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NOTES SUR UNE ADAPTATION-TRADUCTION

HONGROISE DU JARDIN DES SUPPLICES

Grâce à l’investigation de l’infatigable Pierre Michel, on a réussi à retrouver une


adaptation-traduction hongroise assez récente du Jardin des supplices (Kínok kertje, adapté
par Zoltán Kőrösi, Budapest, Pán, 1990). Ce n’est que par ce seul livre que, pour l’instant,
Octave Mirbeau est présent sur le marché littéraire hongrois, une traduction qui est en fait une
adaptation assez libre du roman. Par une lecture comparée du roman et de l’adaptation, on
peut tirer au clair des déformations que l’on peut considérer comme monstrueuses et qui sont,
bien évidemment, ignorées par le lecteur hongrois ne connaissant pas le français.
Il faut tout d’abord insister sur la date de la parution. Ceux qui connaissent l’histoire
récente de la Hongrie savent que 1990 marque le changement du régime. Ce changement s’est
manifesté rapidement dans plusieurs secteurs, y compris l’édition des journaux, des revues et
des livres. Dès la fin des années 80, les éditeurs ont pu publier des œuvres jusqu’alors
interdites (par exemple Sade a fait son entrée sur la scène hongroise en 1989 avec la
traduction de la première version de Justine et de La Philosophie dans le boudoir). Il est dès
lors “naturel” que des séries pornographiques aient commencé à pulluler tout de suite.
Il en découle que, parmi les romans de Mirbeau, seul le Jardin des supplices a pu
éveiller l’attention des éditeurs de l’époque, avides de scandale et d’argent (notre éditeur, Pán
ne semble plus exister). Donc, le choix de ce roman n’est pas du tout étonnant, mais les
changements infligés au texte le sont à plusieurs égards. (d’ailleurs, le prière d’insérer se
réfère à des éditions hongroises antérieures qui datent du début du siècle, et met l’accent sur
le scandale que la parution du roman a provoqué autrefois).
Déjà la couverture essaie d’éveiller la curiosité, voire la sensualité du lecteur : sur la
photo on voit deux femmes nues (l’une, plus visible, de derrière) qui se regardent et qui sont
séparées par un treillis (?). La photo est complétée par des dessins : une mouche, renvoyant
probablement à la décomposition, au supplice (?), à une tache de sang (pour suggérer la même
chose ?), la typographie des lettres évoque l’époque de la parution du roman de Mirbeau.
La traduction conserve l’épigraphe, mais ensuite c’est toute la structure du roman qui
se trouve bouleversée. L’adaptateur a supprimé la division en parties. Ce qui est surprenant,
c’est qu’il a conservé le titre En mission qui fonctionne ainsi comme le titre des deux
paragraphes précédant le premier chapitre de la première partie. Ensuite, on ne trouve aucun
titre de partie, donc le lecteur hongrois ne peut pas savoir que le titre du roman fonctionne
également comme le titre d’une des parties. Mais ce qui est le plus monstrueux, c’est que
l’adaptateur a supprimé le Frontispice entier, donc le cadre, le premier niveau narratif, ce qui
rend manifeste son dessein : aucune divagation, seulement l’histoire pure. Mais, s’il n’y pas
de parties, la question de la suture se pose : comment établir la transition entre les deux parties
(on sait qu’il y a un hiatus de plus de deux ans entre eux) ? Cette fois, le traducteur-adaptateur
talentueux choisit une autre solution : il complète le texte de Mirbeau ! C’est ce qu’on lit au
début du chapitre 8 (qui serait le chapitre 1 de la 2 e partie) : « Des semaines, des mois se
passèrent. On visita les villes de la Chine, j’en vis de plus en plus. Clara me montra ce pays
mystérieux comme s’il était vraiment le sien » (53). Le hiatus est ainsi comblé.
Concernant d’autres aspects de la structure, on constate également la suppression
complète du premier chapitre de la première partie, où il est question d’élections législatives,
c’est-à-dire de beaucoup d’allusions aux événements contemporains. Le traducteur hongrois
ne respecte pas non plus les paragraphes, brise leur unité, et omet les points de suspension si
caractéristiques de l’écriture de Mirbeau.
Il est tout à fait inutile de passer en revue les suppressions, tellement elles sont
nombreuses. Juste quelques exemples caractéristiques. Comme on peut s’y attendre, le
traducteur supprime des références politiques, culturelles, scientifiques : aucune mention de
Gambetta, Thiers, Darwin, Haeckel, Vogt, Berthelot, ni du musée Grévin. Plus surprenant
peut-être, le gommage des références littéraires : les allusions à Poe, de Quincey,
Montesquiou sont supprimées, y compris même les allusions à Tartuffe et Shylock (!). On ne
connaît pas non plus le nom du bateau.
Il y a quelques passages et mots-clés du récit mirbellien qui sont également victimes
de suppression. Ainsi ce passage disparaît complètement : « Avec des qualités pratiques de
premier ordre, un sens très aigu de la vie, une audace à concevoir même l’impossible, une
promptitude exceptionnelle même à le réaliser, je n’ai pas la ténacité nécessaire à l’homme
d’action. Peut-être, sous le gredin que je suis, y a-t-il un poète dévoyé ?… Peut-être un
mystificateur qui s’amuse à se mystifier soi-même ? » (p. 191 de l’édition de Pierre Michel).
De même est éliminé un passage, au début du chapitre 6 de la première partie, qui relève de la
description poétique, et avec lui la nature est éliminée (pp. 214-215). À la page 235,
l’expression « aventures libertines » disparaît, de même que toutes les occurrences des
allusions à Edgar Poe, « le démon de la perversité ». De la description du bourreau chinois il
manque, entre autres choses, cette partie : « Et c’était une grimace – une multitude de
grimaces qui donnait à son visage une expression de cruauté comique et macabre » (p. 286).
Ces exemples suffisent à prouver que l’adaptation hongroise gomme tous les éléments
du récit (les références) qui pourraient perturber un lecteur seulement désireux lire une
histoire “intéressante”, tout comme les particularités de l’écriture mirbellienne. Ce qui reste,
c’est l’aventure du narrateur avec Clara en Chine (sans aucune signe de médiation, étant
donné que le Frontispice et les références sur l’écriture disparaissent), avec les descriptions
des tortures au centre. Mais ce n’est pas tout. Les changements concernent également le
dénouement du roman. À la fin du récit de Mirbeau, il y des allusions à l’éternel
recommencement et on lit ces phrases finales : « Ah ! si plus jamais, plus jamais, elle ne
pouvait se réveiller !… / - Clara !… Clara !… Clara !… » (p. 336) Tandis que , dans la
traduction, on lit les mots suivants : « Ah ! si plus jamais, plus jamais, elle ne pouvait se
réveiller !… - pensai-je. / Et mon désir fut entendu. Clara ne se réveilla plus jamais… » Voilà
l’ultime (et impardonnable) déformation.
Donc, notre Mirbeau n’a pas eu beaucoup de succès avec les nouveaux éditeurs
hongrois, on peut même regretter l’existence de ce petit livre qui propose aux lecteurs
hongrois un Jardin des supplices pour ainsi dire “châtré”. Nous souhaitons vivement qu’une
traduction hongroise de La 628-E8 en 2007 puisse offrir à Mirbeau une nouvelle chance en
Hongrie.
Sándor KÀLAI
Université de Debrecen (Hongrie)

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