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LES ANNÉES DES RÉSISTANCES ISLAMIQUES 383

voir. De la même façon, pour prendre un exemple similaire, on


ne saurait mettre sur le même plan, au nom d’un quelconque
absolutisme moral, le racisme anti-Blancs, qui a pu se déve-
lopper parmi certains groupes militants noirs des Etats-Unis et
le racisme anti-Noirs de fermiers blancs, dans ces mêmes Etats-
Unis du début du xxe siècle, qui attribuaient la dégradation
inexorable de leurs conditions économiques et sociales aux
“Nègres” qu’ils pourchassaient pour les lyncher.

DE L’AFFAIRE GARAUDY À L’AFFAIRE AHMADINEJAD :


UNE INSTRUMENTALISATION NÉGATIVE
DE LA MÉMOIRE DE LA SHOAH

Plus l’image d’Israël dans l’opinion publique occidentale se


dégradait pour cause de guerre du Liban, puis d’Intifada, et
plus Israël et ses partisans inconditionnels en Europe et aux
Etats-Unis – voir l’excellent ouvrage de Peter Novick, The
Holocaust in American Life, paru en 1999 – éprouvaient le besoin
de ressourcer la légitimité et l’intouchabilité de “l’Etat juif”.
C’est dans ce contexte que l’instrumentalisation politique de
la mémoire de la Shoah atteint son apogée, accompagnée d’un
déluge de productions littéraires et audiovisuelles qui ajou-
tèrent à l’unicité de la Shoah une dimension nouvelle : aucun
génocide dans l’histoire n’a été l’objet d’une telle considéra-
tion, ce qui n’a pas manqué de susciter une forte exacerbation
de la “concurrence des victimes”.
Cette instrumentalisation de la Shoah fit des émules, d’autres
Etats prédateurs jugeant que la recette israélienne pouvait leur
être utile. Que de nouveaux Hitler n’ont pas ressurgi depuis la
fin de la guerre froide, produisant une banalisation inquiétante
du nazisme et de la Shoah : Saddam Hussein fut même qualifié
de “pire que Hitler” par George Bush père en 199133, avant que

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son fils ne reprenne cette comparaison onze ans plus tard34, lui-
même détenant vraisemblablement le triste record d’avoir été
le président américain le plus comparé à Hitler dans l’histoire.
L’analogie Hitler/Juifs/Alliés pour Milosevic/Kosovars/otan
fut consommée sans modération durant la guerre du Kosovo en
1999, suscitant même l’indignation d’un Claude Lanzmann :
“Je constate d’ailleurs que ce phénomène de comparaison
automatique est nouveau : les intellectuels n’ont pas eu
recours à cette référence à la Shoah aux pires périodes de la
guerre d’Algérie, quand les combattants du fln étaient assas-
sinés en masse, torturés, et de vastes zones entièrement vidées
de leurs habitants. Idem pour la guerre du Vietnam quand des
centaines de villages, des forêts, des rizières étaient rasés au
napalm. Même pendant la guerre du Biafra, qui a vu naître
la pratique et l’idéologie de l’humanitaire, on se passait de la
comparaison avec le nazisme. […]
Ces références perpétuelles à la Shoah, c’est une façon
de museler toute parole. Interdiction de parler. Plus de
débat35.”

Bien vu. Lanzmann ne pensait certainement pas à Israël, mais


c’est là, en effet, le but premier de l’instrumentalisation de la
Shoah par l’Etat sioniste, comme le soulignait Idith Zertal : “Au
moyen d’Auschwitz – devenu au fil des ans la principale réfé-
rence d’Israël dans ses relations avec un monde défini de façon
répétée comme antisémite et hostile à tout jamais – Israël s’est
immunisé contre toute critique et s’est rendu imperméable à
un dialogue rationnel avec le monde qui l’environne36.” Un
diagnostic que confirme mot pour mot Avraham Burg, qui a
été président de l’Agence juive et du Mouvement sioniste mon-
dial, vice-président du Congrès juif mondial et président de la
Knesset, et qui va même plus loin dans l’exploration de la façon
dont le souvenir de la Shoah est utilisé par Israël :
“Toute mort se transforme pour nous en assassinat, tout
assassinat en pogrome et tout attentat en acte antisémite.
Chaque nouvel ennemi est un Hitler en puissance, et chaque

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danger qui se profile une Shoah potentielle. Nous, avec bon


nombre de nos dirigeants, croyons que le monde est dressé
contre nous et veut nous anéantir. Nous croyons être perpé-
tuellement entourés d’ennemis et de persécuteurs prêts à
nous éliminer. C’est la raison pour laquelle nous tuons en
premier. […]
Du fait de la Shoah, nous voulons une armée toujours plus
puissante, une augmentation des aides financières exté-
rieures, le pardon continuel pour les fautes que nous com-
mettons, et nous ne supportons aucune critique37.”

C’est cette même “instrumentalisation quotidienne du grand


massacre par la classe politique israélienne” que dénonçait éga-
lement Pierre Vidal-Naquet :
“Du coup, le génocide des Juifs cesse d’être une réalité his-
torique vécue de façon existentielle, pour devenir un ins-
trument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien
pour obtenir telle ou telle adhésion politique à l’intérieur du
pays que pour faire pression sur la Diaspora et faire en sorte
qu’elle suive inconditionnellement les inflexions de la poli-
tique israélienne. Paradoxe d’une utilisation qui fait du géno-
cide à la fois un moment sacré de l’histoire, un argument très
profane, voire une occasion de tourisme et de commerce38.”

Comment s’étonner dès lors que cette instrumentalisa-


tion de la mémoire de la Shoah par Israël ait suscité une
recrudescence en flèche de l’instrumentalisation négative de
cette même mémoire dans le monde arabe ? D’autant que
les raisons mêmes pour lesquelles l’instrumentalisation israé-
lienne s’intensifia, c’est-à-dire les crimes de guerre commis
par l’armée d’Israël qui entraînèrent la détérioration de son
image, ces mêmes raisons portaient le ressentiment arabe à
son paroxysme. Et d’autant que les préventions intellectuelles
contre cette instrumentalisation sont naturellement bien plus
faibles dans le monde arabe qu’en Israël et en Occident, tant
pour des raisons politiques évidentes que pour des raisons de
diffusion des connaissances.

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Deux affaires, ces dernières années, ont été l’occasion d’un


étalage de proclamations négationnistes au sujet de la Shoah dans
le monde arabe : l’affaire Garaudy et l’affaire Ahmadinejad.
L’affaire Garaudy éclata en 1996 avec le procès pour néga-
tionnisme et provocation à la haine raciale intenté à Roger
Garaudy, ex-philosophe officiel du Parti communiste français,
converti au catholicisme, puis à l’islam, avant de devenir une
figure de proue du négationnisme et de l’antisémitisme. Le
procès visait l’ouvrage déjà évoqué de Garaudy, Les Mythes fon-
dateurs de la politique israélienne, publié en 1995 par une officine
négationniste. C’est un ouvrage de facture négationniste, qui
réduit considérablement les chiffres du génocide juif et nie
l’utilisation des chambres à gaz à des fins d’extermination,
dans un contexte général empreint d’un antisémitisme évident,
mêlant critique du judaïsme et critique du sionisme.
Le procès qui fut intenté contre Garaudy s’appuyait sur la loi
française dite “loi Gayssot”, du nom du député communiste qui
la présenta au Parlement en 1990. Cette loi pénalise la remise
en cause de l’existence des crimes contre l’humanité reconnus
comme tels par le tribunal militaire international qui siégea
à Nuremberg en 1945-1946. Elle est controversée en France
même, notamment par des historiens prestigieux au premier
rang desquels figurait Pierre Vidal-Naquet, pourtant connu pour
ses écrits contre les “assassins de la mémoire” négationnistes39.
Comme pour donner raison aux opposants à la loi, le procès
intenté à Garaudy profita grandement à ce dernier, tant au sens
figuré qu’au sens propre. Œuvre sans intérêt, qui serait proba-
blement restée quasi confidentielle, comme la grande masse des
publications négationnistes, si elle n’avait été l’objet d’un scan-
dale public, le livre acquit une célébrité extraordinaire et connut
une circulation massive, en partie à la manière d’un samizdat.
L’auteur put se présenter comme victime d’une violation de la
liberté d’expression, infligée par ceux qui recourent à la répres-
sion des idées parce que – selon ce que ses partisans soutinrent
inévitablement – ils craignent un débat qui dévoilerait ce qu’ils

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cherchent à cacher. Argument fallacieux, bien entendu, puisque


les thèses négationnistes sont librement exprimées en dehors
des quelques pays où elles sont bannies par la loi, et qu’elles ont
été d’ailleurs largement décortiquées et réfutées40.
La conversion à l’islam de Roger Garaudy en avait déjà fait
un exemple abondamment cité par ceux qui aimèrent y voir
une confirmation de la supériorité de la religion islamique
sur le marxisme. Le procès qui lui fut intenté en France et sa
condamnation finale achevèrent d’en faire un héros aux yeux
des intégristes musulmans, des ultranationalistes et autres anti-
sémites du monde arabe, mais aussi d’une masse de nationalistes
se solidarisant avec un Garaudy victime de la “propagande sio-
niste”. Tous chantèrent ses louanges à des degrés divers, devant
un public largement ignorant des données de la question et
principalement motivé par l’animosité contre Israël. Le livre de
Garaudy fut, bien sûr, immédiatement traduit en arabe et publié
– à Beyrouth, d’abord, dès 1996, puis au Caire en 1998 avec, on
l’a déjà vu, une préface de Mohamed Hassanein Heikal.
Garaudy fit une tournée triomphale dans plusieurs pays
arabes. Il fut invité par des nationalistes au Liban et en Jordanie,
par le ministère de l’Information (sic) en Syrie, par les minis-
tères de la Culture (re-sic) du Qatar et d’Egypte – dans ce der-
nier pays, il fut reçu par le Grand Imam de la mosquée Al-Azhar
et recteur de l’université qui lui est associée, principale institu-
tion théologique de l’islam sunnite –, sans parler du soutien
chaleureux des autorités iraniennes. L’épouse du président des
Emirats arabes unis fit don à Garaudy de plus du double de
l’amende à laquelle la justice française le condamna. Il fut cité
ou interviewé par un grand nombre de médias, et continue à
être cité comme une autorité sur le sionisme et la Shoah. De
nombreux intellectuels arabes déclarèrent leur solidarité avec
lui, quelques-uns au nom de la liberté d’expression, beaucoup
en souscrivant à ses thèses41.
L’accueil que reçut Garaudy dans le monde arabe fut tout
simplement catastrophique. Il fut le symptôme d’un mal

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beaucoup plus profond et plus important que la question du


négationnisme lui-même : la formidable régression intellec-
tuelle en cours dans le monde arabe depuis plusieurs décennies,
produite par la dégradation de l’enseignement, l’étouffement
des libertés intellectuelles qui, là où elles sont tolérées par les
gouvernements, sont asphyxiées par l’influence croissante de
l’intégrisme religieux, et l’abrutissement des populations par
des télévisions qui, dans le meilleur des cas, reflètent la bêtise
ambiante et, le plus souvent, l’aggravent considérablement.
On ne prendra ici – où il n’y a ni le goût ni la place pour les
étalages obscènes – qu’un seul exemple révélateur : un ouvrage
consacré au contexte historique du procès de Roger Garaudy,
paru à Beyrouth en 1998, qui revendique un “caractère univer-
sitaire”, l’auteur arborant fièrement en couverture le titre de
docteur42. En couverture également, une fusion des drapeaux
nazi et israélien avec au centre une étoile de David bleue sur
croix gammée noire. Reprenant tous les poncifs de la littérature
négationniste antisémite européenne, l’auteur situe le procès
Garaudy à la confluence du “sionisme chrétien” de France avec
le “sionisme nazi” d’Allemagne et le “sionisme juif” d’Israël.
Tout cela serait sans intérêt autre que pathologique si
l’auteur n’avait placé en annexe de son ouvrage un florilège de
déclarations et d’articles de soutien à Garaudy et à ses thèses,
publiés au Liban et dans quelques pays arabes. On y trouve
les prises de position de dignitaires religieux parmi lesquels
Muhammad Hussein Fadlallah, qui n’était pas encore aya-
tollah, le chef du Conseil islamique chiite suprême du Liban et
le Mufti de Syrie, ainsi que celles des Unions des écrivains du
Liban, de Syrie et de Jordanie, de l’Ordre des avocats syriens
et de l’Union des avocats arabes. S’y trouvent également repro-
duits un compte-rendu d’une réunion de juristes, politiciens
et journalistes, tenue à Beyrouth en janvier 1998 en solidarité
avec Garaudy, ainsi que plusieurs articles de divers auteurs et
personnalités, dont un ministre libanais de l’Enseignement
technique et professionnel43.

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