L'HORIZON DES EVENEMENTS
(NOTES POUR UN FILM A FAIRE OU A NE PAS FAIRE)
PAR MICHELANGELO ANTONIONI
Un matin de novembre dernier jétais en avion au-dessus de PAsic centrale soviétique. Je
regardais immense étendue du désert qui délimite 4 est la mer d’Aral, blanchatre et inerte, ct
je pensais a « aquilone » (Le Cerf-Volan), le film que j'espere tourner au printemps dans cette
partie du monde. Un conte, un monde qui n’a jamais été le mien, que j'aime pour cette raison
Et voici que tout en pensant ace conte, le voyant adhérer docilement au paysage, je me sens déri-
ver vers de tout autres pensées, C'est toujours ainsi. A chaque fois que je vais commencer un
film, il m’en vient un autre a Vesprit
Ce nouveau film nait d'un voyage fait dans un petit avion, par une journée de mauvais temps,
en Italie, Nuages immenses, pluie, vent. Un vent rude et incessant, gris comme les nuages, Der-
iére le hublot, les nuages courent a toute allure. L’avion a des vibrations brutales, il se cabre et
Se déporte de fagon imprévisible. Avec un peu de patience, on s*habitue méme au danger. Tout
} coup les nuages sarrétent, on a Pimpression que 'avion tombe. I! est au contraire déporté vers
Te haut, [aot vient juste d’éclater la foudre. Avant, lobscurité du cie! était die a Pépaisseur des
nuages, maintenant aux éclairs jaunes qui les déchirent.[Nous taverns ain’ cing orges. A Tarive, on me it qua qutrieme, un ate avion de
tourieme vest Gorse, Aucun sutvivantIravait 8 bord sk ssp pe
‘Unindusril danse secteur chimique, et femme eat cence en chi, nas avait pe
‘iquement tout oud Is at mare pr amour Lai dsat quits eat trompe pr amour. Ie
bin, dst femme un jour naus avons des enfants sus indians qu Sm
‘mos Tun & autre Avani depart iy aval ev tie queele ene eux Le ta tai par en
‘Taguant is porte. Leslenee ava cava i ies. Et au miu de ce slene elle seat rendue
ompte avec horeur quel cat resize dans a méme posiucn que lu pendant cute quer
Unéarvsn Ilva uli un cours dels rapie, Deux cents ines a minute. Pa cont
aca es let quand gran e asap de cogs Ge ees ge rest asa
‘Ti yoni sur Cage Iavat cute dole rae, mae quand coment, toute omar
tance ere rest et agitation iterae disparate lft one de moins en moins apy
ete demir. Dieu ature avant ta grande asin de sa jeunewe- Quand cet acre
ctr idea ese devant sa entre lami d'un eetber. A mcrae ever
bers s etiam, lesen aiendeseun, seat hen oblige des eee. ta de ce
‘scujand ii conaasnce de indus des femme Il sme suena orm on
deses romans. Deputy ne Fava plus feve, ps fe motnde signe mle moindre coup de
rione Ifa fo surps eT gefitaton average, pute cater elle qu Fal
prover, Masa azopr tur suft d'un coup pour comprendrecombin ise oma,
Evoat aman nea scl mene ps clu, Pour nay num, che ao
fl deanvote. Cla ne dum es torgtemps. En gravissan passer frau das
‘Sedclafommeteroman Gunaulre Cals prut on el manque deat qui cht de ascot
i Tames, om die Daler, pense sus pus n Seu
La muitrese de eran, Oboe por tale ot parla mort: Dernrement elle vst det
i un eld binlopsie Fanais pour lu demande tout de pce qu'sat a mort La or es une
hypotheses satu, vat epond le bologste, salutations disinguses. Jen apa eentimient
re pone ange es cose ft core de era, se detrei 1
fement du probleme et son conve eat qu't vali mieux ne pas penser Elle We roarda sec
rmepis tout en glace un agsnd de he dags Son sat Trop commode de parle dela mor
our ire seulement qu'il vai eux ne pas y penser Fille. Coase past au moment ob is
TGraiemt pou aller ropa Srl premiere page de'son agenda on pouva ir vous pl
‘expedient, adresse Eleavait preva gu pouralseperde. One rerouva, au contra,
fhtact au fie @'une tule de wfiex rou aver eet adresse inutile ben en vue Git en
imajusules.
Unansendéput suri quarantine. Cité comme ncn parla par vat all au
sup drt neue ara femme Se Banaras, Le Gune fia que
$a femme fl evan avoue gu le avat an aant que ct smunt ea fe pu. Leql
{Exec fur canara Se ans de prison, 26 anak clement Son ie serait done sort
[uns'En enondrt i sentencs angen dpa eset neal un pofond sentiment de
stipabitectde pine Maven pean is eune femme asssnne, stead erp cette
‘esr elect un homie dou. gardai un ts bon souvent des emmes qu Fave
Une emme ere deux ges, tans ctsédusamte. Ele revert used ure de Restov
cen Rus of ell avat ashete un deux ans dela ace Buda le Fava pave $0 00 dolla,
‘Xia veiled eepraver Sos ams, une penible hypertension ava pouss aller voir un me
Sa LE madecn flav preset un ax Un axa Vous eoez ps, atl xpi
fas patois une Vlei page peut nous metre dans ett de tranquil esther av point de
mete ote apessivite abode et de nous conduie 4 la mediation. Ct éaisement
am meme eft di wat ul rocura Une seus rangle. Mais aan de et episode
as tlgphone eve Pancien depute une seule phrase de celui prov dues tension état
its feud eat. Az confine ans face at gel ast mun ou
gust qo vous ne sove ps akfessive dem, ja Une proposuon vous fie. Quelle prope
Sion auafvellevoulu demander aussi, inulte. Mat ele ne di ie, Ele iss omer sn
ius sans accochor restrain ecouterla vor cui isi 4Peute bout fi aia. al.
Lepilbte. Un est compli, nds, tououtsansoux. 1 serve matin,
elu Quand fa bonnet aporat ls jouena, Tes salt Tune seule tai, aes
{ielephonat quelau'un pour Gear de ce qu'il avait. Si aurea ps e meme point
{vy isu 5 su coated onal ruson, ciate vide. Le ou u ores eat
‘angsment seen ava eu une conversation au tiepaone avec une femme. Apres ke cub
Se idphone. It sort pour se rendre sTatropo. A moter son bonjour nvoue Sune femme8
Loappareil s'est éerasé 4 1 742 métres au-dessus du niveau de la mer. On apergoit a mer au
loin a travers une bréche dans la roche sombre, mais il est rare que les bergers s"arrétent le long
des sentiers pour la regarder. S‘ls le font, est au coucher du soleil, parce que le coucher du soleil
résume dune certaine fagon les fatigues de leur journée. Ces bergers habitent a portée de fusil
de Pendroit oti Pavion est tombé. Ils sont deux ou trois cents, personne ne les a jamais comptés.
Plus deux carabiniers et un prétre.
Lorsque le prétre arrive sur les lieu, il souffle encore un vent violent. Le caporal-chef est déja
12, mais i ne sait pas quoi faire. Le prétre non plus ne sait pas quoi faire. En absence du médecin,
C'est A lui de soigner les blessés et les malades du haut plateau. Mais ici, il n'y a que des restes
‘méconnaissables eparpillés dans 'herbe, alors occupons-nous des ames, se dit le prétre. BL il se
‘met d prier. Quelques personnes arrivent du village pour voir. La mort est un spectacle gratuit,
qui attire. Ceite fois, elle offre peu, une carcasse calcinée, des lambeaux d’tres humains, des tra-
ces sur le pré d'une probable tentative d’atterrissage. Les bergers observent, ils ont "habitude du
silence, quelques mots ct ils s'en vont. Le prétre disparait aussi. Le caporal-chef reste seul.
est un jeune qui vient du nord, comme les orages de cette journée-la. Il s'en irait volontiers,
lui aussi, si ne le retenait un vague sens du devoir et ce vent pur qui lui est familier et qui lui
rend In tache moins pénible. L’événement a fait sur lui une impression profonde et confuse.
Confuse parce qu’il lui en manque tous les éléments, Combien y a-t-il de morts? Qui sont-ils?
Et surtout, ol sont-ils? Prés de la carcasse il n’y a pratiquement rien, il est clair que Pappareil
adi exploser en touchant le sol, et tout ce qu'il contenait a été projeté alentour. Méme plus loin
dans un rayon d'une soixantaine de metres, il n'y a guére plus, Peut-étre le pilote était-il seul &
bord. L’hypothése tombe immédiatement. Au milieu de ses recherches, le caporal-chef voit tout
4 coup quelque chose de coloré, des lambeaux «’étofle déchirés d'un vétement féminin. Et a c6té,
dans une touffe de tréfles rougis, un petit agenda. Ile prend dans sa main, litIes lettres en majus-
cules. Ile feuillette. A la'date du méme jour, soulignés plusicurs fois, il y a les mots : a quelle
heure? ls sont écrits en travers de la page, d'une main nerveuse qui laisse présager Pintuition
d'un terrible pressentiment. Mais le caporal-chef n’a guere ce genre d'intuition. Le fait que lun
des morts ait maintenant un nom, et que ce soit un nom de femme, le frappe encore plus. Et
il projette dans son esprit une série de visages féminins qui se juxtaposent a tour de role 4 ce nom.
Le caporal-chef en choisit un, peut-étre emprunté 4 un magazine, et la projection s‘arréte
Il arréte aussi ses recherches. Les morts, les lambeaux et la bouillie des corps sont imécupé-
rables. A part deux doiats au fond du pré vers la mer. Les doigts sont attachés & un bout de main,
une main ? homme étrangement propre, ils serrent une petite cuillére a café en plastique blanc.
Juste un peu pliés, ils tiennent la cuillére tournée vers le bas dans le geste habituel de mélanger.
Dessous, a la place de la tasse, il y a une tache de sang comme s'il était plus logique dans une
telle situation de mélanger du sang plutot que du café. C'est cotte logique, dans ce qu'elle a de
quotidien, qui rend cette composition terrifiante. Le caporal-chef détoume les yeux vers les bois
Le haut plateau est entouré de bois verdoyants en toutes saisons. Le vert est a peine atténué
parla teinte marron des trones et par le noir des ombres, si bien qu'il domine son gré, 4 excep-
tion de ouverture vers la mer qui est changeante. C'est un vert tendre, éclatant ou sombre,
comme maintenant. Le décor est done le suivant : nuages en fuite dans te ciel, et sur la terre un
avion écrasé avec des morts. C’est urecoin du monde grave. Un minuscule morceau de terre sans
hom od se perpétue le jeu infini qu’ll est interdit aux hommes de comprendre.
Tis sont deux en ce moment. Le second vient dapparaitre a Pimproviste prés de la lisiére du
bois, Ils sont d'age, de culture, déducation différents. L’un est habillé en carabinier, Pautre en
bourgeois. Dans le plan, une légére plongée peut-étre, le premier est & gauche presque de dos,
le second A droite, presque de face. Ils sont tous les deux immobiles et absorbés. Ils regardent
devant eux les memes choses silencieuses et tristes et formulent vraisemblablement, de maniére
différente, la méme pensée : comment se fait-il que les événements aient tourné de cette fagon
pour ces gens-la?Tousles hommes qui regardent la mort sont le méme homme. Mais cette iden-
{ite ne dure que le temps de ce regard, le premier geste Pannule. Le caporal-chef vient juste de
se rendre compte qu'il n'est plus seul, il va vers le nouveau venu et lui demande : vous étes un
parent? Non, répond autre. Le ton de sa voix est si ferme que le caporal-chef ne sait plus quoi
Gire. Cest comme les réponses de ses supérieurs, toujours convaincantes. Dailleurs, que peut
demander d'autre? Que lui reste-t-il & faire? Il a averti ses supéricurs, c'est a eux de décider. Le
seul ordre quis lui aient donné, c'est de ne pas permetire aux parents, au cas oit ils arriveraient
avant, de toucher et de déplacer les dépouilles, pour ne pas gener 'enquéte. Mais 'homme n’a
pas air avoir ce genre intention, Il erre de droite a gauche et rogarde. Regarder n’est pas inter-
dit
Ga devait éire des gens riches, un morceau de sac de trés bonne qualité, rejeté jusqu’a la lisiére
du bois, P'atteste : peau de crocodile 4 écailles fines, intérieur double de sanglier, boucle de cuivre
mat, et la fagon dont les deux doigts de homme tiennent la cuillére, les ongles soignés, la peau.
MICHELANGELO ANTONIN
y(HORIZON DES EVENEMENTS
u
Ma eeil pour ce genre de détails, désormais. Un balayeur lui avait un jour expliqué comment
distinguer les détritus des quartiers pauvres de ceux des quartiers résicentiels. Papier d'argent des
boites de chocolats, pelures d’ananas, gardénias fangs, étiquettes d’eau de Sangemini et de cognac
espagnol, feuilles de chou... Rien de tout cela dans les ordures des pauvres, Les pauvres, ils les
mangent les feuilles de chou.
Qui étaient ces gens riches, il Paurait su le lendemain avec 'arrivée des enquéteurs, des parents,
des curieux, des journalistes. Mais ce n’est pas encore le moment de donner aux faits Pimportance
qu’ils méritent. Finsiste pour dire que ce ne sont que des notes et ce qui m'intéresse a ce stade
Cest surtout de préciser ce que je raconte. Cela peut sembler une fagon épistémologique @aborder
Pargument, mais la matiére est devenue une ombre non seulement en physique cause de la
relativité et du concept d’incertitude des quanta, mais aussi dans la réalité quotidienne, Une
quantité inconnue. Ce n'est pas pour rien que les mathématiciens, habitués & appeler les choses
par leur nom, la désignent par x, qui est une inconnue. Si fessaye de déterminer I'x du film dont
Je suis en train de parler, je suis amené 4 me concentrer sur une réflexion de Phomme qui est
entré en scéne le dernier. II lui arrive de faire cette réflexion au moment oti, fatigué de s’occuper
des morts, il en vient a penser aux vivants, au eaporal-chef, a Iui-méme, & lous ces gens qui ont
envahi le haut plateau.
Dans le cadre de son travail , cet homme a eu récemment des contacts avec des physiciens,
des astronomes, des astrophysiciens, des cosmologues. II a entendu parler de mers galactiques,
magnitude absolue, vent solaire, puisar, quasar, rayons cosmiques, molécules interstellaires et
naturellement de trous noits. Objets invisibles qui courbent espace et plient le temps, fragments
de matiére primordiale enfermés dans un cercle d’énergie, d’oui rien ne sort & moins Catteindre
et de dépasser la vitesse inaccessible de la lumiére. Ce qui le frappe le plus maintenant, est la
definition de ce cercle, de cet horizon implacable. On Pappelle Phorizon des événements,
Ce qui le déconcerte, c'est le fait qu'on utilise le méme mot pour désigner des phénoménes
de portée cosmique, que l'on ne peut méme pas observer, méme s'ils obsissent a des systemes
@hypothéses fondamentales en physique, et pour en désigner d'autres comme la convergence
des faits qui a rassemblé les gens dans cet endroit, les morts et les vivants. Les bergers revenus
regarder le spectacle de la douleur. Les carabiniers venus de la ville avec un maréchal pour donner
tune apparence «ordre au hasard. Les journalistes, juste deux, envoyés li-haut pour voir si parm
Jes defunts, ily en aurait un dont il vaudrait la peine de parler. Ce qui le déconcerte aussi, c'est
que non seulement on appelle horizon les bois, les montagnes, Ia mer qui entourent le haut pl
eau, mais aussi cette ligne qui sépare notre monde de Maire gravitationnelle du trou noir, qui reste
ainsi coupé du monde. Et qui pourrait aussi ne pas étre noir, mais une boule de feu pas plus
grande qu’un atome. I a Ju des choses stupéfiantes a ce sujet. Et ce n’est pas sans itonie qu'il
s’en souvient en relation avec ce qui se passe autour de lui, Les passagers de cette carcasse sont
restés eux aussi pris au piége dans ce paysage qui se fond avec Phorizon de leurs petits événe-
ments, et ils ont glissé ici bas vers un état de mort, On a dit que Phistoire de f'astronomie est
une histoire horizons qui s‘éloignent. Mais pour la vie humaine, Phorizon est resté le méme.
Plongé dans ses réflexions, l homme ne s'est pas apergu que les journalistes se sont approchés.
Personne ne sait qui il est, ni ce qu'il est venu faire et ils auraient quelques questions a lui poser
Posez-les, dit homme. Encore une fois, Pironie lui vient en aide. C'est la seule fagon quril at.
lui semble-til, de se tetrouver Iui-méme en ce moment. La lumiére aussi lui vient en aide. Les
nuages se sont épaissis et font descendre une ombre livide sur le spectacle qu’offie le haut ple
teaul, Mise en scéne banale, pense homme. Il continue & répondre aux questions sur un ton mi-
sérieux tandis que, promenant son regard autour de lui et vers le ciel, il regarde les nuages. Par
deli les nuages.
Le ciel est toujours sercin & sept ou huit mille métres d’altitude. Ensuite Phorizon s’estompe,
remplacé par un bleu foncé de plus en plus intense. Etoiles, galaxies, nébuleuses, amas, radio.
galaxies remontant d des milliards dannées-lumiére, gaz et poussiére le remplissent presqu’enti¢-
rement, Et tout cela {uit Join de nous i une vitesse ‘lle. Mais pas seulement de nous, puisque
la récession est isotrope. Si cette récession continue indéfiniment, cela voudra dire que Phorizon
est ouvert, infini. Si elle s'arréte un jour et change de direction, que Punivers est fermé, limit
En somme que lui aussi, ila son horizon des événements. Avec ceci de particulier qu'il est hor
zon ultime, horizon de tous les horizons, au dela duquel il n'y a plus d'autres événements, il
ry a plus tien.
Cela a deja été dit : mais si Yhomme devait arriver un jour au dela de ce qu’il est capa
comprendre, quel serait le but du ciel?
le de
Michelangelo Antonioni
(Traduit de italien par Daniéle Dubroux et Frangoise Pieri)