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La sociologue et le politique

Intervention prononcée par Eric Zemmour, journaliste, écrivain et chroniqueur télé lors du colloque du 10
septembre 2007, La démocratie peut-elle survivre au système politico-médiatico-sondagier ?

Je vous prends à témoin d'une injustice que je vis depuis mon enfance : Comme mon nom
commence par un Z je passe toujours le dernier, quand tout le monde a tout dit et, comme la
cavalerie dans les westerns, j'arrive quand tout est fini.

Je vais essayer, une fois de plus, de dire avec mes propres mots ce que tout le monde a dit, la
tâche n'est pas facile.

L'élection présidentielle de 1974 fut ma première expérience politique. Encore enfant, je l'ai
suivie avec passion. J'ai voté pour la première fois en 1981, ma première expérience de
journaliste politique date de 1988. Plus tard, j'ai suivi les élections présidentielles successives
comme essayiste et chroniqueur à la télévision. C'est donc de l'intérieur du système «
médiatico-politico-sondagier » que je me suis fait ma « religion » sur ce sujet.

Un premier constat frappant caractérise cette présidentielle : Si en 2002 on a parlé, sans doute
injustement comme le dit Gérard Le Gall, de la défaite des sondages, en 2007, on peut parler
du triomphe des sondages. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont été choisis par leurs
mouvements parce qu'ils dominaient dans les sondages, chacun ayant d'ailleurs trouvé une
voie originale. Nicolas Sarkozy a métissé cette domination sondagière par une culture politique
traditionnelle, en « prenant » le parti alors que Ségolène Royal a commis une sorte de hold-up
du parti grâce aux sondages et aux nouveaux militants à 20 euros, les plus influencés par les
sondages. Ceux qui disaient : « Elle va gagner, elle est la seule à pouvoir battre Sarkozy », ont
choisi Ségolène Royal parce qu'elle était en tête dans les sondages et en aucun cas pour des
raisons idéologiques. Mais s'ils étaient dominants dans les sondages, c'est parce qu'ils avaient
lu d'autres sondages !

Je ne suis pas un spécialiste mais je distingue les sondages « chevaux de course » et ceux qui
portent sur les valeurs dominantes d'une société. Ségolène Royal comme Nicolas Sarkozy sont
des affamés de ces sondages du deuxième type. Ils ont en commun d'avoir perçu l'évolution
du fameux système « politico-médiatico-sondagier » : prime à l'émotionnel sur le rationnel,
prime à l'image sur la pensée, prime à l'intime sur l'idéologique, prime au « people » sur
l'affrontement des idées, prime du consensus par rapport à la loi, prime du participatif [vous
me voyez venir avec mes gros sabots] par rapport à la hiérarchie : ce que j'ai appelé –Dieu
sait que je n'aurais pas dû !- la féminisation de la société. Ségolène Royal a fait le même
diagnostic que moi et, au bout de six mois de campagne, son discours se résumait à : « Pour
accoucher d'une société aux valeurs féminisées, il vaut mieux une femme » … l'original et la
copie, on connaît par cœur ! Si elle a pu le faire c'est parce qu'elle a rencontré non seulement
une évolution des valeurs de la société mais une évolution de la société elle-même et de la
sociologie des médias. En effet, les journaux, les télévisions, les radios ont vu arriver une
armée de jeunes femmes de trente ans, journalistes travailleuses et compétentes mais qui,
comme toute leur génération (garçons et filles confondus), ont une culture politique et
historique que, pour être gentil, je qualifierai de lacunaire. Elles sont en butte à des chefs de
services et à des patrons de rédactions cinquantenaires et masculins. Ségolène Royal sera leur
revanche. Ségolène Royal n'est pas socialiste, elle est féministe, mais son féminisme est d'un
type particulier, essentialiste et non existentialiste. Elle pense que la femme, parce qu'elle est
mère, doit dominer la société et diriger ces homme immatures et pervers polymorphes (qui
doivent donc être jugulés par la mère). C'est la raison profonde pour laquelle Ségolène Royal,
contrairement aux autres femmes de gauche (comme Martine Aubry et d'autres), s'affirme sur
ce créneau. Selon moi la société est dominée par un féminisme de type nouveau, un
féminisme essentialiste, très différent de celui des années 50-60. Sur cette domination-là elle
impose sa domination sondagière. D'après moi, cela explique que, six mois avant la
présidentielle, dans les sondages, elle devance Sarkozy. Mais - je rejoins Gérard Le Gall – dès
le 14 janvier 2007, pour moi la présidentielle est terminée car si Ségolène Royal s'est affirmée
comme une remarquable sociologue, elle s'est révélée très piètre politique. Pour elle les
problèmes ne sont pas politiques, ce sont les problèmes de la société. Elle répond donc à une
évolution, à une crise de la société, elle ne répond pas à une offre politique.
Sarkozy, lui aussi consommateur effréné, vorace, insatiable de sondages, y a vu des choses
très intéressantes. Il a vu la « peopolisation » et tout ce qui a déjà été dit, mais aussi Ordre –
Etat – Nation – Travail. C'était là depuis vingt ans mais il l'a lu d'un point de vue politique, il a
compris que son positionnement, sa base sociologique (la base giscardo-balladurienne de la
mondialisation heureuse) était perdante, laminée à chaque élection. Il a donc solidifié cette
base sociologique pendant un temps et, quand elle lui a été acquise mordicus , il est allé
chercher Henri Guaino pour lui confier le dossier Ordre – Etat- Nation – Travail, et lui assurer la
base gaullo-bonapartiste sans laquelle il serait perdant. Et, c'est là son remarquable talent : il
ajoute Sarko II à Sarko I … et Sarko I plus Sarko II, ça donne la présidentielle !

Il ne faut pas croire que Ségolène Royal ait tout perdu. Selon moi deux mouvements de la
société s'affrontent. Les jeunes femmes de vingt-cinq à trente-cinq ans ont voté Ségolène
Royal à 69%. Imaginons qu'on ait privé les plus de soixante ans interdit du droit de vote …
Ségolène Royal aurait été élue !
Ma distinction n'est pas sexuelle mais générationnelle. Les hommes et femmes de plus de
quarante ou cinquante ans, ont une conception traditionnelle, mitterrando-machiavélienne, de
la politique tandis que les jeunes générations ont une conception « participative » - pour être
gentil - de la politique. Il n'y a pas de hasard, chacun se reconnaît dans celui qui incarne sa
conception de la politique.

Ce qui les unit est révélé par François Bayrou. Il lança sa campagne (j'y étais ce jour-là) dans
le sud-ouest de la France, lors des universités d'été de ce qui était à l'époque l'UDF. Le soir, il
était invité par Claire Chazal au journal de vingt heures de TF1. Et magistralement,
admirablement, il « se paya » Claire Chazal qui incarne le système médiatico-sondagier avec,
circonstance aggravante, l'aisance de la bourgeoisie française. De plus, elle fit la bêtise de
s'énerver. Tout était réuni pour faire de François Bayrou le « Petit chose ». Il adore ça, il se
croit persécuté par la bourgeoisie française depuis cinquante ans. Il était excellent parce qu'il
était lui-même. Et il posa l'acte fondateur de cette présidentielle : « Le rebelle » !

Et tous furent rebelles, chacun à sa manière :


Bayrou, parce qu'il avait un tracteur et qu'il « claquait » Claire Chazal (donc TF1, donc le vrai
pouvoir) tous les soirs à la télévision. [Je pense, comme les sondeurs, que les gens ont très
bien compris où sont les nouveaux pouvoirs, ils ont compris que TF1 a une puissance de feu
inouïe, celui qui ose claquer le pouvoir devient donc « Le rebelle »].

Ségolène Royal incarne la rébellion parce qu'elle est une femme.

Sarkozy, lui aussi, pose au rebelle, d'abord parce que depuis cinq ans il « claque » Chirac, le
Président de la République, tous les quatre matins, ensuite, pendant la campagne, parce qu'il
attaque de front ce qu'il appelle l'idéologie soixante-huitarde dominante dans la société
médiatique.

Chacun fait son rebelle, chacun fait son Le Pen bien élevé et ça marche ! Ca marche parce que
depuis vingt ans Le Pen s'est emparé des vrais éléments constituants du fonds populaire
français et il les extrémise, les dévoie, à la grande joie du système médiatique qui en profite
pour diaboliser les thèmes associés à Le Pen. C'est ce qui inhibe tous les présidentiables depuis
vingt ans. Nous sommes bien placés, à cette tribune, pour savoir que d'autres, avant Le Pen,
ont bien compris l'importance, dans le pays, des thèmes de l'ordre, de l'Etat, de la nation…
mais personne ne jouera à fond ces thèmes-là de peur d'être lepénisé. Chacun aura ses
inhibitions, chacun jouera petit jeu, petit bras, comme au tennis. Seul Sarkozy, avec un culot
inouï va jouer à fond toutes ces cartes-là : c'est le Federer de la politique ! Il va jouer tous ses
coups à fond.

Le résultat – et là je suis d'accord avec Gérard Le Gall – c'est que les électeurs sont obsédés
par le 21 avril. Les électeurs de gauche sont obsédés par le fait que Jospin n'a pas été au
second tour. Mais on oublie toujours que les électeurs de Le Pen aussi sont obsédés par ce 21
avril. Ils ont vu leur candidat arriver au second tour et, devant le cirque anti-fasciste (No
pasaran…) de l'entre deux tours, ils ont compris que jamais Le Pen ne gagnerait. Les électeurs
du Front national ne sont pas plus bêtes que les autres, ils voient que Sarkozy reprend les
thèmes lepénistes.

J'ai été très frappé, lors des meetings de campagne de Sarkozy, par les acclamations inouïes
(on sentait un tremblement de la salle) quand il disait que les immigrés devaient suivre non
seulement les lois mais les modèles culturels français. C'est le réveil de la vieille assimilation
française remplacée depuis vingt ans par la pseudo-intégration. Les gens l'ont avalée
médiatiquement mais en fait ils n'en veulent pas. C'est avec l'identité nationale que Sarkozy a
gagné, et rien d'autre. L'électorat populaire attendait ça depuis vingt ans.

Jean-Pierre Chevènement dit très pertinemment que la gauche a un problème avec la France.
Jospin ne parle jamais de la France, il parle - exceptionnellement - de la République, et, le plus
souvent, de la gauche. Les hommes de gauche ont non seulement un problème avec la France
mais aussi avec l'incarnation monarcho-étatique qu'a imposée la Ve Répubique. Cela apparaît
dans les slogans : « Présider autrement », « La France présidente »… Mais les gens ne veulent
pas de cela, ils veulent un président, c'est quand même simple ! Ils veulent un monarque.
Dans ses « Mémoires d'espoir », De Gaulle disait : «J'ai réglé un problème vieux de cent
cinquante-neuf ans ». Depuis la décapitation de Louis XVI les Français étaient orphelins d'un
pouvoir monarcho-républicain que De Gaulle leur a donné et en 1958 puis en 1962. C'est ce
que la gauche n'a jamais digéré.

Je crois que Sarkozy gagne parce qu'il réincarne, réveille une vieille synthèse bonapartiste
française qui est en quelque sorte l'horizon indépassable de la démocratie française. Le peuple
français ne veut pas en sortir parce que c'est la synthèse entre ordre et égalité, entre Etat et
liberté.

Or, comme le disait très pertinemment Stéphane Rozés, depuis vingt ans, dans la
mondialisation, dans l'Europe telle qu'elle est, cette synthèse, qui supposait un Etat fort et des
frontières, même élargies aux frontières de l'Europe (fantasme français d'une Europe plus
grande France), cette promesse de campagne n'a jamais été réalisée. Les partis politiques ont
intériorisé cette contrainte, c'est pourquoi ils se sont distanciés de leurs bases sociales
(puisque celle-ci ne les suivait pas).

A mes débuts dans le journalisme politique dans les années 1990, j'avais suivi les militants du
RPR. En 1999 ce n'étaient tout simplement plus les mêmes ! Les gens que j'avais vus
participer à la bataille Pasqua-Seguin contre Chirac, Juppé et Balladur en 1990 avaient disparu
quand, en 1997, Seguin reprit le parti à Juppé. C'était la revanche … mais les militants
n'étaient plus les mêmes, le RPR avait été vidé, nettoyé, il n'a plus la même base sociologique.

J'imagine que la gauche, elle non plus, n'a plus la même base sociologique que celle du Parti
d'Epinay et du socialisme des années 1970.

Comme les partis politiques se sont émancipés de leurs bases sociales, les gens se sont
émancipés des partis politiques. J'ai coutume de dire que Sarkozy a fait la campagne que
Pasqua avait suggérée à Chirac en 1988 : exploiter les valeurs communes avec le Front
national. A l'époque, cela avait fait hurler tous les bien pensants, puisqu'il s'agissait de
reprendre au FN les thèmes de l'ordre, de l'Etat, de la nation. C'est exactement ce qu'a fait
Sarkozy vingt ans plus tard.

Mais Nicolas Sarkozy a gagné sur une thématique qui ne lui permettra pas de respecter ses
promesses… Je peux vous faire déjà la campagne de 2012, ce sera la même ! En 2002, en
2007, en 2012 et jusqu'en 2052, tant que le peuple français sera ce qu'il est… ! Le problème
c'est que les politiques ne peuvent rien faire parce qu'ils ont perdu les armes qui permettaient
à Bonaparte de faire sa synthèse. Huntington dit « Au XVIIIe siècle, la France, l'Angleterre et
les Etats-Unis ont inventé la démocratie représentative et, au XXIe siècle, les mêmes inventent
la démocratie non-représentative. ». Le problème, c'est que les gens, l'opinion, le peuple,
appelez-les comme vous voulez, n'en ont pas fait leur deuil, ils ont la nostalgie d'une
démocratie où ils avaient un peu leur mot à dire et où l'Etat avait les armes qui lui
permettaient d'agir sur leur quotidien. A chaque fois ils votent pour les mêmes choses, et,
évidemment, ils ne l'ont pas, ils ne peuvent pas l'avoir, on l'a bien compris. Cela a été illustré
avec la crise financière de cet été : Sarkozy a pris sa plus belle plume et a écrit à Angela
Merkel ! Intéressant … ce n'est pas du tout ce qu'il avait dit pendant la campagne ! Il avait
dit : « l'euro est trop fort, il faut mettre des claques à Trichet… » Nous l'avons tous entendu,
c'est ce que les gens voulaient. Ils ne l'auront pas.

Je suis très pessimiste, non pas à cause des sondages : je suis d'accord avec les sondeurs, les
sondages ne constituent pas un problème, mais à cause de cette question : que fait-on une
fois qu'on a le pouvoir ? Si les techniques pour gagner les présidentielles sont connues, il n'y a
pas de remède à l'impuissance du pouvoir.

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