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Département de musicologie
Août 2017
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Jazz et musiques actuelles :
L’exemple de la scène Française
3
Université de Bourgogne
Département de musicologie
Août 2017
4
Remerciements :
Je tiens à remercier les artistes que j’ai eu la chance de rencontrer. Ils se sont tous
Je remercie ceux que je n’ai pas pu rencontrer mais qui ont pu m’accorder un peu
de leur temps pour répondre à certaines de mes interrogations. Nos entretiens sont par
Sorbonne, pour la distance et le regard qu’il a apporté, même indirectement, sur mon
sujet.
5
INTRODUCTION : 8
2 DE NOUVEAUX STANDARDS 47
6
3.1.1 Qu’est-ce qu’une composition jazz ? 88
CONCLUSION : 125
SOURCES 132
ANNEXES 148
7
INTRODUCTION :
siècle, naît et grandit dans un contexte, un climat social et économique singulier qui a
eu, et a toujours, un impact direct sur la création, et ainsi sur le sens du genre en
question. En observant les évolutions des esthétiques qui traversent le jazz, on retrouve
une représentation fidèle de la société au fil du temps. C’est par ailleurs sans doute la
raison pour laquelle, de nombreux ouvrages introduisent les mouvances du jazz par un
contexte historique parfois large. L’un et l’autre sont indissociables pour saisir parfois le
sens, la raison de certains courants. L’exemple le plus évident qui puisse être cité est
relations et les schémas types de la musique tonale occidentale. D’une certaine façon, le
free apparait comme un courant rejetant la culture « blanche » au sien d’un genre
Le jazz n’est pas ce que vous (Blancs) avez voulu qu’il soit. Malgré les
classifications que vous avez établies depuis un demi-siècle, il peut se passer de tout ce
que vous aviez cru lui être essentiel ; il peut aussi s’approprier tout ce que vous aviez
cru lui être étranger. 1
De la même manière, la scène du jazz dont nous parlerons ici nait dans un
contexte très singulier. Ces trente dernières années ont vu l’effondrement de l’URSS
1
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.449.
2
KOSMICKI Guillaume, Musiques savantes : De John Zorn à la fin du monde et après…1990-
2015, Barcelone, Le mot et le reste, 2017, p.7.
8
comme dans de nombreux pays, les gouvernements se succèdent sans pour autant
l’environnement. L’objectif est de rapporter, plus vite et pour peu d’argent. Pour cela de
fermer leurs portent en France pour des pays à moindres coût. Les ouvriers continuent
licenciements. Dans la même veine, certains magasins mettent la clef sous la porte en
personnel. Comme l’ordinateur ou le téléphone, dans les années 90, début des années
2000, il n’y avait qu’un de ces appareils par famille. Aujourd’hui, même certains jeunes
sont plus des arguments de dissuasion pour ne pas écouter du rock japonais ou bien de
conditionnent notre façon de vivre de telle façon que maintenant tout doit être connecté,
tout doit être rapide, instantané. Il en va de même pour la production physique d’un
quelconque objet.
9
2/ Conditions de la musique post-moderne
3/ Et le jazz ?
Le paysage du jazz aujourd’hui n’a jamais été aussi éclaté. Les tabous de la «
exigences stylistiques issues des pratiques d’écritures enseignées dans les écoles de jazz.
3
KOSMICKI Guillaume, Musiques savantes : De John Zorn à la fin du monde et après…1990-
2015, Barcelone, Le mot et le reste, 2017, p.8.
4
Id.
10
transforment sa morphologie. Le jazz est une musique jouée dans le monde entier et
s’adapte à tous les environnements, de sorte à ce qu’il subisse toute une somme de
Des pôles de créations importants sont désormais partout à travers le monde. Il est
pôle américain, par tradition, et le pôle européen. Les échanges de musiciens sont
favorisés par la banalisation des transports aériens. Ils permettent aux musiciens
Une telle diversité dans la création du jazz actuel n’est pas sans provoquer des
débats autour de l’identité du jazz. Si bien que l’on pourrait se demander si l’on peut
Face à un tel éclatement, les critiques vont bon train, provenant aussi bien de
convainc pas toujours. Soit considéré comme ayant déjà été fait, soit comme étant trop
éloigné de la texture et des pratiques d’origines, le jazz souffre d’une crise d’identité qui
n’a peut-être jamais été aussi évidente. Dans un tel contexte, des questions telles que «
Le jazz est-il mort ?» ou encore « De quoi le jazz est-il le nom ? » sont récurrentes.
rapporte aujourd’hui, elles semblent plutôt légitimes. Il faut également rappeler que
cette question de l’identité du jazz est finalement une interrogation qui traverse
l’entièreté de son histoire, depuis presque sa naissance. Il faut se remémorer les prises
la position de Boris Vian, ou Charles Delaunay qui défendent une position plus
11
moderniste. Il faut comprendre que cette question a toujours été au centre de l’intérêt
des amateurs de cette musique. Pourtant avec le recul, on peut grossièrement considérer
que l’évolution du jazz s’est effectuée avec une certaine douceur grâce à la succession
des courants dominants. En effet, la plupart des ouvrages qui relatent cette histoire
long de l’histoire du jazz. Le livre de Franck Bergerot, Le jazz dans tous ses états5, ou
bien L’odyssée du jazz6 de Noël Balen ou encore Analyser le jazz7 de Laurent Cugny,
New Orléans
Swing
Be Bop
Cool
Hard Bop
Modal
Free
Jazz-rock/Fusion
5
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011.
6
BALEN Noël, L’odyssée du Jazz, Paris, Liana Lévi, 2012.
7
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009.
12
Laurent Cugny précise cette chronologie de la façon suivante8 :
Âges Périodes
1917-1930 Pré-swing
(Be-bop- cool-jazz et
Hard-bop)
1969 modal
Jazz-rock
considérations de chacun de ces auteurs diffèrent. Dans l’avant dernier chapitre de son
livre N. Balen parle de « jazz universel » alors que F. Bergerot parle « d’éclatement ».
Autrement dit, le jazz depuis les années 80 n’a jamais revêtit autant de formes ou
de texture différentes, sans pour autant définir un quelconque courant principal. C’est
pourquoi, avec un tel contexte, cette question identitaire n’a jamais eu autant de sens.
Franck Bergerot, évoque l’incertitude de l’avenir créatif du jazz à travers deux noms de
8
Ibidem, p.28.
13
chapitres tout aussi provoquant : « Le jazz en crise »9, « L’histoire en panne »10. Ces
quelques pages, issues du même ouvrage, mettent en avant la difficulté que rencontre le
monde du jazz à renouveler ses esthétiques pour renouer avec un certain public.
Selon Laurent Cugny, le contexte actuel est donc favorable depuis les années
1975 à ce que l’on pourrait appeler la période post-moderne du jazz. Elle se caractérise
par l’éclatement des mouvements qui constituent le genre à partir de la seconde partie
principal. Il s’agit d’un phénomène global qui n’est pas propre au jazz mais qui est
Comme l’affirme Franck Bergerot, à cette période, le jazz prend une sorte de
recul afin d’assimiler la densité des mouvements qui l’avaient jusqu’alors traversé, de
largement à ce phénomène, notamment avec des figures emblématiques telles que les
Le contexte est assez singulier, de 1980 à 2000, les écoles, les festivals, les
publications, les lieux du jazz sont nombreux. Tous ces moyens favorisent la diffusion
de la culture et de la tradition du jazz. Les écoles forment à ces pratiques, par des
et des différents mouvements qui constituent le jazz, tout comme si son histoire était
déjà scellée. L’identité du jazz ne fait alors aucun doute. Les musiciens de cette
14
principalement à être polyvalent, de façon à répondre à la demande d’une variété friande
de la couleur du phrasé jazzy. Aux Etats-Unis des écoles souvent citées telles Berklee
obtiennent une renommée internationale. Elles attirent des musiciens du monde entier et
de toutes les cultures. Car il faut rappeler que les voyages en avion deviennent de plus
en plus communs. Ils favorisent les échanges entre les pays et dans notre cas les
échanges de musiciens à travers le monde. Ces écoles sont souvent critiquées pour
l’académisme qu’elles engendrent dans les pratiques chez les musiciens actuels,
Il faut de plus ajouter que depuis le milieu des années 80, l’apparition des
engendrent une uniformité des pratiques du jazz. La notion de répertoire jazz devient
plus que jamais centrale, bien que la notion de standards ait toujours plus ou moins été
présente selon les périodes. Chaque époque a ses standards pour ainsi dire, au moins
Finalement déterminer ce que sont les standards du jazz à travers un recueil de partition
est une manière d’affirmer que l’on a déjà attribué des barrières au jazz. Bien-sûr toutes
les personnes qui pratiquent le jazz savent qu’il est nécessaire au préalable de connaitre
les codes qui permettent d’interpréter des partitions simplifiées. Mais ces codes
supposent eux même que les pratiques sont sous-entendues et figées par une
12
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.1069.
15
répertoire est rompue à des codes. Le RealBook est un produit commercial. Au regard
de ceci peut-on estimer que le futur du jazz est mis en péril par son propre passé ? En
effet, ce répertoire est bien entendu une part déterminante de l’apprentissage des élèves
qui sont formés à pratiquer cette musique, mais elle enferme la créativité de ces futurs
plupart des discographies d’un artiste, un album dédié aux standards du jazz. Par
ailleurs, la normalisation des formations enferme le jazz dans une morphologie sonore
et une routine qui confondent les artistes les uns aux autres. Combien trouve-t-on de
trios pour piano actuellement ? Bien entendu, certains se démarquent en proposant des
jazz au moins jusque dans les années 75, on remarque que l’esthétique, le langage et le
économique entrave l’avenir du jazz. Le premier marqueur révélateur est le public lui-
effet, le jazz est pour la majorité du public profane un genre figé. Cette ultra
produit ultra aseptisé de studio. La plupart des albums des frères Marsalis reflètent cet
ultra académisme exacerbé. J’averti bien entendu le lecteur qu’il ne s’agit absolument
pas de remettre en cause la qualité de ces musiciens, il s’agit plutôt d’apporter un regard
16
Malgré cet académisme, le jazz américain est toujours très important dans la
création du jazz actuel grâce à quelques dissidents comme John Zorn, Gilad Hekselman,
Brad Mehldau (issus néanmoins de la New School), pour ne citer qu’eux. Or lorsque
l’on sort du cadre de cette mégalopole, d’autres scènes paraissent se détacher des
pratiques de la tradition que l’académisme américain impose.13 Ces scènes sont d’autant
plus riches qu’elles proposent un visage du jazz qui sait, dans une certaine mesure,
Dans son dernier numéro du XXème siècle, la revue américaine Jazz times dressa
le constat d’un jazz européen avide de renouveau et pressé de couper les ponts avec les
modèles d’une Amérique conservatrice.14
décroissante les standards de ses esthétiques, aujourd’hui cette notion est complétement
tournée vers le passé de son ancienne gloire. On ne propose pas ou peu fréquemment de
standards du jazz composés ces dernières années dans les cessions improvisées.
Personne ne propose Arrow and loops15 de Ari Hoenig, ou bien The court Jester 16
de
plus aujourd’hui, à travers une relève de musiciens n’ayant pourtant jamais été aussi
performants dans la technique ? Voici donc les quelques traits qui établissent le paysage
13
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011, p.257.
14
Ibidem.
15
Ari Hoenig, Lines of oppression, Ari Hoenig (Batterie), Gilad Hekselman (Guitare), Tigran
Hamasyan (Piano), Orlando le Fleming (Contrebasse), Chris Tordini (Contrebasse), CD, indépendant NJ
621111, 2011.
16
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle). CD, 2013.
17
Cependant dans ce climat de tensions et de paradoxes, et avant de savoir si le
jazz est mort commençons par le définir. Comment pourrait-on expliquer ce qu’est le
jazz à un parfait néophyte en embrassant les diversités stylistiques des créations qu’il
propose dans ce que l’on considère comme son histoire. La question n’est pas nouvelle,
faut l’avouer, pour les pratiquants experts, professeurs en conservatoire, comme pour les
badauds, la réponse n’est pas évidente. Plus encore les avis divergent énormément selon
cette redondante question. Il faut avouer que la création jazz pose aujourd’hui cette
permet de rendre compte avec limpidité de ce qu’est le jazz. Pour cadrer le propos du
sujet, la définition de Laurent Cugny servira de socle.17 Il explique que trois visions du
historique. Elle prend en compte, comme son nom l’indique, le contexte dans lequel le
jazz a évolué et évolue. La seconde vision est musicologique, elle s’interroge sur les
A partir de l’étude de ces conceptions, Laurent Cugny conclue avec une définition
qui semble être un compromis de ces modes d’analyse. Il propose ainsi la définition
suivante :
17
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, p.36.
18
Sont perçues comme relevant du jazz, à une époque donnée et plus ou moins
complètement, les musiques manifestant en nombre significatif un certain nombre de
traits idiomatiques caractéristiques. Ces traits appartiennent à un ensemble idiomatique
se fondant notamment sur des pratiques particulières réservant une grande place à
l’improvisation, sur certaines conceptions de la sonorité et du rythme, et sur un
ensemble de tournures et de pratiques d’origine afro-américaine.18
liberté que Laurent Cugny semble accorder à ce que serait le jazz. En premier lieu, il
faut retenir la dimension subjective de cette définition qui laisse un certain nombre de
complètement ». Cette définition rend bien compte de la part de liberté que l’on peut
jazz et que souligne cette définition, certains musiciens actuels issus des scènes
d’ailleurs avec étonnement que l’on s’aperçoit que le public néophyte ne se représente
citer des noms d’artistes que seuls les adeptes connaissent, mais bel et bien des têtes
d’affiche comme Brad Mehldau ou Yaron Hermann. En effet, tous deux proposent des
arrangements de pièces issues du répertoire rock des années 90 comme certains titres
cette pratique est visible chez ces musiciens de renom, elle se démocratise d’autant plus
chez les amateurs dont on peut écouter les étonnantes prouesses sur YouTube.
18
Id.
19
• « Paranoïd Androïd » de Radiohead arrangé par Brad Mehldau
du jazz on s’aperçoit que l’aspect du jazz s’est métamorphosé. Ses métissages l’ont
Ils sont de nature assez différentes, il en existe un qui est plutôt récurent, le métissage
avec la tradition culturelle qui donne lieu à un courant connu comme l’ethno-jazz. Parmi
de nombreux exemples on retrouve, le projet Masada de John Zorn qui met en valeur
de Jan Johansson d’une musique traditionnelle suédoise « Visa från Utanmyra ».22
Musique éternelle, comme les autres arts de création. Dès son origine, le jazz est
une musique métisse, ce qui lui donne toute sa beauté et son originalité. Il n’y a dès lors
aucune raison - sauf à l’enfermer, crime hors de raison - qu’elle ne poursuive pas ses
alliances et ses mariages. Certes, tu dois rester vestale de cet Art, en veillant à ce que
l’improvisation soit toujours ontologiquement à l’œuvre.23
19
Brad Mehldau, Largo, Brad Mehldau (Piano), Larry Grenadier (Contrebasse), Darek 'Oles'
Oleszkiewicz (Contrebasse), Justin Meldal-Johnsen (Contrebasse), Matt Chamberlain (Batterie), Jorge
Rossy (Batterie), Jim Keltner (Batterie), Victor Indrizzo (Batterie, Percussions), Jon Brion (Guitare,
Percussions, guitare synthétiseur), CD, Warner Bros. Records 9362-48114-2, 2002.
20
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.
21
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle), CD, Verve Records 3742644, 2013.
22
Jan Johansson, Jazz På Svenska, Jan Johansson (Piano), Georg Riedel (Contrebasse), CD,
Heptagon Records HECD-030 E, (enregistrement de 1962 à 1964, remaster 2005).
23
http://www.citizenjazz.com/Le-jazz-est-il-mort.html, consulté le 10 Janvier 2017.
20
4/ Problématique
les pratiques du jazz telles qu’elles évoluent aujourd’hui. Pour cela il faut restreindre
notre champ d’étude à la scène française, pour sa proximité ainsi que le contexte qui va
être évoqué ultérieurement. Nous nous demanderons ainsi comment la scène du jazz
Implicitement, cette problématique pose toute une somme d’autres questions que
nous avons brièvement abordées tout au long de cette introduction. Elles seront bien-sûr
traitées avec intérêt à travers chacune des parties que je propose. Il sera nécessaire
d’opérer en trois temps. Tout d’abord, je présenterai le contexte social singulier au sein
afin de saisir la mesure de cette appropriation par les musiciens de la scène jazz.
actuelles ». Cette dénomination est des plus vagues en ce qui concerne ce qu’elle
recouvre. Il s’agit d’un terme récent qui est utilisé sous le mandat de Catherine
entre 1996 et 2000. Plutôt utilisé dans un contexte de politique culturel, il n’est
cependant pas suffisamment considéré pour être adopté par l’industrie musicale.24
24
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/musiques-actuelles/rapport1998.pdf,
consulté le 1 Mars 2017.
21
Une définition souvent utilisée sur le mode de la plaisanterie circule parmi les
professionnels investis dans les musiques actuelles. Elle dit que, à côté de l’Ircam -
Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique - des traditions lyriques ou
romantiques, les musiques actuelles regroupent toutes les genres qui n’ont pas trouvé de
place ailleurs… Les musiques qui sont à la marge, celles pour lesquelles l’institution ne
trouve pas d’argent4. Ceci n’est pas totalement faux, même si la situation a évolué
depuis les années 70 où ces musiques étaient à peine considérées comme telles,
notamment via le rôle des collectivités. Pour le Ministère, « les musiques actuelles »
regroupent le jazz et les musiques improvisées, les musiques traditionnelles et du
monde, la chanson, le rock et les autres musiques amplifiées (rap, musiques
électroniques…).25
terme. Il est ainsi tout indiqué dans le contexte postmoderne dans lequel nous sommes.
Il faut néanmoins préciser que la nature de ce travail ne permet pas de rendre compte de
l’entièreté des métissages existants. Il s’agira de mobiliser certains des grands éléments
d’appropriation caractéristiques.
« D’après certains acteurs, l’aspect neutre, fonctionnel, voire bureaucratique, du terme « musiques
actuelles » était celui qui entrait le mieux en adéquation avec les politiques publiques. Bien qu’employée
couramment de nos jours, l’expression « musiques actuelles » continue de provoquer débats et
polémiques dans le milieu de la musique, notamment parce qu’elle n’est pas intégrée au vocabulaire de
toute une partie de la filière. Ni l’industrie du disque, ni les scènes fondées sur divers styles musicaux ne
l’utilisent. »
25
http://www.irma.asso.fr/IMG/pdf/guide.pdf, consulté le 15 Mars 2017.
22
1 LE JAZZ FRANÇAIS, UN CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE SINGULIER
est tout aussi éclaté. Si bien-entendu de nombreuses villes élèvent leurs futurs virtuoses
York, bien qu’elle soit considérée comme étant plus conventionnelle, conformiste.
premier pas vers l’élaboration d’une politique culturelle ayant investie grâce à un budget
doublé. En 1982, la Fête de la musique, créée par Jack Lang, célèbre sa première édition
alors que c’est en 1986 que l’Orchestre National de Jazz donne son premier concert. En
1982, Maurice Fleuret contribue à ce que d’autres musiques que la musique classique
soient valorisées. Sous cette impulsion, une commission est constituée par différents
spécialistes et acteurs du jazz en 1983. Jack Lang annonce alors la création de l’ONJ à
l’été 1985.
Quelques années après, la musique n’est plus la même. Bien que l’ONJ continue
à l’idée d’investir dans des projets audacieux. Peu à peu, l’État se désengage
23
ferment leurs portes, alors que d’autres réduisent le nombre de concerts prévus ou
diminuent les paies. Le contexte devient dès lors plus tendu et les investissements
proviennent parfois de fonds personnels. « Ça coute cher. J’en avais mis de côté, j’avais
fait un emprunt à la banque pour pouvoir produire ça et j’y suis allé. »26
plus en plus de notoriété dans le monde. Cet orchestre était tout d’abord destiné à
répertoire pour grand orchestre. La formation bénéficie pour cela d’un financement et
La direction du projet est confiée à une personne pour une durée de 2 à 3 ans
Jazz en Orchestre National. L’association est créée en 1986 afin de gérer la structure et
guitariste Olivier Benoit, est l’ouverture à l’international notamment par une stratégie de
26
Entretien avec Pierrick Pédron
27
http://www.citizenjazz.com/Olivier-Benoit-prochain-Directeur.html, consulté le 8 Juillet 2017
24
Figure 1 : ONJ Olivier Benoit
Au fil des années, la formation est reconnue pour ses créations de qualité. Le fait
que la direction de l’orchestre puisse être confiée à des musiciens d’affinités différentes,
commercial satisfaisant.
Bien entendu selon les directions, les projets varient d’esthétiques. Mais
l’influence du rock et des « musiques actuelles » est néanmoins très présente. Deux
albums se distinguent particulièrement pour cela. Le premier est dirigé par Franck
Heaven », il s’amuse ici à s’approprier le répertoire de Led Zeppelin. Le second est sous
28
Franck Tortiller, Close to Heaven, Franck Tortiller (Vibraphone), Xavier Garcia (Claviers),
Patrice Héral (Batterie, chant), Yves Torchnisky (Contrebasse), David Pouradier Duteil (Batterie),
Vincent Limouzin (Vibraphone, Marimba électronique), Jean Gobinet (Trompette, Bugle), Eric Sévat (
Saxophone), Michel Marre (Tuba, bugle), CD, Le chant du monde 241407, 2006.
29
Daniel Yvinec, Around Robert Wyatt, Guillaume Poncelet (Trompette, piano, électroniques),
Yoan Serra (Batterie), Sylvain Daniel (Basse, Effets électroniques, cors), Joce Mienniel (Flûte et
électronique), Pierre Perchaud (Guitare, Banjo), Vincent Lanfont (Claviers, électronique), Eve Risser
(Piano, sound object), Rémi Dumoulin (Saxophone, Clarinette), Matthieu Metzger (Saxophone,
électronique), Antonin-Tri Hoang (Clarinette, piano, saxophone), CD, Bee jazz BEE 030, 2009.
25
François Jeanneau 1986
aujourd’hui avec une réelle notoriété sur la scène du jazz avec des créations et un
univers personnels. La plupart d’entre eux mobilisent des réseaux spécifiques qui
valorisent la création du jazz français. Les acteurs de ces réseaux sont sur le terrain,
parmi eux on retrouve les associations qui n’ont bien entendu pas toutes les mêmes
objectifs. Mais pour certaines d’entre elles, la finalité est de promouvoir clairement les
créations ambitieuses françaises. Il existe toute une somme de réseaux qui favorisent la
création par de nombreux dispositifs spécifiques pour les musiciens émergents comme
pour les plus reconnus. Entre toutes ces structures il en existe trois ayant été utilisées
26
par bon nombre des musiciens qui vont être citées à travers ces pages (Anne Paceo,
Marguet/Rousseau, etc) :
Figure 2 : Logo AJC jeunes talents. Elle vise de plus à élargir son public dans les
Figure 3 : Logo CRJ également de fournir une sorte de tremplin aux artistes
locaux. Il s’agit d’un soutien qui est d’ordre divers : financement, formation, etc. Parmi
région.
30
https://www.ajc-jazz.eu/fr/le-reseau-ajc/qui-sommes-nous.html, consulté le 1 Juillet 2017.
27
• « soutien au concert » concerne des artistes « d’envergure nationale », et
dates, donc avec une réduction des coûts, des projets ambitieux ou plus
connus du public.
d'une tournée.
Pour bénéficier de l’un d’entre eux avant de postuler il faut correspondre aux
uniquement à des musiciens futurs professionnels par exemple. Après avoir postulé, les
groupes sont écoutés par les professionnels du réseau qui votent pour un projet.
Au préalable, bien entendu chaque membre du réseau s’engage à produire les musiciens
contraire, ces dernières années les professionnels du jazz sont plus réticents à soutenir
31
http://www.crjbourgognefranchecomte.org/accueil/le-crj/missions.html, consulté le 22 Juillet
2017.
32
http://jazzmigration.com/presentation/, consulté le 22 Juillet 2017.
28
les projets les plus étonnants. C’est pour répondre à ce besoin que Jazzmigration
propose tout une somme de dispositifs permettant aux artistes de proposer leurs projets
l’écoute des artistes qui s’emparent des musiques actuelles dans le jazz, c’est peut-on
Figure 5: Label Bee jazz moment c’est que le jazz semble avoir toujours eu des
difficultés à pouvoir être cerné et définit. Les difficultés s’accentuent d’autant plus de
En jazz, et certainement pas seulement, les labels sont étroitement liés aux
dans le jazz, il faut rappeler quelques éléments qui cadrent brièvement ce que représente
le terme en général.
Lorsque l’on parle d’un label, dans le milieu artistique, il s’agit d’une société,
d’une entreprise qui produit des artistes. Bien que maintenant, de plus en plus de
moyens sont accessibles à une majorité de débutants dans le domaine, peu d’entre eux
29
ont les moyens de financer leurs projets artistiques ainsi que leurs connaissances (d’où
Objectif du label
Son objectif est de produire l’artiste et donc son œuvre. Le label assure la mise à
communication de son produit. Il est ainsi au centre d’un réseau qui mobilise toute une
Malgré les nombreuses tensions engendrées par les directions entreprises par les
musiciens de jazz, les labels spécialisés dans le genre produisent des projets parfois bien
éloignés de ce qui est considéré comme classique. L’histoire du jazz a toujours bénéficié
de ces labels pour valoriser une de ses esthétiques. Blue note est ainsi particulièrement
30
reconnu pour ses disques de hard-bop alors que ECM, le label allemand, soutient le free
direction esthétique par sa musique, mais également par le son que ce dernier définit et
qui lui est dès lors caractéristique. C’est ainsi que lors de l’arrivée des albums ECM,
l’auditeur fut surpris de la qualité qu’offraient les enregistrements. Manfred Eicher, qui
dirigeait ECM, avait l’ambition d’enregistrer le jazz de manière à obtenir une qualité
semblable à celles des albums des musiques savantes. Il faut néanmoins dire que c’est
enregistrements plus authentiques.33 La réception de ces albums n’était pas non plus
En dehors des courants labels historiques, la musique du jazz actuel n’est pas
33
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011, pp.202-203.
34
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.387.
35
http://www.metiersdelamusique.com/blog/metiers-musique/label/, consultée le 8 Aout 2017
31
d’autres labels se spécialisent dans le jazz. Parmi les labels régulièrement investis, on
retrouve :
Laborie jazz
ACT
Bee jazz
Le chant du monde
Blue note
Tzadik
Jazz village
Si l’on observe le catalogue des trois premiers labels, on constate qu’une grosse
part des projets défendus manifeste du métissage des musiques actuelles avec le jazz :
Laborie jazz :
o orTie36
o Yôkaï37
o Baabel40
36
Ortie, orTie, Elodie Pasquier (Clarinette), Grégoire Gensse (Piano), CD, Laborie jazz LJ23,
2013.
37
Anne Paceo, Yôkaï, Anne Paceo (Batterie, chant), Pierre Perchaud (Guitare), Stéphane Kerecki
(Contrebasse), Antonin-Tri Hoang (Saxophone, clarinette), Leonardo Montana (Piano), CD, Laborie Jazz
LJ20, 2012.
38
Shaï Maestro, The road to Ithaca ,Shai Maestro (Piano), Ziz ravitz (Batterie), Jorge Roeder
(Contrebasse), CD, Laborie jazz LJ25, 2013.
39
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer (Contrebasse,
Gérald Cleaver (Batterie) , CD, Laborie Records LJ04, 2007.
40
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
32
Bee jazz
o Covers41
o The turn43
ACT
o Cheerleaders 46
o Kubic’s Cure47
41
Manu Codjia, Covers, Manu Codjia (Guitare), Jérôme Regard (Contrebasse), Philippe Garcia
(Batterie), CD, Bee jazz BEE 032, 2010.
42
Daniel Yvinec, Around Robert Wyatt, Guillaume Poncelet (Trompette, piano, électroniques),
Yoan Serra (Batterie), Sylvain Daniel (Basse, Effets électroniques, cors), Joce Mienniel (Flûte et
électronique), Pierre Perchaud (Guitare, Banjo), Vincent Lanfont (Claviers, électronique), Eve Risser
(Piano, sound object), Rémi Dumoulin (Saxophone, Clarinette), Matthieu Metzger (Saxophone,
électronique), Antonin-Tri Hoang (Clarinette, piano, saxophone), CD, Bee jazz BEE 030, 2009.
43
Jérôme Sabbagh, The turn, Jérôme Sabbagh (Saxophone), Ben Monder (Guitare), Joe Martin
(Contrebasse), Ted Poor (Batterie), CD, Bee jazz BEE 064, 2014.
44
André Minvielle, follow jon hendricks… if you can !!!, André Minvielle, Michèle Hendricks et
David Linx (Chant), Jon Hendricks (Texte parlé), Marcel Loeffler et Lionel Suarez (Accordéon), Jérôme
Regard (Contrebasse), Pierre-François Dufour (Batterie) , CD, Bee jazz BEE 033, 2010.
45
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.
46
Pierrick Pedron, Cheerleaders, Franck Agulhon et Fabrice Moreau (Batterie), Vincent Arthaud
(Basse), Sylvia Leroux (Flûte), Chris De Pauw (Guitare), Eric Du Fay, Etienne Godet, Guy Evra,
Mathilde Fèvre et Nicolas Dromer (Cors), Ludocic Bource (Orgue), Gaspa, Jean François Durez et
Nathalie Gantiez (Percussions), Laurent Coq (Piano, claviers), Christophe Gonnet et Lionel Segui
(Trombone), Nicolas Gardel, Patrick Artero et Thierry Gervais (Trompette), Bastien Still et Raphaël
Goutière (Tuba), Camille De Bruyne, Elise Caron Marie-Ange Teuwen, Monique Harcum, Nathalie
Pâques et Nina Babet (Chant),CD, ACT Music ACT 9511-2, 2011.
47
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
48
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.
33
1.2 Jazz et « musiques actuelles » en France
Après avoir perdu un certain public avec le freejazz qui se sépare d’une part des codes
La plupart de ces musiciens cherchent à renouer avec un auditoire plus large qui est
alors tourné vers l’ascension du rock. L’objectif était d’opérer une sorte de métissage
entre les deux genres, de sorte à y intégrer toute une somme d’éléments jazz spécifiques
Stream ou bien encore avec les bopeurs qui cherchaient à s’approprier les musiques
latines.
Mais si l’on prend suffisamment de recul sur l’histoire du jazz, on constate que le
une esthétique. Il est possible de constater cette dimension dès la « préhistoire du jazz »
avec un pianiste assez méconnu. Considéré comme l’un des précurseurs du jazz, le
ragtime figure comme étant un genre au carrefour d’une somme d’influences. Louis
Orléans. Doué d’une facilité évidente au piano, il est envoyé à Paris en 1842 afin
d’étudier au conservatoire. Son travail est salué par les plus grands noms de l’histoire de
la musique savante notamment Chopin ou encore Berlioz. Ses pièces mettent en valeur
la culture de laquelle il est issu. Parmi les œuvres composées par Gottschalk, se trouvent
plusieurs pièces pour piano qui traduisent clairement les chansons et les danses noires
ou créoles qu’il a entendu dans la grande cité louisianaise : bamboula, danse de nègres ;
34
la savane, ballade créole ; le bananier, chanson nègre et le mancenillier, sérénade
antillaise.
amenées à isoler leurs pratiques dans des ghettos coupés les uns des autres, au contraire
Les musiciens dont nous allons parler tout au long de ces pages sont les héritiers
de cet élément majeur et élémentaire qu’est le métissage. Bien que ces derniers en aient
A travers les quelques entretiens que j’ai pu obtenir directement avec les artistes,
ou bien encore les nombreuses interviews ou études menées sur le sujet jazz et
musiques actuelles, on peut observer une certaine récurrence quant au parcours des
musiciens. Des trois artistes dont je retranscris nos échanges, deux d’entre eux sont plus
ou moins directement issus des musiques actuelles, soit Pierrick Pédron et Laurent
Cugny. Le cas de David Chevallier est plus singulier puisque ce dernier est issu d’une
famille de professionnels, il est baigné dans la musique savante ainsi que dans les
arrangements caractéristiques de son père Christian Chevallier. Par ailleurs, il n’a pas le
même rapport avec les musiques actuelles que les deux autres musiciens que je vais
35
Pierrick Pédron est un saxophoniste plutôt
du nom de Georges Gouault qui faisait un peu de jazz. Pierrick Pédron était notamment
influencé par les écoutes que sa sœur avait alors à disposition. Il découvrit ainsi, les
Pink Floyd ce qui fut pour lui un choc musical évident. Encore actuellement cet aspect
les Stones. Il commence le piano classique à l’âge de 10 ans auprès d’un professeur
particulier durant 4 ans. En parallèle, il s’approprie les morceaux des Beatles en les
reproduisant au clavier.
36
que les autres, mais à un moment particulier où justement on a vécu ça, c’est un peu
l’âge d’or du rock. Les groupes clefs ce sont les Beatles et les Stones, ça commence là.
Moi j’ai compris ça quand ma fille, qui a maintenant 27 ans (lorsqu’elle est née j’en
avais 34), m’a dit vers 15 ans « Ah ! Mais toi tu as de la chance tu es tombé au bon
moment » enfin je ne sais plus comment elle m’a dit ça. Mais en effet, je suis né en
1955, je vais avoir 62, j’ai donc commencé à écouter les Beatles vers 10 ans, peut-être
même avant, vraiment au berceau. Et je me souviens très bien, c’était en 1964-65, il y
avait les Beatles et les Stones, dans les cours d’école. Ça représentait vraiment deux
pôles : il y en avait un qui était plus sauvage que l’autre, c’était les Stones. Et moi
j’étais les Beatles à fond, comme tout le monde de toute façon. J’avais plus de mal avec
les Stones. Ça m’est resté, et ça a marqué toute la suite. Entretien avec Laurent Cugny
rapport singulier qu’ont les musiciens de jazz avec les musiques actuelles à travers des
études élaborées sur une quantité de musiciens plus conséquente.49 Dans cet article elle
évoque un travail mené sur 95 musiciens. On y apprend que 58 d’entre eux en ont
écouté durant leur apprentissage musical. Il faut de plus ajouter que 47 de ces 95
musiciens ont, pour leur première fois, joué dans une formation rock. Toujours à travers
cet article, on y apprend que seulement 24 musiciens ont réellement commencé par un
groupe de jazz. En somme, ce texte souligne la place importante du rock pour les
[…] le rock apparait bien comme le style d’une génération de musicien de jazz,
le prétexte à jouer à plusieurs. « Comme tout le monde, il y a eu la période rock bien sûr
et puis la pop », 4 « La génération des musiciens de jazz de trente ans est passée par le
rock avant de venir au jazz ». C’est aussi la musique d’une époque, « les années 60 », et
d’un moment particulier de l’existence : l’adolescence. La transition au jazz s’effectue
généralement pendant cette période.50
Le passage d’un genre à l’autre, du rock au jazz, semble assez récurrent chez les
musiciens. Il se fait par une acculturation longue et lente. On note par ailleurs que le
49
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.183-193.
50
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.185
37
musicien passe notamment par une voie intermédiaire, le jazz-rock, après quoi, il
J’ai fait le virage jazz dans ces années-là, quand les Beatles ont commencé à se
séparer, ça a commencé à me gaver. Même les premiers trucs de Mc Cartney, je
n’aimais pas ça, parce qu’on avait une sorte de rapport névrotique aux Beatles. J’ai donc
évolué vers le jazz vers 17-18 ans avec Coltrane en fait. A l’époque, en 1972, il était
presque contemporain, puisqu’il était mort en 1967. Curieusement pour moi mon entrée
dans le jazz, c’était Coltrane, Onette Coleman et Miles, via le rock. Et ça tombe bien
parce que Miles faisait justement du Jazz-rock Entretien avec Laurent Cugny
Il se trouve souvent que les pratiques et certains parcours personnels amènent une
part d’entre eux à côtoyer le folk, la salsa ou bien la musique contemporaine comme
David Chevallier, John Zorn ou bien encore Pat Metheny. Il faut ainsi comprendre que
ces musiciens mûrissent naturellement avec leur temps. Les musiques actuelles, et
comme nous l’avons particulièrement vu ici le rock, font par conséquent partie pour la
plupart du bagage de départ de ces musiciens qui ne sont pas en premier lieu des
musiciens de jazz.
à l’autre. Là encore, le texte de Béatrice Madiot recense et permet de saisir une grande
part des réponses des musiciens concernés. Si l’on répertorie l’ensemble des raisons
• Lassitude du rock
• Evolution naturelle
38
• L’instrument
Malgré les raisons évoquées ci-dessus, la plupart des citations retranscrites dans
l’article de Béatrice Madiot nous permettent de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un rejet
bien encore l’idée d’une évolution.51 Ce sont les possibilités que permet le jazz qui
Cependant malgré cette image jusqu’alors positive d’une simple évolution vers le
jazz, la vision qu’en ont les musiciens de cette étude est plutôt négative pour le rock. Là
encore de nombreux items des caractéristiques du rock sont récurrents à travers les
réponses :
distorsion, etc)
• L’énergie
On pourrait ajouter, toujours selon le texte de Béatrice Madiot, que pour les
musiciens de jazz, le but est de produire une musique avec un public ciblé en ayant
51
« Non je voulais aller plus loin. Et à ce moment-là il y a eu un collectif qui s’est créé « Le
Collectif des Nuits Blanches » dans le club Au Petit opportun en 96 et là c’était la connaissance de plein
de gens qui s’intéressent à cette musique-là, […] » Entretien avec Pierrick Pédron
39
l’ambition d’y intégrer un marché aussi vaste que possible. Cette vision relativement
négative est associée à des critiques pointées du doigt par ces musiciens.
• Simplicité musicale
• Musique répétitive
En dépit du fait que certains ne souhaitent pas comparer les deux genres
directement, le peu de remarques sur le regard des jazzmen sur le monde du rock est
plutôt dépréciatif. Pour beaucoup des musiciens interrogés, le jazz est une musique
supérieure au rock53. Les arguments sont une fois de plus les mêmes : le jazz a de
musique sérieuse » qui s’oppose à la « musique non sérieuse ». Les musiciens de jazz
semblent espérer une certaine reconnaissance, une certaine légitimité en plaçant le jazz
non pas comme une musique savante, mais comme la plus savante des musiques
populaires. Les musiques savantes et les musiques actuelles semblent s’opposer par la
52
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.189.
53
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.190. « Le sens même de la comparaison
accentue cette valorisation puisque le jazz est considéré comme supérieur au rock dans 77% des cas alors
que le rock n’est considéré comme supérieur au jazz que dans 58% des cas »
40
maitrise du langage musical ainsi que par la maitrise instrumentale. Aux yeux des
musiciens de jazz interrogés dans l’étude de Béatrice Madiot ainsi que pour les
musiciens de renoms avec lesquels j’ai pu m’entretenir, cette vision des choses est
centrale. Ils font de la musique sérieuse. Il semble y avoir tout une somme d’exigences
ce que le musicien de jazz soit jugé comme l’égal du musicien classique et l’opposé du
rocker. Cette dimension est particulièrement prégnante au sein même des conservatoires
encore actuellement.
s’intéressent de très près aux répertoires des musiques actuelles et à ses codes. Le texte
de Béatrice Madiot plante bien un décor toujours en toile de fond sur le rapport entre
jazz et musiques actuelles. Il faut néanmoins prendre une certaine distance avec ce texte
qui date de 1991. La place des musiques actuelles est de plus en plus appréciée et
sollicitée dans les projets de création même parmi les artistes les plus reconnus.
conservatoires et des pôles supérieurs qui ouvrent leurs portes à des départements
prévus pour la formation. Ce n’est par ailleurs pas une coïncidence si l’on associe
souvent jazz et musiques actuelles, puisqu’une bonne part du langage issu des musiques
actuelles est mobilisée directement dans le jazz. On se demande alors qu’est-ce qui
41
Bien que ses artistes se soient dirigés à un moment de leur carrière en direction du
jazz, et que leur travail soit reconnu comme tel, on constate que cette origine reste un
élément central pour l’univers de ces créateurs. Bon nombre des musiciens qui ont été
cités et qui vont l’être dans ce mémoire, sont reconnus pour certains de leurs albums
plus traditionnels. Parmi eux, il en figure quelques-uns qui se détachent pour d’autres
albums qui sont le résultat d’une hybridation singulière entre différentes esthétiques. Il
s’agit d’un véritable retour aux sources pour ceux qui, dans leur adolescence, leur
Et j’ai toujours été influencé par ce qu’écoutait ma grande sœur, elle n’écoutait
pas forcément du jazz, c’est venu plus tard chez moi, mais elle était fan de groupes
comme les Pink Floyd. J’en parle souvent parce que ça a été pour moi un truc très très
important dans ma vie, ça m’a vraiment scotché et ça a été les premières réflexions
imaginaires sur la musique. C’est à dire que tout gamin, je pouvais passer des heures à
regarder des pochettes des Pink Floyd et à écouter leur musique et à me faire un film.
Ce qui malheureusement existe moins maintenant, c’est l’avantage des vinyles d’avoir
des grandes pochettes et pleins de photos ; et le visuel de ce groupe-là était tellement
bien fait que ça me faisait partir dans un trip. C’était les premières fois que j’ai ressenti
quelques-chose de fort sur la musique. Entretien avec Pierrick Pédron
En 1965, c’était exclusivement les Beatles, mais c’était presque maladif : quand
on savait qu’il y avait un 45 tour qui sortait, je me souviens, on se collait devant
Prisunic et on attendait que ça ouvre, parce qu’on savait qu’à trois heures, il y avait le
disque des Beatles, c’était vraiment la folie. Pour moi c’était des souvenirs géniaux.
D’ailleurs pour moi les Beatles c’est le 45 tour, Bref ! Je vous passe mes états d’âmes
nostalgiques sur les Beatles.Entretien avec Laurent Cugny
En effet, les artistes assument et affirment de plus en plus ces influences dans leur
travail et dans les interviews qu’ils donnent. Lors d’une interview, présentée par jazz
magazine, Gilad Hekselman cite comme l’une de ses principales influences Michael
Jackson54. Il n’est plus réellement question de placer un genre au-dessus d’un autre, au
54
« Sa source d’nispiration primordiale, revendiquée, est toutefois assez étonnante : « Ma
première grosse influence a été Michael Jackson, et ce jusqu’aujourd’hui ; son sens du phrasé, du rythme,
et son expression ont un impact sur mon jeu. J’ai connu aussi une période rock avant l’adolescence, raison
42
contraire le contexte artistique favorise les emprunts aux autres esthétiques. L’objet
n’est pas de légitimé la qualité du musicien de jazz vis-à-vis du musicien classique, les
frontières sont de plus en plus poreuses. Au contraire, les échanges de musiciens de tous
genres sont sollicités dans la création même de certains albums jazz. C’est notamment le
cas dans le dernier album de Yaron Herman Y55 dans lequel, Mathieu Chedid intervient.
A l’inverse, il n’est par ailleurs pas vain de rappeler l’intérêt des musiciens issus de la
musique savante pour le jazz avec notamment le Third stream56. Ce qui est le cas pour
David Chevallier.
Tout comme le jazz-rock a été une passerelle permettant aux musiciens de jazz de
pour laquelle ce genre est ancré en moi » Ludovic Florin, « Gilad Hekselman, un jeune homme qui
excelle », Jazz magazine, n°643, Nov.2012, pp.19.
55
Yaron Herman, Y, Yaron Herman (Piano, claviers), Ziz Ravitz (Batterie), Bastien Burger (Bass),
Mathieu Chedid (Chant), Hugh Coltman (Chant), CD, Blue note, 2017.
56
Le Third stream, en français troisième courant, est une nomination utilisée en 1957 par Gunther
Schuller pour désigner le métissage entre la musique savante européenne et le jazz. Ran Blake va jusqu’à
étendre ce terme pour qualifier tous métissage du jazz avec d’autres musiques.
57
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle), CD, Verve Records 3742644, 2013.
43
• « Toundra », Anne Paceo, concert Jazz sous les pommiers le Samedi 27 Mai
201758.
Si l’on résume, tout en tenant compte des études menées sur le rapport des
jazzmen avec les musiques actuelles, le musicien de jazz s’approprie cette musique pour
manipulation.
58
https://www.youtube.com/watch?v=1r6tmsJij10&t=38s, consulté le 3 Aout 2017.
59
« Troisième album c’est New-York alors là c’est axé sur les standards, avec malgré tout des
mélodies inspirées des Pink Floyd, notamment un morceau Chang Partners et j’ai pensé à un morceau des
pink Floyd : « us and Them ». Et pour ne rien vous cacher, j’ai même eu l’opportunité, alors que le disque
n’était pas sorti encore, de passé deux jours avec David Gilmore, et je lui ai fait écouté ça et à Richard
Whrite aussi. Rencontre de malade. » Entretien avec Pierrick Pédron
60
« Moi je viens de l’école du bal, de la musique populaire de Bretagne, puisque je suis breton. »
Entretien avec Pierrick Pédron.
44
la voix principale à un instrument monodique et naturellement sans
qui manque souvent de relief et qui parait peu flatteuse pour ces
intéresse dans le rock. Il s’agit d’ailleurs d’un élément qui est associé à
En fait il s’agissait d’un travail sur la simplification des choses, mais le rendu
n’est pas simpliste. Il faut dire qu’il y avait une façon de jouer les choses avec une
liberté, une inventivité, une énergie et surtout un investissement qui m’ont fait prendre
conscience de l’intérêt que cela pouvait avoir de faire des choses plus simples. Cela
pouvait transmettre d’autres choses. C’est aussi comme ça que j’ai compris l’intérêt
qu’il pouvait y avoir dans des formes plus simples comme il peut y en avoir dans le
rock. Je devais avoir pas loin de 25 ans quand même. Entretien avec David Chevallier
C’est aussi pour cette raison que j’aime bien le rock anglais par exemple. Il y a là-
dedans une certaine forme de rébellion contre la royauté, contre la reine. Entretien avec
Pierrick Pédron
Ce que je suis allé chercher dans le rock, ce n’est pas un répertoire, c’est surtout
une rythmique, qui en fait n’est pas rock. C’est ce qu’on a dit au début, c’est cette
énergie du son. Entretien avec Laurent Cugny
61
« Franchement ce qui qui m’attire aussi dans cette musique, c’est la mélodie finalement même si
on ne parle pas forcement de mélodie dans le rock. » Entretien avec Pierrick Pédron.
45
En somme, il s’agit d’une scène assez singulière qui bénéficie d’un certain
dynamisme possible tant grâce à une politique ouverte sur la création et le rayonnement
détériore néanmoins avec une politique de moins en moins favorable aux créations
téméraires. Les artistes sont eux-mêmes issus des musiques actuelles, leur formation les
l’autre est le fruit d’une lente maturation qui passe par ailleurs souvent par une
esthétique passerelle du jazz, le jazz-rock. Aujourd’hui bon nombre des projets entrepris
par ces artistes mobilisent les langages des musiques actuelles (mais pas seulement)
dans le cadre d’une pratique jazz. Il faut maintenant entrer dans le vif de la musique afin
46
2 DE NOUVEAUX STANDARDS
Le rapport qu’entretient le jazz avec son passé, son histoire, est un élément central
réfère. Le terme « standard » évoque en lui-même cette dimension pour le passif auquel
il renvoie. Elle est importante tant dans le milieu amateur, à travers la formation, que
dans le milieu professionnel. Avant d’entrer dans le vif du sujet à travers la composition
jazz et ce qu’elle recouvre, il faut évoquer la notion de standard qui est centrale dans le
jazz.
standards qui ont traversés l’histoire. Pour apprendre le jazz les différentes structures
pédagogiques conduisent l’élève à intégrer par cœur des pièces incontournables qui sont
Or on note qu’il y a deux types de répertoires dans le jazz. Il faut ainsi distinguer,
la musique écrite spécialement pour le jazz par des musiciens de jazz, et la musique qui
n’est pas écrite pour le jazz. Une grande part des pièces considérées comme les plus
grands standards du jazz ne sont en réalité pas des pièces écrites pour ce genre. Elles
sont, pour une partie, issues du répertoire de la comédie musicale. Ce qui ne signifie pas
que les compositions des jazzmen n’en fassent pas partie, bien au contraire.
47
D’un point de vue historique
Le répertoire des principaux standards avoisine les deux mille morceaux. Dans
le jazz, chaque période a ses standards, mais certains d’entre eux sont plus universels
« All the things you are », etc. Au sein du répertoire du jazz, figurent trois types de
morceaux :
Thelonious Monk.
La pratique courante du jazz veut que les musiciens s’approprient ces standards
à travers des arrangements et des improvisations qui mettent en valeur des qualités
musicales telles que la réharmonisation, le rythme, etc... Ces pièces se retrouvent ainsi
ou « bœuf », en français. Le terme commence par apparaitre dans les années 30. Il
48
répertoire que tous connaissent. Ces standards figurent comme relevant d’un langage
commun aux musiciens de jazz. Ils ne sont en revanche pas nécessairement obligés de
jouer ce répertoire quelle que soit la situation. Le déroulé de l’interprétation d’une pièce
3/ Solo des solistes sur une carrure caractéristique (12 mesures pour le blues, 32
mesures AABA, 32 mesures A A’). Ce moment est Ad Lib selon le nombre de solistes
structure que l’on retrouve dans une grande majorité des cas dans les jams.
Le film Bird62 de Clint Eastwood met bien en évidence les pratiques de la jam-session
avec notamment le défilé de musiciens attendant leur tour pour choruser et pour ainsi
dire jouter. A partir d’une des pièces du répertoire de standards, ces instrumentistes
joutent à travers des grilles harmoniques déterminées par le cadre du standard joué.
62
Clint Eastwood, Bird, Warner Bros, 1987.
49
Comme dans la grille d’ « Autumn Leaves» suivante :
G-7 C7 FΔ BbΔ
G-7 C7 FΔ BbΔ
G-7 C7 FΔ BbΔ
50
2.2 Le répertoire d’aujourd’hui
La notion de standard s’est figée à partir des années 80, sans doute en partie pour
les raisons qui ont été développés durant l’introduction. Plus on s’éloigne de la période
classique du jazz, moins de nouveaux standards s’imposent comme tels. Depuis les
années 65 on note que très peu de morceaux deviennent des standards pour trois
raisons.63
3. Une grande majorité des groupes jouent leur propre musique (les groupes
Il faut ajouter que, compte tenu de l’évolution des pratiques, c’est en réalité la
notion elle-même de standards qui évolue comme nous l’observerons par la suite.
Les précédents chapitres ont permis d’entrevoir en partie ce que le jazz tente
une fois de plus de pièces qui ne lui appartiennent pas. Il s’agit du répertoire des
C’est bien là l’une des premières caractéristiques qui apporte une réponse à notre
sujet. Le phénomène touche l’ensemble des nombreuses scènes du jazz dans le monde et
63
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, pp.1069-1072.
51
concerne les musiciens les plus respectés. Parmi eux figurent, Brad Melhdau, The bad
Le répertoire des musiques traditionnelles est semble-t-il, l’un des plus sollicités
dès les années 80. Le jazz se retrouve ainsi déraciné de ses origines historiques. A la fin
des années 70, un tel métissage était considéré comme une aubaine pour les musiciens
d’inspirations influence le travail de musiciens tels que Anne Paceo, Tigran Hamasyan,
Mohames Abozekry, Nguyên Lé, Petros Klampanis, Yaron Herman, John Zorn, Emile
Les arrangements proposés sont des classiques du genre, des pièces issues des
Beatles ou de Hendrix. Mais plus récemment, les groupes autours desquels se tournent
les jazzmen actuels sont des classiques des années 90 comme Nirvana, The Verve ou
histoire, le jazz s’empare de pièces issues des comédies musicales afin de s’approprier
un répertoire, mais aussi un langage (nous reviendrons sur ce dernier aspect plus
64
Robert Latzague, « Yaron Herman passe à table », Jazz magazine, n°643, Nov.2012, pp.18-20.
52
Une nouvelle notion du standard
conséquence sur le monde du jazz et notamment sur les artistes et leur travail. La
conséquente. Parmi autant de choix, l’auditeur, et sans doute les musiciens eux-mêmes,
ne se figurent pas l’immensité de la diversité des projets jazz proposés. Devant un tel
plusieurs scènes défendant une esthétique singulière. L’heure est plutôt à l’individualité,
les musiciens qui souhaitent se démarquer tentent d’élaborer un univers musical qui leur
compositeur. C’est sans doute devant autant de diversité que de nouveaux standards
peinent à s’imposer comme tel. Bien-sûr si l’on ne retrouve aucune de ces pièces jouées
comme des standards lors de jam session ou encore arrangées par des musiciens d’une
Il faut donc comprendre que jouer les standards d’autrefois n’a plus réellement
53
« standard », l’auteur insiste sur le fait que pour jauger la qualité d’un improvisateur et
départager les aptitudes d’un musicien. Or, de nos jours, dans la quantité conséquente
des albums dédiés aux standards, quels sont ceux qui peuvent se targuer de se distinguer
C’est bien à partir de ce constat que nous pouvons revenir sur ce qui a été
mentionné durant l’introduction. En effet, en dehors des qualités musicales dont certains
de ces albums font preuves, on ne peut s’empêcher d’observer des raisons commerciales
à ce fait. En premier lieu, l’image d’un jazz de l’âge d’or est encore une fois toujours
On peut ajouter à cela que le coût de production d’un album traditionnel jazz,
n’est pas le même que celui d’un album plus ambitieux. Réaliser un album de jazz dans
un esprit traditionnel constitue un travail qui n’est pas le même et qui par conséquent
engage à priori moins de financement. Il faut de plus ajouter que pour l’occasion, les
Par ailleurs, un artiste reconnu qui réalise un projet sur un répertoire qui a une
certaine reconnaissance, comme celui des standards, constitue une prise de risques
65
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.1203.
66
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/victoires-du-jazz/anne-paceo-circles-les-
voyages-sonores-d-une-batteuse-241091, consulté le 2 Août 2017.
54
amoindrie pour le responsable de l’évènement. Il en va de même si le projet ne fait pas
appel à ce répertoire mais qu’il mobilise les éléments de standardisation d’une pièce. En
Ajoutons que le rapport des musiciens avec les standards est alors différent
compte tenu de la distance qu’il peut y avoir avec les années durant lesquelles ce
répertoire fut intégré. Les albums, les projets, d’une certaine part des artistes, tournent
en direction d’un objectif identitaire personnel. Le rôle des standards change avec son
temps. Il va de soi que pour les musiciens actifs actuellement, ils ont joués un rôle de
formation. Ils sont le terrain sur lequel ces artistes ont forgés leur vocabulaire et leurs
compétences d’improvisateur pour ceux qui ont fréquentés les conservatoires. Dans les
années 30-40 l’objet était de s’approprier le répertoire neuf des comédies musicales. De
nos jours, le jazz a depuis longtemps dépassé les caractéristiques de ce langage. Pour les
professionnels comme pour les amateurs il s’agit de se frotter à un répertoire qui a déjà
Question: Est- ce que ça ne vire pas à l’exercice ? Pour quelle raison vous êtes-
vous concentré sur ce répertoire ?
David Chevallier: J’aime bien aller là où l’on ne m’attend pas. Comme ça fait des
années que je fais du Gesualdo, du Purcell. J’ai fait plein de trucs différents les uns les
autres. D’ailleurs je pense que personne ne se serait dit un jour : « il va faire un truc sur
les standards ». Donc il y avait un peu de ça. Ce n’est pas de la provocation du tout.
J’aime bien les surprises donc j’en fais aux autres. Il y a aussi longtemps que je ne
m’étais pas retrouvé avec une rythmique basse / batterie. Je m’étais plutôt évertué
pendant des années à faire autres chose avec des formations différentes comme batterie
et tuba ou batterie, saxophone et basse pour essayer d’avoir un son différent. Il y avait
l’idée d’une instrumentation plus simple. Un truc pas du tout original et surtout qui a été
55
fait par des personnes qui ont fait ça tellement bien que j’avais envie de me frotter à ça.
Je voulais retrouver cette sensation de rejouer avec une rythmique basiquement efficace,
qui fournit un truc derrière. Entretien avec David Chevallier
les musiciens d’antan, on constate en fait que l’enregistrement est devenu le moyen
d’une joute ouverte au monde. Lors des jams des années Bop, les instrumentistes se
succédaient les uns les autres afin de délivrer le meilleur solo, le plus rapide etc. Les
qualités aux autres musiciens comme aux mélomanes. Toujours de plus en plus
production studio lissée à l’image de notre période. Le rapport qu’ont les musiciens
actuels avec les standards est en somme différent que le rapport des musiciens d’antan
avec ce répertoire.
Cette notion est d’autant plus amenée à changer de par les répertoires que le jazz
emprunte pour se refaire. La question est de savoir si nous pouvons continuer à parler
cela, il faut se demander ce qui fait qu’une pièce devient un standard. La condition est,
semble-t-il, que la pièce soit jouée et ait été enregistrée par des musiciens de jazz.67 Il
faut de plus que cette pièce résiste à l’épreuve du temps. Mise à part ce dernier point
que l’on ne peut encore vérifier de par le peu de distance que l’on a avec notre temps,
67
« Standard. Morceau issu du répertoire populaire américain et qui est devenu un classique à
force d’être joué et enregistré par les musiciens de jazz. » BALEN Noël, L’odyssée du Jazz, Paris, Liana
Lévi, 2012, p.704.
56
on peut constater que les musiciens de jazz tentent bien de s’approprier en masse un
Lorsque l’on évoque les standards du jazz, on parle des compositions des
comme si les deux avaient fusionnés. Or ce rapport aux standards du rock est
radicalement différent et plus complexe. Il s’agit avant tout de standards du rock et pas
Nous l’avons bien compris, le rapport aux standards n’est donc aujourd’hui plus le
même qu’auparavant, ne serait-ce que par les pratiques. Lorsqu’un artiste de jazz
s’empare d’une pièce du rock tout l’intérêt est de voir de quelles façons ce répertoire est
utilisé, de quelles façons ces musiciens se l’approprient afin de forger une nouvelle
esthétique.
Le premier élément sur lequel il faut travailler est l’arrangement. La version que
monde du jazz s’intéresse à ce répertoire est une chose, mais pour comprendre à quel
degré ce métissage s’effectue, il faut entrer dans le langage musical. Pour cela, je
57
2.3.1 Phase d’imprégnation
répertoire, les artistes commencent par sélectionner un répertoire pour s’en imprégner
Naturellement la première des raisons est le goût de ce musicien pour telle ou telle
pièce. En second lieu, la plupart des musiciens pensent que tous les morceaux de rock
ne peuvent pas faire l’objet d’une réappropriation. En effet, il s’agit d’un argument qui
est reprit à de nombreuses reprises dans les interviews. La pauvreté du langage serait
Laurent Cugny: Comme j’ai toujours fait, comme Gil a toujours fait. Je suis
quand même plus compositeur que lui, dans l’ONJ, j’en ai fait pas mal à moi. Mais
comme lui, quand j’entends un morceau qui me plait, j’ai envie de le jouer. Donc
j’arrange les morceaux en conséquence. Après ça donne un dosage plus ou moins
aléatoire.
Question : Je pose cette question en me référant à la démarche des autres artistes
que j’ai pu interroger. Par exemple, la démarche de David Chevallier est de trouver un
morceau qui ne soit pas trop pauvre. Pour lui dans le rock, la pop, certains compositeurs
se démarquent en écrivant de la musique plus intéressante que d’autres artistes, comme
Sting. Il m’expliquait que s’était l’une des raisons pour lesquelles il s’intéressait à sa
musique. Il y a un fond intéressant sur lequel il pouvait se projeter. Il ne s’agit pas du
tout de votre approche ?
Laurent Cugny : Si, si absolument. Je pourrais aussi dire ça. Tout est relatif.
Sting, ce n’est pas non plus Stravinsky, il y a trois accords. C’est surtout pour la
richesse mélodique, c’est ça qui est bien chez Sting, et chez Joni Mitchell. Joni
Mitchell, j’en ai fait 2 ou 1, dont Man from mars il y a vraiment 3 accords, et c’est
tout. Sting j’en ai fait 3 je crois. Entretien avec Laurent Cugny
David Chevallier : […]. L’idée de Is that pop music, c’est ça. C’est de prendre
un certain nombre de chansons que je trouvais au-dessus du lot et dans lesquelles je
trouvais un potentiel de travail pour me les approprier. J’ai choisis quelques chansons,
David Lynx m’en a suggéré quelques autres et on a fait un choix pour obtenir un
répertoire équilibré. En dehors de ça, je me suis déjà retrouvé avec le trio de Laurent
Dehors à faire des reprises de Police et des choses comme ça. Mais dans Is that pop
music j’ai vraiment une approche de recomposition, qui est commune à tous mes
projets. Entretien avec David Chevallier
58
En somme, bien que certaines pièces puissent être appréciées par ces artistes, une
barrières de ce genre. Des musiciens comme Yaron Herman, Brad Mehldau ou Manu
Codjia s’emparent de pièces qui ne mobilisent que peu d’harmonies ainsi que peu
universel. Quel que soit le répertoire que le musicien de jazz a dû s’approprier dans
l’histoire du jazz, ce dernier a toujours fait feu de tout bois. Tout le défi de ces jazzmen
certain intérêt pour eux mais aussi pour les amateurs de jazz.
comment il est intégré par les musiciens de jazz. Nous avons pu observer précédemment
68
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave Grohl
(Batterie), CD, DGC Records GED 24536, 1993.
Version Yaron Herman :
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.
59
que si une part des musiciens n’arrivaient pas à se projeter sur un matériau trop restreint,
Instrumentation
l’effectif, il faut être en mesure de proposer une version adaptée à tout type d’ensemble.
S’approprier un standard c’est aussi lui apporter des éléments d’arrangement qui
électrique, parfois un clavier, une basse et une batterie. Dans la plupart des pièces
originelles qui sont reprises par les musiciens de jazz, il s’agit de cette configuration.
force est de constater que les musiciens de jazz préfèrent s’approprier ce répertoire par
d’autres instruments. Il y a plusieurs raisons à cela. Nous le reverrons plus tard, mais le
jazz est un genre plus instrumental que vocal. Par ailleurs les musiciens qui lead le
plupart du temps, dans la mesure où les mélodies qui sont à l’origine chantées sont
60
assurées par le lead : saxophone, trompette, piano, guitare, etc. C’est notamment le cas
pour les arrangements de Laurent Cugny des Beatles, de Pierrick Pédron des Cure, de
Cela rappelle au passage que les standards de jazz, issus de la comédie musicale,
sont des chansons. Le chant est donc un élément central de ces pièces. Les versions que
l’on retrouve dans ces standards sont malgré tout souvent instrumentales.
Il s’agit d’un élément qui est de l’ordre de la tradition qui est ici remobilisé dans
ces arrangements. Ils sont, si l’on peut dire, assez sages et à l’image des pratiques. On
constate pourtant que deux types de formations s’opposent. Certains projets proposent
des arrangements pour un effectif de base restreint comme, Kubic’s Cure69, Follow the
white rabbit70 ou covers71, alors que d’autres formations proposent des arrangements
pour des ensembles allant de moyens à gros effectifs, comme le montre le tableau ci-
joint :
69
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
70
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer (Contrebasse,
Gérald Cleaver (Batterie) , CD, Laborie Records LJ04, 2007.
71
Manu Codjia, Covers, Manu Codjia (Guitare), Jérôme Regard (Contrebasse), Philippe Garcia
(Batterie), CD, Bee jazz BEE 032, 2010.
61
Tp,Fh, D,
Sax Tb Guit B Cb P Kbd V Autre
Cor Perc
Follow the white rabbit,
X X X
Y. Herman
Kubic’s Cure,
X X X X X X
P.Pédron
Is that pop music ?!?,
X X X X
David Chevallier
Covers,
X X X
Manu Codjia
Close to Heaven, ONJ
X X X X X X X X
Tortiller
Around Robert Wyatt,
X X X X X X X X
ONJ Yvinec
Songs from the
X X X X X X X X
beginning, Alain Blesing
Janis the pearl, Franck
X X X X X X X
Tortiller
Same Girl,
X X X X X
Youn sun Nah
So Lucky,
X
Noël Akchoté
Celebrating Jimi
X X X X X X
Hendrix, Nguyen Lé
Melody makers I, Pierre
X X X
Jean Gaucher
New trio, Pierre Jean
X X X
Gaucher
Pick's Dilemma, Pierre-
X X X
Jean Gaucher
En somme, il faut retenir que, comme dans le jazz, il n’y a pas de code
instrumentation ; bien que certaines de ces formations se distinguent par des choix
dévoile ses arrangements des Cure72 avec une formation de base se résumant à un trio
72
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
62
Pierrick Pédron: Oui, c’est dure, c’est aussi un challenge. Moi j’aime beaucoup
ça, cette idée de faire quelque chose de complètement irréalisable. Faire du Cure en
jazz, sans piano ni instrument polyphonique. Donc j’avais imaginé pleins de choses, je
faisais des arrangements, les arpèges de guitare seraient joués à la contrebasse. Avec
Thomas Bramerie je n’étais pas contraint, il joue tellement bien. Entretien avec Pierrick
Pédron
Le répertoire est abordé, sous cet aspect, de la même façon que n’importe quel
présente dans une majorité des projets. La guitare est un instrument assez singulier dans
le jazz. Elle n’est tout d’abord pas soliste, au centre de toutes les attentions. Ce n’est que
peu à peu qu’elle s’empare de cette place dans l’histoire du jazz, notamment avec le
La forme
concerne le rock. La forme est un élément traité assez simplement au même titre qu’un
standard de jazz souvent. Pour saisir la mesure des similitudes qu’il peut bien y avoir
entre l’œuvre originelle et ce qu’en font les musiciens, il faut les comparer. On observe
A l’origine, « Heart shaped box »74 est un morceau du groupe Nirvana. Il est issu
de l’album In utero sortie en 1993. Dans la forme que Yaron Herman en propose, il est
73
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.
63
Version Nirvana Version Yaron Herman
o Couplet 3
o Refrain Ré exposition :
comme un standard de jazz. Il reste par ailleurs malgré tout collé au matériau d’origine.
Il se contente de supprimer les couplets et les refrains qui sont inutiles pour faire
avancer le sens de la pièce, étant donné qu’il n’y a pas de chanteur et que les lignes
mélodiques sont de nature répétitive. Tout comme une performance typique d’un
standard, le thème est exposé après une brève introduction. Après quoi, le pianiste
Il faut ajouter que la réexposition ne concerne que le refrain. Encore une fois dans
les pratiques usuelles du jazz, les thèmes de certaines ballades ne sont pas réexposés en
entier. Plutôt que de reprendre une exposition AABA, le musicien peut reprendre
74
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave Grohl
(Batterie), CD, DGC Records GED 24536, 1993.
64
directement B et A après les chorus. La version de Gilad Hekselman de « Prelude to a
kiss »75 met en avant cette pratique. Après les deux A que le contrebassiste utilise pour
Ce qui est néanmoins intéressant à analyser se situe à un niveau plus profond dans
la structure. C’est la raison pour laquelle, j’ai ajouté le nombre de mesures entre
rapporter à l’harmonie et au thème d’un standard. Lorsque l’on improvise sur « Blues
for Alice », on sait en regardant la grille, qu’il faut improviser sur une grille de blues de
12 mesures :
G-7 C7 FΔ D7 G-7 C7
Dans son improvisation, la pratique du jazz veut que les musiciens se focalisent
sur des carrures qui sont écrites en fonction des thèmes. Ils sont généralement écrits
pour 12, 16 ou 32 mesures. Or ici le thème rock impose une approche qui conditionne
une base différente au chorus. Il n’y a que trois intonations et deux progressions
d’accords différentes.
75
https://www.youtube.com/watch?v=fYqaiEicGjs, consulté le 10 Août 2017.
65
Dans la même tonalité que le disque de Yaron Herman :
1er cas :
Ab-7 E Db 7
2ème cas :
Db7 E
Dans le couplet :
Dans le refrain :
66
Tout comme en jazz, on constate ici que l’improvisateur fonctionne sur des cycles
Et B le second :
Db7 E Db7 E
chose suivante : A A A A B B A A B B
tradition dans le jazz, Yaron Herman fait le choix de se servir de la micro structure du
thème. Il utilise par ailleurs cet élément pour restructurer le refrain. Dans la version
d’origine, le refrain d’« Heart shaped box »76 est constitué de A A A B, alors que Yaron
Herman préfère A A B B. Cette caractéristique est d’autant plus visible à travers les
constater ce fait.
76
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave Grohl
(Batterie), CD, DGC Records,1993.
77
https://www.youtube.com/watch?v=I1qgqSLYLZ0, consulté le 10 Août 2017.
67
Microstructure chorus du live au festival des 5 continents :
Ax4 Ax8
Bx2 Bx2
Ax4 Ax4
Bx2 Bx2
A x 4, B x 2, A x 3, B x 2, A x 4.
rock pour recycler des pratiques classiques du jazz. Il s’agit ici d’un élément qui nous
développerons lorsque nous évoquerons le cas des compositions inspirées des musiques
« Toxic » est une chanson issue de l’album de Britney Spears In the zone80 de
2004.
78
https://www.youtube.com/watch?v=aaKRYdGoNZI, consulté le 11 Août 2017.
79
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer (Contrebasse,
Gérald Cleaver (Batterie) , CD, Laborie Records LJ04, 2007.
80
Britney Spears, In the zone, Britney Spears, Roxanne Estrada, Kara Dioguardi, Courtney
Copeland Wizardz of Oz, B.U.D, Chyna Royal, Kyron Leslie, Jennifer Karr, Emma Roads, Roy Hamilton
(Chant), Stockholm session strings (Cordes), Kendall D. Nesbitt, Steve Anderson (Claviers), Donnie
68
Version Britney Spears Version Yaron Herman
Couplet Interlude
Couplet Interlude
Pré-chorus Couplet
Refrain Refrain
standard. On note même au contraire qu’il suit l’exposé d’origine avec quelques légères
variations. Ce n’est qu’à la fin de la pièce que ce dernier prend un temps limité de
l’instrument. Tout comme dans « Nefertiti »81, la pièce ne comporte pas vraiment
d’espace dédié à un discours improvisé. La pièce, comme elle est présentée ici, se prête
plutôt à la variation et à l’atmosphère, au paysage sonore qui est introduit par l’usage
Lyle, Henrick Jonback (Guitare), Roy Gartrell (Guitare, banjo), Thomas Lindberg (Basse), Algozee
(Orchestre), CD, Jive Records 82876 71023 2, (enregistrement 2002-2003, sortie 2003).
81
Miles Davis, Nefertiti, Miles Davis (Trompette), Wayne Shorter (Saxophone), Herbie Hancock
(Piano), Ron Carter (Contrebasse), Tony Williams (Batterie), CD, Columbia CK 65681 , (enregistrement
1967, remaster 1998).
69
o « In your house », version de Pierrick Pédron.82
« In your house », est une pièce de The Cure issues de l’album Seventeen
o Intro o Intro
o Couplet 1 o Couplet 1
o Pont 1 o Pont 1
o Pont 2 o Pont 2
o Couplet 4 (8 mesures)
o Outro
« Come together » est un morceau des Beatles, il est issu de l’album Abbey road85
de 1969.
82
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
83
The Cure, Seventeen seconds, Robert Smith (Chant, guitare), Simon Gallup (Basse), Laurence
Tolhurst (Batterie), Matthieu Hartley (Claviers), CD, Fiction Records 825 354-2 , (enregistrement 1979,
remaster 1985).
84
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.
70
Version des Beatles Version David Chevallier
Intro Intro
Couplet 1 Exposition
Couplet 2 Couplet 1
Refrain Couplet 2
Couplet 3 Refrain
Refrain Couplet 3
Solo Refrain
Couplet 4 Chorus
Couplet 4
Outro
David Chevallier fait le choix de rester proche de la version d’origine. Cela tient
en partie du fait qu’il conserve le chant et donc le sens des paroles et de la chanson.
o Déformation du thème
85
The Beatles, Abbey Road, John Lennon (Guitare acoustique et électrique, orgue, piano, chant) ,
Paul Mc Cartney (Basse, guitare acoustique et électrique, piano, orgue, chant, effets sonores), George
Harrison (Guitare életrique et acoustique, basse, orgue, synthétiseur Moog, chant), Ringo Starr (Batterie,
percussion, chant), Mal Evans (Piano, harmonica, harmonium, percussions, chant), George Martin
(Clavecin, orgue, piano, harmonium), Billy Preston (Orgue), CD, Parlophone CDP 7 46446 2,
(enregistrement 1969, remaster 1987).
71
Quand un jazzman s’approprie un quelconque thème, dans le contexte d’une
façon, lorsque le peintre s’empare d’un paysage, d’un portrait pour réaliser une toile, il
Il est courant, dans le jazz, qu’un thème ne soit pas interprété tel qu’il est écrit.
Pour s’approprier le répertoire rock, ce n’est pas différent, le thème subit trois types de
modification.
le thème, les harmonies. Une fois ces deux éléments intégrés, le musicien se donne à
toutes sortes d’expérimentations qui déforment l’objet d’origine. Le premier élément sur
Exemple : « Toxic »
Version originale:
72
Figure 12: Extrait « Toxic », Y.Herman, piano, 0'48 à 1'01.
Version Nirvana:
Figure 14: Extrait couplet, « Heart Shaped Box » Y.Herman, piano, 0’11 à 0’34.
73
S’approprier le thème passe aussi par l’improvisation d’une continuité au thème
Exemple:
Figure 15: Extrait « Heart Shaped Box » album Follow the white rabbit, Y.Herman, piano, 0'46 à 0'57.
Dans un autre cas, le thème est écrit et ne subit aucun de ces changements
concerne les grandes formations, sans doute pour contrôler le rendu. Il s’agit par ailleurs
d’une autre conception, d’une autre pratique du jazz qui se rapproche d’une musique
86
Laurent Cugny, A personal landscape, Laurent Cugny (Claviers), David Linx (chant), Big band
“Lumière”, Universal Music 013990-2, 2001.
74
Figure 16 : Extrait arrangement L.Cugny, « Blackbird ».
75
Bien que le cas soit relativement rare, quelques formations restreintes
fonctionnent davantage par l’écriture. C’est notamment le cas pour le projet de David
87
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.
76
Bien que ces musiciens s’approprient un répertoire rock, il n’en reste pas moins
que leur formation est jazz. On constate que pour traiter ce répertoire, les musiciens
l’improvisation. On le remarque grâce au phrasé qui se distingue par les accents qui
Figure 19: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone, 3’41 à 3'48.
dans la partition ci-dessous. Les notes ciblées, sont approchées par demi-ton, ce qui est
Notes cibles
Figure 20: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone, 3'31 à 3'38.
Figure 21: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone, 3'41 à 3'48.
77
L’harmonie, que l’on analysera par la suite, restreint l’improvisateur à un certain
nombre de matériaux (gammes, modes, licks, etc…) puisqu’elle est assez limitée. Dans
le Be-bop et le jazz tonal, l’improvisateur est conduit par les harmonies qui embellissent
la grille. Il est guidé par ce que l’on appelle les « guides tones ». Ce procédé est central
en jazz parce qu’il suppose que l’improvisateur place les notes importantes sur les
temps forts, comme la tierce ou la septième. Il est pour ainsi dire comme conduit par
l’harmonie. Or ici, les riffs ou les progressions harmoniques étant assez limités amènent
les musiciens à les exploiter dans un contexte modal. Il n’est ainsi pas rare de se
retrouver avec des plages modales (nous y reviendrons plus tard). Par ailleurs, lorsque
que l’harmonie suppose une ambiguïté modale, notamment pour l’harmonie suivante :
Cas n°1
Cas n°2
L’accord de tonique est Ab-, or les deux accords qui suivent, supposent deux
modes différents.
Cas n°1 :
harmonique qui sous-entend le mode éolien. L’exemple ci-dessous utilise les dièses
78
Harmonisation mode éolien :
I II III IV V VI VII
Cas n°2 :
Comme on peut le remarquer dans l’exemple ci-dessus, le Db7 n’y figure pas.
C’est parce qu’il est issu du mode dorien qui prend toujours Ab-7 comme tonique. Nous
I II III IV V VI VII
Dans son chorus, Yaron Herman tire profit de cette ambigüité harmonique en
embrassant les accords notamment en utilisant des phrases mélodiques jouant sur le fa
mineure comme d’un réservoir qui sert à développer des motifs et des mélodies.
1 3- 4 5 7-
Ab Cb Db Eb Gb
79
Exemple :
On note quand même une légère appropriation des phrases rock dans
l’improvisation.
Figure 23: Extrait « Halleluyah » album Covers, M.Codjia, guitare, 1'54 à 1'58.
distinguent. Certains prennent le parti de conserver le chant, alors que d’autres décident
Cependant le chant dans le jazz tient une place assez particulière. Nous y
reviendrons en détail dans notre dernier chapitre, mais nous pouvons malgré tout dire
80
que l’on distingue deux types de chants. Le premier utilise la voix en associant des
mélodies à des paroles intelligibles, alors que le second vise plutôt à instrumentaliser la
voix, en jazz il s’agit du scat. Les arrangements confondent parfois les deux pratiques.
climax de cette pièce, lors d’une improvisation collective, il se sert des mots « in your
La section rythmique s’adapte elle aussi à son sujet. Le swing traditionnel semble
temps binaire. Le chabada de la batterie est abandonné pour laisser place à un pattern
droit qui marque les temps forts de la mesure plus symptomatiques du rock, de la pop,
etc.
Exemples :
81
Figure 25: Pattern de batterie, « Lullaby » album Kubic's Cure.
A la basse ou la contrebasse, la walking bass est par conséquent mise de côté pour
la retrouve à travers des riffs, donc dans une certaine mesure fixés, et à travers des
Exemple 1 :
Figure 26: Extrait « Heart shaped box » album Follow the white rabbit, Y.Herman, contrebasse, 2'15 à 2'25.
Exemple 2 :
Figure 27: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, contrebasse, 2'35 à 2'44.
Nous avons, au cours des points précédents, pu observer que dans certains cas, le
répertoire était adapté à une instrumentation singulière. Ceci implique des arrangements
singuliers qui corroborent l’idée d’adaptation des standards à une formation et non
82
certaines parties d’accompagnements soient attribuées à un instrument qui n’est de
C’est notamment le cas pour le projet Kubic’s Cure88 de Pierrick Pédron, dans
Exemple :
Figure 28: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone arpèges.
Le saxophone obtient dès lors un rôle ambiguë tantôt accompagnateur, tantôt lead.
Ce qui nous amène à aborder la dimension harmonique et son traitement par les
musiciens de jazz dans la performance. L’harmonie jazz est particulièrement fondée sur
le principe de ii-V- I. Très souvent, le ii-V est utilisé pour passer d’une tonalité à l’autre,
comme dans l’exemple suivant qui correspondent aux 8 dernières mesures d’un blues:
C7 Bb7 F7 F7
88
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
83
Réharmonisation avec le principe de ii-V :
G-7 C7 F7 G-7 C7
secondaire, mais la plupart du temps, les arrangements mettent plutôt en valeur l’espace
harmonique que permettent les progressions des compositions des musiques actuelles.
Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’harmonie est dans le rock relativement
restreinte. Parfois les riffs eux même ne supposent qu’un seul accord et ils font malgré
tout l’objet d’une base solide pour un discours improvisé. Et après tout quel est le
problème ? En effet, le jazz modal a déjà traité avec ce type de chose. « So what »89 ne
comporte que deux accords différents sur lesquels improvisent les solistes autour d’une
structure AABA.
D-7 ٪ ٪ ٪
D-7 ٪ ٪ ٪
Eb-7 ٪ ٪ ٪
Eb-7 ٪ ٪ ٪
89
Miles Davis, Kind of blue, John Coltrane (Saxophone), Cannonball Aderley (Saxophone), Bill
Evans (Piano), Winton Kelly (Piano), Paul Chambers (Contrebasse), Jimmy Cobb (Batterie), Miles Davis
(Trompette), Columbia Records CK 64935, (enregistrement 1959, remaster1997).
84
Dans le jazz traditionnel, la grille comportait déjà des tensions harmoniques qui
amènent une tension, par une accélération du rythme harmonique et par le V7. Elle
F7 Etc…
Avec les réharmonisations ces tensions étaient parfois même accentuées, elles
Que l’improvisateur prenne deux, trois, cinq ou dix grilles, l’objectif est, pour les
performeurs de raconter une histoire par le langage improvisé. Dans une histoire, il y a,
pour faire simple, un début, un milieu et une fin. Or cela ne nous aura pas échappé que
l’harmonie de base est assez épurée. Ce paramètre défini par ailleurs une des
tension/résolution les performeurs s'adaptent une fois de plus à leur objet et usent de
85
Certaines caractéristiques autres, sont présentes dans le rock comme dans le jazz.
d'autres polyrhytms.90
Le dernier élément plutôt caractéristique du rock et que l'on retrouve dans ces
particulier qui met en évidence le rôle du studio dans l'arrangement final. Grâce à cela,
l'artiste se sert du studio comme d'un véritable outil de l'arrangement. Il permet de créer
des couches afin de progressivement les superposer et de développer une épaisseur qui
histoire.91 Le discours improvisé, ou chorus, suit ainsi une forme et a une direction.
Pour enrichir le « langage » sonore, les jazzmen ajoutent aux textures sonores
Dans cette partie nous avons vu qu’en réalité l’appropriation que les musiciens de
jazz font des musiques actuelles et plus particulièrement du rock tend à standardiser les
particularités à tous les niveaux, tant dans la forme que dans le langage improvisé. Les
90
HOENIG ARI & WEIDENMUELLER JOHANNES, Polyrytms Vol,1 contracting and
expanding time within form, s.l, Mel Bay, 2009.
91
AEBERSOLD Jamey, Une nouvelle approche du jazz: Improvisation, New Albany, Jamey
Aebersold, 1992, pp.45-46.
92
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
86
compositions de rock sont un support, au même titre que n’importe quel standard, sur
lequel sont transposés des concepts jazz mais avec une part du langage rock.
étudier les compositions jazz qui sont influencées par les musiques actuelles.
87
3 DES MUSIQUES ACTUELLES A L’ŒUVRE JAZZ
La question de savoir ce que l’on considère comme l’œuvre en jazz est de nature
assez complexe. Puisqu’il ne s’agit par ailleurs pas directement de notre sujet j’invite le
lecteur à compléter les éléments essentiels des notions qui seront traitées ici avec
l’ouvrage de Laurent Cugny, Analyser le jazz.93 Il faut néanmoins l’aborder pour saisir
Avant tout chose, il faut savoir que je ne dispose que de peu de partitions à
l’origine de l’enregistrement. Tout le travail d’analyse est fondé sur des relevés issus du
composition jazz, nous ne partirons pas de la dimension stylistique. Il faudra plutôt voir
Pour saisir notre objet d’étude, il faut le définir le terme « composition ». Comme le
mentionne Laurent Cugny, « Il est bien évident qu’aucune performance, de jazz n’est
produite sui generis, dans l’impensable innocence d‘une énonciation pure de toute
93
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009.
88
préméditation ». 94 La composition n’est pas l’œuvre, elle en est simplement l’origine
composer et le résultat de cette action »95. Une autre définition se rapporte à quelque
chose de plus général « Art et action de choisir, de disposer et de coordonner les divers
éléments constitutifs d'une œuvre littéraire, artistique, architecturale, etc. ; cette œuvre
l’écriture, ou est le résultat d’un processus mental qui conduit et précède une
En jazz, ce terme prend un sens assez singulier de par la nature même de cette
une composition (le résultat) précède la performance et quelle forme elle prend dans un
premier temps. Mais dans un second temps, il faut se demander comment elle a été
traitée.
savante écrite, dont l’œuvre est manifeste dans la partition et incarnée par
94
Idem, p.85.
95
Idem, p.96. La définition est elle-même extraite du Dictionnaire encyclopédique de la musique.
96
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/composition/17751, consultée le 2 Août 2017.
89
S’agit-il d’une pièce qui se distingue par ses particularités stylistiques et musicales ou
En prenant l’ensemble des pièces utilisées pour la réalisation d’une œuvre jazz, on
distingue deux catégories, celles qui sont écrites par des artistes de jazz et celles qui au
contraire ne le sont pas. A priori pas de problème pour la composition qui comprend
intrinsèquement les caractéristiques de musique jazz. Bien que cette composition puisse
intégrer les caractéristiques les plus fondamentales du jazz, il n’en reste pas moins
qu’ « une composition pour le jazz ne peut se manifester dans un objet sonore (de jazz)
autrement que dans une performance qui, au moment même de son accomplissement,
version, quel que soit son interprète, devient une œuvre à part entière différente de la
En second lieu, il y a toutes les autres pièces qui ne sont pas écrites par des
comédie musicale. Mais ce répertoire ce nourrit également de tous les autres morceaux
ces pièces est conséquent. D’un point de vu stylistique, avant que les jazzmen ne se les
approprient, rien ne les rattache au jazz. Cette filiation n’est possible que par
l’intégration de ces pièces dans les pratiques récurrentes de ces musiciens. Ces derniers
mode ?
97
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, p.88.
90
En somme, ce qu’il faut retenir c’est que la composition elle-même ne permet pas
de cerner une œuvre jazz parce qu’elle ne rend pas compte de certains éléments que le
jazz manifeste naturellement comme étant indéterminés. Elle est seulement un point de
jazz ?
Ici encore, la démonstration sera simplifiée.98 Le jazz est un genre qui fait
existe plusieurs versions d’un même morceau par un même musicien. L’improvisation
suppose le caractère indéterminé de la pièce avant qu’elle ne soit jouée ce qui souligne
musique écrite savante. Comme nous avons pu le voir la performance est le centre de
notre intérêt de l’œuvre jazz. Le terme « interprétation » ne peut servir le jazz dans la
mesure qu’il suppose la lecture d’un texte écrit ce qui n’a pas de sens dans ce genre.
Encore une fois, la composition n’est qu’un point de départ à une appropriation qui
amène le musicien à s’écarter plus ou moins du texte. C’est ici que l’on retrouve la
création, à travers le jeu. On peut ainsi dire que l’œuvre de jazz figure dans la
performance sonore. « On peut affirmer que le moment décisif de l’œuvre est celui où
les musiciens jouent, qu’ils improvisent plus ou moins complètement, qu’ils s’appuient
98
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, pp.55-112
91
sur un point de départ compositionnel plus ou moins élaboré, qu’ils lisent des partitions
Par conséquent, nous pouvons affirmer que les rôles d’auteur et d’interprète se
véritable et unique « objet » sonore. L’œuvre ne peut alors pas se réduire à la simple
possible.102Or ce type d’enregistrement est, malgré les attentes, assez peu courant.
99
Ibidem, p.52.
100
JAMIN Jean et WILLIAMS Patrick, Une anthropologie du jazz, Paris, CNRS édition, 2010,
p.160. « Et plutôt que la partition, c’est l’exécution publique puis l’enregistrement qui révèlent cette
œuvre –devenant référence ou n’illustrant qu’une version parmi d’autres, les musiciens qui l’inscriront ou
pas dans le répertoire en décideront. »
101
Ibidem, p.54.
102
Ibidem, p.56.
92
Le studio devient un instrument à part entière. Mais c’est un point que nous détaillerons
a posteriori.
Pour la plupart des pièces que nous allons traiter, en réalité nous ne disposons pas
de cet objet que l’on connait maintenant comme étant la composition. Tout comme dans
notre chapitre II, le seul élément sur lequel il faut s’appuyer reste le résultat, soit
Par conséquent, afin que notre analyse soit la plus complète possible, il nous
L’instrumentation n’a jusqu’à présent pas été évoquée pour ce répertoire influencé
appropriation dans l’œuvre jazz. Le jazz classique, tout comme le rock a un son. Dans
singulière aussi bien dans la composition que dans l’arrangement des classiques du
rock.
Parmi les choix adoptés par les artistes pour leurs compositions, on ne retrouve
qu’une seule tendance : celle de se rapprocher d’un son, d’un genre issu des musiques
actuelles. Les formations de jazz les plus courantes, actuellement lors des lives, sont
fréquemment des trios ou des quatuors pour des raisons d’esthétiques. Les projets de
93
jazz. Le trio avec guitare est aussi maintenant assez fréquent 103. Tous ces types de
pour lequel les enjeux de rendu ne sont pas les mêmes. Lors de l’enregistrement, de la
session studio, l’artiste n’hésite pas à mobiliser plus d’instrumentistes pour nourrir ses
arrangements. Certains de ces musiciens sont seulement invités sur une ou deux pièces
de l’album. Ce qui est notamment le cas pour l’album Kubic’s Monk104, dans lequel
cependant sans aucun doute aussi rappeler les questions financières. Plus il y a de
musiciens plus les dépenses sont importantes pour l’organisateur lors de la production
live du projet. Naturellement l’objectif de ces musiciens est de produire leurs créations
de moins en moins favorable aux organisateurs, être compétitif est un enjeu déterminant
pour la vente des spectacles. C’est pourquoi restreindre le nombre de musiciens est une
103
Gilad Hekselman, David Chevallier, Jonathan Kreisberg, Marc Ducret, Manu Codjia, etc…
Mais également des trios assez atypiques comme celui de John Raymond & Real feels avec Gilad
hekselman (Guitare), John Raymond (Bugle) et Colin Stranahan (Batterie).
104
Pierrick Pédron, Kubic’s Monk, Pierrick Pédron (Saxophone), Ambrose Akinmusire
(Trompette), Thomas Bramerie (Contrebasse), Franck Agulhon (Batterie), CD, ACT Music ACT 9536,
2012.
105
«Question: Parce que votre tournée sur « And the » est terminée ?
Pierrick Pédron: Alors non ce n’est jamais terminé. Mais ce projet est très ambitieux. On arrive à
une époque où les choses sont très aseptisées. On ne peut pas dire que ce que je fais est très aseptisé.
Donc si tu veux, il y a un monde entre ce que font les organisateurs de spectacle et la manière dont
j’envisage les choses. Les organisateurs en général ne prennent pas de risques. Ces projets-là ne sont pas
des projets qui rentrent dans le moule. On a fait le choix de faire un truc très produit, ça nous a été
beaucoup reproché d’ailleurs. » Entretien avec Pierrick Pédron
94
Leïla Martial tente le pari de se séparer du bassiste et de proposer un trio guitare,
chant et batterie pour incarner ses compositions106. Bien que n’importe quel standard
soit adapté, dans l’histoire du jazz, à travers n’importe quel type de formation, il n’en
demeure pas moins curieux de retrouver des arrangements de pièces rock sous un cadre
tel que celui-ci. Le tableau ci-dessous reprend l’instrumentation de certains des albums
Groupes de composition :
dans ces tableaux. Il s’agit simplement de mettre en évidence les convergences des
rythmique demeurent traditionnellement les plus utilisés. Ces tableaux ne montrent pas
106
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
95
le nombre de musiciens investis mais ils montrent en revanche que la plupart du temps
les choix instrumentaux sont assez élémentaires et à travers des formations relativement
Bien que la question économique soit très actuelle et que la majorité du temps les
formations soient basiques, certains musiciens ne se sentent pas effrayés par l’ampleur
instrumentale que nécessite leur projet. On retrouve ainsi des types d’instrumentation
étonnants parfois très éloignés des codes traditionnels du jazz. Comme les tableaux le
voix principales.
Section rythmique
identité singulière autour des claviers dirigés par ordinateur. Les sons choisis pour
reprendre le rôle de la basse sont assez proches de ce que l’on peut retrouver dans
l’électro et la pop. D’un point de vue pratique, le bassiste est substitué par le claviériste
qui assume la basse ainsi que l’harmonie. Comme cela se faisait déjà auparavant,
96
demande. C’est notamment le cas de Tony Paeleman sur Circles ou de Benjamin
D’un autre côté, on retrouve toujours la basse électrique. Nous verrons par la suite
que la nature de cette ligne de basse change dans une certaine mesure au sein des
au sein des arrangements de morceaux rock ainsi que dans les compositions. Son rôle
est central et fonctionne avec les autres instruments de la section rythmique. Le set est
par ailleurs parfois agrémenté de pads électroniques avec des sons générés par
ordinateur.
électrique, sont les instruments préférés pour ce type de répertoire. Il faut néanmoins
remarquer une chose assez atypique : sur scène on note que pour certaines formations
chaque musicien est en possession d’un clavier de 24 touches. Chacun participe ainsi un
tant soit peu au paysage sonore et harmonique. C’est notamment le cas pour le projet
107
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle), CD, Verve Records 3742644, 2013.
108
Anne Paceo, Circles, Anne Paceo (Batterie, chant), Leïla Martial (Chant, laptop), Emile
Parisien (Saxophone), Tony Paeleman(Claviers), CD, Laborie jazz LJ35, 2016.
97
Voix principales
Pour ce qui est des voix Lead, peu de choses réellement étonnantes non plus. On
Selon Gerhard Kubik109, le jazz est un genre plus instrumental que vocal. Ce qui
n’est pas totalement faux, même au regard des créations récentes pour plusieurs points.
On constate en réalité, tant dans les arrangements de pièces rock que dans les
compositions influencées par les musiques actuelles, une utilisation de la voix multiple
En dépit du fait que cet article ne fasse pas l’unanimité parmi les musicologues,
nous ne pouvons que constater que traditionnellement les formations de jazz sont belles
survécu dans le jazz, bien que dans un contexte différent, du scat d’Ella Fitzgerald au
109
KUBIK Gerhard, « Présence de la musique africaine dans le jazz », in Jean-Jacques Nattiez
(Eds), Musique. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Vol.1, Paris, Actes Sud, 2003.
110
ibidem, p.1216.
98
jungle style des trompettes en sourdine chez Duke Ellington, et jusqu’au nom même qui
technique est utilisée par les chanteurs de la scène française de façon relativement
traditionnelle. Comme l’explique simplement Médéric Collignon, le scat est une forme
de jazz vocal qui mobilisent des onomatopées à la place des paroles. 112 C’est Louis
Armstrong, dit Satchmo, qui aurait inventé et qui aurait, pour la première fois,
enregistré du scat. L’histoire veut que lors d’un enregistrement avec son Hot five, le 26
février 1926, Armstrong laisse tomber les paroles de Heebie Jeebies au sol. Plutôt que
de paniquer, ce dernier se lance dans une improvisation vocale. Cette version des faits,
bien que largement diffusée, trouve ses contradicteurs. Certains d’entre eux, datent
111
KUBIK Gerhard, « Présence de la musique africaine dans le jazz », in Jean-Jacques Nattiez
(Eds), Musique. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Vol.1, Paris, Actes Sud, 2003, pp.1203-1235.
112
https://www.youtube.com/watch?v=IoiC-twgVoI, consulté le 1er Août 2017.
113
https://www.francemusique.fr/jazz/c-est-quoi-le-scat-30384 , consulté le 1er Août 2017.
99
En dehors de cette technique, les chanteurs, les chanteuses se réapproprient le
chant en yaourt. Ce type de chant, est singulier dans la mesure où il consiste à chanter
en produisant des sons, des onomatopées, des syllabes qui font penser à l’auditeur qu’il
s’agit d’une langue réelle. Comme on peut le deviner cette technique se rapproche d’une
vision plus vocale, bien que les sons choisis ne signifient rien, ils tendent malgré tout à
Où allez-vous chercher tous ces mots imaginaires que l'on entend lors de vos
improvisations ?
- Cela vient de mon goût pour l'imitation. Toute petite, j'adorais imiter les langues
étrangères. C'était une vraie passion chez moi. Je me souviens par exemple que si des
Anglais passaient à côté, je faisais mine de parler anglais... J'inventais des langues
étrangères, des conversations. C'est un truc qui m'est resté, et du coup, quand
j'improvisais, avec des mecs à la guitare qui plaquaient deux accords, j'avais toujours le
souci qu'on ait l'impression que c'était une chanson dans une autre langue. Le scat, ça ne
m'intéresse pas vraiment, les "hou la dou hi didi hou", c'est hyper typé. J'ai envie qu'on
ait l'impression que je dis quelque chose, en fait. Avec des mots. Mon improvisation,
c'était ça : faire croire que je faisais des chansons connues avec des mots qui n'existent
pas. On me disait : "Ah ouais ! C'est quoi, cette chanson ?" Je ne parle ni l'anglais, ni
l'espagnol couramment. Mais les langues imaginaires, le yaourt (chanter en imitant la
sonorité d'une langue, ndlr), j'ai toujours adoré !114
influencées par les musiques actuelles. Les compositions ainsi que les arrangements de
standards du rock sont parfois chantés pour ce qu’ils sont à l’origine, des chansons
accompagnées.
114
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/electro/rencontre-avec-leila-martial-nouvelle-voix-du-
jazz-esprit-tres-rock-102801, consulté le 14 Août 2017.
100
tout de chansons, et je souhaitais qu’elles le restent et que l’habillage, l’arrangement,
nous amène vraiment ailleurs. Pour moi mon projet avait plus de sens si je conservais la
voix. Entretien avec David Chevallier à propos de son album Is that pop music !?115
Dans le rock ou bien encore dans la pop et dans les musiques actuelles en général,
l’utilisation de la voix est plus vocale qu’instrumentale. Elle peut-être rappée (c’est la
Circles), parlée à travers la récitation d’une poésie (« Je bèle donc je suis », Leïla
En somme, il faut saisir l’importance accordé aux instruments comme les claviers
dirigés par ordinateurs. L’électronique devient un véritable moyen d’opérer une sorte
115
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.
116
Airelle Besson, Radio One, Airelle Besson (Trompette), Isabel Sörling (Chant), Benjamin
Moussay (Piano, claviers), Fabrice Moreau (Batterie), CD, Naive NJ 625911, 2016.
117
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
118
Anne Paceo, Circles, Anne Paceo (Batterie, chant), Leïla Martial (Chant, laptop), Emile
Parisien (Saxophone), Tony Paeleman(Claviers), CD, Laborie jazz LJ35, 2016.
101
3.2.2 Le temps de l’arrangement/de la composition
A propos de l’arrangement :
Comme dans de nombreux genres musicaux, le rôle du studio et des outils qu’il
l’enregistrement est intimement lié à la notion d’œuvre dans le rock et sans doute aussi
dans le jazz.
constitue le studio dans l’œuvre musicale issue des musiques actuelles. Il s’agit d’un
119
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, pp.109-110.
120
DEVENEY Guillaume, « Le studio d'enregistrement comme laboratoire du son », in Costantino
Maeder, Mark Reybrouck (Eds), Sémiotique et vécu musical : du sens à l’expérience, de l’expérience au
sens, Louvain, Leuven University Press, 2016, pp.143-154.
102
outil, mais plus encore d’un lieu dans lequel les esprits contribuent à la finalisation de
l’œuvre.
Dans le jazz, quel que soit les esthétiques, les mouvances, l’enregistrement n’a
cessé de prendre une place de plus en plus importante. Il devient ainsi d’autant plus
Cette utilisation du studio n’est d’ailleurs pas si récente que ça dans le monde du
jazz. L’album Bitches brew121 de Miles Davis, mobilise déjà dès 1969 les outils du
studio afin de créer un objet final qui est assez éloigné de l’enregistrement initial. A
noter de plus que la période à laquelle on rattache l’esthétique de cet album est le jazz-
rock. En somme, il ne s’agit pas d’une coïncidence puisque le jazz s’est déjà jusqu’alors
On a fait un an et demi de post production avant d’avoir quelque chose qui nous
plaisait. Ce qui était sortie du premier jet, ne me plaisait pas trop, c’était trop la jam
session, trop le bœuf, il fallait faire quelque chose de différent. Parfois j’ai fait toutes les
voix en Re recording, j’ai refait des solos de sax, il y a eu un boulot de malade.
Entretien avec Pierrick Pédron
En réalité, c’est bien ici que l’on peut distinguer l’objet « enregistrement » en tant
économique que l’on connait, les programmateurs ne prennent plus de risques. Les
artistes se retrouvent confrontés à une dure réalité d’un projet impossible à restituer
avec des arrangements d’origines, irréalisable d’un point de vue financier. C’est
121
Miles Davis, Bitches Brew, Wayne Shorter (Saxophone), Bennie Maupin (Clarinette bass), Joe
Zawinul (Piano électrique), Larry Young (Piano électrique), Chick Corea (Claviers), John McLaughlin
(Guitare), Dave Holland (Basse), Harvey Brooks (Basse électrique), Lenny White (Basse), Jack
DeJohnette (Batterie), Don Alias (Congas), Jumma Santos (Congas), CD, Columbia C2K 65774,
(enregistrement 1969) remaster 1999).
103
pourquoi le live nécessite des arrangements et des adaptations importantes afin de
On ne peut pas dire que ce que je fais est très aseptisé. Donc si tu veux, il y a un
monde entre ce que font les organisateurs de spectacle et la manière dont j’envisage les
choses. Les organisateurs en général ne prennent pas de risques. Ces projets-là ne sont
pas des projets qui rentrent dans le moule. On a fait le choix de faire un truc très
produit, ça nous a été beaucoup reproché d’ailleurs. Entretien Pierrick Pédron
à part entière qui permet d’influencer la composition sur sa texture mais aussi sur sa
L’ingénieur son devient dès lors, dans ce type de projet, un complice de l’œuvre
tant en studio qu’en live puisque maintenant certaines formations ne se déplacent pas
sans leur ingénieur son. La gestion du son devient par conséquent un enjeu central et
Ça a été un travail colossale, deux ans de boulot, je ne sais pas combien de mix
j’ai refusé. Ca été un tel boulot que je me suis dit que j’allais me calmer un peu ensuite.
Quand on fait un album on fait aussi confiance à l’ingé son qui va te donner sa patte
sonore. Entretien Pierrick Pédron
104
dans "Circles", c’est une conscience du son, du travail de groupe, du travail de la
texture, afin d'habiller au mieux les morceaux.122
Comme expliqué en début de partie, la composition n’est pas une fin en soi pour
définir l’œuvre de jazz. Elle est un point de départ quel que soit la forme qu’elle prend.
Malgré les quelques esquisses récupérées, notre étude est majoritairement lacunaire.
jazz, et malgré les versions, on suppose une forme, des enchainements harmoniques
en tout cas principalement à partir de l’œuvre que représente l‘enregistrement que notre
Malgré les différences pourtant très manifestent qu’il peut y avoir entre ces
récurrentes.
Bien que dans le chapitre 2 nous ayons vu que globalement la forme de la pièce et
des thèmes étaient relativement simple, on constate que dans le cadre de leurs créations
ces musiciens ne se cantonnent plus à une structure aussi lisible. Au contraire, les
éléments thématiques complexes, les improvisations qui font office de thèmes, tendent à
122
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/victoires-du-jazz/anne-paceo-circles-les-
voyages-sonores-d-une-batteuse-241091, consulté le 14 Août 2017.
105
camoufler la forme. Il faut de plus ajouter que les éléments thématiques ne reviennent
pas toujours. Plutôt que de proposer une forme dans laquelle on retrouve une exposition
et une réexposition, on a une forme qui se rapproche de la rhapsodie et qui est donc
assez libre.
A 0’43 - 1’28
(improvisation)
B 1’29 - 2’29
(improvisation)
C 2’30 - 2’50
D 2’51 – 4’42
A 0’54 – 1’58
123
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
124
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
106
Pont 1’59 – 2’14
B 2’15 – 3’06
C 4’05 – 4’40
D 4’41 – 6’02
En dehors de ces formes, d’autres artistes optent pour des structures plus simples
parfois à l’image des grandes formes du jazz ou bien des formes adoptées par la pop.
Section rythmique
ferait par le biais des caractéristiques rythmiques du jazz, or les plus représentatives
d’entre elles sont là encore mises de côté. C’est notamment le cas pour le duo basse
batterie. A la batterie, on abandonne dans une très grande majorité des cas le chabada
traditionnel au profit d’un jeu plus moderne et binaire. Le pattern de base est néanmoins
107
Il est assez rare de le retrouver exposé sous cette forme, souvent il est retravaillé
Figure 32: Extrait « PP song tree » album And the, P.Pédron, batterie, 0'00 à 0'25.
Figure 33: Extrait « Smile » album Baabel, L.Martial, batterie, 4'48 à 4'52.
Figure 34: Extrait « Red walk » album Doppler, Host, Batterie pattern.
plus symptomatique d’une pratique rock ou issue des musiques modales (world ou jazz
modal). La basse rock est stigmatisée par un jeu qui marque le débit de croches des
fondamentales d’une harmonie répétitive. Dans l’autre cas, il s’agit plus de patterns
108
Figure 35: Extrait « PP song tree », album And the, P.Pédron, piano, 2'53 à 3'53.
distinguent par des structures plus complexes et des changements de métrique fréquents.
Bien que nous ne relevions que peu de pièces au-dessus des 10 minutes, cette
Exemple:
109
Figure 37: Extrait « Baabel2 » album Baabel, L.Martial, Guitare, 0'42 à 1'18.
Nous pouvons ajouter que lorsqu’ils ne sont pas improvisés, les thèmes sont de
Exemple:
Figure 38: Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, Chant, 2'25 à 3'42.
110
Dimension harmonique
Le tout est de comprendre que le répertoire mobilisé par le jazz est intimement lié
aux compositions des jazzmen dans certains cas. Bon nombre de compositions de jazz
sont écrites à partir de pièces qui ne sont pas relatives au jazz. Le jazzman s’approprie la
langage plus complexe dans la composition comme dans les arrangements. Pour cela les
quoi ce langage a pu être assimilé au sein même du discours improvisé. Il s’agit d’un
langage harmonique est présent et marqué par des phrases mélodiques caractéristiques.
L’exemple le plus connu de ces head est celui que constitue « I got rhythm » de
Gershwin. Cette grille constitue la base de ce qui est connu en jazz comme la forme
111
Grille harmonique de « I got rhythm » :
D7 D7 G7 G7
C7 C7 F7 F7
112
Grille harmonique d « Anthropology » :
D7 D7 G7 G7
C7 C7 F7 F7
Le procédé est tellement courant que même entre les compositions de jazzman
113
Grille de « Tune up » :
A1
E-7 A7 DΔ DΔ
D-7 G7 CΔ CΔ
E-7 F7 BbΔ A7
A2
E-7 A7 DΔ DΔ
D-7 G7 CΔ CΔ
E-7 A7 DΔ DΔ
John Coltrane s’appropriera cette grille à travers une réharmonisation qui mobilise
114
Grille harmonique de « Countdown » :
On note qu’à travers les créations des jazzmen français actuels, ces principes de
Pour construire leurs morceaux les jazzmen structurent leurs thèmes ou certaines
de leurs parties sur des cellules harmoniques répétitives qui ne sont pas
ci-dessous qui clôture « Elise » issu de l’album And the125 de Pierrick Pédron.
4/4 G Gb F E
contexte modal.
125
Pierrick Pédron, And the, Pierrick Pédron (Saxophone), Damon Brown (trompette), Marja
Burchard et Vincent Artaud (Claviers), Jérôme Fanioul (Xylophone), Julien Herné et Tomi Simatupang
(Contrebasse), Bernd Oezsevim (Batterie), Chris De Pauw et Jan Weissenfeldt (Guitare), Didac Ruiz
(Percussions), CD, Jazz village JV 570097, 2016.
115
Exemple : Mode éolien Yaron Herman, « Jacob »126 extrait du live à Vienne en 2017.
4/4 C# - A G#-
Majoritairement, ce que l’on retrouve ne se manifeste qu’à une échelle plus petite. Dans
le chapitre 2, nous avons souligné le fait que des cellules harmoniques répétitives
o Gammes et modes
l’improvisation jazz est une fois de plus mobilisé. Peu importe le matériau sur lequel le
musicien improvise, il est adapté à un langage harmonique qui est emprunté aux
musiques actuelles. Mais la façon d’improviser semble là encore être de tradition jazz et
non pas nécessairement issue des musiques actuelles. On note malgré tout la tendance à
un contexte modal ce qui leur permet d’utiliser tout un réservoir de modes sur un même
matériau.
126
https://www.youtube.com/watch?v=DIu5hRFB03Y&t=1298s, consulté le 14 Août 2017.
116
Exemple :
Figure 39: Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, saxophone, 2'08 à 2'25.
pour développer des phrases de type jazz. Tout comme on retrouve des chromatismes
dans les phrases de Charlie Parker. Ils servent tant pour approcher les notes cibles que
virtuosité au langage simple. En effet, si les chromatismes sont biens présents dans le
langage, on ne peut s’empêcher de constater la simplicité des mélodies, des motifs lors
du discours improvisé. Pour cela, le soliste développe son solo en restant dans le
contexte diatonique.
Exemple :
117
En dernier lieu, nous pouvons mentionner l’utilisation intentionnelle des micros
Figure 41: Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, saxophone, 1'34 à 1'43.
o Section rythmique
L’harmonie jazz est codifiée autour de pratiques standardisées. Il s’agit d’un des
éléments les plus caractéristiques du jazz. Si l’on observe ces spécificités auprès d’une
thème ainsi que les chorus en plaquant les harmonies. Le thème est accompagné par une
minimalistes.
Figure 42: Extrait « PP song tree » album And the, P.Pédron, Piano, 2'54 à 3’21.
118
Dans un contexte typé du jazz modal, l’accompagnement exploite généralement
les triades, les tétrades d’un mode que l’instrumentiste superpose à une basse obstinée.
Cette basse est la tonique sur laquelle les musiciens travaillent la couleur modale. Le
placement rythmique est par ailleurs semblable à ce que nous avons vu précédemment.
Cette singularité est moins présente au sein des projets sur lesquels l’analyse se
moins fréquent.
119
La musique dont nous parlons s’affranchie de ces codes et
emprunte ce qu’il lui faut pour se forger un son qui est sans
Exemples :
Figure 44: Extrait « Baabel2 » album Baabel, L. Martial, guitare, 0'42 à1'18.
120
Exemple rythmique funk :
Figure 45: Extrait « Clock road » album And the de P.Pédron, guitare,0'00 à 0'07.
pas de reproduire les pièces telles qu’elles sont présentées sur CD. En dehors des plages
création en temps réel, ce sont les arrangements fondamentaux qui sont remis en
indéterminée, bien que l’on retrouve régulièrement les mêmes tournures (substitutions
plus longue.
Exemple :
121
Figure 46: Extrait « Toundra », album Circles, A.Paceo, clavier et rhodes, 2’20 à 2’32.
Figure 47: Extrait « Toundra », live jazz sous les pommier, A.Paceo, clavier, 26’34 à 27’03.
Forme et improvisation
En dépit du fait que nous ayons pu voir que l’intérêt des musiciens de jazz
pouvait avoir avec des formes simples telles que couplet/refrain, certains d’entre eux se
réservent le droit de proposer des choses plus atypiques avec des formes plus
développées. Nous venons de le voir, ces formes complexes ne vont pas sans rappeler
122
Si ces pièces trouvent une certaine forme pour l’enregistrement studio, les
enregistrements live font parvenir un fait qui est aussi étonnant pour ce répertoire. En
effet, la forme est vouée à être modifié lors de la performance. Les musiciens s’adaptent
etc…). L’œuvre d’origine est ainsi sans cesse revisitée en profondeur lors de certains
concerts. La réappropriation est permanente. Les cellules harmoniques dont nous avons
jusqu’à présent parlé sont ici aussi réutilisées pour définir le cadre de l’improvisation
qui n’est pas restreint à une forme caractéristique du jazz (AABA de 32 mesures, etc…).
intégrant des sections parfois entièrement improvisées ce qui est le cas dans beaucoup
effets dans l’appropriation du rock. Or dans les projets de création également, les effets
prennent une place assez spéciale. En effet, la texture est utilisée comme d’un outil pour
gérer la forme du discours. Ce qui est toujours le cas à travers les pièces de la scène
française dont nous parlons. Nous ne reviendrons pas sur le studio qui a déjà été traité.
scène aux pieds des soufflants, c’est notamment le cas de Guillaume Perret. Grâce aux
fonctionnalités de ses pédales, looper, octaver, etc… Il peut proposer des pièces et des
123
concerts à lui seul.127 Pour cela l’amplification est bien entendu indispensable. Il adapte
ainsi les sonorités de son instrument à des textures plus actuelles. Encore une fois grâce
127
https://www.youtube.com/watch?v=evA8H9QIOkE&t=1316s, consulté le 14 Août.
124
CONCLUSION :
York comme étant le centre de toutes les pratiques du jazz. La ville reste bien entendu
naturellement centrale pour diverses raisons, notamment par son histoire, mais des lieux
de création tout aussi prolifiques sont maintenant parfois loin de cette capitale du jazz.
comme si ils étaient d’égales importances à New-York. Les musiciens de jazz, bien que
rattachés à une scène ou à une ville en particulier réalisent des projets avec des
musiciens qui viennent du monde entier. Les métissages ont lieux aujourd’hui par ce
premier biais.
Gilad Hekselman, Morten Schantz, Klas-Henrik Hörngren, etc. Les esthétiques, les
traditions se mélangent au jazz par des procédés et des pratiques qui semblent avoir
toujours eu lieu au sein de ce genre. Le jazz donne vit à une multitude de projets aussi
différents les uns que les autres puisque la notion d’individualité et d’originalité est de
plus en plus importante. Et bien que l’on pourrait imaginer que ces individus créent de
leur seul génie et sans aucune influence, il n’en est rien. Au contraire, ces influences
sont mêmes revendiquées, et en dépit du fait que tous n’estiment pas de la même façon
ces influences, elles sont malgré tout bien présentes dans les œuvres.
128
Mathieu Mastin, Jazzed out Switzerland, diffusion le 5 Août 2017 sur Mezzo, prod. KIDAM.
Mathieu Mastin, Jazzed out Tokyo, diffusion le 15 Juin 2013, prod. KIDAM, disponible sur
http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.
Mathieu Mastin, Jazzed out Berlin, prod. KIDAM, disponible sur
http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.
125
C’est particulièrement le cas chez les musiciens de la scène du jazz français et
leurs projets. Il a été préférable d’attacher notre regard à une scène plutôt qu’à un artiste
afin de pouvoir saisir qu’il s’agit bien d’un phénomène partagé par l’ensemble des
pièces étudiées. Paradoxalement avec le contexte post-moderne qui a été peint au début
de ce travail, on note qu’une grande part des artistes du jazz européen partagent un
similarité.
Ainsi, de nos jours, sans conteste, et au regard de son passé, le jazz s’empare des
musiques actuelles pour se renouveler. Il ne s’agit pas d’une révolution, parce que
finalement d’un point de vue du langage peu de choses sont nouvelles. Ce n’est par
conséquent pas non plus une avant-garde, parce qu’il ne s’agit pas d’être à la pointe de
la technique. Les outils qui servent ici la création jazz ne sont pas nouveaux. Il est plutôt
question de remobiliser des fonctionnements et des pratiques pour faire survivre le jazz.
C’est pour cette raison qu’il a été important de travailler sur une scène et non pas
sur un seul artiste afin de montrer qu’il s’agit bien d’une tendance majeure.
Pourquoi les « musiques actuelles » ? (qu’est qui attire les musiciens de jazz dans le
rock ?) Tout au long de notre premier chapitre nous avons pu constater que pour la
plupart des musiciens de jazz actuels, nous avions à faire à des instrumentistes issus des
musiques actuelles. Par ailleurs, fréquemment du rock et de la pop. Leur formation jazz
les a conduits à se perfectionner tant d’un point de vue du langage musical que d’un
126
point de vue instrumental. C’est ce qui nous a permis d’aborder la notion de musique
sérieuse et musique non sérieuse. Le jazz étant une sorte de chemin intermédiaire entre
évoquée. Parmi ces raisons, certains d’entre eux évoquent leur lassitude pour le rock, ils
se tournent alors vers le jazz qui offre plus de possibilités, plus de place à l’instrument.
Bien qu’une part de ces musiciens se retirent de ce terrain, d’autres y reviennent pour
exploiter les caractéristiques intrinsèques de cette musique en les intégrants dans le jazz.
Tout comme dans les années 70 avec le jazz-rock, s’approprier cette musique est
un moyen de retourner vers un public plus large et surtout plus jeune. S’agit-il pour
autant d’une intention démagogique ? Non, pas vraiment, il faut surtout voir que ces
musiciens venant du rock, n’ont jamais réellement lâché l’affaire. Il suffit d’observer la
discographie et les projets de certains d’entre eux. On s’aperçoit que la plupart de leurs
projets soit sont entièrement dédiés à cet univers soit s’y rapporte un tant soit peu.
partie parce qu’ils y voyaient là un support favorable sur lequel projeter leur musique.
Dans mon introduction, j’invitais le lecteur à partager l’inquiétude que l’on pourrait
support que les musiciens de jazz s’approprient semble être un terrain propice à leur
expression. Il est en vérité déjà partagé par une majorité des plus grands artistes, en
127
Le monde du jazz, a une tradition et une histoire qui pèse à tous les niveaux, du
un répertoire et mélanger son esthétique avec une culture quelconque a toujours fait
partie de son histoire profonde. Ses pratiques, sont des codes qui favorisent justement
n’importe quel type d’appropriation, de telle sorte que lorsque le jazz s’empare du rock
Lorsqu’un jazzman propose une performance d’un standard comme « All the
things you are », il part d’une composition qui ne révèle pas le caractère l’œuvre jazz.
Cette partition est un point de départ qui fournit le matériau de base à partir duquel les
La composition rock est de nature volatile, comme en jazz parfois non écrit,
orale, etc. Son langage est souvent restreint dans la mélodie, le rythme ou encore
l’harmonie. Tout comme un standard quelconque, cette base est un texte propice à
réappropriation. Les possibilités sont bien sûr conséquentes tant en ce qui concerne la
Mais on constate que dans la majorité des cas, les musiciens se dirigent vers une
de la pop par exemple. Les thèmes sont présentés à travers la vision de l’improvisateur
Bien que l’on note des réappropriations harmoniques, force est de constater la
qui accompagne souvent la formation à laquelle il est rattaché. Nous pouvons de plus
128
ajouter que les effets sont des outils qui favorisent cette gestion du son et la direction du
chorus. Mais ce travail s’effectue différemment en studio pour travailler une autre
dimension de l’œuvre jazz. Les possibilités ne sont pas les mêmes de par la nature
albums jazz de ces musiciens sont travaillés, ils intègrent l’ingénieur son parfois, selon
certains, au même titre qu’un musicien. Car encore une fois le son (au sens large) est
interpréter un standard ne doit poser aucun problème. Pourtant, pour ce qui concerne la
étonnant, ni si éloignés du jazz. Dans les compositions, des choix instrumentaux sont
plus surprenants et se rapprochent davantage d’un son actuel grâce à des claviers
technique guitaristique jazz est aussi détournée vers des techniques plus communément
appropriée au rock.
repère dans l’improvisation et non plus forcément des structures entières de 32 mesures
129
AABA ou AA’. Par ailleurs, une exposition de thème n’est plus une référence formelle
L’influence qu’ont les musiques actuelles sur le jazz touche tant cette
appropriation des standards du rock que les œuvres du jazz. Mais s’approprier les
musiques actuelles dans le jazz ne se fait pas sans le bagage de la tradition, comme nous
On ne peut qu’en conclure que si ces changements sont effectués avec mesure,
c’est que malgré tout, l’identité de l’œuvre de base et donc une part de son langage, est
un terrain favorable et fécond pour l’expression de ces musiciens. Ils trouvent pour ainsi
dire dans ces compositions quelque chose qui leur permet de s’exprimer.
le fondement des pratiques du jazz et dans une certaine mesure il traite de son identité.
Le jazz est, quoi que l’on puisse en dire, bien présent sous différents aspects même
lorsque ce dernier s’empare d’un répertoire qui semble éloigné. Tout comme il s’est
nouveaux standards.
qu’est l’œuvre jazz actuellement. Pour cela, il faut reconsidérer l’enregistrement non
130
pas comme un témoin, mais comme un outil qui sert l’œuvre dans son esthétique. C’est
ce qui nous permet de clairement distinguer l’œuvre jazz studio du live (qui peut-être lui
131
SOURCES
Discographie :
Airelle Besson, Radio One, Airelle Besson (Trompette), Isabel Sörling (Chant),
Benjamin Moussay (Piano, claviers), Fabrice Moreau (Batterie), CD, Naive NJ 625911,
2016.
Alain Blesing, Songs from the beginning, Alain Blesing (Guitare), Jean-Luc
André Minvielle, follow jon hendricks… if you can !!!, André Minvielle, Michèle
Hendricks et David Linx (Chant), Jon Hendricks (Texte parlé), Marcel Loeffler et
Anne Paceo, Circles, Anne Paceo (Batterie, chant), Leïla Martial (Chant, laptop),
Emile Parisien (Saxophone), Tony Paeleman(Claviers), CD, Laborie jazz LJ35, 2016.
Anne Paceo, Yôkaï, Anne Paceo (Batterie, chant), Pierre Perchaud (Guitare),
132
Ben Allison, Cowboy Justice, Ben Allison (Contrebasse), Steve Cardenas
(Guitare), Jeff Ballard (Batterie), Ron Horton (Trompette, bugle), CD Palmetto Records
PM 2117, 2006.
Ben Allison, Man size Safe: Little things run the world, Ben Allison (Contrebasse,
guitare acoustique), Ron Horton (Trompette, Bugle), Steve Cardenas (Guitare), Michael
Chamberlain (Batterie), Jorge Rossy (Batterie), Jim Keltner (Batterie), Victor Indrizzo
Britney Spears, In the zone, Britney Spears, Roxanne Estrada, Kara Dioguardi,
Courtney Copeland Wizardz of Oz, B.U.D, Chyna Royal, Kyron Leslie, Jennifer Karr,
Emma Roads, Roy Hamilton (Chant), Stockholm session strings (Cordes), Kendall D.
Nesbitt, Steve Anderson (Claviers), Donnie Lyle, Henrick Jonback (Guitare), Roy
Gartrell (Guitare, banjo), Thomas Lindberg (Basse), Algozee (Orchestre), CD, Jive
électroniques), Yoan Serra (Batterie), Sylvain Daniel (Basse, Effets électroniques, cors),
Lanfont (Claviers, électronique), Eve Risser (Piano, sound object), Rémi Dumoulin
Hoang (Clarinette, piano, saxophone), CD, Bee jazz BEE 030, 2009.
133
Chevillon (Basse), David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot
2015.
Franck Tortiller, Janis the pearl, Franck Tortiller (Vibraphone), Jacques Mahieux
Jean Gobinet (Trompette, Bugle), Eric Sévat ( Saxophone), Michel Marre (Tuba, bugle),
Gilad Hekelman, This just in, Gilad Hekselman (Guitare), Mark Turner
Guillaume Perret, Guillaume Perret & The electric epic, Guillaume Perret
Philippe Bussonnet (Basse), Jim Grandcamp (Guitare), CD, Tzadik TZ 7804, 2012.
Youenn Rohaut (Violon), Eugène Ursch (Violoncelle), Laëticia Dutech (Chant), CD,
134
Autoproduction, 2017.
remaster 2005).
Jérôme Sabbagh, The turn, Jérôme Sabbagh (Saxophone), Ben Monder (Guitare),
Joe Martin (Contrebasse), Ted Poor (Batterie), CD, Bee jazz BEE 064, 2014.
John Zorn, Masada :Astaroth, vol.1, Jamie Saft (Piano), Greg Cohen
John Zorn, Masada: Azasel, vol.2, Erik Friedlander (Violoncelle), Greg Cohen
John Zorn, Masada: Malphas, vol.3, Mark Feldman (Violon), Sylvie Courvoisier
John Zorn, Masada: Ipos, vol.14, Trevor Dunn (Contrebasse), Joey Baron
(Batterie), Marc Ribot (Gutiare), Jamie Saft (Claviers), Cyro Baptista (Percussions),
John Zorn, Masada :Pruflas, vol.18, David Krakauer (Clarinette), Sheryl Bayley
(Guitare), Jérome Harris (Basse, chant), Michael Sarin (Batterie), CD, Tzadik TZ 7396,
2005
John Zorn, Masada: Tap, vol.20, Pat Metheny (Guitare & cie) & Antonio Sanchez
135
John Zorn, Nacked City, John Zorn (Saxophone), Joey Baron (Batterie), Bill
Frisell (Guitare), Fred Frith (Basse), Wayne Horwitz (Claviers), Yamatsuka Eye
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare,
chant), Eric Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz
LJ39, 2016.
(Clarinette bass), Joe Zawinul (Piano électrique), Larry Young (Piano électrique), Chick
Corea (Claviers), John McLaughlin (Guitare), Dave Holland (Basse), Harvey Brooks
(Basse électrique), Lenny White (Basse), Jack DeJohnette (Batterie), Don Alias
(Congas), Jumma Santos (Congas), CD, Columbia C2K 65774, (enregistrement 1969)
remaster 1999).
(Saxophone), Bill Evans (Piano), Winton Kelly (Piano), Paul Chambers (Contrebasse),
136
Johns (Batterie), Miles Davis (Trompette), Columbia CK 85203, (enregistrement 1958,
remaster 2001).
Herbie Hancock (Piano), Ron Carter (Contrebasse), Tony Williams (Batterie), CD,
Miles Davis, The man with the horn, Mike Stern (Guitare), Bill Evans (Claviers),
Felton Crews, Sammy Figueroa, Barry Finnerty, Randy Hall, AL Foster, Marcus Miller
(Basse), Vincent Wilburn, Robert Irving III, Miles Davis (Trompette), Vinyl, CBS
Nguyên Lê, Celebrating the dark side of the moon, Nguyên Lê (Guitare), Youn
Sun Nah (Chant), Gary Husband(Batterie), Jürgen Attig (Basse), The NDR Bigband
conducted by Jörg Achim Keller, CD, ACT Music ACT 9574-2, 2014.
Nguyên Lê, Songs of freedom, Nguyên Lê (Guitare), Youn Sun Nah (Chant),
David Lynx (Chant), Illya Amar (Vibraphone, marimba, électroniques), Linley Marthe
(Basse, chant) Stephane Galland (Batterie), Ousman Danedjo, Himiko Paganotti, Julia
Sarr et Dhafer Youssef (Chant), Guo Gan, erhu (Violon chinois), David Binney
Chemirani (Percussions), Karim Ziad (Batterie, percussions), CD, ACT Music ACT
9506-2, 2011
137
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave
Noël Akchoté, So lucky, Noël Akchoté (Guitare), CD, Winter & Winter 910129-2,
2007.
Ortie, orTie, Elodie Pasquier (Clarinette), Grégoire Gensse (Piano), CD, Laborie
Pauw et Jan Weissenfeldt (Guitare), Didac Ruiz (Percussions), CD, Jazz village JV
570097, 2016.
Vincent Arthaud (Basse), Sylvia Leroux (Flûte), Chris De Pauw (Guitare), Eric Du Fay,
Etienne Godet, Guy Evra, Mathilde Fèvre et Nicolas Dromer (Cors), Ludocic Bource
(Orgue), Gaspa, Jean François Durez et Nathalie Gantiez (Percussions), Laurent Coq
Patrick Artero et Thierry Gervais (Trompette), Bastien Still et Raphaël Goutière (Tuba),
Pâques et Nina Babet (Chant), CD, ACT Music ACT 9511-2, 2011.
Bramerie (Contrebasse), Lewis Nash (Batterie), Mulgrew Miller (Piano), CD, Nocturne
NTCD399, 2006.
138
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon
Pourquery (Chant), Ghamri Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2,
2014.
2009.
2009.
Shaï Maestro, The road to Ithaca, Shai Maestro (Piano), Ziz ravitz (Batterie),
The Cure, Seventeen seconds, Robert Smith (Chant, guitare), Simon Gallup
(Basse), Laurence Tolhurst (Batterie), Matthieu Hartley (Claviers), CD, Fiction Records
The Beatles, Abbey Road, John Lennon (Guitare acoustique et électrique, orgue,
piano, chant) , Paul Mc Cartney (Basse, guitare acoustique et électrique, piano, orgue,
139
chant, effets sonores), George Harrison (Guitare életrique et acoustique, basse, orgue,
synthétiseur Moog, chant), Ringo Starr (Batterie, percussion, chant), Mal Evans (Piano,
(Saxophone, chant), Arnaud Roulin (Piano, synthés), Frédéric Galiay (Basse), Edward
claviers), Areni Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini
tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier Phillips (Violoncelle), CD,
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini
(Contrebasse), Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.
Yaron Herman, Y, Yaron Herman (Piano, claviers), Ziz Ravitz (Batterie), Bastien
Burger (Bass), Mathieu Chedid (Chant), Hugh Coltman (Chant), CD, Blue note
57430003, 2017.
140
Filmographie:
Documentaires:
Mathieu Mastin, Jazzed out Switzerland, diffusion le 5 Août 2017, prod. KIDAM.
Mathieu Mastin, Jazzed out Tokyo, diffusion le 15 Juin 2013, prod. KIDAM,
http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.
Films :
141
Bibliographie:
Livres :
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011.
BONNET Michel Yves, Jazz et complexité: Une compossible histoire du Jazz, s.l,
Harmattan, 2010.
CHARTERS Samuel, A Trumpet around the Corner: The Story of New Orleans
DAVIS Miles & JONES Quincy, Miles : L'autobiographie, Paris, Infolio, 2007.
GANTER Philippe, Les gammes de la guitare, Neuilly sur Seine, ID Music, 2005.
édition, 2010.
142
LEVINE Mark, The jazz theory book, Petaluma, Sher Music Co, 1995.
2016.
Vibrations, 1991.
1994.
SIRON Jacques, Bases des mots aux sons, Paris, Outre mesure, 2009.
Articles :
Nov.2012, pp.18-20.
143
Sites internet :
http://www.jazzmagazine.com/
http://www.citizenjazz.com/Le-jazz-est-il-mort.html
http://www.citizenjazz.com/Olivier-Benoit-prochain-Directeur.html
https://www.ajc-jazz.eu/fr/le-reseau-ajc/qui-sommes-nous.html
http://www.crjbourgognefranchecomte.org/accueil/le-crj/missions.html
http://jazzmigration.com/presentation/
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/victoires-du-jazz/anne-
paceo-circles-les-voyages-sonores-d-une-batteuse-241091
http://www.citizenjazz.com/Vivre-du-jazz-le-musicien-artisan.html
https://www.youtube.com/watch?v=1r6tmsJij10&t=38s
https://www.youtube.com/watch?v=I1qgqSLYLZ0
https://www.youtube.com/watch?v=aaKRYdGoNZI
https://www.youtube.com/watch?v=IoiC-twgVoI
https://www.youtube.com/watch?v=fYqaiEicGjs
https://www.youtube.com/watch?v=evA8H9QIOkE&t=1316s
https://www.francemusique.fr/jazz/c-est-quoi-le-scat-30384
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/composition/17751
144
https://s-media-cache-
ak0.pinimg.com/originals/08/84/f6/0884f631a5ff30d555ff2d80aac54a14.jpg
http://www.metiersdelamusique.com/blog/metiers-musique/label/
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/electro/rencontre-avec-leila-martial-
nouvelle-voix-du-jazz-esprit-tres-rock-102801
145
TABLES DES ILLUSTRATIONS
FIGURE 11: EXTRAIT COUPLET « TOXIC » B.SPEARS, CHANT, 0'13 A 0'27. ................................................. 72
FIGURE 14: EXTRAIT COUPLET, « HEART SHAPED BOX » Y.HERMAN, PIANO, 0’11 A 0’34......................... 73
FIGURE 15: EXTRAIT « HEART SHAPED BOX » ALBUM FOLLOW THE WHITE RABBIT, Y.HERMAN, PIANO,
FIGURE 19: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE, 3’41 A 3'48. . 77
FIGURE 20: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE, 3'31 A 3'38. . 77
FIGURE 21: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE, 3'41 A 3'48. . 77
FIGURE 22 : EXTRAIT « HEART SHAPED BOX », ARRANGEMENT Y.HERMAN, 1'46 A 2'08. ........................ 80
FIGURE 23: EXTRAIT « HALLELUYAH » ALBUM COVERS, M.CODJIA, GUITARE, 1'54 A 1'58. ...................... 80
FIGURE 24: EXTRAIT « HEART SHAPED BOX », ARRANGEMENT Y.HERMAN, MESURES 5 ET 6. ................. 81
146
FIGURE 26: EXTRAIT « HEART SHAPED BOX » ALBUM FOLLOW THE WHITE RABBIT, Y.HERMAN,
FIGURE 27: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, CONTREBASSE, 2'35 A 2'44.
.......................................................................................................................................................... 82
FIGURE 28: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE ARPEGES. ..... 83
FIGURE 32: EXTRAIT « PP SONG TREE » ALBUM AND THE, P.PÉDRON, BATTERIE, 0'00 À 0'25. .............. 108
FIGURE 33: EXTRAIT « SMILE » ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, BATTERIE, 4'48 A 4'52. ............................. 108
FIGURE 34: EXTRAIT « RED WALK » ALBUM DOPPLER, HOST, BATTERIE PATTERN. ................................ 108
FIGURE 35: EXTRAIT « PP SONG TREE », ALBUM AND THE, P.PÉDRON, PIANO, 2'53 À 3'53. .................. 109
FIGURE 36: EXTRAIT « SMILE » ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, BASSE. ...................................................... 109
FIGURE 37: EXTRAIT « BAABEL2 » ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, GUITARE, 0'42 A 1'18........................... 110
FIGURE 38: EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, CHANT, 2'25 A 3'42. ............................. 110
FIGURE 39: EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, SAXOPHONE, 2'08 A 2'25. .................... 117
FIGURE 40 EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, SAXOPHONE, 1'51 A 2'07. ..................... 117
FIGURE 41: EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, SAXOPHONE, 1'34 A 1'43. .................... 118
FIGURE 42: EXTRAIT « PP SONG TREE » ALBUM AND THE, P.PEDRON, PIANO, 2'54 A 3’21. ................... 118
FIGURE 43: EXTRAIT "BAABEL2" ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, 1'43 A 1'59.............................................. 120
FIGURE 44: EXTRAIT « BAABEL2 » ALBUM BAABEL, L. MARTIAL, GUITARE, 0'42 A1'18........................... 120
FIGURE 45: EXTRAIT « CLOCK ROAD » ALBUM AND THE DE P.PEDRON, GUITARE,0'00 A 0'07. .............. 121
FIGURE 46: EXTRAIT « TOUNDRA », ALBUM CIRCLES, A.PACEO, CLAVIER ET RHODES, 2’20 A 2’32. ....... 122
FIGURE 47: EXTRAIT « TOUNDRA », LIVE JAZZ SOUS LES POMMIER, A.PACEO, CLAVIER, 26’34 A 27’03.122
147
ANNEXES
148
Annexe 1 : Entretien avec Laurent Cugny - 16 janvier 2017, Paris
Question : Dans le cadre de mon mémoire je souhaiterais vous interroger sur votre
Laurent Cugny : Oui, alors justement sous forme d’introduction, et sur cette
rapport va changer je dirais tous les dix ans. Et moi ça fait déjà un moment que je suis
considère comme plus historique que les autres, mais à un moment particulier où
justement on a vécu ça, c’est un peu l’âge d’or du rock. Les groupes clefs ce sont les
Beatles et les Stones, ça commence là. Moi j’ai compris ça quand ma fille, qui a
maintenant 27 ans (lorsqu’elle est née j’en avais 34), m’a dit vers 15 ans « Ah ! Mais toi
tu as de la chance tu es tombé au bon moment » enfin je ne sais plus comment elle m’a
dit ça. Mais en effet, je suis né en 1955, je vais avoir 62, j’ai donc commencé à écouter
les Beatles vers 10 ans, peut-être même avant, vraiment au berceau. Et je me souviens
très bien, c’était en 1964-65, il y avait les Beatles et les Stones, dans les cours d’école.
Ça représentait vraiment deux pôles : il y en avait un qui était plus sauvage que l’autre,
c’était les Stones. Et moi j’étais les Beatles à fond, comme tout le monde de toute façon.
J’avais plus de mal avec les Stones. Ça m’est resté, et ça a marqué toute la suite.
Laurent Cugny : Non, je pense que c’est le goût musical, c’est inexplicable pour
moi. Après on peut toujours rationnaliser, mais au fond, il y a toujours une étincelle au
149
début qui pour moi est inexplicable. Donc je suis partie à fond sur les Beatles, ma
formation s’est faite comme ça. J’ai commencé à apprendre le piano classique en 1965,
j’avais 10 ans. J’allais une fois par semaine chez un prof particulier, je n’ai pas fait le
conservatoire. J’ai pris 4 ans de cours avec cette prof, mais ça se passait moyennement
bien, parce que je ne travaillais pas assez de toute façon et puis surtout je faisais ce
Question : De la guitare.
Laurent Cugny : Oui, la Méthode Rose on passait tous par là. Et puis de l’autre
côté j’essayais de faire les chansons des Beatles en les reproduisant. Et c’est comme ça
que j’ai fait mon apprentissage, j’ai appris l’harmonie en écoutant des chansons des
Beatles, en essayant de les refaire au piano. En 1965, c’était exclusivement les Beatles,
mais c’était presque maladif : quand on savait qu’il y avait un 45 tour qui sortait, je me
souviens, on se collait devant Prisunic et on attendait que ça ouvre, parce qu’on savait
qu’à trois heures, il y avait le disque des Beatles, c’était vraiment la folie. Pour moi
c’était des souvenirs géniaux. D’ailleurs pour moi les Beatles c’est le 45 tour, Bref ! Je
souviens encore, c’était Hey Joe la première je crois. C’était électrisant, mais au sens
émotif, monstrueux. J’avais 13-14 ans, l’adolescence. Puis mon premier concert, en
et Blood sweat and tears. C’est à peu près inaudible aujourd’hui. Il s’agit d’une espèce
de pop avec des cuivres, ce n’est pas du jazz, ce n’est pas non plus rock progressif. Il y
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avait Crosby, Stills and Nash aussi, j’étais un fou de ça. C’était plus le côté folk. Et Joni
Mitchell évidement.
J’ai fait le virage jazz dans ces années-là, quand les Beatles ont commencé à se
n’aimais pas ça, parce qu’on avait une sorte de rapport névrotique aux Beatles. J’ai donc
évolué vers le jazz vers 17-18 ans avec Coltrane en fait. A l’époque, en 1972, il était
presque contemporain, puisqu’il était mort en 1967. Curieusement pour moi mon entrée
dans le jazz, c’était Coltrane, Onette Coleman et Miles, via le rock. Et ça tombe bien
parce que Miles faisait justement du Jazz-rock. Je me souviens l’avoir vu deux fois,
hermétique. Et je l’ai revu en novembre de la même année et là j’étais fan. Je sais que
c’est à ce moment-là que j’ai vraiment fait le virage. Mais toujours via le rock, parce
que c’était vraiment le Miles de cette époque qui était hyper électrique. Après j’ai viré
complètement jazz tout en gardant les Beatles et les Stones aussi par goût, mais j’ai
Laurent Cugny : Oui, enfin, je m’y intéresse de loin. Mais disons que j’ai changé
Comme dit ma fille, qui a raison, je pense que c’était quand même un âge d’or du rock,
il y a rien à faire. Entre 1966 et 1973 qui est à peu près ma période durant laquelle il y
avait non seulement, les Beatles et les Stones, mais aussi Led Zeppelin, etc... Et c’est
vrai que c’était l’idéal pour l’âge adolescent. Ça fait un rapport affectif très fort. Et je
vois Michel Benita, c’est pareil, alors qu’il n’a jamais fait de jazz électrique. Mais au
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fond il a cette même attache, les premiers contacts avec la musique, les premiers
contacts sensibles.
Question : Suite à ce choc musical que fut Miles Davis, cet apprentissage
Laurent Cugny : Non, alors c’est compliqué. J’avais 18 ans en 1973, il y a donc eu
un virage jazz radical grâce à la musique de Miles à ce moment. Mais ce qu’il se passe à
Question : Pourtant à ce moment-là il y avait déjà des albums tels que Bitches
Brew et In a silent way. Ils n’ont pas eu le même impact que le free à ce moment-là.
Laurent Cugny : Si. En fait j’ai voulu être musicien plus tard donc à cette époque,
j’étais amateur. Mais il n’empêche que je jouais malgré tout. Et à ce moment-là c’était
vraiment le jazz rock pour moi et le Miles électrique (ex :Agartha). Sauf qu’à cette
période-là quand on joue il fallait que ce soit free. Il y avait une espèce d’emprise
idéologique qui était très forte. « Comment tu joues des accords, mais c’est has been ».
Ça m’a couté cher d’ailleurs. Enfin disons que mon profil jazz, il vient de là, c’est qu’on
Question : C’est-à-dire ?
improvisait, c’était free. Oui c’était hyper radical. Evidemment les gens comme vous,
vous ne pouvez pas savoir ça. Mais il y avait une sorte d’ambiance idéologique qui était
assez radical, normative. Ce n’était pas bien de jouer les accords. Si tu veux être un
vieux con tu joues les grilles quoi. Bon évidement j’ai vite compris que ce n’était pas la
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vie. J’ai vite senti que ce n’était pas complètement fini de jouer les accords. Mais je m’y
Mes premiers concerts, il faut imaginer ça, c’est hallucinant quand j’y repense :
on montait sur scène, on n’avait pas la moindre idée de ce que l’on allait jouer, c’était
Question : Et ça fonctionnait ?
Laurent Cugny : Non, ça ne marchait pas. De toute façon, je n’aime pas ça l’impro
libre. Bon lorsque c’est Marc Ducret qui le fait ce n’est pas pareil, il y a quand même
tout un bagage ! S’il le fait c’est qu’il a des raisons de le faire. Mais nous c’était pour de
mauvaises raisons. Enfin, même si j’ai constaté que, par rapport aux générations
Laurent Cugny : Oui si on veut. Mais surtout pour aussi ne pas être complètement
obsédé par ça, par les accords, tout ne se joue pas là-dedans. C’est surtout pour vous
donner une idée de l’environnement de l’époque. C’était assez spécial, très spécial, je
par la folie, pendant lequel les repères sont un peu troublés. Je pense qu’il y a eu un
phénomène énergique très particulier à cette époque-là. C’est vrai en politique aussi.
C’est la période du maoïsme, il a des gens qui ont foutu leur vie en l’air avec ça. Des
personnes qui ont arrêté toutes leurs études pour aller en usine.
153
Laurent Cugny : En fait c’est vraiment à 18 ans où il y a eu tous les
assez bien avec un côté plutôt baba cool de l’époque. Il y en a d’autres c’était Janis
Joplin, nous nous sommes parti sur Coltrane. Je préfère quand même. Vous voyez ce
déchirés. Evidement on fumait un peu, mais moi j’ai vite décroché de ça, mais disons
faisait chier, le rock californien Jefferson Airplane et tout ça. Par contre un truc
étonnant, on écoutait en fumant, Terry Ryley par exemple. On mettait tout ça dans le
même sac en fait, c’était planant. Ce qui était le rock planant par contre ça m’a toujours
gavé, les trucs Allemand, comme Kraftwerk, ces trucs-là. Mais toujours est-il qu’il y
avait cette chose disons planante, de long morceaux avec qu’un accord. Et Miles c’est
ça en fait. Vous écoutez Agartha c’est exactement ça. Je suis quand même content d’être
tombé sur ce planant là. Je pense que ce n’est pas un hasard, c’est que je devais avoir
Finalement c’est assez cohérent quand même, toutes ces personnes ne jouaient pas
complètement ouvertes. Les trois au fond étaient plutôt dans ce cadre-là. Avec un accent
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Laurent Cugny : En fait, Miles ce n’était pas le rock, c’était plutôt la soul. Enfin
Après on a évolué, je suis passé par Miles, en revenant à rebours sur son histoire
et j’ai compris que ça n’avait pas été toujours comme ça. Je suis donc rentré dans le jazz
proprement dit. J’ai donc très vite écouté les arrangements de Gil Evans. J’ai flashé
complètement là-dessus, notamment sur Porgy and bess, alors que ça n’avait plus rien à
voir avec le jazz rock, c’était le contraire de l’énergie. Il s’agissait d’un truc plutôt
impressionniste, contenu.
Laurent Cugny : Non, pas tout de suite. Il faut dire que je suis devenu
professionnel seulement à 26 ans. Je ne savais alors pas qu’il me fallait travailler ça. Je
Lumière qui a continué à s’appeler comme ça. Totalement amateur. On a joué dans la
cave de mes parents, je ne savais vraiment rien et j’ai commencé à écrire, j’ai appris sur
le tas. En 1979, j’ai inscrit le groupe au concours de la Défense. Un mois avant j’ai
trouvé ça tellement mauvais que j’ai recontacté le concours pour signaler que je jouerai
tous seul. J’ai joué en solo et j’ai gagné le troisième prix. En 80, j’ai inscrit le groupe
avec lequel je continuais de jouer et on a gagné deux ou trois pris. Il y avait Alain
Gérrini dans le jury. J’avais gagné un an de cours dans son école, ce qui était plutôt une
bonne nouvelle. J’ai donc pris des cours avec Jef Gilson qui était une figure à l’époque
Il faut dire que quantitativement avant ce n’était pas pareil, il y avait moins de
musiciens. Ça s’est accéléré à partir de cette période. C’est Texier qui m’avait dit ça : à
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la fin des années 50, au début des années 60, ils étaient 5 par instrument à Paris.
raconte : en 1959, il ne savait pas jouer de sax, il achète un soprano. Il joue 6 mois, je ne
sais pas où, au Blue note, il me dit au bout de 6 mois qu’il sait jouer. Il a appris à jouer
sur scène. C’est lui qui le dit ce n’est pas moi qui invente. C’était la fin de cette période-
là. Dans les années 50, en France, vous jouiez dans un club, vous étiez engagé pas pour
6 mois d’affilé. Ils étaient très peu nombreux, c’était encore le cas dans les années 70,
s’agit donc pas du même paysage, et un mec comme Gilson pouvait être prof au CIM.
J’ai pris des cours avec lui, mais il était autodidacte et expliquait n’importe comment,
Mais je suis quand même un peu entré dans le truc. A cette période, en 81, j’étais
pion pour gagner ma vie, je voulais faire du cinéma. Puis cette année-là j’ai eu un grand
déclique, je ne pouvais plus être pion parce que je l’étais depuis des années, je n’avais
quand même pas loin de 26 ans. Guerinni vient me dire qu’il y a un prof qui part, qu’il
retrouvé alors prof de piano. Je connaissais à peine les standards, je savais à peine ce
que c’était qu’un II-V-I, il faut voir quand même. C’est pour ça qu’il faut se remettre
je me suis mis à faire de la musique 8 heures par jour, à tout apprendre. J’ai appris en
donnant des cours. Je me suis appris à moi-même. A l’époque il n’y avait pas de Real
Book, le premier je l’ai eu au CIM. Tous ceux d’avant, ils ont appris avec les disques.
Au CIM, il y en a une pile qui est arrivée, évidemment, je les ai pris, et ça donne une
formation très bizarre. Comme vous le savez c’est par ordre alphabétique, il y a de tout,
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du Zappa, les Breker brother, etc… Moi j’apprenais tout ça pareil, comme si il s’agissait
de la même musique parce que je ne connaissais pas les standards. C’est là que j’ai fini
par comprendre que G7 était souvent précédé de D-7 et souvent suivi de C. J’ai vu que
c’était pareil dans la tonalité de F et G et dans tous les tons. C’est comme ça que j’ai
appris. Personne ne m’a jamais dit ce que c’était qu’un II-V-I. Je suis entré dans le
système de cette façon, après j’ai essayé de faire les choses comme il fallait, mais avec
ce début un peu foireux. Chacun a un profil particulier. Pour vous donner une idée, en
81 j’ai enregistré grâce au prix de la Défense et à Guerinni. En 84, j’en réalise un autre
entendus et je me suis dit qu’ils avaient tous les deux des dizaines d’années de
conservatoire, une formation musicale béton, qu’ils jouaient comme des bêtes et moi
pas. Suite à ça, en 85, j’ai eu une crise massive, j’ai voulu arrêter la musique, j’avais 30
ans. Je ne savais pas trop quoi faire d’autre. J’avais fait des études d’économie j’aurai
pu me recycler. J’ai en gros tout arrêté. J’ai juste continué à donner des cours parce que
c’était mon seul moyen de subsistance. J’avais la conviction que j’avais loupé le coche,
que je n’avais pas eu la bonne formation, qu’à 30 ans c’était mort. J’avais le sentiment
qu’on était plus dans un monde d’autodidacte. J’avais raison je pense. Le groupe
d’Antoine, c’était Marc Drucret, Benitta. Et moi j’avais joué avec des musiciens
amateurs qui n’étaient pas à ce niveau. C’était une crise justifié, peut-être un peu sur-
Puis en 86, je passe le DE. Je donne des cours au CIM depuis 5 ans, tout allait
bien de ce côté. Je pense que c’était le premier DE jazz, c’était à Rouen. Je me souviens
c’était avec Christian Garros dans le jury. C’est un batteur de jazz français qui est sur
Ascenseur pour l’échafaud. Il y avait plusieurs épreuves, dont une durant laquelle il
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fallait jouer un morceau, il s’agissait de « Easy Leaving ». En arrivant, il me demande la
partition, je lui réponds que non, lorsqu’on joue les standards on n’a pas besoin de
partition. Je l’ai joué je pense correctement, mais j’ai vu qu’il y avait déjà un problème.
Après il y a eu une épreuve de déchiffrage alors que je n’ai jamais su bien déchiffrer.
Résultat des courses, je rate le DE, c’était en Février 86. C’était pour moi, comme si ils
me mettaient la tête sous l’eau. J’allais très mal depuis 6 mois au moins, je me suis dit,
je suis prof depuis 6 ans et je suis incapable d’avoir le diplôme correspondant. C’était
vraiment un sale coup. En plus je pense que j’aurais dû l’avoir. Je ne sais pas si ça s’est
vraiment arrangé, mais à l’époque, ils évaluaient des gens qui jouaient du jazz comme si
c’était de la musique savante. Je me souviens très bien, il y avait aussi une épreuve avec
des élèves. J’avais carrément écrit un arrangement sur « Blue Monk » et je leur avais fait
mettre en place. Comme je le pense toujours mon discours était que l’on n’improvise
pas tant que l’arrangement n’est pas en place. Je sais que ce truc-là ma flingué aussi. Je
pense que j’avais quand même un discours qui était juste et qui n’était pas entendu du
tout. Qu’est-ce que je fais pour me soigner. Je vais voir Gill Evans. J’étais un fou de Gil
Evans. Je transcrivais. J’avais quelques élèves en privé dont une élève qui avait à peu
près mon âge avec laquelle je m’entendais bien, parfois après le cours elle restait un peu
pour discuter. Je lui parlais de Gil Evans. Un jour elle me dit « tu en parles tout le
temps, tu devrais aller le voir ». C’est la phrase qu’il ne fallait pas dire, qui m’a sauvé la
vie pour ainsi dire. Pour moi c’était une idée insensée. Pourquoi irai-je le voir ? En fait
elle a fait germer une petite graine. Je me suis décidé à aller le voir en mars 86.
D’ailleurs je raconte tout ça sur mon site. Je voulais écrire un bouquin sur lui, ce que
j’ai fait. J’ai donc passé 5 jours avec lui. Il m’a raconté toute sa vie. Je l’avais rencontré
au préalable au mois de février ce qui m’a permis de lui demander si je pouvais venir le
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voir. Il me répond positivement. Un mois plus tard je me retrouve à New-York, je
l’appelle et je lui dis que je suis là. Je lui ai dit que je souhaitais lui parler longtemps
pour qu’on passe toute sa carrière en revu. On a commencé comme ça. Lorsqu’il en
en train de les transcrire avec mes étudiants. Au bout de 30 ans les cassettes sont
toujours impeccables. Je dois avoir 6 ou 7 heures d’entretien avec lui. C’était vraiment
étrange, j’ai un souvenir encore extrêmement précis dans l’avion au retour, une semaine
avant je m’étais planté au DE et je venais tout juste de parler avec Gil Evans
pratiquement d’égal à égal. Il y avait deux bouts que je n’arrivais pas à faire rejoindre.
D’un côté, j’étais recalé au sens où tu ne fais pas partie du monde du jazz, et de l’autre
côté j’étais avec le mec qui pour moi était le jazz. C’était un peu schizophrène. C’est un
peu lui qui m’a sauvé, c’est de cette façon que j’ai remonté la pente. J’ai après vu
régulièrement, et il me disait, qu’il ne bossait pas. Alors je me suis jeté, je lui ai proposé
une tournée ensemble, avec mon orchestre pour jouer sa musique. Il m’a demandé de lui
faire une offre, et s’est partie comme ça. Ça m’a complètement remis en selle. Je jouais
avec Gil Evans ! Evans était aussi à fond jazz rock, nous étions tous deux à fond
électrique. En fait pour tout dire, le big band Lumière était plutôt acoustique, pour jouer
avec lui nous nous sommes adapté électrique. C’est à ce moment que j’ai rencontré
Question : Pourtant les arrangements de Evans période Birth of the Cool, n’ont
plus rien à voir avec ce qu’il propose ensuite. Il s’agit de deux mondes.
Laurent Cugny : Oui, bien sûr. Il a fait le break en 64-65, il a arrêté 3 ou 4 ans,
pour des raisons multiples. Il n’a pas fait de musique, il a complètement arrêté dans
cette période. Il fait partie de ces gens assez rares qui réforment leur musique. Ce qu’il
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faisait depuis 7-8 ans, de Miles ahead, jusqu’à Individualism, l’a conduit à un moment à
se dire qu’il n’avait plus envie de faire ça. Il a mis du temps à trouver, sa réponse s’était
l’électricité. Pour lui aussi Hendrix a été décisif. Gil fait un enregistrement en 69 et il se
trouve que Hendrix enregistre dans le studio d’à côté. Gil va le voir et lui dit qu’il aime
ce qu’il fait. Modestement Hendrix lui répond qu’il n’est qu’un pauvre rockeur, « je ne
serais pas capable de jouer avec des gens comme vous ». En plus, il parait qu’il était
vraiment timide. Pour ce qui est de Miles s’était sa copine Betty Mabry qui était black
pop rock qui connaissait Hendrix. Elle a mis les deux musiciens en contact. Et ce con-
là, il est mort, étouffé dans son vomi à 27 ans. Ils n’ont donc jamais joué ensemble.
Donc la naissance du jazz rock c’est chez Miles que ça se passe. Il s’agit de Corea,
Maavishnu, Return Forever, Zawinul. Ce sont quand même les 4 groupes générateurs de
tout le jazz rock et les 4 viennent de chez Miles. La généalogie de ce mouvement-là est
assez limpide.
Question : De votre côté j’imagine que vous êtes également influencé par ces
formations ?
Laurent Cugny : Bien sûr, je les ai vues à l’époque. Pas toutes, mais j’ai vu
Weather Report, Maavishnu, Head hunter Tony williams life time, Return to forever. Il
me semble que c’est les groupes fondamentaux du jazz rock. J’étais là quand ça a
commencé.
Laurent Cugny : C’était la fin de ça, c’était la fin de tout. J’ai carburé à fond
pendant l’ONJ, qui a été une période géniale. On a fait 3 disques. 4 en réalité mais le
160
premier était un faux disque de l’ONJ. On a mis le nom « Orchestre national de Jazz »
qui est sorti quand j’ai commencé, mais il a en fait été enregistré avant. Il aurait dû
s’appeler big band Lumière mais peu importe. On a donc fait 3 vrais disques. Il y en a
Laurent Cugny : C’était une blague, mais le dernier s’appelle merci, merci, merci .
Qui est un clin d’œil à Zawinul. C’est aussi un moyen de dire que j’avais été content de
faire l’ONJ. J’aime bien ce titre, il est assez malicieux je trouve. On en a fait un autre
avec des restes qui ne sont même pas mixés d’ailleurs. On en a gravé une 20aine pour
Après l’ONJ, je suis un peu revenu à la base. Les Italiens sont partis, je suis
revenu à un concert par an, après en avoir fait 40 par an, c’était frustrant. Je suis revenu
à la base, c’est-à-dire, faire ces big band comme je fais maintenant où on joue tous les 6
mois 1 fois. Ce qui est hyper frustrant, mais je n’avais pas le choix c’était comme ça.
J’ai quand même tenu le coup tant bien que mal. En 2000, on a enregistré A personal
landscape , il est sorti en 2001. Mais peu importe, ça ne change rien. C’est une sorte de
queue de comète, ce n’était plus exactement avec les mêmes musiciens, c’était la
génération d’après. Il y avait déjà Thomas de Pourquery. Mais pour moi c’est la même
musique que celle de l’ONJ. Mais il y a quand même ce moment fatal, lorsque j’ai dit à
Stephane Huchard que c’était fini, c’était violent. A la fin de l’ONJ j’avais cette envie
de revenir vers le jazz, et à un moment je lui ai dit « écoute, c’est fini, j’ai pris Thomas
fâché il a été surpris, et il m’a dit « ah bon ! ben comme tu veux, c’est toi qui décide. »
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Il ne me l’a jamais vraiment dit mais je l’ai toujours senti. Donc j’ai voulu revenir au
son jazz, mais tant que vous gardez une basse électrique, il n’y a rien à faire, ça ne peut
pas être complètement jazz. Sauf pour Steve Swallow, c’est l’exception, mais il joue de
Question : Peut-on dire qu’il y a une forme de collectivité pour formaliser vos
arrangements finaux?
on le joue. De fait c’est un peu collectif. Et c’est quand même moi qui tranche s’il y a
un choix à prendre. Ce qui peut changer c’est les structures. Pour moi un arrangement, il
se révèle en étant joué. Il n’y a qu’en le jouant qu’on peut se dire que là, il y a une
reprise de trop ou au contraire c’est trop court etc... Donc il y a un apport de l’orchestre.
De toute façon moi c’est ma religion : j’amène des arrangements pour faire jouer
compliqué que ça mais pour moi, il y a deux postures : soit vous écrivez de la musique
qui doit être jouée comme elle doit être jouée, et là peu importe les musiciens qui le
jouent, c’est de la musique de répertoire comme on dit. Si vous allez aux Etats-Unis ou
l’inverse ?
Laurent Cugny : Oui c’est ça, toutes proportions gardées, moi c’est plutôt
Ellington. Ce qui est intéressant pour moi c’est de faire jouer ces gens-là, de révéler le
potentiel d’un groupe. Moi ce qui me plait c’est de jouer avec mon orchestre. Et pour
162
Question : De quelle façon avez-vous procédé pour sélectionner le répertoire
Laurent Cugny : Comme j’ai toujours fait, comme Gil a toujours fait. Je suis
quand même plus compositeur que lui, dans l’ONJ, j’en ai fait pas mal à moi. Mais
comme lui, quand j’entends un morceau qui me plait, j’ai envie de le jouer. Donc
aléatoire.
que j’ai pu interroger. Par exemple, la démarche de David Chevallier est de trouver un
morceau qui ne soit pas trop pauvre. Pour lui dans le rock, la pop, certains compositeurs
Sting. Il m’expliquait que s’était l’une des raisons qu’il s’intéressait à sa musique. Il y a
un fond intéressant sur lequel il pouvait se projeter. Il ne s’agit pas du tout de votre
approche ?
Laurent Cugny : Si, si absolument. Je pourrais aussi dire ça. Tout est relatif. Sting,
ce n’est pas non plus Stravinsky, il y a trois accords. C’est surtout pour la richesse
mélodique, c’est ça qui est bien chez Sting, et chez Joni Mitchell. Joni Mitchell, j’en ai
fait 2 ou 1, dont « Man from mars » il y a vraiment 3 accords, et c’est tout. Sting j’en ai
fait 3 je crois.
finalement ?
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Laurent Cugny : Non, bien sûr, ce que je veux dire c’est que quand David dit qu’il
faut qu’il y ai du fond. Il faut qu’il y ai de la matière. En pop des fois ça ne va pas loin.
développer ? Parce qu’alléger les accords permet plus de liberté comme Miles le disait.
Laurent Cugny : Oui, puis le langage musical on s’en fou. Il y a des fois, il faut
des trucs compliqués et des fois des trucs simples. Heureusement que ce n’est pas au
kilo. Quand j’entends des trucs parfois je me dis « ça j’ai envie de le jouer » c’est tout
c’est intuitif. Parfois c’est simple, parfois c’est compliqué. Après je me demande si j’ai
Ce que je suis allé chercher dans le rock, ce n’est pas un répertoire, c’est surtout
une rythmique, qui en fait n’est pas rock. C’est ce qu’on a dit au début, c’est cette
énergie du son. Même en ce qui concerne le répertoire, je ne pense pas avoir déjà joué
un truc de rock. Je n’ai jamais joué Led Zeppelin, je n’ai jamais joué les Stones, même
pas du Hendrix.
Laurent Cugny : Non… Je sais que Franck Tortiller, l’a fait avec Led Zep. Mais
moi ça m’effraie un peu. Par exemple en ce qui concerne Joni Mitchell, je suis un fan
absolu, je connais tous les disques par cœur mais je n’ai jamais franchis le pas. Je l’ai
fait une fois, mais avec David Lynx. Parce que c’est vraiment des chansons et que je
164
Question : Donc vous pensez bien qu’il y a des morceaux pour lesquels ce n’est
Laurent Cugny : C’est intuitif, les musiciens de jazz en général, dans leur très
mettent à la table pour écrire une grille. Je joue des trucs sans savoir où ça va et
comme si on était spectateur. Moi je fais comme ça mais je pense que tout le monde fait
composition.
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Annexe 2 : Entretien avec David Chevallier – 5 novembre 2016, Dijon
David Chevallier : D’abord, j’ai grandi dans un milieu musical. Je n’ai jamais
connu autre chose que cela. Mes parents étaient musiciens. Dès ma plus jeune enfance
j’ai été habitué à être au milieu des répétitions, des balances, des concerts, des séances
d’enregistrement, des choses comme ça. Il s’agit donc de quelque chose qui pour moi
est naturel.
David Chevallier: Ce n’était pas du jazz, parce que ma mère chantait dans un
groupe. C’était plutôt une sorte de chanson française un peu folk, dans un groupe qui
s’appelait « Les Troubadours », qui a duré un certain nombre d’années. Et mon père
carrière dans des grands orchestres de jazz. Il avait une grande formation de jazz, il a
d’ailleurs eu pleins de distinctions dans les années 50. Ensuite, il y a eu un creux dans
le point de vue du jazz en France, il est donc devenu arrangeur pour la maison Pathé
Normand, par exemple. Mais il a aussi beaucoup travaillé avec Nougaro et des gens
comme ça. Ça c’est le background. Moi j’ai commencé à prendre des cours de guitare
166
composer de manière extrêmement empirique. C’est-à-dire que je n’avais vraiment
aucune formation de quoi que ce soit, donc j’essayais des trucs. Je m’étais mis à écouter
laquelle il y avait Pat Metheny, John Abercrombie, Ralph Towner, pour ne citer qu’eux.
du tout.
Question : Comme ?
David Chevallier : Tous les trucs du XVIII° siècle. C’est une musique qui
m’ennuyait profondément, que je n’avais pas envie de jouer. Déjà qu’il s’agit d’un
instrument qui est tellement ingrat. Même si on bosse comme un âne, le rendu sera
toujours ridicule à côté d’un pianiste du même niveau. La guitare classique est
extrêmement ingrate, vraiment. Le répertoire est pas génial, la musique de chambre est
pas énorme, de toute façon le rendu n’est pas très concluant. Donc je me suis dit, je ne
vais pas faire ça. J’ai quand même poursuivi mes études jusqu’au bout en guitare
classique, j’ai passé mes prix, etc. Mais dans mon esprit il était clair que je ne voulais
pas faire ça. Je me suis alors dis que j’allais faire du jazz, « je vais devenir Pat
Ce qui fait que malgré tout mon cursus de guitare classique a eu une influence
capitale sur ma façon de jouer parce que j’ai gardé une technique dans laquelle j’exclue
le jeu au médiator. Ma technique était vraiment issue de la guitare classique et puis cela
s’est transformé de façon assez personnelle. Je n’ai plus du tout ma technique de guitare
classique aujourd’hui.
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Je n’ai pas du tout eu de cours de jazz, ni d’improvisation, il faut aussi dire qu’à
l’époque il n’y avait pas du tout la même offre que maintenant, la classe au CNSM
n’existait pas, il y avait le CIM à Paris. Mais moi, j’avais envie de faire mon truc. À
partir du moment où je n’ai fait plus que de la musique, je me suis enfermé et j’ai bossé
j’ai commencé avec un premier groupe, ça date de 1986/87. De fil en aiguille, j’ai
monté mes propres groupes, j’ai commencé à jouer avec d’autres. Il y a une rencontre
importante c’est celle de Laurent Dehors, qui est saxophoniste et clarinettiste, avec qui
j’ai joué pendant très longtemps. Il m’a fait sortir des choses qui ne seraient pas sorties
toutes seules, des choses plus déstructurées, plus sales, moins sages. Il m’a poussé vers
Question : Concernant le langage justement, peut-on dire que ces rencontres vous
ont permis de développer une connaissance plus érudite, et ainsi d’être plus à l’aise dans
l’improvisation ?
David Chevallier : En fait, c’est un langage qui se construit tout le long d’une vie.
n’est pas ce que j’ai fait il y a dix ans et j’imagine que dans dix ça sera encore différent.
C’est en perpétuel évolution. Je vois ça comme ça. Mon parcours est quand même
atypique parce qu’il est vrai que je viens de la musique classique, ensuite j’ai fait du
jazz mais sans vraiment passer par la case traditionnelle standards et compagnie. Je suis
tout de suite allé vers un répertoire de musique original avec des formes assez
certain nombre d’années je fais des mélanges avec la musique baroque, mais aussi de la
168
qui m’intéressent dans pleins de styles différents. Je n’aime pas être enfermé dans un
tiroir très précis. Je fais ce qui m’amuse, ce qui me stimule. Je ne me pose plus de
question. Alors qu’il y a tout une phase de développement où on se pose des questions
« est-ce que c’est bien de faire ça », « est-ce que si je fais ça on ne va pas penser
que …». Au bout d’un moment, avec l’expérience qui s’est accumulée, la maturité qui
David Chevallier : Oui. Alors j’ai la chance de faire des choses très différentes. Je
complètement improvisée. Je peux faire de la musique baroque, je fais aussi des formes
hybrides que je crée moi-même, où je mélange des styles différents. Par conséquent, je
joue avec des gens qui sont issus de milieux musicaux différents. Je fais se croiser
adolescent. Je trouvais ça pauvre. Il faut dire que j’étais habitué à écouter Ravel,
Corea, de gens comme ça, ou dans un autre genre Hearth, Wind and fire. Mais il n’y
avait pas de rock puisque mes parents n’écoutaient pas du tout ce type de musique. Il
faut aussi ajouter que je n’ai pas eu besoin de rentrer en rébellion en écoutant de la
musique que mes parents n’écoutaient pas. Je me suis vraiment mis à fond sur les
guitaristes que j’ai cités précédemment. Finalement il m’arrivait parfois de tomber sur
169
quelques enregistrements et je me disais « ça c’est mieux ». Par exemple pour quelques
titres de Police. Il s’agit en fait d’une musique que j’ai découverte beaucoup plus
tardivement, à l’âge adulte. Je ne suis pas revenu sur mon opinion, il y a bien des choses
David Chevallier : Oui, oui, c’est-à-dire que j’ai tendance à avoir une écoute qui
il n’y a rien et rythmiquement c’est quand même plutôt basique. Le travail sur les
timbres est plutôt minimaliste. Alors après il y a sans doute d’autres choses que les
autres peuvent percevoir, cette sorte d’énergie. Moi ça ne me suffit pas. Même si
toutefois je peux maintenant comprendre. En somme, on ne peut pas dire que je sois un
groupes, ou des chansons qui me font dire qu’il y a parfois des trucs qui sont
intéressants. L’idée de Is that pop music ?!?, c’est ça. C’est de prendre un certain
potentiel de travail pour me les approprier. J’ai choisis quelques chansons, David Lynx
m’en a suggéré quelques autres et on a fait un choix pour obtenir un répertoire équilibré.
En dehors de ça, je me suis déjà retrouvé avec le trio de Laurent Dehors à faire des
reprises de Police et des choses comme ça. Mais dans Is that pop music ?!? j’ai
vraiment une approche de recomposition, qui est commune à tous mes projets.
Question : Avant de continuer sur Is that pop music ?!?, à quel moment avez-
vous perçu que la dimension de l’énergie propre au rock était un aspect déterminant ?
170
David Chevallier : Je pense que c’est parfois en simplifiant le langage. Je reviens
à cette collaboration avec Laurent, avec son trio. Parfois on faisait des choses qui étaient
finalement beaucoup plus simples harmoniquement, que ce que j’ai tendance à faire
dans mes propres projets. En fait il s’agissait d’un travail sur la simplification des
choses, mais le rendu n’est pas simpliste. Il faut dire qu’il y avait une façon de jouer les
choses avec une liberté, une inventivité, une énergie et surtout un investissement qui
m’ont fait prendre conscience de l’intérêt que cela pouvait avoir de faire des choses plus
simples. Cela pouvait transmettre d’autres choses. C’est aussi comme ça que j’ai
compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir dans des formes plus simples comme il peut y en
avoir dans le rock. Je devais avoir pas loin de 25 ans quand même.
savoir comment se travail se met en place au sein de votre démarche. Quelle est votre
David Chevallier : Alors, mon approche est toujours à peu près la même quel que
soit la matière sur laquelle je travaille. Que ce soit sur les madrigaux de Gesualdo ou
des chansons de pop, ou un air de Purcell, c’est pareil. Déjà, il y a une phase
d’imprégnation. Une fois que j’ai choisis la matière sur laquelle je travaille, j’écoute
beaucoup.
David Chevallier : Non, c’est vraiment de l’écoute. Ensuite c’est vrai que pour
« Is that pop music » j’ai pas mal travaillé avec la guitare entre les mains, ce qui n’est
171
David Chevallier : Parce que justement, ce sont des chansons qui peuvent se
guitaristique. J’ai alors commencé à chercher des trucs en jouant un peu une fois que
j’avais les chansons dans la tête. Evidement à ce moment ce qui sort, ce sont des choses
qui sont tout de suite mes trucs à moi. Il y a donc une espèce de mélange qui se fait
immédiatement entre ce que je suis en tant que musicien et le répertoire. J’ai trouvé des
parce que je n’arrivais pas à développer, d’autres que je trie. Le travail de groupe
David Chevallier : Non, c’est moi qui prends les décisions. Sur des projets pour
lesquels, je suis responsable artistique. J’arrive, j’ai donné les partitions à tout le monde,
3, 4, et c’est partie. Bien-sûr, je donne des indications. Il y a des espaces de liberté dans
les arrangements que je fais. Je suis en confiance avec les musiciens avec lesquels je
partage mon projet. Ils sont de brillants improvisateurs. En revanche, pour tout ce qui
est arrangement écrit, je sais ce que je veux, je sais ce que je veux entendre, ce que j’ai
prévu dans mon travail solitaire, je veux l’entendre ensuite en vrai avec les musiciens.
Je dirige pour obtenir ce résultat comme dans n’importe quelle répétition. Il n’y a pas de
Question : Oui en somme vous avez une idée très définie du résultat final ?
172
David Chevallier : Oui. Il se peut néanmoins qu’en jouant les morceaux, des idées
nouvelles viennent ou d’autres idées ne s’avèrent pas aussi concluante que ça. Le fait
que ces arrangements soient joués en direct par d’autres musiciens peut faire émerger
d’autres idées. Cela ne veut donc pas dire que tout est absolument figé. Mais
Question : Vous parliez des partitions que vous remettiez aux musiciens, quelle
David Chevallier : Non, cela prend la forme de scores très précis. En fait la
musique que je fais est très écrite avec des fenêtres qui sont assez libres. Le soliste ne
joue pas forcement sur la même trame harmonique que le thème, comme il y a souvent
dans les standards. Parfois sur les partitions il y a des mesures vides, sur lesquelles, il y
a marqué impro ad lib, cela dur donc le temps que le soliste le souhaite. Le véritable
enjeu est de passer de ces parties écrites aux parties improvisées avec fluidité et
élégance. Il ne faut pas que l’on ait l’impression qu’il y a des à-coups ou une perte
d’énergie.
Question : En somme, cela impose une grosse part d’écoute entre musiciens du
groupe ?
David Chevallier : C’est en effet, indispensable. Mais je travaille avec des gens
que je connais bien et qui sont rompus à ce genre d’exercice. Maintenant ils savent bien
ce que je veux également, ça se passe assez naturellement. Ils savent comment passer de
la partie improvisée à la partie écrite. Parfois même des sections écrites introduisent le
173
passage d’un état à un autre. Ce qui permet de faire en sorte de garder le flux de
l’improvisation alors qu’on commence déjà à remettre les pieds dans l’écriture.
procédé ?
vraiment beaucoup d’intérêt. Pour pop music, effectivement j’aurais pu faire le choix de
quelque chose de très électrique avec pleins de guitares électriques partout, quelque
chose qui soit plus dans l’attente de ce que l’on écoute habituellement. Mais justement
pour moi, c’est plus intéressant de proposer un rendu sonore, avec une orchestration très
éloignée. Finalement de la matière première ne reste que le squelette. J’ai enlevé toute la
complexité. Mais pas la complexité gratuite. Ce n’est pas quelque chose qui se veut
virtuose gratuitement, je n’ai pas envie que les gens se disent « wolala je n’y comprends
rien. » Ce n’est pas une volonté du tout, c’est plutôt que mon goût personnel s’y prête.
Les compositeurs qui me plaisent se sont des compositeurs qui composent des trucs qui
compositeur qui est absolument génial parce qu’il fait en permanence des choses
complètement surprenantes. Pour moi c’est comme regarder un film ! Et quoi de plus
ennuyeux qu’un film qui ne sait pas conserver son suspens ? J’aime les films dans
chemins de traverse, au bout d’un moment vous ne savez plus trop ou vous en êtes
jusqu’à ce qu’une résolution s’impose de sorte à ce que l’on se dise « ah oui ! ». J’aime
ça en tant que spectateur. En somme, j’essaye de proposer des choses qui moi
174
Question : Justement en parlant de cet auditoire, quel public visez-vous avec « Is
David Chevallier : Alors avec ce Cd j’ai été un peu naïf, je pensais que je pouvais
se faire rencontrer deux types de publics. Le public du jazz actuel (qui peut aussi
souvent être amateur de rock) et le public qui était plus accroché à ce répertoire afin de
leur faire découvrir autre chose par ce biais-là. Mais ça n’a pas très bien marché. Déjà
j’espérais pouvoir jouer dans des lieux qui soient habitués à programmer plus de pop, de
rock. J’aurai bien voulu jouer dans des SMAC. Or les programmateurs des SMAC ne
sont pas du tout ouverts à ce genre de propositions. Dans la très grande majorité, il n’y a
pas énormément de curiosité pour ces formes. C’est compliqué pour les musiciens de
jazz français de jouer dans des SMAC. On a joué ça dans des scènes généralistes, des
scènes nationales et des choses comme ça, ce qui fait qu’on avait un public mélangé. On
Question : Et le souhait de vouloir plaire à deux publics différents est-ce que cela
David Chevallier : Ah non, pas du tout. Je n’en fais pas ! Je fais ce que j’ai envie
de faire. Ça trouve son public ou pas, mais je ne fais aucune concession. Cela ne veut
pas dire que je suis dans une radicalité qui se moque de la réception de ce que je fais.
asymétriques parce que les gens vont trouver que c’est instable. » Non, on perd le sens
de départ.
175
David Chevallier : Ah oui bien sûr, même un mec comme Sting, a fait pleins de
compositions comme ça. Ce n’est pas pour rien que j’aime ce qu’il fait. Il y a une
inventivité chez lui et un désir d’essayer des choses nouvelles qui sont superbes.
cette dimension ? Était-ce pour rendre le projet plus accessible à un large public ?
David Chevallier : Non ce n’était pas dans cette optique. Souvent dans les projets
que je fais, il y a une conjonction d’envies qui se retrouvent. Pour cet album, il y a :
l’idée de travailler sur ce répertoire, l’envie que j’avais depuis des années de travailler
avec David Linx. Puisque je m’étais dit que j’allais pas mal déstructurer les chansons et
que l’orchestration serait très éloignée de l’originale, j’ai pensé qu’il était pas mal que
cela reste chanté, de sorte à ce que le répertoire ne soit pas un prétexte. Il s’agit avant
nous amène vraiment ailleurs. Pour moi mon projet avait plus de sens si je conservais la
voix.
David Chevallier : Oui c’est une petite blague. Après le traitement que j’ai opéré
sur ce répertoire, peut-on encore appeler ça de la pop musique ? En même temps cela
176
pose une question : à partir de quand c’est de la pop et à partir de quand ce n’en est
plus ?
détourner. Ici, il s’agit d’une pomme bleue. Elle n’est pas normale, inattendue, sur
« Standard et avatard », c’est une fourchette qui se transforme en main et qui commence
à vivre sa propre vie. C’est cette idée que l’on m’a suggéré. Utiliser des objets que tout
le monde connait, comme le répertoire sur lequel je travaille, et de leur faire avoir leur
David Chevallier : Je ne sais pas trop si l’on peut dire, que mes projets influences
les suivants. Simplement, à chaque fois que je mène à terme un projet, ce sont des
briques que j’ajoute à ma maison. Je ne vais pas dire mon œuvre, parce que ça fait un
peu prétentieux. J’aurais du mal à dire si le travail d’écriture dans Is that pop music a pu
avoir une influence sur mes projets postérieurs. Mais il est évident qu’au moins
indirectement ça m’a nourrit personnellement dans mon style. Je pense que c’est ça ce
chemin à travers mes projets qui définit de plus en plus mon style.
Question : Est- ce que ça ne vire pas à l’exercice ? Pour quelle raison vous êtes-
177
David Chevallier : J’aime bien aller là où l’on ne m’attend pas. Comme ça fait des
années que je fais du Gesualdo, du Purcell. J’ai fait plein de trucs différents les uns les
autres. D’ailleurs je pense que personne ne se serait dit un jour : « il va faire un truc sur
les standards ». Donc il y avait un peu de ça. Ce n’est pas de la provocation du tout.
J’aime bien les surprises donc j’en fais aux autres. Il y a aussi longtemps que je ne
m’étais pas retrouvé avec une rythmique basse / batterie. Je m’étais plutôt évertué
pendant des années à faire autres chose avec des formations différentes comme batterie
et tuba ou batterie, saxophone et basse pour essayer d’avoir un son différent. Il y avait
l’idée d’une instrumentation plus simple. Un truc pas du tout original et surtout qui a été
fait par des personnes qui ont fait ça tellement bien que j’avais envie de me frotter à ça.
Je voulais retrouver cette sensation de rejouer avec une rythmique basiquement efficace,
qui fournit un truc derrière. Les standards : pendant des années j’ai fait des choses
Comme finalement pour ce qui est du rock, ce n’était pas un répertoire que j’écoutais. Je
n’ai pas du tout passé mon adolescence à écouter tous les maitres de jazz.
David Chevallier : Oui voilà, c’est ça. Je me suis quand même retrouvé dans un
sur Armstrong, sur Cole Porter, avec un orchestre où il y avait à la fois des jeunes
musiciens plutôt modernes et des musiciens plus vieux qui étaient plus encrés dans une
tradition. Tout ça fonctionnait grâce à la très belle intelligence de Caratini qui est un
excellent leader. Il faisa it des projets vraiment intéressant à la fois vraiment encrés
dans la tradition, et en même temps revisités par son regard personnel. J’avais envie de
178
jouer avec basse / batterie, et le moment était venu. Après toutes ces années à
contourner tout ça, pour ne pas faire comme tout le monde, je me suis mis à le faire à
me vois pas faire du tout un disque ou je suis juste interprète. C’est quelque chose qui
n’est pas moi. Je peux faire ça dans le groupe des autres. Mais sous mon nom, je ne me
vois pas ne pas intervenir en tant que compositeur. Si je devais travailler sur les
standards, ça allait être avec la même méthodologie que sur les autres projets :
d’après ce que j’ai relevé (turn around à la fin de All the thing you are, même certaines
phrases improvisées)
David Chevallier : Oui bien sûr, ce n’est pas sarcastique, ce sont des petits clins
d’œil, c’est aussi pour rappeler dans quel sujet on est. C’est quand même de ça qu’on
Question : Pourquoi le choix d’un tirant de guitare faible ? Est-ce en rapport avec
David Chevallier : La 7 cordes c’est tout simplement parce que je ne suis pas un
collectionneur, j’ai pas 36 guitares, j’ai une guitare électrique et c’est tout. C’est une 7
cordes parce que pendant des années j’ai joué sans basse. Ça m’intéressait d’occuper
l’espace, dans les graves. Effectivement, je n’utilise pas souvent la 7ème corde quand je
joue avec le trio, la place est prise en bas et ce n’est pas une nécessité. Ensuite pour le
tirant, plus je vieilli, plus je l’allège. Quand j’ai commencé, je jouais avec du filet plat,
du 11 ou du 12, je ne sais plus, un tirant assez important. Petit à petit, j’ai vraiment
179
allégé le tirant, en même temps que ma technique à la main droite, sur la guitare.
J’attaque beaucoup moins qu’à une certaine époque. De toute façon j’ai un jeu qui n’est
pas très attaqué à la main droite, avec beaucoup de lié à la main gauche et j’ai un jeu
aussi polyphonique à la main droite. Finalement le fait d’avoir un tirant plus faible, ça
me permet de moins abimer mes ongles par exemple. Parce que je joue aux doigts. C’est
un problème permanant que j’ai de m’économiser mes ongles. Parce que j’ai la
malchance d’avoir des ongles qui ne sont pas dures, pas solides. C’est une
problématique que je ne perds jamais de vue parce qu’il faut tenir la distance. J’ai pleins
David Chevallier : Alors si quand même. Avant je jouais sur des micros à double
bobinage, or maintenant depuis que j’ai cette guitare, qui est une Vendramini, ça fait
10/15 ans, je suis sur des simples bobinages. Le moment où je suis passé là-dessus, ça
correspond au moment où j’ai commencé à alléger mon tirant. Il y a aussi une période à
laquelle je jouais avec pas mal de saturation, le faible tirant permet de faire des choses
avec de la saturation que l’on ne peut pas faire avec un tirant fort. Tout ça cumulé ça fait
David Chevallier : Alors pour moi le jazz ce n’est pas une musique. Pour moi le
jazz, c’est une façon de faire de la musique. Je ne pense pas être le seul à le dire.
180
David Chevallier : Je pense qu’on est plein à avoir cette position-là. Il y a
l’éternelle question, « c’est du jazz ?», « ce n’est pas du jazz ? ». Mais il y a des gens
qui ne se posent pas cette question. Il y en a d’autre qui s’arque boutent sur ce type de
problématique. Il y a des gens qui ont vu Parker arriver et qui ont trouvé que c’était
n’importe quoi, que c’était un scandale, des personnes qui emmerdaient les musiciens
concerne, le jazz je ne sais pas quand ça commence et je ne sais pas quand ça s’arrête.
Je pense que s’est impossible de le dire vraiment objectivement. Mais par contre il y a
une façon de faire de la musique qui est typique des musiciens de jazz. Avec une
certaine liberté, une certaine gourmandise. Le musicien de jazz peut se régaler à jouer
quelque chose qui au départ n’est pas du tout du jazz. Ça sera fait d’une certaine
manière parce que c’est un musicien de jazz. Il y a d’autres gens qui font d’autres styles
de musique qui peuvent reprendre des styles de musique qu’ils ne sont pas habitués à
faire et qui vont les faire d’une autre manière mais il ne s’agira pas de jazz. Parce qu’ils
ne sont pas musiciens de jazz. Les musiciens de jazz on les reconnait à ça.
David Chevallier : Oui, et c’est certainement subjectif. En tout ça pour moi c’est
vraiment une façon de jouer. Une liberté pour l’harmonie, pour le rythme, un certain
phrasé, une conscience du placement rythmique. Tout ça mélangé, ça fait que ça sonne
David Chevallier : En fait je suis vraiment ce que l’on peut appeler un instinctif. Il
se trouve que mon père qui était un très bon orchestrateur, un très bon compositeur, un
181
très bon arrangeur, lui aussi était un instinctif. Il n’avait pas vraiment fait de classe
d’écriture et pourtant il écrivait très bien. Il était reconnu par ces ainés comme étant
quelqu’un qui écrivait très bien, y compris par des gens qui avaient fait toutes les
j’étais au lycée j’ai dû faire une heure ou deux d’harmonie, mais vraiment pas très
sérieusement. Ma façon d’écrire est vraiment elle aussi vraiment instinctive. Je ne peux
certainement pas tout faire, je ne sais pas tout faire, je n’ai pas cette prétention. Pour
certaines choses, je suis certainement moins rapide que des gens qui ont appris des
techniques très précises. En tout cas ça m’a fait suivre un chemin qui est très particulier
j’avais fait toutes les classes d’écriture, je ne proposerais pas la même musique. Quand
je dis que c’est instinctif, c’est que ça sort vraiment de moi, ce sont des choses qui
difficilement expliquer un instinct, par essence, ce n’est pas réfléchi. C’est quelque
chose qui se fait tout seul. Ça ne signifie pas que je ne réfléchis pas à la musique que je
fais évidemment. J’entends, ça sort et après je trie. Finalement ce n’est pas très
182
Sunshine
Anne Paceo
Circles
Music by Anne Paceo
Emile parisien Sax sop
Standard tuning
= 90
1'18 min Solo saxophone
1 2 3 4
E Parisien
Leïla Martial
Clav Paeleman
Motif/ rythme libre
1/8
5 6 7 8
Rhodes Pa...
9 10 11 12
3
2/8
13 14 15 16
E Parisien
3
3
Rhodes Pa...
17 18 19 20
3/8
21 22 23 24
E Parisien
Rhodes Pa...
Outro solo
25 26 27 28
4/8
29 30 31 32
E Parisien
3 3 3 3 3
3 3 3
Rhodes Pa...
Steel Reverb Pick
33 34 35 36
3
3
5/8
37 38 39 40
E Parisien
Rhodes Pa...
41 42 43 44
6/8
45 46 47 48
Rhodes Pa...
49 50 51 52
3
3
7/8
3'48
53 54
E Parisien
Rhodes Pa...
8/8
PP song tree
Transcription C.Bairras
Pierrick Pédron
And the
Music by Pierrick Pédron
Sax Soprano en Ut Saxophone alto en Ut Electric Bass
Standard tuning Standard tuning BEAD G
= 74
Intro
1 2 3
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
1/20
4 5 6 7
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3
3 3 33 33 3
3 3
E-Bass5
Drums
2/20
8 9 10 11
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3
3 3 3 3 3 3 3
3 3 3 3 3 3
E-Bass5
Drums
3/20
12 13
14 15
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3 3
3 3
E-Bass5
Drums
4/20
16 17 18 19
Sax sop
3
Sax Alto
3
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
5/20
20 21 22 23
Sax sop
Sax Alto
3
A-Piano
Choir
K-Sth
3 3 3 3 3 3
3 3 3 3
E-Bass5
Drums
6/20
24 25 26 27
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3
3 3 3 3 3
3 3 3 3 3
E-Bass5
Drums
7/20
28 29 30 31
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3 3 3 3 3 3
3 3 3 3
E-Bass5
Drums
8/20
32 33 34 35
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3
3 3 3 3 3 3 3
3 3 3 3 3 3
E-Bass5
Drums
9/20
36 37 38 39
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
3
3
3 3
E-Bass5
Drums
10/20
40 41 42 43
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
Dru... E-Bas...
11/20
44 45 46 47
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
Dru... E-Bas...
12/20
48 49 50 51
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
Dru... E-Bas...
13/20
52 53 54 55
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Dru...
14/20
Chorus
56 57 58 59
Sax sop
3
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
15/20
3 3
60 61 62 63
3
Sax sop
3 3 3 3 3
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
16/20
64 65 66 67
Sax sop
3
Sax Alto
let ring
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
17/20
3
68 69 70 71
Sax sop
3 3 3
3
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
18/20
72 73 74 75
Sax sop
3
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bass5
Drums
19/20
3'53
76
Sax sop
Sax Alto
A-Piano
Choir
K-Sth
E-Bas...
Drums
20/20