuxième
année consécutive, dans le cadre du programme quinquennal de manœuvres conjointes
avec les forces boliviennes(24), signé sous le mandat de Siles Suazo. Etant donné le
contexte, ces opérations ressemblent fort à de l'intimidation.

Comme on pouvait s'y attendre, les producteurs de coca s'opposèrent au Plan


triennal du gouvernement qui faisait d'eux les principales cibles de la répression et
délaissait les véritables trafiquants. La compensation de 2000 dollars était jugée
insuffisante comparée au revenu plus de trois fois supérieur d'un hectare de coca. Pour
la CSUTCB, l'Etat devait d'abord trouver des cultures alternatives rentables et investir
dans les infrastructures nécessaires à leur commercialisation. Elle considérait
inacceptables l'éradication forcée et le Projet de loi sur la coca devant faire de la feuille
une "substance dangereuse" et, par conséquent, transformer les paysans en délinquants.
La CSUTCB réaffirmait néanmoins son appui à la lutte contre la drogue et son
commerce(25), et faisait valoir qu'elle avait déjà proposé un contre-projet qui n'avait
jamais été pris en considération. Celui-ci prévoyait des actions contre le trafic, mais

(23) Cf. LABROUSSE (1988), p. 118.


(24) L'objectif, à demi avoué, de ces manoeuvres est l'entrainement des deux armées à une
situation de "conflit de faible intensité" et d'habituer l'homme de la rue à une présence quasi-permanente
de troupes américaines en Bolivie. Cf. ABATTI (1987), p. 28 ; Bolivia Bulletin, vol. III, n° 3, juin 1987
et n° 5, octobre 1987 ; "Regreso de estadounidenses a Bolivia para iniciar una serie de operaciones contra
el narcotráfico", El País, 6 juin 1987.
(25) Pour comprendre les raisons de l'opposition des syndicats et des partis politiques au trafic
de drogue, lire quelques conséquences de cette économie souterraine dans DESJARDINS (1987), p. 20-
22
6

repoussait l'éradication jusqu'à la mise en oeuvre d'investissements pour le


développement global de la région, avec les financements appropriés(26).

Face à l'intransigeance du gouvernement qui refusait de négocier le Plan, les


paysans, soutenus par la COB et la CSUTCB, ont entamé des grèves de la faim, puis
bloqué les routes. Le 28 mai, l'armée intervenait dans le département de Cochabamba
pour lever les barrages et tirait sur les paysans, faisant plusieurs morts. Cet épisode
sanglant mit le pays en état de choc et eut pour effet de mobiliser l'ensemble du
mouvement populaire. L'ampleur de la réaction nationale obligea le gouvernement à
négocier. Le 6 juin 1987, il signait un accord avec la COB, la CSUTCB et huit
fédérations de producteurs de coca(27).
Cet accord, même s'il se limitait à des intentions(28), constituait une immense
victoire du mouvement paysan, car il avait fait reculer le gouvernement et modifié
radicalement l'orientation idéologique de son Plan. Celui-ci changeait de nom et
devenait le Plan intégral de développement et de substitution (PIDYS), qui allait
désormais constituer la pierre angulaire des revendications paysannes. Il soulignait
l'effort commun de lutte contre le trafic de drogue et reprenait les principales
revendications des producteurs. Le développement économique des régions de
production était enfin reconnu comme une priorité et, fait remarquable, les
représentants des paysans seraient associés à sa conception et à sa mise en oeuvre(29).

Malgré cette victoire, la mobilisation populaire ne faiblit pas. Du 26 au 29 août


1987, le Comité civique de Cochabamba organisait un Forum national sur la
problématique coca-cocaïne(30). La "Déclaration de Cochabamba"(31) qui en résulte
constitue la première "doctrine" véritablement nationale sur ce sujet, car elle est le fruit
d'un large débat entre l'ensemble des forces organisées de la société. Un fort consensus
se dégage pour exiger des pays consommateurs de cocaïne un véritable plan de
développement de la Bolivie, en échange de l'éradication de la coca excédentaire.
L'approche officielle est rejetée ; l'angle d'analyse du problème doit être radicalement
modifié et les politiques de lutte contre le trafic entièrement reconsidérées. Le Forum
affirme que le PIDYS doit constituer le cadre de la nouvelle politique, sur la base des
accords signés le 6 juin 1987.

(26) Cf. BIB, n° XV/1, avril-mai 1987, p. 2 et XV/2, juin-juillet 1987, p. 19. Voir aussi ABATTI
(1987), p. 27.
(27) Cf. Ministerio de planeamiento y coordinación : Acuerdo entre el Gobierno constitucional,
COB, CSUTCB, federaciones campesinas productoras de coca sobre el plan integral de desarrollo y
sustitución de los cultivos de coca y la lucha contra el narcotràfico, La Paz, 6 juin 1987, in
BRACKELAIRE (1988), annexe 2.
(28) Juan Lechín, le dirigeant de la COB, a averti les paysans qu'ils devaient maintenir la
pression et la vigilance pour que leurs intérêts soient respectés. Cf. Bolivia Bulletin, vol. III, n° 3.
(29) Cf. BIB, n° XV/2, juin-juillet 1987, p. 19-20 et ABATTI (1987), p. 37. La participation
paysanne est un point essentiel car, jusqu'alors, les producteurs étaient exclus des projets mis en oeuvre,
tel "Agroyungas", mis en place en 1985 par le Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l'abus des
drogues (FNULAD), bénéficiant d'un financement de 80 millions de dollars et qui était combattu par les
Fédérations paysannes, l'Eglise et les stations de radio populaires.
(30) Cf. BIB, n° XV/5, janvier 1988, p. 83-86.
(31) Cf. BRACKELAIRE (1988), annexe 1.
7

Les fortes mobilisations populaires des mois de mai et juin auraient pu être
mises à profit par le IIIème Congrès national de la CSUTCB, mais les divisions
internes(32) allaient paralyser temporairement le mouvement paysan. Le cahier de
revendications de la Confédération, présenté au gouvernement à l'issue du Congrès,
exigeait l'application de l'accord signé le 6 juin ainsi que la répression des
narcotrafiquants et de leurs protecteurs(33). Il demandait également l'examen, par le
Parlement, de son Projet de loi agraire fondamentale visant à résoudre le problème du
minifundio. Bien entendu, le gouvernement refusa de considérer les exigences de la
CSUTCB, mais celle-ci, occupée à gérer ses divisions internes, demeurait sans réaction.
Cet immobilisme provoqua le mécontentement et le découragement de la base(34).

Fin octobre 1987, les producteurs du Chapare prétendaient avoir arraché


volontairement un millier d'hectares, depuis la signature des accords de juin, et donc
avoir rempli leurs engagements. En revanche, ils constataient que le gouvernement
n'avait pas tenu les siens, puisqu'il n'avait entamé la mise en œuvre d'aucune des contre-
parties promises (électrification, infrastructures, programme de substitution...).
L'administration invoquait à sa décharge l'absence de financements, bloqués par les
Etats-Unis.
S'estimant bernés, les producteurs ont alors interrompu l'éradication début
novembre et dénoncé les accords(35). La position des fédérations était bien claire : sans
programme d'ensemble cohérent, disposant des moyens financiers et techniques
nécessaires, il n'y aurait aucune réduction notable des cultures de coca.
De fait, fin 1987, la situation restait globalement inchangée car rien de sérieux
n'avait été entrepris pour que l'accord, arraché par les producteurs en juin, connaisse un
début d'application.

1988 : le gouvernement reprend l'initiative et fait l'unanimité contre lui

En janvier, un nouvel accord avec le gouvernement confirmait celui de juin


1987(36). Or, à la mi-mai, le Sénat adoptait le projet de loi incluant la feuille de coca,
déclenchant ainsi de nouvelles manifestations de producteurs. Le 25 juin, l'UMOPAR
tirait sur des paysans à Villa Tunari (Chapare). Une dizaine de paysans furent tués et il

(32) Deux tendances s'affrontent : l'une, réformiste, derrière le Secrétaire éxécutif indigéniste
Jenaro Flores et l'autre, plus radicale, avec à sa tête Víctor Morales, le Secrétaire général. Sans la ferme
volonté d'unité de la base, la CSUTCB aurait éclatée. Le VIIème Congrès de la COB a été le théâtre d'une
polarisation similaire. Finalement, les réformistes se sont imposés dans les deux cas.
(33) Cf. CORACA (1987), p. 15. Il faut remarquer, toutefois, une certaine ambigüité. La baisse
des prix de la feuille pousse de nombreux paysans à produire eux-mêmes la pasta et la frontière entre
producteurs et trafiquants devient de moins en moins nette.
(34) Cf. Marcos DEVISSCHER, Chantal LIEGEOIS, novembre 1987, BIB, n° XV/5, décembre
1987-janvier 1988, p. 74-75.
(35) Ibid., p. 76-77 et BRACKELAIRE (1988), p. 52
(36) Cf. DEVISSCHER-LIEGEOIS, BIB, n° XV/6, février-mars 1988, p. 92-93 et BIB,
n° XVI/2, juillet-août 1988, p. 21.
8

y eut de nombreux blessés(37). Les pourparlers entamés à la suite de ce dramatique


événement se soldèrent par un échec et, peu de temps après, le 20 juillet, l'exécutif
promulguait la "Loi sur le régime de la coca et les substances contrôlées".

Depuis juin 1987, la position du gouvernement paraissait particulièrement


confuse. Estimant qu'en raison de la chute du prix de la coca(38) le contexte était
favorable à l'éradication volontaire, il semblait jouer la carte de la négociation avec les
producteurs(39), d'autant plus qu'il venait d'être soumis à une forte pression publique.
Mais d'autre part, ne pouvant se passer de l'aide économique des Etats-Unis, qui
refusaient par exemple l'électrification du Chapare et l'ouverture de routes(40), deux
points centraux de la revendication paysanne, le gouvernement bolivien maintenait ses
projets initiaux. Il bénéficiait, en outre, de l'affaiblissement du mouvement paysan. En
effet, depuis juin 1987, le paysannat était le grand absent de l'échiquier politico-social,
du fait de la paralysie des instances dirigeantes de la CSUTCB. Seuls les producteurs de
coca restaient mobilisés. En fait, l'Etat a profité des divisions internes du mouvement
paysan pour s'installer dans un immobilisme qui a bloqué la négociation.

La loi sur la coca repose sur un compromis qui tente de satisfaire à la fois les
producteurs et les Etats-Unis. Elle répond aux exigences américaines puisqu'elle intègre
la feuille et prévoit son éradication. Un certain nombre de revendications des paysans
sont également prises en compte : reconnaissance de la production et de l'usage
traditionnels de la coca ; interdiction de l'utilisation de moyens chimiques pour
l'éradication ; substitution graduelle et simultanée à l'exécution de programmes de
développement ; reconnaissance du PIDYS comme cadre institutionnel de la substitu-
tion(41).
Aussi, cette loi n'apparaît-elle pas vraiment négative, bien qu'elle intègre la
feuille de coca. Elle est pourtant vivement combattue, en raison d'une radicalisation des
producteurs et des secteurs qui les soutiennent. On peut aisément comprendre
l'exacerbation des tensions. Depuis juin 1987, rien de concret n'a été réalisé, par contre,
la répression n'a pas cessé et elle a été, une nouvelle fois, meurtrière. Le gouvernement
a poursuivi ses objectifs sans tenir compte des accords passés (par exemple, en janvier).
D'autre part, lors de son Congrès extraordinaire de juillet, la CSUTCB est finalement
parvenue à conserver son unité et les producteurs de coca ont reçu le soutien unanime
des autres secteurs paysans. Les exigences de développement concernent maintenant
l'ensemble du monde rural, et non plus seulement les zones de production de coca. Le
mouvement paysan en sort donc renforcé(42).

(37) Cf. DEVISSCHER, Informe de coyuntura boliviana, junio-julio 1988, FDH, août 1988 ;
BIB, n° XVI/4-5, septembre-décembre 1988, p. 69-70 ; Témoignage Chrétien, Paris, Hors-série
"Drogue", 4° trim. 1989, p. 34.
(38) Dans le Chapare, le prix de 100 livres de feuilles est tombé de 400 à 15 dollars. Cf. BIB,
n° XV/6, février-mars 1988, p. 93.
(39) Par exemple, en négociant la mise en place concrète des programmes définis dans leurs
grandes lignes en juin.
(40) Les USA considèrent qu'elles pourraient favoriser le trafic.
(41) Cf. BIB, n° XVII/3, juin 1989, p. 41-46.
(42) Cf. BIB, n° XVI/4-5, septembre-décembre 1988, p. 67-70.
9

La CSUTCB recueille l'assentiment général dans son opposition. La Loi est


critiquée car elle n'offre aucune garantie, en matière financière, que les plans de
développement pourront être mis en oeuvre. Or la COB affirme que la substitution,
partout où la culture a été déclarée illégale, exigerait un investissement annuel d'au
moins 500 millions de dollars. Les producteurs, en accord avec les experts
économiques, soutiennent que la substitution doit s'intégrer dans une stratégie cohérente
de développement rural et que les produits de substitution doivent être compétitifs sur
les marchés mondiaux(43). La COB appelle donc à la désobéissance civile.
La Conférence épiscopale s'est également prononcée contre la nouvelle loi. Les
évêques déplorent que le gouvernement ne prenne pas en compte la paupérisation
croissante du pays et tout particulièrement la situation des paysans, dont 90 % survivent
dans des conditions d'extrême pauvreté. Cette loi ne repose que sur des promesses
d'aide extérieure, bien loin d'être à la hauteur des besoins réels. L'épiscopat conclue que
c'est une erreur de s'en prendre aux producteurs qui ne font que répondre à la forte
demande de coca et ne sont pas responsables du phénomène. Ils rejoignent ainsi les
partis d'opposition qui font remarquer que la loi réprime davantage la production que le
trafic.
Roger Cortez, du PS-1, estime qu'en déclarant illégale une grande partie des
cultures de coca, le gouvernement va convertir ces producteurs en citoyens de seconde
zone. Pour lui, la politique bolivienne doit impérativement reposer sur le principe de la
participation paysanne. Les autres partis d'opposition dénoncent la loi comme étant
contraire aux accords conclus avec les paysans et directement dictée par les Etats-Unis.

La IIIème Rencontre nationale de producteurs de coca se tient, les 8 et 9 août, à


Cochabamba. Elle reçoit, pour la première fois, le soutien de la Confédération syndicale
des colons de Bolivie (CSCB), qui était jusqu'à présent restée à l'écart. Désormais, la
CSUTCB et la CSCB s'associent pour défendre en commun leurs revendications
(feuilles de coca, politique de crédit, développement agraire...). Ce rapprochement vient
confirmer le renforcement du mouvement paysan, amorcé depuis le Congrès
extraordinaire(44). Suite à différentes rencontres nationales, les producteurs décident
d'interrompre l'éradication, jusqu'à l'abrogation de la Loi.

1989 : radicalisation et unité du paysannat

Le gouvernement ne désarme pas pour autant. Les hostilités reprennent fin 1988
par le dépôt devant le Parlement d'un avant-projet de loi sur le développement agraire,
qui fait craindre aux paysans une reconcentration des terres, sous prétexte de lutter
contre le minifundium, ainsi que la mise sous contrôle de toutes les instances y compris

(43) Le ministre des Affaires paysannes, Guillermo Justiniano, déclarait lui-même que le
problème majeur de la substitution était le manque de marchés pour les nouveaux produits. Cf.
Panoscope (1989), p. 12.
(44) Cf. DEVISSCHER, Análisis de coyuntura boliviana, junio 1988-mayo 1989, FDH, mai
1989, doc. dactylo.
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non gouvernementales de développement(45). Peu après, début 1989, le gouvernement


promulgue les décrets d'application de la loi sur la coca sans qu'ils aient été négociés
avec les syndicats, comme convenu. La riposte ne se fait pas attendre.
Plusieurs dirigeants paysans entament des grèves de la faim qui forcent le
gouvernement à retirer son projet et à négocier. Celui-ci ne concède pratiquement rien,
mais confirme la participation des organisations syndicales à la direction du PIDYS(46).

Le Congrès de la CSUTCB de septembre 1989(47) marque officiellement la


radicalisation du mouvement paysan. La Confédération y prend la résolution de
n'accepter aucun plan d'éradication, bien qu'elle reconnaisse l'existence d'excédents
devant être substitués en échange d'un développement dans la dignité et en toute
souveraineté(48). Elle exige l'abrogation de la Loi sur la coca et l'application immédiate
de l'accord de juin 1987 relatif au PIDYS(49), ainsi que la répression des trafiquants et
de leurs protecteurs.
La VIème Rencontre de producteurs de coca ratifie, en décembre, l'appui au
PIDYS et approuve la création de la Commission nationale de la coca, constituée par la
COB, la CSUTCB, la CSCB, et les fédérations de producteurs(50).

1990 : retour à la case départ

Le début de l'année 1990 est marqué par le sommet anti-drogue de Carthagène


(Colombie) qui réunit, les 15 et 16 février, les Présidents de la Bolivie, du Pérou, de la
Colombie et des Etats-Unis. Très médiatisée, cette rencontre n'était qu'une vaste
opération de relations publiques. Elle s'est en fait limitée à la ratification d'accords
antérieurs et à la signature de traités bilatéraux, mais aucune mesure concrète n'a été
décidée.
L'augmentation de l'aide offerte aux pays andins par le président George Bush
ne dépasse pas les 2,2 milliards de dollars déjà prévus pour les cinq prochaines années.
Les USA reconnaissent toutefois que la lutte contre la drogue implique la réduction de
la demande, mais là encore aucune précision n'a été donnée en ce qui concerne les
mesures qui pourraient être prises(51).

(45) L'intention était bien là puisqu'en avril 1989, le gouvernement publiait un décret
réglementant l'activité des organisations non gouvernementales de développement (ONGD).
(46) Cf. DEVISSCHER (1989).
(47) Cf. Agencia Latinoamericana de Información (ALAI) n° 125, mars 1990, p. 15-16.
(48) La CSUTCB exige par conséquent l'expulsion "des troupes mercenaires Yankee".
(49) On peut lire dans la déclaration politique du IVème Congrès : "[...] nous, paysans boliviens,
nous mobilisons pour la politique du PIDYS et cette politique suppose un appui économique de 3
milliards de dollars qui rendra possibles notre développement et la substitution de la culture [de la
coca], pour surmonter notre situation actuelle de misère sociale et économique. [...] la politique du
PIDYS est pour l'instant le meilleur moyen de combattre le narcotrafic.", Cf. ALAI, n° 125, mars 1990,
p. 16.
(50) Ibid.
(51) D'après DESJARDINS (1987), p. 13 : en 1986, 1 % seulement du budget américain
consacré à la lutte contre le trafic de drogues était destiné à la prévention, contre 85 % à la répression.
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Malgré les discours officiels et les déclarations de bonnes intentions(52), peu de


choses changent en réalité. L'action des Etats-Unis dans le domaine des matières
premières (café, soja, étain) contrarie les plans de substitution et continue de pénaliser
l'économie bolivienne. En mai 1990, le gouvernement du nouveau président Jaime Paz
Zamora signe avec Washington des accords bilatéraux pour la mise en oeuvre du
programme "Coca contre développement", qui ressemble à s'y méprendre à l'ancien
Plan triennal. Les éléments principaux en sont l'éradication de la coca, la militarisation
des zones de production, l'intervention des conseillers américains, l'aide financière à la
substitution...
Encore une fois, les militaires arrivent plus vite que l'argent ! En septembre
1990, Jaime Paz Zamora autorisait l'entrée en Bolivie de 30 conseillers militaires
américains, sans que le Congrès en soit informé(53). Au cours du premier semestre
1990, 3000 hectares ont été arrachés, et l'objectif de 5000 hectares devrait pouvoir être
atteint sans difficulté d'ici la fin de l'année. Bien que les Etats-Unis n'aient pas encore
tenu leurs engagements financiers, les autorités boliviennes se disent prêtes à poursuivre
le programme. Face au revirement du gouvernement, la CSUTCB a pris des mesures
plus radicales. Le 20 août, les syndicats ont bloqué les routes dans tout le pays et le
gouvernement a dû faire intervenir l'armée pour lever les barrages(54). Les présidents
changent, mais l'histoire a curieusement tendance à se répéter...

Vers la confrontation ?

Depuis l'effondrement de la COB, de l'ensemble du mouvement populaire et


syndical bolivien, le mouvement paysan, aiguillonné par les producteurs de coca, est
certainement celui qui a connu ces dernières années le plus fort développement. C'est
peut-être le signe d'une conscience politique croissante du paysannat et on est fondé à
penser que le problème de la coca a joué un rôle essentiel de catalyseur, en constituant
un point de convergence dans un pays extrêmement divisé(55). En effet, sur les
demandes initiales s'est progressivement greffé un ensemble de revendications
dépassant les intérêts catégoriels des producteurs de coca et concernant le paysannat
globalement. La coca leur a donné un moyen de pression extraordinaire leur permettant
de faire valoir leurs propres critères en matière de développement rural. Leur exigence
de participation à tout programme de développement, de la conception à l'exécution,
prend ainsi tout son sens.

Malheureusement, les conflits internes de la CSUTCB et de la COB ont


compromis une dynamique qui aurait pu renverser les rapports de forces avec le
gouvernement, en laissant celui-ci reprendre l'initiative. Face aux accords arrachés par
les paysans, l'Etat a opposé sa force d'inertie pour éviter leur application. Mais derrière

(52) Le Président Jaime Paz Zamora déclarait à un journaliste d'El País : "Notre problème n'est
pas d'être contre les narco-trafiquants comme cela se passe dans d'autres pays, mais d'être avec les
paysans qui n'ont pas d'autre travail alternatif", Cf. Chili Flash- Espaces Latino-Américains, n° 70,
septembre 1990, p. 18.
(53) Cf. Jacques SANTIAGO, ibid., p. 19.
(54) Ibid.
(55) Peut-être parce que ce problème concerne aussi bien les zones de production que les zones
d'expulsion de main d'oeuvre, outre son caractère symbolique.
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son apparent immobilisme, le gouvernement poursuivait avec obstination ses objectifs


répressifs contre le mouvement paysan, le seul encore suffisamment puissant pour
résister au diktat néo-libéral. Subrepticement, le pouvoir est ainsi revenu au statu quo
ante. La négociation n'a servi qu'à apaiser les tensions, mais n'a jamais été sincère.
L'administration bolivienne a toujours eu - et a encore -, sur le problème de la coca, une
"vision essentiellement délictuelle, laissant de côté ses dimensions socio-économiques
et culturelles, et sans réel diagnostic de base"(56). Le manque de moyens économiques
et financiers n'est qu'un prétexte, car il faut comprendre que la néo-oligarchie qui
gouverne depuis 1985, "dominée par les financiers et très inféodée à l'étranger"(57) n'a
aucun intérêt ni à la disparition du trafic, ni au renforcement du mouvement paysan. La
"guerre contre la drogue", aux Etats-Unis comme en Bolivie, vise davantage le contrôle
de "l'or blanc" que l'élimination du fléau.
Lorsque l'on sait que l'ancien dictateur Hugo Banzer, soudain converti aux
vertus de la démocratie, est probablement appelé à succéder à Paz Zamora(58) en 1993,
et que l'on connait ses liens directs avec les trafiquants, on ne peut qu'être pessimiste sur
l'avenir de la lutte des paysans. Ceux-ci, après avoir pris conscience du double jeu
gouvernemental, se sont progressivement radicalisés. Une évolution violente dans les
prochaines années semble plausible malgré le caractère imprévisible de la vie politique
bolivienne. Dans l'immédiat, l'engagement américain dans le Golfe arabo-persique
accorde un répit aux paysans mais, sur un autre plan, la Bolivie risque fort d'être
contrainte de revoir à la baisse le soutien financier promis par les Etats-Unis.

Bibliographie complémentaire

AGUILO, Federico : Narcotráfico y política II, Cochabamba, 1985.

BASCOPE AZPIAZU, René : Coca, cocaina. La veta blanca de Bolivia, La Paz,


Aquí, 1982.

BLANES, José ; FLORES, Gonzalo : ¿ Dónde va el Chapare ?, Cochabamba,


CERES, 1984.

COTA - CAMPAGNE EUROPEENNE D'INFORMATION DROGUE : L'ETAT


DE DEPENDANCE : Séminaire "Alternatives aux cultures illicites",
Bruxelles, 2-4 octobre 1989.

COUVRAT, Jean-François ; PLESS, Nicolas : La face cachée de l'économie


mondiale, Paris, Hatier, 1989, 359 p.

(56) BRACKELAIRE (1988), p. 41.


(57) Jean-Pierre LAVAUD, Chili Flash, op. cit., p. 14.
(58) Il gouverne déjà en coulisse grâce à "l'Accord patriotique" signé entre le MIR et l'ADN.
13

Croissance des jeunes nations : Spécial drogue, l'or blanc des pays pauvres, n° 319,
septembre 1989, Paris.

DANDLER, Jorge ; MUÑOZ, Jorge : Bolivia : la prioridad alimentaria, UNRISD,


Washington, 1988.

DELPIROU, Alain ; LABROUSSE, Alain : Coca, coke, Paris, La Découverte, 1986.

DOLLFUS, Olivier : "Co3 : Colombie, coca, colonisation", Problème d'Amérique


Latine, n° 87, mai 1988, Paris, La Documentation Française, p. 95-104.

DORIA MEDINA, Samuel : La economía informal en Bolivia, Ed. Offset Boliviana


Ltda, 1986.

The Economist : "The cocaine economies, Latin America's killing fields", 8 october
1988, p. 25-28.

La H. Camara de diputados discute los antecedentes, el presente y el futuro del


narcotràfico en Bolivia, La Paz, Ed. Soluciones en Democracia, 1987,
Vol. 2.

LAB-IEPALA : Narcotráfico y política, Madrid, 1982.

LABROUSSE, Alain : "Coca et cocaïne dans les pays andins", Le Monde


Diplomatique, mars 1983, Paris, p. 24-25.
"Bolivie : économie politique de la coca-cocaïne", Problème d'Amérique
Latine, n° 87, mai 1988, p. 105-120.

La Lettre de SOLAGRAL : Dossier drogue, n° 59, mai 1987 et n° 84, septembre 1989,
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Le Monde - Dossiers et Documents : L'économie de la drogue, n° 174, février 1990,


Paris, 16 p.

THE PANOS INSTITUTE : Beyond Law Enforcement, Narcotics and Development,


London, The Panos Institute, 1990.

RAMSES 90 : Le temps de la cocaïne : la drogue entre les deux Amériques, Paris,


IFRI-DUNOD, 1989, p. 108-129.

Témoignage Chrétien : Drogue, 4° trimestre 1989, hors-série, Paris, 40 p.

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