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Le Dépassement du
naturalisme
dans les
Combats esthétiques
d’Octave Mirbeau
Juin 2006
Neuenschwander Delphine
Route de Porrentruy 3
2915 Bure
Langnau i. E.
A Daisy, ma maman (14. 6. 1947-28. 1.
2006)
2
Table des matières
A) DÉFINITION......................................................................................................................124
B) « LES NATURALISMES » DANS LES COMBATS ESTHÉTIQUES..................................................136
3
Vérité, idéal et imaginaire : leur définition « naturaliste ».................................140
Première apparition du naturalisme dans les Combats esthétiques................145
L’Ecole naturaliste.......................................................................................................146
Les Reproches de Mirbeau à l’encontre du naturalisme.....................................148
La Perception de la nature........................................................................................148
Un Mouvement rapetissant.......................................................................................149
Abondance de détails et peinture artificielle........................................................151
Entre vulgarité et négation de la création artistique............................................155
Contre le naturalisme ou la volonté d’indépendance..........................................158
Les naturalismes mirbelliens....................................................................................161
Le naturalisme-copiste ou le naturalisme servile.................................................161
Le naturalisme académique......................................................................................163
Le naturalisme « savant », un naturalisme estimé................................................167
III. LE DÉPASSEMENT DU NATURALISME...............................................................................................171
La transition.................................................................................................................171
Remise en question.....................................................................................................171
Renouvellement et intériorité...................................................................................176
Sur la voie de l’expressionnisme.............................................................................183
Vincent Van Gogh et Auguste Rodin......................................................................183
À la recherche de l’absolu.........................................................................................191
Sur la voie de l’abstraction........................................................................................196
Nouvelle conception de la nature............................................................................196
Par-delà la nature........................................................................................................209
Les limites de l’écriture..............................................................................................213
CONCLUSION....................................................................................................................................................224
Introduction
Cette question posée par Roger Bellet en 1977, en guise de titre pour l’un de ses
articles1, est toujours d’actualité trente ans après et reflète à la fois la complexité
d’une période, la seconde moitié du XIXe siècle, et celle d’un écrivain, Octave
Mirbeau. Par ailleurs, les trois termes – Octave Mirbeau, « naturaliste » et « faux
1
Bellet, Roger, « Mirbeau un faux naturaliste ? », Magazine littéraire, 129, (oct. 77), pp. 50-53.
4
naturaliste » – qu’elle contient, résument parfaitement les trois axes principaux qui
naturalisme.
ont été consacrées à la relation de Mirbeau avec le naturalisme, elles n’ont pas
travers les romans ou la vie de l’auteur, mais rarement dans la perspective de ses
critiques d’art, les Combats esthétiques2. Pourtant, ce recueil d’articles se trouve être le
plus approprié pour révéler des informations concernant un des grands mouvements
1877 à 1914, ces critiques d’art sont un véritable témoignage de la richesse artistique
de ce siècle, en France, qui voit naître tant de tendances différentes et, par
rythme effréné, le journalisme et surtout, la critique d’art, vivent eux aussi une
du fait que le naturalisme lui-même contient quelques zones d’ombre. Qu’est-ce que
interrogations ne sont pas aussi simples qu’il paraît. Le naturalisme étant souvent
réduit à une seule personne – Emile Zola, le chef de file du mouvement – il jouerait
un rôle mineur par rapport au grand courant qui le précède, le réalisme. Pour
répondre à ces questions, il est évident qu’il faut retourner à l’origine du mouvement
et étudier ce qu’en dit Zola dans l’optique d’une confrontation avec la perception de
Mirbeau.
2
Mirbeau, Octave, Combats esthétiques, tomes I et II, Paris, Séguier, 1993.
5
Cependant, les conceptions d’autres auteurs considérés comme naturalistes
doivent également être prises en compte, car elles sont, sans aucun doute, une des
l’ambition d’imposer une pensée esthétique unique, ce qui laissait une certaine liberté
œuvres originales. Le naturalisme est, selon Paul Alexis, « une méthode de penser, de
non une façon spéciale d’écrire »3 ; d’où les nombreuses nuances qui peuvent émaner
s’ajoute la relation amicale instable qui lie Zola et Mirbeau. Même si l’influence des
sentiments personnels de l’un et l’autre reste un facteur minime dans l’opinion qu’a
question est légitime, d’une part parce que l’étude des Combats esthétiques se
concentrent uniquement sur ce champ et, d’autre part, parce que certains écrivains
naturalistes, comme Huysmans, ont également été critiques d’art. Il sera, par la même
esthétiques ont souvent été étroitement liés à ces deux domaines artistiques,
arts. Les Combats esthétiques offrent justement la possibilité d’un double point de vue,
littéraire et artistique.
produit-il ? Il est vrai qu’Octave Mirbeau, étant donné le nombre d'années durant
3
Huret, Jules, Enquête sur l’évolution littéraire, Paris, Corti, 1999, p. 206.
6
lesquelles il a posé son regard critique, a vu se succéder plus d’une tendance et il ne
faut pas oublier que l’indépendance et la volonté d’innovation ont toujours été ses
évolution grâce à son esprit d’ouverture. Mais comment a-t-il réussi à dépasser le
naturalisme ? Quelles sont les esthétiques, ainsi que les artistes, qui l’ont mené sur
une nouvelle voie ? Même si son désir de nouveauté est très fort, il est permis de se
demander quelles ont été ses réactions face à des mouvements esthétiques qui
de la représentation de la nature telle qu’elle est pensée depuis les années cinquante
Mirbeau lui-même : comment a-t-il réussi à concilier les ambitions du critique d’art
artistique et au centre des débats durant tout le XIXe siècle : la nature. Pour ce faire, il
c’est bien les bases de la réflexion de Zola à son sujet, qui apportera un changement
convergent toutes les réflexions, Mirbeau ne déroge pas à la règle, plus encore en tant
que critique d’art attentif à l’atmosphère artistique parisienne. Il est vrai que l’amour
que porte Mirbeau à la nature est connu, au travers de sa passion pour la botanique
qu’il avait d’ailleurs en commun avec son ami Monet. Cependant, dans ses œuvres
complique dans l’optique mirbellienne, empreinte de dualité. Elle est perçue par
7
évoluer durant sa carrière et si oui, quels sont les changements apportés ? Quelles ont
été les influences, littéraires ou artistiques, qui l’ont aidé à créer sa propre conception
de la nature, il faut ajouter celle qui, par antithèse, scellera les bases de la critique
d’intransigeance envers les artistes mais également envers lui-même, il est certain
nature.
toutes les facettes qu’ils recèlent : avant tout, la pensée esthétique d’un écrivain et,
surtout, d’un homme, son évolution et celle d’un siècle dont la vitalité n’a jamais été
homme aimant la nouveauté pour réussir à saisir les enjeux passionnants qui se
manifestaient sous ses yeux. D’ailleurs, n’a-t-il pas repris cette phrase de Barrès à son
L’ambition de Mirbeau est la même que celle des artistes japonais qu’il admirait et
j’aurai perçu l’essence même des choses, de telle sorte qu’à 100 ans
j’aurai atteint le divin mystère et qu’à 110 ans même un point ou une
ligne seront vivants. Je prie pour que l’un de vous vive assez
4
« Kariste parle (II) », éd. cit., t. II, p. 185.
5
Cité in : Rüf, Isabelle, « La "Grande vague" du Japonais Hokusai, symbole de la violence des
tsunamis », Le Temps, mercredi 29 décembre 2004.
8
Reste à savoir si l’évolution de Mirbeau est synonyme d’amélioration et s’il a été à la
hauteur de ses ambitions et de celles des artistes qu’il admirait, car, finalement, le
véritable but d’un critique d’art, la véritable ambition des Combats esthétiques
9
I. La Nature dans les Combats esthétiques
La nature est une notion vaste et, il est possible d’observer que l’un des paramètres
essentiels qui caractérise les courants artistiques au fil des siècles, est la perception
que l’artiste a de la nature et sa relation avec elle, ce qui enferme parfois le concept de
nature dans les limites d’une théorie. Il y a, en effet, dans le domaine artistique
occidental, une tradition de la mimésis qui commence dès l’Antiquité avec, comme
exemples célèbres pour la littérature, Homère et le chant XIX de L’Odyssée, ainsi que
la nature » n’était en fait que l’imitation d’une partie de la nature, excluant ses
aspects les plus déplaisants. Dès lors, les conceptions esthétiques de l’Antiquité ne
représentent plus l’unique voie à suivre. Au contraire, elles sont fortement remises en
6
« A propos d’un monument », éd. cit., t. II, p. 240.
7
Colette Becker cite Auerbach, Erich, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale,
Bern, A. Francke, 1946, in : Becker, Colette, Lire le réalisme et le naturalisme, Paris, Nathan, 2000, p. 39.
8
Philippe Dufour parle « d’une crise de la représentation » in : Dufour, Philippe, Le Réalisme, Paris,
PUF, 1998, p. 311.
10
question, ce qui constitue une « nouvelle » Querelle des Anciens et des Modernes ou
premier mouvement, vers 1830, qui se penche sur ce sujet et qui propose une
dès le début, affirme que les « anciens n’ [ont] étudié la nature que sous une seule
face, rejetant sans pitié de l’art presque tout ce qui dans le monde soumis à son
imitation, ne se rapportait pas à un certain type du beau » 10. A partir de cette phrase,
Comme cela a été dit auparavant, l’Antiquité, particulièrement les Grecs et les
correspondent pas à son idée de beauté. L’imitation de la nature est étroitement liée à
la recherche d’une beauté idéale qui traduit la volonté de sublimer la nature pour
rendue que sous une forme idéalisée qui exclut évidemment toute marque de laideur.
Or, pour le mouvement romantique, ainsi que pour les mouvements qui lui
de la nature. Cette nouvelle manière de penser est exprimée ainsi par Victor Hugo :
« Tout ce qui est dans la nature est dans l’art. »11 Dans cette formule est contenue
nature en prenant compte de tous ses aspects et surtout, en n’excluant pas le laid, ou
rapprochant de ce qu’elle est en réalité, car, pour Hugo, il est évident que « le réel
11
Pour lui, il est impossible de dissocier ces deux éléments sous peine de créer des
œuvres monotones, ce qu’il reproche d’ailleurs aux œuvres antiques, car la beauté,
elle aussi, peut « fatiguer à la longue »13. « Nous dirons seulement ici que, comme
objectif auprès du sublime, comme moyen de contraste, le grotesque est, selon nous,
la plus riche source que la nature puisse ouvrir à l’art »14. La laideur, ou le
grotesque » dans l’œuvre d’art ne provoque donc pas seulement une nouvelle
œuvres d’art, la laideur étant beaucoup plus variée que la beauté, selon Hugo : « Le
Toutefois, cet intérêt pour la nature et pour ses aspects les moins flatteurs n’émane
pas d’une simple théorie, mais d’un changement dans le rapport qu’un artiste
entretient avec la nature. La nature est la seule source dont doit tenir compte
l’artiste se doit de rester humble face à elle, c’est-à-dire ne pas avoir la prétention de
« la rectifier », car, selon Hugo17, ce n’est ni le rôle de l’art, ni celui d’un artiste de
prétendre à cette tâche, l’être humain n’ayant pas ce pouvoir face à la création.
Pourtant, c’est ce qu’ont fait les artistes de l’Antiquité, en rejetant toutes les
a donc une première rupture qui s’établit en art par rapport à tous les siècles
13
Ibid., p. 22.
14
Ibid.
15
Ibid., p. 23.
16
« Le poète, insistons sur ce point, ne doit donc prendre conseil que de la nature, de la vérité, et de
l’inspiration qui est aussi une vérité et une nature », ibid., p. 37.
17
Ibid., p.36.
12
inépuisable dans ses créations, et bien opposé en cela à l’uniforme
romantisme est une réaction face à un art qui prolonge la conception de la nature
l’art dit « classique ». Cette opposition est importante, car elle est double : elle rejette
plus à l’époque « moderne » ; elle lutte également contre l’art officiel, soutenu par
L’art classique, dans ses conceptions fondamentales, ne peut être qu’une barrière
artistiques qui lui succéderont. Il se base en effet sur des concepts anciens qui
qui reflètent un monde autre que celui dans lequel vivent les artistes. Là est tout le
problème : d’un côté, il y a l’art classique qui prône encore la belle nature, idéal
C’est d’ailleurs ce que lui reprochent les artistes réalistes qui lui succèdent. En effet,
d’œuvres littéraires dont elle reprend les aspects fantastiques ou merveilleux. C’est
« réel » que lui reprochent essentiellement les réalistes19. Ainsi, ils le considèrent
18
Ibid.
19
« […] le romantisme sera assimilé à un idéalisme, littérature du sublime sans son grotesque (ou dont
le grotesque est trop démesuré pour n’être pas sublime lui aussi), littérature édulcorée. Mais le
réalisme y aura puisé une part de son esthétique ». Dufour, Philippe, op. cit., p. 65.
13
comme un mouvement de « transition » qui n’a engendré que des « peintres-
premier à avoir utilisé le terme21. Le réalisme s’oppose au romantisme par le fait qu’il
sous toutes ses formes y compris celles qui sont les plus triviales. Si le réalisme
l’inclusion du laid. Il est pourtant vrai que le réalisme franchit une étape
n’est pas empreint d’idéal22. Ainsi, la belle nature paraît bien lointaine et
comprendre que le terme de réalisme est déjà utilisé par les critiques d’art dès 184524.
Il faut attendre le Salon de 1849 et L’Après dînée à Ornans, œuvre qu’expose Gustave
mouvement réaliste tel qu’il est connu aujourd’hui25. Cette œuvre représente une
20
Champfleury, Le Réalisme, Genève, Slatkine Reprints, 1993, pp. 200 et 234.
21
Il aurait utilisé ce terme, dans son sens littéraire, le 21 septembre 1850 pour décrire l’art de Gustave
Courbet. Voir : Becker, Colette, op. cit., p. 60. Gérard Gengembre est lui beaucoup moins précis sur la
date de la première apparition du mot. Gengembre, Gérard, Réalisme et naturalisme, Paris, Seuil
(Mémo), 1997, pp. 5-6. Quant à Philippe Dufour, il situe la première occurrence du mot dans « son
sens esthétique » en 1826 dans un article du Mercure français du XIXe siècle et remarque déjà une grande
utilisation du terme par Gustave Planche en 1835. in : op. cit., pp. 2-3.
22
Dans une de ses premières critiques d’art datant de 1874, Mirbeau définit ainsi le réalisme : « […] ce
dernier mot [réalisme] signifie aujourd’hui la recherche du vrai dans le laid. » Mirbeau, Octave,
Premières Chroniques esthétiques, Angers, Société Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers,
1996, p. 50.
23
« Les détracteurs du réalisme revendiquent pour leur part cette idéalisation comme la vocation de
l’art. Ils retraduisent la formule aristotélicienne : "L’art imite la nature" en : "L’art imite la belle nature."
A quoi le réalisme oppose la maxime romantique : "Tout ce qui est dans la nature est dans l’art", y
compris le laid, y compris l’ordinaire. » Dufour, Philippe, op. cit., p. 64.
24
Becker, Colette, op. cit., p. 57.
25
Ibid.
14
œuvre qui représente la vie de gens humbles, qui veut représenter la « réalité », il y a
déjà eu cette ambition – par exemple chez Le Nain et Greuze, peintres du XVIIe et
XVIIIe siècle – mais toujours en voulant donner « une image idéalisée »26. Courbet,
lui, livre la vie de manière brute, « telle qu’elle est », sans n’y inclure aucun principe.
Enterrement à Ornans, pour que la littérature rejoigne les idées de la peinture et que
voit dans cette nouvelle œuvre « […] le premier coup de canon tiré par le peintre,
regardé comme un émeutier dans l’art »27. Dès lors, la base du réalisme est
Certainement l’art moderne n’a pas dit son dernier mot, à cette heure
attentivement les faits à leur naissance, les groupe, les analyse, essaye
sans la déformer et sans tenter d’exclure ce qui semble être ses défauts. Il n’y a plus
26
Ibid.
27
Champfleury, op. cit., p. 276. Preuve en est la réaction de Paul Mantz qui écrit à propos de
L’Enterrement à Ornans : « M. Courbet n’est plus là dans la vérité, il est dans la laideur, c’est-à-dire
l’exception, dans l’accident. » « Le Salon », L’Evénement, décembre 1850-avril 1851, in : La Promenade du
critique influent, op. cit., p. 55.
28
Ibid., p. 234.
15
de recherche d’idéal, mais une recherche de la vérité, de la « vraie » nature au-delà
de sa simple apparence. Tel est le but du réalisme, mais c’en est également « la
difficulté » :
C’est une difficulté, car l’artiste se doit d’être le plus objectif possible. Ce n’est plus
la même conception que celle de l’art antique qui se basait sur l’idéal de nature
imaginé par l’artiste, mais sur la nature elle-même, l’artiste n’étant qu’un
intermédiaire qui ne doit pas se laisser emporter par ses états d’âme, comme c’était
nature peut contenir de la laideur, ce qui est évidemment choquant pour un public
habitué à la belle nature30. Cet aspect de la nature était déjà une des grandes
laid prend donc une autre signification. Pour les romantiques, il servait à mettre en
valeur le beau par un effet de contraste qui permettait de sublimer la beauté. Avec
les réalistes, il acquiert une place à part entière dans l’œuvre d’art à l’instar de celle
29
Ibid., p 86.
30
Pour sa part, Philippe Dufour propose une autre explication : « Le roman réaliste peint l’individu en
conflit avec son temps. Ne serait-ce pas la raison qui explique l’accueil souvent passionné et
polémique de ces œuvres ? Le réalisme questionne les valeurs contemporaines. Il touche à la morale. »
op. cit., p. 62.
16
critiques d’art, un sens péjoratif, synonyme de vulgarité, de grossièreté ou
connaissance de la nature est une condition sine qua non pour obtenir une œuvre
d’art réaliste. L’artiste ne doit représenter que la nature qu’il connaît, voire celle dans
laquelle il vit, afin d’en rendre une image la plus proche de la réalité possible. La
place centrale dans la création de l’œuvre d’art. C’est elle qui en est le sujet, la source
Tous ces éléments réunis constituent une nouvelle esthétique, mais non une école,
puisqu’elle n’impose pas un dogme précisément défini. Il s’agit plutôt de voies qui
sont proposées à l’artiste, afin qu’il réalise une œuvre proche de la nature. Cela
Je n’aime pas les écoles, je n’aime pas les drapeaux, je n’aime pas les
Dans ce passage, Champfleury conteste tout ce qui constitue les académies et, par la
17
vouloir s’enfermer dans une esthétique, quelle qu’elle soit33. Il prendra d’ailleurs ses
supplémentaires peuvent être déduites : d’une part, le réalisme est un vocable que
les critiques ont imposé à certains artistes, particulièrement à Courbet, et, d’autre
qui contient les lois à l’aide desquelles il est permis au premier venu
Evidemment, l’écrivain paraît être en contradiction avec sa propre idée, puisque lui-
même s’est servi de ce terme pour parler des œuvres de Courbet. C’est justement là
que réside la différence : il a essayé de décrire en tant que critique d’art les œuvres
individualité et non plus parce qu’il fait partie d’une quelconque école :
que le réalisme est une étape essentielle pour le développement de l’art moderne. En
33
C’est ce qu’il affirme dans la suite de ce passage : « […] je veux conserver toute ma liberté et donner
le premier coup de pioche à une cabane qui ne me semblera pas devoir m’abriter. » ibid.
34
Becker, Colette, op. cit., p. 61.
35
L’exemple le plus probant est certainement lorsque Courbet a créé son « Pavillon du Réalisme »
après avoir été refusé au Salon de 1855.
36
Champfleury, op. cit., p. 272.
37
Ibid.
18
revanche, cela dévoile une ambiguïté au sein de la conception réaliste entre la
prolongement. A partir de 1855, le terme de réalisme n’est utilisé que dans son sens
L’école naturaliste, […], affirme que l’art est l’expression de la vie sous
tous ses modes et à tous ses degrés, et que son but unique est de
Ce passage écrit par Castagnary explique en partie la distance qui éloigne peu à peu
contenait déjà en germe le souhait de baser son processus de création sur une théorie
naissance, les groupe, les analyse, essaye de les montrer dans toute leur vérité »40.
loin en proposant une méthode, qui repose sur l’analyse stricte et la recherche
38
Becker, Colette, op. cit., p. 75.
39
Colette Becker cite ici un passage du Salon de 1863 de Castagnary, op. cit., p. 75.
40
Champfleury, op. cit., p. 234.
19
l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard ou les théories de Darwin
Ainsi, ce n’est plus l’imitation de la nature, la mimésis, qui prime pour l’artiste
naturaliste, mais plutôt son analyse. Cela ne signifie pas que le naturalisme
abandonne l’idée de représenter la nature en étant le plus « réel » possible, mais que
après avoir analysé la nature, qu’il en développe une perception particulière et qu’il
définition :
Moi je pose en principe que l’œuvre ne vit que par l’originalité. Il faut
l’artiste dans la création de l’œuvre d’art et c’est ce qui marque la différence entre le
réalisme et le naturalisme. Dans le réalisme, l’artiste ne joue, comme cela a été dit
à-dire que sa fonction est réduite au minimum, afin d’atteindre une représentation la
plus neutre et la plus « réelle » possible. L’artiste reste donc en retrait par rapport à
la nature, alors qu’avec le naturalisme, c’est le contraire qui se produit, puisque c’est
la perception de la nature qu’a l’artiste qui doit également transparaître dans l’œuvre
41
Zola, Émile, « Mes Haines », Ecrits sur l’art, Paris, Gallimard, Tel, 1991, p. 44.
20
Ce que je demande à l’artiste, ce n’est pas de me donner de tendres
Une œuvre naturaliste est l’équilibre entre ces deux paramètres : la nature « réelle »,
explique ainsi :
Il y a, selon moi, deux éléments dans une œuvre : l’élément réel, qui
commune mesure.
photographies.
Donc une œuvre d’art n’est jamais que la combinaison d’un homme,
tempérament.43
Ce que Zola développe dans ce long passage n’est pas réellement nouveau, car le
réalisme a déjà constaté qu’il était difficile, voire impossible de dissocier ces deux
42
Ibid., p. 107.
43
Ibid., p. 108.
21
paramètres et d’exclure totalement les incidences que peut avoir le tempérament de
reproduction et d’imitation, cela suppose des œuvres, s’il faut appeler ainsi de telles
copies de la nature. L’interprétation, elle, fait miroiter une plus grande implication de
la part de l’artiste. Si le rôle de l’artiste et de son tempérament reste vague dans les
clairement reconnu :
[…] l’homme, quoi qu’il fasse pour se rendre l’esclave de la nature, est
Le fait que le tempérament de l’artiste soit indissociable de l’œuvre d’art est certes
souligné par Champfleury, mais semble l’être presque à regret. Il est évident que cela
porte préjudice à la théorie réaliste qui recherche une réalité objective. Le passage de
confirme que ce n’est pas la voie la plus intéressante à suivre dans le domaine de
l’art, tant elle est limitée. Pour cette raison, Zola tente de se distinguer de ce qu’est le
réalisme et d’affirmer les différences entre les deux esthétiques en insistant sur la
44
Champfleury, op. cit. p. 92.
45
Ibid., p. 93.
22
Je me moque du réalisme, en ce sens que ce mot ne présente rien de
Comme cela a été dit précédemment, le lien qu’entretient l’artiste avec la nature est
beaucoup plus étroit que dans le réalisme, car ils sont les paramètres essentiels et,
relation semble poser un problème. L’artiste doit trouver le moyen de concilier deux
choses qui paraissent, par leur essence même, contradictoires : la nature réelle et son
tempérament, c’est-à-dire une partie intime de l’artiste qui est, de ce fait, extérieure à
méthode que doit utiliser l’artiste et ce qu’est l’artiste : « […] une nature qui saisisse
largement la nature en sa main et la plante toute debout devant nous, telle qu’il la
donne une information capitale : selon Zola, le tempérament n’est pas extérieur à la
partie de la nature, est lui-même la nature. La nature n’est donc plus seulement
pour défendre la nouveauté se durcit lui aussi, ce qui est visible chez Zola :
46
Zola, Emile, op. cit., p 120.
23
Un des caractères les plus nets du moment artistique que nous
réaliste l’a achevée. Maintenant, l’Académie est par terre. Elle n’a pas
disparu ; elle s’est entêtée, et vit à part, ajoutant une note fausse à
De l’Idéal à la nature
Le passage ci-dessus résume d’une part l’évolution que l’art a connue depuis les
premières décennies du XIXe siècle, mais également les résistances qui se sont
élevées face à elle, voire le refus net de l’Académie. Zola, lui, le sait, le « progrès » est
en marche et rien ne peut l’arrêter, pas même une conception esthétique basée sur la
tradition, au contraire :
Mais les impuissants ne veulent pas agrandir le cadre ; ils ont dressé
la liste des œuvres déjà produites, et ont ainsi obtenu une vérité
relative dont ils font une réalité absolue. Ne créez pas, imitez. Et voilà
pourquoi je hais les gens bêtement graves et les gens bêtement gais,
les artistes et les critiques qui veulent faire de la vérité d’hier, la vérité
paysages changent.48
évolution, au profit d’une image figée qui se répercute dans la conception esthétique
47
Ibid., p. 285.
48
Ibid., p. 40.
24
même de l’Académie. La preuve en est « la réglementation du beau »49 que les
peintres académiques imposent et qui « tue l’art », ainsi que la propension à faire
« croire qu’il y a, en fait de beauté artistique, une vérité absolue et éternelle »50. C’est
l’image d’un art fermé sur lui-même qui veut imposer sa conception, sa
« vérité absolue » qui n’est, en fait, qu’un leurre, puisqu’il n’existe pas une seule
vérité, et parce que cette « vérité » ne correspond qu’à la recherche de l’idéal qui lui
non plus n’existe pas. Même cet idéal qu’il recherche au nom de la tradition est
broyer les couleurs. Chez nous, les choses se passent autrement : les
très propre.51
La raison pour laquelle le naturalisme et les autres courants modernes du XIX e siècle
s’opposent à l’Académie est très claire. Les peintres académiques vivent hors de la
nature et ne sont que des « machines » qui absorbent des enseignements qui les
poussent à chercher l’idéal. Or, cette conception les incite à s’oublier eux-mêmes, à
49
Ibid., p. 263.
50
Ibid., p. 109.
51
Ibid., p. 194.
25
d’autres œuvres pendues aux murs des salles d’exposition, des
Pour Zola est venu le temps où l’art doit subir un changement sous peine de se
scléroser. Ce changement est très simple, il faut retourner à la seule et unique source
s’enfermer dans un monde idéal, qui ne sent pas l’évolution perpétuelle qui a lieu
sous les yeux des artistes. Zola, comme certains artistes, a compris qu’il fallait opter
pour une révolution complète dans le domaine de l’art, afin de créer un art
« idéal », même s’il s’agit peut-être de ne plus en avoir du tout, ou du moins, plus un
idéal de convention. Ce qui paraît une ambiguïté dans le discours de Zola, ne l’est
plus dès que le sens qu’il donne au terme d’ « idéal » est compréhensible grâce au
contexte, car il ne cesse de glisser d’un sens à l’autre. Il réfute l’idéal lorsqu’il s’agit
de la notion enseignée dans les écoles d’art, comme tout autre canon esthétique, et la
défend lorsque le terme est pris dans son sens premier comme le prouve l’extrait
suivant :
Il faut songer aussi que l’esprit humain subit une crise, que les
52
Ibid., p. 195.
53
Ibid., p. 285.
26
L’art se doit de suivre l’évolution qui a eu lieu dans d’autres domaines et pour ce
« révolution » :
L’idéal est un mensonge, car il ne reflète pas la nature « telle qu’elle est », alors que la
mesquin. 55
Cela revient à refuser de vivre dans le monde réel et à vouloir faire accepter
comme vrai un monde imaginaire et idéal. Pour Zola, c’est impensable et c’est pour
cette raison, qu’il espère une révolution en esthétique qui commence par le refus de
l’idéal. Cependant, il est conscient que l’abandon de l’idéal n’est qu’une partie de la
Il faut courageusement laisser les Grecs chez eux, les laisser avec leur
Ce passage démontre que Zola n’est pas contre l’idéal en lui-même, mais contre un
idéal qui, appliqué à son époque, ne lui correspond pas. Comme les Grecs ont trouvé
27
contemporaine. Le langage artistique de la deuxième moitié du XIXe siècle est basé
Ainsi, les genres, les sujets et les techniques picturaux vont apporter leur
Le romantisme avait déjà intégré une nouveauté dans le genre le plus élevé de la
l’actualité, ce qui avait déjà créé quelques remous57. Cependant, il faut attendre le
poursuit dans tous les mouvements picturaux qui lui succéderont. Parmi les peintres
qui provoqueront ce changement, il faut citer Gustave Courbet. Lorsqu’il expose ses
deux toiles L’Après dînée à Ornans et Un Enterrement à Ornans, il choque par le choix
Un des plus célèbres exemples qui illustrent ce changement est Le Radeau de la méduse de Théodore
57
Géricault.
28
essentiellement au paysage, amorce une transformation qui sera fondamentale pour
Jusque vers 1840, toutes les peintures sont réalisées en atelier. Les peintres de
peindre en plein air, afin de saisir la nature dans sa réalité. Les impressionnistes, qui
de la nature qui trouve son aboutissement dans les œuvres. Les peintres tiennent
peindre en plein air, lorsqu’il faut compter avec l’air qui circule, au
rapprocher de la nature et le paysage est le genre qui est le plus propice pour
58
Philippe Dufour fait une belle comparaison à ce propos entre le travail de l’écrivain et celui du
peintre : « Le réaliste se documente, avant d’écrire et encore pendant la rédaction. Il lit des livres, les
résume, en recopie des extraits. Il va enquêter sur le terrain, comme le peintre dans la seconde moitié
du siècle plante son chevalet "sur le motif". » op. cit., p. 121.
59
Il arrivait à Monet, par exemple, de retoucher quelque peu ses toiles en atelier, mais, par rapport aux
peintres de Barbizon, les œuvres restent majoritairement exécutées en plein air.
60
Zola, Emile, op. cit., p. 399.
29
Si on vise encore à l’idéal dans le portrait, dans les tableaux d’histoire
conceptions anciennes, excepté la peinture de genre qui deviendra très prisée. Cela
n’est pas étonnant, car la peinture en plein air ne se cantonne pas à la peinture à la
campagne, mais investira la ville et, par conséquent, s’intéressera à la vie des gens
ordinaires, qu’ils soient paysans ou citadins. C’est le réalisme qui, comme l’exemple
Cette rupture dans la hiérarchie des genres et les préférences des artistes
dans le choix des sujets. Les sujets mythologiques, historiques et religieux n’ont plus
sommes, Dieu merci ! délivrés des Grecs et des Romains, nous avons
même assez déjà du Moyen Âge que le romantisme n’est pas parvenu
nous nos peintres à nous reproduire sur leurs toiles, tels que nous
61
Ibid., p. 388.
62
Ibid., p. 206.
30
peinture qui devient une sorte de miroir. C’est également un moyen de s’opposer à
l’idée que seul le passé contient une certaine valeur et une certaine grandeur et que
lui seul mérite d’être représenté. Par les sujets que choisissent les artistes modernes,
contemporain ne suffit pas pour engendrer une œuvre intéressante, il faut respecter
les autres paramètres et surtout, ne pas oublier le but premier qui est de rendre la
L’artiste peint des scènes ordinaires de la vie, et, par là même, il nous
la vérité. Mais faire consister tout son mérite dans ce seul fait qu’il a
traité des sujets contemporains, c’est donner une étrange idée de l’art
aux jeunes artistes que l’on veut élever pour le bonheur du genre
humain.63
Un sujet contemporain qui ne contient pas la réflexion de l’artiste n’a pas plus de
l’artiste de ce sujet qui permet ensuite, d’engendrer chez le spectateur une certaine
réflexion ou, au moins, de lui offrir un certain recul face à son époque.
De surcroît, il faut trouver la forme adaptée aux nouveaux sujets et cela est un des
indissociable des changements provoqués par la peinture en plein air et par le choix
transformation dans la hiérarchie des genres et dans le choix du sujet a déjà débuté
l’ennuyeux, c’est que l’artiste a créé une nouvelle forme pour le sujet nouveau, et
c’est cette nouvelle forme qui effarouche tout le monde. »64 Les peintres qui
63
Ibid., p. 49.
64
Ibid., p. 295.
31
succèdent au réalisme et particulièrement, les impressionnistes, vont, il est vrai, se
concentrer sur la recherche d’une technique correspondant au mieux aux faits qu’ils
palette va s’éclaircir, apportant luminosité et clarté sur leur toile, respectant ainsi la
lumière et les reflets qui se trouvent dans la nature. La seconde modification, liée
étroitement à la première, est le choix de peindre dans une facture plus lâche,
sujet, puisque la forme et le volume ne sont rendus que par la touche et les couleurs.
Pour le public, habitué à la facture lisse des peintures classiques, il est évident que
cette nouveauté a été un choc65, car la manière de contempler les œuvres doit
Olympia :
par masses claires, par larges pans de lumière, et son œuvre a l’aspect
Cette nouvelle technique génère une nouvelle manière d’ « imiter » la nature, non
pas dans son apparence, mais aussi dans ses aspects les plus impalpables. Il a donc
65
Preuve en est la réaction du critique d’art Marc de Montifaud qui dit de la peinture impressionniste :
« […] leurs toiles semblent venues pour "engueuler" la critique. » « Salon de 1877 », L’Artiste, in : La
Promenade du critique influent, op. cit., p. 186. Félix Fénéon résume ainsi les innovations que les
impressionnistes ont amenées : « Dès l’origine, le mouvement impressionniste se particularisera par la
recherche de vives luminosités naturelles, la notation plus complète des réactions des couleurs, une
observation exclusive et plus stricte de la vie contemporaine. Ce programme appelait une facture
spéciale. » Fénéon, Félix, Fénéon, Félix, Œuvres plus que complètes, tomes I et II, p.p. Joan U. Halperin,
Genève-Paris, Droz, 1970, p. 53.
66
Ibid., p. 160.
32
fallu une longue observation de la nature et une longue réflexion pour réussir à
mettre au point une nouvelle technique. Cependant, elle ne découle pas seulement
au domaine technique vont de pair avec les progrès réalisés dans le produit même
de la peinture puisque, aux environs de 1840, la peinture est contenue dans des
tubes en étain, ce qui facilite sa conservation et son transport, ainsi que la peinture
en plein air.
voit pas une réelle opposition de la part de l’Académie, mais plutôt la peur de
si l’école classique manifeste son dédain, il s’y mêle une forte peur,
Si c’est une manière d’expliquer que la « révolution » est en marche et qu’il est
impossible aux institutions de l’arrêter, c’est également une manière pour l’écrivain
33
Mirbeau face aux mouvements esthétiques du XIXe siècle
Dès 1879, la critique d’art est en plein essor profitant d’un contexte politique plus
29 juillet 1881, qui entraîne la création d’un grand nombre de journaux et de revues.
indépendantes attribue aux critiques d’art une place plus importante, puisqu’ils
peuvent faire ou défaire la réputation d’un artiste et influer ainsi sur les goûts du
public et sur la vente des œuvres. De plus, la lutte pour imposer les nouveaux
intense. La critique est de ce fait le meilleur moyen pour défendre les nouvelles
Toutefois, cela ne signifie pas que la critique d’art était inexistante avant 1879.
Plus d’une centaine d’auteurs pratiquent ce genre littéraire entre 1850 et 186069. C’est
dans ce contexte que se place Octave Mirbeau comme il est possible de le voir à
travers les deux tomes intitulés Combats esthétiques qui recueillent ses articles
jusqu’en 1914. Ses critiques peuvent être très violentes et cruelles – il « pratique la
mais toujours très directes et vivantes. Cela fait de lui un critique écouté par un large
public et, en même temps, redouté, qui aura une influence capitale sur la carrière de
certains artistes.
69
Ces informations se basent sur : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 197.
70
Mirbeau, Octave, éd. cit.
71
La Promenade du critique influent, op. cit., p. 302.
34
Pourtant, Octave Mirbeau n’aborde pas des thèmes plus originaux que ses
en accord avec les idées qu’a développées Zola. Comme le chef de file du
l’art :
ce que valent toutes les écoles, c’est-à-dire rien, ont eu, du moins, le
salons ou en marbre d’écuries, est, pour celui qui sent, qui est ému
Ce passage contient tous les thèmes qui ont suscité la réflexion dans tous les
tout ce qui peut ressembler à une école où à une institution. Pour lui, le romantisme
n’était pas leur but premier. Par ailleurs, la haine des écoles vient de sa propre
expérience qui n’a aucun rapport avec le domaine de l’art73. Octave Mirbeau
72
« J.-F. Raffaëlli », éd. cit., t. I, pp. 366-367.
73
Mirbeau voue, depuis sa plus tendre enfance, une haine à toute sorte d’institutions, ce qui lui a
inspiré, en partie, son roman Sébastien Roch in : Mirbeau, Octave, Oeuvres romanesques, tomes I, II et III,
Paris, Buchet/ Chastel, 2000-2001. Voir également : Michel, Pierre, Nivet, J.-F., Octave Mirbeau :
l’imprécateur au cœur fidèle, Paris, Séguier, 1990.
35
n’affirme rien d’autre que ce que des écrivains comme Champfleury ou Zola 74 ont
exprimé avant lui. Si, pour lui, le fait que ces mouvements soient devenus, à force de
théories, des écoles, est leur plus grand tort, il leur reconnaît également le mérite
nature. Le romantisme et le réalisme sont les premiers mouvements qui ont pris la
nature dans son ensemble, « toute la nature », sans en exclure la partie « hideuse »
qui peut, elle aussi, après avoir été interprétée par l’artiste, offrir une certaine beauté.
XIXe siècle est souligné par Mirbeau. Il s’agit de l’infini de la nature qui est exprimé
par cette formule, « une source d’éternelle, de toujours neuve beauté ». La nature
doit être la seule source où va puiser l’artiste, car elle est en constant renouvellement,
elles aussi, infinies s’offrent à lui. Cette ouverture de l’art que Mirbeau formule par
le véritable intérêt que comporte cette idée de la nature, dégagée par le romantisme
Cependant, la notion de beau, qui est liée à celle d’idéal, comporte une ambiguïté
dans sa signification :
éclatantes, pour les santés brutales, les natures riches et les insolents
soleils.75
74
Zola, Emile, Ecrits sur l’art, op. cit., p. 120 : « Je serais désespéré si mes lecteurs croyaient un instant
que je suis ici le porte-drapeau d’une école. Ce serait bien mal me comprendre que de faire de moi un
réaliste quand même, un homme enrégimenté dans un parti. »
75
« J.-F. Raffaëlli », éd. cit., t. I, p. 366.
36
Dans cet extrait, la notion de beau est réduite à l’apparence des choses, ce qui est
une erreur perpétuée par l’éducation. Or, Mirbeau considère la beauté dans la
complexité de son sens, de la même manière que le fait Zola pour la notion d’idéal.
Ainsi, Mirbeau ne récuse pas la beauté, mais seulement celle qui provient de
conventions. Cette beauté est plus agréable et plus accessible que ce qui est laid et
surtout, elle évite d’engendrer une réflexion. Le laid peut parfois avoir le rôle d’un
celles des hommes, ce qui est moins plaisant et moins facile, puisqu’il peut susciter
des remises en question, ainsi que révéler des aspects que tout être humain
préférerait passer sous silence, voire oublier. L’éducation, elle, ne fait qu’alimenter ce
comme s’il existait un Beau plus Beau, un Beau vrai, un Beau unique ;
l’on s’évertue à briser, dans les vieux moules des théories imbéciles et
fassions et quoi que nous voyions, c’est cette forme et c’est cette ligne
37
est pas permis de casser ces formes et de plier ces lignes, sous la
Ce long passage est fondamental dans la critique d’art d’Octave Mirbeau, car il
contient à la fois les idées contre lesquelles il se battra et, celles qu’il soutiendra. Pour
lui, le beau a les faveurs du public, naturellement. Toutefois, les écoles d’art
confortent cette idée et vont même jusqu’à imposer l’idée d’un beau unique. C’est un
des éléments que combat Mirbeau pour deux raisons : d’une part, le beau est une
qualité relative et subjective et, d’autre part, assujettir l’artiste à un seul type de
beauté le limite et surtout, nie son individualité, alors que les mouvements
Ainsi, réapparaît l’opposition entre l’art académique et les nouvelles esthétiques que
l’art antique perçue comme la seule référence acceptable en art est également une
l’Académie. Même si l’art occidental ne peut renier l’esthétique qui est à sa base, il
est faux de se restreindre à une seule et unique source, car, d’une part, elle limite les
possibilités artistiques et, d’autre part, elle empêche de se tourner vers des influences
tout aussi pertinentes. Mirbeau en voit au moins une qui peut se mesurer à l’art
Il n’y a que les Grecs – à la belle époque de leur art sublime – pour
Par une observation naturaliste, qui eût réjoui Darwin, et qui prouve
76
« Puvis de Chavannes », éd. cit., t. I, p. 72.
77
Zola exprime d’ailleurs la même idée à propos de l’art japonais : « Et je ne parle pas de l’art exquis
des Japonais dans le détail, de leur dessin si vrai et si fin, de toute cette fantaisie naturaliste, qui
procède de l’observation directe jusque dans ses écarts les plus étranges. » Zola, Emile, op. cit., p. 421.
Ernest Chesneau a, lui, consacré un article à l’influence de l’art japonais sur les artistes français en
1878. « Le Japon à Paris », La Gazette des Beaux-Arts, in : La Promenade du critique influent, op. cit., pp.
191-193
38
chez les Chinois anciens – ils sont toujours anciens – une science
poisson…78
Cet extrait le prouve, à force de se limiter à un seul idéal, à une seule forme de
beauté et à une seule influence, les artistes sont passés à côté d’autres conceptions
qui pouvaient, elles aussi, développer l’art, de la même manière qu’il se développe
avec le naturalisme. Non pas que l’art antique n’ait été une influence valable, car
l’admiration de Mirbeau pour cette époque est ici très claire, mais il faut savoir rester
ouvert à toutes les alternatives qu’offre l’art, de la même manière qu’il faut l’être
envers toutes celles qu’offre la nature. Les impressionnistes l’ont d’ailleurs bien
compris, car, s’ils ne sont pas les premiers, certains d’entre eux vont étudier de près
Mirbeau ne va pas seulement lutter contre l’Académie, mais aussi contre tout ce
rejoint la formule de Zola pour définir l’œuvre d’art et le processus qui permet de la
créer :
C’est que la nature n’est belle, elle ne s’anime, elle n’existe même
Monet, ces trois passionnés, ces trois adorateurs de la vie des choses
39
expriment la nature, dans son exactitude qui ne change pas et en
même temps dans sa poésie, qui est variable, suivant les sensations de
chacun.79
Mirbeau reprend la définition de Zola, mais la modifie, afin d’y inclure sa propre
conception. Le rôle de l’artiste est en effet précisé, puisqu’il est vu comme la personne
qui permet de révéler la nature et qui lui donne une existence réelle par rapport au
spectateur. Cela peut sembler manquer de l’humilité que l’artiste se doit de garder
face à la création, mais avant de porter un tel jugement, il est important de se pencher
sur une autre modification qu’apporte Mirbeau. Il introduit un élément dont ne parle
pas Emile Zola : la dualité de la nature. Selon lui, elle est composée de deux faces,
invisible. Cette deuxième face est celle que l’artiste doit appréhender, afin de rendre
de la nature, mais également ce qui lui fera prendre ses distances par rapport à la
théorie naturaliste, même s’il a été démontré qu’il en était parfois proche.
79
« Le Salon (II) », éd. cit., t. I, p. 258.
40
La nature est considérée comme devant être la source unique et la principale
préoccupation de l’artiste. Sans elle, l’œuvre d’art ne peut exister et même, l’art ne le
nature est, comme c’est le cas pour tous les critiques d’art qui défendent les nouvelles
esthétiques au XIXe siècle, le point de référence sur lequel se base la critique d’Octave
Mirbeau81.
carrière de Mirbeau en tant que critique d’art. Dès le début, il est conscient de la
dualité de la nature et insiste sur le fait que les « vrais » artistes sont, à ses yeux, ceux
comprendre son essence. Seulement, Mirbeau semble ne pas avoir trouvé des termes
précis pour décrire ce qu’est cet aspect de la nature, tant ceux qu’il a choisis restent
vagues :
Il est vrai que cette face de la nature est, par sa définition, abstraite et qu’il est
une rhétorique qui lui correspondra. Cependant, il faut être attentif au fait qu’il
80
« Réponse à une enquête de Maurice Rousselot sur l’éducation artistique du public contemporain »,
éd. cit., t. II, p. 338.
81
« La nature est pour lui [Mirbeau] la seule ligne esthétique à suivre, qui au-delà du cadre artistique,
englobe toute activité humaine ». Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, Interférence, 2003, p. 20.
82
« Le Pillage », éd. cit., t. I, p. 69.
41
glisse souvent d’une occurrence à l’autre du mot « nature », ce qui crée une certaine
1886 est une année charnière, car la nature sera le sujet central des discussions
artistiques et, évidemment, elle le sera également dans les articles de Mirbeau qui,
pratiquement tous, auront trait à la nature. Cela peut paraître étonnant, puisque
définition de l’œuvre d’art vingt ans auparavant83. Par ailleurs, il faut savoir que le
n’est que peu de temps avant l’éclatement du mouvement dans le domaine littéraire,
Salons officiels.85
Il faut attendre encore quelques années après cette légitimation, pour que la nature
« envahisse » les débats et nourrisse les réflexions de toutes les écoles et de tous les
seule l’encre coula chacun est d’accord qu’il faut que l’art se
vie des êtres, – voilà où tendent tous les efforts intellectuels. « La vie
elle-même ! » […] 86
83
Cette définition se trouve dans « Mes Haines » qui date de 1866. Zola, Emile, Ecrits sur l’art, op. cit.,
pp. 33-84.
84
La chronologie du mouvement se base sur celle de : Becker, Colette, op. cit., p. 73.
85
Citation reprise du Salon de 1880 in : Zola, Emile, Ecrits sur l’art, op. cit., p. 424
86
« L’Art et la Nature », éd. cit., t. I, p. 246.
42
Tous vont alors tenter d'élaborer leur propre conception de la nature et Mirbeau ne
fera que préciser la sienne, afin de contrer celles qui lui semblent erronées. Le
passage ci-dessus prouve que le rapprochement entre art et nature est le véritable
débat du siècle. Les « luttes », ne seraient-ce que pour inciter les artistes à
pas oublier que le naturalisme, en étant accepté à l’Académie, devient lui-même une
esthétique « officielle » et ainsi, fait courir le risque à ses idées d’être réduites à un
effet de mode. Que l’art se rapproche de la nature, cela ne peut que réjouir Mirbeau,
mais faut-il encore voir exactement comment cette volonté est transcrite dans les
s’agit bien de ce qu’il recherche dans une œuvre, une nature « belle » et « animée »,
comme cela a été dit précédemment, mais il ne peut que douter de la réelle
application de ces bonnes intentions, surtout par la peinture académique. Pour lui, la
conception de la nature ne tient pas seulement en une théorie, ce qu’il explique dans
un autre article :
nature est ceci ; la nature est cela ; la nature est tout. Il n’y a que la
nature ! Sans doute. Mais le malheur est que la nature par elle-même,
visible, elle n’est palpable, elle n’existe réellement qu’autant que nous
Ici, Mirbeau s’adresse à un autre critique d’art, Fourcaud, qui voit en Cabanel, grand
43
fait partie des critiques d’art qui se battent contre les dogmes imposés par
nature peut choquer Mirbeau. Toutefois, ce n’est pas cela qui dérange le plus le
critique d’art, mais bien le fait que Fourcaud et d’autres critiques théorisent la
moins ne devrait pas être que cela, comme le pensent les peintres académiques. Elle
insiste sur le rôle indissociable de l’artiste avec la nature et sur le fait que sa
personnalité, son individualité est l’élément qui procure à la nature son existence en
art : « La Nature n’est visible, elle n’est palpable, elle n’existe réellement qu’autant
que nous faisons passer en elle notre personnalité, que nous l’animons, que nous la
gonflons de notre passion. » Ainsi, l’expression prime sur la représentation, car c’est
ce qui donne à une œuvre son originalité. C’est, par ailleurs, ce à quoi il a été fait
Cazin, Monet, ces trois passionnés, ces trois adorateurs de la vie des
pas et en même temps dans sa poésie, qui est variable, suivant les
sensations de chacun.88
Or, les peintres académiques n’intègrent pas leur personnalité dans leurs œuvres
et, en ce sens, même s’ils parlent de la nature et qu’ils la représentent, ils ne peuvent
44
l’artiste, elle est variable et de ce fait, insaisissable, avant qu’elle ne se matérialise en
œuvre d’art. Elle ne peut donc pas être résumée en règles définies. C’est ce que
démontre l’exemple des artistes cités dans le dernier passage : ils voient le même
arbre, mais ne le peindront pas de la même manière. C’est sur cette même base que
les artistes dits « impressionnistes » ne constituent pas une école, tant la particularité
l’artiste et, par conséquent, laisse une liberté presque totale à l’artiste. La seule
contrainte pour accéder à cette liberté est la compréhension totale de la nature. Pour
ce faire, l’artiste doit se mettre « hardiment aux prises avec la nature »89, c’est-à-dire
lutter avec elle, vivre en elle, afin d’en être le plus proche possible et de
l’appréhender au mieux, afin qu’elle veuille délivrer ses secrets. Les impressionnistes
l’ont très bien compris, eux qui, ne peignent qu’en plein air. Cela leur permet
pouvoir les inclure à leurs œuvres. Ainsi, Mirbeau voit l’artiste comme un « être
privilégié » :
L’artiste jouit d’une certaine supériorité sur les autres hommes qui lui est conférée
45
comme un être supérieur, mais comme quelqu’un qui a reçu un privilège, celui de
voir réellement la nature et, seconde différence avec le poète, l’artiste n’est pas
La nature « acquiert une réalité insoupçonnée : celle d’un paysage interne qui
s’oppose à l’habituelle conception normative »93 et qui lui confère une richesse
nature, le critique d’art en jouit également. Il peut apprécier des œuvres et des
C’est ce qui vous explique que moi, et beaucoup de gens comme moi,
c’est-à-dire de nature.94
perception de l’artiste, offre au critique d’art une ouverture d’esprit face aux œuvres,
sa préoccupation n’étant plus de constater si les règles ont été respectées, mais de
Classiques Garnier, 1990. L’influence de Baudelaire sur la critique d’art de Mirbeau est également
expliquée dans l’article : Michel, Pierre, « Mirbeau et le symbolisme », Cahier Octave Mirbeau, 2, 1995,
pp. 8-22, ainsi que dans le chapitre V de : Michel, Pierre, Les Combats d’Octave Mirbeau, Paris, Les Belles
lettres, 1995.
92
Lustenberger, Christophe, « Impasse et renouveau dans la vision de la nature », Europe : Octave
Mirbeau, Louis Guilloux, poésie du Québec, LXXVII, 839, (mars ’99), 1999, p. 42.
93
Ibid, p. 39.
94
« La Nature et l’Art », éd. cit., t. I, p. 306.
46
laisser à l’artiste la possibilité de lui faire découvrir la nature d’une manière qu’il
n’aurait lui-même pas imaginée95. C’est à lui de faire l’effort de comprendre la pensée
de l’artiste et il ne le peut que s’il a lui-même observé et compris la nature, s’il est
conscient de son infini et de sa variété. Mirbeau prend l’exemple d’un autre critique
d’art, qui est également son ami, Gustave Geffroy, pour soutenir cette idée :
les êtres par le regard de l’art ; c’est pourquoi il a, mieux que tout
harmoniques.96
En faisant l’éloge de son ami Geffroy, Mirbeau ne cherche qu’à faire transparaître
son idée du travail de critique d’art, du rapport qu’il doit maintenir avec la nature et
avec les artistes, rapport qui doit être presque à l’égal de celui de l’artiste, afin qu’il
saisisse les éléments fondamentaux de l’œuvre d’art qui sont intrinsèquement liés 97.
Il est évident que, pour Mirbeau, un critique d’art n’est pas seulement un écrivain
qui décrit simplement les œuvres d’art et donne un compte rendu des expositions
qu’il est allé voir. Il doit analyser les œuvres qu’il a vues, afin de pouvoir émettre un
ailleurs, la critique suit le même chemin que l’art du XIXe siècle en accordant une
95
« On oblitérerait la part essentielle de la pensée critique de Mirbeau en marginalisant la dualité
constante qui structure sa conception de l’art : respect de la nature, respect de la logique. A la fois
immuabilité et projet d’une part, envoûtement et intuition de l’autre ». Lair, Samuel, Mirbeau et le
mythe de la nature, op. cit., p. 312.
96
« La Vie artistique », éd. cit., t. II, p. 67.
97
« L’artiste évolue dans la nature, ou la nature se déploie dans l’artiste : hors de ces deux voies, point
de création possible. Tout interfère, les notions consubstantielles de nature profonde de l’artiste et de
nature sensible communiquent entre elles et « en » elles ». Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la
nature, op. cit., p. 317.
47
plus grande importance à la sensation. Ainsi, la critique d’art de Mirbeau est plus
une explication des sensations ressenties à la vue d’une œuvre qu’une description
Un critique ne peut pas dire pourquoi une chose est belle ; il peut dire
seulement qu’elle est belle, sans plus, car la beauté est indémontrable
nature.98
Une fois de plus, le rapport avec la nature est mis en exergue et ce passage
démontre à quel point il est également important pour le critique d’art. La nature est,
Cela ne signifie pas que Mirbeau supprime toute explication technique, mais il
l’utilise seulement si elle lui permet d’étayer une critique « sensorielle » de l’œuvre99.
Cependant, la nature reste une notion vaste et vague chez Mirbeau comme elle l’est
dans les dictionnaires. Il est difficile de lui donner une signification précise qui ne
98
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 386.
99
Dès ses premières critiques d’art, Octave Mirbeau cherche la simplicité dans la formulation :
« Autant que possible, nous désirons n’ennuyer personne, et c’est pourquoi nous sommes fermement
résolu à ne parler de la peinture et de la statuaire qu’en langage simple et usuel. » Mirbeau, Octave,
Premières chroniques esthétiques, op cit. p. 94.
48
la nature, au-delà de ses apparences, présente une cohérence, que
cadre de l’article de Lustenberger, il est possible d’en reprendre les éléments et de les
de l’époque, précisé au début de ce travail. Un autre élément tout aussi important est
le fait que la nature est « une entité abstraite, contradictoire et incernable » qui
surpasse l’auteur par son manque de limite. En même temps, c’est ce qui l’attire dans
la nature et le rapproche des artistes qu’il critique, puisque, comme eux, il s’engage
sur le chemin difficile qui les pousse à essayer de cerner la nature, en sachant
pertinemment que c’est une quête impossible. Il a en commun avec eux la sensation
perception qui résulte des œuvres d’art, comme le démontre ce passage tiré d’une
soutenir dans ses critiques d’art, croyant même parfois que certains auront réussi.
49
temps, cohérente. Ainsi, sa critique devient à son tour le reflet du fonctionnement de
Ces variations au sein de la critique d’Octave Mirbeau seront plus visibles après
la grande période du débat sur la nature, c’est-à-dire après 1886. Dès l’année
esthétiques comme le montrent les articles rédigés en 1887. Mirbeau ne semble plus
admire, comme il l’a fait depuis ses débuts en tant que critique d’art. La nature est
toujours présente dans ses articles, ainsi que la relation de l’artiste avec cette
Ici, point de conception personnelle, point d’argument, point de ton pugnace, mais
source de toute création artistique, sans que Mirbeau cherche à en expliquer les
Cependant, il recherche toujours les mêmes paramètres dans les œuvres qu’il
contemple, ceux qui lui prouvent que l’artiste a su observer, comprendre et exprimer
102
« La Croix de François Bonvin », éd. cit., t. I, p. 324.
50
Avec quelle sensibilité, avec quel amour de la nature, avec quel esprit,
Pourtant, dans cet extrait se trouve un autre élément qui incarne une grande
dans le contexte artistique dans lequel se place l’auteur, car s’il défend des
convoitant une grande proximité avec la nature, même s’ils s’éloignent de la forme
« réaliste ». Dès lors, la question sera, pour les artistes et pour le critique, de trouver
faire entre la face apparente de la nature et sa face cachée. Pour Mirbeau, François
l’esprit de l’artiste, est une des difficultés de la création, et de ce fait, cet équilibre
fondamentaux qui, dans sa critique d’art, permet de juger si un artiste est véritable et
Pour les [les animaux] rendre avec leur magnificence et leur luxe, qui
103
Ibid, p. 325.
51
harmonieux, où la splendeur de la nature s’associât intimement à la
une personne qui réussit à associer nature et imagination sans que la seconde altère
précisé par la suite. L’un d’entre eux est sans aucun doute le sculpteur Auguste
Rodin :
Et, avec L’Enfer, Victor Hugo, Balzac, Les Bourgeois de Calais, il aura
cesse en feu et dévoré par les flammes, comme une forge qu’on éteint
nature et l’imagination qu’il recherche chez les artistes ou, l’incarnation de la tension
qui existe entre ces deux pôles manifestement opposés. Chez Rodin, l’imagination
est très importante et la réelle difficulté est de la dompter, afin de ne pas trop
également à quel moment il doit se contrôler pour rester dans le cadre initial. Ainsi,
il évite de tomber dans l’artifice qui est engendré par un excédent de l’un ou l’autre
des deux éléments. La nature a donc un rôle salvateur, de barrière de sécurité, qui
empêche l’artiste de se perdre dans son imagination. Ce dernier point est très
important pour Mirbeau, car une de ses grandes craintes, qui revient comme un
104
« Préface au Catalogue des œuvres de Manzana-Pissarro », éd. cit., t. II, p. 432.
105
« Préface aux Dessins d’Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 203.
52
leitmotiv tout au long de sa carrière, est de s’apercevoir que l’art n’est finalement
qu’une « mystification »106. Au contraire, une de ses convictions profondes est que
l’art permet de montrer la nature « telle qu’elle est » et ce, dans ses replis les plus
intimes. Cette crainte presque obsédante, présente dans de nombreux articles des
Combats esthétiques, est une des preuves que l’ambiguïté est une caractéristique de la
soutien qu’il accorde à certains artistes107, et il vit des périodes qui le font passer de
souvent de son plein gré, ce qui permet au public de se sentir proche de l’auteur et
de l’entraîner ainsi sur la voie du succès108. Par ailleurs, cela reflète le problème
Comme l’artiste, qui ne doit pas dépasser la frontière ténue entre nature et
faiblesse qui lui permet de redoubler d’admiration pour les artistes qui le trouvent.
Si, de ce point de vue-là, l’auteur semble manquer de cohérence, le mérite lui revient
modernité et la laideur qui prendront, pour leur part, beaucoup d’importance dès
106
Note 10 in : « La Vie artistique », éd. cit., t. II, p. 68 : « Leitmotiv de Mirbeau. Très sensible à la
contradiction de toutes choses, il est souvent porté à craindre que ce qu’il aime le plus – l’art, la
littérature, la société idéale – ne soit qu’une "mystification" qui camoufle le réel au lieu de le révéler.
(Voir ses Contes cruels, t. I, p. 227). »
107
L’exemple le plus frappant étant sans doute son admiration pour Puvis de Chavannes qui va se
transformer peu à peu en rejet.
108
La Promenade du critique influent, op. cit., p. 302.
53
Puis, quand un pays laisse se former, grandir et se développer, ces
belle, fait des civilisations comme la Grèce antique, et, laide, produit
C’est, ici, une démonstration, non seulement d’une crise de doute, mais également
du ton combatif et accusateur que peut prendre Octave Mirbeau. Il n’a plus
confiance en l’art de son époque qui porte aux nues la laideur et, en même temps, il
accuse l’Etat d’avoir insufflé cette impulsion. Que l’Etat soit un des boucs émissaires
de Mirbeau n’est pas une nouveauté, seulement ici, il est mis en cause par l’influence
qu’il a sur la pensée esthétique de l’époque et non plus seulement, par le soutien
financier qu’il apporte à tel ou tel autre peintre. L’extrait ci-dessus est tiré d’un
article daté de 1893. La France vit alors une période de troubles sociaux et
économiques depuis 1891. Mirbeau est en plein combat anarchiste et l’Etat devient
alors la raison de tous les maux. Il est intéressant d’observer qu’Octave Mirbeau
étend son combat politique à son combat esthétique, les liant étroitement 110. Ainsi,
l’applique dans ses articles, c’est-à-dire à travers les artistes et les œuvres qu’il
contemple.
« Ceux du Palais de l’Industrie », éd. cit., t. II, p. 10.
109
110
Sur la relation entre les combats politiques et les combats esthétiques de Mirbeau voir: Michel,
Pierre, Les Combats d’Octave Mirbeau, op. cit., Michel, Pierre, Nivet, J.-F., Octave Mirbeau : l’imprécateur
au cœur fidèle, Paris, Séguier, 1990, ainsi que l’article : Tartreau-Zeller, Laurence, « Mirbeau et
Meissonnier. La guerre critique anarchiste contre le peintre politicien », Cahier Octave Mirbeau, 3, 1996,
pp. 110-125.
54
Evolution de la conception de la nature : entre tradition et nouveauté
Octave Mirbeau se remet seul en question et les artistes qu’il admire le poussent
évolue au fil du temps. Il est possible de l’observer à travers les articles qu’il a
tradition picturale pour les artistes indépendants comme Pissarro, mais surtout
comment ils s’en sont détachées afin d’élaborer leur propre conception de la nature :
un pur classique par son goût des hautes généralisations, son amour
reste encore liée par quelques aspects, « goût des hautes généralisations » et « amour
fervent de la nature », à celle qui l’a précédée. Selon Mirbeau, Pissarro est un peintre
qui a concilié ces deux paramètres antithétiques dans sa peinture. Seulement, il a fait
un choix parmi ces traditions et n’a retenu que celles qui sont « respectables », c’est-
Cette façon d’envisager les traditions qui est, par ailleurs, celle de Mirbeau, laisse
une place à l’évolution. Les traditions ne sont pas perçues comme les seules et
111
« Camille Pissarro », éd. cit., t. I, p. 459.
112
Camille Pissarro est un anarchiste convaincu.
55
uniques références que les artistes doivent imiter ou plutôt « repeindre », parce
« nouvelle peinture » ne tient pas seulement à la volonté d’un artiste, mais est avant
tout une profonde réflexion sur un art et un savant mélange entre connaissances
introduit dans l’art des éléments novateurs qui ont rendu possibles la
de la nature.113
Cet extrait démontre que la principale recherche de l’art, son but, reste identique,
puisqu’il se concentre toujours sur une source, la nature. L’évolution se produit dans
être attentif à ces progrès, afin que son art puisse en être le reflet, pour que son art
113
« Camille Pissarro », éd. cit., t. I, p. 459.
56
Certes, nous sommes sensibles encore à la beauté des paysages
ne pouvons nous empêcher de nous dire que cet art, admirable pour
son temps, est bien mort aujourd’hui ; car il ne nous représente les
L’ambiguïté est donc ce qui compose la relation avec la tradition que doit
entretenir un artiste, car, d’une part, il doit y être attentif, c’est-à-dire choisir les
aspects qui l’aideront à constituer un art « nouveau » et, d’autre part, il doit la
mode d’expression, afin d’atteindre un seul but : que l’art soit toujours plus proche
l’artiste peut alors avoir « une plus intime et plus profonde pénétration de la
indissociable des progrès qui sont faits dans d’autres domaines, qu’ils soient
artistiques ou scientifiques. Avec cette conscience très forte du fait que le monde de
l’art est en perpétuelle mutation, Mirbeau peut demeurer ouvert aux innovations des
artistes, car ce qui semble une « révolution » n’est, pour lui, qu’une suite logique,
114
« Camille Pissarro », éd. cit., t. I, p. 414.
57
et l’ironie des siècles. Aussi, devant cet art tout neuf, qui nous
enfermé dans la nuit d’une cave qui se retrouve tout d’un coup, dans
l’espace, au soleil. Puis nos yeux, peu à peu, se sont habitués au choc
Finalement, Mirbeau explique que le problème ne se situe pas tant dans les
donnent, puisqu’elles conditionnent le regard que chacun porte sur la nature à tel
Comme cela a été expliqué dans la première partie de ce chapitre, une des
conséquences des bouleversements qui ont eu lieu au XIXe siècle est la perception
que les artistes ont de la laideur. Jusqu’à ce moment-là, le rapport avec le laid était
manichéen, puisque tout ce qui n’était pas beauté était considéré comme laid. Or, ce
concept normatif a été renversé par les nouveaux mouvements de peinture qui ont
dénoncé cette image erronée d’une nature parfaite, donc inexistante. Avec le
« Camille Pissarro », éd. cit., t. I, p. 460. Par ailleurs, la forme de cet extrait explicite le fond, puisque
115
Mirbeau reprend la célèbre « Allégorie de la caverne » de Platon qui est tirée de La République, VII.
58
faire dans l’unique but de contrer la « belle nature » et de représenter une nature
plus « réelle ». Ils prennent conscience que le véritable problème est leur perception
du laid, c’est-à-dire une vision restreinte à la vulgarité et aux côtés les plus bas de la
vont élargir le champ de cette notion, jusqu’à y trouver la beauté ou, du moins, une
certaine forme de beauté, ce qui est dans la continuité « du pittoresque des formes
qui ne suscite que de la répulsion, pourra, à travers une certaine perception réalisée
dans l’œuvre d’art, faire partie du beau. Ainsi, les artistes vont relativiser, nuancer
les notions de laideur et de beauté, car il n’y a pas de frontière marquée entre les
deux dans la nature117. Le fait est que le beau dans le laid est plus difficile à trouver
roses qu’un tas de fumier »118, pour reprendre une formule de Mirbeau, sera le défi
L’époque d’art que nous vivons est hideuse. C’est partout le triomphe
116
Voir supra, citation pp. 55-56.
117
Preuve en est cette phrase de Rodin : « Il n’y a de laid en art que ce qui est sans caractère. » in :
« Commentaire », Exposition Claudel et Rodin, La Rencontre de deux destins, 3-11juin 2006, Martigny,
Fondation Gianadda.
118
« L’Union des femmes peintres et sculpteurs », éd. cit., p. 122.
59
Non seulement le style est absent, mais cela dépasse les bornes de la
hideur rêvée.119
de vue la source principale qui pourtant leur propose tant de beauté, la nature. Il ne
suffit pas d’inventer de nouvelles choses ou d’inclure un peu de laideur pour être
moderne. L’artiste qui comprend son métier de cette façon n’est que le créateur d’une
laideur est une des composantes de celle de la nature et, afin de ne pas tomber dans
La laideur, pour Mirbeau, est tout ce qui déforme la nature par le mode de l’excès.
C’est un raisonnement logique, car tout ce qui est un excès est, par définition, un
la modernité devient laideur. La modernité d’une œuvre ne tient pas à une forme ou
cet objet :
justesse, par sa beauté, par son nombre, par tout ce qu’il exprime de
119
« Ceux du Palais de l’Industrie », éd. cit., t. II, p. 10.
120
« Sur la statue de Zola », éd. cit., t II, p. 359.
60
La modernité, comme la laideur, ne sont dépendantes que d’un seul facteur : la
nature. Plus encore, de l’essence de cette dernière, car c’est ce qui traverse le temps
« moderne » du XIXe siècle, ne sera que dépassée par une autre mode quelque temps
plus tard.
Cependant, réussir à voir l’essence de la nature n’est pas une capacité que tous
peuvent posséder. Pour Mirbeau, cela donne naissance à une laideur nouvelle, une
modernité qui n’est pas moderne, une modernité laide ou une laideur moderne :
Car c’est effrayant à regarder ces deux mille toiles qu’un même
féconde, si inépuisable en beauté, ils n’ont rien vu, ces peintres, que
Un artiste qui ne voit que l’apparence de la nature, d’une part, ne voit finalement
que la face la moins riche de la nature et, d’autre part, condamne son œuvre à l’excès
équilibre et harmonie. Il n’a alors qu’une idée tronquée et ne peut que réaliser des
œuvres fausses à leur tour, car la perception de la nature est avant tout une
nature et s’il y a un artiste qui la réalise parfaitement, c’est bien son ami, le peintre
Claude Monet :
passion, d’un souffle d’art nouveau et qui étonne : la vie de l’air, la vie
61
vie des météores, synthétisée en d’admirables hardiesses, en
dans son intégralité, c’est-à-dire dans ce qui est son apparence et son essence. Il a vu
ce qui est visible par tous et plus encore : « l’insaisissable » et « l’invisible ». Il n’y a
compréhension de la nature » qui est son seul but. Il n’y a plus de volonté de « faire
Il nous arrive cette impression que, bien des fois, j’ai ressentie devant
les tableaux de M. Claude Monet ; c’est l’art qui disparaît pour ainsi
Monet parvient à un tel point de son art que, même celui-ci s’efface devant son
nature et pour ce faire, il doit suivre un procédé précis qu’Octave Mirbeau explique.
122
« L’Exposition Monet-Rodin », éd. cit., t. I, p. 379.
123
Ibid, p. 380.
62
A la découverte de la face cachée de la nature
Selon Octave Mirbeau, il est possible de trouver la beauté partout dans la nature.
Cette idée reviendra souvent dans ses articles comme l’indique cet extrait qui fait
que dans le torse voûté d’un maçon ; seulement il faut l’y voir ; il faut
maçon » la laideur, dans laquelle peut se trouver également une forme de beauté,
cette formule amène deux aspects nouveaux qui précisent le procédé qui permet de
« voir » et « dégager ». Ces deux verbes paraissent anodins, pourtant, ils sont la clé
a donc un devoir important, car c’est à travers lui que se décide le résultat de
une restriction contenue dans l’adverbe « seulement » qui signifie que « voir » et
« dégager » sont des capacités que seuls certains peintres possèdent. Monet fait
Tout est élégant dans la nature pour qui sait la voir. Le moindre objet,
124
« Les Portraits du siècle », éd. cit., t. I, p. 156.
63
l’harmonie générale. M. Claude Monet, par une sélection que seuls
La première phrase reprend l’idée étudiée dans l’extrait précédent, mais elle est
précisée par l’exemple de Monet, qui lui « sait dégager » l’élégance. Et pour arriver à
« dégager » la beauté, il faut passer par une autre étape : la « sélection ». Ce long
en amour – qui n’est pas autre chose que le passage du fait à travers la
Mirbeau s’inspire d’une théorie d’Henri Beyle, plus connu sous le nom de
Stendhal, qui n’est étonnamment pas reprise de ses écrits sur l’art, mais de son
œuvre intitulée De l’amour127. Le processus que doit opérer le peintre afin d’arriver à
d’art, il est le vecteur qui permet d’atteindre l’essence de la nature. C’est le fameux
parmi tout ce qu’elle lui offre et pour ce faire, il doit savoir « voir », « dégager »,
du critique d’art qu’est Mirbeau et ils signifient tous, à quelques différences près, la
125
« L’Exposition internationale de la rue de Sèze (I) », éd. cit., t. I, p. 331.
126
« Coup d’œil général », éd. cit., t. I, p. 160.
127
Octave Mirbeau n’a pas été le seul à être influencé par Stendhal, puisque ce dernier fait partie des
grands initiateurs du mouvement réaliste. Voir à ce sujet Becker, Colette, Lire le réalisme et le
naturalisme, op. cit., pp. 45-46.
64
même chose : séparer les faits, extraire ceux qui donneront accès à la face cachée de
comme des « abstracteurs de mondes », car ce procédé, s’il est appliqué, permet de
reconnaître les « maîtres » parmi les simples artistes, car ils sont les seuls à le
connaître.
puisqu’il demande aux artistes de représenter la nature telle qu’elle est et en même
temps, sa théorie implique une transformation opérée par l’artiste. Même pratiquée
d’une ambiguïté qui est une des particularités de l’écrivain. Mais cette contradiction
manière dont elle se produit. La première chose à constater est que la transformation
Ses inspirations, il n’alla pas les chercher dans les froides mythologies
poème de la mine. Il était né là, il avait vécu là, parmi ces paysages
128
Encore une fois, il s’agit de réminiscences de la critique d’art de Baudelaire. Voir : Michel, Pierre,
« Mirbeau et le symbolisme », pp. 8-22.
129
« Ceux du Champ de Mars », éd. cit., t. II, pp. 29-30.
65
l’univers des mineurs. Mirbeau oppose dès le début la source d’inspiration de
Meunier, qui n’est que son environnement familier, à celle des artistes qui ne se
signifie qu’il exécute une sorte de synthèse entre l’environnement qu’il observe et
son intériorité, afin d’atteindre la face cachée de la nature, qui est ici le « lamento de
n’est, par conséquent, utilisée que dans la volonté de rendre visible ce qui ne l’est pas
initialement, mais qui existe et doit être représenté. Un autre exemple, celui du
Les reproches de Mirbeau sont ici très clairs. Les déformations qui sont faites par les
nature, ni d’une volonté de représenter sa face invisible, cachée, d’entrer dans son
intériorité, mais ils visent à adapter la nature à leurs goûts ou aux canons esthétiques
qu’ils doivent suivre. Dans la conception de Mirbeau, il est évident qu’il y a les
aspects de la nature qui ne le sont pas initialement et celles qui reconstruisent une
130
« Le Salon (V) », éd. cit., t. I, pp. 286-287.
66
Cependant, cette division entre « bonnes » et « mauvaises » déformations peut
précédemment. Il n’en est rien, car elle lui sert plutôt de critère supplémentaire pour
juger les œuvres d’un artiste. La frontière entre bonne et mauvaise déformation est
très ténue et elle ne résulte que d’une seule chose, l’interprétation de l’artiste. Ce
dernier peut très vite basculer dans l’artifice s’il ne sait pas sélectionner les aspects
une haute responsabilité à l’artiste, comme le montre l’exemple d’Albert Lebourg qui
pour représenter un paysage ou une figure humaine est la même et elle réside dans
pourra représenter ce qu’est l’être dans son ensemble, comme Monet le fait pour un
moment délicat, plus encore pour une figure, car il ne faut pas trahir son modèle,
mais révéler son caractère. Il faut réussir à faire coïncider l’aspect physique et la
partie la plus profonde de la personnalité. Plus encore, comme le dit Mirbeau, il faut
chercher à rendre « toute l’humanité dans une figure »132, comme un paysagiste doit
rendre toute la nature en n’en choisissant qu’une partie. Il ne s’agit pas de rendre
131
Ibid, p. 288.
132
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p. 93.
67
un idéal de beauté, mais d’arriver à le peindre en étant le plus proche possible de lui,
semble s’être complu à déposer ses secrets les mieux gardés. Car M.
psychiques qui en découlent. Cela devait être ainsi pour qu’il pût
Evidemment, le procédé décrit jusqu’à présent peut être adapté par chaque
artiste. Ici, Mirbeau décrit les différentes étapes par lesquelles Rodin passe avant
première étape. Mais très vite Rodin dépasse sa simple apparence, ce que Mirbeau
énonce ainsi : il « ne borne pas son action à la recherche de la vie plastique ». S’il
regarde très vite au-delà de l’apparence, « de la ligne et du modèle », il passe par une
étape intermédiaire, avant d’arriver à la face cachée de la nature, formulée ici par
nature : il est visible et fait partie de l’apparence, mais en même temps, par sa
133
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, pp. 97-98.
68
fugitivité, il n’est pas représentable initialement, il contribue à l’expressivité et, pour
cette dernière. C’est cette phase qui sera la particularité de l’œuvre de Rodin et qui
lui permettra de réaliser des œuvres à l’expression très puissante. C’est elle encore
qui lui permet de garder l’équilibre entre la face apparente et la face cachée de la
nature, ce qui est exprimé par une antithèse entre des aspects concrets – « vie
distinguer les deux faces de la nature, démontre que Rodin a trouvé l’équilibre entre
les deux, car il n’est pas envisageable de réaliser une œuvre sans l’une sans l’autre.
Cette attention portée à la nature et à tous les aspects, sans exception, qui la
constituent, même ceux qui sont les moins visibles et les plus éphémères, est la
Cette innovation n’a été possible que grâce au lien particulier qui unit les artistes à la
nature. Ils la connaissent, vivent en elle et elle est leur centre d’intérêt, comme le
prouve un article consacré à Claude Monet qui relate les aspects de la relation
134
« Camille Pissarro », éd. cit., t. II, p. 349. Félix Fénéon dit: « Le spectacle du ciel, de l’eau, des
verdures varie d’instant en instant, professaient les premiers impressionnistes. Empreindre une de ces
fugitives apparences sur le subjectile, c’est le but. – De là résultaient la nécessité d’enlever un paysage
en une séance et une propension à faire grimacer la nature pour bien prouver que la minute était
unique et qu’on ne la reverrait jamais plus. » op. cit., p. 73.
69
qu’entretient le peintre avec elle. Claude Monet considère la nature non comme un
objet, un sujet à peindre, mais comme une personne avec laquelle il vit et dont il
pensées, même les plus capricieuses, avec une éloquence qui vous
qu’il a prise.135
nature permet en outre de montrer à quel point Monet la connaît après l’avoir
observée minutieusement, c’est-à-dire qu’il sait comment elle évolue et comment elle
change, mais aussi qu’il a réussi à percer ses secrets et « toutes ses pensées » les plus
« paysagiste moderne » qui illustre ce que Mirbeau entend par cette expression, elle
marque également une opposition avec les paysagistes qui ont précédé le peintre.
Monet, en plus de connaître la nature dans son intimité la plus totale, l’appréhende
telle qu’elle est, dans sa simplicité en même temps que dans sa variété :
135
« Claude Monet », éd. cit., t. I, p. 83.
70
Les motifs des paysages de Claude Monet sont simples toujours :
l’exactitude des choses, mises dans leur lumière propre et dans l’air
Ses motifs « sont simples toujours », pourtant, il arrive à rendre tous les
changements de la nature, tant ceux qui concernent sa partie visible, les variations de
« rien », car ce n’est pas une nature pleine d’artifices, d’ornementations, une nature
théâtrale, qui, par son exagération plaît au public. Ce n’est pas la nature déformée
par l’esprit de certains artistes, c’est la nature dans toute sa pureté. Par ailleurs,
également « un rien » qui peut être riche, varié et recouvrir les deux faces de la
nature. Pour Mirbeau, c’est en cela que réside l’art, car c’est ce qui prouve qu’un
que donnent, quand on sait les regarder, les spectacles les plus
humbles de la nature.137
136
Ibid., p. 84.
137
« François Bonvin », éd. cit., t. I, p. 265.
71
En plus de cette proximité qu’il faut établir avec la nature, Mirbeau insiste sur
vie profonde, c’est que le vaillant artiste ne s’est jamais, je crois, servi
nature chez elle. Il a peint ses domestiques ; il est allé dans les
couvents, dans les demeures des artisans, dans les écoles, et partout il
deviennent aussitôt chers ainsi que de vieux amis. Il a pour eux des
les contemple et qu’il leur parle. C’est ainsi qu’il faut faire.138
fonctionnement et la vie réelle des choses », doit toujours être conscient de l’infini de
la nature. Elle est la source unique et en ce sens, l’artiste lui doit le respect le plus
total.
C’est pour toutes les raisons exposées jusqu’ici que Mirbeau admire si
profondément les artistes indépendants, car, pour lui, réussir à voir la face invisible
expression caractérise en effet l’art de tous les artistes qu’il soutient et explique leur
don. La divination est l’ « action de découvrir ce qui est caché par des moyens qui ne
sont pas naturels »140 et c’est exactement ce que recherchent les artistes
138
Ibid, p. 266.
139
« Le Salon (VII) », éd. cit., t. I, p. 197.
140
Définition prise dans Le Petit Robert.
72
La Nature, miroir de l’artiste
S’il y a un peintre qui a bâti son œuvre sur le lien entre l’homme et la nature, c’est
Jean-François Millet :
givre, aux ciels gris de froid d’où tombent les neiges éclatantes et les
Semeur, les Premiers pas, la Herse, l’Angélus, et tous, tous les chants de
la plus belle épopée humaine qui jamais ait été chantée à la gloire de
Cet extrait montre que Mirbeau considère Millet comme le peintre qui, par sa
relation avec la nature, a exercé une influence majeure sur les artistes indépendants.
comme l’est celle des paysans qu’il représente. La recherche de Millet est avant tout
une recherche d’harmonie entre les trois éléments qui constituent le monde : Dieu, la
nature et l’homme. S’il trouve l’harmonie entre ces trois éléments, elle existera
également dans ses œuvres. Cependant, même si Millet est « le poète de la nature »,
il n’en reste pas moins un homme et de ce fait, dans ses œuvres, la nature et
73
significative, car l’ordre dans lequel sont mentionnés les trois éléments n’est pas
anodin, il explique quelle est la place de l’homme dans l’univers. Les artistes
indépendants vont quelque peu modifier cet ordre. Tout en gardant une grande
humilité vis-à-vis de la nature, la relation qu’ils ont avec elle va devenir plus
égalitaire. Ce n’est pas surprenant, puisqu’en comparaison avec Millet, ils vont
acquérir une connaissance plus profonde de la nature. Un article sur Auguste Rodin
précise ce changement :
souples et les plus vibrants que je connaisse, curieux de tout ce qui vit
sculpteur païen. J’entends qu’il n’a qu’un culte, parce qu’il n’a qu’un
multiple, si nouveau. C’est pour cela qu’il nous étonne parfois, et qu’il
effet, que la nature – sans doute parce qu’il l’a mieux aimée et mieux
Comme Millet, Rodin fait de la nature le centre de ses préoccupations, son unique
source d’inspiration et son seul point de référence. Mais il va également plus loin
142
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, pp. 260-261.
74
que Millet, puisque la nature est son seul « amour » et son seul « culte », sans pour
autant la poser sur un piédestal. Il voit tous les objets qui constituent l’univers sur
un même plan, car ils ont en commun un « même langage de formes ». De surcroît,
entre tous les objets de l’univers découle une nouvelle harmonie. Chaque élément
possède sa place, certes, mais il n’y a plus réellement de hiérarchie, car la nature
englobe tout, est en tout. Ainsi, l’artiste devient un créateur au même titre que la
nature et s’élève presque à son rang, comme le démontrent les problèmes que Rodin
a rencontrés avec L’Age d’airain, qui a été considéré par le jury comme un moulage et
Il [le jury] la refusa, ne voulant pas admettre que l’art seul pût
Evidemment, le mythe de Pygmalion est très présent dans ce texte, Rodin étant
décrit comme un « créateur » qui anime un « bloc de marbre », qui le rend humain et
d’une autre manière l’égalité qui existe entre l’artiste et la nature, car en le
nature reste la source unique, car c’est l’art qui « emprunte à la nature des formes
aussi parfaites et aussi vraies ». La nature est donc toujours considérée comme la
143
« Auguste Rodin », éd. cit., t. I, pp. 116-117.
75
En ce qui concerne le rapport de l’artiste avec la nature, le changement est visible,
car il y a une relation basée sur l’échange et non plus sur les donations à sens unique
de la nature. Les artistes indépendants ont changé leur perception de la nature. Elle
n’est plus cet élément intouchable au-dessus de tout et de tous. Elle est celle qui crée
les hommes et tout ce qu’il y a dans l’univers. Elle est un peu de chaque objet qui la
constitue, un peu de chaque homme donc, un peu de chaque artiste. En ce sens, elle
devient son miroir car, comme cela a été souligné avec la théorie de la distillation,
l’artiste doit mettre beaucoup de lui-même pour pouvoir accéder à la face cachée de
la nature. C’est elle qui le pousse à rechercher en lui ce qu’il y a de plus intime
dans la nature. La nature en dévoilant sa face cachée ne fait que refléter celle de
C’est également cela qu’entend Mirbeau lorsqu’il dit vouloir voir toute la nature
nature, l’homme n’est pas un élément séparé de la nature ; au contraire, seule reste la
nature, l’homme faisant partie d’elle à part entière, tout comme l’homme est la
nature, un « coin » de nature144. Une étape est ainsi franchie et instaure, plus qu’une
d’ « encore plus intime et plus abstraite »145, car elle désigne l’intériorité de l’artiste et
chaque être. Il ne s’agit plus alors pour l’artiste de faire une simple sélection dans la
nature, mais de faire une sélection qui correspond à sa personnalité ou, du moins, et
76
J’ai dit que c’était là le milieu qu’on aimait à imaginer pour Claude
Monet. Mais, tous les milieux où il a passé, ne les a-t-il pas faits siens,
les a-t-il pas faits siens, surtout, harmonisant son esprit, sa sensibilité,
avec les artistes qui succèderont aux indépendants. Ils chercheront, soit à
trouver « une nature » qui corresponde tout à fait à leur intériorité, comme l’a fait
Paul Gauguin :
Pacifique aura pour lui des caresses plus tendres, un vieil et sûr
D’habitude, Mirbeau parle du choix que l’artiste doit effectuer parmi toutes les
choses qu’offre la nature, celle qui est l’environnement proche de l’artiste, mais il ne
parle pratiquement jamais du fait que l’artiste peut avoir besoin de chercher ailleurs
146
« Claude Monet », éd. cit., t. I, p. 430.
147
« Vincent Van Gogh », éd. cit., t. I, p. 442.
148
« Paul Gauguin », éd. cit., t. I, p. 422.
77
une nature qui lui correspond mieux, qui est plus en harmonie avec lui. Il s’agit bien
intériorité, et la nature. Trouver cet accord entre ces trois paramètres est
certainement la partie la plus importante de la création, car c’est elle qui donne
compréhensible, car Mirbeau insiste sur les origines exotiques de l’artiste et sur son
besoin de voyage qui est, pour ainsi dire, presque inné. Gauguin ne peut donc pas se
« s’adapter », car c’est à la nature de s’adapter à l’artiste, et non l’inverse, ce qui est
un discours quelque peu différent de ceux que tenait Mirbeau dans ses premiers
articles. Il est vrai qu’il n’a jamais clairement précisé le sens dans lequel devait se
passer cette relation ou, insistant simplement sur le fait qu’il s’agissait d’une
interaction totale entre l’artiste et la nature. Mirbeau change peu à peu de discours et
une autre place et la « supériorité de la nature » ne semble plus être autant affirmée.
Le fait que l’individualité de l’artiste prenne de plus en plus de poids dans le monde
de l’art se voit chez ceux que les critiques d’art ont appelés impressionnistes ou
artistes indépendants, car ils ont tous des styles très divers, et également dans la
évolue dans son discours et dans sa conception, c’est certainement parce qu’il a senti
le sujet central des œuvres d’art. Le choix que fait l’artiste est donc dominant dans la
genèse de l’œuvre, car il va caractériser cette dernière, comme le fait la femme des
sculptures d’Aristide Maillol, qui est une « synthèse de la nature », ou qui représente
travail du critique d’art, si celui-ci ne se borne pas à décrire les œuvres, car il faut
78
pouvoir entrer à son tour dans l’intériorité de l’artiste et comprendre la relation qu’il
une ressource tout à fait illusoire et arbitraire, car chacun, nous avons
bonne et pour seule vraie. C’est triste à dire, mais il n’existe pas de
la nature, sont, pour Mirbeau, naturels, qu’ils se fassent dans le domaine esthétique
ou dans une conception personnelle. Pour lui, il est nécessaire de suivre au plus près
conception change au fil des ans et des articles, il tente d’évoluer au même rythme
que l’art, non sans que cela amène des contradictions au sein de sa propre œuvre.
change et, avec elle, la critique d’art d’Octave Mirbeau. Son jugement ne se base plus
seulement sur la relation de l’artiste avec la nature, mais sur la nature qui
149
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 386.
79
de l’homme, elle ne vit que par l’interprétation qu’il en tire. C’est
Corot, Pissarro, Claude Monet. C’est leur âme que nous voyons en
changement, puisqu’il est dit que c’est l’intériorité de l’artiste qui fait vivre la nature.
« La nature n’existe réellement que dans le cerveau de l’homme, elle ne vit que par
l’interprétation qu’il en tire ». Toute cette partie n’est pas nouvelle, mais elle doit être
considérée d’un autre point de vue, la fin de l’extrait une fois lue : « C’est leur âme
que nous voyons en elle, c’est l’expression de leur sensibilité. » Ce n’est donc plus
l’artiste qui recherche un aspect de lui-même dans la nature, mais la nature qui est le
miroir de l’artiste. Le chemin est inversé et la conception mirbellienne, qui est passée
par une première étape où la nature était tout, par une seconde où la nature élevait
l’artiste à son niveau et créait ainsi une relation d’échange, arrive à une troisième
intériorité. L’exemple de Van Gogh, auquel une allusion a été faite, est tout à fait
probant :
ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait, tout ce qu’il
150
« Le Salon du Champ de Mars (IV). Le Paysage », éd. cit., t. I, p. 488.
80
de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses
Il existe une différence avec la relation qu’entretenait, par exemple, Monet, qui
dessus par rapport à la nature et ce sera la tendance de l’art dès la fin du XIXe siècle,
qui va se poursuivre au XXe siècle. Tous les artistes indépendants vont évoluer et
faire évoluer leur conception de la nature dans ce sens, ce qui se manifeste à travers
Ô mon cher Rodin, depuis le jour illustre où vous avez travaillé pour
qui rayonnera à jamais sur son histoire ; depuis que vous êtes celui
contre vous, les grands et les petits, l’Institut et les chapelles d’art,
l’homme qui passe et les foules. Chaque fois que vous avez poussé
votre art un peu plus loin, un peu plus haut, vous avez été nié,
injurié, vilipendé.152
Cet extrait démontre que c’est l’artiste qui a pris « de » la nature et non la nature
qui a donné. Comme Mirbeau le dit dans un autre article, Rodin « arrach[e] à la
nature une création » et réussit la « conquête de l’élément »153. Cette nouvelle relation
entre l’artiste et la nature ne plaît pas à tous, comme le passage ci-dessus y fait
allusion. C’est finalement compréhensible, car elle ouvre la porte à une peinture
151
« Van Gogh », éd. cit., t. I, p. 442. Van Gogh parle d’ailleurs lui-même de « se battre avec la nature »,
in : Van Gogh, Vincent, Correspondance complète, II, Paris, Gallimard, Grasset, 1960, p. 400.
152
« L’Apothéose », éd. cit., t. II, pp. 235-236.
153
« Kariste parle I », éd. cit., t. II, p. 178.
81
toujours plus empreinte du tempérament de l’artiste, toujours plus personnelle et de
ce fait, moins accessible au premier abord, car demandant non plus seulement une
compréhension des arts, mais également des artistes. Mirbeau l’a très rapidement
compris et pour lui, il s’agira d’un nouveau combat qui sera développé dans le
dernier chapitre.
c) L’Anti-nature
S’il a été vu dans le point précédent que Mirbeau fonde sa critique d’art en
contact des artistes qu’il admire et qu’il soutient, il alimente également sa critique en
art, il est logique qu’un de ses plus grands combats soit dirigé contre la peinture
académique, appelée également art « pompier ». Si, pour les historiens de l’art, il est
difficile de définir ce qu’est l’art pompier tant du point de vue esthétique que du
Mirbeau, qui soutiennent les nouvelles esthétiques s’opposent à cet art officiel. Dans
154
Jacques Thuillier dit : « Mais que signifie-t-il au juste ? Comment a-t-il pris sens et consistance ?
Quel concept s’est avec lui introduit dans la réflexion sur l’art ? Ne dissimule-t-on pas des analyses
fausses et des partis pris ? Est-il possible d’en user sans précautions ? » Thuillier, Jacques, Peut-on
parler d’une peinture « pompier » ?, Paris, PUF, 1984, p. 7. Voir également l’ouvrage de : Lécharny, Louis-
Marie, L’Art pompier, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1998.
82
ce contexte, il est possible de déduire que, pour Mirbeau, l’art académique incarne
tout ce qui s’oppose aux nouvelles esthétiques. Cependant, cette définition mérite
d’être précisée, Mirbeau ne réservant pas ses diatribes à l’art académique seul.
L’art académique n’est autre que l’art officiel, puisque c’est celui que l’Etat soutient
et achète. Il est donc celui qui réunit toutes les formes d’autorités sans exception et
rien que cela est une bonne raison pour Mirbeau de ne pas y adhérer155. L’auteur
voue, en effet, une profonde haine, depuis l’enfance, à l’encontre de toute institution
impose à tout être humain156. Comme toute institution officielle, les institutions
concernant l’art, comme l’Académie et l’école des Beaux-arts, ne font pas exception ;
elles ont des règles et imposent une certaine conception de l’art qui s’accompagne
d’un dogme guidant la réalisation des œuvres, évitant ainsi de laisser une place à
Puis on dit au jeune homme : « Mon ami, voici des brosses, des tubes,
qu’éleva Gérôme.157
155
Nous préférerons d’ailleurs utiliser les termes d’art « académique » ou « officiel » plutôt que celui de
« pompier », – utilisé pour la première en 1880 par Théodore de Banville selon le Dictionnaire critique et
raisonné des termes d’art et d’archéologie de Jacques Girard, op. cit. – car ils reflètent, à notre avis, mieux
ce contre quoi Mirbeau se bat. Par ailleurs, notre critique d’art n’emploie le terme « pompier » qu’une
seule fois, dans l’article « La Nature et l’Art », éd. cit., t. I, p. 303. Il nous paraît donc plus opportun de
préférer les deux autres dénominations, comme le fait Octave Mirbeau.
156
Voir à ce propos ses deux romans Sébastien Roch et L’Abbé Jules in : Mirbeau, Octave, Oeuvres
romanesques, tomes I, II et III, Paris, Buchet/ Chastel, 2000-2001, ainsi que la biographie : Michel, Pierre,
Nivet, J.-F., Octave Mirbeau : l’imprécateur au cœur fidèle, Paris, Séguier, 1990.
157
« Prix de Rome », éd. cit., t. I, p. 221.
83
La première partie, « inspire-toi de la nature », pourrait très bien convenir à
Mirbeau, car elle laisse assez libre le « jeune homme ». En revanche, les deux
réduisent cette liberté, comme c’est le cas pour tous les ordres qui se succèdent dans
enfermé dans une « cave ». Evidemment, Mirbeau force le trait, mais le but est de
faire comprendre à quel point le dogme prôné par l’Académie étouffe la création et
l’évolution de l’art :
Un autre reproche que Mirbeau fait aux institutions officielles est de renier l’art
« libre », qui se développe hors de leurs murs, non pas pour des raisons artistiques,
mais parce qu’il ne correspond pas à leur conception de l’art et qu’il n’est, de ce fait,
pas « contrôlable ».
Selon Mirbeau, l’art académique n’en est pas un, car il n’apporte rien de nouveau
dans le monde de l’art, copiant et refaisant seulement ce qui a été fait auparavant et
Arsène Alexandre prend l’exemple de Bouguereau, autre bête noire de Mirbeau et d’autres critiques
159
comme Léon Riotor qui le traite de « peintre de toiles cirées », et dit : « Il faut répondre franchement
que M. Bouguereau expose un portrait de femme et une figure qui peuvent, sous certains rapports,
passer pour la perfection mécanique de la peinture, et en même temps pour la négation de l’art. » « "Le
Figaro" au Salon des Champs-Elysées », Le Figaro, 30 avril 1896, in : La Promenade du critique influent,
84
De même que les députés qui braillent ne sont point la France, de
même ces artistes ne sont point l’Art. L’art est ailleurs. Il travaille, loin
De tous ses combats, celui contre l’art académique est certainement celui qui sera
le plus long, le plus virulent et celui qui résumera, d’une certaine manière, tous les
autres, puisqu’il en sera le modèle. D’ailleurs, dans un article qui date de 1898,
Mirbeau le reconnaît sans peine : « En réalité, la lutte est entre l’art individuel et
académique et particulièrement, l’une d’entre elles, le lien qu’il entretient avec l’art
antique. L’art académique se base dans sa majeure partie sur les préceptes de l’art
grec. Cependant, ce n’est pas cette influence qu’il dénigre, au contraire, puisqu’il
reconnaît sans aucun problème la valeur de l’art antique, mais plutôt le fait que l’art
académique en reprend les préceptes tels qu’ils sont, sans les adapter à l’époque
contemporaine :
85
de nos rues les plus fréquentées, ce sont des nymphes toutes nues qui
Ce qu’explique ironiquement Octave Mirbeau, dans cet extrait, est le fait que
font que reproduire la nature. Ils disent observer la nature, alors qu’ils ne
considèrent que la nature qui a été peinte par les artistes antiques. C’est en cela que
beauté ou plutôt, ne contient aucune forme de beauté qui peut s'insérer dans les
nature « contemporaine » et recréer ce qui a déjà été fait auparavant. Cette non-
Cependant, ce que ne supporte pas Mirbeau est plus profond que le simple fait
d’ignorer la nature. Ce qu’il récuse par-dessus tout est que les peintres académiques
vraie conception et comme la seule et vraie nature, ce qu’il exprime tout au long de
nature que des Romaines et des Grecques en carton et en péplum […] », ou « ce qu’il
voit journellement au fond des bois et le long de nos rues les plus fréquentées, ce
sont des nymphes toutes nues […].» Ces deux formulations tendent à démontrer le
162
« La Tristesse de M. Boulanger », éd. cit., t. I, p. 150.
86
véritable conception de la nature. Au contraire, il s’agit d’un rejet total de celle-ci et
Pour l’auteur, c’est une hérésie qu’il ne peut accepter, car cela va à l’encontre
perpétuelle création. Or, la peinture académique, d’une part, ne crée rien mais ne fait
que copier, selon Mirbeau, et d’autre part, elle interdit toute possibilité de création
ou de renouvellement au sein de son esthétique. Plus encore, elle retire à l’art son
aspect de témoin historique qui traverse les siècles, puisqu’elle ne reflète qu’une
ses représentants imposent est ce qu’il souligne dans la conclusion du passage ci-
dessus : « Naturellement, il s’étonne que chacun ne voie pas de même façon que
lui. »
esthétiques. Mirbeau n’a alors de cesse de confronter l’art académique à l’art des
communion de l’art avec la nature, ou, si l’on veut, une plus complète,
peut-être le seul parmi les sculpteurs de tous les temps, dont l’œuvre
rêve !…163
Rodin, à l’instar des artistes académiques, reste « fidèle au culte, dans le passé, de
« la Beauté immuable ». Par rapport aux sculpteurs qui l’ont précédé, sa recherche
163
« Préface aux dessins d’Auguste Rodin », éd. cit., t. II, pp. 202-203.
87
n’a pas changé : il aspire à la beauté, à la perfection et son unique source
Le but de son art est le même, seule change la forme, car elle s’adapte à son époque
dans l’œuvre de Rodin est exactement ce qu’exprime Zola dans un passage des
Ecrits sur l’art cité précédemment : « Donc une œuvre d’art n’est jamais que la
Ainsi, Rodin est l’exemple même de l’artiste qui, aux yeux de Mirbeau, réussit à
concilier une quête qu’il dit « immuable », celle de la beauté, sans se limiter à une
manière ancienne qui ne peut correspondre à la nature qu’il a sous les yeux. Il est
l’idée de Mirbeau qui affirme qu’il est possible de trouver la perfection et la beauté
dans la nature contemporaine. Pourtant, il n’en est rien car tout repose sur la
précédemment.
C’est bien celle de l’Académie que Mirbeau remet en cause, d’une part, parce
qu’elle n’est pas novatrice et d’autre part, parce qu’elle rend la nature artificielle. Déjà
à l’époque antique, une contradiction existe, puisqu’il y a une volonté de la part des
malgré l’évolution des connaissances qui a eu lieu dans le domaine de l’art pour
permettre aux œuvres d’être toujours plus proches de la nature. En persistant sur
cette voie, les peintres académiques ne font que promouvoir l’artifice sous toutes ses
formes :
164
Il est nécessaire de préciser que par « élément fixe » Zola n’entend pas que la nature ne change ou
n’évolue pas, il parle d’« élément fixe » dans le sens de « commune mesure pour toutes les œuvres
produites », c’est-à-dire de point de référence. Zola, Emile, Ecrits sur l’art, op. cit., p. 108.
88
S’il veut peindre en été une scène de la retraite de Russie, il sèmera de
la farine dans son jardin et fera, avec soin de la neige « nature ». Cela
bois de ses modèles et qu’il allait enfin peindre des hommes au lieu
les choses n’ont pas leur langage éloquent pour celui qui sait les
écouter ?165
règles, afin de réaliser une imitation de la nature la plus proche possible, plus ils
représentation de la neige. Si Mirbeau utilise ici « nature » pour qualifier cette vraie-
fausse neige, ce n’est sans doute pas anodin ; cela signifie « comme dans la nature »,
c’est-à-dire une neige qui ressemble à celle qui existe réellement dans la nature, mais
rapprochement laisse une certaine distance : la chose comparée est proche du point
Meissonier est une illusion de la neige « naturelle », comme ses tableaux sont une
illusion de la nature. Malgré tous les artifices qu’il utilise pour obtenir une imitation
parfaite de la nature, il ne réussit pas à atteindre son but. Trop d’artifices tuent
l’artifice, voilà l’idée de Mirbeau. Les peintres académiques ont une maîtrise de la
165
« Votons pour Meissonier », éd. cit., t. I, p. 232.
89
technique admirable – ce qu’a toujours reconnu Mirbeau –, mais en même temps, ils
suivent des règles et des conventions qui les obligent à utiliser des artifices pour les
satisfaire, tout en comblant leur volonté d’imiter la nature. Ces procédés génèrent le
contraire du but qu’ils convoitent et en cela réside le non-sens d’une telle conception
sort du cerveau des peintres. Ils ont beau reproduire un habit noir, un
pour cela. Ils peignent en clair ce qu’ils peignaient en noir, voilà tout.
Pas une générosité, pas une bravoure, pas un frémissement qui fasse
dévier la main, cette main des peintres habile et souple, cette main de
qui vient, qui bondit, se coule et glisse, dont les doigts se replient, se
rouges sur les fonds noirs, et se pâmer les lilas et les bleus subtils
Mirbeau leur reproche la manière dont ils l’utilisent, c’est-à-dire sans qu’intervienne
nature, car elle exclut totalement un des paramètres les plus importants pour la
vision uniformisée du monde, l’individualité des artistes étant niée donc, une partie
166
« Le Salon (I) », éd. cit., t. I, pp. 252-253.
90
de la nature elle-même, en référence à ce qui a été expliqué précédemment sur la
l’utilisation de tons plus clairs. Pour Mirbeau, il est évident que les peintres
académiques ne savent pas pour quelles raisons, leur peinture a subi des
dans leur peinture : ne dit-il pas : « Ils peignent en clair ce qu’ils peignaient en noir,
voilà tout » ?
La peinture académique est une peinture qui subit le changement plutôt que de le
créer. Etant la peinture officielle, si elle veut garder les faveurs de l’Etat et du public,
elle est asservie à leur goût et à la mode. La peinture académique s’adapte plus
qu’elle ne se renouvelle :
de peindre une religieuse. Cette religieuse était assise sur une chaise,
bureau, et sa robe noire s’enlevait en noir sur fond gris. Cela fut jugé
noire sur un fond gris, on n’en revenait pas. Personne, avant lui, ne
Dès lors, ce qui semble être une « révolution » n’est qu’une adaptation de ce qu’a
167
« Oraison funèbre », éd. cit., t. I, p. 352.
91
codifiée, quelques innovations, afin de donner l’illusion de la nouveauté et afin de
maintenir l’attention du public, centrée sur elle. Le passage précédent l’a démontré,
les peintres officiels ont éclairci leur palette au moment où le public s’est montré
moins réticent face aux œuvres impressionnistes. Ainsi, ils ménagent tous les partis :
ils ne s’éloignent pas trop de leur dogme, ils incluent une sorte de nouveauté dans
par une transformation trop radicale. C’est exactement ce que fait Cabanel dans le
dernier extrait cité, en faisant passer l’association du noir avec un fond gris pour
« une conquête nouvelle de l’art sur la nature ». La peinture académique n’est, pour
elle ne peut plus être considérée comme un art, une esthétique à part entière,
puisqu’elle n’est qu’un assemblage de toutes sortes d’innovations. Dès lors, il est
J’ai dit dès le premier jour, qu’il m’était impossible de faire ce qu’on
qu’une énorme fumisterie, une vilaine blague d’atelier. Plus on les voit,
neufs, plus le Salon a l’air d’un défi jeté à l’art et à la nature. On sort
92
tombée dans de plus basses rengaines, en de plus vils tripotages que
spectacle.168
Evidemment, Mirbeau fait allusion, dans ce passage, au Salon de 1886 dans son
académique tient la plus grande place au sein de cette grande exposition, au grand
dam de l’auteur. Voilà pourquoi le Salon ne semble être qu’« un défi jeté à l’art et à la
ailleurs, l’auteur va plus loin, en démontrant qu’il propose des oeuvres allant contre
la nature au travers des préceptes qu’il suit et des procédés qu’il utilise, enfermant la
nature dans une représentation artificielle et éloignée du but initial. Ces préceptes et
fondamentaux qui font de la peinture un art. Qu’est-ce que l’art sans la réflexion de
Le combat de Mirbeau contre l’art académique est bien plus qu’un engagement
visant à imposer une esthétique nouvelle. Il s’agit de dénoncer des œuvres qui vont à
168
« Le Salon (III) », éd. cit., t. I, p. 268. Baudelaire est habitué de ce type de reproches concernant les
Salons. Il dit à propos de celui de 1859 : « Que dans tous les temps la médiocrité ait dominé, cela est
indubitable ; mais qu’elle règne plus que jamais, qu’elle devienne absolument triomphante et
encombrante, c’est ce qui est aussi vrai qu’affligeant. » op. cit., p. 309.
93
Préraphaélisme et symbolisme ou la « nature barbare »169
S’il y a deux mouvements qui ont fait particulièrement l’objet des attaques de
donné que ces deux esthétiques sont considérées comme une réaction à la peinture
brosse un portrait satirique du peintre Loys Jambois qui permet de cerner ce que
169
Nous avons décidé de traiter ces deux mouvements dans le même point, car le préraphaélisme a
influencé le symbolisme, comme le dit Julian Treuherz : « The Pre-Raphaelite influence on European
Symbolism is seen in the work of Gustave Moreau, Pierre Puvis de Chavannes, the painters of the
Salons de la Rose + Croix, Hans von Marées, Ferdinand Khnopff and Jan Toorop. » in : Turner Jane,
The Dictionary of Art. De surcroît, Elisabeth Lièvre-Crosson affirme : « […] la Confrérie des
préraphaélites […] peut être considérée comme la première manifestation du symbolisme. » in :
Lièvre-Crosson, Elisabeth, Du Réalisme au Symbolisme, Toulouse, Milan, Les Essentiels, 2000, pp. 34-35.
Mirbeau semble conscient du lien étroit qui unit ces deux esthétiques puisque, comme nous essaierons
de le démontrer, il leur reproche les mêmes « défauts ». Voir également Tartreau-Zeller, Laurence,
« Mirbeau et l’esthétique préraphaélite », Cahier Octave Mirbeau, 4, 1997, p. 82.
170
En ce qui concerne le symbolisme, son apparition est également une réaction au réalisme, au
naturalisme et à l’impressionnisme. A noter que Mirbeau n’est pas d’accord avec cette explication :
« On dit que nous subissons en ce moment une crise de mysticité, par une inévitable réaction contre
les matérialisations du naturalisme. C’est là, je pense, une erreur, nous ne sommes pas plus mystiques
aujourd’hui que nous ne l’étions hier. » « Le Salon du Champs de Mars (II) », éd. cit., t. I, p. 476.
171
Cette critique sera d’ailleurs reprise dans le chapitre X du célèbre roman d’Octave Mirbeau, Le
Journal d’une femme de chambre. Mirbeau, Octave, Le Journal d’une femme de chambre, Paris, Gallimard,
Folio classique, 1984.
94
nimbé d’or comme une vierge ! Vous n’avez jamais pensé à cette chose
et même, la réfute. Il prétend en outre se baser sur un élément bien plus élevé qui va
qui fonde sa critique, pour sa plus grande part, sur la relation qu’entretiennent les
préraphaélisme, ainsi que tous les symboles sur lesquels il repose, y compris celui
très important du lys, symbole de pureté, tout en soulignant l’aspect artificiel d’un
tel principe. Par ailleurs, une esthétique qui repose sur un dogme ne peut que
symbole, ils n’y arrivent pas complètement, selon Mirbeau, leurs symboles faisant
partie de la nature au sens large. En revanche, ils atteignent un autre but, ils
dépouillent la nature de la vie. Jambois ne dit-il pas un peu plus loin dans l’article :
95
apparente ce genre pictural, très codifié et immobile, à l’idée et aux œuvres
peintre Jambois décrit un artiste qui vit coupé du monde réel, remplacé par un
Cela n’a rien à voir avec l’œuvre de Botticelli qui est pourtant l’artiste le plus
important auquel se réfèrent les préraphaélites et celui qu’ils affirment être leur
quelque chose de nouveau dans mon art, ainsi qu’on veut bien le
mes madones des élégances, des grâces, des inflexions dont on dit
qu’elles sont miennes, c’est parce que j’ai serré de plus près la nature
formes de la vie.176
Cet extrait relève un autre paradoxe de l’esthétique préraphaélite qui ne tient pas
l’emploi du symbole et à tout ce qui peut emmener l’art sur une voie trop
hermétique. Il affirme également, sous la plume de Mirbeau, que la nature est ce qui
lui a permis de réaliser des œuvres de valeur et de maîtriser son métier, ce qui
96
rapproche de celle de Mirbeau, puisque, derrière le discours du peintre de la
Botticelli, afin de transmettre ses propres idées sur la peinture préraphaélite. Or, s’il
est impossible de nier qu’il utilise le peintre italien délibérément dans ce but, il serait
durant cette période, il est indéniable qu’il existait un intérêt pour l’imitation de la
conséquent, il appert que ce n’est pas Mirbeau qui pervertit la pensée et l’art du
maître italien, mais bien les préraphaélites qui, en se réclamant de lui, évitent
La nature est vue par le peintre préraphaélite Loys Jambois comme une « barbarie ».
de goût, grossièreté digne d’un barbare » –, cela permet de comprendre pour quelle
esthétique. La nature est perçue comme une source de laideur ou, du moins, comme
177
« Portrait », éd. cit., t. I, p. 310.
97
un élément trop bas et trop simple, comparée aux éléments liés à l’esprit. Il est
possible de déduire que la nature n’est considérée que de manière réductrice par ces
suggestion » – et non pas dans sa totalité qui inclut sa face plus abstraite, c’est-à-dire
sa « face cachée ».
Avec cette conception de la nature, c’est toute l’évolution esthétique qui est remise
en cause et, particulièrement, celle qui est assimilée au XIXe siècle, avec le
utilisent un langage symbolique, c’est, d’une part, pour échapper à la laideur qui est
délivrée par la nature et, d’autre part, pour atteindre un niveau d’art bien plus
élevé178 :
encore – parce que ses prairies [à Camille Pissarro], ses champs, ses
178
Julius Kaplan dit dans son article sur le symbolisme: « Whereas precursors of Symbolism
sometimes used traditional symbols, emblems and allegory, true Symbolism when it used images did
not mean them to signify what they represented ; they were signs of deeper or higher level of
consciousness. » Turner, Jane, The Dictionary of Art, op. cit.
98
dont MM. Mauclair et Charles Morice détiennent, sans le livrer
Evidemment, cette façon de fuir la nature en en créant de toute pièce une autre ne
n’est qu’un leurre, car il ne repose pas sur un élément prenant son origine dans la
nature, mais sur une pure création de l’esprit. Cependant, l’homme faisant partie de
la nature, Mirbeau pourrait considérer que ce langage provient d’elle, mais les
Comme s’il existait une seule ligne, une seule forme, comme si l’on
penser que l’homme est supérieur à elle, qui pousse ces artistes à chercher l’art
insupportable :
assez aveugles, assez brutes, pour aller chercher des inspirations d’art
en dehors de la vie, la vie directe qui passe sans cesse nouvelle par la
picturale ?181
179
« Claude Monet », éd. cit., t. II, pp. 352-353.
180
Ibid, p. 353.
181
« Botticelli proteste !... (II) », éd. cit., t. II, p. 161.
99
Mirbeau donne ici son opinion à travers la voix de Botticelli. Pour lui, il ne fait aucun
doute que dans la nature se trouve ce que les symbolistes et les préraphaélites
imaginations ! N’avoir pas senti, une seule minute, que l’on est tout
petit, tout petit, tout bête, tout bête, devant les beautés
contient toutes les formes, toutes les poésies, toutes les harmonies ! Et
Les artistes de ces deux mouvements ne comprennent pas qu’à force de renier la
nature pour fuir sa laideur, ils créent une nouvelle forme de laideur à travers
l’aversion de Mirbeau. Il soulève ainsi un des paradoxes que caractérisent à son avis
182
Samuel Lair explique à ce sujet : « Conférer du sens à l’œuvre d’art que l’on crée est la grande affaire
de cette fin-de-siècle en quête de compensation à la perte de spiritualité. Détecter ce sens dans l’œuvre
des autres est celle des critiques. Ici le rôle de Mirbeau s’avère essentiel. A rebours d’une théorie de
l’art symboliste, pour lequel l’intelligibilité réside dans l’œuvre – volontiers abstraite, mystique ou
littéraire –, l’art selon Mirbeau n’accède au sens profond des choses qu’en s’employant à retranscrire
les formes, la superficialité des formes, dans le respect d’une observation personnelle de la nature. »
Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., p. 310.
183
« Les Artistes de l’âme », éd. cit., t. II, pp. 133-134.
100
choses vagues, haletantes, trépidantes, sans lien entre elles et comme
non seulement pour ceux qui regardent leur peinture, mais également pour eux-
mêmes, comme semble le penser Mirbeau. Il doute que ces artistes puissent
préraphaélite et, surtout symboliste, qui se propose de rendre visible ce qui ne l’est
pas, ce qui n’existe pas encore ou qui n’existe plus, c’est-à-dire le néant185 :
chose, leur idéal, dont ils ont empoisonné toute une génération ! C’est
l’exemple de Monet qui, lui, réussit à trouver en elle ce que d’autres s’évertuent à
chercher ailleurs :
101
sourde et grondante, dans le brouillard, brouillard elle-même ; la
les peintres et que les peintres, jusqu’à M. Claude Monet, n’ont pas su
voir, n’ont pas pu exprimer, dont ils n’ont vu et exprimé que le mince
Par l’exemple de Monet, Octave Mirbeau cherche à démontrer qu’il est possible
rendre visible ce qui ne l’est pas, tout en demeurant proche de la nature. Pour ce
ami peintre imaginaire, qui se plaint d’avoir été perverti par le symbolisme :
187
« Claude Monet », éd. cit., t. II, p. 354.
102
choses ; mais, en t’imposant un travail tout bête, en copiant les formes
chercher au plus profond d’elle. Ensuite, il ne s’agit que de trouver l’équilibre entre
mouvement au néant. Son symbole est clair, parce qu’il est dans la
même et de l’imagination qui peut l’emporter sur une voie mensongère. La nature
est alors considérée par Mirbeau comme protection éventuelle contre les dérapages
vallées riantes, des claires forêts, des lacs de lumière, des troupeaux
dorés et des calmes montagnes. Cet homme, qui nous restitua sainte
belle âme panthéiste. Son Dieu, c’est la nature qu’il sut exprimer
188
« Des Lys ! des Lys ! », éd. cit., t. II, p. 84. Georges donne presque le même conseil à Lucien dans le
roman Dans le ciel : « Ne peux-tu donc t’astreindre à un travail méthodique ? dis-je à Lucien… si tu
penses que tu ne sais pas assez, ne pourrais-tu donc apprendre ? Il me semble que tu le pourrais… Tu
garderas ton imagination, tes emballements… puisque tu es fait de ces choses… Mais en t’imposant
un travail tout bête, en copiant les formes de la nature, tu acquerras le métier qui te manque… Et, plus
tard, tu réaliseras tout ce que tu rêves… » Mirbeau, Octave, Dans le ciel, Caen, L’Echoppe, 1989, p. 131.
189
« Préface aux dessins d’Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 203.
103
simple, immense et tranquille. Il laisse errer autour de ses autels de
confesseurs.190
Dans cet article, Mirbeau considère que Puvis de Chavannes est « le peintre de la
vie », ce qui s’oppose clairement aux « artistes de l’âme »191 que sont les
les préraphaélites et les symbolistes, alors qu’il est reconnu comme un peintre
De surcroît, l’exemple est, dans cet extrait, encore plus antithétique, puisque
Hoek193, Mirbeau a certainement fermé délibérément les yeux sur le lien étroit qui
190
« Le Peintre de la vie ! », éd. cit., t. II, p. 199.
191
« Les Artistes de l’âme », éd. cit., t. II, pp. 132-135.
192
Voir à ce sujet l’article de : Hoek, Leo H., « Octave Mirbeau et la peinture de paysage. Un critique
d’art entre éthique et esthétique. », Cahiers Octave Mirbeau, 12, 2005, pp. 190-193. Par ailleurs, un autre
critique d’art, Yvanhoé Rambosson, semble d’accord avec Mirbeau : « Comme tous les grands, comme
Puvis entre autres, qui fut beaucoup plus influencé par le naturalisme qu’on ne le croit et qui s’est
toujours très sincèrement défendu d’avoir voulu mettre du mystère dans ses fresques, Rodin a
toujours amoureusement considéré les aspects de la vie et des choses, travaillant âprement à en
réaliser la beauté. » « Le Modelé et le Mouvement dans les œuvres de Rodin », La Plume, 1er juillet
1900, in : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 417.
193
Ibid.
104
La Nature reniée
Après ce qui vient d’être exposé, les réactions violentes de Mirbeau contre le
de palais… il prend ci, prend là, partout où il peut prendre, sauf dans
la nature et dans la vie, […]… Dans Gustave Moreau, tout est mort,
deux artistes cherchent à atteindre le même but, créer, Moreau ne produit que de
194
« Une Heure chez Rodin », éd. cit., t. II, pp. 269-270.
105
l’illusion, puisqu’il a totalement renié la nature au profit de l’artifice, que ce soit dans
sujet et condamne les symbolistes comme les préraphaélites : ils courent tant à leur
Et il est triste de penser que des hommes, doués comme l’était Dante-
les séductions joyeuses, de tous les talents, aient sombré dans un tel
une nouvelle nature d’où l’on ne peut plus s’évader. Tant il est vrai
Renier la nature, c’est s’engager sur une voie périlleuse qui conduit à perdre tout
préraphaélites et des symbolistes, c’est parce que, en reniant la nature, ils se renient
également eux-mêmes, « parcelles » de la nature, ainsi que l’art196. L’art dans cette
nature et du monde, c’est ce que ces deux extraits montrent, le premier concernant le
peinture symboliste. » Mirbeau, Octave, Correspondance avec Camille Pissarro, Tusson Charente, Du
Lérot, 1990, p. 75.
106
contre nature, et le besoin de se perpétuellement mentir soi-même ne
et plus accessible. Comme s’il existait une seule ligne, une seule
Ce qui est insupportable pour Mirbeau, et qui est démontré par ces deux exemples,
est le fait que ces deux mouvements ne se rendent pas compte qu’ils reposent sur un
énorme paradoxe : ils emmènent l’art vers le néant, alors qu’ils sont censés
L’Art du néant
107
rejeter la nature, alors que les artistes qui reçoivent l’admiration de Mirbeau font le
chemin inverse :
mouvement au néant. Son symbole est clair, parce qu’il est dans la
199
« Préface aux dessins d’Auguste Rodin », éd. cit, t. II, p. 203. Voir également citation supra p. 103
200
Cette note dit: « Interprété par Mirbeau, Rodin a exactement la même vision esthétique que le
Botticelli de « Botticelli proteste »… » ibid., p. 205.
201
« Botticelli proteste !... », éd. cit., t. II, p. 159.
108
Rapprocher Rodin et Botticelli est une manœuvre de Mirbeau, qui souligne
l’erreur dans laquelle sont les symbolistes et les préraphaélites, puisqu’il y a, d’un
côté, l’artiste admiré par Mirbeau et, de l’autre, le maître italien, prétendu modèle des
symbolisme sont deux esthétiques qui repoussent la nature ont été exposées. Il faut
maintenant se pencher sur la manière dont cela se manifeste dans les œuvres. La
ah ! si hiératiquement !...202
La femme n’est plus un être vivant faisant partie de la nature, mais un personnage
d’elle comme des gerbes de feu… Elle tenait à la main une clé
d’or…203
La femme, elle-même, a sa vie qui lui est retirée et devient, à son tour, un symbole.
toute vulgarité terrestre, donc supérieure à la nature, alors que, aux yeux de
Mirbeau, elle n’est qu’antinaturelle. Un autre exemple est le valet de Jambois qui
parle « sans que remue le moindre muscle de son visage »204. Il est clair que, selon
202
« Portrait », éd. cit., t. I, p. 311.
203
Mirbeau, Octave, Le Journal d’une femme de chambre, op. cit., pp. 254-255.
204
« Portrait », éd. cit., t. I, p. 308.
109
Mirbeau, le symbolisme et le préraphaélisme cherchent à anéantir tout ce qui peut
pour l’androgynéité206 :
par le cerveau. Tel est le rite aujourd’hui. C’est de notre cerveau que
La distinction entre sexes est considérée comme une marque de la nature, donc
que des âmes. « Les âmes n’ont pas de sexe, […]. »208, comme l’explique le
personnage de Kimberly dans Le Journal d’une femme de chambre. Dans cette même
mais sont vêtus de la même manière et ont « des âmes pareilles et des esprits
205
Ibid., pp.255-256.
206
Julius Kaplan explique: « Symbolist fascination with and fear of sensual passion co-existed, often
expressed by the image of femme fatale, the resolution of this conflict also appears in the figure of the
androgyne, a symbol for the resolution of opposites into a harmonious unity. » in : Turner, Jane, The
Dictionary of Art, op. cit.
207
« Mannequins et critiques », éd. cit., t. II, p. 136.
208
Le Journal d’une femme de chambre, op. cit., p. 256.
209
Ibid., p. 251.
210
« L’effort de dépassement esthétique entrepris par les préraphaélites par exemple, aboutit non pas à
une salutaire transgression des codes artistiques, mais à un détachement parodique des réalités
humaines : le registre artistique du Quattrocento, les élucubrations mythologiques convoquées,
génèrent des figures de primitifs, de vierges, d’"insexués" dont la situation à l’origine des Temps a ceci
d’aberrant qu’elle n’engage pas une descendance, mais se fige au point d’unicité et de stérilité où se
complaisent les amateurs d’éthéré. », Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., p. 294.
110
La lumière participe également à ce refus de la nature. Lorsque Mirbeau décrit les
ateliers de Jambois et des deux artistes préraphaélites de son roman, la lumière est
presque inexistante et lorsqu’elle est présente, elle provient rarement d’une source
naturelle ou elle est indirecte comme le soulignent les deux exemples suivants :
Le soir est tombé, l’atelier est tout sombre. Par la grande baie, un reste
de jour pâle entre qui frise les dorures éparses, s’accroche aux angles
crépusculaire.211
Ainsi, l’ambiance est propice au mystère et donne aux objets un côté irréel, c’est ce
que dit d’ailleurs Kariste, peintre symboliste, à propos de la salle dans laquelle il
expose :
Nous entrâmes chez C…, dans une petite salle sombre et basse où,
sur les murs, s’alignaient les tableaux qu’on voyait à peine, car leur
noyait de ténèbres.
– Il n’y a pas beaucoup de jour ici, s’excusa mon ami Kariste, mais
c’est la seule salle que j’ai trouvée… Et puis mes amis prétendent que
Les couleurs sont, d’une certaine manière, elles aussi artificielles, comme le
montre l’exemple ironique des coussins « couleur de fucus, au fond de la mer » qui
211
« Portrait », éd. cit., t. I, p. 310.
212
Le Journal d’une femme de chambre, op. cit., p. 251.
213
« Des lys ! des lys ! », éd. cit., t. II, p. 81.
111
se trouvent dans l’atelier de John-Giotto Farfadetti et Frédéric-Ossian Pinggleton214.
une parenté évidente avec la caractéristique des tons des œuvres des préraphaélites
de la deuxième génération – celle qui est attaquée dans les articles de Mirbeau – qui
l’anéantissement de la nature, alors que, pour lui, c’est la nature qui est le centre de
tout216. Le point de vue de Mirbeau est fidèle à sa conception esthétique, ce qui met
Chavannes217.
symbolisme pour l’histoire de l’art, comme il l’a fait pour d’autres courants
mouvement primordial pour l’art moderne et surtout, pour l’art abstrait218. L’instinct
de Mirbeau l’a trahi cette fois, alors que d’autres auteurs ont soutenu les artistes de
214
Le Journal d’une femme de chambre, op. cit., p. 252.
215
Julian Treuherz dit dans son article sur le Préraphaélisme : « Initially characterized by intense
colour, tight handling and predominantly medieval subjectmatter, during the later 19th century the
style became broader and more mute in colour through the work of the Brotherhood’s followers. » in :
Turner, Jane, The Dictionary of Art, op. cit. Cette description s’oppose à celle que fait Laurence Tartreau-
Zeller: « Quant à la lumière et à la couleur, loin de l’avilir, les préraphaélites leur ont apporté un autre
éclairage. […] Grâce à eux la couleur qui baignait la vie anglaise, n’était plus un brun triste, mais une
couleur lumineuse. » in : « Mirbeau et l’esthétique préraphaélite », op. cit., p. 87.
216
« Il est difficile de déceler dans l’afféterie de ces œuvres le sentiment authentique de la nature ».
Tartreau-Zeller, « Mirbeau et l’esthétique préraphaélite », op. cit., p. 91.
217
Concernant ce sujet voir les articles : Tartreau-Zeller, Laurence, « Mirbeau et l’esthétique
préraphaélite », op. cit., pp. 93-94 ; Hoek, Leo H., « Octave Mirbeau et la peinture de paysage. Un
critique d’art entre éthique et esthétique. », op. cit., pp. 190-193.
218
« Symbolism played an important role in the development of modern art ; the famous definition of
painting formulated by Maurice Denis (a flat surface covered with colours assembled in a certain
order) is a fomula for Abstraction. Symbolism’s stylistic strategy of de-emphasizing reality by means
of simplifications, lack of clarity or exaggeration was utilized by 20 th-century artists. Such modern
artists as Kandinsky, Mondrian and František Kupka, who shared the spiritualist and occult interest in
their most fashionable forms and theosophy and anthroposophy, were led to non objective styles as
the best way to depict the spiritual, as opposed to the real ». in : Turner, Jane, The Dictionary of Art, op.
cit.
112
ces deux mouvements, que ce soit Huysmans ou même Zola, tous deux admirateurs
de Gustave Moreau :
traité de Gustave Moreau, que j’ai gardé pour la fin, comme étant la
symbolisme.220
219
Huysmans, Joris-Karl, « Le Salon officiel en 1880 », L’Art moderne ; Certains, Paris, Union générale
d’éditions, 10/ 18, 1986, p. 132. La citation de Huysmans sur l’hermétisme de Moreau est corroborée
par cette phrase de Joséphin Péladan, grand défenseur du symbolisme : « […] je l’aime d’autant plus
que le bourgeois ne comprend rien à ses toiles qui sont hermétiques et peintes pour les seuls initiés. »
« L’Esthétique au Salon de 1883 », L’Artiste, in : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 255.
220
Zola, Emile, « Le Salon de 1876 », op. cit., p. 343.
113
Mais il faut être juste et ne pas systématiquement rejeter d’une idée,
qu’ils le soient à fond, on ne doit pas oublier que c’est de lui que sortit
artistique et sociale.221
dans le design222.
221
« L’Homme au large feutre », éd. cit., t. II, p. 169.
222
« Even more widespread in Britain, Europe and America was the influence of Morris & Co.,
forerunner of a host of guilds and societies of artistcraftsmen, which made up the Arts and Crafts
movement and, through such organizations as the Vienna Secession and the Bauhaus, decisively
affected the course of 20th-century architecture and design. », in: Turner, Jane, The Dictionary of Art, op.
cit.
114
Architecture, Sculpture et Photographie, arts de la « hideur » moderne
photographie et, dans une moindre mesure, la sculpture, subissent régulièrement les
Le reproche le plus évident que Mirbeau fait à l’architecture est son manque
d’innovation :
fait entrer, ainsi que les Japonais, toute la flore, toute la faune, toutes
marcher, nous avons beau avoir des pays nouveaux, toute une flore
leur imagination.223
Mirbeau ne comprend pas que les découvertes scientifiques n’aient pas donné une
l’impulsion créatrice des anciens n’ait pas de continuité chez les architectes
modernes. La critique qui se cache derrière ce constat est que les architectes ne
115
Quand un art en est arrivé à ne plus trouver, en soi-même, c’est-à-dire
aller, cherchant dans le passé, ses lignes et ses formes, et sous prétexte
Ce qui conduit à la mort d’un art, c’est son incapacité à se renouveler et, selon
Mirbeau, c’est ce qui est en train de se produire pour l’architecture. Pire encore, les
architectes copient, mais copient mal, puisqu’ils ne font que des mélanges
inharmoniques :
Peu à peu, des décombres, des rues rasées, des jardins déboisés, on
Son constat est pessimiste puisqu’il va jusqu’à dire : « […] l’architecture est
définitivement, et à jamais, morte. »226 Si Mirbeau semble ici ne pas être dans l’air du
224
« A propos d’un monument », éd. cit., t. II, p. 241.
225
« Pourquoi des expositions ? », éd. cit., t. II, p. 109.
226
« A propos d’un monument », éd. cit., t. II, p. 243. Il dira également en 1885 : « […] c’est elle, c’est
l’architecture qui est le grand éteignoir moderne. » « Coup d’œil général », éd. cit., t. I, p. 165.
116
prétendument, année de réjouissance pour l’art, il semble en accord avec certains de
les âges constituent, dans leur ensemble, les plus serviles parodies qui
puissent se voir.
Garnier. […]
Soit l’architecture moderne ne crée rien, car elle ne fait que reproduire ce qui a
déjà été fait dans le passé, soit ce qu’elle crée n’a aucune valeur et devient le symbole
de la laideur, tant cet art s’éloigne de la nature. Sur ce point, il s’agit précisément du
reproche que Mirbeau fait à tout ce qu’il n’aime pas en art, qu’il s’agisse du domaine
puisque le fer, matériau industriel, remplace peu à peu la pierre, au grand dam de
Mirbeau, qui regrette : « le rêve énorme de la pierre s’est évanoui. »228 Mirbeau, s’il
écrit un article en 1889 faisant l’éloge du fer, à l’instar de Huysmans 229, revient vite
sur son opinion dans les années suivantes. Par ailleurs, Mirbeau reproche à
117
Cinq ans avant la date fixée pour l’ouverture d’une exposition, Paris
si elle semble bénéficier, un temps, d’un peu de clémence – elle sera « l’embryon »
Encore une fois, Mirbeau reste fidèle à ses convictions et à son amour de la
nature. Cependant, il est surprenant, pour quelqu’un qui défend la modernité, qu’il
n’ait pas deviné que les constructions en fer seraient un des symboles de la fin du
lieu en France.
Si l’architecture est un art décrié, elle ne tient que relativement peu de place, par
rapport à la peinture, dans les Combats esthétiques de Mirbeau. La sculpture, elle, est
souvent présente dans les différents articles. Toutefois, il ne serait pas juste de croire
230
« Pourquoi des expositions ? », éd. cit., t. II, p. 109.
231
« Impressions d’un visiteur », éd. cit., t. I, p. 373.
232
« Pourquoi des expositions ? », éd. cit., t. I, p. 111. Il existe une critique quasi similaire chez
Huysmans : « Cette allure d’échafaudage, cette attitude interrompue, assignées à un édifice
maintenant complet révèle un insens absolu de l’art. […] La Tour Eiffel est vraiment d’une laideur qui
déconcerte et elle n’est même pas énorme ! » Huysmans, Joris-Karl, « Le Fer », op. cit., p. 347.
118
qu’elle échappe aux attaques du critique, avant que celui-ci ne connaisse Constantin
Aujourd’hui, les sculpteurs sont restés les copistes timides des Grecs
n’ayant aucune valeur, la sculpture ne peut donc en avoir. Pire encore, il accuse les
place.
Par ailleurs, comme l’extrait précédent le prouve, Octave Mirbeau pense que la
sculpture, non seulement ne crée rien, mais encore régresse en ignorant les progrès
réalisés durant les époques précédentes et, particulièrement, en ne prenant pas son
fait entrer, ainsi que les Japonais, toute la flore, toute la faune, toutes
233
« Le Salon (VI) », éd. cit., t. I p. 292.
234
Ibid., p. 292. Voir citation supra p. 115.
119
Pour Mirbeau, la sculpture ne trouvera une nouvelle impulsion, plus proche de la
nature, que dans la sculpture en ronde bosse et non plus dans la sculpture de
homme, un homme qui vit et qui souffre. Pour animer, comme l’a fait
l’artiste, un corps humain par ses seules lignes synthétiques, pour lui
savante il faut être un maître dans l’art du dessin. Cette mâle figure
arrivera des mésaventures aux sculpteurs, comme Rodin qui, avec L’Age d’airain,
sera accusé de moulage par le jury du Salon237. C’est une chose qui excèdera Mirbeau
car, pour lui, le moulage n’est qu’un artifice et, plutôt que de rendre vivante une
235
Ibid, p. 295.
236
Ibid., p. 295.
237
Mirbeau reviendra plusieurs fois sur le sujet, par exemple dans l’article : « Impressions d’art », éd.
cit., t. I, pp. 297-302.
120
parfaite de la nature ne sont pas, selon lui, ce qui permet de rester proche de la
Il n’y avait pas à s’y méprendre un instant, car le moulage, qui est à la
de tels accents.238
Par « de tels accents », Mirbeau songe à ce qui rend une œuvre d’art vivante et de
intéressante, car elle permet de comprendre ce que reproche Mirbeau à cet art
tel que, plus tard, le cinéma239. Toutefois, Mirbeau ne l’entend pas ainsi. La
mais sans que celui-ci ne semble vivant et particulier, puisqu’il n’a pas bénéficié de
121
ne peut faire passer son tempérament au sein d’une photographie, ce qui s’oppose à
Il n’est donc pas étonnant qu’il compare de certaines œuvres picturales qui, à son
visage mortel, ne produit plus que des figures fermées, sans rayons,
reproductions photographiques.242
Puis ç’a été tout ; la flamme de la pensée s’est vite éteinte, l’œil s’est à
Ainsi, Mirbeau ne fait que suivre l’exemple de ces prédécesseurs qui avaient déjà
daguerréotypeur.244
78.
242
« Coup d’œil général », éd. cit., t. I, p.163.
243
« Votons pour Meissonier », éd. cit., t. I, p. 232. Voir aussi citations supra, pp. 79, 88.
244
Champfleury, op. cit., p. 91.
122
Non seulement Octave Mirbeau passe à côté d’un art qui sera très important et
manque ainsi d’intuition, mais encore il utilise le même lieu commun que ses
collègues245. Cela est surprenant de la part d’un critique d’art qui pousse ses lecteurs
à avoir une conception de l’art « moderne » et une grande ouverture d’esprit, qualité
fait juger et diriger vers ses habitudes, dans ses idées, selon son
245
A ce sujet voir : Dufour, Philippe, op. cit, pp. 170-171. Philippe Burty, au contraire, en était conscient :
« Elle a sa place marquée à côté des grandes découvertes dont peut se glorifier notre époque. »
Exposition de la Société française de la photographie », Gazette des Beaux-Arts, in : La Promenade du
critique influent, op. cit., p. 79.
246
Dufour, Philippe, op. cit., p. 170. Philippe Dufour ajoute encore : « Même saisi par un objectif le
monde continue d’être vu à travers un tempérament. »
123
II. Le Naturalisme
a) Définition
Le Naturalisme est une notion difficile à cerner, bien que le mouvement soit très
s’agit de trouver une définition plus précise que celle expliquant que c’est un
littérature critique n’est pas d’aucune aide et ce, pour diverses raisons. L’une d’entre
248
Becker, Colette, Lire le réalisme et le naturalisme, Paris, Nathan, 2000, p. 1. David Baguley rappelle lui
aussi ce fait, in : Baguley, David, Le Naturalisme et ses genres, Paris, Nathan, 1995, p. 183. Philippe
Dufour, lui, dit : « Le réalisme n’est pas un mouvement qui naît avec Balzac, se poursuit avec Flaubert
et connaît sa version hyperbolisée avec le naturalisme. De tels schémas ne sont que des
réorganisations rétrospectives qui méconnaissent l’ambiguïté de l’écriture et reposent sur des
présupposés ou des jugements de valeur. » op. cit., pp. 9-10.
124
chronologique, puisque les deux mouvements se chevauchent, ou une forme du
réalisme :
l’attention portée aux aspects les plus plantureux et les plus opulents
L’explication donnée ici par Henri Mitterand n’est qu’une tentative parmi tant
polysémie : « Le mot, ancien, a pris au fil des siècles, plusieurs sens qui ne s’excluent
pas l’un l’autre. »251 La question est de savoir si c’est également le cas dans la période
249
Pagès, Alain, Le Naturalisme, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2001, p. 25. Colette Becker s’oppose à cette
idée : « Se contenter de dire que le Réalisme a succédé au Romantisme et le Naturalisme au Réalisme
est peut-être commode, mais relève d’une simplification qui induit en erreur. Il suffit de jeter les yeux
sur une chronologie pour se rendre compte que tout a été beaucoup plus complexe et que, dans cette
période comme dans n’importe quel autre moment de notre histoire littéraire, la règle est le
chevauchement des mouvements. » op. cit., p. 2.
250
Mitterand, Henri, Zola et le naturalisme, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2002, pp. 23-24.
251
Becker, Colette, op. cit., p. 74. Alain Pagès explique que le terme est utilisé par les philosophes et les
savants depuis le XVIIe siècle. Voir : Pagès, Alain, op. cit., p. 26.
125
habituellement déterminée comme étant celle du mouvement naturaliste et qui
sous tous ses modes et à tous ses degrés, et que son but unique est de
Zola va reprendre le terme en 1868 dans la critique d’art intitulée Mon Salon où
une des sections est appelée « Les Naturalistes »254. Toutefois, dans aucune de ses
critiques d’art, ni dans aucune de ses œuvres, il ne posera une définition précise de
ce qu’il entend par « naturalisme ». Par ailleurs, il est possible de constater qu’il
que le terme de « naturalisme »255. Voilà comment Emile Zola définit les artistes
naturalistes en 1868 :
252
« L’existence de ces différentes acceptions montre que la notion de "naturalisme" ne va pas de soi ».
Pagès, Alain, op. cit., p. 26.
253
Castagnary, Salon, 1863, cité in : Becker, Colette, op. cit., p. 75. A noter que le terme est employé
avant cette date par les critiques d’art, comme le prouve Baudelaire qui utilise le terme à plusieurs
reprises dans un sens qui se rapproche parfois du sens « zolien », surtout, dans le salon de 1846 où il
dit du peintre Ingres qu’il est « le représentant le plus illustre de l’école naturaliste dans le dessin », op.
cit., p. 152.
254
Zola, Émile, Ecrits sur l’art, op. cit..
255
Selon Gérard Gengembre, Zola utilisera même les termes « réalisme » et « naturalisme »
indifféremment, jusqu’à la parution de La Fortune des Rougon en 1871, in : op. cit., pp. 9-10.
256
Zola, Emile, Ecrits sur l’art, op. cit., p. 214.
126
Cette explication de ce qu’est un naturaliste n’est pas sans rappeler la définition
que l’écrivain a donnée de l’œuvre d’art quelques années plus tôt dans Mes Haines,
Ainsi, pour l’écrivain, un artiste naturaliste est un artiste qui observe la nature,
contenu au sein même de la définition de l’œuvre d’art que donne Zola, sur laquelle
représenter le « réel » ou, d’un autre point de vue, l’œuvre d’art n’inclut-elle pas,
127
Il est vrai que pour limiter la subjectivité de l’artiste, Zola insiste sur le fait que
faire, Zola s’inspire des progrès qui ont été réalisés dans le domaine de la
devient plus importante que la mimésis. Toutefois, Zola doit faire face à beaucoup
création artistique : l’imagination. Or, Zola récuse cette attaque en faisant une
histoires extraordinaires, des fables […] »260 et « l’invention » qui, comme le dit
Colette Becker :
personnages, etc.261
totale de la réalité ? » op. cit., p. 2. Champfleury est très conscient de ce problème : « La reproduction
de la nature par l’homme ne sera jamais une reproduction ni une imitation, ce sera toujours une
interprétation. » op. cit., p. 92. Castagnary lui aussi l’a compris : « Pour ne parler que des arts
plastiques, l’œuvre réalisée est tout à la fois, par l’idée qu’elle contient et par la forme qu’elle revêt,
non pas une copie, une reproduction, même partielle, de la nature, mais un produit éminemment
subjectif, le résultat et l’expression d’une conception purement personnelle. » « Philosophie du Salon
de 1857 », La Revue moderne, in : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 64.
260
Becker, Colette, op. cit., p. 77. Huysmans reniera cette distinction : « Il faut bien le confesser,
personne ne comprenait moins l’âme que les naturalistes qui se proposaient de l’observer. Ils voyaient
l’existence d’une seule pièce ; ils ne l’acceptaient que conditionnée d’éléments vraisemblables, et j’ai
depuis appris, par expérience, que l’invraisemblable n’est pas toujours, dans le monde, à l’état
d’exception, que les aventures de Rocambole sont parfois aussi exactes que celles de Gervaise et de
Coupeau. » « Préface écrite vingt ans après le roman », A rebours, Paris, Garnier Flammarion, 2004, p.
330.
261
Becker, Colette, op. cit., p. 77.
128
déclarer que nous acceptons le tempérament, l’expression
l’idée de modification. Nous portons bien des faits vrais, qui sont
Voilà les grandes lignes de la théorie naturaliste, posée par Zola qui le font
manifeste servant de base à une école dans le sens courant263 et, d’autre part, Zola a
S’il est vrai qu’il est difficile de parler véritablement d’école à propos du
naturalisme, Zola utilise pourtant le terme à plusieurs reprises dans ses écrits :
262
Zola, Emile, « Le Roman expérimental », Le Roman expérimental, 1880, in : Becker, Colette, op. cit., p.
77.
263
Cependant, la publication des Soirées de Médan en 1880, « apparaît aux yeux de l’opinion comme le
manifeste du Naturalisme », dit Colette Becker, in : op. cit., p. 73.
264
Voir supra citation note 74. Par ailleurs, David Baguley ne semble pas de cet avis et dit, en citant
Zola : « Zola a beau faire le modeste – "Je ne suis pas un chef d’école, et je raie gaiement cela de mes
papiers" – il se proclame implicitement l’imperator de cette hégémonie naturaliste du monde des lettres
qui se prépare. A n’en pas douter, l’attitude de Zola est singulièrement autoritaire, tout à fait utopique,
[…]. » Baguley, David, op. cit., p. 16.
265
Zola, Emile, Ecrits sur l’art, op. cit., p. 296.
129
N’est-il pas curieux de voir comment le souffle moderne gagne
traditions.266
Zola semble manquer de cohérence dans ses propos, à moins qu’il ne comprenne
le terme d’école dans son sens « moderne », qui est simplement la réunion d’artistes
qui ont une idée commune qu’ils interprètent de manière individuelle. Il n’y a pas
Le problème relève en partie du fait qu’il n’y avait pas parmi les
ils étaient peu préoccupés par des questions théoriques, mais leurs
Pour David Baguley, la preuve est fournie par les dénominations propres que
266
Ibid., p. 402. Huysmans l’utilise également. Voir : « Préface écrite vingt ans après le roman », A
rebours, op. cit., p. 321.
267
Baguley, David, op. cit., p. 31.
268
Ibid. Alain Pagès, lui, dit : « Ce dédain généralisé conduit beaucoup de commentateurs à refuser
l’idée d’une unité du naturalisme : il y aurait, au contraire, une multiplicité de formules, variables
selon les individus. » op. cit., pp. 40-41. Philippe Dufour voit une autre explication à cette diversité :
« La mobilité des écritures face au réel, la versatilité des styles, les revirements de manière, ces
langages pluriels ne désignent-ils pas la radicale impossibilité de définir, de fixer le réel ? » op. cit., p.
315.
130
Zola, quant à lui, nomme « naturalistes » des artistes très divers dans le domaine
des beaux-arts. Les premiers à être considérés comme naturalistes par l’écrivain sont
Camille Pissarro et Claude Monet269. Par ailleurs, la même année, il n’hésite pas à
dire de Corot qu’il est « un des maîtres du naturalisme moderne »270, alors que ce
dernier est habituellement classé dans les peintres « réalistes »271. Plus tard, ce sera
qui fait partie du « naturalisme triomphant »273, et, chose plus surprenante, Gustave
Courbet, dont Zola dit : « [qu’il] exprima l’aspiration au vrai […] essayant sur une
base solide la nouvelle formule de l’école naturaliste. »274 Il s’agit pour le moins d’un
n’est autre que le plus grand représentant des peintres réalistes. Zola contribue ainsi
étonnant, car, comme l’explique Alain Pagès : « L’expérience des peintres se trouve
sans conteste à l’origine de l’idée naturaliste en littérature »275, ce qui s’est déjà vérifié
avec le réalisme et le lien entre Courbet et Champfleury. Il est vrai que, d’une
269
Zola, Emile, op. cit., pp. 201 et 210.
270
Ibid., p. 216.
271
Il est justement difficile de définir l’art de Corot, car il n’a été l’élève d’aucune école. Il est,
effectivement considéré comme un peintre "réaliste" ou comme le précurseur de l’impressionnisme.
L’influence qu’il a eue sur d’autres peintres est toutefois indéniable et est déjà reconnue par
Baudelaire : « […] l’influence de M. Corot est actuellement visible dans presque toutes les œuvres de
jeunes paysagistes […]. » Baudelaire, Charles, « Salon de 1845 », op. cit., p. 60.
272
« Parmi les naturalistes qui ont su parler de la nature en une langue vivante et originale, une des
plus curieuses figures est certainement Jongkind. » Zola, Emile, op. cit., p. 252.
273
Ibid., p. 435.
274
Ibid., p. 364.
275
Pagès, Alain, op. cit., p. 35.
276
Il n’est pas le seul, Huysmans aussi semble le penser dans « Le Salon de 1879 » : « le mouvement
naturaliste [est] déterminé par les impressionnistes. » op. cit., p. 26.
131
On les appelle aussi impressionnistes, parce que certains d’entre eux
Dans le passage ci-dessus, il est indéniable que David Baguley décrit un des
leur peinture.
277
Zola, Emile, op. cit., p. 313.
278
Baguley, David, op. cit., p. 159. Félix Fénéon décrit ainsi le but des impressionnistes: « Ceux-ci, en
effet, avaient pour idéal de fixer sur leurs toiles instantanément l’aspect transitoire des choses, et, pour
mieux l’affirmer transitoire, ils le choisissaient exceptionnel : à cet office excellait leur faire agile,
brusque et bravache. Manière de voir et de traduire qui supprimait la préméditation et, dès lors,
semblait peu favorable à l’éclosion d’œuvres constitutionnellement vivaces. » op. cit., p. 116. Par
ailleurs, la dernière phrase de cet extrait contient les reproches qui seront faits aux impressionnistes.
Voir infra. Il semble que, pour Baudelaire, la peinture des impressionnistes auraient pu être la
représentation de la modernité : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié
de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. » « Le Peintre de la vie moderne », op. cit., p. 467.
132
Cependant, Zola reniera plus tard, vers 1879, son soutien à ce groupe de peintres
naturaliste :
Tous ces artistes-là sont trop facilement satisfaits. Ils dédaignent à tort
En ne voyant dans ces peintres que « des pionniers »280 et, finalement, que de
mauvais techniciens281, il est permis de se demander s’il fait une critique objective de
pas trouvé « cette école naturaliste qu’ [il] rêv[ait] pour le renouveau de l’art et la
création de l’élargissement de la création humaine »282. Par ailleurs, avec le recul, les
impressionnistes ne sont pas les peintres qui doivent être considérés comme
naturalistes :
De quelque manière qu’aient joué les amitiés et les goûts, les peintres
même « impressionnistes ». Le terme de naturaliste n’a été utilisé que par les
279
Zola, Emile, op. cit., p. 400. Huysmans fera de même l’année suivante in : « L’Exposition des
indépendants en 1880 », op. cit., p. 93 sq.
280
Ibid.
281
Ibid, pp. 420 et 469-470. Ce reproche à l’encontre des impressionnistes est certainement le plus
courant chez leurs adversaires comme le montre cette réflexion de Péladan : « Le tableau
impressionniste est un tableau arrêté en premier état, c’est-à-dire à l’ébauche. » « L’Esthétique au Salon
de 1883 », L’Artiste, in : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 258. Voir également citation supra, p.
68.
282
Ibid., p. 296.
283
Thuillier, Jacques, op. cit., p. 57. Il s’agit de peintres considérés comme pompiers par Jacques
Thuillier.
133
critiques d’art de l’époque. En histoire de l’art, il est plutôt considéré comme un
synonyme de réalisme et, même s’il est indubitablement marqué par la conception
zolienne au XIXe siècle, il est également utilisé pour parler de la peinture d’autres
périodes :
observe and then faithfully record the subject before him without
car elle ne procure pas assez de caractéristiques précises et suffisantes pour décrire
les œuvres d’art du dernier tiers du XIXe siècle285. Il est vrai également que la notion
d’impressionnisme est contestée, car elle ne définit pas plus clairement que le
naturalisme ce qu’est l’art des différents artistes connus sous cette étiquette.
Néanmoins, elle ne contient pas l’ambiguïté due à une utilisation et une définition
qui a été inspiré par la toile de Monet, Impression soleil levant. Quant au naturalisme,
c’est différent, car il peut aussi bien faire référence, au XVI e siècle, à un mouvement
285
« Le sens pris par naturalisme en esthétique est beaucoup plus vague et plus variable. Tout dépend
en effet du regard porté sur la nature. », Thorel-Cailleteau, Sylvie, La Tentation du livre sur rien.
Naturalisme et Décadence, Mont-de-Marsan, Editions InterUniversitaires, 1994, p. 302.
134
comme Pieter Saenredam ou, celui si différent, du Caravage, appelé « mysticisme
exceptions.
esthétiques et celui de savoir s’il est pertinent de classer des artistes à l’aide
d’étiquettes créées à cet effet. Ainsi, la remarque que fait Jacques Thuillier concernant
Il faut bien accepter le fait que ce vocable n’a jamais désigné une
286
Turner, Jane, The Dictionary of Art, op. cit.
287
Ibid.
288
Thuillier, Jacques, op. cit., p. 62.
135
b) « Les Naturalismes » dans les Combats esthétiques
naturalisme ont été exposés. Quelques auteurs qui ont été proches d’Emile Zola ont
été également cités. Mais qu’en est-il de la position de Mirbeau par rapport à cette
en 1877, pourtant sans jamais faire partie de l’« école naturaliste » et ce, malgré son
amitié pour Zola289. Cependant, le naturalisme est bien présent dans les critiques
d’art d’Octave Mirbeau. Ainsi, il est aisé de comprendre comment il est considéré
par l’écrivain.
artistes qui précèdent le dernier tiers du XIXe siècle, comme l’a démontré la
289
Sur la relation entre Mirbeau et Zola voir l’article: Michel, Pierre, « Mirbeau et Zola : entre mépris et
vénération », Cahiers naturalistes, no 64, 1990, pp. 47-77.
290
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p. 143.
136
En considérant les toiles de Bastien-Lepage comme faisant partie « du
naturalismes ont existé et ont précédé celui qui caractérise l’œuvre de Bastien-
Lepage. Malheureusement, il ne donne pas plus de précisions sur ce qu’il pense être
simplement les portraits du maître italien dans le naturalisme, il précise qu’ils font
partie du naturalisme « savant ». Cela sous-entend, d’une part, qu’il existe différents
types de naturalismes et, d’autre part, qu’il existe une hiérarchie, le naturalisme
l’explique dans ce même article, aucun portraitiste n’a réussi à égaler Fantin-Latour
À travers ces deux exemples, il est possible d’observer que Mirbeau fait un emploi
très large du terme « naturalisme », mais surtout, qu’il est pleinement conscient du
poids historique qui repose sur ce terme. Il n’hésite d’ailleurs pas à jouer avec cette
291
« Fantin-Latour et M. Gervex », éd. cit., t. I, p. 169.
137
surcroît, il laisse apparaître que, pour lui, il existe une hiérarchie au sein des
naturalismes qui est fondée sur leur valeur ou, plutôt, sur la valeur qu’il leur donne.
L’ambiguïté réalisme-naturalisme
réalisme et du naturalisme ont des répercussions dans les critiques d’art d’Octave
Mirbeau. Il ne fait parfois aucune différence entre les termes et glisse de l’un à l’autre
pour caractériser le même artiste. C’est le cas, par exemple, pour Bastien-Lepage
qu’il considère comme un « naturaliste », alors que, dans l’article suivant, il écrit :
embellit de ses rêves, et donne aux êtres et aux choses les sonorités et
les formes qui ne sont, en réalité, que des ressouvenirs d’idéal, des
imaginations de voyant.292
Cet article a pourtant été écrit en 1884, c’est-à-dire longtemps après que Zola eut
utilisé le terme de « naturaliste » pour la première fois. Alors faut-il y voir une
celui de « naturaliste », moins défini ? Ou faut-il voir dans cet emploi une volonté
d’éviter les distinctions entre ces deux termes, comme c’est le cas dans le domaine de
« réaliste » comme englobant toutes les esthétiques qui ont pour but la
292
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p 93. Félix Fénéon dit de Bastien-Lepage qu’il est : « opportuniste de
la peinture, qui de sa mince fourche mit un réalisme factice au ratelier des badauds. » Fénéon, Félix,
op. cit., p 25.
138
outre, cette dernière hypothèse rejoint la pensée de Zola, qui comporte, elle aussi,
doute que tous les artistes doivent être des réalistes. Peindre des rêves
La preuve est que le terme de « réaliste » est également appliqué par Mirbeau à
Claude Monet, lui, dont l’œuvre a donné son nom au mouvement appelé
« impressionnisme » :
succéder les émotions, les passions latentes, les secousses morales, les
qui existe entre les esthétiques nouvelles et celles qui les ont précédées.
293
Zola, Emile, op. cit., p. 120.
294
« Claude Monet », éd. cit., t. I, p. 431.
139
Toutefois, avec un tel glissement entre tous ces termes, réalisme, naturalisme et
l’emploi pluriel de « réalités » dans la citation de Zola. Mirbeau précise que Monet
leurs apparitions dans les articles de Mirbeau, même s’il leur arrive d’être presque
le « vrai » est difficile à définir, car l’approche de ces deux termes implique une part
embellit de ses rêves, et donne aux êtres et aux choses les sonorités et
les formes qui ne sont, en réalité, que des ressouvenirs d’idéal, des
imaginations de voyant.295
faut savoir quel sens est donné à « idéal », car s’il fait référence à l’idéal de perfection
295
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p. 93.
140
prôné par l’Académie296, il est évident qu’il est refusé par les artistes voulant
représenter la réalité. En revanche, l’idéal peut également changer selon les époques.
Malgré cela, il semble toujours être refusé par les artistes voulant peindre la réalité,
« recherche du vrai » :
recherche du vrai quand elle n’est pas soutenue par l’idéal absorbe
trop, tourmente et stérilise. Les grands artistes sont ceux qui savent
qu’ont les artistes réalistes et naturalistes à trouver l’équilibre entre la vérité et l’idéal.
Par peur de tomber dans le piège d’une peinture trop idéalisée, ils préfèrent éviter
Dans cet autre passage sur Bastien-Lepage, l’opposition entre l’idéal et la vérité
est équivalente à celle entre le concret et l’abstrait, c’est-à-dire entre ce que les artistes
296
« Voilà le style réaliste, fait pour communiquer ce qui est. Nous sommes loin du style classique,
tourné vers un idéal surnaturel, où ne se mêle rien de personnel et où la rhétorique étouffe la vie ».
Zola, Emile, op. cit., p. 369. Baudelaire, lui, réfutait déjà la vision d’idéal de l’Académie sans toutefois
le rejeter : « Chaque individu a donc son idéal. [...] Ainsi l’idéal n’est pas cette chose vague, ce rêve
ennuyeux et impalpable qui nage au plafond des académies ; un idéal, c’est l’individu redressé par
l’individu, reconstruit et rendu par le pinceau ou le ciseau à l’éclatante vérité de son harmonie
native. » « Salon de 1846 », op. cit., p. 149.
297
« Bastien-Lepage », éd. cit., t I, p. 93.
298
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p. 142.
141
« voient » et tout ce qui émane de l’esprit.Dans cette antithèse, se profile alors le
Il se pose alors une ultime question : trouver l’équilibre entre ces deux pôles ou
mettre en évidence leur complémentarité et leur lien, n’est-ce pas là, le véritable défi
de l’art :
La vérité habite aussi bien les hautes régions de l’idéal ; elle s’y
artistes qui vont la chercher ne risquent rien que de faire des œuvres
impérissables.299
Le dilemme ne semble pas avoir été résolu selon ces deux passages écrits par Emile
Zola :
nouveaux ; elle leur offre, à chaque heure, des faces différentes ; elle
renaissante.300
299
Ibid., p. 143.
300
Zola, Emile, op. cit., p. 56.
142
Donc, une œuvre d’art n’est jamais que la combinaison d’un homme,
vous êtes forcé de nier le passé et de créer des définitions que vous
Il est vrai que ces deux extraits n’ont pas été écrits la même année. Cependant, ils
mettent bien en évidence les faiblesses de la théorie de Zola sur des points cruciaux
texte, puisque le premier extrait fait partie de Mes Haines et précède de peu la
Par ailleurs, il existe un lien indéniable entre l’idéal et l’imagination, ce qui peut
qui peuvent être aussi bien des lacs magiques que des éléphants
vivent.302
L’idéal a changé mais, comme le révèle ce passage, personne n’a réussi à lui
redonner une définition, une valeur commune. L’idéal est une notion indéterminée
et peut être tout et « rien » à la fois. Ainsi, il peut accepter tout ce que l’imagination
produit, même ce qu’il y a de plus extraordinaire. C’est exactement pour cette raison
301
Zola, Emile, op. cit., p. 108.
302
« L’Art et la Nature », éd. cit., t. I, p. 246.
143
que Zola rejette l’imagination303 et par conséquent, l’idéal : tous les deux risquent
quand elle n’est pas soutenue par l’idéal absorbe trop, tourmente et stérilise.»304 Par
ailleurs, Zola en est totalement conscient, puisqu’il affirme: « La réalité exacte est
donc impossible dans une œuvre d’art. »305 Pourtant, le naturalisme semble bien
Dans les lettres, il n’y a guère que M. Burani, dans la peinture, il n’y a
vérité.306
303
Voir supra, p. 128.
304
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p. 93. Mirbeau ne s’est d’ailleurs pas trompé puisque Huysmans
dira : « Nous autres, moins râblés et préoccupés d’un art plus subtil et plus vrai, nous devions nous
demander si le naturalisme n’aboutissait pas à une impasse et si nous n’allions pas bientôt nous
heurter contre le mur du fond. » « Préface écrite vingt ans après le roman », A rebours, op. cit., p. 322.
De plus, Mirbeau en ne rejetant pas totalement l’idéal, se rapproche de Baudelaire, même si leurs
définitions de ce qu’est l’idéal sont différentes. Voir supra note 296.
305
« Lettre à Antony Valabrègue, 18 août 1864 », in : Becker, Colette, op. cit., p. 155.
306
« L’Art et la Nature », éd. cit., t. I, p. 246.
144
Première apparition du naturalisme dans les Combats esthétiques
C’est dans un article sur Eva Gonzalès – élève de Manet –, qui date de 1885, c’est-
à-dire presque vingt ans après que Zola a utilisé le terme naturalisme pour la
Elle n’a rien peint qu’elle n’ait vu ; mais ce naturalisme ne copiait pas
exprimer les délicatesses des attitudes, les suavités des carnations, les
d’impression.307
ses œuvres, « tout y est », comme l’écrit Mirbeau dans le même article, ce qui pourrait
justement supposer une copie servile de la nature, surtout qu’« elle n’a rien peint
qu’elle n’ait vu ». La différence réside dans le fait qu’Eva Gonzalès ne s’arrête pas au
sentiment, une émotion, un frisson ». Ainsi, apparaît une conception de l’art qui est
Les différents types de naturalismes, dont parle Mirbeau, seront exposés dans le dernier point de ce
308
chapitre.
145
naturalisme, une œuvre cherchant à reproduire la réalité tout en étant empreinte du
tempérament de l’artiste309.
L’Ecole naturaliste
Une bonne partie de l’article de Mirbeau intitulé « Coup d’œil général », datant de
1885, est consacrée aux naturalistes, puisqu’ils ont une place de choix au Salon, aux
naturalistes.310
comme faisant partie d’une « école », alors même que Zola n’a cessé de se défendre
contre cette appellation, appellation qu’il utilise pourtant dans différents articles des
Par ailleurs, le terme d’école donne aussitôt un indice sur le degré d’estime que
Mirbeau porte aux naturalistes. Sa haine de toute école et de toute doctrine n’est pas
un secret et, tout au long de sa carrière, il a refusé de se laisser enfermer dans tout ce
309
Zola a d’ailleurs fait une bonne critique de L’Indolente, tableau d’Eva Gonzalès, en 1872.
310
« Coup d’œil général », éd. cit., t. I, p. 161.
311
Voir supra, pp. 129-130, ainsi que les pages : 296, 364 et 402 in : Zola Emile, op. cit. Le problème
semble déjà exister pour le réalisme. Philippe Dufour affirme : « Le réalisme n’est pas une école, c’est
une catégorie esthétique. » op. cit., p. 7.
146
qui avait de près ou de loin une ressemblance avec ce type d’institution 312. D’ailleurs,
qu’elle n’attend que des interprètes dignes d’elle, et que la seconde est
semble favorable au naturalisme dans son article consacré à Eva Gonzalès. Que s’est-
il donc passé, en si peu de temps, pour que Mirbeau passe à une opinion aussi
plusieurs et, d’autre part, qu’il existe des naturalismes que Mirbeau n’aime pas.
qui peut faire penser à Mirbeau que le naturalisme est devenu lui aussi un art
officiel. Zola, lui, semble se féliciter de la nouvelle position qu’acquiert peu à peu
« son école » et ce, dès 1880, dans les articles consacrés au Salon, intitulés d’ailleurs
Toutefois, ces quelques raisons ne sont certainement pas suffisantes pour qu’un
critique d’art tel que Mirbeau attaque un mouvement esthétique quel qu’il soit. Il
312
« Et puis, quoi qu’en dise Zola, le naturalisme, c’est bien une école, avec sa doctrine, son maître et
ses disciples, et pour Mirbeau c’est rédhibitoire. Une école, cela implique l’embrigadement et le
dogmatisme, mortifères en art comme en littérature ». Michel, Pierre, « Mirbeau et Zola : entre mépris
et vénération », op. cit., p. 50.
313
« Coup d’œil général », éd. cit., t. I, p. 162.
314
Il dit d’ailleurs : « Comme nous allons le voir, c’est l’Ecole aujourd’hui qui fournit au naturalisme
ses recrues. » Zola, Emile, op. cit., p. 427.
147
Les Reproches de Mirbeau à l’encontre du naturalisme315
La Perception de la nature
en est sans conteste la base : la nature. Il est donc légitime de commencer par étudier
Mirbeau attaque, dans l’article « Maîtres modernes », son collègue critique d’art,
grec sans y démêler un seul mot. Il entend ainsi qu’on ne doit faire
que les choses que l’on voit, et à la minute même où on les voit.316
peintre soient dévalorisés par Fourcaud qui soutient les peintres-copistes et, d’autre
315
Pierre Michel expose dans les grandes lignes quelles sont les critiques de Mirbeau à l’encontre du
naturalisme in : Michel, Pierre, « Mirbeau et Zola : entre mépris et vénération », op. cit., pp. 51-52.
316
« Maîtres modernes », éd. cit., t. I, p. 207. En 1859, Baudelaire se plaint du même engouement :
« Dans ces derniers temps nous avons entendu dire de mille manières différentes : "Copiez la nature. Il
n’y a pas de plus grande jouissance ni de plus beau triomphe qu’une copie excellente de la nature". »
« Salon de 1859 », op. cit., p.320.
148
de bien méchant, au contraire, le fait de placer la nature au centre de l’intérêt
artistique ne peut que plaire à Mirbeau. Seulement, le problème est que Fourcaud
réduit la nature à ce qui se voit, c’est-à-dire qu’il omet l’autre partie de la nature, celle
Ainsi, il est évident que cette perception de la nature s’oppose à celle prônée dans
la théorie du naturalisme de Zola, elle, qui insiste tant sur l’importance pour l’œuvre
Fourcaud.
Un Mouvement rapetissant
leurs toiles qu’une représentation partielle de la nature, oubliant ainsi toutes les
mirbellienne, qui insiste sur les deux faces de la nature, son apparence et ce qu’elle
317
« Bastien-Lepage », éd. cit., t. I, p. 143.
149
est la différence entre une œuvre naturaliste et une simple photographie ? Quelle est
les peintres ne sont pas seulement des peintres, mais où ils reçoivent
Un peintre qui n’a été qu’un peintre ne sera jamais que la moitié d’un
artiste.318
La dernière phrase de Mirbeau est pour le moins éloquente. Il ne renie pas les
qualités techniques de ces peintres, mais leur perception de la nature qui, amputée
d’une de ses parties, les prive également de ce qu’ils devraient avoir pour être des
artistes. Il ne fait aucun doute que, pour Mirbeau, c’est une partie indispensable du
processus créatif et, par la même occasion, de la nature, que les peintres naturalistes
ignorent, puisque « la pensée humaine » est ce qui permet d’atteindre un des buts de
l’utilité d’un art qui veut reproduire exactement la nature sont remis en question.
Chacun peut regarder la nature, donc une telle peinture n’apporte rien de plus à la
perception directe que tout être peut avoir. Par ailleurs, la recherche d’une
y a une volonté de faire aussi bien, voire mieux qu’elle, dans le domaine formel. Or,
il s’agit d’une absurdité, d’une voie artistique vouée à l’échec. La seule « rivalité »
envisageable avec la nature réside dans la face invisible de l’objet, car elle permet de
le recréer selon une conception propre à l’artiste donc, d’en proposer une nouvelle
perception.
318
Ibid.
150
La reproduction de la nature dans son « entier » est possible tout en respectant la
théorie naturaliste ; l’exemple d’Eva Gonzalès est là pour le prouver. C’est même « la
unique fois, du peintre allemand Adolphe Menzel qui a été influencé par
reconnaît certaines qualités, mais ce qui est intéressant est qu’il lui reproche des
319
« Bastien-Lepage », éd. cit., p. 142.
151
a mis en ses traductions trop de virtuosité, trop d’habileté, une trop
ensuite les représenter en étant le plus proche de la réalité possible, ne signifie pas
que « tout » doit être peint dans les moindres détails. A force de tout représenter, le
tableau devient une collection de détails qui le rend artificiel, sans vie et qui va à
l’encontre du but final recherché par la théorie naturaliste. Ainsi, l’art naturaliste
peintre pour n’en faire plus qu’un simple copiste, un « typographe ». A l’inverse, ce
que Mirbeau appelle un peintre est celui qui est capable de faire une sélection, la
objets qui vont intéresser ou toucher universellement. C’est cela que Mirbeau appelle
320
« Maîtres modernes », éd. cit., t. I, p. 208.
321
Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., pp. 256-257.
322
Le réalisme subit le même reproche : « La raillerie du pittoresque s’en prend à une écriture du
détail, qui néglige l’essentiel. Ce reproche est promis à un long avenir dans la critique du réalisme. »
Dufour, Philippe, op. cit., p. 4.
152
la « synthèse » et c’est en cela que réside le travail d’un « vrai » peintre. Le peintre
doit se laisser impressionner et retenir ses impressions, ou celles qui sont les plus
fortes, afin de pouvoir « impressionner », à son tour, à travers ses œuvres323. Mirbeau
va plus loin en déclarant que la synthèse est « la seule vérité en art », ce qui peut
du détail, qui « fai[t] ainsi preuve du même regard à angle réduit »324 qu’il reproche
au naturalisme. Cependant, il est incontestable que la synthèse est une vérité en art
Il ne fait aucun doute que, pour Mirbeau, l’abondance des détails marque un
retour en arrière dans le domaine de la peinture, et cela, pour deux raisons. D’une
part, elle éloigne la peinture d’une conception « moderne » qui est la prise de
« synthèse », qui n’est autre qu’un choix effectué par l’artiste dans l’immensité de la
nature :
c’est que M. Roll a fait poser de vrais ouvriers, et non point des
travail.325
323
« […] l’homme, quoi qu’il fasse pour se rendre l’esclave de la nature, est toujours emporté par son
tempérament particulier qui le tient depuis les ongles jusqu’aux cheveux et qu’il le pousse à rendre la
nature suivant l’impression qu’il en reçoit. », Champfleury, op. cit., p. 93.
324
Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., p. 257.
325
« MM. Roll, Lhermitte, Jules Breton, Puvis de Chavannes », éd. cit., t. I, p. 174. A part Roll, cité ici en
exemple, Mirbeau considère comme faisant partie des peintres naturalistes : Bastien-Lepage,
Lhermitte, Jules Breton, Bonnat, J.-P. Laurens, etc. Il est intéressant de voir que, pour l’histoire de l’art,
certains d’entre eux sont plutôt considérés comme étant réalistes et d’autres, comme peintres
académiques. Voir : Thuillier, Jacques, op. cit., pp. 30 et 57.
153
D’autre part, l’abondance des détails comporte des réminiscences de la peinture
académique, puisque c’est effectivement un des reproches que lui faisait Mirbeau :
Il est clair que, dans cet extrait et dans la partie de ce travail qui concerne la
que la maîtrise technique poussée jusqu’à son paroxysme, conduisent à une peinture
sont les mêmes que ceux faits aux peintres naturalistes. Par ailleurs, Mirbeau
n’hésite pas à comparer clairement l’école naturaliste à l’Académie dans son article
« Coup d’œil général »328 et à mettre en évidence leurs points communs, ce qui
326
« Votons pour Meissonier », éd. cit., t. I, p. 232. Baudelaire dit de Meissonier : « M. Meissonier, qui,
malgré tous ses mérites, eut le malheur d’introduire et de populariser le goût du petit, est un véritable
géant auprès des faiseurs de babioles actuels. » « Salon de 1859 », op. cit., p. 311.
327
Voir supra.
328
« Coup d’œil général », éd. cit., t. I, pp. 161-162.
154
Entre vulgarité et négation de la création artistique
regardent passer un train. Ce sont des gens qui ne visent à rien moins
qu’à rivaliser avec le relief réel des choses. Ce sont des copistes. Ils
font ce qu’ils voient, ils ne sentent pas, ne pensent pas. Tout sujet leur
est bon. Le monde entier semble fait pour poser devant eux.329
En reprenant une fois de plus ce passage, il est possible d’y trouver une notion
vulgaire » que l’Académie. Mais que signifie cet adjectif pour Mirbeau ?
intellectuel, pas de choix fait par les peintres naturalistes. Ils prennent ce que la
nature leur donne – « tout sujet leur est bon » – et n’introduisent aucune réflexion
personnelle, aucune analyse critique, puisqu’ils ne font que s’ébahir devant elle,
« comme des bœufs qui regardent passer le train », pour reprendre l’expression
Le travail artistique est, dans cette conception de la nature, réduit à néant, n’existe
plus et, en cela, voue l’art à sa négation. Le fait de réduire la création artistique à une
simple copie, de vouloir « rivaliser avec le relief réel des choses » engendre
329
« Coup d’œil général », éd. cit., t. I, p. 161.
155
fatalement une rivalité avec la nature330. À travers les paroles de Zola, transparaît
l’impossibilité, pour une œuvre d’art, d’atteindre la réalité exacte331. Faire aussi bien
que la nature est impossible et engage l’art sur une voie totalement stérile. La création
artistique, par sa définition même, par le fait qu’il s’agisse d’une création faite par un
artiste, un être humain, est une création qui ne peut être que subjective et donc, ne
peut rendre parfaitement et « réellement » «la nature telle qu’elle est ». Par ailleurs,
essayer d’atteindre une nature plus « réelle » que la réalité, fait de l’œuvre d’art un
dans ce cas, pourquoi ne pas laisser ce but à un autre art, celui de la photographie ?
manière il allait le faire. De surcroît, par le fait que la photographie fixe un instant,
Ainsi, l’école naturaliste recouvre, pour Mirbeau, tous les sens du terme vulgaire :
une certaine monotonie, puisqu’elle répète les mêmes erreurs que l’Académie a
faites ; une certaine grossièreté, car il s’avère qu’elle ne respecte pas les principes
fondamentaux de l’art, ainsi qu’une certaine médiocrité, à travers les œuvres qu’elle
produit. Il n’est donc pas étonnant que la conclusion de Mirbeau soit que le
naturalisme « est une des plus grandes erreurs de ce temps-ci, en matière d’art »332.
156
« L’homme ne vaut que par ce qu’il a d’idées générales dans l’esprit,
écrit Jean Revel, dans son admirable Testament d’un moderne, le goût
l’harmonie.333
artiste qu’il apprécie et en fait un argument pour contrer des conceptions qu’il
abhorre. Il est clair que, dans cet extrait, il s’attaque aux naturalistes et aux peintres
académiques. Pour s’en convaincre, il n’y a besoin que de se souvenir de ce qu’il dit
même temps, une mise en valeur de son contraire avec la peinture de Pissarro,
et en philosophe.335
333
« Camille Pissarro », éd. cit., t. I, p. 413.
334
« Bastien.-Lepage », éd. cit., t. I, p. 142. Par ailleurs, la note 8, dans l’article « Camille Pissarro », de
notre édition de référence confirme cette idée : « Par opposition aux peintres naturalistes et aux
"pompiers". » éd. cit., t. I, p. 417.
335
« Camille Pissarro », éd. cit., t. I, p. 412.
157
En décrivant « l’atmosphère morale » de Pissarro, Mirbeau lui offre, certes, un bel
éloge, mais, surtout, il insiste sur sa propre conception du peintre. De cette manière,
il marque une fois de plus la différence entre sa propre conception et celle des
Or, comme il le montre avec Pissarro, pour être un « vrai » peintre et pas « une
moitié d’artiste », il faut qu’il y ait un équilibre entre les deux paramètres, être
théoriquement, les œuvres naturalistes lui ont fait découvrir des aspects qui se
savoir précisément à quel moment Mirbeau s’en est rendu compte et a commencé à
Dès 1886, il n’hésite pas à affirmer que le naturalisme « est une des plus grandes
erreurs de ce temps-ci, en matière d’art »336. Cela ne suffit pas pour dire que c’est à
cette date que Mirbeau prend des distances avec le naturalisme, d’une part, parce
qu’il continuera à faire « des restrictions » au sein des artistes naturalistes, donc à
épargner certains d’entre eux, et d’autre part, parce que sa relation avec Zola, qui l’a
sans doute influencé, s’est dégradée peu à peu337. Par ailleurs, la conception
esthétique de son ami a commencé à changer dès 1880, bien avant que Mirbeau
158
Ce qu’on peut dire, c’est que le mouvement s’affirme avec une
Salons officiels.338
reçoive une reconnaissance des institutions officielles est trahir le combat qu’il a
mené aux côtés des artistes indépendants. Le but n’étant pas de faire de cette
peinture une « nouvelle » peinture académique, mais une peinture à part entière,
relève d’ailleurs dans un de ses articles qui aborde le changement qui a eu lieu dans
la peinture de Cabanel :
Vraiment Cabanel allait trop loin. Des lumières lilas ! des ombres
devant cette robe noire, ce fond gris, ces lumières lilas, ces ombres
338
Zola, Emile, op. cit, p. 424.
339
« Oraison funèbre », éd. cit., t. I, p. 352.
159
les têtes. Voilà pourquoi la lutte des impressionnistes n’a pas encore
En lisant cette dernière phrase, il est impossible de s’empêcher de penser que c’est
impuissant de L’Oeuvre341, roman qui marquera la fin des relations étroites que
l’écrivain pouvait entretenir avec certains peintres, comme Monet, par exemple.
Il est évident que Mirbeau ne peut cautionner une telle réaction, ni même la
comprendre. Pour lui, Zola a trahi ses amis mais également la volonté
refusant de faire des concessions aux instituts, refusant de créer une école et d’en
Huysmans a lui aussi fini par prendre ses distances pour des raisons qu’il explique
apparemment, le naturalisme ne lui laissait pas cette liberté. Plus significatif encore
est le rejet de celui qui est considéré comme l’un des pères du naturalisme, Gustave
340
Zola, Emile, op cit., p. 422.
341
Zola, Emile, L’Oeuvre, Paris, Gallimard, Folio classique, 1983. Ce livre a été publié en 1886. Pierre
Michel explique la réaction des artistes indépendants au roman de Zola in : Michel, Pierre, « Mirbeau
et Zola : entre mépris et vénération », op. cit., pp. 66-67.
342
Huysmans, Joris-Karl, « Préface écrite vingt ans après le roman », À rebours, op. cit., p. 329.
160
Flaubert, qui dit à Maupassant avant de mourir : « Ne me parlez plus du réalisme,
Cette déclaration, qui date du 21 octobre 1879, n’est finalement qu’un présage à ce
mouvement : le naturalisme qui copie « servilement les formes »344 et, celui d’Eva
vie »345. La première catégorie a déjà été longuement évoquée et c’est d’elle que parle
Mirbeau le plus souvent. C’est également celle qui est la plus intéressante,
« L’école naturaliste » est « résumée », selon Mirbeau, par Roll, Lhermitte et Jules
343
Flaubert est cité in : Dufour, Philippe, op. cit., p. 6.
344
Ce type de naturalisme a déjà été évoqué dans ce travail, voir supra p. 146 sq. Mirbeau a peut-être
emprunté cette formulation à Baudelaire qui parle déjà de « l’admirable servilisme des naturalistes ».
« Salon de 1846 », op. cit., p. 178.
345
« Eva Gonzalès », éd. cit., t. I, p. 105.
346
« MM. Roll, Lhermitte, Jules Breton, Puvis de Chavannes », éd. cit, t. I, p. 175.
161
s’il peut, se trouvent d’autres naturalistes mitigés de poètes, non
toute naïveté est bien faite pour irriter davantage. Ceux-là n’ont point
pour excuse la sincérité des premiers, qui désarme parfois. Ils sont,
d’autre part, d’une sûreté de main bien inférieure, ils sont moins
éclectique.347
paysages348. Seulement, cette catégorie échoue dans sa tentative pour deux raisons :
elle ne fait preuve d’aucun talent technique, ayant « une sûreté de main bien
absolue pour le plein air », ce qui est gênant lorsqu’il s’agit de représenter un
paysage.
347
« MM. Roll, Lhermitte, Jules Breton, Puvis de Chavannes », éd. cit., t. I, p. 176.
348
Il est possible de voir également une allusion à l’autre carrière de Jules Breton, celle de poète. Cette
catégorie s’inspirerait-elle de ce qu’appelle Baudelaire les « naturalistes idéalisant » ? « Salon de
1846 », op. cit., p. 177.
162
crépuscule matinal, avec cette aurore qui se lève, rouge, sur les
collines lointaines.349
pour la décrire. Le résultat est alors très éloigné de la vérité recherchée par le
une innovation, mais plutôt à un retour en arrière, d’une part, par ses
correspondances avec la peinture académique et, d’autre part, parce qu’elle suit la
trace des premiers réalistes, avec bien moins de talent. La comparaison avec les
même crépuscule » – car il est connu que les réalistes se concentraient sur trois
moments, aube, crépuscule, et soleil au zénith, et par l’allusion à un des plus grands
paysagistes, aux yeux de Mirbeau, Millet. Le fait de comparer les œuvres de Jules
nature est de la peindre en l’ayant sous les yeux et sans la modifier, et non de la
« pomponner » à l’atelier.
différence avec les impressionnistes qui, eux, peignent tous les moments du jour, en
plein air et sans modifier la nature. En même temps, il s’agit de montrer combien
Le naturalisme académique
349
« MM. Roll, Lhermitte, Jules Breton, Puvis de Chavannes », éd. cit., t. I, p. 176.
163
Le naturalisme prend donc parfois des allures « académiques », comme cela a été
constaté. Il a été dit précédemment de l’année 1886, que c’est l’année où Mirbeau
affirme clairement son opposition au naturalisme. Il est vrai que, cette année-là, a eu
lieu une grande exposition des œuvres de Manet dans le camp « ennemi » :
Être reconnu par les institutions aurait pu être un honneur pour l’un des premiers
comme semble le penser, par exemple, Zola, mais d’une manœuvre de la part de
l’Académie, afin de récolter la faveur du public. C’est d’ailleurs ce que prouve la suite
de l’article351 :
350
« Oraison funèbre », éd. cit., t. I, p. 351.
351
Champfleury semble déjà faire la même distinction : « Deux routes peuvent conduire à la
renommée : la première est l’art de l’imitation, la deuxième est l’art qui ne relève que de lui-même, l’art
original. Les avantages de l’art d’imitation sont que, comme il répète les œuvres des maîtres que l’œil
est depuis longtemps accoutumé à admirer, il est rapidement remarqué et estimé, tandis que l’art qui
veut n’être le copiste de personne, qui a l’ambition de ne faire que ce qu’il voit et ce qu’il sent dans la
nature, ne parvient que lentement à l’estime, la plupart de ceux qui regardent les œuvres d’art n’étant
point capables d’apprécier ce qui sort de la routine et atteste des études originales. » op. cit., p. 8. Félix
Fénéon fait lui déjà le même type de remarque à l’occasion d’une autre exposition consacrée à Manet
en 1884 : « Le révolté n’est-il pas entré dans le temple ? Enfin on ne rit plus. Comme toujours, c’est un
peu tard. Si j’avais un conseil à donner au public qui écarquille aujourd’hui devant l’œuvre du maître
la béatitude de ses yeux bovins, je l’inciterais à réfréner un peu cette admiration tardive […]. » Fénéon,
Félix, op. cit., p. 19.
164
Il arriva même, à M. Cabanel, une étrange fortune. Un jour, il eut
peindre une robe noire sur un fond gris, on n’en revenait pas.
concurrence avec la peinture académique. Il ne reste alors pas d’autre choix aux
peintres académiques que d’adapter leur manière au goût du jour, chose habituelle
pour une peinture versatile à souhait, comme cela a été expliqué dans le premier
chapitre.
Il n’y a ainsi eu aucune réflexion de la part de ces peintres à propos des théories
demeure une volonté d’être à la mode : « Puis, quand on observa que sur la figure de
bornes. »354 La technique utilisée par Cabanel ne vient pas, selon Mirbeau, d’une
dernière, mais bien d’une simple application technique utilisée pour « moderniser »
352
« Oraison funèbre », éd. cit., t. I, p. 352.
353
Puisque Zola considère presque de manière équivalente le naturalisme ou l’impressionnisme, nous
préférons utiliser ce terme. Voir supra, citation, p 159.
354
« Oraison funèbre », éd. cit., t. I, p. 352.
165
Dès lors, il s’insurge contre la réaction de son ami Zola qui, lui, ne voit pas qu’il
peinture académique. Les peintres académiques utilisent ces tons comme toutes les
autres conventions qu’ils ont l’habitude de suivre et, par conséquent, font de cette
de son ami « au naturalisme de l’Académie »355. Pour lui, cette expression est une
« antiacadémique ».
Il est vrai que peu d’artistes indépendants accepteront les récompenses officielles.
En revanche, pour ceux qui, comme Rodin, ont fait une exception, la sanction du
n’est pas quelque peu égocentrique. Lutter contre la peinture académique, donc
lutter pour imposer la peinture indépendante, est le grand combat de ses critiques
d’art. Sans celui-ci, il perd une de ses causes préférées à défendre et donc, d’une
relativisée :
355
« Oraison funèbre », éd. cit., t. I, p. 352. Voir également supra, pp. 159-160.
356
Michel, Pierre, « Mirbeau et Zola : entre mépris et vénération », op. cit., pp. 58-59.
166
l’homme et le monde qui l’entoure : n’étaient-ce pas là des valeurs
avis possible seulement en ayant du recul face au XIXe siècle. Même en sachant que
Mirbeau continuera de défendre avec véhémence Monet, alors qu’il sera en pleine
gloire, ou Rodin, pour dénoncer son éviction de toute commande officielle faite par
l’Etat alors que le sculpteur en a eu plusieurs, il semble peu probable que Mirbeau
ce qui lui donne sujet à se battre. Preuve en est qu’il trouvera d’autres esthétiques
nouvelles à défendre358.
Léonard de Vinci :
357
Thuillier, Jacques, op. cit., pp. 46-47.
358
Voir infra, chapitre III de ce travail.
167
Vinci, si chargées de mystères et d’humanité, de joies ambiguës et de
Le naturalisme « savant » semble être avant tout, la capacité de l’artiste à voir au-
« fouiller » l’âme des modèles, c’est-à-dire atteindre leur face cachée. Ce n’est pas
sans rappeler le naturalisme d’Eva Gonzalès, qui « allait sous les formes chercher la
« naturaliste-copiste poète » qui, lui, échoue dans cette tentative. Et voilà ce qui fait
errantes qu’il copie, ce sont des sensations domptées qu’il sait faire plier à son haut
Ainsi, Fantin-Latour, l’artiste, prend assez de liberté pour faire de son œuvre une
demandait Zola, lorsqu’il a exposé ce que devait être, pour lui, une œuvre d’art.
C’est également ce que recherche Mirbeau dans les œuvres d’art qu’il critique :
359
« Fantin-Latour » et M. Gervex », éd. cit., t. I, p. 169.
360
« Eva Gonzalès », éd. cit., t. I, p. 105.
361
« Fantin-Latour et M. Gervex », éd. cit., t. I, p. 170.
362
Ibid.
168
Il n’y a aucun doute sur la raison qui pousse Mirbeau à faire l’éloge des artistes
« naturalistes » tels que Fantin-Latour et Eva Gonzalès. Par ailleurs, il ne s’est jamais
Gauguin :
n’est pas à la surface des êtres et des choses, et qu’elle réside dans les
long de ses critiques, et, particulièrement, dans les derniers extraits cités.
esthétiques comme l’impressionnisme ou, plus tard, la peinture proposé par les
363
« Paul Gauguin », éd. cit., t. I, p. 420.
364
Par ailleurs, cela rapproche Mirbeau de la conception esthétique de Baudelaire, comme le prouve la
comparaison entre cette dernière et la conception de Zola. Voir note 257, p. 128.
365
Mirbeau n’hésitera d’ailleurs pas à montrer son désintérêt total pour le naturalisme en 1891 en
s’exclamant devant Jules Huret : « Le naturalisme ! mais je m’en fiche ! » Interview du 22 avril 1891
dans l’écho de Paris, in : Huret, Jules, op. cit., p. 225.
169
Lair, il ne semble faire aucun doute que c’est cela qui permet de révéler la valeur
366
Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., p. 310.
170
III. Le dépassement du naturalisme
Le style, c’est-à-dire
l’affirmation de la
personnalité.367
La transition
Remise en question
capable de faire danser cette gaie lumière sur ces feuillages amoureux
précédemment émise…
l’effort d’art que son âme faisait elle-même pour jouir du paysage ?368
émaner de ce passage de l’interview réalisée par Paul Gsell en 1907. Cependant, elle
367
« Vincent Van Gogh », éd. cit., t. I, p. 443.
368
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 426.
171
esthétiques369. Cette réaction de Mirbeau revient périodiquement dans ses articles et
c’est, sans doute, ce qui lui a permis de rester ouvert aux nouvelles esthétiques post-
ainsi qu’à l’évolution du style des artistes qu’il a admiré depuis leurs débuts.
même s’il est difficile de le dater précisément, il est possible de le cerner. Il est clair
que, dès 1886, Mirbeau s’oppose à l’esthétique naturaliste. Par ailleurs, il n’a jamais
la carrière plus récente, comme Gauguin ou Van Gogh, et aux nouvelles idées
témoigne :
delà. Il sent qu’il n’a pas donné de lui ce qu’il peut en donner. Des
puissantes tendent son esprit vers des voies plus abstraites, des
critique d’art. Il s’agit d’une esthétique qui cherche « un au-delà », qui provient
« des formes d’expression plus hermétiques ». À travers les termes utilisés par
369
Sur l’apparente contradiction de cet extrait de l’interview, voir: « Préface », éd. cit., t. I, p. 31.
370
« Paul Gauguin », éd. cit, t. I, pp. 420-421.
172
l’auteur, il est clair que les artistes n’en sont plus seulement à s’interroger sur le
[…] Et le dessin s’est assoupli, amplifié ; il ne dit plus que les choses
profonde.371
d’esprit » et « la pensée », que les œuvres de Paul Gauguin cherchent à évoquer. Une
« tempérament » de l’artiste dans l’œuvre d’art et, d’une certaine manière, il s’agit de
en tant qu’individu.
Cependant, il est plutôt incompréhensible que les œuvres de Gauguin, par leur
l’explique Pierre Michel dans son article « Mirbeau et le symbolisme »372. L’influence
371
« Paul Gauguin », éd. cit., t. I, p. 421.
372
Michel, Pierre, « Mirbeau et le symbolisme », Cahiers Octave Mirbeau, 2, 1995, pp. 8-22.
173
explication du changement qu’il est possible d’observer dans la conception
mirbellienne de l’art :
Zola.373
symbolisme dans une période où lui-même est en pleine crise. Par ailleurs, ces
Gauguin :
373
Michel, Pierre, « Mirbeau et le symbolisme », op. cit., p. 2, (selon impression).
374
Ibid.
375
Ibid., p. 3 (selon impression).
174
mystère. Parfois, elle s’élève jusqu’à la hauteur d’un mystique acte de
Cette attirance pour la douleur révèle un autre point commun entre Octave
La dernière raison expliquée par Pierre Michel est le contexte historique. En 1891, il
refus de certains artistes, qui espèrent pouvoir s’affranchir des étiquettes imposées,
contexte artistique.
376
« Paul Gauguin », éd. cit., t. I, p. 421.
377
Michel, Pierre, « Mirbeau et le symbolisme », op. cit., p. 4, (selon impression).
378
Mirbeau est également contre les étiquettes, comme il le dit la même année à Jules Huret : « Croyez-
vous que, dans cinquante ans seulement, il subsistera quelque chose des étiquettes autour desquelles
on se bat à l’heure qu’il est ! » Huret, Jules, op.cit., p. 225.
175
hasardeuses, presque toujours arbitraires, à travers lesquelles il ne
cessa de la promener.379
empreinte d’un symbolisme devenu hermétique, sont, sans aucun doute, les causes
des reproches de Mirbeau. Il est vrai que, entretemps, Mirbeau a trouvé d’autres
« symbolistes », loin d’être préoccupés par une école ou par un dogme. Mais avant
une génération.
Renouvellement et intériorité
Dans les quinze dernières années du XIXe siècle, qui coïncident avec la fin du
379
« Préface au catalogue du Salon d’automne 1909 », éd. cit., t. II, p. 485.
380
Michel, Pierre, « Mirbeau et le symbolisme », op. cit., pp. 6-7, (selon impression).
176
toile. On dirait que la main s’abandonne à suivre la lumière. Elle
l’imite et lui obéit. Claude Monet ne saisit plus la lumière avec la joie
décomposent. Ils sont si bien liés les uns aux autres qu’ils semblent
comme un cercle.381
Il ne s’agit pas ici d’un changement radical dans la peinture de Monet, mais,
nature, mais il la rend différemment, parce que sa relation avec elle a changé383. Il ne
s’agit plus d’être « aux prises avec la nature », comme c’était le cas au début de sa
transparaît dans sa peinture, car sa manière est devenue « plus souple », plus légère.
Le vocabulaire antithétique choisi par Mirbeau souligne d’ailleurs les deux phases
de la relation que le peintre a eue avec la nature. Monet n’a plus besoin de passer par
directement à l’intériorité de celle-ci. Cela lui laisse tout le loisir de se concentrer sur
d’autres aspects de la nature, mais surtout, sur lui-même. Monet a atteint une
certaine sérénité, plus d’assurance : la maturité qui transparaît dans ses toiles par le
381
« Les "Venise" de Claude Monet », éd. cit., t. II., p. 515.
382
Geffroy a également constaté un changement dans la peinture de Monet : « Il aurait pu, s’il avait
continué son étude des figures, laisser une évocation du monde moderne, des êtres et des spectacles. Il
a quitté cela pour une représentation, de plus en plus complexe, magique et évoquée, des aspects de la
nature révélés par la lumière. » Geffroy, Gustave, « Avant-propos de l’auteur », Claude Monet : sa vie,
son œuvre, Paris, Macula, 1987, p. IX.
383
Voir supra, « La Nature, miroir de l’artiste ».
177
Et c’est aussi une forme rajeunie, à l’état naissant, que Claude Monet
s’il était le premier homme, comme si, à travers les variations de leurs
nature, à l’intérieur du peintre et dans la nature même. Seulement, ici, c’est le peintre
qui renouvelle la nature, ou, plutôt, ce qui est devenu « un décor ou un motif ».
Monet dépasse à tous les niveaux le peintre qu’il était et, surtout, réussit à se
dépasser lui-même à un point tel qu’il fait de Venise, motif éculé, une « forme
rapidement. Les prémices sont visibles dans les œuvres qu’il a réalisées quelques
années plus tôt à Londres385. La nature, en effet, lui a révélé ses côtés les plus
et c’est ce qui lui a permis de renouveler le sujet de la Tamise, alors que les autres
peintres « n’ont pas su voir ». Mirbeau a compris qu’il s’agissait d’un moment
charnière :
expliquer une œuvre d’art, n’est-ce point aussi et surtout que je sens
384
« Les "Venise" de Claude Monet », éd. cit., t. II, p 516.
385
Il y a eu plusieurs renouvellements dans la peinture de Monet : « At the beginning of the 1880s
there was an identifiable change in Monet’s choice of subjects, palette and approach to space. […] In
the series of the 1890s and later he sought to convey the unifying effects of atmosphere (the ambiance
and the enveloppe) and tended increasingly to reduce the identity of local colour in favour of
decorative, chromatic harmonies, geared in part to natural effects but ultimately determined by
matching of canvas to canvas within the ensemble.» Turner, Jane, The Dictionary of Art, op. cit.
386
Voir supra, pp. 101-102.
178
bien davantage mon insuffisance personnelle pour parler autrement
même.387
Monet n’est pas le seul à se renouveler. Rodin lui aussi ne cesse de chercher la
nouveauté :
Depuis l’Âge d’Airain, jusqu’à Balzac, il est facile de suivre, dans les
l’émotion totale.388
387
« Claude Monet », éd. cit., t. II, p. 354.
388
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 261.
179
produit dans ses œuvres apparaît, dans beaucoup d’aspects, semblable à celui
apparu dans la peinture de Monet. La manière s’est assouplie et, surtout, Rodin se
d’un véritable bouleversement dans l’art, car, après toutes les luttes qu’il y a eu au
cours du XIXe siècle, afin que l’art puisse représenter « toute » la nature, les artistes
même richesse infinie que la nature, étant une partie de celle-ci. Le véritable défi
qu’induit ce changement ne réside pas dans ce choix, mais dans sa réalisation, c’est-
Chaque artiste qui a fait le choix de l’intériorité pousse l’individualité de son art à
peinture était bien différente de celle que nous avions aimée toute
389
« Vincent Van Gogh », éd. cit., t. II, pp. 294-295.
180
Dans cet extrait, c’est une amie d’Octave Mirbeau, femme du sculpteur Albert
Besnard, qui parle de sa première rencontre avec les œuvres de Van Gogh. C’est bien
Une question vient, cependant, à l’esprit en étant confronté à ce nouvel art : où est
[…] il [Mirbeau] montre déjà [en 1884] que la vision que l’artiste a de
place pour une vision personnelle des choses, que ses contemporains
Une autre réponse, qui se trouve dans un article consacré à Cézanne, est donnée
390
Le manque de technique est en effet un reproche souvent fait à Van Gogh par les critiques, ce qui est
d’ailleurs le cas, en 1888, dans un article de Gustave Kahn. « Peinture : Exposition des Indépendants »,
La Revue indépendante, in : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 309.
391
Staron, Anita, « Octave Mirbeau et l’expressionnisme littéraire », Cahiers Octave Mirbeau, 12, 2005, p.
110. Laurence Tartreau-Zeller, elle, dit : « En affirmant le caractère révolutionnaire de Van Gogh, il se
présente comme le fourrier de l’art moderne, et en donnant la primauté à la subjectivité et le droit de
cité à l’exagération, il annonce l’expressionnisme. » Tartreau-Zeller, Laurence, « Van Gogh, l’idéal de
Mirbeau. Van Gogh face à la critique », op. cit., p.12, (selon impression). Par ailleurs, Mirbeau répond
indirectement à ceux qui l’accusent d’exagération dans son roman Dans le ciel : « Exagéré ! Un mot qui
me revenait de mon père, dont c’était l’habitude de juger ainsi les choses qui contenaient une parcelle
d’émotion, un frisson de vie, une lueur de pensée, une pulsation d’amour. […] mais l’art, imbécile, c’est
une exagération… L’exagération c’est une façon de sentir, de comprendre…» op. cit., p. 88.
181
dans la campagne d’Aix semble, quand il regardait le monde des
Comme Mirbeau le souhaitait pour tous les artistes, Cézanne dépasse « le monde
choisissant de ne représenter que ce que les apparences ont provoqué en lui. Il utilise
donc cette face de la nature « pour son usage personnel », pour analyser son
Il est évident que ce nouveau changement en art entraîne des répercussions sur la
réception des œuvres, donc sur le spectateur. Toute une partie du processus créatif
reste un mystère, comme l’est souvent, la part de nature qui suscite l’introspection
Toutefois, l’effort que fait le spectateur face à ces œuvres reste minime, par
rapport à celui qu’il devra faire face à celle de la nouvelle génération. Monet,
dans l’art, ne constituent qu’une transition avant que ne s’impose une nouvelle
conception393. Mirbeau semble avoir déjà choisi quels sont les artistes appartenant à
voir, devant cette œuvre exquise où, par bonheur, s’était arrêté le
182
s’inquiétèrent d’en connaître l’auteur. Et c’est ainsi que Maillol entra
et morale, les Vuillard, les Bonnard, les Roussel, les Valtat, les
Maurice Denis, qui, comme lui, loin des arrivismes grossiers et des
Avec ces peintres, les Nabis, Mirbeau parviendra à satisfaire son besoin de
Si deux artistes, au XIXe siècle, ont tenté de représenter toutes les passions et tous
les sentiments qui peuvent traverser l’âme humaine, ce sont bien Van Gogh et Rodin.
Cependant, ils développent des méthodes différentes pour y parvenir, qu’il faut
étudier en tenant compte de leur contact avec la nature. Voilà comment Mirbeau
394
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 378.
183
exprimer cela… mais comment ?… Par les mots ?… sur le papier ?…
fait peintre.395
Selon Mirbeau, Van Gogh devient peintre, parce que c’est la meilleure façon qu’il
a trouvée pour exprimer ses « émotions ». Le processus qu’il utilise est expliqué
sentir et comprendre ! »396 La nature rendue dans les œuvres de Van Gogh subit une
absorbé la nature en lui. »397 Elle devient alors une sorte d’intermédiaire entre le
peintre et le spectateur, transmettant les émotions qui ont été ressenties par l’artiste.
Face à cette conception de la nature et de l’art, une question refait surface : cette
nature transformée n’est-elle pas la preuve que Van Gogh s’en éloigne ? Il s’agit
effectivement d’une question récurrente que se pose Mirbeau, que ce soit pour l’art
que ce dernier ne cherche pas à créer une nature artificielle et que ses
son tempérament d’artiste399 et, du point de vue technique, par le biais d’éléments
184
Au lieu de chercher à rendre exactement ce que j’ai devant les yeux, je
fortement.400
rendre plus expressive, afin que le spectateur ressente à son tour un choc émotionnel
identique.
mécanique. Au contraire, Van Gogh semble lui-même dépassé par ce qu’il ressent.
Les termes choisis par Mirbeau prouvent qu’une partie de ce fonctionnement se fait
inconsciente ». Tout reste dans le domaine des sens avant d’être « raisonné » :
souriante, avec sa vareuse brune, son tablier vert, ses deux grosses
extraordinaires…401
399
« […] he [Van Gogh] defended himself by referring to Zola’s dictum that work of art is a slice of
nature, viewed through a temperament ». Turner, Jane, The Dictionary of Art, op. cit.
400
Van Gogh, Vincent, Correspondance complète, III, op. cit., p. 165. Mirbeau en ayant compris la
conception de l’art de Van Gogh se rapproche, une fois de plus, de Baudelaire qui a dit : « Cela
explique comment un coloriste peut être paradoxal dans sa manière d’exprimer la couleur, et comment
l’étude de la nature conduit souvent à un résultat tout différent de la nature. » « Salon de 1846 », op.
cit., p. 107.
401
« Vincent Van Gogh et Bréda », éd. cit. t. II, p. 458.
185
Cet extrait souligne l’équilibre que Van Gogh obtient malgré les transformations
qu’il opère sur la nature. En effet, Mirbeau reconnaît parfaitement de quel type de
paysages il s’agit, où ceux-ci se trouvent ou à quel moment de l’année ils ont été
peints, même si Van Gogh leur fait subir toutes sortes de déformations : ondulation,
allongement, émiettement, etc. Le but de cet équilibre est atteint : Mirbeau dit avoir
« l’émotion puissante » de l’artiste même402. Ainsi, la nature des œuvres de Van Gogh
me charmaient…403
Mirbeau sait bien que l’art de Van Gogh est différent – « c’est un autre art »404 –,
car il insiste sur l’expression et est centré sur la subjectivité et la psychologie. Mais il
a été préparé par une grande partie des mouvements qui se sont succédé au XIX e
402
Le narrateur de Dans le ciel éprouve des sensations très fortes à la vue des œuvres de Lucien : « Son
art me troublait, par son audace et par sa violence. Il m’impressionnait, me donnait de la terreur,
presque, comme la vue d’un fou. Et je crois bien qu’il y avait de la folie éparse en ses toiles. » op. cit., p.
88.
403
« Vincent Van Gogh et Bréda », éd. cit., t. II, p. 458.
404
Ibid.
186
écarts subjectifs de l’impressionnisme et aussi du réalisme (malgré
L’ordre, cette fois, est sans ambages celui de la forme en soi, que ce
né.405
L’art de Van Gogh n’est pas sans rappeler un mouvement qui arrivera au début du
ainsi l’art de Van Gogh ainsi, d’une part, parce qu’il est encore trop attaché aux
esthétiques du XIXe siècle, comme l’impressionnisme, et, d’autre part, parce que
climax after its members moved between 1910 and 1914 to Berlin.
dark sides of the city life: people living under psychological pressure
Cependant, il est indéniable que Vincent Van Gogh est un des précurseurs de
l’expressionnisme :
405
Vallier, Dora, L’Art abstrait, Paris, Le Livre de Poche, 1980, pp. 14-15.
406
Le début de l’expressionnisme est situé généralement en Allemagne en 1905, avec la fondation du
groupe Die Brücke, et se termine vers 1920. Voir : Turner, Jane, The Dictionary of Art, op. cit.
407
Ibid.
187
The work of Vincent van Gogh, Edvard Munch and James Ensor was
potential was exemplified by van Gogh, in both of his tragic life and
Une nouvelle fois, Mirbeau a fait preuve de flair et a perçu dans l’art de Van Gogh
Notez bien d’ailleurs que s’il est réellement doué, il ne sera nullement
Le critique d’art ne parle pas ici de Van Gogh en particulier, mais du « nouveau »
travail de l’artiste face à la nature et il ressemble sans aucun doute à celui du peintre.
Par ailleurs, cet extrait contient une « phrase révélatrice du glissement de Mirbeau
408
Ibid.
409
« Son attention se portera tout particulièrement sur Van Gogh, en qui il découvre l’artiste idéal. A
l’instar du critique, le peintre torturé par les angoisses de la création puise sa force et son génie dans la
nature, la grande inspiratrice de ses œuvres. Elle est pour ces deux hommes la source de l’art, le
paradigme du beau ; un même idéal les anime, une même conception les guide, comment pourraient-
ils échapper l’un à l’autre ? ». Tartreau-Zeller, Laurence, « Van Gogh, l’idéal de Mirbeau. Van Gogh
face à la critique », 1, 1994, p. 1, (selon impression).
410
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 425.
411
Ibid., note 21, p. 430.
188
passage des Combats esthétiques concernant Van Gogh412, qui pourrait définir
l’expressionnisme :
Et tout, sous le pinceau de ce créateur étrange puissant, s’anime d’une vie étrange,
indépendante de celle des choses qu’il peint, et qui est en lui et qui est lui. Il se
dépense tout entier au profit des arbres, des ciels, des fleurs, des champs, qu’il gonfle
de son être. Ces formes se multiplient, s’échevèlent, se tordent, et jusque dans la folie
donc à l’état d’ébauche414. Cependant, l’extrait ci-dessus prouve qu’il est tout à fait
toujours prêté une attention particulière à l’expression qui pouvait émaner de ses
sculptures, ce qui est visible dans les articles que Mirbeau lui consacre. Pourtant,
dans les derniers articles que Mirbeau écrit à son sujet, une attention nouvelle est
portée à la relation entre la forme et l’expression, ainsi qu’à la réception des œuvres
par le spectateur :
412
« Vincent Van Gogh », éd. cit., t. I, p. 443.
413
Staron, Anita, op. cit., p. 116.
414
« Pour des raisons évidentes, on ne peut pas parler d’influence directe de cette esthétique sur l’art
mirbellien : à l’époque où l’expressionnisme s’affirme en tant que mouvement autonome (autour de
1910, en Allemagne), l’écrivain est déjà sur son déclin et ne semble pas avoir une connaissance
quelconque de ce phénomène littéraire ». Staron, Anita, op. cit., p. 107.
189
Non seulement il exprimera, avec une puissance toujours renouvelée,
pensée.415
Comme Van Gogh, Rodin utilise la forme pour atteindre une expressivité
maximale, et lui non plus, n’hésite pas à faire subir des déformations aux
description de la Porte de l’Enfer. Cet extrait souligne le nouveau point de vue adopté
par Mirbeau : ce n’est plus le sujet, mais la forme et les distorsions qui suscitent
sculpture. Et c’est ce que Mirbeau dit clairement à propos des Bourgeois de Calais :
415
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 96.
416
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 100.
190
marche, on entend réellement le bourdonnement de la foule qui
La forme incarne toutes les passions, tous les sentiments, tous les sens, par son
expressivité. Chez Rodin, comme chez Van Gogh, le but est atteint, vu l’émotion que
ressent le spectateur. Mirbeau le résume dans cette formule : « Et par la forme seule,
Il est impossible d’affirmer que Rodin est un sculpteur expressionniste pour les
mêmes raisons que Van Gogh peut l’être en tant que peintre. Mais, dans le domaine
de l’histoire de l’art, il est évident que Rodin a eu une grande influence sur les
chez Van Gogh, se base sur ses émotions, alors que les sculptures de Rodin ne
sculptés. C’est également ce qui fait l’intérêt de ces deux artistes, puisque, par des
l’expressionnisme.
À la recherche de l’absolu
Dans les nouvelles perspectives que des artistes comme Van Gogh ouvrent, la
volonté de représenter la nature dans sa totalité est perceptible. Dit ainsi, il est
417
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 262.
418
« Auguste Rodin », éd. cit., t. II, p. 261.
191
difficile de distinguer ce but de celui que visaient, précédemment, les
artistes qui suivent cette voie devient, à son tour, très compliquée, car elle implique
Ce que j’ai là, devant moi… c’est une autre sensibilité, une autre
recherche… c’est autre chose… c’est un autre art… moins écrit, moins
dans ces toiles, une grimace douloureuse, parfois j’y sens une
connu tous les doutes, tous les troubles, toutes les angoisses de
Cet extrait montre parfaitement combien il peut être difficile de concilier toutes
les ambitions que requiert cette nouvelle voie artistique, car elle se mesure à l’absolu
419
« Vincent Van Gogh et Bréda », éd. cit., t. II, p. 458. Delacroix semble avoir vécu les mêmes
difficultés : « L’art est une chose si idéale et si fugitive, que les outils ne sont jamais assez propres, ni
les moyens assez expéditifs. » Cité in : Baudelaire, Charles, L’Art romantique, op. cit., p. 544. Voir
également « Salon de 1846 », pp. 118-119.
192
de l’art et de la nature. Et cette recherche pose la question de l’achèvement de
l’œuvre d’art, ce qu’a très bien compris Mirbeau, puisqu’il s’interroge également à ce
sujet. Une œuvre d’art qui veut tout exprimer n’est-elle pas initialement vouée à
l’échec ? Et cette quête d’absolu, n’est-elle pas un leurre, puisque, comme Mirbeau
n’a cessé de le répéter, la nature est infinie ? Van Gogh, lui, semble être conscient de
ce paradoxe et c’est ce qui fait dire à Mirbeau : « […] il chercha quelque chose de
Par ailleurs, c’est la lucidité de ce peintre qui lui permet de réaliser des œuvres si
nature :
satisfait et qui ne peut jamais l’être. Car, s’il est facile de suivre les
dogmes d’un art, la joie cruelle de ceux qui ont la nature pour maître
[…] parce que l’artiste ne pourra jamais parvenir à exprimer, avec les
420
« Vincent Van Gogh et Bréda », éd. cit., t. II, p. 457.
421
« Cézanne », éd. cit., t. II, p. 526. Lucien dans le roman Dans le ciel dit : « Et dire pourtant que je sens
ça !... que je comprends ça… et que jamais, jamais, je ne pourrai rendre ça !... et que jamais, jamais, je
ne pourrai rendre rien, rien… » op. cit., p. 87.
193
dont le destin pathétique n’est pas sans rappeler celui, bien réel, de
Selon Mirbeau, Van Gogh n’est pas le seul à être conscient de ce que représente la
l’extrait suivant :
s’analyser, afin que l’œuvre reflète non seulement la recherche de l’absolu, mais
422
Mirbeau, Octave, « Préface », Dans le ciel, op. cit., p. 14. Voir également pp. 109-110. Jacques Le Rider
dit : « D’autres récits d’Hoffmann, […], révèlent que le dérèglement du peintre, qui devient tantôt un
fou, tantôt un criminel est causé, si l’on peut dire, par l’abus de couleur, et ces récits constituent le
parallèle allemand du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac : Frenhofer, lui aussi, a choisi le parti de la
couleur contre la ligne et le dessin et, dans la logique de la fiction balzacienne, c’est le pouvoir
diabolique des couleurs qui l’a conduit au désastre de sa Belle Noiseuse, chef d’œuvre avorté et gâché à
force de perfectionnisme, peinture abstraite avant la lettre, mais peinture délirante. » Aux Origines de
l’abstraction 1800-1914, Paris, Réunion des musées nationaux, 2003, p. 118. Cézanne aurait dit :
« Frenhofer, Frenhofer, c’est moi. » Cité in : Fénéon, Félix, op. cit., p. 496.
423
Paul Audi cite un extrait de La Beauté malade de D. H. Lawrence, in : Audi, Paul, L’Ivresse de l’art.
Nietsche et l’esthétique, Paris, Le Livre de Poche, Biblio Essais, 2003, p. 53.
194
conduire à un sentiment d’impuissance et d’insatisfaction, tant elle demande
d’efforts et de lucidité424.
Avec une telle conception, il est certain que l’art se centre de plus en plus sur lui-
même et de ce fait, il est moins accessible. Le spectateur a alors un rôle actif devant
d’ailleurs à le rappeler :
maîtres et la nature qu’il avait sous les yeux. Mais il ne tirait aucun
répondu : « Je vais mettre sur une toile des verts, des bleus et des
rouges. »425
Au premier abord, la forme simplifiée pourrait faire croire qu’elle facilite l’accès à
simplification formelle brouille les pistes et, si elle contraste avec la complexité du
sens de l’œuvre, elle devient, à son tour, complexe par son côté elliptique. Les
artistes se concentrent sur l’essentiel, comme Cézanne qui résume ses œuvres par la
couleur426, mais c’est « un » essentiel qui le devient une fois que le spectateur a
compris, voire exécuté la même démarche. Mirbeau le dit d’ailleurs clairement, dans
424
« […] la nature, relayée en cela par l’art, donne à l’homme la conscience d’une réalité inaccessible,
de « l’inétreignable », bref d’un absolu qui s’il ne suppose aucune réponse, suscite un questionnement
riche et profond ». Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., p. 20.
425
« Cézanne », éd. cit., t. II, p. 528. Félix Fénéon dit des œuvres de Cézanne : « Avec une rigueur
algébrique, les éléments qu’il met en jeu s’agrafent et, de modulations en modulations, développent
leurs conséquences : aussi chacune de ses œuvres, si complexe qu’en soit la texture, apparaît-elle
comme un seul bloc de couleur. » op. cit., p. 309.
426
« Cézanne avait renoncé à la structure spatiale des anciens modes de vision et d’expérience liés à la
perspective centrale, et avait créé un espace pictural dans lequel une nouvelle dimension de la surface
fut conquise par le traitement de la couleur et de ses modulations ». Les Maîtres de la peinture
occidentale, dir. par Ingo F. Walther, Cologne, Taschen, 1999, p. 511. Cézanne aurait d’ailleurs dit :
« Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude. » cité in : Fénéon, Félix, op. cit., p. 309.
195
Et, cette grimace, je ne la vois, cette impuissance, je ne la sens, peut-
être, que parce que j’ai connu tous les doutes, tous les troubles, toutes
Une chose est certaine, l’effort du spectateur est récompensé, car il peut découvrir
ainsi l’intimité, non seulement de la nature, mais également celle de l’artiste qui se
Pour décrire cette nouvelle voie esthétique qui se base sur l’introspection et la
peintre Henri Michaux, a utilisée pour décrire son voyage intérieur : celle de l’œuf.
Effectivement, comme un œuf, cet art concentré sur lui-même et comme un œuf, il est
de quelle manière l’art évolue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Pour que
cette évolution se produise, il a fallu que les idées changent, comme celle de la
nature, à laquelle il a été fait allusion. Quelles ont été, exactement, les
427
« Vincent Van Gogh et Bréda », éd. cit., t. II, p. 458.
428
Michaux, Henri, « Je suis gong », Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1998, p. 505.
Rien que les titres de ces autres œuvres témoignent de cette recherche intérieure : La Vie dans les plis,
L’Espace du dedans, Lointain intérieur. Sa peinture soutient, elle aussi cette quête. Michaux fait partie des
peintres tachistes, mouvement qui s’inclut dans l’expressionnisme abstrait et qui a pour but
d’exprimer l’émotion de l’artiste, le plus profond de son être, non pas par le sujet, mais par la matière
picturale seule. Henri Michaux a d’ailleurs dit : « J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire :
me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie. » Michaux, Henri, Passages, Paris, Gallimard, 1963, p. 142.
196
Il semble que, pour expliquer le plus ou moins de beauté d’une
une ressource tout à fait illusoire et arbitraire, car chacun, nous avons
bonne et pour seule vraie. C’est triste à dire, mais il n’existe pas de
l’individualité, ce n’est pas une nouveauté en soi, puisqu’elle a déjà été reconnue à
sur la nature dans le sens où c’est à partir d’elle que se décide la conception de la
de la nature. En insistant sur leur prédominance, Mirbeau reconnaît que l’art est bel
et bien devenu subjectif, plus encore qu’il ne l’a jamais été, ce que confirme Thadée
429
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 386.
197
la réalité, si large que soit l’acception possible de ce mot et en
doute, mais à condition d’ajouter que cette réalité ne peut être que la
et que, dès lors, il est le seul juge et le seul maître de cette réalité. Et le
a imposée.430
sensiblement la même, c’est dans la forme et la manière, donc dans l’œuvre, qu’elle
La forme incarne un retour à l’essentiel, un retour à l’origine de l’art, car elle est,
comme le dit Maillol dans ce passage, le point de départ de toute chose dans la
nature. D’une part, la forme est, par sa capacité à être modulée, la matière première
dont l’artiste a besoin pour réaliser toute chose ; d’autre part, elle est, par
l’immuabilité qu’elle acquiert une fois l’œuvre d’art réalisée, le lien avec la nature,
même lorsque l’artiste semble emprunter des voies qui l’en éloignent :
430
Natanson, Thadée, « Expositions. – Un groupe de peintres », La Revue blanche, in : La Promenade du
critique influent, op. cit., p.373.
431
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 388.
198
Comme Auguste Rodin, qui, de son grand génie dominateur,
Comme le prouve cet extrait, Rodin l’avait déjà compris pour la sculpture, mais il
ne sera pas le seul433. Si les artistes ont plus de liberté dans leur conception de la
nature, cela leur permet de se libérer, par la même occasion, du poids de la mimésis.
Monet, lui, va peu à peu se détacher de la nature, non pas du point de vue du lien
qu’il entretient avec elle, mais dans sa manière et dans la représentation qu’il en fait.
Il atteint ainsi « une forme rajeunie, à l’état naissant »434, dit Mirbeau à propos de sa
série de toiles peintes à Venise. Comme cela a été dit précédemment, Monet a
renouvelé son style en même temps qu’il a renouvelé sa conception de la nature. Son
approche de la forme est alors également différente. Elle est constituée « de plus
larges ondes », d’un « mouvement plus souple », d’une lumière qui « glisse », mais le
plus important, est que « des mouvements se combinent et nous ne savons pas
432
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 387.
433
Yvanhoé Rambosson dit justement dans un article consacré à Rodin : « Ce ne sont pas les idées qui
sont génératrices des formes : ce sont les formes qui sont génératrices des idées. » « Le Modelé et le
Mouvement dans les œuvres de Rodin », La Plume, in : La Promenade du critique influent, op. cit., p. 416.
434
« Les "Venise" de Claude Monet », éd. cit., p. 516.
435
Ibid, p. 515.
199
effets de la lumière, mais aussi ceux du mouvement, afin d’obtenir l’harmonie, tant
Il est manifeste, en étudiant ses œuvres, depuis son voyage à Londres, jusqu’aux
représentation des objets et celle de l’espace – les contours sont imprécis et il n’y a
plus d’effet de perspective – plus floues, ce qui prouve indéniablement que Monet
même plus à varier les motifs. Bien sûr, les « séries » étaient une des caractéristiques
restaient limitées dans le temps, alors que le motif des « Nymphéas » recouvrira une
trentaine d’années.
Par ailleurs, ce nouveau choix esthétique permet à Monet de réaliser des œuvres
à une méditation sur la propre intériorité de chacun. Il s’agit d’une autre perception
de l’introspection que celle engendrée par les œuvres de Van Gogh, qui provoque
436
La perception que les critiques d’art ont de l’impressionnisme a d’ailleurs évolué dans ce sens,
comme le prouve cet extrait datant de 1892 : « Et pourtant, l’intellectualité d’un tel art est évidente.
Ces évocations de la nature dépassent de beaucoup la réalité et la pure ornementation extérieure. Elles
sont aussi suggestives que représentatives. De leurs limpides harmonies se dégage la pensée, s’essore
le rêve. Le grand mystère de la nature est par elles rendu. Cette peinture satisfait l’âme autant qu’elle
enchante les yeux. » Lecomte, Georges, « L’Art contemporain », Revue indépendante, in : La Promenade
du critique influent, op. cit., pp. 354-355.
437
« Monet s’éloigne de toute figuration dans les toiles des nymphéas des dernières années : il n’y aura
plus que le ciel et l’eau, unis dans un jeu de reflets où surgissent les taches colorées des fleurs. C’est
dans ces œuvres qu’il mena à bout son expérience à tel point que ces taches de couleur presque
totalement dépourvues de formes et de contours, sont considérées comme l’un des points de départ de
l’art abstrait, ce qui fait de lui un artiste du XX e siècle. » Rodriguez Reyes, Pilar, « Le port patrie du
peintre. L’esthétique de l’eau chez Monet et Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, 4, 1997, p. 150.
Il est difficile de savoir si c’était la volonté de Monet, car c’est également pendant cette période que se
développe sa cataracte. Cependant, un passage de Dans le ciel fait penser à la description que Mirbeau
fait des œuvres tardives de Monet : « Ce que je voudrais, ce serait rendre, rien que par de la lumière,
rien que par des formes aériennes, flottantes, où on sentirait l’infini, l’espace sans limite, l’abîme
céleste, ce serait rendre tout ce qui gémit, tout ce qui se plaint, tout ce qui souffre sur la terre… de
l’invisible dans l’impalpable… » op. cit., p. 126.
438
Il écrira d’ailleurs à Gustave Geffroy le 11 août 1908 : « Sachez que je suis absorbé par le travail. Ces
paysages d’eau et de reflets sont devenus une obsession. C’est au-delà de mes forces de vieillard, et je
veux cependant arriver à rendre ce que je ressens.» Geffroy, Gustave, op.cit., p. 403.
200
une réaction plus violente dans les sentiments, mais elle est finalement tout aussi
impressionnistes à Moscou :
439
Staron, Anita, op. cit., p. 120. Elle cite : Gliksohn, Jean-Michel, L’Expressionnisme littéraire, Paris, PUF,
1990.
440
« C’est ce que semble également sous-entendre Albert Flament : Peut-être sommes-nous autorisés à
nous demander si elles ne devançaient pas le temps pour lequel elles ont été faites. Ou, peut-être, ce
temps est-il déjà passé, sans avoir pu les comprendre et les adapter ? Peut-être Monet peignait-il
seulement les Nymphéas pour engourdir dans le travail de ses dernières énergies et ses nouveaux
rêves ? Ce rénovateur de génie, a pressenti et traduit un temps nouveau. Il a ouvert les portes à ceux
qui devraient suivre, mais il n’est pas toujours facile aujourd’hui de discerner parmi eux, sinon le
talent, du moins la valeur, la sincérité, et l’amour, dont les âmes comme celles de Monet furent
pleines ». Flament, Albert, « Tableaux de Paris », La Revue de Paris, 1er mars 1933, pp. 237-238.
201
étonnement et confusion qu’elle ne faisait pas que surprendre, mais
reformait devant vos yeux dans ses moindres détails. Tout restait
importance.441
Cette anecdote racontée par Kandinsky prend tout son sens, puisqu’il est
considéré comme le peintre initiateur qui a réalisé pour la première fois une œuvre
Par ailleurs, le peintre russe a également un autre point commun avec Monet et les
441
Kandinsky cité in : Vallier, Dora, L’Art abstrait, op cit., pp. 50-51. Félix Fénéon semble éprouver la
même incompréhension que Kandinsky face à ces meules : « Elle [la meule] n’est pas si mobile, elle
titube seulement, et peut-être aimerions-nous mieux des peintres qui, moins prompts à servir ses
caprices, coordonnent ses aspects disparates, la recréent stable et la douent de permanence. » op. cit, p.
191.
442
« The ground for abstract art was also prepared by 19th-century scientific theories. The descriptions
of optical and prismatic effects of pure, unmixed colour initiated by Johann Wolfgang Goethe in his
Farbenlehre (1810) and extended by colour theorists such as Michel-Eugène Chevreul’s term
“simultaneous contrasts of colour” to suggest that colour could be the means by which not only form
but also the illusion of movement could be created in abstract paintings ». Turner, Jane, The Dictionary
of Art, op. cit.
202
impression et de l’analyser en l’élargissant, c’est elle précisément qui
Cependant, Monet n’est pas le seul peintre à avoir eu de l’impact sur la peinture
abstraite, mais l’impressionnisme dans son ensemble, et, surtout, les recherches sur la
lumière se basant sur des théories scientifiques, ont contribué à la genèse de l’art
abstrait :
l’impressionnisme.
réévaluation de l’impressionnisme.444
un rôle essentiel dans le changement qui a lieu dans la peinture impressionniste. Elle
nature »445 et montre, en quelque sorte, la voie à suivre à d’autres artistes comme
Kandinsky ou Kupka :
lumineuse.446
443
Vallier, Dora, op. cit., p. 55.
444
Aux Origines de l’abstraction 1800-1914, op.cit., p. 123.
445
Propos de Clément Greenberg cités in : Aux Origines de l’abstraction 1800-1914, op. cit., p. 60.
446
Ibid., pp. 133-134.
203
En revanche, l’art abstrait, par sa « dématérialisation » de l’œuvre d’art, requiert un
effort intense de la part du spectateur et une intelligence particulière. Mais le but est
impressionnistes et expressionnistes :
Ces artistes, malgré le fait qu’ils sont sur la même voie que les impressionnistes,
atteignent un art contraire à la forme de réalisme que proposent ces derniers. Serge
Lemoine l’explique :
Avec ces moyens mus par une volonté positiviste, les artistes vont
paradoxe qui consiste à ce que plus de réel conduise ici non pas à
phénomène de la perception.448
447
Kupka cité in : ibid., p. 133.
448
Ibid., p. 14.
204
Mais avant d’arriver à l’abstraction proprement dite, certains peintres, les Nabis 449,
Le dessin et la couleur évoquent des objets, ou, pour mieux dire, des
qui n’a pas de sens, mais des jeux de couleurs, l’art plastique
obscure.450
Mirbeau décrit, dans cet extrait, la peinture des Nabis, c’est-à-dire Bonnard,
Vuillard, Roussel, Vallotton. C’est une peinture, pourtant encore figurative, qui fait
passer la représentation des objets au second plan, car ce sont les « sensations » qui
importent. La figuration des objets est, en fait, utilisée comme un moyen pour
liberté pour qu’elle soit suggestive et, finalement, provoquer des « sensations »
449
Les premiers artistes à avoir fait partie du groupe sont : Paul Sérusier, le fondateur, Maurice Denis,
Pierre Bonnard, Paul Ranson et Henri-Gabriel Ibels. Peu de temps après, ils ont été rejoints par : Ker-
Xavier Roussel, Edouard Vuillard, Jan Verkade, Mogens Ballin, Félix Vallotton et József Rippl-Rónai.
Eux-mêmes ont introduit Georges Lacombe et Aristide Maillol. Voir : Turner, Jane, The Dictionary of
Art, op. cit.
450
« Des Peintres », éd. cit., t. II, p. 474.
205
également au spectateur451. Thadée Natanson décrit lui aussi cette peinture, mais un
Par ainsi, le véritable sujet d’un tableau ne peut plus être que la
sensations telle que son goût la lui impose et, auprès, nous ne
Mirbeau, en parlant d’abstraction, est plus explicite que Natanson. La peinture des
Nabis est abstraite dans le sens où elle se base sur un aspect abstrait de l’être humain,
les « sensations », parce que les objets représentés, même s’ils sont bien figuratifs,
sont simplifiés, donc rendus assez « abstraits » pour qu’en émane une « sensualité »
et, afin qu’à son tour le spectateur puisse laisser surgir ce qu’il ressent :
Je ne sais pas s’ils dessinent bien ou mal ; je ne sais pas ce que c’est
que de bien dessiner, si c’est autre chose que d’être impressionné par
gouverner mon imagination et mes sens : je vois par eux. Je fais à mon
451
Il ne faut pas oublier la célèbre phrase de Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être
un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface
plane recouverte de couleurs dans un certain ordre assemblées pour le plaisir des yeux. » Cité in :
Crosson-Lièvre, Elisabeth, op. cit., p. 45.
452
Natanson, Thadée, « Expositions. – Un groupe de peintres », La Revue blanche, in : La Promenade du
critique influent, op. cit., p. 374.
206
je lis des Vallottons, j’en remplis la nature, ou je fais d’après eux la
nature.453
Par rapport aux œuvres aux tendances expressionnistes, les œuvres des Nabis ne
cherchent pas à mettre en évidence les sens de l’artiste qui, représentés d’une
manière tellement forte, provoquent à leur tour des sentiments quasiment identiques
chez le spectateur. Au contraire, elles espèrent susciter des sensations, sans forcément
que celles de l’artiste soient comprises, ce qui fait dire à Mirbeau qu’il s’agit d’un
Plus encore que de susciter des sensations, les œuvres de ces artistes influencent la
fais d’après eux la nature. » Plus exactement, ce sont les sensations provoquées par
leurs œuvres qui permettent une nouvelle vision de la nature, emplie de ces
sensations :
Non pas qu’ils allassent jusqu’à nier la nature. Mais ils y exilaient la
d’absolu, et ils comprenaient que les plus doués d’entre nous, ceux
Partant d’un mot célèbre, ils auraient pu arriver à dire que la nature
453
« Des Peintres », éd. cit., t. II, p. 475.
454
« Des Peintres », éd. cit. t. II, p. 474.
207
La nature devient finalement, elle aussi, un outil qui permet de se centrer
uniquement sur le domaine des sens. Samuel Lair décrit ainsi la relation des Nabis
avec la nature :
compléter.455
Par rapport à la manière dont leurs prédécesseurs recherchaient l’absolu, les nabis
franchissent une étape supplémentaire en ne se servant que des sens pour chercher
l’absolu. Dès lors, il est évident que ce changement a des conséquences dans le
domaine technique :
Mais ce qu’il faut noter, c’est qu’en réaction contre un préjugé devenu
ou du moins, s’il leur est arrivé de recourir au modèle, c’est sans être
travaillé.456
Malgré ce qui paraît dans cet extrait, Mirbeau ne renie pas les impressionnistes et
le plein air. Il comprend simplement que, pour la peinture des Nabis, le plein air n’est
455
Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., pp. 312-313.
456
Ibid., p. 473.
208
plus nécessaire, étant donné qu’elle ne se base plus sur la mimésis de la nature. Ils
utilisent d’ailleurs une technique reprise de Gauguin et de Bernard, les secteurs plats
de couleur pure, qui achève de créer une distance avec une représentation
Sur ce point, il semble être d’accord avec un autre admirateur des Nabis, Thadée
Natanson :
années 1890 jusqu’aux premières années 1900, et que ce sont, avec K.-
historique.458
Considérer les Nabis comme successeurs de ses chers impressionnistes, est bien un
Par-delà la nature
Les raisons pour lesquelles Mirbeau admire les Nabis sont nombreuses. Il y a les
457
Le terme de naturaliste est évidemment lié au concept de naturalisme, mais doit être avant tout
compris dans la signification qu’il a en histoire de l’art.
458
« Des Peintres », éd. cit., t. II, p. 471.
459
« Sur M. Félix Vallotton », éd. cit., t. II, p. 494.
460
« Des Peintres », éd. cit., t. II, p. 473.
209
comprendre la pensée de Mirbeau, il est nécessaire de reprendre un extrait de
capable de faire danser cette gaie lumière sur ces feuillages amoureux
précédemment émise…
l’effort d’art que son âme faisait elle-même pour jouir du paysage ?461
Mirbeau, avec beaucoup de véhémence, semble renier les deux choses qui lui
tiennent le plus à cœur, l’art et la nature. Pourtant, la remarque de Paul Gsell, à la fin
de cette citation, lui donne une autre dimension. Les paroles de Mirbeau ne
obsolète et qu’il est temps pour l’art de laisser de côté la question de la mimésis ?
Il est difficile de répondre à cette question. Mais ses critiques d’art qui concernent
les Nabis semblent donner une réponse. S’il les soutient autant, c’est bien parce qu’il
propose un renouvellement de l’art à travers une esthétique qui, si elle est nouvelle,
cachée de la nature. Les Nabis, eux, ont compris qu’ils pouvaient passer à l’étape
461
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 426.
210
ouvert l’accès au préalable à une telle conception462. Samuel Lair explique ainsi la
réaction de Mirbeau :
Les Nabis ne renient donc pas la nature, ils la regardent différemment, grâce à ce
qui a été fait avant eux et c’est exactement ce qui réalise le souhait de Mirbeau qui,
lui, s’est toujours opposé aux artistes qui voulaient refaire ce qui avait déjà été
réalisé464 :
Pour moi, j’y ai beaucoup appris, même dans les choses de mon
métier. Ils m’ont ouvert un monde spirituel qui, jusqu’à eux, m’était
en quelque sorte fermé, ou obscur. Et ils ont ajouté au goût que j’ai de
vivre, au goût que j’ai de me plaire à la vie, des raisons plus valables,
plus saines et plus hautes. Je ne le dis pas sans émotion, ils ont donné
462
« There were two main artistic divisions within the group : artists such as Sérusier, Denis and
Ranson saw an essential connection between their Nabi ideas and their religious or theosophical
beliefs and tended to draw their subjects from myth, religion or tradition ; on the other hand, artists
such as Vallotton, Vuillard and Bonnard, whose commitment to the esoteric, symbolist side of Nabi
aesthetic was weaker, drew their art more directly from nature and the modern world ». Turner, Jane,
The Dictionary of Art, op. cit. Par ailleurs, Mirbeau semble plus apprécier, dans ses articles, le groupe
formé par Vallotton, Vuillard et Bonnard, l’autre étant resté plus proche du symbolisme.
463
Lair, Samuel, Mirbeau et le mythe de la nature, op. cit., p. 313.
464
Lucien dit : « L’art, mon garçon, ce n’est pas de recommencer ce que les autres ont fait… c’est de
faire ce qu’on a vu avec ses yeux, senti avec ses sens, compris avec son cerveau… » Mirbeau, Octave,
Dans le ciel, op. cit., p. 86.
465
« Sur M. Félix Vallotton », éd. cit., t. II, pp. 494-495.
211
Mirbeau, à travers cette peinture, trouve de « nouvelles sensibilités »466, c’est-à-dire
le nouveau défi qu’il attendait pour l’art et pour le critique d’art qu’il est. C’est ce
comment expliquer cet art qui donne accès à une autre dimension de la nature, une
Octave Mirbeau est parfaitement conscient de ce que les Nabis vont apporter à
l’art, mais il semble également douter de sa capacité à relever le défi en tant que
renouvellement d’art que nous lui devons, soit écrite. Mais elle est
ne font qu’un…468
qu’il verra et que ce ne sera plus à lui de le défendre, étant lui-même, cette fois,
466
Ibid., p. 494.
467
La peinture, « post-nabis », de Bonnard et de Vuillard est d’ailleurs appelée parfois « intimisme ».
468
« Sur M. Félix Vallotton », éd. cit., t. II, p. 496.
212
Les limites de l’écriture
pour un critique.
J’ai horreur de ces petites bêtes,
là, et, çà et là, s’exprime à lui-même son opinion ou plutôt son goût,
Cet extrait le prouve, Mirbeau n’a jamais pensé que le critique d’art avait un rôle
décisif dans le domaine artistique, alors que le point de vue historique et les faits
intermédiaire entre les artistes, leur travail et le public. Son but est de donner envie à
ses lecteurs d’aller voir certains artistes et certaines expositions, et non d’expliquer
469
« Ceux du palais de l’Industrie », éd. cit., t. II, p. 8.
470
Voir supra, « Mirbeau face aux mouvements esthétiques du XIXe siècle », ainsi que : La Promenade du
critique influent, op. cit.
213
les œuvres et ce qu’est l’art. « Il privilégie le "faire entendre" au détriment du "faire
question peut effectivement être posée, en connaissant tous les artistes qu’il a
contribué à faire connaître au grand public à travers ses articles faisant allusion à
quelques-unes de leurs œuvres. Cependant, il est évident qu’il ne l’a pas fait pour sa
propre gloire, mais par conviction, car ce n’est que tardivement que son œuvre
part, si Mirbeau demeure si humble, c’est parce qu’il est conscient des limites de
l’écriture, particulièrement lorsqu’il s’agit de parler des beaux-arts. Pour lui, rien,
jamais, ne peut remplacer l’œil et la confrontation directe avec l’œuvre d’art, afin de
œuvres qu’il admire et de celles qu’il déteste. C’est à l’aube du XXe siècle que
Mirbeau est de plus en plus à court de termes pour décrire l’œuvre des artistes qu’il
Van Gogh :
Octave Mirbeau perçoit bien la nouveauté que la peinture de Van Gogh amène,
« déconcertant ». Les termes choisis par l’auteur restent, en effet, très vagues :
« quelque chose » ou « une sorte de ». Les deux articles, cités précédemment, qu’il
471
Limousin, Christian, « Mirbeau critique d’art. De « l’âge de l’huile diluvienne » au règne de l’artiste
de génie », Cahiers Octave Mirbeau, 1, 1994, p. 8, (selon impression).
472
Christian Limousin dit que c’est à partir de 1890 que « son statut littéraire est affermi ». Limousin,
Christian, « Mirbeau critique d’art […] », op. cit., p. 4, (selon impression).
473
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 422.
214
consacre au même peintre sont une preuve supplémentaire474. Mirbeau souligne
l’altérité de cette peinture, sans toutefois réussir à donner plus de détails : « c’est une
autre sensibilité, une autre recherche… c’est autre chose… c’est un autre art… »475 qui
a un métier « en tous cas, très autre »476. S’il est difficile d’affirmer que Mirbeau sait
qu’il ne réussit pas complètement à faire face à la nouveauté proposée par cette
peinture avec des mots, il est, au contraire, pleinement conscient que les œuvres de
Il est possible de constater le même phénomène, même si c’est dans une moindre
toiles peintes à Venise par Claude Monet : « Des mouvements se combinent et nous
depuis le début de ses critiques d’art et qu’il connaît très bien, étant son ami proche.
peintre et le contenu de l’œuvre, mais c’est souvent par comparaison avec les œuvres
de la période précédente.
Par ailleurs, les formulations concernant Monet et Van Gogh mettent en évidence
un certain courage de la part de l’auteur, celui d’avouer ses limites en tant que
critique d’art. Cette franchise est une qualité dont il a toujours fait preuve, que ce soit
concernant ses opinions ou le métier de critique d’art. Cependant, il est vrai que la
474
« Vincent Van Gogh » et « Vincent Van Gogh et Bréda », éd. cit., t. II, pp. 294-298 et pp. 455-460.
475
Ibid., p. 458. Georges, le narrateur de Dans le ciel, éprouve la même difficulté : « Mais il eût fallu
savoir, et je ne savais rien, et j’étais incapable de me raisonner à moi – mêmes les impressions
ressenties devant l’étrange nouveauté de ses œuvres. » op. cit., p. 90.
476
Ibid., p. 294. C’est Mirbeau lui-même qui souligne dans le texte.
477
« Les "Venise" de Claude Monet », éd. cit., t. II, p. 515.
215
N’en déplaise à M. Charles Morice, la vérité est que l’œuvre d’art ne
dit : les grandes joies aussi. Tout ce qu’on dit autour, c’est de la
ligne est belle et pourquoi elle est belle. Elle est belle… parce qu’elle
est belle. Il n’y pas autre chose à en dire. D’un tableau on peut dire
blanc, et, dans le fond, sous un ciel bleu, une forêt d’automne. » Ici
Voilà qui semble être une leçon d’humilité pour tous les critiques d’art et la
définition du travail de critique d’art qui est, aux yeux de Mirbeau peu de choses,
tant l’écriture le limite. Cependant, la mutation qui s’accomplit en art a, sans doute,
des conséquences sur la critique. L’art est de plus en plus individuel et subjectif, ce
que Mirbeau semble avoir compris, comme cela transparaît dans la phrase :
plus, au critique d’art, que la possibilité de décrire le contenu du tableau, son sujet…
pour peu de temps encore, les peintres commençant à se détacher de l’art figuratif. Le
champ de perception de l’art n’est plus simplement visuel, les autres sens participent
478
« Claude Monet », éd. cit., t. II, p. 353.
216
Et de toutes les combinaisons psychiques, de tous les phénomènes
seule bonne et pour seule vraie. C’est triste à dire, mais il n’existe pas
dans l’objet, elle est, tout entière, dans l’impression que l’objet fait en
nous, par conséquent, elle est en nous. Et alors, comment fixer une loi
toutes ces pauvres vérités flottantes, qui s’en vont à la dérive de nos
sensibilités ?479
défi :
sur l’émotion.
479
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 386.
217
Les moyens dont il use pour mener à bien cette lutte, qui sera
L’art faisant partie intégrante du domaine du sensible, il est à son origine subjectif.
Ainsi, le critique d’art ne peut que l’être également. Aux yeux de Mirbeau, c’est donc
une erreur de vouloir expliquer ce qui ne peut l’être et pourtant, c’est ce que la
plupart des critiques d’art essaient de faire, lui-même n’échappera pas à cette
tentation, ce que lui reprocheront d’ailleurs André Gide ou Jules Renard481. Quel est
envers autrui.
– ce qui n’est pas démontrable par des chiffres ou par des mots – la
se taire. Mais nous ne pouvons pas nous taire. Il nous faut crier notre
218
Pour Mirbeau, il devrait se contenter de faire part de son opinion et peut-être de
l’argumenter s’il considère cela utile, et non affirmer qu’un jugement est juste ou
faux, ce qui signifierait manquer toute la complexité de l’art et ce qui fait son intérêt.
Cette manière de voir le rôle du critique d’art n’est pas nouvelle. Baudelaire avait déjà
discussion chez ses lecteurs en lui proposant une prise de position tranchée, le reste
flamme ; mais combien ces vers sublimes nous paraissent petits à côté
1846 », op. cit., p. 130. Voir aussi : Tartreau-Zeller, Laurence, « Mirbeau face à Gauguin. Un exemple de
la nécessité d’admirer », Cahiers Octave Mirbeau, 8, 2001, pp. 241-255.
483
Baudelaire, Charles, « Salon de 1846 », op. cit., p. 101.
484
« Les Portraits du siècle », éd. cit., t. I, p. 156.
219
Ah ! tenez, me dit Mirbeau, j’aurais dû être peintre. Je ne suis qu’un
mots, ce ne sont que des signes morts qu’en vain on violente pour
leur faire crier la vie. Tandis que la couleur, c’est la vérité directe !485
L’admiration de Mirbeau pour les beaux-arts est sans borne, à tel point qu’il
considère son propre art comme inférieur. La littérature doit donc, au moins, être au
service des beaux-arts, si elle ne peut s’élever à son niveau. Cependant, avec les
une idée claire, même une idée quelconque de ce que peut être le
Il est clair que, lorsque Mirbeau dénigre sa propre critique d’art et sa capacité à
parler des œuvres, il utilise une technique pour inciter le lecteur à vérifier par lui-
même, donc à aller voir les mêmes œuvres et les mêmes artistes. Toutefois, au-delà
485
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 426. Il dit la même chose à Jules
Huret : « Au fond, voyez-vous, c’est de la peinture que j’aurais dû faire, dit-il avec un peu de
tristesse. » Huret, Jules, op. cit., p. 229.
486
« Aristide Maillol », éd. cit., t. II, p. 399.
220
de la stratégie se cache une véritable insatisfaction de l’auteur, ne réussissant pas à
trouver les mots justes pour décrire parfaitement une œuvre et son effet. Il s’y
emploiera malgré tout, durant une quarantaine d’années, même plus en considérant
ses premières critiques faites sous divers pseudonymes487. La seule fois où il semble
renoncer, c’est devant la nouveauté du groupe des Nabis, lorsqu’il dit clairement
renouvellement d’art que nous lui devons, soit écrite. Mais elle est
[…].488
Ces quelques lignes sont une nouvelle fois une preuve de l’instinct d’Octave
Mirbeau, pour au moins deux raisons. D’une part, ce sont Thadée Natanson,
fondateur et rédacteur en chef de La Revue Blanche, ainsi que Félix Fénéon489, qui
défendront ces peintres, et, d’autre part, plusieurs peintres de ce groupe, Bonnard et
Vuillard, dans un premier temps, puis, plus tardivement, Félix Vallotton, marqueront
l’histoire de l’art490.
restent les plus grands artistes de la seconde moitié du XIXe siècle, il lui a également
permis de renouveler quelque peu la critique d’art. Mirbeau semble, dès le début, ne
487
La première critique est signée du pseudonyme R. V. et datée du 3 mai 1874 in : Mirbeau, Octave,
Premières Chroniques esthétiques, op. cit., p. 30.
488
« Sur M. Félix Vallotton », éd. cit., t. II, p. 496.
489
Fénéon remplacera Thadée Natanson à la tête de La Revue Blanche.
490
Félix Vallotton est loin de faire l’unanimité, comme le prouve cette remarque d’André Fontainas :
« M. Vallotton, dont les coloriages ignobles feraient presque regretter les épais dessins, plus simples,
aussi répugnants. » « "Art moderne", Revue du mois », Mercure de France, in : La Promenade du critique
influent, op. cit., p. 413.
221
pas avoir cru en sa neutralité. Sa critique a toujours été basée sur l’éloge ou le blâme,
mais surtout sur les impressions, l’expression et les sensations, suivant ainsi, au plus
près, le chemin que l’art prend avec les mouvements d’avant-garde comme
Pour ces artistes précurseurs du XXe siècle, dont Van Gogh est le
rencontre fortuite sur une toile de l’œil d’un artiste et d’un coin de
491
Limousin, Christian, « Octave Mirbeau critique d’art "nègre" », Cahiers Octave Mirbeau, 3, 1996, p. 9
(selon impression).
492
Tartreau-Zeller, « Van Gogh, l’idéal de Mirbeau […] », op. cit., pp. 5-6, (selon impression).
222
En refusant ainsi tout agencement préétabli et tout cadrage
les critiques d’art d’Octave Mirbeau, comme certaines études le font pour ses
romans494, semble exagéré. Du moins, les arguments linguistiques font défaut, car
revanche, il est évident que les critiques d’art d’Octave Mirbeau sont protéiformes et
demeurée constante jusque dans ses œuvres d’un autre genre littéraire, notamment
dans ses romans. Ce passage faisant partie d’un des Contes de la chaumière en
493
Mirbeau, Octave, « Préface », Dans le ciel, op. cit., p. 17.
494
A ce sujet voir : « Préface », éd. cit., t. I, pp. 31-32 ; Staron, Anita, « Octave Mirbeau et
l’expressionnisme littéraire », op. cit.
495
Mirbeau, Octave, « Les Souvenirs d’un pauvre diable », Contes cruels, II, Paris, Séguier, 1990 p. 509.
223
Conclusion
L’effet des œuvres d’art est de susciter l’état dans lequel on crée l’art : l’ivresse.496
font transparaître de leur auteur, Octave Mirbeau. C’est bien l’ivresse sous toutes ses
formes que ressent Mirbeau à la vue des œuvres qu’il critique et c’est encore elle qui
est perceptible dans ses articles. Sa critique est « passionnée » et « partiale », comme
dompte.497
Et comme Baudelaire, son illustre prédécesseur, qui n’a pas su estimer la valeur du
nerfs. 498
496
Cité in : Audi, Paul, op. cit., p. 74.
497
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 418.
498
Baudelaire, Charles, « Salon de 1859 », op. cit., p. 395.
224
Cependant, il a accordé son soutien à tous ceux qui sont encore aujourd’hui
considérés comme les grands artistes de la seconde moitié du XIXe siècle. La liste est
longue : Monet, Rodin, Pissarro, Van Gogh, Cézanne, Camille Claudel, Maillol, etc.
Ce sont tous des artistes exceptionnels, parfois découverts par Mirbeau, qui mettent
en évidence l’instinct dont a fait preuve le critique, ou, devrait-on dire le devin,
liée, de la nature, a été influencée par l’évolution engendrée par des mouvements
est connu, et son admiration pour d’autres artistes comme Michel-Ange ou Véronèse
– ainsi que par des auteurs comme Baudelaire, déjà cité, Schopenhauer ou Stendhal.
Cependant, comme les artistes qu’il admire, il a observé, puis transformé ces
s’applique à Octave Mirbeau lui-même, puisque la plupart de ses articles ont été
écrits avec la complicité des artistes, volonté de la part du critique de ne faire aucune
disant, d’une part, qu’il n’a pas été un véritable précurseur de l’impressionnisme et,
d’autre part, qu’il a remarqué très tardivement l’art des Nabis ? Il est impossible de
nier ces critiques, mais il faut les relativiser. Si, effectivement, Mirbeau est arrivé
après Duranty et Geffroy, pour ne citer qu’eux, pour soutenir et imposer les
impressionnistes, il fait partie de ceux dont la voix a résonné le plus fort dans le
499
Pierre Michel reprend ce terme de Geffroy : « Une grande partie des pages qu’a laissées Mirbeau a
été consacrée à des apologies d’artistes, à la célébration de talents et de génies que l’on voit monter
vers la gloire. L’avenir devra lui tenir compte de sa prescience, qui s’est si souvent exercée avec une
force magnifique. » Les Cahiers d’Aujourd’hui, 9, 1922, p. 103. Pierre Michel ajoute : « Illustration
anecdotique de cette prescience : Mirbeau était l’heureux propriétaire des deux tableaux les plus chers
du monde les Iris et les Tournesols de Van Gogh […]. » Michel, Pierre, « Mirbeau et Zola […] », op. cit.,
p. 48.
225
contexte abondant et bouillonnant du journalisme et de la critique d’art de l’époque.
Concernant les Nabis, si ses articles sont publiés alors que le groupe est en train de se
dissoudre, il ne faut pas oublier que, d’une part, Mirbeau arrive à la fin de sa vie,
donc a diminué son activité et, d’autre part, qu’il est le premier à avoir repéré
Aristide Maillol500.
Toutefois, il est vrai que les critiques d’art de Mirbeau prennent leur dimension
posée pour Mirbeau le romancier. Certains, comme Alain Pagès, affirment sans
leur donne raison dans son Enquête sur l’évolution littéraire, en classant Mirbeau non
pas au sein des naturalistes, mais parmi les néo-réalistes502. Toutes ces contradictions
ne peuvent que susciter l’intérêt, d’autant plus qu’elles n’ont fait l’objet d’aucune
la seule considération des œuvres d’art. Mirbeau a très rapidement compris, d’une
500
Il serait possible d’ajouter Félix Vallotton qui a été longtemps négligé par les historiens de l’art.
Preuve en est la première publication de son catalogue raisonné seulement en 2005, après la grande
exposition qui a eu lieu à la Fondation Gianadda à Martigny du 18 mars au 12 juin 2005.
Félix Vallotton (1865-1925). L’Oeuvre peint, Lausanne, Fondation Félix Vallotton, Lausanne / Zurich,
Institut suisse pour l’étude de l’art, (Catalogues raisonnés d’artistes suisses 22), Milan, 5 Continents
Editions, 2005. Volume I: Le peintre, volumes II et III: Catalogue raisonné.
501
« Car Mirbeau appartient pleinement à la mouvance naturaliste qui s’épanouit dans le dernier tiers
du XIXe siècle. Je sais bien que P. Michel et J.-F. Nivet, attachés à la défense de tout ce qui fait
l’originalité de Mirbeau, protestent dès qu’on évoque devant eux la possibilité d’un tel rapprochement.
Ils évoquent le mépris de Mirbeau pour la doctrine "naturaliste", insistent – et sans doute à juste titre –
sur l’influence de la pensée anarchiste, sur celle de Dostoïevski ou de Tolstoï… Mais peu importe, au
fond. Personne ne niera la proximité intellectuelle (sur les thèmes romanesques comme sur la forme
de l’écriture), qui relie, au moins ponctuellement, Mirbeau et nombre des écrivains qui se rattache à
l’école de Médan ». Pagès, Alain, « Avant-propos », Cahiers naturalistes, 64, 1990, p. 3.
502
Huret, Jules, op. cit.
226
part, le décalage qui demeurait entre la théorie esthétique de Zola et sa réalisation
concrète dans les œuvres, pour ne pas dire son impossibilité de réalisation et, d’autre
part, la stérilité qu’une telle conception profilait pour l’art. Avec la théorie de Zola, il
n’y aurait eu aucune chance pour que l’art évolue vers des conceptions esthétiques
sens zolien, n’a été utilisé que par les critiques d’art du XIXe siècle et non par les
les beaux-arts et quelles sont les œuvres naturalistes, n’est pas entièrement résolue.
Le terme n’est toutefois pas totalement exclu par les historiens de l’art actuels, ce
qui a été récemment possible de constater avec une rétrospective sur le peintre
Gustave Caillebotte503, où une partie des œuvres de celui-ci, entre sa période réaliste
même éphémère, mais il demeure difficile de le déterminer, tant son importance est
Pour Mirbeau, il semble ne pas y avoir de doute, il n’a pas adhéré longtemps au
comme le dit Leo H. Hoek504, ce qui l’éloigne déjà du naturalisme de Zola. Ses prises
relation avec ce mouvement paraît plus ressembler à celle qu’il a eue avec le
participant à ce mouvement, trop étroit pour quelqu’un comme lui, sans cesse à la
ses conceptions esthétiques avec celles d’autres auteurs ayant fait partie de l’école
503
Caillebotte. Au cœur de l’impressionnisme. Fondation de l’Hermitage, Lausanne, du 24 juin au 23
octobre 2005. Voir le catalogue du même nom.
504
Hoek, Leo H., « Octave Mirbeau et la peinture de paysage […], op. cit., p. 178.
505
Nous reprenons ici le terme utilisé par Pierre Michel in : « Mirbeau et le symbolisme », op. cit., p. 6,
(selon impression).
227
naturaliste. Le premier qui pourrait faire l’objet d’une telle étude est évidemment
Huysmans, puisqu’il a été critique d’art et qu’il a pris ses distances avec le
Dépasser le naturalisme zolien a donc été, pour Octave Mirbeau, une voie logique,
artistique de l’époque. Le plus beau témoignage de son flair infaillible est, sans doute,
la description des œuvres de Van Gogh qui le conduit à pressentir ce que sera
d’instinct concernant l’art abstrait ? Il est difficile de répondre à cela, mais certaines
paroles de Kandinsky sont étonnamment proches des paramètres sur lesquels repose
son être intérieur, l’âme secrète qui se fait plus souvent qu’elle ne parle. »506 À moins
qu’il n’ait réagi de la même manière que le public actuel, qui demeure encore parfois
dans ce sens – mais chacun d’instinct est à son aise devant une forme
notre portée et cette accoutumance fait que l’art abstrait est pour nous
506
Kandinsky, Wassily, « Préface », Du spirituel dans l’art, Paris, Denoël, Folio / Essais, 1989, p. 27.
507
Vallier, Dora, L’Art abstrait, op. cit., p. 288.
228
La question restera assurément sans réponse. En revanche, elle souligne la
Sa critique d’art est le reflet de cette évolution. Elle est riche et variée, protéiforme
constant à certains artistes tout au long de leur carrière, sans jamais cesser de rester à
trouve également dans la forme. Ses critiques peuvent être tour à tour un dialogue,
un éloge, une saynète de théâtre ou un pastiche – Fénéon ne dit-il pas que Mirbeau
excelle dans le « pastiche pictural »508 ? Évidemment, le ton s’y accorde parfaitement :
renouveler, comme le fait l’art, afin d’obtenir une critique qui soit la plus proche
possible de l’évolution des artistes qu’il admire. Il n’est pas étonnant que certains de
ses contemporains et de ses successeurs lui aient porté tant de considération. Gustave
Geffroy, Remy de Gourmont qui le nomme « le chef des justes par qui sera sauvée la
presse maudite »509, Fénéon, déjà cité, mais aussi Apollinaire, le défenseur de
229
Pourtant, la reconnaissance de Mirbeau par ses pairs n’a pas suffi pour lui garantir
l’intérêt des critiques littéraires et des historiens de l’art, puisqu’il est tombé dans
l’oubli jusque vers 1990. Heureusement, cette situation est en train de changer, car la
richesse des Combats esthétiques se manifeste également dans tous les aspects qu’il
manière de décrire la création des artistes ou la réception des œuvres, tant les
Mirbeau a dit : « Être d’une extrême sensibilité et d’une extrême sincérité devant la
Vie, ce sont là les seules conditions pour être un grand artiste. »512 Cette formule, il ne
se la destine pas, pourtant sensibilité et sincérité sont bien les deux qualités qui
émanent des œuvres d’Octave Mirbeau et surtout, de ses Combats esthétiques. Ces
qualités lui permettront-elles d’être enfin reconnu comme l’un des critiques d’art
Il y a une chose que ces braves gens ignorent, c’est qu’on peut
obscurités.513
512
« Interview d’Octave Mirbeau par Paul Gsell », éd. cit., t. II, p. 424.
513
« Ante porcos... », éd. cit., t. II, p. 215.
230
Figure 1 : GERICAULT, Théodore, Le Radeau de la méduse, 1816,
huile sur toile, 491 x 716 cm, Paris, Musée du Louvre.
231
Figure 3 : COURBET, Gustave, L’Après dînée à Ornans, vers 1849, huile sur
toile, 195 x 257 cm, Lille, Musée des Beaux-Arts.
Figure 4 : COURBET, Gustave, Un Enterrement à Ornans, 1849-1850, huile sur toile, 315 x
668 cm, Paris, Musée d’Orsay.
232
Figure 5 : MILLET, Jean-François, L’Angélus, 1847-59, huile sur toile, 55,
5 x 66 cm, Paris, Musée d’Orsay.
233
Figure 7 : MANET, Edouard, Olympia, 1863, huile sur toile, 190 x 131 cm, Paris,
Musée d’Orsay.
Figure 8 : MANET, Edouard, Le Déjeuner sur l’herbe (Le Bain), 1863, huile sur toile,
265 x 208 cm, Paris, Musée d’Orsay.
234
Figure 9 : JONGKIND, Johan Barthold, Quai à Honfleur, 1866, huile sur toile,
33, 7 x 46, 6 cm, Le Havre, Musée Malraux.
235
Figure 11 : CABANEL, Alexandre, Ophélie, 1883, huile sur toile, 77 x 117, 5 cm, collection
privée.
Figure 12 : MEISSONIER, Ernest, Campagne de France, 1864, huile sur toile, 77 x 52 cm,
Paris, Musée d’Orsay.
236
Figure 13 : MEUNIER, Constantin, Le Grisou, 1888, bronze, Louvain,
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
237
Figure 15: MILLAIS, John Everet, Ophélie, 1852, huile sur toile, 76 x 112 cm,
Londres, Tate Gallery.
238
Figure 17 : PUVIS DE CHAVANNES, Pierre , Pauvre Pêcheur, 1881,
huile sur toile, 193 x 155 cm, Paris, Musée d’Orsay.
239
Figure 19 : COROT, Jean-Baptiste Camille, Paysage près de Pontoise, 1878, huile sur
toile, 56 x 39 cm, Winterthour, Musée Oskar Reinhart « Am Römerholz ».
Figure 20 : VON MENZEL, Adolph, Im Biergarten, 1883, gouache sur papier, 13, 5 x
17, 9 cm, Sammlung Georg Schäfer, Schweinfurt.
240
Figure 21 : FANTIN-LATOUR, Charlotte Dubourg, 1882, huile sur
toile, 118 x 92, 5 cm, Paris, Musée d’Orsay.
Figure 22 : ROLL, Alfred, La Dame aux coquelicots, vers 1898, huile sur
toile, 81 x 65, 5 cm, Paris, Musée du Louvre.
241
Figure 23 : BASTIEN-LEPAGE, Jules, Les Foins, 1877, huile sur toile,
160 x 195 cm, Paris, Musée d’Orsay.
242
Figure 25 : GONZALES, Eva, Femme en blanc, 1879, huile sur
toile, 100 x 82 cm, Washington, National Museum of Women in
the Arts.
243
Figure 27: PISSARRO, Camille, Le Valhermeil, près de Pontoise, 1880, huile
sur toile, 54 x 64, 7 cm, collection privée.
244
Figure 29 : BOUGUEREAU, William, Baigneuses, 1884, huile sur
toile, 201 x 129 cm, Chicago, The Art Institute of Chicago.
245
Figure 31: GAUGUIN, Paul, Le Christ jaune, 1889, huile sur toile,
92, 2 x 73, 4 cm, Buffalo, Albright-Knox Art Gallery.
246
Figure 33 : MONET, Claude, Le Parlement, trouée de soleil dans le
brouillard, 1904, huile sur toile, 81 x 92 cm, Paris, Musée d’Orsay.
Figure 34 : MONET, Claude, Le Palais da Mula, 1908, huile sur toile, 62, 2 x 81, 3 cm,
Washington, National Gallery of Art.
247
Figure 35 : MONET, Claude, Nymphéas bleus, 1916-1919, huile
sur toile, 200 x 200 cm, Paris, Musée d’Orsay.
Figure 36 : MONET, Claude, Le Bassin aux nymphéas avec iris, 1920-1926, huile sur toile, 200 x 600
cm, Kunsthaus, Zurich.
248
Figure 37 : RODIN, Auguste, La Porte de l’Enfer, 1880-1917,
bronze, 635 x 400 x 85 cm, Paris, Musée Rodin.
249
Figure 38 : VAN GOGH, Vincent, Le Semeur, 1888, huile sur toile, 32 x 40 cm, Amsterdam,
Musée van Gogh.
250
Figure 39 : VAN GOGH, Vincent, Champ de blé avec cyprès, 1889, huile sur toile,
51, 5 x 65 cm, collection privée.
Figure 40 : VAN GOGH, Vincent, Route avec cyprès et étoile, 1890, huile sur toile,
92 x 73 cm, Otterlo, Rijksmuseum Kroller-Muller.
251
Figure 41 : CEZANNE, Paul, Le Mont Sainte-Victoire, 1885-1895, huile sur toile,
72, 8 x 91, 7 cm, Merion (Pennsylvanie), The Barnes Foundation.
252
Figure 43 : VUILLARD, Edouard, La Visiteuse, vers 1905,
détrempe sur papier sur toile, 59, 5 x 51 cm, Zurich, Fondation
Collection E. G. Bührle.
Figure 44 : BONNARD, Pierre, Intérieur, vers 1905, huile sur toile, 59,
5 x 40, 5 cm, Zurich, Fondation Collection E. G. Bührle.
253
Figure 45 : ROUSSEL, Ker-Xavier, Scène mythologique, vers 1903, huile sur carton,
47 x 62 cm, Saint-Petersbourg, Hermitage.
Figure 46 : DENIS, Maurice, Bacchus et Ariane, 1906-1907, huile sur toile, 81 x 116
cm, Saint-Petersbourg, Hermitage.
254
Figure 47 : VALTAT, Louis, Falaises violettes, 1900, huile sur toile, 65, 5 x
81, 5 cm, New York, Guggenheim Hermitage Museum.
255
Figure 49 : MAILLOL, Aristide, Méditerranée, 1905,
bronze, 110 x 120 cm, Paris, Jardin du Carrousel.
256
Figure 51 : KANDINSKY, Wassily, Sans titre, 1910 ? 1913 ?, mine de plomb,
aquarelle et encre de chine, Paris, Musée National d’Art Moderne Georges
Pompidou.
257
Figure 53 et 54 : RODIN, Auguste, Femme assise se peignant et Femme assise se peignant, tête basse,
(illustrations prévues pour Le Jardin des supplices), 1902, mine de plomb et aquarelle, 32, 3 x 24, 8 cm,
Paris, Musée Rodin.
258
Table des illustrations
Chapitre I
Figure 1 : GERICAULT, Théodore, Le Radeau de la méduse, 1816, huile sur toile, 491 x
716 cm, Paris, Musée du Louvre. planche I
Figure 2 : DELACROIX, Eugène, Scène des massacres de Scio, (familles grecques attendant
la mort ou l’esclavage), 1824, huile sur toile, 419 x 354 cm, Paris, Musée du Louvre.
planche I
Figure 3 : COURBET, Gustave, L’Après dînée à Ornans, vers 1849, huile sur toile, 195 x
257 cm, Lille, Musée des Beaux-Arts. planche II
Figure 5 : MILLET, Jean-François, L’Angélus, 1847-59, huile sur toile, 55, 5 x 66 cm,
Paris, Musée d’Orsay. planche III
Figure 6 : MILLET, Jean-François, Le Semeur, 1850, huile sur toile, 40 x 32 cm, Boston,
Museum of Fine Arts. planche III
Figure 7 : MANET, Edouard, Olympia, 1863, huile sur toile, 190 x 131 cm, Paris,
Musée d’Orsay. planche IV
Figure 8 : MANET, Edouard, Le Déjeuner sur l’herbe (Le Bain), 1863, huile sur toile, 265
x 208 cm, Paris, Musée d’Orsay. planche IV
Figure 9 : JONGKIND, Johan Barthold, Quai à Honfleur, 1866, huile sur toile, 33, 7 x
46, 6 cm, Le Havre, Musée Malraux. planche V
259
à droite, en haut : MONET, Claude, Le Bassin aux nymphéas, harmonie verte, 1899, huile
sur toile, 89 x 93, 5 cm, Paris, Musée d’Orsay. planche V
Figure 11 : CABANEL, Alexandre, Ophélie, 1883, huile sur toile, 77 x 117, 5 cm,
collection privée. planche VI
Figure 12 : MEISSONIER, Ernest, Campagne de France, 1864, huile sur toile, 77 x 52 cm,
Paris, Musée d’Orsay. planche VI
Figure 14 : RODIN, Auguste, L’Age d’airain, 1877, bronze, 180 x 80 x 60 cm, Paris,
Musée Rodin. planche VII
Figure 15: MILLAIS, John Everet, Ophélie, 1852, huile sur toile, 76 x 112 cm, Londres,
Tate Gallery. planche VIII
Figure 16 : ROSSETTI, Dante Gabriel, Sancta Lilias, 1879, craie colorée sur papier vert/
gris, 107 x 77, 2 cm, Virginie, Museum of Fine Arts. planche VIII
Figure 17 : PUVIS DE CHAVANNES, Pierre, Pauvre Pêcheur, 1881, huile sur toile, 193
x 155 cm, Paris, Musée d’Orsay. planche IX
Figure 18 : MOREAU, Gustave, Fleur mystique, vers 1890, huile sur toile, 253 x 137
cm, Paris, Musée Gustave Moreau. planche IX
Chapitre II
Figure 19 : COROT, Jean-Baptiste Camille, Paysage près de Pontoise, 1878, huile sur
toile, 56 x 39 cm, Winterthour, Musée Oskar Reinhart « Am Römerholz ».
planche X
Figure 20 : VON MENZEL, Adolph, Im Biergarten, 1883, gouache sur papier, 13, 5 x
17, 9 cm, Sammlung Georg Schäfer, Schweinfurt. planche X
Figure 21 : FANTIN-LATOUR, Charlotte Dubourg, 1882, huile sur toile, 118 x 92, 5 cm,
Paris, Musée d’Orsay. planche XI
Figure 22 : ROLL, Alfred, La Dame aux coquelicots, vers 1898, huile sur toile, 81 x 65, 5
cm, Paris, Musée du Louvre. planche XI
260
Figure 23 : BASTIEN-LEPAGE, Jules, Les Foins, 1877, huile sur toile, 160 x 195 cm,
Paris, Musée d’Orsay. planche XII
Figure 24 : LHERMITTE, Léon, Le Pays des moissonneurs, 1882, huile sur toile, 215 x
272 cm, Paris, Musée d’Orsay. planche XII
Figure 25 : GONZALES, Eva, Femme en blanc, 1879, huile sur toile, 100 x 82 cm,
Washington, National Museum of Women in the Arts. planche XIII
Figure 26 : REDON, Odilon, L’Araignée souriante, 1881, fusain, 49, 5 x 39 cm, Paris,
Musée du Louvre. planche XIII
Figure 27: PISSARRO, Camille, Le Valhermeil, près de Pontoise, 1880, huile sur toile, 54
x 64, 7 cm, collection privée. planche XIV
Figure 28 : PISSARRO, Camille, Montmartre, temps de pluie, après-midi, huile sur toile,
1897, 52, 5 x 66 cm, collection privée. planche XIV
Figure 29 : BOUGUEREAU, William, Baigneuses, 1884, huile sur toile, 201 x 129 cm,
Chicago, The Art Institute of Chicago. planche XV
Figure 30: BRETON, Jules, Le Chant de l’alouette, 1884, huile sur toile, 110, 6 x 85, 8 cm,
Chicago, The Art Institute of Chicago. planche XV
Chapitre III
Figure 31: GAUGUIN, Paul, Le Christ jaune, 1889, huile sur toile, 92, 2 x 73, 4 cm,
Buffalo, Albright-Knox Art Gallery. planche XVI
Figure 32 : GAUGUIN, Paul, Contes barbares, 1902, huile sur toile, 130 x 89 cm, Essen,
Museum Folkwang. planche XVI
Figure 33 : MONET, Claude, Le Parlement, trouée de soleil dans le brouillard, 1904, huile
sur toile, 81 x 92 cm, Paris, Musée d’Orsay. planche XVII
Figure 34 : MONET, Claude, Le Palais da Mula, 1908, huile sur toile, 62, 2 x 81, 3 cm,
Washington, National Gallery of Art. planche XVII
Figure 35 : MONET, Claude, Nymphéas bleus, 1916-1919, huile sur toile, 200 x 200 cm,
Paris, Musée d’Orsay. planche XVIII
261
Figure 36 : MONET, Claude, Le Bassin aux nymphéas avec iris, 1920-1926, huile sur
toile, 200 x 600 cm, Kunsthaus, Zurich. planche XVIII
Figure 37 : RODIN, Auguste, La Porte de l’Enfer & détail, 1880-1917, bronze, 635 x 400
x 85 cm, Paris, Musée Rodin. planche XIX
Figure 38 : VAN GOGH, Vincent, Le Semeur, 1888, huile sur toile, 32 x 40 cm,
Amsterdam, Musée van Gogh. planche XX
Figure 39 : VAN GOGH, Vincent, Champ de blé avec cyprès, 1889, huile sur toile, 51, 5 x
65 cm, collection privée. planche XXI
Figure 40 : VAN GOGH, Vincent, Route avec cyprès et étoile, 1890, huile sur toile, 92 x
73 cm, Otterlo, Rijksmuseum Kroller-Muller. planche XXI
Figure 41 : CEZANNE, Paul, Le Mont Sainte-Victoire, 1885-1895, huile sur toile, 72, 8 x
91, 7 cm, Merion (Pennsylvanie), The Barnes Foundation. planche XXII
Figure 43 : VUILLARD, Edouard, La Visiteuse, vers 1905, détrempe sur papier sur
toile, 59, 5 x 51 cm, Zurich, Fondation Collection E. G. Bührle. planche XXIII
Figure 44 : BONNARD, Pierre, Intérieur, vers 1905, huile sur toile, 59, 5 x 40, 5 cm,
Zurich, Fondation Collection E. G. Bührle. planche XXIII
Figure 45 : ROUSSEL, Ker-Xavier, Scène mythologique, vers 1903, huile sur carton, 47 x
62 cm, Saint-Petersbourg, Hermitage. planche XXIV
Figure 46 : DENIS, Maurice, Bacchus et Ariane, 1906-1907, huile sur toile, 81 x 116 cm,
Saint-Petersbourg, Hermitage. planche XXIV
Figure 47 : VALTAT, Louis, Falaises violettes, 1900, huile sur toile, 65, 5 x 81, 5 cm, New
York, Guggenheim Hermitage Museum. planche XXV
Figure 48 : VALLOTTON, Félix, Nuage à Romanel, 1900, huile sur carton, 35 x 46 cm,
Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts. planche XXV
Figure 49 : MAILLOL, Aristide, Méditerranée, 1905, bronze, 110 x 120 cm, Paris, Jardin
du Carrousel. planche XXVI
262
Figure 50 : MAILLOL, Aristide, La Rivière, 1938-1943, plomb, 124 x 230 x 163 cm,
Paris, Jardin du Carrousel.
planche XXVI
Figure 51 : KANDINSKY, Wassily, Sans titre, 1910 ? 1913 ?, mine de plomb, aquarelle
et encre de chine, Paris, Musée National d’Art Moderne Georges Pompidou.
planche XXVII
Figure 52 : KUPKA, František, Plans verticaux I, 1912-1913, huile sur toile, 150 x 94
cm, Paris, Musée National d’Art Moderne Georges Pompidou. planche XXVII
263
Bibliographie
Editions de référence :
Mirbeau, Octave, Le Journal d’une femme de chambre, Paris, Gallimard, Folio Classique,
1984.
Mirbeau, Octave, Correspondance avec Claude Monet, Tusson Charente, Du Lérot, 1990.
Mirbeau, Octave, Oeuvres romanesques, tomes I, II et III, Paris, Buchet / Chastel, 2000-
2001.
Mirbeau, Octave, La Folle et autres nouvelles, Paris, Mille et une nuits, 2001.
264
Œuvres littéraires et critiques d’art :
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Dumas fils, Alexandre, La Dame aux Camélias, Paris, Gallimard, Folio classique, 1999.
Fénéon, Félix, Oeuvres plus que complètes, tomes I et II, p.p. Joan U. Halperin, Genève-
Paris, Droz, 1970.
Gautier, Théophile, Critique d’art : extraits des Salons (1833-1872), Paris, Séguier, 1994.
Geffroy, Gustave, Claude Monet : sa vie, son œuvre, Paris, Macula, 1987.
Goncourt, Edmond et Jules de, Manette Salomon, Paris, Gallimard, Folio Classique,
1996.
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Huysmans, Joris-Karl, À rebours, Paris, Garnier Flammarion, 2004.
Huysmans, Joris-Karl, L’Art moderne. Certains, Paris, Union générale d’éditions, 10/
18, 1986.
Ouvrages critiques :
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studi, Facoltà di lingue e letterature straniere, 1992.
Desanges, Paul, Octave Mirbeau, Paris, Librairie d’action d’art de la ghilde « Les
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Michel, Pierre, Nivet, J.-F., Octave Mirbeau : l’imprécateur au cœur fidèle, Paris, Séguier,
1990.
Michel, Pierre, Les Combats d’Octave Mirbeau, Paris, Les Belles lettres, 1995.
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Pilon, Edmond, Octave Mirbeau, Paris, Bibliothèque internationale d’édition, 1903.
Lair, Samuel, Situation et pensée d’Octave Mirbeau. Critique d’art, Mémoire de DEA
Université de Brest, 1993
Tartreau-Zeller, Laurence, Octave Mirbeau critique d’art, Paris, Université de Paris IV,
Sorbonne, UFR de littérature française, 1992.
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Hoek, Leo H., Titres, toiles et critique d’art: déterminants institutionnels du discours sur
l’art du XIXe siècle en France, Amsterdam, Rodopi, 2001.
Sur les artistes et courants esthétiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle :
Aux origines de l’abstraction : 1800-1914 : Paris, Musée d’Orsay, 3 novembre 2003, Paris,
Réunion des musées nationaux, musée d’Orsay, 2003.
Les Maîtres de la peinture occidentale, dir. par Ingo F. Walther, Cologne, Taschen, 1999.
Audi, Paul, L’Ivresse de l’art. Nietzsche et l’esthétique, Paris, Le Livre de Poche, Biblio
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Besset, Frédéric, Introduction à l’histoire du XIXe siècle, Paris, Armand Colin, Synthèse,
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Fried, Michael, Le Réalisme de Courbet, trad. P. Michel Gautier, Paris, Gallimard, 1993.
Kaempfer, Jean, D’un Naturalisme pervers : l’esthétique de Zola, Paris, Librairie José
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Kupka, František, La Création dans les arts plastiques, Paris, Cercle d’art, 1989.
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Quelques sites internet:
http://bu.univ-angers.fr/ EXTRANET/OctaveMIRBEAU/mirbeau.html
www.intermonet.com
www.artcyclopedia.com
www.artrenewal.org
www.insecula.com
www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr
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Remerciements
Jean-Jacques Schwab
Sigismond Roduit
Pour le graphisme :
Jean-Noël Tercier
Claudia Starnini
Caroline Besse
Patricia Gurtner
Irène Perret
Lucie Zufferey
…et tous ceux qui ont entendu parler “Art, Nature et Naturalisme” !
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