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Croissance et développement au XX siècle
• Définir la croissance
NB : Croissance économique et crise ne sont pas antinomiques. Ainsi, entre 1974 et 1999, alors
qu’on caractérise cette période comme une période de crise, la croissance de production est
plus importante que lors du XIXe siècle.
Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas confondre croissance faible et baisse de la production.
Ainsi, si l’on parle de « crise » pour caractériser à la fois les années 1930 et les années 1970, la
nature de ces « crises » est tout à fait différente. Pendant les années 1930, la croissance était
négative (baisse de la production, donc de la richesse créée) alors que pendant les années 1970
et les décennies suivantes, la croissance est parfois très faible, mais reste toujours positive.
• Mesurer la croissance
La croissance dépend de l’augmentation des capacités de production. Son analyse passe donc
par l’étude des facteurs économiques qui conditionnent le processus de production. En effet, le
produit peut augmenter en volume avec ou sans modification de la productivité physique des
facteurs utilisés.
Notons que la croissance peut être exprimée en monnaie courante (au prix du marché) ou en
monnaie constante (après avoir tenu compte des variations de prix).
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Comme toujours, il faut appréhender avec précaution ces indicateurs statistiques. Ainsi, quand
les pratiques de marché noir ou d’économie immergée (souterraine) se généralisent dans une
économie (capitaliste ou socialiste), la mesure d’une évolution de taux de croissance n’est plus
possible. Ainsi en France, l’économie souterraine représenterait environ 4 % du PIB, mais dans
les ex-pays du bloc soviétique elle atteindrait 30 du PIB.
De même, il est difficile de se faire une idée réelle de la croissance de certains pays dits « en
développement » car leurs structures économiques présentent encore certains archaïsmes
(pratiques de production et de consommation hors marché comme le troc, l’auto-
consommation…) qui gênent la mesure.
Enfin, toute comparaison internationale entre différents taux de croissance doit être menée avec
précaution car le calcul du PNB varie considérablement d’un pays à l’autre. Dans les pays ex-
socialistes, une partie des services n’était ainsi pas prise en compte (activités commerciales,
spectacles, médecins, avocats, etc.). Or ces services représentent jusqu’à 30 % du produit
national dans la définition occidentale. Attention, donc, aux comparaisons trop hâtives.
Il est assez difficile de concevoir le XXe siècle économique comme une unité. Généralement, on
fait commencer ce siècle en 1918, pour les raisons géopolitiques qu’on imagine, mais on
pourrait aussi bien le faire débuter en 1880 si l’on s’en tenait à l’analyse des structures
industrielles occidentales.
Bien sûr, nous concentrerons l’essentiel de notre regard sur l’Europe occidentale et les États-
Unis. Il s’agit d’appréhender le développement du capitalisme, ce qui exclut par définition les
pays de l’ancien bloc de l’Est. Les pays dits « en développement » ne sont pas non plus
concernés par la question de la croissance économique pour la période en question.
Si nous allons être amené ici distinguer différentes périodes de croissance économique à
l’échelle du siècle, il faut bien reconnaître que l’exercice est largement arbitraire, quoi que
nécessaire pour nous permettre d’appréhender les spécificités de telle ou telle époque.
Cette première partie se concentre pour l’essentiel sur les aspects quantitatifs de la croissance.
C’est un concept clé chez Schumpeter (cf. fiche sur cet auteur).
Selon des travaux empiriques, on estime que la moitié au moins de la croissance vient du
progrès technique dans les pays développés. Mais il est toutefois difficile de séparer l’influence
des divers facteurs de croissance, dans la mesure où le progrès technique est incorporé en
grande partie à travers l’amélioration de la « qualité » des facteurs de production (travail plus
qualifié, machines plus performantes).
Inversement, l’accumulation du capital dépend de l’innovation qui permet de surmonter la loi
des rendements décroissants (l’investissement, qui est en fait une acquisition de capital, est
stimulé par l’innovation : le processus de destruction créatrice cher à Schumpeter, induit un
vieillissement des équipements et nécessite donc leur remplacement par des équipements
neufs). Enfin, le progrès technique résulte en grande partie d’investissements dans la recherche
ou le marketing.
(cf. dossier documentaire)
1. La croissance de la production
Pour l’économiste Maddison1, la production par habitant augmenterait de 0,2 % de 1400 à 1820
dans les pays développés (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord). Ces chiffres sont discutables :
ils sont calculés sur la base d’hypothèses, donc de choix intellectuels qu’on peut récuser, mais
on va s’en tenir à ceux-là pour évaluer l’ampleur du changement qui s’amorce à compter de
l’entrée dans l’ère industrielle. Même très faible, cette croissance permet cependant aux pays
occidentaux de dépasser la Chine, qui fait initialement partie des pays développés (la croissance
y est en effet quasi nulle jusqu’au milieu du XXe siècle).
À partir du milieu du XIXe siècle, cette croissance s’accélère, et ce jusqu’au milieu du XXe siècle
(de l’ordre de 1,2 % l’an). Puis, enter 1950 et 1974, un nouveau palier est franchi : la croissance
atteint en moyenne 2,8 % annuel).
On peut donc distinguer 2 ruptures fortes :
- à la fin du XVIIIe siècle (chapitre précédent)
- après la G2
Dans les deux cas, la croissance augmente, et ce de manière relativement durable.
À première vue, ces écarts de chiffre peuvent paraître assez faible, voire négligeables. Il faut
donc s’entendre sur la signification concrète de ce point de croissance supplémentaire entre
1820 et 1950 par rapport à la longue période précédente. À un rythme annuel de croissance de
1 %, un siècle de croissance signifie la multiplication de la valeur initiale par 2, et un taux de 2 %
entraine un coefficient multiplicateur de 3.
Le cas français est particulièrement frappant : entre 1961 et 1973, la croissance du PIB est de
5,4 % l’an, soit un coefficient multiplicateur associé de 1,72.
Cette croissance de la production ne se fait bien sûr par de manière homogène dans tous les
secteurs (cf. dossier documentaire). On assiste à une baisse nette de l’importance de
l’agriculture dans les économies des pays développés (c’est particulièrement spectaculaire au
Japon, et cela donne une bonne idée de la rapidité du décollage économique de cette puissance
asiatique). Globalement, la part de l’agriculture dans la production de richesse nationale baisse
unanimement dans tous les pays développés. Les choses sont moins nettes dans le secteur
industriel, mais là encore le recul est unanime. En revanche, les services décollent très
nettement, au moins depuis 1960.
La production annuelle d’un pays est égale au produit de la quantité annuelle de travail mesurée
en heures de travail par la production par travail.
La quantité annuelle horaire du travail est elle-même le produit du niveau de l’emploi par la
durée annuel du travail.
Chiffrons ces différents facteurs : le tableau suivant indique le nombre d’emplois en millions.
Dans l’ensemble des pays étudiés, la croissance des emplois exprimée en millions est très forte :
particulièrement forte pour les États-Unis, relativement forte pour l’Allemagne et le Japon, plus
modérée pour la France. Notons que cette augmentation du nombre d’emplois dans ces
différents pays doit être pondérée de la hausse globale de la population que connaissent ces
pays. Cette réserve étant faite, il n’en demeure pas moins que, de manière générale, il y a eu
croissance de l’emploi au XXe siècle.
Notons cependant que l’évolution de la durée annuelle du travail est inverse : elle a fortement
diminué (de près de 3 000 heures en 1870 dans ces quatre pays, elle a été réduite de près de la
moitié et se situé autour de 1600 heures annuelles partout (entrée dans la société de loisirs)
sauf au Japon (toujours plus de 2000 heures en 1987).
1870 1890 1913 1929 1938 1950 1960 1973 1988 1996
États-Unis 2964 2789 2605 2342 2062 1267 1785 1717 1604 1951
Japon 2945 2770 2588 2364 2391 2166 2318 2093 2020 1998
Allemagne 2941 2765 2584 2284 2316 2316 2081 1804 1623 1578
France 2945 2770 2588 2297 1848 1926 1919 1771 1543 1645
Angleterre 2984 2807 2624 2286 2267 1958 1913 1688 1552 1732
1870 1890 1913 1929 1938 1950 1960 1973 1988 1996
États-Unis 57 53,6 50,1 42,1 39,6 35,9 34,3 33 30,8 37,5
Japon 56,6 53,3 49,7 45,5 45,9 41,6 44,6 40,2 38,8 38,4
Allemagne 56,5 53,2 49,7 43,9 44,5 44,5 40 1804 34,7 30,3
France 56,6 53,3 49,7 44,2 35,5 37 36,9 34 29,7 31,6
Angleterre 57,4 53,9 50,4 43,9 43,6 37,6 36,8 32,5 29,8 33,3
Hypothèses explicative : un plus grand nombre de personnes travaillent moins, donc on a peut-
être partagé le travail (ce qui est l’objectif de la loi sur les 35 heures en France). De nouvelles
catégories de population sont entrées sur le marché du travail, notamment les femmes.
Certaines catégories de population qui vivaient sans travailler (rentiers) n’existent plus.
La productivité horaire a fortement augmenté dans les 4 pays de 1870 à 1987 : elle a été
multipliée par 36 au Japon, 19 en France, 18 en Allemagne, 11 aux États-Unis. Donc on constate
un rattrapage des États-Unis par les autres pays.
Dans les 4 pays cités (France, Allemagne, États-Unis et Japon), l’évolution de la productivité
connaît 2 inflexions :
- la première au début des années 1950 (nette accélération par rapport à la période
précédente, d’où une forte croissance)
- la seconde au milieu des années 1970 (rupture marquée par une décélération et une
moindre croissance de la productivité par rapport à la période 1950-1973)
Le ralentissement des gains de productivité semble durable.
3. Le capital
L’accumulation du capital physique est créatrice de ressources et de richesse directement et
indirectement :
- directement car le niveau du capital influe positivement sur le niveau de la production
- indirectement car l’accumulation du capital physique permet un progrès technique
incorporé dans les équipements, les machines
Donc il est intéressant d’analyser la productivité du capital et son évolution.
Comment évolue la quantité de capital ? On l’observe par personne employée (cela reflète bien
le caractère capitalistique de la production : ce n’est pas le nombre de travailleurs qui joue, mais
bien le capital investit par travailleur).
Évolution du capital (hors logement) par personne employée (en milliers de $ au prix américain
de 1985)
(d’après Madison, L’économie mondiale (1820-1992), 1991)
La productivité du capital, c’est-à-dire le rapport entre le PIB annuel et le stock du capital, est
relativement stable aux États-Unis alors qu’elle a diminué en Allemagne et en France, et encore
plus fortement au Japon.
Productivité du capital
(d’après Madison, L’économie mondiale (1820-1992), 1991)
Après une première période de croissance réelle enter 1880 et 1914, et une fois les dégâts
consécutifs à la Première Guerre mondiale amortis, les grandes économies capitalistes
connaissent, entre 1922et 1929, des croissances économiques qui n’ont rien à envier à ce
qu’elles connaîtront pendant les Trente Glorieuses. Les champions de la période sont la France
(5,8 % l’an), l’Allemagne (5,7 %) et le Japon (6,5 %). Suivent les États-Unis (4,8 %) et le
Royaume Uni (2,7 %).
En 1918, le comité Cunliffe a préconisé un rapide retour du pays au système de l’étalon or.
L’étalon or est un régime monétaire dans lequel la monnaie est convertible en or à un prix fixe
(la convertibilité de chaque monnaie en or à un cours déterminé). Si l’Angleterre est pleinement
en régime d’étalon or dès 1821, ce n’est qu'au tournant des années 1870 que la plupart des
grands pays passent du bimétallisme (qui établit la conversion des monnaies en or et en argent)
au monométallisme (qui limite l’étalon monétaire à l’or). L’or, dans le gold standard, est la clé de
l’équilibre extérieur des différentes nations.
Caractéristiques :
- Définition de l’unité monétaire nationale par un certain poids d’or
- Convertibilité de la monnaie en or assurée par l’institut d’émission
- Libre circulation de l’or entre les différents pays
Le système de l'étalon-or a fonctionné de 1879 à 1914. Issu de l’échec du système bimétallique,
il ne survivra pas à la crise économique et financière créée par la première guerre mondiale,
même si la GB tente régulièrement d’y revenir.
Le système étalon or a facilité le règlement des échanges internationaux jusqu’en 1914.
En1922, on assiste à l’instauration du système de l’étalon change-or (la monnaie nationale n’est
plus convertible en or mais elle peut être échangée à un taux fixe, en une ou plusieurs devises
pouvant elles-mêmes être converties contre de l’or à un taux déterminé).
1925 = promulgation du Gold Standard Act, à l’initiative de Churchill, rétablissant la
convertibilité de la livre à sa parité d’avant-guerre, mais il ne s’agit en fait que d’une
convertibilité en lingots.
En conséquence, la livre retrouve son ancienne parité par rapport au billet vert entre 1926 et
1931. D’un point de vue strictement monétaire, le pays retrouve donc sa suprématie financière.
Mais les conséquences financières de cette décision ne sont pas positives du tout : l’économie
réelle britannique est sacrifiée sur l’autel de la monnaie (une monnaie forte gêne en effet les
exportations, cela grève encore avantage la compétitivité des productions britanniques).
Avec cette mesure, les gouvernements espèrent augmenter la compétitivité économique (c’est
strictement l’inverse de la politique britannique dans la période 1920-1929). Les effets
prévisibles sont de deux natures :
- d’abord une baisse de la valeur de la monnaie nationale engendrant une hausse du prix des
importations et une baisse du prix des exportations (comme les volumes échangés ne
s’adaptent qu’à moyen terme, on assiste dans un premier temps à une dégradation de la
balance commerciale car E<I, c’est l’effet prix)
- puis, à moyen terme, la baisse des prix à l’exportation permettant une hausse du volume des
ventes, tandis que la hausse du prix des importations finit par les décourager, on note une
amélioration de la balance commerciale (c’est l’effet quantité)
Ces effets contradictoires sont mis en lumière par le principe de la courbe en J : la dévaluation
provoque une courte dégradation du solde de la balance commerciale (effet prix), avant de
permettre une amélioration d'une plus grande ampleur (effet quantité).
Entre 1946 et 1951, les britanniques (comme les français) nationalisent les secteurs vitaux de
l’économie, pour accélérer et sécuriser la relance de l’économie après la Deuxième Guerre
mondiale. Sont concernés : la Banque d’Angleterre, les mines, la sidérurgie, le gaz et
l’électricité, l’aviation civile, les transports routiers, les télécommunications. Dès le début, cette
politique de nationalisation est critiquée par les conservateurs, et certains de ces domaines
retournent donc assez rapidement à la privatisation (la sidérurgie en 1953, les transports
routiers en 1956). Entre 1964 et 1970, la Grande Bretagne tente même l’expérience d’une
planification économique souple, reposant sur des prévisions à moyen terme, mais qui reste de
fit bien moins ambitieuse que la planification française contemporaine.
Entre 1961 et 1967, la Grande Bretagne tente de rejoindre la CEE, mais elle échoue par deux
fois, en raison de l’intransigeance du Général de Gaulle mais aussi des profondes incertitudes
qui affectent son économie entre 1950 et 1970. N’oublions pas de mentionner certaines
divergences d’analyse avec les pays du continent (notamment sur les questions de politique
atlantique à l’égard des États-Unis, de construction européenne, et de relations avec le Tiers-
Monde). La Grande Bretagne refuse le tarif extérieur (aux frontières du marché commun, on
applique un régime douanier homogène) et la PAC, et souhaite conserver des relations
économiques préférentielles avec les pays du Commonwealth.
2. L’Allemagne
Pour faire face à ce désastre, l’Allemagne doit créer une unité monétaire provisoire, le
RentenMark puis ReichMark.
Parallèlement, en 1924, une complète remise en ordre des finances publiques est opérée, avec
accroissement des recettes et réduction des dépenses. La banque centrale (Reicksbank) est
alors organisée.
Le pays bénéficie également, la même année, des aménagements prévus par le plan Dawes (24
juillet 1924). Ce plan définit un arrangement sur la question des réparations dues par
l’Allemagne et veut lutter contre l’hyperinflation. Conçu par un groupe d’experts financiers
présidé par Charles G. Dawes, il est mis au point sous l’initiative des gouvernements américains
et anglais. Ce plan intérieur doit veiller au maintien de l’équilibre financier allemand. Il s’agit de
prélever par l’impôt les sommes nécessaires au paiement des réparations de guerre (à raison de
1 à 2,5 milliards de marks-or par an, pendant un nombre d’annuités indéfini) sans compromettre
le budget. Les Alliés assurent le transfert de ces sommes. Pour éviter tout retour à l'inflation, on
crée une banque d'État qui ne pourra émettre que sous le contrôle du commissaire étranger. Les
chemins de fer et l'industrie servent de gages pour le service des obligations. Les annuités
successives seront calculées en fonction d'un indice de prospérité que l'on espère appelé à
progresser (d’abord peu élevées, à la mesure de la situation catastrophique de l’économie
allemande, puis de plus en plus élevées). Ce plan est un succès et, en 1929, la surveillance
financière de l’Allemagne par les vainqueurs fut abolie et le total des réparations définitivement
fixé (à la baisse) par le plan Young.
Cette période d’hyper-inflation a de profondes conséquences. Certes, elle a profité aux
entreprises (portées par la forte demande étrangère en produits allemands à prix cassés par le
jeu des changes), mais elle a ruiné les possesseurs de titres de créances, et elle a fortement
discrédité la politique de Weimar.
Malgré tout, l’Allemagne continue de se renforcer sur le plan industriel : la concentration
progresse, de même que la cartellisation malgré un contrôle étroit de l’Etat, par le biais de son
Tribunal des cartels. Certains Konzerns sont condamnés, d’autres en revanche sont encouragés
car jugés bénéfique à l’économie nationale. En 1930, l’Allemagne compte plus de 2000 cartels
(contre seulement 400 en 1905). L’Allemagne a retrouvé sa puissance industrielle d’avant-
guerre dès le milieu des années 1920, en dépit de ses déboires monétaires.
• 1945-1974
La période nazie constitue une parenthèse sur laquelle on ne s’arrête pas ici.
On reprend donc l’analyse dans l’immédiat après-guerre. Comme pour le Japon, l’expression de
« miracle économique » a été utilisée avec raison pour qualifier ce qui correspond aux Trente
Glorieuses françaises, miracle qui s’épanouit dans le contexte d’un nouvel Etat né de la scission
de l’Allemagne en 1949.
En juin 1948, une loi monétaire est votée dans le cadre du plan de redressement imposé par les
Américains, le plan Dodge, qui cherche essentiellement à éviter un retour à l’hyper-inflation en
cette difficile période d’après-guerre (mauvais souvenir des années 1920). Une nouvelle banque
centrale est créée, et placée au chevet de la monnaie (la Bundesbank), de même qu’une
nouvelle unité monétaire (le deutsche mark). Dans le même temps, la circulation fiduciaire,
jugée excessive, est réduite grâce à un échange des anciens billets contre de nouveaux (sur la
base d’un rapport de 1 pour 15.4), l’échange étant par ailleurs limité à 70 DM. En septembre
1949, le deutsche mark est redéfini, après d’importantes dévaluations. Ensuite, une politique
monétaire rigoureuse parvient à rétablir la confiance à l’intérieur du pays et parmi les milieux
financiers internationaux.
La RFA est très fortement soutenue par les Etats occidentaux. Les barrières douanières établies
entre les différentes zones de RFA par les autorités d’occupation profitent du plan Marshall
14
(comme dans les autres pays d’Europe de l’Ouest).
A partir de 1947, le plan Marshall est une arme économique utilisée par les Américains pour
combattre le communisme. Il correspond au côté économique de la doctrine Truman du
containment (endiguement). L'idée est que la misère fait le lit du communisme, le plan Marshall
permet donc à la fois de combattre le communisme et de convertir l'économie de guerre
américaine en économie de paix. nécessaires. Par le plan Marshall les Américains entendent
rallier l'Europe. L'aide financière est assorti de conditions d'achat de produits américains.
L'U.R.S.S. s'oppose à ce projet et empêche les pays de l'Europe de l'Est de bénéficier de ce plan.
Par exemple, le plan Marshall d'abord accepté en Tchécoslovaquie par le gouvernement doit être
refusé sous la pression de Moscou. En revanche 17 pays qui acceptent cette aide créent en 1948
l'Organisation Européenne de Coopération Économique (O.E.C.E. qui deviendra O.C.D.E. :
Organisation de Coordination et de Développement Économique). En mai 1949 est créé la R.F.A.
Un ancien résistant à Hitler, le démocrate chrétien Konrad Adenauer en devient le premier
chancelier. Il ancre solidement la R.F.A. dans le camp de l'ouest et accepte le plan Marshall. Le
plan Marshall permet aussi d'effectuer des pressions sur les alliés des États-Unis. Ainsi, les
Américains menacent les Pays-Bas de suspendre le plan si ceux-ci n'accordent pas
l'indépendance à l'Indonésie (chose faite en 1949).
De plus, jusqu’en août 1961 et à la construction du mur de Berlin, la RFA bénéficie des apports
extérieurs d’une main-d’œuvre venue d’Europe centrale. Le relais est pris ensuite par des
travailleurs venus d’Europe du Sud (leur nombre est décuplé entre 1960 et 1972). La main
d’œuvre allemande montre par ailleurs une profonde envie de relever le pays au plus vite,
d’effacer les traces de la période totalitaire. En résultent une ardeur au travail qui, doublé de
l’esprit d’organisation et de discipline qui caractérise ces travailleurs, bénéficie à la situation
économique.
Soutenus par les alliés, les chrétiens démocrates de la CDU proposent au peuple allemand un
modèle de société original, prenant appui à la fois sur le libéralisme économique et sur
l’ouverture sociale. Konrad Adenauer (chancelier chrétien démocrate de 1949 à 1963) puis
Ludwig Erhard (chancelier chrétien démocrate en 1963-1966), et enfin Willy Brandt (chancelier
social-démocrate pour la période 1966-1974) incarnent cette volonté de reconstruction de
l’Allemagne, sur le plan intérieur comme extérieur (participation de la RFA à la construction
européenne dès les années 1950 : membre de la CECA en 1951, puis de la CEE dès 1957).
Ce nouveau modèle relève de l’économie sociale de marché. Dans les entreprises, il repose sur
le principe de la cogestion, instituée par la loi du 12 mai 1951, qui reconnaît le capital et le
travail comme 2 facteurs de production d’importance équivalente et tâche donc de les associer
dans les prises de décision au sein des entreprises. Cela se traduit par la mise en place d’un
conseil de surveillance composé de représentants des détenteurs du capital (des actionnaires) et
des travailleurs. La cogestion prévue est paritaire dans les entreprises de plus de 1000 salariés.
Elle bénéficie du soutien du grand syndicat national, reconstitué en 1949, le DGB (Deutsche
Gewerkschaftsbund).
En 1957, le droit de grève est limité, notamment par la réglementation très stricte du préavis.
Priorité absolue est donnée à la négociation, plutôt qu’au conflit.
Par la suite, la RFA confirme l’orientation résolument libérale de sa politique économique, en
conformité avec les thèses défendues dès les années 1930 par les économistes de l’école de
Fribourg (autour de la figure de Walter Eucken) : elle refuse les nationalisations comme la
planification, le contrôle des prix et des salaires, l’encadrement du crédit. Mais les objectifs de
progrès et d’égalité sociale ne sont cependant pas oubliés. Si nécessaire, la priorité est donnée à
la lutte contre l’inflation (c’est le cas au milieu des années 1960, au risque de provoquer une
sévère récession). Ce système est qualifié d’ordolibéralisme. Cette conception économique qui
rejette le matérialisme hédoniste des libéraux mais aussi l’évolutionniste du marxisme. Selon la
théorie ordolibérale, l'État a pour responsabilité de créer un cadre légal et institutionnel à
l'économie, et de maintenir un niveau sain de concurrence « libre et non faussée » via des
mesures en accord avec les lois du marché. En effet, si l'État ne prend pas des mesures
anticipées pour encourager la concurrence, les entreprises donneront naissance à des
monopoles. Cela aura pour conséquence de détourner les avantages économiques offerts par le
marché, et peut-être à terme de saper la démocratie, le pouvoir économique étant capable de
se transformer en pouvoir politique. L’État a donc un rôle d'« ordonnateur ».
D'après Stephen Padgett, un pilier central de l’ordolibéralisme est une « division du travail »
clairement définie entre acteurs de la gestion économique :
15
- la politique monétaire est sous la responsabilité d’une banque centrale à l’abri du pouvoir
politique, dévouée à la stabilité monétaire et à une faible inflation, mais toutefois sous le
contrôle de la « communauté socio-économique » (les partenaires sociaux) au niveau des
banques centrales régionales (Landeszentralbank)
- la politique budgétaire, équilibrée, appartient au gouvernement,
- la fixation des salaires et des conditions de travail est partagée entre les employeurs et
les syndicats.
L’un des atours majeurs de l’économie allemande après 1950 réside dans la forte concentration
de son appareil productif. Les accords de Postdam (1945) et le plan Morgenthau (mars 1946) ont
prévu une déconcentration autoritaire de l’industrie allemande (démantèlement de l’industrie
lourde et des Konzerns et cartels trop impliqués dans le soutien à la politique nazie, comme
Krupp, Thyssen, BASF), dont le but est d’empêcher toutes velléités belliqueuses à venir en
Allemagne. Mais ces derniers parviennent par la suite à se reconstituer et la RFA est l’un des
pays capitalistes où la concentration économique est la plus forte. Elle reconstitue rapidement
son potentiel de production industriel (notamment grâce à la dynamique impulsée par la
construction européenne). Dès les premières réévaluations du mark, en mars 1961 puis en
octobre 1969, la réalité du relèvement économique et politique allemande apparaît aux yeux de
la communauté internationale.
3. Les Etats-Unis
• 1880-1919
Décollage économique amorcé. Dès la fin du XIXe siècle, les États-Unis sont en passe de
s’imposer en tête des puissances industrialisées du monde.
• 1920-1929
La puissance économique du pays est éclatante, mais les chiffres de production records
atteints et les forts taux de croissance enregistrés ne parviennent pas à masquer un certain
nombre de faiblesses structurelles.
En apparence, les États-Unis connaissent une période faste en 1919-1929 :
le produit national augmente de + 25 %,
la production de + 90 %.
les cours boursiers sont multipliés par 3
Seule la crise de 1920-1921 constitue une période moins favorable.
Le début des années 1920 marque l’entrée des États-Unis dans la production de masse :
produits standardisés, réalisés grâce à une mécanisation poussée, à l’utilisation rationnelle de la
main-d’œuvre, et destinée à une commercialisation à grande échelle. A la faveur de cette
production de masse, la concentration industrielle progresse encore, et la puissance des trusts
est plus éclatante que jamais.
Les industriels ont organisé la production, mais ils ont surtout rationalisé la gestion des
ressources humaines. C’est Henry Ford qui dans son ouvrage Ma vie et mon œuvre (1925) se fait
le défenseur d’une politique de haut salaire destinée à motiver les ouvriers et à soutenir la
consommation. C’est ce qu’on appelle le fordisme.
Dès le milieu des années 1920, on parle de fordisme dans le monde entier. Il s’agit
alors d’un terme utilisé principalement dans le champ de l’organisation de la production, au
même titre que le taylorisme. Le dirigeant communiste italien Antonio Gramsci élargit cependant
la perspective, en 1934, en mettant en rapport les changements introduits dans l’organisation
de la production par Henry Ford et ceux qui se produisent dans l’ensemble de la société
américaine, sur le plan de la famille et des mœurs (libéralisation : n’oublions pas que l’entre-
deux-guerres voit émerger un certain nombre de revendications féministes, autour de la figure
de la « garçonne »), dans le sens d’une libéralisation que Gramsci appelle de ses vœux.
Aujourd’hui cependant, quand on parle de fordisme, on fait surtout référence au sens donné à ce
terme par les économistes de l’école dite de la régulation, à la fin des années 1970, suite en
particulier aux travaux de Michel Aglietta sur l’économie des Etats-Unis (Régulation et crises du
capitalisme, 1976). Pour les économistes de la régulation, le fordisme désigne le régime
d’accumulation qui, dans le monde occidental, a permis la période de forte croissance qu’on a
appelée les Trente Glorieuses (de 1945 à 1975 environ).
Il s’agit d’un mode de régulation de l’économie qui associait
16
les méthodes mises au point par Henry Ford pour permettre la production de masse et à
bas prix de produits
industriels,
+ les mécanismes de négociation sociale qui garantissaient que les gains de productivité
ainsi réalisés étaient
redistribués aux salariés, ce qui permettait de maintenir la demande globale (le salarié
devenant consommateur).
Cette négociation se déroulait sous la tutelle d’un Etat qui avait tiré les leçons de la crise de
1929 et n’hésitait plus à soutenir cette demande dès qu’elle donnait des signes de faiblesse,
selon les préceptes de John Maynard Keynes. Etats et partenaires sociaux développaient
parallèlement des systèmes sophistiqués de sécurité sociale permettant de limiter l’incertitude
sur l’avenir et de développer une sécurité propice, elle aussi, au développement de la
consommation aux dépens de l’épargne (plus besoin de se mettre à l’abri d’un éventuel coup
dur).
Henry Ford lui-même n’était absolument pas « fordiste », au sens donné à ce terme par les
régulationnistes : farouche adversaire du syndicalisme et de l’Etat providence, cet admirateur
passionné d’Adolf Hitler serait probablement étonné – et furieux – de voir à quoi on accole
aujourd'hui son nom...
Au moment même où les régulationnistes « inventent » le fordisme, celui-ci est entré dans une
crise profonde : les ouvriers spécialisés refusent le taylorisme dans les usines et font chuter la
productivité ; les mécanismes de négociation sociale perdent leur efficacité et l’inflation
s’emballe ; les mécanismes globaux de protection sociale ont du mal à répondre au désir
d’individualisation que manifestent de plus en plus les citoyens des pays développés... Les
cercles vertueux du fordisme triomphant se sont mués en cercles vicieux.
Les mesures prises depuis pour tenter de surmonter cette crise – dérégulation, libéralisation du
commerce et des flux financiers – rendent illusoire tout retour en arrière : le succès du fordisme
était en effet largement conditionné à une relative fermeture des économies nationales et à leur
maîtrise par chacun des Etats. Depuis vingt ans, on s’interroge donc sur le « postfordisme » ; on
cherche ce que pourrait être un mode de régulation de l’économie susceptible de lui faire
retrouver le chemin d’une croissance forte et durable. A la fin des années 19990, certains
croyaient l’avoir trouvé avec la « nouvelle économie » et le capitalisme actionnarial. L’explosion
de la bulle high-tech et les multiples affaires Enron, Worldcom, Vivendi, etc. ont montré que la
relève n’était sans doute pas à chercher de ce côté-là.
• 1945-1974
Entre 1945 et 1974, ce qui caractérise le mieux ce pays, ce n’est pas tant la vigueur de son
taux de croissance que sa position d’économie dominante incontestable au sein du
monde occidental. Outre les aspects militaires, diplomatiques et culturels, cette domination
est à la fois économique, commerciale, financière et monétaire.
La dimension la plus visible de la domination économique américaine réside dans ses
immenses capacités de production. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis font
figure de super-producteur.
Leur puissance agricole est évidente. Ils sont par ailleurs sont devenus, à l’époque, le nouvel
atelier du monde.
- Dans l’agriculture, au début des années 1970, ce pays occupe le premier rang
mondial pour de nombreuses productions, le maïs (45 % de la production mondiale), le
coton (25 %), la viande de bœuf (20 %) et le deuxième pour le blé (12 %). Bien que producteur
lui-même (Floride), le pays n’est dépendant de l’extérieur que pour les produits tropicaux. Au-
delà des facteurs naturels, cette puissance productive est surtout liée à une forte productivité du
travail agricole. Toujours au début des années 1970, les actifs de ce secteur ne représentent
plus que 6 % de la population active. Dans les années 1960, un agriculteur américain satisfait
par son travail l’équivalent des besoins alimentaires de plus de 30 personnes (en France, en
1968, d’après les calculs de Jean Fourastié, un agriculteur ne nourrissait qu’entre 16 et 17
personnes).
- Dans l’industrie, la puissance américaine n’est pas moins éclatante. Dans les années
1960, les États-Unis réalisent environ 50 % de la production de biens de consommation
durables des pays occidentaux, et cette proportion atteint 70 % pour les biens
d’équipement destinés aux entreprises et aux administrations publiques.
Mais le facteur le plus important de la domination industrielle américaine à cette époque :
l’avance technologique et technique. Le gap technologique entre le Nouveau et le Vieux
Continent est alors éclatant. Cette avance est évidente dans des secteurs comme l’informatique,
la chimie, l’aéronautique et l’industrie spatiale. En particulier, les produits industriels fabriqués
aux Etats-Unis incorporent des dépenses importantes de recherche-développement
consacrées à l’amélioration technique et à la conception des produits. Après la Seconde Guerre
mondiale, ces dépenses ont augmenté environ trois fois plus vite que le PNB. Dans les années
18
1960, elles représentent 3,3 % du PNB américain contre 2 % en moyenne en Europe.
Entre 1950 et 1970, apparition d’une multitude de produits nouveaux qui consacre la toute-
puissance des géants de l’industrie : Boeing, Lockheed, Mac Donnell-Douglas dans la
construction aéronautique, IBM (International Business Machines), Honeywell dans
l’informatique, General Electric dans l’électronique et les appareils électriques, Westinghouse
pour les centrales atomiques, etc.
Cette puissance productive ne doit pas uniquement à la créativité des ingénieurs et des
techniciens. Elle repose aussi sur l’étendue du marché intérieur américain. La demande
des ménages est en forte augmentation après 1950, soutenue par l’augmentation des salaires
réels, le développement du crédit à la consommation et à l’équipement des entreprises,
l’augmentation de la demande publique à travers les dépenses pour la défense, la conquête
spatiale (crédits de la NASA), l’équipement local et fédéral, les programmes sociaux des années
1960.
Le marché intérieur est efficacement protégé contre les importations étrangères.
L’arsenal protectionniste hérité des décennies précédentes est maintenu :
- le Buy American Act (1933) peut être utilisé par l’État pour donner la préférence, dans ses
commandes, à des produits américains
- le recours au principe de l’American Selling Price permet un calcul des droits de douane
plus pénalisant pour les importations car les prix intérieurs constituent la référence (les
droits de douane empêchent donc d’importer des produits dont les prix seraient plus
intéressants que la production nationale équivalente. C’est seulement sous Kennedy
(Trade Expansion Act, 1962) que sont envisagées de substantielles réductions tarifaires
dans le cadre des négociations commerciales multilatérales (Kennedy Round dans les
années 1960, Tokyo Round dans les années 1970, deux cycles de négociations au sein du
General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), en français Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce, signé le 30 octobre 1947 par 23 pays, pour harmoniser les
politiques douanières des parties signataires).
Bien qu’ayant des taux d’ouverture aux échanges internationaux réduits — ce qui confirme le
rôle du marché intérieur et le recours au protectionnisme — la part des États-Unis dans les
exportations mondiales de produits manufacturés atteint des proportions très élevées. Alors que
la propension moyenne à exporter (exportations/PIB) n’est que de 5,3 % entre 1961 et 1970, la
propension correspondante à l’importation étant alors de 4,7 %, les États-Unis s’assurent une
part substantielle des échanges mondiaux de marchandises : 25 % juste après 1945, 19 % en
1955, 13,6 % en 1973. Au début des années 1990, elle est encore supérieure à 12 %.
La domination financière américaine se manifeste par le volume des investissements
réalisés à l’étranger. Dans les années 1950, les Américains réalisent environ 80 % du total
mondial de ceux-ci. Il s’agit aussi bien d’investissements directs, c’est-à-dire conduisant à une
prise de contrôle sur des entreprises et des productions étrangères, que d’investissements de
portefeuille effectués à des fins de placement. Au milieu des années 1960, la domination
américaine dans ce domaine n’est plus aussi complète mais la proportion s’élève encore à près
de 60 %, dont les deux tiers constitués d’investissements directs. La puissance américaine
s’exerce de ce fait par l’accroissement du nombre et du poids financier des filiales des firmes
multinationales originaires de ce pays. C’est l’époque où des sociétés comme IBM, LiT, Ford,
Burroughs, General Motors, Mobil Ou, Union Carbide, etc., partent à la conquête du monde et
viennent concurrencer les producteurs européens ou d’autres continents sur leurs propres
marchés. Parfois le phénomène porte sur des secteurs d’activité entiers : l’informatique en
constitue un parfait exemple. En France, l’offensive américaine et le retard technologique
national sont à l’origine, au milieu des années 1960, du lancement du Plan calcul (plan
gouvernemental français lancé en 1967 par le général De Gaulle sur l’impulsion de Michel
Debré, destiné à assurer l’indépendance du pays en matière de gros ordinateurs) et de la
création de la CII (Compagnie Internationale pour l’Informatique).
L’investissement international prolonge un phénomène de concentration déjà très poussé à
l’échelle intérieure. Dans les années 1960, 43 % des salariés américains sont employés dans des
établissements de plus de 1 000 salariés, seulement 26 % dans des établissements de moins de
50 salariés.
L’évolution de l’orientation géographique des investissements à l’étranger est
représentative d’une stratégie de conquête des marchés extérieurs et de la volonté de
s’implanter dans des zones de fort développement.
En 1946, 34,7 % d’entre eux prenaient la direction du Canada, 43 % celle de l’Amérique
19
Latine et 13,8 % celle de l’Europe.
En 1972, ces trois proportions sont respectivement de 26,9 %, 18 % et 32,9 %, ce qui
signifie une réorientation des investissements extérieurs du continent américain vers le
Vieux Continent
La domination monétaire vient s’ajouter aux précédentes : elle s’exerce inconditionnellement
dans le monde des accords de Bretton Woods (1944) jusqu’à ceux de Washington (1971).
Reconnue officiellement par la conférence de Bretton Woods de juillet 1944, la prééminence du
dollar est éclatante. Cette conférence adopte les vues des représentants des États-Unis (plan
White, préféré au plan Keynes proposé par les Britanniques). Les pays participant à la
conférence veulent tirer la leçon des années 1930. Dans les accords conclu (compromis entre les
États-Unis et le Royaume Uni), les États-Unis ont un objectif fondamental : éviter la reproduction
des désordres internationaux de l’entre-deux-guerres qui ont résulté de l’instabilité des taux de
change. Ils sont donc favorables à la fixité des changes, alors que les britanniques sont
favorables à des changes ajustables.
C’est l’époque, du moins jusqu’au début des années 1960, où le $ est considéré aussi bon que
l’or. Cette monnaie constitue, parallèlement à l’or, l’étalon effectif du nouveau Gold Exchange
Standard, système monétaire international en vigueur de 1944 à 1973 (1976 officiellement ; cf.
tome IL). A la fin des années 1960, même quand la suprématie du $ commence d’être mise en
cause, les États-Unis parviennent encore à exercer leur pouvoir. C’est l’époque du dollar roi, et
de la « fringale de dollars » (dollar glup), jusqu’en 1958. Puis la situation se dégrade
progressivement jusqu’en 1971. Dès 1959, certains pays (dont la France) demandent la
conversion de leurs encaisses en dollar en or. On parle d’hémorragie de l’or, c’est le signe d’une
baisse de confiance dans le dollar, et le stock d’or américain diminue de plus en plus. Après
diverses mesures palliatives demeurées sans grand effet, les accords de Washington (1971)
imposent l’inconvertibilité de fait du dollar voulue par le gouvernement américain : le président
Nixon décide de suspendre la convertibilité du dollar en or (elle ne sera plus jamais rétablie de
fait) et de dévaluer le dollar. C’est la fin du système de Bretton Woods.
Marcuse propose dans son Homme unidimensionnel une critique du monde moderne qui
emporte à la fois le capitalisme et le communisme soviétique, basée sur la constatation, dans les
deux systèmes, de l’augmentation des formes de répression sociale (qu’elle soit d’ordre privé ou
public). Ainsi, la tendance, dans les pays supposément marxistes, à la bureaucratisation était,
pour Marcuse, tout aussi opposée à la liberté que dans les pays occidentaux.
Il avance que ce qu’il appelle la « société industrielle avancée » crée des besoins illusoires (false
needs) qui permettent d’intégrer les individus au système de production et de consommation
par le truchement des mass media, de la publicité et de la morale. La conséquence en est un
univers de pensée et de comportement « unidimensionnel », au sein duquel l’esprit critique ou
les comportements antisystémiques sont progressivement écartés. A l’encontre de ce climat
ambiant, Marcuse se fait le champion d'une « négation intégrale » (great refusal), seule
opposition adéquate aux méthodes de contrôles de la pensée en cours. Une grande partie de
l’ouvrage consiste en une défense de cette « pensée négative » comme force de fracture contre
le système positiviste.
Marcuse rend également compte de l’intégration de la classe ouvrière industrielle dans la
société capitaliste et des nouvelles formes de la stabilisation du capitalisme, remettant ainsi en
question les postulats marxistes d’une nécessaire crise du capitalisme et révolution
prolétarienne. Contrastant avec la doctrine orthodoxe marxiste, Marcuse met de surcroît en
valeur la force non-intégrée des minorités, des outsiders, et des intelligentsias radicales, dans
l’espoir de nourrir la pensée critique d’opposition.
Le prestige américain se trouve terni par l’enlisement dans la guerre du Vietnam (1964-1973)
même si la conquête de l’espace est une retentissante réussite (premier homme sur la lune en
1969). Aux revers militaires en Asie s’ajoute un courant anti-américaniste et anti-impérialiste
très virulent à l’époque, y compris dans certains pays occidentaux.
Tout cela n’empêche pas les États-Unis de continuer à exercer une certaine fascination sur le
monde occidental. L’american way of life est copié dans bien des pays, que ce soit à travers la
consommation automobile, l’architecture et l’urbanisation, les loisirs, les modes, la musique. Il
est impossible de bien comprendre cette époque sans mesurer la portée du modèle américain.
4. La France
• 1880-1920
La France s’est engagée dans le processus d’industrialisation même si on ne peut pas à
proprement parler de « take off » la concernant. Il n’en demeure pas moins qu’elle a pris le
tournant de la révolution industrielle. Deux décennies de réelles prospérité économique en
1850-1860n avec une grande importance du secteur des travaux publics : on passe de 3000 km
de chemin de fer en France en 1850 à 17 500 km en 1870 + entreprise du canal de Suez,
inauguré en 1869. Le pays compte un certain nombre de régions industrielles dynamiques, et il
a su s’adapter à la nouveauté énergétique que constitue l’électricité.
Mais entre 1873 et 1896, le pays traverse une période de dépression économique. La période de
crise rompt avec le développement relativement continu de l’activité économique depuis le
début du XIXe siècle en remettant en cause les mécanismes du marché. Ceux ci étaient rendus
21
possibles jusqu’alors par la multitude des structures de petites et moyennes tailles et l’absence
d’organisation salariales. La naissance des syndicats et le développement des très grandes
firmes ont compromis cet équilibre en rigidifiant les variables du marché : les prix et les salaires.
Les grandes banques d’affaire venaient de connaître un développement sans précédent, leur
inexpérience contribuant à l’irrationalité financière et à l’apparition de bulles spéculatives est à
l’origine des krachs. Quelques années plus tôt certains établissements bancaires importants
avaient déjà fait faillite comme le Crédit mobilier des frères Pereire en 1867, tandis qu’un
premier black Friday (11 mai 1866) avait secoué la Bourse de Londres.
La crise se renforce ensuite au début des années 1880. La spéculation sur les chemins de fer en
France provoque un krach en 1882, entraînant de nouveau la disparition de certaines banques
d’affaires.
La crise économique touche particulièrement l’agriculture, les industries du lin et du bois et les
industries alimentaires. Dans l’agriculture les prix chutent fortement. Pourtant la crise est d'une
ampleur limitée. Le revenu par tête continue de croitre pendant cette période, plus rapidement
que durant la première moitié du siècle, grâce a la diminution des prix des produits importés.
L’industrie connait d’abord de sérieuses difficultés, mais les années 1880 sont globalement une
phase d’expansion.
La dépression des années 1880 se déroule dans un contexte de libéralisme économique, mais
pas de libre-échange, du fait de la forte concurrence exercée par les pays neufs sur les marchés
mondiaux. Les producteurs agricoles européens ne sont pas assez compétitifs pour faire face à
la concurrence des fermiers canadiens et américains et aux importations de viande en
provenance d’Australie et de Nouvelle-Zélande, d’où la mise en place de politiques
protectionnistes.
Suite à la dépression, la France connaît jusqu’à la Première Guerre mondiale une période alors
inédite de croissance, qui sera a posteriori qualifiée de « Belle Époque » aux lendemains de la
Grande Guerre.
Le retournement de la tendance économique est difficile à dater avec précision, la date de 1896
est généralement retenue parce qu’elle correspond au retour de la hausse des prix. Ainsi d’après
Edmond Malinvaud, le rythme de croissance (taux annuel moyen) du produit industriel passe de
1,6 % sur la période 1870-1896 à 2,4 % sur la période 1896-1913.
L’essor industriel est en partie lié aux innovations technologiques, dont l’exemple par excellence
est l’automobile, secteur apparu au tournant des deux siècles et pour lequel la France devient le
second producteur mondial. Si c’est à cette époque qu’apparaissent les grands noms de cette
industrie comme Peugeot, Berliet ou Renault, le secteur reste très dispersé (peu concentré) : on
compte ainsi 155 constructeurs automobiles en 1914. Si l’innovation date du début de la
période, c’est à la fin qu’elle connaît son véritable boum : 45 000 automobiles sont produites par
an alors que seules 107 000 sont immatriculées. La France développe aussi précocement
d’autres industries nouvelles, comme l’aéronautique ou le cinéma.
Parmi les secteurs industriels encore récents, l’électricité connaît aussi un essor important à
cette époque : sa consommation est multipliée par cinq entre 1900 et 1913. Liées à l’électricité,
se développent d’ailleurs certaines industries métallurgiques (l’aluminium, dont la production
décuple entre 1900 et 1913) et chimiques. Les industries traditionnelles profitent aussi de la
conjoncture : la métallurgie voit ses débouchés élargis par les nouvelles industries et se
développe particulièrement en Lorraine.
Signes du dynamisme économique, les expositions universelles de 1889 et de 1900 mettent
l’économie française à l’honneur. La réalisation de la tour Eiffel à l’occasion de celle de 1889
n’est qu’une des nombreuses manifestations des évolutions que peut connaître une ville comme
Paris à l’époque : l’électricité, les bus, les automobiles (et en particulier les taxis) apparaissent à
cette époque.
L’agriculture, secteur où la croissance passe d’après J.-C. Toutain d’un taux annuel moyen de 0,1
% entre 1860 et 1890 à un taux de 0,9 % entre 1890 et 1913, profite aussi de l’expansion
économique.
• 1920-1929
Toutes proportions gardées, bien que dans le camp des vainqueurs de 1918, la France se trouve
dans une situation économique qui rappelle celle de l’Allemagne. C’est un pays en proie à
l’instabilité monétaire et aux déséquilibres financiers, subissant les conséquences sociales de
l’inflation et appelé à consentir un sérieux effort de rigueur et de stabilisation. Cela ne doit
pourtant pas dissimuler le réel mouvement de modernisation et de croissance qui s’opère au
22
sein de son appareil productif.
Le Cartel agonisa pendant presque un an. Pendant ce temps, la crise financière se creusait. La £,
dopée par le retour à la convertibilité-or et par les forts taux d’intérêt anglais, le $, atteignent
des cours records (cf. supra).
Poincaré fut rappelé. Il devint président du Conseil et ministre des Finances. Accédant au
pouvoir en juillet 1926, Raymond Poincaré doit mener une énergique politique d’assainissement
financier, reposant sur des mesures budgétaires et monétaires et visant à stabiliser la valeur
extérieure du F. Sa politique économique (augmentation des impôts et rationalisation de
l’administration), toujours inspirée par Raymond Philippe, ramena la confiance et éloigna le
danger du remboursement des bons. Pour éviter le retour d’un tel danger, on décida la création
de caisses d’amortissement chargées de la gestion de la dette de l’État, financées par des taxes
sur le tabac et des loteries. Le franc se rétablit sur les marchés des changes et passe de 243 F
pour 1 £en juillet 1926 à 122 F pour 1 £ en décembre 1926. La loi du 25 juin 1928 stabilise la
24
valeur du F.
L’idée du gouvernement et de la Banque de France était de stabiliser la monnaie à 120 francs
pour 1£ et de restaurer la convertibilité en or (objectif presque atteint donc). Plutôt qu’une
politique de revalorisation longue et coûteuse (les problèmes de la Grande-Bretagne ayant choisi
cette solution pour ramener la convertibilité de la livre en or en faisaient un modèle-repoussoir),
on fit le choix de la dévaluation. On attendit cependant la victoire électorale de Poincaré aux
élections de 1928. Le franc Poincaré fut alors mis en place. Il valait 1/5 e du franc germinal. Cette
dévaluation permit la conquête de marchés extérieurs, mais mit fin à l’illusion d'un retour à la
Belle Époque.
• 1945-1974
Bien que souvent utilisée pour décrire la situation des économies occidentales durant les trente
années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l’expression « Trente Glorieuses » a été
inventée par Jean Fourastié par référence au cas français. C’est donc l’étude de ce pays qui
permet le mieux d’en saisir le sens et la portée. Depuis plus de vingt ans, l’accumulation des
25
difficultés économiques a été telle que l’évocation des Trente Glorieuses, telle celle d’un âge
d’or, a sans doute de quoi faire rêver. Mais l’expression évocatrice, mais en même temps qu’elle
déforme la réalité. Si les Trente Glorieuses ont effectivement vu la France passer de l’état de
pays semi-industrialisé, en relative léthargie, à celui de pays moderne vite confronté aux
mutations liées à l’ère post-industrielle, elles ont été également marquées par des incertitudes
et des déséquilibres chroniques. Il faut donc se garder de percevoir cette période de manière
triomphaliste et nostalgique, en feignant d’oublier les problèmes qui émaillèrent son histoire.
La France de 1946 et la France de 1975 (Source : d’après J. Fourastié, Les Trente Glorieuses,
Livre de Poche, 1979, p.36.)
1946 1975
Population totale 40,5 52,6
(millions)
Population active 20,5 21,8
(millions)
Rapport inactifs/actifs 0,98 1, 41
Nombre d’adolescents de 650 4 000
plus de 14 ans
poursuivant des études
(milliers)
Durée hebdomadaire 42 37,5
moyenne du travail
(heures, pour 50
semaines)
Nombre de logements 450 4 000
construits au cours des 7
années
précédentes (milliers)
Nombre de voitures 1 000 15 300
particulières en
circulation (milliers)
Durée de vie moyenne 61,9 69,1
des hommes (années)
Durée de vie moyenne 67,4 77
des femmes (années)
Revenu national réel 87 320
moyen par tête (1938 =
indice 100)
26
→ Sur la base de son territoire actuel, la France comptait 39,6 millions d’habitants en 1941, soit
sensiblement le même nombre qu’en 1881 (39,2 millions) et seulement 4,5 millions d’habitants
de plus qu’un siècle plus tôt. En l’espace de trente ans, de 1941 à1971, la France s’est accrue de
11,6 millions de personnes, soit, en chiffres absolus, autant qu’entre 1791 et 1941.
Même s’il est difficile d’évaluer avec précision les retombées de cet accroissement
démographique exceptionnel, il a constitué un puissant facteur de croissance économique. Les
demandes de biens de consommation adressées à l’appareil productif, tant individuelles que
collectives, se sont accrues. L’augmentation de la population active disponible pour l’activité a
permis de pourvoir aux emplois suscités par les nouvelles demandes et la diversification des
activités. Plus net dans le secteur tertiaire (1,9 million d’emplois supplémentaires dans les
services marchands entre 1955 et 1970, 0,6 million dans les services non marchands), ce
phénomène a touché également l’industrie (+ 650 000 emplois). L’économie a bénéficié de
l’effet général du rajeunissement de la population, porteur de projets à long terme, facteur de
renouvellement des forces vives du pays et des besoins. Ce dynamisme démographique fut
toutefois insuffisant, du fait des décalages chronologiques, par rapport aux besoins en main
d’œuvre de l’après-guerre.
Dès 1945, la France dut organiser une politique d’accueil, avec la mise en place de l’Office
National de l’Immigration. De 1946 à 1954, 325 000 entrées officielles de travailleurs immigrés
sont enregistrées, elles s’élèvent à 1 150 000 entre 1954 et 1962, 420 000 entre 1963 et 1965,
631 000 entre 1972 et 1975.
→ Une meilleure perception des enjeux économiques, une nouvelle manière de définir des
objectifs et de prévoir des moyens appropriés sont apparues à partir de 1945. Les Trente
Glorieuses, coïncident chronologiquement avec ce qui est considéré aujourd’hui, avec le recul,
27
comme 1’âge d’or — du Ier au Ve Plan — de la planification française. Créée par le décret du 3
janvier 1946, celle-ci a conservé dans notre pays un caractère indicatif, c’est-à-dire
essentiellement une mission d’orientation et d’encadrement, non d’intervention directe, de
l’effort d’équipement et de modernisation entrepris par la Nation. Disposant de moyens humains
et financiers propres mais limités, quelques dizaines de fonctionnaires, elle a joué un rôle
incitatif et prévisionnel à l’égard de l’activité économique. Les premiers plans français, dominés
par les personnalités de deux de ses Commissaires généraux, Jean Monnet (de 1946 à 1952) et
Pierre Massé (de 1959 à 1966), ont permis de définir des priorités, de dégager les lignes
directrices du développement économique futur et de mieux coordonner les décisions politiques.
Ces plans ont surtout permis de communiquer un esprit nouveau, favorable à l’idée de
modernisation, et surtout d’y faire adhérer la population.
Le Ie Plan (1947-1953, ou Plan Monnet) fut destiné à lutter contre les situations de crise et de
pénurie liées aux désordres dont souffrait l’économie française au lendemain de la guerre. Plan
de modernisation et d’équipement, il eut pour objectifs l’élévation du niveau de vie de la
population, l’amélioration des conditions de l’habitat et de la vie collective, la reconstitution des
outillages et des équipements publics et privés endommagés ou détruits pendant la guerre.
Affectés d’objectifs quantitatifs de production, six secteurs prioritaires furent retenus : charbon,
électricité, ciment, machines agricoles, transports, sidérurgie. Ce plan avait but de favoriser les
consommations intermédiaires indispensables à l’appareil de production et de reconstituer les
industries de base.
Le IIe Plan (1954-1957) a comporté à la fois des objectifs quantitatifs et des objectifs de
développement (équilibres économiques généraux, organisation des marchés, développement
des industries de biens de consommation). L’accent fut mis sur les notions de productivité, de
qualité des produits, de formation et de reconversion professionnelle ainsi que sur l’effort de
recherche scientifique et technique. Les investissements collectifs (logements, écoles, hôpitaux)
furent multipliés. Les objectifs prévus (+ 25 % de produit national, + 30 % de production
industrielle) furent dépassés.
Le IIIe Plan (1957-1961), le dernier à être qualifié de modernisation et d’équipement, eut comme
objectifs la recherche d’une forte croissance dans le cadre de l’ouverture européenne, le
rééquilibrage de la balance des paiements et la stabilité monétaire ainsi que l’insertion
professionnelle des jeunes. Son application fut rapidement contrariée par la situation politique et
financière délicate des débuts de la IVe République (plan de rigueur, dévaluation du F, création
du nouveau franc, guerre d’Algérie). Un plan intérimaire (1960-1961) le remplaça avec un
objectif de forte croissance économique. À partir de 1962, donnant lieu désormais à un vote du
Parlement, la planification reçut pour mission l’orientation de l’expansion économique et du
progrès social. Elle se fit plus indicative que par le passé, plus macro-économique aussi, tout en
devenant, selon la fameuse expression du général de Gaulle, « 1’ardente obligation de la Nation.
Le IVe Plan de développement économique et social (1962-1965) a eu pour priorités les
équipements collectifs (Éducation nationale, santé, logement), le développement régional
(actions en faveur des régions en retard), l’aménagement du territoire, la recherche d’un
meilleur partage des fruits de la croissance (objectifs d’évolution du SMIG et des prestations
sociales).
Le Ve Plan de développement économique et social (1966-1970) a été centré sur la compétitivité
des entreprises afin de garantir l’indépendance nationale et l’avenir de l’expansion. La priorité
est alors allée au renforcement des structures industrielles (constitution de groupes de taille
internationale, les fers de lance.) et au développement des secteurs de pointe (ex. :
l’aéronautique). Des normes indicatives sont apparues concernant la progression des prix et
celle des salaires.
Le VIe Plan de développement économique et social (1971-1975), le dernier avant que la
planification ne souffre d’un moindre intérêt du fait de l’entrée dans une période de crise
économique, fut orienté autour de la recherche d’une croissance rapide et compétitive face à la
concurrence internationale, la priorité au développement industriel et l’amélioration du cadre de
vie.
Pierre Massé (Le Plan ou l’Anti-hasard, 1965) a donné un vibrant plaidoyer en faveur de la
planification française, montrant au passage l’étendue de ses avantages. Sorte de troisième
voie, entre la régulation par le marché et la régulation autoritaire pratiquée alors dans les pays
de l’Est, cette planification souple est parvenue à concilier l’attachement à la liberté et à
l’initiative individuelle avec l’acceptation entre les différents partenaires économiques d’une
orientation commune de développement. Ces avantages ont été nombreux. Elle a apporté une
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conscience du développement, à un moment où les facteurs initiaux de celui-ci (aide américaine,
excédents de main-d’œuvre, faiblesse des salaires) risquaient de s’essouffler et où il fallait
maintenir l’idéal de la croissance dans la conscience collective. Elle a accru le degré de
cohérence des décisions de l’État, en facilitant les arbitrages budgétaires, en permettant de
résoudre plus facilement certains problèmes techniques, notamment en matière de tarification
publique (EDF, SNCF), en faisant mieux percevoir les conséquences néfastes à long terme de
certaines décisions prises dans l’urgence, tel le blocage des prix. Elle a permis, plus
efficacement que ne l’auraient fait les seuls mécanismes de marché, d’orienter les décisions des
entreprises publiques et privées. Cela a été net pour les investissements à très long terme. Les
investissements collectifs (complexes sidérurgiques, canaux, tunnels...), pour lesquels les
indicateurs de rareté que constituent les prix n’existent pas, en ont été facilités. La planification
a constitué une sorte d’étude de marché géante utilisable par les entreprises, réduisant d’autant
l’incertitude relative à l’évolution future des débouchés.
Moins connues que le Commissariat général du Plan, les Commissions de Modernisation du Plan
et les Missions de Productivité, ont renforcé l’efficacité de la planification. Constituées de chefs
d’entreprise, de cadres et d’ouvriers, les secondes ont permis aux Français d’aller découvrir sur
place, à partir de 1949, les méthodes utilisées dans les usines américaines. Robert Boyer voit
dans l’industrie française l’une des meilleures copies du fordisme. Les premières ont
puissamment contribué à diffuser et à faire partager entre les milieux de la haute fonction
publique, du patronat et des syndicats, les impératifs de modernisation et d’élévation de la
productivité.
→ Entre 1945 et 1974, la France a entrepris de profondes réformes de structures, pas seulement
durant les années de la Libération. Dans l’immédiat après-guerre, certaines mesures ont
concerné directement l’appareil de production. En premier lieu, il s’agit bien évidemment des
nationalisations des années 1945 et suivantes (charbonnages, gaz et électricité, banques,
assurances, transports). Celles-ci ont facilité l’effort d’équipement et de modernisation dans des
secteurs bénéficiant par ailleurs d’importants investissements publics. À cet égard, le rôle de
l’aide Marshall semble avoir été déterminant. Entre 1948 et 1952, la France a reçu des États-
Unis plus de 2,6 milliards de $, permettant, entre autres, le financement de plus du tiers des
investissements d’EDF, de 60 % de ceux des Charbonnages de France. Denis Woronoff (Histoire
de l’industrie en France, 1994) estime que le Plan Marshall a été l’irremplaçable démarreur de
l’investissement, pour les deux secteurs précédents comme dans la sidérurgie. Les années 1960
ont été marquées, elles aussi, par un puissant mouvement de réformes. Tous les grands
secteurs de l’activité ont été concernés: l’agriculture (loi d’orientation de 1960), l’industrie
(renforcement ou constitution de grands groupes français entre 1965 et 1971 : Pechiney Ugine-
Kuhlmann, Creusot-Loire, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Aérospatiale, Elf-Erap), la banque
(décrets de 1966-1967, cf. chap. III; constitution de la Banque Nationale de Paris), l’assurance
(regroupement des compagnies nationalisées au sein des Assurances Générales de France, du
Groupe des Assurances Nationales ou de l’Union des Assurances à Paris).
Certaines réformes n’ont pas visé directement l’appareil de production mais elles ont fortement
contribué à l’apparition ou au maintien d’un climat social favorable à la croissance, du moins à
préserver la cohésion sociale quand celle-ci était menacée. Ce fut le cas de la création de la
Sécurité sociale (ordonnance d’octobre 1945), de celle des comités d’entreprise (ordonnance de
février 1945), plus tard de la création du salaire minimum (SMIG, 1950, devenu le SMIC en
1970), de l’introduction de la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises
(ordonnance de 1967) ou de l’instauration des sections syndicales d’entreprise (loi de décembre
1968). En relation avec les nationalisations, il faut rappeler la dimension sociale d’une
expérience comme celle de la Régie Renault. Souvent considérée comme une sorte de
laboratoire de la politique sociale française, la Régie a été durant les « Trente Glorieuses » à
l’origine de nombreuses avancées importantes, comme l’extension de la durée des congés
payés (accord de 1955 sur les trois semaines, de 1962 sur les quatre semaines), l’augmentation
des salaires, l’amélioration des conditions de travail. Renault a également été une des premières
grandes entreprises à participer à la politique d’aménagement du territoire en multipliant, à
partir des années 1950, ses implantations en province (Le Mans, Caen, Flins, Cléon,
Sandouville,...).
→ La France a pris part, dès ses débuts, à la construction européenne en y jouant un rôle
fondateur et actif. Elle a fait partie de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier
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(CECA) dès 1951, après l’appel historique lancé le 9 mai 1950 par Robert Schuman, et de la
Communauté Économique Européenne (CEE) dès 1957. Au cours des « Trente glorieuses », le
commerce extérieur en a été profondément et durablement modifié, de même que la
croissance.
L’une des tendances les plus connues concerne l’accroissement du degré d’ouverture du pays
aux échanges internationaux. Celui-ci s’est sensiblement accru en cours de période. Entre 1951
et 1955, le montant des exportations était égal à 11,6 % de celui du PIB, il fut de 12,4 % entre
1956 et 1960, 13,3 % entre 1961 et 1968 et 15,6 % entre 1969 et 1973 (16,9 % en 1974,
environ 23 % aujourd’hui). Du côté des importations, le rapport correspondant est passé pour les
mêmes périodes de 10,4 % à 11,4 %, puis 12,5 % et 15,2 % (19,6 % en 1974, environ 22 %
actuellement). Cette tendance apparente à l’accroissement de l’ouverture extérieure ne
constitue en réalité pour l’essentiel qu’un phénomène de rattrapage après la profonde crise des
échanges extérieurs français durant les années 1930 et l’immédiat après-guerre.
En $ constants, le commerce extérieur français s’élevait à 3 milliards en 1913 et à 4,3 milliards
en 1929. Il n’était plus que de 1,8 milliard en 1946 et de 3,6 milliards en 1950. Le phénomène
majeur a surtout été la réorientation géographique des échanges. Après avoir pratiqué une
politique de repli en direction de son Empire colonial durant ces périodes de difficulté, à partir du
début des années 1950 la France a reporté ses échanges extérieurs en direction de ses
partenaires de la CECA et de la CEE. En 1952, 20 % des importations françaises provenaient des
pays de la Communauté européenne; cette proportion a atteint 49 % en 1969 et 48 % en 1974.
Aux mêmes dates, respectivement, les exportations françaises destinées à ces pays ont
représenté 24 %, 43 % puis 54 % du total de nos ventes à l’étranger. En 1994, à l’égard de
l’Union européenne à 12 ces rapports sont tous deux de l’ordre de 60 %. Ce sont ces chiffres qui
traduisent sans doute le mieux l’impact de la construction européenne sur nos échanges
extérieurs.
Les retombées de cette nouvelle structure des échanges sont difficiles à mesurer avec précision
vu la diversité des facteurs de la croissance. La théorie économique des unions douanières et
autres formes d’intégration économique régionale (J. Viner) aide cependant à mieux comprendre
la nature des mécanismes de transmission susceptibles de s’établir entre la croissance des
échanges extérieurs à la croissance économique.
5. Le Japon
À la fin des années 1960, le monde se découvre, derrière les États-Unis et l’U.R.S.S., un
troisième Grand (R. Guillain). Il n’y a pas grand-chose à dire sur la Japon avant ce décollage
économique, particulièrement tardif. En 1968, le PNB japonais dépasse pour la première fois
celui de la R.F.A. Cette situation est l’aboutissement d’une marche au développement
économique commencée un siècle auparavant, après une première irruption remarquée sur la
scène économique internationale au moment de la Première Guerre mondiale. Le décollage
économique du Japon est donc rapide, mais pas tout à fait inattendu. Comme dans le cas de
l’Allemagne, il y a peut-être quelque exagération à reprendre l’expression, courante à l’époque,
de miracle économique. Les performances économiques japonaises réalisées entre 1950 et 1974
ne peuvent cependant laisser indifférent. La croissance annuelle moyenne est d’environ 10 %
contre 4,5 % de 1926 à 1939. Compte tenu de la situation du pays en 1945 (la bombe
atomique…), l’effort de relèvement a été exceptionnel.
En 1945, le Japon est vaincu aussi bien militairement et diplomatiquement, en capitulant et en
perdant toutes ses possessions extérieures, qu’économiquement au regard de l’ampleur des
destructions matérielles qu’il a eues à subir, dont deux villes détruites par l’arme atomique.
C’est également un pays menacé par le surpeuplement et l’inflation (plus de 300 %
d’augmentation des prix en 1945-1946). Le Japon va pourtant relever rapidement et brillamment
tous ces défis. La politique d’expansionnisme militaire des années 1930 fait place à une
recherche de puissance fondée sur la modernisation et la prospérité économiques.
Le véritable redémarrage de l’économie n’intervient qu’à partir de 1950. Dès 1954, le niveau de
production industrielle de 1939 est retrouvé et à partir de 1955, jusqu’en 1960, le Japon connaît
sa première phase de haute de croissance (Jimmu boom). Une seconde phase de croissance
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accélérée se produit entre 1965 et 1970 (Jzanagi boom). Comme en Allemagne, le rôle des
Américains a été, ici entre 1945 et 1951, absolument décisif. Ils incitent les Japonais à effectuer
les réformes de structures nécessaires au relèvement de leur pays afin d’endiguer les progrès,
alors rapides, du communisme en Extrême-Orient.
Sous l’égide du SCAP (Supreme Command for the Allied Powers) et sous l’autorité du général
Mac Arthur, les Américains obtiennent tous les pouvoirs sur le pays en 1945. Sur le plan
économique, ils imposent de profondes réformes. La réforme agraire de 1946 favorise le partage
de la terre entre les paysans, surtout entre exploitants et propriétaires fonciers, et réduit la taille
moyenne des exploitations. La même année, certains zaibatsus sont démantelés, notamment
des holdings familiaux (Mitsui, Mitsubishi). Ces mesures n’empêcheront pas, vers le milieu des
années 1950, leur reconstitution sous forme de puissants groupes financiers aux participations
croisées. En décembre 1948, le plan Dodge japonais impose des mesures de lutte contre
l’inflation et la dévaluation du yen. La parité officielle de ce dernier est fixée à 1 $ = 360 yens.
Elle demeurera jusqu’en 1971. Sur le plan démographique, la loi eugénique de 1948 combat la
surnatalité par l’autorisation de la pratique de l’avortement et des stérilisations. Le Japon profite
également au début des années 1950, et plus tard, de la présence américaine en Asie (guerres
de Corée et du Vietnam) : de nombreuses commandes militaires et paramilitaires sont adressées
à ses usines.
En dehors de l’appui américain, des facteurs spécifiquement nationaux vont également favoriser
la très forte croissance japonaise des années 1950-1975.
Moins visible que par le passé, l’action de l’État demeure omniprésente. Elle prend parfois des
formes classiques comme le protectionnisme — contingentements d’importations, tarifs
douaniers élevés — la politique monétaire, la politique industrielle. Une planification indicative
est lancée à partir de 1951 mais son domaine d’intervention est difficile à distinguer de celui du
MITI. Les investissements directs étrangers sont étroitement contrôlés. La politique industrielle
est l’œuvre du puissant MITI (Ministry of Industrial Trade and Industry), créé en 1949. Son rôle
est essentiel, aussi bien dans le démarrage de secteurs nouveaux, par exemple celui de la
pétrochimie, que dans la mise en place des nouvelles structures industrielles, la définition des
règles nationales de concurrence, la constitution de montages financiers permettant l’apparition
de nouveaux groupes industriels. Cette action est assortie de nombreux financements publics.
Ces derniers sont d’autant plus facilement accordés par le gouvernement que les dépenses de
défense sont insignifiantes du fait du désarmement du pays. Le secteur bancaire, avec l’aval de
la banque centrale, joue un rôle complémentaire en distribuant généreusement les crédits aux
entreprises; ceux-ci sont d’autant plus indispensables que l’autofinancement est généralement
faible. Pour cela, les banques peuvent mobiliser l’épargne très abondante d’une population
obligée de mettre de l’argent de côté pour pallier l’insuffisance de la protection sociale. Le
financement d’origine bancaire est également facilité par les relations directes qui se nouent
entre les grandes banques d’affaires japonaises (Dai-Ichi, Fuji, Sanwa) et les grands groupes
industriels. En dépit de la forte inflation qui s’est manifestée au Japon dans l’après-guerre et
compte tenu du dynamisme économique du pays, le yen a rapidement fait figure de monnaie
sous-évaluée, ce dont ont très largement bénéficié les exportations japonaises jusqu’au début
des années 1970. Les accords monétaires de décembre 1971 ont conduit à une première
réévaluation du yen.
L’intervention de l’État dans l’économie au Japon ne saurait être comparée à aucune autre tant
les liens qui unissent les milieux politiques et le patronat (keidanren) sont étroits. Certains
scandales intervenus au Japon (en 1976, le Premier ministre est impliqué dans l’affaire Lockheed
; en 1988-1989, la révélation du délit d’initié de l’affaire Recruit-Cosmos provoque des
démissions en cascade dans la classe politique) ont révélé l’existence d’une véritable symbiose
entre ces deux milieux, avec des tentatives de corruption, de trafics d’influence, de
détournements de fonds publics.
L’affaire Lockheed est un scandale politico-financier qui a éclaté au Japon en 1976. Il s’agissait
d’une affaire de corruption des élites nipponnes, mêlant organisation criminelle et milieu des
affaires japonais, à la CIA. Y étaient notamment mêlés, le premier ministre de l’époque Kakuei
Tanaka qui a alors quitté ses fonctions, et Yoshio Kodama célèbre parrain de la mafia japonaise.
En fait, ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Le témoignage qui suit décrit les pratiques qui
avaient déjà cours dans les années 1950-1960 :
« A côté du plan officiel, il y a la planification officieuse, définie comme un processus de
discussion permanente de l’appareil gouvernemental et des grandes affaires. C’est un processus
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d’information et d’influences mutuelles. En échange de sa protection, l’État exige une
information incroyablement détaillée. […] Entre secteur privé et administration, il n’y a guère de
secret industriel ni de secret bancaire : la confiance règne ! Toutes les décisions importantes ne
sont prises qu’après que les comités mixtes patronat-administration ont dégagé une vue
unanime du problème considéré. Les bureaux du MITI sont véritablement doublés d’une
structure parallèle de commissions et groupes de travail, où se fait la véritable planification
industrielle ».
Christian Sautter, Japon. Le prix de la puissance, 1973.
La consommation des ménages fait aussi partie des moteurs de la croissance d’après 1950.
Comme les Européens, les Japonais se sont inspirés du mode de vie américain et sont entrés de
plain-pied dans la société de consommation. Cependant, compte tenu de l’importance de
l’épargne, elle s’élève à plus de 20 % du revenu disponible dans les années 1960, son rôle ne
doit pas être exagéré en comparaison de celui de l’investissement et des exportations. Les taux
d’investissement japonais constituent des records dans le monde occidental : 30 % du PNB dans
les années 1950, 40 % au cours de la décennie suivante. En apparence, les exportations ne
semblent pas très importantes. À l’époque du miracle, elles ne représentaient pas plus de 10 %
du PNB. Cette donnée rend imparfaitement compte du formidable dynamisme commercial dont
a fait preuve l’appareil productif japonais et l’organisation générale du commerce extérieur.
Chaque groupe industriel important possède une maison de commerce intégrée (sogo-shosha).
Cette dernière, tout en gérant les relations avec les sous-traitants, a une fonction de marketing
international visant à prospecter systématiquement les marchés étrangers. Les marques
japonaises deviennent connues des consommateurs du monde entier : Suzuki, Honda, Ioshiba,
Hitachi, Toyota, Sony,...
L’intervention de l’État et la politique des grandes firmes ne seraient rien sans les qualités du
peuple japonais. Paraphrasant Jean Bodin, il est exact de dire que la première richesse du Japon,
ce sont les hommes. Ce peuple, grâce à son système éducatif et à sa curiosité naturelle, est l’un
des plus qualifiés et des mieux informés de la terre. L’individu ne se comprend que par rapport
au groupe mais cela a favorisé dans le tempérament japonais l’acceptation des normes
collectives, l’aptitude à s’adapter, la soumission aux exigences collectives. Inscrites dans les
valeurs traditionnelles de la société japonaise, ces qualités ont été mises à profit par les
entreprises. De nombreux spécialistes du Japon estiment que le succès économique de ce pays
tient surtout à un mariage particulièrement réussi entre tradition et modernité. Le
cloisonnement du salariat japonais est sans doute un des facteurs qui, outre un relatif isolement
culturel des masses en face des grands courants idéologiques mondiaux, expliquent la faiblesse
du socialisme japonais d’avant-guerre. Mais il est, lui aussi, en étroite relation avec la survivance
du système des castes et de l’étroit cloisonnement social dont il était l’instrument. Aujourd’hui
encore, chacun a un statut, une position sociale, qui correspond à un rôle précis et à des
prérogatives fixées dans un ensemble hiérarchisé. Chaque position a des honbun, des
restrictions conventionnelles destinées à définir avec précision un rôle social, à distinguer ce qui
est permis au directeur et inaccessible au contremaître, caractéristique de l’étudiant, mais non
pas de l’employé (Hubert Brochier, Le Miracle économique japonais, 1970).
Les succès du Japon d’après 1950 doivent cependant être relativisés, car le miracle économique
présente aussi ses revers.
Les commentaires sur le Japon moderne insistent sur le degré de concentration de l’appareil de
production, la réussite des grands groupes industriels. La conséquence de ce mouvement a été
le renforcement du dualisme industriel qui s’observe entre les grandes entreprises, réalisant de
gros investissements, capables de poursuivre une stratégie internationale, proches du pouvoir
politique, et les petites entreprises, souvent réduites au rôle de sous-traitantes, versant de
faibles salaires et soumises aux fluctuations économiques. Cette situation présente l’avantage
de préserver les premières des aléas de la conjoncture mais elle a créé une société à deux
vitesses, traversée par de profondes inégalités sociales. Ces dernières se font d’autant plus
ressentir que la protection sociale est peu développée. Comme les autres pays occidentaux, le
Japon a connu des mouvements de protestation importants (grave révolte étudiante en 1968-
1969). Le commerce extérieur est un des domaines dans lesquels le Japon excelle. Exportateur
de produits manufacturés à haute valeur ajoutée, importateur de produits primaires et de
matières premières, il semble disposer d’une spécialisation internationale des plus
avantageuses. Des événements tels que les deux chocs pétroliers ou la guerre du Golfe de
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1990-1991 ont révélé l’une des grandes faiblesses de l’économie japonaise: sa dépendance à
l’égard des approvisionnements extérieurs. C’est ainsi que le Japon importe près de 100 % du
pétrole et du minerai de fer qu’il utilise. Jusqu’en 1973, il est vrai que ce danger a été plus
potentiel que réel; par la suite, le pays a démontré une aptitude certaine à surmonter des
contraintes venues de l’extérieur. Champion de la croissance économique durant la période
étudiée, le Japon a été aussi le premier, du fait de risques trop longtemps ignorés ou négligés, à
éprouver les méfaits d’une urbanisation incontrôlée (que révèlent les fréquentes secousses
sismiques) et à subir les risques liés à un environnement insuffisamment respecté et protégé. En
1956, la maladie de Minamata, due au mercure, frappe des pêcheurs. C’est une des premières
grandes catastrophes écologiques d’origine économique du monde moderne. À l’heure où la
réussite des nouveaux pays industrialisés d’Asie du Sud-Est attire l’attention, l’expérience
passée du Japon est sans doute de nature à mieux faire entrevoir non seulement leurs marges
de développement économique futur mais aussi les limites de ce que l’on a continué d’appeler,
jusqu’au début de la présente décennie, une croissance à la japonaise.