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B 94
Cancers bronchiques
à petites cellules
Épidémiologie, anatomie pathologique, étiologie, diagnostic, évolution, traitement
Dr Claire LEGRAND 1, Pr Christian BRAMBILLA 1, Dr Sylvie LANTUEJOUL 2
1. Service de pneumologie
2. Service de pathologie cellulaire, CHRU, 38043 Grenoble cedex 09
Épidémiologie Anatomo-pathologie
Épidémiologie descriptive Les cancers à petites cellules sont des tumeurs neuro-endo-
crines malignes, caractérisées par : la présence de granules
Le cancer bronchique à petites cellules (CBPC) représente
neurosécrétoires en microscopie électronique, une argyro-
15 à 25 % de l’ensemble des carcinomes bronchiques
philie cytoplasmique dans 20 % des cas (Grimélius +), la
observés en France, et serait responsable de 9 à
coexpression immunohistochimique d’une différenciation
15 décès/100 000 habitants par an. En Europe, il représente
neuro-endocrine et épithéliale, l’association à des syn-
20 à 25 % des tumeurs pulmonaires, mais seulement 15 %
dromes paranéoplasiques.
d’entre elles au Japon. Il représente à lui seul la quatrième
cause de mortalité par cancer. Les femmes sont moins sou- Macroscopie
vent atteintes par ce cancer, compte tenu de leur moindre Sur le plan macroscopique, il s’agit de tumeurs proximales
tabagisme ; en France, la répartition inégale des sexes extensives, classiquement de type médiastino-pulmonaire,
(6 hommes pour 1 femme) persiste mais le sex ratio tend ou très rarement d’un nodule périphérique. Le CBPC hilaire
à se rapprocher de 1 dans certains états des États-Unis où naît au niveau de la muqueuse des troncs bronchiques et,
le tabagisme féminin continue d’augmenter alors que celui le plus souvent, des gros troncs bronchiques (2 fois sur 3).
des hommes diminue. Le CBPC est plus fréquent que les Il s’étend rapidement le long des axes bronchiques de façon
autres types histologiques dans la tranche d’âge inférieure hilifuge, infiltrant les parois avec rétrécissement irrégulier
à 50 ans. Cependant, il survient surtout après l’âge de 50 des lumières et surtout de façon lymphophile vers les gan-
ans (en nombre absolu), avec un pic de fréquence pendant glions lobaires, hilaires et médiastinaux. Cette extension
la 6e décennie. ganglionnaire importante explique l’élargissement habi-
tuel des éperons et les aspects de compression extrinsèque
Épidémiologie analytique observés lors de l’endoscopie, tandis que la diffusion à la
Le tabagisme est le principal facteur exogène associé à la surface de l’épithélium produit un aspect endoscopique de
survenue du CBPC ; moins de 5 % des patients sont des rétrécissement en cheminée de pipe.
non fumeurs. La durée du tabagisme et le nombre de ciga- La progression tumorale du CBPC périphérique est de type
rettes quotidien sont des facteurs affectant le risque. L’ar- nodulaire ; la tumeur tend à combler les espaces alvéolaires
rêt du tabagisme diminue le risque de survenue sans le sup- en entraînant peu de lésion au niveau des septa. Ce mode
quemment délétés dans les cancers (type p53 et Rb). dans un contexte de tabagisme. Les signes généraux (amai-
• Inactivation de p53 : p53 est un anti-oncogène impliqué grissement, asthénie) sont présents dans environ 50 % des
dans la régulation du cycle cellulaire ; il bloque le passage cas lors du diagnostic initial de même que les métastases
de la phase G1 à la phase S, induisant ainsi l’apoptose symptomatiques.
lorsque la cellule présente une accumulation anormale d’al-
térations de son ADN. Radiographie
L’altération du gène ou de la protéine p53 (17p13) est La radiographie pulmonaire montre des opacités hilaires
actuellement l’événement le plus fréquent retrouvé dans tumorales (irrégulières, spiculées) ou ganglionnaires
les cancers bronchiques, toutes histologies confondues. Elle (régulières) et des opacités parenchymateuses par trouble
concerne 50 % des CBPC testés. Par ailleurs, la mutation de la ventilation, ou pneumopathie, ou plus rarement
du gène p53 serait un événement précoce au cours de l’on- d’origine tumorale. Ces anomalies sont le plus souvent
cogenèse des cancers bronchiques. unilatérales et toujours asymétriques. La radiographie
• L’inactivation de Rb, autre anti-oncogène situé sur le peut être normale.
chromosome 13, région 13q14, empêche le
contrôle négatif au point de restriction G1 et
accélère le passage G1/S. L’inactivation de Rb
est un phénomène très fréquemment retrouvé
au cours des CBPC (90 % des cas), et beau-
coup plus rarement au cours du cancer bron-
chique non à petites cellules (CBNPC, 10 à 15
% des cas).
• Il existe des anti-oncogènes potentiels non
encore identifiés sur le bras court du chromo-
some 3, presque constamment délétés dans le
CBPC.
3. Facteurs de croissance
Il existe d’une façon générale une surproduc-
tion ou une production inappropriée de fac- 3a 3b
teurs de croissance dans les tissus néopla- Élargissement du médiastin sur la radiographie pulmonaire de face (3a) par
siques. De nombreux oncogènes codent soit une volumineuse masse tumorale prenant le contraste et située dans le médias-
pour des facteurs de croissance, soit pour leurs tin postérieur sur les données scanographiques (3b), au contact du rachis et
récepteurs, soit pour des enzymes associés à de l’aorte descendante, comprimant les deux bronches souches.
la transmission du signal mitotique.
Les lignées cellulaires de CBPC sécrètent de nombreux Syndromes paranéoplasiques
peptides in vitro. In vivo, l’excrétion de ces peptides s’ex- Présents dans environ 15 à 20 % des cas de CBPC, ils sont
prime sous la forme de syndromes paranéoplasiques. majoritairement endocriniens et métaboliques, mais aussi
neurologiques.
Diagnostic 1. Syndromes endocriniens et métaboliques
Clinique • Le syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH (anti-
L’expression clinique du CBPC est conditionnée par la rapi- diuretic hormone) est presque exclusivement associé aux
dité de l’extension médiastinale et métastatique, jointe à la carcinomes à petites cellules, avec des taux sériques d’ADH
fréquence des syndromes paranéoplasiques. Le délai anormaux dans 50 % des cas ; toutefois seulement 1 à 5 %
moyen entre les premiers signes fonctionnels et le dia- des patients présentent des signes cliniques ou biologiques
gnostic est assez bref, inférieur à 2 mois. La découverte de évocateurs : confusion, coma, crises comitiales associés à
la maladie sur une radiographie systématique est rare (5 % une hyponatrémie et à une augmentation de l’osmolalité
des cas). Les signes thoraciques lors du diagnostic sont urinaire.
communs avec les autres types histologiques de cancers • Le syndrome de Cushing paranéoplasique (1 à 5 % des
pulmonaires. Par ordre de fréquence, on retrouve la toux, cas de CBPC) est lié à la production dérégulée par les cel-
l’infection révélatrice d’une obstruction bronchique, la lules tumorales d’ACTH (adreno-corticotrophic hormone)
douleur thoracique, l’hémoptysie, la dyspnée, l’épanche- et de précurseurs de l’ACTH tels que la propiomélanocor-
ment pleural ; puis les signes témoignant plus spécifique- tine. Ces peptides peuvent être dosés dans le sang des
ment de l’atteinte médiastinale ganglionnaire avec com- patients où ils sont en général à des taux plus élevés que
pression des différents éléments médiastinaux : sifflements dans la maladie de Cushing et surtout avec une grande pré-
intrathoraciques, paralysie récurrentielle gauche, syndrome dominance de précurseurs de l’ACTH. Le tableau clinique
cave supérieur, dysphagie, adénopathies sus-claviculaires est beaucoup plus fruste, d’apparition rapide : les patients
(le CBPC est la cause la plus fréquente du syndrome cave se présentent avec une asthénie, une amyotrophie récente
supérieur). Ces signes d’installation rapide sont évocateurs avec perte de poids, ces signes étant non spécifiques dans
un contexte tumoral ; l’obésité tronculaire, les vergetures (surtout destinée à l’estimation de l’extirpabilité des can-
et la « bosse de bison » sont généralement absents. Les cers non à petites cellules). Le stade limité au thorax repré-
signes plus spécifiques sont la mélanodermie, l’alcalose sente environ 30 % des cas au moment du diagnostic. Il se
métabolique difficile à corriger, ou encore l’hypertension définit par : une tumeur primitive limitée à un hémithorax,
artérielle, l’hyperglycémie et les œdèmes. La sécrétion des adénopathies hilaires homolatérales, des adénopathies
d’ACTH paranéoplasique est un critère de gravité dans le médiastinales homo- ou controlatérales ; des adénopathies
CBPC de par la fréquence et la sévérité des complications sus-claviculaires homo- ou controlatérales. Cela corres-
infectieuses opportunistes et aussi par une moindre réponse pond à la notion de tissu tumoral pouvant être inclus dans
à la chimiothérapie. un champ d’irradiation et il s’agit donc de tumeurs sans
• L’hypercalcémie paranéoplasique est plus rare et plus métastase extrathoracique, envahissant l’hémithorax (T1 à
souvent associée aux carcinomes épidermoïdes. T4), le médiastin (N0 à N3), mais n’envahissant ni le pou-
mon controlatéral ni la plèvre. Cela correspondant aux
2. Syndromes neurologiques sous-groupes I, II et IIIA de la stadification TNM.
Les syndromes paranéoplasiques neurologiques sont rares La forme diffuse (au-delà de l’hémithorax) représente envi-
(2 % des cancers bronchiques) mais le plus souvent le fait ron 70 % des cas et se définit par : des lésions hilaires ou
de carcinomes à petites cellules, et sont en rapport avec une pulmonaires controlatérales, des lésions métastatiques à
réaction auto-immune, fondée sur la réactivité croisée entre distance du thorax, l’existence d’un épanchement pleural
des épitopes de la tumeur et du tissu nerveux. Le rôle patho- métastatique, une seule de ces conditions étant suffisante.
gène d’anticorps dirigés contre différents antigènes du tissu Cela correspond aux sous-groupes IIIB et IV de la stadifi-
nerveux et du CBPC est bien identifié dans le syndrome de cation TNM. Le pronostic et la stratégie thérapeutique dif-
Lambert-Eaton (pseudo-myasthénie) mais reste imprécis fèrent pour ces 2 groupes.
dans la majorité des autres affections neurologiques para-
néoplasiques : syndrome anti-Hu (ou polyencéphalomyé- Bilan d’extension ou préthérapeutique
lites subaiguës), neuropathies gastro-intestinales paranéo- Le bilan préthérapeutique comporte un examen clinique
plasiques, rétinopathie associée au cancer. Les signes complet, avec pesée et estimation de la perte de poids, et
neurologiques peuvent précéder l’apparition de la tumeur évaluation de l’indice de Karnofsky (ou du performance
ou sa rechute de plusieurs mois. Ces signes sont indépen- status). Sur le plan biologique : numération formule san-
dants du volume tumoral et la maladie neurologique évo- guine, ionogramme, clairance de la créatinine-vitesse de
lue et se complique pour son propre compte. sédimentation, lactico-déshydrogénase, bilan hépatique, et
L’hippocratisme digital est le plus souvent rencontré au NSE (neuron specific enolase) sont communément réali-
cours des cancers non à petites cellules, le CBPC n’en est sés.
responsable que dans 5 % des cas. La tomodensitométrie thoracique, élément essentiel du
bilan locorégional, permet de préciser le siège de la tumeur,
Stratégie diagnostique son extension à la paroi, au médiastin, de visualiser des
Le CBPC ayant une présentation le plus souvent médias- adénomégalies homolatérales ou controlatérales et de juger
tino-hilaire, le diagnostic est le plus souvent réalisé par de l’envahissement des vaisseaux, en particulier de la veine
fibroscopie, plus rarement par médiastinoscopie et biopsie cave supérieure.
ganglionnaire périphérique. Le diagnostic positif repose La recherche de métastases est systématique, même en l’ab-
habituellement sur l’endoscopie bronchique avec biopsies sence de signe clinique d’appel, par le scanner cérébral,
multiples, associées aux prélèvements cytologiques (aspi- l’échographie ou le scanner abdominal, la scintigraphie
ration bronchique ou brossage). Cette technique permet osseuse et la biopsie ostéomédullaire ou le myélogramme.
d’accéder au diagnostic de CBPC chez plus de 90 % des En pratique, en dehors d’essais thérapeutiques où le bilan
patients. L’aspect macroscopique n’est pas spécifique : élar- d’extension doit être complet, les examens peuvent être inter-
gissement des éperons, muqueuse irrégulière et infiltrée. rompus à la première métastase découverte, le traitement
Un bourgeon unique est rarement observé en cas de CBPC. étant alors de toute façon celui des formes disséminées.
Ailleurs, le diagnostic reposera sur la répétition de l’en- Lors du bilan d’extension au moment du diagnostic, on
doscopie bronchique, sur un prélèvement obtenu par retrouve 35 à 40 % de métastases osseuses, 20 à 30 % de
médiastinoscopie si la tomodensitométrie a montré une localisations hépatiques, 20 à 25 % pour la moelle osseuse
extension ganglionnaire accessible par cette technique, ou mais en fait beaucoup plus avec des techniques très sen-
encore sur la ponction et la biopsie-exérèse d’une locali- sibles (55 % avec immunomarquage sur biopsie médullaire
sation métastatique accessible, notamment ganglionnaire. couplée à l’IRM), 10 à 15 % pour la glande surrénale de
L’ensemble du bilan d’extension initial permet de distin- même que pour le système nerveux central, puis viennent
guer 2 stades cliniques de la maladie : les formes limitées l’atteinte de la peau, des ganglions périphériques et de la
au thorax (où la masse tumorale ne déborde pas les limites plèvre de fréquence moindre. Ces localisations métasta-
d’un hémithorax) et les formes disséminées (métastatiques tiques sont globalement sous-estimées par manque de sen-
d’emblée). Cette classification en 2 groupes semble mieux sibilité des moyens de détection utilisés, et le pourcentage
adaptée au CBPC où la tumeur est le plus souvent volu- de formes disséminées augmente progressivement avec le
mineuse et inopérable et l’atteinte médiastinale ganglion- développement des techniques de détection (65 à 70 %
naire pratiquement constante, que la classification TNM actuellement selon les équipes).
Évolution
Patients longs survivants
La médiane de survie des patients non traités est de 4 à 6 Les patients longs survivants (à partir de 24 ou 30 mois de survie après
semaines. L’introduction de la chimiothérapie au début des la découverte de la maladie selon la définition anglo-saxonne ou fran-
çaise) évoluent le plus souvent vers la rechute tardive, ou vers l’ap-
années 1970 a amélioré le pronostic de la maladie, du moins parition d’un 2e cancer aérodigestif ou pulmonaire au-delà de 10 ans.
à court terme, avec des médianes de survie s’établissant Le risque de 2e cancer est prépondérant par rapport à la rechute après
entre 7 et 17 mois selon l’extension de la maladie, les sur- 5 ans.
vies à long terme restant rares. Le taux de survie global à
2 ans est de 5 à 10 %, et de 3 % à 5 ans.
Traitement
Pronostic
Principes
Le performance status ou index d’activité est le facteur pro- Le CBPC est une maladie systémique avec peu de survi-
nostique le plus important de la survie ; il est en effet cor- vants après un traitement local ou locorégional seul [chi-
rélé à la masse tumorale et au taux de LDH ; c’est un fac- rurgie et (ou) radiothérapie]. La chimiothérapie est donc
teur de pronostic indépendant dans les formes disséminées. l’élément thérapeutique dominant et augmente de façon
Le stade d’extension initial : pour les formes localisées le significative la survie. L’attitude thérapeutique diffère en
taux de survie est respectivement à 2 et 5 ans de 13 et 4 %. fonction de la forme localisée ou diffuse.
Pour les formes diffuses, il est de 4 et 2 %. La médiane de En cas de CBPC localisé, deux objectifs s’imposent : le
survie est de 7 à 11 mois pour les formes diffuses et de 10 contrôle local de la tumeur et le traitement des micromé-
à 17,5 mois pour les formes localisées. Plus récemment, il tastases. L’association radio-chimiothérapie permet une
a été mis en évidence un pronostic plus sombre des formes amélioration modeste mais significative de la survie à 2 ans
limitées au thorax avec atteinte ganglionnaire médiastinale d’environ 5 à 6 % (de 16 à 20 %) et de 5,4 % à 3 ans par
ou sus-claviculaire par rapport aux autres formes limitées, rapport à la chimiothérapie seule. Cette association apporte
et l’on s’achemine à nouveau vers une classification plus un meilleur contrôle local (seul garant d’une réponse com-
précise, proche du TNM. La réponse complète au traite- plète prolongée), et une action sur l’émergence de clones
ment constitue également un facteur pronostique majeur. chimiorésistants apparaissant précocement après le début
Les autres facteurs sont d’importance moindre ; la NSE est de la chimiothérapie. Un autre intérêt du traitement com-
plus élevée en cas de maladie disséminée qu’en cas de biné est l’existence d’une toxicité indépendante, et une
maladie localisée mais ne permet pas de prédire l’exten- meilleure protection du tissu dain.
sion de la maladie. Son augmentation transitoire constitue Les formes disséminées de CBPC, les plus graves des
un facteur prédictif de la réponse à la chimiothérapie. tumeurs solides, ont un pronostic sombre. La notion de dis-
TABLEAU
Facteurs pronostiques pour la survie des patients
atteints de CBPC
Facteurs pronostiques Bon Mauvais