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dont la signification ne peut être comprise qu'en contexte. Elle s'intéresse ainsi, d'un côté,
aux phénomènes de dépendances contextuelles propres aux termes indexicaux, c'est-à-
dire ceux qui, comme je, ici ou maintenant, ont leur référence déterminée par les
paramètres du contexte d'énonciation (voir notamment les travaux du philosophe et
logicien californien David Kaplan), ainsi qu'aux phénomènes de présupposition (voir
plus bas). D'un autre côté, elle vise aussi à faire une théorie des inférences que l'on tire
des énoncés linguistiques sur la base de nos connaissances générales sur le monde et
d'hypothèses sur les intentions des locuteurs. Elle s'appuie en particulier sur la distinction
introduite par le philosophe américain Paul Grice entre le sens pour le locuteur et le sens
proprement linguistique des énoncés. En France, à peu près à la même époque, Oswald
Ducrot (Dire et ne pas dire, 1972) développait des idées comparables. Dan Sperber,
philosophe et linguiste français, et Deirdre Wilson, linguiste britannique, ont développé à
partir de ces idées une théorie pragmatique générale, connue sous le nom de théorie de la
pertinence.
Les principaux travaux d'Oswald Ducrot portent d'une part sur la présupposition, c'est-à-
dire sur le fait que certaines expressions linguistiques, pour être utilisées de manière
appropriée, requièrent que les locuteurs partagent certaines croyances (par exemple, pour
pouvoir dire de manière appropriée « Paul aussi est venu », il faut que l'ensemble des
participants à la conversation partagent la croyance que quelqu'un d'autre que Paul est
venu). D'autre part, Ducrot s'est intéressé à la façon dont certains énoncés véhiculent, au-
delà de leur signification littérale, certaines informations implicites. Toujours en France,
la pragmatique est envisagée par d'autres théoriciens comme une science de la
communication (Jacques Moeschler et Anne Reboul, La pragmatique aujourd'hui, 1998).
Dans cette perspective élargie, elle étudie l'usage du langage dans la communication et
dans la connaissance. Largement tributaire du cognitivisme, la pragmatique élargie
considère les mécanismes inférentiels dans la connaissance, la construction des concepts,
l'usage non littéral du langage, l'intentionnalité dans l'argumentation, etc.
La pragmatique peut être envisagée de deux points de vue : 1. Une pragmatique qui
s'occupe de l'influence et des conséquences du langage sur le contexte (extralinguistique)
- optique proche de celle d'Austin (comment on modifie le monde en disant quelque
chose? / comment on agit sur le monde en disant quelque chose?) 2. Une pragmatique qui
s'occupe de l'influence et des conséquences du contexte sur le langage (dans quelle
mesure ce qui est dit dépend des circonstances dans lesquelles il est dit?). Cette
perspective nous permet également de rendre compte de ce que l'on appelle
« Communication non verbale » (distincte des comportements non verbaux (cf. Jean
Corrase).
Le contexte
Il englobe tout ce qui est extérieur du langage et qui, pourtant, fait partie d'une situation
d'énonciation. Dans le cadre du contexte,on englobe tous les éléments comme le cadre
spatio-temporel, l'âge, le sexe des/du locuteur(s), le moment d'énonciation, le statut social
des énonciateurs etc. En gros, toutes ces marques contextuelles sont inscrites dans le
discours et elles font intégralement partie de la déixis. Ce sont, comme on les appelle, des
déictiques. En tout, nous pouvons énumérer cinq types de déictiques
Qu’est-ce que la pragmatique ? D’une manière très succinte, on dira qu’un problème est
pragmatique s’il ne concerne pas, à strictement parler, la structure du langage (celle-ci
intéresse la linguistique), mais l’emploi qui en est fait. La linguistique a certes influencé
la pragmatique et cette dernière a d’importantes répercussions en linguistique. Mais la
pragmatique a aussi des applications et des implications dans les sciences cognitives, en
informatique, en psychologie, en philosophie. C’est que son domaine de travail est
extrêmement vaste, depuis les actes de langage jusqu’aux problèmes de la pertinence des
énoncés, de l’inférence, de l’argumentation, de la vérité des énoncés, de l’usage
approximatif des termes, de la compréhension en contexte, des lois du discours, de la
métaphore et de la fiction.
POINT DE DEPART
On adoptera ici l’approche développée par Meunier et Peraya selon laquelle les
« pragmaticiens » étudient la « pragmatique à partir de l’acte de communication, en ce
qu’il implique des individus particuliers dans une situation spatiale et temporelle
particulière ». Meunier et Peraya repèrent cette ouverture à travers divers courants et
diverses recherches et retiennent:
• • 1 les travaux linguistiques sur les embrayeurs (les déictiques et les
pronoms personnels, en particulier) qui permettent l'ancrage de l'énoncé dans la
situation d'énonciation (Jakobson, l 963; Benveniste 1966 et 1974);
C'est de l'intérieur même de la problématique linguistique qu'apparaît tout d'abord la
nécessité de s'ouvrir à l'énonciation: «Bien des notions en linguistique, peut-être même en
psychologie, apparaîtront sous un jour différent si on les rétablit dans le cadre du
discours, qui est la langue en tant qu'assumée par l'homme qui parle, et dans la condition
d'intersubjectivité, qui seule rend possible la communication linguistique» (Benveniste, l
966: 266). L'étude de la langue fait en effet apparaître des catégories linguistiques qui
permettent d'enraciner le sens de l'énoncé dans l'énonciation. Ce sont des expressions
particulières, comme les pronoms personnels, les démonstratifs, etc. dont le contenu
référentiel et la signification dans un énoncé ne peuvent être décrits en dehors de la
situation d'énonciation: elles entretiennent une relation existentielle avec ce qu'elles
désignent. Autrement dit encore, signes «vides», ils deviennent «pleins,. dès qu'un
locuteur les assume dans une situation d'énonciation (Benveniste, 1966). Tel est le
pronom personnel «je» dont on connaît le statut particulier: «je désigne la personne qui
énonce je.. Ainsi, d'un côté, le signe 'je' ne peut représenter son objet sans lui être associé
par une règle conventionnelle et, dans des codes différents, le même sens est attribué à
des séquences différentes telles que 'je', 'ego', 'ich', 'I', etc. Donc 'je' est un symbole. D'un
autre côté, le signe 'je' ne peut représenter son objet s'il n'est pas en relation existentielle
avec son objet: le mot 'je' désignant l'énonciateur est dans une relation existentielle avec
l'énonciateur, donc il fonctionne comme index» (Jakobson, 1963).
La fonction de ces index, que Jakobson nommera d'ailleurs des embrayeurs, est donc bien
d'exprimer dans l'énoncé l’acte de l'énonciation ou en tout cas certains de ses aspects. La
linguistique de l'énonciation dont l'objet est l'étude des expressions indexicales, se limite
précisément à l'analyse de ces éléments linguistiques. Ducrot et Todorov écrivent
explicitement: «[cependant], lorsque l'on parle, en linguistique, d'énonciateur [...], on ne
vise ni le phénomène psychique d'émission ou de réception de la parole, qui relève de la
psycholinguistique ou d'une de ses subdivisions, ni les modifications apportées au sens
global de l'énoncé par la situation, mais les éléments appartenant au code de la langue et
dont pourtant le sens dépend de facteurs qui varient d'une énonciation à l'autre, par
exemple 'je', 'tu', 'ici', 'maintenant', etc. Autrement dit, ce que la linguistique retient, c'est
l'empreinte du procès d'énonciation dans l'énoncé» (1972: 405).
Une seconde piste intéressante est celle des verbes d'attitude propositionnelle, étudiés par
Benveniste en 1958 dans l'article «De la subjectivité dans la langue“ (repris dans
Benveniste, 1966). Cette catégorie particulière de verbes (croire, supposer, présumer,
conclure) présente un comportement sémantique différent des autres verbes bien que
formellement, elle ne se distingue en rien de ceux-ci: «Entre je mange, et tu manges et il
mange, il y a ceci de commun et de constant que la forme verbale présente une
description d'une action, attribuée respectivement, et de manière identique, à je, à tu, à il
[...]. Or, nombre de verbes échappent à cette permanence du sens dans le changement des
personnes. Ceux dont il va s'agir dénotent des dispositions ou des opérations verbales. En
disant je souffre, je décris mon état présent. En disant je sens (que le temps va changer),
je décris une impression qui m'affecte. Mais que ce passera-t-il si au lieu de je sens (que
le temps va changer), je dis :je crois (que le temps va changer) ? La symétrie formelle est
complète entre je sens et je crois. L'est-elle pour le sens ? Puis-je considérer ce que je
crois comme une description de moi-même au même titre que je sens ? Est-ce que je me
décris croyant quand je dis je crois (que...) ? Sûrement non. L'opération de pensée n'est
nullement l'objet de l'énoncé; je crois (que. . . ) équivaut à une affirmation mitigée. En
disant je crois (que...), je convertis en une énonciation subjective le fait attesté
impersonnellement à savoir le temps va changer, qui est la véritable proposition» (1966:
264-265).
Il en va de même avec «je suppose », «je présume» ou « je conclus »: ces verbes,
employés à la première personne du singulier ne décrivent aucune opération: ils indiquent
une attitude à l'égard de l'énoncé qui suit, toujours introduit par la conjonction «que». Le
propre de ces verbes consiste à indiquer le type d'attitude qu'entretient le locuteur vis-à-
vis de l'énoncé qu'il profère dans la subordonnée et qui est, lui, le véritable objet de
l'information. Mais cette particularité ne se réalise qu'à la seule première personne: à la
seconde personne, tu supposes qu'il est parti, ces verbes expriment la reprise par le je qui
énonce la phrase de l'argumentation du destinataire tandis qu'à la troisième personne,
lorsque l'on retranche l'expression de la personne, [...] nous n'avons plus, au point de vue
de je qui l'énonce, qu'une simple constatation» (Benveniste, 1966: 265). La structure des
verbes d'attitude propositionnelle et l'effet pragmatique qui découle de leur utilisation à la
première personne indiquent le passage vers la problématique des performatifs explicites
du type je t'ordonne de partir dans lesquels l'acte même, ici l'ordre de partir, est réalisé
par l'énonciation.
C'est en effet dans le même article que Benveniste proposait une analyse des verbes (nous
dirions aujourd'hui des énoncés à valeur performative) comme jurer, certifier, ordonner,
promettre, etc. qui tous dénotent par leur sens «un acte individuel de portée sociale» jugé
par ailleurs comme contraignant «dans les conditions sociales où le langage s'exerce». Il
montrait comment le changement de personne verbale (le passage du je au tu) modifie
profondément le sens de l'énoncé et permet de passer d'une «énonciation subjective“
(j'ordonne) à une «énonciation non subjective» (tu ordonnes). Benveniste, analysant les
propriétés sui référentielles du langage et de la subjectivité dans la langue, découvrait la
performativité indépendamment des travaux d'Austin et sans se référer explicitement à
cette notion.