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UNIES CCPR
Distr.
Pacte international RESTREINTE*
relatif aux droits civils
CCPR/C/92/D/1209,1231/2003
et politiques &1241/2004
24 avril 2008
FRANÇAIS
Original: ANGLAIS
CONSTATATIONS
*
Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.
Le 1er avril 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que
constatations concernant les communications nos 1209/2003, 1231/2003 et 1241/2004 au titre du
paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent
document.
[ANNEXE]
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ANNEXE
Quatre-vingt-douzième session
concernant les
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par
les auteurs de la communication et l’État partie,
*
Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Yuji
Iwasawa, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah,
Mme Zonke Zanele Majodina, Mme Iulia Antoanella Motoc, M. Michael O’Flaherty,
Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley et M. Ivan Shearer.
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1. Le premier auteur est Mme Bakhrinisso Sharifova, de nationalité tadjike, née en 1956, qui
présente la communication au nom de son fils, M. Ekubdzhon Rakhmatov, également de
nationalité tadjike, né en 1985. Le deuxième auteur est M. Saidali Safarov, de nationalité tadjike,
né en 1946, qui présente la communication au nom de ses fils, MM. Alisher et Bobonyoz
Safarov, tous deux de nationalité tadjike, nés en 1978 et en 1973 respectivement, et de son
neveu, M. Farkhod Salimov, de nationalité tadjike, né en 1982. Le troisième auteur est
M. Kholmurod Burkhonov, de nationalité tadjike, né en 1942, qui présente la communication au
nom de son fils, M. Shakhobiddin Mukhammadiev, également de nationalité tadjike, né en 1984.
Au moment de la présentation des communications, les cinq victimes présumées purgeaient leur
peine dans la colonie no 7 à Douchanbé (Tadjikistan). Les auteurs affirment que les cinq hommes
sont victimes de violations par le Tadjikistan des droits qui leur sont reconnus à l’article 7, aux
paragraphes 1 et 2 de l’article 9, à l’article 10, et aux paragraphes 1, 3 b), 3 d), 3 e) et 3 g) de
l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Bien que les premier et
troisième auteurs n’invoquent pas expressément le paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte, leurs
communications semblent soulever des questions au titre de cette disposition en ce qui concerne
MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Skahobiddin Mukhammadiev. Les auteurs ne sont pas
représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 avril
1999.
2. Pendant la nuit du 5 au 6 août 2001, la maison d’un certain M. Isoev a été cambriolée à
Morteppa, dans le district de Gissar au Tadjikistan. Six individus soupçonnés d’avoir commis le
cambriolage, parmi lesquels figuraient les victimes présumées, ont été arrêtés (!"#$%&"'() en
août 2001 et en juin 2002. Ils ont été condamnés en tant que coaccusés par la Chambre
criminelle de la Cour suprême, le 25 novembre 2002, à différentes peines d’emprisonnement.
2.2 M. Rakhmatov a été arrêté par des miliciens le 8 août 2001. Le procès-verbal de
l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. À une date non précisée, M. Rakhmatov a été
accusé de cambriolage avec utilisation d’armes, de munitions ou d’explosifs, en vertu de
l’article 249, paragraphe 4 c), du Code pénal. Pendant l’enquête préliminaire le concernant, on
l’aurait torturé pour lui extorquer des aveux. Le premier auteur affirme que son fils a reçu des
coups de pied et des coups de matraque et qu’il a été menotté et suspendu au plafond, frappé sur
les reins et torturé à l’électricité. Pendant trois jours, il aurait été privé de nourriture, les colis
envoyés par sa famille ne lui auraient pas été transmis et ses proches n’auraient pas pu le voir.
Les personnes qui l’auraient torturé sont notamment des miliciens, des agents du Département
des enquêtes criminelles et un enquêteur du Département des affaires intérieures du district de
Gissar. Les noms de huit personnes impliquées dans les tortures sont consignés dans le dossier.
M. Rakhmatov se serait entendu dire que s’il n’avouait pas ses parents auraient de «sérieux
problèmes». Par la suite, à une date non précisée, son père a été accusé de «vandalisme» et
condamné. Le premier auteur affirme qu’incapable de résister aux coups et à la pression
psychologique, son fils a avoué ce dont on l’accusait. À une date non précisée, il aurait été
frappé par M. Isoev en présence de l’enquêteur, et l’un des miliciens du district lui aurait écorché
le visage. Les enquêteurs ont toutefois affirmé par la suite que c’était la femme de M. Isoev qui
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2.3 Selon le premier auteur, les enquêteurs auraient préparé à l’avance la vérification des
aveux de son fils. Quelques jours avant cette vérification, M. Rakhmatov aurait été amené sur
la scène du crime, où on lui aurait expliqué où il devait se tenir et ce qu’il devait dire. Il aurait été
montré à des individus qui l’auraient reconnu plus tard lors d’une séance d’identification.
2.4 Le premier auteur affirme qu’au moment de son arrestation, son fils était mineur et que,
conformément à l’article 51 du Code de procédure pénale, les autorités étaient tenues de lui
fournir un avocat dès son arrestation. Or cela n’a été fait que le 14 août 2001. De plus, le premier
auteur affirme que conformément à l’article 141 du Code de procédure pénale, lorsqu’un mineur
est accusé en même temps que des adultes, l’enquête criminelle le concernant doit être menée, au
stade préliminaire, séparément de celle concernant les adultes, chaque fois que possible. Cela n’a
pas été fait dans le cas de M. Rakhmatov. Contrairement aux dispositions de l’article 150 du
Code de procédure pénale, son interrogatoire et d’autres phases de l’enquête se sont déroulés en
l’absence d’avocat.
a) Le fils du premier auteur est revenu sur les aveux qu’il avait faits sous la torture
pendant l’enquête préliminaire et a clamé son innocence. Il a affirmé qu’il avait un alibi pour le
moment où le crime avait été commis, qui pouvait être confirmé par de nombreux témoins.
Les témoignages de M. Rakhmatov et des témoins de la défense ont été ignorés;
b) Plusieurs témoins ayant déposé contre M. Rakhmatov ont fait des déclarations
contradictoires;
d) Le tribunal n’a pas examiné objectivement les circonstances du crime − telles que la
nature du crime commis ou l’existence d’un rapport de cause à effet entre les actes commis et
leurs conséquences;
e) À l’audience, aucun témoin n’aurait été en mesure d’identifier les coaccusés comme
étant les participants au crime.
2.6 Au cours du premier procès, une autre personne devant répondre d’un autre chef
d’accusation, un certain M. Rasulov, a comparu dans le cadre de l’affaire du cambriolage de la
maison de M. Isoev. Le 26 avril 2002, le juge a renvoyé cette affaire au Procureur général pour
complément d’information, en lui demandant de tirer au clair les incohérences de l’enquête.
Le 15 juillet 2002, M. Rasulov a écrit au Président de la Cour suprême une lettre dans laquelle
il avouait avoir cambriolé la maison de M. Isoev, s’exprimait prêt à identifier les biens volés à
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2.7 Il ressort clairement du jugement rendu par la Chambre criminelle de la Cour suprême le
25 novembre 2002 que la Chambre a examiné les déclarations des victimes selon lesquelles leurs
aveux avaient été obtenus sous la torture pendant l’enquête préliminaire, et qu’elle a conclu que
ces déclarations n’étaient pas dignes de foi. La Cour a considéré qu’il s’agissait d’une tentative
de se dégager de toute responsabilité et d’éviter d’être punis pour le crime commis. Il est indiqué
dans le jugement que les témoignages de plusieurs membres de la milice de district, d’agents du
Département des enquêtes criminelles et d’un enquêteur du Département des affaires intérieures
du district de Gissar ont été examinés à l’audience. Plus précisément, le Procureur et le Procureur
adjoint du district de Gissar ont attesté que les parents de MM. Rakhmatov, Alisher Safarov et
Salimov avaient déposé une plainte au bureau du Procureur, dans laquelle ils affirmaient que,
pendant l’enquête préliminaire, leurs fils avaient été contraints par la torture d’avouer qu’ils
avaient cambriolé la maison de M. Isoev. Ces allégations auraient été examinées par un expert
indépendant de Douchanbé, qui aurait interrogé les victimes présumées et demandé qu’elles
passent un examen médical. On aurait alors découvert, sur l’épaule gauche d’Alisher Safarov,
des hématomes qui dateraient d’avant son arrestation; aucune autre blessure n’aurait été
constatée sur les autres victimes présumées. Les victimes ayant toutes confirmé avoir fait des
aveux spontanés, l’examen de la plainte des parents a été clos et une réponse officielle leur a été
adressée.
2.9 Le premier auteur indique que l’enquêteur du Département des affaires intérieures du
district de Gissar, qui était impliqué dans les tortures infligées à son fils, a été ultérieurement
accusé de corruption dans cette même affaire. Les accusations portées contre lui ont toutefois été
retirées et il a été transféré dans un autre district.
2.10 Le 9 août 2001, M. Alisher Safarov a été arrêté par des miliciens au domicile de sa famille
et emmené au Département des affaires intérieures du district de Gissar. Le procès-verbal de
l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. M. Alisher Safarov a été soumis aux tortures
physiques décrites au paragraphe 2.2 ci-dessus et a également été menacé de causer de «sérieux
problèmes» à ses parents s’il n’avouait pas avoir commis les faits dont il était accusé.
Ces menaces n’ont toutefois pas été mises à exécution. En outre, les fonctionnaires du
Département des affaires intérieures du district de Gissar, qui savaient qu’il souffrait de cécité
nocturne depuis l’enfance, l’ont délibérément interrogé la nuit. Incapable de résister aux coups et
à la pression psychologique, M. Alisher Safarov a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.
mandat d’arrêt du Procureur et que son fils a été détenu dans les locaux du Département des
affaires intérieures pendant quinze jours, où on l’a torturé pour lui extorquer des aveux, avant
d’être transféré au centre de détention provisoire.
2.12 Les autres éléments présentés par le deuxième auteur en ce qui concerne MM. Alisher et
Bobonyoz Safarov sont identiques à ceux décrits aux paragraphes 2.3, 2.5 à 2.7 et 2.14.
Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême les a condamnés à dix ans
d’emprisonnement et à la confiscation de leurs biens. Elle a rejeté leur pourvoi en cassation le
25 février 2003.
2.13 Le 8 août 2001, M. Salimov a été arrêté par des miliciens au domicile de sa famille et
emmené au Département des affaires intérieures du district de Gissar. Le procès-verbal de
l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. M. Salimov a été soumis aux tortures physiques
décrites au paragraphe 2.2 ci-dessus, et également menacé de causer de «sérieux problèmes» à
ses parents s’il ne reconnaissait pas les faits dont il était accusé. Ces menaces n’ont toutefois pas
été mises à exécution. Incapable de résister aux coups et à la pression psychologique,
M. Salimov a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Les autres éléments de l’affaire
présentés par le deuxième auteur sont identiques à ceux décrits aux paragraphes 2.3, 2.5 à 2.7 et
2.14. Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême a condamné M. Salimov
à dix ans d’emprisonnement et à la confiscation de ses biens. Elle a rejeté son pourvoi en
cassation le 25 février 2003.
2.14 Le 7 août 2001, M. Mukhammadiev, un parent de M. Isoev, qui était mineur à l’époque
des faits, a été arrêté au domicile de son grand-père par des membres de la milice de district
accompagnés de M. Isoev. Le procès-verbal de l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001.
M. Mukhammadiev a été soumis aux tortures décrites au paragraphe 2.2 ci-dessus et, incapable
de résister aux coups et à la pression psychologique, il a reconnu les faits dont il était accusé.
Ses aveux et ses déclarations ont été rédigés en son nom par des membres de la milice et
l’enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar, et ne lui ont été montrés
que pour qu’il y appose sa signature. À plusieurs reprises, il a été contraint de signer des pages
blanches qui ont été ultérieurement remplies par l’enquêteur. Le 17 août 2001, alors qu’il était
interrogé par le Procureur et le Procureur adjoint du district de Gissar dans le cadre de l’enquête
préliminaire, il a déclaré qu’il n’avait pas commis le crime en question et que ses aveux avaient
été obtenus par la force. Le Procureur et le Procureur adjoint n’ont fait aucun cas de cette
déclaration et il n’y a eu aucun examen médico-légal. De plus, le même jour, l’enquêteur aurait
fait pression sur M. Mukhammadiev pour qu’il retire la déclaration qu’il avait faite au Procureur.
Le 18 août 2001, incapable de résister à la pression, M. Mukhammadiev a retiré la déclaration en
question. Les autres éléments présentés par le troisième auteur en ce qui concerne
M. Mukhammadiev sont identiques à ceux décrits aux paragraphes 2.3 à 2.7 ci-dessus.
Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême a condamné
M. Mukhammadiev à sept ans d’emprisonnement. Elle a rejeté son pourvoi en cassation
le 25 février 2003.
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Teneur de la plainte
3.2 Les droits qui sont reconnus aux victimes présumées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9
auraient été violés parce que celles-ci ont été arrêtées illégalement et n’ont été inculpées que
longtemps après leur arrestation.
3.3 Les auteurs affirment qu’en violation de l’article 10, les victimes présumées ont été
détenues dans des conditions laissant beaucoup à désirer au début de leur détention. En vue
d’exercer une pression psychologique sur ces hommes, on les a menacés de torturer leurs
parents. Pendant trois jours, ils ont été privés de nourriture, les colis expédiés par leur famille ne
leur sont pas parvenus et leurs proches n’ont pas pu les voir. La nourriture qu’ils recevaient à la
fin de leur détention était monotone et inappropriée.
3.4 Les auteurs affirment que les droits qui sont reconnus aux victimes présumées au
paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés parce que le tribunal qui les a jugées a fait preuve de
partialité. Le paragraphe 3 e) de l’article 14 a été violé dans la mesure où les dépositions des
témoins en faveur des victimes présumées ont été rejetées sous prétexte qu’elles étaient fausses.
3.5 Enfin, les auteurs affirment que les droits qui sont reconnus aux victimes présumées au
paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés, sans toutefois indiquer quelles actions ou
omissions des autorités de l’État partie étaient, selon eux, contraires à ces dispositions.
3.6 Bien que les premier et troisième auteurs n’invoquent pas expressément le paragraphe 4 de
l’article 14 du Pacte, leurs communications semblent soulever des questions au titre de cette
disposition en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev.
4. Par des notes verbales datées du 28 octobre 2003 (Rakhmatov), du 2 décembre 2003
(les Safarov et Salimov), du 20 janvier 2004 (Mukhammadiev), du 18 novembre 2005
(Rakhmatov), du 21 novembre 2005 (les Safarov, Salimov et Mukhammadiev) et du 7 septembre
2006 (Rakhmatov, les Safarov, Salimov et Mukhammadiev), l’État partie a été prié de
communiquer au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond des communications.
Le Comité constate qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie
n’ait fourni aucune information concernant la recevabilité ou le fond des plaintes des auteurs.
Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que l’État partie soumette par écrit au
Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les
mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de
l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, dans la mesure
où elles ont été suffisamment étayées1.
1
Voir, par exemple, la communication no 1208/2003, Kurbonov c. Tadjikistan, constatations
adoptées le 16 mars 2006, par. 4.
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Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de
l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la
communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du
paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours
d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.4 Les auteurs affirment que les victimes présumées ont été atteintes dans les droits qui leur
sont garantis aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte parce qu’elles ont été arrêtées
illégalement et détenues pendant une longue période sans avoir été inculpées. Le Comité note
toutefois que les informations dont il est saisi ne lui permettent pas d’établir les circonstances
exactes de leur arrestation ni la date exacte de leur inculpation. Par ailleurs, rien n’indique
clairement si ces griefs ont été soulevés devant les tribunaux internes. Dans ces conditions, le
Comité considère que cette partie des communications n’a pas été étayée aux fins de la
recevabilité et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.5 Les auteurs affirment en outre que les droits qui sont reconnus aux victimes présumées au
paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés. L’État partie n’a fait aucune observation à ce
sujet. Le Comité note toutefois que le deuxième auteur n’a pas fourni de renseignements détaillés
ni de documents à l’appui de cette affirmation en ce qui concerne MM. Alisher Safarov,
Bobonyoz Safarov et Salimov, et que rien n’indique clairement si les griefs en question ont été
portés à l’attention des tribunaux de l’État partie en ce qui concerne MM. Rakhmatov et
Mukhammadiev. Dans ces conditions, il considère que cette partie des communications n’est pas
suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable en vertu de
l’article 2 du Protocole facultatif.
5.6 Les auteurs affirment en outre qu’en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14, le tribunal
a entendu les témoignages en faveur des victimes présumées mais n’en a simplement fait aucun
cas. L’État partie n’a fait aucune observation à ce propos. Le Comité note cependant que les
informations dont il est saisi ne permettent pas de conclure que le tribunal a effectivement omis
d’examiner les témoignages en question ou de les apprécier. Dans ces conditions, et en l’absence
de toute autre information pertinente, il considère que, n’étant pas suffisamment étayée, cette
partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
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5.7 Le Comité considère que les autres griefs des auteurs, qui soulèvent des questions au titre
de l’article 7, du paragraphe 3 g) de l’article 14, de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 14
en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov, Alisher Safarov, Farkhod Salimov et
Shakhobiddin Mukhammadiev, de même que les griefs du deuxième auteur, qui soulèvent des
questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 en ce qui concerne M. Bobonyoz Safarov, et
les griefs des premier et troisième auteurs, qui soulèvent des questions au titre du paragraphe 4
de l’article 14 (en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin
Mukhammadiev), ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc
recevables.
Examen au fond
6.2 Les auteurs affirment que les victimes présumées ont été battues et torturées par des
membres de la milice de district, des fonctionnaires du Département des enquêtes criminelles et
un enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar, et qu’elles ont été
contraintes de s’avouer coupables, en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14
du Pacte. En l’absence d’explication de la part de l’État partie, il convient d’accorder tout le
crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité rappelle que lorsqu’il a été porté plainte pour
mauvais traitements constituant une violation de l’article 7, la plainte doit faire l’objet d’une
enquête rapide et impartiale par les autorités compétentes de l’État partie2. À cet égard, il note
que les auteurs ont donné une description détaillée du traitement subi par leurs proches (par. 2.2,
2.8 et 2.12 ci-dessus), hormis en ce qui concerne l’une des victimes présumées, M. Bobonyoz
Safarov (par. 2.11 et 5.3 ci-dessus). Ils ont également identifié les auteurs présumés de ces actes.
Les informations dont le Comité est saisi révèlent également que les allégations de torture ont été
portées à l’attention du Bureau du Procureur du district de Gissar et formulées devant le tribunal.
Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas apporté la
preuve que ses autorités avaient examiné comme il convient les griefs de torture avancés par les
auteurs.
6.3 Pour ce qui est de l’allégation de violation des droits consacrés au paragraphe 3 g) de
l’article 14, en ce que les victimes présumées ont été contraintes de signer des aveux, le Comité
doit examiner les principes sous-jacents aux droits protégés par cette disposition. Il renvoie à ses
décisions antérieures selon lesquelles le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14, en vertu duquel
toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer
coupable», doit s’entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique,
directe ou indirecte, des autorités d’instruction sur l’accusé, dans le but d’obtenir un aveu3.
2
Voir par exemple la communication no 781/1997, Aliev c. Ukraine, constatations adoptées le
7 août 2003, par. 7.2.
3
Communication no 330/1988, Berry c. Jamaïque, constatations adoptées le 4 juillet 1994,
par. 11.7; communication no 1033/2001, Singarasa c. Sri Lanka, constatations adoptées le
21 juillet 2004, par. 7.4; et communication no 912/2000, Deolall c. Guyana, constatations
adoptées le 1er novembre 2004, par. 5.1.
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Le Comité rappelle que dans les cas où les aveux ont été obtenus par la force, il incombe à l’État
de prouver que l’accusé a fait ses déclarations de son plein gré4. Il conclut par conséquent que
les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, lu conjointement avec le
paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte (excepté en ce qui concerne M. Bobonyoz Safarov).
6.4 Les auteurs affirment que les victimes présumées ont été détenues dans des conditions
laissant beaucoup à désirer au début de leur détention. Ils font observer qu’en vue d’exercer sur
ces hommes une pression psychologique, on les a menacés de faire du mal à leurs parents s’ils ne
s’avouaient pas coupables. En outre, ils ont été privés de nourriture pendant trois jours, les colis
expédiés par leur famille ne leur sont pas parvenus et leurs proches n’ont pas pu les voir. Enfin,
la nourriture qu’ils recevaient à la fin de leur détention était monotone et inappropriée. L’État
partie n’a pas commenté ces allégations et dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit
voulu aux allégations des auteurs. Le Comité conclut par conséquent que les faits dont il est saisi
font apparaître une violation par l’État partie des droits reconnus aux victimes présumées à
l’article 10 du Pacte (excepté en ce qui concerne M. Bobonyoz Safarov).
6.5 Les auteurs invoquent une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte étant donné
que les garanties d’un procès équitable n’ont pas été respectées et que le tribunal a fait preuve de
partialité (voir plus haut par. 2.5 à 2.7 et 2.12 à 2.14). Le Comité note que ces allégations se
rapportent essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le tribunal.
Il rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier
les faits et les éléments de preuve dans une affaire particulière, sauf s’il peut être établi que cette
appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice5. Mais il note
également que, en l’espèce, l’État partie n’a soumis aucune information pour récuser les
allégations des auteurs et démontrer que le procès des victimes présumées n’était en fait pas
entaché de telles irrégularités. En conséquence, le Comité conclut que, en l’espèce, les faits dont
il est saisi constituent une violation par l’État partie des droits des victimes présumées au regard
du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
6.6 Les premier et troisième auteurs ont également affirmé, à propos de leurs fils respectifs,
MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev, qu’au moment de l’arrestation,
les deux victimes présumées étaient mineures, mais qu’elles n’avaient pas bénéficié des garanties
spéciales prévues pour les enquêtes judiciaires concernant les jeunes délinquants; l’État partie
n’a pas formulé d’observations à ce propos. Ces allégations soulèvent des questions au titre du
paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte. Le Comité rappelle6 que les jeunes doivent bénéficier au
moins des mêmes garanties et de la même protection que celles accordées aux adultes
conformément à l’article 14 du Pacte. Ils ont besoin en plus d’une protection spéciale dans une
procédure pénale. Ils devraient en particulier être informés directement des accusations portées
contre eux ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de leurs parents ou représentants légaux,
4
Voir l’Observation générale no 32 (art. 14 du Pacte), CCPR/C/GC/32, 23 août 2007, par. 49.
5
Voir, entre autres, la communication n° 541/1993, Errol Simms c. Jamaïque, décision
d’irrecevabilité adoptée le 3 avril 1995, par. 6.2.
6
Voir l’Observation générale no 32 du Comité (art. 14 du Pacte), CCPR/C/GC/32, 23 août 2007,
par. 42 et al.
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9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément
à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et
exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans
un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour
donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes
constatations.
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