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HEGEL ET MARX

Robert Paris

Dialectique marxiste et pensée structurale (à propos des travaux d’Althusser). Tables rondes 18
janvier-26 avril 1967, Paris, EDI, 1968, pp. 75-88 [Cahiers du Centre d’Etudes Socialistes ; 76-81].

En traitant des rapports entre Hegel et Marx, ou plus précisément de la rupture entre Marx et Hegel,
comme d’une coupure épistémologique, Althusser nous convie évidemment à poser ici une sorte de
question préalable. A quel niveau s’opère donc cette coupure ? S’agit-il là d’une coupure qui relève, si
l’on veut, du certificat de philosophie générale et logique, ou s’agit-il aussi, ou avant tout, d’autre
chose ? Est-ce là une de ces ruptures, une de ces solutions de continuité comme il semble qu’on en
rencontre parfois dans l’histoire des sciences (et dans ce cas, pourquoi Hegel ?), ou d’une rupture,
passez ce que cela peut avoir de pascalien, d’un autre ordre ?
Il est bien évident d’abord que, pour Althusser, le lieu de la coupure se situe moins à la rencontre
des deux œuvres, entre Hegel et Marx, qu’à l’intérieur même de l’œuvre de ce dernier. Nous voici
derechef confrontés au problème qui ne cesse de nous provoquer depuis la publication, et bien entendu
la découverte, après la Révolution russe, des Manuscrits de 1844 de Marx. Et ici, Althusser n’inaugure
rien. Comme tous ses prédécesseurs, Landshut et Mayer, ou, plus près de nous, Calvez ou
Fougeyrollas, Althusser situe la rupture à l’intérieur du marxisme. Marx aurait moins rompu avec
Hegel qu’avec soi-même. Ceci, évidemment, pour parvenir à une certaine lecture de Marx... quoique
l’on puisse se demander s’il n’y a pas là, masquée, la présence d’une méthode historique très proche de
celle de Bergson, pour qui, comme chacun sait, une philosophie ne pouvait s’organiser qu’autour d’une
intuition unique, voire unitaire. De là qu’on soit tenté d’expulser de l’œuvre du philosophe - et ici, il
s’agit de Marx - tout ce qui paraît contredire cette intuition centrale...
Que si la coupure rejette hors de l’œuvre, ou présente comme une zone d’ambiguïté que le Marx de
maturité n’aurait pu assumer (pour qui croit, bien entendu, que la philosophie puisse nouer d’évidents
rapports avec la maturité), que si l’on rejette donc les Manuscrits de 1844, c’est non moins
évidemment qu’on se refuse à prendre en considération ou, comme on dit, au sérieux un certain
nombre de concepts présents dans cette œuvre le concept de lutte de classes, celui d’aliénation, et, bien
entendu, la première esquisse de la dialectique rationnelle de Marx.
N’y a-t-il pas ici, chez Althusser lui-même, une contradiction qui risque d’investir la totalité de son
œuvre, l’ensemble de sa démarche ? Lui-même, on s’en est rendu compte aussitôt, se rattache à la
tradition scientiste, voire positiviste, du marxisme, - une tradition qui, pour avoir débouché sur des
œuvres comme Matérialisme et Empiriocriticisme, ou Matérialisme historique et matérialisme
dialectique, n’en procède pas moins indéniablement de la Dialectique de la nature d’Engels. Mais
n’est-ce pas précisément Engels - comme l’avait déjà entrevu Mondolfo dans son vieux livre de 1912 -
qui, le tout premier dans la tradition marxiste, a mis l’accent sur cet hégélianisme, et cet historicisme,
qu’Althusser souhaite rejeter ?
Il est évident qu’on ne saurait aborder le problème posé par Engels avec les seuls instruments de
l’histoire de la philosophie. Il nous faut tenir compte ici de ce que l’idéologie dominante, dans les
trente dernières années du XIXe siècle, était le scientisme. Une théorie ou une idéologie, fût-elle du
prolétariat, devait pour se faire entendre parler ce langage de la science et, singulièrement, d’une
certaine science, celle de la nature : la physique ou la biologie, principalement. Il s’agissait stricto
sensu d’un problème de rhétorique, d’un art de persuader. Et, bien entendu, d’une rhétorique du vrai. A
quoi ont dû s’ajouter, je crois, les conséquences de la défaite de la Commune de Paris : la politique de
l’Internationale a subi un revirement complet et tous les espoirs se sont portés sur la social-démocratie
allemande, c’est-à-dire sur un appareil bureaucratique qui préfigurait, toutes choses égales par ailleurs,
toutes les bureaucraties qui se sont développées par la suite. Mais il n’est pas nécessaire ici - après les
travaux de Gabel – d’insister sur la relation qui existe entre bureaucratie et réification... Il reste qu’en
rejetant la dialectique - quelle soit ou non d’obédience engelsienne - Althusser se voit nécessairement
conduit à liquider, du même mouvement, le matérialisme.
Enfin une dernière question, je dis tout cela en préambule aussi parce que je crains de ne pas avoir
le temps de le dire à la fin, lorsque Althusser nous parle beaucoup de coupure épistémologique, on peut

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se demander si lui-même pratique une telle coupure. Le problème a déjà été soulevé par J. Pouillon
dans son article des Temps Modernes : Lévi-Strauss joue à l’égard d’Althusser le rôle qu’assume Hegel
à l’égard de Marx, mais Althusser, lui, ne fait pas sa critique de Hegel, la critique de son Hegel à lui.
C’est là, je crois, la question essentielle et si nous devions, à notre tour, régler un jour nos comptes,
pour parler comme Marx, avec Althusser, c’est sur ce point-là qu’il faudrait l’attaquer véritablement.
J’en viens maintenant au problème Hegel-Marx, que je prends, pour ma part, au sérieux. J’entends
que sur ce point aussi Althusser pratique, une fois de plus, la stratégie de la dérobade, du cache-cache,
en déclarant tout net que Marx n’a jamais été hégélien. Il nous faut, je crois, au contraire, prendre ce
problème au pied de la lettre, étudier sa forme ne serait-ce que parce que, comme Marx le dit dans la
« Préface » à la Contribution à la Critique de l’Economie politique, il s’agit d’un « règlement de
comptes » qui lui permet d’y voir clair en soi-même, de s’entendre avec soi-même. Le terme
« règlement de comptes » est par ailleurs employé dès les Manuscrits de 1844. Mais comment s’opère
cette rupture ? Comment s’opère cette critique ? Est-ce qu’il s’agit vraiment d’une coupure
épistémologique ? Cela je ne le crois pas. D’abord, il faut voir à quel moment se fait la critique. Marx
nous dit dans la « Postface » à la deuxième édition allemande du Capital : « J’ai critiqué le côté
mystificateur de la dialectique hégélienne, il y a près de trente ans. » Della Volpe constate qu’en fait
cette formule : « il y a près de trente ans » nous renvoie à la Critique de la Philosophie de l’Etat de
Hegel et je crois qu’on peut accepter cette hypothèse. Je vais donc procéder d’abord à une analyse de
certains thèmes de cette Critique de la Philosophie de l’Etat de Hegel. (1)
Marx, c’est un des thèmes centraux de ce livre, y met perpétuellement en lumière le renversement,
ce que j’appelle aussi la « tête en bas », renversement qui est le fait de Hegel. Par exemple, je prends
référence à l’édition Molitor, Marx constate que le « rapport réel est énoncé par la spéculation (c’est-à-
dire par la philosophie de Hegel) comme une manifestation, un phénomène de l’idée » : donc
renversement du réel et de l’idée. Et, par ailleurs, le renversement du sujet et du prédicat, par exemple :
Hegel soumet « l’empirie vulgaire » à l’Idée, mais en réalité « l’idée réelle a comme existence...
l’empirie vulgaire ». Mais ce qui est important en même temps, c’est que Hegel ne décrit pas, ne vise
pas une réalité autre que celle qui concerne Marx. C’est là, je crois, un point essentiel. Si Marx, comme
le prétend Althusser, avait simplement découvert une autre réalité, je l’ai déjà fait remarquer dans un
article qui n’a pas plu à tout le monde, si cela avait été tout simplement la rencontre avec une réalité
nouvelle, il aurait et même logiquement dû se contenter d’élaborer un système comme le positivisme;
il fallait donc qu’il y eût un autre élément que cette découverte, cette rencontre avec le prolétariat, avec
la Ligue des communistes, la tradition socialiste française. C’est pourquoi, je pense qu’il convient
d’insister sur le fait que Hegel aussi parle déjà du capitalisme. Et qu’il parle de la même réalité, Marx
lui-même en convient. « Hegel n’est pas à blâmer parce qu’il décrit l’être de l’Etat moderne tel qu’il
est, mais parce qu’il donne pour l’être de l’Etat ce qui est. » Hegel ne parvient pas à comprendre, à
penser, à analyser, c’est-à-dire à critiquer (ce que Marx va faire, lui, au contraire) l’irrationnel, mais se
contente de le renverser, de le mystifier. Nous commençons déjà à entrevoir ce que peut être un
hégélien. J’ai pensé mythe. J’emprunterai mon exemple à la situation psychanalytique. Comment se
comporte un « hégélien » dans la situation analytique ? Un hégélien qui se trouve au bout de quelque
temps face à des difficultés, va dire à son docteur : « Mais oui, je sais que j’ai le complexe
d’Oedipe... » Que fait alors cet « hégélien » ? Nous voyons d’abord qu’il traite le « complexe
d’Oedipe » comme un principe, c’est-à-dire l’équivalent de ce qu’est l’Idée chez Hegel, un principe
dont son cas particulier n’est qu’une illustration, un phénomène, une allégorie ; ensuite, deuxième
caractère, il pense son rapport, son « complexe » en termes d’« avoir » : on a le complexe d’Oedipe, la
coqueluche, etc., une maladie ; enfin c’est là, pour nous le plus important, il définit par là un certain
type de connaissance, un certain type de connaissance qui est idéaliste, un savoir a priori. Comment se
fait-il qu’il « ait » le complexe d’Oedipe ? d’où le savez-vous ? demande l’analyste. Comment peut-il
le savoir s’il n’a pas fait le chemin de cette découverte, s’il n’a pas découvert, en fin de compte, que ce
qu’il nomme complexe d’Oedipe, est tout autre chose que ce qu’il imagine, n’est qu’une certaine
relation aux autres, une certaine relation au monde ? Le résultat de cette démarche que je qualifie
d’hégélienne, dans la situation de l’analysé, c’est que celui-ci s’interdit d’analyser et constitue une
formation-écran : il pourra ainsi passer des mois à se battre contre cette formation écran. C’est
exactement ce que fait Hegel en nous présentant l’Etat réel, c’est-à-dire ce qui est, comme une
expression de l’Idée. Hegel s’interdit, en effet, d’analyser l’Etat réel et, de ce fait, dans un même

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mouvement, se voit contraint de mystifier cet Etat. Pour Marx il s’agit donc de lever d’abord les
barrières à l’analyse et d’expliquer, comme il le dit, « dans leur signification propre, les
contradictions ». Ce que Marx reproche à Hegel, c’est donc de se donner une histoire des systèmes qui
est dialectisée a priori et de réduire le concret à une manifestation de l’Idée : ainsi, paragraphe 199 de
la Philosophie du Droit, Hegel écrit : « Le citoyen comme bourgeois... est la vérité concrète de la
représentation qui s’appelle homme ». Le renversement est patent ; c’est en cela que cette dialectique
est mystifiée et mystificatrice. Or, la critique de Marx, là aussi, apparaît assez claire. Marx constate que
la partie « ésotérique » c’est-à-dire spéculative, permet de retrouver dans l’Etat, le concept pur,
« l’histoire de la notion logique », mais le développement, c’est-à-dire le développement de l’Idée elle-
même, le mouvement de la dialectique, mouvement qui fait tourner le système de Hegel, est, en fait,
conditionné par la partie « exotérique », par l’empirie vulgaire, par ce qui se passe dans le monde. Je
cite toujours Marx : « La réalité empirique apparaîtra donc telle qu’elle est; elle est également énoncée
comme rationnelle mais elle n’est pas rationnelle à cause de sa propre raison ; elle l’est parce que le
fait empirique a, dans son existence empirique, une signification autre que soi-même » ; donc toujours
le thème du renversement et de la conversion du prédicat en sujet, du sujet en prédicat. En fait, ce qui
fait problème dans cette réalité à laquelle tant Hegel que Marx essaient d’apporter une réponse, c’est la
présence non pas du rationnel, c’est la présence de la déraison, de l’irrationnel, de la contradiction, bref
de tout ce que Proudhon appelle, à un autre niveau, les « contradictions économiques ». En effet,
lorsque Hegel déclare : « La personnalité de l’Etat n’est réelle qu’en tant qu’elle est une personne, le
monarque » il confère à l’individualité, au monarque, une sorte d’existence « mystique » et - constate
Marx – « au pur sommet de l’Etat, ce n’est donc pas la raison mais la simple nature qui déciderait (...).
Hegel s’abandonne au plaisir d’avoir démontré l’irrationnel comme absolument rationnel (...). Le
hasard est donc la réelle unité de l’Etat (...). l’acte constitutionnel le plus haut du roi, c’est donc son
activité sexuelle car c’est par elle qu’il fait un roi ». Le secret de l’Etat c’est la « zoologie ».
L’important pour Marx n’est donc pas tant que Hegel fasse la théorie de la monarchie, et, soit dit en
passant, je ne crois pas qu’Hegel fasse la théorie de l’Etat pré-nazi ou nazi comme le prétend Lukàcs,
mais c’est que ce système qui se veut rationnel, qui se veut la réconciliation du rationnel et du réel,
l’identité du réel et du rationnel, Hegel l’a fait descendre de l’irrationnel, de ce que Marx appelle la
« zoologie », un donné zoologique, tout en conférant à cet irrationnel, à ce donné une dimension
rationnelle, en ne l’assumant pas comme irrationnel. Et c’est là que se définit enfin le lieu de
l’inquiétude de Marx.
Dans une lettre à Ruge de septembre 1843, Marx constate : « La raison a toujours existé, mais pas
toujours sous la forme rationnelle ». Il dira aussi dans les Manuscrits de 1844 : « La raison se trouve
auprès de soi dans la déraison en tant que déraison ». C’est là, selon moi, l’équivalent de ce qu’est la
découverte du « vécu »ou de « l’existence » chez l’autre critique de Hegel, Kierkegaard. Dans le climat
de la décomposition de l’hégélianisme, deux types de critiques sont adressés à Hegel en mettant à part
les jeunes hégéliens Bruno Bauer, Stirner, etc., deux critiques de poids : d’une part, Kierkegaard qui va
présenter sa revendication au nom de l’existence, du vécu et d’autre part, parallèlement, la découverte,
la sensibilité de Marx au thème de l’irrationnel, de la contradiction qui n’est pas véritablement résolue ;
qui ne l’est que de façon mystifiée.
Dans une autre lettre de la même époque, toujours adressée à Ruge, Marx déclare aussi : « Je
soutiens que le roi de Prusse restera un homme de son temps aussi longtemps que le monde renversé
(c’est-à-dire la tête en bas encore une fois) sera le monde réel (...). Le roi est en Prusse le système. Il
est la seule personne politique ». Il faut penser ici à la phrase de Kierkegaard : « Le philosophe bâtit un
palais d’idées mais il habite une chaumière ». La chaumière c’est le vécu, la chaumière de Kierkegaard
où habite le philosophe, c’est l’irrationnel, c’est la déraison, mais c’est aussi tout ce qui subsiste, tandis
que le système, le palais d’idées, n’apparaît réellement fondé que sur cet irrationnel, et pour cet
irrationnel. De là que le philosophe habite une chaumière mais accepte cette situation, l’assume
subrepticement, confère à cet irrationnel une rationalité qui lui vient de l’extérieur, qui ne lui est pas
propre : le monde est renversé. On voit déjà là se dessiner beaucoup mieux la critique de Marx : ce qui
fonde, ce qui est la raison d’être du système est présent chez Hegel comme l’expression la plus haute
du système ; c’est là qu’est le monde renversé.
De cela, on pourrait donner des exemples extrêmement actuels : prenons d’abord la situation
politique en France en ce moment, un phénomène comme le gaullisme. Les gaullistes qui se définissent

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comme l’expression de De Gaulle, se comportent si l’on peut dire en hégéliens, mais les gens qui nous
parlent de « pouvoir personnel » le font également. Un autre exemple du même genre, qu’on rencontre
jusque chez Althusser, c’est celui du culte de la personnalité. Définir le stalinisme ou l’expliquer par le
« culte de la personnalité », c’est aussi se comporter en hégélien, ce n’est pas s’engager dans une
analyse marxiste, c’est méconnaître l’instance réaliste, matérialiste qui est au cœur du marxisme, ce
n’est pas partir des choses telles qu’elles sont...
Dans la Lettre à Ruge de septembre 1843, Marx insiste précisément sur la nécessité de partir de faits
tels qu’ils sont et particulièrement de l’Etat politique (on retrouve ici mon problème : où se situe la
coupure ? La coupure se situe-t-elle dans l’épistèmè ou ailleurs ? on trouve ici un début de réponse)
particulièrement de l’Etat politique, qui « suppose partout la raison réalisée, mais tombe partout dans la
contradiction entre sa définition théorique et ses hypothèses réelles ». Mais aussi, pour parler d’un
autre aspect qui est abordé également par Althusser, c’est-à-dire Marx disciple de Feuerbach et non pas
hégélien, dans une autre lettre, pas de la même période, toujours adressée à Ruge, Marx reproche à
Feuerbach « de renvoyer trop à la nature et pas assez à la politique ». « Or – constate-t-il – c’est la
seule alliance qui peut permettre à la philosophie de devenir une réalité ».
Ceci nous amène à un deuxième texte qui, selon moi, est la principale cible d’Althusser, les
Manuscrits de 1844, autrement dit Economie politique et Philosophie. Il y a d’abord le problème du
titre. Pour l’anecdote, il faut savoir que Marx avait signé le 1er février 1843 un contrat pour écrire un
livre de deux volumes intitulé Critique de la Politique et de l’Economie politique, titre – j’espère le
montrer - éminemment justifié. C’est un ouvrage qui se présente sans rupture comme la continuation
de ce que Marx a écrit précédemment. Au début des Manuscrits, Marx parle des Annales franco-
allemandes, « dans lesquelles, dit-il, j’ai également ébauché d’une manière très générale les premiers
éléments de la présente étude ». Si l’on regarde ces Annales franco-allemandes qui sont publiées à
Paris en février 1844, Marx y a publié trois textes : la Contribution à la critique de la Philosophie du
Droit de Hegel qui n’est pas le texte dont je viens de parler, mais qui était destinée à lui servir
d’introduction, la Question juive et les Lettres à Ruge dont j’ai cité quelques fragments. Effectivement
dans les Manuscrits, on va retrouver ce qui était au centre des textes précédents, le renversement
prédicat-sujet de la Critique de la Philosophie de l’Etat de Hegel (je me réfère à la traduction de
Bottigelli parue aux Editions Sociales). Chez Hegel, constate Marx, « l’homme réel et la nature réelle
deviennent de simples prédicats. Les symboles de cet homme irréel caché et de cette nature irréelle »
que présente le système, le développement de l’Idée, c’est là un premier exemple de renversement ; on
en trouvera d’autres par la suite. On y trouve aussi le thème qui était présent dans une des lettres à
Ruge : l’alliance de la nature et de la politique. Marx écrit (page 96) : « L’histoire elle-même est une
partie réelle de l’histoire de la nature, de la transformation de la nature en l’homme. Les sciences de la
nature comprendront plus tard aussi bien la science de l’homme, que la science de l’homme englobera
les sciences de la nature. II y aura une seule science ». Ceci évidemment intègre la critique qu’il
adressait à Feuerbach, de ne pas tenir compte de la politique et même de faire une critique naturaliste.
Mais c’est là aussi, selon moi, un texte extrêmement important qui interdit en droit la distinction que
fait Althusser entre « matérialisme historique » et « matérialisme dialectique ».
Mais, outre tout ceci, dans les Manuscrits Marx pose surtout ce que je considère comme son
problème central : Economie politique et Philosophie. Pour ce faire, il s’appuie d’abord sur un texte
d’Engels, paru dans les mêmes Annales franco-allemandes : l’« Esquisse d’une Critique de l’Economie
politique ». Marx lui-même considère ce travail comme un des plus originaux et des plus substantiels
qui ait été édité par les Allemands. Cette « Esquisse d’une Critique de l’Economie politique » va peut-
être déjà nous permettre de saisir ce en quoi Marx inaugure. Engels définit en termes classiques
l’économie politique comme la « science de l’enrichissement » et il introduit un concept nouveau, la
formule « force de travail ». Il met aussi à jour un renversement ; je cite : « Dans l’économie politique,
dit Engels, tout est renversé : la valeur qui est la première racine, la source du prix, est rattachée à ce
dernier qui est son produit. On retrouve bien dans ce renversement l’essence de l’abstraction ; sujet sur
lequel on peut se reporter à Feuerbach ». Mais, mettant à jour un renversement, il dévoile également la
racine de ce renversement qui est un irrationnel : la propriété privée. « Où que nous nous tournions, dit
Engels, la propriété privée nous conduit à des contradictions ». Mais cette critique de Engels demeure
une critique morale, éthique. Lui-même l’avoue : « L’intuition populaire elle-même voit toute

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l’immoralité du profit ». On en reste donc au niveau de ces « contradictions économiques » de
Proudhon, au niveau du socialisme utopique. Je crois que c’est ici qu’intervient l’apport de Marx.
Marx part, en effet, des « prémisses de l’économie politique », il en accepte le « langage et les
lois », et donc la définition qu’elle donne d’elle-même, c’est-à-dire celle d’une science de
l’enrichissement mais à partir de là il va s’attacher à montrer que (je cite, c’est la citation de Mega des
travaux qui n’ont pas été publiés avec les Manuscrits de 1844 et qui sont de la même époque) « toute
l’économie politique repose sur un fait sans nécessité », la propriété privée. Dans sa Critique de la
Philosophie de l’Etat de Hegel il a montré de la même façon que le secret de l’Etat c’est la
« zoologie », la « biologie », la naissance du prince, c’est-à-dire, là encore, un fait sans nécessité.
L’économie politique part du fait de la propriété privée, elle ne nous l’explique pas. Elle exprime (tout
comme Hegel le faisait de l’Etat réel) le processus matériel que décrit en réalité la propriété privée, en
formules générales et abstraites qui ont ensuite pour elle, valeur de lois. Elle ne comprend (begreift)
pas ces lois, c’est-à-dire qu’elle ne montre pas comment elles résultent de l’essence de la propriété
privée. Autrement dit, pour plagier Marx, le Marx de la Critique de la Philosophie de l’Etat de Hegel
l’économie politique n’est pas à blâmer parce qu’elle décrit l’être du capitalisme tel qu’il est, au
contraire, elle ne le fait peut-être pas assez, mais parce qu’elle donne pour l’être de l’Economie ce
même capitalisme. Il dira aussi mais dans un texte ultérieur, dans Misère de la Philosophie : « les
économistes traditionnels oublient l’histoire, pour eux, il y a eu de l’histoire mais il n’y a plus
d’histoire ». Dans le texte que je viens de citer, il faut noter en outre le reproche qu’il fait : l’économie
politique ne comprend pas en employant le terme begreift et nous renvoie à la Logique de Hegel ; la
compréhension par la Genèse est caractéristique de la Logique de Hegel. L’Economie politique
présente donc la propriété privée comme un inconditionné et, ce faisant, se voue à tous les
« renversements » et « contradictions » dont Marx a déjà rencontré le modèle chez Hegel. En tant
qu’inconditionné, la propriété privée apparaît donc, comme la source de formations écran, la source de
l’aliénation. « La propriété privée, dit Marx, nous a rendu si sots, si bornés qu’un objet n’est nôtre que
lorsque nous l’avons (...). A la place de tous les sens physiques et intellectuels est donc apparue la
simple aliénation de tous ces sens, le sens de l’avoir », ce sens de l’avoir que l’on a rencontré dans
l’exemple de psychanalyse que nous avons vu tout à l’heure. Et on voit ici que l’aliénation n’est déjà
plus l’aliénation au sens hégélien, c’est-à-dire l’aliénation de l’homme « sous la forme de l’esprit »,
l’aliénation comme « moment positif » du processus, mais déjà une aliénation définie comme une
transformation - déformation à la fois des rapports à autrui, des rapports au monde et des rapports à soi,
bien entendu. En effet, Marx constate que « pour Hegel, (...) toute aliénation de l’essence humaine
n’est rien qu’aliénation de la conscience de soi » et que par là, les objets de cette conscience de soi
aliénée ne peuvent être que des objets abstraits. Ici, on atteint une autre étape. Cette conscience aliénée
qui s’aliène dans les objets abstraits n’est pas, constate Marx, scandalisée par l’objectivité aliénée mais
l’objectivité en tant que telle et là, je pense qu’on trouve l’équivalent de ce que dans les Manuscrits de
1844, Marx appelle l’hypocrisie ou « l’illusion romantique » de certains économistes comme
Lauderdale ou Malthus qui ne veulent pas reconnaître que c’est « la seule soif du gain » qui détermine
la consommation des riches et même le luxe et, bien sûr, médiatisée par la consommation et le luxe, la
production (c’est à ces gens que Marx oppose le cynisme de Ricardo). Toujours à propos de
l’aliénation, Marx reprend encore une fois le thème de la Critique de la Philosophie de l’Etat de
Hegel : « Pour autant que l’homme conscient de soi a reconnu comme aliénation de soi et a supprimé
le monde spirituel (...) il réaffirme pourtant ce monde sous cette forme aliénée, le donne pour son
existence véritable, le restaure, prétend que l’homme se trouve auprès de soi dans son être-autre en
tant que tel ». On retrouve ici les thèmes de la Critique de la Philosophie de l’Etat de Hegel : le
rapport exotérique-ésotérique, la vérité de l’un se trouvant dans l’autre ; le thème, selon lequel, chez
Hegel le réel est réintroduit subrepticement, par-dessous la table, en sous-main, le thème aussi de la
mystification-justification de l’aliénation ; le thème du renversement... Mais par-delà ces thèmes, ce
qui me paraît important, c’est que cette critique de Hegel est menée en contrepoint et parallèlement à la
Critique de l’Economie politique. C’est en fait, si l’on peut dire, à la lumière de l’économie politique
que Marx reprend le thème hégélien du dépassement. Je m’y suis un peu arrêté puisque le dépassement
est aussi une des catégories qu’Althusser expulse du marxisme, de son marxisme. Marx constate en
effet que chez Hegel « la propriété privée pensée » c’est-à-dire la pensée de la propriété privée, « se
dépasse dans l’idée de la morale ». A la page 103, Marx a remarqué que « Ricardo fait abstraction de la

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morale... Ricardo laisse l’économie parler son propre langage ». De la même façon, le « dépassement
par la pensée (l’Aufhebung hégélienne) laisse en réalité son objet intact ».
On voit donc apparaître ici l’instance de la praxis et du renversement par la praxis. Mais il ne s’agit
pas simplement d’une confrontation entre l’idéologie, idéologie qui serait incarnée par Hegel, et la
théorie ou la réalité, qui serait représentée par Ricardo et l’économie politique. Si l’économie politique
permet de critiquer Hegel, c’est que Hegel et la dialectique permettent de critiquer l’économie
politique. L’économie politique fait apparaître le « côté mystificateur » de la dialectique hégélienne ;
mais le « côté rationnel » de la dialectique hégélienne, fût-ce même à travers une formulation mystifiée
du dépassement, permet de voir que l’économie et la morale ne constituent pas deux sphères
indifférentes, deux sphères séparées, mais sont constitutives de la même totalité. Il est de fait que,
jusqu’à Marx, on n’avait pas senti cela. Les socialistes pré-marxistes avaient effectivement trouvé la
contradiction entre l’économie capitaliste et la morale : on peut penser à ce qu’a écrit Proudhon, à ce
qu’en écrivaient les réformateurs sociaux de la première moitié du XIXe siècle, on peut même penser, à
la lumière du livre de Jaurès sur les Origines du Socialisme allemand, à Luther critiquant l’usure, mais,
et c’est là qu’est la différence, ces socialistes-là n’ont pas vu que cette contradiction entre la morale et
l’économie n’est pas justement une contradiction morale, mais une contradiction structurale. Pour
Marx, le capitalisme ne pose pas un problème éthique : et ceci devrait permettre de trancher avec
certaines thèses de Rubel ; pour Marx, le capitalisme ne saurait être simplement amendé ou amélioré
dans ses aspects les plus scandaleux et l’on ne saurait espérer se sortir de la situation instaurée en
développant ou en encourageant un bon capitalisme : thème présent, par exemple, chez Gramsci, pour
qui il existe un bon capitalisme qui ne fait pas la guerre, par opposition au méchant capitalisme qui fait
la guerre...
J’en viens maintenant à l’aspect rationnel ou l’aspect révolutionnaire de la dialectique hégélienne.
Cet aspect, on le trouve d’abord dans, je crois malgré tout, le thème de l’aliénation. L’aliénation, dit
Marx, inclut « l’idée de l’appropriation de l’essence objective par la suppression de son aliénation.
C’est la compréhension aliénée de l’objectivation réelle de l’homme, de l’appropriation réelle de son
essence objective par l’anéantissement de la détermination aliénée du monde objectif, par sa
suppression dans son existence aliéné ». Si je parle de l’aspect rationnel de la dialectique, je pense
évidemment toujours à cette fameuse « Postface » à la deuxième édition allemande du Capital où Marx
dit : « Sous son aspect rationnel, (...) dans la conception positive des choses existantes, la dialectique
inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, (...) elle est essentiellement critique et
révolutionnaire ». C’est à peu près ce qu’il vient de dire dans les Manuscrits de 1844 : donc même si
Hegel le fait de façon aliénée il voit bien que « l’aliénation de soi » peut être en même temps une
« prise de possession de soi », une « réalisation », ce qui, je pense à la discussion de la semaine
dernière, nous renvoie au problème du sujet historique, au problème du rôle historique du prolétariat.
En fait, Hegel, à l’intérieur de l’abstraction, saisit le travail comme « l’acte d’engendrement de
l’homme par lui-même ». Et c’est là, je crois, une médiation extrêmement importante pour en venir
chez Marx à ce problème d’économie politique et philosophie. C’est en effet, sur ce thème d’aliénation
que s’articule la double critique de Hegel et de Ricardo. Pour Hegel, nous allons partir une fois de plus
de la dialectique du maître et de l’esclave, en constatant d’abord, Marx le remarque, il faut lire entre les
lignes, que cette dialectique ne renvoie pas à des rapports de production, et il ne s’agit donc pas,
comme le fait Kojève, de déduire simplement le rapport capitaliste-prolétaire de la dialectique du
maître et de l’esclave, cette dialectique ne renvoie pas à des rapports de production mais est sous-
tendue par des principes qui sont, en quelque sorte, extérieurs à la situation : il y a d’une part la
nécessité de la reconnaissance : la relation du maître à l’esclave consiste d’abord à se faire reconnaître
par l’esclave, mais l’esclave de son côté n’est pas tant l’esclave du maître que l’esclave de son désir de
vivre : c’est parce que l’esclave n’a pas accepté de mourir dans les combats préalables qu’il s’est
trouvé réduit à l’état d’esclave. Mais du fait de cette non-existence (ou cette méconnaissance) des
rapports de production, le travail de l’esclave reste, chez Hegel, un travail spirituel, un travail abstrait.
L’esclave, si l’on peut dire, est producteur de liberté stoïcienne, il produit de la liberté abstraite mais il
ne produit pas de la valeur. Il s’agit pourtant d’une force-de-travail, une force-de-travail qui est
susceptible, comme le constate Marx d’une « objectivation réelle », mais qui, faute que d’être aliénée
dans un ensemble de rapports de production, est incapable de produire de la valeur. Ainsi confronté au
problème du capitalisme, Hegel va être incapable d’arriver au terme de son analyse. Hegel est bien

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parti de la force-de-travail, force-de-travail abstraite mais force-de-travail quand même, mais il sera
incapable de parvenir à la valeur. Il sera incapable, si l’on veut, de penser cette force-de-travail comme
une marchandise, incapable de la penser comme une marchandise qu’on peut acheter et qui sert de
médiation entre la richesse et la valeur.
Voyons maintenant Ricardo. Ricardo, lui, représente l’attitude inverse. Ricardo part de la valeur et
il ne tient pas compte des hommes, ce dont Marx d’ailleurs lui sait gré. « Le grand progrès de
Ricardo » dit-il, c’est de considérer « l’existence de l’homme » comme « indifférente et même
nuisible » pour ce qui est le but de la production : l’intérêt. Et encore : « Pour Ricardo, les gens ne sont
rien, le produit est tout ». On voit ici ce que Marx entendait par le cynisme de Ricardo, cynisme
louable parce que, chez ce dernier, les « conséquences de l’industrie » apparaissent « plus développées
et plus remplies de contradictions ». C’est pourquoi, comme le dit Marx, Ricardo va plus loin que les
autres économistes classiques « dans l’aliénation par rapport à l’homme ». Il arrive plus loin parce que
sa science est plus conséquente et parce qu’il fait de la propriété privée le sujet, c’est-à-dire parce qu’il
assume le renversement, il assume la mystification. Je cite encore : « La contradiction de la réalité
correspond pleinement à l’essence remplie de contradictions qu’il a reconnue pour principe. La réalité
déchirée de l’industrie (...) confirme son principe déchiré en soi. (Son) principe est en effet le principe
de ce déchirement ». On approche là un peu plus de la solution de ce problème que posent les «
« contradictions économiques » de Proudhon.
Mais Ricardo, lui, part de la valeur, ne distingue pas entre le capital variable et le capital constant.
Pour Ricardo, la mesure de la valeur, c’est une marchandise qui contient toujours la même quantité de
travail, même si cette marchandise est le produit d’un tisserand ou d’un boulanger : Marx, qui en
reparlera dans le Capital, livre I, chapitre II, dans l’Histoire des doctrines économiques, en parle déjà
dans les Manuscrits de 1844. En fait Ricardo ne distingue pas, ne parvient pas à distinguer entre plus-
value et profit, il confond aussi capital fixe et capital circulant. Pour lui, le capitalisme achète « du
travail » et non de la force-de-travail, et ce travail se retrouve ensuite cristallisé dans la marchandise.
Ricardo ne voit pas ici que l’argent, enfin le salaire qui est donné à l’ouvrier, argent qui achète la force-
de-travail, n’est pas un argent qui est retiré du produit, qui a été retiré de la marchandise, mais un
argent qui préexiste, qui préexiste à la fabrication de la marchandise et qui est déjà constitué comme
capital. Ricardo ne voit pas non plus, et bien sûr ceci est la cause de cela, que le capitalisme n’achète
pas du travail, mais une marchandise bien précise : la force-de-travail, et ceci précisément, Hegel l’a
bien vu, parce que cette force-de-travail est susceptible d’une « objectivation réelle ». Donc, pour
récapituler un peu, Hegel voit la force-de-travail, mais n’est pas capable de parvenir à la valeur et au
capital. Ricardo, lui, part de la valeur, mais n’ayant pas vu la force-de-travail, ne peut donc pas sortir
de la valeur et ne peut parvenir ni au capital, ni au travail : Ricardo reste enfermé dans la valeur.
C’est donc le travail abstrait que définit la dialectique hégélienne et le travail abstrait de cette
même dialectique qui permet à Marx de critiquer Ricardo et aussi de penser - et c’est là l’important :
car il peut ainsi sortir des problèmes de Ricardo - de penser la force-de-travail comme une médiation
entre la valeur et le capital. C’est également la dialectique hégélienne qui permet d’éviter ce que
j’appelle les ornières du « proudhonisme » et de rendre compte de toutes les irrationalités du
capitalisme, toujours les « contradictions économiques » de Proudhon. L’irrationalité, c’est, par
exemple, la constitution sur le marché, selon des moyennes, des prix qui oscillent autour de la valeur,
mais qui ne sont pas l’expression pure de la valeur. C’est aussi la rente foncière : Marx constate que les
terres valent en rapport de leur fertilité ou à leur situation, mais non pas en rapport au travail qu’on
exécute. C’est aussi évidemment l’établissement d’un taux moyen de profit indépendamment de la
composition du capital. L’irrationalité des irrationalités, c’est, bien entendu, la plus-value. Donc, pour
conclure sur ce point, c’est la dialectique hégélienne qui, selon moi, évite à Marx de traiter le
capitalisme en termes de morale comme l’ont fait les socialistes utopiques ou de le traiter en termes de
comptabilité comme l’a fait Proudhon ; cela lui évite donc de commettre les erreurs, les bourdes, les
sottises de ce mauvais hégélien qu’est Proudhon : je renvoie ici à la Philosophie de la Misère. Tout
ceci bien entendu parce que, dès les Manuscrits de 1844, se trouve posé ce qui sera le problème central
de Marx : le rapport économie politique-philosophie ou le problème de l’apparence du capitalisme, le
problème de la production à l’idéologie, ou plus précisément le problème de la critique d’une réalité
qui est le mode de production capitaliste, réalité dont Marx dira dans le Capital, livre III, chapitre 50 :
« Ce mode de production capitaliste reproduit constamment, non seulement le produit matériel mais

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aussi les rapports économiques et sociaux, les données économiques de sa formation », de telle sorte
que « les résultats de la production semblent nécessairement en être les prémices tandis que les
prémices semblent nécessairement en être les résultats ». Et là on retrouve effectivement ce
renversement de la dialectique dont Hegel constituait la meilleure illustration.

Jean-Claude FORQUIN. - Pourrais-tu rappeler en quelques phrases les conclusions que tu en tires
précisément contre Althusser ?

Robert PARIS. - Selon moi, Althusser n’a pas grand-chose à voir avec le marxisme. Lorsqu’on
élimine des concepts comme l’aliénation, lorsqu’on ne se place pas du point de vue du prolétariat,
lorsqu’on considère le marxisme comme une théorie et non comme une méthode, lorsqu’on ne pose
que des problèmes épistémologiques on est en train de s’éloigner ou de sortir de Marx. Non pas que je
veuille d’ailleurs définir l’orthodoxie : je ne reproche pas à Althusser d’avoir écrit ce qu’il a écrit, mais
de nous présenter ce qu’il a écrit comme étant du marxisme.

Note

(1) Je m’appuie là sur divers travaux : ceux des groupes de Galvano DELLA VOLPE, Mario ROSSI,
Quaderni Rossi, de Classe Operaia, enfin sur un livre de Mario TRONTI récemment paru, Operai e
Capitale. Je tiens compte aussi du livre de Herbert MARCUSE, Reason and Revolution.

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