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Monsieur Philippe Steiner

Don de sang et don d'organes : le marché et les marchandises «


fictives »
In: Revue française de sociologie. 2001, 42-2. pp. 357-374.

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Steiner Philippe. Don de sang et don d'organes : le marché et les marchandises « fictives ». In: Revue française de sociologie.
2001, 42-2. pp. 357-374.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_2001_num_42_2_5358
Resumen
Philippe Steiner : La donación de sangre y la donación de órganos : el mercado y las mercaderías «
ficticias ».

El estudio consagrado por Richard M. Titmuss a la donación de sangre, hasta hoy permanece todavía
como una referenda cuando se trata de reflexionar sobre la donación en el campo médico. Este artículo
recuerda primero las tesis centrales de Titmuss y las reacciones de los economistas a la afirmación de
la superioridad de un sistema basado sobre la donación y el altruismo comparativamente frente al otro
organizado en torno del mercado y a la acción interesada. El artículo muestra enseguida que la
oposición donación/mercado es reductora, en la medida que deja de lado la dimensión industrial la cual
es de crucial importancia en el caso de la donación medical. Finalmente, a partir de informaciones que
conciernen la donación de órganos, el artículo pone en evidencia la construcción social sin la cual, del
mismo modo como lo había comprendido Titmuss, la donación moderna no puede llevarse a cabo.

Zusammenfassung
Philippe Steiner : Blut- und Organspenden : der Markt und die « fîktiven » Waren.

Die von Richard M. Titmuss der Blutspende gewidmete Untersuchung ist doch heute noch eine
Referenzarbeit, wenn es darum geht Überlegungen zur Spende im medizinischen Bereich anzustellen.
Der Aufsatz führt zunächst die Titmusschen Kernthesen an und die Reaktionen der
Wirtschaftswissenschaftler gegenüber dem Überlegenheitsanspruch eines Systems, das sich auf die
Spende und Altruismus stützt, verglichen mit einem System beruhend auf dem Markt und der
Interessenhandlung. Der Aufsatz zeigt weiterhin, dass der Gegensatz Spende/Markt reduzierend wirkt,
insofern als er das industrielle Ausmass beiseite lasst, das im Falle der medizinischen Spende
ausschlaggebend ist. Schliesslich zeigt der Artikel, ausgehend von Informationen über Organspenden,
die soziale Konstruktion auf, ohne die, wie Titmuss es verstanden hatte, die moderne Spende nicht
möglich ist.

Abstract
Philippe Steiner : Blood and organ donation : the market and the fictitious goods.

The study by Richard M. Titmuss devoted to blood donation is still used today as a reference when
concerned with donations in the medical field. This article gives the central theses of Titmuss and the
reactions of economists faced with the affirmation of the superiority of a system based on donation and
altruism compared with a system organized around a market and specific action. The article then
illustrates that market/donation opposition reduces reality, as it omits the industrial dimension which
plays a crucial role in the case of medical donation. Finally, based on informations regarding organ
donation, the article explains the social structure without which, as Titmuss understood well, modern
donation cannot be developed.

Résumé
L'étude consacrée par Richard M. Titmuss au don de sang reste aujourd'hui encore une référence dès
lors qu'il s'agit de réfléchir au don dans le domaine médical. Cet article rappelle d'abord les thèses
centrales de Titmuss et les réactions des économistes face à l'affirmation de la supériorité d'un système
fondé sur le don et l'altruisme comparativement à celui organisé autour du marché et de l'action
intéressée. L'article montre ensuite que l'opposition don/marché est réductrice, dans la mesure où elle
laisse de côté la dimension industrielle dont l'importance est cruciale dans le cas du don médical.
Finalement, à partir des informations concernant le don d'organes, l'article met en évidence la
construction sociale sans laquelle, ainsi que l'avait compris Titmuss, le don moderne ne peut se mettre
en place.
R. franc, sociol, 42-2, 2001, 357-374

Philippe STEINER

Don de sang et don d'organes :


le marché et les marchandises « fictives »

RÉSUMÉ
L'étude consacrée par Richard M. Titmuss au don de sang reste aujourd'hui encore une
référence dès lors qu'il s'agit de réfléchir au don dans le domaine médical. Cet article rappelle
d'abord les thèses centrales de Titmuss et les réactions des économistes face à l'affirmation
de la supériorité d'un système fondé sur le don et l'altruisme comparativement à celui orga
nisé autour du marché et de l'action intéressée. L'article montre ensuite que l'opposition
don/marché est réductrice, dans la mesure où elle laisse de côté la dimension industrielle
dont l'importance est cruciale dans le cas du don médical. Finalement, à partir des informat
ions concernant le don d'organes, l'article met en évidence la construction sociale sans
laquelle, ainsi que l'avait compris Titmuss, le don moderne ne peut se mettre en place.

La récente réédition de l'ouvrage que Richard M. Titmuss avait consacré


au don de sang (1), The gift relationship. From human blood to social policy,
offre l'occasion de revenir sur un ouvrage marquant du début des années
soixante-dix. Il s'agit d'un ouvrage engagé, écrit dans l'objectif de défendre
le système anglais de collecte du sang fondé sur le bénévolat contre ceux qui
considéraient le marché comme le пес plus ultra de toute organisation
humaine (2). En s'élevant contre les effets de la commercialisation du sang,
l'auteur affronte les économistes sur un point décisif : jusqu'à quel point peut-
on étendre le raisonnement économique à ce que Karl Polány i (1944) avait
appelé des marchandises fictives, c'est-à-dire des biens qui ne sont pas vérit
ablement produits ainsi que le sont les marchandises que considère la théorie
économique ? L'intérêt du propos de Titmuss vient de ce que le problème
soulevé n'a rien perdu de son acuité, si on le met en regard de l'évolution du
rapport des sociétés contemporaines vis-à-vis du corps humain, une marchand
ise fictive de plus en plus convoitée.

(1) La réédition (1997) comporte l'édition version de ce travail a été présentée à


originale de 1970 à laquelle sont annexés cinq l'occasion du VIP colloque Polanyi (Lyon, mai
chapitres nouveaux présentant l'œuvre de 1999).
l'auteur, la réflexion sur le don et l'évolution (2) II s'agissait de répondre à l'ouvrage de
de la question avec la pandémie du sida. M. H. Cooper et A. J. Culyer (1968) publié par
Rappelons que l'auteur, professeur à la London V Institute of Economie Affairs, fondé par
School of Economies, spécialiste reconnu du Friedrich Hayek en 1955.
Welfare state, décède en 1973. Une première

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Nous partirons d'un rappel de la thèse exposée par Titmuss et des réactions
que son ouvrage a suscitées chez deux économistes de renom à propos de
l'opposition don-marché ; puis, à la faveur des enquêtes menées à la suite de
l'apparition du virus du sida, on soulignera la dimension industrielle que, trop
souvent, l'opposition entre le don et le marché fait négliger. Nous mettrons
ensuite l'ouvrage en regard du don d'organes pour montrer que les problèmes
posés par Titmuss demeurent, et pour souligner la dimension institutionnelle
du don, en d'autres termes, la construction sociale sans laquelle le don
moderne peut difficilement se déployer.

Le don contre le marché ?

Les thèses centrales de Titmuss et les réactions de deux économistes

Rappelons tout d'abord l'essentiel de l'argumentation déployée par


l'auteur. Le sang constitue un exemple de fait social total, mettant enjeu les
dimensions symboliques, économiques, techniques (de santé individuelle et
publique), axiologiques et politiques des sociétés contemporaines ; les dimens
ionséconomiques, axiologiques et politiques étant celles sur lesquelles se
concentre l'ouvrage. Le sang est collecté, distribué et consommé dit Titmuss,
ce qui fait apparaître une différence avec les biens habituellement considérés
par l'économiste, c'est-à-dire les biens produits. Dans cette économie de la
collecte, le donneur est essentiel : face à une croissance très rapide de la
consommation médicale de sang, face à la fragilité du produit lui-même (il se
conserve peu de temps), face à la quantité limitée qu'un donneur peut fournir,
il faut accroître le nombre de donneurs pour que l'offre suive la croissance
régulière de la demande, mais aussi pour qu'elle satisfasse aux pics exceptionn
els de demande. À cet aspect quantitatif s'ajoute un grave problème quali
tatif : compte tenu des risques de transmission virale par transfusion sanguine
(hépatite), la qualité du don est d'une importance cruciale. L'opposition
majeure, selon Titmuss, se trouve entre le sang collecté sur la base du béné
volat et celui qui est payé. À partir des statistiques parcellaires à sa disposi
tion, Titmuss montre que le système américain payant (un tiers des donneurs
étaient alors dans ce cas) est moins efficace en termes quantitatifs (défauts
d'approvisionnement, gaspillage élevé) ainsi qu'en termes qualitatifs (nombre
élevé d'accidents post-transfusion) que le système britannique fondé sur le
bénévolat. Bref, face aux arguments des « évangélistes du marché » (3) qui
prônent en Grande-Bretagne la commercialisation du sang, Titmuss relève le
défi et, statistiques comparatives à l'appui, affirme que le comportement inté
ressé à la base des relations marchandes se révèle moins efficace dans l'allo
cation d'une ressource rare que le bénévolat couplé à des institutions para-
étatiques.

(3) Nous reprenons ici la formule qui Think tanks libéraux britanniques, notamment
donne le titre de l'ouvrage de K. Dixon (1998). Y Institute of Economie Affairs, l'adversaire
On trouve dans ce dernier une présentation des désigné de Titmuss.

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Une originalité supplémentaire du travail de Titmuss apparaît avec ce qu'il


appelle le don altruiste, don destiné à un inconnu, sans que l'on attende un
retour, sans que l'on soit soumis à une sanction, financière ou morale. La
forme même du don considéré est caractéristique de ce que Emile Durkheim
appelait des sociétés à solidarité organique. Le don n'y est plus encastré dans
un ensemble de règles sociales du genre de celles présentes dans les sociétés
archaïques étudiées par Marcel Mauss ; il n'est même plus rapporté à ce que
la société moderne conserve de vie communautaire (par exemple, la famille)
pour être plongé dans un monde de relations distantes, plus radicalement
encore, de relations entre étrangers (4).
Bénévolat contre intérêt, État contre marché, le débat paraît bien convent
ionnel. Titmuss y injecte un souffle nouveau en faisant valoir, à la suite d'un
beau travail empirique, la lourde signification de ce débat : au niveau indivi
duel, le sang payé est collecté auprès de personnes pour lesquelles, trop
souvent, il représente un revenu indispensable sans qu'existent d'alternatives.
Au niveau macrosocial, un effet de redistribution inverse apparaît d'où il
ressort que les classes aisées, mieux soignées, bénéficient du sang des classes
pauvres (5). Mais il y a plus grave que cela. Compte tenu de l'implantation de
certaines banques de sang dans les zones de forte paupérisation, le sang
collecté par l'intermédiaire du marché est d'une qualité très nettement infé
rieure à celui fourni par des donneurs bénévoles. La raison est simple : ces
derniers n'ont aucune raison de mentir sur leur état de santé et leurs antécé
dentsmédicaux alors qu'il n'en va pas de même pour ceux qui trouvent là une
forme d'activité lucrative. Le bénévolat s'apparie mieux avec la confiance
que l'intérêt égoïste. L'engagement de Titmuss revient ainsi sur le devant de
la scène : contre le courant libéral qui souhaite le démantèlement du système
fondé sur le bénévolat pour laisser place à un marché du sang, Titmuss
demande une décision politique en faveur de l'altruisme. Sur ce point, sa
démarche peut être considérée comme extrême : il ne lui semble pas suffisant
de laisser une place au don altruiste, ou de le favoriser comparativement à la
collecte marchande ; il préconise de le préserver du contact avec le marché.
Le marché se révélerait dévastateur et nuirait en profondeur au système de
valeurs sur lequel prend racine le don altruiste (6) ; bref, le marché doit être

(4) Cette association s'impose à partir du 1971 ; Arrow, 1972 ; Singer, 1973 ; Hausman
moment où l'on rapproche la définition de et McPherson, 1993 ; Radin, 1996). Premiè-
Г altruisme (envers un inconnu et non pas un rement, en Europe, un système de collecte
proche, membre du réseau familial ou amical), fondé sur l'altruisme peut être déstabilisé si un
la question énoncée dans le titre de l'avant- système marchand est mis en place dans un
dernier chapitre de l'ouvrage (« Who is my pays limitrophe surtout si ce dernier propose
stranger ? ») et les réflexions de Georg S immel aux nationaux situés de l'autre côté de la
sur l'étranger. frontière de payer leurs « dons », comme c'est
(5) On a là un exemple littéral de ce que le cas de la Hollande et de l'Allemagne en 1968
certains économistes américains, étudiant la (Titmuss, 1970, p. 243). Deuxièmement,
politique économique libérale de l'époque Titmuss avance l'idée qu'il est plus facile de
Reagan, ont appelle la « inverse "trickle down" détruire des valeurs que de les réimplanter dans
economics » (économie de la transfusion une société ; en raison de cette asymétrie, il
inversée) (Bowles, Gordon et Weisskopf, 1986). suggère que l'on y regarde à deux fois avant
(6) Titmuss présente deux arguments en d'entreprendre la destruction de comportements
faveur de cette thèse radicale qui va, par la axiologiquement fondés (ibid, p. 250).
suite, focaliser une partie du débat (Solow,

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radicalement proscrit en ce domaine ; c'est la condition pour que survive un


« droit de donner ».
Accordant que le marché n'est qu'un moyen parmi d'autres de distribuer
les biens, John K. Arrow convient de l'infe'riorité du marché vis-à-vis du
bénévolat dans le cas spécifique examiné par Titmuss (Arrow, 1972, pp. 351-
352 ; voir aussi Solow, 1971, pp. 1699-1702). Une approche économique de
la confiance faisant valoir les « institutions invisibles » (Arrow, 1976, p. 28)
grâce auxquelles le marché fonctionne permet de comprendre pourquoi est
faible le degré de confiance que l'on peut accorder à des personnes à la dérive
- moralement et économiquement - qui alimentent, contre rémunération, les
banques de sang situées dans les zones de grande pauvreté urbaine. Ces
personnes n'ont aucun intérêt à dire la vérité sur leur état de santé (7);
l'inverse est plus probable de la part de donneurs bénévoles agissant dans un
but de solidarité. Dans la même veine, Robert M. Solow (1971, pp. 1706-
1709) s'insurge contre l'étroitesse de l'approche économiciste des adversaires
de Titmuss lorsque ces derniers considèrent que seule l'action économique
ment intéressée rend compte des comportements sociaux (des donneurs de
sang, des médecins, des administrateurs) et qu'ils négligent les conditions
élémentaires d'usage du critère d'optimalité de Pareto (8).
Ces points d'accord étant mis en évidence, il n'en reste pas moins que
Arrow ne veut pas endosser l'idée selon laquelle un mélange entre marché et
don nuirait au second, car il ne trouve pas de réponse claire chez Titmuss à la
question suivante : Pourquoi la création d'un marché du sang devrait diminuer
l'altruisme à la base du don ? (Arrow, 1972, pp. 350-351 ; 1997, p. 762). De
son point de vue, le marché accroît les possibilités de choix sans restreindre
celles déjà existantes. Solow (1971, pp. 1703-1705) n'est pas plus favorable à
cet aspect de l'ouvrage de Titmuss ; il reproche à l'auteur d'avoir comparé
deux cas extrêmes (9) et il suggère que l'analyse de cas intermédiaires où le
sang est à la fois donné et vendu éclairerait certainement la situation et
permettrait de mieux aborder la question en précisant l'impact de l'environne
ment institutionnel sur l'offre de sang (Solow, 1971, pp. 1704-1705). Il ajoute
d'ailleurs qu'une enquête, menée sur le campus d'Harvard à l'occasion d'une

(7) L'enquête effectuée au milieu des se dégrader.


années quatre-vingt sur les personnes vendant (9) D'une manière perspicace, Solow
leur plasma dans l'état du Texas en donne de suggère de surcroît qu'il y a probablement un
nombreux exemples (Anderson et Snow, 1994, effet « effort de guerre » à la base de la position
pp. 29-30). anglaise. Cette idée ressort clairement dans le
(8) Le critère de Pareto établit qu'un état cas français étudié par Marie-Angèle Hermitte
social (B) est supérieur à un autre (A) lorsque (1996, pp. 94-106) : alors que la vente du sang
dans l'état (B) tous les agents ont un indice de était une pratique assez commune dans la
bien-être supérieur ou égal à celui qui était le France de l'entre-deux-guerres, voire même
leur dans l'état (A). Cela ne veut nullement dire valorisée, elle devient l'objet d'une forte
que l'état optimal (B) est Pareto-supérieur à stigmatisation après la Deuxième Guerre
tout état sous-optimal : en raison d'effets de mondiale. Le robuste prolétaire, généreux (et
redistribution nécessaires pour passer de vendeur) de son sang fait place à l'infâme
classes d'état sous-optimal à cet état optimal mercenaire ou à l'exploité, de manière à
(B), (au moins) un agent peut voir sa situation valoriser l'image du donneur bénévole.

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collecte de sang, n'a jamais fait apparaître chez les étudiants qui n'avaient pas
donné leur sang l'idée que leur comportement s'expliquait par la possibilité
qu'ils avaient de le vendre (ibid). D'une manière générale, si les deux écono
mistes se montrent réservés face à l'engagement anti-marché de Titmuss -
Arrow (1972, p. 360) le situe en miroir de la position de Hayek - le problème
posé par l'ouvrage n'en est pas moins considéré par eux comme fondamental :
« En dépit - et en partie en raison de - ses défauts, le livre de Titmuss est une
évocation forte de problèmes centraux concernant les valeurs [...] Ce n'est un
travail ni systématique ni abstrait sur les fondements de l'éthique. Ce n'est ni
une description méticuleuse ni une analyse causale du fonctionnement des
systèmes sociaux. Mais en offrant un engagement passionnément informé en
faveur d'un ordre social idéal, en illustrant les problèmes posés par une situa
tionconcrète, il a considérablement enrichi la qualité du débat social et philo
sophique. » (ibid, p. 362).

Don, marché et industrie

À considérer la question du bénévolat à la lumière des études ayant montré


comment le système français de transfusion sanguine avait été pris en défaut
au cours des années 1983-1985, la position du bénévolat par rapport au
marché demande à être examinée à nouveau. Cet événement, bien docu
menté (10), met en évidence le problème posé par la collecte du sang auprès
de bénévoles. En effet, si Titmuss avait pour sa part insisté sur la nécessité de
sélectionner soigneusement les donneurs en raison des problèmes de transmis
sion de l'hépatite (Titmuss, 1970, pp. 70-73), il ne pouvait imaginer le tour
dramatique que prendrait l'affaire dix ans plus tard avec le virus du sida. La
difficulté tient au fait que la sélection des donneurs devient plus délicate : elle
demande à ce que ceux-ci fassent état de dimensions habituellement d'ordre
privé (toxicomanie, pratiques sexuelles), de leur identité sociale et non plus
seulement de leur histoire médicale individuelle. Cela revient à douter de la
valeur du don et, rapidement, à douter du donneur lui-même ; c'est encore
plus sensible lorsqu'il s'agit des donneurs homosexuels, population particu
lièrement sensible face à tout ce qui prend l'allure de la discrimination. Plus
généralement, le fait de suspecter le donneur bénévole remet en cause d'une
manière brutale l'image positive qui avait été forgée au sortir de la Deuxième
Guerre mondiale. Le système de transfusion reposant sur la collecte fondée
sur le bénévolat, le donneur était au centre de l'affaire, le pivot de toute la
chaîne de la transfusion sanguine (Setbon, 1993, p. 90, p. 120 ; Hermitte,
1996, pp. 109-114, p. 191 ; Morelle, 1996, pp. 344-345, p. 365) : le remettre
en cause, fût-ce partiellement, risquait de mettre à bas tout l'édifice.

(10) Plusieurs études ont examiné l'origine ou d'une manière comparative en Europe
et le déroulement de l'affaire en France (Setbon, 1993 ; Steffen, 2000).
(Hermitte, 1996 ; Morelle, 1996 ; Beaud, 1999)

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Néanmoins, il ne faut pas manquer les dimensions organisationnelles et


industrielles qui se trouvent derrière le geste du don de sang ; dès lors que
l'usage médical du sang explose dans les années soixante, ainsi que Titmuss
le montre, il s'ensuit une montée des organisations chargées de traiter en
masse des situations normalisées, soit en se pliant à une logique économique
soit en se liant au fonctionnement des États-providence (11). Certes, dans le
cas français, il a été souligné combien l'Administration s'était révélée peu
efficace face aux problèmes de sélection des donneurs, notamment en ayant
recours aux collectes de sang effectuées dans les prisons, collectes au cours
desquelles il semble avéré que la sélection était peu rigoureuse, alors que les
populations se trouvaient parmi les « groupes à risque » (Morelle, 1996,
pp. 41-44). Le problème de la sélection des donneurs était pourtant devenu
d'autant plus aigu que les techniques de traitement du sang collecté avaient
été modifiées en profondeur : c'est le cas avec le poolage (mélange du sang
de plusieurs milliers de donneurs) et le fractionnement du sang total pour
obtenir des dérivés stables (albumine, fibrinogène, immunoglobine, facteurs
VIII antihémophilique), progressivement rangés dans la catégorie juridique
des médicaments. En effet, il convient de distinguer entre le sang total,
produit dont la conservation est de courte durée (un mois), et les produits
issus d'un traitement industriel du sang ou du plasma collectés, qui peuvent
ensuite être conservés longuement (un an ou plus). Cette distinction est essent
ielle dans la mesure où, au travers des progrès de la technologie et de l'offre
de traitements plus appropriés, c'est le monde industriel qui fait son entrée
dans le système du don de sang et de la transfusion. Comme l'ont rappelé Luc
Boltanski et Laurent Thévenot (1991), l'activité économique tient aussi bien
au monde marchand qu'au monde industriel, même si les formes de la gran
deur n'y sont pas les mêmes - ici le prix, là l'optimisation technique et la
performance. Dans le cas présent, il est significatif de voir la logique écono
mique s'infiltrer par le monde industriel plutôt que par le monde marchand à
proprement parler. La raison en est simple à comprendre : le monde industriel
et sa logique d'efficience technique sont en première ligne dès lors qu'il faut
produire en masse des produits normalisés selon des normes de sécurité
élevées. Bien sûr, derrière cette logique se profile la logique économique,
qu'il s'agisse de celle du profit dans le secteur marchand ou de celle du non-
profit dans le système transfusionnel tel qu'il fonctionne en France (12). Dans

(11) M. Setbon (1993, pp. 75-80) offre une types de produits sanguins fournir, à quel coût,
présentation claire du système organisationnel etc.). Pour se faire, comme le montre non sans
français de transfusion sanguine, système qui, quelque parti pris Hermitte (1996, pp. 143-
au début des années quatre-vingt-dix, 149), le ministère de la Santé, organisme de
employait 11 000 personnes. tutelle des établissements de transfusion
(12) Le secteur du non-profit dépend lui sanguine, manipule les prix de cession des
aussi d'une contrainte budgétaire (fixée par produits entre les différents établissements. Ces
l'organisme de tutelle), il doit mener à bien des prix de cession, certes déterminés autrement
opérations de recherches et développement, que des prix de marché, n'en jouent pas moins
doit investir, etc. Il lui arrive aussi d'importer leur rôle d'information et d'incitation selon
et d'exporter, donc de se confronter aux prix du lequel les acteurs du système prennent leurs
marché international. Il a aussi des choix à décisions en fonction de la marge de manœuvre
effectuer entre différentes alternatives (quels qui est la leur. Là encore, il ne faut pas croire à

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le cas du sang contaminé, cette dimension technologico-économique est


souvent concentrée sur la figure managériale du Dr Garetta, alors directeur du
Centre national de transfusion sanguine (Hermitte, 1996, p. 115, p. 166;
Morelle, 1996, pp. 300-302) ou bien elle se niche dans les luttes d'influence
autour des autorisations de mise sur le marché des tests de dépistage où
l'Institut Pasteur fait face à son concurrent américain Abbot (Morelle, 1996,
pp. 60-64).
On observe ainsi le fait suivant : les pays européens, majoritairement orga
nisés autour du principe du bénévolat - l'exception la plus notable étant
l'Allemagne - se trouvent en position de satisfaire leurs besoins en sang total,
mais ils ne sont pas en mesure de le faire lorsqu'il s'agit de produits comme le
plasma et les dérivés stables, notamment le facteur VIII, distribué aux hémop
hiles. Ces produits sont donc importés de pays dans lesquels la collecte n'est
pas fondée sur le bénévolat, mais contre rémunération. De ce fait, le bénévolat
ne peut plus aussi facilement qu'auparavant être présenté comme une
bannière simple derrière laquelle les pays vertueux se rangeraient pour dési
gner ceux qui le seraient moins. Importer du plasma en provenance des États-
Unis revient de facto à faire usage d'un sang collecté contre paiement tout en
ne voulant pas assumer la décision de mettre en place un tel système de
collecte (Setbon, 1993, p. 124 ; Hermitte, 1996, pp. 177-185 ; Schwartz, 1999,
p. 47). Il existe ainsi, en Europe et aux États-Unis, un double circuit du sang :
le sang entier est collecté sur la base du bénévolat et demeure dans l'orbite du
non-profit alors que le plasma et les produits dérivés ressortissent du monde
de l'industrie et de la logique économique orientée vers le profit. Pour faire
image, on peut dire que, comme dans la théorie économique autrichienne,
plus le détour est long entre l'acte initial (la collecte) et le produit prescrit (ici
le sang total, là les produits stabilisés), plus le processus devient « capitalis-
tique » et plus la logique économique devient prégnante, même si elle est en
partie masquée par le fait de passer par les mécanismes du marché mondial et,
surtout, par le monde industriel mettant en avant la fiabilité, la sécurité de
produits hautement purifiés.
Cette situation n'est d'ailleurs pas spécifique au sang puisque des phéno
mènes similaires se déroulent dans le domaine du don d'organes. Là aussi, on
voit apparaître une différence entre les organes dont la durée d'usage est
brève ou très brève (13) et ceux pour lesquels il existe une possibilité de tra
itement industriel au travers de techniques de conservation par le froid dans les
banques d'organes. Alors que les règles retenues par le législateur, en Europe,
mais aussi en Amérique du Nord, insistent fortement sur la dimension de don,

(suite note 12) référence au marché (Eccles et White, 1988).


une opposition simple entre public et privé, (13) Ce délai, mesuré par la durée
dans la mesure où de telles difficultés existent à d'ischémie froide, est de 12 à 40 heures pour le
l'intérieur des entreprises privées, dès lors rein, 5 heures pour le cœur, entre 12 et 18
qu'une firme est divisée en plusieurs centres de heures pour le foie, 6 heures pour le pancréas et
profit reliés entre eux par des flux de bien inter- 4 heures pour le poumon (Nefussy-Leroy,
médiaires ou de produits finis cédés selon des 1999, §491).
prix de cession décidés par la hiérarchie sans

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c'est-à-dire de gratuité, qui doit s'imposer en matière de don d'organes, la


possibilité technique de la conservation des tissus modifie la frontière entre
don et marché. Lorsque les tissus prélevés peuvent être conservés par des
entreprises spécialisées, l'entremêlement de la logique du don et de celle du
marché devient évident et problématique en proportion. Aux États-Unis
notamment, les banques de tissus sont souvent des entreprises privées enga
gées dans une concurrence pour l'obtention des tissus d'une part, pour la
vente de leurs services aux hôpitaux transplanteurs de l'autre. Bien sûr,
comme le déclare sans détour David A. Fragale, directeur de la Cryolife Inc,
ces entreprises doivent dégager des profits, et la distinction entre gratuité et
but lucratif devient floue dès lors que de telles entreprises interviennent entre
le donneur et le receveur (14). Certes, rappelle Fragale, la loi interdit la
commercialisation en la matière et aucune rémunération monétaire (financial
incentives) ne peut être versée en cas de don, toutefois, poursuit-il, « les
ressources financières jouent un rôle important dans les stratégies de market
ing mises en place par les banques d'organes et de tissus. Tout en ne propo
santpas directement de rémunérations monétaires (financial incentives) pour
les dons d'organes et de tissus, les banques sont continuellement à la
recherche de moyens pour lever les aspects monétaires susceptibles d'y faire
obstacle (financial disincentives) auprès des hôpitaux, des médecins, des
experts médicaux, de ceux qui déclarent la mort cérébrale, des pompes funè
bres, impliqués dans le processus de don » (Fragale, 1996, p. 200).
Bref, la prise en compte de la dimension industrielle de la transfusion
sanguine ou de la greffe d'organes, dimension étroitement liée au contenu
technique des thérapeutiques, modifie en profondeur la nature du débat entre
don et marché. On ne peut donc se contenter de focaliser l'attention sur le
donneur et sur sa motivation pour caractériser la nature de l'ensemble du
système. Les aspects organisationnels et industriels qui s'infiltrent entre les
deux sont devenus décisifs pour apprécier ce qu'il en est de la relation ou de
la confrontation entre don et marché.

La construction sociale du don

L'impact de l'ouvrage de Titmuss a aussi à voir avec l'œuvre de Polanyi et


celle de Mauss. En soulignant que le sang est collecté, Titmuss indique qu'il
s'agit d'un bien non produit, étroitement lié à l'humain, qui lorsqu'il est
commercialisé entre dans la catégorie des marchandises fictives, ainsi que
Polanyi avait qualifié le travail, la monnaie et la terre. En militant pour le
« droit de donner », même si le don auquel il s'intéresse a peu à voir avec la

(14) «Cette concurrence se déroule d'une devenir la norme reçue aux États-Unis et elle
manière à brouiller une démarcation philoso- crée beaucoup de débats et de remises en cause
phique, auparavant claire, entre les organisa- dans les domaines de la santé à l'intérieur de la
tions visant ou non le profit [...] Cette frontière Communauté européenne. » (Fragale, 1996,
philosophique floue entre le comportement en p. 199).
vue du profit ou du non-profit est en train de

364
Philippe Steiner

triple obligation maussienne de donner, de recevoir et de rendre (15), Titmuss


(1970, chap. 17) se trouve marcher sur les brisées de Mauss et de son appel à
revenir « à un motif dominant trop longtemps oublié » (Mauss, 1980, p. 262).
Chez les trois auteurs, il s'agit de réfléchir sur les liens entre les relations
marchandes et les valeurs sans lesquelles on peut douter de la persistance de
la vie sociale ; toutefois, le travail de Titmuss a ceci de particulier qu'il consi
dèreuniquement la société contemporaine. Il n'est pas question de soutenir
l'idée selon laquelle l'anthropologie et l'histoire ne seraient pas capables
d'apporter des contributions majeures à la compréhension de la société
moderne tant, précisément, les travaux de Polanyi et de Mauss prouvent le
contraire ; mais il n'est pas non plus nécessaire de souligner qu'il y a souvent un
long travail analytique et empirique à mener à bien pour passer aux sociétés
contemporaines. Plutôt que de mesurer la fidélité de Titmuss à la lettre de
Polanyi et de Mauss (16), il convient d'évaluer sa contribution en termes
d'éclairage jeté sur le fonctionnement des sociétés contemporaines lorsque les
exigences axiologiques se heurtent à la rationalité économique.
Alors qu'il est fréquent de disputer sur le bénévolat et le don pour en
apprécier l'importance vis-à-vis du comportement intéressé et du marché,
pour en magnifier la pureté et la pulsion fondamentale qui s'y manifestent
(Godbout et Caillé, 1992 ; Godbout, 2000), le travail de Titmuss prend certes
à son compte l'idée d'une pulsion fondamentalement humaine à donner, mais
il s'inscrit dans la tradition sociologique selon laquelle le problème central est
de déterminer le pourquoi et le comment de la forme sociale particulière que
prend cette pulsion, sa place dans le système social et son mode de fonction
nement(17). Bref, Titmuss a mis le doigt sur une idée importante, souvent

(15) L'auteur en est conscient et il sera pas traité ici.


s'explique sur ce point (Titmuss, 1970, p. 280); (16) II n'y a pas de la part de Titmuss un
néanmoins, il remarque que, dans un pays où la effort particulier pour rattacher son travail aux
collecte est fondée sur le don, l'idée de rendre sources intellectuelles que fournissent Polanyi
est assez souvent associée au fait d'avoir et Mauss ; l'étonnement ou le rejet dont
bénéficié de transfusion (ibid, p. 196). Une certains commentateurs ont fait état (Douglas,
enquête canadienne fait apparaître que 22 % 1971), doivent beaucoup au fait qu'il a
des personnes interrogées lors d'un don de sang développé sa réflexion sans s'inquiéter d'une
considèrent important ou très important le filiation mûrement établie sur l'encastrement
« sentiment de rendre pour une transfusion » ou le désencastrement qui serait associé à la
(Lightman, 1981). La référence au don marchandise fictive qu'est le sang, sur la façon
maussien est à la fois très prégnante chez les dont la théorie maussienne du don peut être
sociologues qui s'intéressent au don d'organes appliquée dans la Grande-Bretagne et dans les
(Fox et Swa7ey, 1972, 1992) et très discutée États-Unis des années soixante.
(Godbout, 2000) en raison de la difficulté d'y (17) On peut ici faire référence à la
appliquer les trois obligations dégagées par manière dont les sociologues classiques
Mauss. Certains privilégient l'approche de travaillent lorsqu'il s'agit de la pulsion au gain
Polanyi, en termes de processus de redistr (Max Weber) ou de l'individualisme (Alexis de
ibution (mettant en jeu des individus et un Tocqueville). Ils y voient une pulsion fonda
centre politique), pour indiquer que si don/ mentale de l'humanité, mais leur propos vise à
contre-don il y a, il se déroule entre profes élucider les formes sociales spécifiques que
sionnels, c'est-à-dire entre les équipes qui prennent ces pulsions, dans le capitalisme pour
prélèvent et greffent les organes (Paterson, le premier, dans la démocratie moderne pour le
1997 ; Herpin et Paterson, 2000). Ce point ne second.

365
Revue française de sociologie

négligée : le don est le résultat d'une construction sociale. On peut le montrer


en examinant le don d'organes à la lumière des faits et des tendances de ces
deux dernières décennies.

Le don d'organes et le problème de la collecte

Depuis la fin des années soixante, avec l'amélioration des techniques médi
cales et des médicaments anti-rejet en matière de transplantation d'organes et
de greffe de tissus, des pans entiers du corps humain sont devenus l'objet
d'une attention soutenue de la part du monde médical. Des données prises au
niveau de la communauté européenne permettent d'en prendre une mesure,
partielle mais significative : en 1992, il y a eu un total d'environ 27 000
greffes (2 000 pour la moelle osseuse, 10 000 pour les cornées) et transplanta
tions d'organes (10 000 pour les reins, 2 500 pour le cœur, 2 800 pour le foie)
- les données concernant les os et les valves cardiaques n'étant pas incluses ;
environ un demi-million d'Européens avaient été greffés à cette date (Englert,
1995). Le besoin d'organes s'accroît avec les progrès technologiques et
l'offre de soins plus large auxquels ces derniers aboutissent ; cependant, à
partir du début des années quatre-vingt, on constate un écart croissant entre
les transplantations effectuées (elles-mêmes en augmentation significative) et
le nombre de patients en attente de soin : cette situation de pénurie (18) appar
aîtcomme une donnée majeure du problème posé par la collecte d'organes.
Pour les transplantations rénales, alors qu'environ 1 000 patients étaient sur
liste d'attente en 1982, ils se trouvent être environ 4 000 dans ce cas en 1992,
comme en 1995 (ibid, p. 158 ; Carvais et Sasportes, 2000, p. 265). Le fait
d'être sur une liste d'attente, malgré l'existence de traitements alternatifs
(dialyse), n'est pas dépourvu de risque puisque l'on évalue à 5 % le nombre
de patients inscrits qui décèdent dans l'année. La situation prend un tour
dramatique dans le cas des malades attendant un organe sans qu'existent des
soins alternatifs : la mort frappe 25 % des malades attendant une greffe de
cœur ou de foie, 50 % dans le cas de la greffe de moelle osseuse (Englert,
1995, p. 3, p. 159).
Le problème de la collecte d'un nombre croissant d'organes et de tissus, de
même que celui de la collecte de sang étudié par Titmuss vingt ans plus tôt,
est central : l'évolution récente des greffes montre que l'on butte sur ce
problème, c'est-à-dire sur l'insuffisance du nombre de donneurs (19). Face à
une telle situation, les réponses apportées en Europe, aux États-Unis et dans
nombre d'autres pays sont en phase avec la démarche de Titmuss :

(18) La pénurie peut être mesurée en pour notre propos : alors que le nombre annuel
termes de longueur de la liste d'attente, de des greffes s'élève régulièrement dans les
durée d'attente ou du nombre de décès de années quatre-vingt, passant de 700 en 1980 à
malades inscrits sur la liste d'attente (Carvais et 3 000 en 1988, pour culminer au début de la
Sasportes, 2000, p. 265, pp. 321-323). décennie suivante (3 282 en 1992), elles
(19) Les données sur le nombre de greffes diminuent depuis avec, respectivement, 2 856
en France en fournissent une mesure suffisante et 2 839 greffes en 1995 et 1997.

366
Philippe Steiner

l'altruisme, seul, doit prévaloir et aucune commercialisation ne doit inter


venir. On peut remarquer la récurrence de telles exigences auprès de divers
organismes nationaux et internationaux proscrivant toute intervention
marchande en la matière (20). Cette récurrence ne signifie pas nécessairement
que les faits échappent aux souhaits énoncés par les différentes instances : le
trafic d'organes, souvent situé au niveau international, fait plus l'objet de
rumeurs que d'études probantes (Carvais et Sasportes, 2000, pp. 357-372) et
le milieu médical se montre très sceptique quant à l'existence d'un trafic
d'organes au niveau mondial en raison des contraintes technologiques qui
pèsent sur les différentes étapes du processus menant de la collecte à la greffe,
en raison aussi de la complicité qui devrait exister entre les différentes
équipes médicales pour ce faire (Englert, 1995, pp. 70-71). De quoi est-il
alors question au travers de ces injonctions répétées ?

L'institutionnalisation du «droit de donner»

On peut bien sûr penser au souci de réaffirmer la volonté de ceux qui


souhaitent tenir à l'écart les tenants d'une idéologie en faveur du marché et de
la commercialisation du don d'organes, ainsi que le suggèrent Renée C. Fox
et Judith P. Swazey(21). Ce point rapproche de la situation qui avait vu
Titmuss prendre la plume, mais il ne doit pas masquer la dimension de cons
truction sociale, notamment au niveau politique et juridique, du don de sang
ou d'organes.
Une recherche comparative menée sur un pays où les dons de reins entre
vifs sont très peu nombreux (la France) et un pays Scandinave où, au
contraire, ils sont fréquents (la Norvège) est instructive de ce point de vue
(Lorentzen et Paterson, 1992). Alors qu'en France 41 % seulement des
patients inscrits sur liste d'attente ont bénéficié d'une greffe en 1990, il n'y a
pas de pénurie d'organes en Norvège. Les auteurs relèvent que les deux pays
ont une politique nettement différente en matière de collecte : en Norvège, la
collecte repose d'une manière importante sur les dons de rein de la part des
proches du malade (49 % des patients transplantés en 1990 sont dans ce cas),

(20) La World Health Organization entre 1968 et 1973 (Fox et Swazey, 1992,
consacre 5 de ses 9 principes directeurs en p. 65).
matière de transplantation d'organes (1990- (21) Les deux auteurs terminent un
1991) à cerner le problème: «Guiding chapitre intitulé «Alterations in the theme of
Principle 5. The human body and its parts the gift » par cette remarque : « Car c'est plus
cannot be the subject of commercial transac- qu'une coïncidence de constater que l'approche
tions. Accordingly, giving and receiving marchande du don d'organes a gagné en
payment (including any other compensation or vigueur au cours des années quatre-vingt,
reward) for organs should be prohibited. » quand une certaine vision du marché est
(Englert, 1995, p. 90). La résolution du devenue plus répandue et plus "attractive" dans
Parlement européen du 14 septembre 1993 va la société américaine non seulement dans le
dans le même sens (ibid, pp. 93-94). Pour les domaine économique mais aussi dans "ses
États-Unis on peut se reporter au Uniform dimensions morales et sociales". » (Fox et
Anatomical Gift Act adopté, sous une forme ou Swazey, 1992, p. 72).
une autre, par les différents états de l'Union

367
Revue française de sociologie

tandis que la France se situe au plus bas des pays européens avec un taux de
2,7 %, l'essentiel des organes transplantés venant de prélèvement cadavé
rique(22). L'exception concerne les enfants pour lesquels une proportion
élevée des greffes s'effectue à partir du don des parents (31 % en 1989, 21 %
en 1990) à un niveau similaire à celui de la Norvège {ibid, p. 136). Les
auteurs écartent une possible réponse « culturaliste » selon laquelle les Norvé
giens seraient altruistes alors que les Français ne le seraient pas (ibid,
p. 122) (23), pour se centrer sur les conditions de fonctionnement des deux
services de soins.
L'éthique professionnelle des médecins des deux pays est proche puisque
dans les deux cas ils sont vigilants vis-à-vis de la commercialisation et des
pressions exercées auprès des donneurs ou donneurs potentiels ; de même, il y
a accord sur les risques de dégradation de la santé (physique ou morale) pour
le donneur (Lorentzen et Paterson, 1992, p. 125), même si les médecins fran
çais sont généralement opposés à une telle procédure considérée comme une
dégradation volontaire de l'individu sain. Reprenant un argumentaire théorisé
par Jon Elster (1992), les auteurs soulignent les différences institutionnelles
profondes entre les deux pays : dans le don d'organes, il ne s'agit pas d'un
acte engageant uniquement le donneur et le receveur, le médecin n'interve
nant qu'à titre de technicien une fois le choix effectué. Bien au contraire, les
auteurs insistent sur le rôle crucial de l'institution médicale. Deux éléments
factuels interviennent : d'une part, le monde médical français, réticent devant
de tels actes, n'encourage guère le don de rein (peu d'information disponible
sur cet acte, au contraire de ce qu'il en est de la dialyse) et craint un effet
négatif auprès des équipes chargées des prélèvements cadavériques. D'autre
part, en raison de choix technologiques antérieurs, la France est largement
équipée en appareils de dialyse ce qui n'est pas le cas de la Norvège : il y a
des arguments économiques qui poussent donc dans le sens de l'utilisation de
l'offre de soins existante en France (75 % de malades dialyses et 25 % de
greffes) comparativement à ce qu'il en est en Norvège où la dialyse est consi
dérée comme un traitement d'attente (17 % de malades dialyses contre 83 %
vivant avec un greffon) (Lorentzen et Paterson, 1992, p. 130). En d'autres
termes, il existe une structure institutionnelle différente entre les deux pays au
niveau technologico-économique (parc d'appareils de dialyse et rentabilité

(22) Sauf les cas spécifiques de la Grèce, 1991) : mais cette situation provient du fait que
de la Yougoslavie et de la Turquie (mais pour la notion de mort cérébrale n'a été admise que
des niveaux absolus très faibles - un total de très récemment (1999) et que, en conséquence,
160 transplantations en Grèce en 1992 - liés à seul les dons entre vifs y étaient possibles,
la difficulté que ces pays rencontrent à (23) Le fait que les Français soient plus
organiser un système de greffes d'organes), les altruistes lorsqu'il s'agit de don de sang (le
données confirment la faible proportion de nombre de dons par million d'habitants est de
dons entre vifs dans le total des greffes effec- 7,6 % en France, contre 4 % en Grande-
tuées en 1992 : France (2,5 %), Grèce (42,5 %), Bretagne et 5 % en Suède) vient à l'appui de
Italie (15,2%), Espagne (1%), Pays scandi- leur démarche. Il faut d'ailleurs noter qu'avec
naves (25,8 %), Suisse (1 1,6 %), Royaume-Uni les associations de donneurs de sang bénévoles,
(4,8%), États-Unis (23,8%) (Englert, 1995, la France est dotée d'un important encadrement
p. 113). Le Japon est un cas à part, avec un institutionnel,
record de 78 % des greffes entre vifs (chiffres

368
Philippe Steiner

économique de ce parc) et au niveau de la confiance sécrétée par ces deux


structures : contrairement à ce qui se passe en France (24), d'un bout à l'autre
de la chaîne institutionnelle allant du donneur au receveur, le système médical
norvégien parle d'une même voix en faveur du don d'organes.
Une présentation du système institutionnel espagnol (Matesanz, Miranda et
Felipe, 1995) vient à l'appui de l'étude faite sur le système norvégien tout en
étendant l'enquête au don d'organes post mortem, c'est-à-dire à la forme la
plus courante du don en la matière. À partir de 1989, l'Espagne a mis en place
un programme destiné à améliorer la collecte d'organes prélevés post mortem;
ce programme passe par l'accroissement du nombre de médecins et d'infir
mières jouant le rôle de coordinateurs entre les équipes dans lesquelles le
prélèvement peut-être fait et les équipes assurant les transplantations. Ces
équipes de coordination sont en relations avec les institutions pouvant jouer
un rôle de leader d'opinion (Église, média, association de malades, etc.) ;
enfin une structure nationale coordonne les efforts des équipes décentralisées
sur tout le pays. Les résultats sont clairs, même s'ils ne portent que sur une
période limitée : le taux de prélèvement (en prélèvement pour un million
d'habitants) est passé de 14,3 donneurs en 1989 à 17,8 (en 1990), 21,7 (en
1992) pour atteindre 25 en 1995 (ibid, pp. 106-108; Carvais et Sasportes,
2000, p. 268). Cela situe l'Espagne parmi les pays les plus altruistes puisque
les autres pays européens sont loin de tels taux, même les pays Scandi
naves (25).
Pour employer un langage devenu courant lorsqu'il est question des rela
tions marchandes, on peut dire que l'altruisme est construit socialement. Les
formes sociales que l'altruisme ou le don peuvent prendre ne sont pas direct
ementle fruit de la pulsion de donner, et il faut tenir compte précisément des
conditions institutionnelles grâce auxquelles cette pulsion peut trouver à
s'exprimer.

Comportement intéressé, bénévolat et diffusion de la vision économique


du monde social

Dans le débat qui opposait Titmuss aux économistes, un point central de la


discussion a été celui de savoir si l'altruisme devait ou non être préservé du

(24) Les auteurs indiquent : « L'attitude de l'idée qu'il y a un « altruisme à prescripteur »


rétention d'une partie des dialyseurs, dénoncée de même que l'on parle de « marché à
par les transplanteurs, ne facilite pas la collabo- prescripteur » dans le cas où l'acheteur a besoin
ration entre les médecins des deux spécialités. » de faire appel à un « expert » pour disposer des
(ibid, p. 133), pour souligner: «Pour le connaissances nécessaires à la prise de décision
malade, cette division conflictuelle du travail (Hachtuel, 1995).
signifie d'une part une probabilité forte de ne (25) À la même date (1992), les taux de
jamais être adressé à un service de transplan- prélèvement d'organes (par million d'habitants)
tation, d'autre part qu'il est susceptible de se situent entre 5,5 (Italie) et 18,5 (Portugal) ;
recevoir des informations contradictoires sur le Royaume-Uni, la France et les Pays scandi-
les thérapeutiques qui peuvent lui être naves étant proches (respectivement : 15,5 ; 16
offertes.» (ibid, p. 134). On peut suggérer et 16,8) (Englert, 1995, p. 113).

369
Revue française de sociologie

marché. La position de Titmuss était que l'un excluait l'autre, tant le marché
se révélerait corrosif pour les comportements sociaux ; cette position revenait
à considérer que parmi les institutions définissant le « droit de donner » se
trouvaient aussi des représentations, des manières de faire, de penser et de
sentir pour reprendre la fameuse formule durkheimienne. Or, sur ce point, il
ne semble pas avoir été suivi, alors même que, nous l'avons vu, pour des
raisons éthiques, les institutions internationales adoptent une position simi
laire à la sienne lorsqu'il est question de la non-commercialisation du corps
humain. La thèse de Titmuss a récemment reçu le renfort des réflexions de
Bruno S. Frey (1997).
L'idée principale est de distinguer deux types de motivations au point de
départ du comportement économique : la motivation extrinsèque correspond à
ce sur quoi l'économiste a l'habitude de raisonner au travers de l'effet-prix
(une hausse du prix ou de la récompense élève l'offre du bien ou l'incitation à
agir dans le sens voulu) alors que la motivation intrinsèque repose sur le fait
que l'acteur trouve en lui-même les ressources qui le motive à offrir le produit
ou le comportement désiré. Frey s'intéresse à l'interaction entre les deux
types de motivations pour expliquer certaines des anomalies que révèlent les
comportements effectifs en comparaison de ce qui est attendu du comporte
ment maximisateur. La motivation intrinsèque peut être renforcée par l'effet-
prix lorsque le second est perçu en tant que valorisation de la première,
comme cela peut être le cas d'une rémunération symbolique signifiant l'effort
accru; elle peut au contraire être amoindrie ou disparaître si le second est
perçu comme un manque de reconnaissance de la première. L'économiste
raisonne habituellement en négligeant la motivation intrinsèque au nom de
son désintérêt pour le contenu des fonctions de préférences, données et inva
riantes pendant la période d'analyse. Mais, si l'on sort du cadre étroit dans
lequel l'économiste se place, et que l'on tient compte des valeurs et de la
rationalité axiologique (Boudon, 1998), on conçoit que l'effet-prix peut avoir
comme résultat non voulu d'amoindrir (effet d'éviction faible) ou de détruire
(effet d'éviction fort) la motivation intrinsèque, ce qui a pour conséquence de
diminuer la contribution lorsque cette motivation est essentielle à l'action.
Frey ajoute que, dans les cas où la motivation intrinsèque a un rôle important,
il peut apparaître un effet de diffusion (spill-over effect) selon lequel la
destruction de la motivation intrinsèque sur un domaine se propage dans
d'autres. Dans un langage plus proche de celui de la théorie économique, Frey
retrouve donc, en le modérant il est vrai, l'argument de Titmuss (26) contre
lequel les économistes s'étaient élevés.

(26) D'autant plus que Titmuss avait eu phénomène du genre de celui que Margaret J.
l'habileté d'élargir son horizon au-delà du don Radin (1996, pp. 95-101) appelle la théorie du
de sang : il évoquait déjà le don d'organes, domino, et que Frey dénomme le « spill-over
mais aussi des dons moins perceptibles, comme effect », à savoir l'impact de la destruction des
le don de soi des malades hospitalisés dans valeurs dans d'autres sphères que celles qui
l'expérimentation médicale (Titmuss, 1970, sont immédiatement concernées,
p. 280). Cela suggère qu'il avait à l'esprit un

370
Philippe Steiner

Une fois ce pas fait, la théorie économique n'a plus guère les moyens
d'opposer de résistance à une analyse proprement sociologique des représent
ationsde l'économie et de leur impact sur l'activité économique. Par
exemple, lorsqu'il s'agit de rendre compte du comportement face à des biens
publics, les expériences de psychologie économique font régulièrement appar
aître que le comportement intéressé n'a pas l'évidence pratique qu'on lui
prête et que les sujets soumis à l'expérience, même si on leur explique la
nature de la configuration (le « cavalier seul »), même si l'on vérifie qu'ils en
ont bien compris le mécanisme, ne confortent pas les prédictions de la théorie
économique (Marwell et Ames, 1981 ; Palfrey et Prisbrey, 1997) en étant
considérablement plus coopératif que la poursuite rationnelle de leur intérêt
personnel ne l'exigerait. Il est significatif qu'un seul groupe de sujets a fait
apparaître un comportement proche des prédictions économiques : le groupe
des étudiants en économie. D'autres expériences, tenant compte des effets liés
à la durée des études, à la réputation des enseignants (plus ou moins favora
bles à l'économie standard) ont confirmé l'intuition initiale : le fait d'avoir
étudié l'économie limite la tendance à la coopération (Frank, Gilovich et
Regan, 1993). Pour reprendre une formule de Michel Callon (1998), il y a
aussi à tenir compte de la « construction économique de la réalité écono
mique ». La position de Titmuss demandant que l'altruisme soit protégé du
contact avec le secteur marchand semble toujours aussi extrême, mais elle
n'est pas dépouillée de pertinence empirique, tant il est vrai que, selon
l'acception durkheimienne de l'institution, les représentations participent de
la construction sociale des comportements.

Avec le don de sang, comme avec le don d'organes, le don s'est institution
nalisé au sens où il existe un ensemble imposant d'institutions (politiques,
juridiques, économiques, médicales, relationnelles) encadrant chaque maillon
de la chaîne du don. Ce dernier acquiert ainsi une dimension de modernité en
raison de son aspect technique, voire machinique, en comparaison de ce qui
ressort des études consacrées aux échanges cérémoniels des sociétés archaï
ques.
Comme pour faire contrepoids à cette froideur technique du don moderne,
les institutions s'inquiètent en permanence des intentions des acteurs. Qu'il
ait à faire un acte positif ou négatif, le donneur fait l'objet d'une attention
méticuleuse, au point que le problème du changement de ses préférences peut
expliquer certaines des difficultés juridiques quand il s'agit d'un prélèvement
d'organe post mortem, ou les écarts entre la loi de juillet 1994 (définissant le
consentement présumé) et la pratique médicale qui tâche de s'informer auprès
des proches du donneur avant de faire un prélèvement d'organe. Lorsqu'il
s'agit de dons entre vifs, l'attention est encore plus scrupuleuse et l'on
s'inquiète des pressions mercantiles, des risques de nouvelles formes d'escla
vage,de la vindicte familiale, etc. Il en va de même des professionnels : les

371
Revue française de sociologie

opérateurs techniques du don (les chirurgiens et leurs équipes) ne doivent pas


être payés à l'acte pour signifier que leur motivation ne peut être fondée sur le
goût du lucre. De même, on s'inquiète des possibles effets de « paternalisme
médical » vis-à-vis des receveurs potentiels dont les souhaits sont pris en
compte d'une manière grandissante en raison du respect plus fort qui est
accordé à l'individu - l'objet de la religion moderne, disait Durkheim - et au
phénomène de polymorphisme moral selon lequel on accorde désormais plus
d'importance à l'expression des choix axiologiques revendiqués par tel ou tel
groupe social (Gromb et Garay, 1996). Sans doute qu'une des raisons fonda
mentales de ce fait tient à la surprenante similitude entre ces formes du don
moderne et l'échange marchand, à savoir l'anonymat dans lequel le premier
est maintenu de manière à protéger le receveur de la charge affective et
symbolique d'un don de vie. Le paradoxe est que cela rend précisément diffi
cile l'émergence de la valeur de lien que l'on associe généralement à cette
forme du commerce entre les êtres humains.

Philippe STEINER
L'fR Mathématiques, sciences économiques et sociales - Université Lille III
Domaine du Pont de Bois - BP 149
59653 Villeneuve-d'Ascq cedex
Philippe.Steiner@dauphine.fr

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