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évidences très, simples qu'il faut toujours redire le plus, lorsqu'elles n'ont pas
été entendues.
Nous ne pouvons pas réfléchir aux conditions d'exercice d'une science historique
sans nous mettre d'accord d'abord sur quelques caractères essentiels de la science
en général, dont l'insuffisante connaissance cause de fréquents malentendus. Le
lecteur averti nous excusera d'y revenir : chacun de nous s'aperçoit sans cesse
que, même théoriquement convaincu de certaines idées, il continue à penser selon
dés formes antérieures; il y a donc une discipline d'esprit qu'il faut continuelle-
ment se réexercer à acquérir.
Chaque science s'est constituée au moment où elle a refusé de prendre en
considération ce qui ne peut pas être objet d'une constatation objective, c'est-à-dire
matérielle. Science n'est pas scientisme, et l'on n'affirme pas, ce faisant, que l'on
puisse ainsi tout expliquer et tout savoir, non plus qu'a priori on ne le nie. On
prend simplement conscience qu'à s'appuyer sur autre chose que de matériellement
constatable, on construit sur des raisonnements qui, pour logiques qu'ils puissent
être, reposent, au point de départ, sur une décision préférentielle arbitraire, en
faveur ou en défaveur de laquelle il ne peut être trouvé aucune preuve objective
entraînant l!acquiescement universel. Le savant est donc matérialiste' par nécessité
de méthode, sans que cette méthode s'oppose à telle affirmation métaphysique qu'il
décide par ailleurs de poser ni qu'elle constitue une quelconque métaphysique à
rebours. Mais qu» l'homme envisage ou non un domaine métaphysique, le savant
n'a pas à en tenir compte, et entre un Pasteur, spiritualiste, et un Claude Bernard,
athée, aucune différence de méthode de travail, la constatation matérielle seule
décide. Libre à chacun, en dehors de la science, de choisir si, pour ce qu'elle
-n'explique pas, il se rattache à une croyance ou, avouant son ignorance, .considère
comme vain de s'en occuper. Dans la science, Pasteur n'est pas plus métaphysicien
que Claude Bernard : ce serait du temps perdu en dehors de la question. La
constatation matérielle se fait par l'observation et, quand il est possible, par
l'expérimentation.
A mesure de leur développement, les sciences de la nature ont dégagé d'abord
une conception déterministe, mécaniste du monde, qu'il a fallu ensuite totalement
dépasser. Au début, constatant que tel phénomène en entraînait régulièrement
tel autre, on a conçu que le premier était cause du second, notion vague reposant
sur l'assimilation implicite du processus naturel avec l'action créatrice humaine,
mais qu'on ne pouvait préciser qu'en la considérant soit comme une identité
n'expliquant pas la diversité, soit comme une création de quelque chose à partir
de rien, ce qui n'est pas plus compréhensible. Assez vite les savants ont pris
conscience du caractère verbal de cette explication et qu'en réalité elle n'ajoutait
rien à la simple constatation, objective- cette fois, de la concomitance de deux
phénomènes. C'est à établir la série de ces concomitances que la science s'est
appliquée : la recherche des lois a remplacé celle des causes.
Mais il a fallu, à son tour, reviser le concept de loi, corrélativement avec ceux
de phénomène, d'objet. Pendant longtemps, la science est restée « chosiste »,
c'est-à-dire qu'elle a considéré des objets, des phénomènes qui, pour avoir entre
eux des relations, n'en étaient pas moins des individualités nettement circonscrites.
Aujourd'hui, les savants ont pris conscience que la nature ne nous offre pas de
telles individualités, mais seulement des objets, des phénomènes, indissociables
d'un réseau de relations avec d'autres objets, d'autres phénomènes. Ce qui nous
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est donné par la nature est le tout, dont les objets, les phénomènes que nous
isolons ne sont que des aspects partiels qu'il est vain de vouloir définir indépen-
damment de l'ensemble, toute modification perçue dans un aspect de cet ensemble
ayant son correspondant dans les autres. Impossible de définir le mouvement autre-
ment que par référence.à un système dont la stabilité et l'instabilité à leur tour
n'ont de sens que par rapport à un autre système; impossible de déterminer une
grandeur spatiale sans faire intervenir des mouvements, donc un facteur temps,
comme de-déterminer une grandeur temporelle autrement-que par des mouvements
spatiaux, ce qui veuf dire que la nature ne nous offre que le complexe espace-temps
et non chacun des deux séparément. Les notions « chosistes » les mieux établies
se dissolvent dans un complexe de relations : telle celle de masse. Il est même
impossible de dissocier la nature de l'observateur, l'acte même de l'observation
modifiant ce qui est observé. La science moderne est donc relativiste ou, mieux'
encore, si l'on nous passe le mot, totalitaire.
Certes, des objets, des phénomènes nous paraissent doués d'une individualité
stable. Mais ils ne le sont qu'en gros, en moyenne, par rapport à notre échelle
de grandeurs. La pression d'un gaz sur les parois d'un vase est en gros constante,
mais elle résulte de la moyenne des chocs infiniment variables d'une infinité de
molécules. La pression globale est une probabilité statistique pratiquement infinie,
.
à notre échelle, mais non d'une absolue nécessité. Le concept déterministe de loi.
est à remplacer par ceiui de probabilité statistique. Cela ne signifie pas que le
déterminisme soit faux. Il reste vrai qu'il existe des lois pratiquement assurées et
que l'interconnexion des aspects fragmentaires du tout n'est pas «n fait de hasard.
Des spiritualistes pressés ont cru trouver dans la nouvelle conception de la science
une fissure au déterminisme, par où s'insérerait la liberté humaine ou divine.
Sans parler de la conception étrangement irréaliste d'une liberté qui ne tirerait
pas son efficience de la certitude des lois naturelles, rien ne reste plus éloigné de
la science qu'une théorie indéterministe selon laquelle il pourrait aussi bien se
produire autre chose que ce qui se produit. Ce n'est pas être indéterministe que
de dire qu'il nous est impossible de préciser la détermination d'un phénomène
au delà d'une certaine échelle de grandeur, impossible aussi de déterminer un
objet ou un phénomène quelconque autrement que comme un noeud d'interférences
dans l'universelle interconnexion. Seulement il faut entièrement dépasser l'ancienne
conception mécaniste d'un déterminisme de causes et d'effets. Causes et effets ne
sont que des aspects indissociables d'un même ensemble dont rien n'empêche qu'en
un moment d'équilibre différent l'ordre apparent de dépendance puisse se trouver
inversé. Ce qui existe est l'action réciproque au sein de l'universelle interaction.
Cependant les divers aspects de la nature ne nous sont pas donnés en magma
non hiérarchisé,, mais par couples antithétiques : onde-corpuscule, masse-énergie, etc.
Le progrès scientifique n'a jamais consisté à dire oui à l'un, non à l'autre, mais à
découvrir une notion nouvelle permettant de dépasser les deux en rendant compte
de l'un et de l'autre : théories d'Einstein, mécanique ondulatoire, etc. Il est même
arrivé, aux mathématiques en particulier, de progresser par la négation d'un acquis
antérieur, puis par l'invention d'une notion nouvelle permettant d'intégrer simulta-
nément l'un et l'autre : nombres négatifs, imaginaires, géométries non-euclidiennes.
Pour parler le langage de la philosophie, la pensée scientifique procède dialectique-
ment. ~
Naturellement, ce travail est abstrait. Mais, attention. D'aucuns prétendent que
là pensée, créant eh son sein ces concepts, fait oeuvre arbitraire, que la science
pourrait être autre. C'est qu'ils ne réfléchissent pas à la vraie nature de l'effort
POUR LA SCIENCE DE L'HISTOIRE 39
de la pensée scientifique. Il ne s'agit pas de poser des entités d'où l'on déduirait la
réalité matérielle par un processus causal, mais de trouver, derrière la vision
grossière de nos sens, une plus grande approximation de la réalité. Et du succès
ou de l'échec il existe.un critérium, une épreuve qui ne peuvent tromper ni être
taxés d'arbitraire : l'invention créatrice, l'action. Peu nous importe une stérile
discussion sur la réalité en soi des ondes hertziennes ; nous savons que Hertz a
mordu sur la réalité, parce qu'il existe des appareils de T.S.F., qui sont bien
une réalité objective. La science a maintes fois progressé, dans ses parties les plus
abstraites, pour répondre à des exigences de réalisations matérielles; inversement
il serait vain de vouloir agir au mépris des lois scientifiques, et c'est le succès de
l'action qui est le garant objectif de la valeur de la science.
Face à la diversité de la nature, le travail scientifique est divisé en une série
de sciences particulières. Mais entre ces diverses sciences il n'y a ni différence
d'esprit ni discontinuité. Certes, chaque science a son domaine propre, qu'elle
doit d'abord circonscrire, et des méthodes d'investigation en rapport avec les
particularités de ce domaine. Mais la méthode générale de pensée est la même, et,
loin de s'enfermer chacune dans sa tour d'ivoire, les diverses sciences, à mesure
de leur progression, se prêtent de' plus en plus mutuellement main-forte : pas de
physique sans appareil mathématique, et maint progrès mathématique a été
provoqué par des exigences-de la physique; de même entre chimie et biologie.
Dans l'ensemble, on peut dire qu'il existe une gradation de sciences dont chacune
diffère de la précédente par l'adj onction d'une donnée nouvelle, dont elle étudie
les relations avec les données antérieurement acquises de la science précédente :
algèbre, géométrie (espace), mécanique (mouvement, donc temps), sciences physico-
chimiques (devenir irréversible), biologie (vie), sciences de l'homme (conscience)!
Soit la biologie : on ne préjuge pas de la possibilité de réduire toute la vie à
des processus physico-chimiques; mais comme il n'est pas possible de l'observer
autrement que dans desv manifestations physico-chimiques, c'est par l'étude de
ces dernières que peut se "circonscrire et se préciser notre connaissance de la vie.
Des explications apparentes non fondées sur cette étude ne pourraient être qu'un
agencement d'entités verbales, comme d'expliquer que l'opium fait dormir parce
qu'il a une vertu dormitive.
Ce sont ces caractères de la science en général que nous devons avoir présents
à l'esprit si nous voulons maintenant prendre conscience des conditions d'essor
d'une science historique.
•
On m'arrêtera peut-être tout de suite. Chaque science, me dira-t-on, comporte
d'une part investigation des faits, d'autre part hypothèses explicatives orientant
les recherches et justifiées dans la mesure des succès qu'elles autorisent : comment
l'histoire peut-elle procéder à l'investigation scientifique, puisqu'à la différence
des sciences physiques elle ne dispose ni de l'expérimentation ni même de
l'observation ?
Assurément, seule des sciences de l'homme la psychologie, peut provoquer
quelques expériences, et si l'observation directe est possible pour la sociologie des
faits contemporains, elle ne l'est pas pour l'étude du passé. Mais l'essentiel n'est
pas d'user d'expérience ou d'observation, mais de savoir s'il est possible d'établir
objectivement des faits. Nous remarquerons qu'il n'y a pas à ce sujet de différence
radicale entre l'histoire et les autres sciences : la plupart des lois astronomiques
ont-été établies sans recours à l'expérimentation, et il y a bien des résultats de la
40 CLAUDE CAHEN
En quoi consiste le donné humain par rapport au donné des autres sciences ?
Ce donné se présente à nous sous une double forme : un corps humain, soumis
aux lois physiques et biologiques; une conscience, fait nouveau, en tant non plus
qu'agent mais objet de connaissance. Donné double : non pas un corps sans au
moins des rudiments de conscience, ni une conscience en soi indépendante de la
prise de conscience d'un corps et d'une nature préexistants, non plus que de
l'action sur ce donné matériel, de la volonté; mais un corps et une conscience-
volonté donnés comme aspects indissociables d'une commune réalité.
L'action donnée est-elle libre ? Problème de partout et de toujours, et pourtant,
pour une méthode scientifique, faux problème. Ce qui est donné, c'est une décision
qui n'a de sens que par la conscience des besoins de la nature humaine donnée
et de lois naturelles telles qu'en produisant un phénomène on en produira réguliè-
• rement
aussi les conséquences. Il ne peut y avoir liberté effective sans ce double
conditionnement. Poser dans l'absolu le problème de la liberté ne serait pas plus
fécond que de se demander s'il peut exister une rivière en soi, abstraction faite
de l'eau qui la compose. La seule preuve de la liberté est l'action, l'invention
créatrice "de réalité, l'appareil de T.S.F.
On voit combien est fausse aussi dans une pareille perspective l'attitude qui.
consiste à penser que les faits matériels, sont causés par les faits spirituels ou
réciproquement. Il y a perpétuelle interaction ou, pour mieux dire, ni les uns ni
les autres, dans le domaine humain, ne nous sont donnés purs.
"
Mais, cela dit, il y a entre les faits matériels et les faits spirituels des diffé-
rences dont il importe de prendre conscience si l'on veut les traiter scientifique-
ment. D'abord, une différence dans la chronologie de la vie. L'animal, le nouveau-
né ont peut-être des rudiments de conscience, en tout cas leur activité est toute
tournée vers l'adaptation matérielle à la nature matérielle, les formes les plus
détachées de la pensée ne se ' développent que plus tard (et souvent dans la mesure
où l'homme a pu se libérer de l'urgente pression des exigences matérielles). Il y
a donc un primat chronologique du matériel (ou du moins des formes les plus
simplement matérielles d'action) par rapport au spirituel.- D'autre part, toute
notre expérience, notre action, à défaut d'une démonstration métaphysique
dépourvue de sens, nous donnent la certitude d'une nature matérielle donnée indé-
pendamment de la conscience humaine et antérieurement à elle; par contre, il
n'existe pas de conscience sans support matériel, ni sans contenu plus ou moins
directement conditionné par la nature matérielle. Il y a donc une autonomie
du matériel dont le spirituel n'offre pas l'équivalent. Ajoutons que, méthodolo-
giquement, introduire des facteurs spirituels est certes légitime en cours de route,
mais y aboutir au terme de l'analyse n'est pas satisfaisant; en effet, jamais l'on
ne pourra établir qu'un certam état d'esprit provienne par voie de conséquence
42 CLAUDE CAHEN
nécessaire d'autres causes spirituelles seules autrement que par pétition verbale;
au contraire, lorsqu'on arrive à la matière, on bute sur d'inéluctables nécessités,
on a ainsi là une base fixe d'où partir. Quels que soient donc les divers éléments
qui interfèrent en cours de route, il faut, en dernière analyse, si l'on veut faire
un travail scientifique, rattachant le conditionné au conditionnant, arriver au
donné matériel. Sur ce donné matériel un accord objectif est possible, parce que
lui-même, ou des manifestations de même nature, sont directement observables;
il n'en est pas de même des facteurs spirituels, qui ne sont connus que de façon
vague, au travers de manifestations indirectes. Lorsque donc, ayant pesé l'intime
et mutuelle connexion des facteurs de tous ordres au sein- de la totalité humaine,
nous passons à l'étude analytique des relations qu'ont entre eux les divers éléments
qui la constituent, si nous rencontrons aux étapes intermédiaires l'interaction du
spirituel et du matériel, c'est au matériel qu'en dernière analyse nous arrivons,
sans que ce résultat ait rien de commun avec une affirmation métaphysique à
rebours et paradoxale de l'inexistence d'un spirituel en soi ou d'une causation
du spirituel par le matériel. Nous agissons ainsi parallèlement à la démarche de
toutes les sciences, où l'on cherche à rattacher le complexe au -«impie, ou, plus
exactement, le donné nouveau du domaine de la science nouvelle au donné acquis
du domaine de la science précédente.
Ni le spirituel ni le matériel ne sont donnés stables dans l'éternité. Dans toute
science à partir de la mécanique est posé l'élément temps. A partir des sciences
physiques concrètes s'introduit la notion du devenir irréversible (par exemple,
la dégradation de l'énergie); il n'est encore cependant pleinement saisissable
qu'à l'échelle soit de l'univers soit de l'atome (radioactivité). A l'échelle humaine,
nous constatons des usures physiques, des réactions chimiques, mais isolées, et ne
différant pas d'autres usures, d'autres réactions passées ou futures. L'évolution
pénètre au contraire intimement à toutes les échelles tous les aspects du donné
biologique et, a fortiori, humain. L'être vivant, l'être humain sont en perpétuel
et total devenir. Mais avec l'être humain (du moins est-il difficile de prouver
jusqu'à quel point il peut en être de même chez les autres êtres vivants) s'introduit
un élément nouveau : c'est qu'au lieu d'évoluer par le seul effet de lois extérieures,
l'homme, sans cesser d'être inéluctablement conditionné par ces lois, devient, par
son action créatrice consciente, le moteur même de cette évolution.
Cette évolution, selon quelles normes se produit-elle ? Lorsque, par l'évolution
de la température ou de leur place relative dans l'espace, par exemple, se trouvent
en présence deux corps se soumettant l'un l'autre à des actions non équilibrées,
il y a réaction chimique, et production d'un nouveau corps, qui n'est pas la somme
des deux autres, mais quelque chose de qualitativement nouveau. L'être vivant,
l'être humain se trouvent devant les nécessités données de la nature: l'accord
peut, dans certains cas, être réalisé. Mais, le plus souvent, il y a obstacle,
difficulté, contradiction. Des difficultés, des oppositions existent aussi au sein de la
société humaine. L'évolution se produit par la transformation lente de ces
facteurs, mais surtout, plus brusquement, par l'invention d'une technique nouvelle,
la constitution d'un ordre social nouveau, qui font disparaître l'ancienne contra-
diction en la surmontant, quitte à en faire apparaître de nouvelles. Naturellement,
le réseau de ces contradictions est quasi infini, et par conséquent rien ne serait
moins fidèle traduction de la complexe réalité humaine, rien ne serait plus artifi-
ciellement verbal que de la représenter par un schéma de quelques contradictions
(thèses et. antithèses) et de quelques synthèses élémentaires et simplistes. Il n'y a
pas cependant non plus à tomber dans l'excès inverse de renoncer à trouver des
POUR LA SCIENCE DE L'HISTOIRE 43
facteurs plus importants, plus constants, au sein de l'universelle interconnexion.
Il y a tout lieu au contraire de rechercher les lignes directrices, hypothèses de
travail d'abord, représentation approchée de la réalité ensuite si leur application
a été féconde. Naturellement, les contradictions à envisager ne sont pas non plus à
enfermer dans le concept étroit du contraire logique, de l'être ou du non-être,
du oui et du non; et la synthèse n'est pas je ne sais quelle « poire coupée en
deux ». pour concilier des inconciliables, mais le dépassement d'une opposition
dans le temps. C'est ce qu'en termes philosophiques nous exprimerons en disant
que l'évolution est dialectique. Et c'est donc diaîectiquement que, revenant à
l'examen des différents éléments de la réalité humaine, nous devons en chercher
les relations.
ces contradictions évoluent. Elles peuvent être à certains moments presque unique-
ment latentes, ou bien réserver des issues qui permettent, par exemple, aux
classes de ne pas se heurter directement (émigration d'un prolétariat malheureux),
ou n'en pas laisser d'autre que la lutte directe. Lorsque l'évolution est arrivée
à un point tel que la classe dominante n'a plus la force économique de maintenir
sa domination à moins de s'accrocher à des procédés qu'il est vital pourries autres
(et qu'ils ont acquis la force) de supprimer, ce jour-là on a une révolution,
c'est-à-dire essentiellement le transfert de la propriété des moyens de production
d'une classe à une autre.
La structure sociale réagit à son tour sur l'économie : par exemple l'agriculture
russe d'avant la révolution était orientée vers la vente à l'étranger pour le profit
de la classe des propriétaires agricoles, elle est aujourd'hui tournée vers la produc-
tion des denrées nécessaires à la consommation intérieure, ce qui entraîne aussi
transformation dans la nature et la proportion des cultures.
évoquées. Laquelle relation suppose aussi naturellement d'étudier quelle action peut
exercer sur la vie sociale, voire directement sur l'organisation économique et tech-
nique, l'activité et l'évolution spirituelles.
d'une science naturelle. Et l'héritage doit être à ce titre intégralement maintenu des
« sciences auxiliaires » et dés procédés de critique mis au point par les générations
d'historiens du xrxe et du XXe siècle.
Tout à fait simpliste et faux serait, d'autre part, comme on l'entend parfois
dire à des gens mal avertis, par réaction contre l'ancienne histoire « des guerres
et des rois », de supprimer l'histoire politique, de ne faire que de l'histoire écono-
mique. - La * priorité méthodologique attribuée à l'économie ne signifie pas un
« économisme » exclusif, qui serait presque aussi ridicule qu'un « politisme »
exclusif, puisque ce qui doit au contraire caractériser la méthode historique scienti-
fique est le « totalitarisme » Il n'est même pas nécessaire forcément toujours que
.
la recherche procède exclusivement dans l'ordre de la reconstitution synthétique
ultérieure. C'est un fait que nous avons souvent à notre disposition une documen-
tation d'ordre politique plus développée, plus facilement rassemblée, que la docu-
mentation directement économique, à rechercher par fragments épars, et souvent
très rare aux époques anciennes. C'est un fait, d'autre part, que, pour suivre les
évolutions, nous avons besoin de ne pas brouiller la chronologie, et que, cette
chronologique, c'est le « politique » qui nous en fournit souvent au début le cadre
le plus pratique. Que l'on s'applique donc, lorsqu'on aborde un domaine encore
insuffisamment défriché, à faire un bilan précis du donné politique, n'a rien que de
normal dans l'ordre de l'investigation : mais à condition que l'on ne le prenne
pas pour une fin en soi, mais pour une manifestation au travers de laquelle nous
devons essayer progressivement de retrouver autre chose, de remonter à ce qui,
dans notre synthèse ultérieure, occupera la première place dans l'explication.
Ce serait une exagération du même ordre de vouloir supprimer toute histoire
d'individus, car c'est bien souvent au travers seulement de la connaissance précise
que nous pouvons reconstituer les caractères de l'histoire plus générale;
. d'individus
La conception de l'histoire que nous avons exposée n'est d'ailleurs pas du '
domaine du pur programme théorique. C'est, en fait, et c'est pourquoi nous
pouvons" la dégager, la direction dans laquelle a progressé l'histoire aux mains
des savants consciencieux de toutes appartenances philosophiques, depuis un siècle,
au point que certaines.idées qui pouvaient paraître neuves au temps de Marx font
aujourd'hui presque l'effet de lieux communs. Mais il y a encore fort à faire pour
constituer pleinement la science historique sur les bases établies par nos devanciers.
Nous ne gagnerions rien à vouloir le faire selon des principes a priori; nous pouvons
gagner énormément au contraire à prendre conscience des conditions auxquelles
ont plus ou moins consciemment obéi en toute science et en histoire ceux qui les ont
fait progresser. D'autre part, nous savons bien que l'histoire présentée au public
et aux enfants est, en partie au moins, celle que demande la classe dominante;
il n'en est que plus de notre devoir de tout faire pour que soit offerte au public
et aux enfants une histoire qui, pour être accessible dans sa présentation, n'en
doit pas moins suivre d'aussi près que possible le progrès même de la science
historique. Et elle les intéressera d'autant plus, au contraire, qu'elle suivra ce
progrès de près. Car elle n'apparaîtra plus comme une discipline d'érudition
extérieure à la vie ou comme un roman-feuilleton, piquant la première fois, mais
lassant et sans résidu humain. Elle portera de tout le souffle des générations précé-
dentes l'action de la génération présente, dont la générosité n'a de sens que si
elle repose sur la volonté de construire d'après les lois que la science révèle et
par conséquent d'approfondir la connaissance de ces lois.
LA PENSEE
REVUE DU RATIONALISME MODERNE
ARTS .
SCIENCES . PHILOSOPHIE
COOITt IIRBCTECR
PAVE. E.AWGEVIN — F. JOLIOT -CURIE
D' HENRI WAULON — MARCEL PRENANT
GEORGES TE1SSIER -
FRANCIS JOURDAIN
GEORGES COGNIOT
Secrétaire de la Itédactteo
RENÉ HA&JBLANC
S
NOUVELLE SERBE
N°
jnCILLET-AOUT-SEP'ïï'EIWBRE
19 £ 6
LES LIVRES, par le docteur Victor LAFITTE, Léon AGOSTINI, Charles PARAIN, Claude
CAHEN, Sylvain MOLINIER, René CLOZIER, J. KANAPA, Marcel COHEN, Jean LARNAC 140
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES, par P. REY, Cl. CAHEN, J. AUGER-DUVIGNAUD, S. MOLINIER,
P. GAILLARD, A. LENTIN, J. LARNAC, R. MAUBLANC 170