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LE LABYRINTHE DU MONDE

ET
LE PARADIS DU COEUR
Comment dans le monde et dans tous ses aspects
ne règnent qu’errance et illusion, incertitude et
misère, mensonge et tromperie, angoisse et détresse;
et par conséquent dégoût et désespoir envers toute chose .
Celui qui pénètre avec le Seigneur Dieu
dans la demeure de son cœur, parvient de lui-même
à la paix parfaite et véritable de l’âme, et au bonheur,

de

Jan Amos Comenius

Dédicace au baron Karel de Zerotin

Au Seigneur très illustre et en vérité très noble, Seigneur Karel, baron de Zerotin l’Ancien ..., gouverneur de Moravie,
son Seigneur très clément.

En cette époque orageuse et agitée, j’hésite à présenter par cette lettre la dédicace d’un livre. J’espère qu’il ne sera pas
importun à votre très auguste Seigneurie, quoique son but soit d’inspirer courage et de guider vers la paix en Dieu. Je vais le
décrire plus avant. Dans ma réclusion et mon repos forcé, puisque je suis relevé de mes devoirs quotidiens, je ne peux ni ne
veux rester inactif. C’est pourquoi, pendant les quelques mois qui viennent de s’écouler, j’ai commencé à méditer, parmi
d’autres choses, sur la vanité du monde (bien que de tous côtés tout nous pousse au contraire) jusqu’à ce que cette allégorie,
que j’offre à votre Grâce, me pousse dans les mains.
La première partie dépeint par figures le vain jeu du monde : comment, malgré toute l’énergie déployée, il n’accomplit
rien, et dans quelle misère tout se termine en fin de compte, soit en ridicule, soit en malheur. La deuxième décrit de façon libre,
en partie sous forme allégorique, le bonheur véritable et durable des enfants de Dieu : comme ils sont bienheureux ceux qui se
sont détournés de ce monde et de ses affaires et ne s’attachent qu’à Dieu, oui, qui sont entièrement unis à lui. Je suis moi-
même conscient de n’amener ainsi à la lumière qu’un essai, encore imparfait . Car la matière en est, comme je l’ai dit,
surabondante. On pourra donc trouver ici les meilleures conditions pour que la compréhension s’aiguise et que la langue
s’exerce afin que de toutes nouvelles découvertes puissent sans fin se multiplier.
Mais, quoi qu’il en soit, je souhaite présenter à votre Grâce ces esquisses imparfaites rassemblées. Je ne m’aventure pas
à dire dans quel but; mais Votre Grâce, dans sa sagacité, pourra s’en rendre compte en les lisant, ou on pourra l’expliquer à un
autre moment. Je voulais simplement donner à entendre ceci :le don de ce livre, je l’espère, ne sera pas trouvé inopportun par
votre Grâce. Vous aurez eu mille expériences du flux et des soucis du monde, et reposez cependant dans le havre le plus
paisible de votre conscience. C’est pourquoi, je souhaite que votre Grâce puisse vivre agréablement en Christ, libre du monde
et de Satan, et attende joyeusement la vie - si pleinement méritée par Votre Grâce - qui doit suivre celle-ci (oh, si misérable).
Entre temps, puisse l’Esprit béni de notre Dieu éternel et miséricordieux nous guider, nous élever, nous consoler et nous
affermir. Amen.

Donné à la colline de Klopoty, ides de décembre, 1623


Le serviteur dévoué de Votre Grâce,
J.A.C.
Au lecteur

1 . Toute créature, même la plus déraisonnable, a tendance à désirer et satisfaire d’une manière agréable des besoins qui
lui sont propres. Ceci est, en particulier, le cas de l’homme, chez qui non seulement s’éveille le don inné de la compréhension
et de l’aspiration au bien, mais encore qui amène aussi ce désir à un éveil durable. C’est pourquoi chez les philosophes est
apparue depuis longtemps la question suivante : “ Où se trouve le plus grand bien (summum bonum) que les désirs humains
puissent circonscrire et réaliser?” . Je suppose donc qu’un homme, après avoir préparé ce bien le plus élevé en son cœur, devra
et pourra trouver le repos. Il ne lui restera ainsi plus rien à souhaiter.
2 . Prenons maintenant la peine de considérer soigneusement ce problème : non seulement les philosophes se sont posés
cette question et ont cherché à la résoudre avec ardeur, mais dans l’ensemble, toutes les pensées des hommes se sont
orientées vers la découverte de la perfection et du chemin qui y mène. On découvre par là que pratiquement tous les hommes
se fuient eux-mêmes, comme si de cette façon ils pouvaient calmer et apaiser le désir de leur cœur. Inlassablement ils
cherchent la perfection en ce monde : l’un dans les possessions, l’autre dans les satisfactions et les voluptés, un troisième dans
les honneurs et la renommée, un quatrième dans l’art et la science, un autre dans une compagnie agréable, etc...Bref, tous
dirigent leurs regards sur de vaines choses et cherchent leur salut en dehors d’eux-mêmes.
Ils ne le trouvent pas, comme en témoigne Salomon, le plus sage des hommes, qui chercha également la paix de son âme.
Après avoir voyagé et cherché dans le monde entier, il dut pour finir reconnaître : “C’est pourquoi je détestai cette vie; car tout
ce qui se fait sous le soleil m’a déplu, tout est vanité et poursuite du vent.(Ecclésiaste 2 :17)La véritable paix de l’âme,
explique-t-il - après l’avoir trouvée par lui-même - tient en ce que l’homme abandonne le monde et se confie à Dieu seul,
l’adore et suive ses commandements. “Car, continue-t-il, tout se résume à cela”. Parallèlement, David concluait que l’homme
le plus heureux est celui dont la vision et l’esprit abandonnent le monde, qui ouvre la porte de son cœur à Dieu seul et se relie
à lui pour l’éternité, l’adore et suit ses commandements.
Louée soit la miséricorde divine d’avoir aussi ouvert mes yeux. Ainsi, je peux percevoir les multiples vanités de ce
monde prétentieux, comme l’erreur partout cachée sous le masque des apparences vernies. Grâce à cela, j’ai appris à
rechercher ailleurs la paix et la sécurité d’esprit. Désireux de dépeindre ces choses de façon plus vivante pour moi-même
comme pour autrui, j’ai conçu cette pérégrination, ou errance, à travers le monde. Elle retrace les perversités que j’ai vues et
rencontrées, et comment j’ai finalement découvert le repos désiré, que tous recherchent en vain. J’ai dépeint tout cela dans le
présent traité.
Que cela ait été fait brillamment ou non, peu importe; fasse Dieu qu’il me soit bénéfique ainsi qu’à mon prochain !
Ce que tu vas lire, cher lecteur, n’est pas une fable, même si cela y ressemble. C’est la description de la vie réelle, comme
tu t’en apercevras quand tu l’auras bien compris; cela sera plus facile pour ceux qui connaissent plus ou moins ma vie et ses
péripéties. Car j’ai décrit, pour la plus grande part, les vicissitudes des quelques années de ma propre vie ; pour le reste, les
incidents furent observés dans d’autres vies, ou on me les a racontés. Cependant, par pudeur, je n’ai pas, raconté toutes mes
expériences. De plus, je ne les considère pas toutes spécialement édifiantes pour les autres.
Mes guides, qui sont les guides de tout homme qui cherche à faire son chemin en ce monde sont en vérité les suivants :
l’avidité d’esprit, qui met son nez partout, et la force de l’habitude, qui prête un ton de vérité à toutes les erreurs du monde.
Néanmoins, si tu te sers de ta raison, tu verras, comme je l’ai fait, la misérable confusion de notre espèce. Si cela ne
t’apparaissait pas, tu peux être sûr que ce sont les lunettes de la tromperie qui en sont la cause, en te faisant tout voir à l’envers.
En ce qui concerne la description du bonheur des cœurs voués à Dieu, je confesse qu’il s’agit plutôt d’une esquisse de
leur état idéal, qu’une description du véritable état d’être des élus.
Mais le Seigneur ne manque pas de tels esprits parfaits et toute personne vraiment pieuse qui lit ce livre a le devoir
d’aspirer à un tel état de perfection. Porte-toi bien , cher ami Chrétien, et que le guide de la Lumière, le Saint- Esprit, te révèle,
mieux que je ne suis capable de le faire, la vanité du monde, de même que la vraie gloire, la consolation, et la joie des élus et
celle des cœurs unis à Dieu. Amen.
CHAPITRE 1

Les raisons de mon pèlerinage autour du monde


Quand j’eus atteint l’âge où le discernement commence à se manifester - entre le bien et le mal, rangs et professions,
occupations et entreprises variées auxquelles les hommes s’adonnent - il me parut hautement désirable de bien réfléchir à quel
groupe d’hommes je m’associerais et à quelle tâche je consacrerais mon existence.

Irrésolution d’esprit
Après avoir consacré beaucoup de temps à réfléchir au problème, et avoir consulté soigneusement mon entendement,
j’en arrivai finalement à opter pour un mode de vie où soucis et efforts seraient aussi rares que possible, et ainsi me procurerait
le maximum de confort, de paix et d’entrain.
Mais alors je me retrouvai devant une difficulté : comment découvrir à quelle profession cela pourrait bien correspondre.
De plus, je ne savais pas avec qui avoir un entretien sérieux à ce sujet. J’hésitais à demander conseil à qui que ce soit, car je
présumai que tout homme vanterait tout naturellement son état. D’un autre côté, je craignais d’entreprendre quoi que ce soit de
façon précipitée, de peur de faire une erreur.
Néanmoins, j’avoue volontiers en avoir essayé secrètement une, puis deux, et plus tard une troisième, mais bien vite
j’abandonnai tout cela. Je percevais des difficultés et peu d’intérêt en toutes ces choses. De plus, je craignais que mon
inconstance ne m’apporte que dérision; finalement je ne savais plus que faire.
Après beaucoup d’ hésitations et de controverses intérieures, je finis par me décider à passer en revue toutes les affaires
humaines qui sont sous le soleil. Ensuite, quand je les aurais intelligemment comparées les unes aux autres, j’en choisirais une
telle qu’elle me permettrait de passer une vie paisible. Plus je réfléchis à ce plan, meilleur il me parut

CHAPITRE 2
Le pèlerin prend “ Passe-partout” pour guide
Le monde est un labyrinthe : description d’une personne sans humilité.
Sur ces entrefaites, je me mis en recherche, et me demandai par où et comment je commencerais. Puis, soudain, sortant je
ne sais d’où, apparut là, devant moi, un individu au maintien vif, d’apparence alerte, loquace, dont les pieds, les yeux, et la
langue n’arrêtaient pas de s’agiter. Il s’approcha de moi, me demandant d’où je venais et où j’allais. Je répondis que j’étais
parti de chez moi pour courir le monde afin d’acquérir de l’expérience.
Le monde est un labyrinthe
Il approuva, mais ajouta : “Mais qui est ton guide?”
Je répondis: “je n’en ai pas ; je m’en remets à Dieu et à mes yeux pour ne pas faire fausse route .”
“Tu risques de te tromper” répliqua-t-il. « As-tu jamais entendu parler du labyrinthe de Crète?”
“Plus ou moins” répondis-je.
Il continua : “C’était l’une des merveilles du monde, un bâtiment comprenant tellement de pièces, de cloisons et de
couloirs que quiconque y entrait sans un guide était condamné à y errer à tâtons, deçà, delà, sans jamais plus trouver la sortie.
Et cependant cela n’était qu’un jeu d’enfant par rapport à la complexité du labyrinthe du monde, en particulier du monde
actuel.
Crois-en un homme d’expérience : ne t’y hasarde pas seul!”

Description d’une personne sans humilité.

“Mais où trouverai-je un tel guide?” demandai-je.


“C’est mon travail” répondit-il, “de conduire les hommes qui désirent voyager dans le but d’étudier et de voir le monde,
de les guider et de leur montrer de quoi il retourne; c’est la raison pour laquelle je t’ai abordé.”
Tout étonné, je demandai : “Mais qui es-tu, mon ami?”
Mon nom est Cherchetout, surnommé Passe-partout” répliqua-t-il. “J’erre de par le monde, et je fouille dans tous ses
recoins, me renseignant sur les paroles et les actions de tous. J’examine tout ce qui est apparent et je fouille pour révéler tout ce
qui est secret. En bref, rien ne peut se faire sans moi , car il est de mon devoir de superviser toutes choses. Si tu me suis, je te
mènerai dans bien des endroits secrets que tu ne pourrais jamais trouver seul.”
A ces mots, je fus submergé de joie d’avoir trouvé un tel guide. Je le priai de me guider de par le monde, s’il ne
considérait pas cette tâche comme trop rebutante.
“C’est avec plaisir que je sers ”répliqua-t-il, “et je te servirai avec le même plaisir.”
Donc, me prenant par la main, il dit :
“Allons-y!”
Et nous partîmes.
“ En vérité je suis curieux de voir comment marche le monde” remarquai-je, “et s’il existe quoi que ce soit qui puisse
vraiment m’inspirer confiance.”
En entendant cela, mon compagnon s’arrêta et dit:
“Mon ami, si tu entreprends ce voyage avec l’intention d’émettre tes jugements à tort et à travers au lieu de te trouver
satisfait de tout, je ne sais pas comment Sa Majesté, notre Reine, le prendra.”

Vanité, la reine du monde


“Et qui est votre Reine?” lui demandai-je.
“Celle qui dirige le monde et toute sa course du commencement à la fin” répliqua-t-il. “Son nom est Sagesse, bien que
certaines “têtes enflées” la surnomment Vanité. Laisse moi te prévenir: quand nous irons à droite et à gauche étudier les
choses, ne réfléchis pas trop . Tu aurais des ennuis, et je pourrais bien en avoir aussi à cause de toi …

CHAPITRE 3

Illusion se joint aux voyageurs


Alors qu’il conversait ainsi avec moi, quelqu’un s’approcha de nous - je ne pourrais dire si c’était un homme ou une
femme, car cette personne était étrangement accoutrée, et enveloppée d’un voile - et s’exclama:
“Où presses-tu cet homme, Passe-partout?” “A travers le monde” répondit mon compagnon, “car il veut l’examiner”
“Sans moi!” s’enquit l’étranger. “Tu sais que si ton devoir est de guider, le mien est d’expliquer tout ce qui existe. C’est
la volonté de sa majesté que personne ne passe à travers son royaume en interprétant à sa guise et pour son compte ce qu’il voit
et entend, puis tire ses propres conclusions. Car la nature des différents objets doit lui être expliquée, et lui se satisfaire de cette
explication.
“Existe-t-il quelqu’un de si insolent qu’il ne soit pas satisfait de notre ordre, comme tout le monde ?” rétorqua Passe-
partout.
“Cependant il me semble que celui-là pourrait bien avoir besoin d’une bride. Allez, viens donc!”
L’étranger se joignit à nous, et nous continuâmes notre voyage.

la routine mène à l’aveuglement


Mais je pensai en moi-même : je prie Dieu de ne pas être mal guidé! Ces gaillards manigancent pour me mettre quelque
chose qui ressemble à une bride. Je m’adressai donc ainsi à mon nouveau compagnon :
“Ami, ne le prends pas mal, mais me dirais-tu ton nom?”
“Je suis l’interprète de la Reine du monde, Sagesse, et ai reçu l’ordre d’instruire les hommes sur la façon dont les choses
du monde doivent être comprises” répondit-il. “En foi de quoi, j’inculque dans les esprits de tous ceux que tu rencontreras,
jeunes et vieux, bien et mal nés, lettrés et ignorants, tout ce qui appartient à la vraie sagesse. Ainsi je leur apporte joie et
contentement. Car sans moi, même les rois, les princes, les nobles et les gens les plus distingués se retrouveraient dans un
étrange état d’abattement et passeraient leurs jours dans les tourments.”
“Comme il est heureux que Dieu t’ait envoyé vers moi comme guide, mon cher ami, si ce que tu dis est vrai!”
m’exclamai-je.
“Je me suis lancé dans ce voyage pour trouver ce qu’il y a de plus agréable et de plus sûr au monde, et pouvoir m’y
consacrer. Avec toi comme conseiller, il me sera plus facile de choisir.”
“Sans aucun doute ” renchérit-il. “Il est vrai que tu trouveras tout dans notre royaume excellemment et convenablement
ordonné, dans la joie, et tu réaliseras aussi que tous ceux qui sont prêts à obéir à notre Reine ne sont jamais à court. Cependant
certains travaux ou emplois procurent plus de confort et de loisir que d’autres. Tu seras mis en mesure de faire ton choix. Je
t’en expliquerai les tenants et les aboutissants.”
“Mais quel est ton nom?” m’informai-je.
‘Mon nom est Illusion.

CHAPITRE 4
le pèlerin est bridé et enlunetté
le frein de la curiosité
Après avoir entendu cela, je fus horrifié, en réalisant à quels compagnons je m’étais lié! L’un (j’y songeai) faisait
mention d’une bride. Le nom de l’autre était Illusion. On disait de sa Reine qu’elle s’appelait Vanité (bien que cela semblait
avoir été un lapsus inconsidéré). Et quoi encore?
Dès lors, je marchai en silence, les yeux baissés, à pas comptés, plus ou moins contre mon gré. Passe-partout s’exclama:
“Eh toi, maintenant, girouette, j’ai bien l’impression que tu as l’intention de retourner en arrière?”
Et avant que j’aie eu le temps de répondre, il me jeta une bride sur le cou, dont le mors s’inséra promptement dans ma
bouche.
Il remarqua en même temps:
“Maintenant tu persévéreras plus facilement dans ce que tu as entrepris !”
J’examinai la bride et vis qu’elle était faite de lanières de curiosité, le mors ayant été forgé dans l’acier de la ténacité .
Puis je réalisai que je ne voyagerais plus à travers le monde en toute liberté, comme je l’avais fait auparavant, mais serais
contraint par la curiosité de mon esprit, et ma soif de savoir.

Les lunettes de l’aveuglement


A cet instant même, le second guide, de l’autre côté, remarqua:
“Pour ma part, je te présente ces lunettes à travers lesquelles tu dois examiner le monde.”
En disant cela, il me fixa les lunettes sur le nez et immédiatement tout prit un aspect différent ; les lunettes avaient la
propriété (comme je pus le vérifier bien des fois par la suite) de rendre les objets éloignés proches et les proches éloignés, les
petits grands et les grands petits, les choses laides belles et les belles laides, les noires blanches et les blanches noires, et ainsi
de suite. Ce qui fit que je réalisai avec quelle bonne raison on l’appelait Illusion, puisqu’il fait et impose de telles lunettes à
l’humanité

L’union de la routine et du préjugé


Comme je l’appris plus tard, les verres étaient faits du verre de l’affirmation et étaient montés avec les montures de
l’habitude. Heureusement, il les avait placées de travers sur mon nez, de sorte qu’elles ne m’empêchaient pas de regarder par
en-dessous pour voir les choses sous leur véritable aspect . Cela me réchauffa le cœur. Je pensai en moi-même: même si tu
fermes ma bouche et me recouvres les yeux, je place ma confiance en Dieu. Vous ne réussirez pas à contrôler ma raison et mon
esprit. J’irai voir quel genre de monde dame Vanité veut que nous examinions à sa façon, nous interdisant de le considérer avec
nos propres yeux.
5
Le pèlerin voit le monde d’une hauteur

En dehors du monde il n’y a rien

Alors que je rêvais ainsi, nous nous trouvâmes soudain - je ne sais comment - sur une tour dépassant toute hauteur de
sorte qu’il nous semblait toucher les nuages. En regardant du haut de cette tour, j’aperçus une cité apparemment belle,
brillante, et prodigieusement étendue, mais pas assez grande pour que je ne puisse en discerner les limites et frontières. Cette
cité était de forme circulaire, et était entourée de murs et de remparts, mais au lieu de douves béait un abîme glauque
apparemment illimité et sans fond. La lumière ne brillait que sur la ville, alors qu’au-delà des murs c’était l’obscurité complète.

L e plan de la ville

La ville elle-même, comme je m’en aperçus, était divisée en d’innombrables rues, places, maisons et bâtiments grands et
petits. Vers l’est, je vis une porte de laquelle partait une allée qui courait jusqu’à une autre porte, située à l’ouest. La deuxième
porte s’ouvrait sur les différentes rues de la ville. Je comptais six rues principales venant de l’ouest, parallèles les unes aux
autres. Au milieu de ces rues était une très grande place ou place du marché. Plus loin vers l’ouest, sur une éminence rocheuse
abrupte, se tenait un grandiose et magnifique château qui semblait être l’attraction principale de tous les habitants de la cité.

La porte de l’Est et la porte de la répartition

Mon guide, Passe-partout, remarqua:


Prends-y garde, mon pèlerin, tu as ici ce beau monde que tu étais si impatient de voir! Je t’ai tout d’abord amené sur cette
éminence de sorte que tu puisses avoir une vue d’ensemble, et ainsi que tu puisses comprendre son organisation. La porte de
l’est est la porte de la vie, par laquelle tous ceux qui habitent dans le monde doivent entrer. L’autre porte qui est plus près de
nous est la porte de la répartition où tous reçoivent leur lot dans la vie et se dirigent vers leurs états respectifs.

Le monde se divise en six rangs

Les rues que tu vois correspondent aux divers groupes, ordres, et professions, dans lesquels sont installés les hommes.
Tu observes six rues principales : dans l’une, vers le sud, habite le groupe domestique - les parents, les enfants, et le personnel
de service ; dans la suivante habitent les artisans et commerçants; dans la troisième, tout près de la place, on trouve les
professions lettrées, consacrées aux travaux intellectuels; de l’autre côté, en face d’eux, se trouve le clergé, auquel les autres
ont recours pour le ministère religieux. Plus loin se trouve la classe gouvernante et juridique; et à l’extrémité nord, on trouve
l’ordre de la chevalerie, qui s’occupe des affaires militaires. Comme tout cela est excellent! Les premiers nous engendrent
tous; les deuxièmes nous sustentent tous; les troisièmes enseignent à tous; les quatrièmes prient pour tous; les cinquièmes
jugent et préservent pour tous un ordre convenable; les sixièmes se battent pour tous! Ainsi tous se servent mutuellement, et
tout demeure dans l’harmonie.”

Le château de la fortune, la place du marché, et le château du monde

“Le château vers l’ouest est l’Arx Fortunae, le château de la Fortune, où seuls les gens les plus distingués habitent dans la
jouissance de la richesse, du plaisir et de la gloire. La place centrale est commune à tous. Là des hommes de tous les groupes se
rassemblent pour y effectuer leurs échanges. En son centre, comme l’axe de tout le reste se tient la résidence de la Reine du
monde, Sagesse.

Le commencement de l’errance...

Je fus satisfait de cet excellent arrangement et commençait à louer Dieu d’avoir organisé tous les groupes de façon si
splendide. Mais il y avait une chose qui ne me plaisait pas : j’observais que les rues s’entrecoupaient en plusieurs endroits, de
sorte qu’ici et là elles se croisaient les unes les autres. Il me semblait que cela pourrait facilement provoquer de la confusion et
du vagabondage. De plus, alors que je contemplais la forme circulaire du monde, je le sentis en vérité tournoyer et bouger, à tel
point que j’eus peur d’avoir le vertige. Car où que je tourne mon regard, tout jusqu’au moindre grain de poussière semblait
danser devant mes yeux. Et puis, quand j’écoutais, l’air était plein de coups et de bruits sourds, de chuchotements, de
glissements, et de cris.

...Où se révèle l’aveuglement.

Mon interprète, Illusion, remarqua :


“Tu vois, mon cher, comme le monde est agréable, et comme toutes choses y sont excellentes, même si tu ne les envisage
que de loin! Que diras-tu quand tu en viendras à les examiner en détail, avec tous leurs délices? Qui ne se sentirait heureux de
vivre dans un tel monde!”
“De loin, j’en suis bien satisfait ” répondis-je. Comment je l’apprécierais de près, je ne peux le dire”
“Tout ira bien, crois-moi!” répondit-il; “mais allons-y maintenant!”

Le caractère des années d’enfance.

Passe-partout s’interposa :
“Attends, laisse moi lui montrer d’ici, ce qu’autrement nous n’avons pas l’intention de visiter. Retourne toi vers l’est :
aperçois-tu quelque chose qui se glisse hors de l’obscurité de la porte et rampe vers nous?”
“Je le vois,” répondis-je.
“Ce sont des êtres humains qui viennent d’entrer dans le monde”, continua-t-il, “eux-mêmes ne savent pas d’où ils
viennent, car jusque là il ne sont pas conscients d’eux-mêmes, ni ne savent qu’ils sont humains. L’obscurité les enveloppe, et il
ne font que gémir et crier. Mais comme ils progressent dans la rue, l’obscurité disparaît lentement et la lumière s’accroît,
jusqu’à ce qu’ils atteignent la porte en-dessous de nous. Pour ce qui se passe là, nous allons maintenant le découvrir.”

6
Le destin répartit les professions

Le destin, gardien de la porte du monde

Nous descendîmes par un sombre escalier tournant et entrâmes par une porte au-delà de laquelle un grand hall était
rempli de jeunes gens. Sur le côté droit était assis un vieil homme à l’air implacable, un grand pot de cuivre à la main.
J’observais que tous ceux qui arrivaient par la porte de la vie se présentaient devant lui, et plongeant la main dans le pot, en
retiraient un morceau de papier couvert de lettres. Puis ils entraient dans une des rues, certains courant de joie et criant,
d’autres marchant péniblement, se plaignant tristement, et regardant en arrière.

Le destin répartit les activités

Je m’approchai plus près et examinai certains des bouts de papier; l’un tira: Dirige!; l’autre: Sert! ; un autre : Commande!
Un autre : Obéis! ; un autre :Bine! ;un autre : Juge! ; un autre : Combat! ; et ainsi de suite. J’étais curieux de comprendre la
signification de la scène.
Passe-partout l’expliqua, en disant: “C’est ici qu’a lieu la distribution des professions et des états, d’après laquelle un
travail est alloué à chacun pour la vie. Celui qui contrôle ces attributions est appelé Destin, et c’est de lui que tous ceux qui
entrent dans le monde doivent recevoir leur tâche.

Le pèlerin cherche tout d’abord à être autorisé à découvrir pour choisir

Juste à ce moment, Illusion me poussa du coude, m’encourageant à tirer mon lot. Je suppliai de ne pas être affecté de
façon définie à quelque chose de particulier avant de l’avoir tout d’abord étudié, afin de ne pas m’en remettre pour ce lot,
“advienne que pourra”, à la chance aveugle. On me dit, cependant, qu’une telle exception n’était pas permise sans que le lord
régent, Destin, n’en fut informé et y ait consenti. L’accostant donc, je présentais humblement ma requête : j’étais venu avec
l’intention d’examiner toutes choses avant de choisir ce qui m’attirerais le plus.

Le pèlerin arrive à ses fins


“Mon fils, ”répondit-il, “tu vois que les autres en usent autrement, mais se conforment à ce qu’ils reçoivent, à ce qui leur
échoit. Mais puisque tu le désires tant, j’y consent.”
Après avoir inscrit sur un bout de papier le mot “Speculare” (c’est à dire étudie, recherche), et me l’avoir tendu, il me
congédia.

Le pèlerin voit la place du marché du monde

Il voit la diversité des hommes

Sur ce mon guide remarqua : “Puisque tu désires enquêter sur toutes choses, commençons par visiter la place du
marché.” Il m’y mena immédiatement. Et voici! Une multitude si innombrable était rassemblée là qu’on aurait dit un brouillard
. Des gens de toutes langues et de toutes nations , de tous âges, de toute taille, de tout groupe ou classe et de toutes
professions, de même que des deux sexes, se trouvaient là. Comme je les contemplais, ils allaient et venaient comme des
abeilles à l’essaimage, et pire encore.

Divers caractères et comportements des hommes


Certains se promenaient, d’autres couraient, d’autres conduisaient, ou restaient immobiles, alors qu’un autre groupe
était assis ou couché. Un groupe se levait, gambadait, tandis qu’un autre se couchait. Certains étaient seuls, d’autres en petite
ou grande compagnie. Leur tenue et leur apparence différaient énormément : certains étaient en vérité complètement nus,
gesticulant sauvagement pour communiquer avec les autres. Quand ils se rencontraient, ils échangeaient bien des gesticulations
bizarres des mains et des lèvres, des genoux et autres, ou s’embrassaient et se cajolaient; en bref, ils se permettaient bien
d’absurdes bizarreries.

“Tu vois là la noble humanité, ces créatures exquises, raisonnables et immortelles, l’image même du Dieu immortel, à
sa ressemblance comme leurs immortelles actions nous l’apprennent” déclara mon compagnon. “Ici, comme en un miroir, tu
contemples la dignité de ton espèce.”

Huichelarij bij allen

Je les examinai donc de plus près, et j’observai, en premier lieu, que tous ceux qui grouillaient dans la foule portaient un
masque sur leur visage, mais quand ils se retrouvaient seuls ou avec leurs pairs, le retiraient, l’ajustant sur leur visage dès
qu’ils rejoignaient la foule. Je me renseignai sur la signification de cette procédure. Mon guide répondit:
“C’est, mon fils, de la prudence humaine, de ne pas paraître à tous tel que l’on est réellement. Seul, on n’a
pas besoin de se contraindre, mais parmi les autres il est de notre intérêt de faire bonne figure et de donner une
apparence convenable à ses affaires.”
Je conçus le désir d’examiner de plus près de quoi les gens avaient l’air sans cette tricherie artificielle.

Leurs merveilleuses “wanstaltigheden”

En regardant attentivement, je découvris qu’ils étaient tous défigurés de diverses façons, non seulement dans leurs
traits, mais aussi dans leur corps. La plupart étaient boutonneux, croûteux ou lépreux. En outre, ils avaient soit des lèvres de
cochon, soit des dents de chien, soit une queue de renard, soit des cornes de bœuf, soit des oreilles d’âne, soit des yeux de
basilic, soit des pattes de loup. J’en observai de plus avec un cou de paon fièrement dressé, d’autres avec une crête de vanneau
dressée, d’autres avec des sabots de cheval, et ainsi de suite. Le plus grand nombre ressemblait à des singes. Horrifié, je
m’exclamais:
“Mais je vois des monstres ici!”
“De quels monstres parles-tu, bavard?” rétorqua mon interprète, me menaçant du poing. “Si seulement tu regardes
convenablement avec les lunettes , tu les reconnaîtras pour des humains!”
De plus, certains des passants surprirent ma remarque sur les monstres et s’arrêtèrent pour me menacer et m’interpeller.
Je réalisai qu’il aurait été inutile de discuter; c’est pourquoi je demeurai silencieux, pensant en moi-même : s’ils désirent se
considérer comme humains, très bien. Mais je vois ce que je vois. De plus j’avais peur que mes compagnons ajustent
complètement les lunettes, et réussissent de la sorte à me tromper. Je décidai donc de rester tranquille et de regarder ces belles
choses que j’avais commencé à voir. Je regardai à nouveau autour de moi et remarquai que beaucoup étaient très habiles à se
servir de leur masque, les escamotant rapidement et les remettant, de sorte qu’en un instant ils pouvaient prendre l’aspect qui
leur convenait. Alors je commençai à comprendre la marche du monde. Néanmoins, je restai tranquille.

L’incompréhension mutuelle

J’observai et entendis que la plupart d’entre eux se parlaient dans des langues différentes. Ce qui fait qu’ils ne se
comprenaient pas (l’un l’autre), et donc, ils ne se répondaient pas, ou ils donnaient une réponse complètement inadéquate. En
certains endroits, ils faisaient foule, tous parlant en même temps et chacun pour soi, personne ne faisant attention aux autres,
malgré leurs efforts pour capter l’écoute en tirant les autres vers eux. Mais ils n’y arrivaient pas, ce qui le plus souvent
dégénérait en luttes et bagarres.
“Au nom de Dieu, suis-je à Babel?”m'exclamai-je. “Tout le monde ici joue son air propre; pourrait-il y avoir plus
grande confusion?”

Où l’on s’occupe de choses complètement inutiles

Peu d’entre eux restaient inactifs, la plupart vaquaient à quelque occupation. Mais les diverses tâches - et de cela je ne
me serais jamais douté - n’étaient que jeux d’enfants ou au mieux corvée inutile . Certains rassemblaient les ordures et les
distribuaient entre eux, d’autres roulaient çà et là pierres et madriers, ou les hissaient avec des poulies, puis les laissaient
retomber; d’autres creusaient le sol et transportaient la terre de place en place; le reste travaillait avec des cloches, des miroirs,
des soufflets, des crécelles et autres colifichets. Certains jouaient même avec leur propre ombre, essayant de la mesurer, de la
poursuivre ou de l’attraper. Tout cela était fait avec tant de naïveté que beaucoup soupiraient et transpiraient, tandis que
d’autres se surmenaient jusqu’à la douleur et l’ d’épuisement. De plus, il y avait partout des officiers qui dirigeaient et
distribuaient les tâches avec grand zèle, alors que d’autres obéissaient avec la même diligence. Tout étonné, je m’exclamai:
“Hélas! l’homme a-t-il été créé dans le dessein de gaspiller ses talents, dons divins, à de tels travaux mesquins et
insignifiants?”
Qu’ont-ils de mesquin?” rétorqua mon interprète. “ N’apparaît-il pas ici aussi clairement qu’en un miroir que tous les
problèmes sont résolus par l’ingéniosité de l’homme ? L’un fait une chose, l’autre une autre.”
“Mais tous, dis-je, “se préoccupent de corvées inutiles indignes de leurs possibilités glorieuses..”
Ne soit pas si tatillon,” répliqua-t-il; ils ne sont pas encore au ciel, mais mènent encore une existence terrestre, et
doivent s’occuper de choses terrestres. Observe, chemin faisant, l’ordre avec lequel toute chose s’accomplit.”

Vreselijke wanorde

Je les observais à nouveau, et je remarquais que l’on ne pouvait rien imaginer de plus désordonné. Car tandis que l’un
titubait et chancelait sous un fardeau, l’autre s’en mêlait : occasionnant disputes, querelles et bagarres. Puis ils se réconciliaient
pour, peu de temps après, recommencer de plus belle. Quelques fois plusieurs se saisissaient de la même chose; puis, tous, ils
la laissaient tomber et couraient chacun de leur côté. Ceux qui étaient sous les ordres des officiers et des surveillants leur
obéissaient bon gré mal gré, mais même là je voyais grande confusion. Certains rompaient les rangs et s’échappaient, d’autres
s’opposaient à leurs chefs d’équipe et refusaient de faire ce qui leur avait été ordonné. D’autres subtilisaient les gourdins des
surveillants et les volaient. Ce qui fait que tout était sens dessus dessous. Mais comme cela était “supposé être de l’ordre”, je ne
me sentis pas libre d’exprimer mon opinion.

Men geeft ergenis en een slecht voorbeeld

En outre, je découvris un autre mal dénotant l’aveuglement et la folie. Tout l’espace de cette place du marché - de
même que les rues - était parsemé de creux, de trous et de flaques d’eau; des madriers, de grosses pierres et autres obstacles
traînaient pêle-mêle dans le plus grand désordre. Personne, cependant, ne pensait à remettre de l’ordre, à déblayer ou à combler
quoi que ce soit , ni à éviter ou à contourner les obstacles. Tous se précipitaient en avant sans faire attention, se heurtaient aux
obstacles, tombaient, se blessaient ou se tuaient. C’était pitoyable. Personne, cependant, ne prêtait la moindre
attention aux blessures des autres, et quand l’un tombait, les autres ne faisaient qu’en rire. Comme j’en vis qui se
jetaient aveuglément sur une branche, une poutre, ou dans un trou, je les prévins .Mais personne ne m’écouta.
Certains se moquaient de moi, d’autres menacèrent même de me battre. Les uns tombaient morts sur place les
autres se levaient pour retomber à nouveau cul par dessus tête, encore et encore. Couverts de bleus et de bosses,
ils n’en avaient cure, de sorte que l’apathie avec laquelle ils considéraient leurs blessures me remplissait de
stupeur. Par contre, si qui que ce soit faisait mine de les effleurer, ils montraient
immédiatement les dents, prêts à fondre sur lui et à se battre.

De onbestendigheid en wankel moedigheid de l’homme


J’observai aussi leur grand amour de la nouveauté et du changement en matière de vêtements, d’architecture, de
discours, de démarche et autres . J’en remarquai certains qui ne faisaient que changer sans arrêt de vêtements. D’autres
s’occupaient à inventer de nouveaux styles d’architecture, démolissant peu de temps après ce qu’ils venaient de construire. De
la même façon, ils changeaient de temps en temps de travail , mais abandonnaient rapidement leurs nouvelles lubies. Ainsi
manifestaient-ils leur inconstance en toute chose. Si l’un mourait sous son fardeau, ou l’avait abandonné, on en trouvait
immédiatement plusieurs qui se disputaient, se querellaient ou se battaient farouchement pour la place , offrant un spectacle
ahurissant. En attendant, aucun d’eux ne pouvait dire, faire, ou construire quoi que ce soit sans être ridiculisé ou diffamé par
les autres, et voir son travail détruit. Si quelqu’un, après avoir achevé son projet en des efforts épuisants et grande dépense
d’énergie, se montrait satisfait, un autre arrivait pour le renverser, le détruire ou l’endommager, ce qui fait que je ne vis nulle
part un homme accomplir quelque chose de solide et de durable. Certains n’attendaient même pas que les autres détruisent leur
travail, mais le faisaient eux-mêmes, à tel point que j’étais stupéfait de leur instabilité insensée et de leur stupide gaspillage
d’énergie.

Zijn hoogmoed en zelfoverschatting

J’en observais aussi beaucoup qui portaient des croquenots à semelles épaisses, de même que d’autres qui marchaient
sur des échasses afin d’être élevés au-dessus du lot et de les regarder de haut; et ils se pavanaient. Mais plus ils s’élevaient,
plus facilement ils étaient renversés ou bousculés - par envie, je suppose - par les autres. Cela arrivait souvent, et ils se
rendaient ainsi l’objet de la risée des spectateurs. J’en ai été le témoin de nombreuses fois.

Leur égoïsme et opgeblazenheid

J’en aperçus un bon nombre qui portaient un miroir, dans lequel ils s’observaient tout en bavardant, se disputant, luttant,
roulant des troncs d’arbres, ou même en marchant sur des échasses. Ils s’examinaient de face, de dos ou de profil; puis
poussaient des cris de joie sur leur beauté, leur stature, leur allure, ou leurs actes, offrant leur miroir aux autres de sorte qu’eux
aussi puissent se joindre à cette admiration.

La Mort mène tous à ellendig om

Finalement, je vis la Mort, qui portait une faux, un arc et des flèches, les plantant partout parmi eux, les avertissant tous
d’une voix forte pour leur rappeler qu’ils étaient mortels . Néanmoins, personne ne prenait garde à son avertissement, et l’on
continuait cette folie et cette méchanceté. Elle sortait ses flèches et tirait sur eux dans toutes les directions. Celui qui était
touché, jeune ou vieux, pauvre ou riche, lettré ou non, tombait immédiatement. Alors les victimes émettaient des cris plus ou
moins perçants ou des hurlements; les passants, à la vue de leur blessure, s’éloignaient vivement d’eux, et en peu de temps les
ignoraient tout simplement. Certains s’approchaient , les contemplaient agonisant, et quand leurs membres se raidissaient et
qu’ils cessaient de respirer, ils se rassemblaient autour d’eux et chantaient. Ensuite, ils festoyaient,buvaient et criaient bien que
quelques-uns d’entre eux montrent une mine de tristesse.Puis ils se saisissaient du corps, le tiraient vers l’extérieur, et le
jetaient dans l’abîme qui entoure le monde. De retour chez eux, ils se remettaient à leur débauche, et personne ne cherchait à
éviter la Mort, mais ils ne faisaient qu’éviter de la regarder.

Diverses maladies

J’observais aussi que tous ceux qui avaient été touchés par les flèches de la Mort ne succombaient pas immédiatement :
certains n’étaient que blessés, mutilés, assommés, aveuglés ou muets. Après avoir été frappés, certains enflaient comme des
bulles, d’autres séchaient comme des esquilles , alors que d’autres tremblaient comme des feuilles. Ainsi il y avait plus de
blessés graves aux membres putrides et fétides, que de blessés légers.

Il n’y a rien à faire contre la mort

De plus, je vis qu’un bon nombre courait çà et là, vendant des plâtres, des pommades, et des potions. Tout le monde les
achetait, se réjouissant bruyamment et s’imaginant que la Mort avait ainsi été jouée . Mais elle n’en avait cure, et continuait de
jeter ses flèches et de faire mouche, y compris parmi les vendeurs. Je trouvais en cela un spectacle digne de pitié de voir à quel
point la créature prévue pour être immortelle était la proie de morts si misérables, si soudaines et si multiformes. Je m’aperçut
que presque toujours, quand on projette de vivre une longue vie, qu’on rassemble des amis autour de soi, qu’on s’établit dans
les affaires, qu’on construit des maisons, qu’on amasse des richesses, et se démène de tous côtés pour améliorer son confort,
soudain la flèche de la mort y met un point final. Et celui qui a fait son nid, en est arraché, et tous ses efforts sont anéantis. De
plus, son héritier, de même que le troisième, le dixième, et le centième, sont logés à la même enseigne.
Considérant que personne ne va volontiers prendre en compte l’incertitude de la vie, mais qu’au contraire tous agissent
devant la mort comme s’ils étaient certains de leur immortalité ( quelle pitié), j’allais élever la voix en guise d’avertissement et
de supplication afin que les hommes ouvrent les yeux et prennent garde aux flèches de la Mort pour les éviter. Mais quand je
réalisai que, puisque la Mort avec ses avertissements répétés et ses efforts constants pour les effrayer par son apparence
hideuse n’avait pas été capable d’accomplir quoi que ce soit, j’en conclus que mes faibles exhortations seraient encore moins
écoutées. C’est pourquoi je chuchotais doucement :
“Qu’il est dommage, Dieu éternel, que nous, hommes misérables et mortels, soyons si aveugles pour nos propres
malheurs”
“Mon cher ami,” répondit mon interprète,” serait-il sage de nous tourmenter avec la pensée de la Mort? Alors que nous
savons tous qu’elle ne peut être évitée. Il est préférable de ne pas faire attention à elle, mais de s’occuper de ses affaires et de
rester plein d’allant. Quand la mort vient, elle vient. Cela ne prend qu’une heure, parfois même qu’un instant . Les autres
devraient-ils cesser d’être joyeux parce que quelqu’un est mort? Plusieurs sont nés entre temps pour prendre sa place!”

L’homme par lui-même créé la maladie et la mort

“Si c’est là la sagesse, alors je n’y comprends pas grand-chose,” répondis-je, et je retombais dans mon silence. Je ne
cacherai pas que quand je vis les innombrables traits de la mort, la pensée suivante me vint : “où obtient-elle un tel nombre de
flèches qu’elle n’épuise jamais son stock?” Je regardai à nouveau et je vis très clairement qu’elle n’avait pas du tout de flèches,
mais qu’elle ne possédait qu’un arc: c’était les victimes elles-mêmes qui les préparaient, les façonnaient et les lui fournissaient.
Ils avaient l’inconscience et l’effronterie de les lui offrir, de sorte qu’elle pouvait à peine trouver le temps de les prendre toutes
et de les tirer dans leur cœur.
“Maintenant je vois la vérité du dicton : Et mortis faber est quilibet ipse suae,” m’exclamais-je; “Je vois que personne
ne meurt sans en être responsable par sa propre intempérance, incontinence, manque de prudence, ou négligence qui lui
procure des tumeurs malignes, des maux et blessures aussi bien internes qu’externes. Car voilà les conséquences des flèches de
la mort.”
Pendant que j’observai la Mort et sa poursuite des hommes, Illusion me tira à part, et me dit :
“Observerais-tu, fou que tu es, les morts plutôt que les vivants? Quand quelqu’un meurt, il n’est plus; tu ferais mieux de
te préparer à vivre!”

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