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4/2/2018 Philosophie de la forêt

Philosophie de la forêt
Première partie

Durant ce séminaire, nous allons tenter ensemble de suivre quelques chemins de culture, quelques
pistes de pensée, quelques sentiers du sentir. Dans mon esprit, cela ne se sépare pas. Sentir est la
base. S’il n’y a pas de sensations pour motiver la pensée, celle-ci risque d’être abstraite et le savoir qui
en résulte ne concernera pas l’être tout entier. C’est seulement sur une base de sensations que nous
pouvons concrètement commencer à penser. Celles-ci acquièrent alors une cohérence pouvant
conduire à une pensée poétique qui dépasserait à la fois la philosophie et la poésie. De plus, bien que
nous soyons tous nés dans une culture particulière, rien ne nous oblige à y demeurer. Nous pouvons
aussi voir ce qui se passe ailleurs, rencontrer d’autres cultures et, qui sait, y découvrir des résonances
insoupçonnées.

Avant de commencer, j’aimerais également insister sur le fait qu’un séminaire n’est pas un endroit où
l’on obtient forcément des résultats. C’est avant tout un espace d’investigation et d’exploration, un lieu
où l’on sème des idées, où l’on essaye de recueillir des éléments qui peuvent conduire à une pensée
séminale. Il ne s’agit donc pas de tout encapsuler dans une formule après deux heures de discussion.
L’essentiel, c’est d’arriver à labourer un certain terrain d’expérience. La récolte sera le fait de chacun
d’entre nous.

Le lieu où nous sommes – la forêt des Ardennes – ayant dicté le thème de ce séminaire, en guise
d’introduction j’aimerais évoquer deux approches des Ardennes: celle d’Arthur Rimbaud qui, comme
chacun sait, a erré dans ces régions à partir de Charleville et celle de William Shakespeare, telle qu’on
peut la découvrir dans sa pièce As you like it (Comme il vous plaira).

Approches des Ardennes


«L’Europe, écrit Rémy de Gourmont, depuis qu’elle a été nominalement christianisée, ne vit que de
quelques gouttes d’élixir païen qu’elle a sauvées de la jalousie de ses convertisseurs.» Bien que cela ne
signifie pas qu’il faille ouvrir la porte à tous les néo-paganismes, cette remarque me paraît
profondément vraie. C’est cet élixir que cherchait Rimbaud. Issu d’une culture bourgeoise et
étouffante, Rimbaud se sait aliéné lorsqu’il écrit: «Esclaves, ne maudissons pas la vie.» Malgré ses
efforts pour sortir de cette culture chrétienne et devenir «barbare», celle-ci ne le quitte pas: «Je suis
damné par l’arc-en-ciel.» C’est elle qui teinte son expérience des couleurs de l’enfer et finit, avec le
poids massif de son « réalisme», par l’emporter sur sa révolte: « J’y suis, j’y suis toujours.» Toute sa
vie est une « comédie de la soif», fondée sur le refus de boire les concoctions «civilisées» qu’on lui
offre:

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Non, plus ces boissons pures,


Ces fleurs d’eau pour verres;
[…]
Mais fondre où fond ce nuage sans guide,
– Oh! favorisé de ce qui est frais!
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts?

Pour Rimbaud, la forêt est avant tout un lieu de fraîcheur et d’humidité, de fertilité et d’aurore, c’est-à-
dire de lumière et de commencement. L’élixir qu’évoque Rémy de Gourmont, le poète le compare à la
rosée. Il y a chez lui une obsession de l’aube, «cette heure indicible, première du matin». De
«Parmerde» (Paris), en «Juinphe 72», il écrit à Ernest Delahaye:

Oui, surprenante est l’existence dans le cosmorama Arduan. La province, où on se nourrit de farineux
et de boue, où l’on boit du vin du cru et de la bière du pays, ce n’est pas ce que je regrette… Mais ce
lieu-ci: distillation, composition, tout étroitesses; et l’été accablant: la chaleur n’est pas très constante,
mais de voir que le beau temps est dans les intérêts de chacun, et que chacun est un porc, je hais
l’été, qui me tue quand il se manifeste un peu. J’ai une soif à craindre la gangrène: les rivières
ardennaises et belges, les cavernes, voilà ce que je regrette.

Ce que Rimbaud cherchait lors de ses errances ardennaises, sans doute s’efforcera-t-il plus tard de le
trouver ailleurs. Sans doute est-ce une des raisons qui le poussera à parcourir bien des sentiers, bien
des pistes, qui d’Europe le mèneront jusqu’en Abyssinie, au pays des Gallas, ou n’était-ce qu’une fuite
en avant ? Avec Rimbaud, beaucoup de questions restent ouvertes. Ce que l’on peut retenir, c’est son
désir de vivre une existence sans «distillation, composition, tout étroitesses». C’est cela que
représentaient pour lui, à un moment donné, les Ardennes.

Remontons maintenant jusqu’à l’époque de Shakespeare et souvenons-nous d’une de ses pièces – As


You Like It – dont une partie de l’intrigue se passe dans la forêt des Ardennes. J’aimerais commenter
brièvement la première scène de l’acte II et, en particulier, le discours que tient le vieux duc à ses
compagnons d’exil. Évincé du pouvoir par son frère et banni de la cour, le duc s’est réfugié avec
quelques fidèles dans la forêt. Voici ce qu’il leur dit:

Eh bien, mes compagnons, mes frères d’exil, la vieille habitude n’a-t-elle pas rendu cette vie plus
douce que celle d’une pompe fardée? Cette forêt n’est-elle pas plus exempte de dangers qu’une cour
envieuse? Ici nous ne subissons que la pénalité d’Adam, la différence des saisons. Si de sa dent glacée,
de son souffle brutal, le vent d’hiver mord et fouette mon corps jusqu’à ce que je grelotte de froid, je
souris et je dis: Ici point de flatterie; voilà un conseiller qui me fait sentir ce que je suis. Doux sont les
procédés de l’adversité: comme le crapaud hideux et venimeux, elle porte un précieux joyau dans sa
tête. Cette existence à l’abri de la cohue publique révèle des voix dans les arbres, des livres dans les
ruisseaux qui coulent, des leçons dans les pierres, et le bien en toute chose.

Traduction: François-Victor Hugo

Ainsi donc, confronté à des réalités premières, le vieux duc semble préférer cette vie simple et rude au
sein d’une nature sauvage qui, finalement, lui paraît moins pénible qu’une vie de cour conventionnelle
et sophistiquée, livrée aux jalousies et aux intrigues de palais. Mais, par-delà cette idée de la nature-
refuge et sur un plan plus profond, il tient également un propos riche en perspectives d’avenir lorsqu’il
affirme: «finds tongues in trees, books in the running brooks, sermons in stones…» En dehors de tout
rousseauïsme, cette idée d’une nature comme source de savoir me paraît essentielle et peut ouvrir
bien des dimensions pour autant qu’on veuille sortir de ses vieilles habitudes et tenter vraiment de se
mettre à l’écoute de la nature, essayer de la lire et de la comprendre.

Malheureusement, rien dans cette pièce n’est approfondi en ce sens. Les compagnons du duc sont
nettement plus superficiels, plus préoccupés de leurs peines et de leurs plaisirs. Pour eux, la forêt est
avant tout un lieu où regorge le gibier qu’il est bon de traquer pour tromper son ennui. Seul Jacques,
le mélancolique, prend pitié de la souffrance infligée aux animaux, et les autres se moquent de lui. À la
vue d’un cerf blessé, venu agoniser près du ruisseau où il rêvassait, Jacques va tirer de ce spectacle
une leçon purement morale. Observant la bête seule et abandonnée des siens, il va transposer et
comparer sa condition à celle de l’existence humaine:

Pauvre cerf… tu fais ton testament comme nos mondains, et tu donnes à qui avait déjà trop… C’est
juste… la misère écarte le flot de la compagnie… Oui… enfuyez-vous, gras et plantureux citoyens: voilà
bien la mode! à quoi bon jeter un regard sur le pauvre banqueroutier ruiné que voilà?

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Une telle interprétation moralisante, de telles analogies entre l’ordre social et la nature, me paraissent
quelque peu forcées. Sans doute est-ce là une attitude conforme à l’esprit du temps, celui du Moyen
Âge et d’une partie de la Renaissance. Ce type de lecture me donne plutôt l’impression qu’il s’agit là
d’un prétexte à un beau discours, à un simple jeu de l’esprit qui nous éloigne d’une réelle approche de
la forêt. Néanmoins, la confrontation entre les propos tenus par Jacques qui suivent à quelques
répliques près ceux du vieux duc soulève un questionnement intéressant. Shakespeare nous laisse une
scène qui invite à nous interroger sur la place de l’homme dans la nature, sur son rapport qu’il
entretient avec les animaux et, surtout, suggère la notion d’une certaine sagesse à acquérir.

Dans l’ancienne tradition celtique, celle qui précède l’arrivée du christianisme et de sa lecture morale
du monde, nous pouvons trouver quelques éléments, en particulier chez les poètes du groupe de Finn,
susceptibles de nourrir notre réflexion. Les compagnons de Finn (Fianna) étaient une troupe de poètes-
guerriers, à l’éthique et à la mystique austères. Pour être un compagnon de Finn, il fallait renoncer à
toute attache familiale et clanique, être un athlète et un guerrier accompli, et connaître par cœur les
douze livres de poésie.

Ce compagnonnage disparaîtra vers le IIIe siècle, à la suite de circonstances politiques nouvelles, mais
il a marqué la littérature et les imaginations, et on retrouve encore ses traces dans le paysage. Dans la
vallée de Glencoe, on trouve la Falaise des Fianna (Sgor nam fionnaidh) et la Caverne d’Ossian. Sur
chaque crête du massif dort un compagnon, le vent est leur respiration, et un jour il se réveilleront. Ils
se sont réveillés, un instant, vers la fin du XVIIIe siècle, pour donner une implusion au mouvement
romantique. Ils ont peut-être même inspiré Huckleberry Finn dans sa fuite de la civilisation et sa
recherche du territoire libre, l’Illinois (en indien, Terre des hommes). Ils ont eu aussi une veillée dans
Finnegans Wake.

Voici un poème appartenant à la tradition de Finn, et qui nous parle encore aujourd’hui:

Ton chant est doux, merle, nulle part au monde je n’ai entendu musique plus douce que la tienne. Toi,
prêtre, tu aurais tort de ne pas l’écouter, tu pourras toujours reprendre tes prières après. Si tu
connaissais la vraie histoire du merle, prêtre, tu verserais des larmes, tu cesserais même un moment
de penser à ton Dieu. C’est dans le pays de Norvège aux rivières bleues que le fils de Cumail (Finn),
celui qui tenait dans ses mains les gobelets rouges, a pris l’oiseau que tu vois maintenant. Et il le mit
dans un bois à l’Ouest, dans le bois aux beaux arbres où aimaient se reposer les Fianna. Finn aimait
prendre son repos en écoutant chanter le merle ou bramer le cerf. Il aimait aussi le chant des coqs de
bruyère, le bruit que fait la loutre en se glissant dans l’eau, et le cri de l’aigle. Il se délectait du bruit
des vagues le matin sur les plages de galets blancs. Quand vivaient Finn et les Fianna, lande et rivage
leur étaient plus chers que l’église. Ils aimaient le chant du merle. Ils n’aimaient pas le chant de la
cloche chrétienne.

La forêt comme «refuge»


En 1980, à Stuttgart, Ernst Jünger publie un livre qui, en français, s’intitule Traité du rebelle ou le
recours aux forêts. Je ne m’étendrai pas ici sur la carrière d’Ernst Jünger, ni sur sa philosophie
générale. J’ouvre ce livre, comme j’en ouvre tant d’autres, afin de voir ce qu’il peut éventuellement
contenir d’intéressant pour notre propos.

Pour commencer, en ce qui concerne la traduction du titre, remarquons que le mot allemand traduit
par «rebelle» est Waldgänger, terme qui, littéralement, signifie «celui qui s’en va dans la forêt». Il
s’agit en fait d’une figure historique. Durant le haut Moyen Âge scandinave (en Norvège, puis plus tard
en Islande), le Waldgänger était un proscrit qui choisissait de vivre une vie libre en se réfugiant dans
les bois. Ce faisant, il menait une existence difficile et périlleuse car il pouvait être abattu par
quiconque le rencontrait. Toutefois, il courait sa chance. À partir de là, Jünger va extrapoler et faire du
Waldgänger une figure atemporelle, indépendante de tout contexte historique particulier. «Celui qui
s’en va dans la forêt» est quelqu’un qui, «hic et nunc», veut échapper aux contraintes d’une vie hyper-
socialisée et sortir des conventions établies, des dogmes, de l’enlisement des idéologies. Pour
l’écrivain, un tel «recours aux forêts» n’a rien d’une idylle. Il ne s’agit pas d’une «retraite» ou d’une
attitude compensatoire, mais plutôt d’une marche hasardeuse en dehors des sentiers battus, au-delà
des frontières de la pensée commune.

Aujourd’hui, l’homme se trouve pris dans les engrenages d’une grande machine agencée, sinon pour le
détruire, du moins pour l’aplatir et l’uniformaliser. Le type socio-anthropologique «normal» est
relativement intelligent. N’a-t-il pas reçu comme tout un chacun une éducation, un «badigeon de
culture» comme dit Jünger? Mais les valeurs qu’il a intériorisées favorisent-elles sa sensibilité, son sens
de la beauté du monde? Est-ce là une chose qu’il peut éprouver? Docile aux slogans et aux injonctions
de tout ordre, ne vit-il pas dans un monde clos, prompt à dénigrer tout ce qui existe en dehors de son
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«espace normal»?

À l’encontre d’un tel homme cerné, pris au piège d’un «inexorable encerclement», l’être humain qui
«s’en va dans la forêt» veut redevenir un être singulier («singulier» et «sanglier» viennent tous deux
du latin singularis, «qui vit seul»). Pour y arriver, le «rebelle» ne se mettra pas en opposition directe.
C’est là utiliser les mêmes armes que l’adversaire et risquer de lui ressembler. Il ne se contentera pas
non plus d’une attitude de «rebelle» facile. «Recourir aux forêts » n’est pas une fuite naïve hors du
social, hors du « réel». S’évader dans l’imaginaire n’est qu’une «jonglerie» de l’esprit, une illusion, un
mirage de plus. Ce que le «rebelle» recherche n’est pas une fiction commode, mais un lieu de liberté,
un champ d’action. C’est ça, la forêt: «un champ d’action pour de petites unités qui savent ce qu’exige
le temps, mais connaissent aussi d’autres exigences.»

«Qui savent ce qu’exige le temps». Autrement dit, assumer son destin propre – dépasser ses craintes
et arracher les masques pour que renaisse «la gaieté, fruit de la liberté» – implique bien des qualités
morales mais aussi une conscience vive et lucide. Il faut être prêt à affronter le néant et prendre fond
sur une sorte de nihilisme. S’inspirer de quelques grandes forces dans l’art et dans la pensée peut
aider assurément à se maintenir éveillé, mais surtout et toujours, il importe de rester au contact de la
«substance première», de tout ce qui porte un peu de fraîcheur. «Ce n’est sans doute nullement par
hasard que tout ce qui nous enchaîne au souci temporel se détache de nous dès que le regard se
tourne vers les fleurs, les arbres…» Là, dans la forêt, s’offre la possibilité d’une « résidence», de vivre
une vie pleine et «robuste».

Mais n’oublions pas d’extrapoler et de rester réalistes. Au fond, il n’est pas besoin d’élire résidence
(surtout en permanence) dans une forêt quelconque. Il s’agit avant tout d’un «champ d’action» qui
peut aussi se déployer en pleine ville. À condition bien sûr de maintenir le contact avec le dehors et d’y
faire des incursions qui ne soient pas que des «excursions». C’est ainsi que, petit à petit, les contours
d’une nouvelle forme culturelle, peut-être, pourront se préciser.

La doctrine des forêts est antique comme l’histoire des hommes, et même plus vieille qu’elle. Elle se
trouve déjà dans les témoignages vénérables que nous ne savons encore lire qu’en partie, dans les
caractères gravés sur la pierre. Elle donne leur grand thème aux contes, aux légendes, aux textes
sacrés et aux mystères… Toujours et en tous lieux, chacun sait désormais que des centres de forces
originelles sont contenus dans le paysage changeant, sous l’apparence passagère des sources de
richesse, des pouvoirs cosmiques. Ce savoir-là ne constitue pas seulement, pour les Églises, un
fondement symbolique et sacramentel, ne se prolonge pas seulement dans les gnoses et les sectes,
mais fournit aux systèmes philosophiques leur noyau, quel que soit d’ailleurs l’extrême diversité des
mondes de leurs concepts. Ils visent essentiellement le même mystère, patent pour quiconque a reçu,
ne fût-ce qu’une fois dans sa vie, l’initiation: qu’on le conçoive comme l’idée, la monade originelle, la
chose en soi, l’existence dans le présent. En touchant l’être, même cette seule fois, on dépasse les
franges où les mots, les notions, les écoles, les confessions ont encore quelque importance.

Traité du rebelle (extrait), Ernst Jünger, Christian Bourgois 1981


(Traduction: Henri Plard)

Les sages de la forêt


Dans la littérature védique (de veda, mot sanskrit signifiant «le Savoir» ou «la Science»), il existe un
ensemble de textes qui porte le nom d’aranyaka (littéralement «propre à la forêt»). Anonymes comme
tous les textes védiques, il s’agit en fait de «traités » issus des milieux brahmaniques d’ermites et
d’ascètes, retirés de la vie publique. Ces «traités» devaient être justement étudiés «dans la forêt»,
dans des lieux à l’écart et tenus secrets des profanes. Par leur caractère hautement spéculatif et
«ésotérique», la méditation de ces textes pouvait mener loin au-delà des vérités communes et des
conventions sociales. Seuls des «initiés» préparés à recevoir ces «révélations » (comme les
vanaprastha, «habitants de la forêt ») y avaient accès. Les textes principaux sont l’aitareya-aranyaka,
la kausitaki-aranyaka ou encore la taittiriya-aranyaka dont voici un extrait significatif:

Au commencement, Cela, qui était la semence première de la Pensée, se mua en Désir: les sages (rsi),
cherchant en leur cœur, découvrirent intuitivement que le lien (bandhu) de l’Être se situait dans le
Non-Être. En vérité, il reçoit tout ce qu’il désire, celui qui sait ainsi !

Ces «traités de la forêt» préfigurent également d’autres textes védiques avec lesquels les liens sont
très étroits, les upanisad (de sad upa ni, «s’asseoir auprès de» ou encore de upa-as, «être en
contact», «poser en équivalence»). L’une des principales upanisad s’intitule brhad–aranyaka. De fait,
les upanisad vont hériter des spéculations contenues dans les aranyaka, mais vont élargir et
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approfondir le champ de la réflexion mystique en centrant leurs préoccupations sur la notion de


microcosme-macrocosme, sur les rapports du soi intérieur au Soi universel, de l’atman au brahman.
Les énoncés essentiels (mah–avakya, «grandes paroles») des upanisad sont les suivants:

aham brahma asmi – je suis Brahman,


ayam atma brahma – cet Atman est Brahman,
tat tvam asi – tu es Cela.

Selon les upanisad, il y a identité foncière entre atman et brahman. L’être est identique au Tout. Il est
un avec la nature (nidana). De ce fait, tout être vivant est libre. Seule l’erreur l’enchaîne au monde des
illusions dont il faut se délivrer par la connaissance (jñana). Atman est le Soi, le principe vital délivré
des liens de la personnalité, de l’ego. Entré dans un jeu d’énergies (la danse de siva, la densité de
l’être supra-personnel, qui n’est plus un «être»), il réalise le contact, l’unité avec brahman, avec le
Réel. Il ne s’agit là ni de culte, ni de moralisme étroit, ni de spéculations liturgiques comme dans les
brahmana mais de recherche et d’investigation (… dans la forêt de l’être), d’une tentative de
comprendre les liens qui unissent-désunissent l’homme au cosmos (aux «mondes»).

Étudiaient les upanisad, les «renonçants» (samnyasin), les «errants» (parivrajaka), les «mendiants»
(bhiksu), tous ceux qui étaient prêts à sortir du groupe social pour s’asseoir auprès d’un maître dans la
forêt, écouter ce qu’il avait à dire et méditer ces dires. C’est ainsi qu’en Inde (à une époque un peu
antérieure au bouddhisme), sous les arbres, dans le désert, près d’une source, avaient lieu d’intenses
discussions sur tout et sur rien, sur le rien-tout et le tout-rien. C’est alors qu’apparaissent également
les yogin et les techniques du yoga (yug, «lier ensemble»), en particulier les pratiques respiratoires
basées sur la doctrine des souffles (prana): ham – inspiration, sa – expiration. Mais, quelle que soit la
pratique particulière des yogas divers: hatha-yoga (le contrôle du corps), bhakti-yoga (l’adoration),
karma-yoga (l’action), raja-yoga (dominer les passions, noblesse d’esprit), jñana-yoga (connaissance,
compréhension), il s’agit surtout d’émigrer, de sortir et de changer de condition. Il s’agit de s’aventurer
hors de notre «petit monde» et de se découvrir sous d’autres latitudes. Une des images du Soi, du Moi
s’ouvrant, c’est l’oiseau migrateur: hamsa («je suis Cela»).

De la forêt indienne à la Forêt de Bambous chinois, il n’y a au fond que… quelques pas. Mais revenons
plutôt en Occident.

suite

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