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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=POEU&ID_NUMPUBLIE=POEU_026&ID_ARTICLE=POEU_026_0191
2008/3 - n° 26
ISSN 1623-6297 | ISBN 978-2-296-07486-6 | pages 191 à 209
Reconnu tardivement par les sciences sociales comme objet d’étude, le football se révèle
aujourd’hui être un thème de recherche riche en significations pour les études européennes. Il
permet de susciter une analyse pertinente non seulement sur le plan des politiques
publiques, en raison de l’intérêt accru que lui portent les institutions communautaires,
mais aussi, en tant que pratique sociale largement partagée, sur le plan des liens affectifs et
horizontaux entre Européens.
Si les manifestations massives d’appartenance collective que déclenchent ses grandes
compétitions semblent à première vue renvoyer vers une propension du football à donner
expression à un nationalisme fermé, voire agressif, le comportement des individus qui
forment les foules du football est plus ambigu et permet de formuler un certain nombre
d’hypothèses de recherche. Le football peut ainsi être comparé à une « béquille identitaire »
qui permet de rendre compréhensible et humainement pensable la dissociation très abstraite
entre appartenance culturelle (nationalité) et allégeance politique (citoyenneté) réclamée par
les tenants de la « constellation postnationale » (Habermas). Il permet aussi de vivre son
appartenance nationale et le besoin social d’exprimer celle-ci sur un mode distancié,
ironique. Il constitue, enfin, une illustration surprenante de la théorie de la « réflexivité
postmoderne » (Giddens), dans la mesure où il permet aux acteurs sociaux de procéder à
une révision permanente de leurs propres pratiques en s’appropriant et intériorisant de
nouvelles connaissances sur ces mêmes pratiques produites par les sciences sociales.
Le football, cette passion partagée par un très grand nombre d’individus, montre ce
que la culture populaire au sens le plus large pourrait apporter à une meilleure
connaissance des rapports affectifs entre Européens, ouvrant ainsi des pistes intéressantes
pour la recherche.
At the beginning of the 21st century football represents a meaningful and relevant
topic for the field of European Studies, both in terms of European public policy, following
the increasing interest for all aspects of football governance shown by the European
institutions, and as one of the continent’s most widely shares social practices that
contributes to shaping mutual perception patterns and creating affective bonds between
Europeans.
While the massive display of collective feelings of belonging that are triggered by each of
its major competitions seem to point towards a capacity of football to provoke feelings of Supprimé : 3
aggressive nationalism, it appears that the behaviour of the individuals who form the Supprimé : 11
politique européenne n° 26, automne 2008, p.191-209
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crowds of football supporters is more ambiguous than it seems at first sight. This analyses
allows to formulate a set of hypotheses: football may thus be compared to an « identity
crutch » that allows to make humanly understandable the very abstract distinction between
cultural belonging (nationality) and political allegiance (citizenship) promoted by the
theorists of the « postnational constellation » (Habermas). It also allows individuals to
develop an ironic attitude and adopt a critical distance toward their own national belonging
and the social need to express it publicly. Finally it constitutes a surprisingly pertinent
illustration of the theory of « postmodern reflexivity » (Giddens) by allowing social agents
to proceed a permanent revision of their social practices in the light of new findings about
these very practices generated by the social sciences.
Football, this passion shared by a very large number of individuals, gives evidence for
the contribution the study of popular culture in its largest sense could bring to a better
understanding of affective bonds between Europeans and opens a series of interesting
perspectives for future research.
Depuis les années 1980, le football n’a cessé de prendre une place
toujours plus importante dans la société contemporaine, que ce soit
en tant que pratique sportive, spectacle de culture populaire ou
activité économique. L’espace qu’il occupe désormais dans le paysage
médiatique, dans l’imaginaire social, voire dans le langage politique
(Barbet, 2007) peut paraître disproportionné, mais force est de
reconnaître qu’il s’agit là d’un phénomène significatif de la culture de
masse, d’une de ces « passions ordinaires » (Bromberger, 1998) qui
touchent un très grand nombre d’individus. Le football compte en
Europe 62 millions de pratiquants, 224 000 clubs et un nombre
incalculable de téléspectateurs. Il semble parfaitement justifié de le
qualifier de « fait social total » selon la définition classique de Marcel
Mauss : c’est là effectivement un objet multi-dimensionnel qui
traverse et affecte tous les domaines de la vie sociale et qui peut en
constituer une grille de lecture intéressante.
Il est par conséquent surprenant que, pendant longtemps, les
sciences sociales aient fait preuve d’une certaine réticence envers le
football. L’indifférence, voire le mépris (Wahl, 1990, 16 ; Pociello,
1999, 16 ; Wahl, 2000) de la part de leurs pairs pour cet objet souvent
considéré comme futile, dérisoire ou marginal, semblent avoir
profondément marqué les chercheurs qui, les premiers, s’y sont
intéressés (Ehrenberg, 1984 ; Wahl, 1989 ; Wahl et Lanfranchi, 1995,
Bromberger, 1995).
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Si aujourd’hui le football est davantage accepté comme objet
d’études des sciences sociales en France, c’est sans doute en raison de
la Coupe du monde 1998. L’impact considérable qu’elle eut sur la
perception des significations multiples de ce sport a suscité un intérêt
accru de la part de différentes disciplines académiques (Mignon,
1998 ; Faure et Suaud, 1999 ; Boniface, 2002 ; Dietschy, 2006 ;
Gastaut et Mourlane, 2006, pour ne citer que quelques exemples). La
recherche française a ainsi rattrapé son retard sur les travaux effectués
au Royaume-Uni (Walvin, 1975 ; Mason, 1980 ; Elias et Dunning,
1984 ; Holt, 1989) ou en Allemagne (Eisenberg, 1994 ; 1997 ;
Heinrich, 1994 et 2000).
Vu la profusion d’ouvrages et d’articles, on peut regretter que
cette pratique sociale universelle que représente le football soit trop
souvent étudiée sous le prisme national ou dans une perspective
comparatiste qui se contente dans la plupart des cas de juxtaposer ou
opposer des regards nationaux. Cela est vrai autant pour les travaux
francophones (Hélal et Mignon, 1999 ; De Waele et Husting, 2006)
que pour les travaux britanniques (Finn et Giulianotti, 2000 ;
Armstrong et Giulianotti, 2001) et s’explique non seulement par les
contraintes matérielles liées à une recherche empirique qui dépasserait
le cadre national (sans même parler des difficultés d’ordre
linguistique), mais aussi par le fait historique que la mémoire du
football international s’est écrite depuis le début XXème siècle dans
des vases clos nationaux.
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE