Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
Politis
OCTOBRE
HORS SÉRIE N° 46
NOVEMBRE
politis.fr
2007
Ils racontent...
Paul Ariès Denis Baupin José Bové
M 04886 - 46 H - F: 4,50 E - RD
Pierre Rabhi Jacques Testart
3:HIKOSI=[UYZU\:?k@a@o@g@f; Patrick Viveret Celina Whitaker…
2 / POLITIS / OCTOBRE-NOVEMBRE 2007
Politis
Politis, 2, impasse Delaunay
S O M M A I R E ÉDITORIAL
75011 Paris
PAR THIERRY BRUN
POINTS DE VUE
Tél. : 01 55 25 86 86
Fax : 01 43 48 04 00
www.politis.fr
redaction@politis.fr • PIERRE RABHI :
Fondateur :
Bernard Langlois.
Conseil de direction :
Pascal Boniface, Laurent Chemla,
les fustes 14-15 augmenteront pour des raisons démographiques de 40 % dans les
Jean-Louis Gueydon de Dives, Christophe quarante prochaines années.
Kantcheff, Valentin Lacambre, Patrick Piro
(président de l’association Pour Politis) et
• Tout sauf
Devant l’urgence du changement, certains optent pour un
Denis Sieffert. la bagnole! 16-17 engagement politique traditionnel. D’autres pensent que la
Directeur de la rédaction :
Denis Sieffert.
• Denis Baupin: «Une nouvelle philosophie transformation commence par d’autres modes de vie. Les deux
attitudes ne sont d’ailleurs pas exclusives. En tout cas, c’est un
Rédaction en chef : de la ville» 18-19 fait : aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont ceux qui se
Thierry Brun (87).
Christophe Kantcheff (85). • Pour produire son électricité, il faut tournent vers des alternatives à la société de consommation et à
Michel Soudais (89). sa logique mercantile. En témoignent l’émergence des
Politique : beaucoup d’énergie! 20-21
Michel Soudais (89), Clotilde écohameaux, les initiatives de particuliers et d’ONG
Monteiro (90), Patrick Piro (Verts) (75). • Benjamin Dessus: «Remettre en cause environnementales en faveur des énergies renouvelables,
Écologie, Nord-Sud :
Patrick Piro (75).
notre sacro-sainte croissance» 22-24 l’alterconsommation et le refus du « tout-automobile ». Ces
Économie, social : citoyens mènent des actions « politiques » pour économiser
Thierry Brun (87), Dante Sanjurjo (91).
Monde : ÉCONOMIE drastiquement l’énergie et imposer des comportements
antipollution dans les domaines industriel et agricole. Cet état
Denis Sieffert, Dante Sanjurjo (91).
Société : • DES VÊTEMENTS VRAIMENT TRÈS CHICS 25-26 d’esprit se mesure par l’essor de la consommation bio et l’ampleur
Ingrid Merckx (70), Olivier Doubre (74). des mobilisations autour de la santé et d’un commerce plus
Culture : • Carlo Petrini: «Le plaisir équitable au niveau mondial. Des gestes qui semblaient anodins
Christophe Kantcheff (85),
Ingrid Merckx (70), Gilles Costaz (théâtre),
est une dimension de la cause acquièrent une importance vitale. Nos choix et nos projets
Marion Dumand (BD), écologique» 26-27 individuels s’inscrivent d’une manière nouvelle dans un horizon
Jean-Pierre Jeancolas (cinéma), nécessairement collectif.
Denis-Constant Martin (musiques), • Ils militent, par-dessus le
Clotilde Monteiro (hip-hop), Le contraste est hélas saisissant entre la richesse des actions
Jean-Claude Renard (photo), Jacques marché! 28 citoyennes luttant contre le réchauffement de la planète, qu’on
Vassal (chanson), Jacques Vincent (rock).
Idées : • Paul Ariès: «Du consumérisme découvrira dans ce hors-série, et les décisions politiques. La
Olivier Doubre (74).
à la décroissance» 30-32 densité de la vie associative et de ses initiatives montre une
DR
CULTURE
Communication-publicité :
Clotilde Monteiro (90).
On voit donc se développer un « vivre autrement » qui refuse
les catastrophes écologiques en cours. Un « vivre autrement » qui
Administration-comptabilité :
Isabelle Péresse (76).
• LES VOYAGES FORMENT L’AMITIÉ 42-44 n’est plus le rêve de quelques babas cool et des seuls militants
• Tourisme équitable: écologistes. En effet, une part croissante de la population
Secrétariat : française s’alimente, s’habille, se déplace, entretient sa maison et
Brigitte Hautin (86). un secteur en plein son jardin en se souciant, davantage qu’avant, du bien-être de
Publicité-promotion : développement 44 l’espèce humaine et de la préservation de la nature. La notion de
publicite@politis.fr développement durable, certes souvent galvaudée, a introduit une
CLOTILDE MONTEIRO
V
enfance algérienne jusqu’à sa ferme ardéchoise. Le témoignage d’un sage.
ivre autrement, c’est possible ; encore et avaient décidé de l’exploiter. Cette matière ma famille de sang et l’aisance de ma
faut-il savoir ce que « vivre » veut dire. noire qui sommeillait depuis des millénaires famille d’adoption, entre les « sauvages à
Quelle est la raison d’être de notre brève dans l’anonymat et le silence du désert, une civiliser » et les civilisateurs.
présence au monde, de la naissance à la fois exhumée, allait bouleverser nos vies et
mort ? Prétendre avoir la bonne réponse notre structure sociale séculaire, qui s’était Dans ce contexte paradoxal, les divergences
serait présomptueux, mais se poser la équilibrée entre sédentarité oasienne et iti- entre les deux mondes l’emportent sur les
question est plus que jamais légitime, dans nérance nomade. Désormais, « vivre autre- convergences. Dans la double attraction où
le contexte d’une société planétaire que cer- ment » n’était plus une option mais une je me trouve, la modernité domine mais
tains considèrent en perte de sens. À cela obligation ; la modernité, avec son arsenal l’école m’ennuie car elle ne répond pas à
s’ajoute un futur de plus en plus impré- de prodige technologique, allait s’imposer : mes interrogations essentielles. Après le
visible, plein de menaces écologiques, hors de cette modernité, point de salut. certificat d’études, je suis obligé de tra-
sociales, économiques, politiques, géo- Conscient de cet ultimatum, mon père me vailler, mais, dans le même temps, je m’en-
politiques, etc. « On ne sait pas où l’on va, confie à un couple de Français, une insti- gage avec passion et en autodidacte dans
mais on y va », comme disait Fournier. tutrice et un ingénieur, qui lui proposent de des études plus conformes à une quête
Hormis les besoins élémentaires indispen- m’initier à la nouvelle et impérieuse règle spontanée d’humanisme. L’équation «faire
sables à la survie biologique, que nous par- du jeu. Je suis scolarisé et, tout en appre- de bonnes études, avoir des diplômes et
tageons avec toutes les espèces, vivre, pour nant à lire, à écrire et à compter, j’apprends une bonne situation pour bien gagner sa
l’être humain, implique des critères maté- que mes ancêtres étaient des Gaulois… Je vie » n’a alors pour moi aucune significa-
riels et immatériels très complexes. Dès sa deviens un « double culture » précoce, écar- tion. Je ne vis plus en alternance entre
naissance, chaque personne est accueillie telé entre tradition et modernité, le dieu mes deux cultures. Je quitte l’Algérie,
par un pays, une culture, une religion, un unique de l’islam et le dieu en trois per- embrasée par la guerre, exclu de mes deux
mode de vie particulier, une sorte d’héri- sonnes du christianisme, la précarité de familles, pour Paris, où je suis confronté
tage obligé. Chacun est mis devant le fait à la dure réalité. Je cherche un emploi et
accompli d’une manière d’exister, à laquelle m’aperçois que, malgré une culture géné-
l’éducation devra le conformer sans qu’il rale assez consistante, je n’ai pas de qua-
ait participé à la concevoir, à en définir les Les ouvrages lification utile à la société moderne. Je
critères. Il doit d’abord accepter un ordre
établi avant de pouvoir remettre celui-ci
de Pierre Rabhi deviens OS (ouvrier spécialisé) dans une
entreprise de la région parisienne. Nous
en question s’il en ressent la nécessité. La ● Conscience et Environnement : sommes en 1958, presque au cœur des
vie semble bien plus subie que choisie. la symphonie de la vie, éditions Trente Glorieuses.
Le Relié, 2006.
Faute de pouvoir donner un sens à tout
● La Part du colibri, éditions
cela, il ne reste que le recours à la notion de l’Aube, 2006. L’entreprise se révèle un lieu d’observation
de destin. Le mien fut singulier par rap- ● Graines de possibles, regards
idéal pour comprendre la société globale.
port aux normes conventionnelles. croisés avec Nicolas Hulot, éditions Elle est de configuration pyramidale, avec
Calmann-Lévy, 2005. une hiérarchie fondée sur la capacité à
Né dans une petite oasis du sud algérien, à la ● Le Gardien du feu, éditions Albin servir le modèle. Cela crée une partition
porte du grand désert du Sahara, j’ai été Michel, nouvelle édition, 2003. entre des humains « haut de gamme »,
accueilli par une culture musulmane, au sein ● Du Sahara aux Cévennes, cumulant tout le positif (considération,
d’une population composée de diverses ou la reconquête du songe, bon salaire et dérivés, etc.), et des humains
ethnies, un père forgeron, musicien et éditions Albin Michel, « bas de gamme », cumulant le négatif et
poète, une mère emportée par la tubercu- nouvelle édition, 2002. ses dérivés. Au-delà de l’inégalité ou de
lose alors que je n’avais que quatre ans. ● L’Offrande au crépuscule, la hiérarchie des rémunérations, qui peut
J’ai appris en grandissant que les Roumis L’Harmattan, nouvelle édition, se justifier, je suis choqué par l’inéquité, à
(Européens), qui avaient autorité sur nous, 2001. savoir la non-reconnaissance de chaque
s’étaient octroyé notre territoire. C’étaient ● Parole de terre, éditions individu en tant que tel, avant le statut
des colonisateurs qui allaient nous Albin Michel, 1996. social qui lui confère une valeur moné-
● Le Recours à la terre, éditions
apprendre à « vivre autrement » en nous taire. Le système éducatif a pour mission
civilisant. Les occupants avaient en outre Terre du Ciel, 1995. de préparer l’enfant à être un soldat de
découvert de la houille dans notre sous-sol l’économie plus qu’un être accompli dans
Ce vieux désir
d’une autre vie…
DR
VIVRE AUTREMENT : cette revendication ne s’est pas donné les moyens de remé- croissance quantitative. Il est question de
émerge avec le mouvement de Mai 68, dier aux limites du marché. Si le marché substituer une politique du mode de vie à
qui ne peut se résumer par la caricature qui fait oublier les personnes derrière les choses, une politique du niveau de vie.
en est trop souvent faite. C’est en effet l’ef- l’État s’est enfermé dans un « social- Le surgissement de nouveaux mouve-
fritement de l’idéologie progressiste qui étatisme » dont « les citoyens n’étaient pas les ments sociaux signale le passage d’une
commence à ce moment-là, ainsi que les sujets agissants » mais « les administrés, les société de la rareté à une société de
premières remises en cause du dogme de objets, en qualité d’allocataires, de cotisants et l’abondance, suscitant des interrogations
la croissance. Plus précisément, deux crises de contribuables (1) ». Les dénonciations que Keynes, dès 1930, anticipait comme
se sont succédé : la crise des valeurs sen- portent sur les logiques bureaucratiques inéluctables ; elles s’expliquent pour par-
sibles, dès les années 1970, suivie de ce et centralisatrices des institutions, l’ap- tie par des évolutions socio-démogra-
qu’on a appelé la crise économique. proche standardisante de la demande phiques : vieillissement de la population,
La première concerne le marché et l’État, orientant l’offre vers des biens de masse diversification du profil des ménages, pro-
DR
dont les effets respectifs autant que la et des services stéréotypés, et la survi- gression de l’activité féminine. Toutes ces
« Vivre synergie sont soudainement interpellés. vance de fortes inégalités sous une appa- données remettent en cause la logique
On assiste d’abord à la remise en cause rente normalisation égalisatrice. d’uniformisation qui s’était imposée pen-
autrement » : des modes d’organisation dans les entre- dant la période d’expansion. Bien que les
prises privées et à la dénonciation du défi- Le consensus progressiste qui était le ciment vagues protestataires auxquelles ces mou-
d’où vient cit d’expression de leurs salariés. Les cri- de la société se fissure peu à peu. Des mili- vements donnent lieu soient disparates,
ce slogan? tiques s’étendent à la consommation et tants et des scientifiques mettent en doute elles commencent néanmoins à popula-
aux modes de vie. Le manque d’implica- que l’augmentation des richesses, calculée riser les thèmes de la croissance zéro, de
Les sociologues tion pour les salariés dans l’entreprise fait par les comptabilités nationales, consti- la dénonciation des dégâts du progrès, et
Alain Caillé écho à celui des usagers dans la consom- tue une assurance de bien-être et l’exi- de la réappropriation de la vie privée et
mation. La société de consommation ne gence d’une plus grande « qualité » de vie. de l’espace public, que défendent des pro-
et Jean-Louis peut suffire à donner un sens à la vie. De De plus en plus, la revendication d’une testations antinucléaires, écologistes ou
Laville* relatent ce point de vue, l’intervention publique croissance qualitative s’oppose à la seule féministes. Ces revendications, malgré
leur éparpillement, amorcent confusément
la naissance une réflexion sur la plus ou moins néces-
saire sortie de la société économique, c’est-
de cette à-dire la société structurée par la lutte
revendication, contre la rareté. On les qualifie parfois de
« postmatérialistes». Toute une génération en
et montrent déduit des projets renouvelés d’action col-
qu’elle est lective au nom de l’autogestion et de l’al-
ternative (2).
partagée par
une part À partir des années 1970, les bouleversements
dans les modes de vie génèrent donc des
croissante mobilisations allant dans le sens d’une
politique de la vie quotidienne, soucieuses
de la population, de préserver l’environnement, de critiquer
soucieuse l’absence de participation des usagers à la
conception des services qui les concernent,
de l’avenir et de soumettre à la réflexion les rapports
de la planète. entre les sexes et les âges. Ces formes d’ex-
pression inédites se doublent d’une modi-
fication tendancielle des formes d’enga-
gement dans l’espace public. Le militantisme
généraliste, lié à un projet de société, impli-
quant une action dans la durée et de fortes
délégations de pouvoir dans le cadre de
structures fédératives, s’affaiblit, comme
le montre le recul de certaines apparte-
nances syndicales et idéologiques. En re-
vanche, la crise du bénévolat, constatée
dans les associations les plus institution-
AFP
FLORIN/AFP
ouvertes Pour changer effectivement la vie, ces
valeurs devront permettre de réconcilier vie
sur le monde. Par le barbouillage d’affiches les «antipub» manifestent leur rejet de la société de consommation. privée et vie publique, si l’on veut éviter
l’alternative stérile entre « changer le monde
suite de la p. 6 type, à base d’engagements autrement, c’est aussi se dresser contre la ou ses désirs ». Car pourquoi et comment
concrets à durée limitée, centrés sur des pro- culture de «l’impossibilisme» et affirmer que changer ses désirs, sortir de soi, si l’on n’a
blèmes particuliers, œuvrant à la mise en « l’économie, c’est nous (4) ». pas le sentiment de pouvoir participer avec
place de réponses rapides pour les sujets d’autres au changement de ce qui peut et
concernés. Toutes ces tentatives, dont les termes seront doit être changé ?
Parmi les démarches témoignant de cette réactualisés, appellent à «vivre autrement». Quelles valeurs ? Listons-en pour com-
inflexion de l’engagement, nombreuses Le paradoxe tient à ce que les rhétoriques mencer trois plausibles : tenir l’établisse-
sont celles qui se revendiquent d’une per- politiques ne parlent que de changement ment d’une démocratie durable pour une
spective d’économie solidaire, affirmant – économique ou politique – mais qu’au- fin en soi, et traiter les autres hommes
leur dimension économique tout en la cune ne se risque plus à évoquer la per- aussi comme des fins et pas seulement
combinant à une volonté de transforma- spective d’une véritable mutation souhai- comme des moyens ; lutter contre toutes
tion sociale. table et pensable de nos modes de vie. les formes d’illumination et de corrup-
Comme si tout le champ des possibles était tion ; et se reconnaître responsables de la
La seconde crise, la crise économique, peut désormais strictement balisé par l’affron- nature et de la culture reçues en héritage
être interprétée comme une forme de refou- tement rituel entre l’appel à toujours plus et empêcher leur dégradation irréver-
lement des questions ainsi soulevées par de dérégulation néolibérale et la défense, sible (5). Plus nous serons nombreux à
la crise de la culture. C’est du moins ce de plus en plus timide, de ce qui subsiste désirer respecter et faire respecter cette
qu’a avancé le philosophe Patrick Vive- des normes social-démocrates de redistri- morale élémentaire, et plus nous com-
ret, pour qui « il est tellement difficile d’or- bution étatique héritées du fordisme. Même mencerons en effet à « vivre autrement ».
ganiser des rapports sociaux et de produire une l’évocation d’une démocratie participative A. C. ET J.-L. L.
culture de l’au-delà du travail dans une société si forte au début de la campagne prési-
(1) Métamorphoses du travail. Quête du sens, André
d’abondance qu’il est vraisemblable de penser dentielle, et qui, prise réellement au sérieux, Gorz, éditions Galilée, 1988.
que les sociétés recréent artificiellement des aurait pu indiquer la voie d’un change- (2) Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de
conditions de pénurie et de pauvreté, replaçant ment non négligeable au moins de notre rap- l’action collective, Daniel Céfaï, La Découverte, 2007.
ainsi la question de la subsistance et du travail port à la politique, a fait long feu. (3) « De la révolution de l’intelligence à la régulation
au cœur du lien social (3) ». Pourtant, les voies du souhaitable ne sont des passions », Patrick Viveret, la Lettre de l’économie
C’est la légitimation néolibérale de l’im- pas trop difficiles à discerner. S’il nous sociale, janvier 1989.
pératif de compétitivité et la disparition de faut résister de toutes les façons possibles (4) « L’économie c’est nous », Christian Arnperger,
toute revendication portant sur le système à la mainmise croissante de la norme mar- Ramonville, Erès, 2006.
marchand. Cette conjoncture de triomphe chande et financière sur nos vies, mais (5) « Vers une éthique mondiale ? »,
www.journaldumauss.net
culturel du marché a un temps tétanisé aussi à l’imposition des nouvelles normes
les opposants. Mais, au-delà de la peur de « gouvernance » procédurale, qui n’en * Alain Caillé est sociologue à l’université Paris X-
du chômage et de l’exclusion, l’alter- sont que la projection au sein de la sphère Nanterre et codirecteur de la Revue du Mauss,
mondialisation a redonné de l’énergie aux administrative, c’est parce qu’elles éro- Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales.
contestations comme aux pratiques de dent de manière systématique nos der- Jean-Louis Laville est sociologue, professeur au Cnam
citoyenneté ouvertes sur le monde. Ainsi, nières ressources d’humanité. L’essentiel et codirecteur du Lise (CNRS-Cnam).
la deuxième génération de l’économie est que subsiste le sens de la solidarité, le
solidaire se caractérise par une volonté de désir de coopération, de confiance, de Pour aller plus loin
Quelle démocratie voulons-nous ?, sous la direction
coupler revendications et propositions en capacité à faire les choses par plaisir ou par d’Alain Caillé, La Découverte, 2006.
introduisant des comportements solidaires devoir moral accepté, plutôt que par appât « Avec Karl Polanyi, contre la société du tout-
dans les actes quotidiens (création de ser- du gain ou par soumission à une norme marchand », la Revue du Mauss, n° 29, La Découverte,
vices de proximité et de modes d’échange formelle ; que subsiste encore, en somme, premier semestre 2007.
locaux, protection de l’environnement, l’esprit du don et de la démocratie. Dictionnaire de l’autre économie, Jean-Louis Laville
et A. D. Cattani, Gallimard, Folio/Actuel, 2007.
commerce équitable, tourisme solidaire, Dans cette perspective, c’est bien d’une L’économie solidaire une perspective internationale,
consommation responsable, épargne soli- nouvelle interprétation de l’idéal démo- sous la direction de Jean-Louis Laville, Hachette
daire…). Désormais, faire de l’économie cratique que nous avons cruellement besoin Littérature, « Pluriel ».
«
L
a maison écologique est un détail. On veut que ou groupes de citoyens, les acteurs sont convaincre le sous-préfet de la Haute-
les gens vivent ensemble et soient heureux. C’est nombreux à porter des projets d’écohameau, Garonne, Jean-Marie Nicolas, de la viabilité
une sorte d’utopie », explique Michel Cabé, avec chacun leur démarche. du projet. Enthousiaste, celui-ci a pesé
maire de Cazeneuve-Montaut, commune auprès des services de la Direction dépar-
de cinquante-cinq habitants située au pied Les maires des petites communes de Midi- tementale de l’équipement (DDE) afin
des Pyrénées, où doit se construire pro- Pyrénées sont aujourd’hui confrontés au d’urbaniser la zone. Il a en outre déblo-
chainement un écohameau (voir encadré). manque de logement, à l’explosion des qué 80 000 euros pour construire la pre-
Il résume ainsi les nombreux projets en prix du foncier et aux rapides mouvements mière maison. Mais les habitants du village
cours dans le Sud de la France, projets où de population, avec l’exode des jeunes vers se sont alors rebellés, craignant de s’être fait
l’aventure humaine prime sur le reste. la ville pour les études et l’emploi, et la blouser. « Ils ont eu peur, concède le maire.
« On essaie de faire fonctionner la démocratie migration vers la campagne des urbains J’ai utilisé dans ma première délibération l’ex-
en interne », souligne Patrick Jimena, chassés par la flambée des prix. Le tout pression “lotissement social”, ce n’était pas une
membre d’un groupe de citoyens qui veut entraîne une situation assez anarchique, bonne idée. Les habitants ont cru qu’on allait
créer un écohameau. Cela rend l’aventure avec des bâtisses délabrées et des lotisse- construire une maison pour chômeurs et délin-
plus longue, plus compliquée, et les échecs ments qui poussent selon le bon gré des pro- quants, que le projet était déjà signé avec une
sont plus fréquents. « On en parle depuis moteurs immobiliers. Sensibles aux ques- société HLM… » Une réunion organisée le
dix ans, mais aucun projet n’a encore abouti ! », tions d’environnement, les maires de 12 juillet 2006 avec le Conseil d’architec-
s’exclame François Plassard, de l’Asso- Cazeneuve-Montaut (Haute-Garonne) et ture, d’urbanisme et d’environnement
ciation des écohameaux de l’économie de Daumazan-sur-Arize (Ariège) ont ainsi (CAUE) a permis de désamorcer les
solidaire (AES), cofondateur du système décidé de se mobiliser pour l’essor de leur rumeurs et de détailler le projet. Une pre-
d’échange local (SEL) Cocagne de Tou- commune. mière maison communale a ainsi vu le
louse. D’après lui, « la confrontation entre Le premier, Michel Cabé, travaille au pro- jour début 2007. Un chantier de forma-
un rêve de citadins et la réalisation concrète sur jet d’écohameau depuis quatre ans. Il a tion a permis de la bâtir et de constituer le
le terrain pose un gros problème ». Maires trouvé un terrain communal d’un hectare groupe des futurs éco-habitants qui achè-
ruraux, associations de l’économie solidaire et demi derrière l’école du village et a su teront les lots.
Glossaire
DDE : Direction départementale de l’équipement.
Principal interlocuteur pour tout l’aspect technique du
choix du site et de la viabilisation des terrains. Reçoit et
traite la demande de certificat d’urbanisme. Les points à
défendre concernent surtout l’aspect du mitage
(constructions en habitat isolé) et le recyclage des
déchets (bassins plantés par exemple).
Bienvenue
chez José Bové!
L’altermondialiste a décidé de vivre en harmonie avec ses principes.
Sa résidence bioclimatique sur le causse du Larzac est le symbole du rêve
C
écolo du paysan militant. Il nous ouvre la porte de sa maison en bois.
omme il sied à un chef gaulois, la nouvelle qui viennent pour la liqueur d’églantine, mais une maison simple, « accessible à tous
maison de José Bové trône sur une petite le pastis local, les cochonnailles et les fro- ceux qui ont envie de mettre leur vie quoti-
hauteur de Montredon, le hameau qu’avec mages. Ceux de José et des autres. Au dienne en accord avec leurs idées ».
des amis éleveurs toujours présents il défen- sein d’une grande propriété collective qui « Notre premier travail, complète l’archi-
dit, il y a trente ans, contre les militaires n’appartient à personne et ne peut ni se tecte, est de donner une forme aux rêves, aux
du camp du Larzac désireux d’y étendre vendre ni se morceler. désirs de nos clients. Il faut organiser une ren-
leur champ de tir et de manœuvres. Onze contre entre le terrain, l’imagination et ce qui
ans de résistance qui renvoyèrent l’armée Dans ce paradis, dont la citerne d’eau en est possible. Et après, quelle que soit l’évolu-
à son camp, et rien qu’à son camp. pierre a des centaines d’années, il fallait une tion du projet, comme il y a eu discussion, le
La maison de bois fait face au soleil, qui maison originale, une maison n’insultant client reconnaît son idée, il en prend posses-
la chauffe au moindre rayon. Un vrai rêve pas le paysage. Avec un architecte spé- sion. C’est ce qui s’est passé avec José et Ghis-
d’écolo, suffisamment discret pour ne pas cialisé dans la construction bioclimatique, laine, sa compagne. Nous avons discuté long-
éclipser les vieilles bâtisses de pierre cen- Patrick Balester, de Nature et Habitat (1), temps, y compris sur un projet qui n’a pas
tenaires qui donnent leur identité à Mon- José Bové l’a conçue puis assemblée avec abouti. L’idée, c’est un système ayant plus ou
tredon et à sa petite place herbeuse, où quelques amis. Dans son esprit, elle devait moins recours à une autoconstruction, qui ne
quelques dizaines d’âmes organisent être en accord avec le paysage, correspondre débouche pas sur une galère et qui soit abor-
chaque mercredi après-midi un marché à son discours écolo, et ne pas coûter trop dable, comparé à d’autres systèmes qui pro-
paysan attirant des centaines de personnes, cher. Pas une immense résidence de luxe posent simplement des mètres carrés. »
DURAND/AFP
par les militaires en exercice. « Je lui ai en outre
expliqué que nous avions, moi et les autres,
reconstruit ou retapé toutes les fermes et maisons.
Fans de maisons J’ai ajouté qu’il ne fallait pas confondre archi-
tecture et muséographie. Comme sa remarque
en bois n’était pas un argument de droit à même de faire
annuler le permis de construire, il a laissé tom-
Ces maisons bioclimatiques en
ber. Je ne regrette qu’une chose, c’est qu’il ne soit
bois, pour lesquelles n’existe
évidemment aucun modèle unique, pas revenu voir le résultat final ; il aurait com-
sont conçues comme des pris pourquoi il fallait innover, il aurait cons-
ensembles modulaires qu’il est taté que ma maison n’est pas une injure au pay-
toujours possible d’étendre sans sage. » En prime, José Bové avait fait
remettre en cause l’architecture remarquer à l’architecte conseil qu’il n’avait
générale. Beaucoup de jeunes pas fait tant d’histoires pour laisser construire
choisissent de construire des « des horreurs » sur le plateau, le long de l’au-
mobiles de 35 mètres carrés avec toroute A 75…
deux mezzanines, ce qui fait
55 mètres carrés habitables. Selon l’imagination ou les fantasmes de cha-
Ensuite, quand la famille cun, cette maison peut ressembler à un
s’agrandit, on peut ajouter une ou navire échoué au milieu du Larzac, à une
plusieurs pièces. bergerie de la couleur des moutons, à une
petite arche de Noé ou à un aéronef prêt
La progression de la demande à décoller de sa petite colline. « En fait,
pour ce type de construction est explique José Bové, au cours des discussions
de 15 à 20 % par an depuis deux avec Patrick Balester, nous étions convenus
ou trois ans, au point que l’offre ne
qu’il fallait une construction dont les formes
peut actuellement plus faire face à
la demande. Aussi, plutôt que soient en harmonie avec les courbes du pay-
devenir une « grosse boite », sage du causse. Celles-ci sont douces, comme les
Nature et Habitat a préféré contours de la maison. Et beaucoup de visi-
développer des réseaux, former teurs remarquent cette concordance, cette conti-
des charpentiers. « Les gens, les nuité entre la maison et les environs, puisque
municipalités, explique l’architecte d’ici on ne voit pas les vieilles fermes plusieurs
Patrick Balester, ont fini par fois centenaires. Cela prouve que nous avons fait
comprendre que les maisons le bon choix, que l’essentiel est d’être en accord
bioclimatiques en bois ne brûlaient avec l’environnement, quel qu’il soit. C’est
pas plus que les autres ! Nous ne cela, habiter autrement. »
sommes plus suspects, comme Effectivement, la brève histoire de cette
nous l’avons longtemps été. Faire maison le prouve : un peu d’imagination
le choix du bioclimatique, c’est suffit pour s’intégrer dans un paysage. Et
entrer dans une histoire nouvelle, construire tout en courbes ne coûte pas
inventer une autre citoyenneté en plus cher que de se cantonner aux angles
évitant aux gens de se lancer dans droits. « Mais dans ce domaine, raconte Patrick
des opérations d’autoconstruction Balester, la France a pris dix ans de retard. Il
qui peuvent devenir des galères y a vingt ans, quand nous avons créé le Groupe
ingérables et désespérantes. Ce
que permet le prédécoupage. » de recherche pour la bioconstruction, nous pas-
C.-M. V. sions pour des barjos, des marginaux. Et il fal-
lait tout faire venir de l’étranger, même le bois.
D’ailleurs, cela ne va pas vraiment mieux. »
La méthode de conception et de cons- DIFFUSION EN KIOSQUE
Construction, aménagement et viabilisa-
truction est originale : une fois les plans
dressés, la maison est préconstruite, prête
DE POLITIS
tion compris, la maison a coûté à être assemblée. Pas un clou, pas une vis : – Si vous souhaitez connaître sans délai le point de vente
120 000 euros, sur lesquels José et sa com- que des tenons, des mortaises, des queues- le plus proche de votre domicile, de votre lieu de travail,
pagne en ont emprunté 90 000. Pas plus d’aronde qu’il suffit de glisser les uns dans ou même de votre lieu de vacances, où vous trouverez,
que les fameuses « maisons Borloo » aux les autres. En suivant un plan dont la chaque jeudi, Politis ;
parois minces, qui se chauffent à l’élec- moindre des pièces, du plancher au pla- – Si vous souhaitez que votre marchand de journaux le
tricité et dont le prix ne comprend évi- fond en passant par les cloisons, est repé- plus proche soit, sous huitaine, approvisionné régulièrement
demment pas le terrain. Preuve que, dans rée, numérotée. Soit le client assemble tout en exemplaires de Politis ;
les constructions, les entreprises pour- lui-même, soit il a recours à une entreprise,
raient faire preuve de plus d’imagination. soit il a recours à une assistance pour les appelez le 01 42 46 02 20
« Ici, tout est en bois, explique le porte-parole phases les plus délicates. Aucun risque d’er-
de Via Campesina. Les murs, les cloisons, le reur, il faut simplement de la patience et
du lundi au vendredi
sol, les poutres, le toit. Sur toutes les faces, il y de bons copains : « Nous avons commencé au de 10 h à 17 h
a trois épaisseurs de bois. Et pour que l’isola-
tion soit meilleure, pour que l’air circule, la
mois de mai et nous nous sommes installés au
début du mois de novembre, explique José Bové.
ou envoyez
maison n’a pas de fondations, elle n’est pas en J’ai eu besoin d’une vingtaine de jours d’aide un courrier électronique à
contact avec le sol, elle repose sur des pilotis, technique rémunérée et, pour le reste, nous avons contact@kdpresse.com
des plots également en bois. » tout fait nous-mêmes, avec quelques amis, comme
cela a toujours été la tradition dans la région. » En outre, un site des NMPP indique également où trouver Politis :
Le permis de construire fut obtenu facilement www.trouverlapresse.com
à la mairie. Jusqu’au jour où l’architecte Pour l’isolation, c’est le liège qui a été choisi.
conseil de la Direction départementale de Il y en a partout : sous le plancher, dans
P
d’eau. Il rigole : « C’est probablement ce qui seule. Pour our qui aspire à un habitat naturel plusieurs fois par an des stages de forma-
surprend le plus les visiteurs, même les écolos. le reste, et écologique mais ne peut s’offrir tion continue aux « techniques de construc-
Preuve qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire le surcoût des matériaux bio, cons- tion en bois brut ». En dix ans, plus de cinq
pour renoncer à ses habitudes. » un poêle truire ou faire construire une fuste cents fustiers ont été formés, un tiers se
Il reste encore de petits aménagements est une option séduisante. Ces mai- sont lancés dans une autoconstruction et
intérieurs à réaliser, et surtout à mettre en fonctionnant sons faites de troncs d’arbres empilés sont 10 à 12 % ont créé leur entreprise, sou-
place un toit végétalisé : de la terre et de connues depuis des siècles en Scandinavie vent dans les régions forestières où la
l’herbe, qui amélioreront encore l’efficacité
avec des et dans le Grand Nord canadien. Aujour- matière première (des épicéas, sapins, mé-
de l’isolation. Cette terre prendra place granulats de bois d’hui, elles répondent au souci d’amélio- lèzes, douglas et autres pins) abonde.
sur le toit déjà recouvert de toile bitumée. ration environnementale de nos lieux de
Reste simplement à imaginer, même si suffit à donner vie et commencent à se répandre dans nos Un de ces « compagnons fustiers », Jean-Bap-
l’opération était prévue dès le départ, des
butées qui empêcheront cette terre de glis- sa chaleur à une contrées. Peut-on en effet rêver plus éco- tiste Hervé, est installé près de
logique qu’une maison dont la matière Chaource (Aube). Il a été compagnon
ser sur les parties en pente. Comme les surface habitable première, le bois, est renouvelable, dispo- métallier puis routier. En 2001, alors qu’il
dispositifs qui, sur les chalets de montagne, nible localement, et absorbe le gaz carbo- s’informait sur les constructions en bois,
retiennent la neige. de 120 mètres nique ? Une maison dont la construction il tombe sur un des cahiers l’Art de la fuste,
La confrontation des idées de l’architecte ne produit quasiment aucun déchet ni s’inscrit à un stage de formation et en res-
citoyen et du paysan politique décidé à carrés. CO2 ? Une maison isolée et économe en sort conquis. Sa décision est prise : il va
vivre en harmonie avec ses idées et ses chauffage, du fait de l’épaisseur (de 30 à construire sa maison. Il achète un terrain
principes a permis la construction de ce 50 cm) et de l’excellente masse thermique près de Chaource, dégotte une grue d’oc-
que Patrick Balester appelle « une maison du bois massif ? Et antisismique par-des- casion et fait tracer les plans de son 165 m2
du XXI e siècle ». Loin des « mètres carrés à sus le marché ? par la fille de Thierry Houdard, Camille,
habiter » qui ne sont pas moins chers et se En France, les fustes doivent leur noto- qui est architecte. Auprès d’un groupe-
révèlent toujours un gouffre financier et riété au travail de l’association corrézienne ment forestier des environs, il trouve les
énergétique. Une façon de rappeler qu’une Bois sacré. Animée par Thierry Houdart, arbres dont il a besoin : 180 pins d’Oregon
« maison à vivre » n’est pas un privilège. un ingénieur de l’École supérieure du bois, ou douglas, qu’il fait abattre, débarder et
CLAUDE-MARIE VADROT qui à lui seul a construit une centaine de transporter jusqu’au chantier d’assem-
(1) Petite entreprise de cinq personnes installée à maisons, elle a publié quatre cahiers qui font blage. Le travail peut commencer : écor-
Nîmes, www.nature-et-habitat.com référence sur « l’art de la fuste », et organise çage manuel (pour conserver la couche
L
les transports en commun, vélos en libre-service…
es villes étouffent, et tout le monde sait et des autres (préservation des centres- depuis 1990 l’équivalent de 2 euros pour
pourquoi : engorgées par les voitures, villes et de leurs commerces, regain de accéder à une zone centrale de 40 km2.
asphyxiées par les pots d’échappement. qualité de vie, bonne desserte des lieux En 2002, le trafic avait baissé de 20 %,
Un trajet de trois kilomètres, un jour d’em- de travail, offre élargie de transports en même si la taxe avait pour objectif principal
bouteillage et de stationnement difficile, commun, etc.). de financer les transports en commun.
prend 27 minutes à l’automobiliste contre Le point sur les expériences récentes, essen- L’expérience de Londres, depuis 2003, a
36 au piéton. La voirie urbaine est accaparée tiellement menées à l’étranger. pour objectif de décongestionner la ville, et
à 95 % par les voitures. Le transport rou- elle est suivie de près eu égard à sa radica-
tier est responsable de 26 % des émissions – Le péage urbain. « C’est une grande inno- lité. Une aire de 21 km2 en centre-ville n’est
de CO2 en France (premier poste), mais vation, modérant substantiellement la circula- accessible en voiture qu’en déboursant
aussi des deux tiers des polluants atmosphé- tion automobile », juge Jean Sivardière, pré- 8 livres par jour (environ 12 euros, 10 %
riques des villes, responsables de 30 000 sident de la Fédération nationale des seulement pour les résidents). Depuis février
décès prématurés par an (cancers, mal- associations d’usagers des transports dernier, l’accès aux quartiers de Kensing-
adies cardiaques, respiratoires…). (Fnaut). Singapour, ville-État intégrale- ton, Chelsea et Notting Hill est aussi taxé.
Comment réduire la place de la voiture ? ment urbanisée, est la pionnière mondiale. Les usagers grognent, mais la ville annonce
Les villes nouvelles commencent à prendre Depuis 1975, la taxation des déplacements une diminution de la circulation automo-
le taureau par les cornes. Les villes an- automobiles a permis de réduire la circu- bile de 20%, le déport de la moitié des usa-
ciennes (la quasi-totalité) doivent com- lation de près de 60 %. Elle est expéri- gers dissuadés vers le bus, et la réduction d’un
poser avec la trame rigide de leur urba- mentée en Californie et au Canada. En tiers du temps passé dans les embouteillages.
nisme, appliquant des solutions localisées Europe, les pionniers sont norvégiens, avec Objectif : réduire la place de la voiture de
qui tentent de ménager les intérêts des uns Bergen, Trondheim et Oslo, où l’on paye 41 % (2007) à 32 % en 2025.
ZOCCOLAN/AFP
Près de vingt villes françaises ont déjà adopté le tramway, comme ici, à Clermont-Ferrand.
spirale qui fait que notre mode de vie villes françaises et européennes. La logique dible l’alternative au tout-automobile mais
consomme chaque jour l’équivalent de pompidolienne de l’adaptation des villes portent leurs fruits. À Paris, cette politique
trois planètes : même si l’automobile n’est à la voiture y avait fait plus de ravages nous a permis, en une mandature, de réduire
Selon Denis qu’un des aspects des dérives de notre encore qu’ailleurs : autoroutes urbaines, de près de 20 % la circulation automobile,
société de gaspillage, il y a urgence à ren- axes rouges, déclin économique dû à la d’accroître de près de 10 % la fréquenta-
Baupin*, verser la logique où nous entraîne le tout- congestion : tel était l’héritage auquel nous tion des transports publics, de 50 % les
maire adjoint automobile. La question n’est pas d’éradi- nous sommes attelés dès mars 2001. déplacements à vélo, mais aussi de diminuer
quer la voiture, mais de la remettre à une la pollution, les accidents et les émissions
de Paris chargé plus juste place : celle d’un outil et non Mais le hardware ne suffit pas. De nombreu- de gaz à effet de serre.
d’un but en soi, d’un symbole, voire d’un ses mesures sont à développer, qui tiennent
des signe distinctif de rang social. Cela sup- plus du software : renforcement des transports Pour arriver à nos fins, nous ne devons pas
déplacements, pose de prendre en compte l’ensemble de collectifs, facilitation des déplacements des nous contenter d’une politique de réduc-
ses impacts et son inefficacité pour de nom- piétons et des personnes à mobilité réduite, tion de la circulation automobile jumelée
il faut repenser breux déplacements. Cela nécessite aussi de organisation du stationnement résidentiel au développement des transports en com-
l’aménagement s’attaquer aux puissants lobbies de l’in- pour privilégier un usage aussi modéré que mun. D’autres facteurs, comme l’aména-
dustrie automobile et à leurs alliés, dans possible de l’automobile, nouveaux ser- gement du territoire, influencent structu-
urbain en les médias et chez les principaux leaders vices de mobilité alternatifs à la voiture en rellement les besoins de déplacement.
limitant d’opinion, qui relaient à l’envi la défense de solo tels que taxis, vélos en libre-service, Concevoir la ville comme un lieu où il doit
leur sacro-sainte liberté de circulation… covoiturage, autopartage, tarification plus faire bon vivre, et pas seulement se dépla-
la place en voiture. Il faut travailler au renverse- juste et plus attractive des transports col- cer le plus rapidement possible, permet déjà
ment des mentalités, se confronter aux lectifs, logistique urbaine, mesures en faveur d’esquisser une nouvelle philosophie de la
de la voiture, résistances au changement et à la culture des déplacements professionnels, agence- ville. Loin de conduire à la muséification
de façon dominante qui a fait de l’automobile, durant ment différencié de l’espace dans le temps… de la ville, que les contempteurs de cette
des décennies, le mode de déplacement de Les solutions ne manquent pas. Nous les politique dénoncent, celle-ci permet
à défendre référence.
le droit à Il y a quelques années, la RATP vantait les
mérites du métro avec une campagne de
la mobilité publicité anachronique, reprise il y a quelques
de tous et une mois par Transport For London, qui gère
les transports publics de Londres : le métro
politique et le bus comme une « deuxième voiture »,
l’automobile comme la norme, le transport
durable des collectif comme supplétif ! En ville, notam-
transports. ment, c’est au réflexe contraire qu’il faut par-
venir. Le véhicule individuel motorisé doit
devenir un mode de déplacement d’ap-
point, une sorte de « voiture-balai » du
transport collectif.
C
administratives et des contraintes techniques freinent les initiatives.
ela fait plus de six mois que Philippe, pro- voltaïque à mettre au point
priétaire d’une maison ancienne dans un de nouveaux produits.
village de l’Yonne, espère poser sur sa toi- Mais aujourd’hui, le souci
ture des panneaux solaires qui lui permet- c’est de développer à grande
tront de produire son électricité. Ou plus échelle. La production de
exactement de l’électricité qu’il revendra masse, partout dans le
en totalité à EDF à un tarif bien supérieur monde, ce sont les pan-
à celui du kilowatt/heure consommé. Il a neaux standards. C’est elle
enfin trouvé un solariste compétent, et les qui a permis une baisse
données financières de l’opération se pré- des prix de 5 % par an
cisent. Le crédit d’impôt (50 % du coût en depuis 20 ans, et on espère
équipement, plafonné à 16 000 euros d’in- une croissance d’un fac-
vestissement pour un couple et à 8 000 euros teur 10 avec le développe-
pour une personne seule) couvrira finale- ment de nouvelles filières à
ment 25 % des 16 000 euros que coûtera son base de silicium moins
installation de 20 m2 de capteurs sur châs- purifié, donc moins cher,
sis. Aux tarifs actuels d’achat de l’électri- non liées à l’industrie des
cité par EDF, elle sera amortie dans une composants électroniques. »
douzaine d’années. L’heure est donc moins
« C’est la première année où on sent que ça à favoriser des produits
bouge », dit le futur installateur Éric Lebourg, plus sophistiqués qu’à
plombier converti au solaire depuis quatre dynamiser la demande
ans. Les demandes sont en augmentation en produits standards.
en raison du relèvement du tarif d’achat. Ce qui implique, pour
Un tarif qu’il juge encore trop bas. Un les associations, de rele-
seuil correct de rentabilité se situerait plu- ver le tarif de base à
tôt à dix ans. Mais nombre de ses clients 0,40 euro/KWh, afin
sont dans une démarche écologique, prêts d’assurer la rentabilité
à investir personnellement pour produire des projets. Le gros de
et, à terme, consommer de l’électricité la demande porte en
verte. « Sans compter, ajoute-t-il, que ça repré- effet sur des capteurs-
sente une plus-value pour leur habitation. » châssis posés sur des
maisons anciennes
Demandée de longue date par les associations (sans pour autant
de promotion des énergies renouvelables, changer la couverture),
DURAND/AFP
TRIBUNE
mode de transport pour un trajet donné, etc. le confort domestique, les services).
Mais la quantité d’énergie primaire à Pas besoin de s’appesantir sur la sobriété indi-
mettre en œuvre, en amont de l’usage viduelle : on conçoit bien que la modifi-
final, dépend aussi très largement de l’or- cation de nos habitudes comporte des
ganisation du système énergétique, en par- conséquences énergétiques non néglige-
ticulier de son degré de centralisation. ables (température des appartements,
C’est particulièrement le cas pour le sys- déplacements de proximité en voiture,
tème électrique. Jugez-en ! Le système vacances outre-mer, etc.). On pense moins
électrique mondial, qui satisfait 16 % des spontanément à la sobriété collective que
besoins finaux d’énergie, est responsable peut entraîner l’organisation de nos villes
de 65 % des pertes d’énergie primaire du et de nos quartiers (rues piétonnes, ramas-
système. L’ampleur de ces pertes tient sage scolaire, commerces de proximité etc.).
principalement au fait que, dans la plu- De même, l’efficacité énergétique de nos
part des cas, la chaleur perdue par les cen- « outils » (consommation de nos voitures,
trales électriques thermiques n’est pas récu- de nos appareils électroménagers, etc.)
pérée pour d’autres usages. est en général bien comprise comme un
La cogénération (la production simulta- élément important puisqu’elle permet de
GOBET/AFP
née d’électricité et de chaleur à partir d’un fournir une même qualité de service pour
Un parc d’éoliennes en Aveyron. combustible) conduirait à des rendements une moindre dépense énergétique. Mais
d’utilisation du combustible bien meilleurs, les gains d’efficacité sont souvent annu-
suite de la p. 22 analysis) pour le compte de de l’ordre de 75 à 80 % (contre 35 à 50 % lés par un usage plus fréquent ou plus
la Conférence mondiale de l’énergie : en génération simple d’électricité). Mais intense de ces outils.
9,9 milliards de tonnes d’équivalent pétrole cet usage n’est possible que si des concen-
dans le scénario le plus économe contre trations urbaines ou industrielles suffi- Résumons-nous : Les politiques actuelles
17,4 dans le scénario le plus dispendieux ! santes se trouvent à proximité des cen- fondées sur la poursuite d’un développe-
Comment s’expliquent ces différences ? trales et peuvent utiliser cette chaleur ; ment intensif en énergie et sur la per-
L’approche traditionnelle considère la ce n’est évidemment pas le cas avec les spective de solutions énergétiques de sub-
question énergétique comme un problème sites de centrales thermiques nucléaires stitution ne sont pas à la hauteur des
d’offre, pour répondre à une demande ou fossiles qui produisent 4 000 MW enjeux du développement ni du défi cli-
toujours croissante, aux meilleures condi- d’électricité et 8 000 MW de chaleur reje- matique. La marge de manœuvre essen-
tions d’approvisionnement et de coût. Le tée dans l’atmosphère, de quoi chauffer tielle est la maîtrise de l’énergie.
Avec 1 kg progrès économique se mesure alors à un million de ménages. L’enjeu de la Mais, si les marges d’action se situent prin-
d’équivalent l’augmentation régulière et illimitée de décentralisation des moyens de production, cipalement au niveau de la demande
la production et de la consommation de pour les rapprocher de l’utilisateur, est d’énergie, ce ne sont plus les producteurs
pétrole, charbon, de pétrole, de gaz, d’électricité… donc majeur. qui sont les premiers concernés, mais
C’est l’esprit qui guide la construction d’autres acteurs de la société : les consom-
un passager des scénarios abondants en énergie. Les Il est tout aussi nécessaire d’insister sur la mateurs, bien sûr, mais aussi les citoyens
parcourt 270 km scénarios à bas profil énergétique se question des infrastructures : urbanisme, et leurs représentants, qu’ils soient locaux,
fondent au contraire sur une compré- logement, transports, etc. Deux exemples. territoriaux, régionaux ou nationaux, et les
en tramway hension fine des relations entre l’énergie Le premier concerne deux villes à la popu- industriels. Les consommateurs, à travers
et le développement. Ils privilégient la lation analogue : Atlanta, ville américaine leur comportement quotidien et leurs actes
contre 18 avec sa notion de mise à disposition de « services type, à l’urbanisme étalé ; et Barcelone, d’achat de biens d’équipement ; les citoyens
voiture en ville… énergétiques » plutôt que d’énergie et s’in-
téressent aux déterminants de consom-
ville latine, à l’urbanisme ramassé. Cette
différence de conception se traduit par une
organisés et leurs représentants aux divers
niveaux territoriaux, à la fois responsables
Les choix mation de ces services. consommation d’énergie de transport par de l’organisation de notre vie collective,
habitant sept fois plus élevée à Atlanta qu’à donneurs d’ordres principaux de nos infra-
d’infrastructures Les besoins de l’usager (ménage, entreprise, Barcelone. structures et responsables de l’aménage-
ont donc des collectivité locale) ne sont en effet pas direc-
tement des produits énergétiques mais des
Le second exemple concerne les modes de
transport : avec 1 kg d’équivalent pétrole,
ment du territoire.
Quant aux industriels, ce n’est plus tant
conséquences biens et des services indispensables au déve- compte tenu des taux de remplissage leur responsabilité de consommateurs
loppement économique et social, au bien- observés pour les différents moyens de directs d’énergie, à travers leur process, qui
majeures sur les être et à la qualité de vie. Leur satisfaction transport, un passager parcourt 170 km en est en cause que celle qu’ils exercent en
consommations nécessite une consommation d’énergie qui TGV, contre 39 en voiture, 270 km en tram- mettant à la disposition des consomma-
dépend à la fois de la nature et des carac- way contre 18 avec sa voiture en ville… teurs et des citoyens des outils plus ou
d’énergie et les téristiques des appareils de production et de Les erreurs de choix d’infrastructures ont moins efficaces sur le plan énergétique.
consommation employés, ainsi que des donc des conséquences majeures, dans la Les enjeux sont majeurs, bien entendu,
émissions de gaz infrastructures dans lesquelles ces derniers durée, sur les consommations d’énergie et dans nos pays riches, mais plus encore
à effet de serre. sont utilisés. En particulier, les infrastruc- les émissions de gaz à effet de serre. Il en dans les pays en pleine phase de dévelop-
tures déterminent pour très longtemps la est de même pour l’habitat, dont l’archi- pement et qui mettent en place leurs prin-
nature des moyens et les quantités d’éner- tecture et les mesures initiales de cons- cipales infrastructures lourdes. Les concepts
gie nécessaires à la satisfaction d’un ser- truction jouent fortement sur la consom- de citoyenneté, de solidarité, de démo-
vice (confort thermique, mobilité, etc.). La mation de chauffage et d’éclairage pour cratie participative et de proximité devraient
quantité d’énergie consommée pour un une centaine d’années. y trouver une place de choix.
service donné varie considérablement selon Les scénarios sobres mettent aussi en B. D.
l’usage et l’appareil utilisé : quantité de relief l’importance de la recherche
combustible nécessaire pour obtenir la systématique de l’efficacité énergé- (1) Le scénario Sunburn, B. Dessus et P. Gérard,
Les cahiers de Global Chance n° 21.
même température à l’intérieur d’un bâti- tique des outils qui transfor ment
ment selon que celui-ci est bien ou mal l’énergie finale en énergie utile (pour * Benjamin Dessus est président de l’association Global
isolé ; consommation d’énergie selon le la production des biens, les transports, Chance et auteur de plusieurs livres sur l’énergie.
V
ous aimez le bio, vous aimez l’équitable : s’exposent à de graves problèmes sanitaires marque, tout comme Idéo, utilise du coton
vous aimerez le bio équitable ! Avec l’en- du fait de l’usage intensif de pesticides, bio portant le label EKO.
gouement grandissant pour l’achat citoyen, mais l’accès aux intrants industriels (se-
la double labellisation des produits relève mences, produits phytosanitaires) pousse Tissage et confection
de la cohérence marketing. Le consom- les petits producteurs à un endettement qui Chez Azimut, la fibre est tissée en Inde,
mateur doit pourtant se méfier des effets a déjà provoqué le suicide de plusieurs cen- dans une usine qui respecte des critères
d’« éthiquette », qui ne disent pas tout sur taines d’entre eux. Ainsi, engager plus de éthiques de conditions de travail et de salaire.
l’impact social et environnemental du vête- petits producteurs dans la culture biolo- Mais il faudrait être un client plus impor-
ment qu’il porte. Ces questions impor- gique est devenu un objectif autant social tant pour passer aux critères équitables.
tantes, deux marques se les posent et tentent qu’environnemental pour Idéo. Les teintures répondent aux règles du réfé-
d’y répondre au mieux : Idéo et Azimut- La société Azimut-Artisans du Népal, quant rentiel environnemental eco-friendly.
Artisans du Népal, qui, chacune dans leur à elle, a débuté en 1995 par l’importation Idéo, pour sa part, mise sur la durabilité
style, tissent le bio et l’équitable à chaque de vêtements confectionnés par des arti- du partenariat avec une usine de confection
étape de la production, ou presque. sans népalais (puis indiens) selon les règles en Inde. Celle-ci comptait 19 salariés en
du commerce équitable. Très vite, là aussi, 2002, 400 aujourd’hui, qui bénéficient de
Matière première la question de la production de la matière salaires au-dessus de la moyenne et de pres-
« Au moment de la création d’Idéo, en 2002, première s’est imposée comme un enjeu tations sociales (cotisation retraite, paie-
nous nous inscrivions dans la mouvance “no environnemental et social. Le passage au bio ment des heures supplémentaires…) inédites
logo”, contre les conditions d’exploitation de la ne s’est pas fait sans mal. Le surcoût, tout dans le secteur. Cette usine couvre les trois
main d’œuvre dans l’industrie textile, raconte d’abord, a rebuté la clientèle, mais aussi quarts de la confection d’Idéo et garantit
Rachel Liu, gérante d’Idéo. En creusant, un problème de qualité : « Le coton bio est un respect des commandes qui permet à
nous avons été sensibilisés aux dégâts d’une cul- beaucoup plus souple que le non-bio, ce qui a la petite entreprise française d’engager des
ture très polluante. » Non seulement les popu- obligé notre modéliste à s’adapter », raconte relations avec de plus petits producteurs, plus
lations habitant près des champs de coton Valérie Delamerie, pour Azimut. Cette fragiles mais aussi en quête de stabilité.
Pourquoi ne pas soutenir un commerce
équitable Nord-Nord en rapatriant la confec-
tion en France ? « J’aimerais voir un jour une
page du catalogue “Azimut-Artisans de chez
nous”, concède Valérie Delamerie, mais ce
serait trop facile, au nom de la relocalisation de
l’économie, de dire qu’il faut lâcher des artisans
de pays en développement. »
Rachel Liu complète : « Malheureusement, le
combat pour le maintien d’une industrie textile
en France est une affaire qui relève du politique,
et le vrai scandale c’est le tee-shirt à cinq euros ! »
Transport
Le transport est le point faible du com-
merce équitable Nord-Sud. Impossible,
pour le moment, de peser sur les condi-
tions de travail de ce secteur. Cependant, Idéo
affirme son souci de regrouper au maxi-
mum ses filières, afin de limiter l’impact
écologique du fret, et de privilégier le
transport maritime.
Distribution
Azimut, en tant qu’adhérent du réseau
Minga, affiche clairement son refus de la
grande distribution. Et ce n’est pas qu’un
vœu pieux : « Nous avons reçu une proposi-
DR
Pour ses vêtements, Idéo utilise du coton bio. tion fabuleuse de la grande distribution pour
D
epuis la Seconde Guerre mondiale, les habi- Quelques kilomètres plus loin, à Fabas, un entre les populations rurales natives, les
tants de Sainte-Croix-Volvestre, en Ariège, marché vient également d’ouvrir, après un « néo » et les propriétaires de résidences
n’avaient plus de marché. L’exode rural siècle d’arrêt. Situé sous une halle magni- secondaires. Madeleine et François Tus-
puis la grande distribution ont eu raison fique, il est composé de producteurs de sau y ont leur étalage depuis trente et un ans,
de leur foire mensuelle, créant un village légumes, de fleurs et de fromages. Là non ils témoignent : « Le marché s’est beaucoup
sinistré où peu d’habitants se connaissent plus, ça ne marche pas très fort pour la agrandi depuis qu’on vient, on continue de vendre
et se parlent. Mais, depuis le 14 avril, une vente. Pour Fernanda Dominguez, pro- à tout le monde, aux hippies comme aux bour-
dizaine de producteurs locaux se réunis- ductrice de légumes, « il faut que les gens geois. On s’entend tous bien ici. » Un couple de
sent chaque semaine sous les platanes pour reprennent leurs habitudes ». La place s’anime jeunes explique : « On vient tous les samedis,
vendre leurs légumes, fromages, fleurs, doucement ; avec quelques personnes qui c’est un lieu de rendez-vous très convivial. Et
charcuteries et pizzas. Pour le moment, les sirotent un café, des pensionnaires de la puis on trouve des produits de qualité, bien mieux
clients sont rares, mais ceux qui font le maison de retraite qui prennent une bouf- qu’au supermarché. » Peu de labels bios sont
déplacement sont ravis. « C’est un grand plai- fée d’air et des villageois venus « par curio- cependant présents sur ce marché, mais de
sir de retrouver un marché dans le village. Cela sité ». Pour Laurent Bernard, à l’origine du nombreux petits producteurs font le dépla-
permet de rompre avec la solitude. J’y vais tous marché, la démarche est claire : « L’aspect cement. Quand on demande à Madeleine
les mercredis pour bavarder », indique Clé- rencontre est très important, on privilégie le social comment elle traite ses légumes, elle répond
ment Dedieu, 78 ans, natif du village. Il sur l’alimentaire, car ici les gens ont des jardins fièrement : « Nous, on est des agriculteurs, on
papote avec la dame qui vend des stores : mais ils ont besoin d’un espace pour se rencon- met du fumier de vache ! »
« On apprend à mieux se connaître. » trer. » Ces deux petits marchés sont les La plupart des marchands présents vendent
témoins d’une volonté de faire revivre les la totalité de leur production sur les mar-
Le pari est donc plutôt réussi pour Franck villages et de réactiver des circuits courts en chés. « On n’a pas accès à la grande distribu-
Botteau, initiateur de ce nouveau mar- milieu rural. tion et on ne veut pas y aller. Sur les marchés, on
ché de plein vent en Midi-Pyrénées, dont a une plus grande liberté d’avoir des produits
l’objectif était « d’animer le village en semaine, Pour trouver plus d’activité, il faut se dépla- qui ne sont pas standardisés, et on peut conseiller
car, à part le lac en été, rien ne s’y passe ». cer sur les marchés des petites villes, comme les gens », explique Pascale Duraud, prési-
Il attire même quelques habitants des celui de Saint-Girons, sous-préfecture de dente de l’Union des producteurs des mar-
villages voisins. Ce marché a donc une l’Ariège. Représentatif de la diversité du chés de plein vent. Productrice de fromage
fonction sociale importante, bien que les département, ce marché est connu dans de chèvre dans la région toulousaine, elle tient
producteurs s’avouent un peu déçus et toute la région. Isabelle parcourt qua- à différencier les producteurs des commer-
s’arment de patience. L’un d’eux sou- rante kilomètres tous les samedis pour « les çants qui achètent sur les marchés de gros
pire : « Les retraites n’ont pas encore été ver- couleurs et les odeurs d’un marché très vivant ». et cassent les prix. Sur certains marchés en
sées, les gens n’ont plus rien à dépenser ! » C’est en effet un lieu de brassage culturel ville, l’étiquette « producteur » est vendeuse
et certains en abusent : « Vous avez des gens
qui se servent de l’image alors qu’ils font de
l’achat-revente », dénonce-t-elle. Son syndicat
regroupe une vingtaine de membres sou-
haitant sensibiliser le public à la question de
l’origine des marchandises.
Cette démarche est importante pour Chris-
tian Moretto, coauteur du Guide des mar-
chés de plein vent de Haute-Garonne (éditions
Empreinte), qui voit dans les marchés
« une nouvelle forme de commerce équitable
local ». Faire ses courses sur un marché
serait donc le fruit d’une prise de cons-
cience, amenant le consommateur à pri-
vilégier le contact humain et les circuits
courts, bien que cette attitude ne concerne
qu’une minorité plutôt urbaine. Le déve-
loppement des marchés en agglomération
accompagne ainsi l’explosion des Amap
(Associations pour le maintien d’une agri-
culture paysanne). Marchés des villes ou
marchés des champs, ils jouent un rôle
important pour réactiver les liens parfois
YORAN JOLIVET
TRIBUNE
Du consumérisme
à la décroissance
DR
Politologue et
écrivain, Paul
Ariès* revisite
les courants LES CRISES DE LA REPRÉSENTATION politique cette casse volontaire) des modes de vie tra- des familles, lui-même issu de la Jeunesse
contestant et du monde du travail renforcent l’im- ditionnels et populaires est essentielle car ouvrière chrétienne), puis comme créatrice
portance et la légitimité des interrogations elle fut la condition nécessaire pour que les des Castors (auto-construction collective),
la société de et des mobilisations sur le front éclaté de forçats du travail, mis en scène par Char- qui prolongeaient l’expérience des cottages
l’alter-consommation. Ce terrain sans lie Chaplin dans les Temps Modernes, devien- sociaux de l’entre-deux guerres.
consommation, cesse élargi et labouré s’avère beaucoup plus nent aussi des forçats de la consomma- Seule la naissance de l’agriculture biologique
des giboyeux que ne l’avaient pensé les mou- tion. Les premiers mouvements se durant les années 1960 permettra de renou-
vements révolutionnaires qui ont dominé développeront durant la seconde moitié veler le champ (souvent réduit autrement
mouvements le XXe siècle. On distinguera plusieurs du XXe siècle avec le soutien des pouvoirs aux seules organisations du « sport ouvrier »)
de défense grands niveaux de contestation, chacun publics et parfois même des grands indus- des groupements d’achats et autres coopé-
veillant à se différencier de son demi-frère triels. Cet essor se fera en revanche dans ratives de consommateurs ou d’usagers.
des usagers ou de son faux frère. l’ignorance – et souvent au détriment – Ce nouveau front sera un temps le refuge
des anciennes formes d’auto-organisation de militants déçus par d’autres formes de
aux objecteurs Le consumérisme contre les anciennes des producteurs-consommateurs, liées rébellion avant de devenir la première
de croissance, cultures populaires notamment à la genèse du mouvement forme d’engagement de nouvelles géné-
Les mouvements historiques de défense ouvrier français. rations de consommateurs engagés.
en passant des consommateurs ont beaucoup plus Ce fait tient autant à la concurrence directe
par les tenants accompagné que contesté la société de de la grande distribution, qui put offrir La crise du consumérisme
consommation. Il n’est pas anecdotique des conditions plus avantageuses, qu’à Le consumérisme initial perd en puissance
de l’achat que le fondateur de la première grande l’affaiblissement des cultures et des modes depuis une vingtaine d’années avec l’af-
« responsable ». organisation, Edward Filene, fût l’héri- de vie autonomes. Pourquoi continuer à faiblissement des États-Nations, la globa-
ter de la principale chaîne de grands maga- s’adresser à une coopérative si elle offre le lisation de l’économie et le renforcement du
sins de Boston (États-Unis). Cet homme même produit que le marché ? On ne sau- pouvoir des sociétés transnationales. Non
d’affaires avisé, qui fut aussi l’un des théo- rait négliger en outre l’impact des mou- seulement il se retrouve de plus en plus sur
riciens du consumérisme, souhaitait incul- vements d’inspiration marxiste, pour qui les positions de la grande distribution
quer aux anciens usagers les réflexes néces- la classe ouvrière n’avait pas à s’organi- (Michel-Édouard Leclerc en tête), mais il
saires pour en faire de bons ser séparément ni à cultiver d’autres modes représente (aux yeux de la rébellion anti-
consommateurs. Cette perte (ou mieux : de vie que ceux de la bonne société mais consumériste) le pire du libéralisme dans sa
à revendiquer l’accès à la consommation capacité à opposer consommateurs et pro-
et la prise du pouvoir d’État. Les rapports ducteurs. Les débats lors du référendum
de consommation se sont donc trouvé sur le Traité constitutionnel européen lais-
vidés de tout enjeu politique et culturel. Le seront des cicatrices durables puisque le
mouvement ouvrier manquera toujours Bureau européen des unions de consom-
d’une théorie critique de la consomma- mateurs (Beuc), dont font partie notam-
tion et ne pourra recevoir qu’avec incom- ment deux grandes organisations françai-
préhension les travaux d’universitaires ses (Union fédérale des consommateurs
comme Henri Lefebvre, et avec beaucoup [UFC] et Consommation, Logement et
plus d’irritation et de mépris encore ceux Cadre de vie [CLCV]), a accueilli « avec
de Jean Baudrillard et de Guy Debord. enthousiasme » le projet de directive euro-
Seuls subsisteront un temps la pratique des péenne sur les services, dite Bolkestein, en
« listes noires », fustigeant certaines indus- arguant que « la suppression ou la réduction des
tries et certains détaillants hostiles au syn- barrières inutiles ou injustifiées à la libre circu-
dicalisme, puis quelques formes d’auto- lation des services devrait renforcer la concur-
organisation liées le plus souvent à la rence et le choix des consommateurs ». Les asso-
mouvance catholique, comme la Fédération ciations de consommateurs liées au
nationale des jardins familiaux, émanation mouvement syndical tentent bien d’éviter
de la Ligue française du Coin de Terre et ce piège d’une schizophrénie sociale mais
du Foyer, fondée en 1896 par l’abbé et elles continuent cependant d’opposer le
député Jules Lemire (voir p. 32), ou comme méchant Taylor au gentil Ford et de reven-
les actions impulsées par Christine Brisset diquer avec l’Indecosa-CGT (Information
MORIN/AFP
(condamnée 52 fois par les tribunaux entre et défense des consommateurs salariés) « le
1949 et 1952) au nom du mouvement droit à la consommation ». Cette tendance
Les soldes représentent un grand moment de frénésie consommatrice. « squatteur » (lié au Mouvement populaire reste, pour des raisons historiques, beaucoup
La confiture
coûte dix minutes
Les Systèmes d’échanges locaux (SEL) ont treize ans et se répartissent
sur tout le territoire. Reportage dans le plus ancien d’entre eux,
en Ariège, qui a survécu à bien des crises.
Outre les
D’où
rencontres,
les SEL
La route des SEL viennent
les Sel ?
permettent Depuis 1998, la route des SEL permet à
tous les adhérents de France de bénéficier
Les systèmes
d’échanges locaux
à certains d’avoir du réseau pour voyager. Chaque membre
français proviennent
peut ainsi adhérer à cette association pour
accès à des voyager ou accueillir quelqu’un. Plusieurs
des LETS (Local
exchange trading
catalogues sont diffusés chaque année,
produits interdits mentionnant tous les hébergements, du
system) anglo-
saxons, créés dans
coin de moquette à la confortable chambre
par leur budget d’amis. Repas, accès handicapés, camping :
les années 1980 par
un écossais, Michael
(produits bio, tout est précisé.
Linton, sur l’île de
Vancouver, au
cours de langue, Le « coût » d’une nuit correspond à
Canada.
l’échange d’une heure, soit soixante unités
stages…). équivalentes à la « monnaie » du SEL local.
En France, l’idée se
concrétise en 1994
DANIAU/AFP
Ce réseau permet aux 800 « selistes »
Et ils revalorisent participants de se rencontrer et de
dans le département
de l’Ariège. Un
certaines partager des expériences d’un SEL à l’autre.
Si beaucoup s’en servent en vacances, d’une région à l’autre, et même au niveau hollandais, Philip
Forrer, amène l’idée,
professions certains l’utilisent pour passer un entretien, international. La route des SEL mène ainsi
en Allemagne, en Belgique, en Suisse, dans très vite relayée
se rendre à une fête de famille ou pour un
qui n’ont pas stage. D’après Anik Hérault, secrétaire de le sud de l’Europe et jusqu’en Australie. En dans un territoire qui
compte un taux de
l’association, « cela permet à des gens de France, il manque des hébergements dans
un grand succès se déplacer pour la première fois pendant les grandes agglomérations comme Paris et chômage élevé.
Marseille où, selon Anik Hérault, « les gens Deux ans plus tard,
les vacances. J’ai ainsi reçu un couple de
sur le marché retraités qui n’étaient jamais partis ». Les sont plus méfiants ». le réseau compte
380 adhérents et
du travail. différentes monnaies sont compatibles Y. J.
sème des petits dans
tout le pays.
Le 6 janvier 1998,
deux membres du
sent mieux résister au temps, peut-être grâce à la à Bordeaux ou à Quimper. D’autres sont plus artis- SEL d’Ariège sont
proximité de leurs participants. tiques, comme en Provence. Parmi les dérives pos- condamnés à
sibles, « les conflits de pouvoir entre les personnes sont 300 euros d’amende
Chaque SEL dépend avant tout du nombre et du dyna- centraux », explique Thérèse Boudier, du SEL 28. avec sursis par le
misme de ses adhérents. Certains sont très vivants De passage en Ariège grâce à la route des SEL tribunal de Foix pour
et proposent des stages et des services variés, comme (voir encadré), elle prône des échanges créateurs de « travail illicite ».
lien social et vecteurs de convivialité. Georges Le système de troc
Comte, l’actuel président, confirme : « Ce qui m’in- promu par le réseau
téresse le plus c’est que les gens se rencontrent. » Il reçoit est indirectement
Quelques adresses d’ailleurs de temps en temps des personnes envoyées mis en cause. La
cour d’appel de
● Sel Gabare, 19, allée Jacques-Brel, par le centre communal d’action sociale de Pamiers,
petite ville voisine. Outre les rencontres, les SEL per- Toulouse les
33600 Pessac. Contact : Roland
innocente finalement
Carbone, 05 56 45 02 73, mettent à certains d’avoir accès à des produits inter- en septembre 1998,
selgabare@free.fr, www.sel-gabare.info dits par leur budget (produits bio, cours de langue, créant une
● Fleur de blé noir, Maison des stages…). Ils revalorisent, enfin, certaines profes- jurisprudence sur
associations, 53, Impasse de l’Odet, sions qui n’ont pas un grand succès sur le marché laquelle s’appuie le
29000 Quimper, 02 98 95 30 09 ou du travail. « Cela permet à certaines personnes de re- réseau actuel.
02 98 59 30 39. Contact : Linda trouver une dignité par la reconnaissance de leurs capa- Les SEL utilisent
Guidroux, Annick Hempel, cités », estime Georges Comte. ainsi le troc comme
margaret.w@wanadoo.fr « l’échange de
● La Claie d’échanges, BP 208, 47305 Créateur de lien social, espace de convivialité, le choses ayant peu de
Villeneuve-sur-Lot Cedex. Contact : SEL a pourtant aussi des origines économiques. valeur, ne se
Philippe Lenoble, 05 53 40 10 10 « Dans un contexte de forte spéculation, l’essentiel est produisant pas trop
ou 05 53 40 33 82. de redonner à la monnaie sa fonction d’échange », rap- souvent, et une
● SEL de Paris, Maison des associations, pelle Claude Fressonnet, présidente durant les activité non
1-3, rue Frédérick Lemaître, 75020 Paris. quatre premières années du SEL pyrénéen. Fran- répétitive et
Contact : Frédéric Tempier, çois Terris, l’un des initiateurs des SEL, se sou- ponctuelle, type
01 40 24 18 13, contact@seldeparis.org vient : « On voulait prouver que d’autres types d’échange coup de main. »
www.seldeparis.org étaient possibles. » À l’heure du bilan, il constate : Plus de 30 000
● Sel Amiens, 30, rue Jean-Marc-Laurent, « Le SEL ne dérange pas vraiment les milieux écono- adhérents répartis
80090 Amiens. Contact : Michel Fallet, dans 350 SEL en
miques, c’est plus un créateur de liens. » Avec un France y participent.
03 22 47 25 45, selamienois@free.fr, réseau qui maille toute la France, les SEL per-
selamienois.free.fr
mettent au moins à chacun de réinventer et d’en- Y. J.
● Annuaire complet des SEL en France sur
richir les échanges.
www.selidaire.org
YORAN JOLIVET
FAGET/AFP
Une autre façon de voir l’argent
Le système Sol a vu le jour en France dans trois régions tests. Cette
monnaie alternative promeut une économie fondée sur des valeurs
écologiques, humaines et sociales.
L
a monnaie est devenue une fin en Matérialisé sous la forme d’une carte à
soi, un moyen d’accumulation et
d’appropriation de la richesse. Un
puce orangée, le dispositif Sol veut faire
participer ses usagers au développement
Une autre richesse
Le collectif Nouvelles richesses le
bien de valeur soumis à la spécu- d’une économie fondée sur des valeurs rappelle : le monde a besoin de
lation et aux intérêts. L’argent, écologiques, humaines et sociales, mettre cinquante milliards de dollars de
désormais, vaut lui-même de l’argent. Une en valeur « la richesse et la diversité des acti- plus par an pour éradiquer la faim,
perversion du système qui enterre au pas- vités humaines aujourd’hui invisibles ou déva- généraliser l’accès à l’eau potable
sage le rôle premier de la monnaie offi- lorisées », et faciliter les échanges tout en et à l’éducation, et combattre les
cielle : celui de facilitateur d’échanges et créant des comportements de solidarité épidémies. Face à ce constat, la
d’outil de lien social au service de l’inté- et de coopération. croissance du PIB, « c’est-à-dire
rêt collectif. Le Sol s’articule autour de trois axes. Le tout ce qui donne lieu à des
Face aux dégâts engendrés par cette logique Sol Coopération est un moyen de paie- échanges monétaires, ce qui
financière, des acteurs du secteur social ment et d’échange au sein d’un réseau s’achète et qui se vend », est
réfléchissent à une autre approche de la d’entreprises et d’organisations qui par- érigée en solution miracle. Mais le
monnaie. Dès 1997, le Crédit coopératif, la tagent des valeurs écologiques et sociales. PIB et la croissance « sont bien
Macif, les Chèques-Déjeuner et la mairie Il doit permettre aux usagers de donner loin de mesurer l’amélioration du
de Lille planchent sur un système d’échange du sens à leurs choix de consommation, bien-être d’une société et du
alternatif et complémentaire de l’euro. Le de mettre en valeur des comportements “bien-vivre” des individus »,
projet n’aboutit pas mais ressort des car- solidaires et de renforcer les structures de constate le collectif. Or, « il est
tons en 2004, avec le soutien du programme l’économie sociale et solidaire. Le Sol possible de changer les règles du
du Fonds social européen Equal, destiné à Engagement se présente comme un outil jeu et urgent de changer notre
regard sur ce qui fait la richesse
« combattre les discriminations et à réduire les d’échange de temps entre personnes. Une d’une société ». Le collectif lance
inégalités, pour une meilleure cohésion sociale ». démarche destinée à rendre visibles loca- un appel et enjoint les citoyens
Le projet Sol est né. Lancé officiellement lement les comportements solidaires, béné- motivés à participer au
à la mi-octobre 2006, il regroupe les grandes voles et citoyens, faciliter les échanges mouvement.
sociétés de l’économie sociale et les col- pour des activités répondant à des besoins X. F.
lectivités dans trois coopératives. Une pour sociaux précis, et créer « des mécanismes de Pour signer l’appel :
chaque région choisie pour le lancement coopération à partir des richesses de chacun ». www.caracoleando.org/article75.html.
de l’opération : l’Île-de-France, le Nord- Enfin, le Sol Affecté correspond aux outils contact@collectif-richesses.org.
Pas-de-Calais et la Bretagne. d’action sociale mis en place par les
Ça marche
déjà ailleurs
Un peu partout en Europe et
dans le monde, des expériences
de systèmes d’échange et de
monnaies complémentaires
existent déjà. Réalisées dans le
cadre du projet Sol, quinze
fiches permettent de découvrir
ces systèmes alternatifs (1).
MULLER/AFP
Le Dobry, une monnaie
complémentaire en Pologne, a
ainsi pour objectif de « mettre
collectivités, les comités d’entreprise ou des techniques innovantes
les partenaires sociaux. Exemple type : d’économie au service d’un
les tickets de cantine à tarifs préférentiels, développement social et local ».
discriminants pour leurs bénéficiaires, sont La monnaie est distribuée aux
remplacés par des Sol. Avec la carte pos- entreprises et aux individus au
sédée par tout un chacun et la possibilité prorata des dons qu’ils font à la
collectivité locale. Le Dobry non
de payer ses repas en euros ou en euros utilisé se déprécie.
et en Sol, personne n’est plus désigné En Italie, les Banques du temps
comme étant bénéficiaire d’une aide. (BDT) sont nées en 1995 dans
Le système permet en outre d’établir une une petite commune de l’Émilie-
distinction claire entre démarche sociale Romagne et à Parme. Le
et secteur marchand. Un concept voué à système se définit comme une
se développer dans tous les champs concer- « libre association solidaire
nés par l’aide sociale, des transports urbains dont les membres s’auto-
au théâtre en passant par les équipements organisent et s’échangent du
sportifs ou les bibliothèques. À Lille, on temps » pour s’entraider,
réfléchit même à un partenariat avec le principalement dans les tâches
département pour distribuer des Sol dans quotidiennes et l’acquisition des
le cadre de la politique sanitaire. Affectés savoirs.
via les centres sociaux, ces Sol permet- Plus orienté vers le commerce,
traient aux bénéficiaires d’acquérir des le système Barter, en Belgique,
biens alimentaires de qualité dans des bou- facilite les échanges entre plus
tiques et sur des marchés partenaires. de 4 000 entreprises,
structures commerciales et
travailleurs indépendants, en
Une idée parmi d’autres émises par la dyna- permettant à des entreprises
mique cellule de la région Nord-Pas-de- classiques de réaliser des
Calais, opérationnelle depuis quelques échanges de marchandise sans
semaines. « Nous travaillons sur le projet Sol utiliser d’argent.
depuis un an », expliquent Luc Belval et Les Allemands de Brême sont à
Sophie Delebarre, coordinateurs pour la l’origine du Roland, une
région. Discussions avec les structures monnaie complémentaire qui
locales, aspects logistiques, mise en place implique des entreprises, des
des outils techniques, le projet a nécessité paysans, des particuliers et des
un long travail en amont. Décidée à ne commerçants. Une des
pas s’imposer d’objectif chiffré « pour l’ins- principales fonctions du
tant », l’équipe compte sur un cercle de système est de « soutenir
pionniers. On y trouve la boutique de com- l’agriculture biologique et de
merce équitable de Lille d’Anne Gisel- relier des activités urbaines et
Glasse, le magasin de restauration et de paysannes en circuits courts ».
vente de meubles La Ressourcerie, le loueur Quant au Time dollar américain,
de vélo Chti Vélo, la SCI qui distribue des il cherche à repenser le travail,
paniers de légumes bios, le restaurant d’in- organiser la réciprocité,
promouvoir la notion de capital
sertion le Bec à plumes, Artisans du monde social et de coproduction
et la Macif. Une base modeste de volon- sociale tout en valorisant
taires, appelée à faire boule de neige. « Voir équitablement les contributions
des entreprises se lancer va décomplexer les à la communauté, en référence
autres, espère Luc Belval. Les énergies vont au principe d’égalité du temps
s’agglomérer. » Et les Sol prospérer ? de vie.
XAVIER FRISON X. F.
Fiches d’expériences de systèmes
Projet Sol : www.sol-reseau.org. d’échange et de monnaies
Contacts : contact@sol.ouvaton.org, ile-de- complémentaires :
france@sol.ouvaton.org, bretagne@sol.ouvaton.org, www.caracoleando.org/article93.html
nord-pas-de-calais@sol.ouvaton.org.
«Redonner à la monnaie
sa fonction d’échange»
DR
Le WIR en Suisse, les réseaux de troc en Argen- En quoi les monnaies complémentaires bouscu- à transférer la valeur de l’échange entre
tine, les LETS au Canada, les Time dollars et lent-elles notre vision de l’économie ? humains sur la monnaie elle-même. La
les Ithaca Hours aux États-Unis, les SEL en P. V. : Toute l’histoire de la monnaie peut monnaie se fait alors moins le vecteur d’un
France : les expériences de monnaies complé- se lire comme un conflit entre l’échange et échange que d’une domination. Il s’agit
mentaires ne manquent pa·s. L’expérimenta- la domination. C’est pour faciliter l’échange d’une monnaie dont la rareté, artificielle-
tion du Sol a-t-elle pour ambition de changer que la monnaie est inventée. Ainsi, Adam ment créée par les acteurs en position de
notre mode de vie ? Smith décrit la naissance de la monnaie et domination, oblige les dominés à n’utili-
les étapes de son évolution comme une ser qu’une faible partie de leur potentiel
Patrick Viveret : Toutes les expériences série d’améliorations de la « propension natu- d’échange et d’activité.
de monnaies complémentaires naissent là relle des êtres humains à échanger et à troquer ».
où la rareté de la monnaie officielle empêche Tout d’abord, on choisit un étalon pour C. W. : Les monnaies complémentaires
DR
les échanges nécessaires à la vie et au bien- éviter l’incommodité du troc ; ensuite, le réhabilitent les deux premières fonctions
être collectif. Elles se donnent pour objec- choix de supports divisibles et durables de la monnaie, celles d’unité de compte et
tif de recréer de l’échange de proximité (comme les métaux), plutôt que des mar- de moyen d’échange ; et elles interrogent
quand la monnaie officielle ne remplit plus chandises périssables ou peu divisibles l’évolution de sa troisième fonction, celle
cette fonction. Elles proposent une autre (comme le bétail), rend compte du rôle de réserve de valeur (1). Elles nous amènent
façon d’échanger, fondée sur la promo- démultiplicateur de la monnaie dans les ainsi à poser la question du système éco-
tion des capacités de transformation et les échanges. Ce phénomène conduit aujour- nomique dans lequel nous vivons, dou-
richesses portées par chacun, et participent d’hui à une monnaie presque totalement blement menacé par l’insuffisance de mon-
ainsi à la construction d’un projet de société dématérialisée, véhiculée par des supports naie à un pôle et par son excès à l’autre.
où la mesure de la richesse est centrée sur électroniques.
la personne et ses capacités créatrices et Toutefois, on assiste aujourd’hui à un retour- P. V. : Deux éléments, dans la monnaie
DR
d’échange – sur l’être et non l’avoir. Ce nement paradoxal : des êtres humains ayant classique et dans les mécanismes écono-
Patrick Viveret, sont donc bien nos modes de vie qui sont la capacité et le désir d’échanger et de créer miques actuels, sont de nature à tirer
en cause. de l’activité ne peuvent le faire par manque l’échange vers l’accaparement. Le premier
Celina de moyens (trois milliards d’êtres humains, est le principe de l’intérêt composé, qui
Whitaker et Jean-Philippe Poulnot : Le projet Sol est par exemple, n’ont pas accès au système pousse à la spéculation sur l’argent lui-
né de la volonté de replacer la monnaie à bancaire !). Ce retournement provient de ce même et dissuade de l’utiliser comme moyen
Jean-Philippe son rang de moyen et non de fin, pour processus de « fétichisation » qui consiste d’échange. L’autre élément tient au fait
Poulnot* sont développer des échanges qui ont du sens :
les échanges marchands à valeur ajoutée
à l’origine écologique et sociale ; les échanges de
temps et de savoirs qui contribuent à mieux
du Sol. vivre ensemble. Le Sol ne peut se déve-
Ils expliquent lopper qu’à partir de la synergie entre les
acteurs porteurs de cet ensemble d’objec-
comment cette tifs. C’est avant tout un réseau d’entrepri-
nouvelle ses, de personnes, d’associations, de col-
lectivités partageant les mêmes valeurs,
monnaie qui donnent la priorité au contenu de l’ac-
tivité et de l’échange plutôt qu’à son vec-
pourrait teur, la monnaie.
révolutionner
Celina Whitaker : Le grand nombre d’ex-
nos modes périences de monnaies complémentaires
de vie. dans le monde ne fait que montrer les
insuffisances de la monnaie officielle ainsi
que ses dérives. Ainsi, Sol participe de ce
mouvement qui propose des modalités
concrètes de transformation, à partir d’un
élément qui est au centre des échanges
entre humains aujourd’hui et qui régit,
quelquefois de manière inconsciente, notre
façon de vivre et de faire société. Jean-
Philippe Poulnot dénonce une transfor-
mation de la monnaie, un outil au ser-
MULLER/AFP
2008. Les premiers échanges ont démarré C. W. : Mais ce sont bien ces valeurs par-
au premier trimestre 2007. Ils prennent de tagées qui constituent le terreau de Sol,
l’ampleur, au fur et à mesure que les inter- au-delà de critères d’appartenance. Ainsi,
rogations que le projet suscite sont levées la charte de fonctionnement du « réseau
et que celui-ci est effectivement intégré dans Sol » définit les structures pouvant être
les stratégies des entreprises et associations agréées et participer aux échanges comme
participantes. celles « qui, dans leur objet, leur management
Il est sans doute un peu tôt pour évaluer et leur fonctionnement, mettent en œuvre les
ce que produit le Sol (3). Nous remarquons valeurs de l’économie sociale et solidaire ». Cela
cependant une grande motivation et adhé- concerne « en priorité les structures qui inscri-
sion au projet. Ainsi, après les trois pre- vent leur action dans le cadre des principes de
mières régions (Bretagne, Île-de-France et l’économie sociale et solidaire (association,
Nord-Pas-de-Calais), nous avons élargi les coopératives, mutuelles et fondations) » mais
territoires d’expérimentation à la région aussi « les structures qui démontrent leur plus-
Rhône-Alpes, et maintenant à l’Alsace. Ce value sociale, écologique ou citoyenne, tant par
projet nous paraît répondre à une sensibi- l’orientation de leur production de biens et de ser-
lité, à une attente qui ne demande qu’à se vices que par les conditions de réalisation de
concrétiser. Ainsi, nous constatons un leur production, notamment au service du déve-
bouillonnement autour des potentialités loppement local ».
d’utilisation du Sol, tant dans le mode de Ainsi, le Sol est également un aiguillon
coopération entre les structures partenaires qui invite en permanence chaque entre-
qu’avec les collectivités locales. Par exemple, prise à se réinterroger sur ses valeurs et sur
aider des familles monoparentales défavo- les modalités de mise en pratique de ces
risées à acquérir à moindre coût des ali- valeurs. Par exemple, en réinterpellant les
DANIAU/AFP
ments issus du commerce bio, avec une entreprises de l’économie sociale et solidaire
dotation de la collectivité, c’est possible ! sur la question de l’utilité écologique et
Le Sol peut notamment permettre de régler les frais de cantine. du développement local et durable.
C. W. : Cependant, on note que le Sol,
comme toute monnaie complémentaire J.-P. P. : Ajoutons que le Sol fait la jonc-
que la monnaie officielle est indifférente à – outil de transformation pragmatique –, tion avec les collectivités locales qui reven-
« Les monnaies la nature et à la finalité de l’échange (tout vient réinterroger nos modes de pensée, diquent les mêmes objectifs et la même
complémentaires flux monétaire vient contribuer positive-
ment au produit intérieur brut et à ce qu’il
nos pratiques (sur la richesse, la monnaie,
l’échange, la rétribution, la mesure, etc.) et
philosophie. L’économie sociale et soli-
daire, dans sa diversité, ses contradictions
appellent à une est convenu d’appeler « richesse », qu’il soit notre compréhension du système dans mais aussi son poids (10 à 13 % du nombre
porteur de bien-être ou de catastrophes lequel nous sommes insérés. C’est un « pas d’entreprises et du nombre d’emplois),
réappropriation écologiques ou humaines). de côté » qu’il n’est pas toujours facile de constitue une base d’appui significative
démocratique de faire. Prenons par exemple le Sol Engage- pour un projet comme le Sol. Elle est le
C. W. : Le propre des monnaies complé- ment. C’est un outil pour le développe- levier pour construire un vaste réseau par-
la monnaie, à une mentaires comme le Sol est d’agir préci- ment des échanges en temps, la circulation tageant les mêmes valeurs, éthiques, so-
sément sur ces deux éléments. C’est une des richesses qui ne sont pas dans la sphère ciales et environnementales.
pression sur une monnaie sans intérêt qui n’autorise pas la des échanges marchands, aujourd’hui invi- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY BRUN
spéculation, et est dédiée à un certain type sibles lorsque l’on définit la richesse d’un
économie sans d’activités ou de relations préalablement pays ou d’une collectivité (4). Le Sol Enga- (1) La monnaie réserve de valeur permet de se projeter
dans le futur, par la thésaurisation, pour différer les
conscience, à une définies comme remplissant une fonction gement introduit une monnaie dont la pre- échanges dans le temps. Mais le processus de
d’utilité écologique et sociale. mière fonction est celle d’unité de compte, « fétichisation », en laissant croire que la monnaie est
réorganisation de marqueur des échanges. Cette monnaie une richesse en soi, conduit à l’accumulation et à la
P. V. : Si la monnaie officielle remplissait se crée ainsi du fait de l’échange (en ouvrant spéculation.
de l’ensemble complètement son rôle d’échange pacifi- un compte positif pour le donneur et néga- (2) Cette phase expérimentale bénéficie de l’appui du
Fonds social européen (programme Equal), des conseils
des grandes cateur, il n’y aurait pas besoin de prévoir tif pour le receveur). Par les questions que régionaux des régions concernées (Bretagne, Île-de-
d’autres monnaies. En ce sens, il ne s’agit cette mécanique pose, nous sommes France, Rhône-Alpes et Nord-Pas-de-Calais) et de quatre
monnaies sur le pas de monnaies substitutives à la mon- conduits à nous interroger sur les méca- entreprises de l’économie sociale (Macif, Maif, Crédit
naie officielle, ce qui serait irréaliste, mais nismes qui régissent la création monétaire Coopératif et Chèque-Déjeuner).
critère du “doux de monnaies complémentaires, qui renouent actuelle et ce que produisent ces mécanis- (3) Toutes les informations sur le projet Sol sont
disponibles à l’adresse www.sol-reseau.org
commerce” avec la fonction affichée de la monnaie,
celle de l’échange. Ce faisant, elles réinter-
mes, en termes d’inégalités (5). (4) Cette question est développée de façon détaillée
dans les écrits de Patrick Viveret (Reconsidérer la
plutôt que rogent la nature des échanges aujourd’hui Le Sol s’organise autour des structures de l’éco- richesse, éditions de l’Aube, 2003) et de Dominique
en cours dans nos activités économiques. nomie sociale et solidaire. Pourquoi ? Méda (Qu’est-ce que la richesse ?, éditions
de la violence Elles appellent à une réappropriation démo- J.-P. P. : La finalité du projet est de contri- Flammarion, 2000).
(5) Lire notamment Mais où va l’argent ?, de Marie-
sociale. » cratique de la monnaie, à une pression sur
une économie sans conscience, à une réor-
buer à replacer la monnaie au rang de
moyen et, par ce biais, de contribuer au
Louise Duboin, éditions du Sextant.
ganisation de l’ensemble des grandes mon- développement d’une économie fondée sur * Patrick Viveret, philosophe, a défini une nouvelle
naies sur le critère de la facilitation des des valeurs écologiques et sociales. L’éco- approche de la richesse dans un rapport
échanges et du « doux commerce » plutôt nomie sociale et solidaire, dont la finalité intitulé Reconsidérer la richesse (éditions de l’Aube,
que de la violence sociale. est l’homme et non la finance, qui entend 2003). Il est vice-président de l’association Sol.
Celina Whitaker, ingénieur agronome de formation,
dire haut et fort sa façon d’entreprendre est membre de l’équipe de coordination nationale
La phase d’expérimentation du projet Sol a débuté autrement tout en réussissant économi- du projet Sol.
en 2005. Quelles sont vos premières analyses ? quement, et qui s’organise autour des valeurs Jean-Philippe Poulnot est administrateur et directeur du
J.-P. P. : La phase d’expérimentation de de solidarité, d’équité et d’utilité sociale, développement du groupe Chèque-Déjeuner. Il est aussi
Sol (2) doit se poursuivre jusqu’en décembre est ainsi naturellement le socle de Sol. directeur du projet Sol.
Logiciels : le statut
de la liberté
L’industrie de l’informatique est aux mains d’une poignée de multinationales.
Mais on peut refuser de se soumettre aux monopoles, choisir ses outils,
A
et devenir un utilisateur averti plutôt qu’un consommateur.
llumez un ordinateur PC, vous y verrez sont autorisés à faire. Ainsi, Windows Vista « L’enjeu des LL est à la fois éthique, social et
dans l’écrasante majorité des cas s’afficher contrôle périphériques et fichiers lus, et, si politique », ne cesse de répéter Richard Stall-
le logo Windows, ainsi que les icônes Micro- nécessaire, dégrade la qualité de sortie du man, pionnier du libre et fondateur de la Free
soft Word et Internet Explorer. Des logiciels son et de l’image pour prévenir le piratage ! Software Foundation. Les logiciels sont
propriétaires que les utilisateurs payent un bien commun qui profite à l’intérêt géné-
mais qui ne leur appartiennent pas pour Nombreux sont ceux qui, pour échapper au ral. Ils ne doivent pas être appropriables
autant. Ce qu’ils achètent est une simple monopole de Microsoft, préconisent pour servir des intérêts privés. « Quand nous
licence leur conférant un droit d’utilisation l’utilisation des logiciels libres (LL). Des développons une application innovante, explique
très limité : le logiciel ne peut être installé informaticiens, mais aussi des adminis- Philippe Aigrain, auteur de Cause Commune,
que sur une seule machine, ne doit être ni trations, des enseignants, des entreprises l’information entre bien commun et propriété,
prêté ni copié (sauf dans le cas d’une copie ou des élus comme Richard Cazenave et 1 % vient de nous et 99 % proviennent du pot
de sauvegarde), et son code source (l’en- Bernard Carayon (UMP), qui ont œuvré commun de ceux qui nous ont précédés. Si le
semble des instructions écrites qui le com- pour que tous les députés soient désor- pot commun cesse d’être commun, que l’on per-
posent) est secret, brevets obligent. C’est mais équipés de portables Linux. Perfor- met son appropriation par les brevets, il n’y a
un peu comme si l’on vendait une voiture mants, mieux sécurisés, les LL ont été simplement plus d’innovation possible, sauf
en interdisant à son acheteur de la laisser développés depuis plus de quinze ans par pour les gros acteurs capables de passer des accords
conduire par quelqu’un d’autre, et en l’em- une communauté mondiale de codeurs, de licence croisée. » L’ouverture du code à
pêchant, en cas de panne, de la faire répa- réunis autour d’une même philosophie : toute la communauté des développeurs fait
rer par le garagiste du coin, parce que le la protection des droits des utilisateurs. obstacle à toute appropriation. Elle est aussi
capot serait scellé. Ce sont les utilisateurs qui doivent contrô- la garantie de la fiabilité et de la sécurité des
Microsoft a bâti son immense fortune (49e ler les outils, et non l’inverse. Ils doivent LL. L’évaluation par les pairs et la contri-
au classement Fortune 500) en prenant en être libres d’utiliser et de copier les pro- bution active des utilisateurs permettent
otages des milliards d’utilisateurs de PC, grammes comme ils le souhaitent. Mais d’améliorer en permanence les fonction-
qui se voient imposer un système d’ex- aussi de savoir exactement ce que font les nalités et de détecter et corriger les bugs et
ploitation Windows installé par défaut et machines et de s’assurer qu’elles ne font failles de sécurité. Cette transparence est
des programmes génériques habilement rien d’autre que ce qu’ils leur demandent. le meilleur gage de sécurité et de confi-
intégrés au système. La firme de Redmont Une transparence liée au fondement même dentialité des échanges, un paramètre essen-
profite de ce marché captif, comme la plu- du libre : la liberté d’accéder, de modifier tiel aussi bien pour les particuliers que pour
part des éditeurs de logiciels, pour prati- et de diffuser le code source. Cette pra- les États soucieux de se protéger de trans-
quer des tarifs arbitrairement élevés. Un tique était d’ailleurs la règle dans le milieu ferts d’informations indiscrets.
document transmis à la commission des informatique et scientifique jusqu’à l’é- Le principe de libre diffusion, quant à lui,
opérations boursières américaines (SEC) mergence, dans les années 1980, du mar- permet de poser les bases d’une sorte de
en 2002 a révélé que sa marge brute était ché de l’informatique grand public. Et « service universel », garantissant l’accès
de plus de 86 % sur un produit connu pour Internet doit son essor fulgurant au fait du plus grand nombre à l’éventail des outils
ses bugs et ses problèmes de sécurité récur- que la communauté des informaticiens a de base et donc à l’information et aux
rents. Un produit qui, de plus en plus, su maintenir les standards ouverts indispen- connaissances diffusées par le réseau. Cet
contrôle et restreint ce que les utilisateurs sables à l’intéropérabilité. avantage économique est un atout majeur
Mozilla, Firefox,
Thunderbird
et Open Office
peuvent être
utilisés
librement.
Les voyages
forment l’amitié
Les habitants du village burkinabé de Zigla Koulpélé témoignent
de l’enrichissement réciproque que procurent les circuits organisés
par l’association « Tourisme et développement solidaires ». Reportage
D
imanche 17 juin, 16 heures. « Doméléké, entouré des notables qui représentent le Zigla depuis l’arrivée de l’association Tou-
bonjour, bonne arrivée ! » Il fait 40 °C mal- conseil des Sages. Peu avant, au campe- risme et développement solidaires (TDS).
gré le gris du ciel, typique de la saison des ment, l’équipe chargée d’encadrer les tou- Issoufou Bandaogo conclut l’entrevue en
pluies au Burkina Faso. Le petit groupe de ristes avait remis au « petit kir » (porte- insistant auprès des voyageurs sur les bien-
touristes, arrivé en fin de matinée au cam- parole désigné par le groupe) les faits de cette nouvelle forme de tourisme :
pement de Zigla Koulpélé, traverse le traditionnelles noix de cola. À l’issue de la « Elle représente pour nous un apport économique
village, salué par les habitants, dont de cérémonie, celui-ci les offre au chef du indéniable. Mais le progrès social auquel nous
nombreux enfants. village pour le remercier de son accueil. accédons et ces échanges entre nos deux cultures
Après avoir pris possession de leurs cases, Le kir lui remet, en échange et en signe permettent aussi une réelle avancée de nos men-
les neufs voyageurs se retrouvent tout d’un de bienvenue, un poulet vivant. talités. N’est-ce pas l’essentiel ? »
coup dans une scène digne d’un film de Le rituel accompli, la conversation roule Le principe des rencontres et des échanges
Jean Rouch. À l’invitation du « kir » (pro- sur les difficultés économiques rencon- interculturels est en effet à la base du pro-
noncer kiri), le chef coutumier du village, trées par le village : « Certaines familles peu- jet imaginé par Pierre Martin-Gousset, le
ils se rendent à la cérémonie rituelle de vent se trouver à court de nourriture au moment fondateur de TDS. Depuis 1999, cette
bienvenue. Sa jeune Majesté Issoufou Ban- de la période de soudure, juste avant la future association de solidarité internationale
daogo trône dans son fauteuil, au centre du récolte. » Mais la chefferie évoque aussi met en œuvre de nouvelles formes de tou-
village, sous une paillote au toit de chaume, avec fierté les développements réalisés à risme équitable et solidaire. Comme le
prévoit la charte que TDS, le village d’ac-
cueil et les touristes s’engagent à respec-
ter, une part non négligeable des bénéfices
réalisés par l’association est reversée aux
habitants. Les Français arrivés pour la
semaine à Zigla ont choisi d’accompa-
gner cette démarche.
CLOTILDE MONTEIRO
esclaves, et de
Cotonou, la capitale
économique du pays.
Les enfants du village ont rencontré le groupe de touristes solidaires. Le nombre de
voyageurs est limité à
douze personnes, et
quasiment tous les
à la peau blanche. Puis les voyageurs sont sont frappés par la réussite de ces chan- Ambiancez ! » Hilarité générale. Les voya- voyages sont
conduits à l’extérieur du village, jusqu’à une ceux « aventuriers ». « Les cases que vous geuses se laissent tenter par l’idée d’un organisés aux
retenue d’eau bordée de magnifiques man- apercevez construites en dur [les autres sont joli boubou sur mesure. Les apprenties moments creux de la
guiers aux feuillages luxuriants. Vision en torchis et en chaume] appartiennent à couturières, crayon et mètre en main, saison agricole.
rafraîchissante dans un paysage de brousse des familles dont l’un des membres est parti prennent les mensurations des volontaires, L’accueil des
à dominante ocre. La construction du plan en aventure », explique Bodjon et les conversations s’animent... voyageurs ne remet
d’eau, aujourd’hui grouillant de crapauds Bazongo. « C’est surtout la télévision, qu’ils donc pas en question
amoureux, et, dit-on au village, de caï- ont l’occasion de regarder au ciné-club du Sous la paillote du campement, autour d’un la vocation première
mans, a été confiée aux jeunes. Il consti- village, qui fait basculer ces jeunes dans le bissap rafraîchissant (boisson à base de du village, mais lui
tue un gisement d’emplois qui donne aux monde irréel de l’abondance et éveille chez eux fleurs d’hibiscus), des membres de la assure un
aînés des arguments supplémentaires pour ce désir », renchérit Louhoutou. Commission villageoise de gestion du complément de
convaincre les « jeunes pousses » de ne pas terroir (CVGT) révèlent aux voyageurs revenus.
« partir en aventure ». Le groupe fait ensuite une halte devant un les rouages du plan de développement Des circuits sont
puits récemment foré, qui alimente une des de Zigla. Au cours de la discussion, ces également proposés
À Zigla, la question de l’émigration est en effet écoles du village. D’autres détours condui- derniers découvrent que les recettes de hors village d’accueil,
prégnante. « Ceux qui partent sont appelés ici ront les touristes jusqu’à la route inter- la CVGT, environ un million de francs dans le cadre de
les aventuriers », précise Bodjon, alors que communale, entre Zigla Kulpélé et Zigla CFA (soit 1 500 euros) par an, provien- partenariats avec des
ONG locales, au Maroc
Louhoutou fait une halte pour saluer une Polacé, dont la construction est égale- nent presque exclusivement de l’activité et au Mali. Des projets
famille à pied d’œuvre sur son lopin de ment assurée par les jeunes du village. touristique générée par TDS. « On ne reçoit sont en cours au Mali
terre, malgré la chaleur (1). Le rapport Aux heures les plus chaudes de l’après- aucun soutien financier de l’État », explique et en Amérique latine.
de présentation du Plan villageois de midi, chacun se réfugie dans la relative Oussman Bandaogo, vice-président de Tous les séjours
développement (PDV) de Zigla Koulpélé fraîcheur de l’atelier de tissage. Angèle la Commission. respectent la charte
précise qu’une cinquantaine d’hommes Gangani est la maîtresse du lieu. For- La sensibilisation aux dangers des du tourisme
ont émigré vers l’Italie, et environ trois matrice en tissage et couturière, elle a le maladies sexuellement transmissibles et équitable : 20 % du
mille se trouveraient en Côte-d’Ivoire, verbe haut et la blague facile. Elle accueille du sida ainsi que la lutte contre l’exci- prix du voyage
au Ghana et au Gabon. Dans certaines les visiteurs par un sonore et souriant sion ont aussi été financées par ces reve- revient à la
concessions, seuls restent les femmes, les « bonne arrivée ! ». Angèle travaille avec nus, raconte Salamatou Gouem, char- communauté
personnes âgées et les enfants. Mais cer- une armada de petites mains qui s’activent, gée des questions de lutte contre cette d’accueil, dont 8 %
tains jeunes sont indifférents aux pres- parfois un bambin accroché à leurs jupes. pratique. Représentante des femmes et pour ses actions de
sions exercées sur les familles par le kir « Ce sont toutes des adolescentes qui n’ont pas directrice de l’école maternelle, Mariam développement.
et les notables. « Ils restent fascinés par eu la possibilité d’aller à l’école, explique Bancé estime que « ces séances ont été déter- Tarifs à partir de
l’étranger et continuent de disparaître juste Angèle. Elles apprennent ici en deux ans un minantes. Les mentalités ont fait un bond en 1 070 euros.
TDS : www.tourisme-
avant l’aube, dans la clandestinité », déplore métier qui leur permettra, si elles le souhai- avant. Aujourd’hui, c’est la femme excisée qui dev-solidaires.org
un des notables. tent, de monter leur propre atelier de couture. » a honte et plus l’inverse. » Tél. : 02 41 25 23 66.
Ce phénomène est un des sujets de conver- Très à l’aise avec les touristes, Angèle les La discussion prend un tour plus person-
sation récurrents au village. Beaucoup invite à passer commande : «Parlez fort ! nel quand Mariam explique que les femmes
CLOTILDE MONTEIRO
villageois, le touriste solidaire est souvent ren-
voyé à ses propres contradictions. L’enrichisse-
ment est réciproque. C’est ce qui fait tout le sel
contre l’excision
de ces voyages équitables. Bientôt, Zigla devrait ont été financées
acquérir une autonomie totale dans la gestion de Les enfants de Zigla Koulpélé se rendent à la fête de leur école.
son campement touristique. L’association TDS par les revenus
ambitionne, en effet, de devenir à terme un
simple trait d’union entre les touristes et les
de l’activité
touristique
villages. Pour l’heure, les voyageurs, installés
sous les manguiers, observent les enfants par-
tant à la fête de clôture de l’école maternelle, générée par TDS. Un secteur en plein
leur chaise sur la tête.
CLOTILDE MONTEIRO
(1) Les cultures de mil, de sorgho blanc et d’arachide sont
développement
effectuées à mains nues ou avec l’aide d’ânes pour les familles
les mieux loties.
Le milieu du tourisme équitable se structure
progressivement. Un label certifiant son
engagement éthique est en cours d’élaboration.
«UTILISER LE TOURISME comme facteur de une vingtaine de structures : organisa-
développement. » C’est sur ce principe tions de voyage, ONG, comités d’en-
que Pierre Martin-Gousset a créé, en treprise ou collectivités locales.
1999, Tourisme et développement soli-
daires (TDS). Cette association a été L’Ates est désormais une plate-forme
l’une des premières à conceptualiser la d’échanges qui a pour vocation d’être
notion de tourisme solidaire en lien avec l’association de référence, en France,
une approche de développement local. dans le secteur du tourisme équitable et
Et elle continue d’occuper aujourd’hui solidaire. Elle s’est donné pour mission,
une place originale dans ce paysage. notamment, de soutenir les initiatives
TDS demeure en effet la seule organi- de tourisme communautaire dans les
sation à se positionner à la fois en tant pays du Sud (en Afrique et en Amérique
qu’ONG de développement et asso- du Sud). Elle propose notamment à ses
ciation de voyages équitables. acteurs une aide à la mise en réseau et
Dans les années 1990, TDS et d’autres à la commercialisation.
organisations à la démarche similaire L’Ates planche actuellement sur l’éla-
ont ouvert une voie en se réunissant au boration d’une certification qui per-
sein de l’association, Loisirs, Vacances, mettra à ses membres d’adopter, à terme,
Tourisme (LVT). L’étude d’une certifi- une charte de qualité commune. Ce
cation spécifique s’est imposée et a label permettra d’avancer dans la struc-
conduit TDS et certaines de ces asso- turation de ce secteur d’activité et d’op-
ciations à un rapprochement avec la timiser le potentiel d’adhésion d’un
Plate-forme pour le commerce équitable public plus large. L’étude de clientèle lan-
(PFCE), sur la base d’une charte du tou- cée par l’Unat en 2005, « Le tourisme
risme équitable adoptée par la PFCE. solidaire vu par les voyageurs français »,
Une nouvelle étape a été franchie en estimait en effet le nombre de voya-
2002, lorsque le rôle de ces associations geurs de tourisme solidaire à environ
a été reconnu par l’Union nationale des 3 000 par an. Une goutte d’eau dans
associations de tourisme (Unat), via la l’océan ! Mais les touristes n’ignorent
publication d’un premier guide du tou- plus aujourd’hui les effets néfastes du
risme responsable, soutenu par le minis- tourisme de masse, notamment sur l’en-
tère des Affaires étrangères. L’Unat, vironnement. Cette prise de conscience
LVT et la PFCE ont travaillé ensuite à collective incite un nombre croissant
la mise en place de critères plus sélectifs de personnes à voyager autrement. Ce
découlant de la charte de la PFCE. Une qui laisse également entrevoir de nou-
démarche qui, à l’initiative de l’Unat, a velles perspectives pour le secteur du
donné naissance, en 2006, à l’Associa- tourisme équitable et solidaire.
tion pour un tourisme équitable et soli- C. M.
daire (Ates). Elle représente aujourd’hui Unat et Ates : www.unat.asso.fr
structures locales d’une activité paysanne grâce à l’ac- res sont accueillis toute l’année par
œuvrant pour la
cueil des touristes et des populations le réseau. « Face à une demande gran-
réalisation de projets
d’éducation, de protection en difficultés. La convivialité, l’échange dissante dans ce domaine, notre projet
de l’enfance et pour la et la solidarité sont une préoccupa- global d’accueil social est notre axe prio-
condition des femmes. Les tion quotidienne des adhérents. ritaire de développement », précise Jean-
voyageurs partageront le quotidien des Berbères marocains ou des Créée en Isère en 1987, cette asso- Marie Perrier.
Indiens quechuas. Départs privilégie les déplacements à pied pour ciation est née de la réflexion d’une « Accueil Paysan est un révélateur des dys-
que le visiteur s’imprègne au mieux des territoires traversés et équipe d’agriculteurs et de chercheurs fonctionnements de notre société, note
prenne le temps de la rencontre. grenoblois. « Nous avions constaté que Alain Desjardin, en charge des rela-
l’activité d’accueil de certains petits pro- tions extérieures de la fédération. Des
Croq’Nature s’est donné pour mission de faire découvrir aux ducteurs leur permettait de continuer à populations précarisées sont accueillies
voyageurs des lieux inhabituels et de leur faire partager les réalités exister, sans qu’ils aient à se conformer toute l’année. En Vendée, Hélène Tanguy
de la vie locale, tout en permettant aux habitants du désert ou des au modèle productiviste dominant. Nous héberge en caravane dans sa ferme des
montagnes d’accéder à un véritable développement. Ces voyages avons donc décidé d’élaborer une charte retraités qui n’ont plus les moyens de se
sont conçus sous la forme de randonnées ou de circuits culturels défendant ce mode de vie avec des prin- loger en ville. »
accompagnés, de séjours en bivouac, en immersion ou en liberté au cipes d’accueil », explique Éliane Genève, Le réseau recèle quantité d’autres
Sahara, dans l’Atlas et au Maghreb. Pour Croq’Nature, le tourisme une des fondatrices d’Accueil Pay- initiatives d’intérêt général qui gagnent
au Mali, par exemple, ne se résume pas à la découverte du pays san. à être connues et reconnues… Qu’on
dogon. Il est un des seuls opérateurs à proposer également la se le dise !
découverte du nord de ce pays d’Afrique de l’Ouest, et plus
Depuis, ce réseau n’a cessé d’essaimer CLOTILDE MONTEIRO
particulièrement de la région de Gao. Certes, il n’y a pas de grandes
dunes correspondant à l’image que l’on se fait du Sahara, mais une et compte 800 adhérents en France
et dans une vingtaine de pays (Europe Site : www.accueil-paysan.com
richesse humaine inestimable. Touaregs, Bambaras, Songhaï, Peuls, pour vous procurer le Guide Accueil Paysan, la
Bozos, sont autant d’ethnies qui cohabitent depuis des siècles et occidentale et de l’Est, Afrique et Campagne à bras ouverts (10 euros) ou le Guide
que Croq’Nature a décidé de soutenir, notamment dans les Amérique du Sud). « Nous avons dû International (8,11 euros, frais de port inclus),
domaines de l’éducation et de la santé. malgré tout batailler longtemps, ajoute contacter la Fédération nationale d’Accueil
C. M. Éliane Genève, avant d’obtenir la recon- Paysan : Agathe Ancé et Mélanie Alaitru, Min, 117,
naissance de notre activité par les pou- rue des Alliés, 38030 Grenoble cedex 2,
04 76 43 44 83, agathe.ance@accueil-paysan.com
Ces trois associations sont adhérentes de l’Association pour un tourisme équitable et solidaire voirs publics. » Aujourd’hui, Accueil
(Ates). Contacts : http://laroutedessens.free.fr, www.departs.org, www.croqnature.com Paysan compte parmi les principaux (1) La fête aura lieu à Grenoble le week-end du
acteurs de l’hébergement touristique 1er décembre.
POUR CELLES ET CEUX qui pensent inéluctable au plus profond de ses logiques le fait qu’il concerne la levée des préjugés des acteurs
– ou souhaitent – l’avènement de régimes est seul habilité à décider ce qui constitue de la société civile sur le monde de la re-
plus autoritaires qu’ils ne le sont déjà (éco- une recherche légitime, sérieuse, attendue cherche. Démythifier les sciences est salu-
autoritarisme, servitude volontaire) (1), ces et nécessaire. Quand l’État finance la taire pour notre démocratie. Cette religion
quelques lignes sont superflues. Car l’ex- recherche (comme ce fut majoritairement moderne de la Science est dangereuse quand
périence dont il sera question se fonde sur le cas après-guerre), les programmes scien- elle tourne sur elle-même, qui plus est si
des hypothèses – mais aussi des observa- tifiques relèvent avant tout de décisions près du pouvoir, et elle se comporte souvent
tions – qui, à notre avis, sont porteuses politiques, et l’autonomie du monde de la comme un nouveau clergé. Mais on ne
DR
d’innovations démocratiques et scienti- recherche ne demeure qu’un leurre, un part pas de rien sur ce registre. De nom-
Lionel Larqué fiques de premier plan. Il s’agit de recherches- mythe identitaire sur lequel les scientifiques breuses ONG ont déjà su développer leur
et Jacques actions, ou recherches participatives, alliant ont puisé l’énergie et la motivation pour propre expertise, parfois sur des sujets extrê-
des scientifiques (académiques et/ou indé- leur métier. À cette fin, bousculer le Lan- mement pointus : traités internationaux,
Testart, pendants) et des acteurs de la société civile. derneau techno-scientifique est salutaire agronomie, santé environnementale, etc.
administrateur Vous nous direz : cela n’a rien de révolu- et permet, dans les faits, de générer des L’enjeu est bien d’agrandir le cercle des
tionnaire, cela se fait déjà depuis quelques coopérations entre acteurs sociaux de na- organisations intermédiaires susceptibles
et président lustres dans de nombreux pays (2). Et vous tures différentes, mais aussi de lever les pré- de produire du savoir utile à la commu-
de la Fondation aurez raison. Mais, curieusement, il aura jugés sur la société « immature scientifi- nauté. La reconnaissance de recherches
fallu attendre 2005 pour qu’une autorité quement », profane, et donc inculte. non institutionnelles s’intègre dans une
sciences locale française, en l’occurrence le conseil Un deuxième enjeu est corporatiste. Il vise vision vivante de la démocratie, telle que
régional d’Île-de-France, sur forte inspira- à informer les scientifiques sur la réalité Pierre Rosanvallon la décrit dans son der-
citoyennes, tion de la Fondation sciences citoyennes, des acteurs sociaux, et à stimuler leurs nier ouvrage (3). Contrôle, vigilance voire
défendent institutionnalise le concept de Partenariats motivations et le potentiel inexploré de défiance sont constitutifs du sentiment
institutions-citoyens pour la recherche- leurs intelligences collectives pour qu’ils démocratique moderne. La prolifération
l’idée de innovation (Picri). prennent conscience que la société n’est d’observatoires indépendants et d’indicateurs
« recherches pas l’ennemie du savoir scientifique mais alternatifs joue le jeu d’une dialectique de
De quoi s’agit-il ? De permettre à des orga- constitue un espace de critique autonome conflit pacifié mais sérieux, qui place la
participatives », nisations intermédiaires (syndicats, asso- et salutaire. Car, à craindre les frictions, raison, l’argument et le débat contradic-
ciations, ONG, coopératives…) de propo- les scientifiques persisteront à privilégier l’É- toire au cœur du débat public. Au cœur
incluant des ser, de piloter et/ou de participer à des tat et le Marché, et occulteront les enjeux de la démocratie. Promouvoir des recher-
scientifiques et recherches qui interpellent leur objet social, sociétaux de leurs travaux. Ils ne man- ches alternatives revient à assumer com-
en partenariat avec des laboratoires scien- queront pas, de facto, de nourrir des res- plètement un régime démocratique.
des membres tifiques. Le conseil régional soumet donc sentiments et des défiances, qui consti-
de la société annuellement, depuis février 2006, un appel tueront, à n’en pas douter, le pire des avenirs. Enfin, politiquement, il s’agit de promouvoir
d’offres auquel toutes ces organisations Réciproquement, un troisième enjeu une autre société de la connaissance. Avec
civile. sont éligibles. Des dizaines de projets ont des milliers de docteurs diplômés
été soumis, et certains sélectionnés, dans la sur le carreau, dont l’« employa-
limite des lignes budgétaires (1,2 million bilité » dans les secteurs indus-
d’euros sur trois ans). Le succès est indé- triels est faible, il est de la respon-
niable, même s’il est trop tôt pour tirer des sabilité des acteurs de la société
bilans au vu de la durée moyenne des tra- civile comme des pouvoirs publics
vaux de recherche (trois ans). d’ouvrir de nouveaux espaces éco-
Quoi qu’il en soit, les enjeux sont de taille, nomiques de recherche, plus pro-
et l’intérêt des recherches participatives ches des préoccupations des habi-
est multiple. Celles-ci visent d’abord à élar- tants. On pourrait imaginer un
gir le spectre des recherches légitimes au fort développement des Boutiques
sein de la communauté scientifique. Pour des sciences, ces structures qui
un chercheur professionnel, décider de permettent localement d’utiliser
participer à des recherches solides en coopé- un potentiel scientifique et tech-
ration avec des ONG mouvementistes nologique pour répondre à des
plombe singulièrement les opportunités questions posées par la société.
d’évolution de carrière de l’intrépide. Mais de telles initiatives avaient été
Contrairement à une idée reçue (mais l’est- tuées dans l’œuf au début des
elle encore aujourd’hui ?), le monde scien- années 1980 (ministère Chevè-
CLATOT/AFP
tifique n’est pas plus ouvert ni collective- nement), alors qu’elles fleurissent
ment intelligent que n’importe quelle autre ailleurs en Europe, notamment
corporation qui se respecte, et il a théorisé Tout travail de recherche comporte des enjeux sociétaux. aux Pays-Bas.
Un commerce
très fair-play
L’association Fairplaylist veut élaborer un statut garantissant
aux artistes un juste revenu de leur travail, en s’inspirant des critères
L’
du commerce équitable.
objet est insolite. Cette compilation titrée notions de dialogue, de transparence, de respect notamment, une distribution dans le réseau
le Son de Ménilmontant (1) ressemble à un et de solidarité des opérateurs économiques tout du commerce indépendant (2). Les bou-
livre découpé en forme de main. En car- au long d’une filière, garantit à tous les acteurs des tiques acceptent, en contrepartie, de pas-
ton recyclé, elle regroupe sur un CD une revenus justes de leur travail », peut-on lire ser des commandes fermes, fût-ce en petite
quinzaine d’artistes, musiciens et chan- dans le Cahier des charges pour une filière quantité. Cette idée de préfinancement est
teurs, vivant tous dans le quartier de musicale, équitable et solidaire. « Avec cette un des critères de progrès qui prévaut dans
Ménilmontant, à Paris. Trois mots sont charte, on s’efforce de créer un modèle économique le commerce équitable. La transparence
inscrits sur la couverture : « musique », qui permette d’alléger les charges du distribu- totale des gains obtenus par tous les inter-
«équité» et «écologie». Autre particularité teur et du diffuseur, et de faire en sorte que l’ar- venants à tous les stades de la chaîne rompt
de ce disque, produit par Fairplaylist : à tiste et le producteur perçoivent sans délais la part là aussi avec l’opacité habituellement de
l’intérieur du livret, nulle parole de chan- financière qui leur revient », précise Gilles mise chez les distributeurs.
son ne figure, mais l’explication du projet Mordant. L’autonomie contractuelle de l’artiste,
qui a permis à cet album de voir le jour. Un modèle qui prend en charge la fabri- un CD masterisé à l’électricité verte
La première phrase du fascicule donne le cation du disque et l’avance des droits d’au- d’Énercoop sont d’autres critères de pro-
la : « Le but de l’association Fairplaylist est de teur : « Sur mille copies d’un disque produit, grès présents dans la charte élaborée par
favoriser la diversité culturelle et d’ouvrir de mille euros de droits doivent être versés à la société Fairplaylist.
nouveaux horizons plus équitables et plus éco- des droits d’auteur, ajoute Gilles Mordant ; Le résultat est probant. Cette compila-
logiques dans l’industrie de la musique. Afin de même si cette somme revient à terme à l’artiste tion est bien « le reflet d’une diversité , d’une
permettre que l’émergence d’une autre économie et à l’éditeur, sans major derrière lui, l’artiste inventivité, de la recherche d’une écriture non
de la musique offre aux artistes l’opportunité de doit s’en acquitter rubis sur l’ongle. La major, formatée, avec un parfum typiquement pari-
vivre de leur art. » quant à elle, dispose de trois mois de délais pour sien », comme la décrit, Gilles Mordant.
payer… » En outre, un tel système prévoit À écouter et à faire écouter sans modé-
Fairplaylist est une association créée il y a de payer l’artiste dès que le premier disque ration, donc.
trois ans, qui ne saurait tarder à devenir un est vendu. Dans les majors, il faut attendre CLOTILDE MONTEIRO
label. Cette compilation est son premier six mois !
opus. Pour les initiateurs de ce projet, la (1) Le Son de Ménilmontant, Quartier de Paris,
domination par quelques majors de la Condition sine qua non pour parvenir à la via- Fairplaylist, avec Juicy Panic, Mami Chan Band,
filière musicale n’est pas une fatalité. Ils bilité d’un tel modèle : tous les acteurs de Fantazio, les Chevals, Boum !, Freebidou, Surnatural
Orchestra, Scott Taylor et l’atelier Grandélire, A & E,
s’emploient donc à résister à la tendance la filière (de la création à la commerciali- 18 euros, www.fairplaylist.org.
actuelle qui fait prévaloir la logique éco- sation de l’œuvre musicale) se doivent (2) En vente dans les réseaux Artisans du monde,
nomique au détriment de la logique artis- d’adhérer à la charte. Celle-ci prévoit Minga, Biocoop, la Vie claire.
tique, afin de lutter contre la réduction de
la diversité des expressions culturelles et
la précarisation des artistes.
« Dans le commerce de la musique, il n’y a plus
de place pour les petits tirages de cinq cents,
mille ou mille cinq cents exemplaires », obs-
erve Gilles Mordant, un des initiateurs de
ce projet, guitariste et chanteur du groupe
Boum !, figurant sur cette compilation.
merce équitable. Celui-ci, « fondé sur les Les Chevals ont participé à l’album « le Son de Ménilmontant », produit par Fairplaylist.
TRIBUNE
être équitable!
QUELQUE CHOSE SONNE SOUDAIN JUSTE dans grands groupes, les majors. Universal importants fabricants d’équipement électro-
DR
le monde de la musique… En mai, le quar- Music, Sony BMG, EMI et Warner Music nique au monde. Face à ces firmes, les
À l’instar des tier parisien de Ménilmontant s’est pro- contrôlent à elles seules plus de 90% du mar- labels indépendants semblent bien dému-
paysans ou des clamé pendant trois jours « capitale de la ché français. Ces compagnies n’ont rien à nis. Rares sont ceux qui peuvent enchérir
musique équitable et écologique » et a accueilli envier aux géants de la production de café dans la débauche actuelle d’investisse-
artisans, des dans plusieurs salles de concert des musi- ou de vêtements : elles enregistrent des ments publicitaires, qui voit les majors
acteurs du ciens réunis autour de la première com- chiffres d’affaires annuels qui feraient pâlir consacrer quatre fois plus de moyens à la
pilation de l’association Fairplaylist (voir d’envie bon nombre de pays pauvres (1). promotion qu’à la production. Difficile,
monde musical page précédente). En 2005, le festival Les majors ont des bureaux dans tous les dans ces conditions, pour un disque de
se mobilisent Musiques vivantes de Ris-Orangis avait pays de la planète où le marché du disque qualité, de sortir du lot des 200 000 réfé-
déjà adopté le thème de la « musique équi- est suffisamment structuré pour leur assu- rences disponibles.
pour définir un table ». Faute de subventions et d’un accord rer des profits importants. Loin de se
avec une mairie, ce festival, qui en était à contenter de produire des disques, elles Concentrée au niveau de la production, l’éco-
commerce plus sa trentième édition, a depuis disparu. ont développé une gamme complète d’ac- nomie de la musique l’est tout autant au
juste de leur Cela n’empêche pas les initiatives de se tivités, qui va du pressage à la distribu- niveau de sa commercialisation. Aujour-
multiplier. Désert Rebel réunit des musi- tion en passant par la production et d’hui, en France, les grandes surfaces ali-
art. Des ciens touaregs et des rockers français dans l’édition. Enfin, leur actionnariat les lie à mentaires totalisent 60 % des ventes de
expériences un projet qui devrait bénéficier aux popu- de vastes groupes financiers. BMG est disques. Loin d’être récent, ce phénomène
lations du Niger. Dyade Art et Dévelop- ainsi une émanation de Bertelsmann, le s’est renforcé avec les vagues de concen-
existent déjà. pement fait tourner en France une for- géant allemand de la presse et de la vente tration qui ont touché la grande distribu-
Les explications mation traditionnelle du Maroc et publie par correspondance. Sony, qui s’est récem- tion au cours des années 1980. L’avan-
des disques dont, une fois les coûts de ment associé à BMG, est l’un des plus tage des centrales d’achat de ces
de Charlotte fabrication et de commercialisation amor- hypermarchés, c’est qu’elles permettent
tis, 60 % des recettes iront à un fonds de de faire du chiffre sans sillonner la France…
Dudignac et développement solidaire. Reshape Music et donc de supprimer de nombreux postes
François met à profit la simplicité d’accès qu’offre de commerciaux. La grande distribution
Internet pour proposer de découvrir de alimentaire préfère elle aussi n’avoir qu’un
Mauger*. nouvelles œuvres dans des conditions seul interlocuteur. Les labels indépendants
avantageuses pour les artistes. sont donc invités à se faire distribuer par
Toutes ces associations ont pour ambi- les majors. Ces dernières y trouvent leur
tion d’appliquer les concepts du commerce compte et n’hésitent pas à facturer la dis-
équitable au champ musical. Et pour cause: tribution d’un CD jusqu’à 40 % du prix
même s’il est aujourd’hui facile d’en obte- de gros hors taxe. Distribuer des produc-
nir gratuitement, la musique ne se situe teurs concurrents leur permet également
pas en dehors de la sphère économique. Elle de les contrôler. Il reste en France quelques
connaît les mêmes phénomènes d’inter- distributeurs indépendants, mais ils ne
nationalisation, de concentration et de réalisent que 7 % des ventes de disques.
standardisation que la plupart des biens et Les grandes surfaces spécialisées dans la
services que nous consommons chaque vente de produits culturels, telles que la
jour. Peu de musiciens vivent dignement Fnac et Virgin, vendent quant à elles un
de leur art. Seule une poignée veut fuir la disque sur cinq en France. Attachées à
France pour ne pas payer l’impôt sur la leur image d’agitateurs culturels, ces ensei-
fortune ! Les autres, la majorité, ont d’autres gnes ont plus de scrupules à imposer à
problèmes : ils gagnent à peine plus que le leurs fournisseurs les « marges arrière »
Smic, vivent dans une grande précarité et que l’économiste Christian Jacquiau décrit
contrôlent rarement leur avenir… dans les Coulisses de la grande distribution
DANIAU/AFP
Les salles de concert n’ont pas connu sem- Le groupe Freebidou participe à l’aventure Fairplaylist, qui prône une juste rétribution des artistes.
blable sort. Au contraire, depuis les années
1970, il s’en crée de nouvelles chaque des rares événements qui obligent une devenu gênant. Les ondes des radios
année. Mieux : le secteur de la musique chaîne hertzienne à consacrer une soirée abreuvent nos oreilles de « prêt-à-danser »,
La musique
vivante affiche une santé insolente, avec des entière à la musique. Mais il ne s’agira et le gouvernement s’entoure, comme aux équitable
recettes globales en constante augmenta- alors que de la consécration d’une noto- temps de l’ORTF, d’icônes d’un autre âge.
tion. Il serait pourtant exagéré de parler riété acquise ailleurs. Or, la musique équitable, à travers une permettra
d’un âge d’or. Les salles viennent, coup Le solide système économique et média- répartition plus juste de la valeur ajoutée,
sur coup, de passer deux caps difficiles, tique qui s’était construit autour du disque peut contribuer à redonner de la valeur à la d’informer
et les petites structures n’en sortent pas semble pourtant sur le point de s’écrou- musique. Elle permettra d’informer les les mélomanes
indemnes. La fin du dispositif emploi- ler. En quatre ans à peine, de 2002 à 2006, mélomanes des phénomènes économiques
jeune, décidée en 2002, grève leurs budgets: les ventes de disques ont chuté de 40%. Les et sociaux qu’ils déclenchent par leur écoute, des phénomènes
un grand nombre d’emplois en dépen- conséquences ne se sont pas fait attendre. de sensibiliser les musiciens à la nécessité
daient. Parallèlement, la crise de l’inter- La disparition des petits disquaires s’est de s’organiser collectivement pour défendre économiques
mittence fragilise tout le secteur. accélérée, des labels ont mis la clé sous la
porte, d’autres, plus importants, ont licen-
leurs droits. Pour y parvenir, ses promo-
teurs devront, comme l’ont fait les organi-
et sociaux qu’ils
Les médias ne parviennent pas à compenser cié massivement. À la recherche d’un bouc sations de commerce équitable au niveau déclenchent par
ce déséquilibre. Bien au contraire, ils l’am- émissaire, l’industrie de la musique pointe international, s’accorder au préalable sur une
plifient. Le matraquage des titres du du doigt la révolution numérique et l’ab- définition commune de la musique équi- leur écoute,
moment sur les radios destinées aux jeunes
– jusqu’à dix fois par jour – est tout aussi
sence de scrupules des internautes qui télé-
chargent gratuitement. Mais, au-delà de
table. Prix juste, filière courte, transpa-
rence, etc. il leur faudra adapter chaque
et de sensibiliser
fatal à la diversité musicale que la concen- l’économie, la crise que traverse la musique concept aux spécificités de la musique. les musiciens à la
tration de la production musicale entre semble surtout provenir d’une perte de Ce temps de réflexion et de dialogue est
les mains de quelques majors et la concen- son sens et de sa valeur. capital. Il constituera à l’avenir la seule nécessité de
tration des ventes de disque au sein de
quelques chaînes de magasins. En 2005, Le commerce équitable a plus de cinquante
source de légitimité des acteurs de la musique
équitable. La précision de leur définition
s’organiser
plus de 60 000 titres ont été diffusés par les ans et s’est développé autour de produits permettra d’éviter les soupçons de détour- collectivement
radios françaises, mais la moitié n’ont été alimentaires et artisanaux. Encore très nement d’un concept que l’on sait grati-
diffusés qu’une ou deux fois. À l’opposé, marginal en termes de volume des fiant. Pour la suite, il sera nécessaire qu’ils pour défendre
les 2 000 chansons les plus jouées repré- échanges, il a cependant remporté une fassent preuve d’imagination (les modes leurs droits.
sentaient les trois quarts des diffusions. victoire symbolique évidente. Le com- de production, de distribution et de pro-
Par ailleurs, sur cinq nouveautés pro- merce équitable s’exporte bien, y compris motion sont à réinventer) et de persuasion
grammées, quatre avaient été produites auprès de ceux qu’il est censé combattre, (pour rassembler les professionnels de la
par des majors. comme les industries agroalimentaires ou musique et convaincre les pouvoirs publics).
En préférant le clip aux émissions de la grande distribution. Mais, aujourd’hui, Enfin, ils devront assumer de ne pas être que
variété, puis les émissions de télé-réalité des femmes et des hommes s’interrogent des artistes ou des commerçants, mais éga-
musicale aux plages de clips, la télévision sur leurs pratiques, réalisent qu’ils font du lement une composante des mouvements
a elle aussi considérablement réduit l’espace commerce équitable sans le savoir, déve- sociaux à venir.
qu’elle consacre à la musique. Quelle place loppent des filières au Nord, se rassem- C. D. ET F. M.
reste-t-il sur le petit écran aux chanteurs qui blent autour de producteurs pour main-
ne figurent au générique ni de la «Nouvelle tenir une agriculture paysanne. (1) Le chiffre d’affaires en 2004 d’Universal Music est
de plus de huit milliards de dollars, une somme
Star » ni de « Star Academy » ? Ils peuvent De telles initiatives émergent actuellement supérieure au PIB du Burkina Faso.
espérer un passage dans l’une des der- dans le monde de la musique et participent
nières émissions culturelles du service à ce mouvement diffus de démocratisation * Charlotte Dudignac est responsable de la
public, mais il sera nécessairement tardif. de l’économie, qui se met au service de communication externe de la fédération Artisans du
Les plus chanceux feront l’objet d’un repor- l’homme. En apparence, rien n’a changé. Monde depuis quatre ans. François Mauger est
producteur de disques depuis dix ans. Ils sont les
tage d’une minute en fin de journal télé- Dans les supermarchés, les salles d’attente, auteurs du livre Jouer juste : pistes pour une
visé. Un tout petit nombre, enfin, sera nos téléphones portables et nos chaumières, musique équitable, à paraître en 2008 aux éditions de
nominé aux Victoires de la musique, l’un la musique est omniprésente et le silence est l’Échappée. En savoir plus sur www.jouerjuste.org