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ÉTAT DES NON-LIEUX

État des Non-Lieux


Anna Lejemmetel
État des Non-Lieux

Anna Lejemmetel

Mémoire de DNSEP Art, mention Objet, atelier bois


suivi par Jean-François Gavoty
HEAR, École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg
Juin 2013
« L’une des fonctions de l’artiste dont on a pris la mesure dans
les récentes décennies est par-dessus tout de nous empêcher
de devenir parfaitement adaptés à notre environnement. »

Marshall McLuhan, Understanding Media – The extension of Man, 1964, trad. de 1968
Dans la recherche de la localisation matérielle de l’ailleurs, je me suis
penchée sur trois textes.
Michel Foucault, dans la conférence qu’il donne en 19671, parle des
espaces autres qu’il nomme Hétérotopies ; espaces réels où l’utopie
se manifeste. Elle entre en résonance avec la réalité grâce à la projec-
tion d’espaces mentaux dans des espaces physiques. Foucault pointe
des réalités à la manière d’exemples, d’exceptions qui sont des lieux
concrets et non des idées.
J’ai voulu rapprocher ce texte des Non-Lieux2 de Marc Augé pour
aborder, du point de vue anthropologique, la relation de l’homme au
lieu et approfondir le propos dans un contexte social.
Le troisième texte que j’ai étudié est celui d’Hakim Bey et de ses
Zones Autonomes temporaires3. Il me permet de faire résonner cette

L
recherche avec un propos politique qui l’ancre dans le temps et
l’espace présent.
e contexte dans lequel ma pratique s’inscrit est primordial, il En confrontant ces trois textes suffisamment complémentaires pour
participe à l’élaboration de son sens. Mon travail souligne des para- brasser plusieurs domaines d’études qui se rejoignent en un même
doxes dans leurs enjeux contradictoires, il formalise l’opposition et lieu, je cherche à construire le corpus théorique des fondements du
se détache ainsi de la réalité. terrain qui m’est propre.
J’ai questionné ma place dans le milieu de l’art et je me suis plus lar-
gement projetée dans d’autres domaines, sans pour autant avoir réussi
à m'y retrouver quels qu’ils aient été. Si j’exprime mes idées sous J’appellerai « non-lieu » cet espace ambigu où cohabite réalité idéale
une forme artistique, la question de mon statut se pose naturellement. et idéal réel.
Je cherche à ancrer ma pratique autre part, guidée par une intuition
qui se veut indépendante de son contexte sans en être isolée et cette
ambiguïté donne à mon travail une dimension utopique.
Mais comment concrétiser une utopie puisqu’elle est, étymologique-
ment, nulle part. Mes pinceaux s’emmêlent et je sens qu’une tension 1. Michel Foucault, “Des espaces autres”, Dits et Écrits II, Gallimard, 2001
naît ici entre matérialité et immatérialité, réalité et idéologie. Il est 2. Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité,
Éditions du Seuil, 1992
question d’une frontière floue entre deux éléments qui s’opposent et 3. Hakim Bey, TAZ, Zone Autonome temporaire, Édition de l’Éclat, 1997 le texte
que la notion d’utopie englobe. original a été publié en 1991 par Autonomédia
Le présent état des non-lieux a été établi contradictoirement et ÉTAT D'ENTRÉE
conformément aux parties communes Les Hétérotopies, les Non-lieux et les Zonnes Autonomes
Temporaires
Michel Foucault
Marc Augé
Hakim Bey
Non-Site
Espaces-temps
Espaces mentaux
Non-Lieux
Paradoxes
Porte ouverte
Passif actif
Confusion temporelle

INVENTAIRE
Le motel : lieu commun et légende urbaine
La carte postale et le tourisme : question de point de vue
Idéalisation et désillusion
Déjà vu
L’appartement témoin : de la pédagogie à la téléréalité

REMISE DES CLÉS


Le projet comme finalité
L’éternelle transition
Les codes de la réalité
La fonction inutile
L’ambiguïté des frontières
DIY
Signature, daté et suivi de la mention « lu et approuvé »

10 Sommaire 11
ÉTAT D'ENTRÉE

Hétérotopie Non-lieu

Zone Autonome Temporaire

Espaces-temps
Espaces mentaux
Non-Lieux

Porte ouverte

Confusion temporelle Passif actif


LES HÉTÉROTOPIES,

LES NON-LIEUX

ET LES TAZS

14 État d'entrée 15
L’Hétéropie, Michel Foucault

Chercher les terrains où se manifeste l’idéologie me mène aux


Hétérotopies de Foucault et m’éloigne des Phalanstères de Fourier1.
Fourier est en quête d’harmonie universelle par la construction d'une
utopie sociale. Ses phalanstères, bien qu’ils soient décrits comme des
espaces visant à être réalisés, sont restés des espaces théoriques. Il
travaille sur un projet, des Idées s’apparentant au « nulle part » que
l’utopie incarne, à la différence de Foucault, qui parle de lieux réels.

Foucault décrit les Hétérotopies comme des espaces de localisa-


tion physique de l’utopie. À travers sa vision de l’évolution sociale
moderne, Foucault explicite ici l’existence de lieux qui « sont hors
de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement locali-
sables ». En opposition aux utopies qui « sont des espaces fondamen-
talement essentiellement irréels », il affirme l‘existence de contre-
emplacements au sein desquels se manifesterait une réalisation de
l’utopie : les Hétérotopies. Ce sont des espaces réels évoquant un
espace immatériel dans la conscience commune, un ailleurs presque
sacré qui se superpose à l’espace réel pour faire vivre un espace
autre. Le lieu n’existe alors presque plus que par cette image fictive
qui l’habite.
Cette cohabitation est possible grâce aux caractéristiques particu-
Heterotopia, Pricilia Monge, 2012, Lille 3000, Festival Fantastic, Métamorphoses Urbaines lières de ces lieux que Foucault développe à travers six grands prin-
cipes. Il les définit comme des lieux dépendant de l’homme et de
son environnement qui opèrent une rupture avec l’espace et le temps
traditionnel. Elles supposent donc des règles qui leur permettent
d’exister indépendamment du reste tout en y étant intimement liée.
Les Hétérotopies sont à la fois autonomes et perméables à leur envi-
ronnement contextuel.
1. Charles Fourier, Théorie de l’unité universelle, 1822

16 État d'entrée Les Hétérotopies, les Non-lieux et les TAZs 17


Le Non-lieu, Marc Augé

Foucault évoque une époque du simultané pour décrire la société


moderne, alors que Marc Augé parle de surmodernité. Pour lui, la
modernité, d’un point de vue social, c’est « l’imbrication de l’ancien
et du nouveau » alors que la surmodernité fait coexister ces « indivi-
dualités distinctes ». C’est dans ce contexte social surmoderne qu’il
développe les principes du Non-lieu. Le Non-lieu, par opposition à la
définition anthropologique du lieu, n’est ni identitaire, ni relationnel,
ni historique.
Pour pouvoir pénétrer dans un Non-lieu, son utilisateur y conquiert
l'anonymat car il est « toujours tenu de prouver son innocence ». Le
Non-lieu est celui qui l’éloigne de son environnement quotidien et lui
permet de goûter « pour un temps les joies passives de la désidenti-
fication ». Ainsi, « le non-lieu crée l’identité partagée des passagers »
et, par cet état d’extrême égalité, renvoie l’utilisateur à une indivi-
dualité solitaire. Le Non-lieu est donc, par extension, non relation-
nel : il « ne crée ni identité singulière, ni relation, mais solitude et
similitude ». Comme la surmodernité, le Non-lieu ne provoque pas de
croisement, mais une coexistence des individus. Il n’est pas non plus
historique parce qu’il est un lieu de passage. « L’espace du voyageur
serait ainsi l’archétype du non-lieu » puisqu’il se caractérise par sa
destination, et non pour ce qu’il est en tant que lieu. Il s’inscrit dans
un laps de temps transitoire ; il n’a pas d’histoire car il n’est pas.

Marc Augé appelle Non-lieu des espaces qui renvoient l’homme à sa


Garry Winogrand modernité absolue, celle qui l’éloigne de son identité historique pour
Arrivals & Departures : The lui donner une individualité universelle mais isolée : « C’est dans
Airport Pictures l’anonymat du non-lieu que s’éprouve solitairement la communauté
Art Publisher, New York des destins humains ». Son utilisateur est donc un passager anonyme
2002 et solitaire qui se déplace dans cet espace devenu presque abstrait.

18 État d'entrée Les Hétérotopies, les Non-lieux et les TAZs 19


Les Zones Autonomes Temporaire, Hakim Bey

Les TAZs d’Hakim Bey naissent d’une analyse critique du système


politique et social présumé stérile, en cela elles se veulent avant tout
« utopies pirates », des sortes d’espaces-temps qui s’opposent à l’État
présent. Il ne s’agit pas ici de rébellion, plutôt de soulèvements. La
différence se fait dans la temporalité ; Hakim Bey dénonce ces révo-
lutions réussies qui s’établissent dans le temps et renoncent ainsi à
leurs ambitions. Le soulèvement est plus habile, il est temporaire et
nomade : il « se dissout avant que l’état ne l’écrase, pour se reformer
ailleurs, dans le temps et l’espace ».
Hakim Bey définit la TAZ sous trois points : elle s’organise en
« bande », soit l’opposé de la famille, elle se veut « festive », soit
intense, ouverte et désordonnée, et existe grâce au « nomadisme psy-
chique » soit la capacité à s’identifier dans l’ailleurs.
Mais ceci ne la fait pas encore exister; Bey revendique un
espace‑temps actuel, qui est en devenir mais qui doit exister, dans le
temps réel. Il précise que « s’accrocher mentalement à des « idéaux »
[…] ne fera jamais avancer notre projet », donc, la TAZ « ne peut pas
être utopique au vrai sens du mot, nulle part, ou en un lieu-sans-lieu.
La TAZ est quelque part ». Il voit dans le Web le médium idéal du
développement des TAZs : la forme du réseau sur la trame internet
est la structure la plus adaptée puisqu’elle offre une réalité virtuelle
rendant les TAZs invisibles.

L’enjeu politique est à la base des TAZs mais celles-ci diffèrent de


l’État établi par son pouvoir de disparition. Elles s’apparentent alors
à la position anarchique et se revendiquent comme parasites, sous
Manifeste forme de manifestations temporaires non institutionnalisées évi-
Présence Panchounette tant ainsi un état d’aliénation pour atteindre une certaine forme de
1969 conscience.

20 État d'entrée Les Hétérotopies, les Non-lieux et les TAZs 21


NON-SITE

22 État d'entrée 23
« Le Non-Site [...] est une sorte de perspective tri-dimension-
nelle résultant d’une rupture avec le reste, en même temps
qu’il contient le manque de son propre contenu. »

Robert Smithson, "A Sedimentation of the Mind : Earth Projects",


Artforum, septembre 1968

A NonSite

Robert Smithson

1968

Franklin, New Jersey

Bois, Calcaire

24 État d'entrée Non-Site 25


Espaces-temps perdu : il crée l’image, produit le mythe et du même coup le fait
fonctionner ».
Les trois espaces dont parlent les auteurs cités s’apparentent à une Et la TAZ, par son ambition politique et sa volonté d’invisibilité, de-
localisation, ils se positionnent en un lieu, mais il s’agit aussi de meure sur cette tangente entre existence et disparition. Sa temporalité
temps, comme la notion "d’espace" l’évoque. L’Hétérotopie, le Non- alternative la fait se superposer au réel, comme une solution éphé-
lieu et la TAZ évoquent tous trois la spatialité dans sa référence à la mère qui offre une échappatoire nourri d'idéologie politique et social.
temporalité : le temps et l’espace sont immanquablement solidaires L’Hétérotopie, le Non-lieu et la TAZ sont plus que de simples lieux,
entre eux. Et, ces trois espaces-temps prônent tous une rupture qui ils évoquent un autre espace qui, lui, est immatériel.
est à la fois spatiale et temporelle. À vrai dire, il ne s’agit pas com-
plètement de rupture mais d’un changement, une perturbation face à Non-Lieux
la situation traditionnelle des choses. Cette rupture rend ces espaces
latents et permet de les identifier comme des espaces de projection. Il Donc, lesHétérotopie, les Non-lieux et les TAZs sont des espaces à
existe donc une frontière entre ces espaces et l’espace ordinaire mais la fois bien définis dans leur localisation, dans leur existence réelle,
il serait presque plus logique d’identifier la frontière comme l’un mais ils projettent autre chose que ce qu’ils sont réellement. Ils
des espaces dont nous parlons justement ici. Il semble important de évoquent, comme le dit Foucault, des espaces autres qui sont ail-
préciser que ces espaces ne sont pas en marge de l’espace traditionnel leurs, dans l'immatériel. Cette particularité est possible grâce à leur
mais se superposent à lui, ils s’immiscent à l’intérieur de lui. Ils ne statut : ces espaces, ceux qui impliquent à la fois le lieu et le temps,
relèvent en aucun cas de domaines parallèles; ils se confrontent entiè- marquent une rupture avec l’espace traditionnel et existent alors en
rement à la réalité. tant que parenthèse, comme des territoires indépendant.

Espaces mentaux Ces trois espaces font référence à des espaces de projections et de
coexistence de l’espace concret et de l’espace mental; je les nom-
L’Hétérotopie est une sorte d’utopie à la différence qu’elle prend merais sous un même terme. J’ai choisi de privilégier le néologisme
sa source tout en renvoyant à un imaginaire qui la fait exister pour « non-lieu » pour réunir les trois notions évoquées plus haut. Ce terme
celui-ci. me semble moins assimilé à un auteur en particulier, bien qu’il ait été
Le Non-lieu de Marc Augé, par son appellation même, est un lieu formulé par Marc Augé. Je me permets de me l’approprier dans un
qui se définit comme une abstraction, une quasi-inexistence. L’ail- sens plus large pour le « définir » comme il se présente à moi dans le
leurs s’y manifeste comme une image, une idée de : « certains lieux domaine de l’art.
n’existent que par les mots qui les évoquent, non-lieux en ce sens ou Le non-lieu englobe désormais les trois notions à la fois, même si,
plutôt lieux imaginaires, utopies banales, clichés. (…) Le mot, ici, dans le détails, ceux-ci s’opposent assez facilement. Ils évoquent
ne creuse pas un écart entre la fonctionnalité quotidienne et le mythe aussi des espaces différents.

26 État d'entrée Non-Site 27


PARADOXES

28 État d'entrée 29
Porte ouverte

Il existe dans les Hétérotopies encore une dimension magique, idéale,


celle de l’utopie alors que les Non-lieux que décrit Marc Augé anni-
hilent une certaine liberté intellectuelle. Il opère, dans les Non-lieux
une perte identitaire : ils plongent l’homme dans son individualité
partagée. Cette constatation semble contradictoire face à l’analyse
sociale que nous donne à lire Marc Augé sur le contexte surindivi-
dualiste de la société moderne.
Il semblerait que le Non-lieu, produit extrême et absolu de cette
société, permette de renverser ce statut de l’individu, il formule
le paradoxe. Selon moi, la désidentification dont parle Marc Augé
amène, en théorie, une égalité absolue des individus qui se rapproche
d’une image idéale, abstraite. Alors que chez Foucault, l’ailleurs se
superpose au réel, chez Augé, le réel se transforme en immatérialité
Neuer Supermarkt, Guillaume Bijl, 2002, Schirn Kunsthalle, Frankfurt, Allemagne par les signes qui le localise (mot, image).
Ses Non-lieux ne sont pas simplement des espaces de déshumani-
sation comme il semblerait si facile de le croire, ils n’incarnent pas
seulement la vacuité contemporaine, ils sont des espaces de passage.
Confrontés aux Hétérotopies de Foucault, ils nous permettent une
certaine mise à distance du monde avec leur temporalité transitoire
qui les détache du quotidien.
« I call the Transformation-Installations a reality in a non-reality
(assuming that a place of art is “unreal”, “functionless”) » Si l’on envisage un non-lieu comme une parenthèse alors la liberté
individuelle y est exacerbée et l’espace de neutralité qu’il représente
Guillaume Bijl, 1991 ouvre les portes de l’ailleurs.

30 État d'entrée Paradoxes 31


Passif actif

L’anthropologue nous dit que ces non-lieux sont des espaces générés
par la société moderne et qu’ils l’exacerbent à son extrême jusqu’à
transformer l’homme en un être anonyme au service d’une société
marchande et capitaliste dans ces espaces devenus abstraits. Hakim
Bey parle également d’espaces latents, existant à la manière des Non-
lieux, mais il les envisage comme des alternatives à cette aliénation
sociale en tant que Zone Autonome Temporaire. Il s’agit pour lui de
les produire pour résister. Marc Augé voit dans les Non-lieux une
conséquence de la société moderne, alors que Hakim Bey les envi-
sage comme des dispositifs de résistance à cette société. Le discours
critique de Marc Augé s’oppose en ce sens au concept de Hakim Bey,
mais l’étude des Hétérotopies face à ces deux espaces permet d’intro-
duire une caractéristique du non-lieu, qui, prise en compte, nous per-
met de croire que cette opposition n’en est pas vraiment une.

Dans un des principes que Foucault développe à propos des Hétéro-


topies, il soulève le fait qu’elles sont entièrement liées à leur environ-
nement contextuel et qu’elles évoluent avec lui. Dans un suivant, il
préscise que ces espaces sont en même temps ouverts et fermés.
Ces non-lieux sont donc à la fois des espaces provoquées par la
société (Augé) mais aussi isolés d’elle en tant qu’espaces autonomes
fonctionnant avec leurs propres règles (Bey). Même s'ils semblent
hermétiques, ils sont pourtant aussi perméables : même s’ils fonc-
tionnent indépendamment du rythme traditionnel, ils restent entière-
ment liés aux environnements au sein desquels ils évoluent; ils sont
Balcon additionnel produits par eux.
Julien Berthier

2008 Le non-lieu relève du paradoxe, il se contredit dans son essence


Aubervilier même en se situant à la frontière d’un statut à la fois passif et actif.

32 État d'entrée Paradoxes 33


Confusion temporelle

Bey envisage les TAZs comme des événements qui se manifesteraient


en un lieu à un moment précis venant ainsi se juxtaposer au réel.
Foucault évoque également cette superposition en disant qu’au sein
des Hétérotopies s’accumulent différents espaces parfaitement incon-
ciliables mais qui, dans le lieu qui les rassemble, peuvent se croiser.
Pour Bey, les TAZs s’inscrivent dans un laps de temps éphémère.
L'auteur insiste sur le soulèvement pour prétendre à une forme alter-
native pouvant ainsi s’immiscer au sein de la situation habituelle et
faire sens par cette juxtaposition.
La TAZ se veut donc temporaire alors que les Hétérotopies dont
Foucault cite des exemples sont plutôt des espaces définitifs comme
le cimetière ou le musée. Pour déjouer le paradoxe de l’idéologie
qui, en s’institutionnalisant, se contredit, Bey précise que les TAZs
se localisent seulement au moment où elles se vivent. En prônant la
À +, Thierry Fournier, 2008-2010, Installation vidéo, Lille 3000, Festival Fantastic, Métamorphoses forme de l’invisibilité, la TAZ n'est pas localisable car elle existe dans
Urbaines l’espace présent grâce au nomadisme psychique, alors que les Hétéro-
topies évoquent des lieux permanents mais dont les images mentales
Un écran diffuse l’image qui serait vue derrière lui retardée de vingt- qu'ils projettent les détachent du quotidien.
quatre heures. Le décalage de ces images familières, instaure un
paradoxe dans la perception. Ceux qui passent dans l’image et ceux La temporalité du non-lieu est donc abordée sous deux formes diffé-
qui les observent coexistent sans jamais communiquer. rentes mais elles sont complémentaires puisque leur but est le même.

34 État d'entrée Paradoxes 35


« J’avais exposé des espaces nus, dépouillés,
où la seule présence était l’absence »

Claudio Parmiggiani, Stella sangue spirito, éd. S. Crespi, 1995, trad. française

36 État d'entrée Paradoxes 37


De ces paradoxes on comprend que le non-lieu est assez difficile, non Ces contradictions nous permettent de soulever le point qui reste
pas à identifier, mais à localiser. Ses frontières sont floues. indéfini par rapport au non-lieu. Comme son nom l’indique, il relève
Un non-lieu est à la fois l’espace le plus réel et le plus concret en de l'absence, il est donc difficile de le formaliser. Et pourtant il existe
même que l’espace de l’utopie et du fictif, il est aussi le résultat et en tant qu’espace localisable, sa matérialité est bien palpable mais
l’exacerbation d’une société surmoderne et le seul espace qui s’offre elle l’est différemment selon ces trois auteurs. Les non-lieux se des-
à l’homme pour se détacher d’elle au nom de sa liberté et de son sinent sous une forme approximative puisqu’ils sont la projection
indépendance. Enfin, il est également temporalité éphémère et défini- d’un espace mental dans l’espace concret. Bey formule cette imma-
tive à la fois. térialité comme une disparition, Augé comme une abstraction et Fou-
cault comme une superposition.

Hakim Bey dit que « La TAZ est le seul « temps » et le seul « espace »
où l’art peut exister ». Tout en tempérant ce propos, la question qui se
pose ici est de savoir sous quelle forme. L’évidence, selon son point
de vue qui évoque l’éphémère, serait de parler de la performance, du
Land-art ou encore de l’installation. Mais aborder la forme du non-
lieu en ne prenant en compte que son aspect temporaire serait négli-
ger les contradictions que la confrontation de ces trois textes nous à
permis de mettre en avant.
Selon moi, la caractéristique majeure du non-lieu est son aspect para-
doxal dont l'origine est dans la matérialité. Je vais rechercher dans
quelques espaces concrets, donc établis, s’apparentant alors plus à
ceux dont parlent Foucault et Augé, cette absence que le non-lieu
soulève. Il s'agit d'explorer des non-lieux pour comprendre les enjeux
qui font naître cet autre espace, fidèle à celui qui fait la légitimité de
l’art comme la perçoit Hakim Bey.

Delocazione, Claudio Parmiggiani, 1970, feu, fumée, cendre, Gallerie Civica, Modène, Italie

38 État d'entrée Paradoxes 39


INVENTAIRE

Motel
Carte postale et Tourisme
Appartement Témoin
LE MOTEL : Lieu commun et légende urbaine

« Qu’existe-t-il de plus matériellement sobre que


ce bâtiment qui s’épuise dans sa fonction ? »

Bruce Bégout, Lieu commun, Éditions Allia, Paris, 2003


La majorité des citations de ce chapitre feront références
à cet ouvrage. Les autres seront signalées en légendes ou
notes de bas de page.

Pour Augé le Non-lieu s’incarne dans l’espace transitoire. Il serait


lié à la vitesse et à l’optimisation des déplacements, les Non-lieux
sont ces espaces qui mettent en liaisons les lieux les uns aux autres,
ce que Michel Foucault décrit comme « une époque où l’espace se
donne à nous sous la forme de relations d’emplacements ». Dans
un des principes des espaces autres, Foucault amorce l’idée que les
Hétérotopies « supposent toujours un système d’ouverture et de fer-
meture », il prend l’exemple du Motel pour illustrer le paradoxe entre
son accessibilité évidente et l’isolement hermétique qu’il représente.
Pour comprendre en quoi le Motel incarne à la fois opacité et
transparence nous allons étudier le livre du philosophe Bruce Bégout,
Lieu commun.

Motel : lieu commun et légende urbaine 43


Dans son ouvrage, Bruce Bégout cherche à comprendre une notion Il s’agit ici de noter la différence entre l’hôtel et le motel. La question
bien générale, celle de l’ordinaire. Pour ce faire, il s’attarde sur cette économique est évidente mais la vraie différence est liée à tout autre
structure américaine qu’est le motel. Il développe une théorie selon chose que le simple « luxe » que l’hôtel représente. Si l’on écarte
laquelle cette structure incarne la fonctionnalité de ce qu’il est le plus ce point et que l’on confronte cette comparaison avec celle que fait
purement possible. Il satisfait uniquement le minimum nécessaire, ce Marc Augé entre les lieux et les Non-lieux, on se pose ici la question
qui nous pousse à croire que le motel incarne ce qu’est le quotidien de l’identitaire, du social et de l’historique. Dans un hôtel comme
de façon quasiment absolue. Il en serait l’archétype. dans un motel, l’anonymat est une constante par la simple définition
Mais le voyage, celui qui implique la pratique du motel, est une rup- de ce qu’ils sont : un ensemble de chambres meublées à louer, qui
ture avec le quotidien. D’après Marc Augé, il est devenu un Non-lieu n’ont rien de personnel dans la plupart des cas. Cependant, les quali-
en tant que tel. Alors, si le Motel cherche à recréer du quotidien dans tés sociales et historiques sont les atouts de l’hôtel alors qu’elles font
le voyage, pourquoi serait-il un non-lieu ? intentionnellement défaut au motel. Celui-ci ne vend pas de service,
il serait l’automate de l’hôtel.

« Lieu sans âme, sans charme et sans trace » Le motel dont parle Bégout est sa version industrialisée et institu-
tionnalisée qui existe par la franchise. Les chaînes rachètent les vieux
motels familiaux et les uniformisent selon « les exigences minimales
du client » pour les transformer en « supermarché du sommeil ».

Carte postale : Skyline Motor Inn, U.S. 20, Cody, Wyoming. Martin Parr, Boring postcards USA Carte postale : Pino Nuche Pa-ra-sa’, Ignacio, Colorado. Martin Parr, Boring postcards USA

44 Inventaire Motel : lieu commun et légende urbaine 45


Dans une logique commerciale d’optimisation, le motel s’efforce à
être neutre pour pouvoir convenir à tout le monde. Ce modèle absolu
illustre l’individualisation personnalisée dans l'anonymat, ce que
Marc Augé définit comme l’identité partagée et ce que Bruce Bégout
appelle un Lieu commun.
L’universalité du motel en tant que produit standardisé lui donne son
caractère ordinaire, elle est l'ouverture dont parle Foucault au sein
des espaces autres puisqu’elle provoque la similitude partagée.

Cependant le motel ne se limite pas simplement à cette forme idéale ,


il nous faut étudier sa localisation : la zone suburbaine. Puisqu’il Holy Motors de Leos Carax, 2012

répond à un processus d’industrialisation du sommeil, il se situe en


toute logique dans les zones industrielles. Car l’avènement du motel
est lié au développement d'un mode de déplacement qui se singula-
rise et permet l’autonomie : la voiture. La démocratisation de la voi-
ture fabrique la périphérie, la banlieue, ce compromis entre la ville et
la campagne.
« Motel » est la contraction de « Motor » et d’« Hôtel ». La voiture se
situe à l’intersection de l’espace de transit (collectif) et de l’espace
domestique (personnel). Baudrillard1 la définit comme la parenthèse
absolue de la quotidienneté tout en étant partie prenante de celle-ci.
Elle serait le non-lieu de l’habitat. L'automobile transforme l’extérieur
en écran et agit comme habitacle mobile, fantasme de la vitesse et du
pouvoir mais figé dans l’espace intérieur par l’immobilité du corps.
La voiture marque une rupture entre la sphère privée et la sphère
publique, entre l’homme et les autres. Il est question d’espace, mais Cosmopolis de David Cronenberg, 2012
aussi de temps, elle le comprime par la vitesse et la liberté qu'elle
autorise.
1. Jean Baudrillard, Le système des objets, La consommation des signes, "Annexe : le
monde domestique et la voiture", Éditions Gallimard, 1968

46 Inventaire Motel : lieu commun et légende urbaine 47


L'accès individualisé et la localisation en marge qui isole le motel
permettent à celui qui l’expérimente de se l’approprier de façon per-
sonnelle. Dans cet espace neutre, « Rares sont ceux qui [...] le consi-
dèrent (le motel) comme ce qu’il est objectivement : une construction
sans qualité ». L’anonymat dans lequel le motel plonge l’individu
autorise une certaine liberté et devient le terrain de jeu des histoires
clandestines : il fait naître le mythe, la légende.

Dans la série Twin Peaks, David Lynch joue avec cette normalité
confrontée à l’étrange. Dans une petite ville nord américaine, décor
typique de série Z, les allusions à l’ailleurs, aux mythes et légendes,
viennent perturber le déroulement traditionnel du quotidien des habit-
ants qui s’y trouvent plongés, tout comme les spectateurs, dans une
logique évidente. Comme si, sur ce fond de banalités et de clichés,
rien d’autre que le fantastique ne pouvait naître. Dans une ambiance
presque figée dans le temps et l’espace, Lynch nous donne à voir cette
“inquiétante étrangeté” si familière au motel.

Twin Peaks

David Lynch

1990

Capture d’écran du générique

Entrée de la Red Room

Capture d’écran, saison 2, épisode 22.

48 Inventaire Motel : lieu commun et légende urbaine 49


« On ne peut pas légitimement
sous-estimer le fait que la misère
de l’expérience suburbaine
possède malgré tout, et sans que
cela serve à disculper ceux qui
la fabriquent intentionnellement,
des niches de valeurs bancales
et de caractères éphémères, des
infra-qualités aux couleurs passées Individual houses, Bernd et Hilla Besher, Freier Grund Strasse 28, Wahlbach, 1972 et Kölner Stasse 318,

et blafardes mais pour autant Salchendorf, 1972

réelles, des instants de vie qui, en


vertu de leur insignifiance même,
expriment une humanité, peut être
avec plus d’intensité et de vérité
que les prétendus moments forts
de l’existence. »

50 Inventaire Motel : lieu commun et légende urbaine 51


Hauptstasse 3, Birken, 1971 et Wendinger Strasse 8, Büschergrund, 1973

Haiger Weg 3, Burbach, 1964 et Kirchweg 52, Siegen, 1959

52 Inventaire Motel : lieu commun et légende urbaine 53


L’espace de standardisation serait générateur d’autre chose que sim- « En d’autres termes, la banalité aliénante et la liberté créatrice
plement la norme qu’il implique, l’extrême neutralité du lieu fait ne sont absolument pas exclusives l’une de l’autre »
naître la possibilité d'un ailleurs.
Le motel se vit comme une expérience solitaire, isolée, personnelle,
hermétique au monde extérieur, et pourtant emprunt d’une esthétique
généralisée, banalisée, normalisée et partagée.
Il y a une ambivalence importante au sein de ce lieu, celle qui incarne
à la fois le familier et l’inquiétant, l’Uneimliche de Freud. Bruce
Bégout souligne que le motel incarne « la tension proprement fan-
tastique entre la normalisation excessive de l’espace urbain et son Par l’étude du motel, on comprend que le non-lieu n’est pas tout l’un
indéfini illimité dès que l’on sort du centre ». Le neutre laisse place à ni tout l’autre, mais il n’est pas non plus un compromis. Il relève du
l’imaginaire car il permet la projection à la fois rassurante du chez soi paradoxe qui fait exister les deux l’un sur l’autre, les deux extrêmes
et angoissante de l’inconnu. s’y côtoient, mais chacun d’eux à part entière. La formule « l’enchan-
tement du désenchantement » souligne bien la coexistence de ces
Le motel est, dans l’imaginaire commun, le contraire de ce qu’il est deux entités distinctes qui font exister le non-lieu : l’extrême banalité
réellement. Il existe un rapport d’inversion dans ce non-lieu, de la systématique qui fréquente la projection mentale de l’imaginaire.
même manière que dans Mulholland Drive où David Lynch explicite C’est ce rapport de contradiction qui fait exister le non-lieu et que
ce renversement quand Rita ouvre la boîte bleue : la situation s’in- l’étude du motel révèle.
verse sans que le spectateur sache laquelle est réelle. Chaque extrême
ne peut exister l’un sans l’autre même s’ils s’opposent.

Mulholland Drive

David Lynch

2001

Ouverture de la boîte bleue

54 Inventaire Motel : lieu commun et légende urbaine 55


CARTE POSTALE ET TOURISME :

questions de point de vue

Entendu le 26 novembre au stand de pains d’épices :

« Joyeux noël, et bonne année ! »

Oui, nous étions en novembre et ça ne choque personne, parce qu’ici,


c’est déjà noël et c’est noël tous les jours pendant plus d’un mois.

Ça y est, c’est parti. J’avais peur que ça recommence. Mais c’était


avant que je ne réalise réellement ce que c’était que le Marché de
Noël. Maintenant, quand je marche dans les rues de Strasbourg, je
travaille, j’expérimente le non-lieu.

56 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 57


Depuis ce week-end, quand je dois me déplacer dans Strasbourg,
je dois modifier mes itinéraires. Comme avec les travaux, on doit
emprunter un trajet différent pour pouvoir atteindre notre but. À la
différence que les travaux nous empêchent réellement de passer et
nous imposent donc cette déviation alors que si l’on se détourne du
Marché de Noël, c’est dans l’intention volontaire de l’éviter. Nous
pourrions en fait très bien passer par là. Sauf que voilà, le Marché de
Noël c’est autre chose, il vient bousculer notre quotidien, ça n’est pas
comme d’habitude, ce n’est plus la ville que l’on traverse, mais une
sphère spatio-temporelle à part. Nous franchissons une frontière dès
lors que nous marchons, à vrai dire nous piétinons, dans cette allée
bordée de cabanons en bois où s’accumule une floraison de fausse
neige, branches de sapins et bibelots en tout genre. C’est comme si
nous cherchions à ne pas entrer dans cet espace pour justement évi-
ter la rupture. Et je change mon itinéraire, parce que je ne veux pas
changer mon mode de déplacement. Je préfère rallonger mon chemin
pour garder mon rythme, plutôt que de le rompre en empruntant mon
chemin habituel. Au final, la durée du trajet est la même, je ne gagne
pas de temps, je ne veux juste pas sortir de mon quotidien.
Le Marché de Noël impose réellement un autre rythme, une lente
marche féerique à double sens de circulation où il est inutile de
regarder où l’on va puisque nous y sommes déjà. Il ne se traverse pas
quand on veut se rendre ailleurs, il se parcourt parce que c’est lui qui
nous emmène ailleurs. Bien sûr, le Marché de Noël est magique; il
transporte. Prenons ce couple; ils viennent de s’acheter un verre de
vin chaud et un Bretzel qu’ils se partagent devant un stand de Santon
en plastique : « Et tandis qu’ils mangeaient, il prit le pain, le bénit, le
rompit et le leur donna en disant : « Prenez, ceci est mon corps. »

Cartes postales de Strasbourg

58 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 59


Idéalisation et désillusion

Considérons qu’un non-lieu n’est pas nécessairement un espace, il


peut aussi être les mots et les images qui l’évoquent.

La photographie d’un lieu redéfinie les frontières de celui-ci. Par le


cadrage, elle s’affranchit du hors-champ. Elle transforme la réalité en
la figeant à un moment précis, sous un point de vue particulier. Mais
le lieu est celui qui se vit dans sa dimension spatiale et temporelle,
celui qui est perçu selon tous les points de vue. Il y a une mutation de
l’espace vers sa représentation.
Alors qu’on pourrait croire que ce glissement agisse comme une ré-
duction, il est en fait le contraire puisqu’il fabrique une fausse réalité,
celle qui nous promet les plus belles merveilles du monde.
La carte postale serait ainsi celle qui crée l’illusion. On parle de
« décor de carte postale » alors considérons la comme le cadre d’une
fiction. En reproduisant la réalité selon ses codes et la carte postale la
fait rentrer dans une matérialisation qui ne lui est pas propre.

Comme le motel est en quelque sorte un « prêt-à-dormir », la carte


postale serait-elle un prêt-à-voyager ?

60 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 61


À l’heure où l’exotisme est rentré dans notre quotidien et que l’ail-
leurs est finalement partout, la carte postale véhicule une représenta-
tion altérée de l’idéalisation. Elle évoque l’image d’une réalité mais
dont elle se détache entièrement, elle nous vend du rêve, mais elle
est devenue un outil d’illusion. Même si, avec elle, personne n’est
dupe. La carte postale nous conduit à étudier les clichés, les Mytho-
logies de Roland Barthes et les Idées reçues de Gustave Flaubert,
comme l’idée d’une constante banalisation transformant les lieux en
stéréotypes.

Le Palais Idéal, Ferdinand Facteur Cheval, 1879-1912, Hauterives, France

ITALIE Doit se voir immédiatement après le


mariage.
Donne lieu à bien des déceptions,
n’est pas si belle qu’on dit.
Ferdinand Cheval est facteur à l’époque de l’essor de la carte postale.
Il trouvera dans celles qu’il distribue quotidiennement une source Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, Le Livre de Poche, 1997
d’inspiration majeure à la construction de son Palais Idéal.
Si cet édifice est qualifié “d’architecture de l’imaginaire” il n’en
reste pas moins un espace concret dont l’ambition relève d’une no-
tion assez peu palpable : la tentative de matérialisation d’un rêve,
l’approche du sublime, la recherche de la perfection véhiculée par les
cartes postales.
Le support de la carte postale, aussi médiocre puisse-t-il nous par- Les cartes postales confrontent l’exotisme et l’ordinaire, la fiction
aître aujourd’hui, n’en reste pas moins un modèle de représentation et le réel. Elles rejoignent les lieux communs des Motels et peuvent
“idéalisé”. Il incarne un ailleurs jusqu’alors inaccessible, l'exotisme être considérées comme des non-lieux dans leur rapport à l’inversion
magique et chimérique de l’imaginaire dans un palais matérialisé. soulevé plus haut.

62 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 63


Bruce Bégout nous dit que le motel trouve sa définition dans la valeur Je revois ces touristes Japonais qui traversent Strasbourg et dont on
sûre. En effet, ne pas savoir ce qui nous attend peut à la fois provo- ne voit pas le visage. Non, un Ipad le remplace. Les touristes à têtes
quer l’intense bonheur comme la profonde déception et c’est pour carrés ont remplacé les cyclopes à lentille 50 mm. Ils appréhendent
éviter la souffrance de la mauvaise surprise que l’on stérilise la bonne le paysage avec une interface, ils ne regardent plus avec leurs yeux,
pour se confronter uniquement au confort de ce qu’on connaît déjà. ils regardent à travers leurs écrans. Et l’espace se transforme en carte
postale, en cliché, ils font ainsi vivre leur image mentale, leur idéali-
Il existe un nouveau phénomène qui se manifeste chez les touristes sation du monde.
japonais en voyage en France : le Syndrome de Paris. Ses effets sont
assimilables au Syndrome de Stendhal mais les causes sont diffé- L'image mentale qui attrait à l’idéologie tend à devenir le refuge
rentes. Ce Syndrome apparaît face à l’immense déception des Japo- pour de ce que nous préférons croire vrai. Elle s’isole de la réalité et
nais qui visitent Paris, ils n’y retrouvent pas l’image idyllique qu’ils agit plutôt comme une utopie que comme un non-lieu. L'idéalisation
s’étaient faite de la capitale française : le Paris des années folles provoquée entre autre par la surabondance des images dans la publi-
ou des gravures de mode. Leur désillusion est si intense qu’ils en cité, les clichés en quelque sorte, seraient des utopies, et, les cartes
deviennent paranoïaques et tombent en dépression. On peut assimiler postales, en participant à la désillusion moderne, agissent comme des
ce Syndrome à la déception Proustienne qui prétend que, dès lors que non-lieux qui donnent à voir ces clichés.
l’expérience du lieu est précédée d’une image que l’on s’en fait, alors
la confrontation réelle avec ce lieu est amoindrie. Immanquablement, il s’agit ici d’envisager l’image comme un non-
lieu et le non-lieu comme une image. Nous baignons dans un monde
bercé d’images de lieux, elles sont partout, tout le temps. Elles nous
promettent autre chose, elles nous font tellement rêver qu’elles nous
empêchent véritablement de vivre le voyage parce qu’elles nous
« Je me disais : c’est ici, c’est l’église de Balbec. Cette place qui projettent une réalité qui n’est qu’une imitation de celle-ci. Elles pro-
a l’air de savoir sa gloire est le seul lieu du monde qui possède duisent l’attraction mais du même coup rendent médiocre la réalité.
l’église de Balbec. Ce que j’ai vu jusqu’ici c’était des photographies Finalement, c’est presque plus beau sur la carte postale, on ne peut
de cette église, et, de ses Apôtres, de cette vierge du porche si pas « photoshoper » la réalité.
célèbres, les moulages seulement. Maintenantc’est l’église elle-
même, c’est la statue elle-même, ce sont elles ; elles, les uniques,
c’est bien plus. C’était moins aussi peut-être. »
Cette étude de la carte postale nous conduit également à considérer
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, son contexte comme acteur de la prolifération des non-lieux; celui du
volume II, 1909 tourisme.

64 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 65


Déjà-vu

Les déplacements sont de plus en plus rapides et faciles et de moins


en moins coûteux; les vacances riment désormais presque systéma-
tiquement avec voyage ce qui a permis au tourisme de considérable-
ment se développer et se démocratiser. Comme le motel, il s’indus-
trialise et se standardise.

« Le tourisme est la marche de la bêtise.


On s’attend à ce que vous soyez bête. (...)
La bêtise est le comportement modèle,
le niveau moyen, la norme. »

Don DeLillo, Les Noms, Actes Sud, 1982 Horizon #0, Reiner Riedler, Tropical Island, 2007, Germany

66 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 67


Les clichés de la série « Small World » relèvent de l’enjeu paradoxal
que l’industrialisation du voyage implique : à force d’accessibilité
popularisée le tourisme est devenu pénible.
Loin de s’empreindre d’un point de vue moralisateur ou accusateur,
Parr photographie simplement ces instants où les univers se croisent
et se rencontrent, à la manière d’un collage qui révèle l’absurdité
des situations. Avec humour, les personnages des photographies
de « Small World » sont comme pris au piège d’un monde fermé et
indépendant dont ils respecteraient les codes de façon inconsciente et
systématique. Par un jeu de distanciation et de mise en abîme, Martin
Parr met en scène ce paradoxe avec ironie, sans vraiment critiquer, il
donne à voir objectivement la stérilité de ce qu’est devenu le voyage.
Comme s’il n’existait déjà plus que par son souvenir. La photo de
vacance met en relation le lieu au souvenir et existe comme une
preuve que l'on rapporte. Elle représente l’« ici et maintenant » dans
l’ailleurs.
La photo souvenir garde la mémoire du non-lieu.

Small World

Martin Parr

2008

Cap Sounion, Grèce

La Sagrada Familia, Barcelone, Espagne

Double page suivante :

The Venetian Hotel, Las Vegas, Etats-Unis

Le temple d'or, Bankok, Thaïlande

Petite Sscheidegg,, Suisse

La tour penchée, Pise, Italie

68 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 69


70 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 71
“Dans le passé, il y a tout notre avenir.”

Claudio Parmiggiani, Stella sangue spirito, éd. S. Crespi, trad. française, 1995
En rentrant de mon voyage d’été, je me suis amusée à glisser les pho-
tos que j’avais prises sur le moteur de recherche Google grâce à la
« recherche par image ». Cette fonctionnalité permet de faire une re-
cherche non plus à partir d’un mot, mais à partir d’une image. Elle
doit être glissée dans la barre de recherche et Google propose des liens
hypothétiques et des images similaires.

J’étais partie sur la route, je voulais voyager à la découverte de l’in-


connu. Une impression bien fade a pourtant rythmé mon périple, un Ma photo de vacances

sentiment de déjà-vu, comme un voyage sans surprise : « Oui, c’est Kotor, Monténégro

beau, mais bon ». août 2012

Mais de temps en temps, c’est vrai, nous pouvons être envahis d’émer-
veillement face à un paysage, comme après avoir passé deux heures à
gravir une montagne et que soudain, une fois au sommet, notre regard
se pose sur l’immensité que la vue nous offre. L’effort physique nous
pousse à croire que nous sommes presque uniques : « Moi, j’y étais !
Je l’ai vu en vrai ! »
Et que faisons-nous après avoir retrouvé un rythme de respiration nor-
mal et essuyé son front ? Nous prenons une photo pour immortaliser
l’instant.

Google, pourtant, reconnaît l’endroit. Mon souvenir n’est-il qu’un cli-


ché ? À supposer que j’ai voyagé dans des lieux véritables, cette repré-
sentation personnelle n’en est pas moins devenue un non-lieu.

L’exotisme est devenu partie intégrante du quotidien : il se regarde sur Recherche par image
le petit écran avec ces émissions de téléréalité comme Koh Lantha où www.images.google.fr
l’on nous emmène en terre exotique pour voir des candidats s’affronter Septembre 2012
sur un terrain hostile isolé des codes citadins quotidiens. Bien assis au Capture d’écran
FKDXGGDQVOHFDQDSpQRXVYLVLWRQVO¶DLOOHXUVSDUOD¿FWLRQVFpQDULVpH

72 INVENTAIRE CARTE POSTALE ET TOURISME : question de point de vue 73


Photo Opportunities, Corinne Vionnet, 2005-2013

74 Inventaire Carte postale et Tourisme : question de point de vue 75


L’APPARTEMENT TÉMOIN :

de la pédagogie à la téléréalité

Janvier 2012, j’entame mon deuxième mois de stage à Paris et je


commence tout juste à m’accoutumer à cette course effrénée et
éreintante que je suis obligée de pratiquer quotidiennement dans les
couloirs sous-terrains bondés de la grande ville. Démarche au rythme
précis et décidé, tête baissée. Je m’efforce à faire comme si j’étais
seule au monde, j’essaye d’être hermétique. Mais que la vie est faite
de surprise là où nous les attendons le moins. C’est à Auber que mes
trajets vont prendre un goût bien plus amusant que je n’aurais jamais
pu l’imaginer. Cette grande station où se croisent RER et métros,
carrefour des nombreux destins esseulés qui se suivent et se croisent
sans se regarder, se doublent sans se retourner et se bousculent, par-
fois, sans s’excuser. Tout le monde ici a mis ses œillères, je n’ai fait
que les imiter pour m’adapter à cet environnement et qu’il me soit
moins pénible. Auber, c’est la station où tout s’accélère, si les gens
devant moi se mettent à courir, sans même penser à ce que je fais,
je me rends compte que moi aussi je cours, même si je ne suis pas
en retard et que, si c’était le cas, cela ne justifierait pas que je fasse
remuer le lait fraîchement ingurgité dans mon petit ventre qui va me
filer la nausée. C’est donc à ce changement, à cette intersection que
je me sens volontairement la plus seule durant mon périple mais aussi

76 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 77


la plus adaptée : ici, nous sommes tous pareils. Cette fatalité est bien
triste, elle me préoccupe et j’ai du mal à l’accepter mais il me semble
que je n’ai pas d’autre solution que de m’y soumettre. Seulement ce
matin-là, dans le grand hall central de la station que je traverse en
rasant les murs, quelque chose a changé, je ne sais pas encore quoi
puisque je regarde mes pieds, mais je le sens. Le rythme s’est déten-
du, il y a même des gens qui s’arrêtent. Je lève alors la tête sans pour
autant stopper ma marche frénétique. Quelque chose s’est construit,
là, au milieu de toutes ces trajectoires indépendantes. En passant le
tourniquet, je regrette déjà de ne pas m’être attardée, mais que vou-
lez-vous, ma route était déjà tracée. C’est donc en repassant le soir,
que je décide d’aller voir ce qui se trame.
Oh la belle campagne publicitaire ! IKEA ne cessera donc jamais
de me surprendre : du 9 au 14 janvier venez découvrir « L’APPART
IKEA, 54 m2 d’idées à vivre ». Ce n’est pas UN appartement amé-
nagé qui s’est construit là, mais DEUX ! Le premier se visite, il res-
semble sensiblement aux espaces ouverts que l’on trouve au premier
étage de n’importe quel magasin de l’enseigne dans ses espaces d’ex-
position qui reproduisent des pièces à vivre entièrement meublées et
décorées. Le deuxième est exactement le même que le premier sauf « L’APPART IKEA, 54 m2 d’idées à vivre », Campagne publicitaire du 9 au 14 janvier 2012,

que lui est fermé au public et c’est par ses murs presque tous vitrés Station de métro Auber, Paris

que nous y accédons, visuellement donc.


« Nous sommes 5 à habiter cet appartement. Ici, on se retrouve, on
reçoit, on se détend, on travaille, on vit ! Découvrez nos 54 m2 amé- « 11 célibataires coupés du monde
nagés avec ingéniosité. » Et, effectivement, il y a de la vie là-dedans. filmés dans un loft de 225 m2,
Un Loft Story à la suédoise sur fond d’agitation urbaine. IKEA 24h/24 par 26 caméras et 50 micros.
m’offre du non-lieu sur un plateau BÄRBAR. La publicité prend ici Dans 9 semaines ils ne seront plus que 2.
toute sa dimension spatiale, elle s’engage dans la narration et le coup Qui sera le couple idéal ?
de théâtre. Quoi de plus représentatif que cette campagne pour parler C’est vous qui décidez. »
de l’appartement témoin comme d’un espace de fiction, non-lieu de
toutes les projections. Citation du générique Loft Story, saison 1, 2001

78 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 79


Salon des Arts Ménagers de 1952,

Démonstration au stand “repassage”

Montparnasse

Andreas Gursky

1993

Dans la maison,

« Depuis un an je rêvais de rentrer dans François Ozon

cette maison, j’ai réussi à m’y introduire, à 2012

observer la famille normale de très près, j’ai


même cru pouvoir devenir l’un des leurs »

80 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 81


Après la seconde guerre mondiale, le Ministère de la Reconstruction
et de l’Urbanisme entreprend des grands chantiers de construction
d’Habitation à Bon Marché pour reloger les Français des villes les
plus sinistrées.
L’urgence à laquelle ces plans d’urbanisme répondent va permet-
tre aux architectes comme Auguste Perret ou Eugène Baudouin
d’appliquer les méthodes de préfabrication industrielle au domaine de
l’habitat. Différents architectes autour de Le Corbusier considèrent
cette urgence comme une opportunité pour faire rentrer l’innovation
et la modernité dans le foyer. Guidés par la fois dans le progrès, ils
tendent vers un fonctionnalisme industrialisé.

Mobilier OSCAR, Système d’éléments modulables, 1950

« Nous considérons ce système comme l’un des


aboutissements les plus prestigieux d’une for-
mule qui est celle de l’avenir puisque, industrielle
par essence, elle satisfait à la fois aux exigences
de la matière et aux souhaits de l’esprit »

Article de Décor d’aujourd’hui n° 54, 1950

« Extensible, divisible et transformable » est la ligne de conduite des


L’unité d’habitation de Marseille, Le Corbusier, 1950 célèbres éléments modulables OSCAR, le meuble en kit était né.

82 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 83


Le Corbusier s’est particulièrement intéressé à cette problématique
MATHÉMATIQUE
d’harmonisation de la norme. Sa volonté première était de récon-
cilier l’unité de mesure du mètre et celle du pied pouce dans un souci
La prodigieuse richesse des combinaisons harmoniques
d’uniformisation en le remplaçant par un système directement lié à la
se développe. Elle est sans limites.
morphologie humaine. Il établit le Modulor, un rapport de proportion
Ce n’est plus qu’une question de choix, de besoins, de
basé sur le nombre d’or et les dimensions standards du corps humain
moyens de réalisation, en un mot de données du problème.
censé produire une structure de référence normée avec laquelle les
« Le jeu des panneaux » a pour effet réjouissant de
combinaisons des mesures seraient toujours ergonomiques et harmo-
montrer qu’au sein de cette géométrie impeccable, mais
nieuses mais aussi adaptés à la production industrielle.
qu’on pourrait croire implacable, la personnalité s’installe
en toute liberté.
Le Modulor : Essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine applicable universellement à
l’architecture et à la mécanique, Le Corbusier
Denoël/Gonthier, Bibliothèque Médiations, Saint-Amand, réédition de 1982

Fig. 29 - Mathématique harmonique.

Image extraite de L’unité d’habitation de Marseille, Le Corbusier, Mulhouse, Image extraite de L’unité d’habitation de Marseille, Le Corbusier, Mulhouse,

Le Point n° XXXVIII novembre 1950 Le Point n° XXXVIII novembre 1950

84 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 85


Le rôle principal des premiers appartements témoins est destiné à
montrer l’avancement des travaux comme pour symboliser l’efficacité
des chantiers.
Mais devant l’élan avant-gardiste des architectes et décorateurs, les
principaux concernés, les classes moyennes et populaires, émettent
une certaine réserve quant à l’intrusion de ce modernisme dans leur
quotidien.

« Ça fait de l’effet parce que les meubles ont été


conçus exprès, mais ceux qui ont des meubles an-
ciens ne pourront jamais les loger là-dedans »
Une commerçante

« Je crains qu’ils restent vides, aussi


paradoxal que ça puisse paraître. Ils seront
trop chers pour les ouvriers et pas assez bien
pour les riches »
Une institutrice

Micro-trottoir réalisé à la sortie de l’appartement-type des I.S.A.I. du centre-ville, Le


Haut-parleur, 31 juillet 1949 Séjour de René Gabriel pour un appartement du Havre, Le décor aujourd’hui n° 41, hiver 1947

86 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 87


« Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient,
ils auraient dit des chevaux plus rapides. »
Citation attribuée à Henry Ford

Face au scepticisme des Français, l’appartement témoin va prendre


une dimension éducative; Le Corbusier dira qu’il faut « enseigner
la notion de savoir habiter ». L’appartement témoin s’intègre aux
campagnes de propagande promouvant un modèle adapté à la société
industrielle. Il devient un espace de démonstration mais surtout
d’anticipation d’un mode de vie moderne indispensable à l’évolution
de la société.

L’art ménager français, Paul Breton, Paris, Flammarion, 1952

Chapitre “S’éclairer, l’éclairage par incandescence, Règle d’utilisation dans la maison”

« Ce sont les merveilles, petites ou grandes, du salon des Arts


Ménagers, cette foire étrange par l’institution de laquelle la
femme trouve à améliorer son sort, à s’arracher aux contraintes
quotidiennes. Le labeur devient un travail et le travail devient un
plaisir quand les conditions nécessaires sont rassemblées. »

Magazine 4 saisons n° 48, hiver 1961. "La France possède moins d’aspirateur… que d’automobiles." Le Corbusier, L’unité d’habitation de Marseille, Mulhouse, Le Point n° XXXVIII,
Les statistiques relèvent d’une expérience faite sur un mois. novembre 1950

88 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 89


Au même titre que les appartements témoins, des expositions visant
à rendre compte des innovations liées à la reconstruction française
sont organisées à la sortie de la guerre. S’ensuit la réouverture du
Salon annuel des Arts Ménagers, qui, au-delà d’une simple ambi-
tion mercantile se voit attribué un rôle éducatif comme le souligne le
catalogue du salon de 1956 :

« Diffusant l’enseignement propre à assurer en France


le bonheur familial dans le foyer rénové »

Il s’agit de démontrer les bienfaits de l’industrialisation dans le foyer


domestique pour que la consommation relance l’économie en dev-
enant une nécessité. Le salon des arts ménagers devient un outil de
prosélytisme idéal et incontournable.

« L’homme aspire à être heureux. Rien n’est plus naturel. [...]


le confort domestique le favorise plus sûrement encore, ne
fut-ce qu’en facilitant la méditation. La vie spirituelle se
développe et s’affine dans un cadre propice. »
L’art ménager français, Paul Breton, Paris, Flammarion, 1952

Selon les mots de Paul Breton, l’appartement témoin fixe ici un


cadre, c’est une maquette échelle 1, il se transforme en catalogue en
Salon des Arts trois dimensions, en décor du quotidien.
Ménagers, Actrice en

démonstration, 1962

et Présentation d’une

maison modèle 1954

90 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 91


Dans cette politique de propagande, le MRU est à l’initiative d’une
expérience innovante : au début des années cinquante, une “famille
témoin” est invitée à vivre dans un des appartements de Pierre Vivien
et Marcel Gascoin à Boulogne-sur-Mer pendant qu’experts et photog-
raphes observent leurs comportements.

L’appartement témoin est le lieu dans lequel personne n’habite mais


où tout le monde est censé pouvoir se projeter, il met bien en jeu
les contradictions du non-lieu face à cette mise en scène supposées
réalistes.
,OVHUDLWXQHVSDFHGH¿FWLRQ8QOLHXUpHOPDLVGHSURMHFWLRQDEVROXH
Avec lui, comme le démontre la campagne publicitaire IKEA de 2012
évoquée plus haut, nous sommes bien dans le faux-semblant et le
décor, ce rapport au théâtre qui rappelle les Hétérotopies de Foucault.

« D&CO » est une


émission télévisée de
50 minutes diffusée sur
M6 depuis le 22 avril
2006. À sa tête, Valérie
Damidot, décoratrice de
talent, qui se fixe pour
objectif d’entièrement
revoir la décoration
de deux à trois pièces
d’une maison ou d’un
appartement.

92 INVENTAIRE
L’appartement témoin devait être le modèle pour apprendre à
l’homme à habiter avec son temps, il est la référence à suivre pour
atteindre le “bonheur” comme le dit Paul Breton dans son introduc-
tion à L’art ménager français. À l’image de la publicité des années
cinquante sur laquelle nous avons maintenant un recul critique, on
voit à quel point ce type de pédagogie, qu’on appelle aujourd'hui du
marketing, génère les clichés hypocrites de la société moderne.
En ce sens, ce type d’appartement se transforme en espace de fiction
puisqu’il met en scène une fausse réalité. Prétendu didactique, il
ne se restreint pas simplement à un rôle informatif, il s’inscrit dans
une logique de propagande : l’aménagement intérieur promet paix
et bonheur au sein des foyers Français. Cette manipulation met en
évidence le gouffre entre réalité et idéalisation, l’appartement témoin,
comme la carte postale, est un outil d’illusion.
Mais, sous un angle contradictoire, il est aussi celui qui engendre
le standard et la norme, donc la moyenne et la médiocrité : ce foyer
idéal tend à devenir celui de monsieur tout-le-monde . Il est celui qui
banalise le modèle idéal et se construit plutôt comme un archétype.
On retrouve ici l’analyse faite des motels comme des Lieux com-
muns.

L’appartement témoin incarne donc le paradoxe de l’idéal standard


en mettant en confrontation l’utopie et l’ordinaire.
Les outils de construction mis en œuvre sont des scénarios qui con-
struisent la fiction mais qui deviennent des dogmes autoritaires dès
lors qu’ils se réalisent, en partie à cause du manque de recul critique
parfaitement lisible dans les propos de Le Corbusier au sujet de ses
projets d’Urbanisme. On comprend que cette idéologie ne peut exis-
ter que sous une forme fictive pour rester fidèle à son concept initial,
pour empêcher l’inversion que nous avons tenté d’expliquer avec
l’étude des motels.

94 Inventaire Appartement Témoin : de la pédagogie à la téléréalité 95


REMISE DES CLÉS

Absalon

Ilya Kabakov

Protoplast

Évariste Richer

Atelier Van Lieshout

IBK
Le projet comme finalité

Les cellules d’Absalon consistent en 6 résidences qu’il veut im-


planter dans différentes villes du monde. En complète opposition
à l’ambition universaliste de Le Corbusier, la démarche d’Absalon
n’impose pas ses dogmes. L’artiste se voit, par son statut, libéré
de toutes contraintes. Il œuvre pour une normalisation intime qu’il
définit comme une « totalité sans être totalitaire ».
Absalon cherche à contraindre son corps au strict minimum. Il
élabore des normes adaptées à sa morphologie, sans complétement
rejetter celles que la société impose : « Ce qui m’interesse, c’est réel-
lement la confrontation entre ce qu’il y a autour et ma vie ». Il n’est
« C’est un désir d’avoir une très grande précision pas question de construire quelque chose de mieux mais d’établir des
avec en même temps l’incapacité de l’avoir complétement.» dispositifs de résistance pour valoriser son individualité.

Absalon exploite à la fois le fond, la forme et le processus pour


que ses cellules soient « des espaces plus mentaux que des espaces
physiques. Comme des mirroirs de mon intérieur ». La finalité de
l’œuvre implique une unité à tous les stades de l’élaboration du pro-
jet. Mais cette finalité n’en est pas vraiment une, Absalon revendique
un projet de vie dans lequel les cellules doivent évoluer en fonction
de l’expérience de son corps contraint à elles. Leur forme n’est donc
pas figée mais suggère une permanante évolution.
Plans, maquettes, prototypes font déjà œuvre avant même que son
projet ne se concrétise mais Absalon décède prématurément. Para-
doxe du projet dont l’essence même était dans l’expérience, on doit
se demander aujourd’hui quel est le statut de ces cellules. Malgré une
volonté de les ancrer dans la réalité, l'artiste a-t-il vraiment pu éviter
cet état de projet utopique ?

98 Remise des clés Absalon 99


Éternelle transition
« Ce qui était censé devenir un futur radieux s’est figé dans le présent
et chacun se sent désemparé. » C’est ici que nous vivons est une installation monumentale de Ilya
Kabakov sur deux niveaux du centre Pompidou en 1995. Elle se
présente comme un “merveilleux palais et la ville tout autour” mais
reproduit un chantier avec les logements et locaux provisoires de ses
ouvriers.

Foucault cite le musée en abordant la rupture temporelle des Hé-


térotopies à l’encontre du rythme traditionnel. Elle réside dans
« l’accumulation perpétuelle et indéfinie du temps dans un lieu qui
ne bougerait pas » Ce que Michel Foucault nomme par analogie
Hétérochronie rappelle sensiblement la forme de la collection dont
parle Jean Baudrillard dans le système des objets : « Ce n’est pas que
le temps de la collection n’est pas le temps réel, mais l’organisation
de la collection elle-même se substitue au temps ». La question est de
savoir si la collection est faite pour être achevée ou s’il s’agit plutôt
d’une quête perpétuelle où la totalité, et donc la fin, n’existe pas.
Kabakov, à propos de son unfinished installation exposé à la Bien-
nale de Johannesbourg en 1995, rendra compte de sa fascination pour
cet état de chantier qui illustre le choix des possibles.

« Je n’arrivais pas à comprendre comment de ces pierres, ce ciment et ce


métal, pouvaient prendre forme concrètement quelque chose qui n’existait
pourtant que dans l’imagination, comment cela pouvait naître et progres-
sivement devenir une chose qui soit ordinaire et ennuyeuse… »

C’est ici que nous vivons formalise cette Hétérochronie du chantier,


au sein même d’un non-lieu, qui fige l’éphémère et devient alors
formalité définitive. La temporalité transitoire demeure-elle forme de
l’éternel ?

100 Remise des clés Ilya Kabakov 101


Les codes de la réalité

Les artistes Suisse de Protoplast proposent la signalétique de sept


chantiers imaginaires. Ils se revendiquent en tant qu’entreprise et
intègrent ce statut à leur pratique artistique. Il leur permet de repren-
dre, dans un jeu distancié et critique, les modalités industrielles pour
fabriquer des “produits imaginaires” desquels ils ôtent toute fonction-
nalité au profit d’une nouvelle valeur esthétique, culturelle et march-
ande laissant libre place à l’imagination du consommateur.

Ce type de démarche s’ancre dans une temporalité et une localisa-


tion parallèle, celle qui fait exister la fiction dans le temps réel. Cette
œuvre matérialise ce qui n’existe pas à la manière des “documen-
taires fictifs” appelés aussi “documenteurs” où le genre du reportage
est utilisé pour faire croire au spectateur. Même si le propos relève de
la fiction, il n’est pas présenté comme tel.

Pour écrire, les écrivains de l’Oulipo s’imposaient un cahier des


GRAU® charges souvent très restreint, et trouvaient, par la contrainte, un
Protoplast moyen pour fabriquer de la fiction.
1999 Ici, le cahier des charges auquel les artistes se plient met en jeu les
codes de la réalité pour matérialiser l’imaginaire. Au-delà de la ques-
Signalisation des sites tion du vrai et du faux, l’œuvre repose principalement sur des règles
de construction dans la prédéfinies, ici, la signalétique. GRAU® nous amène à ne pas seule-
galerie ACC (centre de ment considérer l’information détachée de sa forme mais bien de la
construction du projet) façon dont elle s’offre à nous. L'utilisation des codes de la réalité,
et autour de la ville de comme un cahier des charges faisant partie intégrante de l'œuvre,
Weimar, Allemagne permet-elle de formaliser l’absence ?

102 Remise des clés Protoplast 103


La fonction inutile

Le mètre vierge d’Évariste Richer, reprend les codes de la réalité de


la même manière que la signalétique des chantiers imaginaires de
Protoplast. L’artiste utilise la forme familière du mètre ruban métal-
lique mais délaisse l’idée de référent en supprimant la graduation
pour laisser place au vertige de l’immeusuré.

L’outil symbolise l’objet fonctionnel par excellence, son essence


réside dans cette fonctionnalité : un outil sert à faire quelque chose.
On peut faire le rapprochement avec l’état de chantier dont parlait
Kabakov : l’outil, au-delà de sa formalité figée dans les normes qui le
définisse, fait acte d’une étape transitoire. Il illustre l’infini choix des
possibles dès lors qu’il est considéré à part entière, en tant qu’objet
qui sert à fabriquer autre chose.

Dénué de sa fonction qui fait référence aux conventions auxquelles il


renvoie, cet outil est inutile au sein de ce système. Pourtant le mètre
vierge ne sert pas à rien. Il glisse vers un autre domaine, qui reste à
construire.
Le mètre vierge, Évariste Richer, 2004 L’association d’une forme fonctionnelle avec l’absence de norme fait
exister une distance critique permettant de formaliser le paradoxe
avec beaucoup de dérision. L’objet, détaché de sa fonction initiale,
s’en octroie-t-il une plus riche, illimitée ?

104 Remise des clés Évariste Richer 105


Energy Production

TOTAL ENERGY USAGE PER YEAR 88.013.630 kWh/a


Electricity 66.774.256 kWh/a L’ambiguïté des frontières
Thermal energy 21.236.374 kWh/a
SlaveCity est un projet complexe de l'atelier Van Lieshout qui
BIOGAS s’organise au sein d’une ville autonome basée sur l’énergie humaine.
Excrements Le projet prend en compte l’organisation politique, sociale, économ-
Excrements Fresh Substance per person and day 0,40 kg ique, énergique, alimentaire, morale et esthétique d’une société
FS per year 29.000 ton regroupée dans une version moderne de ce que l’on pourrait appeler
Dry Substance (FS) 23 %
un camp de concentration. Mais ce projet est aussi immoral qu’il
Organic Substance (DS) 85 %
Gas/kg (08) 520 l
est innovant, la SlaveCity est une ville entièrement indépendante
Gas production per year 2.968.472 m3 où tout est mis en œuvre pour qu’elle ait un impact moindre sur
l’environnement, tout y est renouvelable et recyclé, même les
SlaveCity, hommes.
AGRICULTURAL WASTE Atelier Van Lieshout
Agricultural waste Fresh Substance 11.440 ton 2006 SlaveCity met en relation le profit à l’éthique. Elle s’organise comme
Dry Substance (FS) 48 % Powerplant une structure génératrice de bénéfices non négligeables reposant sur
Organic Substance (DS) 83 % Energy production des principes rationnels, efficaces et profitables mais qui, pour cela,
Gas/kg (OS) 520 l
center of SlaveCity remettent en cause la moralité et les droits de l’homme. En concréti-
Gas production per year 2.382.613 m3
sant un projet dont l’idéologie est poussée à son extrême radicalité,
WIND ENERGY l’artiste nous donne à voir comment l’utopie flirte avec la dystopie.
Wind turbines 2.750 kW SlaveCity s’affranchit du politiquement correct pour remettre en
Energy output per annum 5,29 GWh/a cause, non sans dérision, l’hypocrisie idéologique contemporaine.
Wind turbines 10 pieces
Electrical energy 53.787.732 kWh/a Ce projet suffisamment aboutit pour être effrayant mais fascinant
dessine une fausse opposition entre réalité et fiction. La frontière
SOLAR ENERGY s’envisage comme un non-lieu et Joep Van Lieshout inscrit son
Thermo photovoltaic device 350 kWh/a
travail sur cette zone paradoxale. Il crée des sphères parallèles régies
Needed M2 23.214 m3
par des lois et des normes qu’il définit lui-même et dont les frontières
BIO DIESEL viennent dessiner des espaces aussi polémiques que des alternatives
Rape seed 4,11 t/ha possibles. Les compromis que la réalite implique imposent-ils à
Percentage diesel 38 % l'idéologie de devenir l'opposé de ce qu'elle était supposée être dès
Percentage rape pie 60 % lors qu'elle se matérialise ?
Bio diesel 1,58 t/ha
Rape pie 2,50
106 Remise des clés t/ha Atelier Van Lieshout 107
Planned rape seed 22 ha
Total production bio diesel 34.310 l
Do It Yourself

Benjamin Sabatier est à la tête d’une entreprise qui évolue sur un


champ aussi artistique qu’industriel mettant en jeu la frontière entre
art et design. Le kit DIY édité pour la biennale de Paris invite son
utilisateur à fabriquer une œuvre en suivant une notice établie par
DIY 1361 l’artiste. Le kit comprend outils, notice et patron dans un packaging
IBK qui n’est pas sans évoquer la grande marque suédoise de meuble en kit.
2006

édité à 100 exemplaires Plus qu’un objet de consommation, IBK propose l’industrialisation
d’un processus créatif remettant ainsi en cause l’unicité d’une pro-
duction artistique et le statut même de l’artiste. Benjamin Sabatier
intègre le principe de la reproductibilité technique de l’œuvre1 en la
faisant danser sur le fil de l’ironie. Il questionne celle-ci à la base
de sa démarche en s’appropriant une logique industrielle qui tend à
automatiser le principe créatif.
Stand IBK au BHV

Paris D’un point de vue juridique, une idée n’est pas protégeable dans le
2006 sens où elle ne peut être définie comme originale si elle est imma-
térielle. Le kit DIY questionne cet enjeu de la matérialisation d’un
concept en faisant exister l’idée sous différentes formes. En tant
qu’objet, en tant qu’installation mais aussi en tant qu'outils de pro-
duction. L’artiste utilise son kit pour créer des pièces qui sont, elles,
originales. Par la référence à Guy Debord et à l’Internationale Situ-
Ne travaillez jamais ationniste il ouvre une autre porte d’interprétation où l’enjeu n’est
Benjamin Sabatier plus seulement de considérer que tout le monde peut être artiste mais
Exposition À bientôt j’espère vient affirmer une position critique par un jeu de distanciation face au
Besançon statut juridique et politique. Le positionnement critique permet-il une
2011 distance au réel pour fabriquer du non-lieu?
1. Cf. Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique

108 Remise des clés IBK 109


L es non-lieux sont à la fois des zones qui offrent, par leur
neutralité, un terrain naturellement appropriable par les artistes; ils
leur permettaent de faire naître un ailleurs que leur pratique implique.
Mais ils sont également ces espaces que les artistes fabriquent par
leur pratique en ancrant leurs travaux dans la réalité mais qui réson-
nent vers un ailleurs dépendant des moyens qu'ils utilisent.

En prennant leur source dans la réalité, les non-lieux permettent


d'afficher l'enjeu contradictoire de l'utopie. La distance critique qu'ils
autorisent les détachent de leur contexte en affirmant un positionne-
ment politique pouvant s'empreindre d'ironie. En ce sens, le non-lieu
semble être l'inverse de l'utopie et vient déjouer son impossible maté-
rialisation avec beaucoup de dérision.
Le non-lieu est celui qui assume son enjeu paradoxal comme une
fatalité irrémédiable. Il danse sur la frontière de l'ambiguité et réunit
idéologie et normalité avec autant de légèreté que sa distance au réel
permet.

110 État des Non-Lieux Signature, daté et suivi de la mention « lu et approuvé » 111
RÉFÉRENCES

Œuvres Majeures
Régis Debray, Éloge des frontières, Gallimard, 2010
Michel Foucault, “Des espaces autres”, Dits et Écrits II, Gallimard, 2001
Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, Nouvelles Editions Lignes, 2009
Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions
du Seuil, 1992
Hakim Bey, TAZ, Zone Autonome temporaire, Édition de l’Éclat, 1997 le texte original
a été publié en 1991 par Autonomédia
Bruce Bégout, Lieu commun, Éditions Allia, Paris, 2003
Les entreprises critiques : La critique artiste à l'ère de l'économie globalisée, ouvrage
collectif sous la direction de Yann Toma, Cité du design IRDD, 2008

Œuvres Secondaires
Georges Perec, L’infra-ordinaire, Seuil, nouvelle édition, 1995
Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, nouvelle édition, 2000
Bruno Fuligni, L’État c’est moi, Histoire des Monarchies privées, principautés de
fantaisie et autres républiques pirates, Les Editions de Paris, 1998
Georges Orwell, 1984, Gallimard, 1972
Le Corbusier, Le Modulor : Essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine
applicable universellement à l’architecture et à la mécanique, Denoël/Gonthier, Bib-
liothèque Médiations, Saint-Amand, réédition de 1982
Design et utopies, ouvrage collectif sous la direction de Christine Colin, Editions des
Industries Françaises de l'Ameublement, 2000
Appartement témoin de la reconstruction du Havre, éditions point de vue, 2007
L’art ménager français, Paul Breton, Paris, Flammarion, 1952

112 État des Non-Lieux 113


L’unité d’habitation de Marseille, Le Corbusier, Mulhouse, Le Point n° XXXVIII, France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, Philosopher avec David
novembre 1950 Lynch 4/4 : Twin Peaks, vices et vertus de l’Amérique, 11 novembre 2012
Cahier des charges de « la vie mode d’emploi », Éditions CNRS, 1993, Paris France Culture, Cultures Monde, De l’enclave à l’île paradisiaque : Les plus petits
Jean Baudrillard, Le système des Objets, Denoël/Gonthier, 1978 pays du monde - 1/4 - Les micronations, une utopie ?, 28 mai 2012
Gustave Flaubert, Le dictionnaire des Idées Reçues, La livre de Poche, nouvelle édi- France Culture, Sur les docks, Champ Libre : « Le syndrome des ronds-points », 11
tion, 1997 mars 2013
Roland Barthes, Mythologie, Seuil, 1970
Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard, nouvelle édition, 1996 Film
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique, Allia Métropolis de Fritz Lang, 1927
Georges Didi Hubermann, Le génie du Non-lieu, Editions de Minuit, 2001 Mon oncle de Jacques Tati, 1958
Alphaville de Jean-Luc Godard, 1965
Catalogue Trafic de Jacques Tati, 1971
Bernd & Hilla Besher, Framework houses of the siegen industrial region, Schirmer/ Twin Peaks de David Lynch, 1990 - 1991
Mosel, 2000, Munich Mulholand Drive de David Lynch, 2000
Martin Parr, Boring postcard USA, Phaidon, 2004 Opération Lune de William Karel, 2002
Martin Parr, Petite planète, Éditions Hoebeke, 2008 Holly Motors de Leos Carax, 2012
Absalon, KW Institute for Contemporory Art, Berlin, 2011 Dans la maison de François Ozon, 2012
Ilya Kabakov, Catalogue raisonné, 1983-2000, Édition Richter Verlag, 2003,
Ilya Kabakov, Installation 1983-1995, Éditions du Centre Georges Pompidou, Paris Sites internet
1995 http://www.latourex.org/latourex_fr.html
Carelman, Catalogue d’objets introuvables, Balland, 1980 http://9-eyes.com/
Jennifer Allen, Aaron Betsky, Rudi Laermans et Wouter Vanstiphout, Atelier Van http://www.art-flux.org/
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France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, Proust : Un peu de temps à http://www.xbismuth.net/nonsite/index.php/
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France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, Quel réel ? (4/4) : Foucault http://www.alliancebleue.com/
et la réalité de la fiction, 15 novembre 2012

114 État des Non-Lieux 115


Merci à Jean-François Gavoty,
Stéphane Lallemand
et tous les autres.

Achevé d'imprimer à Strasbourg en avril 2013

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