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Taylor Anne-Christine. P. Gow, Of Mixed Blood. Kinship and History in Peruvian Amazonia. In: L'Homme, 1993, tome 33
n°126-128. La remontée de l'Amazone. pp. 573-575;
http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1993_num_33_126_369675
Peter Gow, Of Mixed Blood. Kinship and History in Peruvian Amazonia. Oxford,
Clarendon Press, 1991, Xll + 331 p., append., bibl., gloss., index, fig., tabl., cartes (« Oxford Studies
in Social and Cultural Anthropology »).
gens de « races » différentes ; le temps d'Aujourd'hui, enfin, où les nativos sont libres de
produire et de gérer eux-mêmes ces rapports de « métissage » qui sont l'essence même de
la civilisation. La société est ainsi perçue comme un ensemble transitoire de relations tissées
par la coexistence de gens de « races » différentes (terme qui désigne aussi bien des ethnies
ou des tribus distinctes que des groupes locaux piro éloignés) unis par une commune activité
de transformation de la forêt, source d'obtention de biens manufacturés, et par les liens
affectifs engendrés par les soins réciproques et la proximité physique. On comprend dans
ces conditions l'importance des critères, d'une trompeuse banalité, définissant la bonne vie :
la production et le partage de « comida legitima » d'une part, qui condense tous ces
rapports (par opposition à la cueillette et aux conserves), la création et la gestion de la « commu-
nidad nativa » d'autre part, structure institutionnelle d'origine récente qui donne forme et
limite à ces sortes de « mini-ethnies » à durée limitée en quoi consistent les unités sociales
pertinentes du point de vue indigène. Ces unités sont conceptuellement bornées par deux
formes complémentaires de savoir sur l'extériorité : le savoir scolaire, qui permet d'éviter
l'esclavage et dont l'idée (plus que la réalité) constitue ainsi une part essentielle de la culture
des nativos ; le chamanisme, qui permet de se défendre contre les attaques de la forêt agressée
par le travail humain.
La culture, dans cette perspective, n'est donc pas un ensemble d'idées, de savoirs ou
de compétences qui se transmet : elle est processus, création réitérée, au fil des générations
et dans des lieux différents (pourvu qu'il y ait de la forêt/des sauvages, des villes/des blancs,
une rivière et des gens entre les deux), de rapports liés à la transmutation de la mixité « raciale »
en identité (par le désir) et de la forêt en biens de consommation (par le travail).
Corrélativement, la parenté n'est pas la transmission d'une structure ou d'une relation ; elle est la
production de rapports affectifs, et donc de mémoire, à partir de dons de nourriture et de soins.
Parents et enfants se créent en tant que kin dans cette relation d'amour réciproque, de même
que mari et femme se constituent époux par le choix, l'amour et la collaboration mutuels.
C'est en ce sens que la culture est histoire : la dimension temporelle du processus civilisateur
(la médiation entre essences humaines distinctes, comme entre forêt et argent) est au cœur
de la vie sociale. C'est pourquoi les nativos craignent plus l'entropie démographique, la perte
de leurs enfants — futurs créateurs de culture — que celle de leurs « traditions »...
L'une des principales qualités de ce livre, à l'écriture claire et discrète, est la subtilité de
ses notations. Cela se paie par un penchant vers la répétitivité et un certain flou dans la
démonstration ; il n'empêche, cette culture centrée sur la routine du quotidien, presque invisible à
force d'être proche du banal, trouve là un analyste remarquablement attentif aux nuances
de la vie ordinaire. Par ailleurs, l'ouvrage livre des indices précieux sur la manière dont des
individus issus de sociétés « traditionnelles » peuvent se couler dans ce genre de culture :
opération qui consiste — Gow ne le dit pas mais ses données permettent de le déduire — non
pas à apprendre du nouveau, à adopter des valeurs distinctes, à s'adapter à un système de
parenté différent, mais à sélectionner des aspects présents dans la culture d'origine sous forme
de choix alternatifs ou de traits « statistiques » en laissant le reste à l' arrière-plan. Cet
aménagement cognitif passe par l'adoption d'une langue « pauvre » — l'espagnol des backwaters
amazoniens — adéquate à cette entreprise de gommage des caractères saillants — donc
distinctifs — de la culture « traditionnelle ». Soulignons au passage l'intérêt des pages
consacrées à l'école et au refus de l'éducation bilingue, effectivement contradictoire avec
l'approche indigène de la notion de civilisation.
On l'aura compris, les nativos de l'Urubamba ne constituent pas une tribu ou une ethnie :
ils sont un palier de transformation ou une plaque tournante d'identités, et Gow a tout à
fait raison de souligner l'absence de frontière autour de ce conglomérat. Il montre d'ailleurs
fort bien comment, en ajoutant une génération supplémentaire au processus qui définit la
culture nativa, on aboutit à une identité de ribereño métis ou de caboclo riverain désindigénisé.
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