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A HISTORY OF VIOLENCE, 2005, exercice critique.

Il y a deux faces à la carrière de David Cronenberg.

La première, la plus précieuse, est celle qui imposa le cinéaste : un cinéma viscéral et transgressif,
qui, en sus de l’astuce de ses thèmes et de l’intelligence de son propos, n’oubliait pas de livrer de vrais
films, des morceaux de péloche opératiques aux narrations solides et aux effets cathartiques. C’est le
Cronenberg de la grande époque, celui qui 20 ans avant Matrix se permettait une scène de hacking
informatique par télépathie au téléphone (le gigantesque Scanners) ou de réalité virtuelle (Videodrome,
définitif). Celui qui ne s’embarrassait pas d’épilogue lénifiant à la fin de The fly. Celui qui osait la frénésie
vénérienne (Shivers et Rage) cinq ans avant le sida et l’agression explicite d’enfants (The brood) pour peu
que ça serve son cinéma. Ces premiers films sont trop souvent considérés par certains comme
embarrassants et pas propres : Ils constituent pourtant des pierres angulaires du cinéma des années 70 et
80.

Hélas ! Il y a aussi l’autre David, le Cronenberg respectable qui apparaît avec Faux semblants.
Celui-là délaisse Sitgès et Avoriaz pour ne plus fréquenter que Venise, Berlin ou Cannes. Il a des amis
bon teint qui ont lu tout Freud et possèdent au moins une édition de Sexus. Il est traversé de
fulgurances de son ancienne vie (l’excellent Naked lunch), mais passe globalement à côté de ses sujets,
plus occupé à donner à voir qu’il réfléchit qu’à questionner réellement son cinéma. Voir pour s’en
convaincre Existenz , plantade condescendante et pataude sur le jeu vidéo, là où Videodrome avait tout
compris de son sujet qu’il prenait à bras-le-corps. On le vit aussi dans cette volonté de faire du film
intellectuel avec poil au cul (le consternant Crash). En voyant un personnage lancer du sperme à la
caméra après une masturbation, dans Spider, on se remémorait l’un des aphorismes d’Almanach Vermot
de Lacan, "tout symbole est à interpréter littéralement". Et l’homme de goût se désolait sur la dépouille
du réalisateur de Scanners en apprenant qu’il envisageait un documentaire sur Orlan, égérie jusqu’au-
boutiste de l’enculage de mouches mondain… Douloureux de la part de l’homme qui jadis trépanait
Michael Ironside !

Aussi la surprise est d’autant plus réjouissante à la vue de A history of violence, western déguisé (car
récit archétypal de lonesome cow-boy rangé qui reprend les flingues pour défendre les folks du coin) qui
n’oublie jamais son spectateur en route et va de son point A à son point B de manière frontale et
dévastatrice. Loin des maniérismes alambiqués de ses derniers films (plages colorées à la Bava,
mouvements de caméra peu utiles, jeu d’acteurs parfois à la limite du Rohmer), Cronenberg y renoue
avec sa mise en scène sobre, ample et opératique, celle qui fait passer les plus grandes audaces comme
des évidences. On jurerait certains plans arrachés de The brood. Le film, magistral, trimballe son
spectateur de bout en bout avec une histoire simple contée solidement, où l’analyse des caractères se fait
au service de l’émotion plutôt qu’à celui de l’intellect. Les acteurs (mention toute particulière à Maria
Bello et Viggo Mortensen) exsudent littéralement l’humanité de leurs personnages, rendant tout à fait
crédible et palpable l’existence de ces derniers en dehors des bords du cadre. C’est un monde tout à fait
quotidien et identifiable qui s’étale devant nous, où la violence est réellement douloureuse lorsqu’elle
explose. Quelles qu’en soient les motivations, gratuité, défense ou affirmation, la violence est ici, au coin
de la rue, dans les interstices de la journée mais surtout logée au cœur de l’humain, qui doit l’affronter
pour se retrouver, au final, moins frais mais plus complet qu’avant. Quitte à affronter Ed Harris. Le film
est réjouissant pour l’amateur de bons films, car maîtrisé, immersif et surtout émouvant. Le cinéaste est,
enfin, impliqué dans son histoire, ce qui faisait défaut à ses derniers films. Le résultat est une péloche
sincère, ce qui est une qualité trop rare par les temps qui courent…

Il est d’ailleurs touchant de voir à quel point Cronenberg semble s’approprier l’histoire de "Tom
Stall" pour nous parler de lui.

Tom Stall est attaqué par des délinquants homicides dans son coffee shop. Il se défend avec un
brio meurtrier et assez suspect. Evènement qui va obliger le personnage à se confronter au chien fou
qu’il fut autrefois pour "se ré-assimiler" (comportement que reconnaîtrait le James Woods de
Videodrome !) et finalement être un homme plus complet, plus moral que le good guy utilitaire qu’il s’était
forcé à devenir en procédant par soustraction. Confrontation violente à un monde violent (et plus vaste,
Mortensen ne sortant des murs de sa bourgade à la Norman Rockwell que pour affronter son frère et
son ancienne vie), qui va changer des personnages fonctionnels (le bon père de famille, le fils un peu
lunaire en butte à l’animosité des mômes populaires, l’épouse/femme active qui porte la culotte et
distribue les faveurs sexuelles comme des bon points…) en véritables personnes, complexes et bourrés
de recoins. Le fils s’affirme en homme, le good guy assume ses zones d’ombres et la maman accepte la
putain en elle et ses désirs d’animalité (le rapport sexuel dans l’escalier qui traite de cette dualité
autrement plus subtilement que tout Spider). Le "mal" (au sens de sauvagerie), s’il est - momentanément
- pourfendu, est surtout pleinement accepté et intégré.

A l’attaque du restaurant correspondrait alors la découverte du comic book original.

Il semble en effet qu’en adaptant l’ouvrage de John Wagner et Vince Locke, Cronenberg laisse de
côté sa respectabilité de poseur de festivals. Il accepte enfin (on devrait dire : à nouveau) ses
"antécédents de violence" pour se tourner vers sa jeunesse de trublion : photo naturaliste peu saturée,
découpage efficace, factuel et solide (la séquence d’ouverture !), jusqu’à la partition d’Howard Shore qui
revient à une épure et un lyrisme proches du score de Scanners. Il revient à un cinéma extrêmement
charnel (les coups portent douloureusement par le biais de cuts frontaux très agressifs, on sent toujours
le physique des personnages par les pieds nus, les blessures, les bleus, la sueur toujours rappelés dans
l’action), un cinéma où le concept n’est jamais prééminent à l’action. La preuve ? Cronenberg a ôté de
son montage final une scène onirique, auto-citation propre à faire jaser les cinéphiles lacaniens, et où il
se laissait aller à "faire du Cronenberg" sur-signifiant et peu utile. Ce faisant, il choisit explicitement de
servir l’économie de l’histoire qu’il raconte, plutôt que de se faire mousser à peu de frais en se montrant
malin.

C’est aussi pour ça que l’on écrase sa petite larme à la fin du récit. A l’instar de son personnage,
David revient nous voir, enfin débarrassé de ses oripeaux de nouveau philosophe, ayant accepté cette
autre partie de lui qui est moins plaisante pour les gens de bon goût, les gens civilisés. Il sait, et nous le
dit, qu’à trop chercher à complaire à une idée proprette d’un monde jalonné de certitudes rassurantes, il
participait au mensonge de la respectabilité. Qu’il s’amputait de ce qui faisait son identité et sa valeur, et
qu’il est désormais plus fort avec que sans.

On est ému, parce qu’on est trop heureux de lui avoir gardé son assiette.

Fabien Legeron

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