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Américanistes
Olivier Guilhem. Les paquets sacrés ou la mémoire cachée des Indiens du Mexique central (XVe-XVIe siècles). In: Journal de
la Société des Américanistes. Tome 81, 1995. pp. 105-141;
doi : 10.3406/jsa.1995.1585
http://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1995_num_81_1_1585
Resumen
Los bultos sagrados о la memoria escondida de los indios del centro de México (siglos XV y XVI).
Formados de reliquias abandonadas por los dioses, los bultos sagrados {tlaquimilolli en náhuatl) eran
adorados durante la época postclásica en el México central y hasta en toda Mesoamérica.
Documentos históricos y míticos cuentan cómo los pueblos indígenas obtuvieron estos bultos y
describen a veces su contenido así como sus usos y los cultos que recibían. Imagen de la deidad
tutelar, el bulto sagrado encerraba los objetos que atestiguaban la historia del grupo. En la ciudad de
México-Tenochtitlan, los tlaquimilolli de Tezcatlipoca y de Huitzilopochtli tenian un papel importante
durante las ceremonias de entronización del nuevo rey, el cuál, en esta ocasión, moria y renacia de
manera simbólica.
Résumé
Constitués par des reliques abandonnées par les dieux, les paquets sacrés {tlaquimilolli en nahuatl)
étaient adorés durant la période postclassique au Mexique central et, au-delà, dans l'ensemble de la
Mésoamérique. Des documents historiques et mythiques racontent comment les peuples indigènes
obtinrent ces paquets, décrivent parfois leur contenu de même que leurs usages et les cultes qui leur
étaient adressés. Image de la divinité tutélaire, le paquet sacré renfermait les objets qui témoignaient
de l'histoire du groupe. A Mexico-Tenochtitlan, les tlaquimilolli de Tezcatlipoca et de Huitzilopochtli
jouaient un rôle important durant les cérémonies d'intronisation du nouveau roi qui, à cette occasion,
mourait et renaissait symboliquement .
LES PAQUETS SACRÉS OU LA MÉMOIRE CACHÉE
DES INDIENS DU MEXIQUE CENTRAL
(XVe-XVIe SIÈCLES)
Guilhem OLIVIER *
Constitués par des reliques abandonnées par les dieux, les paquets sacrés {tlaquimilolli en
nahuatl) étaient adorés durant la période postclassique au Mexique central et, au-delà, dans
l'ensemble de la Mésoamérique. Des documents historiques et mythiques racontent comment
les peuples indigènes obtinrent ces paquets, décrivent parfois leur contenu de même que leurs
usages et les cultes qui leur étaient adressés. Image de la divinité tutélaire, le paquet sacré
renfermait les objets qui témoignaient de l'histoire du groupe. A Mexico-Tenochtitlan, les
tlaquimilolli de Tezcatlipoca et de Huitzilopochtli jouaient un rôle important durant les
cérémonies d'intronisation du nouveau roi qui, à cette occasion, mourait et renaissait
symboliquement .
Mots clés : Mexique central, ethnohistoire, période postclassique, paquets sacrés, religion,
mythes, royauté.
Los bultos sagrados о la memoria escondida de los indios del centro de Mexico (siglos XV
y XVI).
Formados de reliquias abandonadas por los dioses, los bultos sagrados {tlaquimilolli en
náhuatl) eran adorados durante la época postclásica en el Mexico central y hasta en toda
Mesoamérica. Documentos históricos y míticos cuentan cómo los pueblos indígenas
obtuvieron estos bultos y describen a veces su contenido asi como sus usos y los cultos que
recibian. Imagen de la deidad tutelar, el bulto sagrado encerraba los objetos que atestiguaban
la historia del grupo. En la ciudad de México-Tenochtitlan, los tlaquimilolli de Tezcatlipoca
y de Huitzilopochtli tenian un papel importante durante las ceremonias de entronización del
nuevo rey, el cuál, en esta ocasión, moria y renacia de manera simbólica.
Palabras cla ves : Mexico central, etnohistoria, periodo postclásico, bultos sagrados,
religion, mitos, realeza.
The hidden memory : Sacred bundles among Indians of Central Mexico (ХУ*Н-ХУ1*Н
centuries).
The sacred bundles {tlaquimilolli in nahuatl) consist in relics, once abandonned by the
gods, and they were worshipped in Central Mexico during the Post-Classic period, later on
in the whole of Mesoamerica. Historical and mythical documents tell how native peoples
obtained them, sometimes describing their contents as well as their usage and the cults
dedicated to them. As an image of the tutelary divinity, the sacred bundle would contain
objects which were testimonials of the group's history. In Mexico-Tenochtitlan, the
tlaquimilolli of Tezcatlipoca and Huitzilopochtli played an important part in the
inauguration ceremonies of the new king, who, on this occasion, symbolically died and was reborn.
Key words : Central Mexico, ethnohistory, Post-Classic period, sacred bundles, religion,
myths, kingship.
INTRODUCTION
brûlée (par les « Seigneurs de l'année » ?) et elle éclata plusieurs fois, donnant
naissance à cinq couteaux de silex de couleurs différentes. Mixcoatl choisit comme
dieu le deuxième couteau de silex, le blanc, qu'il enveloppa dans une pièce de tissu :
«... le chargea sur le dos et alla combattre au lieu appelé Comallan : il va portant
son dieu de silex, Itzpapalotl ».
Les Anales de Cuauhtitlan (1945 : 3) nous offrent une version légèrement
différente : guides des Chichimèques, les Mimixcoa tombèrent entre les griffes
d'Itzpapalotl qui les dévora. Seul Iztacmixcoatl aussi appelé Mixcoaxocoyotl
(«Mixcoatl le cadet») parvint à se réfugier dans un cactus d'où il sortit
précipitamment pour tuer à coup de flèches Itzpapalotl. Il évoqua les Mimixcoa qui
ressuscitèrent et décochèrent eux aussi des flèches contre Itzpapalotl : « Ainsi elle
mourut, ils la brûlèrent ; ils se couvrirent (de cendre) et se peignirent des cernes
(autour des yeux) avec ses cendres. Ainsi fut réalisé le tlaquimilolli, ils s'apprêtèrent
tous à l'endroit appelé Mazatepec ».
Dans le premier mythe conservé par Mendieta, ce sont les vêtements des dieux
qui sont à l'origine des tlaquimilolli dont ils forment l'enveloppe, le contenant. En
revanche, les sources qui narrent la saga de Mixcoatl insistent sur la nature divine
du contenu des tlaquimilolli : ce sont les reliques (c'est-à-dire les restes, du latin
reliquiae) de la divinité qui constituent le cœur du paquet sacré. Dans un cas, les
hommes sont chargés de fabriquer l'armature du tlaquimilolli (le bâton dans lequel
est inséré une pierre précieuse), dans l'autre, les Mimixcoa ou Mixcoatl recueillent
les restes d'Itzpapalotl (le couteau de silex ou les cendres) qu'ils enveloppent dans
une pièce de tissu.
Les récits des pérégrinations des Mexicas illustrent ces deux modalités
d'acquisition du paquet sacré. Une première source révèle qu'après la victoire de
Huitzilopochtli sur le Coatepec, les Mexicas passèrent par Xicoc « où ils
demeurèrent trois années et où ils firent un temple où ils mirent le pagne
(« maxtel ») de Huitzilopochtli et, 39 ans après leur sortie, ils enlevèrent le pagne
de Huitzilopochtli et le donnèrent à Vicualti (?) pour qu'il le portât en chemin avec
grande révérence » (Historia de los mexicanos por sus pinturas 1965 : 44). Un peu
plus loin, nous apprenons qu'un Indien «... portait le pagne et la pièce de tissu de
Huitzilopochtli ... » (Ibid. : 47). D'après Cristobal del Castillo (1991 : 154-155), ce
furent les os du guide mythique des fondateurs de Mexico-Tenochtitlan qui
constituèrent le contenu du tlaquimilolli adoré ensuite par les Mexicas. Signalons au
passage que le schéma de l'abandon des reliques divines qui suit la naissance du
soleil dans le mythe rapporté par Mendieta est scrupuleusement reproduit dans le
récit mexica où la victoire de Huitzilopochtli à Coatepec est clairement assimilée à
l'émergence d'un nouveau soleil.
Citons également deux versions relatives aux paquets sacrés de Tezcatlipoca.
Nous devons la première à Bartolomé de Las Casas (1967 : I, 643) : «... vivant,
(Tezcatlipoca) pénétra dans le volcan de la Sierra Nevada, qui est près de là, et
(que), de cet endroit, il leur envoya l'os de sa cuisse qu'ils placèrent dans leur
temple comme leur dieu principal et les Tezcocans se vantent beaucoup de cela ».
Juan Bautista Pomar (1986 : 59) n'évoque pas l'origine du tlaquimilolli de cette
divinité mais le décrit comme un miroir enveloppé dans des pièces de tissu conservé
à Tezcoco.
Olivier G.] LES PAQUETS SACRÉS DANS LE MEXIQUE CENTRAL 109
D'après ces mythes — d'autres seront examinés par la suite — , on peut définir
les tlaquimilolli comme une ou des reliques associées à une divinité qui sont
enveloppées dans des pièces de tissu, celles-ci pouvant aussi, indépendamment, faire
office de reliques. Si l'on accepte la version de Mendieta qui établit une distinction
entre les paquets sacrés et les statues, les représentations zoomorphes ou
anthropomorphes sont exclues de la catégorie des tlaquimilolli.
ayant imprudemment placé dans son sein quelques plumes blanches, tomba
enceinte et donna naissance à Huitzilopochtli (Ibid.).
A l'occasion de la fête de Toxcatl dédiée à Tezcatlipoca, les vêtements de la
statue du dieu étaient renouvelés «... lesquels étaient gardés dans des paniers avec
autant de révérence que lorsque nous traitons les ornements voire plus. Dans ces
paniers, il y avait beaucoup de parures, joyaux, bracelets et plumes, bien gardés, qui
ne servaient à rien sinon d'être là et qu'ils adoraient comme le dieu lui-même » (Durán
1967 : I, 39 ; nos italiques). Les atours du dieu étaient donc conservés
précieusement dans des paniers — l'ensemble pouvant être assimilé à un tlaquimilolli — et
faisaient l'objet d'un culte. Durant la même fête, «... ils sacrifiaient les esclaves et
les captifs ; et leurs seigneurs gardaient leurs habits en tant que reliques dans une
caisse qu'ils couvraient avec une pièce de tissu du démon et ils la vénéraient
beaucoup car ils disaient qu'elle était la figure ou l'image du démon et, si un
étranger venait à cette maison, il allait devant cette image et la baisait (la caisse)
et l'adorait et le seigneur de l'esclave ordonnait qu'à sa mort, s'il était brûlé, on
brûlât cette caisse avec lui et si on l'enterrait, on enterrât aussi cette caisse avec lui »
(Códice Tudela 1980 : fol. 15 v° ; Costumbres ... 1945 : 42). Ce témoignage
remarquable nous offre un exemple de l'association de deux types de reliques : tout
d'abord les habits de l'esclave ou du captif (lequel avait représenté Tezcatlipoca
durant une année) qui étaient conservés précieusement dans une caisse 3 ; ensuite,
comme pour lui conférer un « surplus » de puissance divine, la caisse était
recouverte par un tissu (« manta del demonio ») qui représentait probablement la
même divinité 4, l'ensemble constituant un tlaquimilolli qui recevait un culte à
l'intérieur de l'oratoire du propriétaire de l'esclave ou du captif.
La dévotion indigène à l'égard de ces « mantas » se traduisit, après la Conquête,
par les efforts des vaincus visant à les préserver des velléités iconoclastes des
Espagnols. Selon le témoignage d'un ancien prêtre mexica appelé Culoa, «... le dit
ochilobos (Huitzilopochtli) avait quatre pièces de tissu (ornées) de pierres
précieuses de jade (« chalchuyes »), dont deux appartenaient à ochilobos et deux à
Tezcatepucal (Tezcatlipoca), qui étaient (ornées) de pierres précieuses de jade
transparentes 5, lesquelles pièces de tissu étaient gardées par Coautlayautl et
Tomecao, Indiens habitants de Mexico, qui sont morts aujourd'hui et dont les
femmes et fils conservent les dites pièces de tissu car ce témoin les a vues dans les
mains de Coautlayautl et Tomecao ...» (Procesos ... 1912 : 124).
Partie intégrante des tlaquimilolli, les tissus qui les enveloppaient et/ou les
vêtements divins étaient assimilés à des objets sacrés qui pouvaient être adorés
comme des substituts de la divinité. On ne saurait les considérer comme de simples
enveloppes dépourvues de valeur religieuse.
b) Les bâtons :
Karl Nowotny (1966 : 418) considère que le mot «palo» doit être compris
«... comme « caisse » ou « coffre » fabriqué à partir d'un bloc de bois ... ».
Effectivement, à propos du tlaquimilolli de Quetzalcoatl, Muňoz Camargo (1984 :
132) écrit qu'il fut transporté jusqu'à la ville de Cholula «... dans des coffres de
bois ... ». De même, Diego Durán (1967 : I, 73) nous décrit le paquet sacré qui se
trouvait dans le temple de Camaxtli-Mixcoatl à l'intérieur d'« ... une petite caisse
haute et ronde comme un verrier ...» tandis que les Mexicas portaient Huitzilo-
pochtli dans « ... une caisse de joncs ... » (Ibid. 1984 : II, 26). Au début du xvme
siècle, le franciscain Antonio Margil dénonçant la persistance de «coutumes
idolâtriques » dans des villages de la province de Suchitepéquez (au sud du
Guatemala) mentionne la présence de caisses où des reliques, suspectes à ses yeux,
étaient conservées (Dupiech-Cavaleri et Humberto Ruz 1988 : 260).
Cela étant, la mention dans le texte de Mendieta d'encoches ou de trous réalisés
dans les morceaux de bois semble difficilement compatible avec l'hypothèse de
Nowotny. De plus, nous possédons plusieurs témoignages attestant l'existence de
cultes qui étaient adressés à des bâtons.
L'un des plus connus concerne le dieu des marchands Yacatecuhtli dont on sait
qu'il était représenté par un «... solide bâton en roseau ...» orné de papiers
découpés (Sahagun 1988 : 544). Des prières que les voyageurs adressaient à leur
bâton avant d'entreprendre une expédition ont été recueillies par Hernando Ruiz
de Alarcón (1987 : 139, 152-153). Cet objet était invoqué sous le nom de calendrier
ce ail (« 1 Eau ») et on lui demandait de protéger les voyageurs face aux périls qui
pouvaient survenir en chemin.
Une autre source mentionne les habitants de Cuitlahuac qui adoraient le dieu
Amimitl «... qui était un bâton de Mixcoatl qu'ils considéraient comme un dieu et,
en souvenir de lui, ils portaient ce bâton ». On racontait qu'en frappant sur un
rocher avec ce bâton, Mixcoatl-Camaxtli avait donné naissance aux 400 Chichi-
mèques qu'on appelle aujourd'hui les Otomis (Historia de los mexicanos por sus
pinturas 1965 : 36, 40).
Si l'on s'éloigne du Mexique central, on retrouve la trace d'un culte rendu à
une armature de bois chez les Indiens cocas de l'actuel État de Jalisco : « Le
village de Santiago s'appelait dans le passé, selon la langue des natifs, Copsppapit,
à cause d'un gros bâton en croix orné d'un huipil qui est un vêtement de femme
et sur lequel étaient fixées des plumes d'ara. Et, au moment (de faire) des sacrifices,
ils le sortaient et n'avaient pas d'autres idoles » (Relation de Poncitlan y Cuiseo
dans Relaciones geográficas del sigh XVI : Nueva Galicia 1988 : 187-188). La
description de cette idole dont il est précisé qu'elle était la seule adorée par
les naturels est fort proche de celle donnée par Mendieta à propos des
tlaquimilolli.
Dans les mythes des Indiens cakchiquels, habitants des Hautes Terres du
Guatemala, nous trouvons également la trace d'un bâton d'origine divine : « Quand
nous arrivâmes aux portes de Tulân, nous reçûmes un bout de bois rouge qui était
notre bâton et pour cela on nous donna le nom de Cakchiquels » (Memorial de
Sololá 1980 : 58). Symbole du pouvoir qui leur est concédé dans la cité mythique
de Tollan, ce bâton permet aux Cakchiquels de traverser la mer et aussi de pourvoir
à leur nourriture durant les pérégrinations 6.
112 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81,1995
Dans les mythes d'origine du tlaquimilolli utilisé par Mixcoatl, il est question
des reliques récupérées après la mort de la déesse Itzpapalotl : couteau de silex ou
cendres. Avec celles-ci, les Mimixcoa «... se couvrirent et se peignirent des cernes
(autour des yeux) ...» et le texte se poursuit par ces mots : « Ainsi fut réalisé le
tlaquimilolli ... » sans plus de précisions {Anales de Cuauhtitlan 1945 : 3).
Heureusement, la même source nous révèle un peu plus loin, à l'occasion de la
description d'un conflit entre les Atenchicalcas et les Tiçicas Cuitlahuacas, la nature
du tlaquimilolli d'Itzpapalotl : «... l'Atenchicalca entra dans leur maison et ils
brûlèrent le temple des Cuitlahuacas, la maison du « diable » Mixcoatl. Un soldat
de Mexicatzinco fut le premier qui se hâta de monter sur (le temple) de Mixcoatl
et il s'empara des cendres d'Itzpapalotl, appelées tlaquimilolli, etc., qui étaient
contenues dans deux tuyaux durs de belle plume » {Anales de Cuauhtitlan 1945 : 51 ;
nos italiques). Ce précieux témoignage — les descriptions du contenu des
tlaquimilolli sont, hélas, peu nombreuses — nous permet de nous interroger sur la valeur
des données fournies par Munoz Camargo (1984 : 163, 264-265) à propos du
paquet sacré de Camaxtli-Mixcoatl. Celui-ci, à deux reprises, évoque l'existence
d'un tlaquimilolli renfermant les cendres de ce dieu. S'agissait-il des cendres d'un
« homme-dieu » albinos recueillies par des dévots après sa mort ? 10 Ou bien faut-il
penser que l'écrivain tlaxcaltèque s'est trompé et que le contenu du tlaquimilolli
renvoie ici aussi à Itzpapalotl ? Il est difficile de trancher même si l'existence d'un
paquet sacré renfermant les reliques de Camaxtli-Mixcoatl (qui ne sont pas des
cendres) est attestée par ailleurs. Nous y reviendrons.
Nous avons vu que le tlaquimilolli de Quetzalcoatl, d'après Munoz Camargo
(1984 : 132), avait été formé avec ses cendres. De même, Alva Ixtlilxóchitl (1985 :
I, 387) raconte comment les cendres de Topiltzin, roi de Tollan, furent recueillies
par ses dévots et conservées dans un sac en peau de jaguar.
Si l'on en croit Diego Durán (1967 : I, 73-74), les habitants de Huexotzinco et
de Tlaxcala possédaient un paquet sacré comprenant les instruments utilisés par
Camaxtli dans les temps mythiques dont «... une sorte d'instrument pour faire du
feu que cette idole utilisa à son époque avec un petit tison sur lequel il allumait le
feu [...] et avec cette sorte d'instrument pour faire du feu que nous pouvons bien
appeler amadou et silex ... ». Dans le mythe, nous avons vu que Mixcoatl
confectionnait un tlaquimilolli au moyen d'un couteau de silex blanc issu de la
crémation d'Itzpapalotl {Leyenda de los Soles 1945 : 124). Il existe donc une
équivalence symbolique entre le couteau de silex et les bâtonnets à feu, deux
éléments qui peuvent entrer dans la composition des paquets sacrés.
Signalons également, dans le Codex Nuttall (1975 : 15, 19, 22, 42), la présence
de cinq représentations de tlaquimilolli accompagnées de couteaux de silex. Quatre
sont représentés à l'intérieur de temples, le dernier étant situé sur une montagne
114 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
Fig. 3 et 4. — Les porteurs des dieux Tezcatlipoca, Huitzilopochtli, Tlaloc et Chicomecoatl (Codex
Azcatitlan). Dessin de G. Dodinet.
confection d'un tlaquimilolli «... qui est un couteau (en obsidienne) de ceux qu'il
a avec lui ; et vous mettrez celui-ci dans des pièces de tissu ... ».
e) Le miroir de Tezcatlipoca :
Autre objet, probablement en obsidienne, le miroir de Tezcatlipoca constituait
l'élément principal de son tlaquimilolli à Tezcoco : «... un miroir à la superficie
polie et brillante (« espejo de alinde »), de la taille et de la dimension d'une grande
demi-orange, serti dans une pierre noire grossière » (Pomar 1986 : 59). Dans le
Codex Azcatitlan (1995 : PI. VII) (Fig. 3), apparaît un teomama portant un paquet
surmonté d'un glyphe composé d'un objet ovale entouré de quatre petits cercles
d'où émerge une volute. Ce glyphe (sans la volute) se retrouve dans le Códice
Mendoza (1964 : 11, 21, 29, 31, 44) où il entre dans la composition des toponymes
« Atezcahuacan, Tezcacoac, Tezcatepec et Tezcatepetonco » avec la valeur de
tezcatl, « miroir ». Le porteur de dieu du Codex Azcatitlan transporte donc bien un
miroir, la volute symbolisant sans doute la fumée qui s'en échappe. L'ensemble
constitue un glyphe qui correspond au « Seigneur au miroir fumant ».
De nombreux miroirs en pyrite et en obsidienne ont été retrouvés par les
archéologues dans des sites inclus dans une aire géographique qui s'étend depuis le
sud-ouest des États-Unis jusqu'au Costa Rica. Les plus anciens ont été exhumés
dans des sites olmèques et la production de miroirs s'est poursuivie jusqu'à l'arrivée
des Espagnols. Il est souvent difficile de préciser si ces objets faisaient partie de
paquets sacrés ou bien s'il s'agissait d'offrandes funéraires, l'origine des miroirs
étant souvent inconnue ou, encore, le contexte d'enfouissement non spécifié dans
les publications 12.
Nous avons toutefois relevé le cas d'un miroir découvert dans une grotte située
près de Tempe, Maricopa dans l'État d'Arizona aux États-Unis. Conservé au
Museum of the American Indian, Heye Foundation à New York, ce miroir en
pyrite de 10,8 cm de diamètre a été retrouvé enveloppé dans un tissu en coton et
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dans une peau de cerf, l'ensemble étant lié avec des cordes en fibres de yucca. Ce
qui ressemble fort au tlaquimilolli décrit par Pomar était associé à des restes calcinés
de guerriers et à une iconographie en rapport avec Tezcatlipoca (?) (Di Peso 1979 :
94-96). Datée approximativement des années 500-900 ap. J.C., cette découverte sur
laquelle nous n'avons pas pu obtenir plus de détails (notamment à propos de cette
mystérieuse « Mexican Tezcatlipoca iconography ») paraît liée à l'arrivée d'un
groupe Hohokam venu du Mexique, peut-être des États de Guanajuato, Michoa-
cán, Jalisco ou Nayarit (Gumerman et Haury 1979 : 77, 89).
Pomar précise que le miroir était enchâssé dans une pierre noire grossière. Nous
n'avons pas trouvé dans la littérature archéologique consultée d'exemples de ce
type mais il est possible que Pomar ait eu connaissance d'un miroir façonné à partir
d'une pierre dont une face seulement était polie. Sur les photographies de miroirs
découverts à La Venta, on remarque que si la surface polie du miroir présente une
forme à peu près régulière (ronde ou ovale), le reste de la pierre et notamment la
face postérieure a été laissée par l'artiste à l'état brut (Gullberg 1959 : pi. 43-46).
Les éléments étudiés qui entrent dans la composition des paquets sacrés — dont
la liste n'est pas exhaustive — fonctionnent donc comme des reliques divines
abandonnées par les dieux aux hommes afin que ceux-ci les adorent. Si chacun des
objets cités dans les mythes peut remplir de manière autonome la fonction de
relique, les paquets sacrés constituent des assemblages composites dont les éléments
constitutifs varient selon la divinité considérée.
Le paquet sacré de Tezcatlipoca est également censé guider les ancêtres des
Tezcocans en route vers leur « Terre promise »:«... quand vinrent les ancêtres des
habitants du quartier de Huitznahuac (de Tezcoco) [...], ce miroir leur parlait avec
une voix humaine pour qu'ils poursuivent leur route, ne s'arrêtent pas ni ne
s'installent dans les endroits où ils prétendaient s'arrêter et occuper, jusqu'à ce
qu'ils arrivèrent à cette terre des Chichimèques Aculhuaques » (Pomar 1986 : 59).
c) Le tlaquimilolli et la guerre :
Instrument de communication avec la divinité, symbole et garantie d'un
pouvoir sur les hommes, on ne sera guère surpris de retrouver les paquets sacrés
associés à des activités guerrières.
Ainsi, dans le village de Zapotlan, un paquet sacré était consulté sur
l'opportunité d'entreprendre une campagne militaire (Relation geográfica del sigh
XVI : Nueva Galicia 1988 : 226). Quant aux Tlaxcaltèques, ils utilisaient les flèches
contenues dans un tlaquimilolli afin de connaître l'issue d'une bataille (Mendieta
1980 : 147 ; Sandoval 1980 : II, 234).
S'ils pouvaient servir d'instruments divinatoires, les paquets sacrés conféraient
aussi à leurs détenteurs une énergie indispensable à la réalisation des objectifs de
conquête. Les armées en campagne étaient précédées par des prêtres (teomama) qui
portaient les dieux, certains probablement sous la forme de tlaquimilolli (Sahagun
1988 : 523) 13.
118 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81,1995
utilisées par les informateurs de Sahagun pour définir le guerrier, on trouve le mot
« nexeoac » que Dibble et Anderson traduisent par « le cendreux » (CF VI : 12).
En fait, c'est le tlaquimilolli lui-même qui explique la série de conquêtes que les
sources attribuent à Mixcoatl-Camaxtli. La valeur de l'« homme-dieu » était
étroitement liée à la puissance de la divinité qu'il portait sur le dos, le couteau de
silex enveloppé dans une pièce de tissu selon la Leyenda de los Soles ou un cerf à
deux têtes d'après YHistoria de los mexicanos por sus pinturas (1965 : 37) : «... il
y eut une guerre entre Camaxtli et certains habitants de la région et, pour les
vaincre, il prit ce cerf et, en le portant sur le dos, il vainquit ». Les exploits de
Camaxtli devaient s'interrompre avec la perte du tlaquimilolli. Le cerf merveilleux
lui fut en effet dérobé par les Chichimèques qui profitèrent d'un moment
d'égarement du héros occupé à concevoir avec «une parente de Tezcatlipoca »
l'une des principales figures de la mythologie mésoaméricaine, Ce Acatl appelé
aussi Topiltzin Quetzalcoatl (Ibid.).
Il nous paraît intéressant de rapprocher ce texte d'un épisode du Popol Vuh que
l'on retrouve également dans El Titulo de Totonicapán. Lassés de servir de victimes
sacrifiées aux dieux Tohil, Avilix et Hacavitz, les membres des tribus de Vue Amag
décidèrent de se réunir afin d'interrompre les massacres. Ayant surpris les trois
divinités sous la forme de jeunes gens qui se baignaient dans une source d'eau
chaude, les seigneurs décidèrent d'y envoyer leurs filles afin de tenter ces dieux
vertueux : « Ils ont le pouvoir et la gloire parce qu'ils ne voient jamais de femmes »
{El Titulo de Totonicapán 1983 : 180). Les seigneurs recommandèrent aux jeunes
filles de séduire les trois jeunes gens et aussi de leur ramener les vêtements de leurs
victimes. Dédaignant leurs charmes, Tohil, Avilix et Hacavitz consentirent
toutefois à leur céder « la preuve de notre conversation », c'est-à-dire trois toiles
peintes représentant les « naguales » des seigneurs quiches : un tigre, un aigle et des
abeilles et des bourdons. Les jeunes filles rapportèrent ces présents aux seigneurs
qui revêtirent les habits peints en signe de victoire. Mais les motifs animaliers
s'animèrent et infligèrent aux seigneurs de cruelles blessures (Ibid. : 181 ; Popol Vuh
1986 : 133-134).
Les femmes sont donc le principal instrument susceptible de faire perdre aux
dieux ou aux hommes leur puissance symbolisée ici par leurs vêtements, là par un
cerf à deux têtes, ces deux éléments appartenant à la catégorie polymorphe des
tlaquimilolli. Si les vêtements divins peuvent conférer à ceux qui les portent des
pouvoirs exceptionnels, ils ont aussi la capacité de punir les orgueilleux ou les
pervers qui ne les ont pas mérités.
161). Signalons aussi que lors de la fête ďEtzaqualiztli, une image de Chalchiuht-
licue était réalisée à partir d'une armature en bois que l'on habillait avec les
vêtements et les bijoux de la déesse (CF I : 21). Le paquet sacré de la divinité
purépecha Curicaueri était conservé dans le grenier où était entreposé le maïs
(Relation de Michoacán 1988 : 60). Enfin, nous possédons le témoignage de Burgoa
(1989 : II, 268) qui rapporte que fray Luis de San Miguel découvrit dans le village
de Quegolani un tlaquimilolli qu'il appelle «... le dieu postiche des semis de
maïs ... ».
La parcimonie des sources relatives au culte des paquets sacrés — liée en partie
au caractère secret de ces rites — impose un examen minutieux des rares éléments
dont nous disposons à ce sujet.
Dans le cas de Huitzilopochtli, Cristobal del Castillo (1991 : 154-157)
raconte comment les dieux enseignèrent à Huitzitl la façon dont son tlaquimilolli,
placé sur un autel à l'intérieur d'un temple, devait être adoré : « Tous les jours, ils
te serviront, ils t'encenseront avec du copal, ils encenseront devant toi car tu seras
l'image de notre teachcauh Tetzauhteotl, qui sera aussi là-bas. Ils placeront devant
vous des fleurs et de la fumée odorante, ils paieront leur dette avec le sang qu'ils
extraient de leurs oreilles, de leurs parties charnues, de leur poitrine, de leurs tibias,
avec lequel ils vous arroseront». D'autres détails apparaissent dans l'œuvre de
Chimalpahin (1965 : 135) qui nous décrit le chef chichimèque Cuahuitzatzin
Tlayllotlac qui transportait le dieu Nauhyoteuhctli : « Immédiatement, il déposa
son paquet, la chose qu'il portait enveloppée, sur la terre, et ensuite, devant lui, il
paya sa vieille dette en offrant des dons d'épines et de tabac, avec cela il paya.
Après avoir fumé, il disposa tout sur l'autel techiyalli, là il le plaça ... ».
Les deux textes insistent sur les autosacrifices réalisés en l'honneur des
tlaquimilolli qui étaient arrosés de sang. Il existe dans le Codex Nut tall (1975 : 25)
une illustration de ces pratiques : au moyen d'un os pointu, un personnage se perce
une oreille ; de celle-ci, un flot de sang jaillit jusqu'à un tlaquimilolli placé à
l'intérieur d'un temple (Fig. 5). Il est question également d'offrandes de copal, de
fleurs et de tabac dont la fumée ou les odeurs constituaient, avec le sang, la
nourriture favorite des dieux. Lorsque les ancêtres des Quiches abandonnèrent les
Pisom C'ac'al, le premier geste rituel de leurs descendants fut de réaliser des
offrandes de copal (Popol Vuh 1986 : 140-141). Dans le Codex Bodley (1960 :
12-13), des prêtres portant des encensoirs d'où s'échappe de la fumée sont
représentés face à des paquets sacrés placés dans des temples. Quant aux épines
mentionnées par Chimalpahin, elles se rattachent aux rituels d'autosacrifïce au
Olivier G.] LES PAQUETS SACRES DANS LE MEXIQUE CENTRAL 121
ГЬГЪГЧ ГЧГЧГЧП,
cours desquels on offrait des épines ensanglantées qui étaient disposées sur des
boules de foin appelées zacatapayolli.
A notre connaissance, dans les sources écrites, la mention de sacrifices humains
adressés aux paquets sacrés est exceptionnelle. Nous savons qu'une esclave offerte
par les marchands d'eau était sacrifiée devant le tlaquimilolli de Chalchiuhtlicue
durant la fête ďEtzalqualiztli (CF I : 22). Signalons également un procès
d'inquisition des années 1544-1546 au cours duquel un ancien prêtre du village de
Yanhuitlán (Oaxaca) confessa qu'il avait effectué des offrandes et des sacrifices
d'enfants en l'honneur du dieu de la pluie et que «... ce témoin n'enfermait pas le
démon avant de lui avoir donné tout ce qu'il lui avait promis ...» (Códice
Yanhuitlán 1940 : 46). Le texte est peu explicite : s'agit-il d'enfermer le dieu dans
un paquet sacré qui avait été préalablement ouvert afin qu'il reçoive les offrandes
ou bien est-il question de remettre la divinité dans le temple décrit comme «... une
grande maison [...] et chaque prêtre («papa») était chargé de son diable et était
dans sa chambre et appartement personnels ...» (Ibid.) ? La nature du dieu est aussi
difficile à préciser même si le texte nous parle d'une « idole de pierre », terme très
général qui peut correspondre à une statue mais aussi à tout objet adoré par les
indigènes 15. Témoignage ambigu donc, qui mériterait une étude plus approfondie
en se fondant sur la totalité des textes de ces procès dont seuls des fragments ont
été publiés.
Dans les codex, nous avons relevé au moins deux scènes de sacrifice qui
semblent être en rapport avec des paquets sacrés. Il s'agit, dans les deux cas, de
sacrifices dont nous possédons par ailleurs des descriptions détaillées dans les
sources écrites : le tlauauaniliztli (« action de rayer »), mieux connu sous le nom de
« sacrifice de gladiateurs » et le tlatlacaliztli (« action de percer de flèches »), deux
rituels liés en particulier au dieu Xipe Totec (CF II : 57-61). La première
122 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
rituels réalisés par Xpobal n'est pas spécifiée dans les minutes du procès. On peut
citer simplement la déclaration de ce dernier qui, en guise d'excuse, confessa avoir
sacrifié une poule pour assurer la guérison de son fils {Procesos ... : 168) 18.
Ces rituels avaient lieu à des moments précis de l'année et, comme la plupart
des fetes en Mésoamérique, en suivant un calendrier rituel complexe 19.
Si certains tlaquimilolli ne pouvaient être ouverts sans provoquer la mort des
profanateurs 20, d'autres sources insistent en revanche sur l'importance de
l'ouverture et de la fermeture du tlaquimilolli, manipulations dangereuses qui
s'accompagnaient de rigoureuses précautions rituelles et de l'observance d'une
temporalité sacrée. Ainsi, à Santiago Atitlán, «... on croit que le paquet (de San
Martin) ne peut être ouvert en toute sûreté qu'à midi ou minuit : autrement tous
les vents s'échapperaient et ravageraient le monde » (Mendelson 1958 : 123).
Cette croyance des Indiens tzutuhils n'est pas sans évoquer la fantastique
représentation d'un tlaquimilolli que l'on trouve dans le Códice Borgia (1963 : 36).
Le paquet sacré est enveloppé d'un nuage obscur pourvu de cercles (les étoiles) qui
représente probablement la nuit ou le vent nocturne tandis que des serpents
émergent tout autour de cette masse en mouvement. Trois divinités associées au
vent sont disposées de part et d'autre du tlaquimilolli : Quetzalcoatl et Xolotl dont
les rapports avec le vent sont bien connus et Tezcatlipoca, représenté ici avec le
masque buccal et le pectoral de coquillages de Quetzalcoatl, ornements qui
l'identifient probablement à son aspect de Yohualli Ehecatl (« Vent nocturne »). Si
l'ensemble de ces symboles manifeste la puissance de l'énergie qui se dégage du
tlaquimilolli, il ne s'agit pas, selon Eduard Seler (1963 : II, 32), de la représentation
d'une catastrophe liée à l'ouverture inopinée du paquet sacré mais, plus
probablement, de la renaissance de Camaxtli-Mixcoatl à partir de ses cendres contenues
dans le tlaquimilolli.
A notre connaissance, le rôle des paquets sacrés dans les rites d'intronisation a
échappé à l'attention des spécialistes. Le caractère secret de ces rites impliqué par
la réclusion des futurs gouvernants est sans doute à l'origine de cette
méconnaissance et seules quelques allusions éparpillées dans la documentation disponible
permettent de proposer une nouvelle interprétation de cette importante
cérémonie21.
Les rites qui suivaient l'élection d'un nouveau tlatoani et de ses quatre
« ministres » sont relativement bien connus à travers des descriptions en nahuatl et
en espagnol.
Les informateurs de Sahagun racontent comment, après avoir été dévêtus, ils
étaient conduits jusqu'au temple de Huitzilopochtli. Le futur roi était alors habillé
par des prêtres avec un xicolli (« jaquette ») vert foncé orné d'ossements. « Ensuite,
ils voilent sa face, ils couvrent sa tête avec une cape de jeûne verte ornée (de motifs)
d'os» (njman ic conjxtlapachoa, ic qujquaqujmjloa neçaoalquachtli xoxoctic omj-
calló) (CF VIII : 62). Nous disposons d'une autre version de Motolinia (1971 : 336)
reprise par plusieurs auteurs (Las Casas 1967 : II, 407 ; Mendieta 1980 : 155 ;
Zorita 1963 : 15-16) selon laquelle le grand prêtre «... vêtait (le futur tlatoani) d'une
Olivier G.] LES PAQUETS SACRÉS DANS LE MEXIQUE CENTRAL 125
pièce de tissu peinte avec des têtes de morts et des os et, sur la tête, il lui mettait
deux pièces de tissu peintes de la même façon dont l'une était noire et l'autre
bleue ».
La pièce de tissu ornée de motifs macabres mentionnée par Motolinia
correspond probablement au xicolli que décrivent les informateurs de Sahagún.
Quant aux autres pièces de tissu, leur nombre et leur couleur divergent chez les
deux auteurs. Las Casas et Mendieta ne font que copier Motolinia et Zorita précise
simplement qu'elles étaient en coton. Dans la version espagnole, Sahagún (1988 :
528) explique que le xicolli endossé par le premier serviteur de l'État était le
vêtement que portaient les prêtres lorsqu'ils offraient de l'encens aux dieux. Or
nous savons que cet habit était revêtu dans des contextes variés et par des
catégories sociales diverses, ce qui rend discutable le commentaire de Sahagún,
absent de surcroît du texte nahuatl 22. Des divinités ou leurs représentants portaient
également le xicolli. Ainsi, lors de la fête de Toxcatl, une statue de Huitzilopochtli
en pâte de graines d'amarante était confectionnée sur une armature en bois revêtue
d'un xicolli appelé tlacuacuallo que Sahagún (1988 : 118) décrit comme «... une
pièce de tissu sur laquelle étaient représentés les os et les membres d'une personne
mise en pièces » 23. Il faut mentionner également une cape {tilmatlï) avec les mêmes
motifs qui recouvrait des os en graines d'amarante disposés devant la statue de
Huitzilopochtli jusqu'à atteindre la hauteur de ses hanches (CF II : 72). D'après le
récit de cette fête rapporté par Diego Durán (1967 : I, 44-45), les jeunes filles
cloîtrées dans le temple de Tezcatlipoca préparaient des tamales de pâte d'amarante
mélangés avec du miel «... recouverts avec des pièces de tissu peints avec (des
motifs) de têtes de morts et des os croisés ...» qui étaient présentés face à l'idole
puis placés devant l'entrée de l'oratoire. Des jeunes gens décochaient des flèches en
direction de ces offrandes puis gravissaient les marches du temple pour atteindre les
tamales précieux qu'ils se disputaient. Les quatre premiers recevaient un traitement
de faveur et les tamales étaient conservés par les jeunes gens comme des reliques.
Les rapports entre Tezcatlipoca et cette iconographie macabre sont confirmés par
la description de son tlaquimilolli : «... la pièce de tissu qui était la plus proche du
miroir et des pierres était peinte (avec des motifs) d'os humains » (Pomar 1986 : 59).
Durán (1967 : I, 47) parle d'une statue de Tezcatlipoca «... vêtue d'une pièce de
tissu rouge, ornée de têtes de morts et d'os croisés ... », cette cape {tilmatlï) étant
représentée dans l'Atlas du dominicain (Ibid. : pi. 9) (Fig. 6) et dans le Códice
Ramirez (1980 : pi. 22). Dans le Códice Cospi (1988 : 30), c'est un vêtement orné
d'un crâne et de deux os que porte le « Seigneur au miroir fumant » tandis que le
pagne de ce dieu représenté dans le Códice Borgia (1963 : 17) est peint avec des
ossements. Enfin, parmi les divinités victimes du bûcher allumé par les franciscains
à Tlaxcala, on remarque une représentation de Tezcatlipoca vêtu d'une cape où
figurent un crâne et des os croisés (Muňoz Camargo 1984 : Cuadro 13).
Ce type de décoration nous fait penser immédiatement aux divinités de la mort.
Pourtant, dans les codex, celles-ci sont généralement représentées sous la forme de
squelettes et leurs vêtements sont rarement ornés d'os 24. Attestés dans
l'iconographie, les liens entre les ossements et les crânes d'une part et Huitzilopochtli et
Tezcatlipoca d'autre part, sont également soulignés par les sources écrites. En effet,
Huitzilopochtli était appelé Omitecuhtli (« Seigneur os ») et l'un des noms de
126 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
calendrier de Tezcatlipoca était ce miquiztli (« 1 Mort ») figuré par une tête de mort
(Historia de los mexicanos рог sus pinturas 1965 : 23 ; CF IV : 33 ; Olivier 1994 :
60-67) 25. Ce dernier pouvait apparaître sous la forme d'une tête coupée tandis que
Huitzilopochtli communiquait avec ses dévots à travers un crâne qu'ils avaient
conservé (Sahagun 1969 : 56-57 ; Serna 1987 : 320) 26. Enfin, nous avons vu que les
os du guide des Mexicas et le fémur de la divinité tutélaire des Tezcocans avaient
servi à former leurs paquets sacrés respectifs.
Nous pensons que les habits dont on revêtait le nouveau tlatoani étaient des
vêtements divins, parures des statues ou/et tissus recouvrant des tlaquimilolli. Un
texte consacré aux rituels destinés à accéder à la noblesse dans la région de
Puebla-Tlaxcala précise que les futurs nobles étaient revêtus avec «... les pièces de
tissu avec lesquelles étaient couverts ces cinq diables ... » (Carrasco 1966 : 135) 27.
Sans aucun doute, les vêtements dont on couvrait le nouveau roi possédaient
également un caractère divin. Dans la version de Sahagún, le xicolli était
probablement celui de Huitzilopochtli tandis que la « cape de jeûne » devait
appartenir à Tezcatlipoca dont l'un des noms était Nezahualpilli, « le Prince qui
jeûne » (CF I : 67 ; CF III : 12) 28. Si l'on accepte la version de Motolinia et en
supposant toujours que le xicolli était celui de Huitzilopochtli, nous nous
retrouvons avec deux « mantas » dont les couleurs ne correspondent pas aux textes
qui, par ailleurs, nous informent des vêtements de ces divinités. Cela dit, le noir et
le bleu sont bien les couleurs caractéristiques respectivement de Tezcatlipoca et de
Huitzilopochtli et nous croyons qu'il pourrait s'agir des tissus qui recouvraient
leurs tlaquimilolli. Ajoutons que sur les illustrations du Códice Florentino (1979 :
II, fol. 46 r°, 46 v°) (Fig. 7), les personnages effectuant les rituels préalables à
leur intronisation sont vêtus justement de capes noires et bleues ornées
ments 29
Olivier G.] LES PAQUETS SACRES DANS LE MEXIQUE CENTRAL 127
Fig. 7. — Rites d'intronisation du roi et de ses ministres (Codex Florentino). Dessin de G. Dodinet.
Le fait que Sahagún et Motolinia précisent que ces « mantas » étaient portées
sur la tête et même devant le visage portent à croire que les personnages ainsi
recouverts étaient symboliquement assimilés à des paquets sacrés. De manière
significative, les informateurs de Sahagún, pour décrire la tête couverte du tlatoani,
utilisent l'expression qujquaqujmjlo dans laquelle on retrouve le verbe quimiloa qui
signifie « lier ou envelopper quelque chose dans une pièce de tissu » (« liar о
embolver algo en manta ») et qui entre dans la composition du mot tlaquimilolli
(Molina 1977 : fol. 90 r°). Le rapport entre cette cérémonie d'intronisation et les
paquets sacrés est illustré aussi par le tlacuilo du Códice Florentino qui nous révèle,
exceptionnellement, la présence d'un tlaquimilolli à l'intérieur du temple devant
lequel se déroulent les rituels (CF VIII : pi. 93, 94) (Fig. 7). Images des dieux ou
plus exactement réceptacles (ixiptla) de la force divine de par les parures dont on
les revêtait, les personnages en cours d'intronisation incorporaient également la
puissance des tlaquimilolli en se couvrant des tissus divins qui enveloppaient les
paquets sacrés.
Revenons aux rituels d'accession au pouvoir du nouveau tlatoani. Il était chargé
d'encenser la statue de Huitzilopochtli et les informateurs de Sahagún (CF VIII :
62) précisent que le futur roi «... se tenait toujours debout avec le visage couvert
128 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
par la cape de jeûne ornée (de motifs) d'os». Les quatre «principales» qui
accompagnaient le roi réalisaient des rituels identiques et étaient habillés de la
même façon à l'exception de leur « cape de jeûne » qui était noire (Ibid. : 63). Ces
importants personnages descendaient ensuite les marches du Grand Temple et
étaient conduits jusqu'à une salle où ils allaient demeurer quatre jours occupés à
des exercices pénitentiels et à des jeûnes, ne sortant qu'à midi et à minuit, «... avec
le visage couvert par la cape de jeûne ornée (de motifs) d'os ... », pour encenser et
réaliser des autosacrifices devant la statue de Huitzilopochtli. La salle où ils étaient
confinés s'appelait tlacochcalco ou tlacatecco (Ibid.). Lorsque les quatre jours de
pénitence étaient achevés, le tlatoani et ses compagnons étaient installés dans le
palais où, après consultation des devins, une date était fixée pour célébrer la fête
de leur élection. De nouveaux vêtements et des ornements en plumes remplaçaient
alors les macabres parures des gouvernants (CF VIII : 63-64 ; Sahagun 1988 : 529).
D'autres rituels étaient pratiqués notamment en rapport avec une campagne
militaire dont les résultats auguraient de la réussite du règne du futur tlatoani.
La signification de ces vêtements ornés de crânes et d'ossements humains paraît
liée à la mort symbolique des futurs gouvernants. A l'appui de cette hypothèse, on
peut citer l'identité significative entre le lieu où le rite de passage était accompli et
la chambre funéraire où l'on préparait les dépouilles et les statues des rois défunts
(Alvarado Tezozómoc 1980 : 433 ; Durán 1967 : II, 298) 30. L'insistance particulière
du texte nahuatl sur le fait que les pénitents étaient voilés et le lien entre le verbe
quimiloa (« ensevelir un mort », « amortajar muerto ») et la mort ne laissent guère
de doute sur la signification du rituel. Nous savons que lors des funérailles du
tlatoani une statue représentant le défunt était ornée des vêtements de quatre
divinités : Tlazolteotl 31, Tlaloc, Youalahuan (Xipe Totec) et Quetzalcoatl
(Alvarado Tezozómoc 1980 : 433-434, 454-455; Durán 1967 : II, 298, 311).
Cependant, les corps des souverains étaient, en général, brûlés et nous pensons que
la mort symbolique du tlatoani avant son intronisation était d'un autre type.
De toutes façons, les divinités préposées à cette dernière cérémonie étaient
différentes.
Nous avons suggéré qu'il existait un lien entre les « mantas » dont le roi et ses
ministres se recouvraient et les paquets sacrés de Huitzilopochtli et de Tezcatlipoca.
Un élément important milite en faveur de cette interprétation : l'édifice où avait lieu
la réclusion du roi et de ses compagnons était précisément, selon Pomar (1986 : 59,
78-79), l'endroit où les paquets sacrés de Huitzilopochtli et de Tezcatlipoca étaient
conservés 32.
Lorsqu'ils réalisaient les exercices pénitentiels, les futurs gouvernants étaient
donc en contact avec les tlaquimilolli de ces deux divinités.
L'hypothèse selon laquelle ces importants personnages s'identifiaient, par
l'utilisation des « mantas » des tlaquimilolli, aux dieux Huitzilopochtli et
Tezcatlipoca s'explique peut-être par la façon particulière dont ces dieux avaient
abandonné le monde des hommes. Contrairement à d'autres mythes qui expliquent
la naissance des tlaquimilolli par la récupération des restes des divinités après leur
crémation (Quetzalcoatl, Itzpapalotl), ici, alors qu'il s'agit de divinités guerrières
(les corps des guerriers morts étaient brûlés), c'est après un séjour à l'intérieur de
la terre que les os de Huitzitl et de Tezcatlipoca sont récupérés par les hommes pour
Olivier G.] LES PAQUETS SACRÉS DANS LE MEXIQUE CENTRAL 129
constituer des paquets sacrés 33. Dès lors, il semble légitime de rapprocher le
schéma mythique de la formation des tlaquimilolli de Huitzilopochtli et de
Tezcatlipoca qui succède à une période d'enfouissement 34 avec la retraite et la
pénitence du futur tlatoani.
Les rites d'intronisation des rois mexicas consistaient donc, croyons nous, en un
parcours rituel qui reproduisait les étapes mythiques de la vie de leurs dieux
tutélaires. La mort symbolique du tlatoani correspondait à l'enterrement de Huitzitl
qui devint Huitzilopochtli et à la disparition de Tezcatlipoca, événements préalables
à la formation de leurs tlaquimilolli 35. Les vêtements utilisés par le futur roi
illustraient sa transformation en paquet sacré mais aussi manifestaient son passage
à l'intérieur de la terre avant sa « renaissance » en tant que souverain 3<s.
CONCLUSION
A partir des mythes d'origine, nous avons défini les tlaquimilolli comme des
reliques associées à une divinité enveloppées dans des pièces de tissu, celles-ci
pouvant aussi, indépendamment, faire office de reliques. Les représentations
anthropomorphes ou zoomorphes ont été exclues de la catégorie des tlaquimilolli 31.
Ceux-ci étaient considérés comme des réceptacles de la force divine. Cette force se
concentrait en un ou plusieurs objets liés de façon métaphorique ou métonymique
à la divinité choisie, chacun des éléments constitutifs de ces paquets étant
susceptible d'être adoré comme le dieu lui-même. De fait, ces objets étaient perçus,
non pas en tant que symbole ou manifestation divine, mais comme la divinité
elle-même. Ainsi que le souligne Serge Gruzinski (1988 : 326), il y avait fusion entre
le signifiant (l'objet) et le réfèrent (l'entité divine) 38.
Les documents analysés dans les pages qui précèdent illustrent l'extension du
culte des paquets sacrés chez de nombreux groupes indigènes dispersés sur
l'ensemble du territoire mésoaméricain : Cocas, Purépechas, Nahuas, Mixtèques,
Zapotèques, Quiches, Cakchiquels, Tzutuhils, etc. Nous disposons de témoignages
relatifs aux tlaquimilolli dès la période classique dans le monde maya (Rivera
Dorado 1986 : 104), témoignages qui se multiplient au postclassique et que nous
retrouvons ensuite durant la période coloniale et, au-delà, jusqu'à nos jours. Les
divinités dont les tlaquimilolli sont attestés défient toute tentative de classification.
Au fil de notre étude, nous avons rencontré des dieux aussi divers que Mixcoatl,
Cihuacoatl, Tlaloc, Huitzilopochtli, Chicomecoatl, Quetzalcoatl, Itzpapalotl, Curi-
caueri, Xochiquetzal, Yacatecuhtli, Amimitl, Tezcatlipoca, Chalchihutlicue, etc.
L'existence des paquets sacrés, plus qu'à un type particulier de peuples ou de dieux,
est liée à une tradition religieuse ancienne dont la diffusion dépasse d'ailleurs les
limites de la Mésoamérique 39. Nous croyons que les divinités mésoaméricaines
pouvaient revêtir l'aspect de statues tout comme celui de tlaquimilolli et que, dans
certains cas, ces deux aspects pouvaient coexister y compris à l'intérieur d'un même
sanctuaire.
Quelle était donc la spécificité des tlaquimilolli par rapport aux représentations
anthropomorphes ?
130 JOURNAL DE LA SOCIETE DES AMERICANISTES [81, 1995
l'origine des paquets sacrés. A l'échelle d'un peuple, nous retrouvons un schéma
mythique identique : examinons un manuscrit d'origine mixtèque, le Rouleau Selden
{The Selden Roll 1955), qui illustre les pérégrinations d'un groupe de quatre
individus dirigé par « 10 Maison » qui porte un tlaquimilolli de Quetzalcoatl. Nous
retrouvons les mêmes personnages au-dessus d'une montagne formée de serpents
entrelacés que l'on peut identifier à Coatepec. Face au « bulto » de Quetzalcoatl,
« 10 Maison » allume du feu. Ici encore, un paquet sacré est associé à l'avènement
d'une ère nouvelle, illustrée par l'allumage du feu nouveau (Fig. 8) (voir aussi
Códice Colombino (1892 : 9) 44. Dès lors, on comprend mieux la présence fréquente
d'instruments utilisés pour faire du feu à l'intérieur des paquets sacrés : couteaux
de silex et surtout ces fameux « palos sacadores de fuego » (« bâtonnets à feu ») que
choisirent les Tenochcas ou qui figurent au-dessus de nombreux tlaquimilolli
mixtèques {Codex Nuttall 1975 : 14, 16, 17, 18, 19, 21, 25, 83 ; Códice Colombino
1892 : 10).
Cette association entre les paquets sacrés et l'avènement d'une ère nouvelle
renforce notre hypothèse concernant la signification de la réclusion du nouveau
tlatoani. Nous savons que son intronisation était clairement identifiée à la naissance
d'un nouveau soleil et au commencement d'une ère nouvelle 45. Il paraît alors
logique qu'il ait été assimilé à la divinité tutélaire du groupe et qu'il ait été vêtu,
au moment du passage entre la mort symbolique et la renaissance, avec les tissus
qui enveloppaient les paquets sacrés de Huitzilopochtli et de Tezcatlipoca.
Témoin de l'entrée dans l'histoire d'une tribu, le tlaquimilolli renferme à la fois
les traces d'une divinité ou d'un héros éponyme et la mémoire du groupe dont il
constitue le ciment identitaire. A la frontière de l'histoire mythique et du passé des
hommes, le paquet sacré matérialise et concentre dans les éléments qui le
composent l'action de la divinité protectrice et les événements fondateurs de
l'identité ethnique *.
NOTES
1. Códice Boturini (1965 : 2 ; 4). Dans le Códice Aubin (1980 : 12), Huitzilopochtli n'est pas représenté
et le paquet sacré est porté par une femme, Chimalma. Dans le Codex Azcatitlan (1995 : PI. VII), deux
hommes portent les paquets sacrés de Huitzilopochtli et de Tezcatlipoca.
2. Signalons toutefois un article de Werner Stenzel (1970 : 347-352) qui compare les données
mésoaméricaines avec celles concernant les Indiens des États-Unis.
3. Nous retrouvons cette pratique avec les marchands qui conservaient les vêtements des esclaves
qu'ils offraient en sacrifice dans une boîte (iteupetlacat) et qui se faisaient enterrer avec elle. Cependant,
le texte (CF IX : 67) ne mentionne aucune pratique cultuelle en rapport avec ces reliques.
4. Deux « mantas » sont appelées « tílmatl o manta de Tezcatlipoca » {Codex Magliabecchiano 1970
: fol. 3 v° ; Códice Tudela 1980 : fol. 85 v°-86 r°). L'interprète du Codex Magliabecchiano déclare que ces
pièces de tissu ou vêtements (« mantas o vestidos ») étaient utilisés par les Indiens durant les fêtes sans
donner plus de détails.
5. Que penser de ces pierres de jade ? Étaient-elles collées sur des pièces de tissu que portaient les
divinités ou qui servaient d'enveloppes aux paquets sacrés ? Faut-il y voir des motifs peints ou tissés sur
la toile à l'image de la « jaquette au dessin de jade » {ixicol tlachalchiuhicujlollî) qui faisait partie de la
132 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
parure de Tlaloc (CF XII : 12) ? Ou bien doit-on rapprocher ce texte de la description de Pomar (1986 :
59) qui affirme que des pierres de jade étaient enveloppées dans les tissus du paquet sacré de
Tezcatlipoca ? Il paraît difficile d'opter pour l'une ou l'autre de ces hypothèses étant donnée l'imprécision
de nos sources.
6. « Plantons la pointe de nos bâtons dans le sable, à l'intérieur de la mer, et, rapidement, nous
traverserons la mer sur le sable en nous servant des bâtons rouges que nous sommes allés recevoir aux
portes de Tulán. [...] Nous vivions seulement de la sève des plantes et nous sentions la pointe de nos
bâtons pour satisfaire notre estomac » (Memorial de Sololá 1980 : 58, 84). On retrouve dans le Popol Vuh
et dans El Titulo de Totonicapán des informations identiques : alors que les Quiches attendaient le lever
du soleil, «... ils n'avaient pas de nourriture ; ils sentaient seulement la pointe de leurs bâtons et ainsi ils
s'imaginaient qu'ils mangeaient mais ils ne s'alimentaient pas quand ils venaient » (Popol Vuh 1986 : 1 18) ;
« Quand ils parvinrent sur le bord de la mer, Balam Q'uitsé prit son bâton et frappa la mer.
Immédiatement, la mer se sécha et se transforma en sable fin. [...] ils n'avaient ni nourriture ni boisson.
Ils sentaient simplement la pointe de leurs bâtons et ainsi ils consolaient leurs cœurs quand ils venaient »
(El Titulo de Totonicapán 1983 : 176). Une influence biblique est possible. Cela étant, l'origine indigène
des récits de passage d'un bras de mer a été établie par Alfredo López Austin (1973 : 92-93). Signalons
enfin que Robert M. Carmack (1979 : 30, 178), à propos du lignage quiche appelé Nijaib qui dominait
la région de Quetzaltenango, mentionne l'existence de bâtons de commandement réalisés avec des os de
jaguar qui symbolisaient le pouvoir du lignage.
7. L'absence d'équivalent dans la langue espagnole de l'époque du mot nahuatl chalchihuitl explique
le caractère vague de l'expression utilisée par Muňoz Camargo. Sur ces problèmes de traduction, on lira
les analyses de Thouvenot (1982 : 129-134).
8. On peut rapprocher cet épisode d'un passage de la Leyenda de los Soles (1945 : 126) où Huemac,
ayant défait au jeu de balle les Tlaloque, refusa les épis de maïs que ceux-ci lui offraient et exigea des
chalchihuitl et des plumes de quetzal à la place. Les Tlaloque acceptèrent de mauvaise grâce et une
sécheresse terrible s'abattit sur le territoire toltèque provoquant une famine durant quatre années. Seul
le sacrifice de la fille du seigneur mexica Tozcuecuex permit le retour de la prospérité. Tout comme dans
l'anecdote rapportée par Torquemada, la leçon de ce mythe est claire : l'humilité des Mexicas leur permet
de se défier des apparences trompeuses et de choisir les véritables richesses ou plutôt ce qui suscite leur
apparition, ici le feu, là le sacrifice.
9. Seler (1993 : IV, 190) qui s'appuie sur Lumholtz mentionne, dans un temple huichol situé près de
Guayavas, « ... un dieu représenté par une pierre verte enveloppée dans des chiffons ».
10. « Quand ils détruisirent et dégagèrent cette idole de ses enveloppes, ils trouvèrent avec les cendres
quelques cheveux blonds car, affirmaient les anciens, c'était un homme blanc et blond » (Mufioz Camargo
1984 : 265).
11. Celui-ci apparaît sous la forme du dieu Itztli ou Iztapal Totec représenté face au dieu du feu
Xiuhtecuhtli dans plusieurs codex du Mexique central (Tonalámatl Aubin 1981 : 20, Códice Borbónico
1988 : 20). Xipe Totec est représenté à sa place dans le Códice Borgia (1963 : 61), là aussi face à
Xiuhtecuhtli. Ce lien avec le dieu du feu est remarquable étant donnée la nature ignée des éléments du
tlaquimilolli d'Itzpapalotl.
12. Une étude détaillée des miroirs en Mésoamérique et de celui de Tezcatlipoca en particulier se
trouve dans Olivier (1994 : 430-480).
1 3. Parmi les illustrations du Códice Florentine (1979), on remarquera celle qui apparaît au folio 284 r° du
deuxième volume où sont représentés les guerriers de l'armée mexica. Au-dessus d'eux, on peut voir trois
personnages dépourvus d'équipement militaire et qui sont, sans doute, les prêtres qui précédaient les troupes.
L'un d'eux porte sur le dos un diable velu et cornu, probable substitut d'un paquet sacré que le tlacuilo
indigène évangélisé répugna à ou jugea dangereux de présenter aux yeux de son maître franciscain.
14. Le choix porté par Motecuhzoma sur la déesse du feu de Xochimilco fut probablement réalisé en
tenant compte des exigences du calendrier. Nous savons que cette déesse était la patronne de la treizaine
débutant par le signe ce ehecatl et un examen de la chronologie de la Conquête pourrait peut-être
confirmer cette hypothèse. Un élément iconographique peut aussi être ajouté au dossier : Chantico est
représentée avec le glyphe atl-tlachinolli sur sa coiffe, symbole bien connu de la guerre (Códice Borbónico
1988 : 18; Códice Teller iano-Remensis 1964 : XXVIII, 232; Tonalámatl Aubin 1981 : 18).
15. Nous savons que certaines statues étaient enveloppées dans des pièces de tissu. Ainsi, Burgoa
(1989 : I, 332-333) mentionne dans la région d'Achiutla une idole représentant un oiseau autour duquel
était enroulé un serpent qui fut remise à un moine : «... ils la lui apportèrent enveloppée dans des tissus
très curieux ... ». D'autres sources évoquent des idoles couvertes dont il est bien délicat de définir la
Olivier G.] LES PAQUETS SACRÉS DANS LE MEXIQUE CENTRAL 133
nature : statues ou objets symboliques enveloppés dans des pièces de tissu. Dans le Códice Yanhuitlán
(1940 : 39), il est question de « ... vingt paquets d'idoles... ». Le conquistador Andrés de Tapia (1980 :
II, 573) décrit à Cholula une procession de prêtres qui «... portaient des clairons et des flûtes et certaines
idoles couvertes et de nombreux encensoirs ... ».
16. Une ligne rouge sépare le tlaquimilolli des scènes de sacrifice, aussi est-il possible que ce paquet
sacré soit lié à la scène de conquête représentée dans la partie droite de la planche 83. Le tlaquimilolli
pourrait alors faire partie d'un glyphe toponymique composé également d'un terrain de jeu de balle
surmonté par un aigle.
17. Ces rituels rappellent ceux réalisés durant la vingtaine Huey Tozoztli (CF II : 62-63). On
remarquera que dans le Códice Telleriano-Remensis (1964 : XIII, 202) et dans le Códice Vaticano-Latino
3738 (1966 : XXX, 76), le dieu du maïs Cinteotl porte sur le dos un paquet sacré d'où émergent des épis
de maïs.
18. A propos des vêtements de Tezcatlipoca, Durán (1967 : I, 47) nous apprend que les enfants
malades étaient confiés aux prêtres de ce dieu, «... qui les revêtaient du costume et des insignes de
l'idole ... ».
19. Antonio Margil, qui décrit les rituels réalisés en l'honneur d'un paquet sacré au Guatemala, précise
qu'ils avaient lieu «... quand arrivait le jour de Belehec E, que connaissent les prêtres, évêques et
coadjuteurs grâce à leur chololquih (calendrier) ... « (Dupiech-Cavaleri et Humberto Ruz 1988 : 260).
20. « ... une idole enveloppée (Huitzilopochtli ?), très lourde, qu'ils ne découvraient jamais, qu'ils
adoraient et que personne, fût-il un important personnage, ne découvrait, à cause de la révérence qu'ils
avaient à son égard et parce qu'ils disaient que celui qui la découvrirait allait mourir ...» (Procesos ... 1912 :
116; nos italiques). Il existe pourtant une représentation où l'on peut voir le tlaquimilolli de
Huitzilopochtli ouvert avec à l'intérieur une tête de colibri (Códice Azcatitlan 1995 : XI). Dans ce dernier
cas, il pourrait s'agir d'une façon de préciser l'identité du paquet sacré sans pour autant signifier qu'il
était effectivement ouvert (Michel Graulich, communication personnelle).
21. Sur l'ensemble de ces rituels voir Broda (1978 : 221-255), Townsend (1987 : 371-409) et Graulich
(1994 : 68-96).
22. Le xicolli était effectivement porté par des prêtres, notamment ceux qui réalisaient des sacrifices
humains mais aussi par des fonctionnaires appelés achcacauhtin chargés des exécutions prononcées par
les tribunaux, par des nobles et des marchands dans des contextes religieux spécifiques et par des
gouverneurs en tant que symbole de leur charge (Anawalt 1976 : 223-235 ; Ibid. 1984 : 177-179). Parmi
les dieux portant le xicolli, Anawalt (1976 : 227) cite Quetzalcoatl et Huitzilopochtli. En ce qui concerne
le premier dieu, cet auteur s'appuie sur les fameuses descriptions des ornements divins qui auraient été
remis à Cortés par des envoyés de Motecuhzoma. Pourtant, une lecture attentive du récit des
informateurs de Sahagùn (CF XII : 11-12, 15) suffit pour se rendre compte que le conquistador ne fut
pas habillé avec les vêtements de Quetzalcoatl mais, en fait, au moyen de diverses parties des vêtements
des quatre divinités qui avaient été préparés. S'il est vrai que deux d'entre elles étaient Quetzalcoatl et
Ehecatl (un aspect de Quetzalcoatl), on remarquera que ce sont précisément les dieux dont les parures
n'incluent pas le xicolli. En revanche, il apparaît parmi les vêtements des deux autres divinités, à savoir
Tlaloc et Tezcatlipoca (Ibid. : 11-12).
23. Cette jaquette est représentée dans le Florentine Codex (CF XII : pi. 57, 58, 61). Ajoutons que les
esclaves que les marchands offraient en sacrifice pour la fête de Huitzilopochtli étaient ornés d'une
«jaquette divine » (teuxicol) « ... ornée de crânes et d'os ... », vêtement destiné sans doute à les assimiler
à la divinité célébrée (CF IX : 60 ; Sahagùn 1988 : 572).
24. En fait, nous n'avons trouvé que deux représentations de ce type de vêtement porté par
Mictlantecuhtli, l'une dans le Codex Nuttall (1975 : 44) et l'autre dans le Codex Fejérváry-Mayer
(1901-1902 : 37 ; dans le même manuscrit, il apparaît à l'intérieur d'un temple portant un xicolli sur lequel
on voit un os qui fait peut-être partie de la décoration composée d'« yeux-étoiles » Ibid. : 32). Dans le
Códice de Dresde (1983 : 5, 9, 12, 28), deux dieux de la mort, Cizin (dieu A) et Uac Mitûn Ahau (dieu
A') apparaissent avec des vêtements ornés d'os croisés (Thompson 1988 : 88, 218).
25. Dans le tonalámatl, la treizaine qui débute par le signe ce tecpatl est patronnée par Tonatiuh et
Mictlantecuhtli (Códice Borgia 1963 : 70 ; Códice Borbónico 1988 : 10). Or Tezcatlipoca est représenté à
la place du dieu de la Mort auquel il emprunte son ornement de nuque caractéristique dans le Tonalámatl
Aubin (1981 : 10). Dans le Códice Tudela (1980 : 19 r°), une image de cette divinité illustre la fête
Micailhuitzintli durant laquelle un représentant de Mictlantecuhtli était sacrifié. De plus, Tezcatlipoca
est parfois appelé «Seigneur de l'enfer» (Alvarado Tezozómoc 1980 : 312; Diaz del Castillo 1988 :
104).
134 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
26. UHistoria de los mexicanos por sus pinturas (1965 : 24) nous apprend que « Huitzilopochtli, frère
cadet et dieu de ceux de Mexico, naquit sans chair, seulement avec les os ... (nos italiques) ».
27. Le document mentionne les cinq divinités suivantes : Camaxtle, Tezcatepuca, Topantecutle
(Tlahuizcalpantecuhtli ?), Amoxhutle (?) et Chipe (Xipe Totec) (Carrasco 1966 : 135).
28. La couleur vert foncée dont parle Sahagun pourrait correspondre à celle du vêtement orné de
crânes et d'ossements porté par Tezcatlipoca dans le Códice Cospi (1980 : 30).
29. Curieusement, l'illustrateur du Códice Florentine a représenté six personnages au lieu des quatre
mentionnés dans le texte.
30. Lorsqu'il décrit les cérémonies réalisées lors des funérailles du roi Ahuitzotl, Durán (1967 : II, 394)
nous révèle qu'il s'agissait bien du même lieu : « Et là (Tlacochcalli), le roi de Tezcoco le vêtit avec des
capes royales, ce qui fut comme une investiture royale ... (nos italiques)».
31. Tezozómoc et Durán citent Huitzilopochtli mais les ornements correspondent à la déesse
Tlazolteotl (Dyckerhoff 1970 : 199-201 cité dans Graulich 1987 : 262).
32. Voir aussi Motolinia 1971 : 336 ; Mendieta 1980 : 155 et Torquemada 1977 : IV, 79. Cecilia Klein
(1987 : 309-314) identifie cet édifice au Tlacochcalco Quauhquiauac qui correspondrait au Temple des
Aigles exhumé dans l'enceinte du « Templo Mayor ».
33. Nous avons expliqué ailleurs les raisons qui nous font croire que le Popocatepetl n'était qu'une
montagne au moment où le corps de Tezcatlipoca y fut englouti. Cette « pénétration » de la montagne
par le « Seigneur au miroir fumant » peut être assimilée à une fécondation, elle-même équivalente à
l'allumage du feu. Suite à cet événement mythique, le Popocatepetl devint un volcan, une « montagne qui
fume » (Olivier 1994 : 473). Il faut remarquer également que les volcans étaient considérés avant tout
comme des montagnes, c'est-à-dire comme des réceptacles d'eau et que la fumée qui s'échappait des
volcans était assimilée à des nuages (Broda 1991 : 461-500). Dans le cas de Huitzitl, il est bien précisé
qu' «... ils enterrent ton corps dans une boîte de pierre (« tepetlacalli ») et que tes os y demeurent durant
quatre années jusqu'à ce que tes chairs pourrissent et retournent à la terre ... » (Castillo 1991 : 154-155 ;
nos italiques). Signalons enfin que Tezcatlipoca est associé à des funérailles royales au cours desquelles
le souverain est non pas brûlé mais enterré. Le cadavre du roi tépanèque Tezozomoc fut recouvert de dix
sept « mantas », «... et ensuite ils lui en mirent une autre très fine où l'idole Tezcatlipoca était peinte de
façon très naturelle. [...] ils donnèrent l'ordre de l'emmener au grand temple de Tezcatlipoca pour
l'enterrer» (Alva Ixtlilxóchitl 1985 : I, 351 ; nos italiques).
34. Les paquets de ces deux divinités sont représentés sur le dos des teomamaque dans le Codex
Azcatitlan (1949 : 7) (Fig. 7 ). Alfredo López Austin (1973 : 62) commente ainsi cette scène : « Ces dieux,
comme les peuples qu'ils précèdent, ont été récemment en contact, à l'intérieur de la montagne, avec
l'obscurité, le froid, l'eau, la mort, le féminin ... et les serpents. Un petite négligence du porteur de dieu
ou une attention particulière du peintre et le secret se dévoile : de chaque paquet porté sort une queue
de serpent à sonnettes ! ».
35. Il n'est pas indifférent de mentionner ici les résultats d'une étude que Claude-François Baudez
(n.d.) a consacrée au rituel d'intronisation de Pacal à Palenque. Le futur roi maya descendait par un
passage situé à l'ouest dans les souterrains du Palais de cette cité où son séjour était assimilé à un passage
dans l'inframonde. La remontée du souterrain qui s'effectuait par un passage situé à l'est correspondait
à l'émergence du roi sur la terre. Ces rites symbolisaient la mort et la renaissance du souverain qui suivait
un parcours rituel semblable à celui de la course du soleil.
36. Dans la statuaire mexica, le monstre terrestre Tlaltecuhtli et Coatlicue, la déesse de la terre, sont,
en effet, les seules divinités représentées avec des vêtements ornés de crânes et d'ossements (Gutierrez
Solana 1983 : pi. 10, 11, 172, 176 ; Azteca Mexica 1992 : pi. II, XLIV, XLV, LXXIV). La déesse de la
Terre Ilamatecuhtli ou Cihuacoatl qui illustre la fête Tititl dans le Códice Tudela (1980 : 27) porte une
robe ornée de têtes de mort et de mains coupées. Dans le Códice de Dresde (1983 : 74), Ix Chebel Yax
(déesse O), divinité de la terre et épouse d'Itzam Na, est représentée aussi avec une jupe ornée d'os croisés
(Thompson 1988 : 215). La symbolique des crânes et des os est aussi en rapport avec les semences et la
renaissance, ce qui coïncide parfaitement avec la logique des rituels d'intronisation (Graulich 1991 : 396 ;
López Austin 1994 : 162, 173-174, 206).
37. La distinction entre statue et tlaquimilolli est parfois difficile à établir. Quelle était la nature des
idoles du Grand Temple que les inquisiteurs cherchèrent avec tant de zèle ? Le dessin qui accompagne le
procès de Miguel Puxtecatl Tlaylotla nous montre cinq paquets dont deux épousent les formes d'un
personnage debout, deux celles d'un personnage assis et le dernier, ovale, une forme indéterminée. Les
quatre premiers « bultos » sont probablement des statues recouvertes tandis que le dernier, celui de
Huitzilopochtli, est peut-être un tlaquimilolli (dans Grunberg 1984 : 175). Les premiers correspondent
Olivier G.] LES PAQUETS SACRÉS DANS LE MEXIQUE CENTRAL 135
sans doute à ces «... idoles qui étaient dans des pièces de tissu [...] une natte placée devant et ils soulevèrent
la natte pour les voir (les statues toujours enveloppées ou découvertes ?) et ils leur offrirent des galettes
de maïs ...» (le texte est hélas lacunaire) tandis que le paquet sacré de Huitzilopochtli doit être cette idole
« ... qu'ils ne découvraient jamais ... » (Procesos ... 1912 : 116-117 ; nos italiques).
38. D'une manière significative, Peter Furst (dans Furst et Nahmad 1972 : 106) précise à propos des
paquets sacrés (takwátsi) des chamans huichols : « Le véritable nom du panier du marâ'akame (chaman)
est takwátsi Káuyúmarie et pas simplement takwátsi. Cela signifie que, tandis que le takwátsi de l'homme
ordinaire contient des objets rituels comme des flèches votives ou des plumes de prière, celui du
marâ'akame se confond avec le symbolisme de Káuyúmarie (La personne Cerf) de manière qu'il ne
contient pas seulement Káuyúmarie représenté par une paire de cornes de cerf, mais qu'il est le propre
Káuyúmarie sous l'aspect de l'une de ses manifestations (nos italiques) ».
39. C'est pourquoi nous ne pouvons souscrire aux affirmations de Christian Duverger (1983 : 187) qui
écrit : « Toutes les sources, tous les témoignages le confirment : la tradition chichimèque est celle du
tlaquimilolli ». Il considère qu'il s'agit là d'une caractéristique de la religion chichimèque qu'il oppose à
l'« idolâtrie» des peuples sédentaires de la Vallée de Mexico. Des divinités comme Huitzilopochtli,
Mixcoatl et Tezcatlipoca qui «... ont incontestablement des personnalités très nordiques ...» n'auraient
pas été représentées par des statues mais par des tlaquimilolli (Ibid. : 191-194). En fait, plusieurs auteurs
dont Sahagún, Durán et Pomar décrivent avec minutie les statues de ces dieux. De plus, il existe au moins
deux statues de Tezcatlipoca et une de Huitzilopochtli (Olivier 1994 : 78-86 ; 97-106).
40. « Les Chichimèques ayant peuplé les lieux rocheux [...] en ce lieu fut fondé ce règne et cette
province, Culhuatecuhtli étant le seigneur unique des Tlaxcaltèques et ayant un frère cadet qui s'appelait
Teyohualminqui Chichimecatecuhtli [...] avec lequel il partagea la moitié de toute la province de Tlaxcala
et de tout ce qui était conquis et peuplé et, par conséquent, il partagea avec lui en lui donnant une partie
des reliques de Camaxtli-Mixcoatl qui étaient ses cendres ... » (Muňoz Camargo 1984 : 163 ; nos italiques).
Voir également Durán (1967 : I, 72).
41. Par exemple chez les Cakchiquels : «... quand nous arrivâmes aux portes de Tulán, nous reçûmes
un bout de bois rouge qui était notre bâton et pour cela on nous donna le nom de Cakchiqueles {Memorial
de Sololá 1980 : 84 ; nos italiques). Chez les Indiens cocas, on retrouve un paquet sacré à l'origine d'un
toponyme : « Le village de Santiago s'appelait dans le passé, selon la langue des natifs, Copsppapit, à
cause d'un gros bâton en croix orné d'un huipil [...] Et ce bâton veut dire « chose de grandeur », d'où
provient le nom du dit village » (Relation de Poncitlan dans Relaciones geográficas del sigh XVI : Nueva
Galicia 1988 : 187-188 ; nos italiques). Même chose parmi les Purépechas : «... quand le cazonci (le roi)
envoyait un autre seigneur vivre en un autre lieu, ceux qui y allaient emportaient une pierre qui était avec
leur dieu ou une partie de celui-ci et, à l'endroit où ils s'installaient, ils donnaient le nom du dieu qu'ils
apportaient de leurs villages ...» (Relation de Michoacán 1988 : 134 ; nos italiques). Enfin, après avoir
expliqué que le tlaquimilolli des Tezcocans avait été formé à partir du fémur de Tezcatlipoca, lequel s'était
jeté dans le Popocatepetl, Las Casas (1967 : I, 643) écrit : « A partir de ce fait, le volcan prit le nom de
Popocateptl (sic) ».
42. Sur l'origine des noms des Otomis, des Mexicas et des Tarasques attribuée respectivement à Oton,
Mecitli et Taras, voir Sahagún (1988 : 660, 670, 671). A propos des toponymes, citons simplement le guide
mexica Tenoch qui aurait été à l'origine de la fondation de la capitale mexica Tenochtitlan (Mendieta
1980 : 148 ; Alvarado Tezozómoc 1949 : 70, 77 ; Durán 1967 : II, 55).
43. Ainsi, la version que les informateurs indigènes donnèrent de leur origine à Sahagún est
particulièrement révélatrice. Ils racontèrent au franciscain que leurs ancêtres, venus de la mer,
débarquèrent à Panutla puis se dirigèrent vers Cuauhtemalla et enfin s'arrêtèrent à Tamoanchan. Les
sages qui étaient à leur tête décidèrent alors de repartir et leur offrirent, au nom de la divinité qu'ils
transportaient, la terre où les Mexicas allaient s'établir. « Ensuite, les porteurs du dieu partirent. Ils
portent la chose enveloppée, le paquet (in qujmjlli, in tlaqujmjlollî). Ils disent que le dieu leur parle [...]
Ils emportèrent la peinture noire, les couleurs, les livres, les peintures » (CF X dans Lopez Austin 1985 :
291-292, 309-310). D'une manière significative, le tlaquimilolli des sages qui guidaient jusqu'alors les
Mexicas n'était pas celui de Huitzilopochtli mais celui de l'entité plus abstraite Tloque Nahuaque. Alfredo
López Austin considère qu'il s'agit d'une reconstruction coloniale de l'histoire mexica destinée à justifier,
aux yeux des Espagnols, l'absence de la divinité chrétienne mais aussi la légitimité de leurs possessions
territoriales. Ainsi, Tloque Nahuaque, «... dieu suprême aux épithètes non condamnables, applicables
sans plus au dieu des chrétiens », aurait bien cédé la terre (Mexicatlalpan) aux Mexicas mais serait reparti
en les laissant dans l'ignorance de la vraie foi. Celui-ci annonça toutefois son retour qui s'est réalisé avec
la venue des Espagnols. López Austin conclut en disant : « L'infidélité des Indiens ne mérite pas un
136 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [81, 1995
châtiment car elle fut ordonnée par Dieu par l'intermédiaire de ses sages ; et leurs biens terrestres, dons
de Dieu, doivent être respectés » (Ibid. : 331-332). La nouvelle identité du tlaquimilolli est à la mesure de
la transformation historiographique réalisée. Dans ce processus de réécriture de l'histoire, les Mexicas
utilisent des schémas mythico-historiques traditionnels où le rôle du tlaquimilolli, fondement de l'identité
du groupe, occupe toujours une place fondamentale. Une interprétation différente de ce passage a été
proposée par Michel Graulich (1988 : 63-69) qui y voit une variante du mythe de l'expulsion du paradis
de Tamoanchan.
44. On peut établir un parallèle entre les scènes de ce manuscrit et le mythe de la naissance de
Huitzilopochtli sur le Coatepec qui a été comparé à l'émergence d'un nouveau soleil confondu avec
l'avènement d'une ère nouvelle. En outre, cette comparaison renforce l'interprétation de ce mythe
proposée par Michel Graulich (1987 : 223-240) qui considère que les Mexicas ont substitué leur dieu
Huitzilopochtli à Quetzalcoatl.
45 .« Maintenant il fait soleil, il fait jour : cela veut dire quelque chose de nouveau apparaît, un nouvel
usage commence, ou bien le seigneur prend place, il est choisi» (Sahagùn 1978 : 133-134 ; nos italiques).
Voir aussi Durán (1967 : II, 73, 316) et Códice Ramirez (1980 : 62).
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