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Préface
Les suivantes
ii
La prose du monde
v. l’être du langage
Représenter
I. DON QUICHOTTE
1. Ibid., p. 182.
2. Ibid, VI, p. 102; VII, p. l09.
68 Les mots et les choses
l’ordre ». Et c’est en ceci justement que consistent la méthode
1
v. l ’ i m a g i n a t i o n de la ressemblance
Parler
I. CRITIQUE ET COMMENTAIRE
iv. l ’ articulation
siècle.
« Supposerons-nous, dit Harris, que toute signification est,
comme le corps, divisible en une infinité d’autres significations,
divisibles elles-mêmes à l’infini? Ce serait une absurdité; il
faut donc nécessairement admettre qu’il y a des sons signifi
catifs dont aucune partie ne peut par elle-même avoir de signi
fication * ». La signification disparaît dès que sont dissociées
ou suspendues les valeurs représentatives des mots : appa
raissent, en leur indépendance, des matériaux qui ne s’articulent
pas sur la pensée, et dont les liens ne peuvent se ramener à ceux
du discours. Il y a une « mécanique » propre aux concordances,
aux régimes, aux flexions, aux syllabes et aux sons, et, de cette
mécanique, aucune valeur représentative ne peut rendre compte.
Il faut traiter la langue comme ces machines qui, peu à peu, se
perfectionnent : eu sa forme la plus simple, la phrase n’est
1 2 3
V. LA DÉSIGNATION
VI. LA DÉRIVATION
Classer
h. l’bistoirb naturelle
III. LA STRUCTUR B
I. Diderot, Lettre sur tes aveugles. Cf. Linné : « On doit rejeter... toutes
notes accidentelles qui n'existent dans la Plante ni pour l'œil, ni pour l e
tact » (Philosophie botanique, p. 258).
146 Les mots et les choses
s’offrir directement aux sens *? Et Tournefort pensait que pour
connaître les pluntes, « plutôt que de scruter chacune de leurs
variations avec un scrupule religieux », il valait mieux les ana
lyser «telles qu’elles tombent sous les yeux*».
Observer, c’est donc se contenter de voir. De voir systéma
tiquement peu de choses. De voir ce qui, dans la richesse un
peu confuse de la représentation, peut s’analyser, être reconnu
par tous, et recevoir ainsi un nom que chacun pourra entendre :
« Toutes les similitudes obscures, dit Linné, ne sont introduites
qu’à la honte de l’art *. » Déployées ellcs-inêmes, évidées de
toutes ressemblances, nettoyées même de leurs couleurs, les
représentations visuelles vont enfin donner à l’histoire natu
relle ce qui constitue son objet propre : cela même qu’elle fera
passer dans cette langue bien faite qu’elle entend bâtir. Cet
objet, c’est l’étendue dont sont constitués les êtres de la nature,
— étendue qui peut être affectée de quatre variubles. Et de
quatre variables seulement : forme des éléments, quantité de
ces éléments, manière dont ils se distribuent dans l’espace les
uns par rapport aux autres, grandeur relative de chacun.
Comme le disait Linné, dans un texte capital, « toute note
doit être tirée du nombre, de la figure, de la proportion, de la
situation ». Par exemple, quand on étudiera les organes sexuels
4
i
Classer 149
IV. LE CARACTÈRE
V. L E CONTINU ET L A CATASTROPHE
nom commun fût possible, il fallait qu’il y eût entre les choses
cette ressemblance immédiate qui permettait aux éléments
signifiants de courir le long des représentations, de glisser
à leur surface, de s’accrocher à leurs similitudes pour former
finalement des désignations collectives. Mais pour dessiner cet
espace rhétorique où les noms peu à peu prenaient leur valeur
générale, il n’était pas besoin de déterminer le statut de cette
ressemblance ni si elle était fondée en vérité; il suffisait qu’elle
prête assez de force à l’imagination. Cependant pour l’histoire
naturelle, langue bien faite, ces analogies de l’imagination ne
peuvent valoir comme des garanties; et le doute radical que
Échanger
III. IB MBRCANTILISMB
J
Échanger 201
V. LA FORMATION DE LA VALBUR
sur les produits de la terre. Comme dans tous les autres cas, la
rétribution du travail agricole tend à s’ajuster exactement à
cette subsistance. Pourtant, il a un privilège, non pas écono
mique — dans le système des échanges — mais physique, dans
l’ordre de la production des biens : c’est que la terre, lorsqu’elle
est travaillée, fournit une quantité de subsistance possible bien
supérieure à ce qui est nécessaire au cultivateur. En tant que
travail rétribué, le labeur de l’ouvrier agricole est donc tout
aussi négatif et dispendieux que celui des ouvriers de manufac
ture; mais en tant que « commerce physique » avec la nature 5,
il suscite chez elle une fécondité immense. Et s’il est vrai que
cette prolixité est rétribuée à l’avance par les prix de labour,
de semailles, de nourriture pour les animaux, on sait bien qu’on
trouvera un épi là où on a semé une graine; et les troupeaux
t s’engraissent chaque jour au temps môme de leur repos, ce
qui ne peut être dit d’un ballot de soie ou de laine dans les
VI. t’uTILITÉ
VII. T A B L E a ü g é n é r a i .
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histoire
INlEKPftÉTÀTlOM
222 Les mots et les choses
à l’intérieur de soi par la représentation quand elle se représente
elle-même : l’être et le même y ont leur lieu. Le langage n’est
que la représentation des mots; la nature n’est que la représen
tation des êtres; le besoin n’est que la représentation du besoin.
La lin de la pensée classique — et de cette épistémè qui a rendu
possibles grammaire générale, histoire naturelle et science des
richesses — coïncidera avec le retrait de la représentation, ou
•plutôt avec l’alTranchissement, à l’égard de la représentation,
du langage, du vivant et du besoin. L’esprit obscur mais entêté
d’un peuple qui parle, la violence et l’eiïort incessant de la
vie, la force sourde des besoins échapperont au mode d'être de
la représentation. Et celle-ci sera doublée, limitée, bordée,
mystifiée peut-être, régie en tout cas de l’extérieur par l’énorme
poussée d’une liberté, ou d’un désir, ou d’une volonté qui se
donneront comme l’envers métaphysique de la conscience.
Quelque chose comme un vouloir ou une force va surgir dans
l’expérience moderne, — la constituant peut-être, signalant en
tout cas que l’âge.classique vient de se terminer et avec lui le
règne du discours représentatif, la dynastie d’une représenta
tion se signifiant elle-même et énonçant dans la suite de ses
mots l’ordre dormant des choses.
Ce renversement, il est contemporain de Sade. Ou plutôt,
cette œuvre inlassable manifeste le précaire équilibre entre la
loi sans loi du désir et l’ordonnance méticuleuse d’une repré
sentation discursive. L’ordre du discours y trouve sa Limite et
sa Loi; mais il a encore la force de demeurer coexistensif à
cela même qui le régit. Là sans doute est le principe de ce
« libertinage » qui fut. le dernier du monde occidental (après lui
commence l’âge de la sexualité) : le libertin, c’est celui qui, en
obéissant à toutes les fantaisies du désir et à chacune de ses
fureurs, peut mais doit aussi en éclairer le moindre mouvement
par une représentation lucide et volontairement mise en œuvre.
Il y a un ordre strict de la vie libertine : toute représentation
doit s’animer aussitôt dans le corps vivant du désir, tout désir
doit s’énoncer dans la pure lumière d’un discours représentatif.
De là cette succession rigide de « scènes » (la scène, chez Sade,
c’est le dérèglement ordonné à la représentation) et, à l’inté
rieur des scènes, l’équilibre soigneux entre la combinatoire des
corps et l’enchaînement des raisons. Peut-être Justine et Juliette,
à la naissance de la culture moderne, sont-elles dans la même
position que Don Quichotte entre la Renaissance et le classi
cisme. Le héros de Cervantes, lisant les rapports du monde et
du langage comme on le faisait au xvi siècle, déchiffrant par
0
i. l’ace de l’histoire
V. .DÉOLOGIE ET CRITIQUE
II. RICARDO
III. C U V I K R
1. Cité par Th. Cahn, La Vie et Pauvre d'E. Geofjroy Salnl-Hllaire (Paris,
1962), p. 138.
2. G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, t. I, p. 63-64.
Travail, vie, langage 277
présente aucun point commun . » En considérant l’organe dans
son rapport à la fonction, on voit donc upparaître des « res
semblances » là où il n’y a nul élément « identique »; ressem
blance qui se constitue par le passage à l’évidente invisibilité
de la fonction. Les branchies et les poumons, peu importe
après tout s’ils ont en commun quelques variables de forme,
de grandeur, de nombre : ils se ressemblent parce qu’ils sont
deux variétés de cet organe inexistant, abstrait, irréel, iuassi-
gnable, absent de toute espèce descriptible, présent pourtant
dans le règne animal en son entier et qui sert à respirer en
général. On restaure ainsi dans l’analyse du vivant les analo
gies de type aristotélicien : les branchies sont à la respiration
dans l’eau ce que les poumons sont à la respiration dans l’air.
Certes, de pareils rapports étaient parfaitement connus à l’âge
classique; mais ils servaient seulement à déterminer des fonc
tions; on ne les utilisait pas à établir l’ordre des choses dans
l'espace de la nature. A partir de Cuvier, la fonction, définie
sous la forme non perceptible de l’elTet à atteindre, va servir
de moyen terme constant et permettre de rapporter l’un à
l’autre des ensembles d’éléments dépourvus de la moindre iden
tité visible. Ce qui pour le regard classique n’était que pures et
simples diilérences juxtaposées à des identités, doit maintenant
s’ordonner et se penser à partir d’une homogénéité fonction
nelle qui le supporte en secret. Il y a histoire naturelle lorsque
le Même et l’Autre n’appartiennent qu’à un seul espace; quelque
chose comme la biologie devient possible lorsque cette unité de
plan commence à se défaire et que les diilérences surgissent sur
fond d’une identité plus profonde et comme plus sérieuse
qu’elle.
Cette référence à la fonction, ce décrochage entre le plan des
identités et celui des diilérences font surgir des rapports nou
veaux : ceux de coexistence, de hiérarchie interne, de dépendance
à l’égard du plan d'organisation. La coexistence désigne le fait
qu’un organe ou un système d’organes ne peuvent pas être
présents dans un vivant, sans qu’un autre organe ou un autre
système, d’une nature et d’une forme déterminées, le soient
également : « Tous les organes d’un même animal forment un
système unique dont toutes les parties se tiennent, agissent et
réagissent les unes sur les autres; et il ne peut y avoir de modi
fications dans l’une d’elles qui n’en amènent d’analogues dans
toutes *. » A l’intérieur du système de la digestion, la forme des
dents (le fait quelles soient tranchantes ou masticatrices) varie 1 2
1. G. Cuvier, Second mémoire sur les animaux à sang blanc, 1795 {Maya*
sin encyclopédique, II, p. 441).
t.
2. G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, III, p. 4-5.
3. G. Cuvier, Sur un nouveau rapprochement à établir lAnnales du Muséum,
t. XIX, p. 76).
4. Id., Ibid.
280 Les mots et les choses
]es caractères secondaires d’après Jour déguisement ». On 1
1. G. Cuvier, Second mtmoire tue les animaux à sang blanc (toc. cil.).
Travail, vie, langage 281
nature. Ainsi disparaît la «nature»—étant entendu que tout au
long de l'âge classique, elle n’a pas existé d’abord comme
t théine », comme « idée », comme ressource indéfinie du savoir,
mais comme espace homogène des identités et des différences
ordonnnbles.
Cet espace est maintenant dissocié et comme ouvert en son
épaisseur. Au lieu d’un champ unitaire de visibilité et d’ordre,
dont les éléments ont valeur distinctive les uns par rapport
aux autres, on a une série d’oppositions, dont les deux termes
ne sont pas de même niveau : d’un côté, il y a les organes secon
daires, qui sont visibles à la surface du corps et se donnent sans
intervention à l’immédiate perception, et les organes pri
maires, qui sont essentiels, centraux, cachés, et qu’on ne peut
atteindre que par la dissection, c’est-à-dire en effaçant maté
riellement l’enveloppe colorée des organes secondaires. 11 y a,
plus profondément aussi, l’opposition entre les organes en
général qui sont spatiaux, solides, directement ou indirecte
ment visibles, et les fonctions, qui ne se donnent pas à la per
ception, muis prescrivent comme par en dessous la disposition
de ce qu’on perçoit. Il y a enfin, à la limite, l’opposition entre
identités et différences : elles ne sont plus de même grain, elles
ne s’établissent plus les unes par rapport aux autres sur un
plan homogène; mais les différences prolifèrent à la surface,
cependant qu’en profondeur, elles s’effacent, se confondent, se
nouent les unes avec les autres, et se rapprochent de la grande,
mystérieuse, invisible unité focale, dont le multiple semble
dériver comme par une dispersion incessante. La vie n’est plus
ce qui peut se distinguer d’une façon plus ou moins certaine
du mécunique; elle est ce en quoi se fondent toutes les dis
tinctions possibles entre les vivants. C’est ce passage de la
notion taxiuomiquc à la notion synthétique de vie qui est
signalé, dans la chronologie des idées et des sciences, par le
regain, au début du xixe siècle, des thèmes vitalistes. Du point
de vue de l’archéologie, ce qui s’instaure à ce moment-là, ce
sont les conditions de possibilité d’une biologie.
En tout cas, cette série d’oppositions, dissociant l’espace de
l’histoire naturelle, a eu des conséquences d’un grand poids.
Pour la pratique, c’est l’apparition de deux techniques corré
latives, qui s’appuient et se relaient l’une l’autre. La première
de ces techniques est constituée par l’anatomie comparée :
celle-ci fait surgir un espace intérieur, limité d’un côté par la
couche superficielle des téguments et des coquilles, et de l’autre
par la quasi-invisibilité de ce qui est in finiment petit. Car l’ana-
toinie comparée n’est pas l’approfondissement pur et simple
des techniques descriptives qu’on utilisait à l’âge classique;
282 Les mots et les choses
elle ne se contente pas de chercher & voir en dessous, et mieux,
et de plus près; elle instaure un espace qui n’est ni celui des
caractères visibles ni celui des éléments microscopiques *, Là,
elle fait apparaître la disposition réciproque des organes, leur
corrélation, la manière dont se décomposent, dont se spatia
lisent, dont s’ordonnent les uns aux autres les principaux
moments d’une fonction. Et ainsi, par opposition au regard
simple, qui en parcourant les organismes intègres, voit se
déployer devant lui le foisonnement des différences, l’anatornie,
en découpant réellement les corps, cnlesfractionnanten parcelles
distinctes, en les morcelant dans l’espace, fait surgir les grandes
ressemblances qui seraient demeurées invisibles; elle recons
titue les unités sous-jacentes aux grandes dispersions visibles.
La formation des vastes unités taxinomiques (classes et ordres)
était, au xvne et au xvni8 siècle, un problème de découpage
linguistique : il fallait trouver un nom qui fût général et fondé;
elle relève maintenant d’une désarticulation anatomique; il faut
isoler le système fonctionnel majeur; ce sont les partages réels
de l’anatomie qui vont permettre de nouer les grandes familles
du vivant.
La seconde technique repose sur l’anatomie (puisqu’elle en
est le résultat), mais s’oppose à elle (parce qu’elle permet de
s'en dispenser); elle consiste à établir des rapports d’indica
tion entre des éléments superficiels, donc visibles, et d’autres
qui sont, celés dans la profondeur du corps. C’est que, par la
loi de solidarité de l’organisme, on peut savoir que tel organe
périphérique et accessoire implique telle structure dans un
organe plus essentiel; ainsi, il est permis « d’établir la corres
pondance des formes extérieures et intérieures qui les unes
et les autres font partie intégrante de l’essence de l’animal * ».
Chez les insectes, pnr exemple, la disposition des antennes n'a
pas de valeur distinctive parce qu’elle n’est en corrélation avec
aucune des grandes organisations internes; en revanche, la
forme de la mâchoire inférieure peut jouer un rôle capital pour
les distribuer scion leurs ressemblances et leurs différences; car
elle est liée à l’alimentation, à la digestion et par là aux fonc
tions essentielles de l’animal : « les organes de la mastication
devront être en rapport avec ceux de la nourriture, conséquem
ment avec tout le genre de vie et conséquemment avec toute 1
1. Sur ce refus au microscope, qui est le mflnie chez Cuvier et chez lee
smilomo-piilholugisLes, cf. Leçons d'anatomie comparée, t. V, p. ISO, et Le
Ligne animal, t I, .p. xxvm.
il. G. Cuvier, Le Ligne animal distribué d'après ton organisation, L f#
p. XIV.
Travail, vie, langage 2S3
l’organisation1». A vrai dire, cette technique des indices ne
va pas forcément de la périphérie visible aux formes grises de
l’intériorité organique : elle peut établir des réseaux de néces
sité allant de n’importe quel point du corps à n’importe quel
autre : de sorte qu’un seul élément peut suffire dans certains
cas h suggérer l’architecture générale d’un organisme; on pourra
reconnaître un animal tout entier «par un seul os, par une
seule facette d'os : méthode qui a donné de si curieux résultats
sur les animaux fossiles * ». Alors que pour la pensée du
xvme siècle le fossile était une préfiguration des formesactuelles,'
et qu’il indiquait ainsi la grande continuité du temps, il sera
désormais l’indication de la figure à laquelle réellement il appar
tenait. L’anatomie n’a pas seulement brisé l’espace tabulaire
et homogène des identités; elle a rompu la continuité suppo
sée du temps.
C’est que, du point de vue théorique, les analyses de Cuvier
recomposent entièrement le régime des continuités et des
discontinuités naturelles. L’anatomie comparée permet en
elTet d’établir, dans le monde vivant, deux formes de conti
nuité parfaitement distinctes. La première concerne les grandes
fonctions qui se retrouvent dans la plupart des espèces (la
respiration, la digestion, la circulation, la reproduction, le mou
vement...); elle établit dans tout le vivant une vaste ressem
blance qu’on peut distribuer selon une échelle de complexité
décroissante, allant de l’homme jusqu’au zoophyte; dans les
espèces supérieures toutes les fonctions sont présentes, puis
on les voit disparaître les unes après les autres, et chez le zoo
phyte finalement, il n’y a « plus de centre de circulation, plus
de nerfs, plus de centre de sensation; chaque point semble se
nourrir par succion * ». Mais cette continuité est faible, rela
tivement lâche, formant, par le nombre restreint des fonctions
essentielles, un simple tableau de présences et d’absences.
L’autre continuité est beaucoap plus serrée : elle concerne la
plus ou moins grande perfection des organes. Mais on ne peut
établir à partir de là que des séries limitées, des continuités
régionales vite interrompues, et qui, de plus, s’enchevêtrent
les unes les autres dans des directions dillérentes; c’est que
dans les diverses espèces « les organes ne suivent pas tous le
même ordre de dégradation : tel est à son plus haut degré de
perfection dans son espèce ; tel autre l’est dans une espèce 1 2 3
IV. BOPP
ticales d’une langue sont l’a priori de ce qui peut s’y énoncer.
Lu vérité du discours est piégée par la philologie. De là, cette
nécessité de remonter des opinions, des philosophies, et peut-
être même des sciences jusqu’aux mots qui les ont rendu pos
sibles, et, par-delà, jusqu’à une pensée dont la vivacité ne serait
pas encore prise dans le réseau des grammaires. On comprend
ainsi le renouveau, très marqué au xixe siècle, de toutes les
techniques de l’exégèse. Cette réapparition est due au fait que
le langage a repris la densité énigmatique qui était la sienne
à la Renaissance. Mais il ne s’agira pas maintenant de retrouver
une parole première qu’on y aurait enfouie, mais d’inquiéter
les mots que nous parlons, de dénoncer le pli graminaticul de
nos idées, de dissiper les mythes qui animent nos mots, de rendre
à nouveau bruyant et audible la part de silence que tout dis
cours emporte avec soi lorsqu’il s’énonce. Le premier livre du
Capital est une exégèse de la « valeur »; tout Nietzsche, une
exégèse de quelques mots grecs; Freud, l’exégèse de toutes ces
phrases muettes qui soutiennent et creusent en même temps
nos discours apparents, nos fantasmes, nos rêves, notre corps.
La philologie comme analyse de ce qui se dit dans la profondeur
du discours est devenue la forme moderne de la critique. Là
où il s’agissait, à la lin du xvme siècle, de fixer les limites de la
connaissance, on cherchera à dénouer les syntaxes, à rompre
les façons contraignantes de parler, à retourner les mots du
côté de tout ce qui se dit à travers eux et malgré eux- Dieu
est peut-être moins un au-delà du savoir qu’un certain en deçà
de nos plirases; et si l’homme occidental est inséparable> de lui,
ce n’est pas par une propension invincible à franchir les fron
tières de l’expérience, mais parce que son langage le fomente
sans cesse dans l’ombre de ses lois : « Je crains bien que nous
ne nous débarrassions jamais de Dieu, puisque nous croyons
encore à la grammaire *. » L’interprétation, au xvie siècle, allait
du monde (choses et textes à la fois) à la Parole divine qui se
déchilfrait en lui; la nôtre, celle en tout cas qui s’est formée au
xix siècle, va des hommes, de Dieu, des connaissances ou des
0
I. L E RETOUR DU LANGAGE
n. la place nu n o i
V. t K COGITO ET l ’ i MPENSÉ
III. L E S T R O I S M O D È L E S
iv. l ’ h i s t o i r e
V. PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE
VI
Une chose en tout cas est certaine : c’est que l'homme n’est
pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé
au savoir humain. En prenant une chronologie relativement
courte et un découpage géographique restreint — la culture
européenne depuis le xvie siècle — on peut être sûr que l’honune
y est une invontion récente. Ce n’est pas autour de lui et de ses
secrets que, longtemps, obscurément, le savoir a rôdé. En fait,
parmi toutes les mutations qui ont allecté le savoir des choses
et de leur ordre, le savoir des identités, des dillérenccs, dos
caractères, des équivalences, des mots, — bref au milieu de
tous les épisodes de cette profonde histoire du Mime — un
seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-
être est en train de se clore, a laissé apparaître la ligure de
l’homme. Et ce n’était point là libération d’une vieille inquié
tude, passage à la conscience lumineuse d’un souci millénaire,
accès à l’objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans
des croyances ou dans des philosophies : c’était l’effet d’un
changement dans les dispositions fondamentales du savoir.
L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée
montre aisément la date récente. Et peut-être la fin pro
chaine.
Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont
apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout
au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons
pour l'instant encore ni la forme ni la promosse, elles bascu
laient, comme le fit au tournant du xvm* siècle le sol de la
pensée classique, — alors on peut bien parier que l’homme
s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable.
PRÉFACE.
chapitre m : Représenter.
i. Don Quichotte, p. 60. — il. L’ordre, p. 64. — m. La représenta
tion du signe, p. 72. — iv. La représentation redoublée, p. 77. —
v. L’Imagination de la ressemblance, p. 81. — vi. Malhesis et taxi-
nomia p. 86.
chapitre iv : Parler.
i. Critique et commentaire, p. 92. — h. La grammaire générale,
p. 95. — m. La théorie du verbe, p. 107. — ir. L’articulation,
p. 111.—v. La désignation, p. 119. — vt. La dérivation, p. 125.—
vu. Le quadrilatère du langage, p. 131.
chapitre v : Classer.
i. Ce que disent les historiens, p. 137. — ». L’histoire naturelle,
p. 140. — m. La structure, p. 144. — iv. Le caractère, p. 150. — v.
Le continu et la catastrophe, p. 158. — vi. Monstres et fossiles,
p. 163. — v». Le discours de la nature, p. 170.
chapitre vi : Échanger.
i. L’analyse des richesses, p. 177. — ». Monnaie et prix, p. 180. —
I». Le mercantilisme, p. 185. — iv. Le gage et le prix, p. 192. —
v. La formation de la valeur, p. 202. — vi. L’utilité, p. 209. — v».
Tableau général, p. 214. — vm. Le désir et la représentation,
p. 221.
400 Les mots et les choses
II