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Université de Bourgogne

UFR Sciences humaines

Département de musicologie

Jazz et musiques actuelles :


L’exemple de la scène Française

Travail de Master 2 présenté par Christophe Bairras, Sous la direction

de Philippe Gonin, Maître de Conférences à l’Université de Bourgogne

Franche-Comté, compositeur et arrangeur.

Août 2017

1
2
Jazz et musiques actuelles :
L’exemple de la scène Française

3
Université de Bourgogne

UFR Sciences humaines

Département de musicologie

Jazz et musiques actuelles :


L’exemple de la scène Française

Travail de Master 2 présenté par Christophe Bairras, Sous la direction

de Philippe Gonin, Maître de Conférences à l’Université de Bourgogne

Franche-Comté, compositeur et arrangeur.

Août 2017

4
Remerciements :

Je tiens à remercier les artistes que j’ai eu la chance de rencontrer. Ils se sont tous

montrés bienveillants et disponibles à mon égard.

Je remercie ceux que je n’ai pas pu rencontrer mais qui ont pu m’accorder un peu

de leur temps pour répondre à certaines de mes interrogations. Nos entretiens sont par

ailleurs retranscris dans les annexes de ce mémoire.

Je remercie également Laurent Cugny, professeur en musicologie à Paris-

Sorbonne, pour la distance et le regard qu’il a apporté, même indirectement, sur mon

sujet.

Je remercie Philippe Gonin, Maître de Conférences à l’Université de Bourgogne

Franche-Comté, directeur de ce mémoire, ainsi que tout le corps enseignant de

l’Université de Dijon, de m’avoir accompagné tout au long de ma formation.

5
INTRODUCTION : 8

1 LE JAZZ FRANÇAIS, UN CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE SINGULIER 23

1.1 La scène du jazz français aujourd’hui 23

1.1.1 Contexte historique et social 23

1.1.2 Orchestre National de Jazz 24

1.1.3 Créations indépendantes et réseaux 26

1.1.4 Jazz et labels 29

1.2 Jazz et « musiques actuelles » en France 34

1.2.1 Des musiciens issus des « musiques actuelles » 35

1.2.2 Pourquoi passer au jazz ? 38

1.2.3 Vision des musiciens de jazz sur le Rock 39

1.2.4 Retour à la source 41

2 DE NOUVEAUX STANDARDS 47

2.1 Quelques notions de jazz 47

2.2 Le répertoire d’aujourd’hui 51

2.2.1 Historique du standard 51

2.2.2 Les standards d’aujourd’hui ? 56

2.3 S’approprier le rock/ Standardisation du rock 57

2.3.1 Phase d’imprégnation 58

2.3.2 Standardisation du répertoire 59

3 DES MUSIQUES ACTUELLES A L’ŒUVRE JAZZ 88

3.1 L’œuvre en jazz 88

6
3.1.1 Qu’est-ce qu’une composition jazz ? 88

3.1.2 L’enregistrement et l’œuvre de jazz 91

3.2 Dans l’œuvre jazz 93

3.2.1 Formation et instrumentation 93

3.2.2 Le temps de l’arrangement/de la composition 102

3.2.3 Le langage de l’improvisation 116

CONCLUSION : 125

SOURCES 132

TABLES DES ILLUSTRATIONS 146

ANNEXES 148

Annexe 1 : Entretien avec Laurent Cugny - 16 janvier 2017, Paris 149

Annexe 2 : Entretien avec David Chevallier – 5 novembre 2016, Dijon 166

Annexe 3 : Partition « Sunshine » Anne Paceo, Circles 183

Annexe 4 : Partition « PP song tree » Pierrick Pédron, And the 191

7
INTRODUCTION :

1/ Contexte socio-économique mondial

Le jazz, comme la plupart des genres, des esthétiques du XXème et du XXIème

siècle, naît et grandit dans un contexte, un climat social et économique singulier qui a

eu, et a toujours, un impact direct sur la création, et ainsi sur le sens du genre en

question. En observant les évolutions des esthétiques qui traversent le jazz, on retrouve

une représentation fidèle de la société au fil du temps. C’est par ailleurs sans doute la

raison pour laquelle, de nombreux ouvrages introduisent les mouvances du jazz par un

contexte historique parfois large. L’un et l’autre sont indissociables pour saisir parfois le

sens, la raison de certains courants. L’exemple le plus évident qui puisse être cité est

celui de l’émergence du free jazz puisque, sommairement, ce mouvement brise les

relations et les schémas types de la musique tonale occidentale. D’une certaine façon, le

free apparait comme un courant rejetant la culture « blanche » au sien d’un genre

d’origine noir américain.

Le jazz n’est pas ce que vous (Blancs) avez voulu qu’il soit. Malgré les
classifications que vous avez établies depuis un demi-siècle, il peut se passer de tout ce
que vous aviez cru lui être essentiel ; il peut aussi s’approprier tout ce que vous aviez
cru lui être étranger. 1

De la même manière, la scène du jazz dont nous parlerons ici nait dans un

contexte très singulier. Ces trente dernières années ont vu l’effondrement de l’URSS

ainsi que la chute du mur de Berlin. Toutes alternatives au libéralisme occidental

semblent être discréditées par une période de mondialisation exacerbée.2 En France,

1
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.449.
2
KOSMICKI Guillaume, Musiques savantes : De John Zorn à la fin du monde et après…1990-
2015, Barcelone, Le mot et le reste, 2017, p.7.

8
comme dans de nombreux pays, les gouvernements se succèdent sans pour autant

proposer des politiques économiques différentes. La consommation devient l’objet

principal de l’intérêt des hauts-élus au détriment du travail français et de

l’environnement. L’objectif est de rapporter, plus vite et pour peu d’argent. Pour cela de

nombreuses usines, entreprises et paradoxalement même des magasins continuent de

fermer leurs portent en France pour des pays à moindres coût. Les ouvriers continuent

par ailleurs à se faire remplacer par des machines, entrainant de nouveaux

licenciements. Dans la même veine, certains magasins mettent la clef sous la porte en

raison de la concurrence des magasins virtuels pratiquant des prix difficilement

accessibles pour ces derniers.

Pour un certain temps néanmoins, la population a pu tirer bénéfice de l’apogée

de la mondialisation. Durant ces trois dernières décennies les innovations

technologiques se sont démocratisées à un large public de sorte à ce qu’aujourd’hui

différents appareils, d’abord destinés à un usage familial, soient maintenant à usage

personnel. Comme l’ordinateur ou le téléphone, dans les années 90, début des années

2000, il n’y avait qu’un de ces appareils par famille. Aujourd’hui, même certains jeunes

enfants ont un téléphone portable. La combinaison de ces innovations technologiques

avec l’ascension d’internet favorisent l’accès à la culture. Le temps et la distance ne

sont plus des arguments de dissuasion pour ne pas écouter du rock japonais ou bien de

la musique traditionnelle suédoise par exemple. Tous ces progrès technologiques

conditionnent notre façon de vivre de telle façon que maintenant tout doit être connecté,

tout doit être rapide, instantané. Il en va de même pour la production physique d’un

quelconque objet.

9
2/ Conditions de la musique post-moderne

La création musicale actuelle baigne dans ce climat paradoxalement ouvert,

connecté au monde et pourtant très individualiste.3 De sorte qu’aujourd’hui plus

réellement de compositeurs ne s’érigent comme leader d’un mouvement. De la même

manière aucun groupe ne se constitue pour revendiquer un langage commun. Au

contraire, les compositeurs se présentent comme indépendant et libérés de tout

dogmatisme. Malgré ce repli sur l’individu, il se dégage quelques caractéristiques

propres aux postmodernes4 :

 Refus de tout radicalisme

 Réintégration du champ de l’expressivité de l’émotion et de la beauté

 Rapport d’immédiateté avec le public pour lequel le compositeur avoue

quelques concessions afin de s’approprier un public plus large

 Ils nourrissent leur composition d’une somme considérable

d’influences, d’idées, de styles savants ou non issues de lieux et

d’époques aussi divers que variés.

3/ Et le jazz ?

Le paysage du jazz aujourd’hui n’a jamais été aussi éclaté. Les tabous de la «

tradition » jazz commencent à s’émanciper de son histoire, c’est la fin du dogmatisme.

Les compositeurs ne se fixent plus nécessairement de barrières pour répondre à des

exigences stylistiques issues des pratiques d’écritures enseignées dans les écoles de jazz.

En s’affranchissant de ces règles, le jazz épouse de nouvelles esthétiques qui

3
KOSMICKI Guillaume, Musiques savantes : De John Zorn à la fin du monde et après…1990-
2015, Barcelone, Le mot et le reste, 2017, p.8.
4
Id.

10
transforment sa morphologie. Le jazz est une musique jouée dans le monde entier et

s’adapte à tous les environnements, de sorte à ce qu’il subisse toute une somme de

transformations. Autrement dit, la création jazz n’est plus nécessairement américaine.

Des pôles de créations importants sont désormais partout à travers le monde. Il est

cependant possible de considérer deux pôles principaux particulièrement prolifiques, le

pôle américain, par tradition, et le pôle européen. Les échanges de musiciens sont

favorisés par la banalisation des transports aériens. Ils permettent aux musiciens

d’avant-garde de se rapprocher afin de faire cause commune.

Une telle diversité dans la création du jazz actuel n’est pas sans provoquer des

débats autour de l’identité du jazz. Si bien que l’on pourrait se demander si l’on peut

encore considérer ça comme étant du jazz.

Face à un tel éclatement, les critiques vont bon train, provenant aussi bien de

simples mélomanes que de professeurs ou spécialistes du jazz. La création actuelle ne

convainc pas toujours. Soit considéré comme ayant déjà été fait, soit comme étant trop

éloigné de la texture et des pratiques d’origines, le jazz souffre d’une crise d’identité qui

n’a peut-être jamais été aussi évidente. Dans un tel contexte, des questions telles que «

Le jazz est-il mort ?» ou encore « De quoi le jazz est-il le nom ? » sont récurrentes.

Il s’agit de questions plutôt provocatrices, mais au vu de tout ce à quoi le jazz se

rapporte aujourd’hui, elles semblent plutôt légitimes. Il faut également rappeler que

cette question de l’identité du jazz est finalement une interrogation qui traverse

l’entièreté de son histoire, depuis presque sa naissance. Il faut se remémorer les prises

de position d’Hugues Panassié défendant une certaine image traditionnaliste du jazz et

la position de Boris Vian, ou Charles Delaunay qui défendent une position plus

11
moderniste. Il faut comprendre que cette question a toujours été au centre de l’intérêt

des amateurs de cette musique. Pourtant avec le recul, on peut grossièrement considérer

que l’évolution du jazz s’est effectuée avec une certaine douceur grâce à la succession

des courants dominants. En effet, la plupart des ouvrages qui relatent cette histoire

distinguent une succession de mouvements qui se chevauchent et se succèdent tout au

long de l’histoire du jazz. Le livre de Franck Bergerot, Le jazz dans tous ses états5, ou

bien L’odyssée du jazz6 de Noël Balen ou encore Analyser le jazz7 de Laurent Cugny,

référencent ces esthétiques du jazz selon les dénominations suivantes :

 Blues, Gospel et negro spiritual

 New Orléans

 Swing

 Be Bop

 Cool

 Hard Bop

 Modal

 Free

 Jazz-rock/Fusion

5
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011.
6
BALEN Noël, L’odyssée du Jazz, Paris, Liana Lévi, 2012.
7
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009.

12
Laurent Cugny précise cette chronologie de la façon suivante8 :

Âges Périodes

1886 1886-1895 Préhistoire

1895 1895-1917 Pré-classique Jazz élémentaire

1917-1930 Pré-swing

1930 1930-1945 Classique Swing

1945-1960 (Pratique commune) Be-bop et dérivés

(Be-bop- cool-jazz et

Hard-bop)

1960 1960-1975 Moderne Free Jazz Jazz

1969 modal

Jazz-rock

1975 1975… Post-moderne

Après ces références communes et chronologiques les appellations et les

considérations de chacun de ces auteurs diffèrent. Dans l’avant dernier chapitre de son

livre N. Balen parle de « jazz universel » alors que F. Bergerot parle « d’éclatement ».

Autrement dit, le jazz depuis les années 80 n’a jamais revêtit autant de formes ou

de texture différentes, sans pour autant définir un quelconque courant principal. C’est

pourquoi, avec un tel contexte, cette question identitaire n’a jamais eu autant de sens.

Franck Bergerot, évoque l’incertitude de l’avenir créatif du jazz à travers deux noms de

8
Ibidem, p.28.

13
chapitres tout aussi provoquant : « Le jazz en crise »9, « L’histoire en panne »10. Ces

quelques pages, issues du même ouvrage, mettent en avant la difficulté que rencontre le

monde du jazz à renouveler ses esthétiques pour renouer avec un certain public.

Selon Laurent Cugny, le contexte actuel est donc favorable depuis les années

1975 à ce que l’on pourrait appeler la période post-moderne du jazz. Elle se caractérise

par l’éclatement des mouvements qui constituent le genre à partir de la seconde partie

de cette décennie. En effet, des esthétiques diverses et indépendantes émergent

parallèlement sans réellement désigner un courant que l’on pourrait qualifier de

principal. Il s’agit d’un phénomène global qui n’est pas propre au jazz mais qui est

présent dans tous les genres musicaux.

Comme l’affirme Franck Bergerot, à cette période, le jazz prend une sorte de

recul afin d’assimiler la densité des mouvements qui l’avaient jusqu’alors traversé, de

sorte à ce que les projets de revival se multiplient11. Le courant Neo-Bop contribue

largement à ce phénomène, notamment avec des figures emblématiques telles que les

frères Marsalis pour ne citer qu’eux.

Le contexte est assez singulier, de 1980 à 2000, les écoles, les festivals, les

publications, les lieux du jazz sont nombreux. Tous ces moyens favorisent la diffusion

de la culture et de la tradition du jazz. Les écoles forment à ces pratiques, par des

méthodes extrêmement ergonomiques, favorisant un apprentissage accéléré du langage

et des différents mouvements qui constituent le jazz, tout comme si son histoire était

déjà scellée. L’identité du jazz ne fait alors aucun doute. Les musiciens de cette

génération, confrontés à une période de crise économique, semblent rechercher


9
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011, p.258
10
Ibidem, p.228
11
Id.

14
principalement à être polyvalent, de façon à répondre à la demande d’une variété friande

de la couleur du phrasé jazzy. Aux Etats-Unis des écoles souvent citées telles Berklee

College of Music à Boston ou la Jazz and Contemporary Music de New-York

obtiennent une renommée internationale. Elles attirent des musiciens du monde entier et

de toutes les cultures. Car il faut rappeler que les voyages en avion deviennent de plus

en plus communs. Ils favorisent les échanges entre les pays et dans notre cas les

échanges de musiciens à travers le monde. Ces écoles sont souvent critiquées pour

l’académisme qu’elles engendrent dans les pratiques chez les musiciens actuels,

notamment chez les musiciens qui font partis de la scène new-yorkaise.

Il faut de plus ajouter que depuis le milieu des années 80, l’apparition des

RealBook (en France) et la renommée grandissante des écoles de jazz américaines

engendrent une uniformité des pratiques du jazz. La notion de répertoire jazz devient

plus que jamais centrale, bien que la notion de standards ait toujours plus ou moins été

présente selon les périodes. Chaque époque a ses standards pour ainsi dire, au moins

jusqu’à la fin des années 70.12

Le RealBook répertorie la plupart des plus grands standards de ces périodes.

Finalement déterminer ce que sont les standards du jazz à travers un recueil de partition

est une manière d’affirmer que l’on a déjà attribué des barrières au jazz. Bien-sûr toutes

les personnes qui pratiquent le jazz savent qu’il est nécessaire au préalable de connaitre

les codes qui permettent d’interpréter des partitions simplifiées. Mais ces codes

supposent eux même que les pratiques sont sous-entendues et figées par une

normalisation de ces usages. En somme, la personne qui souhaite interpréter ce

12
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.1069.

15
répertoire est rompue à des codes. Le RealBook est un produit commercial. Au regard

de ceci peut-on estimer que le futur du jazz est mis en péril par son propre passé ? En

effet, ce répertoire est bien entendu une part déterminante de l’apprentissage des élèves

qui sont formés à pratiquer cette musique, mais elle enferme la créativité de ces futurs

artistes dans un moule étroit et normalisé de création. En somme, aucune surprise à

l’écoute de très nombreux enregistrements.

Effectuer un album de standards est un exercice presque de l’ordre du

traditionnel en jazz aujourd’hui encore. C’est pourquoi on retrouve toujours, dans la

plupart des discographies d’un artiste, un album dédié aux standards du jazz. Par

ailleurs, la normalisation des formations enferme le jazz dans une morphologie sonore

et une routine qui confondent les artistes les uns aux autres. Combien trouve-t-on de

trios pour piano actuellement ? Bien entendu, certains se démarquent en proposant des

choses nouvelles, il serait injuste d’affirmer le contraire. Si l’on regarde l’histoire du

jazz au moins jusque dans les années 75, on remarque que l’esthétique, le langage et le

son tendent vers l’avenir. Or actuellement un certain dictat à la fois académique et

économique entrave l’avenir du jazz. Le premier marqueur révélateur est le public lui-

même. La méconnaissance de ce que propose le jazz aujourd’hui par le public tant

averti que néophyte conduit ce dernier au non renouvellement de son auditoire. En

effet, le jazz est pour la majorité du public profane un genre figé. Cette ultra

commercialisation conditionne la création, le visage du jazz, dans un objet, ou plutôt un

produit ultra aseptisé de studio. La plupart des albums des frères Marsalis reflètent cet

ultra académisme exacerbé. J’averti bien entendu le lecteur qu’il ne s’agit absolument

pas de remettre en cause la qualité de ces musiciens, il s’agit plutôt d’apporter un regard

attentif sur un contexte économique ayant un impact sur la production du jazz.

16
Malgré cet académisme, le jazz américain est toujours très important dans la

création du jazz actuel grâce à quelques dissidents comme John Zorn, Gilad Hekselman,

Brad Mehldau (issus néanmoins de la New School), pour ne citer qu’eux. Or lorsque

l’on sort du cadre de cette mégalopole, d’autres scènes paraissent se détacher des

pratiques de la tradition que l’académisme américain impose.13 Ces scènes sont d’autant

plus riches qu’elles proposent un visage du jazz qui sait, dans une certaine mesure,

s’affranchir de cette tradition pour adopter une texture nouvelle.

Dans son dernier numéro du XXème siècle, la revue américaine Jazz times dressa
le constat d’un jazz européen avide de renouveau et pressé de couper les ponts avec les
modèles d’une Amérique conservatrice.14

Il demeure néanmoins un point assez troublant : si le jazz a proposé de façon

décroissante les standards de ses esthétiques, aujourd’hui cette notion est complétement

tournée vers le passé de son ancienne gloire. On ne propose pas ou peu fréquemment de

standards du jazz composés ces dernières années dans les cessions improvisées.

Personne ne propose Arrow and loops15 de Ari Hoenig, ou bien The court Jester 16
de

Tigran Hamsyan. Pour quelles raisons le répertoire de standards ne se renouvelle-t-il

plus aujourd’hui, à travers une relève de musiciens n’ayant pourtant jamais été aussi

performants dans la technique ? Voici donc les quelques traits qui établissent le paysage

dans lequel le monde du jazz se produit aujourd’hui.

13
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011, p.257.
14
Ibidem.
15
Ari Hoenig, Lines of oppression, Ari Hoenig (Batterie), Gilad Hekselman (Guitare), Tigran
Hamasyan (Piano), Orlando le Fleming (Contrebasse), Chris Tordini (Contrebasse), CD, indépendant NJ
621111, 2011.
16
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle). CD, 2013.

17
Cependant dans ce climat de tensions et de paradoxes, et avant de savoir si le

jazz est mort commençons par le définir. Comment pourrait-on expliquer ce qu’est le

jazz à un parfait néophyte en embrassant les diversités stylistiques des créations qu’il

propose dans ce que l’on considère comme son histoire. La question n’est pas nouvelle,

de nombreuses documentations enrichissent l’élaboration d’une possible définition. Il

faut l’avouer, pour les pratiquants experts, professeurs en conservatoire, comme pour les

badauds, la réponse n’est pas évidente. Plus encore les avis divergent énormément selon

les experts. Le jazz a toujours plus ou moins su adapter sa morphologie sonore à la

période dans laquelle il se trouvait. Il suffit de se remémorer la carrière de Miles Davis

pour observer ce phénomène.

L’objet de ce mémoire n’est pas bien-sûr d’apporter une réponse exhaustive à

cette redondante question. Il faut avouer que la création jazz pose aujourd’hui cette

interrogation. Les tentatives de définition ne manquent pas, et pourtant aucune ne

permet de rendre compte avec limpidité de ce qu’est le jazz. Pour cadrer le propos du

sujet, la définition de Laurent Cugny servira de socle.17 Il explique que trois visions du

jazz sont essentielles à sa compréhension. La première est la dimension socio-

historique. Elle prend en compte, comme son nom l’indique, le contexte dans lequel le

jazz a évolué et évolue. La seconde vision est musicologique, elle s’interroge sur les

aspects techniques et musicaux qui engendrent le développement d’une nouvelle

esthétique. Et la dernière vision prend en compte la tradition.

A partir de l’étude de ces conceptions, Laurent Cugny conclue avec une définition

qui semble être un compromis de ces modes d’analyse. Il propose ainsi la définition

suivante :

17
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, p.36.

18
Sont perçues comme relevant du jazz, à une époque donnée et plus ou moins
complètement, les musiques manifestant en nombre significatif un certain nombre de
traits idiomatiques caractéristiques. Ces traits appartiennent à un ensemble idiomatique
se fondant notamment sur des pratiques particulières réservant une grande place à
l’improvisation, sur certaines conceptions de la sonorité et du rythme, et sur un
ensemble de tournures et de pratiques d’origine afro-américaine.18

En somme, il faut repérer plusieurs éléments déterminants qui témoignent de la

liberté que Laurent Cugny semble accorder à ce que serait le jazz. En premier lieu, il

faut retenir la dimension subjective de cette définition qui laisse un certain nombre de

paramètres indéfinis. On relève ainsi les extraits : « un certain nombre de traits

idiomatiques caractéristiques » ou encore « à une époque donnée et plus ou moins

complètement ». Cette définition rend bien compte de la part de liberté que l’on peut

s’octroyer afin de qualifier une musique relevant du jazz.

Malgré la part déterminante de la tradition au sens large qu’impose l’histoire du

jazz et que souligne cette définition, certains musiciens actuels issus des scènes

reconnues du jazz se distinguent en s’appropriant des éléments à priori éloignés. Et c’est

d’ailleurs avec étonnement que l’on s’aperçoit que le public néophyte ne se représente

plus nécessairement ce qu’est devenu le jazz aujourd’hui. Il ne s’agit pourtant pas de

citer des noms d’artistes que seuls les adeptes connaissent, mais bel et bien des têtes

d’affiche comme Brad Mehldau ou Yaron Hermann. En effet, tous deux proposent des

arrangements de pièces issues du répertoire rock des années 90 comme certains titres

phares de Nirvana, de The Verve, de Radiohead ou encore de Massive Attack. Et si

cette pratique est visible chez ces musiciens de renom, elle se démocratise d’autant plus

chez les amateurs dont on peut écouter les étonnantes prouesses sur YouTube.

18
Id.

19
• « Paranoïd Androïd » de Radiohead arrangé par Brad Mehldau

dans l’album Largo.19

• « Heart Shaped Box » de Nirvana arrangé par Yaron Herman

dans l’album Follow the white rabbit.20

A l’écoute de ces deux exemples, et au regard des enregistrements de références

du jazz on s’aperçoit que l’aspect du jazz s’est métamorphosé. Ses métissages l’ont

conduit à s’adapter et à adopter une nouvelle morphologie plus actuelle et personnelle.

Ils sont de nature assez différentes, il en existe un qui est plutôt récurent, le métissage

avec la tradition culturelle qui donne lieu à un courant connu comme l’ethno-jazz. Parmi

de nombreux exemples on retrouve, le projet Masada de John Zorn qui met en valeur

l’héritage culturel juif, les compositions de Tigran Hamasyan issues de Shadow

Theater21 remettant les mélodies traditionnelles arméniennes au goût du jour, la version

de Jan Johansson d’une musique traditionnelle suédoise « Visa från Utanmyra ».22

Musique éternelle, comme les autres arts de création. Dès son origine, le jazz est
une musique métisse, ce qui lui donne toute sa beauté et son originalité. Il n’y a dès lors
aucune raison - sauf à l’enfermer, crime hors de raison - qu’elle ne poursuive pas ses
alliances et ses mariages. Certes, tu dois rester vestale de cet Art, en veillant à ce que
l’improvisation soit toujours ontologiquement à l’œuvre.23

19
Brad Mehldau, Largo, Brad Mehldau (Piano), Larry Grenadier (Contrebasse), Darek 'Oles'
Oleszkiewicz (Contrebasse), Justin Meldal-Johnsen (Contrebasse), Matt Chamberlain (Batterie), Jorge
Rossy (Batterie), Jim Keltner (Batterie), Victor Indrizzo (Batterie, Percussions), Jon Brion (Guitare,
Percussions, guitare synthétiseur), CD, Warner Bros. Records 9362-48114-2, 2002.
20
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.
21
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle), CD, Verve Records 3742644, 2013.
22
Jan Johansson, Jazz På Svenska, Jan Johansson (Piano), Georg Riedel (Contrebasse), CD,
Heptagon Records HECD-030 E, (enregistrement de 1962 à 1964, remaster 2005).
23
http://www.citizenjazz.com/Le-jazz-est-il-mort.html, consulté le 10 Janvier 2017.

20
4/ Problématique

Dans ce contexte polémique, de crise identitaire, il semble nécessaire d’observer

les pratiques du jazz telles qu’elles évoluent aujourd’hui. Pour cela il faut restreindre

notre champ d’étude à la scène française, pour sa proximité ainsi que le contexte qui va

être évoqué ultérieurement. Nous nous demanderons ainsi comment la scène du jazz

français s’approprie les « musiques actuelles ».

Implicitement, cette problématique pose toute une somme d’autres questions que

nous avons brièvement abordées tout au long de cette introduction. Elles seront bien-sûr

traitées avec intérêt à travers chacune des parties que je propose. Il sera nécessaire

d’opérer en trois temps. Tout d’abord, je présenterai le contexte social singulier au sein

duquel les artistes s’inscrivent. Dans un deuxième temps, il sera nécessaire de

comprendre de quelle façon ces musiciens s’approprient un nouveau répertoire de

standards. En dernier lieu, je propose de travailler directement au sein des compositions

afin de saisir la mesure de cette appropriation par les musiciens de la scène jazz.

Néanmoins avant toute chose, encore faut-il définir le terme « musiques

actuelles ». Cette dénomination est des plus vagues en ce qui concerne ce qu’elle

recouvre. Il s’agit d’un terme récent qui est utilisé sous le mandat de Catherine

Trautmann lorsque cette dernière était Ministre de la culture et de la communication

entre 1996 et 2000. Plutôt utilisé dans un contexte de politique culturel, il n’est

cependant pas suffisamment considéré pour être adopté par l’industrie musicale.24

L’IRMA définie pourtant le terme de la façon suivante :

24
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/musiques-actuelles/rapport1998.pdf,
consulté le 1 Mars 2017.

21
Une définition souvent utilisée sur le mode de la plaisanterie circule parmi les
professionnels investis dans les musiques actuelles. Elle dit que, à côté de l’Ircam -
Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique - des traditions lyriques ou
romantiques, les musiques actuelles regroupent toutes les genres qui n’ont pas trouvé de
place ailleurs… Les musiques qui sont à la marge, celles pour lesquelles l’institution ne
trouve pas d’argent4. Ceci n’est pas totalement faux, même si la situation a évolué
depuis les années 70 où ces musiques étaient à peine considérées comme telles,
notamment via le rôle des collectivités. Pour le Ministère, « les musiques actuelles »
regroupent le jazz et les musiques improvisées, les musiques traditionnelles et du
monde, la chanson, le rock et les autres musiques amplifiées (rap, musiques
électroniques…).25

En somme, cette définition souligne l’envergure réelle de ce que recouvre ce

terme. Il est ainsi tout indiqué dans le contexte postmoderne dans lequel nous sommes.

Il faut néanmoins préciser que la nature de ce travail ne permet pas de rendre compte de

l’entièreté des métissages existants. Il s’agira de mobiliser certains des grands éléments

d’appropriation caractéristiques.

« D’après certains acteurs, l’aspect neutre, fonctionnel, voire bureaucratique, du terme « musiques
actuelles » était celui qui entrait le mieux en adéquation avec les politiques publiques. Bien qu’employée
couramment de nos jours, l’expression « musiques actuelles » continue de provoquer débats et
polémiques dans le milieu de la musique, notamment parce qu’elle n’est pas intégrée au vocabulaire de
toute une partie de la filière. Ni l’industrie du disque, ni les scènes fondées sur divers styles musicaux ne
l’utilisent. »
25
http://www.irma.asso.fr/IMG/pdf/guide.pdf, consulté le 15 Mars 2017.

22
1 LE JAZZ FRANÇAIS, UN CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE SINGULIER

1.1 La scène du jazz français aujourd’hui

1.1.1 Contexte historique et social

A l’image du contexte mondial précédemment décrit, le paysage du jazz en France

est tout aussi éclaté. Si bien-entendu de nombreuses villes élèvent leurs futurs virtuoses

du jazz, la ville qui s’érige comme le centre de la création du jazz demeure

naturellement Paris. Contrairement à d’autres villes européennes, Paris était souvent

considérée comme étant la seconde capitale du jazz, directement concurrente à New-

York, bien qu’elle soit considérée comme étant plus conventionnelle, conformiste.

L’accession au pouvoir de la gauche socialiste et de François Mitterrand aura été un

premier pas vers l’élaboration d’une politique culturelle ayant investie grâce à un budget

doublé. En 1982, la Fête de la musique, créée par Jack Lang, célèbre sa première édition

alors que c’est en 1986 que l’Orchestre National de Jazz donne son premier concert. En

1982, Maurice Fleuret contribue à ce que d’autres musiques que la musique classique

soient valorisées. Sous cette impulsion, une commission est constituée par différents

spécialistes et acteurs du jazz en 1983. Jack Lang annonce alors la création de l’ONJ à

l’été 1985.

Quelques années après, la musique n’est plus la même. Bien que l’ONJ continue

de bénéficier de ce soutien, les financements quelconques, sont maintenant plus frileux

à l’idée d’investir dans des projets audacieux. Peu à peu, l’État se désengage

financièrement de la culture. Les associations et les différentes structures culturelles

voient ainsi leurs subventions baisser significativement. Les conséquences sur la

création et la production sont directes. De nombreuses manifestations culturelles

23
ferment leurs portes, alors que d’autres réduisent le nombre de concerts prévus ou

diminuent les paies. Le contexte devient dès lors plus tendu et les investissements

proviennent parfois de fonds personnels. « Ça coute cher. J’en avais mis de côté, j’avais

fait un emprunt à la banque pour pouvoir produire ça et j’y suis allé. »26

1.1.2 Orchestre National de Jazz

La finalité de cet orchestre est liée à la politique culturelle et va prétendre à de

plus en plus de notoriété dans le monde. Cet orchestre était tout d’abord destiné à

promouvoir le genre en faisant vivre son patrimoine, mais également en renouvelant le

répertoire pour grand orchestre. La formation bénéficie pour cela d’un financement et

plus particulièrement de subventions de l’Etat.

La direction du projet est confiée à une personne pour une durée de 2 à 3 ans

généralement. Elle est nommée par le Conseil d’Administration de l’Association pour le

Jazz en Orchestre National. L’association est créée en 1986 afin de gérer la structure et

de déterminer les missions de l’ONJ. L’objectif de la dernière direction, celle du

guitariste Olivier Benoit, est l’ouverture à l’international notamment par une stratégie de

résidence mobile à travers l’Europe et par l’ouverture des genres.27

26
Entretien avec Pierrick Pédron
27
http://www.citizenjazz.com/Olivier-Benoit-prochain-Directeur.html, consulté le 8 Juillet 2017

24
Figure 1 : ONJ Olivier Benoit

Au fil des années, la formation est reconnue pour ses créations de qualité. Le fait

que la direction de l’orchestre puisse être confiée à des musiciens d’affinités différentes,

confère à la formation une capacité d’évolution et un dynamisme évident quant à la

diversité des esthétiques abordées. Certains de ses projets connaissent un débouché

commercial satisfaisant.

Bien entendu selon les directions, les projets varient d’esthétiques. Mais

l’influence du rock et des « musiques actuelles » est néanmoins très présente. Deux

albums se distinguent particulièrement pour cela. Le premier est dirigé par Franck

Tortiller et est appelé Close to heaven28. Titre directement inspiré de « Stairway to

Heaven », il s’amuse ici à s’approprier le répertoire de Led Zeppelin. Le second est sous

la direction du contrebassiste Daniel Yvinec, Around Robert Wyatt.29

28
Franck Tortiller, Close to Heaven, Franck Tortiller (Vibraphone), Xavier Garcia (Claviers),
Patrice Héral (Batterie, chant), Yves Torchnisky (Contrebasse), David Pouradier Duteil (Batterie),
Vincent Limouzin (Vibraphone, Marimba électronique), Jean Gobinet (Trompette, Bugle), Eric Sévat (
Saxophone), Michel Marre (Tuba, bugle), CD, Le chant du monde 241407, 2006.
29
Daniel Yvinec, Around Robert Wyatt, Guillaume Poncelet (Trompette, piano, électroniques),
Yoan Serra (Batterie), Sylvain Daniel (Basse, Effets électroniques, cors), Joce Mienniel (Flûte et
électronique), Pierre Perchaud (Guitare, Banjo), Vincent Lanfont (Claviers, électronique), Eve Risser
(Piano, sound object), Rémi Dumoulin (Saxophone, Clarinette), Matthieu Metzger (Saxophone,
électronique), Antonin-Tri Hoang (Clarinette, piano, saxophone), CD, Bee jazz BEE 030, 2009.

25
François Jeanneau 1986

Antoine Hervé 1987 - 1989

Claude Barthélémy 1989 - 1991

Denis Badault, 1991 - 1994

Laurent Cugny 1994 - 1997

Didier Levallet 1997 - 2000

Paolo Damiani 2000 - 2002

Claude Barthélemy 2002 - 2005

Franck Tortiller 2005 - 2008

Daniel Yvinec 2009 - 2013

Olivier Benoit 2014 - 2017

1.1.3 Créations indépendantes et réseaux

En dehors de ce cadre assez propice à la création, d’autres musiciens pèsent

aujourd’hui avec une réelle notoriété sur la scène du jazz avec des créations et un

univers personnels. La plupart d’entre eux mobilisent des réseaux spécifiques qui

valorisent la création du jazz français. Les acteurs de ces réseaux sont sur le terrain,

parmi eux on retrouve les associations qui n’ont bien entendu pas toutes les mêmes

objectifs. Mais pour certaines d’entre elles, la finalité est de promouvoir clairement les

créations ambitieuses françaises. Il existe toute une somme de réseaux qui favorisent la

création par de nombreux dispositifs spécifiques pour les musiciens émergents comme

pour les plus reconnus. Entre toutes ces structures il en existe trois ayant été utilisées

26
par bon nombre des musiciens qui vont être citées à travers ces pages (Anne Paceo,

Marguet/Rousseau, etc) :

Le réseau AJC, est une association anciennement

connue sous le terme AFIJMA30. Son objectif est de

promouvoir les projets jazz innovants notamment chez les

Figure 2 : Logo AJC jeunes talents. Elle vise de plus à élargir son public dans les

quartiers défavorisés comme dans les milieux ruraux.

Le Centre Régional du Jazz. Tout comme les autres

réseaux, il propose différents dispositifs afin de promouvoir

la scène du jazz française, mais plus particulièrement les

différentes productions du jazz locales. L’objectif étant

Figure 3 : Logo CRJ également de fournir une sorte de tremplin aux artistes

locaux. Il s’agit d’un soutien qui est d’ordre divers : financement, formation, etc. Parmi

les dispositifs auxquels peuvent souscrivent les artistes, on retrouve:

• le « missionnement » qui vise à encourager les projets des artistes de la

région.

• « première partie », catégorie dédiée aux très jeunes artistes émergents.

Notamment les musiciens du conservatoire. Il permet à ces jeunes gens

de profiter d’une expérience de scène ainsi que de promouvoir la création

chez ces jeunes artistes.

30
https://www.ajc-jazz.eu/fr/le-reseau-ajc/qui-sommes-nous.html, consulté le 1 Juillet 2017.

27
• « soutien au concert » concerne des artistes « d’envergure nationale », et

consiste à permettre aux lieux de pouvoir les accueillir en regroupant les

dates, donc avec une réduction des coûts, des projets ambitieux ou plus

connus du public.

• « soutien à la production » pour encourager à la création d'un projet.

• « aide à l'accueil » pour la prise en charge des voyages dans le cadre

d'une tournée.

Pour bénéficier de l’un d’entre eux avant de postuler il faut correspondre aux

conditions auxquelles se destine chacun de ces dispositifs. Le deuxième correspond

uniquement à des musiciens futurs professionnels par exemple. Après avoir postulé, les

groupes sont écoutés par les professionnels du réseau qui votent pour un projet.

Lorsqu’un projet obtient suffisamment de voix, il bénéficie alors du soutien du réseau.

Au préalable, bien entendu chaque membre du réseau s’engage à produire les musiciens

lauréats. Anne Paceo obtient le soutient du CRJ en 2017.31

Après une période prolifique dans le jazz32, et

comme déjà évoqué précédemment, des années 80 aux

années 2000, il n’y eu jamais autant de dispositifs dédiés

à la promotion du genre. Les projets les plus ambitieux

Figure 4 : Logo jazz migration trouvaient plus facilement des financements. Au

contraire, ces dernières années les professionnels du jazz sont plus réticents à soutenir

31
http://www.crjbourgognefranchecomte.org/accueil/le-crj/missions.html, consulté le 22 Juillet
2017.
32
http://jazzmigration.com/presentation/, consulté le 22 Juillet 2017.

28
les projets les plus étonnants. C’est pour répondre à ce besoin que Jazzmigration

propose tout une somme de dispositifs permettant aux artistes de proposer leurs projets

aux acteurs professionnels membres.

1.1.4 Jazz et labels

L’une des questions fondamentales que ce mémoire soulève implicitement à

l’écoute des artistes qui s’emparent des musiques actuelles dans le jazz, c’est peut-on

encore considérer les pièces comme étant encore du jazz ?

Evidemment, nous n’avons encore livré aucune analyse

qui permettrait éventuellement de proposer une réponse à

cette question. Tout ce que nous pouvons affirmer pour le

Figure 5: Label Bee jazz moment c’est que le jazz semble avoir toujours eu des

difficultés à pouvoir être cerné et définit. Les difficultés s’accentuent d’autant plus de

nos jours de par les influences qui entrent en jeu.

En jazz, et certainement pas seulement, les labels sont étroitement liés aux

mouvements, à l’esthétique qu’ils défendent. Avant de parler concrètement des labels

dans le jazz, il faut rappeler quelques éléments qui cadrent brièvement ce que représente

le terme en général.

Lorsque l’on parle d’un label, dans le milieu artistique, il s’agit d’une société,

d’une entreprise qui produit des artistes. Bien que maintenant, de plus en plus de

moyens sont accessibles à une majorité de débutants dans le domaine, peu d’entre eux

29
ont les moyens de financer leurs projets artistiques ainsi que leurs connaissances (d’où

les dispositifs d’aides que proposent le CRJ, le RAJ ou Jazz migration).

 Objectif du label

Son objectif est de produire l’artiste et donc son œuvre. Le label assure la mise à

disposition des moyens d’enregistrements quels qu’ils soient et se charge de la

communication de son produit. Il est ainsi au centre d’un réseau qui mobilise toute une

somme de métiers comme le montre le tableau ci-dessous :

Figure 6: Fonctionnement d'un label

Malgré les nombreuses tensions engendrées par les directions entreprises par les

musiciens de jazz, les labels spécialisés dans le genre produisent des projets parfois bien

éloignés de ce qui est considéré comme classique. L’histoire du jazz a toujours bénéficié

de ces labels pour valoriser une de ses esthétiques. Blue note est ainsi particulièrement

30
reconnu pour ses disques de hard-bop alors que ECM, le label allemand, soutient le free

jazz et plus particulièrement le jazz européen. En somme, le label se donne une

direction esthétique par sa musique, mais également par le son que ce dernier définit et

qui lui est dès lors caractéristique. C’est ainsi que lors de l’arrivée des albums ECM,

l’auditeur fut surpris de la qualité qu’offraient les enregistrements. Manfred Eicher, qui

dirigeait ECM, avait l’ambition d’enregistrer le jazz de manière à obtenir une qualité

semblable à celles des albums des musiques savantes. Il faut néanmoins dire que c’est

un résultat qui ne faisait pas l’unanimité.

Là où certains préfèrent des enregistrements soignés, d’autres défendent des

enregistrements plus authentiques.33 La réception de ces albums n’était pas non plus

favorable à un jazz qu’ils estimaient sans swing, froid, lisse, etc…

Nous l’avons compris un label suppose un son et une politique de production.

Autant de constantes qui, valorisées par des techniques d’enregistrement rarement


usitées pour les disques de jazz, vont réduire dans l’esprit du public le « son ECM » à
une image clichées qu’Eicher ne cessera de démentir, […] 34

Un label est une marque de production, de commercialisation ou tout simplement


un identifiant. Elle reflète un savoir-faire, une direction artistique, une identité.
Un label désigne la marque commerciale sous laquelle une structure décide de réaliser
ou d’éditer un certain type de production pour des raisons d’homogénéité de catalogue
ou de ligne éditoriale.35

 Exemples de labels du jazz français

En dehors des courants labels historiques, la musique du jazz actuel n’est pas

nécessairement produite par des structures spécialisées dans un genre. Au contraire,

33
BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011, pp.202-203.
34
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.387.
35
http://www.metiersdelamusique.com/blog/metiers-musique/label/, consultée le 8 Aout 2017

31
d’autres labels se spécialisent dans le jazz. Parmi les labels régulièrement investis, on

retrouve :

 Laborie jazz

 ACT

 Bee jazz

 Le chant du monde

 Blue note

 Tzadik

 Jazz village

Si l’on observe le catalogue des trois premiers labels, on constate qu’une grosse

part des projets défendus manifeste du métissage des musiques actuelles avec le jazz :

 Laborie jazz :

o orTie36

o Yôkaï37

o The road to ithaca38

o A time for everything39

o Baabel40

36
Ortie, orTie, Elodie Pasquier (Clarinette), Grégoire Gensse (Piano), CD, Laborie jazz LJ23,
2013.
37
Anne Paceo, Yôkaï, Anne Paceo (Batterie, chant), Pierre Perchaud (Guitare), Stéphane Kerecki
(Contrebasse), Antonin-Tri Hoang (Saxophone, clarinette), Leonardo Montana (Piano), CD, Laborie Jazz
LJ20, 2012.
38
Shaï Maestro, The road to Ithaca ,Shai Maestro (Piano), Ziz ravitz (Batterie), Jorge Roeder
(Contrebasse), CD, Laborie jazz LJ25, 2013.
39
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer (Contrebasse,
Gérald Cleaver (Batterie) , CD, Laborie Records LJ04, 2007.
40
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.

32
 Bee jazz

o Covers41

o Around Robert Wyatt42

o The turn43

o Follow Jon Hendricks… if you can !!!44

 ACT

o Is that pop music ?!?45

o Cheerleaders 46

o Kubic’s Cure47

o Follow the white rabbit48

41
Manu Codjia, Covers, Manu Codjia (Guitare), Jérôme Regard (Contrebasse), Philippe Garcia
(Batterie), CD, Bee jazz BEE 032, 2010.
42
Daniel Yvinec, Around Robert Wyatt, Guillaume Poncelet (Trompette, piano, électroniques),
Yoan Serra (Batterie), Sylvain Daniel (Basse, Effets électroniques, cors), Joce Mienniel (Flûte et
électronique), Pierre Perchaud (Guitare, Banjo), Vincent Lanfont (Claviers, électronique), Eve Risser
(Piano, sound object), Rémi Dumoulin (Saxophone, Clarinette), Matthieu Metzger (Saxophone,
électronique), Antonin-Tri Hoang (Clarinette, piano, saxophone), CD, Bee jazz BEE 030, 2009.
43
Jérôme Sabbagh, The turn, Jérôme Sabbagh (Saxophone), Ben Monder (Guitare), Joe Martin
(Contrebasse), Ted Poor (Batterie), CD, Bee jazz BEE 064, 2014.
44
André Minvielle, follow jon hendricks… if you can !!!, André Minvielle, Michèle Hendricks et
David Linx (Chant), Jon Hendricks (Texte parlé), Marcel Loeffler et Lionel Suarez (Accordéon), Jérôme
Regard (Contrebasse), Pierre-François Dufour (Batterie) , CD, Bee jazz BEE 033, 2010.
45
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.
46
Pierrick Pedron, Cheerleaders, Franck Agulhon et Fabrice Moreau (Batterie), Vincent Arthaud
(Basse), Sylvia Leroux (Flûte), Chris De Pauw (Guitare), Eric Du Fay, Etienne Godet, Guy Evra,
Mathilde Fèvre et Nicolas Dromer (Cors), Ludocic Bource (Orgue), Gaspa, Jean François Durez et
Nathalie Gantiez (Percussions), Laurent Coq (Piano, claviers), Christophe Gonnet et Lionel Segui
(Trombone), Nicolas Gardel, Patrick Artero et Thierry Gervais (Trompette), Bastien Still et Raphaël
Goutière (Tuba), Camille De Bruyne, Elise Caron Marie-Ange Teuwen, Monique Harcum, Nathalie
Pâques et Nina Babet (Chant),CD, ACT Music ACT 9511-2, 2011.
47
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
48
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.

33
1.2 Jazz et « musiques actuelles » en France

Parmi les derniers courants principaux de l’histoire du jazz figure le jazz-rock.

Après avoir perdu un certain public avec le freejazz qui se sépare d’une part des codes

caractéristiques de la musique occidentale, les musiciens de jazz s’intéressent au rock.

La plupart de ces musiciens cherchent à renouer avec un auditoire plus large qui est

alors tourné vers l’ascension du rock. L’objectif était d’opérer une sorte de métissage

entre les deux genres, de sorte à y intégrer toute une somme d’éléments jazz spécifiques

facilement perceptibles. Les mêmes types de question d’arrangements se sont posées

pour le métissage de la musique savante européenne avec Stan Kenton et le Third

Stream ou bien encore avec les bopeurs qui cherchaient à s’approprier les musiques

latines.

Mais si l’on prend suffisamment de recul sur l’histoire du jazz, on constate que le

jazz se nourrit et évolue en s’appropriant des éléments systématiques caractéristiques à

une esthétique. Il est possible de constater cette dimension dès la « préhistoire du jazz »

avec un pianiste assez méconnu. Considéré comme l’un des précurseurs du jazz, le

ragtime figure comme étant un genre au carrefour d’une somme d’influences. Louis

Moreau Gottschalk est un pianiste et compositeur précoce né en 1829, à la Nouvelle-

Orléans. Doué d’une facilité évidente au piano, il est envoyé à Paris en 1842 afin

d’étudier au conservatoire. Son travail est salué par les plus grands noms de l’histoire de

la musique savante notamment Chopin ou encore Berlioz. Ses pièces mettent en valeur

la culture de laquelle il est issu. Parmi les œuvres composées par Gottschalk, se trouvent

plusieurs pièces pour piano qui traduisent clairement les chansons et les danses noires

ou créoles qu’il a entendu dans la grande cité louisianaise : bamboula, danse de nègres ;

34
la savane, ballade créole ; le bananier, chanson nègre et le mancenillier, sérénade

antillaise.

De la même façon, le berceau du jazz, la Nouvelle-Orléans, accueille toutes

sortes de nationalités et donc de cultures différentes. Les communautés ne sont pas

amenées à isoler leurs pratiques dans des ghettos coupés les uns des autres, au contraire

ils sont appelés à les échanger et à les partager.

Les musiciens dont nous allons parler tout au long de ces pages sont les héritiers

de cet élément majeur et élémentaire qu’est le métissage. Bien que ces derniers en aient

une conception personnelle et actuelle.

1.2.1 Des musiciens issus des « musiques actuelles »

A travers les quelques entretiens que j’ai pu obtenir directement avec les artistes,

ou bien encore les nombreuses interviews ou études menées sur le sujet jazz et

musiques actuelles, on peut observer une certaine récurrence quant au parcours des

musiciens. Des trois artistes dont je retranscris nos échanges, deux d’entre eux sont plus

ou moins directement issus des musiques actuelles, soit Pierrick Pédron et Laurent

Cugny. Le cas de David Chevallier est plus singulier puisque ce dernier est issu d’une

famille de professionnels, il est baigné dans la musique savante ainsi que dans les

arrangements caractéristiques de son père Christian Chevallier. Par ailleurs, il n’a pas le

même rapport avec les musiques actuelles que les deux autres musiciens que je vais

brièvement présenter ensuite.

35
Pierrick Pédron est un saxophoniste plutôt

alto et soprano. Il est issu d’une famille de

musiciens amateurs. Il commence la musique très

jeune à 6 ans et demi. Il ne fait pas du tout ses

classes dans un cursus conventionnel en

conservatoire, au contraire, il est issu de l’école des

Figure 7 : Photo Pierrick Pédron

bals et de la musique traditionnelle. Il prend des cours particuliers avec un accordéoniste

du nom de Georges Gouault qui faisait un peu de jazz. Pierrick Pédron était notamment

influencé par les écoutes que sa sœur avait alors à disposition. Il découvrit ainsi, les

Pink Floyd ce qui fut pour lui un choc musical évident. Encore actuellement cet aspect

musical est présent dans ces derniers albums.

Pour Laurent Cugny, le

début de parcours est

sensiblement le même. Comme il

le raconte, il est issu d’une

période qui fut comme « l’âge

d’or » du rock avec les groupes

qu’il cite souvent, les Beatles ou Figure 8 : Photo Laurent Cugny

les Stones. Il commence le piano classique à l’âge de 10 ans auprès d’un professeur

particulier durant 4 ans. En parallèle, il s’approprie les morceaux des Beatles en les

reproduisant au clavier.

Et moi ça fait déjà un moment que je suis là-dedans, je fais partie de la


génération « historique ». Ce n’est pas comme si je me considère comme plus historique

36
que les autres, mais à un moment particulier où justement on a vécu ça, c’est un peu
l’âge d’or du rock. Les groupes clefs ce sont les Beatles et les Stones, ça commence là.
Moi j’ai compris ça quand ma fille, qui a maintenant 27 ans (lorsqu’elle est née j’en
avais 34), m’a dit vers 15 ans « Ah ! Mais toi tu as de la chance tu es tombé au bon
moment » enfin je ne sais plus comment elle m’a dit ça. Mais en effet, je suis né en
1955, je vais avoir 62, j’ai donc commencé à écouter les Beatles vers 10 ans, peut-être
même avant, vraiment au berceau. Et je me souviens très bien, c’était en 1964-65, il y
avait les Beatles et les Stones, dans les cours d’école. Ça représentait vraiment deux
pôles : il y en avait un qui était plus sauvage que l’autre, c’était les Stones. Et moi
j’étais les Beatles à fond, comme tout le monde de toute façon. J’avais plus de mal avec
les Stones. Ça m’est resté, et ça a marqué toute la suite. Entretien avec Laurent Cugny

Le texte de Béatrice Madiot permet de mettre en exergue et de corroborer ce

rapport singulier qu’ont les musiciens de jazz avec les musiques actuelles à travers des

études élaborées sur une quantité de musiciens plus conséquente.49 Dans cet article elle

évoque un travail mené sur 95 musiciens. On y apprend que 58 d’entre eux en ont

écouté durant leur apprentissage musical. Il faut de plus ajouter que 47 de ces 95

musiciens ont, pour leur première fois, joué dans une formation rock. Toujours à travers

cet article, on y apprend que seulement 24 musiciens ont réellement commencé par un

groupe de jazz. En somme, ce texte souligne la place importante du rock pour les

générations de musiciens de jazz après les années 60.

[…] le rock apparait bien comme le style d’une génération de musicien de jazz,
le prétexte à jouer à plusieurs. « Comme tout le monde, il y a eu la période rock bien sûr
et puis la pop », 4 « La génération des musiciens de jazz de trente ans est passée par le
rock avant de venir au jazz ». C’est aussi la musique d’une époque, « les années 60 », et
d’un moment particulier de l’existence : l’adolescence. La transition au jazz s’effectue
généralement pendant cette période.50

Le passage d’un genre à l’autre, du rock au jazz, semble assez récurrent chez les

musiciens. Il se fait par une acculturation longue et lente. On note par ailleurs que le

49
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.183-193.
50
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.185

37
musicien passe notamment par une voie intermédiaire, le jazz-rock, après quoi, il

s’intéresse aux esthétiques antérieures.

J’ai fait le virage jazz dans ces années-là, quand les Beatles ont commencé à se
séparer, ça a commencé à me gaver. Même les premiers trucs de Mc Cartney, je
n’aimais pas ça, parce qu’on avait une sorte de rapport névrotique aux Beatles. J’ai donc
évolué vers le jazz vers 17-18 ans avec Coltrane en fait. A l’époque, en 1972, il était
presque contemporain, puisqu’il était mort en 1967. Curieusement pour moi mon entrée
dans le jazz, c’était Coltrane, Onette Coleman et Miles, via le rock. Et ça tombe bien
parce que Miles faisait justement du Jazz-rock Entretien avec Laurent Cugny

Il se trouve souvent que les pratiques et certains parcours personnels amènent une

part d’entre eux à côtoyer le folk, la salsa ou bien la musique contemporaine comme

David Chevallier, John Zorn ou bien encore Pat Metheny. Il faut ainsi comprendre que

ces musiciens mûrissent naturellement avec leur temps. Les musiques actuelles, et

comme nous l’avons particulièrement vu ici le rock, font par conséquent partie pour la

plupart du bagage de départ de ces musiciens qui ne sont pas en premier lieu des

musiciens de jazz.

1.2.2 Pourquoi passer au jazz ?

En toute légitimité, on peut se demander ce qui expliquerait le passage d’un genre

à l’autre. Là encore, le texte de Béatrice Madiot recense et permet de saisir une grande

part des réponses des musiciens concernés. Si l’on répertorie l’ensemble des raisons

évoquées, on obtient la liste suivante :

• Lassitude du rock

• Possibilités musicales qu’offre le jazz (langage plus complexe)

• Evolution naturelle

38
• L’instrument

Malgré les raisons évoquées ci-dessus, la plupart des citations retranscrites dans

l’article de Béatrice Madiot nous permettent de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un rejet

profond du rock, elles transmettent plutôt, en premier lieu, l’idée de la découverte, ou

bien encore l’idée d’une évolution.51 Ce sont les possibilités que permet le jazz qui

attirent les musiciens vers ce genre.

1.2.3 Vision des musiciens de jazz sur le Rock

Cependant malgré cette image jusqu’alors positive d’une simple évolution vers le

jazz, la vision qu’en ont les musiciens de cette étude est plutôt négative pour le rock. Là

encore de nombreux items des caractéristiques du rock sont récurrents à travers les

réponses :

• Le son du rock (Musique faite de sons, guitares saturées,

distorsion, etc)

• Le rythme (Binaire, carré, tempo appuyé, etc)

• Instrumentation (avec guitare électrique caractéristique)

• Le spectacle (jeu de scène, de lumière,

• L’énergie

• Système de production spécifique (souci de rentabilité financière)

On pourrait ajouter, toujours selon le texte de Béatrice Madiot, que pour les

musiciens de jazz, le but est de produire une musique avec un public ciblé en ayant
51
« Non je voulais aller plus loin. Et à ce moment-là il y a eu un collectif qui s’est créé « Le
Collectif des Nuits Blanches » dans le club Au Petit opportun en 96 et là c’était la connaissance de plein
de gens qui s’intéressent à cette musique-là, […] » Entretien avec Pierrick Pédron

39
l’ambition d’y intégrer un marché aussi vaste que possible. Cette vision relativement

négative est associée à des critiques pointées du doigt par ces musiciens.

• Simplicité musicale

• Vide de sens artistique

• Ne raconte rien de nouveau

• « Les musiciens de rock sont considérés comme des non-

techniciens de la musique »52

• Son du rock agressif

• Musique répétitive

En dépit du fait que certains ne souhaitent pas comparer les deux genres

directement, le peu de remarques sur le regard des jazzmen sur le monde du rock est

plutôt dépréciatif. Pour beaucoup des musiciens interrogés, le jazz est une musique

supérieure au rock53. Les arguments sont une fois de plus les mêmes : le jazz a de

meilleures qualités musicales, les musiciens sont considérés comme meilleurs

techniciens sur le plan du langage et sur le plan instrumental, etc.

La conception sociologique musicale qui est adoptée se divise en deux points, « la

musique sérieuse » qui s’oppose à la « musique non sérieuse ». Les musiciens de jazz

semblent espérer une certaine reconnaissance, une certaine légitimité en plaçant le jazz

non pas comme une musique savante, mais comme la plus savante des musiques

populaires. Les musiques savantes et les musiques actuelles semblent s’opposer par la

52
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.189.
53
MADIOT Béatrice, « Les musiciens de jazz et le rock », in Patrick Mignon et Antoine Hennion
(Eds), Rock : de l’histoire au mythe, s.l, Vibrations, 1991, pp.190. « Le sens même de la comparaison
accentue cette valorisation puisque le jazz est considéré comme supérieur au rock dans 77% des cas alors
que le rock n’est considéré comme supérieur au jazz que dans 58% des cas »

40
maitrise du langage musical ainsi que par la maitrise instrumentale. Aux yeux des

musiciens de jazz interrogés dans l’étude de Béatrice Madiot ainsi que pour les

musiciens de renoms avec lesquels j’ai pu m’entretenir, cette vision des choses est

centrale. Ils font de la musique sérieuse. Il semble y avoir tout une somme d’exigences

minimales techniques ainsi qu’une connaissance érudite du langage musical de sorte à

ce que le musicien de jazz soit jugé comme l’égal du musicien classique et l’opposé du

rocker. Cette dimension est particulièrement prégnante au sein même des conservatoires

encore actuellement.

1.2.4 Retour à la source

En dépit de cette image dépréciative du domaine du rock, beaucoup de jazzmen

s’intéressent de très près aux répertoires des musiques actuelles et à ses codes. Le texte

de Béatrice Madiot plante bien un décor toujours en toile de fond sur le rapport entre

jazz et musiques actuelles. Il faut néanmoins prendre une certaine distance avec ce texte

qui date de 1991. La place des musiques actuelles est de plus en plus appréciée et

sollicitée dans les projets de création même parmi les artistes les plus reconnus.

La reconnaissance des musiques actuelles est grandissante au sein des

conservatoires et des pôles supérieurs qui ouvrent leurs portes à des départements

prévus pour la formation. Ce n’est par ailleurs pas une coïncidence si l’on associe

souvent jazz et musiques actuelles, puisqu’une bonne part du langage issu des musiques

actuelles est mobilisée directement dans le jazz. On se demande alors qu’est-ce qui

pourrait bien motiver une telle appropriation ?

41
Bien que ses artistes se soient dirigés à un moment de leur carrière en direction du

jazz, et que leur travail soit reconnu comme tel, on constate que cette origine reste un

élément central pour l’univers de ces créateurs. Bon nombre des musiciens qui ont été

cités et qui vont l’être dans ce mémoire, sont reconnus pour certains de leurs albums

plus traditionnels. Parmi eux, il en figure quelques-uns qui se détachent pour d’autres

albums qui sont le résultat d’une hybridation singulière entre différentes esthétiques. Il

s’agit d’un véritable retour aux sources pour ceux qui, dans leur adolescence, leur

jeunesse, dévoraient les albums mythiques de leur temps.

Et j’ai toujours été influencé par ce qu’écoutait ma grande sœur, elle n’écoutait
pas forcément du jazz, c’est venu plus tard chez moi, mais elle était fan de groupes
comme les Pink Floyd. J’en parle souvent parce que ça a été pour moi un truc très très
important dans ma vie, ça m’a vraiment scotché et ça a été les premières réflexions
imaginaires sur la musique. C’est à dire que tout gamin, je pouvais passer des heures à
regarder des pochettes des Pink Floyd et à écouter leur musique et à me faire un film.
Ce qui malheureusement existe moins maintenant, c’est l’avantage des vinyles d’avoir
des grandes pochettes et pleins de photos ; et le visuel de ce groupe-là était tellement
bien fait que ça me faisait partir dans un trip. C’était les premières fois que j’ai ressenti
quelques-chose de fort sur la musique. Entretien avec Pierrick Pédron

En 1965, c’était exclusivement les Beatles, mais c’était presque maladif : quand
on savait qu’il y avait un 45 tour qui sortait, je me souviens, on se collait devant
Prisunic et on attendait que ça ouvre, parce qu’on savait qu’à trois heures, il y avait le
disque des Beatles, c’était vraiment la folie. Pour moi c’était des souvenirs géniaux.
D’ailleurs pour moi les Beatles c’est le 45 tour, Bref ! Je vous passe mes états d’âmes
nostalgiques sur les Beatles.Entretien avec Laurent Cugny

En effet, les artistes assument et affirment de plus en plus ces influences dans leur

travail et dans les interviews qu’ils donnent. Lors d’une interview, présentée par jazz

magazine, Gilad Hekselman cite comme l’une de ses principales influences Michael

Jackson54. Il n’est plus réellement question de placer un genre au-dessus d’un autre, au

54
« Sa source d’nispiration primordiale, revendiquée, est toutefois assez étonnante : « Ma
première grosse influence a été Michael Jackson, et ce jusqu’aujourd’hui ; son sens du phrasé, du rythme,
et son expression ont un impact sur mon jeu. J’ai connu aussi une période rock avant l’adolescence, raison

42
contraire le contexte artistique favorise les emprunts aux autres esthétiques. L’objet

n’est pas de légitimé la qualité du musicien de jazz vis-à-vis du musicien classique, les

frontières sont de plus en plus poreuses. Au contraire, les échanges de musiciens de tous

genres sont sollicités dans la création même de certains albums jazz. C’est notamment le

cas dans le dernier album de Yaron Herman Y55 dans lequel, Mathieu Chedid intervient.

A l’inverse, il n’est par ailleurs pas vain de rappeler l’intérêt des musiciens issus de la

musique savante pour le jazz avec notamment le Third stream56. Ce qui est le cas pour

David Chevallier.

Et mon père était compositeur et arrangeur, il a fait beaucoup d’arrangements et a


eu une grande carrière dans des grands orchestres de jazz. Il avait une grande formation
de jazz, il a d’ailleurs eu pleins de distinctions dans les années 50. Ensuite, il y a eu un
creux dans le point de vue du jazz en France, il est donc devenu arrangeur pour la
maison Pathé Marconi. Il arrangeait à l’époque pour orchestre symphonique. Je me
souviens avoir assisté à des séances d’orchestre symphonique, avec Gilbert Béco ou
Gérard le Normand, par exemple. Mais il a aussi beaucoup travaillé avec Nougaro et des
gens comme ça. Ça c’est le background. Moi j’ai commencé à prendre des cours de
guitare classique, quand j’avais 7 ans, au conservatoire municipal, en banlieue
parisienne. J’en ai fait un paquet d’année. Entretien avec David Chevallier

Tout comme le jazz-rock a été une passerelle permettant aux musiciens de jazz de

ramener un public large, aujourd’hui le jazz persiste à entreprendre des métissages

toujours de plus en plus dans l’aire du temps.

• « Drip », Tigran Hamasyan dans l’album Shadow Theater57.

pour laquelle ce genre est ancré en moi » Ludovic Florin, « Gilad Hekselman, un jeune homme qui
excelle », Jazz magazine, n°643, Nov.2012, pp.19.
55
Yaron Herman, Y, Yaron Herman (Piano, claviers), Ziz Ravitz (Batterie), Bastien Burger (Bass),
Mathieu Chedid (Chant), Hugh Coltman (Chant), CD, Blue note, 2017.
56
Le Third stream, en français troisième courant, est une nomination utilisée en 1957 par Gunther
Schuller pour désigner le métissage entre la musique savante européenne et le jazz. Ran Blake va jusqu’à
étendre ce terme pour qualifier tous métissage du jazz avec d’autres musiques.
57
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle), CD, Verve Records 3742644, 2013.

43
• « Toundra », Anne Paceo, concert Jazz sous les pommiers le Samedi 27 Mai

201758.

Si l’on résume, tout en tenant compte des études menées sur le rapport des

jazzmen avec les musiques actuelles, le musicien de jazz s’approprie cette musique pour

les raisons suivantes :

 Rapport générationnel : le premier élément à évoquer est sans

doute le rapport nostalgique des musiciens avec l’époque de leur

jeunesse. De plus, le jazzman aime s’approprier ce qu’il écoute et ce

qu’il connait et a écouté lorsqu’il était plus jeune.59

 Filiation avec le rock, la pop, le rap, etc : le rock, la pop, les

musiques traditionnelles sont des répertoires par lesquels la plupart des

jazzmen ont débutés.60

 Les formes : les formes sont simples et correspondent souvent à

couplet/refrain. Il s’agit en somme d’une base relativement facile de

manipulation.

 Les Mélodies : les mélodies sont simples et efficaces, ce qui

constitue paradoxalement un problème lorsque l’arrangement distribue

58
https://www.youtube.com/watch?v=1r6tmsJij10&t=38s, consulté le 3 Aout 2017.
59
« Troisième album c’est New-York alors là c’est axé sur les standards, avec malgré tout des
mélodies inspirées des Pink Floyd, notamment un morceau Chang Partners et j’ai pensé à un morceau des
pink Floyd : « us and Them ». Et pour ne rien vous cacher, j’ai même eu l’opportunité, alors que le disque
n’était pas sorti encore, de passé deux jours avec David Gilmore, et je lui ai fait écouté ça et à Richard
Whrite aussi. Rencontre de malade. » Entretien avec Pierrick Pédron
60
« Moi je viens de l’école du bal, de la musique populaire de Bretagne, puisque je suis breton. »
Entretien avec Pierrick Pédron.

44
la voix principale à un instrument monodique et naturellement sans

parole. Les instruments lead doivent s’approprier une ligne mélodique

qui manque souvent de relief et qui parait peu flatteuse pour ces

instruments. Il s’agit avant tout de chanson.61

 Le rythme est souvent binaire (pour le rock, la pop, les musiques

électroniques souvent) le tempo est très marqué.

 L’énergie : Il s’agit d’une caractéristique qui revient à de nombreuses

reprises lorsque les musiciens de jazz viennent à décrire ce qui les

intéresse dans le rock. Il s’agit d’ailleurs d’un élément qui est associé à

la simplicité de cette musique.

En fait il s’agissait d’un travail sur la simplification des choses, mais le rendu
n’est pas simpliste. Il faut dire qu’il y avait une façon de jouer les choses avec une
liberté, une inventivité, une énergie et surtout un investissement qui m’ont fait prendre
conscience de l’intérêt que cela pouvait avoir de faire des choses plus simples. Cela
pouvait transmettre d’autres choses. C’est aussi comme ça que j’ai compris l’intérêt
qu’il pouvait y avoir dans des formes plus simples comme il peut y en avoir dans le
rock. Je devais avoir pas loin de 25 ans quand même. Entretien avec David Chevallier

C’est aussi pour cette raison que j’aime bien le rock anglais par exemple. Il y a là-
dedans une certaine forme de rébellion contre la royauté, contre la reine. Entretien avec
Pierrick Pédron

Ce que je suis allé chercher dans le rock, ce n’est pas un répertoire, c’est surtout
une rythmique, qui en fait n’est pas rock. C’est ce qu’on a dit au début, c’est cette
énergie du son. Entretien avec Laurent Cugny

61
« Franchement ce qui qui m’attire aussi dans cette musique, c’est la mélodie finalement même si
on ne parle pas forcement de mélodie dans le rock. » Entretien avec Pierrick Pédron.

45
En somme, il s’agit d’une scène assez singulière qui bénéficie d’un certain

dynamisme possible tant grâce à une politique ouverte sur la création et le rayonnement

de la culture française dans le monde qu’aux acteurs indépendants. La situation se

détériore néanmoins avec une politique de moins en moins favorable aux créations

téméraires. Les artistes sont eux-mêmes issus des musiques actuelles, leur formation les

a conduits à s’approprier le langage et les pratiques du jazz. Le passage d’un genre à

l’autre est le fruit d’une lente maturation qui passe par ailleurs souvent par une

esthétique passerelle du jazz, le jazz-rock. Aujourd’hui bon nombre des projets entrepris

par ces artistes mobilisent les langages des musiques actuelles (mais pas seulement)

dans le cadre d’une pratique jazz. Il faut maintenant entrer dans le vif de la musique afin

de savoir comment cette appropriation s’effectue.

46
2 DE NOUVEAUX STANDARDS

2.1 Quelques notions de jazz

Le rapport qu’entretient le jazz avec son passé, son histoire, est un élément central

de la compréhension du genre, quelle que soit l’époque ou l’esthétique à laquelle on se

réfère. Le terme « standard » évoque en lui-même cette dimension pour le passif auquel

il renvoie. Elle est importante tant dans le milieu amateur, à travers la formation, que

dans le milieu professionnel. Avant d’entrer dans le vif du sujet à travers la composition

jazz et ce qu’elle recouvre, il faut évoquer la notion de standard qui est centrale dans le

jazz.

La pédagogie du jazz, même la plus primitive conduit l’élève à maitriser les

standards qui ont traversés l’histoire. Pour apprendre le jazz les différentes structures

pédagogiques conduisent l’élève à intégrer par cœur des pièces incontournables qui sont

un terrain propice pour le développement du langage du jazz à travers l’improvisation.

On dit couramment que ces pièces sont les standards du jazz.

Or on note qu’il y a deux types de répertoires dans le jazz. Il faut ainsi distinguer,

la musique écrite spécialement pour le jazz par des musiciens de jazz, et la musique qui

n’est pas écrite pour le jazz. Une grande part des pièces considérées comme les plus

grands standards du jazz ne sont en réalité pas des pièces écrites pour ce genre. Elles

sont, pour une partie, issues du répertoire de la comédie musicale. Ce qui ne signifie pas

que les compositions des jazzmen n’en fassent pas partie, bien au contraire.

47
 D’un point de vue historique

Le répertoire des principaux standards avoisine les deux mille morceaux. Dans

le jazz, chaque période a ses standards, mais certains d’entre eux sont plus universels

que d’autres : « Autumn leaves », « Softly as morning sunrise », « Prelude to a kiss »,

« All the things you are », etc. Au sein du répertoire du jazz, figurent trois types de

morceaux :

1. Les compositions issues des grands compositeurs de jazz ou de la

tradition. On y retrouve des pièces de Duke Ellington, Count Basie ou

Thelonious Monk.

2. Les standards de Broadway qui sont issus généralement de la comédie

musicale. On peut citer ici les noms de compositeurs comme George

Gershwin, Cole Porter ou bien encore Jerome Kern.

3. Les compositions de certains improvisateurs qui ne trouvent pas le même

succès et n’atteignent par conséquent pas la considération de standard.

La pratique courante du jazz veut que les musiciens s’approprient ces standards

à travers des arrangements et des improvisations qui mettent en valeur des qualités

musicales telles que la réharmonisation, le rythme, etc... Ces pièces se retrouvent ainsi

détournées, réarrangées lors d’évènements que l’on nomme communément jam-session

ou « bœuf », en français. Le terme commence par apparaitre dans les années 30. Il

consiste en la réunion d’un ensemble de musiciens, ici jazzmen, qui interprètent un

48
répertoire que tous connaissent. Ces standards figurent comme relevant d’un langage

commun aux musiciens de jazz. Ils ne sont en revanche pas nécessairement obligés de

se connaitre entre eux. Le principe de cette pratique suppose au contraire de pouvoir

jouer ce répertoire quelle que soit la situation. Le déroulé de l’interprétation d’une pièce

correspond très souvent et traditionnellement à la chose suivante :

1/ Hypothétique introduction, improvisée ou non selon le standard

2/ Exposition du thème accompagné par la section rythmique

3/ Solo des solistes sur une carrure caractéristique (12 mesures pour le blues, 32

mesures AABA, 32 mesures A A’). Ce moment est Ad Lib selon le nombre de solistes

et l’inspiration de ces derniers. Certaines jam contraignent parfois les solistes à un

certain nombre de grilles afin de limiter la longueur de la performance.

4/ Ré-exposition du thème, accompagnée de la section rythmique

Bien entendu, il existe de nombreux contre-exemples, il s’agit là du type de

structure que l’on retrouve dans une grande majorité des cas dans les jams.

Le film Bird62 de Clint Eastwood met bien en évidence les pratiques de la jam-session

avec notamment le défilé de musiciens attendant leur tour pour choruser et pour ainsi

dire jouter. A partir d’une des pièces du répertoire de standards, ces instrumentistes

joutent à travers des grilles harmoniques déterminées par le cadre du standard joué.

62
Clint Eastwood, Bird, Warner Bros, 1987.

49
Comme dans la grille d’ « Autumn Leaves» suivante :

G-7 C7 FΔ BbΔ

AØ D7b9 G-6 G-6

G-7 C7 FΔ BbΔ

AØ D7b9 G-6 G-6

AØ D7b9 G-6 G-6

G-7 C7 FΔ BbΔ

AØ D7b9 G-7 C7 F-7 Bb7

Eb A-7 D7b9 G-6 G-6

50
2.2 Le répertoire d’aujourd’hui

2.2.1 Historique du standard

La notion de standard s’est figée à partir des années 80, sans doute en partie pour

les raisons qui ont été développés durant l’introduction. Plus on s’éloigne de la période

classique du jazz, moins de nouveaux standards s’imposent comme tels. Depuis les

années 65 on note que très peu de morceaux deviennent des standards pour trois

raisons.63

1. La période des grandes mélodies des années 30-40 est révolue.

2. Le free jazz se sépare de toute forme préétablie, et bien qu’il utilise

quelques bribes de thèmes, ils ne sont qu’à l’état de citation.

3. Une grande majorité des groupes jouent leur propre musique (les groupes

tournent autour d’une personnalité et de ses compositions)

Il faut ajouter que, compte tenu de l’évolution des pratiques, c’est en réalité la

notion elle-même de standards qui évolue comme nous l’observerons par la suite.

Les précédents chapitres ont permis d’entrevoir en partie ce que le jazz tente

aujourd’hui de s’approprier. En effet, comme il l’a toujours fait auparavant, il s’empare

une fois de plus de pièces qui ne lui appartiennent pas. Il s’agit du répertoire des

musiques actuelles et plus particulièrement du rock.

C’est bien là l’une des premières caractéristiques qui apporte une réponse à notre

sujet. Le phénomène touche l’ensemble des nombreuses scènes du jazz dans le monde et

63
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, pp.1069-1072.

51
concerne les musiciens les plus respectés. Parmi eux figurent, Brad Melhdau, The bad

plus, Wes Montgomery, etc.

Le répertoire des musiques traditionnelles est semble-t-il, l’un des plus sollicités

dès les années 80. Le jazz se retrouve ainsi déraciné de ses origines historiques. A la fin

des années 70, un tel métissage était considéré comme une aubaine pour les musiciens

souhaitant renouveler leur langage. Jusqu’à aujourd’hui, cette source inépuisable

d’inspirations influence le travail de musiciens tels que Anne Paceo, Tigran Hamasyan,

Mohames Abozekry, Nguyên Lé, Petros Klampanis, Yaron Herman, John Zorn, Emile

Parisien, Aka Moon et beaucoup d’autres musiciens et formations.

Les arrangements proposés sont des classiques du genre, des pièces issues des

Beatles ou de Hendrix. Mais plus récemment, les groupes autours desquels se tournent

les jazzmen actuels sont des classiques des années 90 comme Nirvana, The Verve ou

encore Radiohead, The police.64

Comme nous l’avons vu précédemment, dans la période classique de son

histoire, le jazz s’empare de pièces issues des comédies musicales afin de s’approprier

un répertoire, mais aussi un langage (nous reviendrons sur ce dernier aspect plus

tardivement au cours de cette présentation). De la même façon, les musiciens de jazz

actuels mobilisent les singularités de ces répertoires afin de modéliser un son et un

langage esthétique caractéristiques.

64
Robert Latzague, « Yaron Herman passe à table », Jazz magazine, n°643, Nov.2012, pp.18-20.

52
 Une nouvelle notion du standard

La conception du standard aujourd’hui va de pair avec le cadre singulier. Le

contexte social et artistique de l’introduction conditionne tout une somme de

conséquence sur le monde du jazz et notamment sur les artistes et leur travail. La

quantité de musiciens de renom et de qualité aujourd’hui n’a jamais été aussi

conséquente. Parmi autant de choix, l’auditeur, et sans doute les musiciens eux-mêmes,

ne se figurent pas l’immensité de la diversité des projets jazz proposés. Devant un tel

foisonnement, les repères se brouillent. Il ne figure plus un langage collectif mais

plusieurs scènes défendant une esthétique singulière. L’heure est plutôt à l’individualité,

les musiciens qui souhaitent se démarquer tentent d’élaborer un univers musical qui leur

est propre, à travers des compositions de plus en plus symptomatiques d’un

compositeur. C’est sans doute devant autant de diversité que de nouveaux standards

peinent à s’imposer comme tel. Bien-sûr si l’on ne retrouve aucune de ces pièces jouées

comme des standards lors de jam session ou encore arrangées par des musiciens d’une

certaine renommé à travers des enregistrements, il est difficile de les considérer au

même titre que les standards habituels.

 Jouer les standards d’autrefois aujourd’hui : Sens, musique ou exercice ?

Il faut donc comprendre que jouer les standards d’autrefois n’a plus réellement

la même signification qu’auparavant. A travers l’introduction, nous avons vu que la

production d’un album, consacré en partie ou entièrement au standard, est aujourd’hui

de l’ordre du courant. On s’attend à ce qu’un musicien de jazz nous livre un album

dédié aux standards. Dans la définition qu’apporte le dictionnaire du jazz au terme

53
« standard », l’auteur insiste sur le fait que pour jauger la qualité d’un improvisateur et

de l’arrangeur de jazz, le répertoire de standard est central.65 Un même matériau sert à

départager les aptitudes d’un musicien. Or, de nos jours, dans la quantité conséquente

des albums dédiés aux standards, quels sont ceux qui peuvent se targuer de se distinguer

plus que d’autres ?

C’est bien à partir de ce constat que nous pouvons revenir sur ce qui a été

mentionné durant l’introduction. En effet, en dehors des qualités musicales dont certains

de ces albums font preuves, on ne peut s’empêcher d’observer des raisons commerciales

à ce fait. En premier lieu, l’image d’un jazz de l’âge d’or est encore une fois toujours

d’actualité pour les néophytes comme pour certains mélomanes.

On peut ajouter à cela que le coût de production d’un album traditionnel jazz,

n’est pas le même que celui d’un album plus ambitieux. Réaliser un album de jazz dans

un esprit traditionnel constitue un travail qui n’est pas le même et qui par conséquent

engage à priori moins de financement. Il faut de plus ajouter que pour l’occasion, les

formations de jazz sont souvent à caractère éphémères et engagent à peu de choses.

En jazz, la manière d’approcher le son est très différente. Vous pouvez


enregistrer un disque de jazz en trois jours. Vous enregistrez les morceaux dans les
conditions du live, vous choisissez les meilleures prises, vous faites des petites
retouches et c’est parti. Dans la pop, la démarche est différente. Faire un disque peut
prendre plusieurs mois. Certains musiciens pop arrivent en studio avec des bouts de
chansons et tous les arrangements se font en studio.66

Par ailleurs, un artiste reconnu qui réalise un projet sur un répertoire qui a une

certaine reconnaissance, comme celui des standards, constitue une prise de risques

65
COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau
Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011, p.1203.
66
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/victoires-du-jazz/anne-paceo-circles-les-
voyages-sonores-d-une-batteuse-241091, consulté le 2 Août 2017.

54
amoindrie pour le responsable de l’évènement. Il en va de même si le projet ne fait pas

appel à ce répertoire mais qu’il mobilise les éléments de standardisation d’une pièce. En

somme, il s’agit encore d’un argument concret de vente.

Question : D’où votre cd à venir sur le répertoire jazz ?


Pierrick Pédron: Eh bien quelque part, je pense que ce sera l’album le plus
contrôlé. Dans la mesure où ce sont des morceaux moins atypiques que ce que j’ai pu
faire jusqu’à présent. Mais ça me permettra d’avoir peut être plus de travail. Mais je ne
fais pas du tout de standard, d’ailleurs, il y a même une reprise du groupe Depeche
mode. Il y a quelque chose de plus formaté on va dire pour les organisateurs de
spectacle. Entretien avec Pierrick Pédron

Ajoutons que le rapport des musiciens avec les standards est alors différent

compte tenu de la distance qu’il peut y avoir avec les années durant lesquelles ce

répertoire fut intégré. Les albums, les projets, d’une certaine part des artistes, tournent

en direction d’un objectif identitaire personnel. Le rôle des standards change avec son

temps. Il va de soi que pour les musiciens actifs actuellement, ils ont joués un rôle de

formation. Ils sont le terrain sur lequel ces artistes ont forgés leur vocabulaire et leurs

compétences d’improvisateur pour ceux qui ont fréquentés les conservatoires. Dans les

années 30-40 l’objet était de s’approprier le répertoire neuf des comédies musicales. De

nos jours, le jazz a depuis longtemps dépassé les caractéristiques de ce langage. Pour les

professionnels comme pour les amateurs il s’agit de se frotter à un répertoire qui a déjà

été traité par les plus grands instrumentistes du genre.

Question: Est- ce que ça ne vire pas à l’exercice ? Pour quelle raison vous êtes-
vous concentré sur ce répertoire ?
David Chevallier: J’aime bien aller là où l’on ne m’attend pas. Comme ça fait des
années que je fais du Gesualdo, du Purcell. J’ai fait plein de trucs différents les uns les
autres. D’ailleurs je pense que personne ne se serait dit un jour : « il va faire un truc sur
les standards ». Donc il y avait un peu de ça. Ce n’est pas de la provocation du tout.
J’aime bien les surprises donc j’en fais aux autres. Il y a aussi longtemps que je ne
m’étais pas retrouvé avec une rythmique basse / batterie. Je m’étais plutôt évertué
pendant des années à faire autres chose avec des formations différentes comme batterie
et tuba ou batterie, saxophone et basse pour essayer d’avoir un son différent. Il y avait
l’idée d’une instrumentation plus simple. Un truc pas du tout original et surtout qui a été

55
fait par des personnes qui ont fait ça tellement bien que j’avais envie de me frotter à ça.
Je voulais retrouver cette sensation de rejouer avec une rythmique basiquement efficace,
qui fournit un truc derrière. Entretien avec David Chevallier

Si la jam session était le lieu des confrontations instrumentales privilégiées par

les musiciens d’antan, on constate en fait que l’enregistrement est devenu le moyen

d’une joute ouverte au monde. Lors des jams des années Bop, les instrumentistes se

succédaient les uns les autres afin de délivrer le meilleur solo, le plus rapide etc. Les

enregistrements d’aujourd’hui sont comme un moyen de jouter et de prouver ses

qualités aux autres musiciens comme aux mélomanes. Toujours de plus en plus

techniques et de plus en plus soignés ces albums témoignent également d’une

production studio lissée à l’image de notre période. Le rapport qu’ont les musiciens

actuels avec les standards est en somme différent que le rapport des musiciens d’antan

avec ce répertoire.

2.2.2 Les standards d’aujourd’hui ?

Cette notion est d’autant plus amenée à changer de par les répertoires que le jazz

emprunte pour se refaire. La question est de savoir si nous pouvons continuer à parler

de standards lorsque les musiciens s’emparent du répertoire rock aujourd’hui? Pour

cela, il faut se demander ce qui fait qu’une pièce devient un standard. La condition est,

semble-t-il, que la pièce soit jouée et ait été enregistrée par des musiciens de jazz.67 Il

faut de plus que cette pièce résiste à l’épreuve du temps. Mise à part ce dernier point

que l’on ne peut encore vérifier de par le peu de distance que l’on a avec notre temps,

67
« Standard. Morceau issu du répertoire populaire américain et qui est devenu un classique à
force d’être joué et enregistré par les musiciens de jazz. » BALEN Noël, L’odyssée du Jazz, Paris, Liana
Lévi, 2012, p.704.

56
on peut constater que les musiciens de jazz tentent bien de s’approprier en masse un

nouveau répertoire de standards.

Lorsque l’on évoque les standards du jazz, on parle des compositions des

comédies musicales comme si elles appartenaient implicitement au genre du jazz

comme si les deux avaient fusionnés. Or ce rapport aux standards du rock est

radicalement différent et plus complexe. Il s’agit avant tout de standards du rock et pas

de standards du jazz bien que le phénomène se soit largement répandu.

Nous l’avons bien compris, le rapport aux standards n’est donc aujourd’hui plus le

même qu’auparavant, ne serait-ce que par les pratiques. Lorsqu’un artiste de jazz

s’empare d’une pièce du rock tout l’intérêt est de voir de quelles façons ce répertoire est

utilisé, de quelles façons ces musiciens se l’approprient afin de forger une nouvelle

esthétique.

2.3 S’approprier le rock/ Standardisation du rock

Le premier élément sur lequel il faut travailler est l’arrangement. La version que

le musicien de jazz offre de ce nouveau répertoire de standard. S’apercevoir que le

monde du jazz s’intéresse à ce répertoire est une chose, mais pour comprendre à quel

degré ce métissage s’effectue, il faut entrer dans le langage musical. Pour cela, je

propose de restreindre notre étude au répertoire du rock.

57
2.3.1 Phase d’imprégnation

Malgré la provenance musicale de certains de ces musiciens, pour se saisir de ce

répertoire, les artistes commencent par sélectionner un répertoire pour s’en imprégner

ensuite. Pour déterminer ce répertoire, plusieurs éléments entrent en compte.

Naturellement la première des raisons est le goût de ce musicien pour telle ou telle

pièce. En second lieu, la plupart des musiciens pensent que tous les morceaux de rock

ne peuvent pas faire l’objet d’une réappropriation. En effet, il s’agit d’un argument qui

est reprit à de nombreuses reprises dans les interviews. La pauvreté du langage serait

pour ces musiciens un frein, limitant leur hypothétique appropriation.

Laurent Cugny: Comme j’ai toujours fait, comme Gil a toujours fait. Je suis
quand même plus compositeur que lui, dans l’ONJ, j’en ai fait pas mal à moi. Mais
comme lui, quand j’entends un morceau qui me plait, j’ai envie de le jouer. Donc
j’arrange les morceaux en conséquence. Après ça donne un dosage plus ou moins
aléatoire.
Question : Je pose cette question en me référant à la démarche des autres artistes
que j’ai pu interroger. Par exemple, la démarche de David Chevallier est de trouver un
morceau qui ne soit pas trop pauvre. Pour lui dans le rock, la pop, certains compositeurs
se démarquent en écrivant de la musique plus intéressante que d’autres artistes, comme
Sting. Il m’expliquait que s’était l’une des raisons pour lesquelles il s’intéressait à sa
musique. Il y a un fond intéressant sur lequel il pouvait se projeter. Il ne s’agit pas du
tout de votre approche ?
Laurent Cugny : Si, si absolument. Je pourrais aussi dire ça. Tout est relatif.
Sting, ce n’est pas non plus Stravinsky, il y a trois accords. C’est surtout pour la
richesse mélodique, c’est ça qui est bien chez Sting, et chez Joni Mitchell. Joni
Mitchell, j’en ai fait 2 ou 1, dont Man from mars il y a vraiment 3 accords, et c’est
tout. Sting j’en ai fait 3 je crois. Entretien avec Laurent Cugny

David Chevallier : […]. L’idée de Is that pop music, c’est ça. C’est de prendre
un certain nombre de chansons que je trouvais au-dessus du lot et dans lesquelles je
trouvais un potentiel de travail pour me les approprier. J’ai choisis quelques chansons,
David Lynx m’en a suggéré quelques autres et on a fait un choix pour obtenir un
répertoire équilibré. En dehors de ça, je me suis déjà retrouvé avec le trio de Laurent
Dehors à faire des reprises de Police et des choses comme ça. Mais dans Is that pop
music j’ai vraiment une approche de recomposition, qui est commune à tous mes
projets. Entretien avec David Chevallier

58
En somme, bien que certaines pièces puissent être appréciées par ces artistes, une

part d’entre elles sont écartées de la sélection du répertoire.

Nous pouvons néanmoins constater que certains artistes ne se fixent aucunes

barrières de ce genre. Des musiciens comme Yaron Herman, Brad Mehldau ou Manu

Codjia s’emparent de pièces qui ne mobilisent que peu d’harmonies ainsi que peu

d’éléments, ou de mouvements mélodiques.

 Yaron Herman s’approprie « Heart-Shaped Box »68 de Nirvana, dans

lequel l’harmonie comprend trois accords qui subissent naturellement

toutes sortes d’enrichissement. Ab-7, E7 et Db7. Les intonations

d’origines sont aussi répétitives et relativement simples.

En somme, la richesse du langage musical n’est pas réellement un argument

universel. Quel que soit le répertoire que le musicien de jazz a dû s’approprier dans

l’histoire du jazz, ce dernier a toujours fait feu de tout bois. Tout le défi de ces jazzmen

est d’élever l’arrangement de ces pièces de sorte à ce qu’elles puissent trouver un

certain intérêt pour eux mais aussi pour les amateurs de jazz.

2.3.2 Standardisation du répertoire

Puisque la première des appropriations se fait grâce au répertoire, voyons

comment il est intégré par les musiciens de jazz. Nous avons pu observer précédemment

68
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave Grohl
(Batterie), CD, DGC Records GED 24536, 1993.
Version Yaron Herman :
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.

59
que si une part des musiciens n’arrivaient pas à se projeter sur un matériau trop restreint,

d’autres font feu de tout bois.

 Instrumentation

Dans le milieu du jazz, lorsqu’une formation joue un standard, peu importe

l’effectif, il faut être en mesure de proposer une version adaptée à tout type d’ensemble.

S’approprier un standard c’est aussi lui apporter des éléments d’arrangement qui

permettent de l’apprécier sous un angle différent. C’est pourquoi, on retrouve des

enregistrements de toutes sortes de formations singulières, comme des duos de guitares,

piano/guitare, guitare/chant, etc… Il y a en jazz des types de formations

caractéristiques, mais pas de règles strictes.

Le rock, la pop, ont une instrumentation relativement caractéristique. Bien-sûr

comme dans le jazz, on retrouve des duos comme, le guitare/chant, etc…Mais la

formation de base et caractéristique du rock reste un chant accompagné d’une guitare

électrique, parfois un clavier, une basse et une batterie. Dans la plupart des pièces

originelles qui sont reprises par les musiciens de jazz, il s’agit de cette configuration.

Lorsque les musiciens de jazz proposent leurs versions de ce répertoire, on

observe que la première forme d’arrangement qui apparait se manifeste par

l’instrumentation. En effet, si le rock a une instrumentation relativement systématique,

force est de constater que les musiciens de jazz préfèrent s’approprier ce répertoire par

d’autres instruments. Il y a plusieurs raisons à cela. Nous le reverrons plus tard, mais le

jazz est un genre plus instrumental que vocal. Par ailleurs les musiciens qui lead le

projet ne sont pas nécessairement chanteurs. Les arrangements représentent cela, la

plupart du temps, dans la mesure où les mélodies qui sont à l’origine chantées sont

60
assurées par le lead : saxophone, trompette, piano, guitare, etc. C’est notamment le cas

pour les arrangements de Laurent Cugny des Beatles, de Pierrick Pédron des Cure, de

Yaron Herman de Nirvana, de Britney Spears, etc…

Cela rappelle au passage que les standards de jazz, issus de la comédie musicale,

sont des chansons. Le chant est donc un élément central de ces pièces. Les versions que

l’on retrouve dans ces standards sont malgré tout souvent instrumentales.

En ce qui concerne la section rythmique, on constate qu’elle est assez

traditionnelle avec des formations typiques resserrées autour du duo basse/batterie ou

contrebasse/batterie. On note également que la guitare électrique et acoustique est

présente dans nombre de ces projets.

Il s’agit d’un élément qui est de l’ordre de la tradition qui est ici remobilisé dans

ces arrangements. Ils sont, si l’on peut dire, assez sages et à l’image des pratiques. On

constate pourtant que deux types de formations s’opposent. Certains projets proposent

des arrangements pour un effectif de base restreint comme, Kubic’s Cure69, Follow the

white rabbit70 ou covers71, alors que d’autres formations proposent des arrangements

pour des ensembles allant de moyens à gros effectifs, comme le montre le tableau ci-

joint :

69
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
70
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer (Contrebasse,
Gérald Cleaver (Batterie) , CD, Laborie Records LJ04, 2007.
71
Manu Codjia, Covers, Manu Codjia (Guitare), Jérôme Regard (Contrebasse), Philippe Garcia
(Batterie), CD, Bee jazz BEE 032, 2010.

61
Tp,Fh, D,
Sax Tb Guit B Cb P Kbd V Autre
Cor Perc
Follow the white rabbit,
X X X
Y. Herman
Kubic’s Cure,
X X X X X X
P.Pédron
Is that pop music ?!?,
X X X X
David Chevallier
Covers,
X X X
Manu Codjia
Close to Heaven, ONJ
X X X X X X X X
Tortiller
Around Robert Wyatt,
X X X X X X X X
ONJ Yvinec
Songs from the
X X X X X X X X
beginning, Alain Blesing
Janis the pearl, Franck
X X X X X X X
Tortiller
Same Girl,
X X X X X
Youn sun Nah
So Lucky,
X
Noël Akchoté
Celebrating Jimi
X X X X X X
Hendrix, Nguyen Lé
Melody makers I, Pierre
X X X
Jean Gaucher
New trio, Pierre Jean
X X X
Gaucher
Pick's Dilemma, Pierre-
X X X
Jean Gaucher

En somme, il faut retenir que, comme dans le jazz, il n’y a pas de code

instrumentation ; bien que certaines de ces formations se distinguent par des choix

instrumentaux peu conventionnels et plutôt audacieux. Pierrick Pédron par exemple,

dévoile ses arrangements des Cure72 avec une formation de base se résumant à un trio

atypique, batterie, contrebasse et saxophone. Assez étonnant de proposer des chansons

accompagnées sans réels instrument polyphonique !

72
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.

62
Pierrick Pédron: Oui, c’est dure, c’est aussi un challenge. Moi j’aime beaucoup
ça, cette idée de faire quelque chose de complètement irréalisable. Faire du Cure en
jazz, sans piano ni instrument polyphonique. Donc j’avais imaginé pleins de choses, je
faisais des arrangements, les arpèges de guitare seraient joués à la contrebasse. Avec
Thomas Bramerie je n’étais pas contraint, il joue tellement bien. Entretien avec Pierrick
Pédron

Le répertoire est abordé, sous cet aspect, de la même façon que n’importe quel

standard du jazz. On observe néanmoins que la guitare électrique et acoustique, est

présente dans une majorité des projets. La guitare est un instrument assez singulier dans

le jazz. Elle n’est tout d’abord pas soliste, au centre de toutes les attentions. Ce n’est que

peu à peu qu’elle s’empare de cette place dans l’histoire du jazz, notamment avec le

jazz-rock qui la place au centre.

 La forme

Il s’agit d’une des caractéristiques appréciées des musiciens de jazz en ce qui

concerne le rock. La forme est un élément traité assez simplement au même titre qu’un

standard de jazz souvent. Pour saisir la mesure des similitudes qu’il peut bien y avoir

entre l’œuvre originelle et ce qu’en font les musiciens, il faut les comparer. On observe

plusieurs choses concernant la forme.

A titre d’exemple, nous traiterons différents exemples successifs :

o « Heart shaped box », version Yaron Herman.73

A l’origine, « Heart shaped box »74 est un morceau du groupe Nirvana. Il est issu

de l’album In utero sortie en 1993. Dans la forme que Yaron Herman en propose, il est

assez proche de la version de l’album de Nirvana.

73
Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini (Contrebasse),
Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.

63
Version Nirvana Version Yaron Herman

o Intro (4 mesures) o Intro (4 mesures)

o Couplet 1 (16 mesures)

o Refrain (16 mesures) Exposition :

o Couplet 2 o Couplet (16 mesures)

o Refrain o Refrain (20 mesures)

o Solo (8 mesures) o Solo (40 mesures)

o Couplet 3

o Refrain Ré exposition :

o Outro (4 mesures) o Refrain (20 mesures)

On observe dans la version de Yaron Herman qu’il choisit de structurer la pièce

comme un standard de jazz. Il reste par ailleurs malgré tout collé au matériau d’origine.

Il se contente de supprimer les couplets et les refrains qui sont inutiles pour faire

avancer le sens de la pièce, étant donné qu’il n’y a pas de chanteur et que les lignes

mélodiques sont de nature répétitive. Tout comme une performance typique d’un

standard, le thème est exposé après une brève introduction. Après quoi, le pianiste

improvise avant de revenir sur une réexposition.

Il faut ajouter que la réexposition ne concerne que le refrain. Encore une fois dans

les pratiques usuelles du jazz, les thèmes de certaines ballades ne sont pas réexposés en

entier. Plutôt que de reprendre une exposition AABA, le musicien peut reprendre

74
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave Grohl
(Batterie), CD, DGC Records GED 24536, 1993.

64
directement B et A après les chorus. La version de Gilad Hekselman de « Prelude to a

kiss »75 met en avant cette pratique. Après les deux A que le contrebassiste utilise pour

son chorus Gilad Hekselman réintroduit le thème directement à partir du B.

Ce qui est néanmoins intéressant à analyser se situe à un niveau plus profond dans

la structure. C’est la raison pour laquelle, j’ai ajouté le nombre de mesures entre

parenthèse à coté de chaque section lorsqu’une différence se manifestait. Il faut se

placer à l’intérieur de la structure du thème afin de remarquer cet élément. Le thème ne

comprend grossièrement que trois intonations. La grille harmonique, comme nous

l’avons déjà fait remarquer est de nature assez restreinte.

Dans la tradition du jazz, pour déterminer la grille d’un chorus il suffit de se

rapporter à l’harmonie et au thème d’un standard. Lorsque l’on improvise sur « Blues

for Alice », on sait en regardant la grille, qu’il faut improviser sur une grille de blues de

12 mesures :

FΔ EØ A7b9 D-7 G7 C-7 F7

Bb7 Bb-7 Eb7 A-7 D7 Ab-7 Db7

G-7 C7 FΔ D7 G-7 C7

Dans son improvisation, la pratique du jazz veut que les musiciens se focalisent

sur des carrures qui sont écrites en fonction des thèmes. Ils sont généralement écrits

pour 12, 16 ou 32 mesures. Or ici le thème rock impose une approche qui conditionne

une base différente au chorus. Il n’y a que trois intonations et deux progressions

d’accords différentes.

75
https://www.youtube.com/watch?v=fYqaiEicGjs, consulté le 10 Août 2017.

65
Dans la même tonalité que le disque de Yaron Herman :

1er cas :

Ab-7 E Db 7

2ème cas :

Db7 E

Que ce soit sur le couplet ou sur le refrain, le premier enchainement d’accords

soutient un thème de 4 mesures. Le changement harmonique des quatre dernières

mesures du refrain correspond également à un changement d’intonation du thème.

Dans le couplet :

Figure 9 : Extrait partition « Heart Shaped Box »

Dans le refrain :

Figure 10 : Extrait partition, refrain, « Heart Shaped Box »

66
Tout comme en jazz, on constate ici que l’improvisateur fonctionne sur des cycles

qui épousent le thème, donc 4 mesures. Pour structurer ce propos, je propose de

nommer A ce premier cycle :

Ab-7 E Db7 Ab-7 E Db7

Et B le second :

Db7 E Db7 E

A travers l’analyse de la trame harmonique du chorus de piano, on obtient la

chose suivante : A A A A B B A A B B

Il faut ainsi retenir que le thème reste la mesure de la structure de l’improvisation.

Plutôt que de se servir de la structure complète, de l’exposer pour le chorus comme de

tradition dans le jazz, Yaron Herman fait le choix de se servir de la micro structure du

thème. Il utilise par ailleurs cet élément pour restructurer le refrain. Dans la version

d’origine, le refrain d’« Heart shaped box »76 est constitué de A A A B, alors que Yaron

Herman préfère A A B B. Cette caractéristique est d’autant plus visible à travers les

concerts dans lesquels, le placement de ces microstructures est improvisé. La forme du

chorus est ainsi dépendante de cette improvisation. La version du festival des 5

continents77 et du festival de Marciac78 sur ce même morceau nous permettent de

constater ce fait.

76
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave Grohl
(Batterie), CD, DGC Records,1993.
77
https://www.youtube.com/watch?v=I1qgqSLYLZ0, consulté le 10 Août 2017.

67
Microstructure chorus du live au festival des 5 continents :

Chorus Ambrose Akinmusire Chorus Yaron Herman

Ax4 Ax8

Bx2 Bx2

Ax4 Ax4

Bx2 Bx2

Microstructure chorus Yaron Herman live du festival de Marciac :

A x 4, B x 2, A x 3, B x 2, A x 4.

Les musiciens de jazz se servent des caractéristiques intrinsèques musicales du

rock pour recycler des pratiques classiques du jazz. Il s’agit ici d’un élément qui nous

développerons lorsque nous évoquerons le cas des compositions inspirées des musiques

actuelles, dans le chapitre suivant.

o « Toxic », version Yaron Herman.79

« Toxic » est une chanson issue de l’album de Britney Spears In the zone80 de

2004.

78
https://www.youtube.com/watch?v=aaKRYdGoNZI, consulté le 11 Août 2017.
79
Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer (Contrebasse,
Gérald Cleaver (Batterie) , CD, Laborie Records LJ04, 2007.
80
Britney Spears, In the zone, Britney Spears, Roxanne Estrada, Kara Dioguardi, Courtney
Copeland Wizardz of Oz, B.U.D, Chyna Royal, Kyron Leslie, Jennifer Karr, Emma Roads, Roy Hamilton
(Chant), Stockholm session strings (Cordes), Kendall D. Nesbitt, Steve Anderson (Claviers), Donnie

68
Version Britney Spears Version Yaron Herman

 Intro (8 mesures)  Intro

 Couplet (8 mesures)  Couplet

 Couplet  Interlude

 Pré-chorus (8+2 mesures)  Pré-chorus (2*8 mesures)

 Refrain (16 mesures)  Refrain

 Couplet  Interlude

 Pré-chorus  Couplet

 Refrain  Refrain

 Outro  Outro solo

Là encore, Yaron Herman marque sa proximité avec la pièce d’origine. Il est

intéressant d’observer qu’il ne suit pas le schéma traditionnel d’une interprétation de

standard. On note même au contraire qu’il suit l’exposé d’origine avec quelques légères

variations. Ce n’est qu’à la fin de la pièce que ce dernier prend un temps limité de

parole en mobilisant un langage bruitiste et en détournant ainsi l’usage traditionnel de

l’instrument. Tout comme dans « Nefertiti »81, la pièce ne comporte pas vraiment

d’espace dédié à un discours improvisé. La pièce, comme elle est présentée ici, se prête

plutôt à la variation et à l’atmosphère, au paysage sonore qui est introduit par l’usage

des techniques instrumentales atypiques.

Lyle, Henrick Jonback (Guitare), Roy Gartrell (Guitare, banjo), Thomas Lindberg (Basse), Algozee
(Orchestre), CD, Jive Records 82876 71023 2, (enregistrement 2002-2003, sortie 2003).
81
Miles Davis, Nefertiti, Miles Davis (Trompette), Wayne Shorter (Saxophone), Herbie Hancock
(Piano), Ron Carter (Contrebasse), Tony Williams (Batterie), CD, Columbia CK 65681 , (enregistrement
1967, remaster 1998).

69
o « In your house », version de Pierrick Pédron.82

« In your house », est une pièce de The Cure issues de l’album Seventeen

seconds83 sorti en 1980.

Version The Cure Version Pierrick Pédron

o Intro o Intro

o Couplet 1 o Couplet 1

o Couplet 2 (8 mesures) o Couplet 2

o Pont 1 o Pont 1

o Couplet 3 (8 mesures) o Couplet 3

o Pont 2 o Pont 2

o Couplet 4 (8 mesures)

o Outro

o « Come together », version de David Chevallier.84

« Come together » est un morceau des Beatles, il est issu de l’album Abbey road85

de 1969.

82
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.
83
The Cure, Seventeen seconds, Robert Smith (Chant, guitare), Simon Gallup (Basse), Laurence
Tolhurst (Batterie), Matthieu Hartley (Claviers), CD, Fiction Records 825 354-2 , (enregistrement 1979,
remaster 1985).
84
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.

70
Version des Beatles Version David Chevallier

 Intro  Intro

 Couplet 1 Exposition

 Couplet 2  Couplet 1

 Refrain  Couplet 2

 Couplet 3  Refrain

 Refrain  Couplet 3

 Solo  Refrain

 Couplet 4  Chorus

 Refrain  Outros chorus

 Outro solo (Fade out) Réexposition

 Couplet 4

 Outro

David Chevallier fait le choix de rester proche de la version d’origine. Cela tient

en partie du fait qu’il conserve le chant et donc le sens des paroles et de la chanson.

 Langage mélodique du Lead

o Déformation du thème

85
The Beatles, Abbey Road, John Lennon (Guitare acoustique et électrique, orgue, piano, chant) ,
Paul Mc Cartney (Basse, guitare acoustique et électrique, piano, orgue, chant, effets sonores), George
Harrison (Guitare életrique et acoustique, basse, orgue, synthétiseur Moog, chant), Ringo Starr (Batterie,
percussion, chant), Mal Evans (Piano, harmonica, harmonium, percussions, chant), George Martin
(Clavecin, orgue, piano, harmonium), Billy Preston (Orgue), CD, Parlophone CDP 7 46446 2,
(enregistrement 1969, remaster 1987).

71
Quand un jazzman s’approprie un quelconque thème, dans le contexte d’une

formation restreinte, il n’interprète pas le thème, il en propose sa vision. De la même

façon, lorsque le peintre s’empare d’un paysage, d’un portrait pour réaliser une toile, il

propose sa vision du modèle.

Il est courant, dans le jazz, qu’un thème ne soit pas interprété tel qu’il est écrit.

Pour s’approprier le répertoire rock, ce n’est pas différent, le thème subit trois types de

modification.

Traditionnellement, pour appréhender un standard quelconque le jazzman chante

le thème, les harmonies. Une fois ces deux éléments intégrés, le musicien se donne à

toutes sortes d’expérimentations qui déforment l’objet d’origine. Le premier élément sur

lequel le jazzman va travailler, c’est le rythme du thème qu’il va déformer, étirer ou

contracter. Bien entendu, la majorité du temps à chaque version, le musicien se livre à

une nouvelle version qui va éclairer le thème sous un nouveau jour.

Exemple : « Toxic »

Version originale:

Figure 11: Extrait couplet « Toxic » B.Spears, chant, 0'13 à 0'27.

Version Yaron Herman:

72
Figure 12: Extrait « Toxic », Y.Herman, piano, 0'48 à 1'01.

Exemple : « Heart Shaped box »

Version Nirvana:

Figure 13: Extrait couplet « Heart Shaped Box », Nirvana

Version Yaron Herman:

Figure 14: Extrait couplet, « Heart Shaped Box » Y.Herman, piano, 0’11 à 0’34.

Dans un deuxième temps, ce dernier ajoute des notes au thème, des

ornementations, des commentaires directement au sein de la mélodie.

73
S’approprier le thème passe aussi par l’improvisation d’une continuité au thème

d’origine. A travers son improvisation, et en interaction avec la composition d’origine,

le jazzman invente sur le moment une partie du thème.

Exemple:

Figure 15: Extrait « Heart Shaped Box » album Follow the white rabbit, Y.Herman, piano, 0'46 à 0'57.

Dans un autre cas, le thème est écrit et ne subit aucun de ces changements

improvisés. Il est simplement réécrit, réarrangé. La plupart du temps, ce fonctionnement

concerne les grandes formations, sans doute pour contrôler le rendu. Il s’agit par ailleurs

d’une autre conception, d’une autre pratique du jazz qui se rapproche d’une musique

plus écrite comme pour le répertoire de big band.

Exemple « Blackbird »86 arrangé par Laurent Cugny :

86
Laurent Cugny, A personal landscape, Laurent Cugny (Claviers), David Linx (chant), Big band
“Lumière”, Universal Music 013990-2, 2001.

74
Figure 16 : Extrait arrangement L.Cugny, « Blackbird ».

75
Bien que le cas soit relativement rare, quelques formations restreintes

fonctionnent davantage par l’écriture. C’est notamment le cas pour le projet de David

Chevallier Is that pop music ?!?.87

Figure 17 : Extrait « Come together », arrangement D.Chevallier.

Figure 18 : Extrait « Message in the bottle », arrangement D.Chevallier.

87
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.

76
Bien que ces musiciens s’approprient un répertoire rock, il n’en reste pas moins

que leur formation est jazz. On constate que pour traiter ce répertoire, les musiciens

passent majoritairement par le patrimoine du langage jazz en ce qui concerne

l’improvisation. On le remarque grâce au phrasé qui se distingue par les accents qui

traversent les phrases de bout en bout :

Exemple de phrasé jazz :

Figure 19: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone, 3’41 à 3'48.

On peut de plus remarquer que ce phrasé est agrémenté de chromatismes, comme

dans la partition ci-dessous. Les notes ciblées, sont approchées par demi-ton, ce qui est

une caractéristique de l’improvisation jazz.

Notes cibles
Figure 20: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone, 3'31 à 3'38.

Figure 21: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone, 3'41 à 3'48.

77
L’harmonie, que l’on analysera par la suite, restreint l’improvisateur à un certain

nombre de matériaux (gammes, modes, licks, etc…) puisqu’elle est assez limitée. Dans

le Be-bop et le jazz tonal, l’improvisateur est conduit par les harmonies qui embellissent

la grille. Il est guidé par ce que l’on appelle les « guides tones ». Ce procédé est central

en jazz parce qu’il suppose que l’improvisateur place les notes importantes sur les

temps forts, comme la tierce ou la septième. Il est pour ainsi dire comme conduit par

l’harmonie. Or ici, les riffs ou les progressions harmoniques étant assez limités amènent

les musiciens à les exploiter dans un contexte modal. Il n’est ainsi pas rare de se

retrouver avec des plages modales (nous y reviendrons plus tard). Par ailleurs, lorsque

ces cellules le permettent, l’improvisateur fait appel à un large réservoir de modes.

Pour revenir à Yaron Herman et sa version de « Heart shaped box », on constate

que l’harmonie suppose une ambiguïté modale, notamment pour l’harmonie suivante :

4/4 Ab- E Db7

Cas n°1
Cas n°2

L’accord de tonique est Ab-, or les deux accords qui suivent, supposent deux

modes différents.

Cas n°1 :

En mettant en relation le Ab-(G#-) et le E, on constate qu’il s’agit d’une cellule

harmonique qui sous-entend le mode éolien. L’exemple ci-dessous utilise les dièses

comme altérations pour plus de clarté.

78
Harmonisation mode éolien :

I II III IV V VI VII

G#-7 A#Ø BΔ C#-7 D#-7 EΔ F#7

Cas n°2 :

Comme on peut le remarquer dans l’exemple ci-dessus, le Db7 n’y figure pas.

C’est parce qu’il est issu du mode dorien qui prend toujours Ab-7 comme tonique. Nous

utiliserons ici les bémols pour cet exemple.

Harmonisation mode dorien :

I II III IV V VI VII

Ab-7 Bb-7 CbΔ Db7 Eb-7 FØ GbΔ

Dans son chorus, Yaron Herman tire profit de cette ambigüité harmonique en

embrassant les accords notamment en utilisant des phrases mélodiques jouant sur le fa

et le mi (en bleu ci-dessous).

En orange, ci-dessous, on remarque l’utilisation de la gamme pentatonique

mineure comme d’un réservoir qui sert à développer des motifs et des mélodies.

Gamme pentatonique mineure de Ab- :

1 3- 4 5 7-

Ab Cb Db Eb Gb

79
Exemple :

Figure 22 : Extrait « Heart Shaped Box », arrangement Y.Herman, 1'46 à 2'08.

On note quand même une légère appropriation des phrases rock dans
l’improvisation.

Figure 23: Extrait « Halleluyah » album Covers, M.Codjia, guitare, 1'54 à 1'58.

Ce pattern montre notamment l’utilisation des bends de manière récurrente, ce qui

est plutôt écarté par la pratique usuelle de la guitare jazz.

Le chant, dans un groupe de rock, est un élément emblématique, caractéristique.

Or on note que dans la plupart des projets d’appropriation, deux tendances se

distinguent. Certains prennent le parti de conserver le chant, alors que d’autres décident

de le substituer par un instrument qui reprend le thème.

Cependant le chant dans le jazz tient une place assez particulière. Nous y

reviendrons en détail dans notre dernier chapitre, mais nous pouvons malgré tout dire

80
que l’on distingue deux types de chants. Le premier utilise la voix en associant des

mélodies à des paroles intelligibles, alors que le second vise plutôt à instrumentaliser la

voix, en jazz il s’agit du scat. Les arrangements confondent parfois les deux pratiques.

Dans la version de « In your house » de Pierrick Pédron, Thomas de Pourquery double

le thème joué par le saxophone en instrumentalisant sa voix et sans paroles. Durant le

climax de cette pièce, lors d’une improvisation collective, il se sert des mots « in your

house » pour improviser des contre-chants.

 Langage de la section rythmique

La section rythmique s’adapte elle aussi à son sujet. Le swing traditionnel semble

abandonné pour aborder ce type de répertoire. En effet, la rythmique est la plupart du

temps binaire. Le chabada de la batterie est abandonné pour laisser place à un pattern

droit qui marque les temps forts de la mesure plus symptomatiques du rock, de la pop,

etc.

Exemples :

Figure 24: Extrait « Heart Shaped Box », arrangement Y.Herman, mesures 5 et 6.

81
Figure 25: Pattern de batterie, « Lullaby » album Kubic's Cure.

A la basse ou la contrebasse, la walking bass est par conséquent mise de côté pour

correspondre avec la batterie et surtout avec le répertoire. Au sein des arrangements, on

la retrouve à travers des riffs, donc dans une certaine mesure fixés, et à travers des

patterns harmoniques caractéristiques des musiques actuelles et du jazz.

Exemple 1 :

Figure 26: Extrait « Heart shaped box » album Follow the white rabbit, Y.Herman, contrebasse, 2'15 à 2'25.

Exemple 2 :

Figure 27: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, contrebasse, 2'35 à 2'44.

Nous avons, au cours des points précédents, pu observer que dans certains cas, le

répertoire était adapté à une instrumentation singulière. Ceci implique des arrangements

singuliers qui corroborent l’idée d’adaptation des standards à une formation et non

l’inverse. Dans ce répertoire, ce changement d’instrumentation induit parfois que

82
certaines parties d’accompagnements soient attribuées à un instrument qui n’est de

coutume pas dédié à ce type de rôle.

C’est notamment le cas pour le projet Kubic’s Cure88 de Pierrick Pédron, dans

lequel les parties arpégées de guitare sont adaptées pour le saxophone.

Exemple :

Figure 28: Extrait « In your house » album Kubic's Cure, P.Pédron, saxophone arpèges.

Le saxophone obtient dès lors un rôle ambiguë tantôt accompagnateur, tantôt lead.

Ce qui nous amène à aborder la dimension harmonique et son traitement par les

musiciens de jazz dans la performance. L’harmonie jazz est particulièrement fondée sur

le principe de ii-V- I. Très souvent, le ii-V est utilisé pour passer d’une tonalité à l’autre,

comme dans l’exemple suivant qui correspondent aux 8 dernières mesures d’un blues:

Bb7 Bbo7 F7/C F7

C7 Bb7 F7 F7

88
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.

83
Réharmonisation avec le principe de ii-V :

Bb7 Bbo7 F7/C AØ D7b9

G-7 C7 F7 G-7 C7

Il existe de nombreux exemples de réharmonisation par ce principe de cadence

secondaire, mais la plupart du temps, les arrangements mettent plutôt en valeur l’espace

harmonique que permettent les progressions des compositions des musiques actuelles.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’harmonie est dans le rock relativement

restreinte. Parfois les riffs eux même ne supposent qu’un seul accord et ils font malgré

tout l’objet d’une base solide pour un discours improvisé. Et après tout quel est le

problème ? En effet, le jazz modal a déjà traité avec ce type de chose. « So what »89 ne

comporte que deux accords différents sur lesquels improvisent les solistes autour d’une

structure AABA.

D-7 ٪ ٪ ٪

D-7 ٪ ٪ ٪

Eb-7 ٪ ٪ ٪

Eb-7 ٪ ٪ ٪

89
Miles Davis, Kind of blue, John Coltrane (Saxophone), Cannonball Aderley (Saxophone), Bill
Evans (Piano), Winton Kelly (Piano), Paul Chambers (Contrebasse), Jimmy Cobb (Batterie), Miles Davis
(Trompette), Columbia Records CK 64935, (enregistrement 1959, remaster1997).

84
Dans le jazz traditionnel, la grille comportait déjà des tensions harmoniques qui

permettaient de déterminer sa fin. Dans la grille de blues, les 4 dernières mesures

amènent une tension, par une accélération du rythme harmonique et par le V7. Elle

suppose une résolution sur la première mesure et logiquement sur le I.

G-7 C7 FΔ D-7 G-7 C7

F7 Etc…

Avec les réharmonisations ces tensions étaient parfois même accentuées, elles

contribuaient à un discours commun de l’improvisation. Ce qui signifie qu’elles

épousaient la forme du chorus. On évite généralement de charger le discours de ces

tensions supplémentaires au début. On préfère les intégrer progressivement afin que

l’harmonie épouse le climax conduit par le soliste.

Que l’improvisateur prenne deux, trois, cinq ou dix grilles, l’objectif est, pour les

performeurs de raconter une histoire par le langage improvisé. Dans une histoire, il y a,

pour faire simple, un début, un milieu et une fin. Or cela ne nous aura pas échappé que

l’harmonie de base est assez épurée. Ce paramètre défini par ailleurs une des

caractéristiques intrinsèques à cette musique. Aussi les musiciens de jazz, dans

l’accompagnement comme dans le lead, tirent profit de cette particularité pour

développer un discours construit avec d’autres outils. Afin de répondre à ce principe de

tension/résolution les performeurs s'adaptent une fois de plus à leur objet et usent de

nombreux paramètres. Pour cela, certains des musiciens remplissent l'accompagnement

par des couleurs harmoniques.

85
Certaines caractéristiques autres, sont présentes dans le rock comme dans le jazz.

On retrouve notamment le concept que certains nomme poly-vitesse et

d'autres polyrhytms.90

Le dernier élément plutôt caractéristique du rock et que l'on retrouve dans ces

arrangements c'est le concept de paysage sonore, de background sonore. Pour repérer

cette dimension, il faut opérer au niveau de l'enregistrement studio. Il est un objet

particulier qui met en évidence le rôle du studio dans l'arrangement final. Grâce à cela,

l'artiste se sert du studio comme d'un véritable outil de l'arrangement. Il permet de créer

des couches afin de progressivement les superposer et de développer une épaisseur qui

amène au climax et permet au discours improvisé de se développer, de raconter une

histoire.91 Le discours improvisé, ou chorus, suit ainsi une forme et a une direction.

Pour enrichir le « langage » sonore, les jazzmen ajoutent aux textures sonores

toutes sortes d'effets qui vont servir et épouser le discours.

La version de « Lullaby »92 de Pierrick Pédron, montre l’utilisation d’un effet de

réverbération afin d’épaissir le son.

Dans cette partie nous avons vu qu’en réalité l’appropriation que les musiciens de

jazz font des musiques actuelles et plus particulièrement du rock tend à standardiser les

compositions d’origine par des pratiques caractéristiques du jazz. On retrouve ses

particularités à tous les niveaux, tant dans la forme que dans le langage improvisé. Les

90
HOENIG ARI & WEIDENMUELLER JOHANNES, Polyrytms Vol,1 contracting and
expanding time within form, s.l, Mel Bay, 2009.
91
AEBERSOLD Jamey, Une nouvelle approche du jazz: Improvisation, New Albany, Jamey
Aebersold, 1992, pp.45-46.
92
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon (Batterie),
Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de Pourquery (Chant), Ghamri
Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2, 2014.

86
compositions de rock sont un support, au même titre que n’importe quel standard, sur

lequel sont transposés des concepts jazz mais avec une part du langage rock.

Pour compléter et saisir la mesure de cette appropriation, il faut maintenant

étudier les compositions jazz qui sont influencées par les musiques actuelles.

87
3 DES MUSIQUES ACTUELLES A L’ŒUVRE JAZZ

3.1 L’œuvre en jazz

La question de savoir ce que l’on considère comme l’œuvre en jazz est de nature

assez complexe. Puisqu’il ne s’agit par ailleurs pas directement de notre sujet j’invite le

lecteur à compléter les éléments essentiels des notions qui seront traitées ici avec

l’ouvrage de Laurent Cugny, Analyser le jazz.93 Il faut néanmoins l’aborder pour saisir

notre objet d’étude à travers deux aspects, la composition et l’enregistrement.

3.1.1 Qu’est-ce qu’une composition jazz ?

Avant tout chose, il faut savoir que je ne dispose que de peu de partitions à

l’origine de l’enregistrement. Tout le travail d’analyse est fondé sur des relevés issus du

résultat, donc de l’œuvre enregistré. C’est pourquoi, pour évoquer le problème de la

composition jazz, nous ne partirons pas de la dimension stylistique. Il faudra plutôt voir

la composition comme la base d’un processus de production de ce que l’on considère

comme l’œuvre de jazz.

Deuxièmement, il ne faut pas confondre l’œuvre de jazz, et la composition jazz.

Pour saisir notre objet d’étude, il faut le définir le terme « composition ». Comme le

mentionne Laurent Cugny, « Il est bien évident qu’aucune performance, de jazz n’est

produite sui generis, dans l’impensable innocence d‘une énonciation pure de toute

93
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009.

88
préméditation ». 94 La composition n’est pas l’œuvre, elle en est simplement l’origine

quelle que soit la forme que puisse prendre celle-ci.

Comme le précise Laurent Cugny, en revenant sur le sens même de

« composition », la définition que l’on donne de ce terme confond « l’action de

composer et le résultat de cette action »95. Une autre définition se rapporte à quelque

chose de plus général « Art et action de choisir, de disposer et de coordonner les divers

éléments constitutifs d'une œuvre littéraire, artistique, architecturale, etc. ; cette œuvre

elle-même ».96 En somme, si l’on se réfère à ce dernier énoncé, la composition relève de

l’écriture, ou est le résultat d’un processus mental qui conduit et précède une

performance musicale. La composition induit donc un acte prémédité.

En jazz, ce terme prend un sens assez singulier de par la nature même de cette

musique. On retient la dimension de préméditation. Pour l’analyse, on se demandera si

une composition (le résultat) précède la performance et quelle forme elle prend dans un

premier temps. Mais dans un second temps, il faut se demander comment elle a été

traitée.

 Composition pour le jazz

La composition de jazz n’est pas l’œuvre de jazz. Contrairement à la musique

savante écrite, dont l’œuvre est manifeste dans la partition et incarnée par

l’interprétation, la nature du jazz nécessite une appropriation, une déformation du

matériau d’origine. Il faut en fait se demander le sens du terme « composition de jazz ».

94
Idem, p.85.
95
Idem, p.96. La définition est elle-même extraite du Dictionnaire encyclopédique de la musique.
96
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/composition/17751, consultée le 2 Août 2017.

89
S’agit-il d’une pièce qui se distingue par ses particularités stylistiques et musicales ou

s’agit-il simplement d’une composition utilisée pour une œuvre de jazz ?

En prenant l’ensemble des pièces utilisées pour la réalisation d’une œuvre jazz, on

distingue deux catégories, celles qui sont écrites par des artistes de jazz et celles qui au

contraire ne le sont pas. A priori pas de problème pour la composition qui comprend

intrinsèquement les caractéristiques de musique jazz. Bien que cette composition puisse

intégrer les caractéristiques les plus fondamentales du jazz, il n’en reste pas moins

qu’ « une composition pour le jazz ne peut se manifester dans un objet sonore (de jazz)

autrement que dans une performance qui, au moment même de son accomplissement,

devient un objet réel à part entière, différent de la composition, objet virtue l ». 97 La

version, quel que soit son interprète, devient une œuvre à part entière différente de la

composition qui ne sert que de support. Par conséquent, la nature de la composition

pour jazz ne peut pas être entendue.

En second lieu, il y a toutes les autres pièces qui ne sont pas écrites par des

musiciens de jazz. Parmi ces pièces, on retrouve le répertoire de standards issus de la

comédie musicale. Mais ce répertoire ce nourrit également de tous les autres morceaux

extraits de l’opéra, de la musique populaire, etc… Inutile de préciser que le nombre de

ces pièces est conséquent. D’un point de vu stylistique, avant que les jazzmen ne se les

approprient, rien ne les rattache au jazz. Cette filiation n’est possible que par

l’intégration de ces pièces dans les pratiques récurrentes de ces musiciens. Ces derniers

ont-ils vu un matériau de base propice la création/recréation ou s’agit-il d’un effet de

mode ?

97
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, p.88.

90
En somme, ce qu’il faut retenir c’est que la composition elle-même ne permet pas

de cerner une œuvre jazz parce qu’elle ne rend pas compte de certains éléments que le

jazz manifeste naturellement comme étant indéterminés. Elle est seulement un point de

départ à partir duquel il faut faire son propre chemin.

3.1.2 L’enregistrement et l’œuvre de jazz

Si on ne retrouve pas l’œuvre de jazz dans la composition alors qu’est l’œuvre de

jazz ?

Ici encore, la démonstration sera simplifiée.98 Le jazz est un genre qui fait

intervenir l’oralité et l’improvisation. Il est donc de nature instable, indéterminée. Il

existe plusieurs versions d’un même morceau par un même musicien. L’improvisation

suppose le caractère indéterminé de la pièce avant qu’elle ne soit jouée ce qui souligne

ainsi l’importance de la performance pour l’existence de l’œuvre jazz. En jazz, le couple

composition-interprétation, ne fonctionne ainsi pas comme il peut fonctionner dans la

musique écrite savante. Comme nous avons pu le voir la performance est le centre de

notre intérêt de l’œuvre jazz. Le terme « interprétation » ne peut servir le jazz dans la

mesure qu’il suppose la lecture d’un texte écrit ce qui n’a pas de sens dans ce genre.

Encore une fois, la composition n’est qu’un point de départ à une appropriation qui

amène le musicien à s’écarter plus ou moins du texte. C’est ici que l’on retrouve la

création, à travers le jeu. On peut ainsi dire que l’œuvre de jazz figure dans la

performance sonore. « On peut affirmer que le moment décisif de l’œuvre est celui où

les musiciens jouent, qu’ils improvisent plus ou moins complètement, qu’ils s’appuient

98
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, pp.55-112

91
sur un point de départ compositionnel plus ou moins élaboré, qu’ils lisent des partitions

ou non, etc. »99

Par conséquent, nous pouvons affirmer que les rôles d’auteur et d’interprète se

confondent. Ces musiciens jouent, développent l’œuvre qui se constitue dans un

véritable et unique « objet » sonore. L’œuvre ne peut alors pas se réduire à la simple

composition qui n’est pas autosuffisante.100

Laurent Cugny ajoute :

L’œuvre de jazz est produite au cours d’une performance, accomplie – en


présence d’un public ou non – par des performeurs. Lors de la première, les seconds
produisent des pièces qui peuvent constituer, le cas échéant des versions d’une
composition donnée. On s’en tiendra ici à ce vocabulaire.101

La performance peut être publique ou non, dans le cadre d’un enregistrement

studio. L’audition de la performance se fait de deux façons : directement ou par le biais

de l’enregistrement. La première n’est évidemment pas répétable alors que la seconde

l’est autant que de nécessité.

Il existe plusieurs types d’enregistrements. Le premier est celui qui vise à

enregistrer un évènement sonore en ayant pour objectif de le modifier le moins

possible.102Or ce type d’enregistrement est, malgré les attentes, assez peu courant.

Néanmoins avec l’évolution des technologies, des studios et l’avènement du

numérique, les montages se généralisent donnant lieu à toutes sortes de manipulations.

99
Ibidem, p.52.
100
JAMIN Jean et WILLIAMS Patrick, Une anthropologie du jazz, Paris, CNRS édition, 2010,
p.160. « Et plutôt que la partition, c’est l’exécution publique puis l’enregistrement qui révèlent cette
œuvre –devenant référence ou n’illustrant qu’une version parmi d’autres, les musiciens qui l’inscriront ou
pas dans le répertoire en décideront. »
101
Ibidem, p.54.
102
Ibidem, p.56.

92
Le studio devient un instrument à part entière. Mais c’est un point que nous détaillerons

a posteriori.

Pour la plupart des pièces que nous allons traiter, en réalité nous ne disposons pas

de cet objet que l’on connait maintenant comme étant la composition. Tout comme dans

notre chapitre II, le seul élément sur lequel il faut s’appuyer reste le résultat, soit

l’enregistrement studio ou live autrement dit l’œuvre.

Par conséquent, afin que notre analyse soit la plus complète possible, il nous

faudra croiser la composition, le travail studio et les transcriptions musicales.

3.2 Dans l’œuvre jazz

3.2.1 Formation et instrumentation

L’instrumentation n’a jusqu’à présent pas été évoquée pour ce répertoire influencé

par les musiques actuelles. Ce paramètre est déterminant et significatif d’une

appropriation dans l’œuvre jazz. Le jazz classique, tout comme le rock a un son. Dans

sa phase d’appropriation des musiques actuelles, le jazz, mobilise une instrumentation

singulière aussi bien dans la composition que dans l’arrangement des classiques du

rock.

Parmi les choix adoptés par les artistes pour leurs compositions, on ne retrouve

qu’une seule tendance : celle de se rapprocher d’un son, d’un genre issu des musiques

actuelles. Les formations de jazz les plus courantes, actuellement lors des lives, sont

fréquemment des trios ou des quatuors pour des raisons d’esthétiques. Les projets de

trio piano, basse, batterie ou de quartet sont récurrents et caractéristiques de l’histoire du

93
jazz. Le trio avec guitare est aussi maintenant assez fréquent 103. Tous ces types de

formations constituent des codes stylistiques caractéristiques. Il faut néanmoins bien

distinguer la production live de l’enregistrement studio. Le live est un moment singulier

pour lequel les enjeux de rendu ne sont pas les mêmes. Lors de l’enregistrement, de la

session studio, l’artiste n’hésite pas à mobiliser plus d’instrumentistes pour nourrir ses

arrangements. Certains de ces musiciens sont seulement invités sur une ou deux pièces

de l’album. Ce qui est notamment le cas pour l’album Kubic’s Monk104, dans lequel

Ambrose Akinmusire rejoint Pierrick Pédron sur trois titres.

Quoi qu’il en soit, en dehors du caractère atypique de ces formations, il faut

cependant sans aucun doute aussi rappeler les questions financières. Plus il y a de

musiciens plus les dépenses sont importantes pour l’organisateur lors de la production

live du projet. Naturellement l’objectif de ces musiciens est de produire leurs créations

le plus largement possible et au meilleur prix. Cependant avec un contexte économique

de moins en moins favorable aux organisateurs, être compétitif est un enjeu déterminant

pour la vente des spectacles. C’est pourquoi restreindre le nombre de musiciens est une

raison et presque un argument de vente significatif aujourd’hui pour la performance105.

103
Gilad Hekselman, David Chevallier, Jonathan Kreisberg, Marc Ducret, Manu Codjia, etc…
Mais également des trios assez atypiques comme celui de John Raymond & Real feels avec Gilad
hekselman (Guitare), John Raymond (Bugle) et Colin Stranahan (Batterie).
104
Pierrick Pédron, Kubic’s Monk, Pierrick Pédron (Saxophone), Ambrose Akinmusire
(Trompette), Thomas Bramerie (Contrebasse), Franck Agulhon (Batterie), CD, ACT Music ACT 9536,
2012.
105
«Question: Parce que votre tournée sur « And the » est terminée ?
Pierrick Pédron: Alors non ce n’est jamais terminé. Mais ce projet est très ambitieux. On arrive à
une époque où les choses sont très aseptisées. On ne peut pas dire que ce que je fais est très aseptisé.
Donc si tu veux, il y a un monde entre ce que font les organisateurs de spectacle et la manière dont
j’envisage les choses. Les organisateurs en général ne prennent pas de risques. Ces projets-là ne sont pas
des projets qui rentrent dans le moule. On a fait le choix de faire un truc très produit, ça nous a été
beaucoup reproché d’ailleurs. » Entretien avec Pierrick Pédron

94
Leïla Martial tente le pari de se séparer du bassiste et de proposer un trio guitare,

chant et batterie pour incarner ses compositions106. Bien que n’importe quel standard

soit adapté, dans l’histoire du jazz, à travers n’importe quel type de formation, il n’en

demeure pas moins curieux de retrouver des arrangements de pièces rock sous un cadre

tel que celui-ci. Le tableau ci-dessous reprend l’instrumentation de certains des albums

influencés par les musiques actuelles.

Groupes de composition :

Sax Tp,Fh Tb Guit D, B Cb P Kbd V Autre


Cor Perc
Y, X X X X
Yaron Herman
Melody makers II, X X X
Pierre Jean Gaucher
Circles, X X X X
Anne Paceo
Doppler, X X X X X
HØst
Sons of love, X X X X X X
Supersonic
Baabel, X X X X
Leïla Martial
Radio One, Airelle X X X X
Besson
Guillaume perret & the X X X X X X
electri epic, G.Perret

Toutes les formations traitant de ce répertoire, ou s’en inspirant, ne figurent pas

dans ces tableaux. Il s’agit simplement de mettre en évidence les convergences des

choix instrumentaux. Nous pouvons observer que les instruments de la section

rythmique demeurent traditionnellement les plus utilisés. Ces tableaux ne montrent pas

106
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.

95
le nombre de musiciens investis mais ils montrent en revanche que la plupart du temps

les choix instrumentaux sont assez élémentaires et à travers des formations relativement

restreinte. En dehors bien entendu des formations de certains musiciens de l’ONJ.

Bien que la question économique soit très actuelle et que la majorité du temps les

formations soient basiques, certains musiciens ne se sentent pas effrayés par l’ampleur

instrumentale que nécessite leur projet. On retrouve ainsi des types d’instrumentation

étonnants parfois très éloignés des codes traditionnels du jazz. Comme les tableaux le

montrent ci-dessus avec les projets Circles, Radio one et Baabel.

L’instrumentation et le rapport des instruments les uns aux autres restent

traditionnels. On distingue toujours une section rythmique ainsi qu’une ou plusieurs

voix principales.

 Section rythmique

Le jazz laisse traditionnellement les lignes de basse à des instruments comme la

contrebasse, la basse électrique ou bien encore l’orgue. Ces instruments sont

naturellement toujours mobilisés et demeurent incontournables lorsque l’arrangeur

choisi une instrumentation relativement proche d’un jazz traditionnel.

Or certaines des formations les plus importantes de France construisent une

identité singulière autour des claviers dirigés par ordinateur. Les sons choisis pour

reprendre le rôle de la basse sont assez proches de ce que l’on peut retrouver dans

l’électro et la pop. D’un point de vue pratique, le bassiste est substitué par le claviériste

qui assume la basse ainsi que l’harmonie. Comme cela se faisait déjà auparavant,

l’instrumentiste a, à porter de main, divers types de claviers pour satisfaire cette

96
demande. C’est notamment le cas de Tony Paeleman sur Circles ou de Benjamin

Moussay sur Radio one.

D’un autre côté, on retrouve toujours la basse électrique. Nous verrons par la suite

que la nature de cette ligne de basse change dans une certaine mesure au sein des

compositions et des arrangements.

La batterie acoustique demeure un instrument incontournable et reste omniprésent

au sein des arrangements de morceaux rock ainsi que dans les compositions. Son rôle

est central et fonctionne avec les autres instruments de la section rythmique. Le set est

par ailleurs parfois agrémenté de pads électroniques avec des sons générés par

ordinateur.

 Tigran Hamasyan, « Drip » extrait de l’album Shadow Theater.107

En ce qui concerne les instruments harmoniques, les claviers, comme la guitare

électrique, sont les instruments préférés pour ce type de répertoire. Il faut néanmoins

remarquer une chose assez atypique : sur scène on note que pour certaines formations

chaque musicien est en possession d’un clavier de 24 touches. Chacun participe ainsi un

tant soit peu au paysage sonore et harmonique. C’est notamment le cas pour le projet

Circles108 d’Anne Paceo.

107
Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique, claviers), Areni
Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini (Basse), Nate Wood (Batterie acoustique
et électronique), Ben Wendel (Saxophone tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier
Phillips (Violoncelle), CD, Verve Records 3742644, 2013.
108
Anne Paceo, Circles, Anne Paceo (Batterie, chant), Leïla Martial (Chant, laptop), Emile
Parisien (Saxophone), Tony Paeleman(Claviers), CD, Laborie jazz LJ35, 2016.

97
 Voix principales

Pour ce qui est des voix Lead, peu de choses réellement étonnantes non plus. On

retrouve les instruments traditionnels du jazz au-devant de la scène, notamment les

soufflants, trompettes et saxophones mais également la guitare et le piano.

Selon Gerhard Kubik109, le jazz est un genre plus instrumental que vocal. Ce qui

n’est pas totalement faux, même au regard des créations récentes pour plusieurs points.

On constate en réalité, tant dans les arrangements de pièces rock que dans les

compositions influencées par les musiques actuelles, une utilisation de la voix multiple

et utilisée sous tous les angles.

Le jazz est surtout une tradition instrumentale, en dépit de la présence de


chanteuses célèbres des années 1920 (Bessie Smith, Ma Rainey et autres stars du music-
hall qui chantaient le blues avec un orchestre de jazz) et jusqu’à Ella Fitzgerald, Billie
Holiday, Sarah Vaughan et d’autres.110

En dépit du fait que cet article ne fasse pas l’unanimité parmi les musicologues,

nous ne pouvons que constater que traditionnellement les formations de jazz sont belles

et bien majoritairement de caractère instrumentales. Même lorsque ces ensembles

intègrent un chant, la technique vocale tant vers l’instrumentalisation de la voix.

Les deux concepts, verbalisation d’une part, instrumentalisation de l’autre, ont

survécu dans le jazz, bien que dans un contexte différent, du scat d’Ella Fitzgerald au

109
KUBIK Gerhard, « Présence de la musique africaine dans le jazz », in Jean-Jacques Nattiez
(Eds), Musique. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Vol.1, Paris, Actes Sud, 2003.
110
ibidem, p.1216.

98
jungle style des trompettes en sourdine chez Duke Ellington, et jusqu’au nom même qui

fut donné à la nouvelle musique du début des années 1940, le be-bop.111

Naturellement la tradition du jazz nous évoque la notion de scat. Et en effet, la

technique est utilisée par les chanteurs de la scène française de façon relativement

traditionnelle. Comme l’explique simplement Médéric Collignon, le scat est une forme

de jazz vocal qui mobilisent des onomatopées à la place des paroles. 112 C’est Louis

Armstrong, dit Satchmo, qui aurait inventé et qui aurait, pour la première fois,

enregistré du scat. L’histoire veut que lors d’un enregistrement avec son Hot five, le 26

février 1926, Armstrong laisse tomber les paroles de Heebie Jeebies au sol. Plutôt que

de paniquer, ce dernier se lance dans une improvisation vocale. Cette version des faits,

bien que largement diffusée, trouve ses contradicteurs. Certains d’entre eux, datent

l’existence du scat et son développement avec la naissance et l’évolution du jazz. Les

instrumentistes improvisaient, les chanteurs

faisaient donc de même.

En somme, il s’agit d’une technique qui

tend à ce que la voix se rapproche de

l’instrument113. D’ailleurs pour corroborer cet

aspect, différentes méthodes de scat tendent à

ce que l’apprentissage se fasse par le chant de


Figure 29: Pochette album Baabel.
chorus instrumentaux.

111
KUBIK Gerhard, « Présence de la musique africaine dans le jazz », in Jean-Jacques Nattiez
(Eds), Musique. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Vol.1, Paris, Actes Sud, 2003, pp.1203-1235.
112
https://www.youtube.com/watch?v=IoiC-twgVoI, consulté le 1er Août 2017.
113
https://www.francemusique.fr/jazz/c-est-quoi-le-scat-30384 , consulté le 1er Août 2017.

99
En dehors de cette technique, les chanteurs, les chanteuses se réapproprient le

chant en yaourt. Ce type de chant, est singulier dans la mesure où il consiste à chanter

en produisant des sons, des onomatopées, des syllabes qui font penser à l’auditeur qu’il

s’agit d’une langue réelle. Comme on peut le deviner cette technique se rapproche d’une

vision plus vocale, bien que les sons choisis ne signifient rien, ils tendent malgré tout à

se rapprocher d’un discours fictif.

Où allez-vous chercher tous ces mots imaginaires que l'on entend lors de vos
improvisations ?
- Cela vient de mon goût pour l'imitation. Toute petite, j'adorais imiter les langues
étrangères. C'était une vraie passion chez moi. Je me souviens par exemple que si des
Anglais passaient à côté, je faisais mine de parler anglais... J'inventais des langues
étrangères, des conversations. C'est un truc qui m'est resté, et du coup, quand
j'improvisais, avec des mecs à la guitare qui plaquaient deux accords, j'avais toujours le
souci qu'on ait l'impression que c'était une chanson dans une autre langue. Le scat, ça ne
m'intéresse pas vraiment, les "hou la dou hi didi hou", c'est hyper typé. J'ai envie qu'on
ait l'impression que je dis quelque chose, en fait. Avec des mots. Mon improvisation,
c'était ça : faire croire que je faisais des chansons connues avec des mots qui n'existent
pas. On me disait : "Ah ouais ! C'est quoi, cette chanson ?" Je ne parle ni l'anglais, ni
l'espagnol couramment. Mais les langues imaginaires, le yaourt (chanter en imitant la
sonorité d'une langue, ndlr), j'ai toujours adoré !114

On retrouve également le chant traditionnel dans ses compositions jazz

influencées par les musiques actuelles. Les compositions ainsi que les arrangements de

standards du rock sont parfois chantés pour ce qu’ils sont à l’origine, des chansons

accompagnées.

Question : Une question plus pratique. Dans ce répertoire-là, il y a beaucoup


d’artistes de renommée internationale ou non, qui s’affranchissent du chanteur. Ils
arrangent cette musique de façon à ce qu’elle soit instrumentale. Pourquoi conserver
cette dimension ? Était-ce pour rendre le projet plus accessible à un large public ?
David Chevallier : Non ce n’était pas dans cette optique. Souvent dans les projets
que je fais, il y a une conjonction d’envies qui se retrouvent. Pour cet album, il y a :
l’idée de travailler sur ce répertoire, l’envie que j’avais depuis des années de travailler
avec David Linx. Puisque je m’étais dit que j’allais pas mal déstructurer les chansons et
que l’orchestration serait très éloignée de l’originale, j’ai pensé qu’il était pas mal que
cela reste chanté, de sorte à ce que le répertoire ne soit pas un prétexte. Il s’agit avant

114
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/electro/rencontre-avec-leila-martial-nouvelle-voix-du-
jazz-esprit-tres-rock-102801, consulté le 14 Août 2017.

100
tout de chansons, et je souhaitais qu’elles le restent et que l’habillage, l’arrangement,
nous amène vraiment ailleurs. Pour moi mon projet avait plus de sens si je conservais la
voix. Entretien avec David Chevallier à propos de son album Is that pop music !?115

Dans le rock ou bien encore dans la pop et dans les musiques actuelles en général,

l’utilisation de la voix est plus vocale qu’instrumentale. Elle peut-être rappée (c’est la

technique d’improvisation choisie par Leïla Martial pour le solo de « Toundra »,

Circles), parlée à travers la récitation d’une poésie (« Je bèle donc je suis », Leïla

Martial, Baabel), ou bien murmurée (« Baabel2 » Leïla Martial, Baabel).

En somme, il faut saisir l’importance accordé aux instruments comme les claviers

dirigés par ordinateurs. L’électronique devient un véritable moyen d’opérer une sorte

d’hybridation avec les instruments traditionnels du jazz. Comme on peut le remarquer à

travers les pièces suivantes :

 « Radio one » issu de l’album du même nom116, par Airelle Besson.

 « Baabel 2 » de l’album Baabel117, de Leïla Martial

 « Toundra », issu de l’album Circles118 d’Anne Paceo.

115
David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald Chevillon (Basse),
David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot (Saxophone), Denis Charolles
(Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.
116
Airelle Besson, Radio One, Airelle Besson (Trompette), Isabel Sörling (Chant), Benjamin
Moussay (Piano, claviers), Fabrice Moreau (Batterie), CD, Naive NJ 625911, 2016.
117
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
118
Anne Paceo, Circles, Anne Paceo (Batterie, chant), Leïla Martial (Chant, laptop), Emile
Parisien (Saxophone), Tony Paeleman(Claviers), CD, Laborie jazz LJ35, 2016.

101
3.2.2 Le temps de l’arrangement/de la composition

A propos de l’arrangement :

On pourrait dans un premier temps définir l’arrangement comme l’opération par


laquelle on passe d’un matériau de départ (le plus souvent la composition) dans son état
virtuel à sa manifestation musicale sonore. Au moment de l’écoute, les deux états -
matériau de départ et résultat arrangé - sont confondus dans l’audition. Un arrangement
peut certes être écrit, mais il peut être aussi fixé sans le passage par l’écriture : C’est
l’arrangement de tête (head arrangement).119

3.2.2.1 Le studio et le processus de composition/arrangement

Comme dans de nombreux genres musicaux, le rôle du studio et des outils qu’il

implique a une importance croissante ces dernières décennies. Bien-sûr,

l’enregistrement est intimement lié à la notion d’œuvre dans le rock et sans doute aussi

dans le jazz.

Dans le cadre des productions de


musiques actuelles, le studio d’enregistrement
est un lieu d’un intérêt capital dans l’élaboration
du projet artistique. Comme le fait remarquer
Simon Frith dans la citation d’introduction, il est
un espace de coopération, de coaction entre
différents acteurs de la réalisation, qu’ils soient
interprètes, compositeurs, arrangeurs ou encore
ingénieurs du son. Il s’agit du creuset où les
perspectives de ces acteurs se rencontrent pour
élaborer un produit sonore singulier. C’est à cet
endroit que l’œuvre trouve sa mise en matière
sonore (Deveney, 2014) avant sa présentation à
un public.120

Figure 30: Pochette album Bitches brew.

En somme, l’auteur insiste sur le caractère déterminant de l’instrument que

constitue le studio dans l’œuvre musicale issue des musiques actuelles. Il s’agit d’un

119
CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, pp.109-110.
120
DEVENEY Guillaume, « Le studio d'enregistrement comme laboratoire du son », in Costantino
Maeder, Mark Reybrouck (Eds), Sémiotique et vécu musical : du sens à l’expérience, de l’expérience au
sens, Louvain, Leuven University Press, 2016, pp.143-154.

102
outil, mais plus encore d’un lieu dans lequel les esprits contribuent à la finalisation de

l’œuvre.

Dans le jazz, quel que soit les esthétiques, les mouvances, l’enregistrement n’a

cessé de prendre une place de plus en plus importante. Il devient ainsi d’autant plus

déterminant ces dernières décennies grâce aux résultats qu’il permet.

Cette utilisation du studio n’est d’ailleurs pas si récente que ça dans le monde du

jazz. L’album Bitches brew121 de Miles Davis, mobilise déjà dès 1969 les outils du

studio afin de créer un objet final qui est assez éloigné de l’enregistrement initial. A

noter de plus que la période à laquelle on rattache l’esthétique de cet album est le jazz-

rock. En somme, il ne s’agit pas d’une coïncidence puisque le jazz s’est déjà jusqu’alors

adapter aux environnements au sein desquels il a été confronté.

On a fait un an et demi de post production avant d’avoir quelque chose qui nous
plaisait. Ce qui était sortie du premier jet, ne me plaisait pas trop, c’était trop la jam
session, trop le bœuf, il fallait faire quelque chose de différent. Parfois j’ai fait toutes les
voix en Re recording, j’ai refait des solos de sax, il y a eu un boulot de malade.
Entretien avec Pierrick Pédron

En réalité, c’est bien ici que l’on peut distinguer l’objet « enregistrement » en tant

qu’œuvre avec la dimension du live (enregistrée ou non). Toujours lié au contexte

économique que l’on connait, les programmateurs ne prennent plus de risques. Les

artistes se retrouvent confrontés à une dure réalité d’un projet impossible à restituer

avec des arrangements d’origines, irréalisable d’un point de vue financier. C’est

121
Miles Davis, Bitches Brew, Wayne Shorter (Saxophone), Bennie Maupin (Clarinette bass), Joe
Zawinul (Piano électrique), Larry Young (Piano électrique), Chick Corea (Claviers), John McLaughlin
(Guitare), Dave Holland (Basse), Harvey Brooks (Basse électrique), Lenny White (Basse), Jack
DeJohnette (Batterie), Don Alias (Congas), Jumma Santos (Congas), CD, Columbia C2K 65774,
(enregistrement 1969) remaster 1999).

103
pourquoi le live nécessite des arrangements et des adaptations importantes afin de

vendre le projet d’origine, dans la mesure où il trouve acheteur.

On ne peut pas dire que ce que je fais est très aseptisé. Donc si tu veux, il y a un
monde entre ce que font les organisateurs de spectacle et la manière dont j’envisage les
choses. Les organisateurs en général ne prennent pas de risques. Ces projets-là ne sont
pas des projets qui rentrent dans le moule. On a fait le choix de faire un truc très
produit, ça nous a été beaucoup reproché d’ailleurs. Entretien Pierrick Pédron

Ce qui prouve bien la mesure de l’importance du travail de studio au centre même

de la notion d’arrangement et de composition. Le studio devient un outil de composition

à part entière qui permet d’influencer la composition sur sa texture mais aussi sur sa

forme ou sur d’autres paramètres musicaux.

L’ingénieur son devient dès lors, dans ce type de projet, un complice de l’œuvre

tant en studio qu’en live puisque maintenant certaines formations ne se déplacent pas

sans leur ingénieur son. La gestion du son devient par conséquent un enjeu central et

déterminant pour le rendu de l’œuvre.

Ça a été un travail colossale, deux ans de boulot, je ne sais pas combien de mix
j’ai refusé. Ca été un tel boulot que je me suis dit que j’allais me calmer un peu ensuite.
Quand on fait un album on fait aussi confiance à l’ingé son qui va te donner sa patte
sonore. Entretien Pierrick Pédron

- Qu’est-ce qui a pris autant de temps ?


- On a cherché des sons en studio. On enregistrait, on réécoutait, je prenais du
recul, et le soir-même ou le lendemain, je disais par exemple : "Là, il faudrait rajouter
tel type de clavier…" Je devais expliquer avec précision ce que je cherchais. On a
travaillé au niveau de la patte sonore, on a rajouté des voix… Et plus tard, on a pris
énormément de temps pour mixer. Dans la pop, le mixage est primordial. Ça a été
d'autant plus long qu’entre-temps, le label avait coulé, avant de finalement se sortir
d’affaire. Avec l’ingénieur du son, on s’est dit : "On ne lâche pas, on avance." On a
travaillé une semaine, puis j’ai réécouté, j’ai pointé les choses dont je n’étais pas tout à
fait satisfaite, alors l'ingé-son m’a fait des propositions. Le travail de mixage s’est
échelonné sur sept mois. On a travaillé chaque son, chaque morceau, traité les
instruments différemment, mis des effets. Je sais qu’aujourd’hui, je ne pourrais plus agir
différemment. En découvrant le résultat final, j’étais très contente. Ce qui a joué le plus

104
dans "Circles", c’est une conscience du son, du travail de groupe, du travail de la
texture, afin d'habiller au mieux les morceaux.122

3.2.2.2 Le langage musical

 La composition : Point de départ.

Comme expliqué en début de partie, la composition n’est pas une fin en soi pour

définir l’œuvre de jazz. Elle est un point de départ quel que soit la forme qu’elle prend.

Malgré les quelques esquisses récupérées, notre étude est majoritairement lacunaire.

Nous ne pouvons que présumer de ce qu’elle représente. A l’écoute d’un standard de

jazz, et malgré les versions, on suppose une forme, des enchainements harmoniques

caractéristiques qui permettent sans la composition écrite de pouvoir la supposer. C’est

en tout cas principalement à partir de l’œuvre que représente l‘enregistrement que notre

analyse sera effectuée.

Malgré les différences pourtant très manifestent qu’il peut y avoir entre ces

artistes de la scène du jazz français, on retrouve un certain nombre de caractéristiques

récurrentes.

 Des structures complexes

Bien que dans le chapitre 2 nous ayons vu que globalement la forme de la pièce et

des thèmes étaient relativement simple, on constate que dans le cadre de leurs créations

ces musiciens ne se cantonnent plus à une structure aussi lisible. Au contraire, les

éléments thématiques complexes, les improvisations qui font office de thèmes, tendent à

122
http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/victoires-du-jazz/anne-paceo-circles-les-
voyages-sonores-d-une-batteuse-241091, consulté le 14 Août 2017.

105
camoufler la forme. Il faut de plus ajouter que les éléments thématiques ne reviennent

pas toujours. Plutôt que de proposer une forme dans laquelle on retrouve une exposition

et une réexposition, on a une forme qui se rapproche de la rhapsodie et qui est donc

assez libre.

o « Baabel 2 », de l’album Baabel, par Leïla Martial123

Sections Temps (en seconde)

 Intro libre  0’00 - 0’42

 A  0’43 - 1’28

(improvisation)

 B  1’29 - 2’29

(improvisation)

 C  2’30 - 2’50

 D  2’51 – 4’42

 Outro  4’43 – fin

o « Ombilic » de l’album Baabel124, de Leïla Martial.

Sections Temps (en seconde)

 Intro  0’00 – 0’53

 A  0’54 – 1’58

123
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.
124
Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare, chant), Eric
Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz LJ39, 2016.

106
 Pont  1’59 – 2’14

 B  2’15 – 3’06

 Solo collectif  3’07 – 4’04

 C  4’05 – 4’40

 D  4’41 – 6’02

 Outro  6’03 - fin

En dehors de ces formes, d’autres artistes optent pour des structures plus simples

parfois à l’image des grandes formes du jazz ou bien des formes adoptées par la pop.

 Section rythmique

On pourrait encore imaginer que cette mobilisation des musiques actuelles se

ferait par le biais des caractéristiques rythmiques du jazz, or les plus représentatives

d’entre elles sont là encore mises de côté. C’est notamment le cas pour le duo basse

batterie. A la batterie, on abandonne dans une très grande majorité des cas le chabada

traditionnel au profit d’un jeu plus moderne et binaire. Le pattern de base est néanmoins

souvent emprunté au rock.

Figure 31 : Pattern batterie typique

107
Il est assez rare de le retrouver exposé sous cette forme, souvent il est retravaillé

comme à travers les exemples ci-dessous :

Figure 32: Extrait « PP song tree » album And the, P.Pédron, batterie, 0'00 à 0'25.

Figure 33: Extrait « Smile » album Baabel, L.Martial, batterie, 4'48 à 4'52.

Figure 34: Extrait « Red walk » album Doppler, Host, Batterie pattern.

A la basse également, le traitement de l’instrument n’est pas traditionnel et est

plus symptomatique d’une pratique rock ou issue des musiques modales (world ou jazz

modal). La basse rock est stigmatisée par un jeu qui marque le débit de croches des

fondamentales d’une harmonie répétitive. Dans l’autre cas, il s’agit plus de patterns

caractéristiques qui soulignent une harmonie de caractère relativement statique et qui

laisse par ailleurs beaucoup d’espace.

108
Figure 35: Extrait « PP song tree », album And the, P.Pédron, piano, 2'53 à 3'53.

Figure 36: Extrait « Smile » album Baabel, L.Martial, Basse.

On note deux types de création. Certains projets se distinguent par la simplicité

de leur écriture avec des métriques traditionnelles en 4/4. D’autres en revanche se

distinguent par des structures plus complexes et des changements de métrique fréquents.

Bien que nous ne relevions que peu de pièces au-dessus des 10 minutes, cette

caractéristique rapproche ces compositions du répertoire des musiques progressives.

Exemple:

109
Figure 37: Extrait « Baabel2 » album Baabel, L.Martial, Guitare, 0'42 à 1'18.

Nous pouvons ajouter que lorsqu’ils ne sont pas improvisés, les thèmes sont de

nature assez simple et parfois répétitive. Ils sont faciles à retenir.

Exemple:

Figure 38: Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, Chant, 2'25 à 3'42.

110
 Dimension harmonique

Le tout est de comprendre que le répertoire mobilisé par le jazz est intimement lié

aux compositions des jazzmen dans certains cas. Bon nombre de compositions de jazz

sont écrites à partir de pièces qui ne sont pas relatives au jazz. Le jazzman s’approprie la

grille harmonique d’une pièce en question et construit un thème à partir de cette

dernière, il s’agit en jazz de ce que l’on appelle un head. S’approprier le répertoire de la

comédie musicale des années 30 a même permis au jazz de se familiariser avec un

langage plus complexe dans la composition comme dans les arrangements. Pour cela les

musiciens se sont familiarisés avec les progressions harmoniques caractéristiques, après

quoi ce langage a pu être assimilé au sein même du discours improvisé. Il s’agit d’un

changement profond et fondamental dans l’histoire du jazz dans la mesure où ce

langage harmonique est présent et marqué par des phrases mélodiques caractéristiques.

Ces grilles harmoniques subissent elles-mêmes des « améliorations » de la part des

jazzmen qui complexifient la grille d’origine à partir de concepts harmoniques.

L’exemple le plus connu de ces head est celui que constitue « I got rhythm » de

Gershwin. Cette grille constitue la base de ce qui est connu en jazz comme la forme

anatole au même titre que le blues.

111
Grille harmonique de « I got rhythm » :

Bb6 G-7 C-7 F7 Bb6 G-7 C-7 F7

Bb6 G-7 C-7 F7 C-7 F7 Bb6

Bb6 G-7 C-7 F7 Bb6 G-7 C-7 F7

Bb6 G-7 C-7 F7 C-7 F7 Bb6

D7 D7 G7 G7

C7 C7 F7 F7

Bb6 G-7 C-7 F7 Bb6 G-7 C-7 F7

Bb6 G-7 C-7 F7 C-7 F7 Bb6

A partir de cette grille constituée de quatre parties (AABA), de nombreux

musiciens se servent de ce cadre pour écrire. On relève par exemple, « Oleo »,

« Celia », « Moose the Mouch », etc…

112
Grille harmonique d « Anthropology » :

Bb6 C-7 F7 Bb6 G-7 C-7 F7

F-7 Bb7 Eb7 Ab7 D-7 G7 C-7 F7

Bb6 C-7 F7 Bb6 G-7 C-7 F7

F-7 Bb7 Eb7 Ab7 C-7 F7 Bb6

D7 D7 G7 G7

C7 C7 F7 F7

Bb6 C-7 F7 Bb6 G-7 C-7 F7

F-7 Bb7 Eb7 Ab7 C-7 F7 Bb6

Si l’anatole constitue l’exemple le plus flagrant de ce type de procédé

d’appropriation, il existe d’autres pièces qui reprennent des grilles.

Le procédé est tellement courant que même entre les compositions de jazzman

elles-mêmes on retrouve cet aspect.

113
Grille de « Tune up » :

A1

E-7 A7 DΔ DΔ

D-7 G7 CΔ CΔ

C-7 F7 BbΔ BbΔ

E-7 F7 BbΔ A7

A2

E-7 A7 DΔ DΔ

D-7 G7 CΔ CΔ

C-7 F7 BbΔ BbΔ

E-7 A7 DΔ DΔ

John Coltrane s’appropriera cette grille à travers une réharmonisation qui mobilise

les Coltrane changes.

114
Grille harmonique de « Countdown » :

E-7 F7 BbΔ Db7 GbΔ A7 DΔ

D-7 Eb7 AbΔ B7 EΔ G7 CΔ

C-7 Db7 GbΔ A7 DΔ F7 BbΔ

E-7 F7 BbΔ Eb7

On note qu’à travers les créations des jazzmen français actuels, ces principes de

composition, de réappropriation, ne sont pas mobilisés de la même façon. Il est possible

de suggérer aussi que le cas ne s’est jamais présenté à l’écoute.

Pour construire leurs morceaux les jazzmen structurent leurs thèmes ou certaines

de leurs parties sur des cellules harmoniques répétitives qui ne sont pas

traditionnellement caractéristiques du jazz. Comme on peut le constater avec la cellule

ci-dessous qui clôture « Elise » issu de l’album And the125 de Pierrick Pédron.

Exemple : L’enchainement harmonique chromatique de « Elise » :

4/4 G Gb F E

On retrouve également des enchainements harmoniques qui sous entendent un

contexte modal.

125
Pierrick Pédron, And the, Pierrick Pédron (Saxophone), Damon Brown (trompette), Marja
Burchard et Vincent Artaud (Claviers), Jérôme Fanioul (Xylophone), Julien Herné et Tomi Simatupang
(Contrebasse), Bernd Oezsevim (Batterie), Chris De Pauw et Jan Weissenfeldt (Guitare), Didac Ruiz
(Percussions), CD, Jazz village JV 570097, 2016.

115
Exemple : Mode éolien Yaron Herman, « Jacob »126 extrait du live à Vienne en 2017.

(de la minute 19’55 à 21’20.)

4/4 C# - A G#-

Majoritairement, ce que l’on retrouve ne se manifeste qu’à une échelle plus petite. Dans

le chapitre 2, nous avons souligné le fait que des cellules harmoniques répétitives

étaient la nouvelle mesure de la structuration du discours improvisé.

3.2.3 Le langage de l’improvisation

 Langage virtuose et simple.

o Gammes et modes

Tout comme dans notre chapitre 2 on constate ici que le langage de

l’improvisation jazz est une fois de plus mobilisé. Peu importe le matériau sur lequel le

musicien improvise, il est adapté à un langage harmonique qui est emprunté aux

musiques actuelles. Mais la façon d’improviser semble là encore être de tradition jazz et

non pas nécessairement issue des musiques actuelles. On note malgré tout la tendance à

un contexte modal ce qui leur permet d’utiliser tout un réservoir de modes sur un même

matériau.

126
https://www.youtube.com/watch?v=DIu5hRFB03Y&t=1298s, consulté le 14 Août 2017.

116
Exemple :

Figure 39: Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, saxophone, 2'08 à 2'25.

Cet extrait nous fait remarquer l’utilisation des chromatismes caractéristiques

pour développer des phrases de type jazz. Tout comme on retrouve des chromatismes

dans les phrases de Charlie Parker. Ils servent tant pour approcher les notes cibles que

pour déstabiliser l’auditeur par des phrases tortueuses.

Mais le langage de l’improvisation se distingue également par le paradoxe d’une

virtuosité au langage simple. En effet, si les chromatismes sont biens présents dans le

langage, on ne peut s’empêcher de constater la simplicité des mélodies, des motifs lors

du discours improvisé. Pour cela, le soliste développe son solo en restant dans le

contexte diatonique.

Exemple :

Figure 40 Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, saxophone, 1'51 à 2'07.

117
En dernier lieu, nous pouvons mentionner l’utilisation intentionnelle des micros

intervalles souvent au saxophone ou au chant :

Figure 41: Extrait « Sunshine » album Circles, A.Paceo, saxophone, 1'34 à 1'43.

o Section rythmique

L’harmonie jazz est codifiée autour de pratiques standardisées. Il s’agit d’un des

éléments les plus caractéristiques du jazz. Si l’on observe ces spécificités auprès d’une

performance tout ce qu’il y a de plus typique, le piano ou la guitare, accompagne le

thème ainsi que les chorus en plaquant les harmonies. Le thème est accompagné par une

grille, ou sa réharmonisation, sur des placements rythmiques significatifs parfois

minimalistes.

Figure 42: Extrait « PP song tree » album And the, P.Pédron, Piano, 2'54 à 3’21.

118
Dans un contexte typé du jazz modal, l’accompagnement exploite généralement

les triades, les tétrades d’un mode que l’instrumentiste superpose à une basse obstinée.

Cette basse est la tonique sur laquelle les musiciens travaillent la couleur modale. Le

placement rythmique est par ailleurs semblable à ce que nous avons vu précédemment.

Cette singularité est moins présente au sein des projets sur lesquels l’analyse se

fonde. A ce style d’accompagnement succède ici quelque chose de moins rythmique et

de plus régulier. On le retrouve sous plusieurs formes :

 L’harmonie peut-être arpégée, comme en jazz bien que ce soit

moins fréquent.

 A la guitare, on retrouve un traitement assez particulier des

accords. La guitare jazz a également ses traditions, notamment

en ce qui concerne les techniques de jeu. Les accords sont

généralement attaqués aux doigts. Lorsque ce n’est pas le cas,

ils peuvent être plaqués au médiator, mais on évite au mieux

les allers-retours, contrairement au rock, à la pop, le métal,

etc… Dans cette pratique de la tradition de la guitare jazz, il y

a une certaine idée de ce que doit être le son jazz. Pour

répondre à cette exigence les techniques instrumentales, les

instruments s’adaptent. C’est pourquoi on retrouve encore

aujourd’hui des demi-caisses dans le jazz.

119
La musique dont nous parlons s’affranchie de ces codes et

emprunte ce qu’il lui faut pour se forger un son qui est sans

conteste issu des musiques actuelles.

Exemples :

Figure 43: Extrait "Baabel2" album Baabel, L.Martial, 1'43 à 1'59.

Figure 44: Extrait « Baabel2 » album Baabel, L. Martial, guitare, 0'42 à1'18.

120
Exemple rythmique funk :

Figure 45: Extrait « Clock road » album And the de P.Pédron, guitare,0'00 à 0'07.

Avec une aussi importante production studio, la dimension scénique n’envisage

pas de reproduire les pièces telles qu’elles sont présentées sur CD. En dehors des plages

d’improvisation, qui sont naturellement établies pour laisser place à un moment de

création en temps réel, ce sont les arrangements fondamentaux qui sont remis en

question, parfois à chaque représentation. En effet, différents paramètres centraux font

régulièrement l’objet de relectures de la part des musiciens lors de la scène.

En jazz et quelques fois en rock, les parties d’accompagnement sont de nature

indéterminée, bien que l’on retrouve régulièrement les mêmes tournures (substitutions

harmoniques, rythmes syncopés, etc…). Néanmoins à travers les projets de composition

de la scène française, c’est parfois le caractère de l’accompagnement qui est

radicalement improvisé sur le moment en substituant un débit à la double à une valeur

plus longue.

Exemple :

121
Figure 46: Extrait « Toundra », album Circles, A.Paceo, clavier et rhodes, 2’20 à 2’32.

Figure 47: Extrait « Toundra », live jazz sous les pommier, A.Paceo, clavier, 26’34 à 27’03.

 Forme et improvisation

En dépit du fait que nous ayons pu voir que l’intérêt des musiciens de jazz

pouvait avoir avec des formes simples telles que couplet/refrain, certains d’entre eux se

réservent le droit de proposer des choses plus atypiques avec des formes plus

développées. Nous venons de le voir, ces formes complexes ne vont pas sans rappeler

celles employées dans le rock progressif.

122
Si ces pièces trouvent une certaine forme pour l’enregistrement studio, les

enregistrements live font parvenir un fait qui est aussi étonnant pour ce répertoire. En

effet, la forme est vouée à être modifié lors de la performance. Les musiciens s’adaptent

à ces changements par de nouvelles transitions (types d’accompagnement, nuances,

etc…). L’œuvre d’origine est ainsi sans cesse revisitée en profondeur lors de certains

concerts. La réappropriation est permanente. Les cellules harmoniques dont nous avons

jusqu’à présent parlé sont ici aussi réutilisées pour définir le cadre de l’improvisation

qui n’est pas restreint à une forme caractéristique du jazz (AABA de 32 mesures, etc…).

On retrouve ainsi des parties entières interverties avec d’autres, tout en y

intégrant des sections parfois entièrement improvisées ce qui est le cas dans beaucoup

de pièces de Leïla Martial.

 Langage du son et des effets.

Le chapitre 2 insistait sur le rôle des nouvelles technologies, du studio et des

effets dans l’appropriation du rock. Or dans les projets de création également, les effets

prennent une place assez spéciale. En effet, la texture est utilisée comme d’un outil pour

gérer la forme du discours. Ce qui est toujours le cas à travers les pièces de la scène

française dont nous parlons. Nous ne reviendrons pas sur le studio qui a déjà été traité.

En revanche, il est intéressant de mentionner les pedalboard grandissant qui intègre la

scène aux pieds des soufflants, c’est notamment le cas de Guillaume Perret. Grâce aux

fonctionnalités de ses pédales, looper, octaver, etc… Il peut proposer des pièces et des

123
concerts à lui seul.127 Pour cela l’amplification est bien entendu indispensable. Il adapte

ainsi les sonorités de son instrument à des textures plus actuelles. Encore une fois grâce

à l’utilisation progressive de ces effets, l’improvisateur développe un discours conduit

par la notion de tension/ résolution.

127
https://www.youtube.com/watch?v=evA8H9QIOkE&t=1316s, consulté le 14 Août.

124
CONCLUSION :

Avec l’effet de la mondialisation, il n’y a plus vraiment lieu de parler de New-

York comme étant le centre de toutes les pratiques du jazz. La ville reste bien entendu

naturellement centrale pour diverses raisons, notamment par son histoire, mais des lieux

de création tout aussi prolifiques sont maintenant parfois loin de cette capitale du jazz.

Dans certains documentaires vidéo spécialisés128, on considère ces pôles de créations

comme si ils étaient d’égales importances à New-York. Les musiciens de jazz, bien que

rattachés à une scène ou à une ville en particulier réalisent des projets avec des

musiciens qui viennent du monde entier. Les métissages ont lieux aujourd’hui par ce

premier biais.

Ces artistes, sont aujourd’hui issus de différentes parties du monde, d’Israël,

d’Italie, du Danemark, de la Suède, avec des personnalités comme Yaron Herman,

Gilad Hekselman, Morten Schantz, Klas-Henrik Hörngren, etc. Les esthétiques, les

traditions se mélangent au jazz par des procédés et des pratiques qui semblent avoir

toujours eu lieu au sein de ce genre. Le jazz donne vit à une multitude de projets aussi

différents les uns que les autres puisque la notion d’individualité et d’originalité est de

plus en plus importante. Et bien que l’on pourrait imaginer que ces individus créent de

leur seul génie et sans aucune influence, il n’en est rien. Au contraire, ces influences

sont mêmes revendiquées, et en dépit du fait que tous n’estiment pas de la même façon

ces influences, elles sont malgré tout bien présentes dans les œuvres.

128
Mathieu Mastin, Jazzed out Switzerland, diffusion le 5 Août 2017 sur Mezzo, prod. KIDAM.
Mathieu Mastin, Jazzed out Tokyo, diffusion le 15 Juin 2013, prod. KIDAM, disponible sur
http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.
Mathieu Mastin, Jazzed out Berlin, prod. KIDAM, disponible sur
http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.

125
C’est particulièrement le cas chez les musiciens de la scène du jazz français et

leurs projets. Il a été préférable d’attacher notre regard à une scène plutôt qu’à un artiste

afin de pouvoir saisir qu’il s’agit bien d’un phénomène partagé par l’ensemble des

musiciens. Malgré des pratiques parfois hétérogènes et le contexte peint jusqu’ici, on

constate un certain degré de convergence en ce qui concerne le fonctionnement des

pièces étudiées. Paradoxalement avec le contexte post-moderne qui a été peint au début

de ce travail, on note qu’une grande part des artistes du jazz européen partagent un

ensemble de points communs. Comme toujours quelques-uns sont en marge de toute

similarité.

Ainsi, de nos jours, sans conteste, et au regard de son passé, le jazz s’empare des

musiques actuelles pour se renouveler. Il ne s’agit pas d’une révolution, parce que

finalement d’un point de vue du langage peu de choses sont nouvelles. Ce n’est par

conséquent pas non plus une avant-garde, parce qu’il ne s’agit pas d’être à la pointe de

la technique. Les outils qui servent ici la création jazz ne sont pas nouveaux. Il est plutôt

question de remobiliser des fonctionnements et des pratiques pour faire survivre le jazz.

C’est pour cette raison qu’il a été important de travailler sur une scène et non pas

sur un seul artiste afin de montrer qu’il s’agit bien d’une tendance majeure.

 Des musiciens polyvalents

Pourquoi les « musiques actuelles » ? (qu’est qui attire les musiciens de jazz dans le

rock ?) Tout au long de notre premier chapitre nous avons pu constater que pour la

plupart des musiciens de jazz actuels, nous avions à faire à des instrumentistes issus des

musiques actuelles. Par ailleurs, fréquemment du rock et de la pop. Leur formation jazz

les a conduits à se perfectionner tant d’un point de vue du langage musical que d’un

126
point de vue instrumental. C’est ce qui nous a permis d’aborder la notion de musique

sérieuse et musique non sérieuse. Le jazz étant une sorte de chemin intermédiaire entre

ces deux conceptions. Ces musiciens, en voie de reconnaissance, s’approprient l’univers

du jazz pour différentes raisons, en dehors de la dimension sociale précédemment

évoquée. Parmi ces raisons, certains d’entre eux évoquent leur lassitude pour le rock, ils

se tournent alors vers le jazz qui offre plus de possibilités, plus de place à l’instrument.

Bien qu’une part de ces musiciens se retirent de ce terrain, d’autres y reviennent pour

exploiter les caractéristiques intrinsèques de cette musique en les intégrants dans le jazz.

 Un ticket d’entrée pour le monde du jazz

Tout comme dans les années 70 avec le jazz-rock, s’approprier cette musique est

un moyen de retourner vers un public plus large et surtout plus jeune. S’agit-il pour

autant d’une intention démagogique ? Non, pas vraiment, il faut surtout voir que ces

musiciens venant du rock, n’ont jamais réellement lâché l’affaire. Il suffit d’observer la

discographie et les projets de certains d’entre eux. On s’aperçoit que la plupart de leurs

projets soit sont entièrement dédiés à cet univers soit s’y rapporte un tant soit peu.

Les musiciens de jazz des années 30 se sont emparés de la comédie musicale en

partie parce qu’ils y voyaient là un support favorable sur lequel projeter leur musique.

Dans mon introduction, j’invitais le lecteur à partager l’inquiétude que l’on pourrait

avoir en observant que de nouveaux standards ont du mal à s’imposer. Or le nouveau

support que les musiciens de jazz s’approprient semble être un terrain propice à leur

expression. Il est en vérité déjà partagé par une majorité des plus grands artistes, en

France et dans le monde.

 La standardisation du rock et des musiques actuelles

127
Le monde du jazz, a une tradition et une histoire qui pèse à tous les niveaux, du

simple amateur au professionnel (journaliste spécialisé, musicien, etc…). S’approprier

un répertoire et mélanger son esthétique avec une culture quelconque a toujours fait

partie de son histoire profonde. Ses pratiques, sont des codes qui favorisent justement

n’importe quel type d’appropriation, de telle sorte que lorsque le jazz s’empare du rock

on constate un véritable phénomène de standardisation.

Lorsqu’un jazzman propose une performance d’un standard comme « All the

things you are », il part d’une composition qui ne révèle pas le caractère l’œuvre jazz.

Cette partition est un point de départ qui fournit le matériau de base à partir duquel les

artistes projettent leur vision de l’œuvre.

La composition rock est de nature volatile, comme en jazz parfois non écrit,

orale, etc. Son langage est souvent restreint dans la mélodie, le rythme ou encore

l’harmonie. Tout comme un standard quelconque, cette base est un texte propice à

réappropriation. Les possibilités sont bien sûr conséquentes tant en ce qui concerne la

réharmonisation, l’utilisation de polyrythmie, de métrique différentes, les

improvisations modales, etc…

Mais on constate que dans la majorité des cas, les musiciens se dirigent vers une

certaine proximité avec le texte d’origine lorsqu’ils reprennent le répertoire du rock ou

de la pop par exemple. Les thèmes sont présentés à travers la vision de l’improvisateur

qui le déforme par le biais du rythme, de la paraphrase, etc.

Bien que l’on note des réappropriations harmoniques, force est de constater la

revendication d’un langage simple et épuré. Le son devient un enjeu déterminant de

l’arrangement et du discours improvisé. En concert il est traité grâce à l’ingénieur son

qui accompagne souvent la formation à laquelle il est rattaché. Nous pouvons de plus

128
ajouter que les effets sont des outils qui favorisent cette gestion du son et la direction du

chorus. Mais ce travail s’effectue différemment en studio pour travailler une autre

dimension de l’œuvre jazz. Les possibilités ne sont pas les mêmes de par la nature

intrinsèque de ce type d’enregistrement qui n’est pas un enregistrement témoin. Les

albums jazz de ces musiciens sont travaillés, ils intègrent l’ingénieur son parfois, selon

certains, au même titre qu’un musicien. Car encore une fois le son (au sens large) est

une caractéristique de l’œuvre.

Redéfinir la sonorité du jazz les musiciens passe aussi par un changement

d’instrumentation. On a vu que dans le jazz de façon général, peu importe la formation,

interpréter un standard ne doit poser aucun problème. Pourtant, pour ce qui concerne la

réappropriation du répertoire rock, les choix instrumentaux ne sont pas particulièrement

étonnant, ni si éloignés du jazz. Dans les compositions, des choix instrumentaux sont

plus surprenants et se rapprochent davantage d’un son actuel grâce à des claviers

numériques pilotés par ordinateur.

Les techniques de jeu sont assez représentatives de l’appropriation notamment en

ce qui concerne la section rythmique. On retient ainsi une musique majoritairement

binaire sur laquelle les patterns de batterie et de basse sont caractéristiques. La

technique guitaristique jazz est aussi détournée vers des techniques plus communément

appropriée au rock.

Le jazz a ses formes caractéristiques et traditionnelles, ici on semble repérer des

microstructures harmoniques de 2 à 4 mesures, généralement qui deviennent le point de

repère dans l’improvisation et non plus forcément des structures entières de 32 mesures

129
AABA ou AA’. Par ailleurs, une exposition de thème n’est plus une référence formelle

pour cadrer le chorus.

L’influence qu’ont les musiques actuelles sur le jazz touche tant cette

appropriation des standards du rock que les œuvres du jazz. Mais s’approprier les

musiques actuelles dans le jazz ne se fait pas sans le bagage de la tradition, comme nous

l’avons montré à de nombreuses reprises.

On ne peut qu’en conclure que si ces changements sont effectués avec mesure,

c’est que malgré tout, l’identité de l’œuvre de base et donc une part de son langage, est

un terrain favorable et fécond pour l’expression de ces musiciens. Ils trouvent pour ainsi

dire dans ces compositions quelque chose qui leur permet de s’exprimer.

En réalité en traitant du thème de l’appropriation, du métissage ce sujet interroge

le fondement des pratiques du jazz et dans une certaine mesure il traite de son identité.

Le jazz est, quoi que l’on puisse en dire, bien présent sous différents aspects même

lorsque ce dernier s’empare d’un répertoire qui semble éloigné. Tout comme il s’est

adapté en ingérant le répertoire de la comédie musicale, le jazz mobilise les singularités

des musiques actuelles et notamment le rock et la pop, pour développer de nouveau

mediums et de nouveaux supports communs à la création. Plus simplement dit, de

nouveaux standards.

Lorsque le jazz s’empare du rock, il ne s’empare pas seulement de son répertoire

ou de progressions harmoniques, il s’inspire de l’œuvre rock au sens large. C’est à dire

qu’il semble redéfinir le rôle du studio et de l’enregistrement, dans la conception de ce

qu’est l’œuvre jazz actuellement. Pour cela, il faut reconsidérer l’enregistrement non

130
pas comme un témoin, mais comme un outil qui sert l’œuvre dans son esthétique. C’est

ce qui nous permet de clairement distinguer l’œuvre jazz studio du live (qui peut-être lui

aussi modifié a postériori).

131
SOURCES

Discographie :

Airelle Besson, Radio One, Airelle Besson (Trompette), Isabel Sörling (Chant),

Benjamin Moussay (Piano, claviers), Fabrice Moreau (Batterie), CD, Naive NJ 625911,

2016.

Alain Blesing, Songs from the beginning, Alain Blesing (Guitare), Jean-Luc

Landsweerdt (Batterie), Nicolas Fargeix (Clarinette), Catherine Delaunay (Clarinette,

accordion), Hugh Hopper (Basse), Yves Rousseau (Contrebasse), François Verly

(Piano, Claviers, Percussions), Philippe Botta (Saxophone, flute), John Greaves (

Chant), CD, Musea FBGB 4655AR, 2007.

André Minvielle, follow jon hendricks… if you can !!!, André Minvielle, Michèle

Hendricks et David Linx (Chant), Jon Hendricks (Texte parlé), Marcel Loeffler et

Lionel Suarez (Accordéon), Jérôme Regard (Contrebasse), Pierre-François Dufour

(Batterie) , CD, Bee jazz BEE033, 2010.

Anne Paceo, Circles, Anne Paceo (Batterie, chant), Leïla Martial (Chant, laptop),

Emile Parisien (Saxophone), Tony Paeleman(Claviers), CD, Laborie jazz LJ35, 2016.

Anne Paceo, Yôkaï, Anne Paceo (Batterie, chant), Pierre Perchaud (Guitare),

Stéphane Kerecki (Contrebasse), Antonin-Tri Hoang (Saxophone, clarinette), Leonardo

Montana (Piano), CD, Laborie Jazz LJ20, 2012.

Ari Hoenig, Lines of oppression, Ari Hoenig (Batterie), Gilad Hekselman

(Guitare), Tigran Hamasyan (Piano), Orlando le Fleming (Contrebasse), Chris Tordini

(Contrebasse), CD, indépendant NJ 621111, 2011.

132
Ben Allison, Cowboy Justice, Ben Allison (Contrebasse), Steve Cardenas

(Guitare), Jeff Ballard (Batterie), Ron Horton (Trompette, bugle), CD Palmetto Records

PM 2117, 2006.

Ben Allison, Man size Safe: Little things run the world, Ben Allison (Contrebasse,

guitare acoustique), Ron Horton (Trompette, Bugle), Steve Cardenas (Guitare), Michael

Sarin (Batterie), Michael Blake (Saxophone), Palmetto Records PM 2131, 2008.

Brad Mehldau, Largo, Brad Mehldau (Piano), Larry Grenadier (Contrebasse),

Darek 'Oles' Oleszkiewicz (Contrebasse), Justin Meldal-Johnsen (Contrebasse), Matt

Chamberlain (Batterie), Jorge Rossy (Batterie), Jim Keltner (Batterie), Victor Indrizzo

(Batterie, Percussions), Jon Brion (Guitare, Percussions, guitare synthétiseur), CD,

Warner Bros. Records 9362-48114-2, 2002.

Britney Spears, In the zone, Britney Spears, Roxanne Estrada, Kara Dioguardi,

Courtney Copeland Wizardz of Oz, B.U.D, Chyna Royal, Kyron Leslie, Jennifer Karr,

Emma Roads, Roy Hamilton (Chant), Stockholm session strings (Cordes), Kendall D.

Nesbitt, Steve Anderson (Claviers), Donnie Lyle, Henrick Jonback (Guitare), Roy

Gartrell (Guitare, banjo), Thomas Lindberg (Basse), Algozee (Orchestre), CD, Jive

Records 82876 71023 2, (enregistrement 2002-2003, sortie 2003).

Daniel Yvinec, Around Robert Wyatt, Guillaume Poncelet (Trompette, piano,

électroniques), Yoan Serra (Batterie), Sylvain Daniel (Basse, Effets électroniques, cors),

Joce Mienniel (Flûte et électronique), Pierre Perchaud (Guitare, Banjo), Vincent

Lanfont (Claviers, électronique), Eve Risser (Piano, sound object), Rémi Dumoulin

(Saxophone, Clarinette), Matthieu Metzger (Saxophone, électronique), Antonin-Tri

Hoang (Clarinette, piano, saxophone), CD, Bee jazz BEE 030, 2009.

David Chevalier, Is that pop music?!?, David Chevalier (Guitare) Gérald

133
Chevillon (Basse), David Linx (Chant), Yves Robert (Trombone), Christophe Monniot

(Saxophone), Denis Charolles (Batterie), CD, Cristal Records CR 215, 2013.

David Chevalier, Standards & Avatars, David Chevallier (Guitare), Sébastien

Boisseau (Contrebasse), Christophe Lavergne (Batterie), CD, Cristal Records CR 233,

2015.

Franck Tortiller, Janis the pearl, Franck Tortiller (Vibraphone), Jacques Mahieux

(Chant), Patrice Héral (Batterie), Yves Torchinsky (Bass), Matthieu Vial-Collet

(Guitare), Matthieu Michel (Trompette), Jean Gobinet (Trompette), Jean-Louis

Pommier (Trombone), Anthony Caillet (Euphonium), CD, MCO , 2012.

Franck Tortiller, Close to Heaven, Franck Tortiller (Vibraphone), Xavier Garcia

(Claviers), Patrice Héral (Batterie, chant), Yves Torchnisky (Contrebasse), David

Pouradier Duteil (Batterie), Vincent Limouzin (Vibraphone, Marimba électronique),

Jean Gobinet (Trompette, Bugle), Eric Sévat ( Saxophone), Michel Marre (Tuba, bugle),

CD, Le chant du monde 241407, 2006.

Gilad Hekelman, This just in, Gilad Hekselman (Guitare), Mark Turner

(Saxophone), Marcus Gilmore (Batterie), Joe Martin (Contrebasse), CD, Harmonia

Mundi JV 570013, 2013.

Guillaume Perret, Guillaume Perret & The electric epic, Guillaume Perret

(Saxophone), Mederic Collignon (Chant, cornet), Yoann Serra (Batterie, sampler),

Philippe Bussonnet (Basse), Jim Grandcamp (Guitare), CD, Tzadik TZ 7804, 2012.

HØst, Doppler, Carla Gaudré (Saxophone), Pierre Terrissé (Basse), Dorian

Dutech (Guitare), Théo Teboul (Batterie), Céline Buisson et Manuel Lengrand

(Trombone), Nathanael Renoux (Soubassophone, Bugle), Lucie Laricq (Violon),

Youenn Rohaut (Violon), Eugène Ursch (Violoncelle), Laëticia Dutech (Chant), CD,

134
Autoproduction, 2017.

Jan Johansson, Jazz På Svenska, Jan Johansson (Piano), Georg Riedel

(Contrebasse), CD, Heptagon Records HECD-030 E, (enregistrement de 1962 à 1964,

remaster 2005).

Jérôme Sabbagh, The turn, Jérôme Sabbagh (Saxophone), Ben Monder (Guitare),

Joe Martin (Contrebasse), Ted Poor (Batterie), CD, Bee jazz BEE 064, 2014.

John Zorn, Masada :Astaroth, vol.1, Jamie Saft (Piano), Greg Cohen

(Contrebasse), Ben Porowsky (Batterie), CD, Tzadik TZ 7348, 2005.

John Zorn, Masada: Azasel, vol.2, Erik Friedlander (Violoncelle), Greg Cohen

(Contrebasse), Mark Feldman (Violon), CD, Tzadik TZ 7351, 2005.

John Zorn, Masada: Malphas, vol.3, Mark Feldman (Violon), Sylvie Courvoisier

(Piano), CD, Tzadik TZ 7354, 2006.

John Zorn, Masada: Ipos, vol.14, Trevor Dunn (Contrebasse), Joey Baron

(Batterie), Marc Ribot (Gutiare), Jamie Saft (Claviers), Cyro Baptista (Percussions),

Kenny Wollesen (Vibraphone), CD, Tzadik TZ 7380, 2005.

John Zorn, Masada :Pruflas, vol.18, David Krakauer (Clarinette), Sheryl Bayley

(Guitare), Jérome Harris (Basse, chant), Michael Sarin (Batterie), CD, Tzadik TZ 7396,

2005

John Zorn, Masada: Tap, vol.20, Pat Metheny (Guitare & cie) & Antonio Sanchez

(Batterie), CD, Tzadik TZ 8307, 2005.

135
John Zorn, Nacked City, John Zorn (Saxophone), Joey Baron (Batterie), Bill

Frisell (Guitare), Fred Frith (Basse), Wayne Horwitz (Claviers), Yamatsuka Eye

(Chant), CD, Elektra Nonesuch 7559-79238-2, 1990.

Laurent Cugny, A personal landscape, Laurent Cugny (Claviers), David Linx

(chant), Big band “Lumière”, Universal Music 013990-2, 2001.

Leïla Matial, Baabel, Leïla Martial (Chant, Laptop), Pierre Tereygeol (Guitare,

chant), Eric Pérez (Batterie, chant), Emile Parisien (Saxophone), CD, Laborie jazz

LJ39, 2016.

Manu Codjia, Covers, Manu Codjia (Guitare), Jérôme Regard (Contrebasse),

Philippe Garcia (Batterie), CD, Bee jazz BEE 032, 2010.

Miles Davis, Bitches Brew, Wayne Shorter (Saxophone), Bennie Maupin

(Clarinette bass), Joe Zawinul (Piano électrique), Larry Young (Piano électrique), Chick

Corea (Claviers), John McLaughlin (Guitare), Dave Holland (Basse), Harvey Brooks

(Basse électrique), Lenny White (Basse), Jack DeJohnette (Batterie), Don Alias

(Congas), Jumma Santos (Congas), CD, Columbia C2K 65774, (enregistrement 1969)

remaster 1999).

Miles Davis, Kind of blue, John Coltrane (Saxophone), Cannonball Aderley

(Saxophone), Bill Evans (Piano), Winton Kelly (Piano), Paul Chambers (Contrebasse),

Jimmy Cobb (Batterie), Miles Davis (Trompette), Columbia Records CK 64935,

(enregistrement 1959, remaster1997).

Miles Davis, Milestones, John Coltrane (Saxophone), Paul Chambers

(Contrebasse), Red garland (Trompette), Cannonball Adderley (Saxophone), Philly Joe

136
Johns (Batterie), Miles Davis (Trompette), Columbia CK 85203, (enregistrement 1958,

remaster 2001).

Miles Davis, Nefertiti, Miles Davis (Trompette), Wayne Shorter (Saxophone),

Herbie Hancock (Piano), Ron Carter (Contrebasse), Tony Williams (Batterie), CD,

Columbia CK 65681 , (enregistrement 1967, remaster 1998).

Miles Davis, The man with the horn, Mike Stern (Guitare), Bill Evans (Claviers),

Felton Crews, Sammy Figueroa, Barry Finnerty, Randy Hall, AL Foster, Marcus Miller

(Basse), Vincent Wilburn, Robert Irving III, Miles Davis (Trompette), Vinyl, CBS

32751 ,(enregistrement 1981-1982, sortie 1981).

Nguyên Lê, Purple Celebrating Hendrix, Nguyên Lê (Guitare), Terri Lyne

Carrington (Batterie, chant), Aïda Khann et Corin Curschellas (Chant), Bojan

Zulfikarpasic (Piano, claviers), Meshell Ndegeocello et Michel Alibo (Basse), Karim

Ziad (Percussions), CD, ACT Music ACT 9410-2, 2002.

Nguyên Lê, Celebrating the dark side of the moon, Nguyên Lê (Guitare), Youn

Sun Nah (Chant), Gary Husband(Batterie), Jürgen Attig (Basse), The NDR Bigband

conducted by Jörg Achim Keller, CD, ACT Music ACT 9574-2, 2014.

Nguyên Lê, Songs of freedom, Nguyên Lê (Guitare), Youn Sun Nah (Chant),

David Lynx (Chant), Illya Amar (Vibraphone, marimba, électroniques), Linley Marthe

(Basse, chant) Stephane Galland (Batterie), Ousman Danedjo, Himiko Paganotti, Julia

Sarr et Dhafer Youssef (Chant), Guo Gan, erhu (Violon chinois), David Binney

(Saxophone), Chris Speed (Clarinette), Prabhu Edouard, Stéphane Edouard et Keyvan

Chemirani (Percussions), Karim Ziad (Batterie, percussions), CD, ACT Music ACT

9506-2, 2011

137
Nirvana, In Utero, Kurt Cobain (Guitare, chant), Chris Novoselic (Basse), Dave

Grohl (Batterie), CD, DGC Records GED 24536, 1993.

Noël Akchoté, So lucky, Noël Akchoté (Guitare), CD, Winter & Winter 910129-2,

2007.

Ortie, orTie, Elodie Pasquier (Clarinette), Grégoire Gensse (Piano), CD, Laborie

jazz LJ23, 2013.

Pierrick Pédron, And the, Pierrick Pédron (Saxophone), Damon Brown

(trompette), Marja Burchard et Vincent Artaud (Claviers), Jérôme Fanioul (Xylophone),

Julien Herné et Tomi Simatupang (Contrebasse), Bernd Oezsevim (Batterie), Chris De

Pauw et Jan Weissenfeldt (Guitare), Didac Ruiz (Percussions), CD, Jazz village JV

570097, 2016.

Pierrick Pedron, Cheerleaders, Franck Agulhon et Fabrice Moreau (Batterie),

Vincent Arthaud (Basse), Sylvia Leroux (Flûte), Chris De Pauw (Guitare), Eric Du Fay,

Etienne Godet, Guy Evra, Mathilde Fèvre et Nicolas Dromer (Cors), Ludocic Bource

(Orgue), Gaspa, Jean François Durez et Nathalie Gantiez (Percussions), Laurent Coq

(Piano, claviers), Christophe Gonnet et Lionel Segui (Trombone), Nicolas Gardel,

Patrick Artero et Thierry Gervais (Trompette), Bastien Still et Raphaël Goutière (Tuba),

Camille De Bruyne, Elise Caron Marie-Ange Teuwen, Monique Harcum, Nathalie

Pâques et Nina Babet (Chant), CD, ACT Music ACT 9511-2, 2011.

Pierrick Pédron, Deep in a dream, Pierrick Pédron (Saxophone), Thomas

Bramerie (Contrebasse), Lewis Nash (Batterie), Mulgrew Miller (Piano), CD, Nocturne

NTCD399, 2006.

138
Pierrick Pédron, Kubic’s Cure, Pierrick Pédron (Saxophone), Franck Agulhon

(Batterie), Médéric Collignon (Cornet), Thomas Bramerie (Contrebasse), Thomas de

Pourquery (Chant), Ghamri Boubaker (Flûte, zorna), CD, ACT Music ACT 9554-2,

2014.

Pierrick Pédron, Kubic’s Monk, Pierrick Pédron (Saxophone), Ambrose

Akinmusire (Trompette), Thomas Bramerie (Contrebasse), Franck Agulhon (Batterie),

CD, ACT Music ACT 9536, 2012.

Pierre-Jean Gauché, Melody makers I, Pierre-Jean Gaucher (Guitare), Cédric

Affre (Batterie, percussions), Clément Petit (Violoncelle), CD, Musiclip MU 1009,

2009.

Pierre-Jean Gauché, Melody makers II, Pierre-Jean Gaucher (Guitare), Cédric

Affre (Batterie, percussions), Clément Petit (Violoncelle), CD, Musiclip MU 1205,

2009.

Pierre-Jean Gauché, New trio, Pierre-Jean Gaucher (Guitare), Daniel Yvinec

(Basse), André Charlier (Batterie),CD, Siesta Records STA 930804, 1993.

Shaï Maestro, The road to Ithaca, Shai Maestro (Piano), Ziz ravitz (Batterie),

Jorge Roeder (Contrebasse), CD, Laborie jazz LJ25, 2013.

The Cure, Seventeen seconds, Robert Smith (Chant, guitare), Simon Gallup

(Basse), Laurence Tolhurst (Batterie), Matthieu Hartley (Claviers), CD, Fiction Records

825 354-2 , (enregistrement 1979, remaster 1985).

The Beatles, Abbey Road, John Lennon (Guitare acoustique et électrique, orgue,

piano, chant) , Paul Mc Cartney (Basse, guitare acoustique et électrique, piano, orgue,

139
chant, effets sonores), George Harrison (Guitare életrique et acoustique, basse, orgue,

synthétiseur Moog, chant), Ringo Starr (Batterie, percussion, chant), Mal Evans (Piano,

harmonica, harmonium, percussions, chant), George Martin (Clavecin, orgue, piano,

harmonium), Billy Preston (Orgue), CD, Parlophone CDP 7 46446 2, (enregistrement

1969, remaster 1987).

Thomas De Pourquery, Supersonic-Sons of love, Thomas De Pourquery

(Saxophone, chant), Arnaud Roulin (Piano, synthés), Frédéric Galiay (Basse), Edward

Perraud (Batterie), Laurent Bardainne (Saxophone), Fabrice Martinez (Trompette,

Bugle), Vinyl, Label Bleu LBLV6723, 2017.

Tigran Hamasyan, Shadow theater, Tigran Hamasyan (Piano acoustique,

claviers), Areni Agbabian (Chant), Sam Minaie (Basse électrique), Chris Tordini

(Basse), Nate Wood (Batterie acoustique et électronique), Ben Wendel (Saxophone

tenor), Jean Marc Phillips Varjabedian, (Violon), Xavier Phillips (Violoncelle), CD,

Verve Records 3742644, 2013.

Yaron Herman, A time for everything, Yaron Herman (Piano), Matt Brewer

(Contrebasse, Gérald Cleaver (Batterie), CD, Laborie Records LJ04, 2007.

Yaron Herman, Follow the white rabbit, Yaron Herman (Piano), Chris Tordini

(Contrebasse), Tommy Crane (Batterie), CD, ACT Music ACT 9499-2, 2010.

Yaron Herman, Y, Yaron Herman (Piano, claviers), Ziz Ravitz (Batterie), Bastien

Burger (Bass), Mathieu Chedid (Chant), Hugh Coltman (Chant), CD, Blue note

57430003, 2017.

140
Filmographie:

 Documentaires:

Mathieu Mastin, Jazzed out Switzerland, diffusion le 5 Août 2017, prod. KIDAM.

Mathieu Mastin, Jazzed out Tokyo, diffusion le 15 Juin 2013, prod. KIDAM,

disponible sur http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.

Mathieu Mastin, Jazzed out Berlin, prod. KIDAM, disponible sur

http://www.kidam.net/films/jazzed-out/.

 Films :

Clint Eastwood, Bird, Warner Bros, 1987.

141
Bibliographie:

 Livres :

AEBERSOLD Jamey, Une nouvelle approche du jazz: Improvisation, New

Albany, Jamey Aebersold, 1992.

BALEN Noël, L’odyssée du Jazz, Paris, Liana Lévi, 2012.

BERGEROT Franck, Le jazz dans tous ses états, Paris, Larousse, 2011.

BONNET Michel Yves, Jazz et complexité: Une compossible histoire du Jazz, s.l,

Harmattan, 2010.

CHARTERS Samuel, A Trumpet around the Corner: The Story of New Orleans

Jazz, University press of Mississippi, 2007.

COMOLLI Jean Pierre, CLERGEAT André, CARLES Philippe, Le nouveau

Dictionnaire du jazz, Paris, Robert Laffont, 2011.

CUGNY Laurent, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009.

DAVIS Miles & JONES Quincy, Miles : L'autobiographie, Paris, Infolio, 2007.

DOBBINS BILL, Jazz Arranging and composing : A linear approach, s.l,

Advance Music, 1986.

GANTER Philippe, Les gammes de la guitare, Neuilly sur Seine, ID Music, 2005.

HOENIG ARI & WEIDENMUELLER JOHANNES, Polyrytms Vol,1 contracting

and expanding time within form, s.l, Mel Bay, 2009.

JAMIN Jean et WILLIAMS Patrick, Une anthropologie du jazz, Paris, CNRS

édition, 2010.

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https://www.ajc-jazz.eu/fr/le-reseau-ajc/qui-sommes-nous.html

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http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/victoires-du-jazz/anne-

paceo-circles-les-voyages-sonores-d-une-batteuse-241091

http://www.citizenjazz.com/Vivre-du-jazz-le-musicien-artisan.html

https://www.youtube.com/watch?v=1r6tmsJij10&t=38s

https://www.youtube.com/watch?v=I1qgqSLYLZ0

https://www.youtube.com/watch?v=aaKRYdGoNZI

https://www.youtube.com/watch?v=IoiC-twgVoI

https://www.youtube.com/watch?v=fYqaiEicGjs

https://www.youtube.com/watch?v=evA8H9QIOkE&t=1316s

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http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/composition/17751

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https://s-media-cache-

ak0.pinimg.com/originals/08/84/f6/0884f631a5ff30d555ff2d80aac54a14.jpg

http://www.metiersdelamusique.com/blog/metiers-musique/label/

http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/electro/rencontre-avec-leila-martial-

nouvelle-voix-du-jazz-esprit-tres-rock-102801

145
TABLES DES ILLUSTRATIONS

FIGURE 1 : ONJ OLIVIER BENOIT ................................................................................................................. 25

FIGURE 2 : LOGO AJC .................................................................................................................................. 27

FIGURE 3 : LOGO CRJ .................................................................................................................................. 27

FIGURE 4 : LOGO JAZZ MIGRATION ............................................................................................................ 28

FIGURE 5: LABEL BEE JAZZ .......................................................................................................................... 29

FIGURE 6: FONCTIONNEMENT D'UN LABEL ............................................................................................... 30

FIGURE 7 : PHOTO PIERRICK PEDRON ........................................................................................................ 36

FIGURE 8 : PHOTO LAURENT CUGNY .......................................................................................................... 36

FIGURE 9 : EXTRAIT PARTITION « HEART SHAPED BOX » ........................................................................... 66

FIGURE 10 : EXTRAIT PARTITION, REFRAIN, « HEART SHAPED BOX » ........................................................ 66

FIGURE 11: EXTRAIT COUPLET « TOXIC » B.SPEARS, CHANT, 0'13 A 0'27. ................................................. 72

FIGURE 12: EXTRAIT « TOXIC », Y.HERMAN, PIANO, 0'48 A 1'01. .............................................................. 73

FIGURE 13: EXTRAIT COUPLET « HEART SHAPED BOX », NIRVANA............................................................ 73

FIGURE 14: EXTRAIT COUPLET, « HEART SHAPED BOX » Y.HERMAN, PIANO, 0’11 A 0’34......................... 73

FIGURE 15: EXTRAIT « HEART SHAPED BOX » ALBUM FOLLOW THE WHITE RABBIT, Y.HERMAN, PIANO,

0'46 A 0'57. ....................................................................................................................................... 74

FIGURE 16 : EXTRAIT ARRANGEMENT L.CUGNY, « BLACKBIRD ». .............................................................. 75

FIGURE 17 : EXTRAIT « COME TOGETHER », ARRANGEMENT D.CHEVALLIER. ........................................... 76

FIGURE 18 : EXTRAIT « MESSAGE IN THE BOTTLE », ARRANGEMENT D.CHEVALLIER. ............................... 76

FIGURE 19: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE, 3’41 A 3'48. . 77

FIGURE 20: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE, 3'31 A 3'38. . 77

FIGURE 21: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE, 3'41 A 3'48. . 77

FIGURE 22 : EXTRAIT « HEART SHAPED BOX », ARRANGEMENT Y.HERMAN, 1'46 A 2'08. ........................ 80

FIGURE 23: EXTRAIT « HALLELUYAH » ALBUM COVERS, M.CODJIA, GUITARE, 1'54 A 1'58. ...................... 80

FIGURE 24: EXTRAIT « HEART SHAPED BOX », ARRANGEMENT Y.HERMAN, MESURES 5 ET 6. ................. 81

FIGURE 25: PATTERN DE BATTERIE, « LULLABY » ALBUM KUBIC'S CURE. .................................................. 82

146
FIGURE 26: EXTRAIT « HEART SHAPED BOX » ALBUM FOLLOW THE WHITE RABBIT, Y.HERMAN,

CONTREBASSE, 2'15 A 2'25. .............................................................................................................. 82

FIGURE 27: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, CONTREBASSE, 2'35 A 2'44.

.......................................................................................................................................................... 82

FIGURE 28: EXTRAIT « IN YOUR HOUSE » ALBUM KUBIC'S CURE, P.PEDRON, SAXOPHONE ARPEGES. ..... 83

FIGURE 29: POCHETTE ALBUM BAABEL...................................................................................................... 99

FIGURE 30: POCHETTE ALBUM BITCHES BREW. ....................................................................................... 102

FIGURE 31 : PATTERN BATTERIE TYPIQUE ................................................................................................ 107

FIGURE 32: EXTRAIT « PP SONG TREE » ALBUM AND THE, P.PÉDRON, BATTERIE, 0'00 À 0'25. .............. 108

FIGURE 33: EXTRAIT « SMILE » ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, BATTERIE, 4'48 A 4'52. ............................. 108

FIGURE 34: EXTRAIT « RED WALK » ALBUM DOPPLER, HOST, BATTERIE PATTERN. ................................ 108

FIGURE 35: EXTRAIT « PP SONG TREE », ALBUM AND THE, P.PÉDRON, PIANO, 2'53 À 3'53. .................. 109

FIGURE 36: EXTRAIT « SMILE » ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, BASSE. ...................................................... 109

FIGURE 37: EXTRAIT « BAABEL2 » ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, GUITARE, 0'42 A 1'18........................... 110

FIGURE 38: EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, CHANT, 2'25 A 3'42. ............................. 110

FIGURE 39: EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, SAXOPHONE, 2'08 A 2'25. .................... 117

FIGURE 40 EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, SAXOPHONE, 1'51 A 2'07. ..................... 117

FIGURE 41: EXTRAIT « SUNSHINE » ALBUM CIRCLES, A.PACEO, SAXOPHONE, 1'34 A 1'43. .................... 118

FIGURE 42: EXTRAIT « PP SONG TREE » ALBUM AND THE, P.PEDRON, PIANO, 2'54 A 3’21. ................... 118

FIGURE 43: EXTRAIT "BAABEL2" ALBUM BAABEL, L.MARTIAL, 1'43 A 1'59.............................................. 120

FIGURE 44: EXTRAIT « BAABEL2 » ALBUM BAABEL, L. MARTIAL, GUITARE, 0'42 A1'18........................... 120

FIGURE 45: EXTRAIT « CLOCK ROAD » ALBUM AND THE DE P.PEDRON, GUITARE,0'00 A 0'07. .............. 121

FIGURE 46: EXTRAIT « TOUNDRA », ALBUM CIRCLES, A.PACEO, CLAVIER ET RHODES, 2’20 A 2’32. ....... 122

FIGURE 47: EXTRAIT « TOUNDRA », LIVE JAZZ SOUS LES POMMIER, A.PACEO, CLAVIER, 26’34 A 27’03.122

147
ANNEXES

Annexe 1 : Entretien avec Laurent Cugny - 16 janvier 2017, Paris

Annexe 2 : Entretien avec David Chevallier – 5 novembre 2016, Dijon

Annexe 3 : Partition « Sunshine » Anne Paceo, Circles

Annexe 4 : Partition « PP song tree » Pierrick Pédron, And the

148
Annexe 1 : Entretien avec Laurent Cugny - 16 janvier 2017, Paris

Question : Dans le cadre de mon mémoire je souhaiterais vous interroger sur votre

parcours et votre musique, en particulier A personal landscapes. Avant de rentrer dans

le vif du sujet, pourriez-vous me préciser un peu votre parcours professionnel ?

Laurent Cugny : Oui, alors justement sous forme d’introduction, et sur cette

question du rapport au rock, je dirais que ça dépend énormément des générations. Ce

rapport va changer je dirais tous les dix ans. Et moi ça fait déjà un moment que je suis

là-dedans, je fais partie de la génération « historique ». Ce n’est pas comme si je me

considère comme plus historique que les autres, mais à un moment particulier où

justement on a vécu ça, c’est un peu l’âge d’or du rock. Les groupes clefs ce sont les

Beatles et les Stones, ça commence là. Moi j’ai compris ça quand ma fille, qui a

maintenant 27 ans (lorsqu’elle est née j’en avais 34), m’a dit vers 15 ans « Ah ! Mais toi

tu as de la chance tu es tombé au bon moment » enfin je ne sais plus comment elle m’a

dit ça. Mais en effet, je suis né en 1955, je vais avoir 62, j’ai donc commencé à écouter

les Beatles vers 10 ans, peut-être même avant, vraiment au berceau. Et je me souviens

très bien, c’était en 1964-65, il y avait les Beatles et les Stones, dans les cours d’école.

Ça représentait vraiment deux pôles : il y en avait un qui était plus sauvage que l’autre,

c’était les Stones. Et moi j’étais les Beatles à fond, comme tout le monde de toute façon.

J’avais plus de mal avec les Stones. Ça m’est resté, et ça a marqué toute la suite.

Question : Il y a des raisons musicales à ce fait ?

Laurent Cugny : Non, je pense que c’est le goût musical, c’est inexplicable pour

moi. Après on peut toujours rationnaliser, mais au fond, il y a toujours une étincelle au

149
début qui pour moi est inexplicable. Donc je suis partie à fond sur les Beatles, ma

formation s’est faite comme ça. J’ai commencé à apprendre le piano classique en 1965,

j’avais 10 ans. J’allais une fois par semaine chez un prof particulier, je n’ai pas fait le

conservatoire. J’ai pris 4 ans de cours avec cette prof, mais ça se passait moyennement

bien, parce que je ne travaillais pas assez de toute façon et puis surtout je faisais ce

qu’elle me disait de faire, la Méthode Rose et tout ça.

Vous jouez de quel instrument ?

Question : De la guitare.

Laurent Cugny : Oui, la Méthode Rose on passait tous par là. Et puis de l’autre

côté j’essayais de faire les chansons des Beatles en les reproduisant. Et c’est comme ça

que j’ai fait mon apprentissage, j’ai appris l’harmonie en écoutant des chansons des

Beatles, en essayant de les refaire au piano. En 1965, c’était exclusivement les Beatles,

mais c’était presque maladif : quand on savait qu’il y avait un 45 tour qui sortait, je me

souviens, on se collait devant Prisunic et on attendait que ça ouvre, parce qu’on savait

qu’à trois heures, il y avait le disque des Beatles, c’était vraiment la folie. Pour moi

c’était des souvenirs géniaux. D’ailleurs pour moi les Beatles c’est le 45 tour, Bref ! Je

vous passe mes états d’âmes nostalgiques sur les Beatles.

En 1968-69, ça commence à changer, et le grand truc ça a été Hendrix. Je m’en

souviens encore, c’était Hey Joe la première je crois. C’était électrisant, mais au sens

émotif, monstrueux. J’avais 13-14 ans, l’adolescence. Puis mon premier concert, en

1969 à l’Olympia, il s’agissait de Chicago. Il y avait deux groupes à l’époque, Chicago

et Blood sweat and tears. C’est à peu près inaudible aujourd’hui. Il s’agit d’une espèce

de pop avec des cuivres, ce n’est pas du jazz, ce n’est pas non plus rock progressif. Il y

150
avait Crosby, Stills and Nash aussi, j’étais un fou de ça. C’était plus le côté folk. Et Joni

Mitchell évidement.

J’ai fait le virage jazz dans ces années-là, quand les Beatles ont commencé à se

séparer, ça a commencé à me gaver. Même les premiers trucs de Mc Cartney, je

n’aimais pas ça, parce qu’on avait une sorte de rapport névrotique aux Beatles. J’ai donc

évolué vers le jazz vers 17-18 ans avec Coltrane en fait. A l’époque, en 1972, il était

presque contemporain, puisqu’il était mort en 1967. Curieusement pour moi mon entrée

dans le jazz, c’était Coltrane, Onette Coleman et Miles, via le rock. Et ça tombe bien

parce que Miles faisait justement du Jazz-rock. Je me souviens l’avoir vu deux fois,

d’abord en Juillet 1973 à l’Olympia, et je n’ai rien compris. J’étais absolument

hermétique. Et je l’ai revu en novembre de la même année et là j’étais fan. Je sais que

c’est à ce moment-là que j’ai vraiment fait le virage. Mais toujours via le rock, parce

que c’était vraiment le Miles de cette époque qui était hyper électrique. Après j’ai viré

complètement jazz tout en gardant les Beatles et les Stones aussi par goût, mais j’ai

commencé à me désintéresser du rock en soit.

Question : Totalement comme ça, jusqu’à aujourd’hui ?

Laurent Cugny : Oui, enfin, je m’y intéresse de loin. Mais disons que j’ai changé

de chapelle. Je suis devenu jazz. Et j’ai commencé à écouter le jazz sérieusement.

Comme dit ma fille, qui a raison, je pense que c’était quand même un âge d’or du rock,

il y a rien à faire. Entre 1966 et 1973 qui est à peu près ma période durant laquelle il y

avait non seulement, les Beatles et les Stones, mais aussi Led Zeppelin, etc... Et c’est

vrai que c’était l’idéal pour l’âge adolescent. Ça fait un rapport affectif très fort. Et je

vois Michel Benita, c’est pareil, alors qu’il n’a jamais fait de jazz électrique. Mais au

151
fond il a cette même attache, les premiers contacts avec la musique, les premiers

contacts sensibles.

Question : Suite à ce choc musical que fut Miles Davis, cet apprentissage

s’enrichit par le biais de relevés ?

Laurent Cugny : Non, alors c’est compliqué. J’avais 18 ans en 1973, il y a donc eu

un virage jazz radical grâce à la musique de Miles à ce moment. Mais ce qu’il se passe à

cette époque, c’est le free-jazz, pas du tout le jazz-rock.

Question : Pourtant à ce moment-là il y avait déjà des albums tels que Bitches

Brew et In a silent way. Ils n’ont pas eu le même impact que le free à ce moment-là.

Laurent Cugny : Si. En fait j’ai voulu être musicien plus tard donc à cette époque,

j’étais amateur. Mais il n’empêche que je jouais malgré tout. Et à ce moment-là c’était

vraiment le jazz rock pour moi et le Miles électrique (ex :Agartha). Sauf qu’à cette

période-là quand on joue il fallait que ce soit free. Il y avait une espèce d’emprise

idéologique qui était très forte. « Comment tu joues des accords, mais c’est has been ».

Ça m’a couté cher d’ailleurs. Enfin disons que mon profil jazz, il vient de là, c’est qu’on

n’avait pas le droit d’apprendre les accords.

Question : C’est-à-dire ?

Laurent Cugny : Oui je sais bien quand on dit ça maintenant… Eh bien on

improvisait, c’était free. Oui c’était hyper radical. Evidemment les gens comme vous,

vous ne pouvez pas savoir ça. Mais il y avait une sorte d’ambiance idéologique qui était

assez radical, normative. Ce n’était pas bien de jouer les accords. Si tu veux être un

vieux con tu joues les grilles quoi. Bon évidement j’ai vite compris que ce n’était pas la

152
vie. J’ai vite senti que ce n’était pas complètement fini de jouer les accords. Mais je m’y

suis mis un peu tard pour apprendre la théorie.

Mes premiers concerts, il faut imaginer ça, c’est hallucinant quand j’y repense :

on montait sur scène, on n’avait pas la moindre idée de ce que l’on allait jouer, c’était

impro total, sauf que nous n’avions aucun bagage.

Question : Et ça fonctionnait ?

Laurent Cugny : Non, ça ne marchait pas. De toute façon, je n’aime pas ça l’impro

libre. Bon lorsque c’est Marc Ducret qui le fait ce n’est pas pareil, il y a quand même

tout un bagage ! S’il le fait c’est qu’il a des raisons de le faire. Mais nous c’était pour de

mauvaises raisons. Enfin, même si j’ai constaté que, par rapport aux générations

d’après, c’était un avantage d’avoir fait ça à moment-là.

Question : Pour l’interaction ?

Laurent Cugny : Oui si on veut. Mais surtout pour aussi ne pas être complètement

obsédé par ça, par les accords, tout ne se joue pas là-dedans. C’est surtout pour vous

donner une idée de l’environnement de l’époque. C’était assez spécial, très spécial, je

continue aujourd’hui à le penser. 1967-1973, c’est un drôle de moment, un peu défini

par la folie, pendant lequel les repères sont un peu troublés. Je pense qu’il y a eu un

phénomène énergique très particulier à cette époque-là. C’est vrai en politique aussi.

C’est la période du maoïsme, il a des gens qui ont foutu leur vie en l’air avec ça. Des

personnes qui ont arrêté toutes leurs études pour aller en usine.

Question : Comment à partir de ce parcours vous arrivez aux arrangements de

types Gil Evans, ONJ ?

153
Laurent Cugny : En fait c’est vraiment à 18 ans où il y a eu tous les

émerveillements. Le premier était John Coltrane avec My favourite things. Ça allait

assez bien avec un côté plutôt baba cool de l’époque. Il y en a d’autres c’était Janis

Joplin, nous nous sommes parti sur Coltrane. Je préfère quand même. Vous voyez ce

que je veux dire, le mystique, les longs morceaux de 20 minutes, complètement

déchirés. Evidement on fumait un peu, mais moi j’ai vite décroché de ça, mais disons

que ça allait avec cette ambiance-là. Il y en a d’autre c’était Gratefuldead. Moi ça me

faisait chier, le rock californien Jefferson Airplane et tout ça. Par contre un truc

étonnant, on écoutait en fumant, Terry Ryley par exemple. On mettait tout ça dans le

même sac en fait, c’était planant. Ce qui était le rock planant par contre ça m’a toujours

gavé, les trucs Allemand, comme Kraftwerk, ces trucs-là. Mais toujours est-il qu’il y

avait cette chose disons planante, de long morceaux avec qu’un accord. Et Miles c’est

ça en fait. Vous écoutez Agartha c’est exactement ça. Je suis quand même content d’être

tombé sur ce planant là. Je pense que ce n’est pas un hasard, c’est que je devais avoir

une disposition à ça.

Donc le premier c’était Coltrane, puis Miles et Ornette Coleman.

Finalement c’est assez cohérent quand même, toutes ces personnes ne jouaient pas

les standards. Il ne s’agissait pas de la forme, mais au contraire des formes

complètement ouvertes. Les trois au fond étaient plutôt dans ce cadre-là. Avec un accent

sur l’énergie. C’était vraiment de la musique en fusion. D’ailleurs encore aujourd’hui

j’aime les trois.

Question : Et vous pensez que Miles cherchait cet aspect du rock ?

154
Laurent Cugny : En fait, Miles ce n’était pas le rock, c’était plutôt la soul. Enfin

c’était un mélange, comme il le dit, Hendrix et James Brown.

Après on a évolué, je suis passé par Miles, en revenant à rebours sur son histoire

et j’ai compris que ça n’avait pas été toujours comme ça. Je suis donc rentré dans le jazz

proprement dit. J’ai donc très vite écouté les arrangements de Gil Evans. J’ai flashé

complètement là-dessus, notamment sur Porgy and bess, alors que ça n’avait plus rien à

voir avec le jazz rock, c’était le contraire de l’énergie. Il s’agissait d’un truc plutôt

impressionniste, contenu.

Question : Vous avez donc décortiqué les arrangements ?

Laurent Cugny : Non, pas tout de suite. Il faut dire que je suis devenu

professionnel seulement à 26 ans. Je ne savais alors pas qu’il me fallait travailler ça. Je

voulais faire du cinéma. Il y a eu deux trucs, en 79 je forme un groupe qui s’appelle

Lumière qui a continué à s’appeler comme ça. Totalement amateur. On a joué dans la

cave de mes parents, je ne savais vraiment rien et j’ai commencé à écrire, j’ai appris sur

le tas. En 1979, j’ai inscrit le groupe au concours de la Défense. Un mois avant j’ai

trouvé ça tellement mauvais que j’ai recontacté le concours pour signaler que je jouerai

tous seul. J’ai joué en solo et j’ai gagné le troisième prix. En 80, j’ai inscrit le groupe

avec lequel je continuais de jouer et on a gagné deux ou trois pris. Il y avait Alain

Gérrini dans le jury. J’avais gagné un an de cours dans son école, ce qui était plutôt une

bonne nouvelle. J’ai donc pris des cours avec Jef Gilson qui était une figure à l’époque

du jazz français. Il ne jouait de rien, il était chef d’orchestre, arrangeur, autodidacte.

Il faut dire que quantitativement avant ce n’était pas pareil, il y avait moins de

musiciens. Ça s’est accéléré à partir de cette période. C’est Texier qui m’avait dit ça : à

155
la fin des années 50, au début des années 60, ils étaient 5 par instrument à Paris.

Maintenant, il y en a 100 pour chaque instrument et au top niveau. Et Janneau me

raconte : en 1959, il ne savait pas jouer de sax, il achète un soprano. Il joue 6 mois, je ne

sais pas où, au Blue note, il me dit au bout de 6 mois qu’il sait jouer. Il a appris à jouer

sur scène. C’est lui qui le dit ce n’est pas moi qui invente. C’était la fin de cette période-

là. Dans les années 50, en France, vous jouiez dans un club, vous étiez engagé pas pour

6 mois d’affilé. Ils étaient très peu nombreux, c’était encore le cas dans les années 70,

un peu moins peut-être parce qu’ensuite, il y a eu une accélération monstrueuse. Il ne

s’agit donc pas du même paysage, et un mec comme Gilson pouvait être prof au CIM.

J’ai pris des cours avec lui, mais il était autodidacte et expliquait n’importe comment,

ses cours étaient catastrophiques.

Mais je suis quand même un peu entré dans le truc. A cette période, en 81, j’étais

pion pour gagner ma vie, je voulais faire du cinéma. Puis cette année-là j’ai eu un grand

déclique, je ne pouvais plus être pion parce que je l’étais depuis des années, je n’avais

quand même pas loin de 26 ans. Guerinni vient me dire qu’il y a un prof qui part, qu’il

manque un prof de piano, et me demande si je veux prendre sa place. Je me suis

retrouvé alors prof de piano. Je connaissais à peine les standards, je savais à peine ce

que c’était qu’un II-V-I, il faut voir quand même. C’est pour ça qu’il faut se remettre

dans le contexte de l’époque. A ce moment-là, je me suis dit il ne faut plus déconner et

je me suis mis à faire de la musique 8 heures par jour, à tout apprendre. J’ai appris en

donnant des cours. Je me suis appris à moi-même. A l’époque il n’y avait pas de Real

Book, le premier je l’ai eu au CIM. Tous ceux d’avant, ils ont appris avec les disques.

Au CIM, il y en a une pile qui est arrivée, évidemment, je les ai pris, et ça donne une

formation très bizarre. Comme vous le savez c’est par ordre alphabétique, il y a de tout,

156
du Zappa, les Breker brother, etc… Moi j’apprenais tout ça pareil, comme si il s’agissait

de la même musique parce que je ne connaissais pas les standards. C’est là que j’ai fini

par comprendre que G7 était souvent précédé de D-7 et souvent suivi de C. J’ai vu que

c’était pareil dans la tonalité de F et G et dans tous les tons. C’est comme ça que j’ai

appris. Personne ne m’a jamais dit ce que c’était qu’un II-V-I. Je suis entré dans le

système de cette façon, après j’ai essayé de faire les choses comme il fallait, mais avec

ce début un peu foireux. Chacun a un profil particulier. Pour vous donner une idée, en

81 j’ai enregistré grâce au prix de la Défense et à Guerinni. En 84, j’en réalise un autre

en autoproduction. Et entre temps arrive Denis Badaut et Antoine Hervé, je les ai

entendus et je me suis dit qu’ils avaient tous les deux des dizaines d’années de

conservatoire, une formation musicale béton, qu’ils jouaient comme des bêtes et moi

pas. Suite à ça, en 85, j’ai eu une crise massive, j’ai voulu arrêter la musique, j’avais 30

ans. Je ne savais pas trop quoi faire d’autre. J’avais fait des études d’économie j’aurai

pu me recycler. J’ai en gros tout arrêté. J’ai juste continué à donner des cours parce que

c’était mon seul moyen de subsistance. J’avais la conviction que j’avais loupé le coche,

que je n’avais pas eu la bonne formation, qu’à 30 ans c’était mort. J’avais le sentiment

qu’on était plus dans un monde d’autodidacte. J’avais raison je pense. Le groupe

d’Antoine, c’était Marc Drucret, Benitta. Et moi j’avais joué avec des musiciens

amateurs qui n’étaient pas à ce niveau. C’était une crise justifié, peut-être un peu sur-

amplifiée parce que je n’étais pas incapable non plus.

Puis en 86, je passe le DE. Je donne des cours au CIM depuis 5 ans, tout allait

bien de ce côté. Je pense que c’était le premier DE jazz, c’était à Rouen. Je me souviens

c’était avec Christian Garros dans le jury. C’est un batteur de jazz français qui est sur

Ascenseur pour l’échafaud. Il y avait plusieurs épreuves, dont une durant laquelle il

157
fallait jouer un morceau, il s’agissait de « Easy Leaving ». En arrivant, il me demande la

partition, je lui réponds que non, lorsqu’on joue les standards on n’a pas besoin de

partition. Je l’ai joué je pense correctement, mais j’ai vu qu’il y avait déjà un problème.

Après il y a eu une épreuve de déchiffrage alors que je n’ai jamais su bien déchiffrer.

Résultat des courses, je rate le DE, c’était en Février 86. C’était pour moi, comme si ils

me mettaient la tête sous l’eau. J’allais très mal depuis 6 mois au moins, je me suis dit,

je suis prof depuis 6 ans et je suis incapable d’avoir le diplôme correspondant. C’était

vraiment un sale coup. En plus je pense que j’aurais dû l’avoir. Je ne sais pas si ça s’est

vraiment arrangé, mais à l’époque, ils évaluaient des gens qui jouaient du jazz comme si

c’était de la musique savante. Je me souviens très bien, il y avait aussi une épreuve avec

des élèves. J’avais carrément écrit un arrangement sur « Blue Monk » et je leur avais fait

mettre en place. Comme je le pense toujours mon discours était que l’on n’improvise

pas tant que l’arrangement n’est pas en place. Je sais que ce truc-là ma flingué aussi. Je

pense que j’avais quand même un discours qui était juste et qui n’était pas entendu du

tout. Qu’est-ce que je fais pour me soigner. Je vais voir Gill Evans. J’étais un fou de Gil

Evans. Je transcrivais. J’avais quelques élèves en privé dont une élève qui avait à peu

près mon âge avec laquelle je m’entendais bien, parfois après le cours elle restait un peu

pour discuter. Je lui parlais de Gil Evans. Un jour elle me dit « tu en parles tout le

temps, tu devrais aller le voir ». C’est la phrase qu’il ne fallait pas dire, qui m’a sauvé la

vie pour ainsi dire. Pour moi c’était une idée insensée. Pourquoi irai-je le voir ? En fait

elle a fait germer une petite graine. Je me suis décidé à aller le voir en mars 86.

D’ailleurs je raconte tout ça sur mon site. Je voulais écrire un bouquin sur lui, ce que

j’ai fait. J’ai donc passé 5 jours avec lui. Il m’a raconté toute sa vie. Je l’avais rencontré

au préalable au mois de février ce qui m’a permis de lui demander si je pouvais venir le

158
voir. Il me répond positivement. Un mois plus tard je me retrouve à New-York, je

l’appelle et je lui dis que je suis là. Je lui ai dit que je souhaitais lui parler longtemps

pour qu’on passe toute sa carrière en revu. On a commencé comme ça. Lorsqu’il en

avait marre, on arrêtait, je m’en allais et je revenais le lendemain. En ce moment je suis

en train de les transcrire avec mes étudiants. Au bout de 30 ans les cassettes sont

toujours impeccables. Je dois avoir 6 ou 7 heures d’entretien avec lui. C’était vraiment

étrange, j’ai un souvenir encore extrêmement précis dans l’avion au retour, une semaine

avant je m’étais planté au DE et je venais tout juste de parler avec Gil Evans

pratiquement d’égal à égal. Il y avait deux bouts que je n’arrivais pas à faire rejoindre.

D’un côté, j’étais recalé au sens où tu ne fais pas partie du monde du jazz, et de l’autre

côté j’étais avec le mec qui pour moi était le jazz. C’était un peu schizophrène. C’est un

peu lui qui m’a sauvé, c’est de cette façon que j’ai remonté la pente. J’ai après vu

régulièrement, et il me disait, qu’il ne bossait pas. Alors je me suis jeté, je lui ai proposé

une tournée ensemble, avec mon orchestre pour jouer sa musique. Il m’a demandé de lui

faire une offre, et s’est partie comme ça. Ça m’a complètement remis en selle. Je jouais

avec Gil Evans ! Evans était aussi à fond jazz rock, nous étions tous deux à fond

électrique. En fait pour tout dire, le big band Lumière était plutôt acoustique, pour jouer

avec lui nous nous sommes adapté électrique. C’est à ce moment que j’ai rencontré

Dominique Di Piazza et Stéphane Huchard.

Question : Pourtant les arrangements de Evans période Birth of the Cool, n’ont

plus rien à voir avec ce qu’il propose ensuite. Il s’agit de deux mondes.

Laurent Cugny : Oui, bien sûr. Il a fait le break en 64-65, il a arrêté 3 ou 4 ans,

pour des raisons multiples. Il n’a pas fait de musique, il a complètement arrêté dans

cette période. Il fait partie de ces gens assez rares qui réforment leur musique. Ce qu’il

159
faisait depuis 7-8 ans, de Miles ahead, jusqu’à Individualism, l’a conduit à un moment à

se dire qu’il n’avait plus envie de faire ça. Il a mis du temps à trouver, sa réponse s’était

l’électricité. Pour lui aussi Hendrix a été décisif. Gil fait un enregistrement en 69 et il se

trouve que Hendrix enregistre dans le studio d’à côté. Gil va le voir et lui dit qu’il aime

ce qu’il fait. Modestement Hendrix lui répond qu’il n’est qu’un pauvre rockeur, « je ne

serais pas capable de jouer avec des gens comme vous ». En plus, il parait qu’il était

vraiment timide. Pour ce qui est de Miles s’était sa copine Betty Mabry qui était black

pop rock qui connaissait Hendrix. Elle a mis les deux musiciens en contact. Et ce con-

là, il est mort, étouffé dans son vomi à 27 ans. Ils n’ont donc jamais joué ensemble.

Donc la naissance du jazz rock c’est chez Miles que ça se passe. Il s’agit de Corea,

Zawinul, McLaughlin et Shorter, Hancock et Tony Williams, ça donne Weather Report,

Maavishnu, Return Forever, Zawinul. Ce sont quand même les 4 groupes générateurs de

tout le jazz rock et les 4 viennent de chez Miles. La généalogie de ce mouvement-là est

assez limpide.

Question : De votre côté j’imagine que vous êtes également influencé par ces

formations ?

Laurent Cugny : Bien sûr, je les ai vues à l’époque. Pas toutes, mais j’ai vu

Weather Report, Maavishnu, Head hunter Tony williams life time, Return to forever. Il

me semble que c’est les groupes fondamentaux du jazz rock. J’étais là quand ça a

commencé.

Question : Plus précisément comment est né le projet « A personal landscape » ?

Laurent Cugny : C’était la fin de ça, c’était la fin de tout. J’ai carburé à fond

pendant l’ONJ, qui a été une période géniale. On a fait 3 disques. 4 en réalité mais le

160
premier était un faux disque de l’ONJ. On a mis le nom « Orchestre national de Jazz »

qui est sorti quand j’ai commencé, mais il a en fait été enregistré avant. Il aurait dû

s’appeler big band Lumière mais peu importe. On a donc fait 3 vrais disques. Il y en a

même eu un 4ème officieux qu’on n’a pas sorti.

Question : Comment il s’appelle ?

Laurent Cugny : C’était une blague, mais le dernier s’appelle merci, merci, merci .

Qui est un clin d’œil à Zawinul. C’est aussi un moyen de dire que j’avais été content de

faire l’ONJ. J’aime bien ce titre, il est assez malicieux je trouve. On en a fait un autre

avec des restes qui ne sont même pas mixés d’ailleurs. On en a gravé une 20aine pour

les musiciens. Je l’ai appelé De rien, de rien, de rien.

Après l’ONJ, je suis un peu revenu à la base. Les Italiens sont partis, je suis

revenu à un concert par an, après en avoir fait 40 par an, c’était frustrant. Je suis revenu

à la base, c’est-à-dire, faire ces big band comme je fais maintenant où on joue tous les 6

mois 1 fois. Ce qui est hyper frustrant, mais je n’avais pas le choix c’était comme ça.

J’ai quand même tenu le coup tant bien que mal. En 2000, on a enregistré A personal

landscape , il est sorti en 2001. Mais peu importe, ça ne change rien. C’est une sorte de

queue de comète, ce n’était plus exactement avec les mêmes musiciens, c’était la

génération d’après. Il y avait déjà Thomas de Pourquery. Mais pour moi c’est la même

musique que celle de l’ONJ. Mais il y a quand même ce moment fatal, lorsque j’ai dit à

Stephane Huchard que c’était fini, c’était violent. A la fin de l’ONJ j’avais cette envie

de revenir vers le jazz, et à un moment je lui ai dit « écoute, c’est fini, j’ai pris Thomas

Gimmonprez ». Putain, il a encaissé ça euuhh… Maintenant c’est fini, on ne s’est pas

fâché il a été surpris, et il m’a dit « ah bon ! ben comme tu veux, c’est toi qui décide. »

161
Il ne me l’a jamais vraiment dit mais je l’ai toujours senti. Donc j’ai voulu revenir au

son jazz, mais tant que vous gardez une basse électrique, il n’y a rien à faire, ça ne peut

pas être complètement jazz. Sauf pour Steve Swallow, c’est l’exception, mais il joue de

la basse électrique comme une contrebasse, il a un son tellement spécial.

Question : Peut-on dire qu’il y a une forme de collectivité pour formaliser vos

arrangements finaux?

Laurent Cugny : J’apporte un conducteur et on décide avec la rythmique comment

on le joue. De fait c’est un peu collectif. Et c’est quand même moi qui tranche s’il y a

un choix à prendre. Ce qui peut changer c’est les structures. Pour moi un arrangement, il

se révèle en étant joué. Il n’y a qu’en le jouant qu’on peut se dire que là, il y a une

reprise de trop ou au contraire c’est trop court etc... Donc il y a un apport de l’orchestre.

De toute façon moi c’est ma religion : j’amène des arrangements pour faire jouer

l’orchestre, et pas le contraire. Contrairement à la démarche d’André Audert. C’est plus

compliqué que ça mais pour moi, il y a deux postures : soit vous écrivez de la musique

qui doit être jouée comme elle doit être jouée, et là peu importe les musiciens qui le

jouent, c’est de la musique de répertoire comme on dit. Si vous allez aux Etats-Unis ou

en Allemagne vous allez prendre les mêmes et ça marchera pareil.

Question : D’accord, et en l’occurrence en ce qui vous concerne, c’est plutôt

l’inverse ?

Laurent Cugny : Oui c’est ça, toutes proportions gardées, moi c’est plutôt

Ellington. Ce qui est intéressant pour moi c’est de faire jouer ces gens-là, de révéler le

potentiel d’un groupe. Moi ce qui me plait c’est de jouer avec mon orchestre. Et pour

jouer avec mon orchestre, il faut bien arranger.

162
Question : De quelle façon avez-vous procédé pour sélectionner le répertoire

pour A personal landscape ?

Laurent Cugny : Comme j’ai toujours fait, comme Gil a toujours fait. Je suis

quand même plus compositeur que lui, dans l’ONJ, j’en ai fait pas mal à moi. Mais

comme lui, quand j’entends un morceau qui me plait, j’ai envie de le jouer. Donc

j’arrange les morceaux en conséquence. Après ça donne un dosage plus ou moins

aléatoire.

Question : Je pose cette question en me référant à la démarche des autres artistes

que j’ai pu interroger. Par exemple, la démarche de David Chevallier est de trouver un

morceau qui ne soit pas trop pauvre. Pour lui dans le rock, la pop, certains compositeurs

se démarquent en écrivant de la musique plus intéressante que d’autres artistes, comme

Sting. Il m’expliquait que s’était l’une des raisons qu’il s’intéressait à sa musique. Il y a

un fond intéressant sur lequel il pouvait se projeter. Il ne s’agit pas du tout de votre

approche ?

Laurent Cugny : Si, si absolument. Je pourrais aussi dire ça. Tout est relatif. Sting,

ce n’est pas non plus Stravinsky, il y a trois accords. C’est surtout pour la richesse

mélodique, c’est ça qui est bien chez Sting, et chez Joni Mitchell. Joni Mitchell, j’en ai

fait 2 ou 1, dont « Man from mars » il y a vraiment 3 accords, et c’est tout. Sting j’en ai

fait 3 je crois.

Question : Est-ce que c’est préjudiciable pour la qualité de la musique

finalement ?

163
Laurent Cugny : Non, bien sûr, ce que je veux dire c’est que quand David dit qu’il

faut qu’il y ai du fond. Il faut qu’il y ai de la matière. En pop des fois ça ne va pas loin.

Si on veut qu’il y ai de super beaux accords, on joue Wayne Shorter.

Question : Mais est-ce que ça empêche pour autant le langage musical de se

développer ? Parce qu’alléger les accords permet plus de liberté comme Miles le disait.

Laurent Cugny : Oui, puis le langage musical on s’en fou. Il y a des fois, il faut

des trucs compliqués et des fois des trucs simples. Heureusement que ce n’est pas au

kilo. Quand j’entends des trucs parfois je me dis « ça j’ai envie de le jouer » c’est tout

c’est intuitif. Parfois c’est simple, parfois c’est compliqué. Après je me demande si j’ai

les moyens de le transposer. Parfois ça ne marche pas évidement.

Ce que je suis allé chercher dans le rock, ce n’est pas un répertoire, c’est surtout

une rythmique, qui en fait n’est pas rock. C’est ce qu’on a dit au début, c’est cette

énergie du son. Même en ce qui concerne le répertoire, je ne pense pas avoir déjà joué

un truc de rock. Je n’ai jamais joué Led Zeppelin, je n’ai jamais joué les Stones, même

pas du Hendrix.

Question : ça ne vous a jamais tenté ?

Laurent Cugny : Non… Je sais que Franck Tortiller, l’a fait avec Led Zep. Mais

moi ça m’effraie un peu. Par exemple en ce qui concerne Joni Mitchell, je suis un fan

absolu, je connais tous les disques par cœur mais je n’ai jamais franchis le pas. Je l’ai

fait une fois, mais avec David Lynx. Parce que c’est vraiment des chansons et que je

voulais l’arranger mais elle était chantée.

164
Question : Donc vous pensez bien qu’il y a des morceaux pour lesquels ce n’est

pas possible finalement ?

Laurent Cugny : Oui, bien sûr. Pleins, la plupart

Question : Concrètement quelle est votre méthode d’appropriation ?

Laurent Cugny : C’est intuitif, les musiciens de jazz en général, dans leur très

grande majorité, composent à l’instrument. Il n’y a pas beaucoup de jazzmen qui se

mettent à la table pour écrire une grille. Je joue des trucs sans savoir où ça va et

j’attends qu’il sorte un truc. C’est schizophrénique, on se met au-dessus et on écoute

comme si on était spectateur. Moi je fais comme ça mais je pense que tout le monde fait

comme ça. Il y a bien sûr des tropismes d’instruments. En ce qui concerne la

composition.

165
Annexe 2 : Entretien avec David Chevallier – 5 novembre 2016, Dijon

Question : Pourriez-vous préciser plus en détail votre parcours d’apprentissage?

David Chevallier : D’abord, j’ai grandi dans un milieu musical. Je n’ai jamais

connu autre chose que cela. Mes parents étaient musiciens. Dès ma plus jeune enfance

j’ai été habitué à être au milieu des répétitions, des balances, des concerts, des séances

d’enregistrement, des choses comme ça. Il s’agit donc de quelque chose qui pour moi

est naturel.

Question: De quel type de musicien s’agissait-il ?

David Chevallier: Ce n’était pas du jazz, parce que ma mère chantait dans un

groupe. C’était plutôt une sorte de chanson française un peu folk, dans un groupe qui

s’appelait « Les Troubadours », qui a duré un certain nombre d’années. Et mon père

était compositeur et arrangeur, il a fait beaucoup d’arrangements et a eu une grande

carrière dans des grands orchestres de jazz. Il avait une grande formation de jazz, il a

d’ailleurs eu pleins de distinctions dans les années 50. Ensuite, il y a eu un creux dans

le point de vue du jazz en France, il est donc devenu arrangeur pour la maison Pathé

Marconi. Il arrangeait à l’époque pour orchestre symphonique. Je me souviens avoir

assisté à des séances d’orchestre symphonique, avec Gilbert Béco ou Gérard le

Normand, par exemple. Mais il a aussi beaucoup travaillé avec Nougaro et des gens

comme ça. Ça c’est le background. Moi j’ai commencé à prendre des cours de guitare

classique, quand j’avais 7 ans, au conservatoire municipal, en banlieue parisienne. J’en

ai fait un paquet d’année. En même temps à l’adolescence j’ai commencé à la fois la

guitare électrique, commencé l’improvisation et évidemment j’ai commencé un peu à

166
composer de manière extrêmement empirique. C’est-à-dire que je n’avais vraiment

aucune formation de quoi que ce soit, donc j’essayais des trucs. Je m’étais mis à écouter

beaucoup de musiciens, de guitaristes, notamment issus du label ECM. À une période à

laquelle il y avait Pat Metheny, John Abercrombie, Ralph Towner, pour ne citer qu’eux.

Je me suis complètement imprégné de ça. Et je me suis rendu compte que dans le

répertoire classique à la guitare, il y avait beaucoup de choses qui ne me plaisaient pas

du tout.

Question : Comme ?

David Chevallier : Tous les trucs du XVIII° siècle. C’est une musique qui

m’ennuyait profondément, que je n’avais pas envie de jouer. Déjà qu’il s’agit d’un

instrument qui est tellement ingrat. Même si on bosse comme un âne, le rendu sera

toujours ridicule à côté d’un pianiste du même niveau. La guitare classique est

extrêmement ingrate, vraiment. Le répertoire est pas génial, la musique de chambre est

pas énorme, de toute façon le rendu n’est pas très concluant. Donc je me suis dit, je ne

vais pas faire ça. J’ai quand même poursuivi mes études jusqu’au bout en guitare

classique, j’ai passé mes prix, etc. Mais dans mon esprit il était clair que je ne voulais

pas faire ça. Je me suis alors dis que j’allais faire du jazz, « je vais devenir Pat

Metheny » ! Rien que ça !

Ce qui fait que malgré tout mon cursus de guitare classique a eu une influence

capitale sur ma façon de jouer parce que j’ai gardé une technique dans laquelle j’exclue

le jeu au médiator. Ma technique était vraiment issue de la guitare classique et puis cela

s’est transformé de façon assez personnelle. Je n’ai plus du tout ma technique de guitare

classique aujourd’hui.

167
Je n’ai pas du tout eu de cours de jazz, ni d’improvisation, il faut aussi dire qu’à

l’époque il n’y avait pas du tout la même offre que maintenant, la classe au CNSM

n’existait pas, il y avait le CIM à Paris. Mais moi, j’avais envie de faire mon truc. À

partir du moment où je n’ai fait plus que de la musique, je me suis enfermé et j’ai bossé

en continu, je me suis mis à vraiment beaucoup composer, beaucoup expérimenter et

j’ai commencé avec un premier groupe, ça date de 1986/87. De fil en aiguille, j’ai

monté mes propres groupes, j’ai commencé à jouer avec d’autres. Il y a une rencontre

importante c’est celle de Laurent Dehors, qui est saxophoniste et clarinettiste, avec qui

j’ai joué pendant très longtemps. Il m’a fait sortir des choses qui ne seraient pas sorties

toutes seules, des choses plus déstructurées, plus sales, moins sages. Il m’a poussé vers

quelque chose de plus moderne peut-être.

Question : Concernant le langage justement, peut-on dire que ces rencontres vous

ont permis de développer une connaissance plus érudite, et ainsi d’être plus à l’aise dans

l’improvisation ?

David Chevallier : En fait, c’est un langage qui se construit tout le long d’une vie.

Qui se nourrit de rencontres, d’expériences. En somme, ce que je fais maintenant, ce

n’est pas ce que j’ai fait il y a dix ans et j’imagine que dans dix ça sera encore différent.

C’est en perpétuel évolution. Je vois ça comme ça. Mon parcours est quand même

atypique parce qu’il est vrai que je viens de la musique classique, ensuite j’ai fait du

jazz mais sans vraiment passer par la case traditionnelle standards et compagnie. Je suis

tout de suite allé vers un répertoire de musique original avec des formes assez

contemporaines. Ensuite je me suis intéressé aux croisements stylistiques. Depuis un

certain nombre d’années je fais des mélanges avec la musique baroque, mais aussi de la

pop ou la musique de chambre. En fait je me rends compte qu’il y a quantité de choses

168
qui m’intéressent dans pleins de styles différents. Je n’aime pas être enfermé dans un

tiroir très précis. Je fais ce qui m’amuse, ce qui me stimule. Je ne me pose plus de

question. Alors qu’il y a tout une phase de développement où on se pose des questions

« est-ce que c’est bien de faire ça », « est-ce que si je fais ça on ne va pas penser

que …». Au bout d’un moment, avec l’expérience qui s’est accumulée, la maturité qui

s’installe, on fait juste ce qu’on a envie de faire.

Question: Quelques soit les musiciens avec lesquels vous jouez ?

David Chevallier : Oui. Alors j’ai la chance de faire des choses très différentes. Je

fais à la fois du jazz, je peux aussi me retrouver dans un contexte de musique

complètement improvisée. Je peux faire de la musique baroque, je fais aussi des formes

hybrides que je crée moi-même, où je mélange des styles différents. Par conséquent, je

joue avec des gens qui sont issus de milieux musicaux différents. Je fais se croiser

comme ça des esthétiques qui se retrouvent mélangées à mon propre style.

Question : Quel est votre rapport au rock finalement ?

David Chevallier: Alors c’est assez particulier. Contrairement à beaucoup de mes

collègues de ma génération, finalement j’écoutais très peu de rock lorsque j’étais

adolescent. Je trouvais ça pauvre. Il faut dire que j’étais habitué à écouter Ravel,

Debussy, Stravinsky. À côté de ça à la maison on écoutait du Weather Report, Chick

Corea, de gens comme ça, ou dans un autre genre Hearth, Wind and fire. Mais il n’y

avait pas de rock puisque mes parents n’écoutaient pas du tout ce type de musique. Il

faut aussi ajouter que je n’ai pas eu besoin de rentrer en rébellion en écoutant de la

musique que mes parents n’écoutaient pas. Je me suis vraiment mis à fond sur les

guitaristes que j’ai cités précédemment. Finalement il m’arrivait parfois de tomber sur

169
quelques enregistrements et je me disais « ça c’est mieux ». Par exemple pour quelques

titres de Police. Il s’agit en fait d’une musique que j’ai découverte beaucoup plus

tardivement, à l’âge adulte. Je ne suis pas revenu sur mon opinion, il y a bien des choses

qui ne me plaisent pas, je n’y trouve pas mon compte.

Question : D’un point de vue du langage à proprement parler ?

David Chevallier : Oui, oui, c’est-à-dire que j’ai tendance à avoir une écoute qui

est souvent, probablement trop, analytique. Tout de suite, harmoniquement, je me disais

il n’y a rien et rythmiquement c’est quand même plutôt basique. Le travail sur les

timbres est plutôt minimaliste. Alors après il y a sans doute d’autres choses que les

autres peuvent percevoir, cette sorte d’énergie. Moi ça ne me suffit pas. Même si

toutefois je peux maintenant comprendre. En somme, on ne peut pas dire que je sois un

amateur de rock. Je n’écoute pas ça naturellement. Mais il y a de temps en temps des

groupes, ou des chansons qui me font dire qu’il y a parfois des trucs qui sont

intéressants. L’idée de Is that pop music ?!?, c’est ça. C’est de prendre un certain

nombre de chansons que je trouvais au-dessus du lot et dans lesquelles je trouvais un

potentiel de travail pour me les approprier. J’ai choisis quelques chansons, David Lynx

m’en a suggéré quelques autres et on a fait un choix pour obtenir un répertoire équilibré.

En dehors de ça, je me suis déjà retrouvé avec le trio de Laurent Dehors à faire des

reprises de Police et des choses comme ça. Mais dans Is that pop music ?!? j’ai

vraiment une approche de recomposition, qui est commune à tous mes projets.

Question : Avant de continuer sur Is that pop music ?!?, à quel moment avez-

vous perçu que la dimension de l’énergie propre au rock était un aspect déterminant ?

170
David Chevallier : Je pense que c’est parfois en simplifiant le langage. Je reviens

à cette collaboration avec Laurent, avec son trio. Parfois on faisait des choses qui étaient

finalement beaucoup plus simples harmoniquement, que ce que j’ai tendance à faire

dans mes propres projets. En fait il s’agissait d’un travail sur la simplification des

choses, mais le rendu n’est pas simpliste. Il faut dire qu’il y avait une façon de jouer les

choses avec une liberté, une inventivité, une énergie et surtout un investissement qui

m’ont fait prendre conscience de l’intérêt que cela pouvait avoir de faire des choses plus

simples. Cela pouvait transmettre d’autres choses. C’est aussi comme ça que j’ai

compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir dans des formes plus simples comme il peut y en

avoir dans le rock. Je devais avoir pas loin de 25 ans quand même.

Question : Vous parliez tout à l’heure du travail de recomposition, j’aimerais

savoir comment se travail se met en place au sein de votre démarche. Quelle est votre

méthode d’appropriation de ce répertoire (arrangement, relevés, etc)?

David Chevallier : Alors, mon approche est toujours à peu près la même quel que

soit la matière sur laquelle je travaille. Que ce soit sur les madrigaux de Gesualdo ou

des chansons de pop, ou un air de Purcell, c’est pareil. Déjà, il y a une phase

d’imprégnation. Une fois que j’ai choisis la matière sur laquelle je travaille, j’écoute

beaucoup.

Question : Dans cette phase d’imprégnation vous jouez ?

David Chevallier : Non, c’est vraiment de l’écoute. Ensuite c’est vrai que pour

« Is that pop music » j’ai pas mal travaillé avec la guitare entre les mains, ce qui n’est

pas toujours mon cas. Ça dépend des répertoires.

Question : Pour quelles raisons ?

171
David Chevallier : Parce que justement, ce sont des chansons qui peuvent se

chanter en s’accompagnant à la guitare. Donc je voulais garder un truc un peu

guitaristique. J’ai alors commencé à chercher des trucs en jouant un peu une fois que

j’avais les chansons dans la tête. Evidement à ce moment ce qui sort, ce sont des choses

qui sont tout de suite mes trucs à moi. Il y a donc une espèce de mélange qui se fait

immédiatement entre ce que je suis en tant que musicien et le répertoire. J’ai trouvé des

choses comme ça à la guitare. A partir de là il y a beaucoup de choses que j’ai jeté

parce que je n’arrivais pas à développer, d’autres que je trie. Le travail de groupe

commence vraiment lorsque tout est fini.

Question : Il y a donc une phase d’arrangement personnel ?

David Chevallier : Oui, c’est complètement un travail solitaire.

Question : Lorsque vous proposez ça à votre formation, de quelle façon ça se

passe, vous prenez les décisions, y a-t-il un collectif qui décide ?

David Chevallier : Non, c’est moi qui prends les décisions. Sur des projets pour

lesquels, je suis responsable artistique. J’arrive, j’ai donné les partitions à tout le monde,

3, 4, et c’est partie. Bien-sûr, je donne des indications. Il y a des espaces de liberté dans

les arrangements que je fais. Je suis en confiance avec les musiciens avec lesquels je

partage mon projet. Ils sont de brillants improvisateurs. En revanche, pour tout ce qui

est arrangement écrit, je sais ce que je veux, je sais ce que je veux entendre, ce que j’ai

prévu dans mon travail solitaire, je veux l’entendre ensuite en vrai avec les musiciens.

Je dirige pour obtenir ce résultat comme dans n’importe quelle répétition. Il n’y a pas de

collégialité sur ce type de projet là.

Question : Oui en somme vous avez une idée très définie du résultat final ?

172
David Chevallier : Oui. Il se peut néanmoins qu’en jouant les morceaux, des idées

nouvelles viennent ou d’autres idées ne s’avèrent pas aussi concluante que ça. Le fait

que ces arrangements soient joués en direct par d’autres musiciens peut faire émerger

d’autres idées. Cela ne veut donc pas dire que tout est absolument figé. Mais

globalement c’est quand même abouti.

Question : Vous parliez des partitions que vous remettiez aux musiciens, quelle

forme prennent-elles ? S’agit-il de partitions extrêmement précises ou s’agit-il d’une

partition minimaliste comme les relevés du Realbook ?

David Chevallier : Non, cela prend la forme de scores très précis. En fait la

musique que je fais est très écrite avec des fenêtres qui sont assez libres. Le soliste ne

joue pas forcement sur la même trame harmonique que le thème, comme il y a souvent

dans les standards. Parfois sur les partitions il y a des mesures vides, sur lesquelles, il y

a marqué impro ad lib, cela dur donc le temps que le soliste le souhaite. Le véritable

enjeu est de passer de ces parties écrites aux parties improvisées avec fluidité et

élégance. Il ne faut pas que l’on ait l’impression qu’il y a des à-coups ou une perte

d’énergie.

Question : En somme, cela impose une grosse part d’écoute entre musiciens du

groupe ?

David Chevallier : C’est en effet, indispensable. Mais je travaille avec des gens

que je connais bien et qui sont rompus à ce genre d’exercice. Maintenant ils savent bien

ce que je veux également, ça se passe assez naturellement. Ils savent comment passer de

la partie improvisée à la partie écrite. Parfois même des sections écrites introduisent le

173
passage d’un état à un autre. Ce qui permet de faire en sorte de garder le flux de

l’improvisation alors qu’on commence déjà à remettre les pieds dans l’écriture.

Question : En ce qui concerne le choix de l’instrumentation comment avez-vous

procédé ?

David Chevallier : En effet, il ne s’agit pas du fruit du hasard. L’instrumentation a

vraiment beaucoup d’intérêt. Pour pop music, effectivement j’aurais pu faire le choix de

quelque chose de très électrique avec pleins de guitares électriques partout, quelque

chose qui soit plus dans l’attente de ce que l’on écoute habituellement. Mais justement

pour moi, c’est plus intéressant de proposer un rendu sonore, avec une orchestration très

éloignée. Finalement de la matière première ne reste que le squelette. J’ai enlevé toute la

chaire. Et encore je complexifie même le squelette. J’ai un certain goût pour la

complexité. Mais pas la complexité gratuite. Ce n’est pas quelque chose qui se veut

virtuose gratuitement, je n’ai pas envie que les gens se disent « wolala je n’y comprends

rien. » Ce n’est pas une volonté du tout, c’est plutôt que mon goût personnel s’y prête.

Les compositeurs qui me plaisent se sont des compositeurs qui composent des trucs qui

sont pleins de surprises. Un compositeur comme Purcell que je vénère, c’est un

compositeur qui est absolument génial parce qu’il fait en permanence des choses

complètement surprenantes. Pour moi c’est comme regarder un film ! Et quoi de plus

ennuyeux qu’un film qui ne sait pas conserver son suspens ? J’aime les films dans

lesquels il y a des rebondissements. Le scénariste et le réalisateur vous font prendre des

chemins de traverse, au bout d’un moment vous ne savez plus trop ou vous en êtes

jusqu’à ce qu’une résolution s’impose de sorte à ce que l’on se dise « ah oui ! ». J’aime

ça en tant que spectateur. En somme, j’essaye de proposer des choses qui moi

m’amusent et j’espère amuser et intéresser le publique.

174
Question : Justement en parlant de cet auditoire, quel public visez-vous avec « Is

that pop music ? »

David Chevallier : Alors avec ce Cd j’ai été un peu naïf, je pensais que je pouvais

se faire rencontrer deux types de publics. Le public du jazz actuel (qui peut aussi

souvent être amateur de rock) et le public qui était plus accroché à ce répertoire afin de

leur faire découvrir autre chose par ce biais-là. Mais ça n’a pas très bien marché. Déjà

j’espérais pouvoir jouer dans des lieux qui soient habitués à programmer plus de pop, de

rock. J’aurai bien voulu jouer dans des SMAC. Or les programmateurs des SMAC ne

sont pas du tout ouverts à ce genre de propositions. Dans la très grande majorité, il n’y a

pas énormément de curiosité pour ces formes. C’est compliqué pour les musiciens de

jazz français de jouer dans des SMAC. On a joué ça dans des scènes généralistes, des

scènes nationales et des choses comme ça, ce qui fait qu’on avait un public mélangé. On

a joué à la scène nationale d’Evry, de Cherbourg, etc.

Question : Et le souhait de vouloir plaire à deux publics différents est-ce que cela

vous a amené à faire quelques concessions lors de la composition ?

David Chevallier : Ah non, pas du tout. Je n’en fais pas ! Je fais ce que j’ai envie

de faire. Ça trouve son public ou pas, mais je ne fais aucune concession. Cela ne veut

pas dire que je suis dans une radicalité qui se moque de la réception de ce que je fais.

Mais si on commence à se dire « ah non, là je ne vais pas mettre de mesures

asymétriques parce que les gens vont trouver que c’est instable. » Non, on perd le sens

de départ.

Question : Mais il peut y avoir des asymétries métriques et être accessible, je

pense au folklore juif et bien d’autres types de musiques.

175
David Chevallier : Ah oui bien sûr, même un mec comme Sting, a fait pleins de

compositions comme ça. Ce n’est pas pour rien que j’aime ce qu’il fait. Il y a une

inventivité chez lui et un désir d’essayer des choses nouvelles qui sont superbes.

Question : Une question plus pratique. Dans ce répertoire-là, il y a beaucoup

d’artistes de renommée internationale ou non, qui s’affranchissent du chanteur. Ils

arrangent cette musique de façon à ce qu’elle soit instrumentale. Pourquoi conserver

cette dimension ? Était-ce pour rendre le projet plus accessible à un large public ?

David Chevallier : Non ce n’était pas dans cette optique. Souvent dans les projets

que je fais, il y a une conjonction d’envies qui se retrouvent. Pour cet album, il y a :

l’idée de travailler sur ce répertoire, l’envie que j’avais depuis des années de travailler

avec David Linx. Puisque je m’étais dit que j’allais pas mal déstructurer les chansons et

que l’orchestration serait très éloignée de l’originale, j’ai pensé qu’il était pas mal que

cela reste chanté, de sorte à ce que le répertoire ne soit pas un prétexte. Il s’agit avant

tout de chansons, et je souhaitais qu’elles le restent et que l’habillage, l’arrangement,

nous amène vraiment ailleurs. Pour moi mon projet avait plus de sens si je conservais la

voix.

Question : En somme, c’est presque une question de fidélité ?

David Chevallier : Oui, tout à fait.

Question : Pourriez-vous expliquer votre choix de titre ?

David Chevallier : Oui c’est une petite blague. Après le traitement que j’ai opéré

sur ce répertoire, peut-on encore appeler ça de la pop musique ? En même temps cela

176
pose une question : à partir de quand c’est de la pop et à partir de quand ce n’en est

plus ?

Question : En ce qui concerne la pochette ?

David Chevallier : Il y a l’idée de prendre un objet de tous les jours et de le

détourner. Ici, il s’agit d’une pomme bleue. Elle n’est pas normale, inattendue, sur

« Standard et avatard », c’est une fourchette qui se transforme en main et qui commence

à vivre sa propre vie. C’est cette idée que l’on m’a suggéré. Utiliser des objets que tout

le monde connait, comme le répertoire sur lequel je travaille, et de leur faire avoir leur

propre vie, différente de ce que l’on connait de ces objets.

Question : Pensez-vous que ce projet a influencé la suite de votre travail ?

David Chevallier : Je ne sais pas trop si l’on peut dire, que mes projets influences

les suivants. Simplement, à chaque fois que je mène à terme un projet, ce sont des

briques que j’ajoute à ma maison. Je ne vais pas dire mon œuvre, parce que ça fait un

peu prétentieux. J’aurais du mal à dire si le travail d’écriture dans Is that pop music a pu

avoir une influence sur mes projets postérieurs. Mais il est évident qu’au moins

indirectement ça m’a nourrit personnellement dans mon style. Je pense que c’est ça ce

chemin à travers mes projets qui définit de plus en plus mon style.

Question : Il s’agit presque d’un usage commun de chacun de présenter un album

dédié aux standards du jazz.

David Chevallier : Oui, tout le monde le fait.

Question : Est- ce que ça ne vire pas à l’exercice ? Pour quelle raison vous êtes-

vous concentré sur ce répertoire ?

177
David Chevallier : J’aime bien aller là où l’on ne m’attend pas. Comme ça fait des

années que je fais du Gesualdo, du Purcell. J’ai fait plein de trucs différents les uns les

autres. D’ailleurs je pense que personne ne se serait dit un jour : « il va faire un truc sur

les standards ». Donc il y avait un peu de ça. Ce n’est pas de la provocation du tout.

J’aime bien les surprises donc j’en fais aux autres. Il y a aussi longtemps que je ne

m’étais pas retrouvé avec une rythmique basse / batterie. Je m’étais plutôt évertué

pendant des années à faire autres chose avec des formations différentes comme batterie

et tuba ou batterie, saxophone et basse pour essayer d’avoir un son différent. Il y avait

l’idée d’une instrumentation plus simple. Un truc pas du tout original et surtout qui a été

fait par des personnes qui ont fait ça tellement bien que j’avais envie de me frotter à ça.

Je voulais retrouver cette sensation de rejouer avec une rythmique basiquement efficace,

qui fournit un truc derrière. Les standards : pendant des années j’ai fait des choses

différentes. Je ne me suis jamais autorisé à faire quelque chose sur ce répertoire.

Comme finalement pour ce qui est du rock, ce n’était pas un répertoire que j’écoutais. Je

n’ai pas du tout passé mon adolescence à écouter tous les maitres de jazz.

Question : Oui finalement, Metheny écrivait déjà ses compositions.

David Chevallier : Oui voilà, c’est ça. Je me suis quand même retrouvé dans un

certain nombre de contextes où il y avait un travail sur ce répertoire-là. J’ai longtemps

travaillé avec l’orchestre de Patrice Caratini et le jazz ensemble. Il a fait un répertoire

sur Armstrong, sur Cole Porter, avec un orchestre où il y avait à la fois des jeunes

musiciens plutôt modernes et des musiciens plus vieux qui étaient plus encrés dans une

tradition. Tout ça fonctionnait grâce à la très belle intelligence de Caratini qui est un

excellent leader. Il faisa it des projets vraiment intéressant à la fois vraiment encrés

dans la tradition, et en même temps revisités par son regard personnel. J’avais envie de

178
jouer avec basse / batterie, et le moment était venu. Après toutes ces années à

contourner tout ça, pour ne pas faire comme tout le monde, je me suis mis à le faire à

fond. Guitare/basse/batterie et standards. Sauf que je suis vraiment compositeur. Je ne

me vois pas faire du tout un disque ou je suis juste interprète. C’est quelque chose qui

n’est pas moi. Je peux faire ça dans le groupe des autres. Mais sous mon nom, je ne me

vois pas ne pas intervenir en tant que compositeur. Si je devais travailler sur les

standards, ça allait être avec la même méthodologie que sur les autres projets :

déconstruction, reconstruction. Avec mes propres briques.

Question : Vous reprenez malgré tout des caractéristiques propres à la tradition,

d’après ce que j’ai relevé (turn around à la fin de All the thing you are, même certaines

phrases improvisées)

David Chevallier : Oui bien sûr, ce n’est pas sarcastique, ce sont des petits clins

d’œil, c’est aussi pour rappeler dans quel sujet on est. C’est quand même de ça qu’on

cause. C’est bien ça, on est bien là-dedans.

Question : Pourquoi le choix d’un tirant de guitare faible ? Est-ce en rapport avec

le répertoire que vous abordez ?

David Chevallier : La 7 cordes c’est tout simplement parce que je ne suis pas un

collectionneur, j’ai pas 36 guitares, j’ai une guitare électrique et c’est tout. C’est une 7

cordes parce que pendant des années j’ai joué sans basse. Ça m’intéressait d’occuper

l’espace, dans les graves. Effectivement, je n’utilise pas souvent la 7ème corde quand je

joue avec le trio, la place est prise en bas et ce n’est pas une nécessité. Ensuite pour le

tirant, plus je vieilli, plus je l’allège. Quand j’ai commencé, je jouais avec du filet plat,

du 11 ou du 12, je ne sais plus, un tirant assez important. Petit à petit, j’ai vraiment

179
allégé le tirant, en même temps que ma technique à la main droite, sur la guitare.

J’attaque beaucoup moins qu’à une certaine époque. De toute façon j’ai un jeu qui n’est

pas très attaqué à la main droite, avec beaucoup de lié à la main gauche et j’ai un jeu

aussi polyphonique à la main droite. Finalement le fait d’avoir un tirant plus faible, ça

me permet de moins abimer mes ongles par exemple. Parce que je joue aux doigts. C’est

un problème permanant que j’ai de m’économiser mes ongles. Parce que j’ai la

malchance d’avoir des ongles qui ne sont pas dures, pas solides. C’est une

problématique que je ne perds jamais de vue parce qu’il faut tenir la distance. J’ai pleins

de concerts qui s’enchainent.

Question : Finalement ce n’est pas un choix directement lié à l’aspect du son.

David Chevallier : Alors si quand même. Avant je jouais sur des micros à double

bobinage, or maintenant depuis que j’ai cette guitare, qui est une Vendramini, ça fait

10/15 ans, je suis sur des simples bobinages. Le moment où je suis passé là-dessus, ça

correspond au moment où j’ai commencé à alléger mon tirant. Il y a aussi une période à

laquelle je jouais avec pas mal de saturation, le faible tirant permet de faire des choses

avec de la saturation que l’on ne peut pas faire avec un tirant fort. Tout ça cumulé ça fait

que j’en suis là. Ce n’est pas forcément définitif.

Question : Finalement, c’est quoi le jazz pour vous ?

David Chevallier : Alors pour moi le jazz ce n’est pas une musique. Pour moi le

jazz, c’est une façon de faire de la musique. Je ne pense pas être le seul à le dire.

Question : Vous pensez à qui ?

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David Chevallier : Je pense qu’on est plein à avoir cette position-là. Il y a

l’éternelle question, « c’est du jazz ?», « ce n’est pas du jazz ? ». Mais il y a des gens

qui ne se posent pas cette question. Il y en a d’autre qui s’arque boutent sur ce type de

problématique. Il y a des gens qui ont vu Parker arriver et qui ont trouvé que c’était

n’importe quoi, que c’était un scandale, des personnes qui emmerdaient les musiciens

qui arrivaient avec quelque chose de nouveau. Il y en aura toujours ! En ce qui me

concerne, le jazz je ne sais pas quand ça commence et je ne sais pas quand ça s’arrête.

Je pense que s’est impossible de le dire vraiment objectivement. Mais par contre il y a

une façon de faire de la musique qui est typique des musiciens de jazz. Avec une

certaine liberté, une certaine gourmandise. Le musicien de jazz peut se régaler à jouer

quelque chose qui au départ n’est pas du tout du jazz. Ça sera fait d’une certaine

manière parce que c’est un musicien de jazz. Il y a d’autres gens qui font d’autres styles

de musique qui peuvent reprendre des styles de musique qu’ils ne sont pas habitués à

faire et qui vont les faire d’une autre manière mais il ne s’agira pas de jazz. Parce qu’ils

ne sont pas musiciens de jazz. Les musiciens de jazz on les reconnait à ça.

Question : En somme, pour vous il s’agit de quelque chose d’indicible ?

David Chevallier : Oui, et c’est certainement subjectif. En tout ça pour moi c’est

vraiment une façon de jouer. Une liberté pour l’harmonie, pour le rythme, un certain

phrasé, une conscience du placement rythmique. Tout ça mélangé, ça fait que ça sonne

comme étant ou non du jazz.

Question : Avez-vous étudié l’arrangement ?

David Chevallier : En fait je suis vraiment ce que l’on peut appeler un instinctif. Il

se trouve que mon père qui était un très bon orchestrateur, un très bon compositeur, un

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très bon arrangeur, lui aussi était un instinctif. Il n’avait pas vraiment fait de classe

d’écriture et pourtant il écrivait très bien. Il était reconnu par ces ainés comme étant

quelqu’un qui écrivait très bien, y compris par des gens qui avaient fait toutes les

classes d’écriture. En ce qui me concerne, c’est exactement la même chose. Lorsque

j’étais au lycée j’ai dû faire une heure ou deux d’harmonie, mais vraiment pas très

sérieusement. Ma façon d’écrire est vraiment elle aussi vraiment instinctive. Je ne peux

certainement pas tout faire, je ne sais pas tout faire, je n’ai pas cette prétention. Pour

certaines choses, je suis certainement moins rapide que des gens qui ont appris des

techniques très précises. En tout cas ça m’a fait suivre un chemin qui est très particulier

et j’imagine que ça a eu un impact sur ma façon de faire de la musique. J’imagine que si

j’avais fait toutes les classes d’écriture, je ne proposerais pas la même musique. Quand

je dis que c’est instinctif, c’est que ça sort vraiment de moi, ce sont des choses qui

sortent vraiment naturellement. C’est difficile d’expliquer ce processus. On peut

difficilement expliquer un instinct, par essence, ce n’est pas réfléchi. C’est quelque

chose qui se fait tout seul. Ça ne signifie pas que je ne réfléchis pas à la musique que je

fais évidemment. J’entends, ça sort et après je trie. Finalement ce n’est pas très

intellectuel comme démarche.

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Sunshine
Anne Paceo
Circles
Music by Anne Paceo
Emile parisien Sax sop
Standard tuning
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1'18 min Solo saxophone
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E Parisien
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Clav Paeleman
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Motif/ rythme libre

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Clav Paelem...Leïla Martial E Parisien


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Clav Paeleman Leïla Martial


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Clav Paelem...Leïla Martial


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Clav Paele...Leïla Martial


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37 38 39 40
         
            
 

E Parisien
             
         
     

Clav Paele...Leïla Martial


                           
   
    

Rhodes Pa...
     
 
    
41 42 43 44
        
  
 
                
 
         
              
              
    
     
 

6/8
    
45 46 47 48
        
     
 
                  

 

       
         

Clav Paeleman Leïla Martial E Parisien


              
    

Rhodes Pa...
     
 

49 50 51 52
            
                  
   
3
       

   3
    
          

     
           
   

     
 

7/8
3'48
53 54
       
  

E Parisien

 
 

Clav Pae...Leïla Martial


  
  
 

Rhodes Pa...
   
 

8/8
PP song tree
Transcription C.Bairras
Pierrick Pédron
And the
Music by Pierrick Pédron
Sax Soprano en Ut Saxophone alto en Ut Electric Bass
Standard tuning Standard tuning BEAD G
 = 74
Intro
 1 2 3
    
Sax sop  

Sax Alto
   
   
    
 
A-Piano
      
 
Choir   
   
    
 
K-Sth
      
E-Bass5


              
     

       
           
Drums
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             
                 

1/20
 4 5 6 7
    

Sax sop

     

Sax Alto

    


A-Piano
     
     

Choir

                   


K-Sth
   
             
            
3
3 3 33 33 3
3 3


      

E-Bass5
        
         
            
                                   

Drums
                  

2/20
 8 9 10     11 
        

Sax sop


               

Sax Alto
  


   


A-Piano
    
     

Choir

                        


K-Sth
               
              
   
 3            
3 3 3 3 3 3 3
3 3 3 3 3 3
   

E-Bass5
          
           
               
                               

Drums
                       

3/20
 
 12          13       
 14  15     
   

Sax sop
      
    
                           

Sax Alto
  
 
    


A-Piano
     
     

Choir

         


K-Sth
  
    
      
 3 3
3 3
        

E-Bass5
        
        
              
                             
        

Drums
               

4/20
16 17 18 19
              
         

Sax sop
    
3

                     

Sax Alto
   
 
3
 
    


A-Piano
     
     

Choir

    


K-Sth
     
 
     

E-Bass5
      
           
              
                                  
        

Drums
               

5/20
 20   21     22           23    
          

Sax sop
  

                                       

Sax Alto
    
3
    


A-Piano
     
     

Choir

   


K-Sth
     
              
           
3 3 3 3 3 3
3 3 3 3
  
    

E-Bass5
        
         
              
                                
 

Drums
                      

6/20
24 25 26 27
   
 

        
            

Sax sop
     

     
                               

Sax Alto
   
    


A-Piano
    
                  


    

Choir

              


K-Sth
           
        
    
 3         
3 3 3 3 3
3 3 3 3 3
    

E-Bass5
          
         
          
                           

Drums
                    

7/20
28 29 30 31
          
                    

     

Sax sop

     
                                  

Sax Alto
   
    


A-Piano
      
                  
     

Choir

                   


K-Sth
    
            
 
      
    
  
3 3 3 3 3 3
3 3 3 3
      

E-Bass5
         
         
          
                        
         

Drums
           

8/20
 
32 33 34 35
             
    

Sax sop
  
                  
      

Sax Alto
  
    


A-Piano
     
     

Choir

                        


K-Sth
            
             
 
   
 3            
3 3 3 3 3 3 3
3 3 3 3 3 3
       

E-Bass5
        
         
               
                               
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Drums
               

9/20
 36   37 38 39
     

Sax sop
 
     

Sax Alto

    


A-Piano
     

    

Choir
      

         


K-Sth
    
          
 3
 3
3 3
   

E-Bass5
    
  
   
          
  

Drums
   

10/20
 40 41 42 43
    

Sax sop

     

Sax Alto

    


A-Piano
     
 
     

Choir
         
    


K-Sth
     
 
    
   

Dru... E-Bas...

11/20
 44 45 46 47
    

Sax sop

     

Sax Alto

    


A-Piano
     
 
     

Choir
         
    


K-Sth
     
 
    
   

Dru... E-Bas...

12/20
 48 49 50 51
    

Sax sop

     

Sax Alto

    


A-Piano
     

     

Choir
           
    


K-Sth
     
   
  
  

Dru... E-Bas...

13/20
 52 53 54 55
    

Sax sop

     

Sax Alto

  
        

A-Piano
     
   

Choir
         

    


K-Sth
     
 
                
 

E-Bass5
  
   

Dru...

14/20
Chorus

56 57 58 59

            
               

Sax sop

3

     

Sax Alto

  
         

A-Piano
   
  
    

Choir

    


K-Sth
     

             
             

E-Bass5
         
       
               
     

Drums
        

15/20

3 3
60 61 62 63
  3  
          
  

Sax sop
                 

3 3 3 3 3

     

Sax Alto

    


A-Piano
     
      
 
 
 
    

Choir

    


K-Sth
     
                        

E-Bass5
          
               
                               
   

Drums
                   

16/20
   
64 65 66 67
         
      
  
         
      
    
         


Sax sop
 
3

     

Sax Alto

    

let ring

A-Piano
          
       
  
    

Choir

    


K-Sth
     
               

E-Bass5
                  
             
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    

Drums
                

17/20

 
3

68 69 70 71
               
     
   
   
   
            
   

Sax sop
 
       
3 3 3

3

     

Sax Alto

    


A-Piano
     
              
   


    

Choir
      
    


K-Sth
     
               

E-Bass5
                  
             
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  

Drums
                   

18/20
 
 
72 73 74 75
            
          
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  

Sax sop
         
        
3

     

Sax Alto

    


A-Piano
      
                  
    
      

Choir
         
    


K-Sth
     

               

E-Bass5
                       
          
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Drums
               

19/20
3'53


 76  
      

Sax sop
   

  

Sax Alto

 


A-Piano
  

  

Choir
 
 


K-Sth
  

E-Bas...
         
   
      
  

Drums
   

20/20

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