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28 février 2009
C'était tout juste hier, et c'est comme si on l'avait oublié. Avant l'arrivée de Jacques Chirac à l'Elysée, les présidents
de la République n'avaient pas pour habitude d'inaugurer le Salon de l'agriculture qui ferme ses portes dimanche
1er mars. Aujourd'hui, leur présence, le samedi de l'ouverture, semble devenue une évidence, ou plutôt un
passage obligé.
Pour la deuxième fois depuis son élection, Nicolas Sarkozy a inauguré, samedi 21 février, le Salon de l'agriculture,
sans grand enthousiasme, entouré de gardes du corps, de journalistes et de militants de l'UMP qui faisaient la
claque. Un épisode où l'occasion d'un vrai dialogue avec les agriculteurs n'a pas été saisie, à un moment où M.
Sarkozy avait plus à faire avec la crise aux Antilles qu'avec l'avenir de l'agriculture. Il semblait aussi être ailleurs,
lors de sa visite dans une exploitation agricole modèle, le 19 février dans le Maine‐et‐Loire, suivie d'un discours et
d'un retour rapide à Paris.
En 2008, son rendez‐vous avec les agriculteurs pour leur grand‐messe n'avait pas été plus réussi. De son passage
était resté le désormais célèbre " Casse‐toi pauvre con ", preuve de la difficulté du président à parcourir les allées
du Salon. Même son discours ‐ une première, car M. Chirac se contentait de déguster, de serrer des mains et de
flatter les vaches ‐, organisé dans le grand ring des concours agricoles où seuls les officiels étaient invités, avait
laissé tout le monde perplexe.
M. Sarkozy doit‐il, ou plutôt pourrait‐il s'affranchir de cette figure imposée ? Pas vraiment, car les agriculteurs
tiennent plus que tout à sa présence. A la limite, ils auraient pardonné à M. Chirac de faire l'impasse, car ils étaient
assurés de son soutien et de son attachement ‐ l'ancien président continue à venir au Salon et à y remporter un
franc succès. Il n'en irait pas de même pour M. Sarkozy, président sans racines rurales. " C'est évident que les
exposants attendent sa visite, c'est une question de reconnaissance du travail du monde agricole ", explique Jean‐
Luc Poulain, le président de la manifestation.
" Le Salon est une institution, il est impératif que le chef de l'Etat l'habite, qu'il souscrive un contrat de confiance
avec le monde agricole ", estime Olivier Ihl, professeur de sciences politiques et auteur du Mérite de la République
(Gallimard, 2007). Mais il observe cependant " un rituel, de plus en plus théâtralisé, qui tourne sur lui‐même ", et
semble " vide de sens ".
Le Salon est d'abord une grande opération de promotion, avec reprises télévisées et plus de 600 000 visiteurs
chaque année. Un " moment de communication entre le monde agricole et le monde urbain ", résume Luc Guyau,
le président des chambres d'agriculture. Sans le président de la République, estime‐t‐il, l'impact en serait réduit.
Mais les agriculteurs devraient s'interroger sur les effets d'un tel cérémonial, qui tourne parfois à la caricature. On
peut en effet se demander si en cherchant à ce que M. Sarkozy incarne ce lien entre la France et le monde agricole,
si en se réjouissant de voir les politiques se succéder dans les allées, ils ne se trompent pas de combat. S'ils ne
confondent pas reconnaissance des politiques et réconciliation avec la société.
" Je leur dis souvent : "Pendant dix ans vous avez eu le téléphone personnel de Jacques Chirac, et vous avez cru
que cela remplaçait la relation avec la France et les Français" ", explique le sociologue Jean Viard. Car
effectivement, entre la société et eux, le fossé est parfois grand, et les agriculteurs disent régulièrement souffrir
d'une image de pollueurs ou d'assistés. Interrogés, ils se disent mal aimés et incompris.
Alors que, par eux‐mêmes ou sous la contrainte réglementaire, ils ont fait évoluer leurs pratiques, la société reste
aveugle à leurs efforts. Selon un sondage paru dans Ouest‐France, le 22 février, 78 % des Français estiment que les
consommateurs peuvent faire confiance aux agriculteurs pour la qualité de l'alimentation, mais ce chiffre a reculé
de 3 points par rapport à 2006. Et ils sont seulement 54 % à estimer que les agriculteurs sont respectueux de
l'environnement, un score en recul de 7 points. Alors que le développement durable préoccupe de plus en plus la
société, la balle est dans le camp des agriculteurs, mais ils peinent à la saisir. Ils représentent un " groupe social‐
solution ", mais passent encore pour un " groupe social‐problème ", analyse Jean Viard.
Or, aujourd'hui, le monde politique ne semble pas à même de résoudre ce problème. Et surtout pas le chef de
l'Etat. Même si, dans son discours, M. Sarkozy a évoqué l'agriculture durable, c'est sur la performance économique
qu'il a insisté. Certes, il joue son rôle en flattant les agriculteurs, en les rassurant, mais avec ses références au
travail, au courage, au succès à l'exportation d'un secteur stratégique pour la France, surtout en temps de crise, il
force le trait et les distingue encore plus de leurs concitoyens. Il joue sur ce qui le rapproche, lui, des agriculteurs,
mais non sur ce qui les rapproche, eux, de la société.
Pour sortir de leur isolement et vaincre le malaise, les agriculteurs devraient miser sur un dialogue approfondi avec
les écologistes et les associations de consommateurs, et le faire savoir. Cela ne les priverait pas de recevoir le
président à leur Salon, mais sans en attendre autant.
Analyse
Laetitia Clavreul