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Dossier de TD n° 8
La crise économique actuelle
2) Bulletin du FMI, Décembre 2009. « Europe : une reprise à vitesses multiples », entretien avec
M. Belka, Directeur du département Europe du FMI.
Trimestres Années
2008 2009 2010 2008 2009 2010
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4
Prix du pétrole en $ 1 96,8 122 114,7 54,8 44,3 58,8 68,0 75,0 80,0 80,0 80,0 80,0 97,0 61,5 80,0
Matières premières
industrielles en $ 2 15,2 5,4 -6,6 -30,3 -7,6 10,5 17,1 5,4 1,0 2,0 0,5 0,5 5,4 -26,2 17,8
Taux de change 1
1 euro = … $ 1,50 1,56 1,50 1,32 1,30 1,36 1,43 1,40 1,37 1,33 1,30 1,30 1,47 1,37 1,32
1 $ = … yen 105 105 108 96 94 97 94 95 100 100 100 100 103 95 100
1 £ = … euro 1,32 1,26 1,26 1,19 1,10 1,14 1,15 1,12 1,14 1,15 1,16 1,18 1,26 1,13 1,16
Prix à la consommation 3
États-Unis 4,2 4,3 5,2 1,5 -0,2 -0,9 -1,6 1,1 2,1 2,1 1,7 1,5 3,8 -0,4 1,1
Japon 1,0 1,4 2,4 1,0 -0,1 -1,0 -2,1 -1,3 -0,8 -0,5 -0,2 -0,2 1,4 -1,1 -0,4
Zone euro 3,4 3,6 3,8 2,3 1,0 0,2 -0,3 0,5 1,0 1,1 1,3 1,2 3,3 0,3 1,2
Royaume-Uni 2,4 3,3 4,9 3,9 3,0 2,1 1,2 0,8 1,1 1,3 1,4 1,9 3,6 1,8 1,4
L’EUROPE EN 2010
• Une relance modérée restera nécessaire en 2010 jusqu’à ce que la reprise s’affermisse
• La prudence budgétaire, un atout essentiel pour se prémunir contre la crise
• Le coût global de la crise est sans doute moins lourd en Europe du fait de la
protection de l’emploi, mais la reprise n’en sera peut-être que plus lente
Selon Marek Belka, Directeur du Département Europe du FMI, en 2010 les pays européens
ne s’affranchiront pas tous de la crise économique mondiale au même rythme, et le marché
de l’emploi ne se redressera que progressivement.
En cette fin de 2009, Marek Belka souligne combien chaque pays européen a réagi
différemment à la crise mondiale. Si l’effondrement des échanges et des flux de capitaux
ne s’est pas manifesté partout avec la même intensité, cela s’explique davantage par le
degré d’ouverture des économies et la qualité des politiques et institutions que par
l’emplacement géographique à l’est ou à l’ouest. Dans un entretien accordé au Bulletin du
FMI en ligne M. Belka rappelle que comme les pays sont partis de situations différentes, la
reprise ne s’opérera pas partout au même rythme.
Le Bulletin du FMI en ligne : 2009 aura été une année difficile pour l’Europe. Que
nous réserve 2010 ?
M. Belka : La crise qui a frappé l’Europe à la fin 2008 était sans précédent. Pour ce qui est
de l’avenir immédiat, la seule chose que nous puissions dire avec certitude est que 2010 ne
ressemblera en rien à 2009.
Nous nous trouvons en pleine reprise, une reprise qui n’est certes pas très robuste, mais
manifestement la situation s’améliore. Curieusement les marchés se montrent beaucoup
plus optimistes que nous face aux perspectives à court terme de l’Europe. Au FMI, nous
nous intéressons à la structure de la reprise, et nous y voyons plusieurs forces à l’œuvre :
celles qui animeront la reprise et celles qui risquent de la freiner. Autrement dit, nous
devons nous attendre à une année intéressante, dont l’issue dépendra pour beaucoup des
choix de politique économique.
En Europe, l’état de santé du secteur bancaire laisse encore à désirer, mais le moment est venu
de mettre fin aux mesures extraordinaires mise en place pour éviter l’effondrement du secteur
(comme par exemple les garanties généralisées) et de cibler les institutions en difficultés. Nous
savons que les problèmes se concentrent dans un petit nombre d’établissements, les
gouvernements doivent donc focaliser leur attention en conséquence. Ils doivent veiller à ce que
les banques aient suffisamment de fonds propres pour éponger les pertes sur prêts à venir et
accorder des crédits. Les banques en difficultés vont devoir soit mobiliser des fonds propres et
opérer une restructuration, soit se soumettre à un redressement.
Le Bulletin du FMI en ligne : Pour les nombreux travailleurs qui ont perdu leur emploi
quand la situation pourra-t-elle s’améliorer ?
Cela étant, la situation varie considérablement d’un pays à l’autre, et je ne parle pas
simplement des différences entre l’est et l’ouest. Si vous regardez les pays avancés d’Europe,
le taux de chômage n’a pratiquement pas bougé dans des pays comme l’Allemagne ou les
Pays-Bas, tandis qu’ailleurs, par exemple en Espagne, en Irlande et dans plusieurs pays
émergents, il est parti en hausse.
Autrement dit, les disparités sont considérables, en partie à cause du type de riposte à la crise,
et en partie en raison de la structure de l’économie. Pour les pays les plus durement touchés,
la situation se stabilisera, mais le redressement sera progressif à partir de 2010. Dans les pays
où le chômage n’a pas fortement augmenté, nous assisterons probablement à des gains
marginaux.
Le Bulletin du FMI en ligne : quels conseils donner aux gouvernements alors qu’ils
s’apprêtent à démanteler l’arsenal de mesures anticrise ?
M. Belka : Pour l’instant il convient de maintenir le cap des mesures d’accompagnement car
nous ne savons pas si la reprise sera robuste. Dès que la situation le permettra, 2011 pourra
marquer le début d’un rééquilibrage des finances publiques, et sur ce plan nous appuyons
pleinement la démarche de la Commission européenne. À l’évidence, certains pays devront
agir plus vite. La Grèce, l’Irlande et l’Espagne, par exemple, ne peuvent pas se permettre de
temporiser, mais la plupart d’entre eux font déjà ce qui est nécessaire. Plusieurs pays de
l’est —Serbie, Ukraine, Roumanie et Hongrie — ont déjà engagé le processus de
rééquilibrage.
Pour ce qui est du secteur financier, comme je le disais tantôt le moment est venu de renoncer
aux mesures d’envergure systémique et de cibler plutôt les établissements en difficultés.
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«La réglementation peut apparaître comme contraignante, mais si elle nous aide
à prévenir une crise, la contrainte est salutaire»
Toutes ces politiques sont calées sur un très faible taux d’inflation. Or l’inflation ne donne
aucun signe de montée, voire de rapprochement de la barre des 2 %, qui selon la BCE
correspond à la stabilité des prix. À notre avis, l’inflation restera proche de 1 % à court
terme, ne serait-ce que parce que les anticipations sont bien ancrées.
Le Bulletin du FMI en ligne : face à la crise les pays émergents d’Europe ont eu des
expériences très contrastées, depuis votre propre pays, la Pologne, qui a tout
simplement échappé à la récession, jusqu’à l’Ukraine, les trois pays baltes, la Roumanie
et la Hongrie qui ont accusé une grave contraction. Comment expliquer ces disparités ?
Par temps de crise, il est bon d’avoir une économie relativement grande et diversifiée. J’en
veux pour preuve la Pologne. Elle jouit non seulement d’un marché intérieur relativement
vaste, mais également d’un secteur des exportations diversifié. En fait, elle représente à elle
seule 40 % du PIB de la région; si vous ajoutez la République tchèque et la Slovaquie, deux
autres pays qui sont restés relativement stables, vous arrivez à 65 %. Autrement dit,
l’expérience de la Pologne face à la crise peut donner une meilleure idée de la riposte des
pays émergents d’Europe, à la différence, par exemple, de celle de la Lettonie.
Les pays dont la politique budgétaire n’était pas viable, comme la Hongrie et la Roumanie,
ont été les premiers à sombrer. Tandis que ceux qui avaient bien géré leur politique, comme
la Pologne mais surtout la République tchèque, ont maintenu une stabilité relative. Même si
les retombées de la crise ont été particulièrement dures, dans ces deux pays nous avons vu
très vite des signes de rebond sans déstabilisation apparente du secteur bancaire.
La qualité des institutions a également joué son rôle. Parmi les institutions les plus
importantes je citerai celles chargées de la supervision du secteur financier. Les pays dotés
d’un solide régime de supervision, comme la République tchèque, ont réussi à éviter les
asymétries excessives de taux de change. Le faible niveau des taux d’intérêt a également joué
car il n’incitait pas aux activités de portage. C’était également le cas de la Pologne, certes
dans une moindre mesure.
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Les régimes de change fixes ont été un atout de stabilité économique pour les trois pays
baltes et la Bulgarie, mais ils ont aussi encouragé des entrées excessives de capitaux.
Aujourd’hui, avec la crise, ces régimes fixes ont considérablement restreint la marge de
manœuvre des quatre pays. Bien entendu, le régime de change n’est qu’un des facteurs.
Certains des pays les plus durement touchés, dont l’Ukraine, la Hongrie et la Roumanie
avaient eux des régimes de change flottants. Je ne dirai donc pas — loin s’en faut — que le
régime de change est le facteur qui a le plus contribué à la crise. Les trois autres facteurs que
j’ai mentionnés ont sans doute joué un rôle plus important.
Le Bulletin du FMI en ligne : Les pays avancés d’Europe affichent aussi de grandes
disparités : l’Irlande, la Grande-Bretagne et la Grèce ont beaucoup de mal à se
remettre d’aplomb, tandis que d’autres pays ont déjà renoué avec la croissance. Quels
enseignements peut-on en tirer ?
M. Belka : La crise s’est d’abord manifestée par le truchement des échanges et elle n’a
épargné aucun pays. C’est ainsi que le PIB de l’Allemagne a reculé plus que celui d’autres
pays parfois considérés comme de mauvais élèves. Les chiffres ne donnent donc pas toute la
mesure de la complexité de la situation. L’économie allemande est un carrefour de l’économie
mondiale, ce qui explique pourquoi elle a été touchée la première lorsque les échanges se sont
effondrés. Le coup a été dur mais, dans le cas de l’Allemagne, il est passager.
Il y a deux autres catégories de pays. D’abord ceux qui présentent des déséquilibres
endogènes — principalement sous forme de bulles spéculatives de l’immobilier et des prix
des actifs. Lorsque la crise est survenue, ces bulles ont éclaté soudainement et l’économie a
pâti non seulement du repli des échanges mais aussi de l’effondrement des marchés
immobiliers. L’Irlande et l’Espagne en constituent deux bons exemples.
En fait ces deux pays ont commencé avec un niveau relativement faible d’endettement
public, aussi ont-ils pu réagir à la crise en mettant à profit la marge budgétaire qu’ils s’étaient
constituée en période faste. Bien entendu, tous deux ont été contraints de commencer à
rééquilibrer leurs finances. Dans une union monétaire un pays ne peut pas combattre la crise
à coups de dépréciations. Il doit reconstituer sa compétitivité par un ajustement des prix
industriels, ce qui, hélas, signifie souvent des baisses salariales. C’est ce que l’on observe
aujourd’hui dans de nombreux pays.
La troisième catégorie est celle que la Grèce incarne le plus clairement. Sa situation
budgétaire avant la crise était difficile, mais elle n’a pas souffert outre mesure en termes de
croissance. Tandis que l’Allemagne accusait une perte de PIB de près de 5 % en 2009, la
Grèce elle perdait à peine 1,5 %, ce qui pouvait initialement lui donner une apparence de
havre de stabilité.
Inutile de dire que les chiffres ne disent pas tout. Aujourd’hui la Grèce doit subir un
ajustement budgétaire particulièrement éprouvant, mais non pas vraiment à cause de la crise.
La crise a juste fait office de révélateur, mettant en évidence des problèmes accumulés depuis
des décennies. Nous risquons d’ailleurs de voir quelque chose de comparable dans d’autres
pays d’Europe.
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M. Belka : Il est fréquent d’entendre cette consigne : obéissons à la raison, mais pas tout de
suite ! Nous ne voulons pas nous immiscer par trop dans le fonctionnement du secteur financier;
le marché y joue un rôle important. Mais en substance les banques doivent accroître leurs fonds
propres et elles ont intérêt à ne pas trop attendre car aujourd’hui le loyer de l’argent est bas.
L’avenir ne leur sera peut-être pas aussi favorable.
Le Bulletin du FMI en ligne : Maintenant que la panique est passée, quels sont les
principaux enseignements à tirer de la crise ?
Autrement dit, les conjonctures favorables doivent aussi créer le réflexe de la prévoyance.
Mais il ne s’agit pas simplement d’accumuler des réserves, il faut créer des institutions
capables de résister aux assauts des crises, y compris dans le secteur financier.
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Face aux carences et aux imperfections des marchés financiers nous avons tiré de nombreux
enseignements. Il est tout à fait légitime de saisir l’occasion pour renforcer le dispositif
réglementaire et la supervision. Je craints toutefois que certaines leçons ne soient pas
retenues. Les gouvernements ont tellement bien réussi à prévenir une véritable catastrophe
que d’aucuns risquent d’oublier tout simplement la réalité des faits.
La crise d'aujourd'hui est en fait des plus classiques: elle s'explique par l'inefficience des
mécanismes de marché pour réguler la finance. L'analyse et les propositions d'André
Orléan, directeur de recherches au CNRS et directeur d'études à l'EHESS.
La crise actuelle est spécifique par son ampleur, mais peut-on dire qu'elle est spécifique
dans ses causes?
Non. Ce qui me frappe, au contraire, c'est son caractère tout à fait classique. Elle trouve son
origine dans une bulle immobilière associée à une bulle du crédit: une configuration souvent
observée dans le passé et dont on sait qu'elle est très perturbatrice. Les mécanismes de base
en sont bien connus: l'augmentation du prix de l'immobilier, parce qu'elle provoque une sous-
estimation du risque hypothécaire, favorise le crédit, ce qui stimule en retour la demande de
logement et nourrit puissamment la hausse des prix.
Nullement. L'enjeu, pour un investisseur, consiste à prévoir les prix futurs. C'est cela qui importe
pour lui et non pas ce qu'il pense du niveau des vraies valeurs. S'il anticipe que le marché va
monter, il achète. S'il estime qu'il va baisser, il vend, indépendamment de sa propre conviction
sur la surévaluation ou la sous-évaluation des actifs. Ce comportement mimétique qui consiste à
s'aligner sur l'opinion moyenne est parfaitement rationnel individuellement, mais peut se révéler
désastreux collectivement puisqu'il provoque des bulles, et que ces bulles finissent par éclater.
Même l'acteur qui a parfaitement identifié une bulle a intérêt à la suivre tant qu'il ne prévoit pas
le déclenchement imminent du krach. Le marché est donc intrinsèquement inefficient puisque le
jugement de chacun n'engendre pas un optimum collectif, comme le voudrait la théorie libérale.
Loin d'insister sur la nature classique de la crise, les analystes mettent plutôt l'accent sur ce qui
est propre à la situation financière de ce début du XXIe siècle, comme par exemple la
titrisation...
Cette manière d'appréhender la crise me semble inappropriée car elle perd de vue l'essentiel, à
savoir l'origine des déséquilibres. Elle se trouve dans l'instabilité propre aux marchés d'actifs. Il
est dans leur nature de produire des évolutions de prix excessives. Telle est la source du mal.
On n'a d'ailleurs pas attendu l'invention de la titrisation pour connaître des bulles financières!
Notons que notre hypothèse d'instabilité explique aussi bien l'excès baissier que l'excès
haussier. Quand les prix baissent, la chute des rendements, loin de faire repartir la demande
comme le voudrait l'hypothèse d'efficience financière, provoque un mouvement de fuite des
investisseurs qui accentue encore la pression baissière. Seule l'intervention d'acteurs extérieurs
à la finance, à savoir la puissance publique, a pu stopper la chute vertigineuse des prix, preuve
manifeste de l'incapacité du système financier à s'autoréguler.
Est-ce à dire que le contexte financier contemporain, par exemple la titrisation ou les
insuffisances des agences de notation, n'a joué aucun rôle?
Il est un aspect crucial de la crise des subprime qui nécessite, pour être élucidé, qu'il soit tenu
compte du contexte institutionnel: son intensité. En effet, ce double mécanisme de bulle
immobilière et de bulle du crédit ne produit pas nécessairement une dévastation planétaire. Il
aurait pu conduire à une crise localisée sur le seul marché immobilier des Etats-Unis. S'il en a
été autrement, cela tient à l'interconnexion générale des marchés financiers, produit de la
libéralisation des trente dernières années. Celle-ci a homogénéisé le comportement de tous les
acteurs, faisant en sorte que banques et investisseurs adoptent des stratégies de plus en plus
similaires; d'où la diffusion généralisée des crédits subprime et des produits structurés.
Or on sait depuis Darwin que la capacité d'adaptation d'une espèce dépend de la diversité de
son patrimoine génétique. Lorsque tous les individus sont identiques, ils peuvent tous périr suite
au même choc. En l'occurrence, l'interconnexion généralisée des marchés et le jeu de la
concurrence ont créé une situation où tous les acteurs avaient en quelque sorte le même
patrimoine génétique! Résultat: quand la bulle des subprime a éclaté, elle n'est pas restée
cantonnée à quelques acteurs spécialisés sur le marché du crédit immobilier étatsunien, mais
elle a touché toute la finance mondiale sans que quiconque n'ait développé des stratégies
immunisantes. Tous sont morts ou presque.
Pour résumer, la crise s'explique par l'inefficience des mécanismes de marché pour réguler la
finance, inefficience dont les conséquences sont aggravées par la mondialisation et la
libéralisation financière de ces dernières décennies...
Evidemment, mais ils sont eux-mêmes un produit de la concurrence financière qui incite ces
agents, ces institutions à adopter les comportements qu'on leur reproche aujourd'hui, des
comportements qui ne sont pas exogènes au fonctionnement des marchés.
On peut donner deux exemples. Prenons tout d'abord le cas des agences de notation. Pourquoi
n'ont-elles pas bien noté les produits structurés? La réponse donnée aujourd'hui consiste à dire
qu'il y aurait eu un conflit d'intérêts: puisque les offreurs de produits structurés payaient la
notation, les agences étaient incitées à minimiser les risques. Cela n'est pas faux, mais le
problème est bien plus profond! Le véritable enjeu tient à la nature même de l'évaluation
financière. Dans le cas de la bulle immobilière, par exemple, la question est de savoir à quelles
conditions pouvait-elle être identifiée a priori. C'est là un point tout à fait essentiel pour qui veut
éviter que la crise actuelle se renouvelle.
L'analyse en termes de dysfonctionnement des institutions retient l'idée que l'on pourrait faire en
sorte que les erreurs passées soient évitées à l'avenir (sans que l'on nous dise d'ailleurs
pourquoi il en serait ainsi). Ma conviction est, au contraire, qu'il n'y a aucune raison de penser
que les agences de notation ne referont pas les mêmes erreurs demain du fait même de la
difficulté de leur métier: la valorisation de tout actif financier suppose une certaine représentation
de ce que sera l'évolution économique future. Or, en cette matière, nos connaissances sont
insuffisantes. Comme le soulignait John Maynard Keynes, le futur est radicalement incertain. Si
l'on considère la conjecture d'avant 2007, il apparaît que les raisons qui ont conduit la majeure
partie des acteurs financiers à repousser l'hypothèse d'une bulle immobilière étaient solidement
fondées. Je ne suis pas sûr qu'on puisse faire beaucoup mieux, même une fois que seront
résolus les conflits d'intérêts que connaissent les agences de notation. On peut montrer que
c'est l'ensemble de l'opinion financière qui était favorable à ce laxisme des notations.
Un autre exemple: on nous dit aujourd'hui "il faut de nouvelles régulations", comme s'il y avait eu
une erreur dans la régulation, voire pas de régulation du tout. En réalité, il y avait bien une
régulation, et la bonne question, là encore, est de comprendre pourquoi elle n'a pas fonctionné.
Car le problème majeur n'était pas que les banques avaient développé des "véhicules"
d'investissement échappant au contrôle des régulateurs, qui leur permettaient d'abriter hors
bilan des produits structurés à risque. Il tenait plutôt au fait que les régulateurs croyaient dans
les vertus de la liquidité financière, de la libéralisation des marchés et estimaient que les risques
liés aux produits abrités par ces véhicules d'investissement étaient finalement pris en charge de
manière efficiente par les marchés grâce à leur interconnexion. Là où je vois la cause de la
crise, eux estimaient avoir la solution permettant de l'éviter. Et comme ils ne semblent pas avoir
changé d'avis, on ne voit pas pourquoi ils réguleraient mieux à l'avenir.
A vous entendre, on peut imaginer que vous ne croyez guère à la possibilité d'introduire une
surveillance macroéconomique prudentielle permettant d'identifier les bulles en cours de
formation?
Aussi longtemps que l'on restera dans le cadre d'une finance mondialisée, non. Sauf à vouloir
imposer des règles extrêmement rigides du type limitation à 10% du volume annuel de crédits
distribués, des règles qui seraient nécessairement fortement contestées au nom de la
croissance et de l'emploi...
Dès lors qu'on admet que les marchés financiers sont intrinsèquement instables, la seule
solution qui peut mettre un terme à l'instabilité financière serait de les supprimer! Mais les
marchés ont aussi une utilité: ils assurent la circulation du capital entre secteurs et entre
régions. Si le capital était totalement immobilisé, l'investissement et la croissance en seraient
freinés. Il faut donc faire un compromis entre les coûts et les avantages de la liquidité, ce que
Keynes appelait le "dilemme de la liquidité". Ma proposition, puisque les bulles sont
consubstantielles à la finance, est de les cantonner afin d'en limiter les effets. Et pour y parvenir,
de rétablir du cloisonnement dans les activités financières.
Différentes solutions sont possibles. Dans les années 1930, le Glass Steagall Act avait séparé
les activités des banques de dépôt et des banques de financement et d'investissement, afin que
les errements des secondes ne se répercutent pas sur les premières. Pour ma part, je serais
favorable à un cloisonnement des activités financières par métiers, en distinguant par exemple
l'immobilier, le crédit à la consommation, le financement des entreprises... Une telle réforme
localiserait les difficultés. Elle aurait aussi un autre effet, de nature socio-économique: elle
réintroduirait de la logique professionnelle, de la logique de métier, dans le comportement des
acteurs. De nouvelles finalités seraient ainsi mises en avant qui viendraient concurrencer la
toute puissance du rendement financier.
Les conséquences pourraient en être importantes, car cette exclusivité de la valeur abstraite a
encouragé la démesure des comportements financiers. Il faut casser cette abstraction et
contraindre les acteurs à intégrer d'autres critères d'évaluation, d'autres visions du monde.
Enfin, dans la mesure où la puissance de la finance est proportionnelle à la liquidité, le
cloisonnement aurait pour effet de l'affaiblir notablement, rendant ainsi plus difficiles ses
stratégies de contournement. Cela contribuerait à rétablir l'autorité du régulateur sur le régulé,
alors qu'aujourd'hui c'est ce dernier qui fait la loi. Segmenter la finance est la seule manière d'en
reprendre le contrôle en en limitant la toute puissance.
Cet entretien est issu de l'intervention réalisée par André Orléan lors du récent Forum de
la Républiques des idées, organisé à Grenoble du 8 au 10 mai 2009, sur le thème
"Réinventer la démocratie" ( http://www.repid.com/ ). Alternatives Economiques était
partenaire de cette manifestation.
Notes
(R1)
* Dernier ouvrage publié: De l'euphorie à la panique: penser la crise financière, éd. Rue d'Ulm, 2009 (voir
notre note de lecture dans Alternatives Economiques n° 282, disponible dans nos archives en ligne