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Le dialogue interrompu : Fondane, Lupasco et Cioran

1. Introduction

Fondane a connu et fréquenté la plupart de grands Roumains de Paris, de Brancusi à 

Eliade. La Roumanie était, certes, leur lien matriciel. Parmi les nombreux amis et connaissances 

de   Fondane,   Lupasco   et   Cioran   étaient   ses   proches   amis.   La   philosophie   était   leur   passion 

commune. Mais, comme nous le verrons par la suite, il y avait entre eux un lien encore plus 

puissant, plongé dans les profondeurs de l’inconscient.

Fondane était de deux ans l'aîné de Lupasco. Peu de temps après la publication, en 1935, 

de   la   thèse   de   Doctorat   d'État   ès­Lettres   de   Stéphane   Lupasco  Du   devenir   logique   et   de  

l'affectivité  [1], méditation approfondie sur le caractère contradictoire de l'espace et du temps 

révélé par la théorie de la relativité restreinte d'Einstein, Fondane veut faire sa connaissance. 

Ainsi commence une des amitiés intellectuelles et spirituelles les plus exemplaires de ce siècle. 

Leur amitié, courte par la décision du destin mais d'une grande intensité, couvre tous les aspects 

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de la vie et elle se prolonge dans la mort et même au delà de la mort. La passion de leur vie était 

la compréhension de l'être, au­delà des aléas du temps et de l'histoire. 

Cioran a connu Fondane bien plus tard, grâce à Lupasco, et s’il a désiré le rencontrer 

c’était plutôt pour l’interroger sur Chestov, référence majeure des intellectuels roumains de la 

période d’entre les deux guerres mondiales.

L'amitié entre Lupasco, Cioran et Fondane a laissé de traces écrites durables. 

Ainsi Fondane publie en 1943 une étude intitulée "D’Empédocle à Stéphane Lupasco ou 

"la solitude du logique"" [3] sur le deuxième livre de Lupasco L'expérience microphysique et la  

pensée   humaine  [4].   Dans   cet   ouvrage,   paru   en   1941,   Lupasco   assimile   et   généralise 

l'enseignement   de   la   nouvelle   physique   ­   la   physique   quantique   ­   dans   une   véritable   vision 

quantique du monde. Il s’agissait d’un acte de courage intellectuel et moral dont l’importance n’a 

pas échappé au regard attentif de Fondane, dans un monde fortement dominé par le réalisme 

classique.

En 1947 Lupasco publie un émouvant témoignage sur Fondane dans "Cahiers du Sud". 

Avec grande discrétion Lupasco évoque leur dernière entrevue : "Il y a trois ans, en mars 1944, 

dans une petite pièce de la préfecture de Police à Paris, à l'odeur dense et caractéristique, devant 

l'oeil morne de jeunes agents désoeuvrés sur leurs banc, je voyais Fondane pour la dernière fois. 

Avec sa soeur, arrêtée la veille en même temps que lui [...] il consolait une petite jeune fille, qu'un 

car de gardes mobiles avait cueillie au sortir d'un lycée, pour l'envoyer à Drancy, et qui pleurait 

atrocement. Je le vois debout, sous le jour sale de cet après­midi de fin d'hiver, me regardant de 

ses clairs yeux bleus, aux multiples lueurs, jaillissant de son masque ravagé, si digne, si calme, 

avec ce sourire affectueux et narquois, indicible, devant mon émotion, que je contenais mal" [5]. 

Maintenant   l'épisode   est   connu.   Jean   Paulhan   prévient   Lupasco   et   Cioran   de   l'arrestation   de 

Fondane,   pourtant   de   nationalité   française,   et   de   sa   sœur,   qui   était   de   nationalité   roumaine. 

Lupasco et Cioran obtiennent la libération de Fondane, mais Fondane refuse de quitter le camp de 

Drancy sans sa soeur [6]. Il meurt gazé à Birkenau. Il est étrange que, seulement quelques jours 

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avant son arrestation, Fondane demande à Lupasco de lui faire rencontrer Robert Lacoste, un des 

principaux chefs de la Résistance. Nous ne savons pratiquement rien de la teneur de la discussion 

qui a eu lieu dans l’appartement de Lupasco, en présence d’un autre résistant, Robert Monod. Le 

témoignage discret de Lupasco laisse entendre qu’il a été plutôt question de la philosophie de la 

politique que de la politique elle­même.

Cioran   nous   a   laissé,   lui   aussi,   un   beau   témoignage   sur   Fondane   dans   ses  Exercices  

d’admiration [7].

Fondane laissa à sa mort un bon nombre de manuscrits. Dans une longue lettre du 5 juillet 

1946   adressée   à   Yvonne   et   Stéphane   Lupasco,   l'épouse   de   Fondane,   Geneviève,   écrit   :   "J'ai 

constaté, à ma grande satisfaction, que le manuscrit   que j'avais déjà apporté à Kolbsheim, de 

L'Être et la Connaissance, était beaucoup plus au point que la copie de travail que je vous ai 

montrée dernièrement et qui m'avait tant désespérée"  [8]. Cet essai sur Lupasco ne sera publié 

que 54 ans après la mort de Fondane [9]. Par une étrange coïncidence, il est paru le jour même 

d'un important colloque dédié à l'oeuvre de Lupasco et qui a eu lieu à l’Institut de France [10]. 

2. De la non­contradiction comme pacte avec le diable

Je dois avouer avec franchisse que j’ai éprouvé un sentiment de malaise en lisant L’Être et  

la connaissance ­ Essai sur Lupasco.  Tout d'abord le manuscrit est resté inachevé. Ensuite, au 

moment de la rédaction de ce manuscrit, Lupasco n'avait publié que deux ouvrages sur les quinze 

qui forment la totalité de son oeuvre et donc le jugement de Fondane ne pouvait être que partiel et 

fragmentaire.   Enfin,   l'absence   de   tout   appareil   critique   dans   l'édition   qui   a   été   publiée   rend 

inintelligible l'enjeu du débat lancé par Fondane. Mais ce sentiment de malaise est heureusement 

contrebalancé   par   la   révélation   apportée   par   ce   livre   sur   l'ampleur   de   la   propre   pensée 

philosophique de Fondane, au­delà de la philosophie de son maître, Léon Chestov.

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L'admiration   que   Fondane   éprouve   pour   la   philosophie   lupascienne   est   indiscutable. 

D'autant plus grande sera son exigence.

"Ce n'est pas une petite révolution que celle qui enlève à la pensée d'identité la domination 

despotique du réel et l'amène modestement à la partager avec sa victime, la pensée de non­identité 

[...] Ni l'une ni l'autre n'est le logique qui, d'après Lupasco, est la seule relation  des deux. C'est là 

une   révolution   réelle   et   dont   les   conséquences   pourraient   être   incalculables..."  [11]  ­   écrit 

Fondane. Dès le début du livre il est évident ce qui attire Fondane dans la philosophie lupascienne 

: pour Fondane, cette philosophie "ouvre sous nous l'abîme sans issue de la contradiction infinie 

[...]"  [12].  Fondane fait référence ici au premier principe de la logique classique, le principe 

d'identité. Cette logique est fondée sur trois axiomes ou principes:

1. Le principe d’identité : A est A.

2. Le principe de non­contradiction : A n’est pas non­A.

3. Le principe de tiers exclu : il n’existe pas un troisième terme T (T de "tiers 

inclus") qui est à la fois A et non­A.

L'option de Fondane est claire. Il pense remplacer le principe de non­contradiction par le 

principe de contradiction : A est non­A. Du coup, le principe d'identité se dédouble : A est à la 

fois A et non­A. Il est intéressant de remarquer que cette option est aussi celle d'Alfred Korzybski, 

qui, en 1933, sous la pression des paradoxes de la mécanique quantique, a proposé un système de 

pensée non­aristotélicien, à une infinité de valeurs  [13]  et qui a eu comme émule le célèbre 

écrivain de science­fiction Alfred Van Vogt, auteur de l’ouvrage Le monde des Ā [14], que Boris 

Vian accueillis et traduisit avec enthousiasme.

Il est intéressant de noter que Cioran lui­même mettait en doute le principe d'identité. 

Dans l'entretien accordé à Lea Vergine, Cioran évoque sa courte carrière de professeur de lycée, 

en ces termes: "L'élève répondait: "Un phénomène psychique est instinctuel, normal". Et moi: 

"Ce n'est pas vrai, tout ce qui est psychique est anormal, non seulement ce qui est psychique, mais 

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aussi ce qui est logique", et j'allais jusqu'à ajouter: "Le principe d'identité lui­même est malade."" 

[15]

L'option   de   Fondane   est   dans   la   droite   ligne   de   Chestov   qui,   dans   son   ouvrage  Les  

révélations de la mort  [ ], écrit: "Mais il faut croire que le principe de non­contradiction n'est 

nullement aussi fondamental qu'on nous le dit [...]. [...] la vie n'a pas été créée par l'homme; ce 

n'est pas lui non plus qui a créé la mort. Et, tout en s'excluant elles coexistent dans l'univers, au 

désespoir de la pensée humaine qui est obligé d'admettre qu'elle ignore où commence la vie et où 

commence la mort [...]" [16]

Pour Fondane le principe d'identité équivaut à un pacte avec le diable : "...la soif d'une 

connaissance de plus en plus certaine [...] a poussé Aristote et toute l'histoire de la philosophie et 

des sciences à signer, avec le diable, le pacte du principe d'identité" [17]. Et Fondane se met à se 

demander si Lupasco ne cède pas à la même tentation. Ce "pacte avec le diable" est profond, car, 

pour Fondane, il signifie le renoncement à la connaissance intérieure au nom d'une connaissance 

mentale, logique. Le diable est celui qui sépare : il nous sépare de nous­mêmes, catastrophe 

ontologique dont seul un poète peut prendre la juste mesure. Fondane saisit pourtant avec finesse 

la portée de la dialectique lupascienne entre identité et altérité, dans le processus d'actualisation : 

"Toute actualisation [...] donne lieu, par réaction, à une production d'idées, de formes, d'éléments 

objectifs, qui est autre chose qu'elle­même. Et il résulte de là ce paradoxe étonnant qu'une pensée 

d'identité est le produit d'un existant qui ne tient pour réel que l'irrationnel, et qu'une pensée 

irrationnelle est le produit d'un existant qui ne tient pour réel que l'identité" [18].

Le sommet de l'intuition de Fondane est atteint quand il comprend, contrairement à toutes 

les apparences, que la logique de Lupasco est, en fait, une logique de non­contradiction : "De qui 

Lupasco tient­il cette science? du logique  spontané  qui actualise des hétérogénéités? non, du 

logique élaboré de non­contradiction. Ce n'est donc pas à une philosophie de la contradiction, 

comme on nous invite, que nous avons affaire, mais à une philosophie identifiante qui porte sur le 

contradictoire" [19].

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La conclusion de Fondane est stupéfiante par sa profondeur prémonitoire. En effet, ce n'est 

qu'en   1951   que   Lupasco   publie  Le   principe   d'antagonisme   et   la   logique   de   l'énergie   ­  

Prolégomènes   à   une   science   de   la   contradiction  [20].   Dans   ce   livre   Lupasco   présente   une 

formalisation axiomatique de la logique de l'antagonisme, formalisation qui respecte le principe 

de  non­contradiction. Mais, à cause   de la  notion de  tiers inclus, la confusion  persiste  même 

aujourd'hui : beaucoup de commentateurs de la philosophie lupascienne sont convaincus qu'elle 

viole   le   principe   de   non­contradiction.   Le   malentendu   est   engendré   par   la   confusion   assez 

courante entre le principe de tiers exclu et le principe de non­contradiction. La logique du tiers 

inclus est non­contradictoire, en ce sens que le principe de non­contradiction est parfaitement 

respecté, à condition qu’on élargisse les notions de "vrai" et "faux" de telle manière que les règles 

d’implication logique concernent non plus deux termes (A et non­A) mais trois termes (A, non­A 

et T), coexistant au même moment du temps. C'est une logique formelle, au même titre que toute 

autre logique formelle : ses règles se traduisent par un formalisme mathématique relativement 

simple.

La compréhension de l’principe du tiers inclus ­ il existe un troisième terme T qui est à la  

fois A et non­A ­ s’éclaire complètement lorsque la notion de "niveaux de Réalité" est introduite.  

J'ai formulé cette notion dans une série d'articles parus en 1983 et elle a trouvé sa formulation 

plénière en 1985, dans mon livre Nous, la particule et le monde [21]. 

Pour obtenir une image claire du sens du tiers inclus, représentons les trois termes de la 

nouvelle logique ­ A, non­A et T ­ et leurs dynamismes associés par un triangle dont l’un des 

sommets se situe à un niveau de Réalité et les deux autres sommets à un autre niveau de Réalité. 

Si l’on reste à un seul niveau de Réalité, toute manifestation apparaît comme une lutte entre deux 

éléments contradictoires. Le troisième dynamisme, celui de l’état T, s'exerce à un autre niveau de 

Réalité, où ce qui apparaît comme désuni est en fait uni, et ce qui apparaît contradictoire est perçu 

comme non­contradictoire.

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C’est la projection de T sur un seul et même niveau de Réalité qui produit l’apparence des 

couples antagonistes, mutuellement exclusifs (A et non­A). Un seul et même niveau de Réalité ne 

peut engendrer que des oppositions antagonistes. Il est, de par sa propre nature, auto­destructeur, 

s’il est séparé complètement de tous les autres niveaux de Réalité. 

Tout   cela   Fondane   ne   le   savait   pas.   Mais   il   a   eu   l'intuition   fondamentale   de   la   non­

contradiction de la philosophie lupascienne, vue, il est vrai, plutôt comme un défaut qu'une vertu : 

"Qu'allait­il faire Lupasco de cette immense liberté que sa nouvelle définition du logique mettait 

entre ses mains? ­ écrit Fondane. À peine en possession de son nouveau logique, Lupasco ne 

songe plus à la critique radicale dont il est armé, il ne songe qu'au moyen de faire bénéficier les 

sciences de sa découverte et s'empresse donc d'édifier une nouvelle connaissance. Et tout de suite 

sa contradiction se transforme en une non­contradiction : sur l'abîme qu'il avait créé, il jeta un 

lien; [...] sa contradiction même devint un mur que l'on ne pouvait sauter, et dont la porte ne 

pouvait s'ouvrir à personne ­ car il l'avait scellée par le principe de non­contradiction" [22].

Terrible reproche. Pour Fondane, il y a chez Lupasco un refus de Dieu au sein de sa 

logique : sa philosophie est une  nontologie, "une sorte d'ontologie du non­être"  [23]. Fondane 

connaît,  certes,   le   rôle   que   Lupasco   attribue   à   l'affectivité.  Mais,   l'affectivité   lui   semble   être 

surajoutée, à côté de la connaissance : "Ce qui est resté hors de la connaissance, à la porte, ce 

n'est rien de moins que l'Être; et ce qui mieux est, seul l'Être ne peut entrer dans la connaissance; 

car, s'il y entrait, adieu la connaissance! Heureusement pour nous, il n'y entre pas " [24]. 

On reconnaît bien ici la tonalité des échanges entre Lupasco et Fondane, toute faite de 

passion pour l'être et la connaissance. Lupasco écrit dans son témoignage : " [...] pour Fondane 

[...] je  logicisais, j'enfermais dans l'univers de la contradiction, essentiellement logique, ce par 

quoi justement il croyait fuir, le logique et aborder à ce havre d'une liberté métalogique, qui était 

Dieu même, le Dieu d'Abraham, de Jérusalem, par opposition à ce Dieu d'Athènes, qui n'en était 

pas un [...] On comprend sans doute que j'étais son plus troublant adversaire. Et la violence de nos 

discussions, que n'interrompaient ni le froid, ni la faim, ni les bombes, ni même les angoisses de 

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l'occupation et de la résistance en témoignait, on peut dire, avec éclat" [25]. Lupasco conclut par 

une question, aujourd'hui encore d'actualité, car le mystère de Fondane reste entier : "Que voulait­

il, cet Homme?" [26].

Que voulait­il, cet Homme?

Il est pratiquement impossible de répondre à cette question. On peut toutefois l'approcher 

en formulant d'autres questions.

Un premier point de vue intéressant est exprimé par Cioran : "À la vérité, il ne s'intéressait 

pas tant à ce qu'un auteur dit mais à ce qu'il aurait pu dire, à ce qu'il cache, faisant ainsi sienne la 

méthode de Chestov, à savoir la pérégrination à travers les âmes, beaucoup plus qu'à travers les 

doctrines" [27]. C'est précisément ce que Fondane fait dans le cas de Lupasco : il lui demande de 

lui montrer ce qu'il cache, il lui demande d'aller plus loin encore. Fondane rêve d'une véritable 

révolution qui révèle l'Être dans toute sa splendeur de participation à la connaissance. 

Son esprit prémonitoire se manifeste une fois encore dans ses imprécations à l'encontre de 

Lupasco, contenues dans l'article publié dans "Cahiers du Sud" : "Il fait du logique un devenir, 

mais un devenir fermé, immanent à lui­même, hostile à l'intrusion, dans son sein, d'un troisième  

terme (N.B. : c'est nous qui soulignons) [...] Il répugne encore à voir dans son logique pur quelque 

chose qui n'est ni identité, ni divers, mais un au­delà du divers et de l'identique [...] " [28].

A mon sens, la conclusion que tire de ce débat Michael Finkenthal, dans sa préface à 

L’Être   et   la   connaissance,   n’est   pas   justifiée.  Michael   Finkenthal   écrit :   « Dans   le   langage 

lupascien,   il   aurait   voulu   fonder   une   philosophie   de   l’affectivité,   une   philosophie   rendue 

impossible   par   le   système   lupascien   même.   Finalement   donc,   ce   système,   tel   que   l’a   connu 

Fondane, ne pouvait le guider vers la sortie du labyrinthe » [29]. Une sortie du labyrinthe existe 

pourtant et la clé est fournie par le tiers inclus. Il ne peut pas y avoir de philosophie exclusive de 

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l’affectivité.   L’affectivité   et   le   tiers   inclus   se   trouvent   dans   une   relation   d’unité   des 

contradictoires. L’affectivité sans le tiers inclus n’est qu’un mot vide.

Fondane est mort trop tôt. En 1951 son voeu eut été comblé. Le principe d’antagonisme et  

la logique de l’énergie ­ Prolégomènes à une science de la contradiction est un livre prophétique 

et inaugural : avec lui, le tiers inclus acquière ses pleins droits dans la philosophie contemporaine. 

"La   logique   dynamique   du   contradictoire   se   présente   [...]   comme   la  logique   même   de  

l'expérience, en même temps que comme l'expérience même de la logique" ­ écrit Lupasco [30]. 

Pour Lupasco la logique est bien "l'expérience même de la logique" : le sujet connaissant est 

impliqué lui­même dans la logique qu'il formule. "L'expérience" est ici l'expérience du sujet. Le 

caractère circulaire de l'affirmation  "logique comme expérience même de la logique" découle du 

caractère circulaire du sujet : pour définir le sujet il faudrait prendre en considération tous les 

phénomènes, éléments, événements, états et propositions concernant notre monde, et de surcroît 

l'affectivité. Tâche évidemment impossible : dans l'ontologique  de Lupasco le sujet ne pourra 

jamais être défini. Tout ce que la logique peut faire c'est expérimenter un cadre axiomatique bien 

défini.

Il y a, chez Lupasco, trois types de tiers inclus [31].

Le tiers inclus logique est utile sur le plan de l'élargissement de la classe des phénomènes 

susceptibles d'être compris rationnellement. Il explique les paradoxes de la mécanique quantique, 

dans leur totalité, en commençant avec le principe de superposition. Plus loin encore, de grandes 

découvertes dans la biologie de la conscience sont à prévoir si les barrières mentales par rapport à 

la   notion   de   niveaux   de   Réalité   vont   graduellement   disparaître.   Cela   va   pouvoir   montrer   la 

fécondité du tiers inclus ontologique, impliquant la considération simultanée de plusieurs niveaux 

de   Réalité.   Le   troisième   tiers   ­   le  tiers   secrètement   inclus  ­   est   le   gardien   de   notre   mystère 

irréductible, seul fondement possible de la tolérance et de la dignité humaine. Sans ce tiers tout 

est cendres.

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C'est peut­être ce tiers que cherchait Fondane, à la frontière entre la poésie, la mystique et 

la philosophie. Le  tiers secrètement inclus  est l’autre nom de l’affectivité. Dans la lettre déjà 

citée, Geneviève Fondane écrivait : "Je viens, par hasard, de découvrir plusieurs pages sur la 

mystique, étonnantes, et si chrétiennes qu'elles en deviennent trop chrétiennes [...] C'est par excès 

qu'il devient hétérodoxe" [32].

Cioran cherchait lui aussi ce tiers, mais sa posture, dans toute son oeuvre, est celle du 

négateur  du tiers et de Dieu lui­même. Dans sa monographie sur Cioran, Simona Modreanu 

remarque avec grande subtilité: "Ne pouvant adhérer ni à un "oui" spontané, ni à un "non" torturé, 

Cioran adopte d'abord une logique, ensuite une sorte de métaphysique du tiers inclus [...] , fondée 

sur la "volupté de la contradiction" et une certaine noblesse de la lamentation qui dilue ses pleurs 

dans les subtilités du paradoxe." [33]

Mais laissons le dernier mot à Benjamin Fondane. Dans une lettre inédite adressée le 23 

juillet 1943 à Stéphane Lupasco, il écrit: " On écoute la radio ; on suit les cartes ; on fait sa 

promenade quotidienne au Jardin des Plantes ; on, on, on. Oui, mais moi, dans tout cela? [...] Je 

dois vous avouer qu'en ce moment je lis un bouquin sur la Logique, qui me prépare au gros 

événement de la vôtre [...]  L'alerte continue. Ou plutôt le silence ­ plein de bombardements 

virtuels, potentiels, que sais­je ? Ça ne finit pas, de ne pas finir [...] Je reprends mon bouquin." [

34]

Basarab NICOLESCU

Physicien théoricien au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

Membre de l’Académie Roumaine

Président du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires (CIRET), 

Paris, France

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NOTES ET RÉFÉRENCES

[1]  Stéphane   Lupasco,  Du   devenir   logique   et   de   l’affectivité,  Vol.   I   ­   « Le   dualisme 

antagoniste et les exigences historiques de l’esprit », Vol. II ­ « Essai d’une nouvelle théorie de la 

connaissance »,   Vrin,   Paris,   1935   ;  2e  édition  :   1973   (thèse   de   doctorat)   ;  La   physique  

macroscopique et sa portée philosophique, Vrin, Paris, 1935 (thèse complémentaire).

[3] Benjamin Fondane, D’Empédocle à Stéphane Lupasco ou « la solitude du logique »,  

Cahiers du Sud, n° 259, Marseille, 1943.

[4]  Stéphane Lupasco,  L’expérience microphysique et la pensée humaine,  P.U.F., Paris, 

1941; 2e édition : Le Rocher, Collection « L’esprit et la matière », Paris, 1989, préface de Basarab 

Nicolescu.

[5] Stéphane Lupasco, Benjamin Fondane, le philosophe et l’ami, Cahier du Sud, n° 282, 

Marseille, 1947 ; texte réédité in Benjamin Fondane, Non Lieu, n° 2­3, Paris, 1978.

[6]  Olivier   Salazar­Ferrer,   Benjamin   Fondane,   Oxus,   Collesction   « Les   Roumains   de 

Paris », Paris, 2004, p. 224­229.

[7]  Cioran,  Exercices   d’admiration  –   Essais   et   portraits,   Gallimard,   Collection 

« Arcades », Paris, 1986, p. 151­158.

[8]  Geneviève Fondane, lettre à Yvonne et Stéphane Lupasco du 5 juillet 1946, inédit, 

archives Alde Lupasco­Massot.

[9]  Benjamin Fondane,  L’Être et la connaissance ­ Essai sur Lupasco,  Editions Paris ­ 

Méditerranée, Paris, 1998, préface de Michael Finkenthal.

[10]  Stéphane   Lupasco   ­   L’homme   et   l’oeuvre,   Le   Rocher,   collection 

« Transdisciplinarité », Monaco, 1999, sous la direction de Horia Badescu et Basarab Nicolescu.

11
[11] Benjamin Fondane, L’Être et la connaissance ­ Essai sur Lupasco, op.cit., p. 28.

[12] Ibid., p. 29.

[13]Alfred   Korzybski,  Science   and   Sanity,   The   International   Non­Aristotelian   Library 

Publishing Company, Lakeville, Connecticut, 1958 (la première édition date de 1933).

[14] A. E. van Vogt, Le monde des Ā, J’ai lu, no 362, Paris, 1981, traduit de l’américain par 

Boris Vian.

[15] Cioran, Entretiens, Gallimard, Collection "Arcades", Paris, 1995, p. 134­135.

[16]  Léon   Chestov,  Les   révélations   de   la   mort,   Plon,   Paris,   1958,   p.   13,   préface   et 

traduction de Boris de Schloetzer.

[17] Benjamin Fondane, L’Être et la connaissance ­ Essai sur Lupasco, op.cit., p. 56.

[18] Ibid., p. 43.

[19] Ibid., p. 58.

[20]  Stéphane   Lupasco,  Le   principe   d’antagonisme   et   la   logique   de   l’énergie   ­  

Prolégomènes à une science de la contradiction, Coll. « Actualités scientifiques et industrielles », 

n° 1133, Paris, 1951 ;  2e  édition  : Le Rocher, Collection « L’esprit et la matière », Paris, 1987, 

préface de Basarab Nicolescu.

[21] Basarab Nicolescu, Nous, la particule et le monde, Le Mail, Paris, 1985 ; 2e édition : 

Le Rocher, collection « Transdisciplinarité », Monaco, 2002.

[22] Benjamin Fondane, L’Être et la connaissance ­ Essai sur Lupasco, op.cit., p. 92.

[23] Ibid., p. 62.

[24] Ibid., p. 65.

[25] Stéphane Lupasco, Benjamin Fondane, le philosophe et l’ami, op.cit., p.59.

[26] Ibid., p. 60.

[27]  E.M.Cioran,  Exercices d'admiration ­ Essais et portraits,  ch. "Benjamin Fondane", 

pp. 155­156.

12
[28] Benjamin Fondane, D’Empédocle à Stéphane Lupasco ou « la solitude du logique », 

op.cit.

[29]  Michael Finkenthal, in Benjamin Fondane,  L’Être et la connaissance ­ Essai sur  

Lupasco, op.cit., p. 20.

[30]  Stéphane   Lupasco,  Le   principe   d’antagonisme   et   la   logique   de   l’énergie   ­  

Prolégomènes à une science de la contradiction, op.cit., p. 21.

[31]  Basarab   Nicolescu,  Le   tiers   inclus   ­   De   la   physique   quantique   à   l'ontologie,  in 

Stéphane Lupasco ­ L’homme et l’œuvre, op.cit., p.

[32] Geneviève Fondane, lettre à Yvonne et Stéphane Lupasco du 5 juillet 1946, op. cit.

[33] Simona Modreanu, Cioran, Oxus, Collection « Les Roumains de Paris », Paris, 2003, 

p. 197.

[34] Benjamin Fondane, lettre à Stéphane Lupasco du 23 juillet 1943, inédit, archives Alde 

Lupasco­Massot   ;   l'adresse   du   destinataire   est   la   suivante   :   Monsieur   Stéphane   Lupasco,   La 

Chapelle d'Abondance, Hôtel des Cornettes, Haute Savoie.

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