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Article du Monde Diplomatique, écrit par Jacques Sapir, Directeur d’études à l’EHESS, directeur du
Centre d’études des modes d’industrialisation (CEMI), auteur de l’ouvrage Le Nouveau XXIème siècle. Du
siècle « américain » au retour des nations, Seuil, Paris, 2008
Aides massives aux industries automobiles, montée des droits de douane… A la faveur de la crise
économique, la question du protectionnisme revient sur le devant de la scène. Bien sûr, les tenants du libre-
échange ne désarment pas. Mais, pour beaucoup de leurs critiques, instaurer des quotas et relever les tarifs
douaniers pour les produits en provenance des pays émergents (la Chine et ses voisins, notamment) apparaît
comme le meilleur moyen de protéger le marché intérieur des pays européens et de relever les salaires.
- LE pousse aussi les gouvernements à transférer le financement des prestations sociales des entreprises vers
les salariés
Processus reconnu par l’américain Paul Krugman [Prix Nobel d’économie 2008]
Contexte expliquant l’explosion de l’endettement des ménages états-uniens
Phénomène existant aussi en Europe mais où il se combine dans la zone euro, à la politique de la BCE,
dans le même sens
- Même dans les pays relativement éloignés du modèle américain, la déflation salariale est patente
Politique de délocalisation massive de la sous-traitance et transfert vers les salariés d’une partie des
cotisations qui incombaient aux entreprises en Allemagne
Forts excédents commerciaux + Réexportation de la déflation salariale chez ses partenaires de la zone
euro + Croissance faible due à une demande intérieure déprimé malgré une croissance inquiétante de
l’endettement des ménages
En France, les gouvernements récents tentent d’appliquer des « réformes structurelles » (= de la durée
globale du travail et remise en cause des prestations sociales) = Entérinement des effets de la déflation
salariale
Forme la + spectaculaire de cette politique = Délocalisation vers des pays à bas coût salarial et faibles
réglementations sociales ou écologiques
Et la forme la + importante = Chantage à l’emploi exercé sur les travailleurs et les syndicats en vue d’un
renoncement des acquis sociaux et d’hausses de salaires
- Utilisation par les directions d’entreprises de la menace de la délocalisation pour remettre en cause accords
et réglementations sociales antérieures = Conséquences importantes sur la situation sanitaire des salariés (
des pathologies induites par le stress au travail)
Problème de la démonstration du lien entre la logique de la déflation salariale et la détérioration des
comptes sociaux dans les principaux pays européens [Des études épidémiologiques élèvent le coût de ces
pathologies à 3% du PIB]
Mais la détérioration des comptes sociaux a servi de prétexte aux différents gouvernements pour remettre
en cause de nombreux droits, transférant ainsi les coûts vers les salariés
- Les « réformes structurelles » contribuent alors, directement ou indirectement, à créer les conditions d’une
insolvabilité de la grande majorité des ménages [Etats-Unis, GB, Espagne], ou d’autres pays à créer une
fragilité croissante des familles et une montée de la question du « pouvoir d’achat »
L’émergence depuis une dizaine d’années du phénomène des « travailleurs pauvres » des deux côtés du
Rhin est directement liée à ces politiques
- La déflation salariale trouve son origine dans les politiques prédatrices menées, en matière de commerce
international, par les pays d’Extrême-Orient depuis 1998-2000, à travers le LE généralisé impulsé par
l’OMC
Mais ces politiques sont surtout le fruit des réactions de choc que représenta la crise financière de 1997-
1999
- En conséquence de cette crise, la Chine et ses voisins ont considéré que la répétition possible d’une telle
crise imposait la constitution d’importantes réserves de change
Développement de politiques agressives dans le commerce international avec l’utilisation de
dévaluations très fortes, des politiques de déflation compétitive et en limitant la consommation intérieure
Amenant, par leur redoutable efficacité, à une des salaires dans les pays développés
- Poursuite d’un rattrapage technique rapide depuis 30 ans de l’économie chinoise mais dans le même
temps, le coût salarial, direct et indirect, n’y évolue pas. De + la montée en qualité des exportations menace
à terme la totalité des emplois industriels.
L’indice de similitude (des exportations) augmente constamment pour la Chine mais aussi d’autres pays
émergents (cet indice est comparé aux exportations de l’OCDE)
Le mythe d’une spécialisation internationale où ces pays se concentreraient sur des produits simples
tandis que les pays développés garderaient la mainmise sur les produits sophistiqués s’effondre
- L’idée que la déflation salariale est le prix à payer pour que d’autres pays se développent est inexact
L’impact du LE mis en place par l’OMC sur les pays les + pauvres a été sensiblement négatif
Ce que les travailleurs des pays développés perdent en revenu ne va pas vers ceux des pays émergents,
mais sert à enrichir encore + une mince élite dont la fortune a littéralement explosé dans les dix dernières
années
Ainsi l’appauvrissement relatif et même absolu des travailleurs des pays développés a engendré la crise
actuelle, avec une contraction brutale de la consommation qui vient pénaliser les pays exportateurs
Une mesure nécessaire mais pas suffisante
- Un second mythe existant : Les mesures protectionnistes prises après la crise d e 1929 l’auraient aggravée
en provoquant un effondrement du commerce international
En fait les facteurs déterminants furent l’instabilité monétaire, l’accroissement des coûts de transport et la
contraction de la liquidité internationale
- Des mesures protectionnistes permettant de moduler les échanges avec l’extérieur s’imposent donc mais le
protectionnisme n’est pas l’autarcie, le repli sur soi
Ces mesures sont la condition sine que non de toute politique de revalorisation salariale qui rende les
ménages solvables et permette d’accroître la demande
les salaires sans toucher au LE est soit une hypocrisie, soit une stupidité
De +, seul le protectionniste peut arrêter la spirale du moins-disant fiscal et du moins-disant social qui
s’est instauré aujourd’hui en Europe
- Mais le cadre de l’Union Européenne est imparfait pour un tel retour du protectionnisme
L’espace économique européen actuel est tellement hétérogène qu’il permet à des politiques de dumping
fiscal, social et écologique de prospérer
En + du tarif communautaire, il convient d’envisager un retour aux montants compensatoires monétaires
Taxes provisoires visant à compenser les écarts de taux de change, mais aussi de normes sociales et
écologiques, entre membres de la zone euro
- L’alternative au protectionnisme et aux montants compensatoires est simple : soit voir autrui nous imposer
ses choix en matière sociale et écologique, soit imposer les nôtres
Les sommes issues du tarif communautaire = Partagées entre l’alimentation d’un fonds social européen
et des aides ciblées pour les pays extérieurs s’engageant, dans le cadre d’accords à moyen terme, à relever
leur protections sociales et écologiques
La recette des montants compensatoires = Un fonds de convergence sociale et écologique au profit des
pays de l’Union Européenne
- Sans des mesures de pénaliser les stratégies de dumping social, fiscal et écologique, la loi du moins-disant
s’impose. La combinaison du LE et de la rigidité monétaire de l’euro rend nécessaire, du point de vue de
l’entrepreneur, l’immigration clandestine
L’immigration Dévaluation de fait et d’un démantèlement des droits sociaux face à la pression de la
concurrence importée
- Quoi qu’en dise les gouvernements, le retour au protectionnisme devient inévitable
Il pourrait permettre une reconstruction du marché intérieur sur des bases stables, avec une forte
amélioration de la solvabilité tant des ménages que des entreprises
Il sera un élément important d’une sortie durable de la crise actuelle, et doit être au + vite un point central
d’un débat public sans totems ni tabous