— 152 —
lui aussi une influence extéricure. La déesse qui y est
représentée ressemble singuligrement 4 la Fecunditas
Augusta des monnaies impériales et fut certainement
influencée par les statues et bas-reliefs de cette divinité.
A noter une singularité : les inscriptions nomment tou-
jours les Nutrices Augustae, tandis que les bas-reliefs ne
représentent qu'une scule divinité xovporpégos. Pas de
doute : c’est A un ancien culte de matres celtiques que
nous avons alfaire; mais il fut modifié sous influence,
d'un c6té du culte de la Fecunditas Augusta, de Vautre du
théme traditionnel des bas-reliefs votifs grecs. Que ce
fut le culte de la Fecunditas Augusta du u siecle apres
J.-C. qui influenga un culte local des Nutrices Augustac,
cela est démontré par le fait que le sanctuaire de Paltovio
est d'une date récente et n'a existé que pen de temps.
Les tnonuments les plus anciens appartiennent au nt siécle,
les plus récents au im. Or, le culte de la Fecunditas
Augusta est confing justement & l’époque entre Antonin
et Septime-Sévere, oi la prolifique Julia Downa I'a repris
de nouveau et l'a célébré sur ses monnaies. »°
MM. Toutain et Martha ajoutent quelques remarques.
M. Paul Monceaux, membre résidant, étudie les ori
gines et histoire du mot Romania :
« On connait Vintéressant mémoire de Gaston Paris sur
le mot Romania, quia été d’usage courant aux derniers
temps de I'Empire romain et au Moyen Age'. Les conclu-
sions de cette étude, qui date de cinquante ans, restent
exactes dans les grandes lignes; mais elles peuvent étre
complétées et précisées sur certains points, notamment,
en ce qui concerne les origines et l'histoire du mot. C'est
ce que nous voudrions montrer a V'aide d'une série de
textes du iv® ou du v° siécle, dont la plupart avaient
échappé & Gaston Paris, et dont quelques-uns nous ont
été signalés par Mgr Batiffol.
1. Gaston Paris, Romani, Romania, lingua romana, dans la
Romania, L. 1, 1872, p. 12-22.— 153 —
«I. — Suivant Gaston Paris, le mot Romania n'appa-
raitrait pas chez les auteurs latins avant le début du
v* siéele! : le plus ancien exemple se trouverait chez
Orose, vers 4187. Or, l'emploi de ce terme en latin est
attesté déja par des documents prés d'un siécle plus tt.
« Notons d’abord, dés le début du m® siécle, en 209,
Vapparition d'un terme analogue, Romanitas, qui se lit
chez Tertullien, mais qui a chez lui le sens de « qualité
«ou titre de Romain? ». A notre connaissance, le mot
Romania date du temps de Constantin.
« On le rencontre pour la premiére fois dans la chro-
nique connue sous le nom de Consularia Constantinopo~
Litana. D’apres les recherches de Mommsen, la premiére
partie de cette chronique a été rédigée A Rome vers 330 :
4 deux reprises, dans des notices relatives aux années
261 et 295, sont mentionnées des invasions de barbares
in Romania, c'est-a-dire en pays romain, sur le territoire
de I'Empire*. La seconde partie de la chronique a’ été
composée & Constantinople vers 395 : Romania y repa-
rait plusieurs fois avec le méme sens dans des notices sur
les années 334, 376, 382 et 3865.
« Ce n’est pas la un faitisolé, méme en Occident : vers
la fin du v® siécle, le mot Romania est employé couram=-
ment par les évéques ariens des provinces danubienn
avec le sens de « territoire impérial », spécialement le
nord de l'italie®,
« Né sans doute dans I'Occident latin, le terme Roma-
1. Romania, tI, ps 13.
2. Orose, IH, 20; VIL, 43.
3. Tertullien, De pallio, 4
4. Consularia Constantinopolitana, ad ann, 261 eb 295, p. 28
et 230, Mommsen (t. 1 des Cronica minora).
5. Consularia Constantinopolitana, al ann. 334 (p. 234), 376
{p. 442), 382 (p. 243), 386 (p. 244, Momsen).
6. Kauffmann, Aus der Schule des Wulfila : Dissertatio Max
mini contra Ambrosium (Strasbourg, 1899), p. 73-15, — Cf. J. Ze
ler, Les origines chrétiennes dans les provinces danubiennes de
CEmpire romain (Paris, 1918), p. 437-454.— 154 —
nia avait été adopté presque aussitt dans l’Orient grec.
Nous venons de le signaler & Constantinople, vers 395,
dans la seconde partie des Consularia Constantinopolitana,
Mais on le rencontre antérieurement chez deux écrivains
grecs, l'un d’Egypte, l'autre de Chypre : en 358, chez
Athanase d’Alexandrie!; en 375, chez Epiphane de Sala-
mis?.
« Au v¢ siécle, le mot" Romania reste en usage dans le
monde grec comme dans le monde romain. On le trouve
en Orient chez un contemporain d'Augustin, chez saint
Nil, un ancien préfet du prétoire, devenu moine au Sinai?,
On le trouve également chez des Latins : en Espagne,
vers 418, dans les récits d’Orose; en Afrique, vers 432,
dans la biographie d’Augustin par Possidius*; puis, en
455, dans une recension carthaginoise du Liber genealo-
gus.
« Inutile de pousser plus loin notre enquéte sur l'em-
ploi du mot, qui, depuis le v¢ siécle, est entré de plus en
plus dans usage courant. Du vi? au xin® sidele, il appa-
rait fréquemment dans des textes latins ou grecs, puis
dans des textes frangais, et sans doute en d'autres langues.
« De ce qui précéde se dégagent les conclusions sui-
vantes : 4° le terme Romania apparait d’abord en latin,
a Rome, vers 330; 2° il apparait en grec, en 358, chez
Athanase d’Alexandrie; 3° 4 la fin du tv® siécle et au v‘,
il reparait fréquemment dans les deux langues et dans
les parties les plus diverses de l’Empire : aux bords du
Danube, en Espagne, en Afrique, a Constantinople, a
Chypre, jusque dans le désert du Sinai; 4° depuis le
vie siéele, il se montre un peu partout, en grec ou en
1, Athanase, Historia Arianorum ad, monackos, 35.
2. Epiphane, Haeres., 66, 1 (adversus Manichneos); 69, 2 (contra
Artanos)
3. Saint Nil, Epist., 1, 75.
4, Orose, III, 20; VI, 43.
5. Possidius, Vila Augustiné, 30.
6. Liber geneatogus, 442, p. 182, Mominsen (1. 1 des Chronica
minora) ‘— 155 —
latin; puis, au Moyen Age, avec quelques variantes ortho-
graphiques, jusque dans des langues romanes.
« JL. — Aprés ces observations sur les origines, voi
quelques précisions sur l'histoire du mot. S'il n'y a pas
eu, & proprement parler, une évolution du sens, on cons-
tate du moins, selon les temps, une extension plus ou
moins grande de ce sens, et des applications tres diverses.
« Au début, et pendant tout le iv" sigcle, Romania dés
gnait simplement le « territoire romain », I'Einpire
romain : surtout Empire d’Occident pour les Latins,
VEmpire d’Orient pour les Grecs. ‘Tel est évidemment te
sens ‘dans le plus ancien document, les Consularia Cons~
tantinopolitana. On y lit, par exemple, vers 330 : « Hos-
«tes multi irruerunt in Romania... Carporum gens uni
« versa in Romania se tradidit'. » Méme sens dans tous les
textes, latins ou grecs, du v* sitele. En 358, Athanase
reproche aux Ariens d’avoir oublié que « Rome est la
« métcopole de la Romania? ». En 375, Epiphane constate
que l'arianisme « a envahi presque toute la Romania,
« surtout les régions orientales? ». Vers 390, Auxentius,
évéque arien de Dorostorum, puis de Milan, dit qu'Ul-
fila, l'apdtre des Goths, trouva un refuge sur le territoire
de VEmpire romain : « In solo Romaniae, adhuc beatae
« memoriae Constantio’ principe, honorifice est suscep-
tus*. » Le méme sens se conserve, en grec et en latin,
dans les premigres années du v¢ sigcle. Saint Nil, faisant
allusion aux invasions du temps, se plaint que « souvent
« des foules de barbares envahissent la Romania’ ». Vers
418, Orose parle des « ennemis de la Romania, — hostes
« Romaniae® », 11 vaconte ailleurs que V'ambition du roi
1. Consularia Constantinopotitana, ad ann, 261 et 295, p. 28
et 230, Mommsen.
2. Athanase, Historia Arianorum ad monachos, 35.
3. Epiphane, Haeres., 69, 2 (contra Arianos).— Cf. Macres., 66,1.
4. Epistula Auxentii Dorostorensis, p. 75, Kauffmann.
5. Saint Nil, Hpist., 1, 75.
6. Orose, 111, 20.— 156 —
goth Ataulf était d’abord « ut, obliterato romano nomine,
« romanum omne solum Gothorum imperium et faceret et
« vocaret, essetque, ut eulgariter loquar, Gothia quod
« Romania fuisset' ». Notons, en passant, que, d’aprés ce
récit d’Orose, l'expression Romania, pour désigner l'Em
pire ou le territoire romain, était d'origine populaire.
« Cependant, sous les coups des barbares, I'Empire
d’Occident, se disloquait : il allait bientdt disparaitre. Par
une conséquence naturelle des faits historiques, le mot
Romania prit peu peu une signification dilférente : il
désigna de plus en plus les survivances et les regrets du
passé, la « civilisation romaine ». Ce sens nouveau appa-
rait en Afrique vers 432. Au moment ot les Vandales,
déja maitres de la plus grande partie du pays, menagaient
Hippone qu’ils allaient bient6t assiéger, des évéques alti
cains consultérent leur collégue d’Hippune sur la conduite
4 tenir envers les envahisseurs. Augustin dans sa réponse,
dit son biographe Possidius, essaya de leur faire com-
prendre « quid magis ab illis Romaniae eversoribus esset
*« metuendum? ». Ici, évidemment, Romania ne pouvait
désigner I'Empire romain, qui n’existait plus en Afrique ;
le mof désignait maintenant la « civilisation romaine »,
dont on cherchait @ sauver les restes. Le méme sens se
vetrouve dans la chronique carthaginoise de 455, ot: se
lit cette notice, a propos du sac de Rome par Genséric :
« Bt conclusum est..., decursis temporum metis, Roma-
niae regnum? »,
« Le temps des grandes- invasions passé, I'Empire
romain, surtout en Occident, ne fut plus qu'un souvenir :
mais un souvenir d’autant plus cher aux groupes épars
des populations romaines, ou romanisées, qui avaient
réussi a tenir plus ou moins en échec les conquérants.
Dou une application nouvelle du mot Romania. Depuis le
vt siecle, il désigna spécialement, en Occident comme en
Orient, les diverses régions privilégiées, souvent séparées
1. Ubid., VI, 43.
2. Possidius, Vila Augustini, 30.
3. Liber genealogus, 442, p. 182, Mommsen,— 157 — .
les unes des autres ou complétement isolées, oit les popu-
lations de langue grecque ou latine avaient trouvé un refuge,
et qui formaient, au milieu du flot des barbares, comme
des tlots de civilisation romaine. D'aprés cela, on com-
prend que le nom, suivant les lieux et les temps, suivant
les préoccupations des habitants comme des chroni
queurs, ait été donné a des régions trés différentes, tres
éloignées les unes des autres. Romania, en Orient, c'était
tant6t 'Empire byzantin considéré dans son ensemble,
tantot telle ou telle province; e’était, par exemple, le
pays des bords du Danube qui est devenu la Roumanic,
ow la partie de la péninsule des Balkans qu'on a appelée
erisuite la Rowmélic, ou les districts de l'Asie Mineure qui
avaient échappé au joug des Perses, des Arabes ou des
ures. En Occident, c’étaient les environs de Rome, le
territoire de I’glise romaine, ou les provinces septen-
trionales de 'italie qui avaient résisté a la ponssée des
Lombards, particuliérement l'ancien exarchat de Ra-
venne, la Romagne, Pour certains auteurs, c’était la
Gaule, oi1, en dépit des invasions, semblait se maintenir
la tradition romaine; c’était spécialement la partie de
Vancienne Helvétie (ouest et sud de la Suisse) qui est res-
tée le pays romand. D'autre régions encore ont été dési
gnées accidentellement par le méme nom de Romania,
dont I'extension et l'application variaient selon les cir=
constances ou selon le point de vue des chroniqueurs,
mais dont l'emploi impliquait toujours l'idée d'une sur-
vivance du passé.
« En résumé, tant que dura Empire romain, Romania
fat simplement un équivalent populaire de « romanum
imperium ». Pour les générations qui assistérent a V'é-
croulement de V'ancien monde, ce fut la « civilisation
romaine ». Plus tard, ce fut le nom générique de toutes
les régions, — épaves du grand Empire d'autrefois, — oi
se conservaient tant bien. que mal les traditions du monde
antique. {histoire de ce mot, qui apparait vers 330 sous
Constantin, est en rapport avec l'histoire méme de la civi-
lisation romaine. »