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Phénoménologie affective

Serge V ALDINOCI
a également publié:

Les Fondements de la phénoménologie husserlienne


(Nijhoff 1982)

Le Principe d'existence
(Nijhoff 1988)

Introduction dans l' europanalyse


(Aubier 1990)

Vers une Méthode d'europanalyse


(L'Harmattan 1995)

La Traversée de l'imlnanence
(Kimé 1996)

La Science prelnière
(L'Harmattan 1997)

Abrégé d'europanal}'se
(L'Harmattan, 1999)

L'europanalyse ou les structures d'une autre vie


(L'Harmattan, 2001)

Merleau-Ponty dans l'invisible


(L'Harmattan, 2003)
Serge VALDINOCI

Phénoménologie affective
Essai d'europanalyse appliquée

L' Harmattan
@ L'Harmattan, 2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
harmattan I@wanadoo. fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr

ISBN: 978-2-296-06636-6
EAN : 9782296066366
À J.-P. Leroy, avec ma grande reconnaissance
Préface
Ce travail prend place à partir de nos recherches initiales en europanalyse.
Le principe de celle-ci a d'abord consisté à fonder la philosophie et dans
cet acte même d'approfondir, en la brassant dans l'abîme, une science
première totalement autonome en regard des sciences dures, sciences
scientifiques, et de la philosophie dans son ensemble, c'est-à-dire dans la
culture occidentale. Notons que la Science première n'obéit pas aux
mêmes réquisits que les sciences scientifiques, ce que nous constaterons à
nouveau dans la suite de cet Avant-propos et dans le texte qui suit. Pour
l'instant notons préliminairement que la dite Science première aménage, à
sa manière, en immanence affective et non par rapport à des
transcendances effectives qui sollicitent des effectuations de pensée dans
l'espace-temps. En effet, le domaine immanent d'affectivité est spécifique.
Prenons un exelnple chez Husserl, à la fois père de la phénolnénologie
la phénoménologie philosophique et initiateur d'une pensée qui, dans le
monde de la vie (Lebenswelt), met au premier plan des affectuations
passives. Cette intervention, cruciale, scinde le travail scientifique en
deux moments d'une inégale importance: la recherche d'une science, sur
le modèle scientifico-scientifique, est seconde, se meut dans le monde,
alors que la fondation europanalytique d'une science première est
précisément une première manifestation de la science première.

Remarquons ensuite que cet ouvrage ne s'attache pas ici à élever plus haut
encore l'idée d'une science première mais à livrer une interprétation
première de l'europanalyse. L'idée de science première n'est donc qu'une
partie fût-elle le tronc - de l'arbre de l'europanalyse à l'élévation duquel
nous nous consacrons depuis le début de notre intervention dans ce
champ, champ dont nous disons qu'il n'a pas été encore parcouru. Cette
notation suffit tout de même à spécifier l'analyse, du moins pour une
première fois. L'europanalyse appliquée, d'essence affective, n'est pas
commensurable au consortium des sciences de l'affectivité qui sévissent
dans la culture Européenne, qu'elles soient dérivées de la physique, de la
psychobiologie, de la psychosociologie ou de la psychologie avec ses
domaines d'applications les plus divers. Les différentes pratiques, il faut
le dire, manquent l'affectivité essentielle. Pour l'instant, et pour avancer
avec précaution, l'affectivité, dirons-nous, est la pierre d'assise qui fait
converger les diverses pratiques dont il vient d'être traité. L'affectivité est
un pâtir caractérisant l'essence de la vie. Il y va de l'homme bien sûr, mais
plus originellement de tous (les mammifères notamment) ce qui relève du
concept plus vaste d'irritabilité. L'affect est au plus proche de l'existence
vitale et dépasse notamment l'affectivité dite spécifiquement humaine,
cette dernière affectivité contrebalançant toutes les effectuations
primitives et, peut-être, les enracine. Mais nous verrons.

Afm de déblayer le terrain il convient de procéder à une distinction. Dans


cet ordre d'idées, l'allée à Husserl est intéressante. Point n'est besoin
toutefois d'enfiler aléatoirement les habits de ce premier phénoménologue
avéré. Cela fut fait en temps utiles 1 en montrant comment la texture des
écrits husserliens fait front victorieusement contre le projet husserlien
d'une égologie fondamentale. Il n'est pas vain d'utiliser une pensée de
Husserl, fort intéressante. Afm d'expliciter le motif conceptuel de la
fondation, utilisons Husserl qui nous paraît effectuer une bonne
distinction: celle de la Begründung et de la Fundierung. La Begründung,
à la recherche de laquelle s'affiliera le fameux Grund heideggérien,
signait une fondation en raison qui recherche l'originaire l' archè -, par
exelnple celui de la structure de l'holnlne (Dasein). Ce n'est pas que
Husserl n'utilise pas le vocable de Begründung, bien entendu. Cependant
cet emploi du terme Begründung est contrebalancé par une « fondation»
en un sens différent du terme. La Fundierung est la fondation - au sens de
l'installation - d'un domaine qui supporte un territoire dont les extrêmes
sont à déterminer. Prenons un exemple: la perception éidétique, et qui
plus est la formalisation, sont fondées (appuyées sur) la perception
sensible et les idées qui lui sont attenantes. En fait, nous théorisons en
demeurant fondés (appuyés) sur une forme larvaire qui perdure au sein de
la structure phénoménologique la plus différenciée.

Ces distinctions entre la Begründung et la Fundierung affectent


profondément la logique du processus de pensée husserlien, et peut-être
1 Dans Lesfondements de la phénoménologie husserlienne, Nijhoff, 1982.

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l'architecture de toute pensée. Il est nécessaire, afm de progresser, et c'est
ce que Husserl n'a pas fait, de se fonder sur une homologie qui procède
de la mise au premier plan, très intéressante, de la Fundierung Qui plus
est, nous sommes par avance justifiés par Husserl car ce dernier distingue
une Fundierung domaniale dans tous les territoires de la pensée.

Quelques lignes plus haut nous avons introduit l'idée d'une fonne larvaire
de la pensée, qui autorise la Fundierung. En biologie, dans ce territoire
donc, la néoténie est la persistance des fonnes larvaires au cours du
développement d'un organisme. Faisons de la néoténie un moteur
structural de recherche afm de penser ensemble affectuation et
effectuation. L'affectuation fouit dans l'affect et creuse radicalement en
lui. Si l'on prend comme standard du pensée l'effectuation en tant que
pensée-dans-Ie-monde, on songe à la pensée commune, la pensée
artistique, et même à la pensée philosophico-scientifique. Ces ef-
fectuations sont des proéminences vers le dehors. Chez Husserl, il est
question de la fonne d'intentionnalité: le réalisme pictural, la
modélisation techno-scientifique sont des effectuations d'un projet enté
sur la matière première humaine. Mais il convient d'aller beaucoup plus
loin. Lançons l'idée: nous dirons heuristiquement qu'il y a « néoténie »
dès lors que le processus d'effectuation devient un moment de
l'affectuation générale. Il convient de clarifier et pour être précis d'écrire
que l'effectuation, évolutive, demeure tout de même un moment
d'involution un« en affectuation ». Sachons, pour exprimer l'analogie
entre néoténie et affectuation, que cette dernière signifie la persistance,
dans l'évolution, d'un domaine larvaire. Mais il existe une différence entre
l'acception biologique et celle, idéologique (au sens de D. de Tracy) de
l'affectuation. Dans les organismes l'involution néoténique caractérise
une puissance locale du larvaire, la persistance d'un système ancien de
dentition, par exemple. En l'europanalyse qui intègre la logique du texte
de Husserl, la fonne néoténique échappe au principe de localisation: la
néoténie affective et inductive vaut d'un système affectif profondément et
réellement valide. Mieux: inventif.

Les limites de la concordance entre biologique et théorique étant établies,


allons plus loin désonnais. Pour parler grosso nl0do, bien
qu'adéquatement, il est possible d'annoncer, toutes voiles dehors, que
l'affectuation est un domaine-affect d'habitation, de mise en demeure, qui
se retourne - dans l'invisible - comlne affection... qui fait auto-affection.
Alors que l'involution dans les organismes vivants est un signe de

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récession, dans le domaine de pensée le dire effectif s'enveloppe dans le
signe d'un dire affectif dont il s'agira d'étudier les structures. Nous
touchons là à la production d'un dire qui ne nous est pas immédiatement
donné.

Voilà ce qui passe au niveau des « choses mêmes» : il y a émergence


d'une pensée involutive, qui est tout sauf la régression de la pensée « ef-
fective ». Cette dernière est en défmitive un moment de l'affectuation. De
même que, en biologie, les formes larvaires nous donnent l'individu dans
sa généralité (présente et passée), dans le dOlnaine de la pensée elle aussi
générale, il existe une véritable conversion de penser où l'effectuation
devient particulière et seconde. L'effectuation est un moment de
l'affectuation. Le concept de néoténie, conséquemment, joue bien le rôle
d'un moteur de recherche. Au Transformisme darwinien correspond
mutatis mutandis un Transformisme théorique c'est-à-dire une mise au
premier plan inouïe dans la culture encyclopédique classique - de
l'affectif par rapport à l'effectif. La démarche qui précède a, nous le
savons, une signification heuristique et pré-apodictique. Il faudra passer
par le statut de l'effectuation et de l'affectuation dans le contexte humain
pour statuer sur la valeur défmitive de l'hypothèse heuristique.

La nescience contemporaine

Une théorie de l'affectivité ne saurait donc culminer en pratique


scientifico-scientifique de l'affectivité. C'est la seconde fois que nous
présentons ainsi les choses. Absolument parlant, la soi-disant science de
l'affectivité, est, pour reprendre le terme de M. de Dieguez, une nescience.
La nescience s'inscrit en faux contre les prétentions philosophico-
scientifiques se bornant à l'étude des effectuations locales et générales. Sa
structure d'enveloppe involutive représente l'intégralisation, en interne, de
tous les moments effectifs, chacun paraissant contenir la condition de
celui qui précède. La nescience, qui n'est pas non plus une gnose, advient
au contraire depuis un inconditionnel, un impossible à penser dans le
cadre tendanciellement déterministe des effectuations - qui sont causantes
et causées, formant ainsi une Toile, un réseau. La nescience s'affecte,
advient à soi depuis soi, l'opération se pratiquant en interne. Elle n'est ni
conditionnée, ni conditionnante au sens philosophique des deux derniers
termes. C'est-à-dire qu'elle s'af-fectue. Nous sommes défmitivement
éloignés de Hegel dans les textes duquel l'advenue au pour soi s'ef-fectue

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via l'en soi et les dialectiques de relais.

Il convient de situer, chronologiquement déjà, la nescience affectuante. Le


domaine d'affectuation s'explicite nommément après le phénomène de
pensée- XXe siècle. Celle-ci fut d'abord néokantienne, puis
transcendantaliste y compris dans les détraquages opérés par les
différentialistes et visant à la destitution de la problématique
transcendantale. Enfm la non-philosophie aura pris conscience de la
situation. En effet, la thèse de l'Homme-Un- Identité évite le
différentialisme ainsi que le monisme transcendantal. Mais reste à
élucider réellement la structure encore kantienne de l'Autre non-thétique.
On dira que l'ensemble pensée-XXe siècle enferme un net malaise de la
pensée philosophique. Sachons que ce malaise n'est pas une Krisis
enfermant positivement une accession de la pensée au choix, à la
distinction, qui éloignent du malaise. La pensée philosophique est
l'illustration, théorisée par ailleurs, du célèbre Malaise dans la civilisation
(de Freud). D'autre part se sont développées intellectuellement et
culturellement des sciences-phares qui connurent le succès et le
proclamèrent. Le Malaise est donc tout différent d'une défaite de la
pensée.

À ces théories clamantes répond une acclamation intrinsèque qui détourne


les théories scientifiques extrinsèques. La théorie acclamante, si elle vaut,
devra respecter les exigences de la nescience, sans par ailleurs tomber
dans un philosophisme médiocre. Disons alors que l'acclamation
théorique est, comme l'indique la racine, une theoria, un ravissement de
soi comme le laisse entendre le grec. De ce point de vue, l'acclamation
échappe aux déterminismes spatio-temporels se déployant à toutes les
échelles. La théorie intrinsèque acclame et contemple son ravissement en
theoria. Ainsi la théorie se parfait en se déthéorisant tendanciellement, et
échappe alors à la ratiocination vide du terrorisme théorétique. Ce faisant
elle accède au détachement, entre dans l'inconditionné en sachant que
celui-ci n'est ni le Soleil, ni Dieu, ni le Sujet transcendantal, ni la
Différence, ni l'Un de la non-philosophie etc. Nous dirons que la théorie
est en-theoria, ou que la théorie, qui n'est plus accrochée à soi, est
théoriale. Husserl, par exemple, fait un effort de ce point de vue. La
Réduction inaugurale depuis Ideen I - pratique l'Umwertung (Ideen I,
trad. p 99), c'est-à-dire la conversion qui est un détachement axiologique.
Sa théorie, en ce sens, paraît théor iale. Pourtant dès la fm de Ideen I,
Husserl cherche à rapprocher les propositions, issues de la Réduction

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comme conversion, du réel empirique. De même Logique formelle et
Logique transcendantale invoque la nécessité irrémédiable de revenir,
depuis les accents de la formalisation, aux individus empiriques de
l'expérience. À la fm de sa vie, les questions ouvertes par l'intentionnalité
intersubjective, l'élucidation des data premiers ou synthèses passives dans
le temps sont autant de points d'arrêts qui bloquent le théorial de théorie.
On ne saurait tout de même oublier que la Fundierung comme théorie
d'appui, préparant au détachement de la Réduction, fonne avec celle-ci
deux moments forts qui transfèrent - certes imparfaitement - une
expérience mystique dans un domaine de pensée.

Soyons précis cependant car les propositions husserliennes introduisent à


l'inouï: une pensée mystique n'est pas l'expérience mystique même si
cette dernière témoigne - mais ne pense pas - d'un cheminement gracieux
vers Dieu - du moins en Occident. Qui plus est la « conversion» de
pensée ne se propose en aucun cas une relation fusionnelle avec Dieu,
comme chez Jean de la Croix par exemple. Nous travaillons dans l'ordre
de la pensée immanente qui est rien moins qu'un témoignage - certes
exalté et inspiré - reproduisant, mimant plutôt le sens réel de l'expérience
mystique. La montée au Carmel est un rendu témoignant, de fait une
métaphore, au demeurant pertinente. En étant sévère, trop sévère, nous
pourrions emprunter à Jaspers son concept de processus. Le délirant, pris
dans la folie de la croix, est enrôlé dans un processus inintelligible. Le
mystique peut certes endurer des moments où il perd la raison commune,
mais pour autant son expérience est univoquement intelligible, même si
«le fou de Dieu)} connaît une ebullitio qui comble sa solitude d'un
bonheur entier.

Après Husserl

La crise de la pensée au XXe siècle, qui donne corps au «déclin de


l'Occident », bien que ce soit sur d'autres bases, a Inontré la faiblesse
théorique du néokantisme et des destins du transcendantalisme. En 1982,
nos Fondements de la phénoménologie husserlienne préparent une autre
démarche à condition que l'on détache du projet husserlien le texte
husserlien. Ce texte a sa logique propre et originale: il se termine en
parvenant à la nécessité puissamment phénoménologique de laisser
s'auto-évacuer les contenus conceptuels. Par là, on échappe à la
Begründung. Alors naît intrinsèquement un appui (Fundierung) sur lequel

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se bâtit pour nous, lecteur et herméneute, une phénoméno-Iogique de
l'ailleurs. Par « ailleurs» il convient d'entendre l'expression «hors les
concepts phéno-philosophiques s'auto-effaçant ». Cette fm d'ouvrage est
le point d'accès à une europanalyse, qui n'est pas enfouie dans la culture
Européenne, pour parler comme le dernier Husserl dans sa Krisis. La
phénoménologique élucidée laisse supposer qu'il existe un logos dans
« les choses elles-mêmes» (Sachen-selbst) qui n'est pas celui de la chose
elle-même que décrit Hegel. L'europanalyse s'attache d'abord à fonder la
philosophie2 puis, plus essentiellement, à s'émanciper de la science
comme de la philosophie en œuvrant pour son propre compte, d'ailleurs
immensément.

Cette émancipation défmitive distingue la phéno-philosophie historique et


la phalnomeno-Iogie qui se développe en europanalyse. Autant dire que le
phaïnomenon n'est pas le phénomène. Le phalnomenon, et Heidegger en a
bien retenu la leçon, n'est plus l'aplatissement des phénomènes s'offrant à
la visibilité. Le phaïnomenon qui n'est pas atteint par la phéno-
philosophie est l'entrée en scène, la pensée-vision, et le maintien en
ouverture, dans le rassemblement d'une présence articulée en structure de
l'apparaître. Cette structure, que propose la plume de Heidegger, fait
Logos. Sans psalmodier Heidegger, nous devons propulser la description
de la situation comme logos apparaissant. De la même manière, point ne
sera ici question de commenter directement les télTIoignages
nécessairement approximatifs, ceux que livre l'expérience mystique.
Rappelons que la pensée mystique n'est pas l'expérience mystique. Cette
dernière gouverne en défmitive l'homme dont l'expérience pointe vers
Dieu. En revanche la pensée mystique procède, si l'on veut nous entendre
convenablement, du «réel de réel». Ceci signifie que l'expérience
humaine de pensée est une valorisation, dans un réel de première
puissance, d'un réel de seconde et plus forte puissance. Et les chapitres
qui suivent s'attachent à étudier l'interaction en la réalité humaine de ces
deux puissances. Mais revenons au Logos non-heideggérien, une fois
cette précision donnée.

La question du langage

Il s'agit, ici et maintenant, de transformer le logos des Grecs anciens sans

2 Introduction dans l'europanalyse, Aubier, 1990

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donner dans la métaphorique heideggérienne dont nous venons de parler.
En europanalyse nous avons longuement suggéré déjà que le langage
configure un moment dépendant, à la différence du logos panique des
Anciens, avant Plutarque. Le langage, en d'autres termes, est en un acte de
parole ou d'écriture. M. Henry a bien montré dans Phénoménologie
matérielle combien la philosophie devrait être réécrite, redite depuis la
problématique dûment subvertie de la perception. Nous le verrons, la
question de la perception est centrale dans notre ouvrage. Pour l'instant,
rien n'est encore fait, même si c'est donné à faire. Déjà, cependant, nous
pouvons assumer quelques positions théoriques. Comme Husserl, il est ici
admis que le langage est une couche de l'expression des vécus intimes.
Plus radicalement, il nous paraît que cette couche de l'expression est
partie prenante d'une impression générale, et plus précisément ici, d'une
impression qui recentre affectivement l'homme, quelle que soit la
diversité des situations. Issue de l'impression, la couche du langage
épouse son origine affective. En ce sens, il s'agit bien ici d'un moment
dépendant qui prime sur toutes modélisations possibles, toujours
intéressantes mais à titre de compléments (Saussure par exelnple). C'est
pourquoi le langage fait partie du ravissement général (theoria)
accentuant la contemplation. La theoria, en effet, n'est pas la théorie,
modélisante. Celle-ci propose une logique de la communication entre
territoires. La theoria est un exercice, une ascèse, et n'est pas Inodélisable
parfaitement dans la mesure où c'est la communication qui est
ex-prinlable, donc modélisable.

Aussi convient-il de ne pas surexposer le langage. La surexposition


aboutit à bâtir une extase au plan de l'expression: les structuralismes, les
différentialismes font du langage le rapport de tous les rapports, alors que,
selon nous, l'expressionnel est partie prenante d'un impressionnel. Bien
entendu nous n'entendons pas par « impressionnel» la sensation des
sensualistes. L'impression accueille en elle la frappe expressionnelle dont
elle est la structure profonde. Nous préférons dire: l'intrastructure.

Husserl nous donne l'occasion de laisser filtrer un aspect important du


langage. Husserl hyperbolise les expressions décisives chargées
d'introduire à l'impressionnel humain: il dit « Ur », « proto », « radical »,
« absolu », « essence », « fonctionnaire de l'humanité européenne », afm
d'appuyer impressionnellement sur ces expressions dont pâtissent
précisément les limites expressives. Husserl cherche un point de capiton
pour libérer l'impressionnel. Alors que les pseudo-extases modélisantes

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aboutissent à engendrer un régime de métaphores (la différence, la trace,
le différend, l'autrement que, etc.), nous dirons que Husserl hyperbo/ise
des moments qui valent pour l'intrastructure. L'originalité de Husserl est
là: substituer des protophores aux métaphores. C'est ainsi que la
méditation est créatrice: les protophores interviennent, certes trop
localement, dans le dispositif de l'intrastructure du réel. Mais elles ne sont
pas « humaines trop humaines ». Elles prennent le rang de métaphores
constituantes, ouvrant sur un fonds de réel.

Pour délocaliser les protophores nous sommes amenés, dans cet ouvrage,
à métabo/iser l'hyperbole. Il n'est pas question d'élire des métaphores
fumeuses, mais il convient de livrer un mode de fonctionnement. La
racine grecque ballein (lancer) indique qu'il s'agit de rendre la fiction
fonctionnelle. La lnétabolisation de l'hyperbole engendre une économie
impressionnelle, reversée expressionnellement à des fms de
communication dans l'espace et le temps. Tout notre ouvrage sera articulé
par ce développement et cette fondation des protophores en métaboles.
Prenons un exemple: l'Europe-philosophie est une fiction non-
fonctionnelle. Elle se propose comme un faire-échec à la pseudo-vigilance
de la réalité humaine. Elle est essentiellement problématisante tout en ne
résolvant aucun des problèmes qu'elle pose. La raison en est simple:
l'Europe-philosophie - et les aspects les plus contelnporains des sciences
scientifiques, ou dures - est arraisonnée par son rôle culturel. Disons-le
tout net: c'est l'opinion publique - certes droite - qui suscite les
problématisations, même si ces dernières affment leur statut de doxa par
la suite et, au mieux, relèguent cette dernière.

En revanche le fictionnement métabolique des protophores suscite,


dirons-nous, une europanalyse. Les é-/ancements (meta-ballein)
hyperboliques - toujours trop locaux - s'assemblent selon une syntaxe et
une morphologie particulières. Ces assemblements métaboliques
suscitent, mais dans l'invisible, une disposition qui contrarie le dispositif
linéaire et linguistique. Dans l'invisible la prédication, qui est essentielle
pour la formation traditionnelle des propositions avec prémisses
syllogistiques, et qui demeure essentielle dans les formations dialectiques
(Hegel), ne se verra pas renversée ou abattue. Ce qui est visible demeure
indubitablement visible. Toutefois les assemblements métaboliques ont
pour particularité d'œuvrer dans l'intrastructure du langage. Dans cette
lnesure, le dys-cours commun, fût-il philosophique, devient discours
métabolique. Son régime de fonctionnement, comme nous le verrons, est

19
l'apposition d'un apposé à un apposant. L'opération essentielle est, dans le
discours et non dans le dyscours formant conversation, de laisser glisser
l'apposant sous l'apposé, de basculer la structure de l'apposition. Cette
situation du vrai implique un regressus, regressus qui départage le
discours du dyscours. Ce basculement, cependant n'est pas une retombée,
une annulation du sens propositionnel. Ce que le sens commun appelle du
nom, certes surfait, d'intuition cache une vérité: le dyscours s'empale en
discours au moment de la soi-disant intuition. De la même manière, le
discours philosophique à large composante dyscursive, se troue,
abandonne ses oripeaux dyscursifs pour entamer - et entamer simplement
- une incursion-intuition dans une trouée de soi définitive. Cette trouée
suscite l'établissement progressif d'un axe métabolique, invisible
« derrière» les contreforts discursifs. Un parcours invisible, qui ne fait
pas chiasme (comme chez Merleau-Ponty) avec le visible du parcours
dyscursif, met en place ce que nous nommons: une analectique.

L'analectique

Qu'est-ce que cette analectique qui intrastructure nos précédents ouvrages


europanalytiques? En un terme husserlien, écrivons que « analectique» -
qui provient de analektos: recueilli - est un moment central de
désidéalisation.. Là où Husserl préconisait la désidéalisation par une
entrée, jamais explicitée, dans le monde de la vie (Lebenswelt), nous
dirons que l'analectique est précisément l'analyseur de la désidéalisation.
La trouée métabolique invisible et basculante est d'abord une analyse
réelle (et non plus dyscursive) qui scinde le dyscours de bas en haut (ana).
L'opération fait « remonter» le lekton, l'exprimé? par glissement sur soi
jusqu'en arrière de soi. Nous pensons à un feu qui se rallume par son
fonds, par les braises vives.

Dans ce déplacement, qui est étranger à l'espace culturel, s'opère comme


dans le cas du feu un redressement. Ici, un redressement de pensée, dite
discursive. Revenons-y un instant: la métabolisation analectique, ou
europanalyse, engendre la remontée du lekton incisif par glissement de ce
dernier sur soi, et en impression. Cette architecture simple, et invisible, du
langage comme incursion dans l'impressionnel, signe un discours en
theoria. L'impression est le lieu-dit du ravissement comme contemplation.
Et penser en theoria, ce qui est tout à fait différent de la théorisation
modélisatrice, peut se dire: théorialiser. Convenons alors que

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l'analectique théorialisante est le premier mouvement - en interne qui,
depuis son invisible, contrecarre le dyscours prédicatif et sa variante
dialectique.

Poursuivons ce premier moment de désidéalisation qui a livré le concept


d'analectique théorialisante. Que signifie la fondation (Fundierung)
théorialisante? Qu'est-ce qui est le plus indifférent à une pensée
commune, intersubjectivement idéalisante? Husserl le savait déjà: la
pensée idéalisante, celle qui est parée d'un vêtement d'idées, suppose
l'homogénéité et l'idéalité irréelle de la pensée espace-temps. Penser
idéalistelnent veut dire présupposer l'articulation d'espace-telnps et
construire un dys-cours qui s'articule dans cette homogénéité, loin du
monde de la vie. Voilà qui veut dire la dévitalisation3 de la Lebenswelt. Il
convient une fois pour toutes, de quitter la structure de la pseudo
révolution philo-scientifique. En l'occurrence penser a pour sens discursif
d'adopter la forme d'un habitat et de s'enformer dans cet habitat qui la
traverse et l'émeut. Nous abandonnons la pensée philosophique funéraire
qui se décide comme philosophie - à la manière de Hegel - une fois
qu'une époque historique est morte. C'est que la pensée vive, émue, vit
intrinsèquement de l'ambiance (Stimmung) d'un habitat qui s'infiltre et
rend allègre ce qu'il intrastructure, c'est-à-dire le discours theorial. Penser
c'est nidifier via l'empalement, la trouée en estocade, du dyscours par le
discours. L'opération engendre une trouée vive d'humanité, c'est-à-dire
l'ambiance originaire d'un écumène, l'e-space interne d'un habitat. En
termes encore à demi élucidés, la pensée discourt depuis son e-space
interne, son écumène. Elle nidifie et se produit en écumène, tout comme
ce dernier a pour essence réelle, discursive, d'être-là pour la pensée.
Penser n'est rien sans écumène. Ecuménaliser, theorialiser, est l'acte de la
pensée même, c'est-à-dire le discours de l'habitat, son architecture dont le
langage est l'architecte.

Dans cette mesure, ici non encore suffisamment appréciée, on comprend


qu'une europanalyse prenant en charge le phaïnomenon ne rentre pas dans
la distinction philosophique du sujet intérieur et du monde extérieur.
Husserl, dans le cadre affiché d'un idéalisme transcendantal fort lucide,
considère que la pensée est pensée-de, ou pensée intentionnelle. Ceci sera
repris en doublet par les philosophies existentialistes de l'homme
considéré comme « projet », c'est-à-dire encore à l'horizon de sa nature.

3 Pour autant nous ne pratiquons aucunement l'éloge d'un vitalisme de pensée,


philosophique ou scientifique.

21
L'europanalyse considère que le «projet-de» est l'éviscération d'un jet
dans l'interne avant même les positions du sujet et de l'objet. En effet, au
départ est l'écumène qui est bien plus consistant que l' habitus de vivre
issu du monde de vie (Lebenswelt). Ce jet habitant intrastructure
l'écumène.

La rétroréférence

Cette désidéalisation dans l'ordre écuménal entraîne à la reconfiguration


d'un concept husserlien, surtout exprimé dans Ideen l, concept qui est
celui de rétroréférence (Rückbeziehung). En vertu de cette rétroréférence,
une discipline fait « retour sur elle-même ». Dans un domaine, les lois de
production d'un Monde-objet issu de la théorie rétroagissent sur la
signification du domaine en lui-même: « les évidences méthodologiques
(H') sont elles-mêmes placées ('H) sous les règles qu'elles formulent»
(p. 214, trade Ricœur). Voilà, selon nous, la sphère d'action de la
rétroréférence dûment exprimée par Husserl. La lecture attentive de
l'ouvrage, dont les résultats se confIrment dans le colossal opus posthume,
livre un résultat touchant précisément à la désidéalisation. Le choc
interne, dans la Krisis, concerne la pertinence de la Lebenswelt (monde de
la vie) eu égard à un transcendantalisme strictement maintenu. Lequel de
ces deux concepts remporte sur l'autre? Husserl ne nous libère pas de ce
nœud gordien. Pourtant il donne une indication - qu'il n'exploite pas
dûment, cependant. On connaît ainsi l'extraordinaire parenté du Monde de
la vie et de l'immanence, parenté qui exclut de droit le transcendantalisme
issu de Kant. Pourtant le transcendantalisme est maintenu comme prin1um
théorique. Le recours au concept de rétroréférence, qui est bien tiré du
texte husserlien, trace une autre ligne de destin que celle engendrée par le
maintien - coûte que coûte - du sujet transcendantal. En l'immanence, qui
n'est pas affublée du sujet curieusement monadique, opère la
rétroréférence qui relève d'une loi absolument générale.

Alors, de même qu'existe un fallacieux doublet empirico-transcendantal,


la rétroréférence engendre l'épaississement du transcendantal, à la façon
du reste dont l'empirie est rétroréférée, épaissie, en transcendantal. Bien
entendu cet épaississement, qui est d'ordre écuménal, n'est pas « lisible»
du « point de vue » d'une pensée cherchant les choses elles-mêmes - par
exemple le phaenomenon kantien - à même l'espace, à travers l'intuition
pure de l'espace dira Kant. Or nous savons que l'analectique

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