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Adolescence, errance, exclusion OLIVIER DOUVILLE INTRODUCTION Le terme d’«errance», surtout s’il fait écho a celui d’ «exclusion», articule au moins trois notions : le sujet, le lieu, le corps. Le sujet n’est pas situé par nous comme une réalité premitre, il est cette instance qui permet un usage & la premiére personne de sa subjectivité, tout en étant divisé par des conflits. Il est représenté par des signes lisibles pour un autre sujet et est lui- méme divisé entre un certain nombre de signifiants et d’autres. Aussi deux lignes de questions sont-elles mises 4 nu et a vif lorsque des individualités et des collectifs vivent des situations de maturation traumatiques et/ou de grandes ruptures culturelles et symboliques. Soit, d'une part, la question du code avec laquelle on éprouve et on fait reconnaitre sa présence au monde auprés de semblables, c’est-a-dire d’un groupe humain composés de pairs et d’alters. Mais aussi, d’autre part, la question des langages qui nous traversent, des discours qui nous situent, des signifiants qui nous représentent et qui peuvent brutalement étre tenus pour rien. La dimension du passage adolescent est bien ici convoquée, surtout lorsque Ladolescent, loin de se faire l’exact doublon des modéles générationnels qui I’ ont précédé, explore et remet au clair jour ce qui a été refoulé ou dénié dans les transmis- sions et les héritages. L’adolescence vaut comme un temps d’expérimentation des repéres identificatoires et des ordres d’appartenance. Dans I’expérience clinique psychanalytique, nous sommes alertés et comme en arrét devant les risques, les accidents ou les dégaits entamant le réel du corps en rapport avec ce qui est mis hors course, rejeté du cété d’un échec ou d'une casse de la transmission symbolique, échec ou casse de la transmission du gotit pour la parole pleine comme dette & la vie. Adolescence, errance, exclusion 145 L’adolescent interroge et met ’épreuve les liens entre générations et transmis- sion. II serait plus exact de dire qu’il est au centre de I’ensemble des phénoménes et des processus faisant lien et disjonction entre générations et transmissions, Si la puberté est une donnée naturelle qui renvoie 4 la maturation du corps humain, la réponse psychique a cet événement, soit I’adolescence, est un excellent analyseur du social et du culturel contemporain. Tel sera mon point de départ, que j'adopte afin de penser des processus anthropologiques et sociaux qui font lien et disjonction entre générations et transmission. La clinique avec des adolescents doit aussi rebondir sur une clinique du processus adolescent toujours vivant en notre rapport au corps et aux mots. L’adolescent est renvoyé & une dérive du langage, une position mélancolique presque, oi il teste le langage et la parole dans leur capacité de recueillir les effets érotiques et mortiféres du travail de la perte. L’adolescent teste surtout les possibi- lités de transférabilité des effets et des marques de cette perte. De quel prix se trouve payée cette invention adolescente? L'histoire dilapidée, c'est aussi un trait symptomatique de la fagon dont la moder- nité écrit le passé. Et plus elle se dilapide, moins le jeune pourra donner forme & son rapport & Ja perte et 4 'invention. Il se fait des corrélations importantes entre 'impos- sibilité de penser la fagon dont origine nous manque et dont on lui manque et la dilapidation des registres de l’adresse & l'autre. Aussi des sujets coupés de tout lien Produit par la destruction de ces liens auront-ils le plus grand mal & se proposer comme sujet de la demande. Furtos écrit : «II y a4 une corrélation assez stricte entre Timpossibilité de penser l'objet manquant et la demande impossible, puisque demander, c’est admettre |’ objet manquant. Le travail de deuil et la demande consti- tuent donc “un luxe” de personnes allant suffisamment bien, luxe nécessaire dont la carence s’avére mutilante »™, ADOLESCENT ET HERITAGE CULTUREL A contrario, et en le situant dans son idéal empan, le travail de adolescence serait alors le nom d’un mouvement symbolique du sujet des qu'il doit s’adopter lui-méme comme «fils de» ou «fille de». Il reconsidare son rapport & Vorigine en se donnant pour cela I'appui d'une construction par laquelle il tente de subjectiver deux aspects de Vorigine. Soit, d’une part, le rapport A ce qui fait de lui une créature, liée au Réel de la cause sexuelle de Vexistence et, de l'autre, le rapport & ce qui fait de lui un sujet pris dans la transmission, cible et relais de la transmission, et rendu, de ce fait, tout Particuligrement sensible & la dette ct a l'offense. La question de la filiation se pose done avec force au jeune en méme temps que se pose & lui la question du sens qu'il est possible d’attribuer a la particularité, Les lieux oi1 nous rencontrons les adolescents, qu’ils explorent et au sein desquels ils apposent leurs marques ou envisagent leurs trajectoires sont chargés d'histoire, Pune histoire qui ne se sait pas ni ne se narrative pas toujours. Le clinicien interroge Vexpérience du lieu, celle de la trace, de la mémoire, 1A oi Ies dedans et les dehors s’interpénétrent, 14 ott les espaces sont marqués par les alliances et les écarts entre le Politique et le religieux, la coutume et les ruptures d’héritage. 74. J. Furtos, «Souffrir sans disparaitre », in La Santé mentale en actes, 146 Cliniques et psychopathologie D'UNE « PSYCHOGEOGRAPHIE » DE L'ERRANCE Le simple fait de se poser la question du sens de I’expérience de la rue pour des adolescents ouvre déja 4 une problématique, celle des modalités avec lesquelles est psychisé ce morceau d’espace urbain, la Tue. Des facons de faire avec les espaces urbains communs peuvent nous surprendre et nous inquiéter, pourtant, elles ne se résument pas & la violence ou la délinquance. Parmi les souffrances pouvant amener un jeune A nous alarmer et, le plus souvent, & alarmer les autres jeunes, l'errance vient au premier plan. Elle impose une attention particuliére, car loin de constituer un symptéme a déchiffrer, I’errance est plutot & situer comme un défaut d’inscription, et plus justement encore comme Iimpossibilité pour le sujet de surmonter un défaut d’ inscription le concernant dans son étre et aussi dans sa filiation. En contrepoint de I’errance, et venant sinon la cadrer, du moins la baliser, et la trouer pour la fixer, ce qui frappe dans les quartiers est ce qui s’adresse aux yeux du plus grand nombre. Je parle ici des marquages de lieux, que nous nommons «tags » ou «graphes ». Ces productions sont recues le plus souvent comme une provocation que pergues comme une création. Ces marques font consister une création de points fixes, rendant, |2 od elles sont produites, I’espace marqué et orienté comme le serait un corps scarifié mis en scéne et prét A paraitre en public. Espace- ment du temps et de l'espace que produit cette écriture, espacement du corps et de son milieu, qui font le corps et le temps, le corps et I’espace. Le sujet se produit alors comme la mesure de tels espacements. Pas encore donnée géométrique, mais présence. Un point de temporalité arréte la fuite de l’espace et "hémorragie de Verrance. Un pari sur une croyance (il y aurait des signes qui peuvent attendre celle ou celui qui les déchiffre) fait tenir, plus ou moins durablement, un espace, un temps minimal, cadre possible pour une communauté & venir. Ainsi doté d’un point fixe, Pespace n’est plus une étendue erratique mais une surface alourdie, et lestée d'un poingon. L’espace urbain est fuyant, plus fébrile que rythmé, et, en contraste, il doit tre marqué. On a pu se demander pourquoi les jeunes des banlieues étaient si prompts a réagir massivement a des violences ou & des auto-violences, avec des formes de ritualisation du deuil (marches, voire émeutes...). C’est aussi pour eux, reprendre a leur compte la pathogénie des espaces urbains, espaces sans traces des sites sur lesquels ils se sont édifiés, et marquer du lieu, faire de l’encoche, faire de la mémoire. La mémoire du lieu qui palpite en eux est souvent une mémoire saccadée, hachée, virulente, marquée par des décés tragiques, des violences, des sentiments d’appartenances trés féodaux que cimentent ces souvenirs et leurs ritualisations cérémoniales régies par des codes trés précis et trés sévéres d’assignation et d’affiliation, de domination et de soumis- sion aussi. La position de marqueur d’espace et de marqueur de support de la mémoire est alors un des piliers du narcissisme adolescent entendu 1a ot il se joue : dans des modes d’adresse & l'autre, au semblable, dans des recherches de paroles pleines — tres prescriptives et peu équivoques — pour de nouveaux étayages et de nouvelles altérités. Oscillation sur les mémes sites de ce qui serait enfin un lieu occupable et de ce qui ne l’est pas encore. Cette oscillation est bien ce qui impose une ritualisation, une forme de lien, une codification du contenant. Sans toujours grand succés. Comment comprendre cette fragilité de la construction émotionnelle de I’espace qui produit tant @embléme de territoires mais si peu de territoires contenants? De nombreux jeunes des cités dépensent une énergie psychique importante pour constituer des repéres qui croiseraient deux dimensions de I’espace. La construction de ce plan bifocal ne va Adolescence, errance, exclusion 147 jamais de soi. L’extérieur engouffre, aspire tant qu’un espace de sécurité n’est pas constitué, L’errance n’est pas, contrairement & ce qu’une idéalité romantique voudrait en faire, un cheminement de liberté, une extension de I’espace acquis par le sujet dans sa déambulation hasardeuse. C’est pourquoi il convient de distinguer des trajets de nomadisme ou d'errance active des errances pathogénes de certains jeunes suivant une lancée rectiligne, sans qu’aucune incurvation ou dérivation signifiante ne leste le cheminement dans le sens dune direction voulue et espérée. Les confins de ces espaces d’errance sont sources de danger dés qu’ils ne sont plus a méme de fonctionner comme des restes de mémoire coupés de ce qui ferait récit intergénérationnel ou transmission. Les jeunes construisent des amorces de territoire en installant leurs lieux de rendez-vous, de rencontre, dans des lieux d’ oubli, dans des lieux qui conservent des traces de mémoire répudiée, des point de reperes des moments passés. La ot, aujourd’hui, nous ne voyons que terrains vagues ou friches, s’édifiaient, hier, des usines ou des hangars, lieux de productions ou de stockages de biens, lieux de luttes sociales parfois. Dans ces lieux et sur ces lieux qui sont en danger de quitter la mémoire du quartier ou de la cité, les jeunes fabriquent du lien et de la trace, peut-étre pour sauver l’imaginaire et le réve, pour faire parler de fagon imaginaire les vestiges réels d’un exercice réel et symbolique de la richesse et du pouvoir, exercice congédié par les «cruautés» économiques contemporaines. Ces lieux deviennent des «toiles de fond» qui renforcent un statut symbolique d’apparte- nance. La proliférent I’écriture des tags, des graphes ou la simple biffure que sur les murs laissent ces «tags» qui n’en sont pas ou pas encore: simples marques en réseaux sur les surfaces désertées. On retrouve dans la gamme des tags ou des graphes des variations d’expression qui, pour les marques du corps, iraient de la scarification au tatouage proprement dit. Cette création de traces, d’écritures distordues et de corps de lettres en anamor- phose et en chorégraphie vise parfois & marquer ce seuil si bien désigné par expression anglaise « the outskirts of the town », ce qu’il y a au-del& du rideau de la ville, Ainsi ce seront ces espaces qu’une pauvre perspective oriente & peine, qui s‘allégent d’une grande profondeur de champ, ces espaces en sommeil et friches, traités et honorés comme un corps, marqués comme un corps et signés. L’espace psychique abandonné travaille et rend parlant I’espace urbain délaissé Anachronique, cet espace accueille des sujets sur lesquels le pouvoir n'a pas beau- coup de prise, déambulant dans des lieux sans récits, sans mémoires, des lieux qui ne sont pas révés. Et certains de ces jeunes fabriquent de la trace, non pas seulement par volonté de marquer un territoire, mais pour faire consister du reste diurne, de la biffure, du trait, quelque chose qui fasse point d’appui pour la psyché, support possible pour le réve. Nous avons pu observer, & plus d'une reprise, combien pour certains adolescents le fait de creuser des marques dans les murs, de déposer des traces, modifiait le rythme et la qualité du sommeil. Le dehors, au-dela de ces vestiges du passé qu’aucun récit ne réanime et ne célébre, ni méme ne reconnait, est déja présent pour de nombreux jeunes comme une menace d’effacement toujours [a au jour frisant de ce que les tags, les réunions entre soi, les rituels de consommation de produits divers, ne parviennent pas a constituer comme familier, comme lieu parlé et parlant. Ce qui est érotisé, c’est souvent la peau trouée, tracée, écrite, de méme la frontiére et les seuils. Oscillation sur les mémes sites du non-lieu et du lieu, du corps embléme et de cet informe du corporel qui sidére de plus en plus & mesure que le jeune s’exclue. C’est bien ce qui impose une ritualisa- tion, une forme de lien, une codification du contenant, Sans toujours grand succ’s. 148 Cliniques et psychopathologie Comment comprendre cette fragilité de 1a construction émotionnelle de l’espace qui produit, au fond, tant d’emblémes de territoire mais si peu de territoires contenants? STASE AUTO-EXCLUSIVE ET ERRANCE ACTIVE Je voudrais rappeler ici que brdler des voitures, c’est braler aussi ce qui permet de se déplacer et que pour beaucoup de sujets, la question du déplacement est une ques- tion redoutable. Il me semble naif de penser que brillant des voitures, les adolescents porteraient atteinte 4 une image de leur corps propre. Cette violence, c’est du moins une hypothése, ne pourrions-nous pas supposer qu’elle vise non le corps mais bien ce quia été dérobé au corps, qu’elle vise comme un champ signifiant, un réseau, destiné & consister dans la durée’? A partir de cet archaique que représente la destruction des objets pourvus de direc- tion dans l’espace et destinés a aller vers le dehors (il me faudra nommer ainsi les voitures, et les moyens de transport), se pose la question de ce qui rend, pour un adolescent, et A partir de la rue, un espace signifiant. Une premitre réponse se dessine. Pour se repérer dans les espaces, il faudra au sujet prendre appui sur des croisements de lignes et de dimensions mettant en perspective des angles. D’emblée, des adolescents ne sont pas dans la logique du territoire, laquelle suppose la conquéte de plus d’un angle, mais dans celle du point fixe, et de l’infini «turbulent» et mena- cant, avec des périmeétres de sécurité extrémement précaires et flottants. Se construire comme acteur dans son espace revient & se repérer & partir de deux angles au moins et tras investis. Ces «coins-seuils» (qu’on m’autorise ce néologisme car que veut dire parler de «seuil» si n’est pas mise en place la fonction d'un coincement et d’un recoupement de lignes?) sont marqués sans doute par des tags. Une fois encore, déga- geons-nous d'une approche esthétique du phénomene. La plupart de ces tags ne sont pas cette espéce de torsion de I’étre venant rehausser en objet d’art ou en création «les floraisons lépreuses des vieux murs» (Rimbaud). Non, ils sont plus exactement des espaces de scansions, de coches, de traits unitaires. Or les tags appellent la voix, le geste. Ils appellent une forme de chorégraphie premiére de la marque. N’étant pas 4 lire et ne pouvant pas étre lus, ils sont un peu comme des entailles venant décom- pléter des mortifications et des jouissances mortiféres. Il n’est cependant plus un clinicien travaillant assez quotidiennement dans nos banlieues qui n’irait porter son regard sur des jeunes, pris en pleine détresse identi- taire, sans se rendre vite compte que ces adolescents sont bien loin de se camper face «A la société» comme des auteurs. S’ils se portent et se fixent vers des friches ou des ruines, ce n’est pas, ou pas encore, dans I’ objectif de les subvertir et d’en faire le site de leurs constructions paysagistes, graphiques, etc. Les adolescents dont il est ici fait mention, faute souvent d’inventer un rapport de traduction de I’ancien, entretiennent un rapport de collage & ce que les nouveaux espaces urbains et les nouvelles réalités de l’emploi et du marché ont laissé de c6té, en marge, sans méme en faire des simula- cres de lieux souvenirs. Les graphes ou les tags dont je mentionne la présence sont rarement des réalités picturales aussi agencées et complexes que celles qui mettent en avant, ou sur Ja scéne de I’Internet, les taggeurs et les grapheurs connus. Il y a de Vembarras parfois a user des mémes termes pour désigner d'une part des productions artistiques, et d’autre part une simple et obstinée pratique de la griffure, de la coupure, de l'entame de lieux inemployés par le commun. Ce caractére de biffure exercée sur des espaces en friche ou en rebut, ou encore sur des espaces encore non utilisés par les marques sociales (signalisation, publicité), est capable cependant Adolescence, errance, exclusion 149 d’inciter au rassemblement. Tels de discrets signes de piste, ces tags élémentaires tressent un réseau de craquelures ” aux bords des carapaces de la ville, autour de quoi des jeunes se repérent, se trouvent sinon se retrouvent, se supportent dans un étre ensemble encore précaire et peu loquace. Pour beaucoup d’adolescents, une représentation de la rue sur le modéle od nous Ventendons ordinairement et qui fait de la rue un passage entre deux lieux n’existe pas, ou, du moins, cela ne renvoie pas au modéle géométrique d’une délimitation spatiale qui mettrait bout & bout deux espaces hétérogénes. La rue n’est pas toujours un seuil, un «passage», elle peut apparaitre et étre vécue comme un gouffre catastro- phique. Au-del& du coin de la rue, c’est l'inconnu, parfois le péril. Au-dela du familier, c’est le non-territoire, 14 od on vit dans une absence totale de sécurité et d’amour. La rue peut donc devenir non un entre-deux lieux, mais un pur «entre», le lieu lui-méme, affecté par les objets qu’il contient et par les objets qui le traversent. L’espace de la rue ne pourrait alors se comprendre que par la science du chemine- ment, ’ondologie. La rue est ce qui pousse & affronter des passages, c’est-a-dire des risques. Des passages supposent des ritualisations, et donc aussi des destructions. Mais aussi un point d’accueil. De méme I’entre-deux suppose le deux. Mais l’adolescence qui nous importe dans cet article, celle qui s’en va en errance, et qui s’y abandonne, mais ne se fait pour autant recueillir n’importe od, celle encore qui risque une invention de la matérialité sonore et visuelle de la lettre, celle enfin qui garde le seuil dans la crainte de ce qui, de I’autre bord, pourrait surgir, 'adolescence enfermée dehors par surcroit d’abandon est toute entire occupée & expérimenter un pur «entre», avant méme qu’elle puisse croire & la promesse d’un temps qui garantit une circulation, un échange, une invention du deux. Ce n’est pas rien, la fabrique de Valtérité dans les cités. Des altérités de références qui auraient pu dire le passé et done réguler et justifier un rapport pacifié & I’idéal du moi sont souvent socialement désavouées, mises sous le boisseau de l’oubli, voire du dédain. Oui, pour comprendre I’usage de l’espace propre A beaucoup d’adolescents, nous ne pouvons que fort pauvrement recourir 4 une topologie du dedans et du dehors, franchir un seuil, interpréter également ce passage, le mettre en «projet» comme on le dit tant, et orienter sa marche vers un lieu perspectif. Or, parfois, franchir un seuil, cela peut étre terrorisant. La rue (appelons-la boulevard, allée, contre-allée, tout ce que I’on veut...) ne serait pas alors un boyau qui méne d’un lieu & un autre, mais Ie lieu par excellence oii se tient, s’expose et se valide le rapport du sujet & ses marques, A ses dires, & ses semblables. De ce fait, ce qui a un effet de coupure d’angle ou encore, et 4 l’inverse, tout objet mobile porteur d’une grande ligne de traversée et drainant avec lui d’une fagon de coupure infinie (certaines lignes de bus peuvent étre yécues sur ce mode) sont surinvestis et deviennent parfois persécutifs en raison de leur kinesthésie intrusive. Nous sommes amenés & penser les incidences psychiques de I’espace urbain des cités dans une espéce de topologie caoutchouteuse qui contient des points fixes, du vide et une périphérie hyperdramatisée. Entre ce coin d’espace et un autre coin d’espace, deux rues a traverser ou une passerelle comme flottante entre une dalle et une autre... et, soudain, cette rue, cette passerelle €voquent beaucoup plus le gouffre, le vide, le vertige, l’inconnu que le passage. 75.I1y a somme toute peu de «bombages», puisque c’est ainsi que usage précieux et le Journal officiel voudraient que nous traduisions « tag » en frangais. 150 Cliniques et psychopathologie DU CorPS... Ily a plus grave encore. Ces sujets semblent réduits & la plus grande indifférence. Ils ne peuvent alors plus faire I’expérience qu’autrui leur suppose une intentionalité, une capacité de dire «non», et occupent par leur corps la place d’un réel. Jean Furtos a nommé ceci «syndrome d’auto-exclusion». Souvent, ils se manifestent & nous, soignants, et nous inquiétent pour deux séries de raison : — d'une part, les atteintes contre le corps propres peuvent étre nombreuses. Ce ne sont pourtant ni des automutilations, ni des actes ou des gestes dépressifs. Il semble- rait plut6t que le corps en grande errance soit dissocié de tout imaginaire glorieux ou esthétique et que les pulsions ne soient plus limitées par un strict bord anatomique. D’oa des conduites parfois fréquentes de scarification et d’ obstruage des orifices qui sont loin de faire écriture sur le corps, mais qui assignent des bords et des surfaces planes ct aplanies & I’excitation. J*évoque ici une clinique des malheurs et des heurts de la peau, comme si la perte du sens commun du corps, celle de I’assentiment subjectif & la fiction commune du corps créait par contrecoup une fagon d’érogénéité de la peau et de la surface, sur laquelle se dépose un mémorial du corps souvent & peine a lire, souvent impossible & dire. La subjectivité du corps est liée, pour tous, a la présence ou a l’absence d’un Autre. L’abolition du registre de la demande a I’ Autre (et a celle de l'autre), abolition masquée parfois par les politiques anonymes et efficaces d’assistance, crée un rapport au corps & la fois trop erratique et trop réel Je me souviens ici de moments cliniques témoins saisissants de ce qu’entraine un retrait psychique de l’espace corporel : obstruage des orifices, automutilations, indif- férence & des morceaux de corps s’en allant pourrissant. Or ces patients ne sont ni schizophrénes, ni délirants, ni confusionnels. Comment comprendre de telles aberra- tions dans Ia facon dont le sujet traite son corps, sans immédiatement référer cet ensemble de faits a de la folie psychotique? La nosologie automatiquement appliquée ne rend en rien compte des processus de destitution de l'investissement libidinal du corps qui se manifestent ici. Ni de la désintrication pulsionnelle qui se donne a voir. Une hypothése proposerait que l’oubli du souci du corps — que nous avons relié & un effacement du statut de sujet politique de ces grands exclus cassés psychiquement et physiquement — survient aprés I’abandon par le sujet de défenses psychiques qui permettaient de maintenir une certaine excitabilité du corps et aussi un certain montage & de [’altérité et de l’externalité, fit-ce par le biais d’un masochisme, gardien de la vie. Dans le particulier, voire le singulier, du cas par cas, la ruine des fonctions vitales se soutient aussi par des proférations de négation. L’excitation du corps par des points de douleur qui rendent le sujet non consentant aux soins médicaux élémen- taires — cela arrive souvent — apparait non comme une régression vers on ne sait quel masochisme érotique, mais comme un puissant dispositif anti-mélancolique, une forme de résistance a cette mort du sujet qu’est la mélancolisation anesthésique de Fexistence. Le corps partenaire est un partenaire maltraité, fécalisé, « laissé tombé » par I’Autre, mais c’est un corps encore doté de capacités subjectives. Obscénité du corps, dira-t-on, et, il est vrai, que dire d’autre? Mais aussi et bien plus encore, un corps qui n’est plus cette trique traversée par un souffle et ouverte & chaque extré- mité, sans que se confondent les extrémités, c’est-a-dire les orifices, bref, un corps & qui manque Vinstance qui fait coupure et lien, l'instance phallique. La négation de tout existant a le plus souvent marqué la vie de ces sujets. Nous ne pouvons lutter contre cette négation, en guérir le sujet, si nous la considérons comme totalement triomphante. Notre clinique est aussi et avant tout celle de la résistance du sujet. Adolescence, errance, exclusion 151 DU TRANSFERT... Un regard extérieur, expert et évaluateur n’y suffit guére. Pour y comprendre quelque chose, il faut retenir comme prépondérante dans l’observation de ces topolo- gies l’inéluctable implication du chercheur et du clinicien dans la réalité locale au sein de laquelle il met en avant ses offres d’écoute, de recherche, voire de soin. La clinique des adolescents en grande errance se verrait alors transformée : le clinicien peut élaborer une clarification théorique et épistémologique sur la nature de la démarche clinique vis-a-vis de réalités psychiques et sociales largement inabordées par les actuels savoirs en psychopathologic, en psychologie clinique et en ethnopsychiatrie. Une raison simple encourage a ce renouveau. Elle tient aux modifications des dispositifs de secteur. On s’en souvient peut-étre, la politique de secteur visait & concilier la cité comme acteur dans la politique de santé mentale. Dans le méme temps, les dispositifs de santé peinent A s’adresser aux grands exclus. Or ce sont moins vers des sujets insérés dans la cité que notre clinique de la mélancolie du lien social nous porte que vers des sujets vivant dans I’«a-cité». DU SON... Arrétons-nous un instant sur Ieffet qu’ont les grands exclus sur des soignants, partie prenante de la culture de secteur, culture bien mal en point aujourd’hui, et qui, en conséquence, ont des idéaux de réinsertion et de réhabilitation psychosociales dans la cité. Or ce que portent avec eux de jeunes errants ou de grands exclus, c’est toute une part de la destruction de la cité, de cet espace de la cité qui est aussi comme un groupe interne, une communauté interne Revenons au théme de I’«a-cité», indiquant par le «a» privatif cet effondrement objectif et interne d’un agencement communautaire. Un point inaugural des prises en charge, une fois épuisées les déclarations & la fois vaines et nécessaires de «bons sentiments», est la présence d'un affect de honte sur les soignants et la sidération dans laquelle cet affect les plonge. La souffrance psychique des soignants, voila une expression qui n’est pas de simple abstraction! Honte d’avoir en face de soi, dans un commerce de corps plus que de paroles, des sujets qui sont, eux, dans un état d’éhon- tement. La honte dont je parle ici est comme l’envers de l’aspect impudique du social a tolérer l’insupportable. L’étayage pulsionnel est dans un état extréme d’épuisement. Je pense 4 cet errant de 35 ans qui se bouchait compulsivement tous les orifices avec un mélange de boue et de pitances pour animaux mais aussi & cette fillette en pleine déshérence, au Mali, qui obstruait ses yeux avec de la boue et de la terre. Au premier abord, elle ne souf- frait «que» d’infection des yeux. Toutefois, je me suis interrogé sur le fait que ses deux yeux étaient également infectés par frottement. Parlant avec les autres enfants, je me suis rendu compte que cette gamine se bouchait compulsivement les yeux parce qu’elle souffrait d’hallucinations. I est bien évident qu’ au-dela de la nécessaire désinfection des yeux, il fallait aussi un soin psychiatrique précis, qui fut donné peu aprés. Dans un premier temps, il a fallu renoncer & la conduire vers un centre «psy», car I’éloigner de cet espace ot elle tournait en rond aurait été yécu comme un véri- table arrachement, un démembrement imposé. Cette décision imposait de rester auprés d’elle, régulirement, pendant de longues heures, et de donner des soins sur 152 Cliniques et psychopathologie place. C’est trés progressivement, au terme de I’établissement de relations transféren- tielles, qu'il fut possible de la conduire en psychiatr CE QUI RESTE DES AFFECTS... LOIN DE TOUTE EMPATHIQUE EMOTION Les affects sont violents lorsque la vie bat encore son exigence, lorsque le sujet sait que la vie ne suffit pas a la vie, que le corps ne suffit pas au corps, que la mort ne suffit pas a la mort. Honte et haine sont des affects qui escortent toute déclaration de soi ct toute présentation de soi, dans le registre de la filiation. Y a-t-il pour le sujet une racine vivante de la filiation? Cette racine, cette réassurance tient en un acte. La possil de dire oui au fait d’étre vivant avec d’ autres, c’est-a-dire mortel avec d’autres. La filiation comme situation subjectivante pour chacun prend support dans la possibilité de dire qu'une dette de vie est respectée et honorée. Ce n'est pas une dette de «survie». En ce sens, elle peut se faire en prenant la parole. Il ne s‘agit pas de rembourser la dette de vie, mais de participer & ce qu’il faut de collectif pour affirmer que I’on est, au méme titre que d’autres et avec d'autres, reconnu comme participant de cette dette. Nous tenons 14 un des socles anthropologiques de |’ articulation entre affiliation et filiation. La désaffiliation toucherait effectivement les sujets qui sont empéchés d’affirmer leur dignité d’ avoir pu recevoir et reconnaitre cette dette de vie. Immergeons cette donnée anthropologique dans une autre, un peu plus préoccu- pante encore, puisqu’elle concerne certains aspects actuels du lien social. Il se produit, pour certains et & certains moments, de telles déceptions de rencontre, voire de tels risques concrets, réels, de rencontre que le sujet peut tout & fait supposer que ca ne vaut méme plus le coup d’ avoir une vie psychique. En face de tels patients, nous ressentons comment la désespérance se traduit par des attaques (formes d’attente) envers I’événement que constituent la musique, les scansions et le pouvoir d’évocation de la parole humaine. Réduit a la plus vive des solitudes, nul ne sait s’il est mort ou vivant. D’oi la nécessité d’un accueil des signes de vie que donnent les grands exclus ne réduisant pas ces manifestations a des expressions pathologiques ou déficitaires. CLINIQUE D’ AUJOURD’HUL... A revenir au plus prés de mon travail clinique auprés d’adolescents, je relaterai L’anecdote suivante. On a tenté d’installer une consultation au milieu d’une barre de grand ensemble. On a créé une consultation. Il y a une porte, une sonnette, donc une salle d’attente et des bureaux avec des fauteuils et, rassurez-vous, des divans, assez peu utilisés mais servant d’argument auto-légitimant et rassurant quant 4 notre iden- tité professionnelle — ce qui n’est évidemment pas une mince affaire en certains lieux. Beaucoup des jeunes n'y sont jamais rentrés. Ils se plantent au seuil de institution, ils sonnent, restent figés devant la porte lorsqu’on la leur ouyre et sont 4 ce moment- 1a en panne devant cette ouverture, alors qu’on les invite A franchir le seuil... comme si ca se franchissait comme ¢a, un seuil. Ils sont comme devant une espéce de membrane résistante, ils ne peuvent pas rentrer dans un autre espace, ils sont enfermés dans leur espace. Que nous montrent-ils, que nous demandent-ils? Et nous, que pouvons-nous leur signifier? On pourrait peut-étre les suivre, dehors. Aller avec eux, faire les cent pas. Ici, le lecteur sera surpris. Convoquons la mauvaise cons- Adolescence, errance, exclusion 153 cience, Elle s‘exprimerait ici haut et fort. Elle parlerait de transgression et de non- respect du cadre. Elle aurait raison 4 vanter son épure. Mais de quelle transgression s’agit-il alors qu’aucune régle fondamentale n’a été énoncée? Avant le transfert : le contact, avais-je écrit ®, Aller au possible de ce qui donne consistance & la situation de parole. Parier, c’est découper et nouer. Mais parler avec des sujets pour lesquels la coupure est encore privée de son effet de coupure, c’est doubler les trajets, les lignes, les errances, les pas qui tracent et se font traces, c’est doubler cette orientation du corps dans I’espace, comme on double I’étoffe d’un habit. Ce matin, je vais donc suivre ce jeune en faisant les cent pas, en marchant avec lui. Aprés tout, c’est une fagon de suivre les gens”. Ce jeune un jour me pousse, non sans une certaine rudesse du geste, 4 ]’entrée d’une cave. J’en fus surpris, immédiatement. Qu’y avait-il dans cette cave? J’y fais rencontre d’un autre, bien jeune semble-t-il et complétement cassé par la colle. Or c’est assez souvent sous ce mode que les demandes de soin sont adressées. Un sujet qui va porter la détresse d’un autre nous demande d’intervenir sur ce montage”. Dans ces conditions de précarité, bien sfir, parce qu’il y a quand méme des adoles- cents différents, on travaille rarement sur un seul sujet, on travaille plut6t sur un montage de partenaires, entre un sujet qui va attirer notre attention sur quelqu’un autre, au risque bien évidemment de se faire oublier en route. Le jeune, le premier, celui qui était venu me chercher, avait été également mis en position de «porte- parole » par d’autres jeunes de la cité. Souvent, les adolescents consommateurs de ces drogues qui visent a alléger la douleur de la vie psychique ont une fagon bien particu- ligre de considérer des seuils de dangerosité dans le sur-usage de toxiques. Prenons exemple, dans ce cas, du moment d’alerte, ce moment ot celui qui était 1a, tres cassé par la colle, a alerté les adolescents du groupe, alors que de fagon du reste assez terrifiante tout ca se passait dans une forme d’indifférence. Cette alerte fut contempo- raine de son changement brutal de rapport & la drogue. Vous savez sans doute que les adolescents prennent de la drogue comme d’ autres, moins adolescents, prennent des somniféres, pour provoquer artificiellement l’opposition de la veille et du sommeil. Cette opposition fait passer dans le corps I’ opposition du jour et de la nuit, comme si le corps était le lieu ob, par la grace de T’intrusion d’un adjuvant chimique, se rejouait, au rythme de la prise de «toxique», la premidre matrice des signifiants : jour/nuit. Tl est alors conféré au médicament, ou au pharmakon “drogue”, la possibi- lité de réinscrire le corps dans une scansion. En revanche, d’autres jeunes ne supportent méme pas cette alternance. Ils la supportent d’autant moins qu’ils sont confrontés non seulement & une ruine ou une errance de l’idéal du moi, mais plus encore a une remise en question radicale du moi idéal, c*est-A-dire de l’image de leur corps. Leur présence n’est plus lestée par les regards et les voix qui, normalement, 76. Douville, 2002, in Le Bachelier. 77. Lacan, entendant une patiente dire ; «Je suis suivie», lui a répondu : «Ne vous inquiétez pas, on va trouver quelqu’un qui va trés bien vous suivre.» Evidemment, il ne faut pas penser que c'est une formule magique, je n’encouragerai personne & répéter ca systématiquement & tous les patients un peu sensitifs 78. Cette facon de porter la détresse d’un autre comme pour fabriquer un partenariat de la demande, comme pour faire émerger deux demandes, est semble-t-il transculturelle et lige & la précarité dans les grandes friches des métropoles, Je I’ai rencontrée quasiment & I'identique & Dakar et & Bamako, oli je travaille assez réguligrement dans un projet de prise en charge des enfants de la guerre et des enfants en errance dans les rues. 154 Cliniques et psychopathologie permettent le raccordement de I’expérience du corps propre a des paroles qui en reconnaissent I'unité et la projette dans des idéaux. Les adolescents ne se trompent pas lorsqu’ils opérent une distinction entre une toxicomanie jugée par eux normale, celle du pharmakon qui fait circuler du contraste, des états psychiques opposés, mais sans les articuler, et une toxicomanie inquiétante, celle de la colle & haute dose, & inhalations continues. Ils distinguent un usage qui «mécanise » le moi idéal, mais le conserve a ce prix, et un usage qui signe la ruine du moi idéal. Dans ce dernier cas, le corps délesté, réduit & sa pesanteur, disjoint des mots ou des regards qui lui ont peut- atre autrefois prodigué amour et conféré dignité, devient un trou ot s'engouffre le collage du sujet et du produit. Cet adolescent est en pleine errance, il a alerté les autres au moment oi il a pris de la drogue non pas pour fabriquer du rythme, mais pour en abolir en lui toute forme. Le voila, pour le moment, sorti du péril. Ce ne fut pas une mince affaire. Je ne rentre pas dans les détails. AU LOINTAIN : BAMAKO. Venons-en maintenant & quelques éclairages concernant ces formes particulitres de socialisation des enfants et des adolescents qui vivent trop souvent dans la rue, partir de mon expérience africaine, 4 Bamako (Mali)”® avec le Samu Social Mali, association malienne reliée au Samu Social International que dirige le Dr Xavier Emmanuelli. La rue est un trés large espace informel de productions de biens et de services, certains enfants investissent ce «marché» du travail «sauvage» en se faisant guide, laveur de vitre de voitures, petit revendeur, mais certaines jeunes filles aussi survi- vent en se prostituant. C’est bien stir la durée de présence dans la rue, en termes d’heures par jour, qui sera un crit&re important de désocialisation : plus des deux tiers de la population d’ensemble de la ville de Bamako passe plus de huit heures quotidiennes dans la rue. La différence est toutefois importante avec ceux et celles qui y élisent un domicile permanent. De nombreux enfants et adolescents se regroupent autour de points géographiques précis, souvent liés aux zones de circulation intensives et aux voies de communication (marchés, gare routitre ou gare ferroviaire). Ces lieux de grand passage, telles les gares ferroviaires ou routitres, sont des lieux ot aboutissent et s’échouent des jeunes gargons, plus rarement des jeunes filles, qui sont dans des grandes errances, certains viennent de pays limitrophe, comme le Sénégal ou la Cote d'Ivoire, ou encore la Mauritanie. [Is sont signalés aux services sociaux par la brigade des mineurs, elle-méme alertée par les services de police qui gardent ces lieux. C’est souvent en faisant des démarches auprés des consulats que I’on peut reconstituer les centaines de kilométres tracés par l’errant, et envisager un retour au pays. Ces grandes errances n’expliquent en rien, toutefois, I’aspect massif de la présence des enfants et adolescents qui restent fixés autour de ces lieux puisque la plupart de ces jeunes dont il est maintenant question s’y sont sédentarisés et ne voya- gent jamais. 79. Je remercie Xavier Emmanuelli de la confiance qu'il m’a faite & cette occasion, en me permet- tant de contribuer a la mise en place d'un Samu social & Bamako. Adolescence, errance, exclusion 155 Les groupes que nous rencontrons IA sont mobiles et leurs contours sont fluc- tuants. Ils sont le plus souvent stables le soir et jusqu’au petit matin en de tels endroits. S°il y a des leaders avec lesquels il faut parler et qui servent de médiateurs entre I’équipe et les jeunes, on ne saurait pour autant décrire ces «bandes» comme des organisations pyramidales campées sur un territoire délimité et clos. Il s’agit plus exactement de bandes instables, vivant dans des périmétres mouvants autour de ces quelques points fixes que sont les diverses gares ou les marchés. Il est rare que des luttes pour le contréle de la territorialité soient suffisamment denses et organisées pour que puissent se former des groupes organisés ou des contre-groupes (ceci expli- quant cela). Des flux en errance plus que des parcelles délimités et rendues sédentaires par un investissement des frontiéres et des seuils. A ce stade de notre recherche, il est possible de souligner que les vecteurs qui donnent consistance a ces groupements erratiques, ou, pour le dire autrement, ce qui fait trait d’union entre les enfants et les adolescents composant ces groupes, se référe A deux ordres de réalité : — existence de ce qu’on peut repérer comme langues codes, trés particuliéres, et qui sont souvent le produit d’une déformation du bambara et du francais, enrichie de quelques tournures venant d’autres langues africaines parlées au Mali. Il n’est pas pour autant question de postuler ici I’existence d’un pidgin ou d'un créole, mais de constater la dérive du langage parlée vers un langage code, tr8s resserré & des verbes d’action et a des codifications de la domination ou de la soumission, qui souvent devient le propre idiolecte de tel ou tel regroupement d’enfants. Au fond, il suffit celui qui veut rejoindre le groupe de connaitre ces langues codes et les salutations précises qui en dérivent. Un enfant dogon ne parlant pas le bambara peut apprendre rapidement quelques-unes des expressions clés de ce groupe et s’y adjoindre sans trop de difficultés. Tl y sera tout a fait toléré. L’observateur qui se donnerait la tache de tracer sur le plan de la ville de Bamako les zones de diffusion et de cristallisation de telle ou telle langue-code aurait une idée assez juste des zones et des limites qui pourraient spécifier tel ou tel regroupement d’enfants. En revanche, vis-a-vis des adultes qui rencontrent ces jeunes, les salutations coutumiéres et traditionnelles bambaras restent le vade me cum indispensable. L’ observateur se doit donc de se les faire enseigner, ce qui est, somme toute, un exercice assez joyeux; —la mise en commun d’expériences traumatiques qui soit expliquent I’errance de ces jeunes, soit ont été vécues en commun (décés d’un camarade suite des accidents ou A des overdoses). Des enfants d’origine diverses peuvent se nommer entre eux non par leur nom ethnie d'origine, mais par le vocable de «forgeron». Ce dernier signifiant ne désigne pas ici un métier, mais une place a part, le forgeron étant généralement, dans de nombreuses ethnies, celui qui n’a ni les mémes initiations, ni les mémes obliga- tions que celles qui régissent la vie du reste de la communauté. Ce terme de «forgeron» signifie et stigmatise I’étranger interne, I’exclu interne. Les facteurs de rassemblement des enfants entre eux sont d’abord des communautés d’expérience et non de fond traditionnel : l’ancienneté de la vie dans la rue, ensuite, les logiques qui ménent a étre a la rue. Les limites de ces territoires sont mouvantes, surtout pour ces bandes d’enfants qui n’établissent pas leur lieu de sommeil la nuit & proximité des regroupements d’adultes mendiants ou nomades, qui, eux, se retrouvent pour dormir & proximité les uns des autres autour de grandes places trés repérées & Bamako Centre, telle la place de la Mosquée. II faudrait ajouter que plus un groupe est lourd d’enfants désocialisés, moins il est territorialisé, se repliant dans des lieux bien 156 Cliniques et psychopathologie davantage marqués par la circulation des biens et des moyens de transport que dans des lieux de communication et d’échange. Les groupes d’enfants qui nous préoccupent se regroupent donc plus précisément par communauté de trauma, bien plus que par communautés culturelles. Est-ce pour autant qu’ils se définiraient comme des « victimes »? La encore, la construction idéo- logique de la «victime », nécessaire A légitimer la médecine humanitaire, n’est pas d'un grand profit pour la recherche clinique, ni méme pour l’abord clinique de ces jeunes. Ces groupes, od se reconnaissent des anciens «trafiqués» ou des anciens combattants en pleine adolescence, ne se présentent pas comme des associations de victimes. Ils m’ont plutét donné le sentiment de vivre, entre apathie et défi, un rapport au temps historique tout a fait particulier. De fait, ce qu’ils ont vécu ne renvoie nullement aux grandes scénes de violence initiatique qui marquérent les identités et les identifications de leurs péres. Exacts contemporains d’une violence actuelle, ces adolescents vivent l’insolite situation, grisante et déprimante, d’étre le premier prendre la parole A propos de ce bouleversement violent des rapports des hommes entre eux, & propos de ces transgressions terrifiantes de tout pacte généalo- gique et dont ils furent victimes, témoins, et parfois, dans le cas des «enfants- soldats », acteurs. Les barriéres de défense du moi semblent se consolider dans cette reconnaissance que les jeunes font d’étre les produits de violence actuelle de l'histoire. Si la notion assez floue de résilience peut avoir un sens, ce qui reste a établir, alors l’essentiel est bien qu’une possibilité de relation & autrui est rendue possible si le «traumatique » passe comme souvenir et comme mémoire reconstruite par un autre ou méme plusieurs autres jeunes dont le sujet dépend. La dite résilience ne serait pas ici dans une forme de rage de vivre ou de survivre, dans le fait d’étre instruit par les douleurs de l’existence et d’en forger des armes psychiques qui objectent & toute psychologic du développement déficitaire de I’exclu; ou du moins cela importe assez. peu, car il y a bien des suradaptations en «faux self» qui doivent casser et qui ne durent pas dés que le sujet est bien accueilli et bien soigné (Dowville, 2001). L’actualité d’une rési- lience possible consiste en cela; des jeunes sont affectés dans leur singularité; ils n’ont d’autre choix que de se poser, d’abord et avant tout, comme le produit de ruptures et de cassures qu’aucun de leurs ascendants n’a pu connaitre. Ils vivent une situation inédite et se vivent aussi en position inédite. La demande de l’autre & leur égard est souvent peu supportée lorsqu’elle est portée par des modéles convenus et obsolétes de l’appartenance et de la cohérence culturelle. Il est inutile de s’adresser 4 eux comme étant d’abord des Bambaras, des Peuhls ou des Dogons. De plus, certains se sentent dans une telle cassure, voire une telle transgression, vis-d-vis de leur famille, certains autres sont tellement rejetés par cette famille qu’on a bien du mal & situer comme facteur de sens et d’identification structurante la relation aux ancétres et 4 l’ancestralité, Certains se vivent comme recrachés, vomis, par la culture de leurs parents. Et ils ne désirent pas particuligrement entrer en lien avec un adulte de méme origine qu’eux, ou invoquant des préceptes et des formulations culturelles établis. De la, peut-étre le bon accueil qui est réservé a |’étranger, avec celui dont ils sont certains de ne pas avoir masse d’ancétre en commun. Sans que cela ait été délibéré, la composition multicthnique et multiconfessionnelle des équipes maliennes est un atout, c’est de fait une situation transculturelle permettant de jouer sur les variations de gamme de I’étranger et du familier. Un des signes les plus probants d’une mise en danger est l’existence de forces d’exclusion dans des groupes de jeunes par rapport & des enfants qui inquittent (délire, hallucination, épilepsie ou énurésie). Ces enfants souvent s’auto-excluent, et Adolescence, errance, exclusion 157 il faut faire preuve de tact et de patience pour aller les découvrir et leur parler, mais d'autres, ce qui est encore plus compliqué pour les soignants, sont comme exclus de T'intérieur par le groupe, lequel, en fonction des ordres du leader, peut comme les camoufler, les dissimuler au sein de l’espace «commun», il en est ainsi de ces enfants cachés sous des tables de marché ou qui émergent a peine des toiles de sacs de riz ou de couvertures pouilleuses disposées & méme le sol. Le contact est ici plus difficile dans la mesure ob les groupes d’enfants comprennent mal pourquoi nous nous intéressons & ces enfants. Les adultes qui vivent dans ces quartiers, et qui, souvent, tolérent plutét bien les enfants et les adolescents errants, ne pergoivent pas T’existence de ces parias parmi les parias que sont les enfants exclus des groupes. Ce sont bien ces enfants en situation trés limite qui, en raison du dénuement extréme et de I'hostilité qu’ils déclenchaient de la part des autres jeunes, nous ont mené & travailler le plus avec les gens du quartier. Tl va de soi qu’un travail comme celui relaté ici doit étre accepté par les habitants de ces quartiers pauvres oii se replient, erratique facon, les «enfants des rues», pour un certain nombre de raisons dont la plus importante est la présence régulitre des «tournées», de la camionnette, mais aussi de certains parmi nous qui restent des heures en compagnie de tel ou tel enfant. Ce «point fixe» que représente la camionnette du Service de soin faisant irruption réguliére dans la nuit de Bamako devient autre chose. Elle devient un contenant, un lieu pour des contacts, des échanges. Comme partout parmi les enfants exclus, il y en a qui le sont plus que d’autres et qui redoutent de nouer des liens avec les structures existantes. On mesure peu et mal quel «exploit» peut représenter le fait de quitter l’étroit périmétre des liens et des lieux familiers pour traverser des pans entiers de la cité afin d’étre hébergé, soigné, incité au dialogue dans un centre institutionnel, comme le sont les centres d’hébergement avec lesquels nous travaillons. Il n'est pas absurde de poser qu’il vaut mieux ici renoncer & ’idéal d'une prise en charge en réseau, devant mener & un placement, méme transitoire, du sujet dans une structure existante, et s’en tenir des relations d’aide et de proximité en prenant appui sur les relations que certains jeunes trés exclus peuvent néanmoins nouer avec les gens du quattier, En ce sens, notre action s’inscrit dans une logique de santé communautaire. Des situations cliniques extrémes se rencontrent avec des enfants dont la présence dans la rue s*explique par le fait qu’ils sont des rescapés des guetres atroces qui endeuillent le Liberia et la Sierra Leone, deux pays assez proches du Mali. Ils trou- vent refuge, abri, 4 Bamako, mais en connaissant des conditions de vie extrémement précaires. Cette situation est récente ct préoccupante. I] peut s’agir d’enfants étran- gers anglophones, mais aussi de jeunes issus de familles maliennes ayant émigré, il y a de cela des années, dans ces pays aujourd’hui en guerre. Ils sont, pour certains, artivés au Mali et 4 Bamako, dans |’espoir de rencontrer un membre de leur famille, dont ils ont pu entendre parler mais que, bien entendu, ils ne connaissent pas et qu’ils ne rencontreront que dans de trop rares cas. Ceux qui restent en dehors de toute attache familiale reconstituée sont en totale errance, et au mieux s’agglutinent-ils & des groupes d’enfants déja constitués. Ces jeunes qui peuvent avoir entre neuf et seize ans furent, pour certains, des enfants soldats qui n’avaient d’autre choix que de se joindre A des bandes ou des groupuscules emmenés par des chef's de guerre plus ou moins déments. Eux-mémes vivent dans des confusions de temps et d’espace tout a fait sidérantes. Il est, ici, & noter que présentant aux yeux des autres adolescents la figure de celui qui est revenu de la mort, et de celui qui n’aurait pas peur de la mort, de tels adolescents peuvent étre choisis comme leader dans un groupe. En ce cas, ils peuvent paraitre étrangement adaptés, & l'aise, programmant ce que le groupe doit faire et comment il doit s’adapter a des logiques de survie. Cette suradaptation qu’on 158 Cliniques et psychopathologie pourrait nommer «résilience» est, bien entendu, une fagon de carapace dont il convient de déshabituer le sujet lorsqu’il est accompagné par un adulte responsable et de bonne foi. Mais, le plus souvent, les adolescents-soldats que j’ai rencontrés et soignés étaient dans une prostration psychique grave que singularisait une forte acti- vité hallucinatoire od revenaient souvent des images des proches morts, exécutés sous les yeux du jeune qui avait pu, & ce moment-la, se cacher puis fuir, sans pouvoir honorer les disparus, emportant, dans le meilleur des cas, une trace matérielle arra- chée au cadavre : bribes de lunettes, de stylos, pices de vétements. Le psychisme utilise, 4 ce moment-la, pour se représenter un lien possible avec Vobjet des images de choses corporelles, images qui sont en deca d’une perception unifiée du corps. L’activité hallucinatoire réalisera des formes d’objets ott se jouent des processus de destruction et de destructivité rejetés hors de soi. Et l’adolescent met alors son propre corps en jeu. II peut ressentir alors la nécessité impérieuse et censée de garder comme une possession une relique qui viendrait de l'autre, tel un reste de vétement, ou encore une bribe d’objet. Cet objet reliquat qui condense et noue ensemble ces malheureux restes est autre chose qu’un souvenir, c’est une forme agissante qui redonne du semblant de corps 2 ce trou dans le maillage des semblances et des affiliations déchiré, et 4 partir de quoi une élaboration fantasmatique des alté- rités perdues en un non-lieu peut se remettre en chemin et en chantier. J’en ai vu, de ces reliques, de ces objets vestiges, de ces formes informes qu’ enserraient des bouts de tissus, de bandelettes, de paperasses, et qu’une investigation superficielle aussi malheureuse qu’offensante nommerait fétiche. J’ai parfois entendu ces pauvres lita- nies, ces psalmodies minimales et ténues qui accompagnaient la manipulation de ces reliques, ces facons de berceuses qui conjoignaient enfin, et & nouveau, le corps de la voix au corps du voir. Une forme de rythme donnée au silence et orientant le silence, faisant ombilic de mémoire, avant qu’a partir de ce don de voix outrepassant la sidé- ration ot nous engloutissent les ténébres obscurs et mutiques, une mémoire narrative puisse refleurir. Si on suppose que I’ objet reliquat est le reste diurne qui se repose dans les mains du sujet aprés la décantation des élaborations hallucinatoires, alors nous pourrions généraliser a parler de la matérialité de ce qui reste aprés l’expérience hallucinatoire et dont enfant fait partenaire. Je note encore que ceux des enfants ou adolescents qui ont développé une pratique de ce reliquat sont, beaucoup moins que les autres, enclins a la consommation de ces drogues qui, tout comme le choc, replient l’appareil psychique sur lui-méme dans une immédiateté anesthésiante, dans ce triomphe d’une apathie, mélancolie sans dépression. CONCLUSIONS... TRES PROVISOIRES Nous intervenons sur la continuité entre réel et symbolique. Notre réle est alors d’étre le point fixe vers lequel on vient et l'on revient nouer un contact. Ce point fixe contrarie la phobie de I’espace et il peut déterminer spatialement quelque chose dune monstration du sujet, voire d’une plainte, presque d’une demande. Et a ce moment-la, oui, ce n’est pas idyllique a tous les coups. On voit trés bien que peut émerger alors une production d’affect : la haine. Or la haine est un temps nécessaire. Du cété de la survie, la haine opére un clivage chez I’autre, l’autre qui a trahi, qui est Vennemi, et l’autre qui consiste et qui peut aider. L’émergence de la haine a I’adoles- cence, victoire sur la honte, coincide avec le clivage de I’imaginaire, qui démarque un maniement assez sensitif des lois communes de la mise en place d’une altérité idéale. Oui, la haine fait consister une altérité qui garantit le sujet contre sa propre Adolescence, errance, exclusion 159 disparition & ses propres yeux. Le sujet ne se garantit de sa permanence dans so que s'il arrive a faire tenir un autre qui tient le coup, et Ia, effectivement, la possil de transmuer la honte, d’exister en haine, fait un pas vers le lien. Un champ d’investigation est ouvert et nous ne sommes qu’au seuil de mettre en place une compréhension des modes d’abord de ces enfants et adolescents en danger dans la rue. Une telle compréhension suppose une grande mobilité des équipes, aptes a aller sur le terrain, & se faire reconnaitre par les populations de ces quartiers difficiles. La vie «dans la rue», qui se chronicise trés rapidement, n’est pas sans entrainer des perturbations des fondations subjectives du temps, de l’espace, d’autrui et du corps. Nous ne pouvons envisager ces répercussions subjectives sans envisager, également, ce qui se présente comme logique d’adaptation, voire de suradaptation paradoxale. Ces conduites de suradaptation paradoxale qui renvoient A des logiques psychi- ques, singuliéres et collectives, de survie ont pu étre positivées; et, 4 ne voir dans ces suradaptations & ’immédiat des logiques de survie que des capacités & ne pas trop se détruire, on oublie aussi que de tels modes de résilience doivent étre cassés : il est nécessaire pour un enfant de pouvoir régresser & son propre service, ce qu'il ne manque pas, fort heureusement, de faire, lorsqu’il a la chance — en fait c’est un droit minimal — d’étre accueilli, entendu, soigné et éduqué dans un milieu adulte respec- tueux des lois des échanges et des lois de la parole. Nous connaissons encore mal les conséquences psychologiques de ces mises en danger des enfants et des adolescents des rues, alors que nous pouvons assez aisément identifier les raisons et les facteurs de cette grande exclusion : pauvreté, rupture des liens sociaux et familiaux, errances, etc. De plus, dans le vif de notre travail, nous devons fabriquer du projet, le plus souvent, Or, nombre d’illusions réparatrices ne peuvent plus avoir cours, si ce n'est a titre de réverie stérile. Il en est ainsi des idées de réinsertion prénée comme une solu- tion automatique et miraculeuse; de tels idéaux sont utiles, certes, mais ils ne deviennent toutefois réalisables qu’a la condition que le «milieu» dont est parti le jeune soit encore capable de le réinsérer. Il faut oser affirmer que ceci n’est pas vrai, le plus souvent, en ce qui concerne des enfants déja habitués a I’errance, & la survie dans la rue, et qui ne fondent aucun espoir quant & leur chance d’étre & nouveau accueilli dans leur famille, voire leur belle-famille. Ty adonc une réalité, chaque jour de plus en plus insistante, et, au demeurant, peu supportable, qui est celle de l’installation dans la vie de la rue de garcons, voire de filles, de plus en plus jeunes. On peut tout & fait, dans un premier temps, dire que ces jeunes sont en danger. En risque. De délinquance, de prostitution. En risques phy’ ques aussi. Cependant, si on désire valablement travailler au contact de cette population, on doit, au-dela de ces déplorations et de ces éventuelles indignations légitimes, se montrer pragmatique. Les équipes qui, impliquées dans un travail de terrain, ont dit avoir retiré quelque chose de neuf de la formation et de leur expérience se sont entendues a reconnaitre deux choses. D’une part, qu’il fallait entendre toute forme de relation od un jeune ne peut demander assistance et soin qu’en attirant d’abord I’attention d’un éducateur et d'un soignant sur un autre jeune qui, objectivement, va encore plus mal que lui, mais sans oublier le risque que le premier de ces jeunes disparaisse sous I'évidence de la maladie ou du mal-étre du second. D’autre part, qu’il ne fallait pas s’alarmer assister 4 des régressions lorsqu’un «sur-adapté» se sentant en confiance et en 160 Cliniques et psychopathologie sécurité pouvait alors laisser tomber ses défenses et ses béquilles psychiques. Qu’enfin le meilleur « médicament » qui soit reste la parole, celle qui restaure le sujet dans la dignité de la promesse et I’arrache & la crainte et & la menace. POUR ALLER PLUS LOIN ALTHABE G. L'ethnologie comme méthode, entretien avec M. Sélim. «Trente ans (1963- 1992)». Cah Sci Hum, 1992. CADORET M. Le paradigme adolescent. Paris, Dunod, 2003. Dovvitte O. Avant le transfert, le contact. 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