Confessions Le danger
refoulant
par Un Esprit Libre
17 juin 2008
Résumé
La censure est le procédé le plus pra-
tiqué par le gouvernement tunisien
pour maintenir l’équilibre et l’ordre
au sein de la société, mais cet équi-
libre n’est pas dynamique, ce qui
augmente le risque d’une explosion
populaire contre cette politique.
Étant un citoyen tunisien, je vous
présente ici comment et pourquoi
j’arrive à déduire la présence de ce
danger dans un pays hybride et bou-
leversé.
La Tunisie : l’émergence
On doit le reconnaître, on doit l’avouer : la Tunisie
de Bourguiba était, au début, un projet ambitieux.
Il était conscient du contexte international et sur-
tout, l’importance de garder un lien avec les
grandes puissances de l’occident. Bouguiba était
un bon chef d’état au début, ses réformes libérales,
son attitude centriste et sa conscience de l’impor-
tance de la laïcité étaient avant-gardistes à cette
époque, l’époque de la guerre froide et des conflits
arabo-israëliens.
Mais ça a tourné mal1 . Il est important alors de
remarquer les moments ou notre chère patrie est
en besoin de réforme, et de retrouver les bonnes
solutions. Le régime issu du putch de 1987 est
entré rapidement en guerre contre les fondamenta-
listes islamiques, ce qui est en fait normal et
encourageable. Mais ceci est tourné assez rapide-
ment en une censure très serrée sur tout ce qui
peut être contre les volontés de l’état, et non les
règles de la démocratie.
Personnellement, je ne peux pas imaginer un pays
démocratique sans laïcité. Le gouvernement tuni-
sien sait bien que la laïcité doit être défendue,
sans qu’il ne légalise la laïcité elle-même. Des con-
tradictions et des oublis aussi encouragent le fon-
damentalisme, et pressent sur le gouvernement,
qui réplique en censure.
1. En 1975, le parlement a validé sa dictature en le trans-
formant en président à vie, ou en effet, un roi obligatoire
dans un état supposé démocratique.
1
augmente en le
La nature a ses lois, des lois très proches de la
physique. Dans une société à 99% de musulmans2 ,
les jeunes passent une bonne période de leur vie en
croyant à l’idéal islamique, un idéal qui n’existe
pas et qui ne se justifie d’aucune manière. Il est
possible que la majorité des tunisiens ne trouvent
aucune liaison logique entre la laïcité non-déclarée
et largement appliquée par le gouvernement, et
entre les gains économiques comme le partenariat
avec l’union européenne, le bon niveau d’attracti-
vité touristique, l’investissement direct et le statut
international du pays. Certes, le projet politico-
religieux islamique est très convaincant pour un
musulman convaincu, mais aussi, comme l’est
l’idéal islamique, ne se justifie d’aucune manière.
Pour le moment, il paraît que je défent le point de
vue du gouvernement, mais en fait, je suis contre
cette qualification. Je boycotte depuis une éternité
la presse tunisienne, les médias tunisiens, et la vie
politique tunisienne, car je suis déçu de cette
grande faute d’application qu’on subit ici.
Le danger augmente en le refoulant, la pression
augmente lorsqu’on l’emprisonne. Je suis contre le
fondamentalisme, comme l’est le gouvernement. Je
suis contre l’implication d’un dieu fantômatique
dans la politique de mon pays (mon pays, qui l’est
encore pour le moment) et je suis contre la projec-
tion barbare de quelques concepts spirituels, créés
par la peur de la mort et la recherche d’un ami
virtuel, sur un monde pragmatique, concret qu’est
le monde politique. Mais pourtant, la violence
n’arrive pas à résoudre le problème.
Pourquoi cette politique est à
éviter ?
Parce que tout simplement, un évènement mineur
et sans importance, peut engendrer une catas-
trophe par la motivation de ces personnes, fonda-
mentalistes, et même les gens non-fondamenta-
listes que le pouvoir a faussement condamné. Le
pouvoir en Tunisie a pratiqué une politique insuffi-
samment discrète contre les fondamentalistes et les
Salafites durant les 20 annèes précédentes, en
jugeant dans des conditions humaines dans le tri-
bunal militaire, avec des preuves faibles et sans
2. Selon WikiPedia (www.wikipedia.org)
prise en compte du besoin d’une certaine justice,
des dizaines ou des centaines de personnes (pour
ne pas dire des milliers) ce qui dessine dans
l’inconscient public l’image d’un pouvoir immoral
et faible, et augmente cette pression, et ce danger.
Le scénario suivant sera inévitable si le pouvoir
continue ainsi : des troubles ouvriers à la capitale,
suivis des manifestations publiques par des étu-
diants et des chômeurs. Le résultat : plus de
500.000 personnes contre le pouvoir dans la capi-
tale politique et économique, et tout s’écroule.
Une intervention militaire ne fera qu’aggraver le
problème, et le pouvoir sera en danger. Le pays va
perdre quelque soit le résultat.
Il est alors bon d’avoir les deux expériences de
20073 et 20084 . Il est temps de redresser une
méthodologie pour restabiliser le pays : les tuni-
siens ne sont pas contre le pouvoir par nature.
Seule la propagande de mauvaise qualité et la cen-
sure réveille dans le cerveau tunisien une haine au
pouvoir. le système de filtration du contenu est le
plus sévère au monde peut-être, mais il n’est pas
3. Janvier 2007 : confrontation avec un groupe terroriste
salafite, près de la capitale.
4. Hiver-Printemps 2008 : troubles dans la zone minière de
Gafsa.
parfait : on invente chaque jour des méthodes pour
accéder aux sites de Reporters Sans Frontières,
Human Rights Watch et Amnesty International, et
si on garde ce bouclier contre l’information, elle
deviendra plus désirée. Pour combattre le fonda-
mentalisme, rien n’est meilleur que de proclamer
la laïcité comme principe constitutionnel, pour que
personne n’y touche. Mais proclamer un président
à vie ne résout pas le problème. Les gens meurent,
un jour ou l’autre, mais la constitution ne meurt
pas, si on lui accorde de l’importance. Malheureu-
sement, notre constitution n’est qu’une pute,
qu’une brique pour bâtir la dictature, pour
aggraver le problème.
Mot de la fin
Je me demande parfois si les architectes des déci-
sions dans le pouvoir en Tunisie peuvent être si
aveugles pour en pas voir ce que je vois. S’il ne le
sont pas, alors il doivent être vraiment les com-
plices de certains voleurs qui trafiquent à travers
la Tunisie ce qui est aux tunisiens. J’aime ne pas
parler de cette hypothèse, mais si j’en devient con-
vaincu, je quitterai le pays à jamais.